Cour de cassation de Belgique Arrêt

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Cour de cassation de Belgique Arrêt
12 MARS 2015
C.13.0193.F/1
Cour de cassation de Belgique
Arrêt
Nº C.13.0193.F
E. D.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Jacqueline Oosterbosch, avocat à la Cour de cassation,
dont le cabinet est établi à Liège, rue de Chaudfontaine, 11, où il est fait
élection de domicile,
contre
1.
Y. D.,
2.
G. D.,
3.
M. D.,
4.
G. D.,
défendeurs en cassation,
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représentés par Maître François T’Kint, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Charleroi, rue de l’Athénée, 9, où il est fait élection de
domicile.
5.
M. D.,
défenderesse en cassation,
en présence de
ASSURANCES DU NOTARIAT, société coopérative à responsabilité limitée
dont le siège social est établi à Bruxelles, rue de la Montagne, 34,
partie appelée en déclaration d’arrêt commun.
I.
La procédure devant la Cour
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 14 novembre
2012 par la cour d’appel de Liège.
Le 18 février 2015, l’avocat général André Henkes a déposé des
conclusions au greffe.
Le conseiller Sabine Geubel a fait rapport et l’avocat général André
Henkes a été entendu en ses conclusions.
II.
Le moyen de cassation
Le demandeur présente un moyen libellé dans les termes suivants :
Dispositions légales violées
-
articles 918 et 1352, alinéa 2, du Code civil ;
-
article 6 du Code judiciaire ;
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articles 10 et 11 de la Constitution.
Décisions et motifs critiqués
L'arrêt, par confirmation du jugement du premier juge, dit pour droit
que l'article 918 du Code civil est applicable à la vente de la nue-propriété des
immeubles sis à F., rue …, faite le 21 décembre 1981 par feu G. D. au
demandeur, décide qu'en conséquence la valeur en pleine propriété de ces
biens, aliénés avec réserve d'usufruit à l'un des successibles en ligne directe,
doit être imputée sur la portion disponible et l'excédent éventuel doit être
rapporté à la masse, confirme l'expertise visant à déterminer la valeur des
immeubles litigieux à la date du décès de l'auteur des parties et selon leur état
au 21 décembre 1981 et exclut que le demandeur puisse obtenir « le
remboursement de la moitié du prix qu'il a payé pour l'achat de la nuepropriété, soit 49.578 euros ».
Il décide que la présomption, contenue dans l'article 918 du Code civil,
selon laquelle les aliénations à l'un des successibles en ligne directe de la nuepropriété d'un bien, avec réserve d'usufruit, doivent être considérées comme
« de pures donations de la pleine propriété des biens aliénés, qui doivent être
rapportées pour autant qu'elles portent atteinte à la quotité disponible », est
irréfragable et « ne peut être renversée que par la preuve de l'accord des
autres héritiers sur l'opération critiquée ».
L’arrêt fonde sa décision, d'une part, sur les motifs du jugement du
premier juge qu'il adopte, suivant lesquels :
« L'article 918 du Code civil s'applique (...) au successible, pour la part
que celui-ci détient dans le bien litigieux.
La jurisprudence invoquée par [le demandeur et son épouse] n'est pas
applicable à l'espèce. Cette jurisprudence vise en effet l'hypothèse où un
capital, représentant le prix exact de la pleine propriété, est versé, non entre
les mains des vendeurs, mais entre les mains des héritiers eux-mêmes. Aucune
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simulation n'est possible quant au paiement, puisque le prix se retrouve
entièrement entre les mains des héritiers. Compte tenu de l'âge des vendeurs,
ce prix avait en outre été fixé comme si aucun usufruit n'avait été réservé.
L'article 918 du Code civil crée une présomption irréfragable de
donation qui ne peut être renversée que :
a) par la preuve, par toutes voies de droit, de l'accord, même tacite, des
autres héritiers (article 918 du Code civil) ;
b) par un aveu judiciaire ou le serment (article 1352 du Code civil).
[Le demandeur et son épouse] ne démontrent pas que les [défendeurs]
ont donné leur accord à l'acte de 1981. Ils n'invoquent pas un aveu judiciaire
de ceux-ci et ne leur ont pas déféré le serment. Aucune autre preuve ne
pouvant être reçue à l'encontre de la présomption légale de l'article 918, l'acte
du 21 décembre 1981 doit être qualifié de donation de la pleine propriété de la
part (du demandeur) »,
et, d'autre part, sur les motifs propres suivants :
« Quant à l'application de l'article 918 du Code civil
L'article 918 du Code civil prévoit que la valeur en pleine propriété des
biens aliénés avec réserve d'usufruit à l'un des successibles en ligne directe
sera imputée sur la portion disponible et que l'excédent, s'il y en a, sera
rapporté à la masse.
(...) L'article 918 institue deux présomptions : ‘la première est une
présomption que l'aliénation réalisée est une libéralité, pour le tout si elle est
faite à titre onéreux, ou pour la charge ou la réserve d'usufruit s'il s'agit d'un
acte à titre gratuit ; la seconde est une présomption de dispense de rapport, ces
aliénations étant imputables sur la quotité disponible et réduites si elles la
dépassent. La présomption de libéralité est irréfragable ; elle ne souffre donc
aucune preuve contraire’ (Van Gysel, Précis du droit des successions et des
libéralités, Bruylant, 2008, p. 286).
(Le demandeur) estime que cet article ne peut être appliqué dans le cas
d'espèce car : (i) il serait réservé aux aliénations ‘à fonds perdu’,(ii) rien dans
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le texte de la loi ne prévoit que la présomption est irréfragable, (iii) il n'y a eu
aucun animus donandi dans le chef du défunt ni l'intention de privilégier l'un
des héritiers au détriment des autres ; l'opération a par ailleurs été rentable
pour le défunt puisqu'il a perçu des loyers jusqu'à son décès, (iv) il est possible
de comparer le prix versé pour la nue-propriété puisque l'on connaît la valeur
de l'usufruit, ce qui permet d'établir que l'aliénation est sincère.
La cour [d’appel] se réfère à la judicieuse motivation du premier juge
qu'il ne sert à rien de paraphraser.
Il suffit de préciser que :
L'article 918 du Code civil concerne non seulement les aliénations à
fonds perdu mais également toutes les aliénations avec réserve d'usufruit ; y
sont assimilées les aliénations de nue-propriété.
L'article 918 vise des aliénations qui apparaissent suspectes parce que,
ou bien cession est faite du capital, ou bien est imposée une obligation
aléatoire, plus précisément le paiement d'une rente viagère ou la charge de
l'usufruit. C'est pourquoi la présomption légale a pour effet que de telles
aliénations sont de pures donations de la pleine propriété des biens aliénés,
qui doivent être rapportées pour autant qu'elles portent atteinte à la quotité
disponible.
Si le texte ne dit pas expressément que la présomption est irréfragable,
l'ensemble de la doctrine et de la jurisprudence est d'accord sur ce point.
(Le demandeur) ne peut voir dans l'arrêt de la cour d'appel de Gand du
7 novembre 1985 qu'il cite ‘une brèche dans le caractère irréfragable de
l'article 918 du Code civil’. Dans le cas examiné, le prix de la nue-propriété
représentait la valeur de la pleine propriété du bien de sorte que la cour
[d’appel] a considéré que le caractère aléatoire de l'usufruit n'intervenait en
rien dans l'appréciation du prix, lequel était par ailleurs versé entre les mains
des héritiers. La cour [d’appel] en a alors déduit que la cause dont elle était
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saisie n'entrait pas dans le champ d'application dudit article, sans qu'il faille y
voir une dérogation au caractère irréfragable de la présomption.
Cela étant, l'article 918 du Code civil est bien applicable au cas
d'espèce dans la mesure où la vente a lieu avec réserve d'usufruit, soit une
obligation qui se révèle aléatoire au moment où elle est conclue. Il est dès lors
sans intérêt et contraire à cet article d'invoquer qu'au décès, la valeur de
l'usufruit est connue et qu'il est possible de comparer le prix payé avec la
valeur de l'usufruit.
Face à la présomption irréfragable de donation, il est vain d'invoquer
que le défunt n'avait aucun animus donandi à l'égard des acquéreurs.
Enfin, le fait que la jurisprudence [donne de cette disposition une]
interprétation restrictive ou que d'aucuns [la] considèrent comme [l’une des]
plus controversées du Code civil n'influence en rien son application en
l'espèce.
La présomption irréfragable de donation ne peut être renversée que par
la preuve de l'accord des autres héritiers sur l'opération critiquée.
(Le demandeur) invoque que ses frère et sœurs étaient au courant de la
situation et n'ont jamais soulevé la moindre objection à celle-ci.
[De concert] avec le premier juge, il y a lieu de considérer qu'il ne
rapporte cependant pas la preuve de leur accord exprès sur l'acte de 1981 et
que leur absence de réaction à cet acte du vivant de leur père ne suffit pas.
À titre subsidiaire, (le demandeur) sollicite que soient posées à la Cour
constitutionnelle deux questions préjudicielles :
L'article 918 du Code civil viole-t-il les articles 10 et 11 de la
Constitution en tant qu’il prévoit :
- une présomption irréfragable de donation en cas de vente avec
réserve d'usufruit alors que, selon la jurisprudence, rien n'est prévu pour le cas
de vente avec réserve du droit d'habitation ?
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- une présomption de donation, notamment en cas de vente avec réserve
d'usufruit, si, comme la jurisprudence l'interprète actuellement, cet article
n'offre pas la possibilité à l'acquéreur de renverser la présomption de
collusion, de dol ou de dissimulation sur laquelle elle est fondée ?
Ces questions n'apparaissent pas pertinentes en l'espèce.
Pour ce qui concerne l'application de l'article 918 du Code civil au
droit d'habitation, la jurisprudence et la doctrine sont divisées : une partie de
la doctrine et de la jurisprudence considère en effet que les droits d'habitation
et d'usufruit sont parfaitement comparables. La Cour constitutionnelle l'a
d'ailleurs affirmé dans son arrêt 54/2004 du 24 mars 2004.
Pour ce qui concerne la seconde question, (le demandeur) ne précise
pas en quoi cet article instaurerait une discrimination dès lors qu'il est de
nature à s'appliquer à tous de la même façon.
(Le demandeur) invoque la théorie du paiement indu ou de
l'enrichissement sans cause pour obtenir le remboursement de la moitié du prix
qu'il a payé pour l'achat de la nue-propriété, soit 49.578 euros.
À juste titre, le premier juge a considéré que cette demande se heurtait
à la présomption irréfragable de non-paiement qui fait obstacle à la possibilité
d'invoquer un paiement indu ou l'enrichissement sans cause ».
Griefs
Première branche
Dans ses conclusions additionnelles et de synthèse d'appel, le
demandeur faisait valoir, pour établir le paiement du prix de la nue-propriété,
soit 4.000.000 francs, que 2.000.000 francs ont été payés immédiatement grâce
à un prêt souscrit par le couple au Crédit Professionnel [et que] le solde de
2.000.000 francs a été réglé par versements mensuels de 8.350 francs réalisés
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par le fils et sa bru au profit du père. Les derniers paiements bancaires ont été
réalisés par l'intermédiaire d'un versement unique de 192.000 francs.
Aux termes de l'article 918 du Code civil, la valeur en pleine propriété
des biens aliénés, soit à charge de rente viagère, soit à fonds perdu, ou avec
réserve d'usufruit, à l'un des successibles en ligne directe sera imputée sur la
portion disponible et l'excédent, s'il y en a, sera rapporté à la masse. Cette
imputation et ce rapport ne pourront être demandés par les héritiers au profit
desquels la loi fait une réserve et qui auraient consenti à ces aliénations ni,
dans aucun cas, par les successibles en ligne collatérale.
Cette disposition instaure une double présomption : la loi présume,
dans un premier temps, que l'acte renferme une libéralité et, dans un second
temps, que celle-ci est préciputaire, donc dispensée du rapport et imputable
sur la quotité disponible. Il résulte de l'article 921 [de ce code] que ces
présomptions, dès lors qu'elles visent à protéger la réserve successorale, ne
peuvent être invoquées que par les héritiers réservataires.
En vertu de l'article 1352, alinéa 2, [du même code], nulle preuve n'est
admise contre une présomption de la loi lorsque, sur le fondement de cette
présomption, elle annule certains actes ou dénie l'action en justice, à moins
qu'elle n'ait réservé la preuve contraire, et sauf l'hypothèse du serment ou de
l'aveu judiciaire.
L'article 918 [précité] ne répute pas nulles les aliénations qu'il vise, ni
ne dénie au successible une action en justice, mais se borne à transformer la
nature d'une opération qu'il suppose déguisée, en maintenant pour le surplus
les effets de l'acte. Le caractère irréfragable de la présomption de libéralité
qu'il instaure ne saurait dès lors se déduire de l'article 1352, alinéa 2, du
même code.
De ce que l'imputation sur la quotité disponible et le rapport de
l'excédent éventuel ne peuvent être demandés que par les héritiers
réservataires qui n'ont pas consenti à l'aliénation visée par l'article 918, et en
aucun cas par les successibles en ligne collatérale, il se déduit que cette
disposition vise à protéger la réserve successorale des cohéritiers en ligne
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directe du de cujus contre une aliénation potentiellement suspecte faite par ce
dernier au profit de l'un de ses successibles en ligne directe.
Cet objectif n'impose nullement de considérer la présomption de
libéralité contenue dans l'article 918 du Code civil comme étant irréfragable.
Il est atteint dès que le successible bénéficiaire d'une aliénation faite dans les
conditions qu'il prévoit établit que celle-ci était sincère et non fictive, dans la
mesure où, s'agissant d'un bien aliéné avec réserve d'usufruit, le successible
acquéreur en a réellement payé le prix et où le de cujus a effectivement joui de
l'usufruit qu'il s'est réservé.
En décidant que la présomption de donation est irréfragable et ne peut
être renversée que par la preuve de l'accord des autres héritiers sur l'opération
critiquée et en refusant, partant, de prendre en considération le paiement du
prix de la nue-propriété, alors que l'article 918 du Code civil n'énonce pas que
la présomption de libéralité qu'il instaure est irréfragable et que ce caractère
ne se déduit ni de sa ratio legis ni de l'article 1352, alinéa 2, du même code,
l'arrêt ajoute au texte un élément qu'il ne contient pas (violation des articles
918 et 1352, alinéa 2, du Code civil).
Deuxième branche
En vertu de l'article 6 du Code judiciaire, les juges ne peuvent
prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui
leur sont soumises.
L'arrêt énonce que si le texte ne dit pas expressément que la
présomption est irréfragable, l'ensemble de la doctrine et de la jurisprudence
est d'accord sur ce point, sans autrement motiver cette décision.
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Outre qu'il se méprend sur l'opinion de la doctrine qu'il évoque,
laquelle n'est nullement unanime, l'arrêt attribue à la jurisprudence estimant
que la présomption de libéralité instaurée par l'article 918 du Code civil [est]
irréfragable une portée réglementaire au mépris de l'article 6 du Code
judiciaire (violation de cette disposition).
Troisième branche
Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent les principes
d'égalité et de non-discrimination. Ceux-ci sont méconnus lorsqu'une
différence de traitement n'est pas raisonnablement justifiée au regard de
l'objectif poursuivi par le texte dont elle résulte.
À supposer que l'article 918 du Code civil doive être interprété en ce
sens que la présomption de libéralité qu'il instaure est irréfragable, [la
différence de traitement qui en résulte] entre les successibles en ligne directe et
les autres bénéficiaires d'une aliénation faite dans les conditions qu'il prévoit,
notamment avec réserve d'usufruit, [est] disproportionnée au regard de
l'objectif poursuivi, qui est de protéger la réserve successorale contre des
aliénations suspectes au bénéfice de l'un des successibles.
En présence d'une aliénation sincère et non fictive, la réserve des
cohéritiers est suffisamment préservée si, confronté à une présomption [juris
tantum], l'héritier doit apporter la preuve du caractère sincèrement onéreux de
l'acte dont il a bénéficié. Il est disproportionné de lui imposer, en vue de la
sauvegarde des intérêts particuliers de ses cohéritiers, une présomption
n'autorisant pas la preuve contraire.
L'arrêt, qui, en application de l'article 918 du Code civil, décide que la
présomption de libéralité contenue dans cette disposition est irréfragable et ne
peut être renversée que par la preuve de l'accord des autres héritiers sur
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l'opération critiquée en refusant, partant, de prendre en considération les
preuves du paiement du prix, viole les articles 10 et 11 de la Constitution.
Le demandeur invite la Cour, avant dire droit, à poser à la Cour
constitutionnelle la question préjudicielle suivante :
L'article 918 du Code civil, qui vise à protéger la réserve des
cohéritiers contre des aliénations suspectes au bénéfice de l'un des
successibles en ligne directe, s'il doit être interprété en ce sens qu'il présume
[de manière irréfragable] que la vente d'un bien à charge de rente viagère, à
fonds perdu ou avec réserve d'usufruit à l'un des successibles en ligne directe
doit être qualifiée de donation, de sorte que la valeur en pleine propriété des
biens aliénés doit être imputée sur la portion disponible et l'excédent éventuel
doit être rapporté à la masse et est susceptible d'être réduit, sans permettre au
successible gratifié de renverser cette présomption légale en prouvant qu'il a
effectivement servi la rente viagère ou payé le prix de la nue-propriété, et que
l'aliénateur a effectivement joui de son usufruit, établissant ainsi la sincérité de
l'acte dont il a bénéficié, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en
prévoyant un régime probatoire dérogatoire au droit commun qui est
disproportionné au [regard du] but poursuivi par le législateur ?
III.
La décision de la Cour
Quant à la première branche :
L’article 1352, alinéa 2, du Code civil dispose que nulle preuve n’est
admise contre la présomption de la loi, lorsque, sur le fondement de cette
présomption, elle annule certains actes ou dénie l’action en justice, à moins
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qu’elle n’ait réservé la preuve contraire, et sauf ce qui sera dit sur le serment et
l’aveu judiciaires.
Aux termes de l’article 918 de ce code, la valeur en pleine propriété des
biens aliénés, soit à charge de rente viagère, soit à fonds perdu, ou avec réserve
d'usufruit, à l'un des successibles en ligne directe, sera imputée sur la portion
disponible ; et l'excédent, s'il y en a, sera rapporté à la masse. Cette imputation
et ce rapport ne pourront être demandés par les héritiers au profit desquels la
loi fait une réserve et qui auraient consenti à ces aliénations, ni, dans aucun cas,
par les successibles en ligne collatérale.
Cette disposition repose sur la présomption légale que les aliénations
qu’elle vise, consenties par le de cujus à l’un de ses successibles en ligne
directe, sont des libéralités pures et simples, portant sur la pleine propriété des
biens aliénés, mais avec dispense de rapport.
Il s’ensuit que cette présomption légale n’est susceptible d’être
renversée que dans l’hypothèse, prévue à l’article 918, où les autres héritiers
réservataires auraient consenti à l’aliénation.
Le moyen, qui, en cette branche, soutient le contraire, manque en droit.
Quant à la deuxième branche :
L’arrêt, qui se réfère à « l’ensemble de la doctrine et de la
jurisprudence » pour appuyer son analyse de l’article 918 du Code civil, ne se
prononce pas par voie de disposition générale et réglementaire au sens de
l’article 6 du Code judiciaire.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la troisième branche :
Le moyen, qui procède de l’affirmation qu’en présence d’une aliénation
sincère et non fictive, la réserve des cohéritiers est suffisamment préservée si le
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successible en ligne directe bénéficiant d’une aliénation doit apporter la preuve
du caractère sincèrement onéreux de l’acte dont il a bénéficié, ne dénonce pas
une distinction entre des personnes ou des catégories de personnes se trouvant
dans la même situation mais critique le régime probatoire instauré par l’article
918 du Code civil dans le but de protéger la réserve successorale.
Il n’y a dès lors pas lieu de poser à la Cour constitutionnelle la question
préjudicielle proposée par le demandeur.
En décidant, par application de l’article 918 du Code civil, que « la
présomption irréfragable de donation ne peut être renversée que par la preuve
de l’accord des autres héritiers sur l’opération critiquée », l’arrêt ne viole pas
les articles 10 et 11 de la Constitution.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Sur la demande en déclaration d'arrêt commun :
Le rejet du pourvoi prive d'intérêt la demande en déclaration d'arrêt
commun.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi et la demande en déclaration d’arrêt commun ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de mille quatre cent quatre-vingts euros quarantesix centimes envers la partie demanderesse et à la somme de sept cent trente
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euros septante-cinq centimes envers les première, deuxième, troisième et
quatrième parties défenderesses.
Ainsi jugé par la Cour de cassation, première chambre, à Bruxelles, où
siégeaient le président de section Albert Fettweis, les conseillers Martine
Regout, Mireille Delange, Marie-Claire Ernotte et Sabine Geubel, et prononcé
en audience publique du douze mars deux mille quinze par le président de
section Albert Fettweis, en présence de l’avocat général André Henkes, avec
l’assistance du greffier Patricia De Wadripont.
P. De Wadripont
S. Geubel
M.-Cl. Ernotte
M. Delange
M. Regout
A. Fettweis