Pas de révolution sur le yuan

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Pas de révolution sur le yuan
TOPIC
Avril 2005
Pas de révolution sur le yuan
Depuis mars, la
Chine multiplie
ses messages
politiques.
Voilà deux mois que les messages politiques en provenance de Pékin
sont brouillés. La radicalisation de la position officielle vis-à-vis de Taiwan
laisse pour le moins perplexe, même si elle est le troisième volet (juridique)
d’une stratégie de « guerre douce » en trois points discrètement annoncée l’an
dernier. Que dire alors des débordements récents sur la question japonaise (cf :
topic de février 2005) ? Hu Jintao serait-il déstabilisé sur sa scène domestique?
Qui de ses « amis » le pousse à sur-réagir en matière internationale ? Positions
martiales d’un côté, lâchage de lest de l’autre comme en témoigne la
nomination d’un négociateur spécial (Gao Hucheng) pour les affaires textiles.
Le mouvement du pendule chinois s’agite, ce qui témoigne d’un manque de
sérénité au sommet.
Elargissement de
la marge de
fluctuation ou
convertibilité
totale : la Chine
n’en fait qu’à sa
tête
La position chinoise sur sa monnaie, en revanche, n’a pas dévié d’un
iota malgré les menaces en tout genre de la part des Etats-Unis (la dernière en
date : une mesure du Congrès en faveur d’une taxe de 27,5% sur tous les
produits chinois si la Chine ne réévalue pas sa devise) et de l’Europe qui
courent depuis deux ans. Mais une plus grande flexibilité du yuan serait-elle
vraiment la panacée comme le promettent ses chantres ? Tout ne serait pas
aussi rose qu’on nous le promet aussi bien pour la Chine que pour le reste du
monde.
Dans ce débat, les
préoccupations
des gouvernements
étrangers ne
reflètent pas celles
des investisseurs
La Chine est depuis l’an dernier, avec 6% du commerce international
(contre 0,2% voilà 15 ans) le troisième exportateur mondial devant le Japon
(en 2004, les exportations chinoises ont enregistré une hausse nominale de
35%) et le troisième importateur. Les 550 mds $ d’investissements étrangers
cumulés ont joué un rôle central dans cette évolution. Cette tendance s’est
d’ailleurs amplifiée depuis 2000. Désormais, la part des sociétés à capitaux
étrangers dans les exportations avoisine les 57% contre 48% voilà quatre ans.
Or, dans la stratégie d’investissements de ces firmes, le yuan ne fait pas le
poids face aux attraits que représentent le faible coût de la main d’œuvre, le
potentiel du marché local, ou l’intégration de la Chine dans les réseaux de
production asiatique. Aussi la question de sa flexibilité se pose-t-elle avec
beaucoup moins d’acuité pour elles que les gouvernements occidentaux
veulent bien nous le laisser entendre. La faiblesse du yuan dans le commerce
extérieur chinois n’est donc peut-être pas un atout aussi décisif qu’on nous le
dit.
Le yuan
Inconvertible joue
un rôle pernicieux
dans l’allocation
sous-optimale des
ressources
financières,…
… incite à
l’attentisme en
matière de
réformes
bancaires,
… mais maintient
le statu quo dans
le secteur
agricole, épée de
Damoclès sur la
Réévaluation.
Pour les autorités chinoises, le débat est ailleurs. Bien qu’elles
affichent régulièrement leur volonté de maintenir le statu quo, les rigidités
qu’elles s’imposent en maintenant volontairement la parité yuan-dollar au taux
fixé en 1994 (1$ = 8,28 yuan) limitent leur capacité à agir sur l’économie.
Prenons le cas des réserves de changes. Fin mars, elles s’élevaient à
643 mds $. Si leur augmentation initiale résultait des flux massifs
d’investissements directs étrangers, leur gonflement actuel quasi-exponentiel
est très largement le fait des entrées massives de capitaux qui spéculent à la
hausse sur le yuan. On estime que les flux d’investissements de portefeuille et
les flux non identifiés auraient représenté 49% de la hausse des réserves de
change en 2004. Depuis deux ans ils ont alimenté, c’est connu, les bulles dans
les secteurs de l’immobilier, de l’automobile ou de l’acier. Les restrictions de
crédit décidées par Pékin n’ont pas eu l’effet escompté et le premier trimestre
2005 était là pour le lui rappeler. Les excès de liquidité continuent d’alimenter
la croissance qui persiste sur un rythme voisin des 9%. En outre, le « peg » au
dollar contraint la Chine à maintenir ses taux d’intérêts bas, ce qui facilite le
recours au crédit dont on connaît les ravages dans les bilans des grandes
banques chinoises. Cette difficulté à maîtriser la masse monétaire en raison
d’un manque évident d’outils de gestion financière n’est rien comparée aux
obstacles que le gouvernement s’attend à devoir affronter s’il mettait fin au
système actuel des taux de change, marqué par l’inconvertibilité extérieure et
l’étroitesse extrême des marges de fluctuation par rapport au cours pivot de
8,28 RMB/$.
Le climat économique en Chine est favorable. Les comptes extérieurs
sont excédentaires, la croissance est forte et malgré quelques problèmes
d’étanchéité, les flux de capitaux sont encore sous contrôle. Reste que
l’obstacle majeur à toute évolution du taux de change n’a toujours pas été
levé : le système bancaire et financier, peu rentable, sous capitalisé, ne montre
aucun signe de guérison. Les créances douteuses flirtent encore avec les 40%
du PIB (plus de 600 mds $ quoique disent les autorités) et plombent les
comptes des grandes banques d’Etat. Pour couronner le tout, les marchés
financiers sont inefficients. Une plus grande flexibilité du yuan aurait au moins
le mérite d’obliger le gouvernement à réformer le système bancaire et à
introduire des outils de gestion financière modernes. Elle préparerait le secteur
en attendant la libre fluctuation de la devise chinoise. L’exemple de l’OMC est
édifiant. Pékin a su admirablement l’utiliser pour justifier l’accélération des
réformes des entreprises d’Etat en mettant sur le dos de l’OMC tous les maux
induits. Mais le risque de fuite devant la devise chinoise, si elle venait à
fluctuer, existe bel et bien et pour le moment personne en Chine n’est prêt à le
prendre.
Et puis, il y a le secteur agricole. Son manque de compétitivité à
l’international et la baisse prévisible des prix des produits agricoles le rend
vulnérable à toute évolution du taux de change. A la clé ce sont tout de même
900 millions de paysans qui risquent de voir leur pouvoir d’achat revu à la
baisse. Ce serait assez mal venu lorsque l’on sait combien cette Chine agricole
est au cœur du programme politique de MM. Wen Jiabao et Hu Jintao.
Si flexibilité du
yuan il y a, sera-telle favorable pour
le reste du
monde ?
Pour les pays occidentaux et le reste de l’Asie, rien ne dit qu’une
réévaluation du yuan aurait des retombées positives systématiques. Jusqu’à
présent les consommateurs européens sont les grands gagnants de la parité fixe
yuan-dollar. Les calculs techniques de surévaluation réelle ou supposée du
yuan, fondée sur des modèles de Parité de Pouvoir d’Achat, donnent à peu
près toutes les fourchettes entre 0% et 40%. Qu’en serait-il si la devise
chinoise était réévaluée de 20% par exemple ? Même aux Etats-Unis, bien que
leur déficit avec la Chine se soit élevé à 162 mds $ en 2004, celle-ci ne compte
que 12% des importations totales du pays. Souvenons-nous du concurrent
nippon. Lorsqu’il a choisi de laisser flotter sa devise en 1985, le solde de la
balance commerciale américaine ne s’en est pas mieux porté pour autant.
L’impact d’une réévaluation du yuan serait donc plus limité que les
Américains veulent bien nous le faire croire. Dans le cas du Japon, elle
porterait un coup à la compétitivité de ses exportations, aujourd’hui moteur
essentiel de sa croissance. Même si, au pire, on réévaluait de 40% le yuan, le
salaire chinois moyen au nouveau taux de change passerait à 1$ par heure
contre 18$ en France et 21$ aux Etats-Unis. Le débat concerne aussi largement
Hong Kong dont la devise est liée au dollar et qui subit les pressions depuis
septembre 2003 pour réévaluer sa monnaie.
D’un autre côté, l’Europe verrait d’un bon œil une plus grande
flexibilité de la devise chinoise. Toutes les banques centrales asiatiques
achètent massivement du dollar pour limiter l’appréciation de leur devise face
au billet vert et par ricochet au yuan. Pour le moment, l’euro fort est bien seul
à supporter le fardeau de la baisse du dollar. Les Etats-Unis, quant à eux, se
prononcent en faveur de la réévaluation car elle leur permettrait entre autres,
de faire jouer à plein la glissade du dollar.
Le respect du
calendrier de
l’OMC peut-il
accélérer la
décision de laisser
fluctuer le yuan ?
Les tensions actuelles d’ordre politique ou diplomatique ne doivent
pas éclipser le débat sur la fluctuation du yuan tout aussi crucial. Une chose est
sure : Hu Jintao a bien précisé que les pressions extérieures n’influeraient pas
sur sa décision finale. Si flexibilité il y a, ce sera sur des critères domestiques.
En ligne de mire, la Chine voit poindre les échéances requises par son
accès à l’OMC. 2006 s’approche à grands pas et avec elle l’obligation de lever
toutes les restrictions géographiques et opérationnelles à l’implantation
d’institutions financières sur son territoire. La Chine pense-t-elle en profiter
pour réformer son système de taux de change ? Aujourd’hui, sur cette
question, malgré les desiderata des Occidentaux, c’est l’inconnu qui prime et
Pékin ne semble pas être prêt à lever l’incertitude. Ce que nous pouvons
espérer pour 2005, c’est un élargissement des bandes de fluctuations du yuan.
Evolution, pas révolution.
L.B
Quand l’euro porte seul le fardeau de la parité fixe yuan/dollar…
Evolution du taux de change euro/dollar
Evolution du taux de change euro/yuan
Note : notre étude de fond sur Toyota est parue en mars 2005.
Un nombre croissant d’entreprises japonaises, présentes dans différents secteurs d’activités, font appel
au groupe Toyota dans le but d’améliorer leur productivité et leur profitabilité. Cette étude analyse ces
expériences et tire les leçons de ces tentatives de transposition des méthodes « Toyota ». (lire
www.hec.fr/eurasia)
Pour obtenir cette publication, vous pouvez contacter Mme Martinez au 01 39 67 73 75.
HEC Eurasia Institute sera présent lors du 17ème salon sur la mobilité internationale « Avenir
Expat » du 31 mai au 2 juin 2005.