Mère Teresa, une béatification équivoque
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Mère Teresa, une béatification équivoque
Mère Térésa une béatiÞcation équivoque Nº 84 – Novembre/décembre 2003 Editorial La réponse des « sans papiers de l’Eglise » L a tentative d’occupation de Saint-Nicolasdu-Chardonnet par des sans-papiers, manipulés par des sans foi ni loi, prouve, si besoin était, que la Tradition catholique est toujours l’objet des attaques des révolutionnaires. Vous trouverez dans ce numéro une revue de presse des événements. (Sur notre site : www.dici.org, vous trouverez dans la galerie de photos le reportage de cette journée.) Comme l’a très justement rappelé M. l’abbé de Cacqueray, supérieur du District de France de la Fraternité, au cours de l’homélie qu’il a prononcée au soir du 8 décembre, citant saint Pie X : « L’Eglise est appelée une, sainte, catholique, apostolique, romaine et, j’ajouterai, persécutée. Jésus-Christ ne l’a-t-il pas dit ? La persécution est le pain quotidien de l’Eglise catholique. » Cette réalité ne doit pas nous plonger dans le découragement, encore moins dans l’illusion d’un « proÞ l bas » qui nous mettrait soi-disant à l’abri des agressions des ennemis de Jésus-Christ. La seule réponse qui convient à des baptisés est celle que les paroissiens de Saint-Nicolas ont donnée lors de la procession en l’honneur de l’Immaculée Conception : ils sont venus, plus nombreux que jamais, défendre l’honneur de la Très Sainte Vierge, en une foule immense que l’église ne pouvait contenir. Abbé Alain LORANS SOMMAIRE ➤ La réponse des « sans papiers de l’Eglise » ➤ Mère Térésa, une béatification équivoque Abbé Hervé Gresland ➤ Revue de presse : l’occupation de l’église Saint-Nicolas ➤ La tactique moderniste Abbé François Knittel ➤ Pastores gregis : la vision de l’évêque selon l’Eglise conciliaire Abbé Jean-Marie Bernard Nouvelles de Chrétienté Nº 84 Novembre — décembre 2003 • LE DOSSIER Mère Teresa, une béatification équivoque G onxha (c’est-à-dire Agnès) Bojaxhiu, la future Mère Teresa, naît le 26 août 1910 à Skopje, en Macédoine, de souche albanaise 1, et est baptisée le lendemain de sa naissance. Elle est la troisième de trois enfants. Elle passe une enfance heureuse à Skopje, dans un foyer pleinement catholique. Ce qui constitue le ciment de cette famille extrêmement unie, c’est une foi intense. Son père, Kollë (Nicolas), est un prospère entrepreneur en construction, respecté dans la région ; il mourut quand elle avait neuf ans. Il lui avait inculqué quelques principes, dont celui-ci : « Ma Þ lle, n’accepte jamais de porter à ta bouche un morceau de pain sans être disposée à le partager avec d’autres. » 2 Son admirable mère, Drana, femme très pieuse, désormais seule pour survenir aux besoins de la famille, ouvre un commerce de broderies pour pouvoir élever ses enfants. C’est une catholique fervente ; elle joue un rôle important dans la vie de la paroisse du Sacré-Cœur, et s’occupe activement d’œuvres de charité. La charité est chez elle une seconde nature. Le frère de Gonxha, Lazare, dira d’elle : « Notre mère était une femme forte, à la trempe d’acier. Elle était en même temps humble, généreuse, soucieuse des pauvres et profondément religieuse. Je crois que nous lui devons tout. » 3 Gonxha fait partie des Enfants de Marie, et de la chorale de la paroisse. Elle est passionnée par les récits et revues missionnaires, par l’expansion de l’Eglise en Afrique et en Asie. Son frère la décrit « vivante, spontanée, malicieuse ». C’est aussi une organisatrice née, nous dit son cousin Lorenz. L’adolescente prie beaucoup. Sa vocation s’éveille à partir de l’âge de 12 ans, et se décide déÞ nitivement quand elle en a 18. A peine âgée de 18 ans, Agnès quitte sa famille en septembre 1928 pour entrer dans la communauté des Sœurs de Notre-Dame de Lorette, une congrégation missionnaire de spiritualité jésuite, choix qu’a peut-être inßuencé le père jésuite Jambrekovic, curé de sa paroisse et son confesseur. Elle ne reverra jamais sa mère. Elle part à Rathfarnham (Dublin) en Irlande, où elle est admise comme postulante le 12 octobre sous le nom de Teresa, ayant pour sainte patronne sainte Thérèse de Lisieux. Elle rêvait des missions étrangères, et est envoyée en Inde par sa congrégation ; elle arrive à Calcutta le 6 janvier 1929. Quand elle découvre l’Inde, c’est le choc de la misè- 2 re des castes méprisées, qui est une révélation pour elle : des hommes vivent et souffrent dans des conditions inconnues en Europe. Dans un article qu’elle envoie au journal Missions catholiques de Zagreb, elle écrit : « Si les gens de nos pays voyaient ces spectacles, ils cesseraient de se plaindre de leurs petits ennuis et remercieraient Dieu d’avoir été si généreux à leur égard. » Elle fait son noviciat à Darjeeling, à 600 kilomètres de Calcutta. Au terme des 18 mois du noviciat, elle prononce ses vœux le 25 mai 1931. Après quelques mois passés dans un dispensaire, elle est envoyée à Calcutta, où les « dames irlandaises » tiennent deux écoles situées côte à côte. L’école Sainte-Marie est une école que fréquentent des jeunes Þlles de la bonne société indienne, un établissement scolaire plutôt huppé. Le collège Loreto Entally est une école gratuite, pour les enfants de familles pauvres. C’est dans cette dernière école que sœur Teresa enseigne l’histoire et la géographie. Elle achève ses études et passe son diplôme de professeur. Elle s’occupe aussi d’une autre école, où les enfants sont vraiment misérables. Elle fait également de nombreuses visites de charité dans les bidonvilles. Elle prononce ses vœux perpétuels comme religieuse de Lorette le 24 mai 1937. A la rentrée suivante, elle est nommée directrice des études à Sainte-Marie. C’est une modiÞcation importante de son environnement, puisqu’elle s’occupe d’enfants socialement privilégiées. Elle a créé une section des Enfants de Marie, avec lesquelles elle se rend dans les taudis, console les démunis et les malades. Sa mère lui fait cependant des reproches dans une lettre : « Ma chère enfant, n’oublie pas que si tu es partie dans un pays si lointain, c’est pour les pauvres. » C’est un coup de semonce, mais sœur Teresa mettra encore huit ans à en saisir toute la portée. « L’appel dans l’appel » Ces années seront marquées par la Deuxième Guerre mondiale et ses immenses bouleversements, les affrontements meurtriers entre hindous et musulmans, la partition du dominion britannique entre l’Inde et le Pakistan et l’indépendance des deux pays. L’Inde sombre dans le chaos et la guerre civile. Des centaines de milliers de ré- • fugiés affluent à Calcutta. Sœur Teresa est très touchée par la maladie et la mort qui sévissent dans la ville. Pour elle, enseigner n’est plus suffisant ; d’autres peuvent s’en acquitter à sa place. A l’intérieur de sa vocation religieuse surgit une autre vocation, qu’elle a nommé « l’appel dans l’appel », et qu’elle décrit ainsi : « Cela est arrivé le 10 septembre 1946. Tandis que je priais à l’intime de moi-même et en silence, j’ai perçu très nettement un appel dans l’appel. Le message était très clair : je devais quitter le couvent de Lorette pour me consacrer au service des autres, en vivant au milieu d’eux. C’était un ordre. J’ai éprouvé intensément la volonté de Jésus de me voir le servir dans les pauvres, dans les abandonnés, les habitants des taudis, ceux qui n’ont aucun refuge. Jésus m’invitait à le servir et à le suivre dans une pauvreté réelle, en embrassant un genre de vie qui m’assimile aux nécessiteux, dans lesquels il est présent, dans lesquels il souffre, dans lesquels il vit. » Dès lors sœur Teresa ne souhaite plus qu’une chose : se consacrer aux plus pauvres. Elle en parle d’abord à son confesseur et directeur spirituel, un jésuite belge, le père Van Exem. Celui-ci réagit bien sûr très prudemment, mais accepte d’en parler à l’archevêque de Calcutta, Mgr Fernand Périer, un jésuite d’origine française. Celuici reçoit sœur Teresa, mais juge la décision inopportune pour des raisons politiques. De toute façon sœur Teresa a un début de tuberculose, et est condamnée à l’inaction jusqu’à la Þn de l’année 1947. Début 1948, elle obtient l’accord de sa congrégation, et une permission d’exclaustration de Rome (c’est-à-dire qu’elle est autorisée à sortir de sa communauté et à vivre comme religieuse non cloîtrée sous l’autorité de l’archevêque de Calcutta). Le 16 août 1948, elle quitte Loreto House, et décide de porter le costume adopté par une branche bengalie des Sœurs de Lorette, un sari en coton, qui est le vêtement des femmes du peuple. Dans l’incompréhension générale, elle délaisse son poste de directrice d’école. Elle part avec seulement une petite mallette. Mgr Périer a demandé qu’avant de se lancer dans son action dans les taudis de Calcutta elle acquière des connaissances médicales qui lui permettront de soigner les plus démunis. Elle fait donc un séjour de trois mois à l’hôpital de la Sainte-Famille à Patna, à 500 kilomètres de Calcutta. Elle demande et obtient la nationalité indienne, ce qui supprime les démarches pour avoir un permis de séjour ; elle parlait couramment le bengali, la langue régionale, et l’hindi, l’idiome national. De retour à Calcutta, elle parcourt les rues de l’immense cité, et va se consacrer désormais à ceux que l’on considère comme le rebut du monde social. Calcutta est le réceptacle de toutes les misères : lépreux, incurables, abandonnés dont nul ne se soucie… La faim est un ßéau endémique. Les hôpitaux regorgent. Les enfants fouillent les poubelles (ou ce qui en tient lieu). Des milliers de gens dorment et meurent sur les trottoirs dans l’indifférence générale. Mére Térésa, une béatiÞcation équivoque Elle n’a pas de hautes relations ni d’appuis. Face aux nécessités de toute urgence, ce qu’elle fait est simplement dérisoire. Son action ne peut être qu’une goutte d’eau dans l’océan de la misère. Mais l’océan n’est fait que de gouttes d’eau… ; plus tard, elle aura ce mot : « Nous savons bien que ce que nous faisons n’est qu’une goutte d’eau, mais si cette goutte n’était pas dans l’océan, elle lui manquerait ! » Elle commence son activité dans un bidonville, ouvrant une « école » sur un terrain vague, et un dispensaire improvisé, en plein air. Elle nettoie les ulcères, distribue ce qu’elle peut de vivres. Poussée par sa charité, elle marche jusqu’à « user ses jambes », avouera-t-elle, pour soulager les plus grandes souffrances. Face à cette tâche surhumaine, elle a la terrible tentation de retourner auprès de ses sœurs – sa place y est gardée –, et de partager leur vie paisible et relativement confortable. L’action de la Providence se manifeste vite en bien des occasions. Des aides imprévisibles se présentent. Mais si généreux et désintéressés qu’ils soient, ces appuis ne peuvent être que temporaires. Mère Teresa se convainc rapidement qu’il lui faudrait des recrues permanentes, toutes données à l’œuvre. Elle accueille sa première compagne en mars 1949. A partir de cette date, elle voit arriver les unes après les autres des jeunes Þ lles qui viennent la rejoindre et veulent être religieuses. Les premières avaient été ses élèves au collège de Lorette. Mgr Périer, qui a fait procéder à une minutieuse enquête sur l’activité de sœur Teresa, écrit : « Je commence à croire que nous nous trouvons dans le cas d’une vocation extraordinaire et authentique et que, sans aller contre la prudence que la législation et les usages ecclésiastiques conseillent et imposent, nous ne devons pas non plus mettre d’entraves aux projets de Dieu. » Sœur Teresa doit rejoindre un autre ordre religieux, ou en fonder un. Elle décide de fonder une congrégation. Aux postulantes qui se présentent, elle propose une vie très austère. Elle leur demande de partager le mode de vie des plus démunis : « nous ne devons rien avoir que les plus pauvres ne puissent aussi se procurer. » Après l’approbation de la règle par la Congrégation des religieux, la nouvelle Congrégation des Missionnaires de la Charité, qui comptait alors douze membres, est officiellement érigée comme ordre religieux par l’archevêché de Calcutta le 7 octobre 1950. Les membres de la congrégation ont adopté quatre vœux : en plus des trois vœux habituels (la pauvreté, la chasteté et l’obéissance), elles font celui de se consacrer aux plus pauvres. Le contenu de l’inspiration de Mère Teresa est révélé dans le but qu’elle voulait donner à sa nouvelle institution : « étancher la soif inÞnie d’amour et des âmes de Jésus sur la croix ». Les statuts de l’ordre disent : « Notre mission spéciÞque est de travailler au salut et à la sanctiÞcation des plus pauvres d’entre les pauvres. » 3 Nouvelles de Chrétienté Nº 84 Novembre — décembre 2003 • La vie des sœurs Mère Teresa donne à ses Þ lles des consignes d’humilité, de générosité, pour ressembler toujours plus à Jésus. « Tout ce que nous faisons – prière, travail, souffrance –, c’est pour Jésus. Nos vies n’ont aucun sens, aucune motivation en dehors de lui. » Lors de la cérémonie de profession des dix premières religieuses de l’ordre, célébrée le 12 avril 1953 en présence de Mgr Périer, elle revient sur ce thème : « Nos vies sont totalement orientées vers Jésus et à son service. Nous vivons pour lui, pour le servir et l’aimer, pour faire que tous le connaissent et l’aiment. Ainsi je dis que nous faisons tout par Jésus et avec Jésus, parce qu’il nous donne la force, la consolation, la joie de travailler pour lui. » Les sœurs vivent dans une grande pauvreté. Mère Teresa limite à l’essentiel les biens qu’elles peuvent posséder. Elle montrera toujours sa volonté tenace que la congrégation reste pauvre, qu’elle n’ait pas de sécurité matérielle, de moyen assuré pour vivre, mais qu’elle doive compter sur la Providence. Il est certain que pour « tenir » sans défaillance dans leur mode d’existence qui est d’une rare exigence, les Missionnaires de la Charité doivent avoir une vraie vie intérieure. Pour donner des soins répugnants, il faut une vie de prière, il faut voir Dieu dans les malades. « Les pauvres, pour nous, sont le Christ : le Christ, sous le visage de la souffrance humaine », répète Mère Teresa.4 Les journées de travail des sœurs sont très remplies, mais chaque jour à 18 h 30, elles font l’adoration du SaintSacrement, et elles ont une journée de récollection par semaine. Quand elle ouvre de nouvelles maisons, Mère Teresa écrit à ses sœurs : « Dans chacune de nos maisons, la première chose que nous mettrons, c’est un tabernacle, un calice et un ciboire pour la sainte messe. » Le foyer pour les mourants Dans ces bidonvilles de Calcutta, beaucoup de personnes meurent de faim ou d’épidémie sur la chaussée, dans un abandon indicible. Mère Teresa veut trouver un local où les agonisants seraient recueillis et où ils pourraient mourir en paix avec, autour d’eux, un minimum de chaleur et d’amour : « Il faut qu’ils sentent qu’il y a des gens qui les aiment vraiment, au moins pendant les heures qui leur restent à vivre, qu’ils connaissent enfin l’amour humain et divin, 4 qu’eux aussi sachent qu’ils sont des enfants de Dieu. » Le 22 août 1952, elle ouvre le Nirmal Hriday, la Maison du Cœur pur, dans un local fourni par les autorités municipales de Calcutta. Un écriteau Þ xé à l’entrée porte cette inscription : « home for the dying destitutes », foyer pour les mourants abandonnés. L’endroit est pauvre et dépouillé, mais il y règne une grande paix. Les sœurs ont besoin d’un réel courage, elles sont confrontées à la misère et à la souffrance dans ce qu’elles peuvent avoir de plus hideux. Les agonisants qu’on amène au Nirmal Hriday sont, le plus souvent, dans un état de saleté repoussante. Leurs membres sont parfois gangrenés, dévorés par les vers. Le spectacle est insoutenable pour les étrangers. Le P. Gorrée évoque ainsi sa première visite au mouroir : « Moi, vieux soldat qui connais les lazarets militaires, j’ai eu peine à tenir le coup. » En se penchant sur les pauvres, Mère Teresa veut leur signiÞer qu’ils ne sont pas abandonnés. Elle a le souci d’apporter à tous, non seulement le secours matériel indispensable, mais aussi la douceur d’un amour fraternel qu’ils n’ont jamais connu et qui laisse transparaître l’amour éternel de Dieu pour chacun de ses enfants. La présence des sœurs, si douces, toujours prêtes à écouter, est déjà pour ces rejetés d’hier une immense consolation. Mère Teresa recommande à ses sœurs : « Soyez l’expression vivante de la bonté de Dieu : que la bonté de Dieu soit sur votre visage, dans vos yeux, dans votre sourire, dans la chaleur de votre salut. » Parmi ces hommes les plus pauvres, 50 000 morts ont reçu grâce à elle l’amour et l’affection des derniers instants, « aucun d’eux n’est mort désespéré ». « Ce que nous faisons à ces gens-là, c’est à Jésus que nous le faisons ; la religion chrétienne apporte l’amour du Christ, et le message de son amour est le seul message qui puisse conduire à la paix. L’amour est la seule chose qui compte. » « Chaque personne est pour moi le Christ. » « Quand je lave les plaies des lépreux, j’ai le sentiment de prendre soin du Seigneur lui même. » 5 « Les pauvres nous donnent bien plus que nous leur donnons. Ce sont des personnes si fortes. Ils ne jurent Le pape Jean-Paul II et Mère Térésa en 1986, lors de la visite du Nirmal Hriday Mère Térésa, une béatiÞcation équivoque • jamais, ne se plaignent jamais. Nous ne devons pas leur donner de la pitié ou de la compassion. Nous avons tant à apprendre d’eux. » 6 Le but direct que Mère Teresa s’est proposé n’est pas la conversion des mourants. Son idée est celle-ci : « Si je travaille, si je sers les gens avec amour et sacriÞce, alors tout naturellement ils vont commencer à penser à Dieu. Ainsi ils sont amenés à le connaître et, en le connaissant, ils vont vouloir l’aimer et, l’aimant, le servir. » 7 Les actes sont souvent plus signiÞcatifs, plus parlants que les mots ; le témoignage des Missionnaires vaut toutes les prédications. C’est une spiritualité quelque peu angélique, qui oublie la déchéance de notre nature. Elle oublie aussi que la connaissance de Dieu qui mène au salut n’est pas une connaissance quelconque, mais une connaissance surnaturelle, et que cette connaissance nous parvient par la prédication : « Comment pourraient-ils croire en celui qu’ils n’ont pas entendu ? Comment pourraient-ils entendre si personne ne prêche ? », dit saint Paul.8 Lors de sa visite au Nirmal Hriday, le 3 février 1986, Jean-Paul II exprimera lui-même le message qui y est donné aux mourants : « “Je ne puis retirer vos souffrances. Mais de ceci je suis sûr : Dieu vous aime d’un amour éternel. Vous êtes précieux à ses yeux. En lui, moi aussi, je vous aime. Car en Dieu nous sommes vraiment frères et sœurs.” Nirmal Hriday proclame la profonde dignité de chaque être humain. Les tendres soins qui sont prodigués ici témoignent de la vérité que la valeur d’un être humain ne se mesure pas à son utilité, ni à ses talents, ni à sa santé ou sa maladie, ni à son âge ou en raison de ses croyances ou de sa race. Notre dignité humaine vient de Dieu, notre Créateur, qui nous a tous façonnés à son image. » L’expansion de l’œuvre En 1955, Mère Teresa ouvre un foyer pour les enfants abandonnés. Très vite, 200 enfants y sont accueillis. Dans cet orphelinat sont amenés parfois des enfants qui n’ont plus que quelques heures à vivre. Fidèle à ses principes, Mère Teresa ne baptise pas ces enfants in articulo mortis.9 Elle crée des foyers d’accueil pour les lépreux, et s’y dépense sans compter. Elle crée même en 1957 un village de lépreux à Asansol, à 200 kilomètres de Calcutta, où elle regroupe 400 familles de lépreux, qui peuvent vivre d’une existence normale, recevoir les soins indispensables, travailler… Chacune dispose d’un lopin de terre et d’une maison ; il y a un hôpital et une école. Asansol devient vite un modèle et est à l’origine de nombreuses expériences similaires en Inde. Au cours des années 50, elle développe l’œuvre des Missionnaires de la Charité à Calcutta. Devant l’afflux des détresses, elle fonde des écoles, des dispensaires… En 1959, elle obtient la permission de commencer à ouvrir des maisons en dehors du diocèse de Calcutta. Dans les cinq années qui suivent, elle ouvre quinze nouvelles maisons en Inde. En février 1965, une nouvelle étape est franchie : la congrégation devient de droit pontiÞcal sous la juridiction de Rome, et peut sortir des limites de l’Inde, ce qu’elle va faire aussitôt. La première fondation hors de l’Inde a lieu au Venezuela, en 1965. A propos des fondations qu’elle crée, Mère Teresa dit : « Nous allons là où le besoin spirituel est le plus grand, où les personnes paraissent être prêtes à accueillir l’instruction religieuse et les sacrements. Nous allons là où la présence de l’Eglise est le plus nécessaire. » Dans les années 1964-1965, Mère Teresa et son œuvre deviennent de plus en plus connues dans le monde. Lors de la visite de Paul VI en Inde en 1964, Mère Teresa est confrontée pour la première fois à la presse. Un journaliste vedette de la B.B.C., Malcolm Muggeridge, veut tourner un reportage sur les Missionnaires de la Charité, qui sera diff usé par la B.B.C. à une heure de grande écoute, et commencera à faire connaître Mère Teresa. Devant le rayonnement de cette religieuse ridée, devant la simplicité et la spontanéité de ses réponses, l’émotion des spectateurs est profonde. L’émission eut un immense retentissement, et il fallut la rediff user. 10 En 1968, Paul VI l’invite à Rome, et lui demande d’ouvrir un foyer dans la banlieue de la ville, ce qu’elle accepte à la vue de la misère matérielle et spirituelle qui y règne. Le nom de Mère Teresa est maintenant connu de tous. L’œuvre des Missionnaires de la Charité possède une notoriété mondiale, et suscite un grand élan de générosité. Les dons et les vocations affluent. La croissance de la branche féminine est étonnamment rapide ; alors que dans la plupart des congrégations les noviciats se vident, Mère Teresa ne sait comment héberger les jeunes Þ lles qui lui demandent leur admission, et multiplie les fondations. En 1970, elle décide d’ouvrir un noviciat à Londres. Durant la décennie soixante-dix, elle ouvre de nouvelles maisons en Afrique (Tanzanie et Ethiopie), en Asie (Sri Lanka et Vietnam), en Australie, au MoyenOrient, en Amérique du Nord. La congrégation s’étend partout où il y a des pauvres à secourir. A la Þ n des années soixante-dix, elle compte plus de 1 300 religieuses, et 164 maisons, dont 98 en Inde. La compagnie aérienne Air India et les chemins de fer indiens offrent la gratuité du transport aux Missionnaires de la Charité pour tous leurs voyages. La guerre du Bangladesh, au début des an- 5 Nouvelles de Chrétienté Nº 84 Novembre — décembre 2003 nées 1970, avec son immense cortège de malheurs et de misères, sera l’occasion d’immenses dévouements. En 1973, le gouvernement du Yémen invite les sœurs à ouvrir une fondation, dans ce pays où il n’y avait plus de présence chrétienne officielle depuis 600 ans. Le gouvernement propose même de construire une église pour les sœurs, mais Mère Teresa curieusement refuse, arguant que les sœurs peuvent se contenter pour chapelle d’une simple pièce à l’intérieur de leur maison : pas besoin de signe distinctif extérieur. C’est une occasion manquée d’établir davantage la présence de Notre-Seigneur. La notoriété mondiale Au Þ l des ans, et bien malgré elle, Mère Teresa se voit attribuer de multiples distinctions et honneurs : en 1962 (année qui marque les débuts de sa célébrité), le gouvernement indien lui accorde le Lotus d’or, une des plus hautes distinctions du pays. La Conférence des chefs d’Etat asiatiques lui décerne le prix Magsaysay, doté de 50 000 roupies qui lui permettront d’ouvrir un foyer pour les enfants abandonnés. Elle jouit à Rome d’une exceptionnelle faveur. A la Noël 1970, Paul VI lui attribue le prix de la paix Jean XXIII, en disant dans son message radiotélévisé : « Nous proposons à l’admiration de tous cette intrépide messagère de l’amour du Christ. » Il veut que « le monde se sente interpellé par l’exemple évangélique de Mère Teresa », et préside lui-même la cérémonie de remise du prix, le 6 juin 1971. Toujours en 1971, Mère Teresa reçoit à Boston le prix du Bon Samaritain, créé par la famille Kennedy. En 1972, l’Inde lui décerne le prix Nehru pour son action lors de la guerre du Bangladesh. En 1973, la GrandeBretagne l’honore par le prix Templeton, remis par le duc d’Edimbourg, en présence de la reine Elizabeth.11 A l’un de ses biographes, Desmond Doig, Mère Teresa conÞe : « Ces prix sont pour ces pauvres qu’on est en train de reconnaître. On les a admis enÞ n et on les aime. Le monde entier commence à les connaître. » Et sur les sommes qui accompagnent ces distinctions, elle dit : « C’est une goutte de délivrance dans un océan de souffrance. » Le 16 octobre 1979, c’est la distinction suprême, la plus connue, celle qui suscite des articles dans tous les journaux du monde, le prix Nobel de la paix. Mère Teresa reçoit à cette occasion des hommages de partout, parce qu’elle incarne l’amour, la bonté, la miséricorde, la com- 6 • passion, le courage, etc. Le ministre des Affaires étrangères indien dit : « Plein de gratitude, le monde reconnaît que c’est de cela qu’il a besoin. » Pour le Deccan Herald de Bangalore, « Mère Teresa est devenue une sainte de son vivant, et une légende. » Lors de la cérémonie où elle reçoit à Oslo le prix Nobel, le 10 décembre 1979, elle fait cette déclaration qui la caractérise bien : « Je suis reconnaissante de le recevoir, au nom de ces affamés, des nus, des sans-logis, des inÞ rmes, des aveugles, des lépreux, de tous ces gens qui ne se sentent pas voulus, pas aimés, pas soignés, rejetés par la société, ces gens qui sont devenus un fardeau pour la société et qui sont humiliés par tout le monde. C’est en leur nom que j’accepte ce prix. Ils n’ont pas besoin de notre pitié ni de notre sympathie. Ils ont besoin de notre amour compréhensif, ils ont besoin de notre respect, ils ont besoin que nous les traitions avec dignité ! » Et elle en proÞte pour prononcer un vigoureux plaidoyer contre l’avortement : « Le principal danger contre la paix mondiale, aujourd’hui, est le crime contre l’enfant innocent à naître. » Ces honneurs l’ont consacrée comme modèle. Elle fut élevée, au cours des années soixante-dix, à une célébrité universelle sans doute contraire à ses désirs. Elle a été choisie comme le symbole moderne de l’engagement humanitaire et de la « solidarité », elle est une Þgure emblématique. L’« establishment » international fait d’elle un mythe vivant, et cette quasi-sainteté lui attire une grande vénération. De son vivant déjà, on lui a conféré la qualité de sainte. Lorsqu’elle reçut le Prix Nobel, le New York Times inventa pour elle une catégorie inédite, en titrant : Mother Teresa, a secular saint, c’est-à-dire une sainte reconnue par le monde profane ou laïque. Le titre de « sainte » lui avait déjà été conféré lorsqu’elle fut désignée comme « femme de l’année » par le magazine Time (29 décembre 1975). Le Nouvel Observateur l’appelle « la plus grande femme vivante » (4 novembre 1983). Et lorsque Javier Perez de Cuellar l’accueille en octobre 1984 à l’assemblée générale des Nations Unies, il la qualiÞe de « femme la plus puissante de la terre ». Jusqu’en 1990, malgré des problèmes de santé de plus en plus sérieux, Mère Teresa continue à sillonner le monde pour les professions religieuses des novices, l’ouverture de nouvelles maisons, et des interventions pour porter secours aux pauvres frappés par la misère ou la guerre. Elle prend la parole au quarantième anniversaire des Nations Unies en octobre 1985. La veille de Noël de cette année, elle ouvre à New York le Don Mère Térésa, une béatiÞcation équivoque • d’amour, sa première maison pour les malades atteints du sida. Dans les années suivantes, ce foyer fut suivi de bien d’autres, aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde, spéciÞquement destinés aux malades du sida. Il existe aussi les « coopérateurs de Mère Teresa » : ces laïcs, hommes et femmes « de toutes les religions » (comme le disent les textes de la Congrégation), attirés par Mère Teresa et son œuvre, sont au moins 200 000. A partir de 1990, Mère Teresa doit ralentir ses activités. Elle meurt à la maison mère, à Calcutta, le 5 septembre 1997. Son corps fut transféré à l’église Saint Thomas, près du couvent de Lorette où elle était arrivée pour la première fois il y avait soixante-huit ans. Des centaines de milliers de gens de toutes classes et de toutes religions, d’Inde et de l’étranger, vinrent lui rendre hommage. Elle reçut des funérailles nationales le 13 septembre ; son corps fut transporté en procession dans les rues de Calcutta sur le camion militaire qui avait aussi transporté les corps de Gandhi et de Nehru. Des chefs d’Etats et de gouvernements du monde entier étaient présents. A la mort de Mère Teresa, les Missionnaires de la Charité étaient presque 4000, et vivaient dans près de 600 fondations, dans 123 pays du monde. Elles nourrissent chaque année 500 000 familles, accueillent 20 000 enfants dans les écoles, soignent 90 000 lépreux, ont des orphelinats, etc. Les diverses branches de l’œuvre Mère Teresa était connue dans le monde entier, c’était une personnalité qui avait un rayonnement hors du commun, et elle a entraîné beaucoup d’autres à sa suite. Elle est arrivée plus d’une fois à faire servir les pauvres, les malades ou les mourants de ses maisons par des personnes puissantes ou riches, même les membres du gouvernement ou du corps diplomatique. En 1963, elle fonda les Frères missionnaires de la Charité, qui furent officiellement établis comme congrégation diocésaine en 1967. L’année 1976 voit la fondation d’une branche contemplative au sein de la congrégation. L’apostolat de ces sœurs est celui de la prière, en particulier l’adoration eucharistique. Les deux branches active et contemplative ont la même supérieure générale. Les Frères contemplatifs missionnaires de la Charité furent fondés en 1979, et érigés en congrégation diocésaine à Rome en 1993. EnÞ n les Pères missionnaires de la Charité furent fondés au Mexique en 1992. Toutes ces branches vivent de la spiritualité et du « charisme » de Mère Teresa : le service des plus pauvres parmi les pauvres. Pour tous, sœurs, frères et pères, elle est « la Mère ». Dès les débuts de la Congrégation, Mère Teresa avait fondé les Coopérateurs souff rants avec l’aide de son amie Jacqueline de Decker, une Belge qu’elle avait connue à Patna, et qui avait dû retourner en Belgique, car ses graves problèmes de santé l’empêchaient d’être religieuse. Ces coopérateurs soutiennent les Missionnaires de la Charité par leurs prières et l’offrande de leurs souffrances. Zones d’ombre Nous avons jusqu’ici raconté la vie de Mère Teresa, il nous faut maintenant porter un jugement sur elle, autant qu’il est possible aux hommes, car ce jugement appartient bien sûr à Dieu. Nous lui supposerons toute la bonne foi et les bonnes intentions qu’il est possible. Ceci dit, il y a des faits objectifs et publics qu’il n’est pas possible de passer sous silence. Les rapports avec les gouvernements Avant l’obtention du prix Nobel, elle était déjà une personnalité inßuente, mais cette distinction lui a conféré une notoriété nouvelle et une autorité plus grande, qui lui permettaient de traiter avec les chefs d’Etat ou de gouvernement. De même qu’elle a accepté, pour servir la cause des pauvres, les récompenses qui lui étaient décernées, son souci d’efficacité pour subvenir à des misères l’a amenée à entretenir des relations avec tous les régimes, même peu ou pas du tout recommandables (pays communistes, Ethiopie, Haïti, Rwanda, régimes corrompus d’Afrique), et à accepter certaines compromissions. Elle pensait avant tout aux misères à soulager, aux malheureux à atteindre, et s’abstenait de tout jugement politique. La nécessité oblige parfois à composer avec le pouvoir. Au Bengale occidental même, province où se trouve Calcutta, le Premier ministre fut longtemps un communiste, et Mère Teresa devait solliciter pour bien des projets l’autorisation ou l’aide de cet interlocuteur obligé. En juillet 1985, elle a visité Cuba, pour préparer une fondation dans cette île. Elle était apparemment enchantée de sa visite à La Havane et de son entrevue avec Fidel Castro, le bourreau qui a fait de Cuba un immense goulag, avec ses milliers de détenus dans les camps de concentration… Le moins qu’on puisse dire est qu’il s’agit de naïveté politique. Mère Teresa s’est rendue en Union Soviétique, en 1987, à l’invitation des camarades soviétiques, et elle a parlé à la presse sous le portrait de Karl Marx (ou 7 Nouvelles de Chrétienté Nº 84 Novembre — décembre 2003 de Lénine, selon les sources). Au terme de sa visite, le Comité soviétique pour la paix lui a décerné la médaille d’or du « combattant de la paix ». Elle n’a pas dit un mot du régime communiste. Pourquoi ce silence, quand elle avait une occasion d’user du crédit dont elle jouit pour faire honte à ce régime ? De fait, elle a plutôt apporté son aide aux dirigeants du Kremlin. Quoi qu’il en soit de ses intentions, il faut bien constater qu’elle a manqué de discernement, elle est tombée dans le piège des machinations politiques des apparatchiks communistes, elle leur a servi objectivement d’idiot utile. Elle est un personnage d’un grand prestige moral, et pour les communistes, de telles visites sont un succès et une belle victoire de propagande.12 • campagne contre la pornographie, avait offert à Mère Teresa 1 250 000 dollars ainsi que l’usage de son avion privé. En échange de quoi, la “ sainte médiatique ” n’avait pas hésité à user de son prestige pour aider M. Keating. A tel point que lorsque Mère Teresa envoya une lettre réclamant la clémence du tribunal pour un homme qui “ a beaucoup fait pour aider les pauvres ”, l’un des procureurs répondit en lui demandant de restituer l’argent qui lui avait été versé (et qui provenait du vol). Toujours trop innocente pour pouvoir détecter la malhonnêteté des autres, elle refusa. » 13 Un catholicisme « conservateur » Fausses notes Si tous les grands media lui ont fait une telle publicité, c’est parce qu’elle n’était pas trop dérangeante. Elle parlait de tendresse, d’amour et d’affection, mais ce discours n’engage pas à grand chose. La situation du monde aurait réclamé autre chose. Il aurait fallu proclamer la nécessité de changer de vie, ce qui ne peut se faire sans la grâce, donc sans la connaissance des vérités du salut. Ce n’est guère ce que faisait Mère Teresa. Remarquons aussi que ceux qui lui rendaient hommage et la louaient si instamment n’apparaissent pas par ailleurs autrement préoccupés de vertu. Au milieu de ce concert de louanges, on entendait toutefois quelques fausses notes. Si l’on en croit Le Monde diplomatique : « En novembre 1995, la population irlandaise dut décider, par référendum, d’abroger l’interdiction du divorce. La plupart des partis irlandais appelèrent à voter “ oui ” au référendum. Mère Teresa appela à voter “ non ”. Quelques mois plus tard (avril 1996), elle accordait un entretien à un magazine américain, Ladies Home Journal, lu par des millions de femmes au foyer. Interrogée sur son amitié pour Lady Diana, princesse de Galles, et sur son divorce imminent, Mère Teresa n’hésita pas à expliquer, parlant du mariage : “ C’est bien que ce soit Þ ni. Personne n’était vraiment heureux. ” On le voit, avec Mère Teresa, les pauvresses ont droit à des sermons sur la morale et sur l’obéissance, les princesses bénéÞcient de tous les pardons et de toutes les indulgences. Voici quelques autres faits, complaisamment passés sous silence… En 1992, Mère Teresa intervint lors du procès de M. Charles Keating, l’un des plus grands fraudeurs de l’histoire Þ nancière des Etats-Unis. Son escroquerie aux caisses d’épargne lui avait permis de mettre la main sur 252 millions de dollars, volés principalement à de petits épargnants. M. Keating, qui avait auparavant mené 8 Jean-Paul II éprouve une grande admiration pour Mère Teresa. Il a voulu le procès de béatiÞcation exceptionnellement rapide : par dispense spéciale du SaintSiège, le procès s’est ouvert dès juillet 1999. Et sa béatiÞcation a été en quelque sorte le cadeau que le pape a fait à l’Eglise à l’occasion du 25ème anniversaire de son pontiÞcat. Sans l’opposition de la Curie, il l’aurait béatiÞée et canonisée le même jour. Tous deux étaient en parfaite harmonie d’esprit, et défendaient un catholicisme jugé « conservateur » par leurs adversaires, en particulier dans le domaine moral. Mère Teresa dit de l’avortement : « L’avortement, c’est la chose la plus diabolique qu’une main humaine puisse faire. Demandons à Notre-Dame qu’elle enlève du cœur des mères ce désir horrible de vouloir supprimer l’enfant qu’elles portent. » Les anticléricaux ne tolèrent pas sa vision chrétienne de la souff rance et de la mort. Elle passe pour une réactionnaire, prise peu les prêtres progressistes, ceux qui, à ses yeux, ont honte de leur sacerdoce. Pour elle, la confession doit jouer un rôle essentiel dans la vie des chrétiens. Elle dit de belles choses sur le sacerdoce : les prêtres, qui sont d’autres Christ, doivent être de saints prêtres. En ce qui concerne la vie religieuse, la notion de péché, etc., elle fait preuve d’ironie et de critique à l’égard des novateurs. Les progressistes lui reprochent de tenir une théologie et une morale « anciennes » (sur la théologie de la libération, la place des laïcs et des femmes dans l’Eglise, la contraception), de prendre le parti du pape. Mais, précise Mgr Di Falco, « même si elle est indéniablement plus proche des positions de Mgr Lefebvre que des hardiesses théologiques d’un Hans Küng, elle ne s’oppose pas au concile • Vatican II. » 14 Sur tous les sujets, sa position était celle en vigueur dans l’Eglise conciliaire. De nombreuses équivoques œcuméniques Elle l’était en particulier dans le domaine de l’œcuménisme, qui est celui où il y a le plus à lui reprocher. Elle est typiquement conciliaire : pour elle, la foi est subjective ; le catholicisme est bon pour les catholiques. Elle déclarait, à propos des mourants qu’elle accueillait dans son foyer : « Nous leur donnons ce qu’ils désirent, selon leur foi. » Et Mgr Di Falco : « Mère Teresa entend aider chacun à mourir selon sa propre religion. […] Pour les catholiques, des prêtres sont là pour administrer les derniers sacrements. Pour les autres, ce qui compte, c’est de mourir en paix avec eux-mêmes et avec Dieu. Mère Teresa, volontiers accusée de conservatisme, n’a pas attendu le concile Vatican II pour pratiquer l’œcuménisme et pour être à l’écoute des religions non chrétiennes. Et ce comportement n’a pas été sans lui valoir quelques critiques à ses débuts de la part de certains membres du clergé qui lui reprochaient de négliger sa fonction de missionnaire. » 15 Il reconnaît ailleurs qu’elle « a eu quelques démêlés avec la hiérarchie catholique. » 16 Elle avait donc été avertie, et n’a pu prétexter l’ignorance quand elle a comparu au tribunal de Notre-Seigneur. Elle connaissait l’enseignement authentique et invariable de l’Eglise, elle en avait été nourrie dans son jeune âge ; mais elle a adopté sans difficultés toutes les idées de l’Eglise conciliaire, elle a même précédé le mouvement. « Sur le plan de l’œcuménisme et du dialogue entre les religions, Mère Teresa a donc largement été en avance sur son temps », conclut Mgr Di Falco17, qui admire « la formidable leçon de tolérance et de respect absolu de l’Autre que n’a cessé de donner Mère Teresa ». 18 Ce qui la caractérise peut-être le plus, dit-on, est le sentiment de la dignité de tout homme ; mais cette dignité s’étend aux adeptes des fausses religions. « Pour Mère Teresa, explique le Père Dominic Emmanuel 19, les gens étaient fondamentalement bons, quelle que soit leur religion. » Nous avons vu plus haut comment Jean-Paul II et elle se rejoignent dans l’affi rmation de la bonté et de la dignité foncières de l’homme : si de tels principes n’amènent pas à nier en pratique, du moins ils minimisent gravement l’inßuence du péché originel, le rôle du démon, et la nécessité de la foi et de la grâce pour le salut. A un journaliste 20 qui lui demandait : « Votre exemple peut-il convertir ? », elle se contenta de répondre : « Oh ! J’espère que je convertis. Mais je ne l’entends pas dans le même sens que vous. Ce que nous essayons de faire, ce que nous essayons tous de faire par notre travail en servant les gens, c’est de nous rapprocher de Dieu. Si, placés face à Dieu, nous l’acceptons dans nos vies, alors nous Mère Térésa, une béatiÞcation équivoque nous convertissons, nous devenons un meilleur hindou, un meilleur musulman, un meilleur catholique. De quelle approche userais-je ? Pour moi bien sûr ce serait l’approche catholique, pour vous ce pourrait être une approche hindoue, pour quelqu’un d’autre ce serait une approche bouddhiste. Selon votre conscience propre, ce que Dieu est dans votre esprit, c’est cela que vous devez accepter. » Elle ne cherchait donc pas à convertir les malheureux auxquels elle portait secours, elle ne leur demandait pas de changer de religion. Si l’on compare cette attitude à celle de celui qui fut le plus grand apôtre de l’Inde, et qui est donc la référence en ce domaine, saint François Xavier, quel abîme entre les deux ! Nous avons dit que Mère Teresa ne baptisait pas les enfants à l’article de la mort. Il en est toujours ainsi aujourd’hui : dans ses maisons, on ne baptise pas les enfants orphelins 21, ce qui est contraire aux principes catholiques. Pour marquer le 25ème anniversaire de sa congrégation, en octobre 1975, les adeptes de toutes les religions qui se pratiquent à Calcutta avaient invité Mère Teresa à des cérémonies célébrées en l’honneur de ce jubilé. Pendant une semaine chargée (du 28 septembre au 7 octobre), elle se rendit dans les temples des adeptes de dix-huit religions, pour prier avec eux selon leur rite. Remarquons que cela se passait onze ans avant le « sommet » de toutes les religions du monde à Assise. Nous avons des détails intéressants sur cette semaine par une religieuse de sa congrégation : « Le compte rendu, rédigé par une religieuse, n’était destiné qu’à ses sœurs, Missionnaires de la Charité à travers le monde. La revue Missi 22 en publia néanmoins des extraits illustrés de photos qui suffisent à donner une idée des fastes de cette semaine “ absolument unique dans l’histoire spirituelle de l’humanité par la participation des dix-huit religions présentes à Calcutta : bouddhistes, divers jaïns, “ vêtus de blancs ” ou “ vêtus d’espace ” [c’est-à-dire entièrement nus], sikhs, parsis, musulmans, juifs, diverses confessions chrétiennes, un carrousel de cérémonies, jusqu’à cinq dans la même journée, qui obligeait mère Teresa et sa brigade de jeunes religieuses à courir aux quatre coins de l’immense ville de la terrible déesse Kali. D’où son nom Kalicutta (Calcutta). ” (Mère Teresa aux dimensions du monde, Missi, mars 1976). » 23 Deux ans après, pour les vingt-cinq ans du Nirmal Hriday, Mère Teresa organise de nouveau des cérémonies œcuméniques imposantes. « Mère Teresa a choisi une date symbolique, le 1er novembre. Pour une simple raison : “ Chez les chrétiens, c’est la fête de tous les saints, de tous ceux qui sont morts dans l’amour de Dieu et dont les âmes jouissent du bonheur du ciel. Et je crois que tous les pauvres gens qui sont morts si merveilleusement au Nirmal Hriday, en offrant volontairement leur 9 Nouvelles de Chrétienté Nº 84 Novembre — décembre 2003 vie à Dieu, jouissent maintenant de la félicité de la vision divine. ” » 24 Dans une lettre adressée en 1979 au Premier ministre indien, Morarji Desai, elle dira : « Dieu, les uns l’appellent Ishwar, d’autres Allah, d’autres Dieu. Tous, nous reconnaissons qu’il nous a créés pour ce qu’il y a de plus sublime : aimer et être aimés. […] Des milliers d’affamés sont morts dans nos bras, heureux, dans la paix du Dieu auquel ils croyaient. » 25 Citons quelques autres faits. A la mort de Paul VI, elle lui rend hommage : « Paul VI était un saint authentique. Il aimait les pauvres et avait une prédilection pour les Missionnaires de la Charité. A présent qu’il est retourné dans la maison du Père, nous pouvons le prier. » Elle a fait un jour une conférence au fameux « Temple de la Compréhension ». Frère Roger Schutz, le fondateur de la communauté de Taizé, raconte quelques souvenirs sur elle : « En été 1976, elle Þt une visite à Taizé. Ensemble, nous avons écrit une prière. […] La même année, avec quelques-uns de mes frères, nous allions vivre pour un temps à Calcutta. Mère Teresa venait souvent prier avec nous. […] Quelques années plus tard, Mère Teresa revint à Taizé un dimanche d’automne. » Lors des JMJ de Denver, « elle m’envoya une lettre pour me dire : “ Ecrivons ensemble un quatrième livre ! ” » 26 Elle était à la grande réunion œcuménique d’Assise, le 27 octobre 1986. Elle est même arrivée en retard, de sorte que tout le monde avait les yeux tournés vers elle à son arrivée. Comme nous venons de le voir, elle était tout à fait d’accord avec tout ce qui se passait ; on ne peut pas être plus dans l’esprit de cette cérémonie d’Assise. Elle a demandé à toutes les sœurs de sa congrégation de faire la retraite en 33 jours de la Communion Marie Reine fondée par Ephraïm, le fondateur de la Communauté des Béatitudes. On peut ajouter le jugement qu’elle portait sur Gandhi : « Mère Teresa tenait Gandhi pour « un réel prophète, un visionnaire », et avouait : “ J’ai toujours cherché à m’inspirer de sa vie de “ satiagraha ” non violent, pour collaborer à une société plus juste et plus fraternelle. ” » 27 Nous avons signalé (cf. DICI n° 83) que le miracle qui a été retenu par la Congrégation romaine pour autoriser la béatiÞcation de Mère Teresa (la guérison d’une Indienne de 30 ans de religion animiste, Monika Besra28) est contesté par des médecins indiens. Dans Nouvelles de chrétienté n° 77 (septembre-octobre 2002), nous écrivions déjà : « Le miracle attribué à Mère Teresa suscite une polémique en Inde dans le monde des médecins, lesquels affi rment que la tumeur de Monika Besra a été traitée en hôpital. De fait, si la maladie a été soignée, on ne peut déclarer la guérison même subite, sans contrevenir aux règles de la procédure qui ne se penche pas sur le cas d’un malade traité médicalement. » 10 • Conclusion Nous ne voulons pas nier l’immense activité caritative de Mère Teresa ni son amour sincère de Dieu et de l’Eglise. Il y a indéniablement dans sa vie des exemples de détachement, de pauvreté, d’abnégation, d’oubli de soi qui évoquent les vies des saints et suscitent l’admiration. La forme de vie religieuse des Missionnaires exige un don total de soi, une abnégation qui force le respect. Ce qui anime cette vie ne peut être que la force de l’amour ; l’amour est le seul levier qui puisse soulever les âmes aussi haut. Mais tout en reconnaissant ce qu’il y a d’admirable dans une telle vie, et dont nous avons bien des leçons à tirer pour nous-mêmes, on ne peut non plus passer sous silence les graves équivoques œcuméniques dont est remplie la vie de Mère Teresa, surtout à partir du concile Vatican II. Ce maudit concile, et la nouvelle théologie qui l’a inspiré, ont tourné la tête à des âmes par ailleurs généreuses, et les ont dévoyées dans un indifférentisme au moins pratique. C’est le cas de Mère Teresa. C’est pourquoi l’Eglise ne peut porter sur les autels une telle personne, dont la doctrine est hétérodoxe. Abbé Hervé Gresland 1 Elle est le fruit d’un milieu et d’une époque très complexe, les Balkans du début du XXème siècle. Née citoyenne turque, elle s’est retrouvée ensuite serbe, puis yougoslave. 2 Mgr Jean-Michel Di Falco : Mère Teresa ou les miracles de la foi (Le Livre de poche, 1997), p. 33. 3 Di Falco, p. 33. 4 Pensées spirituelles de Mère Teresa. Ed. Mediaspaul. 5 Interview, 1974. 6 Interview, 1977. 7 Di Falco, p. 247. 8 Romains 10, 14. 9 Di Falco, p. 112. 10 Malcolm Muggeridge, auteur du premier Þ lm sur Mère Teresa, avait été élevé dans l’Eglise anglicane. Il devint un marxiste convaincu, et fut longtemps un compagnon de route du petit Parti communiste britannique. A Noël 1982, il se convertit avec sa femme au catholicisme. C’était le fruit d’une longue quête spirituelle commencée dans les taudis de Calcutta quinze ans plus tôt, sous l’inßuence de Mère Teresa. 11 Parmi les multiples honneurs décernés à Mère Teresa, on peut mentionner : 1974 : Prix Mater et magistra remis par Paul VI ; 1975 : Prix Albert Schweitzer ; la FAO frappe une médaille à son effigie ; 1976 : doctorat honoris causa de l’université de Delhi, remis par Indira Gandhi ; 1978 : Prix Balzan, remis par le président italien Pertini, d’un montant de 320 000 dollars ; des récompenses du gouvernement des Etats-Unis et Revue de presse • de l’Empire britannique ; le Prix Raoul Wallenberg (Suède) ; à quoi s’ajoutent des doctorats honoris causa de Cambridge, Louvain, Harvard, Pennsylvanie, Bologne, etc., diverses médailles, etc. En septembre 1996, le Congrès des Etats-Unis lui a accordé le titre de « citoyen honoraire », une distinction que seuls avaient obtenue avant elle William Penn et son épouse (fondateurs de l’Etat de Pennsylvanie), Winston Churchill et Raoul Wallenberg. Le vote du Congrès fut unanime. 12 Les autorités chinoises étaient d’accord depuis 1988 pour que les Missionnaires de la Charité ouvrent une maison dans le pays, mais Mère Teresa voulait se conformer aux règles du droit canon : elle devait être invitée en Chine par un évêque local, en communion avec Rome. Il ne pouvait être question d’avoir recours à l’« Eglise patriotique » schismatique. C’est pourquoi cette fondation ne s’est toujours pas faite. 13 Le Monde diplomatique, novembre 1996, p. 32. L’article est signé du journaliste Christopher Hitchens, auteur de Le Mythe de Mère Teresa, Dagorno, Paris, 1996. 14 Di Falco, p. 120. 15 P. 98-99. 16 P. 164. P. 120. 18 P. 249. 19 Prêtre indien de la Société du Verbe divin, porte-parole de l’archevêché de New Delhi. 20 Desmond Doig : Mother Teresa, her people and her work, William Collins, Glasgow, 1976 ; cité par Mgr Bernard Fellay dans Le sel de la terre n° 1, p. 16. 21 Témoignage du R.P. Marie-Dominique O.P., recueilli dans une maison des Missionnaires de la Charité, à Goa, en 2002. 22 De mars 1976. 23 Article de frère Bruno de Jésus dans Il est ressuscité ! (revue de la C.R.C.), novembre 2003, qui reproduit des photos éloquentes de l’article de Missi. 24 Di Falco, p. 160. 25 p. 100-101. 26 Le Monde, 19-20 octobre 2003. 27 Cf. note 23. 28 On trouve aussi l’orthographe Bishra. 17 REVUE DE PRESSE Saint Nicolas occupé par des sans-papiers manipulés Libération du mardi 9 décembre 2003 Sous une photographie représentant une quinzaine d’asiatiques assis dans la nef, au pied de la chaire, le vi- sage tourné vers la sortie, le commentaire suivant : « Les sanspapiers chez les cathos intégristes. Après quatre heures de négociations et la promesse d’un rendezvous, demain, avec le chef de cabinet de la Préfecture de Police, le groupe a accepté de quitter les lieux. « La lutte continue », a déclaré Binazon (por- 11 Nouvelles de Chrétienté Nº 84 Novembre — décembre 2003 te-parole des sans-papiers), tandis que de l’autre côté de l’église, 200 paroissiens chantaient des cantiques, en français et en latin. » (sans signature) Le Figaro du mardi 9 décembre 2003 : « SaintNicolas-du-Chardonnet investie par des sanspapiers » Selon Xavier Beauvais, curé de Saint-Nicolas-duChardonnet, la messe de saint Pie V attire chaque dimanche plus de 5 000 personnes. « Nous occupons paciÞquement ce lieu depuis vingt-sept ans, sans aucun dommage pour l’ordre public. De fait, les autorités ont accepté notre installation », faisait remarquer l’abbé. Ce que semblait contester l’archevêché de Paris, pour lequel l’église est « toujours occupée de manière illégitime », et « les prêtres qui y célèbrent n’ont reçu aucune juridiction ni aucune mission pour quelque activité religieuse que ce soit ». Sur le trottoir longeant Saint-Nicolas-du-Chardonnet, une femme en manteau et béret rouges, mue par une indignation ostentatoire, décidait Þ nalement de s’agenouiller, son chapelet à la main, pour prier dans la rue. « Cinq mille Þdèles sont attendus dès 18 heures pour la procession annuelle de l’Immaculée Conception : ils ont des droits », insistait Régis de Cacqueray, responsable de la Fraternité saint Pie X. Tandis que Gilles Lemaire, secrétaire national des Verts, venu au soutien de la Coordination nationale, jugeait « cette occupation bienvenue ». « Elle remet au-devant de la scène l’occupation de cette église par les intégristes. » Un sympathisant de la Coordination nationale s’interrogeait : « L’archevêché va-t-il avoir le cran de demander l’expulsion, ou proÞtera-t-il de l’occasion pour se libérer de ses occupants ? Avouez que l’imbroglio juridique ainsi soulevé est assez intéressant. » • du-Chardonnet, comme toutes les églises construites avant 1905, est en effet officiellement propriété de la ville de Paris, et l’Eglise catholique en est l’affectataire. Mais les intégristes, qui ont rompu avec Rome, l’occupent en toute illégalité depuis 1977. Ces derniers n’ont donc aucun droit pour en exiger l’évacuation. Quant à la municipalité ou à l’archevêché de Paris, « on les voit mal demander l’évacuation des sans-papiers pour rendre l’église aux intégristes », s’amusait Sylvain Garel, élu Verts de Paris, venu sur place soutenir les occupants. Environ 200 personnes, majoritairement asiatiques, dont un tiers de femmes et quelques enfants, ont participé à cette opération, avec l’objectif d’attirer à nouveau l’attention sur leur situation. A l’intérieur de l’église, la situation s’est toutefois rapidement tendue avec les prêtres intégristes et la poignée de Þdèles entrés aussitôt après le début de l’occupation. « Le curé nous a dit que nous étions musulmans et qu’on ferait mieux d’aller occuper les mosquées », raconte ainsi Aminata, l’une des porte-parole des occupants. Le P. Xavier Beauvais, curé de Saint-Nicolas-duChardonnet, n’entendait en effet pas accueillir ou soutenir ces « gens venus mettre le bazar pour régler un problème qui n’a rien à voir avec l’Eglise ». Dehors, certains Þdèles intégristes tenaient un discours plus raide. « Ils ne vont pas rester longtemps, les minables, les crève-la-faim, les acharnés », s’off usquait une dame en manteau rouge. Avant de se mettre à prier, à genoux sur le trottoir, son chapelet à la main. Les Þdèles de Saint-Nicolas promettaient surtout de montrer leur force et leur nombre hier soir, Le Front national a, lui, dénoncé une « provocation politique », avec la « complicité active des Verts et autres extrémistes de gauche ». Tout comme Bruno Mégret, président du Mouvement national républicain, qui s’est déclaré « scandalisé par l’occupation ». (signature : Delphine Chayet) La Croix du mardi 9 décembre 2003 : « Des sanspapiers occupent brièvement une église intégriste » : En choisissant cette église occupée depuis vingtcinq ans par les catholiques intégristes (lefebvristes de la Fraternité Saint-Pie X), le Collectif des sans-papiers espérait proÞter d’une situation juridique inédite. « Nous squattons les squatters », expliquait ainsi Romain Binazon, porte-parole des sans-papiers. Saint-Nicolas- 12 Vue partielle de la procession du 8 décembre lors de leur traditionnelle procession pour l’Immaculé Conception. « Nous serons des milliers et ils vont déguerpir », lançait ainsi un jeune aux cheveux coupés très court. Sur Internet, dès hier après-midi, des groupuscules proches de l’extrême droite appelaient ainsi leurs militants à se rendre sur place pour clamer leur message : « Les clandestins hors de nos églises, les clandestins hors de France, les clandestins hors d’Europe ! » • Dehors donc, devant l’église, un ancien Þdèle de la paroisse Saint-Nicolas-du-Chardonnet regardait avec le sourire le ballet des policiers et des prêtres en soutane. « J’étais là il y a vingt-sept ans quand les intégristes nous ont mis dehors. Alors, oui, franchement, j’apprécie ce qui se passe aujourd’hui… » (signature : Mathieu Castagnet) Le Monde du mercredi 10 décembre 2003 Sous une photographie où figure l’abbé Beauvais montrant la sortie à une femme africaine, ce titre : « Des sans-papiers squattent une église intégriste », avec cette légende : « Environ 200 sans-papiers ont occupé, lundi 8 décembre, pendant quelques heures, l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, à Paris dans le 5ème arrondissement, pour rappeler leur sort aux autorités, tandis qu’une poignée de Þdèles priaient dehors à genoux, à l’appel de leur curé. » (sans signature) Présent du mercredi 10 décembre 2003 : « Opération anarcho-trotskiste contre SaintNicolas-du-Chardonnet » La volonté politique, et même idéologique, d’un Sylvain Garel, est évidente. N’ayant pu porter atteinte à sa bête noire, « l’extrême droite catholique », ni par une interdiction légale ni devant les tribunaux, il tente aujourd’hui le coup de force, en embrigadant, sous prétexte d’humanisme, un certain nombre de misérables échoués chez nous et dont nos politiques ne savent que faire. Ce faisant, il ignore combien le service d’entraide de Saint-Nicolas, et la Conférence Saint-Vincent-dePaul, viennent en aide aux pauvres gens, sans distincSylvain Garel ceint de son écharpe tion de classe, ni de couleur ni même de religion. Et ce lundi, jour où la paroisse ouvre habituellement ses « trésors » aux pauvres, les malheureux que le froid fait souffrir et qui comptaient sur cette aide n’auront pas été secourus, parce qu’un idéologue extrémiste avait mieux à faire que de penser réellement, et activement, à ceux qui n’ont rien. (Olivier Figueras, Présent, 5, rue d’Amboise 75002 Paris) Revue de presse Monde et Vie du 11 décembre 2003 : « SaintNicolas : échec à la manipulation ! » Sur le parvis plastronnait Sylvain Garel ceint de son écharpe de conseiller (Vert) de Paris. Ce personnage semble avoir un compte à régler avec la Tradition, même s’il s’en défend, car c’est lui qui, il y a un an et demi avait déjà demandé l’évacuation de l’église. Quant au porteparole des clandestins Romain Binazon il a expliqué à l’AFP : « Les intégristes sont hors-la- loi et on ne les met pas dehors. Nous squattons les squatters ! » Mais qui est ce Romain Binazon ? Si l’on en croit l’Humanité du 27 août 2003, à 35 ans il a déjà connu la prison, neuf mois en 1997 et trois en 1999 pour séjour irrégulier et refus d’embarquement. Arrivé en France en 1991 avec un visa de tourisme, il est invité à quitter le territoire dès 1992. Travaillant au noir dans le bâtiment, il s’engage en 1996 dans le mouvement des sans-papiers dont il devient le porte-parole en 1998. Mais il se fait réellement connaître en août 2002, lors de l’occupation de la basilique de Saint-Denis. Ajoutons que le 24 septembre dernier il était de nouveau devant les tribunaux français pour « rébellion et incitation à la rébellion » à bord d’un avion à destination du Bénin, son pays d’origine. Puisque Binazon et ses amis Verts prétendent interdire l’accès de l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet aux Þdèles et proposent d’en faire « un centre permanent de ralliement des sans-papiers » (déclaration d’Alain Riou, élu Vert de Paris à Associated Press), il appartient à l’Etat de faire son travail et d’appliquer la loi, c’est-à-dire de procéder à l’expulsion immédiate de Binazon ». (Marie Labrunie, Monde et Vie, 14, rue Edmond Valentin 75007 Paris) Présent du jeudi 11 décembre 2003 : « Delphine et Mathieu font le sale boulot » Madame Chayet (Delphine), dans Le Figaro, multiplie les qualiÞcatifs et les précisions sur les prêtres et les Þdèles de Saint-Nicolas : ce sont des « traditionalistes », des « intégristes », et même des « schismatiques », soutenus par le « Front national » et par « Bruno Mégret ». en revanche, les occupants de l’église ne portent aucune étiquette politique ou religieuse. Ils sont simplement des « clandestins » (mais alors, sortis de leur clandestinité ? donc, plutôt des ex-clandestins…), ils sont des « sans-papiers », regroupé par une bien honnête « Coordination nationale ». Dans La Croix, le sieur Castagnet (Mathieu) évite le terme de « schismatiques » (ou peut-être son directeur Bruno Frappat lui aura-t-il fait retrancher un tel 13 Nouvelles de Chrétienté Nº 84 Novembre — décembre 2003 • jugement téméraire, en lui expliquant que ce n’est pas si simple, et qu’il faut laisser « schismatiques » aux approximations incompétente du Figaro). Le sieur Mathieu Castagnet ne fait aucune allusion non plus à un communiqué, mentionné par le seul Figaro, où l’archevêché de Paris aurait proÞté de la circonstance pour condamner une fois de plus les prêtres de Saint-Nicolas. Du moins, le journaliste de La Croix ne manque pas lui non plus de sortir l’éventail des étiquettes : une « église intégriste », des « catholiques intégristes », des « lefebvristes », des « prêtres intégristes », des « groupuscules proches de l’extrême droite » et même, comble d’horreur, qui le pousse au délit de faciès et qui sans doute l’excuse : « un jeune aux cheveux coupés très court ». Il n’a pas noté de l’autre côté la queue de cheval d’un moins jeune, l’agitateur Sylvain Garel, il n’a vu que des « sans-papiers » et leur « Collectif ». La seule indication politique sur les agitateurs, dans La Croix comme dans Le Figaro, est pour noter la présence de « Verts » : Sylvain Garel selon La Croix, Gilles Lemaire selon Le Figaro. Précision anodine, car la plus grande partie du public n’a pas encore bien compris que ces Verts sont en réalité des Rouges. Pourtant la dame Chayet et le sieur Castagnet avaient à leur disposition une bonne quantité d’étiquettes exactes et convergentes pour qualiÞer de manière un peu plus parlante les meneurs de l’occupation : communistes, Fidèles priant au banc de communion. Derrière eux, les sans -papiers anarchistes, libertaires, léninistes, trotskistes. Mais justement, c’est une habitude quasiment « déontologique », qui remonte au Monde de Beuve-Méry et à ses procédés d’« auxiliaire du communisme » : éviter le plus souvent possible toute étiquette politico-religieuse pour les militants de l’extrême gauche communiste ; les présenter, comme s’il s’agissait de militants « a-politiques », avec des étiquettes neutres : « humanitaires », « syndicaux », « sociaux », « travailleurs », « victimes », et bien sûr « sans papiers ». (Jean Madiran, Présent, 5, rue d’Amboise 75002 Paris) CENTENAIRE DE L’ÉLECTION DE SAINT PIE X La tactique moderniste SELON L’ENCYCLIQUE PASCENDI DE SAINT PIE X En cette année du centenaire de l’élection de St Pie X au siège de Pierre, nous voudrions rendre hommage au premier saint pontife que le Seigneur nous a donné depuis St Pie V en rappelant une partie de son enseignement. Nous n’avons que l’embarras du choix dans l’enseignement abondant de St Pie X en 11 ans de règne. Le catéchisme1, la communion fréquente2 et précoce3, l’action des catholiques4, la dévotion mariale5, la responsabilité de ceux qui gouvernent l’Eglise6, le sacerdoce7 et la doctrine de St Thomas d’Aquin 8 : les thèmes traités sont nombreux. En réalité, il nous a semblé intéressant de rappeler l’enseignement de St Pie X sur le modernisme. Là, 14 ce sont trois documents qui s’offrent à notre étude : le décret Lamentabili du 3 juillet 1907, l’encyclique Pascendi dominicis gregis du 8 septembre 1907 et le motu proprio Sacrorum Antistitum du 1er septembre 1910. L’aspect sans doute le plus connu de cet enseignement sur le modernisme est l’essai de description que fait le saint pontife des divers visages du moderniste tour à tour philosophe, croyant, théologien, historien, critique, apologiste, exégète et réformateur. Texte long et ardu à la mesure du nouveau déÞt qui s’offrait à l’Eglise et à son magistère. Quant à nous, cependant, nous aimerions souligner dans ces quelques lignes ce que St Pie X enseignait de la tactique des modernistes. Il est en effet remarquable • de voir combien le pape, à côté des aspects doctrinaux de la question, s’est préoccupé de l’avancée concrète de cette erreur dans les esprits et les cœurs. Comment se fait-il qu’une doctrine si touff ue, si compliquée, si contraire à la structure naturelle de l’intelligence humaine puisse se répandre ? Comment justiÞer la batterie de mesures que le Pontife prendra (serment antimoderniste, conseils de vigilance, exclusion du sacerdoce et des chaires d’enseignement, interdiction de publier, contrôle des congrès sacerdotaux), quand on sait que l’Eglise a toujours eu à lutter contre l’une ou l’autre erreur au travers des siècles ? Pourquoi alors ce traitement particulier ? Dès les paroles introductives de son encyclique sur le modernisme, St Pie X remarquait : « Il faut bien le reconnaître, le nombre s’est accru étrangement, en ces derniers temps, des ennemis de la Croix de JésusChrist qui, avec un art tout nouveau et souverainement perÞde, s’efforcent d’annuler les vitales énergies de l’Eglise, et même, s’ils le pouvaient, de renverser le règne de Jésus-Christ. » 9 Quel est cet art tout nouveau et souverainement perÞde dont font montre les modernistes, démasqués par le Pontife ? La tactique moderniste hors, en effet, on l’a déjà noté, c’est du dedans qu’ils trament sa ruine ; le danger est aujourd’hui presque aux entrailles mêmes et aux veines de l’Eglise : leurs coups sont d’autant plus sûrs qu’ils savent où la frapper. » « Ce ne sont point les incrédules seuls, Vénérables Frères, qui profèrent de telles témérités : ce sont des catholiques, ce sont des prêtres même, et nombreux, qui les publient avec ostentation. » « Ceci est chez eux une volonté et une tactique : et parce qu’ils tiennent qu’il faut stimuler l’autorité, non la détruire ; et parce qu’il leur importe de rester au sein de l’Eglise pour y travailler et y modiÞer peu à peu la conscience commune : avouant par là, mais sans s’en apercevoir, que la conscience commune n’est donc pas avec eux, et que c’est contre tout droit qu’ils s’en prétendent les interprètes. » On observe là une volonté affirmée de ne pas sortir de la structure visible de l’Eglise aÞ n de pouvoir, à son gré, la modiÞer de l’intérieur. Ce sont là ces loups, dont parlait Notre Seigneur, « revêtus de peau de brebis. » (Mt 7, 15) Leur dissimulation n’est pas accidentelle, elle est essentielle à leur œuvre : sans elle, ils n’aboutiraient à rien. DESTRUCTION DE LA FOI ELLE-MÊME DES ENNEMIS INTÉRIEURS Ce sont d’abord des ennemis intérieurs de l’Eglise. En effet, si nous consultons notre catéchisme, nous verrons que sont hors de l’Eglise : les inÞdèles, les hérétiques, les schismatiques et les apostats. Les uns n’y sont jamais rentrés (les inÞdèles), les autres l’ont quittée par des fautes contre la foi (les hérétiques et apostats) ou contre la charité (les schismatiques), mais tous s’en sont démarqués tôt ou tard. Cette séparation elle-même avait l’avantage de clariÞer les choses et de mettre en alerte les catholiques fidèles contre les enseignements et les agissements de ces loups ravisseurs. Rien de tel avec les modernistes dont la première caractéristique est de vouloir rester à tout prix à l’intérieur de l’Eglise : « Ce qui exige surtout que Nous parlions sans délai, c’est que, les artisans d’erreurs, il n’y a pas à les chercher aujourd’hui parmi les ennemis déclarés. Ils se cachent et c’est un sujet d’appréhension et d’angoisse très vives, dans le sein même et au cœur de l’Eglise, ennemis d’autant plus redoutables qu’ils le sont moins ouvertement. » « Ennemis de l’Eglise, certes ils le sont, et à dire qu’elle n’en a pas de pires, on ne s’écarte pas du vrai. Ce n’est pas du de- Puisqu’ils feignent de rester dans l’Eglise, les modernistes tenteront de modiÞer, et donc de détruire, la foi catholique elle-même. Leurs coups ne vont pas s’attaquer à l’une ou l’autre institution ou point de doctrine, ils vont entamer la vertu de foi elle-même : « Ajoutez que ce n’est point aux rameaux ou aux rejetons qu’ils ont mis la cognée, mais à la racine même, c’est-àdire à la foi et à ses Þbres les plus profondes. Puis, cette racine d’immortelle vie une fois tranchée, ils se donnent la tâche de faire circuler le virus par tout l’arbre : nulle partie de la foi catholique qui reste à l’abri de leur main, nulle qu’ils ne fassent tout pour corrompre. » « Maintenant, embrassant d’un seul regard tout le système, qui pourra s’étonner que Nous le déÞnissions le rendez-vous de toutes les hérésies ? Si quelqu’un s’était donné la tâche de recueillir toutes les erreurs qui furent jamais contre la foi et d’en concentrer toute la substance et comme le suc en une seule, véritablement il n’eût pas mieux réussi. » « Voilà qui suffit, et surabondamment, pour montrer par combien de routes le modernisme conduit à l’anéantissement de toute religion. Le premier pas fut fait par le protestantisme, le second est fait par le modernisme, le prochain précipitera dans l’athéisme. » 15 Nouvelles de Chrétienté Nº 84 Novembre — décembre 2003 • Certes, toute hérésie s’attaque à la foi dans la mesure où elle met implicitement en cause l’autorité de Dieu qui révèle. En effet, si nous croyons les vérités révélées (la Trinité, l’Incarnation, la Rédemption, l’Eucharistie,…), ce n’est pas par goût personnel, ni parce que la vérité révélée nous apparaît comme évidente. Le seul motif qui nous permet en toute sûreté de croire, c’est l’autorité de Dieu qui ne ment pas, qui ne se trompe pas et qui n’ignore rien. Or, le seul fait de nier un dogme de foi équivaut à nier cette infaillibilité et cette inerrance de Dieu qui nous révèle ses mystères. En ce sens, toute hérésie volontaire fait perdre la vertu de foi. Mais, le modernisme, selon l’enseignement de St Pie X, ne fait pas seulement perdre la vertu de foi comme n’importe quelle hérésie, elle en rend impossible jusqu’à l’existence. Dans le modernisme, tout est ramené à la dimension naturelle, tout se renferme à l’intérieur du sujet, tout est le fruit de désirs surgis du tréfonds de la conscience. Il n’y a donc aucune place pour les réalités surnaturelles extérieures, mystérieuses, objectives. La discussion n’est plus centrée ici sur un point de doctrine ou de morale en particulier : c’est la possibilité même de l’acte de foi, tel que notre catéchisme le déÞ nit, qui est niée. De là, que « nulle partie de la foi catholique [ne] reste à l’abri de leur main » De là aussi, la déÞnition du modernisme comme « le rendezvous de toutes les hérésies. » De là enÞ n, que la conséquence ultime de ce mouvement révolutionnaire soit « l’athéisme. » L’APPARENTE CONFUSION DE LA DOCTRINE MODERNISTE Cette union adultère du catholique et du rationaliste est le fruit direct de la volonté du moderniste de rester de l’Eglise pour en modiÞer la foi de l’intérieur. Parlerait-il clairement contre la foi, qu’il serait immédiatement détecté et marqué aux yeux de tous du caractère infamant de l’hérésie ou de l’apostasie ! Il ne parlera donc pas clairement… • Ensuite, le moderniste est un mélange très varié de multiples personnages qui apparaissent et disparaissent selon les besoins de la cause et selon les convenances du moment. C’est cette constatation qui a donné à l’encyclique Pascendi sa structure si particulière. Car, pour débusquer le moderniste dans ses ultimes recoins, St Pie X éprouva le besoin de détailler tous les déguisements, tous les artiÞces, toutes les ruses dont il use successivement pour échapper au jugement du magistère : « Il faut noter tout d’abord que les modernistes assemblent et mélangent pour ainsi dire en eux Karl Rahner plusieurs personnages : c’est à savoir, le philosophe, le croyant, le théologien, l’historien, le critique, l’apologiste, le réformateur : personnages qu’il importe de bien démêler si l’on veut connaître à fond leur système et se rendre compte des principes comme des conséquences de leurs doctrines. » Au service de cette volonté de subversion radicale de la doctrine catholique de l’intérieur de l’Eglise, le moderniste usera de divers subterfuges : • Tout d’abord il mêlera étrangement et dangereusement le catholique et le rationaliste dans ses écrits et ses discours. Qu’est-ce que le rationalisme ? Le pape Pie IX le déÞnissait dans le Syllabus comme « la raison humaine [qui], sans avoir aucunement à se référer à Dieu, se fait l’unique juge du vrai et du faux, du bien et du mal, [devient] à elle-même sa loi, [et dont] les capacités naturelles [sont] suffisantes pour procurer le bien des hommes et des peuples. » 10 Au vue de cette déÞ nition de l’erreur du rationalisme, on ne peut que prendre acte de l’opposition radicale du rationalisme et de la foi catholique. Or, l’un des signes infaillibles pour détecter le caractère moderniste d’un auteur ou d’un écrit, c’est pré- 16 cisément cette union adultère entre le catholicisme et le rationalisme : « Rien de si insidieux, de si perÞde que leur tactique : amalgamant en eux le rationaliste et le catholique, ils le font avec un tel raffinement d’habileté qu’ils abusent facilement les esprits mal avertis. » « Telle page de leur ouvrage pourrait être signée par un catholique ; tournez la page, vous croyez lire un rationaliste. » • EnÞ n, dernier trait du moderniste, et non des moindres : donner l’impression que son enseignement manque de vision globale. Il semble, en effet, à l’observation superÞcielle du catholique non averti, que l’enseignement des modernistes est ßuctuant, peu sûr, hésitant, voire contradictoire. Or, St Pie X ne partage pas cette opinion et il s’en explique à plusieurs reprises : « Et comme une tactique des modernistes, tactique en vérité fort insidieuse, est de ne jamais exposer leurs doctrines méthodiquement et dans leur ensemble, mais de les fragmenter en quelque sorte et de les éparpiller ça et là, ce qui prête à les faire juger ondoyants et indécis, quand leurs idées, au contraire, sont parfaitement arrêtées et consistantes, il importe ici et avant tout de présenter ces mêmes doctrines sous une seule vue, et de montrer le lien logique qui les rattache entre elles. » « À les entendre, à les lire, on serait tenté de croire qu’ils tombent en contradiction avec eux-mêmes, qu’ils sont oscillants et incertains. Loin de là : tout est pesé, tout est voulu chez eux, La tactique moderniste • mais à la lumière de ce principe que la foi et la science sont l’une à l’autre étrangères. » « Quelqu’un pensera peut-être que cette exposition des doctrines des modernistes Nous a retenu trop longtemps. Elle était pourtant nécessaire, soit pour parer à leur reproche coutumier, que Nous ignorons leurs vraies idées, soit pour montrer que leur système ne consiste pas en théories éparses et sans lien, mais bien en un corps parfaitement organisé, dont les parties sont si bien solidaires entre elles qu’on n’en peut admettre une sans les admettre toutes. » L’un des bienfaits de l’encyclique Pascendi a été, sans nul doute, de montrer la doctrine moderniste dans toute son ampleur et comme un système cohérent. Mettre le petit doigt dans l’engrenage du modernisme, c’est accepter d’y perdre le corps dans sa totalité. Être moderniste en histoire c’est le devenir petit à petit en exégèse et en philosophie. Nous sommes bien en présence d’une perversion fondamentale : l’union adultère entre les principes catholiques et les principes rationalistes tant de fois condamnés par les papes. LA PRATIQUE DU MODERNISME Après avoir remarqué que les modernistes sont des ennemis de l’intérieur de l’Eglise, qui s’attaquent à la foi elle-même et sans jamais donner de leur système une vue globale, St Pie X précise trois autres points pratiques qui rendent leur action particulièrement dangereuse : • Lorsque, malgré leurs ruses, quelques modernistes sont démasqués par l’autorité, sommés de se rétracter, voire condamnés publiquement, ils ont coutume de se soumettre apparemment à ces mesures qui les frappent : « Vous n’ignorez pas la stérilité de Nos efforts ; ils courbent un moment la tête, pour la relever aussitôt plus orgueilleuse. » « En somme, il faut trouver une voie moyenne où soient assurés tout ensemble les droits de l’autorité et ceux de la liberté. En attendant, que fera le catholique ? Il se proclamera hautement très respectueux de l’autorité, mais sans se démentir le moins du monde, sans rien abdiquer de son caractère ni de ses idées. » « Réprimandés et condamnés, ils vont toujours, dissimulant sous des dehors menteurs de soumission une audace sans bornes. Ils courbent hypocritement la tête, pendant que, de toutes leurs pensées, de toutes leurs énergies, ils poursuivent plus audacieusement que jamais le plan tracé. » « Avec des airs affectés de soumission et de respect, les paroles, ils les plièrent à leur sentiment, les actes, ils les rapportèrent à tout autres qu’à eux-mêmes. » Cette soumission apparente est tout à fait cohérente avec la volonté affichée des modernistes de rester à l’intérieur de l’Eglise. S’ils se rebellaient contre l’autorité ou s’ils méprisaient ouvertement les vérités de foi, leur cause serait entendue sans l’ombre d’un doute. La soumission apparente aux décisions, même dures, de l’autorité est une clé essentielle de la tactique moderniste. Le revers de la médaille c’est qu’on pourra toujours douter du retour d’un moderniste à la profession intégrale de la foi catholique. Comment s’assurer de la sincérité d’une telle conversion lorsque la dissimulation et l’hypocrisie sont à la base du système ? N’ontils pas prononcé de nombreuses fois le serment antimoderniste tous ces théologiens modernistes en vogue depuis 50 ans : les Chenu, Congar, Rahner, Küng, Drewerman et autre Boff ? Urs von Balthasar • À cette soumission apparente aux décisions de l’autorité, les modernistes allient souvent une vie extérieure exemplaire : « Avec cela, et chose très propre à donner le change, une vie toute d’activité, une assiduité et une ardeur singulières à tous les genres d’études, des mœurs recommandables d’ordinaire pour leur sévérité. » Là encore, ils ne sauraient se maintenir à l’intérieur de l’Eglise sans feindre d’en garder la discipline et d’en respecter le mode de vie. Celui qui apostasie ou celui qui jette sa soutane aux orties se signalait par là même à l’attention des Þdèles catholiques. En vertu de la nécessaire connexion entre ce qu’on pense et ce qu’on fait, on peut bien penser que cette vie exemplaire n’est qu’extérieure. Que l’on songe aux relations troubles entretenues par Teilhard de Chardin, Karl Rahner 11 ou Hans Urs von Balthasar 12 et au récent abandon du sacerdoce par le prince de théologiens de la libération, le franciscain Leonardo Boff. • Un dernier aspect de la pratique du modernisme, signalé par St Pie X, est la manipulation de l’opinion publique. Cette manipulation se réalise en deux mouvements : Il faut tout d’abord que tout opposant sérieux au modernisme soit couvert par le complot du silence : on évitera tout débat public avec lui, on ne parlera pas de ses publications contraires au modernisme, on empêchera même leur publication si possible. Simultanément, on couvrira d’éloges tout écrit ou discours d’inspiration moderniste. L’usage et la multiplication des pseudonymes utilisés par quelques auteurs modernistes donneront l’impression d’une vague de fond alors que souvent peu 17 Nouvelles de Chrétienté Nº 84 Novembre — décembre 2003 d’auteurs passeront leur temps à s’encenser mutuellement. « Que l’un d’entre eux ouvre la bouche, les autres d’une même voix l’applaudissent, en criant au progrès de la science ; quelqu’un a-t-il le malheur de critiquer l’une ou l’autre de leurs nouveautés, pour monstrueuse qu’elle soit, en rangs serrés, ils fondent sur lui ; qui la nie est traité d’ignorant, qui l’embrasse et la défend est porté aux nues. Abusés par là, beaucoup vont à eux qui, s’ils se rendaient compte des choses, reculeraient d’horreur. » « S’agit-il d’un adversaire que son érudition et sa vigueur d’esprit rendent redoutables : ils chercheront à le réduire à l’impuissance en organisant autour de lui la conspiration du silence. Conduite d’autant plus blâmable que, dans le même temps, sans Þn ni mesure, ils accablent d’éloges qui se met de leur bord. » « S’il arrive que l’un d’entre eux soit frappé des condamnations de l’Eglise, les autres aussitôt de se presser autour de lui, de le combler d’éloges publics, de le vénérer presque comme un martyr de la vérité. » « Sous leur propre nom, sous des pseudonymes, ils publient livres, journaux, revues. Le même multipliera ses pseudonymes, pour mieux tromper, par la multitude simultanée des auteurs, le lecteur imprudent. » Lorsque les arguments n’ont plus la vérité comme mesure, il ne reste plus qu’à chercher des palliatifs pour suppléer leur faiblesse intrinsèque. À l’ère de la démocratie, la vérité compte peu, seule compte l’élection ; l’honnêteté ne paie pas, seule compte la permanence à son poste et la conservation de sa réputation. Par contre, malheurs à ceux qui ne soufflent pas dans le sens de l’histoire ! Malheur à ceux qui n’embarquent pas sur le grand navire du progrès ! Ils seront ensevelis vivants sous une chape de plomb. Ils ne trouveront pas d’éditeur pour leurs livres, pas de journal pour leurs articles, pas de chaire pour leur enseignement et les simples Þdèles n’entendront jamais leur voix qui, pourtant, est celle du Bon Pasteur. LA SOCIÉTÉ SECRÈTE DES MODERNISTES Pour terminer sa description de la tactique moderniste sur un conseil pratique, St Pie X demande de démasquer le modernisme. Face à une erreur si hypocrite et si fausse, il ne reste qu’une seule chose à faire : la dévoiler au grand jour aÞ n que tous puissent en mesurer la turpitude. « Trêve donc au silence, qui désormais serait un crime ! Il est temps de lever le masque à ces hommes-là et de les montrer à l’Eglise universelle tels qu’ils sont. » Il est d’ailleurs intéressant de rapprocher cet ordre du saint pontife de celui que donnait son prédécesseur, 18 • Léon XIII, dans son encyclique Humanum Genus condamnant la franc-maçonnerie : « Arrachez à la francmaçonnerie le masque dont elle se couvre et faites-la voir telle qu’elle est. » Le rapprochement de ces deux textes, l’un sur le modernisme, l’autre sur la maçonnerie, sugLe pape Léon XIII gère un rapprochement de ces deux phénomènes révolutionnaires. Les deux Pontifes semblent suggérer une parenté entre la secte maçonnique et la secte moderniste. Peut-être trouvera-t-on notre expression exagérée, quand nous parlons de « secte moderniste ». Et pourtant, ici aussi, nous ne nous faisons que l’écho des enseignements de St Pie X : « Aucun évêque n’ignore, croyons-Nous, qu’une race très pernicieuse d’hommes, les modernistes, même après l’Encyclique Pascendi dominicis gregis eut levé le masque dont ils se couvraient, n’ont abandonné leurs desseins de troubler la paix de l’Eglise. Ils n’ont pas cessé, en effet, de rechercher et de grouper en une association secrète de nouveaux adeptes, et d’inoculer avec eux, dans les veines de la société chrétienne, le poison de leurs opinions, par la publication de livres et de brochures dont ils taisent ou dissimulent les noms des auteurs. Si, après avoir relu Notre Lettre Encyclique précitée, l’on considère attentivement cette audacieuse témérité qui Nous a causé tant de douleur, on se convaincra sans peine que ces hommes ne diff èrent en rien de ceux que nous avons dépeints dans ce document. Ces adversaires sont d’autant plus à redouter qu’ils nous touchent de plus près ; ils abusent de leur ministère pour tendre l’appât d’une nourriture empoisonnée ; en vue de surprendre la bonne foi de ceux qui ne sont pas sur leurs gardes, ils propagent autour d’eux une apparence de doctrine, qui contient la somme de toutes les erreurs. » 13 Ainsi donc St Pie X parle-t-il au sujet des modernistes d’une société secrète. Peu d’auteurs ont remarqué et examiné ce point. Dans un article d’avril 1964, Jean Madiran se faisait les réßexions suivantes : « Dans l’Encyclique Pascendi, Saint Pie X mentionne à plusieurs reprises et de diverses manières l’action ‘occulte’des modernistes. S’agit-il d’une société secrète au sens strict ? L’Encyclique Pascendi permet de le supposer ; son texte ne l’affirme pas formellement. Mais trois ans plus tard, cette accusation formelle est prononcée par saint Pie X (Motu proprio du 1er septembre 1910) : ‘Les modernistes, même après que l’Encyclique Pascendi eût levé le masque dont ils se couvraient, n’ont pas abandonné leurs desseins de troubler la paix de l’Eglise. Ils n’ont pas cessé, en ef- • fet, de rechercher et de grouper en une association secrète de nouveaux adeptes…’ La tactique moderniste LE MODERNISTE : UN APOSTAT DOUBLÉ D’UN TRAÎTRE Le texte latin dit en cet endroit : ‘Haud enim intermiserunt Pour conclure, laissons le R.P. R.-Th. Calmel OP novos aucupari et in clandestinum foedus ascire socios.’ nous donner une vue panoramique y synthétique de la Il s’agit bien d’une société secrète. question du modernisme, tant du point de vue intellecDans les livres, dans les revues, nous avons consulté les ‘ histuel comme du point de vue moral, tant toires’et les ‘ bilans’du modernisme (en langue de l’aspect tactique que de l’aspect spifrançaise) parus depuis la seconde guerre monrituel : diale : nous n’y avons trouvé aucune allusion à cet aspect précis de la question. « L’hérétique classique, Arius, Nestorius, Non seulement la société secrète est omise, Luther, même s’il a quelque velléité de resmais encore la présentation du modernisme ter dans l’Église catholique, fait ce qu’il faut faite par les uns et les autres en nie implicitepour être exclu : il combat à visage découvert ment l’existence. Elle la nie en ce que leur porla vérité révélée dont le dépôt vivant est gartrait du modernisme est incompatible avec dé par l’Église. L’hérétique, ou plutôt l’apostat l’existence d’une société secrète des modernistes. moderniste, un abbé Loisy, un père Teilhard de Chardin, rejette consciemment toute la On nous parle d’hommes de cabinet, de cherdoctrine de l’Église, mais il nourrit la volonté cheurs, de publicistes, d’ecclésiastiques qui se de rester dans l’Église, et il prend les moyens trompaient sans doute, mais qui étaient autant qu’il faut pour s’y maintenir ; il dissimule, il d’âmes candides : assurément cela est vrai pour fait semblant, dans l’espoir de mener à terme beaucoup d’entre eux ; mais cela ne suffit pas à son dessein de transformer l’Église de l’intérendre compte du phénomène historique que rieur, ou comme l’écrivait le jésuite Teilhard fût le modernisme ; cela n’explique pas la préAlfred Loisy (1857-1940) de Chardin de rectiÞer la foi. Le moderniste a potence organisée, les campagnes concertées, le fatras publicitaire d’insultes ou de louanges, les Prêtre français moderniste, il fut ceci de commun avec d’autres hérétiques qu’il excommunié par saint Pie X refuse toute la révélation chrétienne. Mais tactiques préméditées et les activités occultes le 7 mars 1908. parmi ces hérétiques, il présente ceci de partidécrites par l’Encyclique Pascendi ; et cela Il est mort sans se réconcilier n’explique pas la ‘société secrète’mise en cause culier qu’il dissimule son refus. Le moderniste, er avec l’Eglise catholique par le Motu Proprio du 1 septembre 1910. on ne le saura jamais assez, est un apostat douLes récits de la crise moderniste, les bilans blé d’un traître. du modernisme, les jugements portés sont radicalement viciés par l’ignorance systématique et la dissimulation d’un élément Vous demanderez peut-être : étant donné la position fond’appréciation aussi important. cièrement déloyale adoptée par le moderniste, comment lui est[…] il possible de s’y tenir à longueur de vie, sans faire craquer son Ayant dissimulé l’existence de la société secrète, les histoéquilibre intérieur ? L’équilibre psychologique est-il compatible riens ne nous apportent évidemment aucune lumière sur sa disavec une duplicité entretenue indéÞniment et portant sur les parition. questions suprêmes ? Il faut répondre par l’affirmative en ce C’est pourtant une question ; une question historique non qui touche les chefs de Þle. Pour le grand nombre, qui sont des résolue ; une question posée : à quelle date la société secrète des suiveurs, la question de l’équilibre psychologique à l’intérieur modernistes a-t-elle cessé d’exister ? d’une hypocrisie sans faille est sans doute beaucoup moins aiguë. On ne peut même pas se demander si d’aventure elle ne se D’autant que ces suiveurs, lorsqu’ils sont prêtres – ce qui est fréserait pas ultérieurement ‘reconstituée’; pour se ‘reconstituer’, quent –, Þnissent généralement par contracter mariage, ce qui il faut avoir cessé d’exister : on ignore si et quand elle a été dismet un terme à leur nécessité de dissimuler. Une fois mariés en soute. Mais non seulement on ignore la réponse : on feint d’ignoeffet, ils ont beau rester apostats, ils ne sont plus modernistes. rer la question. Les choses deviennent claires à leur sujet ; ils n’ont plus à contreAuteurs de récits ou de bilans considèrent qu’en 1907 l’Encyfaire les apparences du prêtre catholique. – Pour les chefs de Þle, clique Pascendi a porté un coup mortel au modernisme ; qu’elle pour les prélats placés à un poste important, si leur modernisme a réglé la question ; qu’elle l’a même, en quelque sorte, trop réglée, est praticable sans trop de dégâts psychologiques c’est sans doute trop brutalement, trop complètement. parce qu’ils sont divertis par des complices jamais en repos, par Ce n’était pas l’avis de St Pie X qui, trois ans plus tard, à des ßatteurs infatigables. Étant distraits de faire retour à leur la date du 1er septembre 1910, affirmait en toute netteté : les mopropre cœur, ils peuvent parvenir à échapper aux questions tordernistes n’ont pas cessé de se grouper en une association secrète turantes d’une conscience morale trop lente à mourir. de nouveaux adeptes. Ils n’ont pas cessé… En tout cas, si l’aveuglement de l’esprit et l’endurcissement Mais alors, quand donc ont-ils cessé ? du cœur, si le cas bernanosien de l’abbé Cénabre 15 demeure un 14 grand mystère, il ne laisse pas de se produire et il n’aboutit pas Et même : ont-ils cessé ? » 19 Nouvelles de Chrétienté Nº 84 Novembre — décembre 2003 nécessairement à la folie. – Nous sommes certains que cet emprisonnement dans les ténèbres spirituelles ne se fait pas d’un seul coup, mais se prépare peu à peu par de nombreuses résistances à la grâce. Ce châtiment divin, car il s’agit d’un châtiment, est mérité par bien des péchés. En outre, encore que n’importe quel pécheur puisse se reconnaître un jour et crier miséricorde, il faut bien voir qu’un pécheur de ce genre ne saurait être converti que par un grand miracle de la grâce ; un miracle très rare. » 16 Abbé François KNITTEL 1 Encyclique Acerbo nimis du 15 avril 1905 Décret Sacra Tridentina synodus du 20 décembre 1905 3 Décret Quam singulari du 8 août 1910 4 Encyclique Il fermo proposito du 11 juin 1905 5 Encyclique Ad diem illum lætissimum du 2 février 1904 6 Encyclique Jucunda sane du 12 mars 1904 7 Exhortation Hærent animo du 4 août 1908 8 Motu Proprio Doctoris angelicis du 29 juin 1914 9 Toutes les citations qui suivent sans référence spéciale sont tirées de l’encyclique Pascendi dominicis gregis 10 Proposition 3, condamnée (Dz 1703, DzS 2903) 11 Courrier de Rome — Sì sì no no, mars 1995, p. 8 12 Courrier de Rome — Sì sì no no, décembre 1992, p. 7 13 Motu Proprio Sacrorum Antistitum du 1er septembre 1910 14 Jean Madiran, La société secrète des modernistes, in Itinéraires, n° 82, p. 96-99. 15 Dans les romans L’imposture et La joie de l’auteur français Georges Bernanos, ce prêtre perd la foi mais demeure actif dans l’Eglise. 16 Introduction au catéchisme sur le modernisme du P. Lemius 2 DXd 20 • CES BRÈVES QUI EN DISENT LONG… Après les ADAP les FAP ! L es F.A.P. sont les Funérailles en l’absence de prêtre, suite tristement logique des ADAP, Assemblées dominicales en l’absence de prêtre. Tant il est vrai que l’absence de prêtres se fait de plus en plus cruellement sentir dans l’Eglise conciliaire. Bientôt, il n’y aura guère plus que 8 000 prêtres en France ! La Croix du 3 décembre 2003 explique comment sont formés, en Vendée, ceux qui président ces cérémonies : « Des laïques, retraités pour la plupart, qui ont d’abord suivi la formation à l’accompagnement des familles en deuil, proposée depuis 1993 par le Service diocésain de la pastorale liturgique (SDPL), à raison de dix soirées sur deux ans. Puis, ils ont suivi la formation à la conduite des funérailles en l’absence de prêtre mise en place en 2002, à raison de cinq sessions sur un an. Et après un an de stage, ils ont reçu une lettre de l’évêque leur conÞant cette mission pour trois ans renouvelables, ainsi qu’une petite croix qu’ils portent pour les célébrations. « En la mettant, j’entre dans le mystère pascal de la mort et de la résurrection du Christ », témoigne Christian Piron, retraité de la police et engagé dans la paroisse de Sainte-Marie des Olonnes, qui a été le premier laïc à présider des FAP dans le diocèse de Luçon. « Il faut beaucoup écouter et savoir parler en public », estime Jacques Edom, qui, lui, a été « institué » en 1998 pour présider des sépultures à la paroisse Sainte-Croix et à l’hôpital gériatrique d’Allonnes, au Mans. Il avait reçu à ce titre un vêtement liturgique violet qu’il revêt pour signiÞer cette responsabilité ministérielle ». C’est ainsi qu’aujourd’hui, dans le seul département de la Sarthe, 55 laïques conduisent régulièrement des funérailles. A quand les MAP (Mariages en l’absence de prêtre) ? Cérémonies encore non autorisées en France, mais bien prévues par le nouveau code de Droit canonique (canon 1112), ainsi que l’a rappelé le cardinal Medina, lors de sa conférence du 22 novembre dernier, à Paris. (voir DICI n° 86) Pastores gregis • ACTUALITÉ DE L’ÉGLISE Pastores gregis : l’évêque dans la vision de l’Eglise conciliaire Du 30 septembre au 27 octobre 2001 s’était tenue à Rome la Xème assemblée générale du Synode des évêques, consacrée à l’évêque. Le thème exact en était l’évêque, serviteur de l’Evangile de Jésus-Christ pour l’espérance du monde. Deux ans après1, Jean-Paul II vient de publier l’exhortation apostolique Pastores gregis, qui fait le bilan des travaux de ce synode et présente une synthèse de ce qu’est l’évêque dans la vision de l’Eglise. D isons tout de suite que l’évêque dont le portrait est dessiné est l’évêque selon Vatican II. « Les travaux du Synode ont constamment fait référence à la doctrine sur l’épiscopat et sur le ministère des Evêques présentée par le Concile Vatican II », dit le pape, qui nous vante « cette doctrine lumineuse » 2 : là encore, la lumière est donc venue à l’Eglise par ce concile. Un nouveau magistère Il st très intéressant d’examiner les notes auxquelles renvoie le document, les sources du magistère sur lesquelles il s’appuie. Et l’on constate que, si les Pères de l’Eglise sont cités un bon nombre de fois, entre le VIème siècle et le concile Vatican II on ne trouve en tout et pour tout que quelques mots de saint Thomas d’Aquin ; saint Charles Borromée est cité une fois, ainsi qu’un autre évêque du XVIème siècle, Bartholomeu dos Martires ; enÞ n Pie XI est nommé, à propos du principe de subsidiarité. Et c’est tout ! On enjambe allègrement plus de treize siècles de l’histoire de l’Eglise, de ses papes, de ses conciles, de ses saints, docteurs, théologiens, etc., on les renvoie au néant d’où ils n’auraient jamais dû sortir selon les modernistes. Ce document nous conÞ rme une nouvelle fois que l’Eglise conciliaire obéit à un nouveau magistère, inauguré au concile Vatican II ; Vatican II qui, lui, est cité abondamment (81 renvois en notes). Paul VI est cité 12 fois ; enÞ n le pape, en toute modestie, se cite lui-même 54 fois. On voit donc que le concile 21 Nouvelles de Chrétienté Nº 84 Novembre — décembre 2003 • Pastores gregis (Suite) CES BRÈVES QUI EN DISENT LONG… (SUITE) Vatican II est la référence constante, on peut dire qu’il est omniprésent. Cette exhortation du pape, comme tous les textes du Saint-Siège, comporte quelques bons passages qui nous réjouissent. Le chapitre II, consacré à la vie spirituelle de l’évêque, est bienvenu et off re de belles considérations. Et sa place en tête du document est sans doute le signe de son importance dans la pensée de ses auteurs. Mais on peut malheureusement être pieux et avoir la tête emplie d’erreurs. Le chapitre VI Dans la communion des Eglises reprend à son compte la doctrine et la pratique de la collégialité, mais avec les limites posées par le motu proprio Apostolos suos du 21 mai 1998, qui blâmait certains abus, en particulier au niveau des Conférences épiscopales. Le texte rappelle par exemple le pouvoir personnel et de droit divin que l’évêque possède sur son diocèse, auquel la Conférence épiscopale ne peut se substituer 3. Mais ne nous leurrons pas : à part des passages assez neutres, l’essentiel du texte est bien dans la ligne conciliaire. L’exhortation rappelle les devoirs des évêques quant à la foi : « Le Concile Vatican II explique que la mission d’enseignement propre aux Evêques consiste à garder saintement la foi et à l’annoncer courageusement. » 4 « Les Evêques défendront avec fermeté l’unité et l’intégrité de la foi. » 5 Mais il s’agit d’une foi au contenu nouveau, celle de l’Eglise conciliaire. Car rien ne manque dans ce document : la nouvelle liturgie (l’évêque « préside l’assemblée eucharistique », qui est « la célébration du Mystère pascal » 6), le sacerdoce commun des Þdèles 7, la collégialité 8, le dialogue interreligieux 9… L’Eglise comme communion Si l’on veut rechercher plus avant ce qui ressort de ce texte, ce qui en est la dominante, je crois que c’est l’insistance sur la notion de l’Eglise conçue comme une communion. Insistance lourde, obsessionnelle. Le mot communion est mis à toutes les sauces : il Þgure 127 fois dans le texte ! « L’ecclésiologie de communion » est au cœur de la doctrine de la nouvelle Eglise conciliaire, au point qu’elle devient un bon critère pour juger si un texte est conforme à la doctrine catholique ou à la doctrine conciliaire. Or cette expression (plus précisément « l’ecclésiologie de communion et de mission ») apparaît quatre fois dans notre texte. Et la « spiritualité de communion », à la- 22 Un Martini rouge A u cours d’une conférence donnée en la cathédrale de Strasbourg, le 2 décembre 2003, le cardinal Martini, ancien archevêque de Milan, a montré qu’il était resté très Þdèle à sa doctrine ultra-progressiste. Après avoir confessé sa conÞance en l’avenir : « L’Eglise pourra même se réduire considérablement en nombre en Europe, mais elle sera toujours présente dans l’un ou l’autre lieu de notre terre. Il est même permis de penser qu’elle sera toujours davantage présente dans tous les coins du monde », le célèbre prélat jésuite a indiqué les conditions qui, d’après lui, sont nécessaires à la pérennité de l’Eglise, selon l’idée qu’il s’en fait : Tout d’abord « le devoir d’une collaboration œcuménique fraternelle et convaincue, une plus vive conscience du rapport entre les Eglises chrétiennes et le peuple juif et du rôle singulier d’Israël dans l’histoire du salut », notamment quand « l’esprit antisémite semble reprendre une certaine vigueur » ; « un rapport fraternel et intelligent avec l’islam » avec la conscience de « la divergence notable entre culture européenne et pensée musulmane », mais pas en vue de « se renfermer dans une forteresse européenne » ; un renforcement du laïcat dans l’Eglise et en particulier de la place des femmes à qui il faut « attribuer des fonctions ecclésiales qui reviennent de droit aux laïcs » ; enÞ n des « changements de structures, certaines simpliÞcations, des déplacements d’accents » dans l’Eglise dont il serait opportun de discerner les orientations à travers la convocation d’un « synode universel ». On est en droit de se demander si les conditions de la pérennité de l’Eglise, selon le cardinal Martini, ne sont pas plutôt les moyens de sa destruction. Pastores gregis • Pastores gregis rir ensemble le chemin de foi et de mission qui est commun à tous. […] (Fin) La communion ecclésiale, dans son caractère organique, met en cause la responsabilité personnelle de l’Evêque, mais elle suppose aussi la participation de toutes les catégories de Þdèles en tant que coresponsables du bien de l’Eglise particulière qu’ils forment eux-mêmes. […] La communion étant l’expression de l’essence de l’Eglise, il est normal que la spiritualité de communion tende à se manifester sur le plan personnel comme sur le plan communautaire, suscitant des formes toujours nouvelles de participation et de coresponsabilité au sein des différentes catégories de Þdèles. L’Evêque s’efforcera donc de susciter dans son Eglise particulière des structures de communion et de participation telles qu’elles permettent d’écouter l’Esprit qui vit et parle dans les Þdèles, aÞ n de les amener ensuite à mettre en œuvre ce que ce même Esprit suggère pour le bien authentique de l’Eglise. » quelle Jean-Paul II en particulier a donné une impulsion dans sa lettre apostolique Novo millenio ineunte 10, Þgure pas moins de dix fois ! L’évêque doit « la cultiver », s’en faire « le promoteur et l’animateur » 11. L’Eglise n’existe qu’en tant que communion, tout est vu dans cette perspective. Au niveau local, la communion s’incarne dans la communauté, qui est son expression concrète. Là aussi, l’insistance sur ce mot est frappante : lui ou communautaire reviennent 62 fois. L’application de la communion au gouvernement diocésain Le paragraphe 44, qui traite du gouvernement du diocèse, mérite que nous en citions quelques passages ; il nous éclairera sur l’esprit de ce document : « La communion ecclésiale vécue conduira l’Evêque à un style pastoral toujours plus ouvert à la collaboration de tous. Il y a une sorte de circularité entre les décisions que l’Evêque est appelé à prendre en engageant sa responsabilité personnelle pour le bien de l’Eglise qui lui est conÞée et l’apport que les Þdèles peuvent lui offrir par le biais des organismes de consultation, tels le synode diocésain, le conseil presbytéral, le conseil épiscopal et le conseil pastoral. Les Pères synodaux n’ont pas manqué d’évoquer ces modalités d’exercice du gouvernement épiscopal, grâce auxquelles l’action pastorale s’organise dans le diocèse. En effet, […] tous les Þdèles, en raison de leur baptême, participent, d’une manière qui leur est propre, au triple munus 12 du Christ. Leur égalité réelle en dignité et dans l’action fait que tous sont appelés à coopérer à l’édiÞcation du Corps du Christ, et donc à mettre en œuvre la mission que Dieu a conÞée à l’Eglise dans le monde, chacun selon sa condition et ses devoirs. […] L’Eglise est une communion structurée, qui se réalise dans la coordination des divers charismes, ministères et services, et est ordonnée à l’obtention du but commun qui est le salut. L’Evêque est responsable de la réalisation de cette unité dans la diversité, favorisant, comme cela a été dit dans l’Assemblée synodale, la synergie des divers acteurs, de telle sorte qu’il soit possible de parcou- On voit que le gouvernement d’un diocèse devient un exercice qui demande une grande souplesse. Pour mettre en œuvre ces recommandations, et arriver à concilier leur « responsabilité personnelle » avec la « coresponsabilité » des Þdèles, les évêques doivent faire des contorsions certainement intéressantes à observer. Cette exhortation du pape nous montre une nouvelle fois que, dans tous les domaines, la doctrine et la pratique de Vatican II s’installent, elles s’imposent. Les excès sont au besoin « recadrés », on s’en tient à la ligne de Vatican II, mais Rome n’est pas du tout en train de revenir à la Tradition, comme certains voudraient nous le faire accroire. Abbé Jean-Marie BERNARD 1 Le 16 octobre, jour anniversaire de son élection. § 2. 3 § 63. 4 § 28. 5 § 29. 6 § 37. 7 § 10. 8 § 8. 9 § 68. 10 6 janvier 2001. 11 § 22. 12 C’est-à-dire ses fonctions de docteur, de prêtre et de roi. 2 23 Nouvelles de Chrétienté Nº 84 Novembre — décembre 2003 • CES BRÈVES QUI EN DISENT LONG… (FIN) Silence, on prie ! A l’occasion du quarantième anniversaire de la Constitution sur la Liturgie sacrée, Sacrosanctum Concilium, Jean-Paul II a publié une lettre apostolique. Dans le dernier chapitre, consacré à la « prospective » à la lumière de la « nouvelle évangélisation », il fait un éloge de « l’expérience du silence » qui ravira les Þdèles attachés à la liturgie traditionnelle : « Dans une société qui vit de façon toujours plus frénétique, souvent assourdie par le bruit et égarée dans l’éphémère, redécouvrir la valeur du silence est vital ». Et le pape poursuit avec une allusion aux emprunts qui se font aujourd’hui aux spiritualités orientales : « Ce n’est pas un hasard si, au-delà du culte chrétien, se répandent des pratiques de méditation qui donnent de l’importance au recueillement. Pourquoi ne pas engager, avec une pédagogie audacieuse, une éducation spéciÞque au silence à l’intérieur des coordonnées de l’expérience chrétienne ? » Et pourquoi ne pas permettre aux Þdèles de faire tout simplement « l’expérience de la Tradition », de la liturgie traditionnelle où ils trouveraient ce recueillement qui leur manque dans les messes-kermesses ? Ne serait-ce pas plus approprié que cette « éducation spéciÞque au silence à l’intérieur des coordonnées de l’expérience chrétienne » ? C’est qu’il faut, malgré tout, sauver la liturgie conciliaire en ne dénonçant que des abus : « abus quelquefois graves qui n’ont rien à voir avec l’esprit authentique du Concile », car « le renouvellement liturgique réalisé pendant ces décennies a démontré comment il est possible de conjuguer une norme qui assure à la liturgie son identité et sa dignité, avec des espaces de créativité et d’adaptations, qui la rapprochent des différentes régions, situations et cultures ». La rédaction de Nouvelles de Chrétienté vous souhaite de saintes fêtes de Noël et vous présente tous ses vœux pour l’année 2004. FRATERNITÉ SACERDOTALE ST-PIE X MAISON GÉNÉRALE Directeur de la publication Abbé Arnaud Sélégny Rédacteur Abbé Alain Lorans Abonnement Normal : 20,- € – Etranger : 24,-- € de soutien : 40,Prix au numéro: 3,50 € France : chèque à l’ordre de : Association CIVIROMA Suisse : CCP 60-29015-3, Priesterbruderschaft St. Pius X. Schwandegg — 6313 Menzigen Adresse postale DICI-Presse – Etoile du Matin F – 57 230 EGUELSHARDT Autrement dit, cette liturgie conciliaire veut être, au nom de l’acculturation, la norme une au milieu des créativités multiples. Oxymore, more and more ! Imprimeur Plano-Print Am Gewerbering, 8 D- 84069 SCHIERLING 24