Les sucres et la durée de vie des produits à base de fruits
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Les sucres et la durée de vie des produits à base de fruits
LE SUCRE ET LA CONSERVATION DES PRODUITS À BASE DE FRUITS Les sucres et la durée de vie des produits à base de fruits M. MATHLOUTHI, Laboratoire de Chimie Physique Industrielle, UMR URCA/INRA (Fractionnement des Agroressources et Emballage), Université de Reims Champagne-Ardenne étant une solution aqueuse de 10 à 20 % de matières sèches dont le constituant principal est fait de sucres solubles. Ceci est si vrai que la plupart des études sur les fruits et les jus de fruits ont pour modèle une solution de sucre (généralement le saccharose) additionnée d’arômes, de pectines et/ou d’acide citrique. Si l’on observe, la plupart des méthodes de conservation, on peut les assimiler à une réduction de mobilité de l’eau dans la matrice du fruit obtenue suivie par déshydratation, congélation ou par addition de sucre. Cela aboutit à la réduction de l’activité de l’eau (aw) du produit, donc de la disponibilité de l’eau. En combinant les informations données par les diagrammes d’état (Tg-concentration de sucre) et les courbes isothermes de sorption de vapeur d’eau (aw – teneur en eau), il est possible de définir les conditions de température et d’humidité compatibles avec une conservation prolongée des produits à base de fruits éventuellement représentés par leur fraction glucidique. Le rôle des sucres dans la conservation des fruits et des produis à base de fruits sera abordé dans trois cas pris à titre d’exemples : la déshydratation, la surgélation et l’addition de sucre. 1. INTRODUCTION Les fruits frais ont une durée de vie relativement courte. De plus, la nécessité d’étaler la durée de consommation bien au-delà de la période de récolte et de régulariser le cours et la distribution a conduit à l’utilisation de différents procédés de conservation. Par ailleurs, le consommateur devient exigeant en ce qui concerne les qualités organoleptiques des fruits. Cette exigence, ainsi que des changements du mode de vie et des habitudes alimentaires sont donnés comme une origine possible de la baisse de la consommation des fruits et légumes dans les pays de l’Union Européenne (1). La conservation des fruits vise en premier lieu à maintenir les caractéristiques d’origine. Cela consiste notamment à minimiser les inconvénients des traitements technologiques de conservation. En particulier les pertes de substances d’arôme et de flaveur les changements de couleur et de texture, la diminution de la valeur nutritionnelle doivent être réduits au minimum. Par ailleurs, l’absence d’activité enzymatique résiduelle ou d’activité microbiologique reste la règle à observer dans tout produit conservé. Enfin, les travaux récents reliant qualité de produit et procédé de traitement se basent sur une approche moléculaire qui accorde de l’importance à la mobilité de l’eau et à la structure de la matrice complexe du produit. Un paramètre qui semble résumer cette approche et qui revêt de l’importance en ce qui concerne la qualité et la durée de vie du produit est la température de transition vitreuse (Tg). 2. SUCRES ET DÉSHYDRATATION DE FRUITS La déshydratation est l’un des procédés les plus anciens pour conserver les fruits. Le séchage au soleil dans les pays chauds a été appliqué aux raisins, prunes, abricots et figues. Mais cela reste un moyen critiquable sur le plan de l’hygiène et de la nécessité de place importante ainsi qu’en ce qui concerne le manque de contrôle de l’humidité résiduelle. Les sucres jouent un rôle de premier ordre dans la conservation des fruits et des produits à base de fruits. Le fruit frais peut être considéré comme 15 LE SUCRE ET LA CONSERVATION DES PRODUITS À BASE DE FRUITS L’on procède également à un préséchage utilisant l’énergie solaire directement ou indirectement suivi d’un séchage à l’air chaud. Les températures de l’air ne dépassent pas les 70 à 75 °C et l’humidité relative est de l’ordre de 15 à 20 %. Les conditions de séchage sous vide sont encore plus douces avec une température ne dépassant pas les 60 °C. Des traitements préalables comme le nettoyage, le blanchiment, le découpage en fines (5-7 mm d’épaisseur) lamelles et la sulfitation sont appliqués afin d’obtenir un produit sec qui aura gardé sa couleur, perdu un minimum de vitamine C et qui pourra se conserver plusieurs mois sans altérations. L’observation de la composition de quelques fruits déshydratés (2) (Tableau 1) permet d’admettre le choix d’une solution de sucre comme modèle du fruit subissant le séchage. T° de transition Teneur en eau g % g m.s. Figure 1 : Température de collage ou d’effondrement, en fonction de la teneur en eau d’un jus de fruits ou d’une solution modèle. Tg 50 Certains fruits comme les cerises ou les baies autres que le raisin supportent mal le séchage et perdent leurs arômes. Ils sont conservés par d’autres méthodes. 0 – 50 – 100 0 2.1. Transition vitreuse 20 40 60 80 100 eau g % g En prenant comme modèle d’un fruit déshydraté, une solution de sucre, on observe que lors du séchage par atomisation ou de la cryodessiccation, la solution se concentre, le sucre ne cristallise pas et l’on atteint des valeurs de concentration qui dépassent largement la sursaturation. Avec ces valeurs de concentration, il faut également connaître la température de transition vitreuse, afin de prévoir la stabilité du produit déshydraté. Les risques encourus sont le collage, l’effondrement de la structure et la recristallisation. L’allure générale de la température de transition, que cette transition soit une transition vitreuse, une température collage ou d’effondrement, en fonction de la teneur en eau d’un jus de fruits ou d’une solution modèle est donnée par la figure 1. (3). Figure 2 : Effet de la teneur en eau sur la Tg de fraises lyophilisées (Roos, 1987). Le rôle de l’eau comme plastifiant des produits riches en sucres déshydratés peut être illustré par l’effet de la teneur en eau sur la température de transition vitreuse des fraises lyophilisées (4) (Figure 2). La diminution de Tg avec l’activité de l’eau montre une allure linéaire (5) (voir Figure 3). Pour améliorer les conditions de séchage et obtenir un produit stable aux températures habituelles de stockage, il est recommandé d’ajouter des supports de séchage tels que les alginates ou les maltodextrines. L’effet de ces hydrolysats Tableau 1 : Composition de quelques fruits déshydratés (2). Fruit Humidité Composés azotés (1) M.G. (1) Sucres (1) Fibres (1) Cendres minérales (1) Vit. C (1) Abricots 15-20 5,0 Dattes 20,2 1,9 0,4 68 3,2 3,5 0,011 0,5 73,2 2,4 1,8 0,003 Figues 24,6 Pêches 24,0 3,5 1,3 61,5 6,7 2,4 0-0,005 3,0 0,6 65,9 35 3,0 0,017 Prunes 24,0 2,3 0,6 69,4 1,6 2,1 0,004 Raisins 24,2 2,3 0,5 64,2 7,0 1,86 0,001 (1) : en g pour 100 g (de la partie comestible) 16 LE SUCRE ET LA CONSERVATION DES PRODUITS À BASE DE FRUITS Tg Rendement (%) 100 50 saccharose 0 – 50 fraise 80 60 40 20 – 100 0 0,2 0,4 0,6 0,8 aw 1 0 0 Figure 3 : Allure linéaire de Tg en fonction de aw pour le saccharose et les fraises (d’après (4) et (5)). 150 200 Figure 5 : Amélioration du rendement grâce à l’addition de maltodextrines au cours du séchage. pas du tout comparable à un support de séchage comme les maltodextrines. L’addition de pectines permet d’augmenter la température d’effondrement (collapse) à cause d’une augmentation appréciable de la viscosité qui passe de 7,29 à 159 mPa.s (8). Cela permet de travailler à des températures élevées en lyophilisation sans risquer la mobilité de la phase interstitielle et l’effondrement de structure (9). L’addition de 10 g/L de pectines à du jus de framboises dépectinisé a permis de réduire de 31 à 15 heures la durée de lyophilisation. De plus, l’addition de saccharose avant la cryodessiccation a permis de réduire davantage la durée de lyophilisation et l’hygroscopicité du jus cryodeshydraté (8). D’une manière générale, les interactions entre saccharose et pectine, augmentent la rigidité de la matrice et permettent une meilleure tenue du jus lors de la cryodéshydratation. 2.2 Composition – effet de pectines Cependant un fruit déshydraté est différent d’une solution de sucre. Le comportement de la fraction macromoléculaire qu’est la pectine n’est 2.3. Conservation des substances d’arômes 200 Tg de maltodextrines Température (°C) 100 Tg (°C) d’amidon à haut poids moléculaire est d’augmenter la température de transition vitreuse de sorte que le produit puisse supporter la déshydratation et le stockage sans jamais atteindre les conditions de température et d’humidité de collage ou de prise en masse. Suivant le degré d’hydrolyse et le % de maltodextrines ajouté, la température de transition vitreuse du glucose ou du saccharose (Figure 4) (6) est augmentée. Le fait d’éviter le collage au cours du séchage grâce à l’addition de maltodextrines permet une augmentation appréciable du rendement de séchage qui avoisine les 100 % lorsque la Tg est augmentée au-desssus de 100 °C (7) (Figure 5). La diffusion des arômes dans les matrices riches en sucres diminue lorsque la teneur eu eau et la mobilité de l’eau diminuent. Ainsi, pour des solutions modèles séchées par atomisation, les coefficients de diffusion de l’eau et de l’acétone chutent rapidement avec la réduction de la teneur en eau (10) (Figure 6). Le coefficient de diffusion de l’acétone est plus faible que celui de l’eau dans des matières de maltodextrines, ce qui incite à encapsuler les arômes dans des structures vitreuses d’hydrolysats d’amidon. Les interactions moléculaires entre le saccharose et les substances d’arômes ont été trouvées à l’origine des modifications de concentration des substances volatiles dans l’espace de tête au-dessus de solutions aqueuses de saccharose dont les DE 4 150 DE 10 100 Tg de saccharose 50 50 0 0,2 DE 20 0,4 0,6 0,8 1,0 Fraction massique de maltodextrine Figure 4 : Évolution de la température de transition vitreuse du glucose ou du saccharose en fonction du % de maltodextrines ajouté. 17 LE SUCRE ET LA CONSERVATION DES PRODUITS À BASE DE FRUITS Tableau 2 : Tg températures d’affaissement de structure de solutions de sucres et d’acide citrique. Coefficient de diffusion (cm2/s) 10–5 10–6 Produit Taffaissement °C (12) T′g °C (13) 10–7 Saccharose 10 % – 31,5 1 – 32 Fructose 10 % – 45,5 1,5 – 42 Glucose 10 % – 41,5 1,5 – 43 Acide citrique 10 % – 56 1 – eau (maltodextrine) 10–8 acétone (maltodextrine) 10–9 10–10 eau (extrait de café) L’observation microscopique et l’analyse thermique différentielle ont permis (15) la détermination d’autres accidents thermiques aux basses températures, notamment pour les solutions diluées de saccharose dans les accidents AM (ante melting) entre – 35 et – 25 °C et IM (incipient melting) aux environs de – 30 °C. Pour arriver à stabilité des matrices glucidiques et à la reproductibilité de la transition vitreuse à – 32 °C pour le saccharose, il faut procéder à un traitement thermique de recuit par des réchauffements et des refroidissements successifs. 10–11 10–12 acétone (extrait de café) 10–13 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 Teneur en eau Figure 6 : Coefficients de diffusion de l’eau et de l’acétone en fonction de la teneur en eau au cours d’un séchage par atomisation de solutions modèles. concentrations variaient entre 0 et 65 %. (11) (Figure 7). D’autres études sur la rétention d’arômes utilisant le dextrane et des hydrolysats d’amidon avaient permis de montrer que le maximum de rétention de substances d’arômes telles que l’acétone et le 1-propanol était obtenu avec le dimère (le maltose) et que le pourcentage de rétention diminuait avec l’augmentation de la masse moléculaire du glucane (12). 3.2. Congélation de fruits – rôle du sucre Le développement de la congélation et de la surgélation des fruits à l’échelle commerciale est relativement récent. Il date des années d’après guerre et correspond au développement du froid mécanique et à l’augmentation de la production des fruits et légumes ainsi qu’à une progression rapide de la consommation et de la distribution. Les fruits sont généralement blanchis avant congélation afin d’inactiver les systèmes enzymatiques. La congélation se fera avec ou sans 3. SUCRES ET CONGÉLATION DE FRUITS 3.1. Jus de fruits et solutions de sucres 60 En prenant pour modèle du fruit ou du jus de fruit congelé une solution de sucre (glucose, fructose ou saccharose) additionnée d’acide citrique, on détermine par analyse thermique différentielle les températures de transition vitreuse de l’eau interstitielle (entre les interstices des cristaux de glace). Ces températures sont un maximum à ne pas dépasser pour ne pas provoquer la mobilité de la solution et l’effondrement de la structure. Les températures d’affaissement (collapse) observés (13) sous microscope sont données dans le tableau 2. Elles sont comparables aux valeurs de T′g de la solution concentrée amorphe obtenue par congélation (14). % de rétention 50 40 30 20 10 0 0 1 2 3 4 5 Viscosité en mPa.s Figure 7 : Rétention des substances volatiles dans les solutions de sucre à différentes viscosités (11). 18 LE SUCRE ET LA CONSERVATION DES PRODUITS À BASE DE FRUITS Tableau 4 : Différences observées dans le liquide exsudé. sucre et en ajoutant éventuellement de l’acide ascorbique à – 18 °C et en dessous par cryogénie (N2 liquide) ou froid mécanique avec contact direct (plateau) ou indirect (air froid). Les sucres sont ajoutés à l’état sec ou sous la forme de solution. Les avantages d’ajouter le sucre sous la forme de sirop sont la possibilité de prérefroidir le sirop qui sert à réaliser un prérefroidissement du fruit, la minimisation de l’oxydation, et de la décoloration. Malgré ces avantages, la congélation a lieu dans la majorité des cas avec du sucre sec. La raison à cette pratique est commerciale. Les fruits congelés sont dégelés et utilisés individuellement par l’utilisateur de façon plus facile que s’il s’agissait de fruits congelés dans un sirop. En général on utilise des rapports de (4:1) ou (3:1) (fruit : sucre). Le rôle du sucre ajouté n’est pas uniquement l’amélioration de la saveur sucrée et de l’équilibre sucre/acide (une bonne partie du sucre initial du fruit subit des dégradations en milieu acide), mais aussi la protection des cellules végétales contre la dégradation physique due à la congélation et à la décongélation. Le saccharose a été comparé au sucre inverti, au dextrose, et à différents sirops de glucose dans ce domaine de la conservation des fruits par congélation (16). Cette comparaison a porté sur la conservation de la flaveur du fruit, de son intégrité (cristallisation de glace) et de la vitamine C. Pour les pêches congelées rapidement dans des sirops à 35, 45 et 55 °Brix et composés d’un mélange de saccharose et de sirop de glucose, le jury de dégustation a été amené à détecter les différences de goût entre les pêches congelées dans 100 % de saccharose et celles utilisant d’autres mélanges de sucres après une année de stockage. Les résultats sont portés sur les tableaux 3 et 4 respectivement pour les pêches et pour le liquide exsudé. Produit sucrant 25 75 25 Sirop de glucose 35 25 35 Dextrose 75 25 25 – – 100 Sucre inverti 35 35 35 Sirop de glucose 45 10 35 Dextrose 75 25 75 – – 100 * % minimum de produit sucrant montrant une différence significative de goût. Le jury a trouvé que pour le sirop de glucose de conversion enzymatique (riche en maltose) à 45 °Brix la différence de goût est trop importante. Le sirop ne serait pas acceptable. Le goût sucré est plus élevé lorsque les mélanges comportaient plus de saccharose. Cela masque l’acidité et atténue les différences de flaveur. L’aspect des fruits est un autre paramètre important. Il peut être endommagé par les gros cristaux de glace. L’observation des pêches congelées dans des sirops de différentes compositions en saccharose et dextrose est rapportée dans le tableau 5 sous l’angle de la cristallisation et de l’intégrité des morceaux de fruits. Tableau 5 : Cristallisation de glace dans les pêches congelées dans des sirops de saccharose à 35, 45 et 55 °Brix. Composition du sirop Saccharose Dextrose Degré de cristallisation 35 °Brix 45 °Brix 55 °Brix 75 25 – – – 55 45 – – + 25 75 ++ ++ +++ 0 100 ++ +++ ++++ – pas de cristaux ; + traces ; ++ cristallisation modérée ; +++ cristallisation élevée ; ++++ : sirop trouble enrobant les morceaux de fruit. Les différences de flaveur sont présentes pratiquement dans tous les mélanges. De plus une cristallisation et un brunissement étaient observés dans les sirops qui contenaient du dextrose avec une augmentation d’intensité avec l’augmentation de la substitution. Les pertes en vitamine C des fruits congelés existent, mais elles sont moindres que dans les conserves de fruits. Les différences de pertes en acide ascorbique qui ont pour origine la taille des morceaux, le taux d’oxygène, les températures de traitement sont regroupées dans les tableaux 6 et 7 pour les pêches congelées et les pêches en conserve dans l’eau et le sirop de saccharose avec et sans addition préalable de vitamine C. % minimum % minimum % minimum à 35° Brix* à 45° Brix à 55° Brix Sirop de glucose à conversion enzymatique Sirop de glucose à conversion enzymatique Sucre inverti Tableau 3 : Différences de goût de pêches au sirop de saccharose et avec d’autres sucres après congélation et décongélation (16). Produit sucrant % minimum % minimum % minimum à 35 °Brix* à 45 °Brix à 55 °Brix * % minimum de produit sucrant montrant une différence significative de goût. 19 LE SUCRE ET LA CONSERVATION DES PRODUITS À BASE DE FRUITS Tableau 6 : Acide ascorbique (A.A.) dans les fruits congelés (en mg pour 100 g) (16) dans le cas d’un stockage à – 32 °C. Échantillon Pas d’ajout Ajout d’eau Eau et A.A Ajout de sucre Sucre et A.A. Dextrose Pêches fraîches 5,1 – – – – – Juste après congélation – 5,5 62,2 5,2 68,4 – 7 mois après 3,7 4,5 60,1 5,6 68,7 – % pertes 27,5 11,7 3,4 0 0 – Tableau 7 : Acide ascorbique (A.A.) dans les fruits en conserve. Échantillon Dans l’eau Eau plus A.A. Dans 65% saccharose Sirop plus A.A. Pêches fraîches – – – 79,5 Juste après congélation 5,9 67,0 4,6 71,9 7 mois après 0,9 45,0 1,0 51,6 % pertes 85 32,9 78,2 28,2 4. CONSERVES DE FRUITS, FRUITS AU SIROP ET CONFITURES Congélation des baies Les fraises sont particulièrement délicates. C’est pourtant un des marchés les plus importants en fruits congelés soit en fraises entières, soit en morceaux qu’est celui de la fraise. L’effet des sucres sur l’arôme de la fraise congelée a été déterminé de même que sur la couleur et la texture. Une comparaison a été établie entre le saccharose et des mélanges saccharose – sirop de glucose avec des niveaux de substitution de 10 à 50 %. L’analyse du profil sensoriel montre que le remplacement du saccharose par d’autres sucres rendait la fraise plus acide et plus amère. Les différences les plus nettes sont obtenues avec le sirop de glucose et les plus faibles avec le sucre inverti à 50 %. Le pH reste aux environs de 3,47 – 3,56. Il n’y a pas d’effet sur le pH ou la couleur. La perte de vitamine C est de 14,7 % dans la fraise congelée sans sucre entre – 32 °C et – 42 °C et stockée au froid pendant 10 mois. Avec un rapport de 1:4 de sucre/fruit, la perte est réduite à 7,2 % avec le saccharose et 9,2 % avec le dextrose. La congélation des framboises a été également étudiée dans les programmes de la « Sugar Research Foundation » rapportés par Lachmann (16). Les sucres ont été utilisés sous forme de sirop à 40 °Brix avec des proportions de remplacement du saccharose entre 10 et 100 %, ou sous forme de solide (dextrose, maltodextrines). La perte d’arôme et de saveur est observée dans les sirop où le saccharose est substitué. Dans tous les cas, le saccharose est perçu par des dégustateurs. L’aspect visuel ne montrait, quant à lui, pas de différences. La qualité globale était meilleure lorsque le sucre est ajouté à sec. Les modifications observées concernent plus le goût et l’arôme que les propriétés physico-chimiques (acidité, pH, coloration). 4.1. rôle des sucres dans la conservation des fruits Le rôle dépresseur de l’activité de l’eau est bien connu pour le sucre. C’est, en premier lieu, cette propriété qui est recherchée lorsqu’on ajoute du sucre à des fruits en conserve. La durée de vie de cette catégorie de produits nécessite le choix de fruits de faible contamination initiale. L’addition de sucres pour abaisser l’aw peut conduire à des valeurs d’aw inférieures à 0,80, mais une pasteurisation est nécessaire si l’on veut éviter la croissance des levures osmophiles encore présentes des valeurs de aw de l’ordre de 0,6. De telles valeurs d’aw ne sont possibles qu’en utilisant les sucres. Les produits allégés en sucre auront quelque difficulté à conserver une qualité microbiologique acceptable sans avoir recours à des conservateurs (sorbate,…). Par ailleurs, lorsqu’un produit contient jusqu’à 65 % de sucre, que son pH est acide, une application modérée de la chaleur suffit à le conserver. Cependant, la texture du système sucre/pectine/acide dépend de la nature du sucre pour des pectines de même degré de méthylation. Le rôle du sucre dans la stabilisation du gel consiste à retenir l’eau, ce qui favorise les interactions entre les macromolécules de pectines dans les zones de jonction. Alors que les liaisons hydrogène sont rompues sous l’effet de la chaleur, les interactions hydrophobes sont stabilisées notamment sous l’effet des sucres (17). Alors que le saccharose ou le dextrose permet20 LE SUCRE ET LA CONSERVATION DES PRODUITS À BASE DE FRUITS glucose semble avoir amélioré la fermeté du fruit. Ceci a été constaté par le jury des dégustateurs et mesuré à l’aide d’un pénétromètre (voir Figure 8). Le sirop utilisé dans l’étude expérimentale d’effet du remplacement de saccharose sur la texture est un sirop à 55 DE. Les durées de conservation ont été de 14 et 17 mois. Le calcium est un autre constituant qui affecte la texture. L’addition de calcium dans le sirop ou l’eau améliore la fermeté des pêches. La teneur en calcium dans les pêches conservées avec 25 % de sirop de glucose à 56 DE était de 37 ppm contre 25 ppm dans la pêche au sirop de saccharose. Cependant, le remplacement du saccharose par le sirop de glucose amène une baisse globale de la qualité gustative (Figure 9) (16). Les expériences de l’effet du sirop sur la texture ont été complétées par une analyse des échanges de sucres dans le fruit et le sirop. Le sirop de départ utilisé à un ° Brix moyen de 36 à 40. La diffusion de sucre du sirop dans le fruit peut constituer un facteur de rendement aussi bien que de qualité gustative, puisque l’augmentation de poids des fruits conservés est économiquement rentable et sur le plan gustatif, l’augmentation du taux de sucre dans le fruit en augmente l’acceptabilité. Ces aspects ont été étudiés par Léonard et al. (18). L’utilisation d’un sirop de saccharose à 40 °Brix produit une augmentation de poids appréciable de pêches de maturité optimum conservées 3 mois. L’addition de sirop de glucose ou la maturité n’ont pas d’effet. Par contre l’utilisation d’un sirop à plus de 40 °Brix peut avoir l’effet inverse probablement en raison de la viscosité (Figure 10) (18). tent une gélification sans addition de calcium, le fructose a une plus faible force de gel et nécessite de ce fait l’addition de calcium. Les polyols bien qu’ayant des viscosités relativement élevées ne sont pas de bons agents de gélification des pectines. Que ce soit dans le cas de la texture que des qualités sensorielles, le remplacement de tout ou partie du saccharose par du glucose ou des sirops de glucose, amène des notes de fruit « synthétique » qui diffèrent du fruité et de la saveur équilibrée obtenue dans les conserves au saccharose. De même une augmentation de saveurs acide et amère est obtenue en présence de glucose lorsque sa concentration dépasse les 50 % dans des confitures de fraises conservées à la température ambiante. Pour les confitures de cerises, il semble que l’addition de saccharose dans un rapport fruit/sucre de 9:1 et la congélation avant cuisson, donne un meilleur résultat pour la conservation de la couleur ou de la flaveur pendant 6 mois que l’addition d’autres sucres ou l’absence de sucres. Le pourcentage de saccharose utilisé dans les confitures de framboises est de l’ordre de 65 % (% .M.S. après cuisson correspondant à la norme F.D.A.). Cependant, pour ce fruit, le consommateur semble préférer des produits préparés avec 2 à 3 % de sucre en moins. La raison de l’acceptabilité des produits à base de fruits est leur qualité de conservation d’abord sur le plan bactériologique ensuite sur le plan de la texture, du goût et de l’arôme. Ces différents centres d’intérêt relèvent de l’activité de l’eau, de la texture, et de la formulation des produits à base de sucres, thèmes traités dans des colloques antérieurs de L’Alliance 7 et du Cedus. 220 Charge en g (pénétromtrie) 4.2. Sucres et acceptabilité des fruits en conserve L’étude a porté sur des pêches ayant atteint une maturité optimale qui ont été conservées dans un sirop de sucre à 40 °Brix où le % de saccharose a été remplacé par du sirop de glucose à 54 DE ou à 64 DE. L’analyse sensorielle a été effectuée pour juger de l’acceptabilité des pêches en conserve en fonction de la concentration en sucre et en sirop de glucose, de l’ajustement en acide citrique et de la durée de stockage. Parmi les qualités sensorielles analysées, la texture, la saveur sucrée et la flaveur du produit ont été évaluées. De même, un suivi du Brix du sirop et du fruit a été fait (15). Le remplacement du saccharose par le sirop de 210 200 190 180 170 160 150 0 20 40 60 80 100 % remplacement par sirop de glucose Figure 8 : Remplacement du sirop de saccharose par le sirop de glucose testé par le jury des dégustateurs et mesuré à l’aide d’un pénétromètre. 21 LE SUCRE ET LA CONSERVATION DES PRODUITS À BASE DE FRUITS de couleur qu’un refroidissement à l’eau. Il faut éviter un chauffage excessif et un refroidissement lent. L’effet des rapports °Brix/concentration d’acide citrique ajouté sur la flaveur des poires au sirop donne un optimum aux environs de 22 °Brix pour 0,20 % d’acide citrique. Ces additions d’acide citrique n’ont pas le même effet suivant la variété de poires (16). L’effet du pourcentage de sucre dans le sirop a été étudiée sur des abricots au sirop en faisant varier le °Brix du sirop entre 30 et 70. Les goûts des sirops conservés à 40 ou 50 °Brix ont été préférés. Un autre paramètre important est le rapport sucre/acide. La flaveur est toujours associée à l’intensité de la saveur sucrée. Texture pénétromtrie (g) 220 Sirop de glucose 210 200 190 180 Saccharose 170 160 150 140 130 120 0 20 40 60 80 100 120 ppm de calcium dans le sirop Figure 9 : Courbes comparatives du sirop de saccharose et du sirop de glucose en fonction des qualités gustatives mesurées à l’aide d’un texturomètre. 5. CONCLUSION Des essais semblables ont été effectués dans le cadre de programmes de recherche de l’International Sugar Research Foundation (16) sur d’autres fruits au sirop (abricots, poires,…). Les sucres jouent un rôle important dans la conservation des produits à base de fruits. Déjà dans le fruit mur, les deux tiers de la matière sèche soluble sont des sucres où dans la plupart des cas, le saccharose est prépondérant. L’étude des sucres dans une matrice de fruits soumis à des traitements technologiques de conservation comme le séchage, la congélation ou la cuisson comporte un volet théorique relatif à l’hydratation, la transition vitreuse et l’activité de l’eau et un volet pratique de formulation et d’analyse sensorielle. Le volet théorique mettant en évidence le rôle du saccharose dans la texture, l’activité de l’eau, la transition vitreuse a été abordé à l’occasion d’autres colloques de L’Alliance 7 et du Cedus. Dans le cas de conservation des fruits, il faudrait ajouter que le saccharose semble avoir un effet sur la réduction des pertes en acide ascorbique, le maintien de la texture des pectines du fruit et le retardement de la décoloration du fruit. Le volet pratique montre que le remplacement du saccharose par du sirop de glucose n’est pas toujours la bonne solution. La fermeté du fruit peut être améliorée notamment en fixant les ions calcium dans la pêche par exemple, mais l’impression générale d’acceptabilité du fruit en conserve est en faveur du sirop au saccharose Ce sucre maintient l’équilibre de flaveur du fruit notamment si les durées de conservation sont prolongées. Alors que les mélanges de sucres semblent développer d’autres notes de goût (acide ou amer), le saccharose maintient la saveur sucrée et la renforce dans les fruits conservés tout au long de leur conservation. Les études d’acceptabilité par le consommateur dépendent, bien entendu, de la Les propriétés physicochimiques de la poire Bartlett varient beaucoup avec la maturité. Sa fermeté diminue rapidement et sa composition chimique varie. Il semble y avoir un optimum de maturité pour les poires au sirop aux alentours d’une pression de 1,5 p.s.i (19). Les teneurs en acide malique et acide citrique diminuent et la teneur en matières solubles augmente. La coloration est un autre critère de qualité des fruits en conserve. Le développement de coloration rose dans les poires en conserve les rend inacceptables d’après les normes de l’U.S.D.A. Ce sont des concentrations élevées en acidité titrable et tanins qui engendrent cette couleur indésirable. De plus, le refroidissement à l’air des poires après préparation de la conserve développe plus 26 Fruits Sirop 25 °Brix 24 23 22 21 20 19 0 20 40 60 80 100 Jours Figure 10 : Variations du degré Brix dans le sirop et dans le fruit pour des pêches en conserve au cours du stockage. (16) 22 LE SUCRE ET LA CONSERVATION DES PRODUITS À BASE DE FRUITS solutions containing sucrose, Food Chem., 2000, 71, 309-317. composition du jury, des habitudes alimentaires et du contexte culturel. Une tendance récente de lancement de nouveaux produits aux fruits avec plus ou moins de sucre semble répondre à deux impératifs, faire consommer plus de fruits et coller à la réalité d’un public dont les goûts et les habitudes alimentaires changent au rythme du « zapping » publicitaire. 12. Marcillaud C., mémoire de DEA, ENSBANA Dijon, 1978. 13. Diallo F., mémoire DEA, ENSBANA Dijon, 1976. 14. Slade L. et Levine H., Crit. Rev. Food Sci. Nutr., 1990, 21, 115-360. 15. Maltini E., Studies on the physical changes in frozen aqueous solutions by DSC and microscopic observations, comptes rendus du Congrès de l’Institut International du Froid, Commissions C1 et C2, Karlsruhe, 1977, pp. 43-52. RÉFÉRENCES 1. Riquelme F., Pretel M.T., Martinez G., Serrano M, Amoros A. et Romojaro, F., Emballage de fruits et légumes, Résultats récents, in « Emballage et Conservation des produits alimentaires », M. Mathlouthi, Coordinateur, Polytechnica, Paris, 1996. 16. 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