Bataille Intime - Compagnie Glou
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Bataille Intime - Compagnie Glou
Bataille Intime Jean-Michel Ribes Une femme, vêtue d’une robe claire maculée de sang. Son visage et ses mains sont aussi tachés de sang. LA JEUNE FEMME. Bon, eh bien je préfère le dire à tout le monde, ici, plutôt qu’à la police... Après, je serai soulagée. Il y avait trop de sang. Au début, ça allait encore. Il y en avait un peu, bien sûr, mais c’était supportable. Et puis, il s’est mis à couler à gros bouillons. Impossible de l’arrêter. Ça giclait de partout et ça se répandait sur les murs, les vitres, sur mes affaires... Il y en avait plein les draps, sur le plancher... Moi, j’aime pas tellement le sang... Il me dégoûterait plutôt... J’avais donné le premier coup dans la gorge. C’était pas mortel, la carotide était intacte. Enfin, il était bien entamé. Il s’est mis à gargouiller et à vomir, en poussant des sortes de râle... « urg !... urg ! » comme ça. J’ai donné un autre coup et la lame est entrée dans l’œil. Je l’ai entendue grincer contre l’os. C’était pas calculé. Un hasard. Il s’est mis à hurler, pour que tout le monde vienne. Je l’ai supplié de se taire. Je voulais même l’essuyer, le soigner... Je le serrais contre moi... pour pas que les voisins entendent, cette histoire ne regardait que nous après tout. Mais il se débattait, il envoyait des coups de poing au petit bonheur. Il fallait bien que je fasse quelque chose. Je pouvais tout de même pas le laisser comme ça. Alors j’ai continué à frapper. Dans les bras, dans les cuisses, dans le ventre. Il a fini par se calmer. Il ne bougeait plus du tout. Après, il a bien fallu le découper. Mais je suis pas douée pour ce genre de truc... J’ai jamais su découper le poulet, ni le gigot. J’arrive pas à faire de belles tranches. Je salope tout. D’ailleurs il n’arrêtait pas de me le répéter. Quand j’ai réussi à détacher la tête, on aurait dit qu’il était creux à l’intérieur. Comme une poupée, une poupée pleine de sang. J’ai épongé pour que ça ne coule pas chez les voisins, cette histoire ne regardait que nous après tout. J’ai vidé six cuvettes dans l’évier, et pourtant il en restait encore plein par terre. Je pataugeais dedans, ça collait partout. Je sais que ça peut paraître affreux, mais enfin, il faut se mettre à ma place. J’en avais marre de l’avoir toujours à sur mon dos. Toujours en train de me dicter ses ordres, parce que c’était toujours lui qui commandait. La vie devenait impossible. Et tout ça parce qu’un jour, j’ai eu le malheur de le laisser entrer. On leur donne ça (Elle montre le petit doigt.) et ils prennent tout. J’étais complètement possédée, dépossédée plutôt, jetée de ma peau, virée. A la porte de chez moi... de moi... je ne regrette pas de l’avoir saigné. C’est de la légitime défense. Mais ce sang... tout ce sang. J’aurais mérité que ça se passe autrement. Plus cool. On n’est pas des sauvages, quand même. Bon, voilà, j’ai tout dit, je me sens mieux. Tant pis si on me gronde. Au moins, maintenant, je suis redevenue une femme comme les autres, une vraie femme. Je vais pouvoir mener une vie normale, rencontrer un homme. Mais cette fois, je ferai attention...