Le modèle grec dans l`Art français, 1815-1914
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Le modèle grec dans l`Art français, 1815-1914
Sélection d’ouvrages présentés en hommage lors des séances 2015 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. ces cent années. J’ai l’honneur de déposer sur le bureau de l’Académie, de la part de son auteur, Madame Sophie Schvalberg, l’ouvrage intitulé « Le modèle grec dans l’art français, 18151914 », avec deux préfaces, l’une d’Alain Schnapp, la seconde de Ségolène Le Men, 368 pages, 135 illustrations dont un cahier en couleurs, paru aux Presses universitaires de Rennes, au deuxième semestre 2014. Ce travail est l’aboutissement d’une thèse de doctorat beaucoup plus ample, dont l’auteur a su tirer une véritable synthèse, remarquablement écrite et qui conduit le lecteur à travers une information considérable et toujours maîtrisée, vers une conclusion qui emporte l’adhésion. Le but était de décrire le modèle grec qui avait dominé l’art français entre 1815 et 1914, de l’analyser dans ses composantes et de voir comment il avait évolué au fil de L’auteur présente ainsi un « musée imaginaire de l’art grec » tel qu’il a été reconstruit dans cette période foisonnante de découvertes archéologiques, au cours de laquelle les théoriciens de l’histoire de l’art après avoir brûlé ce qu’ils avaient adoré, je veux dire Winckelmann, proposent une nouvelle approche de l’art grec qui va du classicisme du Parthénon à la stylisation géométrique des œuvres de l’art archaïque grec, disons des sculptures de Phidias à celles de l’Ecole d’Egine, et pour la période prise en compte d’Ingres à Bourdelle. Car c’est cela l’une des qualités de cette enquête : elle s’appuie à la fois sur ceux qui s’efforcent à l’objectivité du savoir (les archéologues, les professeurs, les Académiciens des Beaux-Arts comme ceux de l’AIBL d’alors, et aussi sur les artistes de l’époque qui ont, eux, un regard différent. La démarche de Madame Schvalberg est donc toujours entre savoir et regard, ce qui permet de recontextualiser (comme on dit maintenant) ce modèle grec qui va culminer, avant la guerre de 14, dans une consécration de l’art archaïque. Pour donner un idée de cette progression, je ne peux mieux faire que de lire les titres très révélateurs des trois grandes parties de ce volume : d’abord : « les enfants du Parthénon,1815-1848 », en rappelant que ce n’est qu’en 1815 que le British Museum accepte les marbres de lord Elgin et que c’est en1849 qu’Adrien de Longpérier ouvre une salle spéciale au Louvre qu’il intitule le « Musée grec primitif », avec cette idée sous-jacente que l’art de Phidias n’est que l’aboutissement d’un art « primitif » qui l’a rendu possible. La deuxième partie de l’ouvrage emprunte précisément son titre à la création de cette salle au Louvre : c’est « Le Musée grec primitif 1849-1879 », période pendant laquelle on voit comment le modèle grec classique va progressivement voler en éclats malgré les pesanteurs de certains enseignements comme celui de Taine qui tient le cours d’esthétique aux Beaux-Arts pendant vingt ans. La première brèche dans le bastion de l’art classique est de taille, c’est celle qui est provoquée par la mise au jour de Troie dans ce panorama encore très classique, avec les découvertes de Schliemann et www.aibl.fr 1 Sélection d’ouvrages présentés en hommage lors des séances 2015 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. son monumental ouvrage sur Ilion en 1885, paru chez Firmin-Didot (en un volume de plus de 1000 pages) : Salomon Reinach, dans cette enceinte même, jamais avare de belles formules, le qualifiera de « Christophe Colomb de l’archéologie grecque ». Et c’est lui, Schliemann, qui donne son titre à la troisième partie : « Dans les pas de Schliemann 1880 -1914 ». Grand archéologue mais aussi publicitaire de génie, metteur en scène habile de ses découvertes, Schliemann va donner une caution archéologique à cette période archaïque, qu’on regarde d’abord avec surprise puis enthousiasme. Mme Schvalberg étudie finement l’évolution du vocabulaire chez les historiens de l’art de l’époque qui, pour caractériser la civilisation mycénienne, passent de « barbare, grossier, indigène, sauvage, un art de peaux-rouges » à « puissant, ample, énergique » et même « épuré ». Un pas supplémentaire sera franchi au tournant du siècle avec les publications d’Arthur Evans et la révélation de la civilisation crétoise. Il s‘ensuit une véritable révolution chronologique, orchestrée encore une fois par Salomon Reinach dans la Gazette des Beaux-Arts et dans nos CRAI, qui proclame que le siècle de Périclès n’est pas le début de l’évolution de l’art occidental mais simplement l’aube d’une Renaissance, qu’il y a eu avant le V° siècle un « Moyen Age grec » et que l’art minoen et mycénien constituent de nouvelles sources artistiques. On rejoint ici les analyses d’Alexandre Farnoux qui récemment a bien montré les parentés entre l’Art nouveau et l’art minoen. Mais j’arrête ici mon compte-rendu oral de l’excellent ouvrage de Sophie Schvalberg, pour dire (même si on m’accuse de voir le sujet par le petit bout de la lorgnette) que ce n’est pas le moindre mérite de ce livre que de mettre en valeur (et de mettre en miroir) la place de la Villa Kérylos et la tentative de recréation d’un décor total auquel voulait aboutir Théodore Reinach, avec cette conviction que partageait son architecte Pontremoli, que s’approprier entièrement le modèle grec, ce n’était pas un vain exercice d’érudition mais un effort pour une appréhension sensible et artistique de la Beauté du monde grec et nous retrouvons là cette oscillation féconde qui est partout présente dans le livre de Mme Schvalberg entre « savoir » et « regard ». L’auteur a une formule très exacte pour qualifier Kérylos , lorsqu’elle écrit : « c’est une expérimentation à la marge », pour souligner le caractère unique de la réussite du projet de Théodore Reinach (ou presque unique, car il y a aussi la Villa Primavera) ; mais l’originalité de Kérylos ne se comprend que dans la panorama général d’une époque au cours de laquelle la définition du « modèle grec » est l’objet de tant de discussions savantes, et même de querelles entre artistes, archéologues et professeurs d’esthétique à l’Ecole des Beaux-Arts et même à l’Institut. Et c’est le dernier point que je voudrais souligner, même si je dois surprendre, c’est l’intérêt des textes de nos hommages au regard de l’historien de l’art. Parfois, les jours de lassitude, on peut se demander si, finalement, on ne pourrait pas les réduire encore plus, voire les supprimer. L’usage constant qu’en fait l’auteur de ce livre, nous rappelle au contraire, leur importance. Les « hommages » publiés dans nos comptes rendus font partie volens nolens, intégrante de l’histoire de l’art d’une époque : la fréquence des sujets qu’ils retiennent, les éloges qu’ils présentent, le vocabulaire même avec lequel ils sont traités, sont les échos très www.aibl.fr 2 Sélection d’ouvrages présentés en hommage lors des séances 2015 de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. révélateurs du goût d’une époque, des préoccupations didactiques de ceux qui sont chargés d’enseigner l’histoire de l’art, en un mot d’une conception contrastée et changeante du « modèle grec ». Henri LAVAGNE Le 13 mars 2015 Le modèle grec dans l’art français, 1815-1914. Sur le site des Presses Universitaires de Rennes www.aibl.fr 3