Changer le monde en luttant contre le racisme après les attentats de

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Changer le monde en luttant contre le racisme après les attentats de
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CONCOURS D’ACTUALITÉ DISPO SECONDE 2015 « CHANGER LE MONDE »
CONTRIBUTION DU LYCÉE RAYMOND-NAVES DE TOULOUSE
« CHANGER LE MONDE EN LUTTANT CONTRE LE RACISME
APRÈS LES ATTENTATS DE 2012 ET 2015 »
Le groupe Dispo Seconde de Raymond-Naves s’est réuni pour la première fois en décembre 2014 : il est composé
d’élèves de Seconde 6, Neyrelle Bernollin, Mathilde Bigeault, Amine Chouki et Amel Imelhaine.
Dans le cadre du sujet général « Changer le monde », les premiers sujets que nous avons envisagés
étaient le capitalisme, le féminisme et le racisme. Mais les attentats des 7 et 9 janvier contre Charlie
Hebdo et l’Hyper Cacher nous ont déstabilisés et ont réveillé en nous le souvenir des attentats de
2012 contre les militaires de Montauban et les enfants de l’école Ozar Hathora de Toulouse. Nous
avons donc décidé de réorienter notre travail.
Nous avons ressenti comme insupportables l’antisémitisme qui a tué des enfants et des adultes
juifs, l’intolérance qui a tué des journalistes, et la brutalité qui a tué des représentants de l’État,
militaires et policiers. Mais l’étude des dessins de presse de janvier a attiré notre attention sur un sujet
moins commenté : plusieurs montraient les balles destinées à Charlie Hebdo atteignant une mosquée.
Il nous a semblé que, bien loin après les victimes que nous venons d’évoquer, la communauté
musulmane de France, indûment associée aux terroristes, avait été touchée par une recrudescence du
racisme.
Nous avons donc décidé d’enquêter sur le sentiment anti-musulman qui semble s’être installé
depuis les attentats de 2012 et 2015. Une des élèves de notre groupe, d’origine algérienne,
particulièrement choquée, a fortement plaidé pour ce sujet.
Nous avons très vite compris en parcourant le net que l’enquête que nous allions commencer
était délicate : les expressions sur le sentiment anti-musulman sont très diverses et elles émanent de
toutes sortes de groupes aussi bien laïcs que religieux. Nous avons compris que nous n’étions pas
toujours en mesure de distinguer le vrai du faux, la fiabilité des sources étant variable. Nous avons
décidé de procéder à une lecture très critique des informations, à un examen très rigoureux de nos
sources et choisi de rencontrer seulement des personnalités reconnues.
La laïcité, valeur fondamentale pour nous, et les principes républicains ont été nos repères
pendant cette enquête.
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I. Préalable : qu’est-ce que le sentiment anti-musulman ?
L’expression « sentiment anti-musulman » n’est pas courante. Le mot « islamophobie » a envahi
les médias : toutes sortes de personnalités et d’associations l’emploient, de François Hollande à SOS
Racisme (iTELE le 16 janvier 2015 et sos-racisme.org). Nous avons choisi de ne pas utiliser ce mot
car, selon Laurent Zimmermann (Université Paris-Diderot), il « entretient la confusion, empêche de
lutter contre le fascisme islamiste, et, en général, contre toutes les pensées totalitaires » (LeMonde.fr du
24 mars 2015). Mme Ibn Ziaten, dont la rencontre sera évoquée plus loin, refuse elle aussi son emploi.
Nous avons donc défini le sentiment anti-musulman, comme un rejet des musulmans, autrement
dit une forme de racisme. C’est un sentiment diffus, mal défini, qui confond origine et religion. Il est
lié à la peur ou à l’ignorance.
II. Un constat : le sentiment anti-musulman a progressé en France depuis les attentats de
2012 et 2015
L’augmentation du sentiment anti-musulman après les attentats de 2012 et 2015 est-elle réelle ou
liée à la surmédiatisation des attentats ? Pour l’établir, nous avons décidé d’exploiter des chiffres, des
faits et des témoignages.
Pour les attentats de 2012, nous avons retenu les chiffres de l'Observatoire national contre
l'islamophobie, créé en 2011 sous l'égide du Conseil Français du Culte Musulman, qui travaille en
coopération avec le Ministère de l'Intérieur. Pour lui les actes anti-musulmans ont augmenté de près
de 15% au premier semestre 2012 (Le Monde du 5 septembre 2012).
Pour les attentats de 2015, l’Observatoire national contre l’islamophobie a recensé entre le 7 et le
20 janvier 128 actes anti-musulmans. Ce chiffre dépassait presque alors la totalité des actes recensés
en 2014, soit 133 (Rue89, le 24 janvier 2015). Ces chiffres sont généralement corroborés par la
Commission Nationale Consultative des Droits de l'Homme qui cite aussi le ministère de l'Intérieur
(Le Monde du 28 janvier 2015).
Nous avons observé dans notre étude des chiffres une réelle difficulté : les actes anti-musulmans
sont comptabilisés avec les actes racistes ; les recenser est difficile car les agressés ne déposent pas
toujours plainte ; ou encore, comme l’explique le cabinet de Mme Taubira, si une mosquée est
taguée, conformément au code pénal, cela est considéré comme une atteinte à un bien et non à une
personne (Rue89, le 24 janvier 2015).
Pour ce qui est des faits, ils ont été tellement nombreux après les attentats de 2012 et 2015 qu’il
est difficile d’en faire état. Nous en retiendrons trois, relatifs à notre région : à Montauban (82), la
mosquée a été profanée par le dépôt de têtes de cochons (La Dépêche du Midi du 1er août 2012), à
Saint-Juéry (81) quatre coups de feu ont été tirés sur la mosquée (La Dépêche du Midi du 9 janvier
2015), à Toulouse une femme voilée enceinte a été agressée (Le Monde du 27 mars 2015).
Enfin, nous avons recueilli de nombreux témoignages juste après les attentats de janvier. Voici les
plus représentatifs : « Quelques jours après Charlie Hebdo, a dit Yanis, on m’a interpellé pour me
dire : « Tiens ! Encore un Arabe ! », d’un air dégouté et agressif ». « Je suis inquiète », a dit Yamina.
« Nous les musulmans, a dit Faiza, nous avons peur ». Ces témoignages montrent que le sentiment
anti-musulman est ressenti par des personnes qui sont – et se sentent toutes – parfaitement intégrées.
Mme Iben Ziaten elle-même nous a déclaré avoir été vivement interpelée à Rouen pendant la
manifestation du 11 janvier au motif qu’elle portait un foulard.
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III. Notre enquête : comment lutter contre le sentiment anti-musulman ?
Une fois établie la progression du sentiment anti-musulman après les attentats de 2012 et 2015,
nous avons orienté nos recherches vers les acteurs de la lutte sur le terrain.
La défense des musulmans est revendiquée sur internet par deux associations, le CCIF et le CRI,
qui se présentent à travers leurs sites respectifs comme des associations irréprochables. Cependant la
presse dénonce leur communication agressive, une manipulation des mots et des chiffres, et des
prises de position inacceptables sur le voile à l’école (L’Obs du 8 novembre 2012).
Nous avons donc décidé de nous intéresser à des associations non sujettes à caution et nous nous
sommes tournés vers les associations historiques de la lutte contre le racisme. SOS-Racisme, créée en
1984, est la plus connue : son nom indique sa vocation : elle combat le racisme, l'antisémitisme et
plus généralement toutes les formes de discrimination.
Deux associations plus jeunes poursuivent ce combat : l’ADEN-S (Association Développement
Éducation Nord-Sud), créée en février 2008, a pour but de mener des actions d’éducation spécialisée
et socio-éducatives. Les valeurs qu’elle prône sont le partage, le respect, la solidarité dans un souci de
connaissance et de reconnaissance mutuelle, permettant la compréhension de l’autre dans sa diversité
culturelle. L’ADEN-S de Toulouse qui a reçu Mme Ibn Ziaten le 30 janvier dernier (adens.org)
développe de nombreuses actions vers le Maroc, voyages, échanges, soirées conviviales.
L’AJMF (Amitié Judéo-Musulmane de France) existe depuis 2005 : elle a pour but de rapprocher
les communautés religieuses, notamment les juifs et les musulmans. Ses principes sont mis en action :
le rabbin Michel Serfaty, son président, et l’imam Mohamed Azizi parcourent la France dans le « Bus
de l’Amitié Judéo-Musulmane », et combattent les préjugés par les rencontres, les échanges, la
connaissance et l’amitié (ajmf.org).
Mais devant la complexité des sources, nous avons préféré la rencontre de personnalités engagées
dans la lutte contre le racisme et pour la tolérance.
Notre première interlocutrice a été Mme Nicole Abar. Ex-joueuse professionnelle de football
d’origine algéro-italienne, elle s’est fait connaître par son engagement dans le dispositif des ABCD de
l’Égalité. Sa rencontre a été fructueuse et humainement très riche.
Mme Abar aborde le sentiment anti-musulman dans un cadre très large : comme le sentiment
antisémite et anti-protestant, il naît du rejet fondamental de l’autre. Pour elle, il est lié à la période
coloniale. C’est malheureusement un crescendo de l’histoire.
Pour Mme Abar, la lutte contre ce sentiment passe par l’école : les ABCD de l’Égalité, qu’elle a
portés jusqu’en 2014, devaient favoriser l’acceptation de la différence, limiter les dominations qui
font violence et favoriser à terme l’intégration en général. Les ABCD devaient favoriser le retour de
l’estime de soi et des autres. Hélas ce dispositif n’a pas survécu à une polémique absurde en 2014.
Nous avons ensuite rencontré M. Salah Amokrane. Il est connu au sein de l’association
Tactikollectif comme l’organisateur du festival toulousain « Origines contrôlées ». Il œuvre dans les
quartiers populaires, organisant des débats et des manifestations culturelles. Sur la question du
sentiment anti-musulman, il rejoint Mme Abar : « Ce qui nous intéresse, dit-il, c’est l’égalité. On est
sur le terreau de la société. »
Mais sa position est plus prudente : pour lui le débat sur la montée du sentiment anti-musulman
doit être différé. Dans l’immédiat, la priorité c’est le rétablissement du dialogue entre les
communautés qui, selon son expression, « chasse les craintes ».
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Enfin, nous avons pu rencontrer Mme Ibn Ziaten la veille de la remise de notre travail. Elle est la
mère d’Imad Ibn Ziaten, le soldat tué à Montauban en 2012, la première victime de Merah. Après sa
mort, elle a créé l’association Imad Ibn Ziaten pour la Jeunesse et pour la Paix. Cette rencontre fut
un moment d’émotion partagé : Mme Ibn Ziaten s’est souvenue être intervenue au lycée RaymondNaves peu après la mort d’Imad ; pour nous ce fut la rencontre avec une icône médiatique et une
femme exceptionnelle.
Avec son association Mme Ibn Ziaten intervient dans les écoles, les prisons et dans le réseau
associatif. Elle parcourt le monde avec des jeunes des cités (elle revient de Jérusalem et de Ramallah)
et côtoie souvent les représentants de l’État. Elle intervient aussi à titre personnel, notamment pour
aider les familles à empêcher les jeunes de partir en Syrie.
Son diagnostic sur la société est lucide : elle observe un déchirement total de la jeunesse sur les
valeurs républicaines, ce qui, selon elle, est lié à un grave problème d’éducation. Elle constate le
défaut d’estime de soi des jeunes qui favorise leur basculement vers la violence.
Pour elle, il faut restaurer ces valeurs à travers toutes sortes de dialogues, le dialogue interreligieux, le dialogue scolaire et le dialogue familial, pour faire reculer l’incompréhension liée à la
méconnaissance de l’autre et restaurer chez les jeunes l’estime de soi.
Pour elle le combat qu’il faut mener est celui de l’égalité et du « vivre ensemble ». « Il faut
respecter les valeurs républicaines pour une belle vie en communauté », dit-elle. Mohamed Merah, le
meurtrier de son fils à qui elle pardonne – ce propos nous a semblé formidable –, a été victime du
manque d’éducation, d’encadrement et de suivi psychologique.
En guise de conclusion
À l’issue de ce travail, nous avons le sentiment que changer le monde en luttant contre le
sentiment anti-musulman est possible. Cependant, il nous semble que ce combat manque de force et
de visibilité. Les associations qui disent lutter contre le sentiment anti-musulman (CCIF, CRI) sont
ambigües ; les associations traditionnelles, SOS-Racisme, AJMF et ADES-N, sont efficaces mais elles
restent discrètes. Ce combat semble dévolu à des personnalités fortes comme Mme Ibn Ziaten.
Notre enquête n’est cependant pas exhaustive : plusieurs associations n’ont pas répondu à nos
demandes de rendez-vous et le temps nous a manqué pour aborder le monde de l’éducation.
Mentionnons seulement ce détail insolite : le frère aîné de Mohamed Merah affirme ui-même le rôle
fondamental de l'éducation, à l'école et à la maison (telerama.fr, le 1er février 2015).
Nous souhaitons finir sur une note d’émotion : nous avons appris à la fin de notre enquête que
Charb, le dessinateur et directeur de Charlie Hebdo assassiné le 7 janvier 2015, avait écrit un livre juste
avant sa mort, Lettre ouverte aux escrocs de l’islamophobie qui font le jeu des racistes (Les Échappés, 2015). Il
affirmait qu’ « avoir peur de l’islam est sans doute crétin, absurde et plein d’autres choses encore… ».
Ainsi Charb, victime des intégristes, avait lui aussi à cœur de dénoncer les amalgames qui touchent la
communauté musulmane et alimentent le racisme.
Nous tenons à remercier à l’issue de notre travail les équipes DISPO de Sciences-Po
Toulouse et du lycée Raymond-Naves, les journalistes qui ont répondu à nos appels et les
grands interlocuteurs qui ont bien voulu venir nous rencontrer au lycée, Mme Abar, Mme Ibn
Ziaten et M. Amokrane.
Toulouse, le 20 mai 2015, Amel, Amine, Mathilde et Neyrelle.