Entretien téléphonique avec Florence DELAY

Transcription

Entretien téléphonique avec Florence DELAY
Entretien téléphonique avec Florence DELAY
Membre de l’Académie française
Contexte :
Aujourd’hui les filles nourrissent les mêmes ambitions que les garçons jusqu’en terminale
mais, dans les Supérieur, et dans le domaine des Sciences en particulier, elles sont encore
très minoritaires. Après l’obtention du diplôme et au moment où elles font leurs premiers pas
en entreprise, elles ne sont encore pas à égalité par rapport aux garçons en termes de
salaires, d’ambition, d’évolution de carrière. Des stéréotypes persistent quant aux
compétences des jeunes filles. On les dit plus douées, comme par hasard, pour les relations
humaines, plus compréhensives, tolérantes etc…On met moins en avant leurs
connaissances scientifiques.
Voilà pourquoi nous avons créé dans nos écoles un espace de réflexion regroupant des
jeunes filles et des jeunes gens pour :
-
-
Travailler sur la persistance de certains stéréotypes appliqués à la réussite au
féminin ;
Mener des actions dans des collèges et lycées pour apporter aux plus jeunes filles
des témoignages susceptibles d’encourager des vocations dans les carrières
scientifiques (avec l’association Elles bougent) ;
Participer à des concours.
Dans le cadre de ces actions que nous menons au sein du Groupe Efrei, nous avons décidé
d’interroger trois femmes pour incarner la problématique parité et égalité Femmes /hommes
que nous défendons avec les jeunes étudiantes :



Jacqueline Baldran pour l’histoire des femmes, leur rôle au moment de la Révolution,
Vous-même Florence Delay pour les faits de langue, en l’occurrence la féminisation
des métiers, des fonctions,
Et Marie-Sophie Pawlak, présidente de l’association Elles bougent.
Florence Delay, je tiens, en premier lieu, à vous remercier chaleureusement de m’accorder
cet entretien. J’aimerais vous poser deux questions :
En tant que membre de l’Académie française, que pensez-vous de la féminisation de certains
termes ? La question est posée aujourd’hui : on commence à écrire ingénieur avec un e.
Pensez-vous que cela pourra faire évoluer les représentations, les mentalités quant à la
réussite des femmes ?
La féminisation de certains termes liés aux métiers est naturelle dès lors qu’elle découle de
l’usage dans la langue. C’est le cas de « avocate », « candidate », « directrice », « institutrice »
etc.
Par contre, la féminisation de certains termes en français n’est pas systématique et elle n’est
absolument pas naturelle dès lors qu’on fait référence aux fonctions.
On dit Madame le Maire de Paris et non pas Madame la Maire : Imaginez que notre maire se
nomme Anne Michel, dirait-on la maire Michel ?
A l’Académie, nous avons un Secrétaire Perpétuel : Hélène Carrière d’Encausse dont les
tâches ne sont pas du tout celles d’une secrétaire.
Il faut absolument éviter des néologismes tels que professeure, docteure, proviseure, cheffe,
maîtresse de conférences etc. Outre la laideur du e accentué, c’est oublier que la langue
française ne possédant pas le genre neutre, c’est le genre masculin qui fait fonction de
neutre. Je défends ce neutre.
Pourquoi ingénieur avec un e ? Ingénieur (sans e), c’est une conquête des femmes : C’est
une fierté des femmes d’avoir conquis des fonctions autrefois réservées aux hommes.
Je n’aime pas, pour ma part, qu’on me dise « écrivaine » : écri-vaine, il y a vaine dans ce
mot…Je suis écrivain. C’est comme « poétesse » : ces féminins rabaissent l’œuvre, nuisent à
l’égalité dans le paysage littéraire.
Certaines langues n’ont pas ce problème mais avec le français nous l’avons. Je pense qu’il
faut défendre vigoureusement le neutre sinon c’est un affaiblissement pour les femmes. C’est
peut-être « politiquement correct » mais c’est un échec de l’égalité.
Défendre un titre, c’est défendre une compétence.
La culture, au sens large du terme, peut jouer un grand rôle dans la formation des jeunes
femmes aujourd’hui (et des jeunes gens aussi bien entendu). Avoir des compétences
scientifiques et techniques pour un ingénieur, c’est certes primordial mais se construire une
culture personnelle n’est pas négligeable non plus. Qu’en pensez-vous ?
Il est essentiel d’avoir une culture vaste et diversifiée, il faut lutter contre le rétrécissement des
voies et tourner à tous les vents de l’esprit. La culture des femmes est maintenant plus grande
que celle des hommes. Il faut que les femmes aient la mémoire du rôle qu’elles ont joué dans
l’histoire.
Aller « à contre-courant », contre le « politiquement correct », c’est important aujourd’hui.
Propos recueillis par Annick Fitoussi, le 6 novembre 2015
Page 2 / 2

Documents pareils