INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU

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INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU
UNIVERSITÉ LYON 2
Institut d'Etudes Politiques de Lyon
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU
JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
Mélody ENGUIX
Séminaire « L' Asie orientale aujourd'hui »
Sous la direction d’Eric Seizelet
Mémoire soutenu le 30/08/2007
Jury : Eric Seizelet et Yveline Lecler
Table des matières
I- Le contexte particulier de l’immigration au Japon . .
1- Les étrangers au Japon . .
A- Histoire de l’immigration au Japon . .
B- Panorama des étrangers au Japon aujourd’hui : quelques statistiques . .
2- Qu’est-ce que l’intégration au Japon ? . .
A- Le mythe de l’homogénéité japonaise . .
B- Les éléments formateurs de l’identité japonaise . .
C- Les différents concepts de la sociologie de l’intégration et comment ils peuvent
s’appliquer au Japon . .
II- Immigration et travail dans la société japonaise . .
1- La place du travail dans la société japonaise . .
2- Travail et intégration, travail et socialisation . .
3- Légitimation de la présence des immigrés par le travail dans le débat public . .
A- Les avantages de l’immigration soulignés dans le débat public : un apport de
main-d’œuvre . .
B- Les coûts sociaux tels que considérés dans le débat public . .
C- Les éléments qui complexifient le débat . .
4- Les limites du travail comme outil de légitimation des étrangers . .
III- Obstacles à l’intégration par le travail au Japon : une typologie . .
1- Les travailleurs illégaux . .
A- Des conditions de travail difficiles . .
B- Rapports des travailleurs étrangers avec les travailleurs japonais . .
C- Effets des conditions de travail sur l’intégration des illégaux . .
2- Les Nikkeijin, descendants d’immigrés japonais en Amérique du Sud . .
3- Le cas des Zainichi : mobilité sociale et place du travail dans la construction de l’identité
..
A- Les caractéristiques de l’emploi des étrangers résidents . .
B- Le poids du travail dans la construction de l’identité des Zainichi . .
Bibliographie . .
Sur l’immigration au Japon . .
Sur des questions plus générales à propos du Japon . .
Sur l’immigration en général . .
Sur le travail . .
Résumé . .
Mots-clés . .
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INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
I- Le contexte particulier de
l’immigration au Japon
Afin d’envisager le rôle que joue au Japon le travail dans le processus d’intégration des
étrangers, il est d’abord nécessaire de dresser le tableau de l’immigration dans ce pays.
Nous gardons ainsi à l’esprit la mise en garde d’Andrea Rea et de Maryse Tripier qui
insistent, dans leur Sociologie de l’immigration, sur lanécessité de ne pas perdre de vue les
particularités de chaque situation d’immigration lorsque le sociologue s’y intéresse.
Dans le cas du Japon, l’étude de l’histoire de l’immigration et de la population étrangère
actuelle qui en est issue devrait nous permettre de mettre à jour les particularités du
contexte japonais, mais aussi des éléments de comparaison qui justifient d’utiliser des grilles
d’analyse et des concepts construits pour d’autres cas et éventuellement de proposer une
forme de lecture comparative.
Autre élément qui tend à particulariser le contexte japonais, la vision qu’a la société
japonaise d’elle-même et plus précisément, le mythe de l’homogénéité japonaise et la
lecture de l’immigration par la société japonaise à la lumière de ce mythe. Nous nous
efforcerons de comprendre ce que peut signifier intégration dans un tel contexte.
1- Les étrangers au Japon
A- Histoire de l’immigration au Japon
Si le Japon n’est pas réputé pour être une terre d’immigration et s’il faut lui reconnaître,
en comparaison à d’autres pays européens ou américains, un passé un peu moins riche
en la matière, il ne faut en aucun cas tomber dans le biais inverse qui serait de réduire à
rien les différentes vagues de migration qu’a connues l’archipel et dont l’influence a pu être
très grande.
1
Kazutoshi Koshiro identifie quatre grandes vagues d’immigration dans l’histoire
japonaise. Les deux premières ont eu lieu dans le Japon du VIIIe et du XVIIe siècle et
sont à l’origine de nombreux apports techniques et culturels à la civilisation japonaise, qui
démentent l’idée d’un Japon culturellement uniforme.
Ce sont les deux vagues de migration suivantes qui nous intéressent toutefois au
premier chef, puisque les populations immigrées ou leurs descendants font aujourd’hui
encore partie de la population étrangère résidant au Japon et restent pour la majeure partie
identifiés par cette différence. En particulier, ils possèdent divers statuts juridiques qui les
différencient des nationaux, comme nous aurons l’occasion de le détailler par la suite.
1
« Does Japan Need Immigrants ? » par Kazutoshi Koshiro, in Temporary Workers or Future Citizens, Weiner et Hanami (dir),
Macmillan Press Ltd, 1998
4
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I- Le contexte particulier de l’immigration au Japon
La troisième vague d’immigration vers l’archipel qu’il identifie serait arrivée dans les
années trente et quarante. Il s’agit d’une main-d’œuvre coréenne et chinoise importée pour
faire face à des pénuries au sein de la force de travail japonaise. Ces travailleurs, pour
partie, ont été amenés de force et leur migration prend place dans un contexte colonial.
Le Japon était en effet devenu la grande puissance coloniale de l’Asie, suivant en cela le
chemin des grands pays occidentaux, avec dès le début du XXe siècle l’occupation d’une
partie de la Chine et l’annexion, en 1910, de la péninsule coréenne, puis dans les années
trente et même quarante une politique expansionniste efficace.
2
Pour Yoko Sellek , si ces immigrés majoritairement coréens n’ont pour la plupart pas
été forcés stricto sensu à immigrer, la situation économique difficile dans laquelle l’annexion
avait laissé la péninsule coréenne était le facteur majeur de cette immigration et les y avait
pour ainsi dire contraints.
« C’est dans ce contexte [colonial] qu’un grand nombre de Coréens sont
apparus comme travailleurs étrangers à la suite de l’annexion de la Corée.
Ils avaient été amenés pour former une force de travail supplémentaire au
Japon. Entre 1910 et 1939, la plupart des travailleurs coréens ont été au Japon
comme travailleurs volontaires, bien qu’ils aient été contraints de venir du
fait de difficultés financières suite à l’annexion de la Corée par le Japon. En
particulier, les politiques économiques du Japon ont eu pour conséquence
l’appauvrissement d’un nombre croissant de fermiers coréens et ont créé un
environnement dans lequel un exode rural massif était inévitable. Entre 1939 et
1945, ces fermiers ainsi que d’autres travailleurs coréens se sont retrouvés avec
3
peu d’autres options que d’aller travailler au Japon. »
La part des travailleurs coréens forcés à immigrer et le degré de contrainte qu’ils ont subi
restent dans une certaine mesure débattus. On en retiendra que les conditions d’arrivée de
cette génération d’immigrés étaient susceptibles de générer des tensions entre la population
immigrée en question et la société d’accueil, tensions renforcées par d’autres question
sensibles liées à l’occupation de la péninsule coréenne, notamment la question de la
prostitution forcée de femmes des pays occupés auprès de soldats japonais pendant la
guerre, entre autres crimes de guerre dont le Japon s’est vu accusé.
D’après Yoko Sellek, on dénombrerait quelque deux millions de travailleurs ainsi arrivés
au terme de la guerre. D’abord traités comme des Japonais en vertu de l’annexion de la
Corée, ils furent déchus de leur nationalité japonaise en 1952, lorsque, après la période
d’occupation américaine qui suivit la défaite japonaise, le Japon reprit son indépendance.
Tous ne sont pas restés au Japon. Au contraire, comme le précise Sellek, on estime
que près de 1,4 million d’entre eux ont été rapatriés en Corée. Mais les difficultés qu’ils
connurent lors de leur réinstallation en Corée incitèrent certains à repartir pour le Japon
avec leurs familles, parfois clandestinement. Une petite immigration en provenance de
Corée a continué après 1965, bien qu’à un rythme bien moindre. Toutefois, l’immigration est
restée faible dans les années soixante et la croissance japonaise s’est faite sans l’apport
2
3
Sellek Yoko, Migrant Labour In Japan, Palgrave Macmillan, 2001, p 18
Toutes les citations d’ouvrage en anglais sont traduites par nos soins. En conséquence, les traductions de termes
anglais très spécifiques peuvent parfois n’être que des approximations qui en altèrent quelque peu le sens originel.
Certains termes qui sont des traductions doubles, quand l’auteur anglophone avait lui-même traduit une expression
japonaise, sont à prendre avec plus de circonspection encore.
Enguix Mélodie - 2007
5
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
de travailleurs étrangers, à la différence, comme le souligne Sellek, de bien des pays
occidentaux, faisant du pays l’exception confirmant la règle.
Cette situation a pris fin progressivement dans les années quatre-vingts, le tournant
décisif des années 1987-1991faisant du Japon l’un des principaux pays d’accueil de la
main-d’œuvre étrangère. Il s’agit de la quatrième vague d’immigration identifiée par Koshiro,
avant tout composée de travailleurs non qualifiés illégaux. Il explique que celle-ci répondait
à l’épuisement de la ressource saisonnière de main-d’œuvre que constituaient jusque là les
paysans du Nord du Japon, laissés inactifs l’hiver par le mauvais temps et employés dans
les secteurs de la construction ou des routes.
Sellek précise toutefois que cette vague se subdivise. Dans un premier temps, de la
fin des années soixante-dix à l’année 1986 environ, l’immigration est d’abord féminine, en
4
provenance d’Asie de l’Est et du Sud-est (Corée du Sud, Taiwan, Thaïlande, Philippines) .
Une immigration à dominante masculine et non qualifiée prend la suite, après 1986.
La forte hausse de l’immigration de 1987-1991, période de forte expansion économique
pour le Japon, associée à une pénurie de main-d’œuvre dans différents secteurs et à une
appréciation du yen qui alimentait l’offre d’immigration des pays en développement de l’Asie,
a fait naître un débat sur la nécessité de modifier la politique migratoire alors très restrictive
pour les travailleurs non qualifiés en vue de faire face à la pénurie de main-d’œuvre qui se
profilait à l’horizon du siècle suivant. La grande réforme de la Loi sur l’immigration en 1990 (la
er
loi est votée par la Diète en 1989, mais entre en vigueur le 1 juin 1990) avait, précise Yoko
Sellek, trois objectifs : « 1) la réorganisation des statuts de résidence pour les étrangers,
2) la clarification des critères de contrôle à l’arrivée et des procédures d’accueil, 3) le
5
renforcement de mesures contre les travailleurs illégaux » . Elle permit entre autres choses
d’institutionnaliser une immigration pour les descendants de Japonais émigrés en Amérique
du Sud (avant tout au Brésil et au Pérou), appelés Nikkeijin, leur permettant d’immigrer sans
qualifications, ce qui est légalement impossible pour les autres catégories d’étrangers (seuls
les travailleurs d’un nombre restreint de professions peuvent entrer légalement au Japon,
il s’agit pour la plupart de professions requerrant des compétences spécifiques, même si il
faut y ajouter des domaines où la demande est forte sans que les qualifications soient d’un
niveau très élevé, le milieu du spectacle constitue un bon exemple). Les Nikkeijin sont dès
lors venus compenser une partie du déficit de main-d’œuvre dans certains secteurs.
L’éclatement de la bulle qui, en 1991, fit entrer le Japon en récession, atténuant de ce
fait les risques de fortes pénuries n’a eu que peu d’effets sur l’immigration qui a légèrement
diminué. Toutefois Sellek précise que des changements sont sensibles avec la mise en
œuvre de la loi : outre l’arrivée des Nikkeijin, les nationalités des immigrants se sont
diversifiées. Du point de vue du statut des immigrés, la Loi a facilité l’entrée des travailleurs
qualifiés, mais le problème des non qualifiés reste entier pour Koshiro.
B- Panorama des étrangers au Japon aujourd’hui : quelques
statistiques
Il nous a semblé utile, afin d’avoir un panorama complet des individus qui forment la
population étrangère au Japon suite aux différentes vagues d’immigration, de donner
quelques statistiques montrant comment ils se répartissent par statut et par nationalité.
4
5
6
Ibid, p 37-39
Ibid, p 60
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I- Le contexte particulier de l’immigration au Japon
A gros traits, on peut dire que quelque 800 000 résidents permanents (régime général
6
ou spécial) sont aujourd’hui les descendants dits « Zainichi » (littéralement « résidents
au Japon ») des Coréens et Chinois immigrés avant la guerre. Yasunori Fukuoka estimait
qu’en 1996, parmi ceux-ci environ 550 000 étaient des Coréens zainichi. Il va de soi que
les Zainichi qui ont choisi la naturalisation ne sont pas comptabilisés dans cette catégorie ;
de même que les enfants ayant un parent coréen et un parent japonais et qui ont acquis
la nationalité japonaise par ce biais spécifique. Ces deux catégories, bien que n’étant pas
constituées d’étrangers stricto sensu, ne sont pas sans intérêt du point de vue de notre
questionnement sur le travail. Nous verrons en effet par la suite que bien des traits propres
à la situation de travail des Zainichi et à son impact en termes d’intégration dans la société
se retrouvent également chez les Zainichi qui ont fait le choix de la naturalisation. Cette
naturalisation est loin en pratique de résoudre la question de l’intégration d’un seul geste,
même si cela peut leur épargner des difficultés administratives et leur donne la possibilité
de taire leur origine au travail.
Ainsi que le précise l’intitulé de la grande catégorie à laquelle ils appartiennent, les
résidents permanents ne sont pas astreints à exercer une activité particulière, toutefois
il existe quelques limites en termes d’accès à l’emploi public, dont nous discuterons
ultérieurement.
Au contraire, une deuxième grande catégorie d’étrangers est définie par son droit
d’exercer une unique profession, profession pour laquelle elle a été acceptée. Ces quelque
180 000 personnes correspondent d’abord aux immigrés les plus récents, immigrés entrés
légalement et disposant de qualifications pour la majeure partie d’entre eux.
Parmi les étrangers légalement présents, les étudiants et les apprentis qui n’ont
officiellement pas le droit de travailler sont près de 200 000. Mais les étudiants peuvent
avoir une dérogation pour certains emplois et parler de travail quant à l’activité des apprentis
est sans doute proche de la réalité des choses. Haruo Shimada plaide ainsi pour un statut
de travailleur explicitement reconnu pour les apprentis, statut qui en reconnaissant leur
7
travail reconnaîtrait les droits qui y sont liés. Enfin, il faut encore ajouter les travailleurs
clandestins. Il peut s’agir de personnes autorisées à résider temporairement au Japon, mais
sans autorisation de travailler qui sont par conséquent comptabilisées dans la catégorie
précédente, qu’elles soient officiellement considérées comme visiteurs temporaires ou
étudiants (beaucoup de personnes par exemple arrivent sous le prétexte de prendre des
cours de langue et travaillent en parallèle, voire à la place de ces cours).
L’autre cas de figure, majoritaire, est celui des personnes qui résident illégalement au
Japon. Le Japon étant un archipel, le contrôle des entrants est relativement facile, si bien
que ces personnes sont avant tout des individus ayant dépassé la durée autorisée par leur
visa. En 2005, ils sont estimés à plus de 200 000 personnes, mais il va sans dire qu’une
estimation exacte est impossible quand il s’agit d’immigration illégale.
Tableau 1 : Nombre d'étrangers inscrits ou illégaux par statut de résidence, fin 2005
6
Si le terme désigne dans l’absolu l’ensemble des Coréens résidents au Japon, qu’ils soient les descendants de ceux arrivés
à la période coloniale ou bien arrivés plus récemment, il est, dans le langage courant, privilégié pour désigner les premiers. C’est à
cet usage que nous ferons référence en l’utilisant.
7
Haruo Shimada, Japan’s Guest Workers, University of Tokyo Press 1994, p 39
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INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
Statut de résidence
Résidents
Professeur
étrangers
Artiste
présents
Activités religieuses
pour raisons
Journaliste
professionnelles Investisseur ou manager
Droit ou comptabilité
Domaine médical
Moniteur
Chercheur
Ingénieur
Spécialiste des humanités ou des services internationaux
Expatrié, à l'intérieur d'une entreprise
Monde du spectacle et du divertissement
Travail qualifié
Sous-total
Statuts de
Visiteur temporaire
résidence ne
Etudiant en faculté (College )
permettant pas Etudiant avant la faculté (pre-College)
le travail en
Stagiaire/apprenti
théorie
Statuts sans
Résident permanent
restriction
Résident permanent spécial
d'activité
Epouse ou enfant d'un Japonais
Epouse ou enfant de résident permanent
Résident de long terme
Résidents étrangers illégaux (estimation)
Total
Nombre
8460
448
4588
280
6743
126
146
2494
9499
29044
55276
11977
36376
15112
180 569
68747
129 568
28147
54107
349 804
451 909
259 656
11066
256 639
207 229
2 218 784
Source : Bureau de l'Immigration du Ministère de la Justice japonais, fin 2005. Données
disponibles dans le document du Japan Institute for Labour Policy and Training (JIL), Labour
Situation and Analysis : a General Overview of 2006-2007
Les chiffres du tableau 1 correspondent aux différentes catégories évoquées
précédemment.
Ce tableau montre la distribution selon le métier des étrangers dont le statut de
résidence est dépendant de leur profession. Il s’agit avant tout de travail qualifié,
reflétant ainsi en partie les contraintes d’une économie mondialisée (ingénieurs, services
internationaux et la pénurie de personnes compétentes dans des secteurs comme la
médecine et le monde du divertissement qui constitue le deuxième métier d’accueil en
nombre
Tableau 2 : Etrangers inscrits, par nationalité, en 2004
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I- Le contexte particulier de l’immigration au Japon
Total
Corée du Nord et Corée du
Sud
Chine
Brésil
Philippines
Pérou
Etats-Unis
Autres
1 973 747
607 419
(en %)
31
487 570
286 557
199 394
55 750
48 844
288 213
25
14
10
3
2
15
Source : Immigration Association, Statistics on Aliens in Japan. Données disponibles
dans le document du Japan Institute for Labour Policy and Training (JIL), Labour Situation
and Analysis : a General Overview of 2006-2007
Le deuxième tableau montre la répartition des étrangers inscrits par nationalité. Les
nationalités les plus importantes sont asiatiques, avec la Corée et la Chine qui à elles deux
dépassent le million, pour des raisons de proximité géographique bien sûr mais aussi du fait
de l’héritage historique qui les lie avec le Japon. L’autre pôle important, on le voit, ce sont
les Nikkeijin, les descendants des immigrés japonais en Amérique du Sud : les nationaux
brésiliens et péruviens sont environ 340 000.
Tableau 3 : Estimation du nombre de personnes ayant dépassé la durée autorisée par leurs visas
Total
Corée
Philippines
Chine
Thaïlande
Malaisie
Pérou
Taiwan
Iran
Myanmar
Bangladesh
Pakistan
Autres
Juillet 1997
281 157
52 854
42 627
38 957
38 191
10296
12027
9403
10153
5957
5861
4766
50 016
juillet 1998
276 641
59 160
42 646
35 558
35 138
10143
11052
9364
8121
5650
5278
4490
50 941
juillet 1999
268 421
63 818
39 235
36 077
26 546
9763
10263
9429
6524
5304
4625
3931
47 970
janvier 2000
251 697
60 693
36 379
32 896
23 503
9701
9158
9243
5824
4983
4263
3414
46 690
janvier 2001
232 121
56 023
31 666
30 975
19 500
9651
8502
8849
4335
4473
juillet 2001
235 509
56 554
31 600
32 112
19 193
9986
8465
8864
4010
4326
52 832
54 404
Source : Ministère de la Justice japonais. La catégorie « autres » comprend le Pakistan
et le Bangladesh à partir de janvier 2003. Données disponibles dans le document de l’OCDE
Migration and the Labour Market in Asia, 2003
Le troisième tableau montre la répartition la répartition par nationalité des étrangers
présents illégalement sur le territoire. Là encore, logiquement les étrangers en provenance
d’Asie sont les plus nombreux mais les origines sont plus diversifiées. Si la Corée et la Chine
sont deux pays d’origine importants en nombre, les Philippines essentiellement, mais aussi
la Thaïlande et la Malaisie voient partir de nombreux immigrés vers le Japon.
On notera qu’il existe des immigrés en résidence illégale en provenance du Pérou en
parallèle de la création du statut de Nikkeijin.
Tableau 4 : Etrangers acceptés avec le statut d’apprentis en 2000, par nationalité
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INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
Chine
Indonésie
Philippine
Thaïlande
Vietnam
Malaisie
Inde
Corée
Sri Lanka
Taiwan
Sous total Asie
Afrique
Amérique latine
Europe
Amérique du Nord
Océanie
Total
En 2000
27 839
6 231
3 727
2 974
2 757
1 285
649
592
479
335
46 868
1 573
1 399
854
622
374
51690
%
51,5
11,5
6,9
5,5
5,1
2,4
1,2
1,1
0,9
0,6
86,7
2,9
2,6
1,6
1,2
0,7
95,7
Source : Ministère de la Justice japonais. Données disponibles dans le document de
l’OCDE Migration and the Labour Market in Asia, 2003
Les apprentis, enfin, viennent presque exclusivement d’Asie, avec 91% de cette
population, et la Chine compte à elle seule, en tête, plus de la moitié de ces stagiaires.
Pour conclure, on dira qu’il ne faut manquer, dans ce rapide panorama, de remarquer
que le nombre et l’importance des étrangers dans la population japonaise restent relatifs.
Le Japanese Working Life Profile de2006-2007 propose ainsi la comparaison du Japon
avec quelques autres pays d’un niveau de développement similaire : en 2002, le Japon
affichait 180 000 travailleurs étrangers sur son territoire selon une définition qui donnait elle
au Royaume-Uni, à l’Allemagne et aux Etats-Unis respectivement 1 300 000, 3 600 000 et
1600 000 travailleurs. John Lie, dans un article intitulé « The “Problem” of Foreign Workers
in Japan” souligne en effet l’existence d’un paradoxe entre l’importance du débat sur les
travailleurs étrangers et leur faible nombre.
« Assez souvent, les travailleurs immigrés deviennent un problème pour la
politique nationale suite à un conflit entre ethnie pour des ressources. Ces
conditions, cependant, n’existent pas au Japon. Le nombre d’étrangers est très
faible comparé à celui de la plupart des Etats nations riches. […] De plus, les
emplois bien rémunérés, de qualité (élite) dans la haute administration ou les
grandes entreprises restent réservés aux diplômés japonais. En effet, même les
résidents de longue date, comme la communauté coréenne, se sont vus interdire
ces postes, réservés aux citoyens japonais (avec une citoyenneté fondée sur
le « sang »). Alors que l’économie japonaise était en très bonne santé dans les
années 1980, de nombreuses petites entreprises de l’industrie manufacturière
ont connu une pénurie de main-d’œuvre aigue, comme l’industrie du sexe et bien
des emplois faiblement rémunérés. Le faible nombre de nouveaux travailleurs
10
Enguix Mélodie - 2007
I- Le contexte particulier de l’immigration au Japon
étrangers et l’absence de concurrence économique suggèrent que le problème
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des travailleurs étrangers n’était pas simplement de nature économique. »
Ce constat nous invite à examiner de plus près ce que représentent les étrangers dans
la société japonaise pour tenter d’évaluer ce que cela implique pour le quotidien des
travailleurs étrangers et, sur un plan plus conceptuel, ce que peut signifier l’intégration au
Japon dans ce contexte.
2- Qu’est-ce que l’intégration au Japon ?
La perception qu’a la société japonaise d’elle-même comporte bien entendu des
particularités qui forgent la façon dont elle accueille les étrangers, dont elle perçoit leur
altérité et dont ils vont se percevoir en retour par rapport à sa société d’accueil. Certaines
de ces particularités contrastent suffisamment avec celles de la société française, ou même
d’autres sociétés occidentales que nous connaissons un peu mieux, pour que nous nous
y attardions.
Un premier trait prégnant est la vision d’une nation homogène racialement et
culturellement, relativement préservée des échanges avec l’extérieur. En conséquence,
l’apport extérieur tend à être considéré comme une menace potentielle pour la stabilité de la
nation. Les travailleurs étrangers relèvent pleinement de cette figure de l’élément extérieur
qui viendrait possiblement perturber un tout par ailleurs stable et harmonieux.
Nous nous intéresserons enfin aux éléments considérés comme formateurs de l’identité
japonaise et leur importance relative.
C’est à l’aune de cette esquisse de la société nippone que nous tenterons de revenir
sur les concepts de la sociologie utiles pour notre propos. Ils ont souvent été conçus dans
d’autres contextes nationaux, nous chercherons à voir ce qu’ils peuvent apporter à la lecture
du cas japonais, en un mot, nous tenterons de dire ce que peut être l’intégration au Japon.
A- Le mythe de l’homogénéité japonaise
De nombreux auteurs qui veulent caractériser le contexte dans lequel arrivent les étrangers
au Japon s’attardent sur ce qu’il est convenu d’appeler le « mythe » de l’homogénéité
japonaise. Dans la description qu’ils en font, ils soulignent combien ce mythe est largement
partagé dans la société japonaise. Yasunori Fukuoka précise par exemple :
« Bien que l’homogénéité de la société japonaise ne soit rien de plus qu’un
mythe, elle reste un mythe puissant avec une influence durable sur la formation
de l’identité des Japonais. Des revendications allant dans ce sens sont fondées
sur l’affirmation que la société japonaise n’est faite que d’un seul groupe
ethnique « les Japonais ». Le concept est généralement tenu pour acquis,
mais j’aimerais souligner qu’il n’est pas aussi peu problématique que les gens
9
l’imaginent. »
8
John Lie, in Joe Moore (dir), The Other Japan Conflicts- Compromise and Resistance since 1945, BULLETIN of
Concerned Asian scholars, 1997
9
Lives of Young Koreans in Japan, Yasunori Fukuoka, Trans Pacific Press, 2002, p xxviii
Enguix Mélodie - 2007
11
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
Pour démontrer en quoi il s’agit bien d’un mythe qui ne saurait décrire la réalité de la société
japonaise, qui, comme toutes les sociétés, possède en son sein une forme de diversité, la
plupart des auteurs convoquent les différents groupes présents dans la société japonaise
qui ne correspondent pas à l’idée que la société japonaise se fait de ce qui est japonais et
qui ne sont pas exclus de cette société, bien que vivant souvent à sa marge.
Le premier exemple de ces groupes est celui des Aïnous. Ils sont les descendants
originels de l’archipel japonais, qui vivent aujourd’hui au Nord du Japon, sur l’île
d’Hokkaido et sur la pointe Nord de Honshu (ainsi que sur des îles russes, plus au
Nord). Progressivement repoussés vers leurs régions de vie actuelles par des vagues de
peuplement issues d’ethnies en provenance de la péninsule coréenne, ils restent aujourd’hui
un groupe relativement homogène ethniquement. Par leur présence, ils témoignent de
l’histoire du peuplement de l’archipel et du brassage ethnique dont sont issus les Japonais.
Le second exemple auquel il est souvent fait référence est celui des burakumin, autre
minorité d’importance au Japon, descendants des groupes sociaux rejetés aux marges de
la société à l’époque féodale parce qu’ils exerçaient des métiers considérés impurs, car
liés au sang (bouchers, fossoyeurs, tanneurs, etc.). Aujourd’hui encore, la persistance de
discrimination continue d’isoler cette minorité du reste de la société.
Cette vision de la société japonaise joue grandement sur l’accueil des étrangers, dont
de nombreux observateurs se rejoignent pour dire qu’il est empreint d’intolérance.
John Lie y voit une idéologie « raciale et nationaliste », qui fait de la présence
d’étrangers « une menace symbolique pour la société japonaise considérée comme
10
homogène »
Fukuoka souligne que « la persistance du mythe de l’homogénéité japonaise en dépit de
la réalité des faits ne dit qu’une chose : il existe un niveau excessivement bas de tolérance
de la part de la majorité à l’égard d’éléments qui diffèrent d’elle. »
11
Kathianne Hingwan, elle, fait le lien entre déni des droits de l'homme pour les étrangers
ainsi que les préjugés qu’ils subissent et le mythe de l’unicité japonaise. Elle précise
que malgré le besoin d’étrangers du fait de pénuries de main-d’œuvre dans les secteurs
difficiles, « les arguments pour refuser l’entrée des étrangers se centrent sur le besoin de
protéger la supposée homogénéité unique “raciale” et culturelle. D’où l’idée que la nation est
“naturellement”mal équipée pour accepter la présence d’étrangers qui est un voile derrière
lequel se cache les préjugés. »
12
Elle rappelle les racines du discours de l’identité et de la construction de l’altérité
japonais, puisées notamment dans les Nihonjinron. Cettetradition intellectuelle est formée
de textes cherchant à identifier certains traits caractéristiques japonais, dont elle dit que leur
qualité est très variable, « du sérieux au honteux ».Le « concept fictif de “sang japonais” »
est selon elle également important à ce titre et « a généré une image d’un “Nous japonais”,
qui est un marqueur de frontière efficace. »
Elle évoque l’exemple de Kosaku Yoshino (Cultural Nationalism in Contemporary
Japan, Routledge, 1992). Il soutient que c’est la « maîtrise de la culture exclusivement liée à
10
11
12
John Lie, op. cit., p 294
Fukuoka Y., op. cit., p xxxvi
Kathianne Hingwan, “Identity, Otherness and Migrant Labour In Japan”, in Case Studies on Human Rights in Japan, sous
la direction de Roger Goodman et Ian Neary, Japan Library, 1996, p 51
12
Enguix Mélodie - 2007
I- Le contexte particulier de l’immigration au Japon
une appartenance raciale qui est la source de l’unicité japonaise. » Il donne l’exemple de la
langue : des non Japonais pourraient en maîtriser les règles formelles, mais pas les modes
13
de communication, plus subtiles, derrière le langage.
Dans cette lecture de la société japonaise, un lien est donc fait entre la culture et
l’ethnicité. On peut considérer que trois éléments forment l’identité, la culture et l’ethnicité
(au sens de l’héritage de liens par le sang), nous allons les étudier dans le détail, mais il
est d’ores et déjà intéressant de noter les liens que ces entités qui peuvent nous sembler
distinctes peuvent entretenir dans l’imaginaire japonais.
B- Les éléments formateurs de l’identité japonaise
La distinction de trois éléments formateurs de l’identité japonaise est proposée par Yasunori
Fukuoka. Il s’agit à la fois de décomposer l’identité ethnique pour mieux la comprendre et
de proposer un outil conceptuel permettant de penser différentes formes d’identités, plus
ou moins japonaises selon leurs fondements.
Fukuoka considère donc que les gens sont généralement définis comme étrangers ou
nationaux en fonction de leur nationalité (l’identité juridique, officielle, en quelque sorte) et
l’ethnicité. Il subdivise cette dernière en liens de sang (blood lineage) et culture, au sens
sociologique du terme.
Cela lui permet à gros traits de définir huit degrés de japonité et non japonité, selon
qu’ils sont de culture japonaise, de lignée japonaise ou nationalité japonaise ou non,
schématisées dans le tableau qui suit.
Fukuoka reconnaît le caractère simplificateur de cette typologie, qui ne rend pas compte
par exemple de la question des personnes qui ont une culture ou une origine ethnique
mixtes, personnes qui revêtent une importance capitale quand on veut rendre compte de
l’existence de diversité au sein de la société japonaise.
Cela a toutefois le mérite de souligner l’existence d’une gradation ethnique au sein de
cette société et non d’une frontière étanche et nette entre ce qui est japonais et ce qui ne
l’est pas.
« D’abord, il est clair que le concept de “Japonais” et de “non Japonais”ne sont
absolument pas une dichotomie simple séparée par une frontière distincte. Il
ya toute un spectre d’identités intermédiaires entre les deux pôles conceptuels
13
Ibid, p 55
Enguix Mélodie - 2007
13
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
de “pur Japonais” et de “pur étranger”. Le style typologique adopté ci-dessus
n’est bien sûr rien de plus qu’un outil conceptuel grossier : en réalité, des
degrés variés de mixité ethnique et d’internalisation des cultures japonaise et
étrangères génèrent un continuum sans limites marquées d’identités ethniques
14
qui contrastent subtilement. »
Nous verrons par la suite que ces trois éléments de l’identité permettent de comprendre
comment une forme d’assimilation culturelle même complète de permet pas nécessairement
une intégration parfaite, dans la mesure où peuvent persister des différences au niveau de
la nationalité, donc de l’étiquette qui est officiellement apposée sur l’individu, mais aussi
bien sûr, alors que les différences d’origine ethnique restent. Or justement, cette remarque
valable pour toute société d’accueil revêt une importance particulière au Japon.
En effet, ce que relève Fukuoka, c’est que les trois éléments formateurs de l’identité
ne sont pas d’importance égale aux yeux des Japonais et l’origine ethnique jouerait un rôle
plus grand que les autres.
« Deuxième élément qui ressort du cadre théorique dessiné plus haut [sa
typologie] est que les trois éléments de lignage, de culture et de nationalité n’ont
pas le même poids dans la formation des perceptions de la japonité et de la non
15
japonité. Clairement, le lignage est l’élément dominant »
Il prend pour preuve la perception très différente de groupes sociaux qui dans le tableau,
disposent du même nombre de plus et de moins, c'est-à-dire qui disposent d’autant
d’éléments japonais et non japonais.
Ce que confirme en somme l’exemple des Nikkeijin, pour lesquels l’interdiction d’une
immigration non qualifiée a été levée. La logique de cette autorisation est bien de privilégier
une immigration supposée indolore par le biais de personnes dont l’origine ethnique est
japonaise. Si on pourrait s’attendre également à une certaine proximité culturelle, on
imagine toutefois aisément que les petits-enfants des émigrés japonais qui ont grandi en
Amérique du Sud comme leurs parents en ont assimilés quelques traits culturels.
Nous avons désormais une idée un peu plus précise du contexte d’accueil des
étrangers au Japon. Nous allons donc tenter de rendre compte à grands traits des outils
conceptuels dont dispose la sociologie et de la façon dont ils peuvent être éclairants dans
le contexte particulier du Japon.
C- Les différents concepts de la sociologie de l’intégration et
comment ils peuvent s’appliquer au Japon
Pour faire le point sur ces concepts, je me suis référée à un dictionnaire de sciences sociales
et, lorsqu’il était utile de compléter, à quelques manuels de sociologie sur les thématiques de
l’immigration ou de l’intégration. Il convient de noter avant toute chose que pour la plupart,
ces termes ont un usage dans le langage courant ou dans le discours politique, mais aussi
parfois dans leur utilisation par la communauté scientifique qui leur confèrent une certaine
polysémie susceptible de compliquer leur usage. Nous tenterons d’éclairer les différents
sens dans la mesure où ils permettent de comprendre l’usage qui en est fait dans différents
14
Fukuoka Y., op. cit., p xxxv
15
Ibid, p xxxvi
14
Enguix Mélodie - 2007
I- Le contexte particulier de l’immigration au Japon
ouvrages auxquels nous devons nous référer tout en restreignant leur signification pour
nous à un seul sens, afin de clarifier le propos.
a- Intégration et assimilation
Pour commencer, un concept central pour notre propos, celui d’intégration. Le dictionnaire
de Sciences sociales dirigé par Claude Echaudemaison définit l’intégration sociale comme
suit :
« État ou processus d’insertion d’individus ou de groupes dans un même
16
ensemble (collectivités, société) acquérant ainsi un minimum de cohésion [...]. »
Elle précise :
« Le processus est à double face : les individus ou groupes concernés adoptent
à des degrés divers les règles, us et coutumes de la collectivité (processus
d’acculturation). Parallèlement, la collectivité, dans sa majorité, les accepte plus
ou moins comme membres à part entière. [...] A noter que l’acceptation n’est
pas forcément fonction du degré d’assimilation : il peut y avoir rejet de l’autre
imaginairement perçu comme « asocial », dangereux, bizarre… indépendamment
17
de ses caractéristiques [...]. »
Il faut donc retenir que l’intégration n’implique pas seulement les étrangers mais aussi la
société d’accueil, par deux biais principaux : d’une part, elle participe d’une part en acceptant
progressivement les étrangers en son sein comme partie d’elle-même et d’autre part, elle
est susceptible de se modifier pour faciliter cette accueil. Le concept d’acculturation, nous
le verrons, contribue à permettre de penser ce mouvement d’adaptation.
Comment définir cette assimilation dont se distingue l’intégration ? Elle serait un :
« Processus par lequel des populations d’origine étrangère en viennent
progressivement à partager les comportements et, plus généralement, les traits
culturels de la société d’accueil. En ce sens, l’assimilation peut être considérée
18
comme l’aboutissement du processus d’acculturation. »
Si le terme a un temps été mis à l’écart du fait de ses connotations colonialistes (il a été
utilisé par la France pour définir sa politique culturelle à l’égard des populations autochtones
à certaines périodes de son histoire coloniale), il reste utile dans la mesure où il insiste
sur la dimension culturelle de l’intégration (au sens sociologique de culture, bien entendu).
L’assimilation évoque aussi davantage une adaptation des étrangers à la société sans
que celle-ci n’en soient modifiée (ce qui est dans une certaine mesure l’antithèse du
multiculturalisme), du fait de l’exigence de cette société, voire par le biais de politiques
d’assimilation.
L’article rappelle par ailleurs une donnée qui est susceptible de nous intéresser :
l’entreprise d’assimilation peut comporter une certaine violence qui peut amener des
réticences de la part des individus concernés, ce qui explique pour les auteurs l’existence de
phénomènes « ethnicistes » ou contre-acculturatistes (de tels phénomènes ont par exemple
bien été étudié chez les Chicanos aux Etats-Unis, avec une forme de résurgence de la
16
Claude Echaudemaison (dir.), Dictionnaire d’Economie et de sciences sociales, Nathan, 2006, p 265
17
Ibid, p266
18
Ibid, p 30
Enguix Mélodie - 2007
15
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
culture ethnique, à ceci près qu’il s’agit d’une culture qui a ses particularités par rapport à
la culture du pays d’origine).
Pour notre part, nous utiliserons le concept d’assimilation davantage dans le sens de
rapprochement culturel et social, aboutissement de l’acculturation, plus que comme projet
politique.
Pour ce qui est du projet politique, dans le cas japonais, Fukuoka tente de situer
l’histoire de l’immigration japonaise dans la typologie de S.M. Yinger et G. E. Simpson pour
comprendre les différentes réactions possibles d’un groupe dominant (dans le cas qui nous
occupe la société japonaise) sur une minorité (pour Fukuoka, la minorité coréenne).
Première option,l’assimilation qui exige de la minorité l’abandon de sa culture
distinctive. On s’occupe de la minorité en l’absorbant.
Deuxième possibilité, le pluralisme, à savoir une politique qui autorise la minorité à
conserver une culture et une identité distinctes. Si elle est bien mise en œuvre, « une
coexistence équitable fondée sur le respect des différences est possible ».
Autre possibilité, la protection légale des minorités. Pour Fukuoka, cette variante du
pluralisme peut être mise en œuvre quand l’égalité des droits des minorités rencontre une
forte opposition.
Le transfert de population est une option qui peut sembler plus radicale. Il peut s’agir
d’un renvoi au pays ou d’un confinement dans des réserves.
Le maintien de l’assujettissement (continued subjugation) est défini par le « maintien
d’un statut inférieur par l’oppression et l’exploitation ».
L’extermination, dernière réaction possible, est également la plus violente.
D’après Fukuoka, les réformes des droits des minorités ont été faites par le
gouvernement à reculons, sous la pression des mouvements de Zainichi et de la République
de Corée. Il en conclut que la politique du gouvernement japonais à l’égard des Coréens
relève de la catégorie de l’assujettissement. En d’autres termes, les Coréens conserveraient
19
un statut d’altérité et d’infériorité.
b- Acculturation
Nous avons évoqué la question de l’acculturation. Elle est définie comme suit :
« Changements socio-culturels entraînés par le contact prolongé entre des
groupes et des sociétés de cultures différentes » ou « Processus par lequel un
groupe humain adopte les éléments d’une culture en abandonnant, partiellement
20
ou totalement, ceux de sa propre culture ».
Pour les anthropologues américains, R. Redfield, R. Linton et M Herkovits, le processus a
trois phases : d’abord le rejet mutuel, puis la sélection de certains traits culturels d’un groupe
par l’autre, et enfin la phase finale d’assimilation ou au contraire de contre-acculturation,
c'est-à-dire de rapprochement culturel ou au contraire de distinction.
La définition que nous garderons sera davantage la première donnée, c'est-à-dire les
changements issus d’une rencontre entre deux cultures, sans préjuger du résultat de cette
rencontre.
19
20
16
Fukuoka, op.cit., pp 12-20
Echaudemaison, op. cit., p 11
Enguix Mélodie - 2007
I- Le contexte particulier de l’immigration au Japon
c- Intégration et assimilation dans le contexte japonais
Ces trois concepts d’acculturation, d’assimilation et d’intégration posés, nous voudrions
montrer comment ils peuvent s’appliquer au contexte japonais à l’aide de l’analyse qu’en
produit Takamichi Kajita.
« Au Japon, où on insiste fortement sur le maintien d’une uniformité culturelle
et sur les ancêtres [ancestry], on ne peut voir presque aucune différence entre
“l’absorption”, “l’incorporation” et “l’intégration”, les concepts clés pour
la problème des travailleurs étrangers, sont tous inclus sous le seul terme
“d’intégration”. [...] Les étrangers doivent comprendre la langue et la culture
japonaises et acquérir la nationalité japonaise s’ils souhaitent être intégrés dans
la société japonaise. Cela laisse peu de place pour une identité de type multiple
qui leur permettrait d’être naturalisés japonais tout en maintenant leurs propres
21
identité et culture ethniques.
Les questions d’intégration se posent, souligne-t-il, différemment selon le type d’étrangers
concernés, ce qui l’amène à distinguer trois principales catégories d’étrangers : les Coréens
zainichi, les Nikkeijin du Pérou ou du Brésil et enfin les immigrants asiatiques illégaux
peu qualifiés. On remarquera que l’on peut voir des liens entre cette typologie et celle de
Fukuoka, fondée sur les trois critères de l’identité, dans la mesure où ces trois catégories
sont justement différemment équipées des trois caractéristiques identitaires.
Il écarte assez rapidement le cas du troisième groupe, soulignant que « l’incorporation
[...] est pour l’instant légalement impossible, néanmoins leur nombre est toujours croissant. »
22
Pour nous, cela implique que l’intégration complète est impossible du fait de contraintes
légales (et d’ailleurs de l’isolement que ces contraintes entraînent, dans la mesure où
ces travailleurs doivent se cacher). On peut toutefois envisager le début d’un processus
d’acculturation, avec différents apprentissages culturels, bien que les conditions ne soient
pas les plus propices.
Ensuite, pour Kajita, les Nikkeijin sont « ethniquement japonais ». Au contraire, les
Coréens sont « sociologiquement japonais ». Il reprend l’expression d’un sociologue
français, Patrick Veil, qui parle lui-même de « Français sociologique » dans La France et
ses étrangers. Il signifie par là que la plupart des Coréens parlent la langue sans problème,
généralement bien mieux qu’ils ne maîtrisent le Coréen quand ils le parlent, qu’ils ont
incorporés les habitudes et le mode de vie japonais. Dans nos termes, l’acculturation a
débouché sur une assimilation assez efficace.
Toutefois, il apparaît qu’on ne peut pas parler de pleine intégration. Deux points font
obstacle. D’une part, le lourd passé des relations entre le Japon et la Corée laisse une forme
de ressentiment chez certains Coréens qui rend difficile une intégration parfaite qui serait
perçue comme une « trahison ethnique », d’où le maintien d’une identité ethnique forte. Pour
lui, l’identité ethnique des Coréens au Japon n’est donc pas littérale (dans le maintien d’une
culture coréenne), mais symbolique. Elle s’illustre par exemple dans des mouvements pour
utiliser leurs véritables noms coréens (et non les pseudonymes japonais qu’on leur a donné
23
historiquement) à l’école et dans cet attachement à leur nationalité coréenne.
21
Kajita Takamichi, “Challenge of incorporating foreigners: “ethnic Japanese” and “sociological Japanese””, in Weiner
Myron and Hanami Tadashi, Temporary workers or future citizens, Macmillan Press Ltd, 1998 pp 123-126
22
23
Ibid, p 121
Ibib, p 133
Enguix Mélodie - 2007
17
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
D’autre part, les discriminations et les préjugés dont peuvent faire l’objet les Coréens
fonctionnent comme une étiquette qui contribue à construire l’identité des Coréens présents
au Japon depuis plusieurs décennies comme différente de celles des Japonais avec
24
lesquels ils vivent . La sociologie a beaucoup étudié ce phénomène d’étiquetage (labelling),
et ses effets sur la construction de l’identité (voir notamment les travaux de Howard Becker),
avec une utilisation particulièrement fructueuse dans l’étude de l’intégration des immigrés.
Selon Kajita, des progrès fermes ont été fait en termes d’assimilation (par le
développement du japonais comme langue maternelle ou d’un mode de vie japonais) au
sens sociologique alors que, parallèlement, se maintient une identité ethnique.
« Le progrès de l’assimilation et de l’identité ethnique, existant côte à côte,
place les Coréens vivant au Japon dans une situation unique. Alors que leur
assimilation sociologique a progressé, les problèmes historiques entre le Japon
et la Corée du Nord et la Corée du Sud n’ont pas encore été résolus, et il subsiste
encore une discrimination économique et sociale contre eux ».
d- Le pluralisme culturel est-il possible au Japon ?
Le multiculturalisme nous intéresse, lui, davantage en creux, dans la mesure où on a
entraperçu la réticence japonaise à l’égard du maintien d’une identité ethnique différente.
Il est défini comme suit :
« Coexistence au sein d’une société de groupes différenciés selon l’origine éthique,
l’affiliation religieuse, la langue, voire l’attache régionale [signification plus descriptive, avec
des degrés divers]. » ou « ensemble des exigences centrées sur la reconnaissance et les
droits des minorités,[...] sur la prise en compte de leurs revendications « communautaires
25
[signification plus politique] ». La reconnaissance d’un pluralisme culturel est difficile au
Japon. Pourtant, l’idée d’une identité métisse peut fournit un compromis acceptable quand
une assimilation complète est difficile. Fukuoka résume :
« La société japonaise ne tolèrera pas les identités ambiguës. Face à une
personne montrant certaines caractéristiques différant de la moyenne, la société
japonaise répondra d’une seule des deux options possibles : soit la personne
ambiguë sera forcée d’abandonner ces caractéristiques et de devenir le plus
proche possible d’un“pur Japonais”, soit la personne sera simplement classée
26
comme “non Japonaise”. »
Fukuoka remarque d’ailleurs que dans le langage, il n’existe pas d’équivalents aux termes
témoignant de la possibilité d’une identité double ou métissée, comme « afro-américain ».
Que ce soit pour les enfants de parents coréen et japonais ou pour les Coréens naturalisés
japonais, il n’existe pas de mot tel que « coréen-japonais ». Au contraire, les termes de
zainichi chôsenjin ou zainichi kankokujin sont marqués par l’idée de résidence temporaire
du caractère zai.
Kajita semble abonder dans ce sens quand il souligne la difficulté de maintenir une
identité multiple au Japon. Il pense toutefois que l’idée de multiculturalisme gagne du terrain
24
25
26
18
Ibid, pp123-134
Echaudemaison, op. cit, p 323
Fukuoka, op. cit., p xxxvi
Enguix Mélodie - 2007
I- Le contexte particulier de l’immigration au Japon
au Japon. Un signe qu’il donne serait la diversité culturelle que différentes villes tendent
désormais à mettre en valeur comme argument touristique.
e- La socialisation, un concept qui fait le lien entre travail et immigration
Enfin, dernier concept susceptible de nous aider, celui de socialisation :
« Ensemble des mécanismes par lesquels les individus font l’apprentissage des
rapports sociaux entre les hommes et assimilent les normes, les valeurs, et les
27
croyances d’une société ou d’une collectivité ».
Le terme ne s’applique pas uniquement aux immigrés mais à l’ensemble des individus d’une
société, leur permettant de vivre en relative harmonie avec celle-ci. L’enfance est le moment
privilégié de la socialisation, mais on considère que le processus se poursuit par la suite on
parle alors de socialisations secondaires, « processus d’apprentissage et d’adaptation des
individus tout au long de leur vie ». Le travail en est une instance importante. Et c’est là que
nous pouvons faire le lien avec notre sujet.
Dans sa Sociologie de l’intégration, Mohand Khellil explique : « La naturalisation des
étrangers suppose leur resocialisation. C’est donc bien d’intégration sociale qu’il va falloir
28
parler dans ce cadre national. »
Il ajoute à propos de l’existence de socialisations secondaires distinctes de la
socialisation pendant l’enfance :
« Cette façon de considérer la socialisation à plusieurs degrés ouvre une
brèche à travers laquelle il sera possible d’insérer les considérations liées aux
populations immigrées. En effet les immigrés ont déjà été socialisés dans leur
pays d’origine et on doit parler de resocialisation à leur endroit. La référence aux
différentes interactions entre individus va être fondamentale, dans la mesure
où le paradigme de l’interaction permet de concevoir la socialisation comme
processus adaptatif. Pour l’étranger, il sera donc plus exact de se référer à la
29
socialisation dite “secondaire” »
« Au demeurant, la socialisation ne constitue
pas un bloc monolithique : elle laisse une large place au débat car, si certaines
valeurs sont irréversibles, d’autres, au contraire, changent en fonction des
situations vécues. Et c’est ce qui explique l’émergence de ce concept comme
l’adaptation, la conformité, parce que l’individu peut parfois voir les choses
autrement et être perçu comme un outsider ou un stigmatisé. »
Ainsi, le contexte d’accueil des immigrés japonais, dont on a brossé un portrait rapide, est
marqué par différentes particularités qui invitent à utiliser en conséquence les concepts
que met à notre disposition la sociologie. On retiendra particulièrement le mythe de
l’homogénéité raciale et sociale, garante de l’harmonie, qui génère une certaine suspicion
face à la différence, ce qui réduit les possibilités de pluralisme culturel et fait davantage
pencher vers une assimilation complète, seule alternative à l’exclusion.
L’importance des liens de sang pour l’appartenance à la nation japonaise est l’autre
caractéristique qui nous importe. Elle constitue un obstacle fort à l’intégration.
27
Echaudemaison, op. cit, p 422
28
29
Mohand Khellil, Sociologie de l’intégration, PUF, 2005, p 4
Ibid, p5
Enguix Mélodie - 2007
19
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
Ce premier aperçu du contexte japonais laisse donc davantage croire à la possibilité
d’une assimilation culturelle et sociale, alors qu’une intégration, au sens où l’étranger
devient membre à part entière du groupe et non plus extérieur, est peu envisageable.
Le contexte apparaît relativement difficile, comment la dimension du travail vient-elle
s’y positionner ?
20
Enguix Mélodie - 2007
II- Immigration et travail dans la société japonaise
II- Immigration et travail dans la société
japonaise
1- La place du travail dans la société japonaise
Le rôle du travail comme instance de socialisation et d’intégration est intimement lié à ce
qu’il représente dans le système de valeurs de la société considérée. On peut dire que son
poids sera d’autant plus grand qu’il sera valorisé.
C’est le sens du premier chapitre de Travail et Intégration, de Bruno Flacher où ce
dernier expose comment le travail est devenu une valeur centrale dans nos sociétés.
« L’avènement de la modernité, qui est aussi celui du capitalisme et du salariat,
a profondément modifié les anciennes conceptions du travail, en l’installant au
cœur du système de valeur des sociétés contemporaines. Nous serions passés
du travail vil au travail valorisé, du travail activité humaine parmi d’autres à la
30
centralité du travail. »
C’est bien parce qu’il a acquis ce statut que le travail revêt une telle importance quant à la
place des individus dans la société.
Nous voudrions donc extrapoler la logique du propos de Flacher : si le travail joue ce
rôle d’autant plus essentiel aujourd’hui qu’il a gagné une place centrale dans nos sociétés,
place qu’il n’a pas toujours eu, on peut penser que l’importance variable du travail, non
plus dans le temps mais dans l’espace cette fois joue sur sa capacité à être un vecteur
d’intégration sociale.
La question que nous nous posons par conséquent est de savoir qu’elle est cette place
au Japon.
Dans A Sociology of Work in Japan, Ross Mouer et Hirosuke Kawanishi donnent des
éléments de réponse, en s’intéressant à la motivation au travail et à l’éthique de travail des
31
Japonais.
On a longtemps souligné que les Japonais travaillaient plus pour tenter de trouver
l’explication du miracle économique japonais, qui a longtemps intrigué les observateurs et
motivé leurs recherches. Ces analyses se faisaient souvent selon une approche culturaliste,
approche qui a subi des critiques dans les années 80, car on lui reprochait d’être mal étayée.
Elle cherchait ainsi les traits propres à la société japonaise pour expliquer son succès
économique.
Pour étudier cette question, le repère pris par Mouer et Kawanishi est le temps de travail
(s’il a le mérite d’être facilement mesurable, on imagine que la motivation au travail pourrait
apparaître par d’autres biais).
30
Bruno Flacher, Travail et Intégration sociale, Bréal, 2002, 14
31
Ross Mouer et Hirosuke Kawanishi, A Sociology of Work in Japan, Cambridge University Press 2005
Enguix Mélodie - 2007
21
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
Si la mesure par semaine donne des résultats peu concluants, les deux chercheurs
estiment que, par an :
« En dépit de ces difficultés et d’autres qui se présentent quand il s’agit de faire
des comparaisons internationales, des comparaisons un peu grossières avec
des chiffres corrigés montre qu’il est vraisemblable que le nombre d’heures
annuelles travaillées varient considérablement d’un pays à l’autre et qu’elles ont
été considérablement plus longue au Japon que dans tout autre économie d’un
32
niveau de développement comparable jusque récemment. »
Japon
Etats-Unis
Allemagne
France
En 1988
2152
1898
1938
1657
Japon- enquêtes emploi du temps
Japon- chiffres officiels
Etats-Unis
En 1999-2000
2371
1942
1991
Source : Ross Mouer et Hirosuke Kawanishi, A Sociology of Work in Japan, Cambridge
University Press 2005, p 72 et p 74
Cependant, à partir d’une autre source, les enquêtes d’emploi du temps fait par le NHK,
ils concluent à une importance encore très grande du travail dans l’emploi du temps des
Japonais, d’autant qu’il faut ajouter un temps de trajet généralement très long entre domicile
et travail (pour les hommes quarantenaires, 5,9 heures par semaine), ainsi qu’une partie
importante du travail faite pendant les week-ends.
Age
20-29
30-39
40-49
50-59
60-69
70 et +
1990
Hommes
45.6
54.1
52.3
49.9
33.0
16.4
Femmes
30.3
20.9
29.5
26.6
17.9
7.6
2000
Hommes
47.3
55.9
55.3
51.4
28.8
10.4
Femmes
33.3
22.6
25.4
26.4
12.8
6.6
Source : Ross Mouer et Hirosuke Kawanishi, A Sociology of Work in Japan, Cambridge
University Press 2005, p74, à partir des enquêtes de la NHK
« Trois conclusions. D’abord, les horaires annuels de travail sont
exceptionnellement longs pour les hommes, confirmant qu’il y a sans doute une
quantité très importante d’heures supplémentaires non rapportées au Japon
dont ne rendent pas compte les chiffres officiels. Ensuite, en dépit d’un taux de
participation relativement élevé [le taux de participation rapporte la population
active à l’ensemble de la population en âge de travailler], les femmes japonaises
sont moins impliquées dans le travail en dehors de la maison que les hommes
[...]. Les femmes japonaises s’impliquent beaucoup dans le travail ménager.
En ajoutant cela au travail effectué en dehors de la maison, la contribution des
femmes aux heures travaillées dans l’économie du foyer pèse lourd. Enfin,
malgré un âge nominal de retraite à la soixantaine pour bien des hommes, en
32
22
Ibid, p 72
Enguix Mélodie - 2007
II- Immigration et travail dans la société japonaise
1990, les hommes entre 60 et 69 travaillaient encore en moyenne 33 heures
par semaine, puis une moyenne de 16,4 heures passé 70 ans. [...] Les chiffres
suggèrent toutefois que le nombre d’heures travaillées continue de décroître
et que l’écart entre le Japon et les d’autres économies avancées s’est réduit
33
considérablement pendant les années 1990 »
Autre indice, parmi les heures supplémentaires, laissées dans une certaine mesure à la
discrétion de l’employé, la part importante d’heures supplémentaires non rémunérées ou
sabisu zangyo. « Bien des employés se sentent obligés de fournir à leur entreprise du temps
de travail supplémentaire non payé ».
34
Il faut aussi ajouter les heures passées à socialiser avec les clients (tsukai) ou les
collègues de travail, bien que les deux chercheurs tendent ici à souligner que les enquêtes
d’emploi du temps montrent que leur importance est moindre que ce que les médias ont
pu en dire.
Les auteurs rappellent, de plus, l’importance de la notion de stress au travail au Japon
et les nombreux exemples dans la culture populaire de surinvestissement dans l’entreprise
Ils remarquent aussi que le faible absentéisme est un signe, bien que de nombreuses
particularités extérieures à la question de l’éthique de travail même sont susceptibles de
l’expliquer : absence de congés de maladie, mesures très strictes sur les retards, etc.
Cela dit, la sous-utilisation marquée des congés annuels montre qu’il y là plus que la
conséquence de particularités juridiques.
Enfin, « le fort taux de participation [part de la population active dans la population en
âge de travailler] fournit une autre perspective reliant l’éthique de travail, la structure sociale
et la performance globale de l’économie »
35
En d’autres termes, ce que montrent les enquêtes d’emploi du temps, c’est une place
prépondérante du travail face à d’autres formes d’activité, au premier rang desquelles la
famille. Mouer et Kawanishi expliquent que peu de temps est laissé à la vie de famille.
La prépondérance du travail sur la vie de famille s’illustre dans les cas extrêmes par le
« phénomène de tanshin fu-nin, quand un parent se voit donner une mission dans son travail
qui l’oblige à vivre séparément de sa famille pour une période de temps étendue, afin d’avoir
une carrière dans le monde des affaires. »
36
Les auteurs restent toutefois très prudents quant à faire du Japon un pays où
l’éthique de travail serait bien plus développée que dans les autres pays d’un niveau de
développement économique similaire. Ils tendent à montrer que la situation japonaise est
en différents points comparables à d’autres sociétés, notamment dans le fait que les plus
jeunes générations font preuve d’un certain enthousiasme à l’idée d’un temps de loisir plus
grand.
Sans faire du Japon un cas unique, donc, on peut toutefois souligner que le travail
garde une place essentielle dans la vie japonaise, dont la place qu’il occupe dans l’emploi
33
34
Ibid, pp 74-75
Ibid, p 82
35
36
Ibid, p 88
Ibid, p 84
Enguix Mélodie - 2007
23
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
du temps des Japonais est un indice, témoignant d’un équilibre particulier entre travail et
autres activités comme la vie de famille.
Notre hypothèse serait donc que le travail comme valeur centrale de la société
japonaise est susceptible de jouer un rôle intégrateur et socialisateur primordial. La question
qui reste à résoudre, sans doute, est de savoir si, pour parler schématiquement, il est une
condition nécessaire ou bien suffisante. En effet, dans le cas des étrangers comme des
Japonais, dire que le travail est central et que sans travail il est difficile d’avoir un statut
valorisé dans la société japonaise est une chose, dire que le fait d’avoir un travail suffit à
faire partie intégrante de cette même société en est une autre.
2- Travail et intégration, travail et socialisation
Le travail est reconnu comme l’une des instances principales de socialisation secondaire, la
socialisation qui concerne l’individu adulte, tout au long de sa vie. Par là même, dans le cas
d’immigrés, il est susceptible de participer au processus d’acculturation et de les amener
vers une assimilation, au sens sociologique. Et de façon plus large, le travail donne un statut
et une utilité dans la société, ce faisant, il peut aussi contribuer à l’intégration sociale des
immigrés et des étrangers comme il contribue à celle des autres membres de la société.
Ainsi, Bruno Flacher résume :
« Le travail apporte la reconnaissance sociale, le revenu qui permet à chacun
de s’inscrire dans les normes de la consommation et par là même de s’insérer
dans la vie sociale, la protection sociale, la structuration des temps sociaux, la
37
construction du moi social. »
Mais reprenons plus en détail le fonctionnement intégrateur du travail.
D’abord, le travail donne une identité sociale. Bien souvent, la profession est l’un
des éléments centraux de définition de l’identité d’une personne. Concrètement, quand
une personne se présente, une des premières caractéristiques qu’elle donne ou qu’on
lui demande est le métier qu’elle exerce. Le métier, en effet, est l’un des traits qui place
l’individu dans l’espace social, pour lui-même et pour les autres, l’individu est ainsi reconnu
socialement, au sens où il est placé. L’absence de travail, elle-même, classe. Celui qui n’a
pas de travail acquiert tout de même un statut en creux : étudiant, retraité ou chômeur.
Le travail justifie ensuite l’utilité sociale des individus, qui par ce biais participe à
l’économie prise comme activité de la société. Nous verrons que cette utilité se manifeste à
plusieurs niveaux : au niveau microsocial, l’individu se sent utile et se voit reconnaître son
utilité dans ses interactions avec les autres membres de la société. Au niveau macrosocial,
également, ce qui s’illustre notamment dans le débat publique où des pans de la société
sont considérés par rapport à leur utilité ou leur absence d’utilité supposées en plein
avec le travail qu’ils exercent. On peut donner l’exemple du discours sur les chômeurs
bénéficiaires de l’aide sociale, qui sont renvoyés à une forme d’inutilité sociale. Les discours
sur l’immigration sont également très centrés, nous le verrons en détails pour le Japon, sur
la question de leur utilité sociale comme force de travail.
Le travail, ensuite, comme norme sociale (au sens où il est normal dans une société de
travailler dans la mesure où la plupart de ses membres ont un travail), offre un mode de vie
37
24
Flacher, op. cit., p 117
Enguix Mélodie - 2007
II- Immigration et travail dans la société japonaise
lui aussi normal : il permet d’avoir un rythme de vie marqué par les horaires de travail, un
accès à la consommation grâce à un pouvoir d’achat augmenté par les revenus du travail
etc.
Le travail est aussi un lieu d’interaction sociale, de rencontre, avec des clients ou des
collègues, autres membres de la société. Les réseaux de sociabilité ainsi noués sont autant
de corps intermédiaires qui font le lien entre l’individu et la société dans son ensemble.
Dans le cas des immigrés, le travail peut devenir la seule instance de socialisation car
les contacts avec l’extérieur en dehors du cadre du travail peuvent être réduits (les réseaux
de sociabilité des immigrés sont au départ réduit à quelques personnes et les contacts avec
la société japonaise en particulier peuvent être restreints) et dans leur cas la socialisation
secondaire que produit le travail est d’autant plus importante qu’elle vient en quelque sorte
imprimer une autre direction que celle que portait la socialisation primaire, alors que dans le
cas de nationaux, on peut attendre un minimum de cohérence entre la socialisation primaire,
produite par la famille et l’école, et la socialisation secondaire.
De plus, le travail occupe souvent une place dominante dans la vie de l’immigré.
Dans son emploi du temps comme dans ses préoccupations quotidiennes. C’est ce que
confirment Andrea Rea et Maryse Tripier qui en concluent un impact plutôt positif du travail
sur l’identification de l’ouvrier :
« On peut cependant dire, avec le recul, que le travail étant la principale
préoccupation des immigrés et leur source ultime de légitimité, le statut d’ouvrier
a plutôt engendré des identifications positives. “A l’usine je suis un ouvrier,
dehors je suis un étranger” disait un ouvrier algérien à Sayad [Sayad est un
38
sociologue qui a beaucoup travaillé sur l’immigration en France] »
Les immigrés au Japon peuvent ainsi apprendre au travail quelques rudiments de japonais
s’ils ne le parlent pas, progresser en le pratiquant dans le cas contraire. Ils peuvent par le
contact avec les travailleurs japonais découvrir certaines habitudes ou comportements qui
correspondent à autant de normes sociales.
Il faut toutefois préciser que la question se pose quelque peu différemment dans le
cas des Zainichi, qui ne sont pas à proprement parler des immigrés, mais seulement des
étrangers. En effet, les enfants de la troisième génération de descendants des immigrés
coréens des années 30 ont vécu leur enfance au Japon et leur socialisation primaire s’est
faite au Japon. Certes, certains ont parfois été dans des écoles coréennes, mais la plupart
ont suivi un cursus japonais normal toute ou partie de leur jeunesse. Ils parlent la langue
avec une fluidité qui ne les distingue pas et ont eu de nombreuses autres occasions de
rencontrer des nationaux.
La question pour eux est donc davantage celle de la mobilité sociale : le travail reste
dans leur cas un facteur essentiel de positionnement dans l’espace social. Généralement
leurs parents ou grands-parents ont eu des emplois relativement marginaux dans
l’économie, dans des segments bien spécifiques qui les positionnaient relativement bas
dans la hiérarchie sociale. Définie comme « un changement de position sociale pour un
39
individu ou un groupe d’individus »
par la sociologue Dominique Merllié, il s’agit de
mesurer l’influence des origines sociales sur les destinées sociales et, en particulier, de
mesurer les déplacements dans l’espace social des positions des premières générations
d’immigrés coréens vers celles de leurs enfants.
38
Andrea Rea et Maryse Tripier, Sociologie de l’immigration, La Découverte, 2003, p 62
39
Dominique Merllié, « Mobilité sociale », in Les Cahiers français n°291, Mai 1995
Enguix Mélodie - 2007
25
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
Toutefois, le travail n’est pas en soi une garantie d’intégration. D’abord parce que les
mécanismes d’intégration qu’il produit vont plus ou moins bien fonctionner selon le type de
travail. En particulier, la précarité de l’emploi rend plus difficile la fonction d’intégration.
Les exemples de mécanisme qui ne peuvent plus fonctionner à plein sont nombreux :
une activité peu valorisée est susceptible de ne pas donner au travailleur la satisfaction
d’être utile à la société ou de le situer à une place marginale au sein de l’espace social, une
activité peu rémunérée limitera l’accès à la consommation, des horaires de travail atypiques
isoleront le travailleur en termes de rythme de vie, un isolement du reste des travailleurs ne
permettra pas à l’emploi de porter les réseaux de sociabilité que nous avons évoqués, etc.
Et ceci nous intéresse donc particulièrement car l’emploi des étrangers est bien souvent
marqué par une précarité supérieure à ce qui peut exister dans le reste de la société.
En réalité, comme le résume bien Flacher, le travail, en termes sociologiques, a deux
facettes :
« La travail a certes toujours deux visages : d’un côté, la pénibilité, les
contraintes routinières, des dimensions aliénantes ; de l’autre, le moyen de se
40
construire une dignité de citoyen et une identité sociale. »
En somme, chaque travailleur est confronté à ces deux faces. La question serait alors
de savoir comment celles-ci s’équilibrent dans le cas du travailleur étranger et, plus
précisément, dans le cas du travailleur étranger au Japon.
3- Légitimation de la présence des immigrés par le
travail dans le débat public
On a vu que de façon générale le travail donne aux individus un sentiment d’être utile pour
la société et les légitime aux yeux des autres. Le phénomène se pose de manière plus
aigue encore en ce qui concerne les étrangers, dans la mesure où le débat public à leur
endroit se centre quasi exclusivement sur leur utilité économique. Le sentiment d’utilité au
niveau microsocial dans l’image que l’individu a de lui-même et dans son interaction avec
les Japonais qu’il rencontre ne peut se dissocier de cette idée diffusée dans le débat public
qui veut que l’étranger apporte à la société par son travail, travail qui répond à un besoin
économique.
Nous voudrions tout d’abord tracer les grandes lignes du débat sur l’immigration au
Japon, en nous référant au texte d’Hiroshi Komai, « Beyond the Closed Door/ Open Door
41
Debate » .
Le débat sur les travailleurs étrangers a pris naissance essentiellement dans les années
80 et c’est d’ailleurs dans ce contexte qu’a eu lieu la réforme de la Loi sur l’immigration.
Comme l’indique le titre du chapitre de Komai, il est souvent posé en termes de choix
entre deux options, celle de la « porte ouverte » et de l’accueil des immigrés, dans des
conditions qui restent à définir, ou celle de la « porte fermée » et du refus de l’immigration.
40
Flacher, op. cit., p 118
41
26
Komai, Hiroshi, Migrant Workers in Japan, pp 206-252
Enguix Mélodie - 2007
II- Immigration et travail dans la société japonaise
Mais ce qui nous intéresse plus particulièrement c’est la forme d’un calcul coûts/
avantages qu’a prise le débat. Les avantages de l’immigration étant d’abord à trouver sur le
plan économique dans un contexte de réduction de la main-d’œuvre, les coûts étant avant
tout d’ordre social. Nous voudrions détailler ces deux points.
A- Les avantages de l’immigration soulignés dans le débat public : un
apport de main-d’œuvre
L’économie japonaise a pu connaître dans différents secteurs des pénuries de maind’œuvre, particulièrement sensibles dans la période de forte croissance des années 80 et
de nouveau aujourd’hui alors que le Japon a finalement renoué avec la croissance. Et,
parallèlement, l’évolution démographique japonaise actuelle et future laisse présager une
forte baisse de la population en âge de travailler, augurant des pénuries plus importantes
et concernant l’ensemble de l’économie.
Premier problème auquel les travailleurs immigrés peuvent être une solution : les
pénuries de main-d’œuvre dans des secteurs restreints où les conditions de travail difficiles
ont pu faire fuir la main-d’œuvre japonaise. En japonais, on parle des secteurs “3K” pour
kitsui, kitanai et kiken, ou en anglais les “3D”, pour demanding, dirty et dangerous, c'est-àdire, difficile, sale et dangereux.
La main-d’œuvre peu qualifiée et abondante que constituaient les travailleurs
saisonniers du Nord, que l’agriculture laissait inactifs l’hiver, s’est tarie.
S’ajoute un phénomène relativement commun aux économies développées : avec
la hausse du niveau de vie et du niveau de qualification, les travaux les plus difficiles
qui sont aussi souvent socialement les plus dégradants peinent à trouver preneur parmi
la main-d’œuvre nationale, qui, éduquée et enrichie, veut exercer des professions en
conséquence.Kazutoshi Koshiro explique ainsi :
« Le Japon a eu par le passé une main-d’œuvre non qualifiée abondante pendant
la période de forte hausse économique des années 1960, un surplus de maind’œuvre assez important existait dans les zones agricoles. Au milieu des années
70, près d’un demi-million de migrants saisonniers des régions agricoles
enneigées alimentaient les industries manufacturière et de la construction.
Toutefois, avec l’industrialisation et le départ à la retraite des fermiers, cette
ressource a décliné pendant les décennies suivantes. L’offre que constituaient
les jeunes s’est aussi réduite, alors qu’ils restent plus longtemps à l’école,
pour se préparer à des emplois de plus haut niveau. [...] Ces deux phénomènes
expliquent que la qualité de la main-d’œuvre non qualifiée au Japon ait eu
tendance à se détériorer durant ces dernières décennies. Par ailleurs, plusieurs
études sociologiques ont montré que la main-d’œuvre étrangère était de
42
qualité et qu’elle était prête à travailler même dans les secteurs “3K”. »
Comme exemples de secteurs 3K qui ont absorbé beaucoup d’immigrés, on peut citer
ceux de la construction et des travaux publics, certains postes difficiles de l’industrie
manufacturière ou de l’industrie de la restauration et de l’hôtellerie et le secteur de la
prostitution.
42
Kazutoshi Koshiro, « Does Japan Need Immigrants ? », in Temporary Workers or Future Citizens, Weiner et Hanami
(dir), Macmillan Press Ltd, 1998
Enguix Mélodie - 2007
27
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
La preuve de l’utilité économique des travailleurs immigrés est aussi faite par certains
auteurs en argumentant à propos de la dépendance déjà réelle de ces secteurs sur
l’immigration. Hiromi Mori, par exemple, croit que malgré le faible nombre de travailleurs
étrangers dans l’économie japonaise prise dans son ensemble, la concentration de ces
travailleurs dans certains secteurs où ils finissent par former une part importante si ce n’est
majoritaire de la main-d’œuvre invite à conclure que ces secteurs ne pourraient survivre
43
sans eux.
Mais plus généralement, ce qui inquiète certains observateurs de l’économie japonaise,
c’est une réduction de la population active du fait de l’évolution démographique, qui serait
mécaniquement un frein à la croissance, par restriction du facteur travail et, parallèlement,
la modification de l’équilibre inactifs/actifs (au profit des inactifs) pose un problème pour le
financement de l’Etat-providence et plus spécifiquement de celui des retraites.
En effet, le taux de natalité au Japon est faible et n’assure pas, depuis plusieurs
44
décennies déjà, le renouvellement des générations. Ainsi, en 2004, le taux de fertilité
(nombre d’enfants par femme en âge de procréer, soit entre 15 et 49 ans) était de 1,38,
ce qui s’explique notamment par le fait qu’il reste socialement difficile pour les femmes au
Japon de combiner maternité et travail, ce qui les amène souvent à retarder l’âge du premier
enfant et à limiter leur nombre, voire à ne pas en avoir. C’est donc essentiellement ce facteur
donc qui explique la réduction progressive de la population active attendue.
A l’autre bout de l’échelle de la vie, l’allongement de l’espérance de vie qui est au Japon
la plus élevée au monde contribue à l’augmentation de la population vieillissante. En 2003,
l’espérance de vie des Japonais à la naissance était en effet de 81,8 et en 20 ans, entre
1985 et 2005, la part des plus de 65 ans dans la population a ainsi doublé de 10 à 20%. Cela
implique donc que le rapport entre les inactifs et les actifs augmente spectaculairement au
Japon. Si ce problème se rencontre dans la plupart des sociétés occidentales, il prend une
forme particulièrement aiguë au Japon. Le problème posé par ce déséquilibre est que la
part de la population qui produit des richesses se réduit face à la part de la population qui
vit de richesses produites par d’autres. Cela oriente fortement la question du financement
des retraites et les réformes du système des retraites japonais faites ou à faire ne peuvent
l’ignorer.
La figure qui suit permet de visualiser la modification de la structure de la population
japonaise, en particulier la réduction entre 2000 et 2050 de la population en âge de travailler
et parallèlement le développement du groupe des plus de 65 ans.
43
44
28
Hiromi Mori, Immigration Policy and Foreign Workers In Japan, Macmillan Press Ltd , 1997, p 156
Les données qui suivent proviennent de l’OCDE. Elles sont disponibles sur le site Internet de l’organisation
Enguix Mélodie - 2007
II- Immigration et travail dans la société japonaise
Figure 1 : La population japonaise dans 50 ans
NB : Le choix a été fait de deux échelles différentes sur l’axe des abscisses pour 2000
et 2050. L’écart des deux populations, par exemple, en âge de travailler est donc encore
plus important qu’il n’apparaît.
La récession économique dans laquelle est entré le Japon peu de temps après la
réforme de la Loi sur l’immigration a partiellement modifié la donne. Les pénuries de maind’œuvre des secteurs 3K se sont moins fait sentir dans ce contexte économique morose.
Toutefois, le problème à long terme n’a pas disparu pour autant et le Japon a renoué avec
la croissance aujourd’hui, ce qui réduit sensiblement le poids de ce contre-argument.
Ce que vont parfois souligner les opposants à l’intégration comme solution à la question
du manque de main-d’œuvre, c’est l’existence d’alternatives de plusieurs types à même de
soulager la tension entre l’offre et la demande de travail.
Et en effet, si la forte croissance des années 60 a été possible au Japon sans apport
migratoire, contrairement à ce qui s’est fait dans bien d’autres économies, c’est, outre
qu’il existait alors une main-d’œuvre saisonnière bon marché non qualifiée d’une qualité
relativement bonne comme nous l’avons déjà mentionné, parce que le choix avait été de
privilégier d’autres options. Le Japon a longtemps constitué d’ailleurs à ce titre un cas
d’école, observé avec un certain intérêt.
Par le passé, le Japon a choisi d’investir dans des technologies qui permettent de
produire autant en diminuant l’utilisation de la main-d’œuvre, en somme de remplacer une
partie du facteur travail par du capital, ainsi que d’abandonner ou de délocaliser certaines
industries gourmandes en main-d’œuvre. Continuer sur cette voie est l’une des options
possibles aujourd’hui.
Une autre possibilité serait de compenser la baisse de la population en âge de travailler
en faisant rentrer dans la population active certaines personnes qui n’y sont pas aujourd’hui.
Les taux de participation (part active d’une population donnée, c'est-à-dire nombre
d’actifs rapporté à l’ensemble de la population) sont élevés au Japon. En 2004, 70 % de la
Enguix Mélodie - 2007
29
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
population en âge de travailler (15-64 ans) était effectivement active (données OCDE). Et
en particulier, le taux masculin était de 76%.
En conséquence, les deux principales populations susceptibles de contribuer à limiter
la baisse de la population active à prévoir en compensant la baisse de la population en
âge de travailler d’origine démographique sont les femmes et les personnes âgées (dans
une économie du savoir, les jeunes ne sont pas envisagés comme une possibilité, dans la
mesure où on considère la poursuite de leurs études comme un investissement judicieux).
On a vu que pour les femmes, travailler tout en s’occupant d’enfants reste socialement
mal accepté et il s’agit souvent donc pour elles de choisir entre l’un ou l’autre. Cela a des
conséquences sur le taux de natalité, mais aussi, on le voit sur le graphique qui suit, sur le
taux de participation féminin entre 20 et 45 ans au moins. Des progrès ont été faits en ce
sens depuis 1970 comme l’atteste le déplacement des courbes, toutefois l’écart au taux de
participation masculin reste notable.
L’autre possibilité évoquée par de nombreux observateurs est de rallonger la durée
du travail en permettant aux seniors de travailler davantage, par exemple en créant des
conditions de travail adaptées.
Figure 2 : Evolution des taux de participation
féminin et masculin selon l’âge, entre 1970 et 2004
Source : Labor Force Survey, Communications du Ministère des affaires internes
japonais. Graphique disponible dans le document du Japan Institute for Labour Policy and
Training (JIL), Labour Situation and Analysis: a General Overview of 2006-2007.
Il serait également possible de mieux répartir la population active actuelle, en utilisant
la réserve que constituent les chômeurs, en réorganisant l’allocation de la main-d’œuvre
entre les différents secteurs de l’économie et, à une autre échelle, les différents postes d’une
entreprise. A titre d’exemple, la culture japonaise du service au client-roi entretient dans les
faits un nombre très élevé de vendeurs dans les grands magasins qui semble parfois peu
rationnel d’un point de vue économique.
Savoir si ces alternatives seraient suffisantes, savoir dans quelle mesure la croissance
japonaise pourrait tolérer une population active s’amenuisant ou dans quelle mesure
30
Enguix Mélodie - 2007
II- Immigration et travail dans la société japonaise
la société japonaise pourrait s’accommoder d’une croissance réduite ou nulle fait
l’objet de multiples débats économiques assez complexes, qui impliquent des modèles
économétriques dont les hypothèses devraient être discutées si l’on voulait évaluer la
crédibilité de leurs résultats. Qui plus est, la bibliographie que nous avons eue à notre
disposition est quelque peu datée et ne tient guère compte des conditions radicalement
nouvelles dans lesquelles se trouve aujourd’hui l’économie japonaise. De toutes les façons,
trancher dans ce débat d’économistes n’est pas vraiment notre propos. Nous voulions
seulement mettre en valeur la nature du débat sur les étrangers au Japon et comment la
question de leur utilité économique en était au cœur.
Pour conclure, nous voudrions toutefois tenter de rendre compte du bilan fait dans
le débat public sur les avantages que présentent les immigrés. De ce qui apparaît dans
notre bibliographie, avec les défauts qu’on a pu mentionner, bien des acteurs économiques
ou politiques estiment qu’il est possible d’envisager d’autres solutions que le recours à
une immigration massive, en particulier de travailleurs non qualifiés. En ceci, il subsiste
bien un débat. Cela dit, les livres que nous avons consultés, qui ne sont sans doute pas
représentatifs de ce débat concluent dans l’ensemble à la nécessité économique de ces
mêmes immigrés.
A titre d’exemple, citons la conclusion que Koshiro apporte, en répondant par
l’affirmative à la question qu’il s’est posé : « Le Japon a-t-il besoin d’immigrants ? »
« Comme le suggère [un] rapport officiel du gouvernement, certains de ces
travailleurs additionnels pourraient être fournis en mobilisant les deux millions
de chômeurs disponibles ainsi qu’en les répartissant mieux entre les différentes
industries, pendant qu’une autre partie du manque pourrait être comblée par
des spécialistes et techniciens légalement admis. Une portion même de la
demande de travail non qualifié pourrait être satisfaite par des travailleurs
immigrés d’origine japonaise ou par des étudiants étrangers, qui sont autorisés
à travailler quatre heures par jour la semaine et 8 heures par jour le week-end
avec la loi actuelle sur l’immigration. Des apprentis étrangers, qui ont le droit de
travailler une fois leur apprentissage fini, pourraient encore contribuer à combler
le manque. L’exportation vers les pays d’Asie ou même ailleurs des industries
gourmandes en main-d’œuvre sera encouragée par l’appréciation du yen. Mais
quoi qu’il en soit, il n’y a pas lieu d’être optimiste quant à la possibilité de
maintenir une croissance économique modérée tout en excluant les travailleurs
45
étrangers non qualifiés. »
B- Les coûts sociaux tels que considérés dans le débat public
On l’a vu, le débat sur l’immigration au Japon se pose essentiellement comme un calcul
coûts-avantages. Les avantages des immigrés qui sont valorisés par les partisans de la
« porte ouverte » sont essentiellement d’ordre économique. Pour beaucoup d’entre eux,
plus qu’une solution avantageuse, l’immigration est même une nécessité économique. C’est
donc bien comme force de travail uniquement que les immigrés sont pris en considération
dans leur dimension positive. Pour parler schématiquement, dans le débat public, le « bon
côté » des immigrés, c’est leur apport économique comme force de travail.
45
K. Koshiro, op. cit., p159
Enguix Mélodie - 2007
31
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
Face à cela, la mesure des coûts de l’immigration, de ses mauvais côtés, est plus
complexe.
D’une part, certains experts avancent de possibles coûts proprement financiers, comme
une hausse des dépenses publiques (hausse des dépenses du gouvernement central, des
gouvernements locaux et de l’assurance sociale) qui pourraient excéder les contributions
des travailleurs étrangers via le système fiscal.
Koshiro cite par exemple une étude sur les coûts sociaux des immigrés qui conclue :
« si les travailleurs étrangers sont admis officiellement, il y aura des coûts
bien au-delà des dépenses sociales par tête qu’un citoyen japonais ordinaire
peut attendre des gouvernements locaux et central, y compris la rémunération
d’interprètes, la préparation de dépliants dans des langues étrangères, des
classes et des enseignants pour les enfants des travailleurs étrangers, des
services d’emploi ou d’immobilier, des officiers de police spéciaux parlant des
langues étrangères, des dépenses spéciales pour maintenir le niveau d’hygiène
46
et de santé, etc. Ces coûts ont tendance à augmenter avec la durée de séjour. »
S’ajoutent des arguments sur les possibles effets néfastes de la présence des immigrés
sur l’économie. Certains s’inquiètent par exemple des effets que cela pourrait avoir
sur les travailleurs les plus pauvres au Japon, en encourageant le maintien d’activités
aux conditions de travail difficiles ou bien en accroissant la concurrence sur le marché
du travail ce qui aurait pour conséquence la baisse des salaires dans les secteurs
qui requièrent une main-d’œuvre peu qualifiée. L’existence d’une main-d’œuvre à
faible coût pourrait également, redoutent certains, avoir des effets désincitatifs sur la
restructuration de l’économie, notamment en constituant une alternative plus rentable que
des investissements technologiques qui pourraient accroître la productivité et donc être
bénéfiques sur le long terme.
Cela dit, les principaux arguments qui reviennent quand on aborde la question de
l’immigration de travailleurs sont ceux qui soulignent les problèmes qu’apporteraient les
immigrés dans une société supposée homogène, leurs difficultés d’intégration et les risques
en termes de développement de la criminalité qui s’ensuivraient.
Nous avons déjà vu la persistance du mythe de l’homogénéité japonaise et comment
l’immigration est vue comme une forme de menace pour cette homogénéité sur laquelle
reposerait finalement l’édifice de la société japonaise. Introduire la donnée immigration
reviendrait alors à menacer la stabilité et l’harmonie qui dépendent de cette homogénéité.
C- Les éléments qui complexifient le débat
Nous avons ainsi vu que le débat public sur l’immigration peut être aisément schématisé
comme un bilan coûts-avantages. Du côté des avantages, les immigrés sont pris presque
uniquement comme force de travail : c’est en tant que tels qu’ils ont une valeur positive
(c’est d’ailleurs cette utilité économique qui peut être contestée par certains). Du côté
des inconvénients, on envisage des coûts économiquement quantifiables certes, mais
l’essentiel du reproche qui est fait aux étrangers est d’être une menace pour l’homogénéité
de la société japonaise.
Afin de rendre compte un peu plus fidèlement du débat, toutefois, nous voudrions
évoquer quelques uns de ses aspects qui débordent cette schématisation.
46
32
Ibid, p 167
Enguix Mélodie - 2007
II- Immigration et travail dans la société japonaise
Lorsqu’il en rend compte, Komai souligne tout d’abord que les partisans de l’ouverture
se divisent en deux branches, ceux qu’il nomme les pragmatiques, qui correspondent
grosso modo à l’argumentation économiste que nous avons décrite, et ceux qu’il appelle
les libéraux, qui croient plus simplement en la libre circulation des biens et des personnes.
D’autre part, un argument de certains partisans de l’immigration que mentionne Komai,
mais qui semble marginal dans la mesure où il n’est évoqué par personne d’autre, serait
que les immigrants, par leur différence pourraient justement apporter une forme d’ouverture
culturelle au Japon.
Enfin, plus important, ce qui transparaît largement dans les livres que nous avons
pu consulter (qui, dans une certaine mesure, reflètent eux-mêmes le débat public, bien
que dans sa dimension scientifique), c’est l’idée que l’alternative entre « porte ouverte »
et « porte fermée » est simplement mal posée. En effet, ce qu’elle oublie est que la
présence des immigrants est déjà un état de fait et que la politique d’immigration japonaise,
notablement restrictive, n’a pas empêchée une immigration de travailleurs non qualifiés
d’entrer, fût-elle illégale, celle-ci s’étant même maintenue pendant la période de récession
économique.
En oubliant souvent cet élément, le débat a tendance à se concentrer sur les immigrés
à venir davantage que sur les immigrés présents. Cela exclut d’ailleurs la question du travail
des Coréens zainichi. Kajita fait une remarque intéressante à ce sujet :
« Le problème de la responsabilité du Japon pour la guerre et celui des femmes
de nationalité étrangère contraintes de se prostituer auprès de soldats japonais
pendant celle-ci ne sont pas seulement des questions intérieures, mais aussi
internationales, ce qui rend difficile le fait de discuter de la question des
résidents étrangers [le statut acquis en particulier par les Coréens zainichi]
uniquement dans le contexte de la politique d’intérêt et de la théorie du coût
social. Au contraire, le problème des travailleurs étrangers qui sont venus au
Japon relativement récemment peut dans une certaine mesure être discuté dans
le contexte de la politique d’intérêt, de la même façon que cela peut être fait aux
47
Etats-Unis. »
Ainsi, ce que reflète le débat public concernant l’immigration par la place que prend
l’argument de l’utilité économique parmi les avantages, en tant qu’il semble le seul élément
propre à peser suffisamment dans la balance du calcul coûts-avantages, c’est que la
légitimation des travailleurs étrangers dans la société japonaise tient avant tout à leur travail,
en particulier en ce qui concerne les étrangers récemment arrivés.
4- Les limites du travail comme outil de légitimation
des étrangers
Ce qui a pu nous intéresser dans ce débat et dans la place qu’y occupait la question
économique, c’était peut-être le fait qu’il était transposable à d’autres sociétés. En particulier
bien des similarités pourraient être soulignées avec les interrogations que la France a
pu avoir par le passé quant aux immigrés. Le croisement entre des questionnements
47
Kajita T., op. cit., p 133
Enguix Mélodie - 2007
33
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
d’ordre économique et d’autres d’ordre sociologique était par ailleurs, je l’ai dit, un des
attraits que comportait à mes yeux ce sujet. L’argument de l’utilité économique et son poids
comme facteur de légitimation avait pour moi une certaine évidence naturelle que je n’ai
questionné que tardivement. La lecture de l’ouvrage d’Abdelmalek Sayad, L’immigration
ou les paradoxes de l’altérité, y a contribué largement. Ce sociologue a avant tout étudié
les migrations vers la France et au départ de l’Algérie, mais ses réflexions sont, je crois,
fructueuses dans d’autres contextes, et y compris le contexte japonais.
Il contribue notamment à faire valoir que l’argument économique n’est pas anodin, qu’il
a du sens sociologiquement, en ceci qu’il dit quelque chose de la représentation que se fait
la société d’accueil de ses migrants, donc qu’il dit quelque chose de la façon dont ils sont
accueillis et par la même, il est susceptible de jouer sur le processus d’intégration.
Nous avons jusque là davantage insisté sur un impact positif, une forme de légitimation.
Celle-ci a ses limites et nous allons nous efforcer de les exposer.
L’analyse de Sayad nous montre d’abord que la logique du calcul rationnel économiste
n’est pas propre au Japon, mais s’est aussi appliquée à l’immigration européenne, ce qui
nous autorise d’autant plus à transposer son analyse au cadre japonais.
« C’est par un bilan comptable qu’on tient des « coûts et avantages comparés »
de l’immigration : quels « avantages y’a-t-il à recourir à une main d’œuvre
immigrée et de quels « coûts » paie-t-on l’utilisation de cette main d’œuvre
48
[…] ? »
Sayad étudie le lien entre l’immigré et son travail, tout en questionnant le statut d’évidence
que peut prendre ce lien (l’étranger devient d’abord un travailleur immigré, en France il a
notamment beaucoup travaillé sur le lien entre le statut d’OS et celui d’immigré, devenu
quasiment interchangeables dans la France des années 60). Pierre Bourdieu soulignera
notamment dans la préface de son livre que Sayad « révoque le mythe rassurant du
travailleur importé qui, une fois nanti d’un pécule, repartira au pays pour laisser place à un
autre ».
49
Tout d’abord il met en valeur la logique de légitimation que revêt la recherche de
causalités économiques :
« Ainsi toute une série de facteurs sont constitués comme autant de causes
susceptibles de rendre compte du recours qui a été fait aux travailleurs
étrangers, donc à l’immigration ; ces facteurs ne sont pas seulement explicatifs,
mais, une chose valant l’autre, ils ont aussi une fonction de légitimation, c’est-àdire d’arguments devant justifier une présence qui, autrement, serait impensable,
voire scandaleuse à tous les points vue, intellectuellement, politiquement,
culturellement, éthiquement, etc. On a évoqué à cet effet, tour à tour, le déficit
démographique […], la forte expansion économique à certaines périodes et la
structure du marché du travail quand l’offre d’emplois devient, au moins dans
certains secteurs et pour certains niveaux de qualifications […] , supérieure à la
demande locale[…] : l’élévation globale du niveau de vie (niveau économique et
culturel) se traduisant par une désaffection de plus en plus grande et largement
partagée de la main d’œuvre nationale à l’égard de certaines activités voire de
48
49
34
Sayad Abdelmalek, L’immigration ou les paradoxes de l’altérité, Editions Universitaires, 1991, p 54
Pierre Bourdieu, préface de L’immigration ou les paradoxes de l’altérité d’Abdelmalek Sayad,p 9
Enguix Mélodie - 2007
II- Immigration et travail dans la société japonaise
secteurs entiers d’emploi (tâches rebutantes et socialement dévalorisées) et
par la réduction progressive du temps de travail et de la durée de la vie active,
etc. Sans être faux, ce mode d’explication gagnerait cependant, pour être plus
complet et plus convainquant, à se souvenir que l’immigré, avant de “naître” à
50
l’immigration est d’abord un émigré. »
La conséquence de ce jeu de légitimation, c’est que la présence de l’immigré devient
conditionnelle. Ce n’est qu’en tant que travailleur et seulement si son travail est utile que
l’immigré est accepté. Ce qui influe sur l’identité des immigrés qui tend alors à se réduire à
cet aspect. Ainsi, à la question « qu’est-ce qu’un immigré ? », il répond :
« Si la fonction de tout cela, les faits comme les discours, apparaît comme un
rappel des immigrés à leur condition de travailleurs seulement tolérés et tolérés
à titre provisoire, l’objectif visé est de pouvoir agir sur la réalité sociale (c’està-dire l’immigration) jusqu’à la soumettre à la définition qu’on en donne […].
Un immigré c’est essentiellement une force de travail, et une force de travail
provisoire, temporaire […]. Le séjour qu’on autorise à un immigré est totalement
51
assujetti au travail, la seule raison d’être qu’on lui reconnaisse. » « En effet
il ne peut échapper à personne qu’au fond, c’est une certaine définition de
l’immigration et des immigrés qui est en cause à travers le travail, à la fois
juridique –droits à reconnaître à l’immigré puisqu’il est appelé à résider et
travailler en France (droits liés au travail distingués des autres droits habituels
liés plutôt à la citoyenneté ou à la nationalité) –, politique – accords de main
d’œuvre, conventions bilatérales […] – et social – actions diverses entrepris sur
la personne des immigrés »
La plupart des auteurs que nous avons pu lire se rejoignent pour dire qu’il y a eu une forme
d’acceptation tacite par le gouvernement japonais des immigrés clandestins.
On remarquera que c’est aussi le cas en Europe, ce qui, là encore, autorise certaines
comparaisons. « Le maintien des nouveaux migrants dans un statut de séjour irrégulier,
ou très précaire, exposent ainsi Rea et Tripier, constitue une composante de la politique
européenne d’immigration. »
52
Ainsi Shimada :
« Le Japon pratique une politique du travail trompeuse, affirmant ne pas admettre
officiellement les travailleurs étrangers tout en continuant d’introduire des
travailleurs étrangers sans perspective de respect des droits de l’Homme du
53
travailleur, pour répondre à la demande de l’industrie japonaise. »
Kajita abonde dans ce sens :
« Bien que le gouvernement japonais ne permette pas officiellement l’entrée de
travailleurs étrangers, il semble permettre tacitement leur emploi, car un grand
nombre de travailleurs sont restés en dépassant la durée de leur visa. De plus,
les immigrants nikkeijin d’origine japonaise sont formellement acceptés, les
étudiants étrangers peuvent travailler à temps partiel et certains travailleurs
50
Sayad, op. cit., p 17
51
Ibid, p 60et p 54
52
53
Rea et Tripier, op. cit., p41
Shimada, op. cit., p 4
Enguix Mélodie - 2007
35
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
étrangers sont acceptés avec des visas dans le spectacle ou le système
d’apprentissage. A cet égard, le Japon semble accepter les travailleurs étrangers
54
par la “porte de derrière” ou par la “petite porte ” plutôt que la “grande porte”. »
Komai précise quant a lui que les responsabilités sont différemment partagées entre les
différents pouvoirs publics : le Ministère de la construction japonais serait critique à l’égard
de l’emploi des étrangers, qui minerait la confiance du public et ferait obstacle à l’embauche
de jeunes Japonais, mais :
« la plupart des institutions publiques qui font des appels d’offres, à l’exception
du Bureau régional du Kanto du Ministère de la construction, n’ont pas mis en
place de pénalités contre les entreprises utilisant des travailleur sans papiers,
et ont, pour dire les choses simplement, opté pour la position selon laquelle
l’existence de cette pratique est un fait et une conséquence du système de sous55
traitance. »
Ces auteurs soulignent les limites que comporte une forme tacite d’acceptation, à l’instar
de Shimada :
« De plus, le flux croissant de travailleurs étrangers clandestins mènera à
des tensions dans la société japonaise et des distorsions dans l’économie.
Comme les travailleurs clandestins sont relégués à une existence souterraine
du fait de leur statut illégal, personne n’a une véritable compréhension de la
situation réelle. D’où l’absence de garanties de respect des droits minimums
des travailleurs par les employeurs et cette situation dangereuse pourrait
avoir pour conséquence une détérioration de la santé, la formation de ghettos,
différents problèmes sociaux dont la criminalité et la création d’une sous-classe
[underclass] dans la société. Dépendre d’un travail étranger bon marché menace
aussi les conditions de travail des travailleurs marginaux japonais et pourrait
56
entraver les efforts pour moderniser l’industrie. »
On peut considérer, en somme, à la lumière des réflexions de Sayad, que l’acceptation
tacite est emblématique d’une réduction de l’immigré à sa force de travail dans la mesure où
les immigrés sont acceptés pour leur utilité économique, mais où ils ne sont pas reconnus
en dehors de cette utilité (ils n’ont pas de statut officiel) et ne sont pas considérés dans
leurs dimensions autres qu’économique. Ce qui explique, et c’est ce que met en évidence
Shimada, que ses droits humains sont en grande partie ignorés.
L’autre aspect qu’a pu mettre en évidence Sayad dans le cas des travailleurs algériens
en France, c’est l’importance de l’idée de courte durée : l’immigration est d’abord pensée
comme temporaire. Associée logiquement à l’idée que l’immigré est d’abord un travailleur,
vient celle qui le fait idéalement rester le temps de sa mission uniquement. Le raisonnement
en deux mots valorise un séjour temporaire qui donne l’illusion d’avoir les avantages
économiques de l’immigration sans ses inconvénients sociaux. Sayad montre que les
immigrés, étrangers dans le pays où ils vivent et souvent mal reçus, partagent cette idée
d’un séjour temporaire, alors même que l’histoire de l’immigration montre que l’immigration
même dite de travail se transforme tôt ou tard en immigration de long terme et familiale.
54
Kajita, op. cit., p 120
55
Komai, p 106
56
Shimada, op. cit., p5
36
Enguix Mélodie - 2007
II- Immigration et travail dans la société japonaise
Komai souligne à ce propos qu’au Japon comme ailleurs, une immigration totalement
temporaire est illusoire.
« Les problèmes posés par cette politique de la porte ouverte ne sont pas limités
aux pays d’origine mais concernent également la pays d’accueil. Nous pouvons
apprendre des expériences américaines et européennes les difficultés d’une
politique de l’emploi conditionnel. Bien des immigrants censés rentrer dans
leur pays ont échoué à le faire, emmenant plutôt leurs familles dans leur pays
57
d’accueil pour s’installer. »
Shimada confirme que « il est inévitable que les travailleurs étrangers s’installent de façon
58
permanente. » . Ainsi, selon lui, l’importance des flux est telle qu’une part des immigrés va
nécessairement rester, comme en témoigne l’expérience des autres pays qui ont accueilli
des vagues d’immigration par le passé. Il précise qu’ils seront rejoints par leur famille ou
qu’ils se marieront sur place et que, d’ailleurs, le droit de se marier ou d’avoir des enfants
s’ils le souhaitent est un droit fondamental.
Ce que confirme Komai, qui explique que :
« Dans sa forme actuelle, la politique de la porte ouverte recherche de la maind’œuvre mais la peur de voir l’installation des travailleurs générer des problèmes
au sein de la société japonaise a conduit à préférer un “emploi temporaire”,
c’est-à-dire l’imposition de limites à la durée du séjour et l’exigence que les
travailleurs viennent sans leur famille, pour s’assurer qu’ils retournent dans leur
pays d’origine une fois le travail attribué accompli [...]. Mais, outre qu’on prive les
pays de travailleurs dans leurs années les plus productives, on s’assure qu’ils
sont facilement expulsables en cas de récession économique et le Japon ne
porte pas le poids de leur éducation ou leur retraite. [...] De plus, la politique de
l’emploi conditionnel est fondée sur la prémisse selon laquelle les travailleurs
viennent seuls. Cela est assez inhumain et revient à séparer les gens de leurs
familles et de ceux qu’ils aiment pour de longues périodes. Cette pratique a été
reconnue internationalement comme une violation des droits de l’Homme et ce
59
point est clarifié par les traités internationaux. »
L’auteur fait d’ailleurs un lien intéressant avec le phénomène des tanshin funin (lorsque des
travailleurs sont contraints de vivre de façon durable éloignés de leur famille pour assurer
leur carrière professionnelle), qui, selon lui, montrerait également la préférence donnée aux
entreprises dans la société japonaise.
Ainsi, ce qu’on a pu voir à propos du travail comme argument du débat sur l’immigration
et puissance de légitimation de la présence des immigrés c’est qu’elle présente le risque de
renvoyer l’immigré à une forme de tolérance conditionnelle et temporaire, ce que résume
la formule américaine de « wanted, but not welcome ». On sent transparaître une forme de
réticence chez certains employeurs. L’un d’eux décrit par exemple à Komai l’embauche de
Philippins comme un « acte de désespoir ». Cela renvoie les immigrés dans le temporaire
et qui ne leur donne un statut que de courte durée et lié à un travail uniquement. Ce statut
57
58
59
Komai, op. cit., p249
Shimada, op. cit., p 155
Komai, op.cit., p245
Enguix Mélodie - 2007
37
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
est parfois très précaire et, dans le cas des travailleurs illégaux, il n’a pas le poids social
d’un statut officiel.
Ils sont donc rarement socialement perçus en dehors de leur travail (comme humain
par exemple, comme en atteste le difficulté pour les immigrés japonais illégaux de voir leurs
droits de l’Homme reconnus). Que le temporaire soit réel ou rêvé, il reste un obstacle à
l’intégration qui exige à la fois du temps (une projection dans la durée) et un statut qui soit
autre qu’économique et bénéficie surtout d’une reconnaissance officielle.
En résumé, la lecture utilitariste tend à réduire les étrangers à une unique dimension. Si
l’acceptation tacite est acceptable dans cette perspective utilitariste, on imagine les dégâts
qu’elle fait pour ces gens, en termes de droits humains d’abord et aussi parce qu’elle rend
l’intégration sociale difficile, qu’il s’agisse d’une intégration parfaite ou même toute autre
forme de compromis satisfaisant pour la société et les parties impliquées comme une forme
de pluralisme culturel par exemple.
Ainsi, on a pu esquisser le fonctionnement des mécanismes intégrateur qui s’inscrivent
dans le temps et le lieu du travail. La place centrale du travail comme valeur dans la société
japonaise semble inviter à croire que celui-ci aura un rôle essentiel pour les étrangers.
L’idée paraît confirmée par la place qu’occupe les question économiques dans le débat
sur l’immigration, qui témoigne du poids du travail dans la légitimation de la présence des
étrangers au Japon.
Pourtant, les réflexions de Sayad, qui mettent en évidence ce type d’argumentaire est
commun à plusieurs sociétés dont la France, nous invitent à pencher vers la conclusion
inverse : l’importance du travail comme légitimation serait davantage le signe d’une
tolérance de la société japonaise à l’égard des étrangers, avec ce que cela implique
d’intolérance sous-jacente.
Des différences se sont dessinées entre les catégories d’étrangers au japon : on a vu
que les Coréens n’étaient, en raison du passif historique japonais, pas sujets de la même
façon à ce calcul coûts –avantages. Les étrangers n’ont pas les mêmes caractéristiques
objectives, pas plus qu’ils ne sont perçus de façon uniforme par les Japonais.
C’est pourquoi pour mieux étudier les obstacles que rencontre les tendances
intégratrices du travail nous allons les envisager en séparant les étrangers par catégorie.
38
Enguix Mélodie - 2007
III- Obstacles à l’intégration par le travail au Japon : une typologie
III- Obstacles à l’intégration par le
travail au Japon : une typologie
L’action du travail sur l’intégration, on l’a vu, n’est pas automatique et dépend pour beaucoup
des conditions dans lequel ce travail est fait et des caractéristiques des étrangers (par
exemple, leur niveau de langue ou leur degré d’assimilation).
C’est pourquoi il nous a paru utile de considérer cette question au Japon au travers
d’une typologie qui nous permette de nous intéresser dans le détail à trois grandes
catégories d’étrangers au Japon, dont les conditions de travail et d’intégration sont
différentes.
Nous allons donc étudier séparément l’enjeu de l’intégration par le travail de l’ancienne
génération d’immigrés (et en particulier des Zainichi), des Nikkeijin et des travailleurs
asiatiques peu qualifiés qui sont dans leur grande majorité des travailleurs illégaux.
Avant de commencer, quelques lignes pour justifier le choix d’une telle typologie.
Kajita utilise lui-même cette catégorisation (il ajoute toutefois une quatrième catégorie
à laquelle il ne s’intéresse pas, nommément les immigrés occidentaux, dont le statut est
légal et le travail qualifié). Il rappelle que la nouvelle et l’ancienne génération d’immigrés
se différencient nettement par leurs habilités en japonais et les secteurs économiques où
elles sont employées.
Pour ce qui est de la distinction entre Nikkeijin et travailleurs illégaux, elle tient à
leur statut (légal ou non) et aux conditions de travail qui en découlent, mais aussi à leurs
origines, japonaise dans un cas, asiatiques dans l’autre, ce qui revêt une importance pour
la perception que vont en avoir les Japonais (on a dit le poids des liens de sang dans la
perception de l’identité au Japon). On verra que la pertinence d’une division entre ces deux
catégories est prouvée par l’existence d’une forme de concurrence entre elles sur le marché
du travail.
Ces trois catégories sont caractérisées, en termes de travail, par le fait qu’elles sont
concentrées dans des secteurs différents de l’une à l’autre et surtout différents du reste de
la population.
« Les contraintes, institutionnelles ou autres, auxquelles fait face un étranger
dans sa recherche d’emploi répartissent les travailleurs étrangers selon les
secteurs et les postes de façon significativement différente par rapport aux
nationaux. La forme de la répartition diffère aussi au sein des étrangers selon
la nationalité ou le groupe de population, reflétant des passés, des conditions
60
d’accueil au Japon et des particularités démographiques différents. »
Nous étudierons ces secteurs plus en détail par catégorie, mais nous voulions simplement
signaler pourquoi une telle concentration est pertinente du point de vue de notre
questionnement. D’une part, une forte segmentation peut signifier une concentration
d’étrangers dans un secteur donné telle que les échanges avec les travailleurs japonais,
60
Mori, op. cit., p151
Enguix Mélodie - 2007
39
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
vecteurs de socialisation, sont susceptibles d’être réduits. D’autre part, le travail étant
l’un des marqueurs du positionnement dans l’espace social, une forte concentration dans
certains segments de l’économie peut être le signe d’une marginalisation sociale.
1- Les travailleurs illégaux
A- Des conditions de travail difficiles
Le travail des étrangers illégaux au Japon est marqué par des conditions de travail difficiles.
On pourrait même dire qu’il est défini par elles, dans la mesure où, comme nous l’avons déjà
dit, ce sont précisément parce que les conditions des postes qu’ils occupent sont difficiles
que les travailleurs japonais les refusent et qu’ils existent des secteurs “3K” marqués par
des pénuries que viennent remplir les étrangers.
Mori confirme :
« A l’exception d’une poignée de travailleurs qualifiés, les nouveaux arrivants
ont tendance à exercer des emplois peu désirables ou de type dit “3K”. Leurs
emplois sont différents non seulement de par le secteur ou le type de poste, mais
61
aussi par le statut d’emploi, plus précaire. »
Les observateurs s’accordent pour reconnaître que les conditions de travail des illégaux
sont particulièrement rudes, voire inhumaines, ainsi que le rapporte Koshiro : « il y a eu
de nombreux rapports de sociologues, juristes ou journalistes montrant que les travailleurs
illégaux connaissent souvent des conditions de vie et de travail inhumaines. » Il cite des
études qui montrent tantôt des conditions sanitaires déplorables dans lesquelles viventles
clandestins ou l’action peu recommandables des intermédiaires et passeurs, tantôt le
racisme et la discrimination dont ces personnes sont victimes.
Les travailleurs illégaux semblent plus déterminés à ces sacrifices, sans doute du fait de
la difficulté de la vie qu’il mènerait dans leur pays d’origine. Ils ont pour ce type de conditions
une plus grande « disponibilité sociale », pour reprendre le terme de Claude-Valentin Marie,
qu’il définit comme une « souplesse relative avec laquelle certaines catégories se plient aux
contraintes nouvelles (modes de production, types d'emploi, conditions de travail et statut
d'emploi) imposées par la "modernisation" »
62
.
Ces conditions de travail sont intimement liées à la place que les travailleurs illégaux
occupent dans l’économie, à la fonction économique de l’immigration illégale. Fonction que
met en évidence Komai :
« Ce que nous devons souligner, c’est que les employeurs qui embauchent
des travailleurs étrangers sont ceux qui occupent les rangs les plus bas de
la structure industrielle japonaise. Les sous-traitants des parties basses de
la hiérarchie de la chaîne qui existe dans les secteurs de la manufacture et
de la construction sont dans une position où ils ne peuvent simplement pas
61
Mori, op. cit., p 155
62
Marie, « Emplois des étrangers sans titre, travail illegal, régularisation: des débats en trompe-l'œil », in Dewitte, Philippe
(dir), Immigration et intégration - L’état des savoirs, La Découverte, 1999, p354
40
Enguix Mélodie - 2007
III- Obstacles à l’intégration par le travail au Japon : une typologie
embaucher de Japonais et sont, les jours heureux, sous une pression constante
de produire à des prix inférieurs et, les jours plus sombres, de faire avec des
contrats qui se réduisent comme peau de chagrin. Les gestionnaires dans
l’industrie du sexe et les services se retrouvent aussi dans des situations loin
d’être stables. Pour ces gens, recourir aux travailleurs étrangers comme une
soupape de sécurité n’est que naturel. »
Il conclut donc que « le flux de travailleurs étrangers a fonctionné comme une sorte de
63
pansement pour couvrir les contradictions dans la structure économique japonaise » , qui
possèderait ainsi deux mécanismes de contrôle : les petites entreprises sous-traintantes et
les travailleurs étrangers qu’elles emploient.
Komai donne de nombreux exemples de ces conditions difficiles. Baroo est un
travailleur bangladais, venu au Japon pour suivre des cours de langue, auxquels il continue
de se rendre en plus de son travail à l’usine, ce qui ne lui laisse aucun temps libre.
Il n’a pas non plus d’assurance santé comme les travailleurs japonais et regrette qu’on
refuse un lieu de prière pour lui et ses collègues musulmans. Han est coréenne, également
venue dans le cadre d’une école de langue et elle s’est endettée pour son voyage et se
retrouve par conséquent coincée à la merci de l’entreprise qui l’emploie, sans qu’elle gagne
encore d’argent (son salaire est consacré au remboursement et à ses frais quotidiens, car
l’entreprise prélève une part pour financer son logement et sa nourriture).
Autre élément marquant les conditions de travail des illégaux : les différences de
rémunération. Les travailleurs étrangers sont presque systématiquement payés moins que
leurs homologues japonais. Ainsi, Komai raconte le cas de Ben et Romy, deux Philippins
de 33 et 22 ans qui reçoivent 7000 dollars par an quand les Japonais faisant le même
travail qu’eux sont payés 8000. Interrogés, ils étaient réticents à parler de cette différence
de salaire de peur que les sociologues venus leur parler ne causent des problèmes. Ils s’en
disent satisfaits, car dans leur précédent travail, ils étaient bien moins payés encore et leur
employeur d’alors avait une attitude raciste.
Rappelons que d’après Komai : « L’existence de discrimination sociale et économique
est une réalité et les préjugés servent de mécanismes pour les justifier. La discrimination
qui fait que les Asiatiques sont seulement payés le salaire de temps partiels ou seulement
employés pour des postes “3K” sert [...] à renforcer les préjugés contre ces gens. »
64
Komai signale l’existence d’un bouche-à-oreille entre Philippins pour trouver des postes
mieux rémunérés et de meilleures conditions. Ce qui fait croire à certains auteurs que
progressivement les différences avec les Japonais devraient s’égaliser.
Face à ce mouvement plutôt favorable, il faut rappeler que la tendance depuis la
réforme de la Loi sur l’immigration est à l’exacerbation d’une concurrence de ces travailleurs
illégaux avec les Nikkeijin, avantagés par leur possibilité de travailler légalement sans
restriction de secteurs (et dans la pratique, c’est avant pour les postes non qualifiés qu’ils
65
seront utilisés).
B- Rapports des travailleurs étrangers avec les travailleurs japonais
63
Komai, op. cit., p 136
64
65
Komai, op. cit., p 250
Voir par exemple Kajita, op. cit., p140
Enguix Mélodie - 2007
41
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
Qu’en est-il des rapports des étrangers avec les Japonais ? Nous avons émis l’hypothèse en
deuxième partie que le contact important sur le lieu de travail était l’un des moyens concrets
pour que le travail joue son rôle d’intégrateur. Cela sera d’autant plus vrai, on l’a dit, que
travailleurs étrangers et japonais sont mélangés dans le travail et que les étrangers ne sont
pas regroupés entre eux à certains postes.
Ce que menace la concentration dans certains secteurs des étrangers. Mori souligne en
effet que les étrangers sont particulièrement nombreux dans certains secteurs. En premier
lieu, industrie manufacturière et construction, mais aussi, nous dit-il, commerce de gros
ou de détail, et restauration. D’une façon générale, ce sont des postes de type “3K” dans
des petites entreprises japonaises (alors que l’ancienne génération d’immigrants se trouvait
d’abord dans des entreprises tenues par des étrangers). Les entreprises coréennes ou
66
chinoises joueraient un rôle plus marginal.
Le cas d’un cuisinier dans un restaurant taiwanais évoqué par Komai nous montre à
quel point les relations avec le reste de la société japonaise peuvent être restreintes dans
les entreprises ethniques : le Taïwanais ne s’aventure qu’exceptionnellement à l’extérieur de
son restaurant, où ils travaillent avec deux Taïwanaises qui sont les deux seules personnes
67
qu’il côtoie.
Mais, même s’il y a mixité de fait, il convient de savoir dans quelle mesure il y a
échange. Le témoignage d’un ouvrier cité par Komai nous invite à la prudence, en effet celuici explique que, bien qu’il travaille avec des Japonais, leurs discussions sont très limitées.
Baroo est un ouvrier bangladais, son visa est lié à un statut d’étudiants (il prend des cours
de langues), mais il travaille illégalement et il explique que les seules discussions que lui
et les autres travailleurs illégaux aient avec les Japonais qui travaillent avec eux portent
68
sur leur travail.
Outre la fréquence de ces échanges, on peut se demander s’ils se font dans de bonnes
conditions, sont-ils amicaux ou plutôt froids ? Komai rapporte l’existence d’un racisme chez
69
les ouvriers. Il cite une étude qui montre le décalage en la matière entre cols bleus et
cols blancs, les cols bleus acceptant moins facilement les travailleurs immigrés que leurs
compatriotes plus qualifiés. Le résultat, nous dit Komai, est assez classique.
En effet, le racisme des milieux populaires est un trait qui a été déjà observé par de
nombreuses études. Dans la sociologie française, on peut citer celle, pionnière, de Michel
Verret (L’Espace ouvrier, Armand Colin, 1979). Rea et Tripier en rendent compte en ces
termes : « Pour Michel Verret, la figure de l’immigré hante l’imaginaire ouvrier, en ce qu’il
révèle l’insécurité fondamentale de son statut. »
70
Une analyse confirmée par nombre de travaux ultérieurs, Stéphane Beaud et Michel
Pialoux y voient : « une tentative ultime de différenciation du droit à l’existence dans un
contexte de déclassement structurel du groupe ouvrier. »
66
67
68
69
71
Mori, op. cit., p 168
Komai, op. cit., p121
Komai, op. cit., p 84
Sondage de la Fédération internationale des travailleurs de la chimie et des travailleurs généraux (Nihon Kagaku Energy
Rodo Kumiai Kyogikai), cité par Komai, op. cit., p229
70
71
42
Rea et Tripier, op. cit., p 70
Stéphane Beaud et Michel Pialoux, Retour sur la condition ouvrière, Fayard, 1999,p404
Enguix Mélodie - 2007
III- Obstacles à l’intégration par le travail au Japon : une typologie
Les analyses font donc traditionnellement le lien entre la méfiance des ouvriers et
la précarité de leur statut dans un contexte économique et social qui les menace de
dégradation.
De façon plus générale peut-être, il faut se souvenir que le recours aux travailleurs
étrangers est souvent décrit par les employeurs comme une solution à laquelle ils se
trouvent acculés et à laquelle ils se résolvent avec une certaine réticence. Réticence qui
augure mal de l’accueil réservé aux travailleurs étrangers.
Sans trop déborder de notre propos, nous voudrions nous dire un mot du mode de
logements des étrangers illégaux. Sans confiner à la formation de ghetto comme on peut
le voir aux Etats-Unis (les prix immobiliers assez uniformément élevés empêcheraient ce
type de formation au Japon), on retrouve souvent des concentrations dans l’habitat des
étrangers, notamment parce que les employeurs fournissent ces logements aux travailleurs
« qu’ils soient légaux ou non, ils sont ainsi isolés des Japonais dans leur voisinage et il y
72
a peu de problèmes. »
L’école de Chicago a largement souligné l’importance de la localisation géographique
dans la formation de communautés ethniques et les liens entre ségrégation spatiales et
ségrégation sociale. On peut penser, même s’il n’y a pas, à proprement parler, “ghetto”,
que la concentration spatiale des étrangers tout de même réelle au Japon est un obstacle
à l’intégration.
C- Effets des conditions de travail sur l’intégration des illégaux
D’abord, on comprend que les conditions de travail sont pour ces travailleurs le symbole
de la différence de considération qu’ont les employeurs pour eux par rapport à d’autres,
mais aussi du peu d’importance qu’on leur accorde “humainement” parlant, puisque bien
peu est fait politiquement pour améliorer le respect des droits humains de ces travailleurs.
Kathianne Hingwan rappelle pourtant que la Constitution japonaise garantit théoriquement
les droits de l'Homme à tous les citoyens, ce dont la Cour suprême japonaise a donné une
interprétation large, accordant cette garantie aux étrangers comme aux citoyens. Même les
illégaux sont donc techniquement couverts par la trame de lois protégeant les droits de
l'Homme au Japon. « Mais la réalité est différente, [...] le caractère étranger des illégaux
73
l’emportent sur les autres lois et leurs garanties plus égalitaires. »
D’ailleurs, remarque-telle, les étrangers ne peuvent signaler de violations sans risquer la reconduite à la frontière.
Mais, dans l’hypothèse où ces conditions s’amélioreraient, pourrait-on en conclure que
l’intégration est plus facile ? Il faut signaler que des exemples montrent que l’intégration n’est
pas automatique quand les conditions sont bonnes. Komai cite ainsi la cas d’un Philippins
de 33 ans dont le travail (vidanger des huiles usagées) n’est pas particulièrement valorisant
mais se fait toutefois dans de bonnes conditions et est bien payé. Ce cas de figure (où les
conditions de travail sont globalement bonnes) gagnerait à être étudié plus avant.
Pour expliquer cela, il faut peut-être revenir sur l’importance du temporaire chez les
immigrants illégaux que nous avons exposée en deuxième partie. Tous les immigrants
illégaux ne sont pas là temporairement, un certain nombre resteront définitivement ou
peut-être simplement pour une durée plus longue qu’estimée au départ. Pourtant, le pays
72
73
Kajita, op. cit., p144
Kathianne Hingwan, « Identity, Otherness and Migrant Labour in Japan », in Goodman, Roger et Neary, Ian (dir.), Case Studies
on Human Rights in Japan, Japan Library, 1996, p71
Enguix Mélodie - 2007
43
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
d’accueil persiste à concevoir cette immigration comme temporaire, sans doute parce qu’il
la pense moins coûteuse sous cette forme (toutes sortes de coûts, depuis le financement
des retraites des travailleurs immigrés ou de l’éducation de leurs enfants, jusqu’au coût
que représentent les efforts pour qu’une population accueillie soit intégrée dans de bonnes
conditions). Parallèlement, les immigrés eux-mêmes pensent souvent leur séjour comme
temporaire, peut-être parce que les rudes conditions dans lesquelles il se fait sont plus
faciles à supporter si on croit qu’elles prendront fin bientôt.
Peut-être, donc, que cette perspective temporaire, qui s’explique pour partie par
la perception de l’immigration par le pays d’accueil et les conditions de travail, freine
l’intégration à un autre niveau.
Un détour par la théorie de l’assimilation segmentée, proposée par Portes et Zhou,
pourra nous permettre d’avancer dans nos conclusions. Comme l’expliquent Rea et
Tripier, « La théorie de l’assimilation segmentée distingue trois modes d’incorporation des
nouveaux immigrants [...] : le premier est la reproduction du processus d’acculturation rapide
associée à une intégration dans la classe moyenne, le deuxième est celui de l’inscription
permanente dans la pauvreté et l’intégration dans l’underclass, et, enfin, le troisième associe
une inclusion économique rapide et un maintien délibéré de valeurs et de solidarités
communautaires. »
74
On peut dire que la tendance actuelle pour cette catégorie de migrants va plutôt dans
le sens du deuxième mode, à savoir l’intégration dans une forme d’underclass. On finira par
ces mots de Komai, qui étaye cette thèse :
« Il est devenu normal de nos jours de traiter ces travailleurs ayant dépassé
la durée de leur visa de la même manière que l’on traite les femmes au foyer à
temps partiel, les étudiants et les employés dans les plus petites entreprises.
Il pourrait sembler de prime abord que notre propos est de dire qu’il n’y a pas
d’écart entre les travailleurs étrangers et les Japonais. Mais, en réalité, les
travailleurs japonais avec lesquels les étrangers sont comparables sont ceux qui
75
forment les couches les plus basses du marché du travail [...]. »
2- Les Nikkeijin, descendants d’immigrés japonais en
Amérique du Sud
Les Nikkeijin appartiennent à la nouvelle génération d’immigrés. S’ils sont arrivées
récemment ils se distinguent toutefois des travailleurs asiatiques que nous venons d’étudier
d’abord parce qu’ils sont d’origine japonaise, ils descendent, on l’a dit, des Japonais émigrés
en Amérique du Sud avant la guerre. D’autre part, la réforme de la Loi sur l’immigration leur
donne la possibilité d’immigrer au Japon en toute légalité et sans restriction de professions,
en fait des candidats avantageux pour les emplois non qualifiés qui jusque là allaient
prioritairement aux travailleurs illégaux. Il convient toutefois de rappeler ce que nous ont
montré les statistiques dans la première partie, à savoir qu’il existe aussi une immigration
illégale en provenance du Pérou et du Brésil. Un travail illégal n’est donc pas exclu.
74
75
44
Rea et Tripier, op. cit., p59
Komai, op. cit., p136
Enguix Mélodie - 2007
III- Obstacles à l’intégration par le travail au Japon : une typologie
La documentation dont nous disposions sur le sujet était restreinte, nos analyses seront
donc succinctes.
Un certain nombre de similarités existent entre la situation des Nikkeijin et celles des
travailleurs illégaux. Sans être aussi extrême, la précarité dans laquelle travaillent la plupart
d’entre eux n’en est pas moins réelle.
Mori explique ainsi que les Nikkeijin sont souvent embauchés, via des intermédiaires
privés, sous des contrats spécifiques illégaux de sous-traitants internes (in-house
subcontracts). Mori affirmeque, mêmesous contrats directs, les Nikkeijin ne sont pas traités
76
comme des employés normaux. Là encore, on imagine que ce traitement à deux vitesses
est un obstacle symbolique à l’intégration.
De plus, les Nikkeijin présentent également des formes de concentration sectorielle.
Mori explique par exemple qu’ils sont très présents parmi les artisans ainsi que dans le
processus de production (« production process workers »), par exemple dans le chargement
ou la livraison.
Pour ce qui est de la localisation géographique, pour des raisons similaires à celles que
nous avons évoquées dans le cas des travailleurs illégaux, Kajita observent bien l’existence
d’une certaine concentration localisée.
Que conclure en termes d’intégration ?
Le choix de légaliser l’immigration des Nikkeijin était fondé, on l’a dit, sur un
raisonnement voulant que ces travailleurs soient, par leur appartenance ethnique japonaise
et la maîtrise de la culture japonaise qui y est associée, moins susceptibles de perturber la
société japonaise par leur présence et plus à même de s’y incorporer.
Ce raisonnement s’est quelque peu émoussé face à la réalité. La culture japonaise
des Nikkeijin, en effet, n’est pas restée intacte après des années vécues en Amérique du
Sud, un continent fort différent du Japon. Les enquêtes d’opinion semblent révéler que si
les Japonais paraissent plus réceptifs à l’idée d’une immigration nikkeijin et adhèrent à la
croyance qui veut que ceux-ci fassent partie intégrante de la société japonaise quand ils
n’en ont jamais rencontrés, ils changeraient d’avis après une telle rencontre.
Ainsi, les Nikkeijin semblent être également renvoyés à leur statut d’étrangers et à leurs
différences :
« Bien que l’Etat leur ait accordé un traitement préférentiel pour les questions
d’immigration du fait de leur origine japonaise, et donc connaissance des
coutumes et de la culture japonaises, pour la plupart s’adapter à la culture
japonaise reste le principal problème Une Sud-américain expliquait qu’il se
sentait traité différemment en dépit de son origine japonaise. Il poursuivit en
disant “ parce que nous sommes étrangers au Japon, nous sommes à un rang
77
inférieur à cause de différences de culture ou de langue” »
De plus, la concentration dans des secteurs et à des postes plutôt bas de la hiérarchie
économique (on a vu que les Nikkeijin viennent généralement se positionner en concurrence
des travailleurs illégaux pour des postes difficiles de type “3K”) conforterait l’idée d’une
intégration dans les couches les plus basses de la société semble là aussi un des scénarios
d’intégration les plus probables.
76
77
Mori, op. cit., p155
Japan Times, 17 avril 1990, cité par Hingwan, op. cit., p69
Enguix Mélodie - 2007
45
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
3- Le cas des Zainichi : mobilité sociale et place du
travail dans la construction de l’identité
Pour finir, intéressons-nous à la catégorie des Zainichi, son intérêt vis-à-vis des précédentes
est de questionner le rôle du travail lorsque les conditions sont relativement bonnes.
Les descendants des étrangers arrivés au Japon avant la guerre, ceux qu’on appellerait
en France la troisième génération, essentiellement des Coréens dit Zainichi et des individus
d’origine taiwanaise portant la nationalité chinoise, se caractérisent généralement par une
assimilation assez avancée. Ils ont en effet adopté un mode de vie globalement japonais,
à l’exception de quelques coutumes conservées, ils parlent un japonais qui ne laisse pas
soupçonner leur origine. En un mot, leur culture correspond à gros traits à la culture
japonaise, signe que le processus d’acculturation a débouché sur une assimilation culturelle.
D’ailleurs pour ceux qui ont l’occasion de partir en Corée, ils s’aperçoivent bien vite qu’ils
sont étrangers là-bas. De plus, la connaissance de la langue coréenne est limitée chez les
jeunes et si certains maîtrisent le coréen, c’est souvent le fruit d’efforts d’apprentissage.
Dans ces conditions (et en sachant que les Coréens ne constituent pas au Japon ce
qu’on nomme une “minorité visible”), on pourrait penser d’une part que leur intégration
est achevée et d’autre part que l’expérience de travail de la troisième génération n’a rien
que de très ordinaire. Ainsi que nous avons pu déjà le mentionner, les Zainichi conservent
pourtant des identités marquées dont Fukuoka montre qu’elles se sont rarement construites
de façon apaisées et restent en forte évolution. Parallèlement, le profil d’emploi de ces
personnes comporte bien des particularités et nous verrons que leur expérience de travail
est notamment marquée par leur appartenance, ne serait-ce que par la discrimination dont
ils sont souvent les victimes.
Notre bibliographie concernant les Coréens étant un peu plus diversifiée que pour les
autres catégories d’étrangers, nous avons pu avoir les moyens, en plus d’une synthèse des
analyses existantes les concernant et de réflexions fondées sur des données quantitatives
disponibles, de proposer des conclusions à partir d’une méthode plus qualitative : en
effet, deux des ouvrages de la bibliographie comportaient de longs extraits d’entretiens
sociologiques dont de nombreux passages étaient consacrés au travail. Bien sûr, je n’ai
pas rédigé la grille de ces entretiens, pas plus que je ne les ai réalisés, ce qui incite à
rester modeste sur le caractère scientifique des résultats. Néanmoins, il me semble qu’ils
apportent un autre éclairage sur la question qui est le bienvenu.
Nous verrons donc d’abord les grandes caractéristiques de l’emploi des étrangers
résidents et ce qu’elles peuvent montrer de l’intégration de ces étrangers dans la société
japonaise et dans un second temps, nous verrons ce que les entretiens montrent du poids
du travail dans la construction de l’identité coréenne.
A- Les caractéristiques de l’emploi des étrangers résidents
a- La place des étrangers résidents dans l’économie japonaise
Nous avons vu que généralement les étrangers ne se répartissent pas au hasard au sein
de la population active. Leur emploi, à différents égards, est marqué de particularités.
Dans le cas des Zainichi, on peut en distinguer deux principales : concentration dans
46
Enguix Mélodie - 2007
III- Obstacles à l’intégration par le travail au Japon : une typologie
certains secteurs de l’économie et importance des indépendants et gérants d’entreprises
(entreprises souvent à coloration ethnique).
Commençons par les principaux secteurs économiques où sont concentrés les Coréens
et Chinois descendants des immigrés d’avant-guerre. Mori les décrit et explique que ceuxci ont évolué :
« Les travailleurs du BTP et les occupations traditionnelles comme les vendeurs
d’occasion, qui semblaient les plus pertinents comme métiers dominants chez
les anciens arrivants dans les années 1930 ont constitué une part de moins
en moins grande à mesure des changements structurels de l’économie. Dans
les grandes villes, l’ancienne génération d’immigrés employés dans l’industrie
manufacturière a perdu son importance relative. A leur tour, les Coréens ont
été plus impliqués dans le commerce, le travail de bureau et divers emplois de
service, dont beaucoup dans des entreprises qui n’étaient pas tenues par leurs
78
compatriotes. »
Il décrit l’existence de différences entre Chinois et Coréens, héritées de l’avant-guerre : les
Coréens sont nombreux dans l’artisanat et le travail à la chaîne, mais aussi dans le transport
(conducteurs de camion ou de taxi), et beaucoup tiennent des commerces de pachinko
(sorte de flipper japonais). Les Chinois sont plutôt cuisiniers, commerçants, travailleurs
techniques dans le domaine de la santé, ou bien travaillent dans les services à la personne
comme barbiers, tailleurs ou coiffeurs.
Il conclut en soulignant l’évolution du profil :
« Les postes typiques qu’ils occupaient à la veille de l’arrivée de la
nouvelle génération d’immigrants étaient caractérisés par une structure
duale. Notamment, une forte majorité dans des entreprises dont ils étaient aussi
les gérants. Mais parallèlement, comme la proportion croissante d’employés de
bureau et de travailleurs dans le commerce l’indique, ils montrent des signes
79
d’une conversion graduelle aux profils d’emploi des nationaux avec le temps. »
George Hicks liste, comme principaux secteurs, l’industrie manufacturière (dans le métal,
la machinerie, la chaussure, etc.), la vente et les services (vente en gros, restaurants, night
80
clubs, cafés, pachinko, hôtels, saunas, domaine médical).
L’autre caractéristique de l’emploi des étrangers résidents au Japon, c’est l’importance
des indépendants et des gérants de petites entreprises. On considère généralement que
ce trait est le résultat d’une stratégie de compensation mise en place fréquemment par les
immigrés face aux discriminations ou aux limites juridiques dont ils peuvent être victimes.
Le phénomène a été étudié en Europe et aux Etats-Unis. Rea et Tripier mentionne à ce
propos une étude américaine qui s’est intéressée aux immigrants japonais aux Etats-Unis :
78
Mori, op. cit., p 160
79
Ibid, p 161
80
George Hicks, Japan’s Hidden Apartheid, Ashgate Publishing Limited, 1998
Enguix Mélodie - 2007
47
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
« Edna Bonacich identifie dans l’exclusion systématique de ces minorités
ethniques du marché général du travail la cause de la constitution de petits
81
entrepreneurs spécialisés dans des positions qu’elle qualifie d’intermédiaires »
Ces entreprises viennent habilement répondre à des demandes de produits spécifiques de
la part des consommateurs.
Les études désormais classiques de l’équipe de Francis Portes vont un peu plus loin
en parlant d’enclave ethnique, à partir d’études sur les communautés cubaines de Miami
ou chinoises de New York.
« Le marché de l’emploi comporterait trois segments : le primaire, le secondaire
et l’enclave ethnique. Pour certaines minorités, les faibles qualifications et la
discrimination raciale [on notera que le deuxième point est sans doute le plus
pertinent dans le cas des Zainichi] constituent des entraves à l’accès à l’emploi
dans le secteur primaire. Elles bloquent les possibilités d’ascension sociale
en les reléguant dans des emplois faiblement rémunérés. [...][Les réseaux
ethniques] ne sont pas seulement un intermédiaire lors de l’installation, ils
deviennent une ressource dans un marché du travail où les opportunités sont
82
inégalement réparties. »
Dans la lignée de ces études américaines, Kajita voit aussi dans la discrimination la cause
principale de l’importance des gérants de petites entreprises parmi les étrangers :
« Les Coréens vivant au Japon ont longtemps été exclus du marché du travail
normal par la discrimination économique et sociale, et ainsi ont fondé leurs
propres commerces et des entreprises à caractère ethnique [ethnic-oriented]. Par
exemple, bien des centres de pachinko, dont les ventes totales dépassent, de
façon surprenante, celles de l’industrie de l’acier au Japon, sont gérés par des
83
Coréens. »
Ce que confirme Hicks, qui insiste par ailleurs sur la petite taille de ces entreprises :
« Parce qu’ils font face à des difficultés pour trouver un emploi, il est naturel que
beaucoup de Coréens créent leur propre entreprise. Celles-ci sont généralement
de petite taille et précaires, bien que, heureusement, le dynamisme qui
caractérise la plupart du temps l’économie japonaise les ait aidées à survivre et
84
parfois même à prospérer.
Pour mieux rendre compte de la question de la taille des entreprises coréennes, il cite une
étude de O Kyu-Sang :
« La taille (et le type) d’opération des hommes d’affaire couvre un éventail large,
depuis la grande entreprise, telles les sociétés par actions ou à responsabilité
limitée, jusqu’à des entreprises indépendantes et des affaires privées [private
81
Edna Bonacich, « A theory of Middlemen Minorities », in American Sociological Review n°38, 1973, cité par Rea et
Tripier, op. cit., p44
82
A propos de Portes et Bach, “What’s an Ethnic Enclave? The Case for Conceptual Clarify », in American Sociological
Review n°52, 1987, dans Rea et Tripier, op. cit., p45
83
Kajita, op. cit., p 131
84
Hicks, op. cit., p 124
48
Enguix Mélodie - 2007
III- Obstacles à l’intégration par le travail au Japon : une typologie
concerns]. Certaines emploient des milliers de personnes, tandis que d’autres
sont des affaires de famille ou individuelles. Parmi les entreprises coréennes,
quelques unes sont des industries qui emploient des centaines de personnes et
des entreprises cotées en bourse, mais beaucoup sont très petites, allant jusqu’à
85
de minuscules snacks qui ne peuvent accueillir qu’une poignée de clients. »
Que pouvons-nous en conclure en termes d’intégration sociale des étrangers résidents
japonais ? D’une part, quel sens, sur le plan de l’intégration sociale, donner à l’existence
de ces entreprises ethniques ? D’autre part, comment évolue l’intégration économique et
quels effets cela a-t-il sur l’intégration sociale ?
La restriction des Coréens à certains secteurs, dans la mesure où elle résulte de
différentes discriminations et aussi parce qu’elle tend à circonscrire la présence des
étrangers résidents à certains lieux et donc à réduire les échanges avec le reste de la société
japonaise, se présente comme un mauvais signe et comme un obstacle potentiel en matière
d’intégration.
Le diagnostique que fait Mori à ce propos tend toutefois à faire valoir une relative
évolution en la matière : les secteurs où travaillent les Coréens et Chinois descendants des
immigrés de l’avant-guerre se diversifieraient. On peut donc conclure à un développement
de la mobilité sociale de ces groupes, signe d’une meilleure intégration économique
On peut faire une remarque similaire à celle de la concentration sectorielle en ce qui
concerne les entreprises ethniques. Elles restreignent le contact avec le reste de la société,
ce que confirme Kajita :
« Ces activités ont aussi renforcé [la] séparation relative [des Zainichi] d’avec les
86
Japonais et ont rendu leur assimilation plus difficile. »
Ensuite, les entreprises ethniques ont un double effet du point de vue de notre analyse.
D’une part, elles peuvent favoriser une forme de réussite économique parmi les immigrants
(comme le montre, par exemple, l’étude de Santelli, dans La Mobilité sociale dans
l’immigration, Presses universitaires du Mirail, 2001) offrant ainsi des opportunités de
mobilité sociale aux immigrants dont ils seraient dépourvus sinon et on peut penser que cette
possibilité pour les immigrés de ne pas rester limités aux places inférieures de la hiérarchie
sociale est susceptible de faciliter leur intégration.
Cela dit, le principe de l’entreprise ethnique tend logiquement à concentrer les étrangers
dans l’espace social, ce qui au contraire pourrait renforcer leur isolement du reste de la
société.
Nos moyens d’investigations ne nous permettent pas de savoir, dans le cas des Zainichi
au Japon, laquelle de ces deux tendances est la plus forte.
b- Discrimination à l’embauche des étrangers résidents
On a vu que l’un des principaux facteurs de la constitution d’entreprises ethniques est
l’existence d’une discrimination qui limite l’accès par d’autres moyens que celui-là à la
mobilité sociale. Nous allons nous intéresser de plus près aux formes que peut prendre
cette discrimination.
85
O Kyu-San, Zainichi Chisenjin Kigyo Katsudo Keisei Shi (Histoire de la formation des activités entrepreneuriales par les
résidents coréens au Japon), Yusankaku, 1992, cité par Hicks, op. cit., p 124
86
Kajita, op. cit., p 132
Enguix Mélodie - 2007
49
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
On recense deux types assez distincts de discrimination, au sens large du terme, en
ce qui concerne les étrangers au Japon. D’une part, les limites d’ordre juridique. Dans le
cas des résidents étrangers, aucune restriction n’est imposée en termes de secteurs sur
l’emploi dans des entreprises privées, ce n’est que pour les postes de la fonction publique
ou des entreprise publiques que certaines interdictions peuvent exister.
D’autre part, il y a la discrimination que l’on peut observer dans les pratiques
des employeurs qui refuseront d’embaucher des salariés étrangers, en dehors de toute
réglementation. Nous verrons dans le cas des étrangers présents de longue date quels sont
les moyens sur lesquels repose cette discrimination.
Commençons par faire le point sur les limites juridiques. Comme l’explique Fukuoka :
« Même aujourd'hui le gouvernement continue à renier aux étrangers le droit
à l’emploi pour des postes dans l’administration publique sans justifications
légales et s’efforce d’entraver la marge de manœuvre des petites autorités
locales qui ignorent ses recommandations et font un effort positif pour employer
des non Japonais. Depuis 1992, le Ministère de l’éducation a autorisé les
personnes de nationalité étrangère à être employées comme enseignants dans
des écoles publiques, mais seulement sous un contrat spécifique qui ne les
autorise pas à occuper un poste qui implique une autorité administrative, comme
celui de principal ou de vice-principal, ni même de participer aux réunions du
personnel. Ils sont par conséquent exclus de toute forme de pouvoir ou de prise
87
de décision. »
On voit donc que les interdictions portent sur certains types de postes et plus généralement
sur la possession d’une forme d’autorité administrative qui se traduit en pratique par la
restriction des promotions.
Dans le cas des enseignants par exemple, Fukuoka explique que depuis 1992 les
professeurs japonais sont kyôku, mais les non Japonais hijôkin kôshi, ce qui signifie
littéralement « professeur à mi-temps à plein-temps ». Ce paradoxe aurait pour but de
signifier que les non nationaux peuvent travailler à plein temps, mais resteront exclus de la
promotion ou de la participation aux réunions comme le sont les enseignants à mi-temps.
L’origine légale de ces interdictions semble être contestable pour Fukuoka :
« Il n’y a rien dans la loi japonaise qui dise que les étrangers ne peuvent pas
devenir fonctionnaires et pourtant le gouvernement japonais ne l’autorise
toujours pas par principe. Quand sa position est remise en question, le
gouvernement se défend en objectant qu’interdire la fonction publique aux
88
étrangers est “un principe légal indiscutable”. »
Komai semble plus nuancé en reconnaissant l’existence d’un désaccord sur la question,
mais arrive globalement à la même conclusion
« La Loi sur les fonctionnaires de l’Administration ne contient aucune référence
claire à la nationalité, mais au niveau du gouvernement central les règlements de
l’Autorité du personnel national ont été utilisés pour priver les non Japonais de
ce droit et au niveau des gouvernements locaux, les directives bureaucratiques
ont appliqué cette politique. Son seul fondement est un document de 1953 du
87
Fukuoka, op. cit., p 19
88
Ibid, p 284
50
Enguix Mélodie - 2007
III- Obstacles à l’intégration par le travail au Japon : une typologie
Premier Secrétaire du Bureau des systèmes légaux du Ministère de la Justice,
stipulant que “dans la mesure où ils exercent le pouvoir de l’Etat et participe à la
formation de la volonté de l’Etat, l’exigence que les fonctionnaires possèdent la
89
nationalité japonaise est un principe légal naturel. »
Komai, comme Fukuoka, souligne toutefois que la réglementation et la pratique ont évolué
en la matière.
« En fait, au fil des ans, des progrès ont été faits dans l’ouverture de la
fonction publique aux personnes ne possédant pas la nationalité japonaise :
le gouvernement a progressivement accepté l’emploi dans certains postes
d’étrangers possédant des qualifications, comme les médecins ou les infirmières.
Des métiers de faible prestige qui n’impliquent pas “l’exercice de l’autorité
publique ou la participation à la formation de l’opinion publique”, comme ceux de
facteurs, se sont également ouverts aux étrangers. Toutefois, le gouvernement
persiste à refuser d’admettre les non nationaux au grade administratif de la
fonction publique (ippan shoku), ce qui revient dans les faits à leur refuser tout
90
rôle, même petit, dans l’administration publique.
Une évolution dont témoigne également Hicks :
« La clause de nationalité a été supprimée pour la Compagnie de
télécommunications japonaise en 1978 ; pour un statut complet de professeur
dans les universités d’Etat en 1982, bien que le statut de professeur associé
pouvait être obtenu auparavant, pour les employés de la Poste en 1984 [...] ; et
pour les infirmiers, au niveau national, en 1986[...]. »
Pour souligner l’importance des mobilisations dans ces changements, il donne l’exemple
de la profession d’avocat.
« Pour ce qui est des autres professions, des Coréens ont travaillé dans le
champ médical depuis avant la guerre. La clause de nationalité a été levée pour
les avocats en 1977, suite à une autre campagne de mobilisation d’ampleur.
La figure centrale en fut Kim Kyong-duk. Il avait été diplômé de la faculté de
droit de la plus grande université japonaise Waseda, longtemps associée au
progressisme [liberalism] et au journalisme d’excellence. Il espérait faire une
carrière en journalisme mais s’était aperçu que sa nationalité l’en empêchait.
Par conséquent, il s’était tourné vers le droit et passa avec succès le concours
judiciaire du Ministère de la Justice, une barrière très rigide qui ne laisse passer
que 60 candidats. Cependant, pour devenir avocat, il devait encore suivre une
formation de deux ans à l’Institut de recherche et d’apprentissage judiciaire.
Lorsqu’il postula pour cela, il fut informé qu’il ne pourrait être admis que s’il
acceptait d’être naturalisé. La loi n’excluait pas en soi les avocats de nationalité
étrangère, mais la formation était considérée comme une forme d’emploi public
91
dont les étrangers étaient exclus. »
89
Komai, op. cit., p 238
90
Fukuoka, op. cit., p 282
91
Hicks, op. cit., pp 123-124
Enguix Mélodie - 2007
51
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
A la différence d’autres Coréens ou Taïwanais avant lui ayant accepté cette condition et du
fait de l’influence de l’éveil de la communauté coréenne des années 1970, il préféra refuser
et adresser une pétition à la Cour Suprême demandant le retrait de cette exigence, où il
expliquait son choix de devenir un avocat coréen par sa volonté de mettre un terme à une
discrimination qu’il a lui-même subie au point d’être tenté de renier ce qu’il avait de coréen.
Il fut admis en 1977. La Cour suprême a par la suite nuancé la condition de nationalité
japonaise, admettant les exceptions dans des cas estimés appropriés par la Cour Suprême
et en pratique, en 1993, 50 avocats d’origine coréenne exerçaient, dont peu avaient été
naturalisés.
Il faut toutefois rappeler que les gouvernements locaux ont pu avoir des pratiques plus
tolérantes.
« Dans certains cas, des autorités locales ont embauchés des étrangers dans des
postes que le gouvernement central leur refuse encore. Mais la remise en cause
est généralement tempérée par la démonstration d’une forme de déférence au
centre : les étrangers ont souvent un contrat qui les exclut de toute promotion à
des postes plus haut placés, restreint leurs activités à un champ bien spécifique
ou, d’une façon ou d’une autre, leur assure un statut inférieur ou leur interdit
l’accès à une relative influence »
A cette forme légale de restriction de l’emploi des résidents étrangers, s’ajoute, dans le
secteur privé, une discrimination à l’embauche relativement fréquente, qui semble établie
en règle par certaines entreprises.
C’est en particulier le cas dans les grandes entreprises, comme le souligne Mori, ce
qui explique que lorsqu’on regarde la taille des structures qui embauchent des étrangers,
les PME soient surreprésentées, parallèlement au fait que le privé domine le public du fait
des restrictions que l’on a vues.
« Par conséquent, après des décennies de séjour au Japon, l’ancienne génération
d’immigrants constitue encore un segment du marché du travail d’abord
constitué de travailleurs non classiques ou ont tendance à occuper des emplois
dans de petites entreprises et dans le secteur indépendant où l’emploi est moins
92
restrictif. »
Quels sont les moyens de la discrimination dans la mesure où l’appartenance à la
communauté zainichi n’est pas directement visible ?
Deux éléments peuvent « marquer » les Zainichi comme tels : le nom et le certificat
de recensement familial.
Les noms coréens sont très différents phonétiquement des noms japonais. Toutefois,
l’utilisation de pseudonymes japonais brouille les cartes.
En effet, lors de l’arrivée de la première génération de Coréens, ceux-ci ont été
contraints, dans le cadre de la politique d’assimilation qui caractérisait alors le Japon,
de changer leurs noms pour des pseudonymes japonais. Même lorsqu’ils choisissent de
reprendre leurs noms coréens, les Zainichi en conservent souvent la lecture japonaise (les
écritures coréenne et japonaise ont en commun de descendre de l’écriture chinoise, si bien
qu’un même caractère autorise une lecture différente dans les différentes langues), faute
de parler suffisamment bien coréen pour savoir lire leurs noms dans leur lecture originelle.
92
52
Mori, op. cit., p 168
Enguix Mélodie - 2007
III- Obstacles à l’intégration par le travail au Japon : une typologie
Il faut noter que ces lectures japonaises de noms coréens peuvent parfois ressembler de
façon convaincante à des noms japonais.
Comme le signale Fukuoka, les sondages montrent que la grand majorité des Zainichi
utilisent leurs noms japonais au moins aussi fréquemment que leurs noms coréens, dont
un gros tiers utilisent celui-là exclusivement.
Par ailleurs, ils n’ont pas toute latitude dans cette utilisation qui est partiellement
formalisée : le nom légal doit être utilisé pour les documents officiels (passeports, permis
de conduire, etc.) mais le pseudonyme peut être utilisé pour s’inscrire à l’école, pour des
transactions commerciales et, enfin, pour trouver un emploi.
Ainsi, les Zainichi ont la possibilité de dissimuler ce révélateur de leur origine, s’ils le
souhaitent (certains font au contraire le choix de s’afficher).
A ce propos, Fukuoka revient sur l’idée largement partagée que la pratique dominante
d’utiliser les pseudonymes japonais s’explique par la discrimination (thèse que retiennent
en effet les autres auteurs de notre bibliographie) :
« On a longtemps cru que le facteur principal qui expliquait ce choix était la
volonté d’éviter la discrimination de la part des Japonais, et, en effet, les première
et seconde générations de Coréens ont des souvenirs encore vifs d’échecs
dans leur recherche d’emploi alors qu’ils utilisaient leurs noms ethniques.
Jusqu’à la fin des années 70, il était virtuellement impossible pour les Coréens
de trouver un emploi dans une société japonaise, même s’ils sortaient diplômés
de l’université. [...] Mes propres conclusions sur la question sont en gros celles
qui suivent. La première génération de Coréens ont utilisés leurs noms japonais
simplement parce qu’ils y étaient forcés par la politique assimilationniste de
la période coloniale. La deuxième génération vivant dans le Japon de l’aprèsguerre n’était plus légalement obligée d’utiliser ses noms japonais, mais s’y
sentait contrainte pour éviter la discrimination. Leurs enfants, les membres de la
troisième génération, sont maintenant si habitués aux noms japonais qu’ils leur
semblent plus “naturels” que leurs noms coréens. Même s’ils développent une
forme de conscience politique quant à la signification d’utiliser le nom coréen
une fois adultes, ils hésitent à le faire, parce qu’il ne leur semble plus familier. [...]
Cela pourrait bien être une indication à quel point l’assimilation est avancée dans
93
la communauté. »
L’autre support de la discrimination, c’est le certificat de recensement familial. Une Coréenne
en expliquait le fonctionnement lors d’un entretien à Hicks :
« Généralement, nous utilisons un CV standardisé pour postuler. L’un des
éléments à remplir est le domicile légal. Si vous êtes japonais, vous inscrivez
le nom de votre ville d’origine où se trouve le recensement de votre famille,
nous, nous devons inscrire notre nationalité. [...]Une fois, j’ai écrit “Kyoto” (ma
ville d’origine) à la place de “Coréenne” alors que je voulais désespérément un
travail à mi-temps dans une boulangerie [...]. J’y ai travaillé un temps, sous mon
pseudonyme japonais, Uno. Cependant, si vous postulez pour un emploi à temps
93
Fukuoka, op. cit., p30
Enguix Mélodie - 2007
53
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
plein, c’est une autre histoire. L’employeur exigera invariablement un certificat de
94
recensement, que je n’ai pas. »
Hicks précise également l’existence de limites plus insidieuses à l’emploi des Zainichi,
notamment en voyant restreintes leurs occasions de sociabiliser, ce dont il donne un
exemple :
« Les Coréens voient leurs opportunités d’emploi limitées de façon plus
indirecte. Les clubs de golf représentent une extension importante de la vie
professionnelle. Il y en a quelque 2000 au Japon, classés hiérarchiquement
et dont le premier a un droit d’entrée de 300 millions de yen. La nationalité
japonaise est une condition préalable pour intégrer la plupart d’entre eux. »
Il cite l’exemple typique d’un club qui exige un certificat de recensement (qui indique la
nationalité au lieu de la ville d’origine pour les étrangers) pour repérer les membres coréens
qui porteraient des noms japonais. Quelques procès ont eu lieu quisemblent autant de
brèches dans ce système, même si de nombreux progrès restent à faire (on notera toutefois
que le livre de Hicks date de 1998 et que des évolutions ont pu avoir lieu depuis).
On peut aussi mentionner le fait que certaines universités réservent leurs
services d’orientation aux étudiants nationaux (au Japon, la recherche d’emploi se fait
traditionnellement avant l’obtention du diplôme et avec l’aide active de l’université), ou
quand ces services sont par principe ouverts, ils peuvent faire preuve de moins de zèle à
l’égard de ces candidats plus difficiles à placer.
Nous étudierons plus en détail les effets de cette discrimination dans une seconde
sous-partie, mais nous pouvons d’ores et déjà signaler une conclusion de Kajita à ce
propos : « Jusqu’à aujourd'hui, la discrimination a encouragé les Coréens à se fondre dans
la masse ».
95
Cela dit, cette fusion d’apparence est loin d’être paisible. Les témoignages de Coréens
qui cachent leur origine et vivent dans l’angoisse quotidienne que celle-ci soit découverte
et qu’ils y perdent amis et emplois (que leurs craintes puissent s’avérer légitimes ou non)
sont légion. Notre étude des entretiens menés par Fukuoka nous fera apercevoir que la
dissimulation comme l’annonce ne sont jamais des actes neutres de sens ou légers.
Par ailleurs, il convient de se souvenir que si des progrès sont visibles en termes
d’intégration économique, il serait imprudent de conclure à des progrès symétriques en
termes d’intégration sociale.
La comparaison internationale nous invite à plus de circonspection. Ainsi, Franklin
Frazier, sociologue américain, a mis en lumière l’apparition de ressemblances entre Noirs
et Blancs d’un point de vue économique dont découlent d’autres ressemblances dans
les modes de vie et les pratiques sociales (à niveau socioéconomique égal). Toutefois,
rapportent Tripier et Rea :
« Frazier constate que, bien qu’américanisés, les Noirs ne sont pas et ne se
sentent pas assimilés. Leur insertion économique et leur acculturation ne sont
96
pas des garants suffisants de leur intégration économique et symbolique. »
94
Hicks, op. cit., p122
95
96
54
Kajita, op. cit., p135
Rea et Tripier, op. cit., p51
Enguix Mélodie - 2007
III- Obstacles à l’intégration par le travail au Japon : une typologie
C’est avec le concept de « frontière raciale » que Frazier entend rendre compte de
l’infériorisation durable lisible dans les lois ou les pratiques. Bien sûr, cette étude s’inscrit
dans un autre lieu et une autre époque (les années 40) et le contexte social est très différent
(les lois qui marquent la frontière raciale américaine sont celles qui autorisent la ségrégation
et il serait hâtif de les comparer, par exemple, à celles qui restreignent l’emploi des étrangers
au Japon). Quoi qu’il en soit, ce que nous pouvons retenir c’est l’idée qu’il n’y a pas de
relation automatique entre intégration politique et symbolique et intégration économique.
B- Le poids du travail dans la construction de l’identité des Zainichi
Les entretiens réalisés par Fukuoka apportent une lumière intéressante à notre
problématique. D’un point de vue méthodologique, ils permettent un détour par le qualitatif
(sans préjuger de la scientificité de ce choix méthodologique, dont force est de reconnaître
qu’il n’a pas été suivi dans les règles de l’art). Outre, qu’un croisement de plusieurs
méthodes est toujours le bienvenu dans la mesure où il multiplie les perspectives sur un
même problème, il offre ici une vision un peu plus concrète de la façon dont les Zainichi
vivent leur travail et comment celui-ci influe sur leur identité.
Ces entretiens permettent de dire de façon tranchée que le moment du travail est
essentiel dans la construction de l’identité de ces jeunes, que ce soit lors de la recherche
d’emploi ou, une fois l’emploi trouvé, pendant le quotidien du travail.
On gardera toutefois à l’esprit cette réserve, l’objet du livre de Fukuoka étant les jeunes
coréens, son corpus est composé uniquement de Coréens entrés récemment dans la vie
active qui ne sont pas représentatifs de l’ensemble de la communauté coréenne résidant
au Japon actuellement mais bien plutôt de sa jeune génération.
Nous allons étudier l’importance du rôle du travail dans la construction de l’identité des
jeunes zainichi en deux temps. Nous verrons d’abord que le travail est le lieu d’une prise de
conscience pour les jeunes zainichi qu’ils sont, aux yeux de bien des Japonais, différents et
par ce regard, ils vont comprendre qu’une forme d’étiquette leur est apposée, avec laquelle
ils devront composer. Ensuite, nous verrons que le travail impose pour les Zainichi un certain
nombre de choix qui sont liés à leur statut de Zainichi et sont pour eux l’occasion de se
positionner par rapport à leur identité assignée et de se construire une identité propre qu’ils
auront choisie jusqu’à un certain point.
a- Prise de conscience par le travail d’une identité assignée
Rendant compte des études interactionnistes sur les communautés noires américaines, Rea
et Tripier exposent comment celles-ci ont mis en valeur le lien qui existe entre ethnicité et
regard de l’autre :
« C’est le regard de l’autre qui fait prendre conscience à un enfant de sa couleur,
par exemple, et surtout de la signification sociale de son apparence, qu’il avait
jusqu’alors perçue comme une caractéristique personnelle. On ne naît pas noir,
97
on le devient. »
Bien sûr, les conditions sont différentes pour les zainichi qui, on l’a dit, ne sont pas au Japon
une minorité visible, toutefois cette idée du regard de l’autre comme moteur de la prise de
conscience de l’ethnicité demeure pertinente pour ces individus. Les entretiens le font bien
ressortir.
97
Rea et Tripier, op. cit., p 73
Enguix Mélodie - 2007
55
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
Or il transparaît très clairement dans la quasi-totalité des entretiens que le moment de
l’entrée dans la vie active est aussi celui d’une prise de conscience très forte de ce regard.
Il est à noter que chacun, ou presque, des Zainichi interrogés est en mesure de raconter
à quel moment et comment il a appris qu’il était coréen. Cela corrobore cette idée qu’on ne
naît pas zainichi, on le devient.
Bien sûr, ces jeunes avaient fait cette découverte avant leur entrée dans la vie active.
Toutefois, ce moment précis est l’occasion d’une pleine prise de conscience du fait (alors
que, par le passé, ils avaient pu l’écarter de leurs préoccupations quotidiennes) et aussi
l’opportunité de donner un contenu à ce statut (un contenu plus précis quand leur enfance
leur a déjà donné l’occasion d’en mettre un). On peut imaginer que ce moment est une
étape d’autant plus importante dans cette réalisation de leur « étrangéité » qu’une autre de
ces étapes a disparu il y a peu : l’obligation de l’enregistrement des empreintes digitales,
expérience qui a marqué des générations de Coréens, a récemment été levée.
« Avant d’être diplômée, j’envisageais de trouver un travail dans l’informatique,
donc je me suis documentée auprès de l’école et j’ai envoyé mon CV à quatre
entreprises d’informatique. Comme nom, j’ai mis “Matsui Kyoko” [son nom
japonais] et comme domicile légal, “République de Corée”. Aucune d’entre elles
ne m’a laissé ne serait-ce que la chance de m’asseoir dans la salle de l’examen
de recrutement. »
Elle en conclut :
« Ce fut un choc pour moi : après tout, cela n’était pas une bonne chose d’être
coréenne. Alors un de mes professeurs m’a appelé et m’a dit “Ecoute, Matsui,
il existe une institution financière gérée par des Coréens du Sud qui vivent ici
au Japon, qui serait probablement ravie d’avoir quelqu’un avec tes capacités.
98
Pourquoi n’essaies-tu pas ?” »
Ainsi, dans le cas de cette jeune fille, il y a eu une prise de conscience au moment du travail
d’une forme d’identité assignée négative, contrastant avec l’idée qu’elle s’était faite jusque
là où elle se sentait fière d’être un peu à part (tout au moins pendant sa période lycéenne).
Dans un premier temps, elle revoit à la baisse ces exigences professionnelles et se replie
donc sur cette solution que représente la banque.
La prise de conscience n’intervient pas nécessairement dès le début, dans la mesure
où les difficultés peuvent par hasard être évitées lors du premier emploi. Un jeune agent
immobilier rencontré par Fukuoka en donne l’exemple : au sortir du lycée, il a eu l’opportunité
d’entrer dans une banque par l’intermédiaire d’un de ses cousins. Ce n’est qu’après trois
ans à ce poste et une démission qu’il rencontra des difficultés.
« Un réveil un peu rude suivi. “J’ai commencé à chercher dans des compagnies
japonaises, j’ai sélectionné quelques agences immobilières avec une trentaine
d’employés et j’ai postulé. J’étais assez sûr de moi, parce que la qualification
que j’avais acquise [il possède un diplôme lié au secteur immobilier] était très
valorisée dans la profession. J’étais dans une ignorance bienheureuse des dures
réalités sociales. »
S’en sont suivi différents entretiens qui se sont soldés par des échecs, qui l’ont fait perdre
sa confiance puis même « commencer à paniquer ». C’est finalement un employeur qui lui
disait avoir un ami coréen et pas de préjugés sur le sujet qui l’a embauché.
98
56
Fukuoka, op. cit, p96
Enguix Mélodie - 2007
III- Obstacles à l’intégration par le travail au Japon : une typologie
Si certaines formes de discrimination se dissimulent tant que possible, il est bon de
signaler que celles-ci sont régulièrement très explicites et incontestables.
Une infirmière, de mère japonaise et de père coréen qui a pu obtenir par conséquent la
nationalité japonaise, racontait à Yasunori Fukuoka comment le sujet de la nationalité était
survenu lors d’un entretien de recrutement qui devait être de routine car il s’accompagnait
d’un examen par lequel s’exerçait la véritable sélection. Elle passait l’entretien avec deux de
ses connaissances : une Japonaise qui comme elle avait été prise et qui lui avait rapporté
l’air de mépris qu’avaient eu les examinateurs en évoquant cette question, ainsi qu’une
Coréenne qui avait été refusée.
D’ailleurs, autre élément montre la possibilité d’exercer explicitement une
discrimination. L’excuse fréquemment utilisée par les employeurs en Europe pour justifier
des discriminations à l’embauche qu’ils pratiquent est de parler d’un choix pragmatique
et commercial qui veut avant tout éviter de faire fuir le client, sans que le racisme des
99
employeurs soit en cause. Si les études tendent à montrer le peu de crédit à lui accorder , il
faut noter que cet argument là ne tient guère dans le cas des Zainichi tant ilsont toute latitude
de cacher leurs origines aux clients et que cette chance ne leur est souvent pas donnée. Les
employeurs japonais ne semblent pas se référer à cette excuse, pas plus qu’ils ne semblent
en avoir besoin dans le contexte japonais. Il semblerait que la discrimination n’a guère à être
légitimée. Ces éléments nous semblent des particularités notables du contexte japonais.
De façon similaire, les cas de discrimination radicales semblent fréquents : les différents
entretiens comportent plusieurs exemples de personnes renvoyées quelques temps après
avoir été embauchées sans avoir signalé leur origine, quand leur direction s’en est aperçue
car elles ne pouvaient fournir le fameux certificat de recensement.
Certains qui ne connaissent que peu de difficultés vont souvent prendre conscience
de la discrimination dans la mesure où ils se voient dire qu’ils sont embauchés en dépit
de leur nationalité. Ainsi, Yumi Lee, après avoir occupé différents emplois et rencontrés
régulièrement des difficultés :
« J’ai vu une annonce dans le journal recherchant des guides interprètes pour
la Compagnie internationale du textile. A cette époque, je savais déjà qu’étant
coréenne je serais désavantagée. Et malgré cela, je postulais en espérant que
mon anglais l’emporterait. Les personnes qui conduisaient l’entretien semblaient
impressionnées par mon anglais et mon expérience comme hôtesse de l’air.
Quand j’ai été prise pour le poste, on m’a dit : “En principe, nous n’acceptons
pas les Coréens. Cela dit, nous avons décidé de faire une exception spécialement
100
pour vous.” »
De même, une secrétaire racontait qu’elle s’est régulièrement vue dire par des entreprises
101
que son dossier était excellent, mais que l’entreprise ne prenait pas d’étrangers.
Un exemple proche est celui d’une jeune infirmière, Yoshiko, qui raconte qu’elle a
d’emblée affiché sa nationalité lors de son recrutement et que ses examinateurs lui ont dit
99
John Wrench, « Des problèmes dans le passage de lécole à l'emploi chez les jeunes issus de l'immigration au Royaume-
Uni », in Aubert, France, Tripier, Maryse, Vourc’h, François (dir.), Jeunes issus de l’immigration- De l’école à l’emploi, L’Harmattan
- CIEMI, 1997
100
101
Hicks, op. cit., p121
Fukuoka, op.cit., p 159
Enguix Mélodie - 2007
57
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
être indifférents. Elle considère toutefois qu’elle ne doit ses facilités pour trouver un emploi
qu’aux pénuries du secteur, d’autant qu’elle ne postulait que pour un emploi temporaire :
« S’il y avait une abondance d’infirmières, s’il y avait tellement d’infirmières que
l’on pouvait choisir, ils n’embaucheraient pas des gens comme moi dans un
hôpital national, j’en suis absolument certaine. Il se trouve juste qu’il y a une
102
pénurie d’infirmières en ce moment. »
Les difficultés que rencontrent les Zainichi ne s’arrêtent pas toujours une fois l’emploi trouvé.
S’ils ont dû annoncer leur origine au moment de l’embauche, le fait qu’ils aient passé cette
épreuve augure d’un quotidien plus facile, même si les exceptions existent. S’ils ont eu la
possibilité de cacher leur appartenance, ils peuvent craindre qu’elle ne soit découverte, d’où
une certaine tension au quotidien. Dans tous les cas, le racisme n’est pas absent sans, bien
sûr, être systématique.
Ainsi, Mi-Young-Ja s’est repliée sur un poste d’assistante à temps partiel pour éviter
d’avoir à fournir un certificat de recensement, après avoir passé des mois à chercher un
travail. Elle travaille donc dans une entreprise japonaise, sous son pseudonyme japonais,
en dissimulant sa nationalité. Elle raconte comment un de ses collègues se moquer d’elle :
il disait sentir l’ail sur son passage, arguant qu’elle avait dû manger trop de kimchi, un plat
coréen typique pour les Japonais. Ou bien il lui disait qu’elle parlait bizarrement, sans doute
parce qu’elle régressait à sa langue maternelle, façons de sous-entendre qu’il connaissait
ses origines et de s’en moquer. Elle a préféré feindre ne pas comprendre ces menaces
voilées.
Sans aller jusqu’au racisme, les Coréens affichés sont parfois traités d’une façon qui
tend à les particulariser. Un postier raconte par exemple comment, suite à des consignes
de sa direction, il était systématiquement appelé “Monsieur” quand la pratique voulait que
103
les employés s’appellent par leurs noms seuls, y compris par ses supérieurs.
Ainsi, le processus de recherche d’emploi et parfois l’emploi lui-même sont l’occasion
pour les Zainichi de prendre conscience de l’identité sociale que leur assigne la société,
empreinte de dimensions négatives, avec laquelle ils devront composer. Cela signifie aussi
pour eux avoir la preuve de l’existence incontestable de discrimination à l’égard des Zainichi.
Il leur est souvent difficile de rester indifférents face à cette discrimination. C’est donc
l’occasion pour eux de réfléchir à leur ethnicité, voire de s’engager politiquement en rapport
avec elle. Dans ces deux cas, l’identité qu’ils vont se construire va être modifiée.
Et c’est justement cette part de construction par l’individu que nous allons étudier plus
en détail, en nous intéressant plus particulièrement à ces moments où le travail impose
de faire des choix constitutifs d’une appropriation et d’une reconstruction d’une identité
assignée.
b- Prise de position au travail et appropriation de l’identité
La discrimination vécue, parce qu’elle est incontestable et qu’elle ne peut pas les laisser
tout à fait indifférents et différentes situations propres au travail imposent aux Zainichi de
prendre position quant à leur identité assignée et à leur situation.
Ils doivent choisir de s’afficher plus ou moins comme coréens à travers le choix du
nom qu’ils vont utiliser et des personnes qu’ils vont informer de leur origine. Ce sont deux
102
Fukuoka, op.cit., p247
103
58
Fukuoka, op. cit. p79
Enguix Mélodie - 2007
III- Obstacles à l’intégration par le travail au Japon : une typologie
questions qui se posent tout au long de la vie des Zainichi, presque à chaque rencontre,
mais ils tendent à routiniser ces choix. Un nouvel emploi est l’occasion d’une remise à plat.
La plupart des jeunes interrogés racontent en effet comment l’emploi de tel ou tel nom a
été un choix réfléchi, qui compose avec trois données principales : la familiarité des noms
à leur oreille, la volonté de se construire une identité explicitement coréenne et de refuser
d’avoir honte, la peur de la discrimination ou d’autres obstacles de type professionnels.
Il s’agit parfois même d’un véritable engagement. Ainsi, Kwon Dae-Soon indique avoir
saisi cette opportunité de passer à la lecture coréenne de son nom, parce qu’en temps que
membre à part entière de la société, en tant que travailleur et non plus étudiant, et dans la
mesure où il allait avoir un emploi bien placé en contact avec un grand nombre de personnes
et où il ferait un travail de qualité, il serait un exemple d’un bon professionnel coréen.
« J’avais l’idée un peu prétentieuse que ce serait ma petite contribution pour résoudre le
104
problème ethnique coréen au Japon. »
Au contraire, le choix pour éviter les discriminations de taire ses origines peut conduire
les Zainichi à jongler, dans les différents moments de leur quotidien, entre différentes
identités, sorte de schizophrénie un peu éprouvante. L’expérience de Mi-Young-Ja en la
matière est commune à beaucoup de Zainichi : « En compagnie de la plupart des Japonais,
j’étais japonaise. A la maison, j’étais coréenne. Et avec mes amis les plus proches, j’étais
une Coréenne zainichi. »
105
Autre choix, celui de la réaction au contexte d’emploi difficile. Certains jeunes s’y
résignent et composent avec les opportunités plus simples. On a donné l’exemple de cette
assistante qui s’est résolu à un emploi temporaire. Beaucoup choisissent aussi des postes
dans des entreprises étrangères, plus tolérantes, ou gérées par des Coréens.
Le choix s’est posé de façon aiguë à cet homme qui voulait être postier à l’époque où
les restrictions officielles existaient encore. Alors qu’il pensait abandonner, une lycéenne du
106
lycée spécialisé dans l’accueil des burakumin
où il allait (ce qui explique que le jeune
homme est son amie aient déjà été sensibilisés aux enjeux de la discrimination), lui a dit :
« mais je croyais que tu te battais contre les discriminations ». Ce qu’il choisit finalement de
faire, contribuant ainsi par des pétitions à faire lever l’interdiction.
Au contraire, d’autres jeunes refusent cette discrimination et obtiennent parfois des
postes à force d’ambition. Telle Yumi Lee, devenue hôtesse de l’air, après bien des refus
par différentes compagnies :
« Je ne voulais pas simplement d’un emploi qui, parce que je suis une femme
coréenne, requière seulement des tâches de routine et du travail de bureau
ordinaire. Je voulais quelque chose qui nécessite que ce soit moi, avec mes
107
compétences. »
Kwon Dae-Soon dont nous avons déjà parlé a, lui, obtenu un poste haut placé dans une
banque après de très bonnes études.
104
105
106
Ibid, p 117
Ibid, p157
Les burakumin sont les descendants des classes considérées comme impures parce qu’elles avaient des métiers en rapport
avec le sang qui souffrent encore d’exclusion.
107
Hicks, op. cit., p121
Enguix Mélodie - 2007
59
INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
On peut les considérer comme des représentants de ceux que Fukuoka considère
porteur d’une identité de type individualiste, qui cherchent d’abord l’expression de soi et
veulent avant tout se trouver une situation, ce qui revient à lutter contre la discrimination à
leur propre échelle et faire avancer la question des Zainichi à leur niveau, par leur propre
108
mobilité sociale ascendante.
Enfin, certains vont vouloir faire de leur travail le lieu de leur mobilisation pour la
communauté, sous différentes formes selon le sens qu’ils donnent à cet engagement et leur
vision de la communauté.
L’une des personnes interrogées est tout simplement un activiste qui travaille à la
Société de la jeunesse coréenne au Japon, à laquelle il consacre le plus clair de son
temps. Il considère son engagement comme nécessaire car il croit qu’il faut que les jeunes
coréens connaissent leur culture, mais aussi parce qu’il pense avoir créé pour les Coréens
un environnement qui leur permette de vivre normalement en médiatisant une réflexion
politique sur les Zainichi, pour améliorer ce qu’il considère comme son pays, le Japon.
Une autre Zainichi a elle choisi le biais de la transmission culturelle en donnant des
cours de coréen à des adultes ou enfants zainichi.
Un troisième considère que c’est au niveau local que doit se jouer la lutte contre
les problèmes des Coréens, qu’il identifie entre autres dans la pauvreté et le manque
d’infrastructures dans sa localité. C’est pourquoi il travaille dans une entreprise coréenne
109
qui construit ces infrastructures.
Ainsi, on voit que le travail chez les Zainichi est un lieu important de la construction de
l’identité, dans la mesure où ils y sont confrontés à une identité assignée et se trouvent dans
les faits invités à réfléchir en conséquence à ce que leur statut de Zainichi signifie à leurs
yeux, à faire différents choix qui participeront à l’identité qu’ils veulent projeter, à réagir face
aux discriminations et éventuellement à se mobiliser contre elle.
Il est difficile de savoir dans quelle direction va évoluer la question des Zainichi, cela dit
il semble que la majorité de ces jeunes parviennent après quelques années à se construire
une identité dans laquelle ils s’approprient l’étiquette de Coréens qu’on leur appose et
parviennent à un compromis qui les laissent relativement apaisés et permet à beaucoup
d’entre eux d’afficher leur nationalité, publicité qui est vraisemblablement nécessaire pour
que la perception du reste de la société japonaise évolue. Ce compromis satisfaisant donc
pourrait être le fondement d’une meilleure intégration des Zainichi.
Ainsi, notre typologie nous montre trois groupes pour les quels le travail joue très
différemment dans le processus d’intégration, de façon assez logique car leurs conditions de
travail diffèrent et, en dehors du travail, leur accueil dans la société et leurs caractéristiques
intrinsèques varient.
On gardera toutefois à l’esprit que les déséquilibres qui existaient dans notre
bibliographie selon le groupe concerné n’ont pas permis un examen aussi poussé pour
chaque catégorie. Il aurait été intéressant par exemple d’avoir le même type de données
qualitatives que pour les Zainichi concernant les travailleurs illégaux pour mieux savoir
comment ils conçoivent leur identité et si le travail vient la modifier. La comparaison doit
donc rester prudente.
108
109
60
Fukuoka, op. cit, p 55
Ibid, respectivementp 87, p184, p 66
Enguix Mélodie - 2007
III- Obstacles à l’intégration par le travail au Japon : une typologie
Ainsi, en guise de bilan, on peut apporter deux formes de remises en question de notre
hypothèse de départ.
D’abord, notre questionnement était fondé sur une prémisse qui doit être interrogée. Ce
qui suscitait notre intérêt pour ce sujet de l’intégration par le travail des étrangers au Japon
était le croisement d’enjeux économiques et sociologiques, croisement dont le cœur liait la
présence des immigrés à leur légitimation dans le débat public par leur utilité économique.
Il nous semblait à ce titre que prouver l’utilité économique des immigrés était doublement
intéressant, car ils pourraient alors trouver dans leur travail, en même temps que la légitimité,
un vecteur d’intégration. C’est ce que nous avons remis en question avec l’aide des analyses
d’Abdelmalek Sayad. Si l’utilité économique est le cœur de la légitimation de la présence
des étrangers, cela est, au contraire, précisément le signe que l’accueil des étrangers n’est
qu’une tolérance, tolérance en dépit de réticences sur d’autres plans que l’économie. Au
Japon, c’est l’idée des étrangers comme menace de l’homogénéité, elle-même garante de
l’harmonie sociale.
Ainsi, même si l’on pouvait donner la preuve incontestable que les étrangers sont
indispensables, la légitimation de ceux-ci par leur travail reste conditionnelle et temporaire.
Le cas japonais montre que, d’une part, c’est un mauvais fondement pour l’intégration ;
d’autre part, cet argumentaire est le signe d’une intolérance à chercher ailleurs dans la
société qui, elle-même, est un obstacle à l’intégration.
Ensuite, il convient de réévaluer une deuxième hypothèse, celle qui voyait dans le
travail un vecteur efficace d’intégration une fois quelques conditions minimales requises.
Hypothèse que l’on a pu résumer à traits rapides par la question de savoir si dans le
mécanisme, la condition est suffisante ou nécessaire.
Il semble à la lumière de ce mémoire que, même quand le travail se fait dans de
bonnes conditions, sa fonction intégratrice n’ait rien d’automatique. On peut citer notamment
comme contre-exemple que des travailleurs étrangers avec un statut stable et relativement
bien payés vont parfois rester isolés des travailleurs japonais, ce qui peut être le résultat
de préjugés nés en dehors du travail. Autre situation qui illustre notre propos : même les
Coréens zainichi quiconnaissent peu de difficultés d’emploi et une réussite économique se
posent la question du sens de leur ethnicité.
Cette idée nous invite simplement à insérer le travail dans son contexte. Le travail est
baigné dans du hors-travail, les enjeux de la société traverse l’espace de l’emploi. Des
préjugés, des identités construits ailleurs influent sur le travail et son rôle dans l’intégration.
Et c’est pourquoi un Coréen qui ne connaît pas de discrimination, qui réussit socialement,
qui est satisfait de son identité refuse d’envisager une naturalisation, parce que, expliquet-il à Fukuoka, au Japon, elle signifie perdre tout lien avec son ethnicité et on a vu combien
le lourd passé des Coréens avec le Japon rend difficile une intégration qui fait oublier les
origines.
On peut dès lors tenter de renverser notre problématique de départ. Plutôt que de
chercher ce qui dans le travail tend à rendre pareil, à intégrer, on peut s’intéresser à ce qui
dans le travail construit les étrangers dans leurs différences.
Par la discrimination et le racisme qui sont autant d’étiquettes qui assignent une identité,
par la concentration géographique ou sectorielle qui fait du travail le lieu d’un entre-soi,
d’une communauté de vie entre étrangers, le travail peut construire de la différence.
Pour les travailleurs illégaux, ces deux tendances, intégratrice et ségrégatrice, semblent
bien travailler en sens contraires, même si le débat scientifique sur les entreprises ethniques
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INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
qui sont à la fois facteurs de repli sur la communauté et vecteur de mobilité sociale, invite
à la nuance.
Le cas des Zainichi montre, lui, que ces tendances sont réconciliables. Si on ne peut
sérieusement encourager la discrimination à l’embauche, il faut admettre que celle-ci paraît
aussi permettre une prise de conscience et un processus de construction identitaire. Et cette
construction même, qui, dans un premier temps, prend des allures de différenciation, peut
devenir une étape nécessaire vers une vraie intégration. Cette étape pourrait bien être plus
efficace que la dissimulation rigoureuse et la discrétion qui ont longtemps été la stratégie
des Zainichi et ne les laissaient pas apaisés, puisqu’ils étaient toujours les témoins d’un
racisme ou d’une intolérance pour la différence face auxquels ils ne pouvaient que se taire.
Ainsi le travail semble l’un des moments et lieux clés dans la construction d’une identité
plus satisfaisante pour les Zainichi, plus positive et plus assumée. Reste à savoir si la
visibilité qui en découle saura imposer une réflexion des Japonais sur la possibilité d’une
forme de pluralisme culturel, qui en réduisant les tensions identitaires pourrait peut-être
mener, à terme, à une intégration véritable.
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Enguix Mélodie - 2007
Bibliographie
Bibliographie
Sur l’immigration au Japon
Fukuoka, Yasunori, Lives of Young Koreans in Japan, Trans Pacific Press, 2002
Komai, Hiroshi, Migrant Workers In Japan, Kegan Paul International Limited, 1993
Mori, Hiromi, Immigration Policy and Foreign Workers In Japan, Macmillan Press Ltd,
1997
Shimada, Haruo, Japan’s Guest Workers, University of Tokyo Press 1994
Hicks, George, Japan’s Hidden Apartheid, Ashgate Publishing Limited, 1998
Sellek, Yoko, Migrant Labour In Japan, Palgrave Macmillan, 2001
Weiner, Myron et Hanami, Tadashi, Temporary workers or future citizens, Macmillan
Press Ltd, 1998
Sur des questions plus générales à propos du Japon
Japan Institute for Labour Policy and Training, Labour Situation and Analysis: a General
Overview of 2006-2007, JIL, 2006
Goodman, Roger et Neary, Ian (dir.), Case Studies on Human Rights in Japan, Japan
Library, 1996
Moore, Joe (dir.) The Other Japan - Conflicts, Compromise and Resistance since 1945,
BULLETIN of Concerned Asian scholars, 1997
Mouer, Ross and Kawanishi, Hirosuke, A Sociology of Work In Japan, Cambridge
University Press, 2005
Mari, Sako and Hiroki, Sato (dir), Japanese Labour and Management in Transition:
Diversity, flexibility and participation, Routledge, 1998
Sur l’immigration en général
Aubert, France, Tripier, Maryse, Vourc’h, François (dir.), Jeunes issus de l’immigrationDe l’école à l’emploi, L’Harmattan-CIEMI, 1997
Enguix Mélodie - 2007
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INTÉGRATION DES ÉTRANGERS AU JAPON : LE RÔLE DU TRAVAIL
Dewitte, Philippe (dir), Immigration et intégration - L’état des savoirs, La Découverte,
1999
Sayad, Abdelmalek, L’immigration ou Les Paradoxes de l’altérité, Editions
Universitaires, 1991
Khellil, Mohand, Sociologie de l’intégration, PUF, 2005
Mestiri, Ezzedine, L’immigration, La Découverte, 1990
Rea, Andrea et Tripier Maryse, Sociologie de l’immigration, La Découverte, 2003
Migration and the Labour Market in Asia, OCDE, 2003
Sur le travail
Flacher, Bruno, Travail et intégration, Bréal, 2002
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Enguix Mélodie - 2007
Résumé
Résumé
Ce mémoire s'intéresse aux effets du travail sur l'intégration des étrangers au Japon. Il
commence par esquisser un portait de la population étrangère au Japon (descendants
des immigrés d'avant la Seconde Guerre mondiale, dont les Coréens zainichi, nouvelles
générations formées d’immigrés légaux, comme les Nikkeijin, ou de travailleurs clandestins
d’Asie ou du Moyen Orient) et du contexte d'accueil de ces étrangers.
Il recense ensuite les mécanismes par lesquels le travail joue son rôle d'intégration
et comment ceux-ci fonctionnent au Japon et dans quelle mesure certaines conditions de
travail peuvent y faire obstacle. En particulier, le travail insère l’individu dans la société
comme utile à la collectivité. Cela est d’autant plus important pour les étrangers : le débat
public japonais est marqué par l'argument de l'utilité économique des immigrés comme
force de travail dans le contexte d'une démographie faiblissante, argument qui d'un même
geste fait du travail le vecteur de légitimation de la présence des étrangers. A la lumière
des analyses d’Abdelmalek Sayad, on voit toutefois que cette légitimation n’est au mieux
qu’une tolérance conditionnelle et temporaire.
Enfin, le mémoire s'intéresse à l'intégration par le travail de trois catégories d'étrangers
dont les conditions d'intégration diffèrent sensiblement: les Coréens zainichi, descendant
de la génération immigrée avant la Seconde Guerre mondiale, lesimmigrés plus récents en
situation légale et les illégaux. Le cas des Coréens montre l'importance du travail dans le
construction de l'identité des étrangers.
Mots-clés
immigration, étrangers, Japon, travail, intégration, socialisation, zainichi, Coréens, racisme,
discrimination à l’embauche, construction identitaire
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