Aix trop belle, trop aimée - CIQ Cézanne
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Aix trop belle, trop aimée - CIQ Cézanne
ARTICLE PARU DANS LE JOURNAL LE MONDE Le 28 août 1976 LE PRÉSENT ÉTOUFFE LE PASSÉ AIX TROP BELLE, TROP AIMÉE AIX-EN-PROVENCE mourra peut-être d'avoir été trop belle, étouffée par le succès et l'amour qu'on lui porte. Autrefois, Aix était une vraie ville dans une vraie campagne. Les abîmes ombreux du cours Mirabeau, sombre faille sous les platanes, le dédale animé de la vieille ville, les rues austères du quartier Mazarin, les places de la ville haute où s'installent toujours, vaille que vaille, les marchés de plein air, tout ici ressemble à une ville. Des derniers étages des maisons du cours Mirabeau, on embrassé une houle rosé et beige de toits d'où jaillit la verdure de jardins secrets. En arrière-plan, la campagne aixoise. Ces paysages dont la perfection attira tant d'artistes ont été peu à peu saccagés. Tant de beauté, la douceur provençale... et les emplois industriels de Fos, de l'étang de Berre et de Marseille ont attiré beaucoup de monde. Ingénieurs atomistes de Cadarache, techniciens supérieurs de Fos, « décentralisés » de tous horizons, rêvent d'habiter Aix. Ils y viennent, mais c'est un marché de dupes : la ville qui les attire tient ses admirateurs à distance. Les chiffres sont clairs et confirment tout à fait le nouveau visage d'Aix que l'on découvre de l'autoroute : la vieille ville (14.000 habitants) est enfermée dans une gangue de quartiers neufs où vivent cent mille personnes. La plupart sont venus à Aix depuis peu et sans doute n'y resteront pas : étudiants, ingénieurs, Le parc de la Torse. Entre 1975 et 1978 la chercheurs, « tournent » très vite, et 63 % des mobilisation des associations et des CIQ a permis habitants de 1975 n'étaient pas là en 1968. Le «boom » date des années 1955-1960 : + 31% sa création et l’abandon du Boulevard Est d'habitants entre 1954 et 1962 (contre 8% pour la France entière) et un taux annuel d'augmentation de 8,9 % depuis. Trop brutale et trop rapide, cette croissance inattendue n'a pas été maîtrisée. Les nouveaux venus se sont installés tant bien que mal dans les ZUP et les ZAC, et la vieille ville continue à jouer pleinement son rôle de centre très actif. De là viennent les difficultés actuelles. Spirale infernale « Prendre un café sur le cours Mirabeau coûte 250 francs. » Cette formule de M. Charles Debbasch, président de l'université de droit et d'économie, résume la situation. « C'est le prix d'une contravention. Car il est impossible de stationner en plein centre et difficile de s'y rendre autrement qu'en voiture. » Les rues étroites - et très commerçantes - de la vieille ville sont saturées, tes boulevards qui l'entourent aussi, du moins à certaines heures. Et, au-delà, c'est le maquis des quartiers plus récents, où des bâtiments très fréquentés (universités, lycées, hôpital) sont Installés au milieu des pavillons et où les rues qui convenaient à un faubourg, même élargies, ne suffisent plus. Des travaux importants ont, bien sûr, été réalisés : au sud une route à quatre voies, parallèle à l'autoroute de Provence, traverse les quartiers neufs ; à l'ouest, une autoroute, agrémentée de monstrueux échangeurs (où trône la Fondation Vasarely que beaucoup prennent pour une usine ou un supermarché), contourne la ville...et !a sépare des quartiers en construction au Jas-de-Bouffan. Dans le centre, on creuse des souterrains, et plusieurs ruelles ont été très agréablement aménagées pour les piétons. Mais il reste beaucoup à faire, et surtout à imaginer, « Un trésor sous les prés » Faut-il, en effet, se laisser entraîner dans la spirale infernale ? Adapter sans fin la ville à l'automobile et lui sacrifier les derniers espaces verts proches du centre ? Non, répondent les associations de défense, notamment à propos des projets routiers à l'est de la ville qui menacent un secteur resté jusqu'ici presque rural : La vallée de la Torse, qui coule sous les arbres à quelques encablures de la vieille ville, le parc de la Cortésine et un champ thermal méconnu et non exploité. L'idée du maire socialiste, M. Félix Ciccolini, est simple : « Les boulevards sont saturés. Il passe vingt-trois mille véhicules chaque jour sur le boulevard Jean-Jaurès, faitil remarquer, Il faut faire un cercle plus grand. C'est tout bête». Boucler le contournement qui existe déjà au sud et à l'ouest, par un boulevard qui assurerait la liaison entre les quartiers périphériques et desservirait mieux le lycée Paul Cézanne, l'hôpital, les cliniques... voilà l'objectif. Si on parle de « rocade », le maire rétorque : « Pas du tout. Il s'agit d'un boulevard urbain, avec des feux de croisement, une vitesse limitée, deux voies dans chaque sens. Un boulevard comme celui qui traverse les quartiers sud. » Pour les associations de défense, c'est beaucoup trop. La vitesse limitée n'est pas, selon elles, respectée sur ce genre de voies, dangereuses pour les riverains. Groupées autour de la Ligue de défense de la vallée de la Torse et de l'Union La citerne ou pyramide de départementale pour la sauvegarde de la vie et de la nature (U.D.V.N.), elles ont organisé, en mal dernier, une grande Vauvenargues proche de la Cortésine journée d'explications et un pique-nique sur le terrain. Pour les associations, le projet de rocade — ou de boulevard — va éventrer les quartiers et sous prétexte de les desservir sera « à l'origine de nouvelles constructions » et a enfin l'inconvénient de « cisailler le champ thermal inexploité des thermes Baret. «C'est un trésor qui dort sous les près », dit le docteur Martial Teboul, gynécologue-accoucheur. « Les médecins doivent être conscients des problèmes de l'eau », déclare le praticien, qui dénonce l'analyse Insuffisante de la question et l'absence d'études complémentaires, pourtant recommandées en 1971, par un premier rapport scientifique. De nombreux documents montrent, selon lui, l'intérêt des eaux thermales de Baret et leur liaison avec celles du centre-ville. La citerne de Vauvenargues, qu'on aperçoit, non sans mal, au milieu d'un pré, est l'entrée, d'après Mme Teboul, de trois salles voûtées. (voir photo ci dessus). « C'est le seul endroit, affirme le docteur Teboul, où l’on pourrait faire un ensemble thermal avec les sources, le parc et des promenades le long de la Torse, tandis que les installations situées en ville n'offrent aucune possibilité d'extension » D'autres, moins sensibles au dossier des sources thermales et de leur éventuelle exploitation —presque aussi redoutable, à leurs yeux, que les projets routiers, —voient surtout dans les projets de boulevard une erreur d'urbanisme. Une zone verte a été miraculeusement conservée près de la ville. Il faut, disent-Ils, l'aménager en parc public, en zone naturelle et presque sauvage. Déjà 2010 - toujours d’actualité : Préserver l’Est d’AIX de voie nouvelle servant quelques groupes au transit et à l’urbanisation toujours croissante et injustifiée des d'immeubles s'élèvent au communes de Saint-Marc - Jaumegarde et de Vauvenargues milieu des prés. « Si l'on en facilite l'accès, ils se multiplieront », affirment les associations. Leurs craintes semblent fondées. Déjà, un projet de zone d'aménagement concerté (Z A C), sur 20 hectares, a été approuvé par la municipalité : le promoteur construira deux cents logements et... cédera gratuitement l'emprise du futur « boulevard », méthode couramment employée à Aix et ailleurs pour économiser les fonds municipaux. « On sait bien que l'ouverture de voies nouvelles incite à circuler davantage, rappelle de son côté M. Debbasch. La création de voies disproportionnées est incompatible avec la vie urbaine. Aix est une ville où les gens restaient le dimanche ; maintenant, ils s'en vont... Il faut rompre l'encerclement de la vieille ville, créer une vie de quartier. Deux cent mille habitants ne peuvent pas vivre sur un centre de quinze mille ; c'est une souricière. » Le maire lui-même ne sait plus que penser : « On discute pendant cinq ans avec les comités de quartier, dit-il. Et quand on veut réaliser, on a de nouveaux interlocuteurs... Si l'on me prouve que 8 mètres de large suffisent, je ferai 8 mètres. » « Mais pour ce qui est de l'exploitation des thermes, la ville est liée par contrat à un concessionnaire jusqu'en 1987 ; je ne peux rien faire », estime M. Ciccolini. Quant aux espaces verts, « j'ai prévu d'aménager une promenade de 70 mètres de large, le long de l'Arc». Ses opposants trouvent que c'est bien peu et que, si près de l'autoroute, la promenade ne sera pas très attrayante. Si les Aixois défendent avec tant de vigueur la vallée de la Torse, deux lavoirs vétustes, une ferme (insolite aux portes de la ville), le parc de la Cortésine, et aussi le domaine de la Torse, où une allée de somptueux platanes conduit à un charmant pavillon du dix-huitième siècle, c'est parce qu'il ne leur reste plus grand-chose à défendre. L'urbanisation galopante a dévoré une à une les propriétés boisées qui entouraient La Torse, rivière prenant sa source aux Pinchinats et qui se jete dans l’Arc, la ville. Aix est au bord traverse tous les quartiers à l’Est d’Aix en Provence. La verdure de la Vallée de la de l'asphyxie: ce dernier Torse imprègne tout l’habitat du secteur. Nul projet ne saurait l’altérer. îlot-de verdure, qui serait banal à la campagne, est ici un « trésor » de calme et de chlorophylle. Les mêmes critiquent aussi le projet de boulevard nord et de zone industrielle à Puyricard, sur le plateau agricole qui domine Aix. Les critiques des bourgeois Au-delà de ces conflits localisés, ce sont deux conceptions différentes de l'urbanisme et de l'avenir de la ville qui s'affrontent. « Je ne veux pas qu'Aix soit seulement une ville-dortoir pour ceux qui travaillent à Marseille ou ailleurs. Je veux aussi créer des emplois, faire manger les gens. Ceux qui me critiquent sont les bourgeois », dit M. Ciccolini. Bourgeois, intellectuels, étudiants, membres de professions libérales, les plus ardents défenseurs de l'image d'Aix, « ville d'art et d'histoire », « ville-phare », se recrutent, c'est vrai, parmi cette bourgeoisie " éclairée". «Aix est une grande malade. Il faut déceler ce qui ne va pas », déclare le docteur Teboul qui se dit « sidéré par le manque de goût et d'imagination de la mairie ». « On enlève un à un tous les charmes de cette ville. On est en train de tuer la poule aux œufs d'or », déclare de son côté le professeur Debbasch. Quand on l'interroge sur son éventuelle candidature aux municipales, M. Charles Debbasch répond seulement qu'il n'est pas décidé : « On me le demande, dit-il évasivement, mais je suis très attaché à l'université. » MICHÈLE CHAMPENOIS. Les photos ont été ajoutées en 2010 au texte initial de l’article du journal le Monde publié en 1976