Festival d`Aurillac : Un spectacle subversif, c`est quoi
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Festival d`Aurillac : Un spectacle subversif, c`est quoi
L’Insatiable > outils > Articles offerts par L’Insatiable > Festival d’Aurillac : Un spectacle subversif, c’est quoi ? Festival d’Aurillac : Un spectacle subversif, c’est quoi ? dimanche 30 août 2015, par Thomas Hahn Qu’est-ce qui fait le bonheur d’un spectacle politique ? Se contenter de dénoncer les méchants est-il suffisant ? N’est-il pas plus utile de tenter de transformer notre vision du monde ? Une subversion qui surgit et agit sans prévenir n’est-elle pas autrement plus efficace qu’un discours plein de justes révoltes et de bonnes intentions ? Car la subversion est une enfant facétieuse. On peut la conjurer à grands coups de discours, mais elle préférera se cacher sous des paroles douces. Elle n’aime pas qu’on l’attende au tournant. Timide, elle raffole de se glisser dans les consciences par surprise. Le Festival d’Aurillac offrait cette année une belle occasion de comparer différentes manières de lui faire la cour. Visiblement, la belle sybilline n’a pas apprécié certaines tentatives de séduction trop cavalières. Celle de Kumulus, par exemple. Leur Naufrage met en scène un fantasme sur un fantasme, une partie de bunga-bunga jouée par les puissants de ce monde qui contrôlent les moyens de télécommunication. D’après leurs costumes mondains on comprend qu’ils se trouvent à bord d’un Titanic près de couler qui a pris des allures de Radeau de la Méduse pour s’échouer dans une marée de déchets de la société industrielle. Le Naufrage... Acteurs corporels formidables, propos légitime, juste, droit au but. Mais sans vraiment rien apporter de nouveau au débat. Le capitalisme est nocif, certes. On le comprend à la lecture de tous les journaux, chaque jour. Il suffirait de vouloir l’entendre. Ce n’est pas un problème d’information, mais d’écoute. Affine-t-on l’écoute en assénant des messages que tout le monde connaît par cœur (même si les images sont belles ! ) ? Là où Naufrage surfe sur les stéréotypes des forts, Silence encombrant, la création précédente de la compagnie, un véritable chef-d’œuvre, nous faisait magnifiquement découvrir la force tranquille des faibles, de ceux que la société considère comme ses déchets. Chez Kumulus, le propos a le mérite d’être clair. Ils ne sèment pas la confusion, comme ces gars totalement loufoques d’une compagnie improbable : Les Trois Points de Suspension. ...du Paradis Ce collectif hors-format s’est emparé des rues d’Aurillac avec un travelling agité, totalement inénarrable, aux tableaux multiples et imprévisibles : Looking for Paradise. Promesses spirituelles, religieuses, newage ou autres, sans oublier la pizza livrée par un animateur style Club-Med. Et à la fin on va dans une salle de congrès pour déguster, dans son fauteuil, un yaourt au sucre roux, face à un gourou hypnotiseur qui tente de faire défiler sur nos langues l’ananas, la pêche, et autres propositions aromatiques. Parole de gourou : « Ne goûtez pas votre yaourt avant que je ne vous en parle ! » Trop tard, déjà mangé ! Et c’est raté pour l’ananas et consorts. La fumée cosmique déployée sur le plateau n’impressionne plus. Et c’est moins drôle que le côté secte et mystique de ces défenseurs criards du bonheur de croire en quelque chose, déguisés en chamanes des plaines... Sont-ils venus dénoncer les mirages commercialisables ou en profitent-ils pour mettre le public de leur côté ? La société du spectacle peut-elle formuler son autocritique par le moyen de ses propres excès ? Trois points d’interrogation... Dans l’intimité du décor urbain Le spectaculaire et l’intimiste sont-ils forcément comme l’eau et le feu ? La réponse de la compagnie KTHA est un "non" formidablement nuancé. Ils ont créé l’une des salles de spectacle les plus inattendues de l’histoire du théâtre. Les spectateurs prennent place sur un camion-gradin, à ciel ouvert. Une petite cinquantaine pour suivre trois acteurs traversant à pieds la ville. Routes principales à l’heure de pointe, petites rues désertes et habitants à leurs fenêtres... Les dimensions du camion sont assez spectaculaires. L’engin est bien plus grand que celui dans lequel on a trouvé soixante-dix réfugiés étouffés sur le bord d’une autoroute autrichienne. Le texte de Juste avant que tu ouvres les yeux évoque tout ce qui peut vous passer par la tête pendant les quelques minutes de somnolence après la première sonnerie du réveil, des pensées les plus intimes et poétiques à l’envie de mettre le feu à cette société. Pourtant, le camion n’accélère pas quand les pensées s’emballent. Ses 3.5 km/h sont une force tranquille qui traverse les rues et les esprits. Les sourires, les petits gestes, la douceur des trois comédiens-marcheurs, en même temps médiateurs avec les automobilistes, plongent le public dans un état onirique, comme par hypnose. À la poursuite de Jeanne La ville devient à la fois le décor et le personnage central, comme avec la Compagnie Sous X et No Visa for this Country, où l’on suit une comédienne-danseuse, Barbara Sarreau (bien connue comme interprète chez Angelin Preljocaj) alias Jeanne. Jeanne a disparu, ceux qui la suivent la cherchent, ils portent un casque qui diffuse musiques et messages laissés sur son répondeur. Jeanne a tendance à se fondre dans le décor urbain. Elle flirte avec sa disparition, avant de se multiplier miraculeusement. Jeanne, brouilleuse de pistes. Ceci dit, on ne la suit pas pour l’identifier mais pour imaginer sa vie. Le paysage urbain et l’imaginaire intimiste se rejoignent amicalement. Jeanne est ce pays pour lequel nous cherchons un visa. L’imaginaire des bords Clairement, l’imaginaire est la piste à suivre. La compagnie Délices Dada invente même de toute pièce une nouvelle discipline scientifique somptueusement chimérique, La Géographie des Bords. Venus du monde entier, formant une communauté de chercheurs farfelus, libres, enthousiastes et poétiques. Ils entraînent leur public dans une exploration des bords de route, où l’on découvre par exemple comment se nourrir de l’air et en apprécier toutes les finesses gustatives. La métaphore est évidente, on peut changer de point de vue sur son environnement et sa vie, il suffit d’y introduire une dose de cette géographielimite. Cet exercice de réenchantement fut le troisième volet au Festival d’Aurillac de ce qu’on pourrait appeler une « école de la sensibilité ». Cette subversion en douceur, par surprise et basculement de point de vue l’emporte sur tout discours frontal. Avec No Visa for the Country, la Compagnie Sous X fait entrer dans l’intimité de chacun le rêve de se refuser à la machine capitaliste et de « danser sur une barricade ». Ces inventeurs ouvrent et font vivre de nouveaux regards sur la relation entre l’individu et l’environnement urbain. Texte et photos : Thomas Hahn P.-S. http://2015.aurillac.net/ http://kumulus.fr/ www.troispointsdesuspension.fr www.ktha.org www.compagniesousx.com www.delices-dada.org