charlotte perriand et le japon

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charlotte perriand et le japon
CHARLOTTE PERRIAND
ET LE JAPON
23 FÉVRIER – 26 MAI 2013
GUIDE
DU
VISITEUR
« L’esprit traditionnel japonais
présente d’infinies similitudes
avec notre art moderne. »
Charlotte Perriand
L’évocation de l’épopée de Charlotte Perriand
au Japon dès 1940 s’inscrit tout naturellement
dans le thème 2013 de la Biennale Internationale
Design : l’empathie. En effet, cette exposition
retrace une rencontre riche d’influences
mutuelles : les créations de Charlotte Perriand
sont marquées par la découverte de l’esthétique
japonaise, tandis que le Japon trouve dans
cet échange, matière au développement
d’un véritable design japonais.
Diplômée de l’Union Centrale des Arts Décoratifs
en 1925, Charlotte Perriand (1903 – 1999)
conçoit pour son appartement-atelier de la place
Saint-Sulpice à Paris, un ensemble de mobilier
et son désormais célèbre Bar sous le toit, en acier
chromé et aluminium anodisé, qu’elle expose
au Salon d’automne en 1927. Cette réalisation
lui ouvre les portes de l’atelier de Le Corbusier,
aux côtés de Pierre Jeanneret et d’autres
architectes, comme Junzô Sakakura, qui devient
un ami proche. Il lui offre Le livre du thé 1, une
première prise de contact avec la philosophie et
l’éthique japonaise.
Dans l’atelier, les principes clefs de la modernité
sont appliqués au mobilier comme à l’habitat :
fonctionnalisme, standardisation, préfabrication,
plan libre, façade libre, ouverture de l’intérieur
vers l’extérieur. En 1929, l’Union des Artistes
Modernes est fondée par Robert Mallet-Stevens,
Francis Jourdain, Pierre Charreau, René Herbst,
Le Corbusier et Charlotte Perriand.
Ces derniers affirment la rupture avec l’Art
Déco et la volonté de défendre les tendances de
l’avant-garde en simplifiant le décor, valorisant
la fonction et en employant des matériaux liés
à l’industrie (verre, métal, acier).
A
« Certes, j’approuvais « la forme issue de la fonction »
prônée par le Bauhaus, mais, au-delà, j’ajoutais la notion
de son rapport à l’homme, sensible à l’œil, au toucher,
même à l’oreille » remarque-t-elle.
En février 1940, Junzô Sakakura recommande Charlotte
Perriand à Ryôchi Mizutani, chef du service pour le
développement extérieur, pour un poste de conseillère
au Japon. Tandis que l’Europe fait face à la seconde guerre
mondiale, le Japon (puissance impérialiste et militaire,
ouverte officiellement sur l’extérieur qu’au milieu
du XIXe siècle), poursuit sa reconversion économique.
En invitant des spécialistes étrangers, comme l’architecte
allemand Bruno Taut, le Japon mise sur la production
d’objets spécifiquement conçus pour l’Occident afin de
développer le commerce et les exportations. Charlotte
Perriand décide de saisir l’opportunité et se voit confier
de nombreuses missions qui la positionnent en véritable
ambassadrice de la culture française : « Je pars pour une
autre civilisation : l’Orient au Japon. Je pourrais y faire
une bonne propagande pour l’art français… C’est une
place que les Boches n’auront pas. Il faut tenir. »
Dans ses bagages, elle apporte des photographies,
des tableaux de Fernand Léger, des publications sur
Pablo Picasso, des plans de bâtiments préfabriqués…
1. Okakura Kakuzô,
Le livre du thé, 1906.
A. Chaise longue bambou,
Tokyo, 1940. Photo Archives
Perriand. © ADAGP, Paris, 2013.
B
Elle quitte Paris le 11 juin 1940 et embarque à bord
du Hakusan Maru. À cette occasion, elle rencontre
l’historien et ethnologue Narimitsu Matsudaira, membre
de la famille impériale, qui lui fait découvrir l’esprit
traditionnel japonais à travers l’art religieux, les fêtes
traditionnelles populaires, les rites shintos. Pendant sept
mois, elle parcourt les campagnes d’un pays qui ignore
l’usage des tables et des chaises au profit des tatamis,
unité de mesure de l’espace de la maison, véritable
standard architectural. Elle porte un grand intérêt aux
savoir-faire des artisans et des industriels, notamment
aux techniques de la laque, du tissage et du tressage.
Elle se passionne pour les bambous, leur faible coût
et leur haute qualité technique (résistance, élasticité).
Elle s’insurge contre la production de « japonaiseries »
et critique les tentatives de copies des formes d’objets
occidentaux dont les Japonais ne saisissent pas l’usage.
Elle remarque par exemple un grille-pain
copié d’après une revue américaine dont les
dimensions sont disproportionnées. Charlotte
Perriand multiplie les conférences, les visites
d’instituts, d’écoles et encourage une vision
moderniste en conseillant de « […] ne pas
baisser la qualité, ni technique, ni plastique,
ni des matières ; [de] rechercher de nouvelles
matières et [de se] rappeler que l’art est fait
de moyens simples et que l’extrême
simplification est le plus haut degré de l’art ».
Elle vise à favoriser une production qui sache
autant mettre à profit les techniques
traditionnelles qu’à développer l’industrie.
B. Charlotte Perriand, Chaise ombre, 1954.
Photo Archives Perriand. © ADAGP, Paris, 2013.
L’exposition Sélection – Tradition – Création est aussi
le lieu de la poursuite d’un engagement politique fort
de Charlotte Perriand. En exposant Pablo Picasso (sans
le mentionner) et Fernand Léger, elle donne à voir ce que
le fascisme allemand considère comme un « art dégénéré ».
En faisant inscrire sur un tapis l’idéogramme chinois
« Vérité » qui peut aussi se lire « Libre » en japonais,
elle invite les japonais à piétiner un tapis devenu symbole,
alors que le Japon est en guerre avec la Chine depuis 1931.
Bloquée au Japon, qui a rejoint l’alliance militaire de l’Axe,
Charlotte Perrriand conçoit l’aménagement de la maison
d’Etienne Sicard et travaille avec Junzô Sakakura sur les
questions de préfabrication en architecture. Ce sujet lui
est déjà familier : elle a conçu des bâtiments préfabriqués
pour l’usine SCAL à Issoire avec Pierre Jeanneret en 1939
et 1940. Junzô Sakakura et Charlotte Perriand appliquent
la logique de la standardisation et de la préfabrication
de l’architecture japonaise traditionnelle, basée sur le
tatami, à l’architecture moderne.
Afin de rendre compte de
ses missions et d’apporter de
nouvelles propositions, Charlotte
Perriand réalise l’exposition
Contribution à l’équipement
intérieur de l’habitation, Japon.
Sélection – Tradition – Création
en 1941, avec le concours des
magasins Takashimaya de Tokyo
qui prennent en charge une part
du financement de l’exposition,
des nombreux prototypes et
de leur commercialisation.
Ci-dessus :
Exposition Sélection – Tradition – Création,
Tokyo, 1941. Photo Archives Perriand.
© ADAGP, Paris, 2013.
Dans cette exposition, des productions Mingei 2, des
dessins de Pablo Picasso, une reproduction d’un tableau
de Fernand Léger et les productions de Charlotte Perriand
se côtoient. Elle propose des réadaptations techniques
de meubles conçus en France avant la guerre en utilisant,
le bois, le bambou, les tressages de paille, de riz ou de
jonc. Elle crée également de nouveaux modèles à partir
du bambou. Une tapisserie, copie d’un dessin d’enfant
est réalisée par un artisan de renom sur ses instructions.
Elle provoque le scandale en installant une vitrine
barrée d’un ruban rouge dédiée aux maîtres de l’Art
Déco qu’elle considère comme des contre-exemples.
D’ailleurs, l’exposition est vivement commentée,
positivement, mais aussi, négativement.
L’introduction de matériaux bruts comme le bois crée
des divergences esthétiques profondes ; certains critiques
japonais considèrent qu’elle relève d’une exhibition de la
nature qui va à l’encontre de la modernité.
Après Pearl Harbor et une longue période de résidence
surveillée, Charlotte Perriand souhaite rejoindre les
États-Unis, mais ne parvient qu’à se rendre en Indochine,
sous domination française. Elle s’y installe jusqu’en 1946,
elle devait y être« conseillère pour les arts appliqués »
mais la guerre réduit ses ambitions.
De retour en France, Charlotte Perriand collabore avec
de grands architectes modernistes. Jean Prouvé fait appel
à elle pour améliorer l’esthétique de ses productions et pour
diriger la création du département meuble de son usine.
En 1952, Jacques Martin, son mari depuis 1943, est
nommé directeur d’Air France Asie à Tokyo. À l’occasion
du lancement de la liaison Paris-Tokyo par la compagnie,
Charlotte Perriand conçoit l’agence de Tokyo pour laquelle
elle crée un dispositif cinétique de 13 mètres de long,
qui anime le mur du fond. Elle crée aussi un ensemble de
meubles pour l’appartement qu’elle occupe avec son mari,
dans une maison traditionnelle. Au cours de ce nouveau
séjour au Japon, elle affine une approche combinatoire
qui lui permet de composer une grande diversité de
meubles à partir d’éléments standardisés.
Entre 1953 et 1955, Charlotte Perriand participe à la mise
en place du Japan Committee on International Design qui
réunit les designers japonais sous la direction de
Sôri Yanagi, qui l’avait accompagnée lors
de son premier séjour. En 1955, elle organise
l’exposition Pour une synthèse des arts à Tokyo
dont l’objectif est de « montrer les tendances et
préoccupations de l’Occident, en ce qui concerne
les arts plastiques et l’habitat. Elle est basée
sur deux thèmes d’actualité : exprimer la
collaboration entre les artistes et les producteurs
industriels et réaffirmer le rapport d’unité entre
l’architecture, la peinture et la sculpture ».
Elle publie en 1956, un article intitulé Crise
de geste au Japon 3 dans lequel elle plaide pour
le développement d’une modernité japonaise qui
n’oublie pas ses racines : « le Japon se laisserat-il submerger par l’apport de l’Occident, par
cette poussée irrésistible de la science ?
Et tout son passé, ainsi que le nôtre l’est devenu,
ne sera-t-il que folklore usé ? Le remplacerat-il en assimilant l’époque moderne avec son
génie propre comme il l’a fait des civilisations
anciennes ? ».
2. Mingei :
diminutif de minshûteki
kôgei, littéralement « art
populaire fait par le peuple
et pour le peuple ».
Fondé par Soêtsu Yanagi,
ce mouvement voit le
jour en 1926 en réaction
à l’industrialisation
des objets de la vie
quotidienne, comme le
mouvement Arts- &- Crafts
quelques décennies
auparavant en Angleterre.
3. Charlotte Perriand,
Crise de geste au Japon,
CASABELLA, n° 210, Italie,
1956.
en connivence
avec
Charlotte
Perriand
COLLECTION DESIGN
Ci-dessus :
Maison de thé, UNESCO, 1993.
Photo Archives Perriand. © ADAGP, Paris, 2013.
C
Cet accrochage de la collection en connivence avec
Charlotte Perriand, reprend l’étude Délassement publiée
dans Techniques et Architecture – L’art d’habiter 9 – 10.
Charlotte Perriand détaille notamment dans ce chapitre,
l’emploi de la technique des bois courbés avec Michael
Thonet, du tube d’acier avec Marcel Breuer et René Herbst,
du contreplaqué cintré avec Hans Pieck, du bois lamellé
avec Alvar Aalto. Les concepteurs tenant du modernisme,
recherchent, pour le mobilier de l’entre-deux-guerres,
une pureté formelle associée à une plus grande diffusion
via une fabrication industrielle en série, afin d’optimiser
les coûts de production.
Déjà, vers 1900, la firme Thonet avec la Chaise n°20
est une des premières entreprises en Europe à imaginer
des solutions techniques pour une édition de mobilier à
échelle européenne. Le Corbusier utilise d’ailleurs ce type
de sièges, à ses débuts, pour meubler ses architectures.
Dans les années 1960, le Japon devient
une puissance économique de premier plan.
L’ambassadeur du Japon à Paris demande à Junzô
Sakakura de construire une résidence symbole
du nouveau statut de son pays. Charlotte Perriand
en conçoit l’architecture intérieure et le mobilier.
Au cours des échanges entre Charlotte Perriand
et les designers japonais, les préoccupations
des uns et des autres entrent en résonance.
En 1993, elle réalise pour l’Unesco, la Maison
de thé, un projet éphémère qui démontre
sa sensibilité à l’égard de la spiritualité japonaise
et incarne le point ultime de cette « vie de
création » marquée par la tradition nippone.
Dès la création de sa collection de design, le Musée d’art
moderne de Saint-Étienne Métropole a accueilli les œuvres
de Charlotte Perriand. La proximité, à Firminy, d’un
ensemble architectural remarquable dû à Le Corbusier,
André Wogenscky, André Sive et Marcel Roux, a induit
certaines des acquisitions. La reconnaissance de
l’originalité et de la singularité de Charlotte Perriand
a été également un facteur déterminant. Elle est un des
premiers designers, bien avant la génération des années
1970, à ne pas être issue du domaine architectural. Elle
inaugure ainsi l’instauration d’une nouvelle profession
que l’on ne nomme pas encore designer.
Dans cet accrochage de la collection, en contrepoint
de l’exposition, la déclinaison de chaises, de fauteuils,
de tables, est accompagnée par l’œuvre de peintres qui
partagent les mêmes aspirations. Dans Archaische Figur
(1921), Willi Baumeister rapproche peinture et architecture
dans un tableau abstrait. Avec ses « dynamismes de
plans », nous pouvons rapprocher ce tableau du purisme
d’Amédée Ozenfant et de Le Corbusier, ou de l’esthétique
du Bauhaus, représentée ici par les tables de Marcel
Breuer, le fauteuil et le tabouret de Mies Van Der Rohe.
D
Dès 1942, Charles et Ray Eames s’engagent vers
une nouvelle esthétique organique. Mettant à profit
les possibilités techniques et formelles du moulage
E
C. Sôri Yanagi, Tabouret
Butterfly, 1953. © D.R.
D. Charles et Ray Eames,
LCW (Lounge Chair Wood),
1945. © D.R.
E. Willi Baumeister,
Archaische Figur, 1921.
Collection Musée d’art
moderne Saint-Étienne
Métropole.
Photo Yves Bresson.
© ADAGP, Paris, 2013.
du contreplaqué, ils s’allient avec l’entreprise
Evans Products (spécialisée dans l’automobile
et les équipements pour l’aéronautique)
et mettent au point le prototype de la LCW
(Lounge Chair Wood, 1945). Charlotte Perriand
fait d’ailleurs le choix d’utiliser certaines chaises
des Eames dans son aménagement de l’agence
Air France de Tokyo.
Danse de personnages et d’oiseaux (1968)
témoigne de l’amitié de Charlotte Perriand
et de Joan Miró mais également de leur intérêt
pour une écriture primitive qui fascine bien
des créateurs du milieu du XXe siècle comme
George Braque et ses compositions inspirées
par la Grèce 4, comme Jean Dubuffet et l’art brut.
Le tapis de l’exposition Sélection – Tradition – Création, tissé selon la photographie d’un graffiti
de marin prise par Charlotte Perriand relève de cette
même démarche singulière. Hellen Levitt agit de
même lorsqu’elle réalise sa série de Vintages
dans Manhattan.
Une place est également faite aux solutions
d’aménagement d’après-guerre pour les Maisons
d’étudiants de la Cité universitaire du Boulevard
Jourdan à Paris comme cet ensemble Le CorbusierPerriand pour la Maison du Brésil.
Enfin, Sôri Yanagi, reprend la technique du
moulage du contreplaqué dans son Tabouret
Butterfly, 1953. Cette structure minimaliste
évoque la légèreté et l’élégance du papillon,
et se profile comme une synthèse de cette
rencontre entre formes traditionnelles japonaises
(en référence à la forme des portiques shintoïstes)
et modernité assumée, marquant de ce fait,
l’influence considérable de Charlotte Perriand
sur l’histoire du design.
Exposition réalisée par le Musée d’art moderne
de Saint-Étienne Métropole avec le soutien de
la Région Rhône-Alpes et de l’État – Direction
régionale des affaires culturelles Rhône-Alpes.
En partenariat avec les Archives Perriand, the
Japan Association of Art Museums/The Yomiuri
Shimbun, la Maison de la Culture du Japon – Paris,
Cassina, la Comédie de Saint-Étienne et le lycée
horticole de Montravel à Villars.
Commissaires : Martine Dancer, Pernette Perriand,
Jacques Barsac.
4. Voir Cahier d’art, 1940.
INFOS
PRATIQUES
Musée d’art moderne de
Saint-Étienne Métropole
Rue Fernand Léger
42270 Saint-Priest-en-Jarez
T. +33 (0)4 77 79 52 52
F. +33 (0)4 77 79 52 50
[email protected]
www.mam-st-etienne.fr
Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h.
Fermé le mardi sauf pendant
les vacances scolaires de la zone A.
Fermé le 1er mai.
Entrée
1. Charlotte Perriand et le Japon
2. Barthélémy Toguo
3. Christian Lhopital
4. Collection design : en connivence
avec Charlotte Perriand
5. Collection : Le Cortège de l’art
Parcours de visite

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