Article 3 Le Point 11 mars - Association Pour Le Retour De Pascal Et
Transcription
Article 3 Le Point 11 mars - Association Pour Le Retour De Pascal Et
"Air Cocaïne" : la France des riches, une véritable passoire #3 Le Point - Publié le 11/03/2015 à 09:00 - Modifié le 11/03/2015 à 12:20 EXCLUSIF. Contrôles insuffisants, indulgence des banques..., comment les riches font entrer leur cash en France sans alerter les autorités. Arrivée à La Mole d'un avion. Un 4x4 entre directement sur le tarmac de l'aéroport pour accueillir son chargement et ses passagers. Une scène courante dans l'aviation d'affaires. © DR Par Marc Leplongeon et Jérôme Pierrat Yachts et avions remplis d'argent, déclarations en douane purement déclaratives, banques désinvoltes... Le Point a enquêté sur la très médiatique affaire "Air Cocaïne", alors que le procès des quatre Français en République dominicaine a été une nouvelle fois suspendu. Partout, à chaque stade des investigations, c'est le monde extrêmement opaque de l'aviation d'affaires qui se révèle un peu plus. Déplacements secrets d'avoirs, blanchiment d'argent, investissements douteux..., la France des riches est une véritable passoire. Révélations. "Quand je transportais Tarallo ou Pasqua, je peux vous dire que je me demandais parfois si je faisais des trucs pas clairs. Si les flics sont à l'entrée de l'aéroport et qu'ils donnent du Monsieur le Ministre, ou du Monsieur le Directeur, et qu'ils n'ouvrent pas les valises, ce n'est pas à moi de le faire ! Pourtant, je sais très bien que quand j'emmène ces gens-là visiter le président de Mauritanie, qu'on va dans le village du président, qu'on est invités sous la tente caïdale pour bouffer le couscous, je me doute bien qu'il n'y a peut-être pas que des slips propres dans les valises. Eh bien, ce n'est toujours pas mon problème !" Les confessions au Point de cet ex-pilote, que nous appellerons Louis, expliquent bien aujourd'hui ce qu'est le monde de l'aviation d'affaires : un univers extrêmement opaque, en dehors des règles de droit commun, et sur lequel les puissants de ce monde veillent jalousement pour faire fructifier leur business. "Quand des mecs comme Le Floch-Prigent se sont retrouvés avec des problèmes avec la justice, ça n'a pas été mon affaire, je n'étais pas complice, poursuit Louis. Jamais un juge n'a demandé à m'auditionner." "Des boîtes comme Elf ou Bouygues, s'ils ont un truc urgent à régler sur un chantier, ils vont envoyer dans l'heure un Falcon 50 avec un ingénieur dedans pour aller traiter le problème, assure le retraité. Ce n'est pas aux pilotes de faire la police des passagers. Qu'il y ait un ou huit passagers, trois ou dix valises, cela ne change rien. Sinon, bien des fois il m'aurait fallu redébarquer un avion entier parce que les valises de tel ou de tel émir ne rentraient pas dedans. Tout ça, c'est le problème des mecs qui paient l'avion. Pas celui des pilotes." Un contrat signé sur le capot d'un scooter Pour résoudre la nébuleuse affaire Air Cocaïne, la juge d'instruction française doit donc trouver qui a payé les vols. Et, par conséquent, qui a commandé le chargement de l'avion. Mais, depuis deux ans, la magistrate bute sur l'identité du fameux Daryan, cerveau présumé de l'opération, qui reste introuvable. Pire, la comptabilité de SN THS - peu rigoureuse - ne lui est pas d'une grande utilité. Alain Castany affirme avoir touché une commission de 3 000 euros pour chacun des trois vols transatlantiques (Puerto Plata, Quito et Punta Cana) commandés par le mystérieux Daryan (voir l'épisode 2 de notre enquête "Air Cocaïne : l'or, la jet-set et les gendarmes de SaintTropez"). Le dernier de ces vols s'étant soldé le 19 mars 2013 par l'arrestation de quatre Français - Alain Castany, Nicolas Pisapia, Bruno Odos et Pascal Fauret - en République dominicaine. Surtout, Alain Castany affirme, selon un procès-verbal que Le Point a pu consulter, que les vols ont été payés en liquide. Des dizaines et des dizaines de milliers d'euros de cash échangés en toute discrétion. En novembre 2012, Franck Colin, flanqué de son acolyte Daryan, serait venu au bureau de Castany à Paris. Daryan porte un sac noir rempli de billets à l'attention d'Alcaud, un des patrons de SN THS, pour payer le vol à direction de Puerto Plata. Quinze jours avant le deuxième voyage commandé par Daryan, cette fois-ci pour Quito, rebelote. Le récit est une fois encore rocambolesque : "J'ai reçu le contrat par mail, raconte Castany à la juge d'instruction. J'ai appelé Franck Colin pour venir signer le contrat et Fabrice pour récupérer l'argent. Je crois même qu'on n'est pas rentrés dans le bureau et le contrat a été signé sur le capot du scooter. Fabrice était venu à scooter et Colin lui a remis directement l'enveloppe." Comment Castany a-t-il prélevé sa commission ? Réponse : "Sur le trottoir." Pas très sérieux pour de tels montants... Des dizaines de milliers d'euros en liquide Colin comme Alcaud nient farouchement cette version, le premier disant n'avoir rien à voir dans cette histoire, le second affirmant n'avoir jamais été payé. La comptabilité de SN THS révèle en effet que ni le vol pour Quito ni celui pour la République dominicaine n'ont été acquittés, ou que très partiellement. Seul le premier vol pour Puerto Plata a été pris en charge par CAPS SA, une société luxembourgeoise appartenant à... Fabrice Alcaud ! Une simple "avance" en attendant que les vols soient payés, jure l'intéressé. Un scénario difficile à croire. SN THS, en difficulté financière, se serait-elle risquée à faire des vols transatlantiques d'une valeur de plus de 300 000 euros sans être payée par avance ? Un des comptables de l'entreprise, interrogé par la police, est formel : "Une fois le contrat signé, nous générons une facture qui est réglée généralement avant par virement ou carte bancaire, jamais en espèces. Il est arrivé une seule fois d'accepter de l'espèce pour un vol en Ukraine en octobre 2011 et le montant devait être élevé à 15 000 euros. Le détail des billets avait été mentionné sur le contrat et aussitôt placé à la banque. C'était pour une société de production qui voulait faire venir Gérard Depardieu pour une publicité", avoue-t-il Comment des sommes de cash si importantes peuvent-elles circuler en France ? Et ce, sans éveiller la curiosité des autorités ? En garde à vue, Franck Colin, un brin provocateur, donne quelques éléments de réponse. Le mis en cause raconte comment il gagne de l'argent en réglant, pour le compte de clients fortunés de Russie, du Koweït, ou des Émirats, leurs dépenses en espèces : "Ça pouvait être des maisons à 300 000 euros le mois, une quinzaine de voitures à 200 000 euros le mois, une soirée en discothèque à Saint-Tropez à 150 000 euros avec 200 et quelques bouteilles de Dom Pérignon ou du Cristal Roederer", fanfaronne-t-il. Et d'ajouter lors d'une autre audition : "Au port de Saint-Tropez, chaque été, vous avez des yachts, des vrais de 50, 60, 80 mètres, qui arrivent avant leur propriétaire et qui restent pour la saison. Quand ils arrivent, les bateaux, il y a 80 % de chances qu'il y ait du cash à l'intérieur, de 300 000 à 2 millions de dollars. Pour les avions, c'est pareil. Et, si je ne me trompe pas, il existe une loi qui oblige la venue d'un douanier pour compter les billets en vue d'une déclaration." Des propos confirmés par son ami douanier, François Xavier-Manchet : "C'est la réalité, il m'est arrivé des dizaines de fois de faire ça." La légèreté de la Société générale... Une loi particulièrement légère. Lorsqu'un étranger arrive en France, plusieurs possibilités lui sont offertes pour déclarer son argent : au passage-frontière, en ligne sur le site de la douane ou en cas de contrôle. À la fameuse question "Avez-vous quelque chose à déclarer ?", l'homme n'a qu'à donner le montant de la somme d'argent qu'il transporte. Ces formulaires Cerfa sont purement déclaratifs. Au fisc, ensuite, de lancer d'éventuelles enquêtes. "C'est potentiellement le début d'autre chose", sourit un douanier. Potentiellement seulement, car le Fisc ne peut pas tout contrôler. Ces formulaires servent pourtant de justificatifs à certaines banques pour accepter de l'argent en liquide sans poser de questions. Une porte ouverte à toutes les dérives. Une porte ouverte à toutes les dérives. Le formulaire Cerfa que François-Xavier Manchet a signé à Franck Colin. Le 11 décembre 2012, Franck Colin arrive ainsi à son agence bancaire, la Société générale Pyramide à Puteaux. Et fait compter par sa banquière 300 000 euros en cash, dont il dépose une partie dans son coffre-fort. La banque ne s'alarme pas. "Je n'ai prévenu personne de mon opération de comptage des 300 000 euros. J'aurais certainement dû le faire", confesse la banquière à la juge. Une semaine plus tard, revoilà Colin avec, cette fois-ci, 45 000 euros qu'il souhaite déposer sur un compte en banque. Pour se donner bonne conscience, la banquière lui réclame un formulaire Cerfa, qu'il s'empresse de faire réaliser par son pote douanier François-Xavier Manchet. Comme origine des fonds, le document précise en tout et pour tout "Roumanie" et indique "projets immobiliers" dans la case destination. Montant passé à la frontière : 500 000 euros. 500 000 euros qui pourraient, selon la juge, avoir servi à financer les vols "Air Cocaïne". Alors que Colin assure qu'il ne s'agit que du fruit de ses investissements immobiliers et des parts qu'il détient dans plusieurs sociétés. Impensable mais vrai : de telles sommes d'argent n'inquiéteront pas la banque. À la Société générale, un seuil d'alerte est normalement prévu pour les virements au-delà de 4 500 euros. Il ne fonctionnera pas cette fois-ci. Pas plus qu'un signalement ne sera adressé à Tracfin, le gendarme de Bercy pour les flux financiers suspects. Auditionnée sur ces manquements, la banquière de Colin assure : "Je n'avais pas connaissance des textes législatifs que vous m'avez énumérés." Un incroyable aveu pour une directrice d'agence située dans un des plus gros quartiers d'affaires de France... La banque n'oubliera par contre pas de demander à Franck Colin ce qu'il compte faire de tout son argent : "Notre client va vendre en fin d'année un supermarché dans le sud de la France à Carrefour. Monsieur Colin a un compte chez UBS en Suisse et souhaite rapatrier des fonds en France", peut-on lire dans la fiche client de la Société générale. En garde à vue, Franck Colin en sourit : "Ça fait toujours plaisir à un banquier quand on dit ce genre de choses." Consultez notre dossier : Air cocaïne, le procès