La crise de la fécondité au Japon - Bibliothèque de Sciences Po Lyon

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La crise de la fécondité au Japon - Bibliothèque de Sciences Po Lyon
Université Lumière Lyon II
Institut d’Etudes Politiques de Lyon
La crise de la fécondité au Japon
DUBOIS Charlotte
Séminaire Asie Orientale aujourd’hui : de l’actualité à la recherche
Sous la direction de Guy Faure
Soutenance : 30 juin 2009
Présidente du jury : Kurumi Sugita
Table des matières
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Introduction . .
I. Les normes sociales de la famille en porte-à-faux avec les évolutions modernes de sa
2
forme : le « quiproquo sur l’individualisme » qui pèse sur la natalité. . .
A. Les normes sociales concernant la famille en décalage avec à son évolution . .
1. Le mariage comme passage obligé . .
2. La naissance qui réduit la femme à son rôle de mère . .
3. La famille japonaise : la base du système d’Etat Providence, mise à l’épreuve de
la montée de l’individualisme. . .
B. Quid de la Deuxième Transition Démographique au Japon ? . .
1. Les aboutissants sans les tenants . .
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2. Le « quiproquo sur l’individualisme »
..
II. Les relations avant le mariage : mieux vaut rester chacun chez ses parents . .
A. Les usages en terme de contraception comme déterminant des relations hommesfemmes : le Japon male-oriented par une pratique contraceptive male-dominant . .
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2. La pilule : instrument d’émancipation refusé aux Japonaises ? . .
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3. Le planning familial délégué à la sphère privée mais soumis à l’intérêt public :
l’inefficacité des politiques menant à un échec de la privatisation de la naissance
..
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1. « L’avortement plutôt que la contraception » . .
B. L’avancée des femmes dans la société a-t-elle remis en cause la division traditionnelle
des tâches ? . .
1. Un bilan contrasté des conséquences de la Loi sur l’Egalité des Chances devant
l’Emploi . .
2. L’avancée des femmes a-t-elle vraiment eu des conséquences sur le taux de
natalité ? . .
3. La montée de l’individualisme des femmes en diatribe féministe ? . .
C. Jeunes japonais, jeunes japonaises : deux camps opposés que rien ne rapproche . .
1. L’absence de marché de la rencontre . .
2. Le différentiel de charme, fatal à beaucoup, galvanisé par les exigences des
femmes… . .
3. … décourage les jeunes qui s’installent dans le célibat parasite . .
III. La formation du couple : un bilan coûts-avantages défavorable à celui-ci . .
A. Le coût d’opportunité du mariage trop élevé pour attirer… . .
B. … et sa conséquence directe : un fort taux de célibat . .
1. Des célibataires qui veulent pourtant se marier . .
2. Le mariage a trop d’inconvénients, le célibat trop d’avantages . .
3. La « traite des femmes» ?
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C. Le recul du mariage : explication mécanique de la dénatalité et à la crise de la fécondité
..
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2. La fuite du mariage . .
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3. Le divorce grignote la nuptialité dans un pays où elle est synonyme de natalité
..
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1. Le décalage entre le mariage espéré et le mariage attendu . .
4. Le retour du mariage pour le plus grand bien de la natalité, mais pas forcément
de la société . .
IV. Le couple : un rapport de forces loin des équilibres nécessaires à une parentalité
sereine . .
A. Un décalage entre rêve et réalité qui révèle les obstacles à la parentalité . .
1. Le décalage entres les nombres d’enfants idéaux, prévus, et réels . .
2. L’enfant considéré comme un fardeau, d’abord financier . .
3. Une demande de planning familial et de soins gynécologiques laissée sans
réponse . .
4. La prolifération des sexless couples, trop las pour faire l’amour . .
B. La maternité comme un cul-de-sac . .
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1. Le « mal de mère »
..
2. Être femme au foyer ? Puisque c’est nécessaire. . .
3. L’hostilité du marché du travail : facteur répulsif de la maternité . .
4. Un modèle social vraiment remis en cause ? . .
C. Les hommes, ni époux ni pères ? . .
1. Surchargés de travail, ils sont absents pour leur femme et pour leur enfant . .
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3. Les « nouveaux pères » des années 2000 . .
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4. Conclusion : les rapports hommes-femmes déconstruits pour un équilibre à
trouver . .
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V. Les remèdes à la crise de la fécondité et leur échec : la crise serait-elle plus sociale
qu’économique ? . .
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2. « Les pères sont-ils exclus ou absentéistes ?»
..
A. Les justifications des politiques natalistes depuis 1990 : à la recherche d’une adéquation
entre les décisions particulières et l’intérêt général . .
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B. Les politiques natalistes depuis les années 1990 : des mesures de plus en plus larges
vers un changement de la société en elle-même . .
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1. Les politiques natalistes classiques : congés parentaux et allocations familiales,
ou comment alléger le fardeau économique qui pèse sur les épaules des parents
japonais . .
3. Une demande de participation du secteur privé de plus en plus appuyée . .
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4. Le système de garde japonais : un système biaisé par des coûts sociaux et
financiers . .
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2. Les plans et politiques généraux : changer les normes sociales . .
C. Inefficacité des politiques : des blocages financiers entretenus par le blocage des
mentalités . .
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1. Le rejet des politiques en aval : la dialectique entre la sphère privée et la sphère
publique pour contraindre au changement . .
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2. Des blocages en amont, au sein même du processus de décisions qui renforcent
l’inertie des mentalités . .
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VI. Conclusions : quel avenir pour la société de la shôshika ? La dialectique entre l’individu
et la société relancée grâce à une fenêtre d’opportunités . .
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A. Conclusion générale : de la crise de la parentalité japonaise à une crise d’identité : une
aporie ? . .
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B. Les solutions : devant l’impossibilité d’apports externes, la nécessité de changements
internes… . .
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1. Accepter l’immigration pour remonter le taux de fécondité et la population
active ? . .
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2. Un nouveau mode de travail, pour ne pas dire système d’emploi, pour un meilleur
work-life balance . .
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3. Une prise en charge de la parentalité aussi bien financière que sociale est
requise . .
4. L’importance des réseaux dans la prise en charge de la parentalité . .
C. …et d’une impulsion suffisante pour les provoquer . .
1. Refondre les modes de vie pour ne plus craindre la parentalité mais y prendre
plaisir . .
2. Les jeunes revendiquent-ils le même genre d’idéal que les auteurs ? . .
3. Comment provoquer le changement et débloquer les mentalités assez
rapidement pour ne pas que le Japon s’enlise démographiquement,
économiquement et socialement dans une crise finalement d’identité ? La
dialectique entre bonheur individuel et intérêt général appliquée au Japon . .
Annexes . .
Les conséquences multiples de la crise de la fécondité . .
L’inversion du rapport hommes-femmes . .
Le questionnaire distribué aux élèves de l’Université de Mie, version japonaise . .
Bibliographie . .
Articles à connotations démographiques . .
Enquêtes démographiques . .
Sur la contraception . .
Les politiques de la shôshika . .
Textes généraux sur les femmes et les hommes japonais . .
Ouvrages ou articles généraux sur la dénatalité . .
Conférences . .
Articles consultés en ligne le 10 mai 2009 . .
Reportages télévisés . .
Sites de référence, consultés le 10 mai 2009 . .
Français . .
Etrangers . .
Filmographie . .
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La crise de la fécondité au Japon
Introduction
En cherchant à définir les facteurs de puissance des Etats sur le plan géopolitique, Pierre
Renouvin et Jean-Baptiste Duroselle dans leur Introduction aux théories des Relations
Internationales évoquent d’emblée le critère spatial et démographique, l’espace et le
nombre. Ainsi, au même titre que le dynamisme économique, le territoire et la population
d’un pays sont des forces qui lui permettent de s’imposer sur la scène des relations
internationales. D’une part, le territoire, maritime, aérien et terrestre est un espace de
souveraineté sur lequel s’exerce la puissance étatique. D’autre part, la population peut être
une arme de rayonnement, ce qui motivera des politiques natalistes, autant qu’elle peut être
un poids qui mettra à mal la vigueur du pays, dans le cas du vieillissement de la population
par exemple. C’est en ce sens que le Japon s’est alarmé des problèmes liés aux variations
de sa population : jusque là ressource motrice d’un Etat poussé à l’extrême de l’Empire
Impérial de la Seconde Guerre Mondiale, cette dernière menace à présent l’avenir du pays,
dans le contexte de la course à l’innovation et au dynamisme entraînée par la Globalisation
du XXIème siècle.
Le Japon est en effet en proie au vieillissement accéléré de sa population, dont nous
étudierons l’une des modalités : la baisse de la natalité. Le pays serait plongé dans une
crise de la fécondité, comme en témoigne l’utilisation récente des termes qui traduisent la
dénatalité – ���, shôshika – ou littéralement la dénatalité aggravée – ����, chôshôshika.
On va montrer que cette dénatalité n’est pas qu’un mécanisme démographique, par
l’utilisation du concept de crise de la fécondité.
L’indicateur auquel on va souvent faire référence est le taux de natalité ou taux de
fécondité. Selon l’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques, c’est « le
rapport du nombre de naissances vivantes de l'année à l'ensemble de la population féminine
en âge de procréer (nombre moyen des femmes de 15 à 50 ans sur l'année) » : c’est donc
le nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer observé à une année donnée.
On utilisera également le Total Fertility Rate (TFR), correspondant en français à l’indice
conjoncturel ou synthétique de fécondité. C’est le nombre moyen d’enfants qu’aura une
femme tout au long de sa vie. Selon la Division Population de l’Organisation des Nations
Unies (ONU), on calcule précisément le nombre moyen d’enfants qu’une hypothétique
cohorte de femmes aura jusqu’à la fin de sa vie féconde. On se base sur le fait que ces
femmes seraient soumises durant toute cette période au même taux de fécondité observé
l’année de sa publication, et ne viendraient pas à mourir.
Depuis le « choc des 1,57 » en 1989, le Japon a pris conscience des soucis
démographiques qui menacent l’avenir, démographique mais pas seulement, du pays. Cette
année-là en effet, le taux de fécondité passait sous la barre fatidique des 1,60 qu’avait connu
le Japon en 1966, à savoir l’année du Cheval. Selon l’astrologie chinoise, les filles nées
l’année du Cheval de Feu, qui revient tous les soixante ans, risquent d’avoir un caractère
indomptable, ce qui les empêcherait de trouver un mari. En conséquence, les Japonais se
montrent extrêmement prudents lors de ces années et font en sorte de ne pas risquer de
mettre au monde une fille, en préférant ne pas avoir d’enfants. Ainsi, dans les graphiques
qui représentent l’évolution du TFR japonais, on peut observer un effondrement de la courbe
en 1966, correspondant à l’année du Cheval de Feu.
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Dubois Charlotte - 2009
Introduction
Total des naissances et taux de fécondité synthétique au Japon (1946-2000)
(Takahashi, 2004 p.100)
Au-delà de cette crevasse de 1966, le TFR japonais n’a cessé de diminuer depuis
1945. Les pouvoirs publics n’en ont néanmoins pris conscience qu’en 1989 comme on
vient de l’expliquer. Le terme ���, shôshika, est utilisé pour la première fois en 1992 à
l’occasion de la publication du Livre Blanc sur la Vie des Citoyens de l’année Heisei 4 par le
Commissariat au Plan intitulé « l’avènement de la société de la dénatalité : conséquences
et remèdes ». La définition du terme donnée dans ce papier est la suivante : « tendance
à une baisse du nombre d’enfants dans la société et au sein des familles suite à une
baisse de la natalité ». On peut penser que les Japonais auraient dû s’apercevoir de
cette diminution du nombre d’enfants à partir du moment où le TFR est passé sous le
seuil de renouvellement de la population, c’est-à-dire 2,1. Mais en raison d’un phénomène
démographique appelé « monumentum de la population », la population s’est maintenue
temporairement. La population à l’âge d’avoir des enfants est momentanément accrue,
tandis que temporairement, la couche de la population âgée dont le taux de mortalité est
bas est peu nombreuse. Ainsi, le taux de natalité s’est rapproché des 2,1 à partir de 1957,
et est descendu en dessous en 1973. La population a néanmoins continué d’augmenter de
35% entre 1960 et 2000, pour ne diminuer qu’en 2005.
On peut distinguer trois périodes dans la baisse de la natalité japonaise depuis 1945.
D’abord, de 1945 à 1957, le TFR a été divisé par 2, sous l’impulsion de la politique nataliste
adoptée pas le gouvernement. Ensuite, entre 1957 et 1973, il s’est stabilisé autour du seuil
de renouvellement des générations. Enfin, depuis 1973, la baisse s’est accentuée, pour
passer d’abord en dessous des 2,1 enfants par femme, puis pour rentrer dans la zone du
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La crise de la fécondité au Japon
« lowest-low fertility rate », à savoir moins de 1,3 enfants par femme, en 2005 (Suzuki, 2006).
Cette année fut celle du record en la matière du TFR japonais, puisqu’il s’élevait à 1,25 ou
1,26 enfants par femme selon les sources. Les partisans de la chôshôshika font commencer
cette période de dénatalité aggravée après l’éclatement de la Bulle, vers 1995. Certains
appellent cette période « baby bust » (Ogawa et Retherford, 2005). Nous parlerons de
« crise » de la fécondité dans la mesure où, comme le montre l’utilisation du mot « choc » lors
de la prise de conscience de l’urgence de la situation, l’atmosphère qui entoure la dénatalité
traduit une inquiétude des pouvoirs publics, de la population, ce qui semble correspondre à
la définition donnée par le Petit Larousse Illustré 1998 de la crise : « Phase difficile traversée
par un groupe social ». Cette période de doute et d’appréhension dure depuis les années
1970 ; les Japonais en ont pris conscience au début des années 1990 ; ses conséquences
néfastes se matérialisent depuis le milieu des années 1990 ; l’avènement du XXIème siècle
n’a pas permis au Japon de résoudre cette épineuse situation. Cela dépasse le simple
constat d’un mécanisme démographique que serait la dénatalité.
De plus, la dénatalité ne doit pas être confondue avec le vieillissement de la population,
qui est une conséquence de la première lorsqu’elle se double de l’augmentation de
l’espérance de vie. On les associe souvent, comme dans le terme « shôshikôreika », alliance
de « shôshika » et de « kôreika » – ��� – , vieillissement de la population. C’est une
réalité au Japon, qui voit son nombre de centenaires augmenter chaque année. Le Cabinet
du Premier Ministre, qui offre traditionnellement une coupe d’argent aux centenaires, s’est
même vu contraint cette année de diminuer la taille de celle-ci, devant l’augmentation des
dépenses qu’entraînait ce cadeau pour les 19 769 Japonais qui ont fêté leur centième
anniversaire en 2008. Ils étaient 153 en 1963, l’année où a débuté la coutume. Toujours en
2008, 20% de la population japonaise avait plus de 60 ans, tranche de la population qui en
représentera 40% en 2055. La pyramide des âges japonaise s’en voit bouleversée. Le site
de l’Institut National de Recherche sur la Population et la Sécurité Sociale (NIPSSR) livre un
document des plus éloquents, mais impossible à intégrer à ce travail. Il s’agit d’une pyramide
des âges animée, d’abord de couleur orange puis rouge à partir de 2010 pour illustrer les
alarmantes projections démographiques du pays. On peut bien observer le changement
de forme de la pyramide, qui s’inverse et prend celle d’un cercueil (coffin-shaped). La
conséquence majeure du vieillissement de la population est d’ordre économique. Alors
que classiquement depuis Malthus, on considère que c’est la surpopulation qui menacerait
l’économie d’un pays, au Japon on craint l’inverse. La faillite du système d’assurance retraite
et de sécurité sociale par répartition japonais point. Si en 1980, il y avait 12,3 cotisants pour
un retraité, en 1995, il n’y en avait plus que 5,1. Il faudrait alors reculer par exemple l’âge à
la retraite, mais cela accentuerait le déséquilibre générationnel au sein du système d’emploi
à vie avec progression à l’ancienneté : la hiérarchie âgée écraserait encore davantage les
jeunes débutant leur carrière. Ensuite, à terme la dénatalité entraînera une pénurie de main
d’œuvre, dont on a commencé à se préoccuper dans les années 1970. C’est donc toute
l’économie japonaise qui est menacée. Outre le fait que la force de travail japonaise se voit
diminuer, le dynamisme économique des familles avec enfants, celles dont la propension
à consommer est la plus élevée, va se tarir. D’un point de vue démographique, c’est le
dépeuplement qui touche le Japon depuis 2005 qui est le plus alarmant. Le solde naturel du
pays est négatif depuis lors, malgré une légère remontée du TFR à 1,32 enfants par femme
en 2008 après le pic inversé de 2005. On peut citer le sous-titre choc d’un article qui annonce
« une population japonaise égale à un… en 3500 ? » (Furukawa, 2008 p.276). Enfin, les
conséquences de la dénatalité sont aussi sociales : les enfants élevés seuls, en petits rois,
deviennent égoïstes et impatients, ont des difficultés à être autonomes. Le schéma reproduit
en annexe 1 résume les principales conséquences de la crise de la fécondité, en y ajoutant
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Introduction
à celles qu’on vient d’évoquer la restructuration de la vie locale, sur laquelle on reviendra
à la fin de cette étude.
Le sentiment de danger face à la dénatalité est réel au sein de la population. Selon
un sondage du Cabinet sur les mesures contre la dénatalité d’octobre 2006, 76,7% des
personnes interrogées estimaient que c’était là un grand ou un plus ou moins grand danger
pour la société qu’elles ressentaient personnellement. Les domaines dans lesquelles les
conséquences de ce phénomène sont listées, par ordre d’importance de l’impact, étaient le
système assuranciel, la force économique du pays, la vie familiale, la vitalité de la société,
l’éducation des enfants (Ministère de l’Intérieur Japonais, Sondage d’opinion publique sur
les politiques de la dénatalité, 2006).
Néanmoins, la dénatalité japonaise s’inscrit dans un cadre historique et démographique
commun aux pays développés. Depuis la Deuxième Révolution Industrielle, les pays
industrialisés sont entrés dans la Transition Démographique, qui les a menés d’un régime
démographique avec fort taux de natalité et de mortalité, à une phase avec faibles taux de
natalité et de mortalité. Cette transition est due aux progrès de la médecine, qui a d’une part
provoqué l’allongement de l’espérance de vie, et d’autre part favorisé la diminution de la
mortalité infantile, ayant elle-même entraîné une baisse du taux de fécondité. La plupart des
pays développés ont ainsi aujourd’hui achevé leur Transition Démographique. La dernière
phase du phénomène qu’on vient de décrire, a été accentuée dans la deuxième moitié du
XXème siècle, les années 1960, par l’entrée dans la Deuxième Transition Démographique,
induite par des changements au niveau sociétal, dans les comportements des individus
1
face à la famille et à la fécondité . Selon Van de Kaa, il s’agit de la généralisation des
moyens de contraception, la sécularisation, et l’individualisation des sociétés. En effet, l’âge
du mariage a reculé, le mariage lui-même a reculé face au célibat, au concubinage, et
au divorce. Or au Japon, l’institution du mariage est plus forte que jamais, les naissances
illégitimes représentent moins de 2% des naissances. Pourtant le taux de fécondité est l’un
des plus bas du monde : le Japon est au 219ème rang mondial sur 225 Etats classés selon
l’estimation de leur TFR par la Central Intelligence Agency américaine en mars 2009, avec
1,21. Le Japon repasserait alors dans le camp des pays au lowest-low fertility rate.
Qu’est-ce qui distingue alors le Japon ? Il apparaît nécessaire de se concentrer sur
l’étude des causes de cette crise, au regard de l’étendue de notre sujet et de la singularité de
l’exemple japonais que nous détectons déjà. Qu’est-ce qui empêche les femmes d’enfanter
au même titre que les Occidentales, voire que les Françaises, championnes d’Europe de la
fécondité ? Les femmes sont-elles les seules concernées par les obstacles à la parentalité ?
On traduira ���, kosodate, ou ��, ikuji, par parentalité, car le terme « éducation des
enfants » ne convient pas à nos yeux : il s’agit du fait même d’avoir, puis d’élever un
enfant, qui nous semble correspondre au terme de « parentalité », utilisé dans la Charte
de la Parentalité, signée le 21 avril 2008 par des entreprises françaises comme l’Oréal,
qui s’engagent à facilité la vie professionnelle et familiale des parents (article du Monde
d’Anne Chemin, paru dans l'édition du 13 avril 2008, plus disponible sur Internet). De fait, il
permet de dépasser le clivage hommes-femmes engendré par le terme maternité, paternité
ou même puériculture, du moins dans l’image que dégage ce dernier. C’est également pour
cela que, contrairement par exemple au sous-titre de l’ouvrage de Muriel Jolivet en 1993, on
préfèrera l’expression de crise de la fécondité à « crise de la maternité ». A travers l’usage
du mot parentalité tel qu’il a été défini dans la Charte suscitée, on entrevoit l’un des thèmes
qui sous-tend la crise de la fécondité : le work-life balance (WLB), ou l’équilibre entre d’une
part la vie personnelle, familiale, privée et d’autre part le travail, la sphère publique. Quel
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Ron Lesthaeghe http://www.vub.ac.be/SOCO/ron/final_textSDTBasilBlackwellEncyclop.doc
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La crise de la fécondité au Japon
est l’équilibre qui prévaut dans la vie des Japonais ? De quel côté penche la balance dans
le cas où il n’y aurait pas d’équilibre ? En quoi cela pèse-t-il sur la natalité ? On partira du
constat que par rapport à celle dans la plupart des pays développés, la place de la femme
dans la société japonaise n’est guère avancée. Malgré les progrès en la matière depuis la
fin des années 1970, il semble que si une femme veut faire carrière, non seulement c’est
à elle que se pose le choix de savoir si elle veut l’entraver pour mener une vie de famille
en parallèle, mais de plus faire cette alliance même lui serait impossible, étant donné le
système d’emploi japonais. Très vite pourtant, on nuancera cette idée quelque peu biaisée :
les femmes ne sont pas toutes des féministes qui se révoltent contre une division sexuelle
des tâches qui les a reléguées au fond de la maison, comme le terme japonais qui signifie
épouse, madame – ���, okusan – le laisse deviner.
Selon les sources, les causes de la crise de la fécondité se répartissent de la façon
suivante : 50% du déclin du TFR serait dû à l’augmentation du nombre de célibataires et
au recul de l’âge au mariage. C’est une conséquence de la force de l’institution du mariage
qu’on a déjà évoquée : pour y échapper, les Japonais le reculent, voire y renoncent. Il semble
donc que les formes qu’ont prises le couple et le mariage au Japon posent problème, et ce
tout au long de la vie du couple. C’est ainsi que l’on adoptera un plan original qui souhaite
suivre la formation d’un couple au Japon, afin d’étudier à chaque étape les obstacles qui
éloignent les Japonais d’une vision harmonieuse de la vie de couple avant même la vie
de famille. On définira tout d’abord la vision sociale du couple, les normes sociales qui
semblent se confronter aux changements qui touchent la famille japonaise depuis l’aprèsguerre, notamment la nucléarisation de la famille. Le décalage ainsi mis à jour permettra de
discuter sur l’occurrence ou la non-occurrence de la Deuxième Transition Démographique
au Japon. Ensuite, on s’attachera à analyser les évolutions liées à la formation du couple,
telle que la montée de l’individualisme, la pratique de la contraception par exemple, puis
la formation en elle-même et finalement la vie de couple, à chaque fois sous l’angle des
obstacles, des poids, des carences inhérents à la société japonaise et qui jouent sur la
natalité. Enfin, nous étudierons la prise de conscience politique du problème démographique
mais aussi – surtout – social, à savoir les 50% restant dans les causes. On se penchera
alors sur les remèdes pensés, apportés et on se posera la question de leur efficacité : dix ans
après le premier Angel Plan, le taux de fécondité atteignait son plus bas niveau historique.
Nous conclurons sur les solutions envisagées à présent par les chercheurs que nous avons
pu lire, avant de faire un parallèle avec la France et le blocage des mentalités qui empêche
la société d’évoluer avec son temps, avec les exigences de nouveaux modes de vie, de
nouveaux besoins de liberté dans des domaines toujours plus divers. Nous nous appuierons
pour cela sur une modeste enquête que nous avons réalisée auprès des étudiants de
l’Université publique de Mie, à Tsu, au Japon en 2008, par laquelle nous avons cherché à
connaître le point de vue de la nouvelle génération, une génération sur laquelle on a encore
décalé la nécessité d’un changement radical, une génération à nouveau charnière qui sait
où elle doit aller pour son pays, pour son propre bien être aussi, mais ne sait pas par quels
moyens y parvenir.
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I. Les normes sociales de la famille en porte-à-faux avec les évolutions modernes de sa forme : le
« quiproquo sur l’individualisme Garrigue, 2000 p.29-30. » qui pèse sur la natalité.
I. Les normes sociales de la famille
en porte-à-faux avec les évolutions
modernes de sa forme : le « quiproquo
sur l’individualisme » qui pèse sur la
natalité.
2
Dans cette première partie, on va jouer sur les décalages. A la manière de l’épisode intitulé
3
« la vie conjugale à la Yamada » de l’anime Mes voisins les Yamada , on va d’abord étudier
le discours social environnant la famille, les normes, les idéaux qui le structurent, avant de
montrer le paradoxe qui découle de sa confrontation avec la réalité. On évoquera ainsi les
a priori sociaux concernant le couple, puis la naissance de l’enfant, la relation de la mère à
son enfant, et enfin la structure de la famille. Ce dernier point sera fortement problématique.
En effet, on mettra à jour les changements que la famille japonaise a connus sous l’influence
de la montée de l’individualisme. On pourra ainsi étudier la pertinence du concept de
Deuxième Transition Démographique dans le cas japonais. On aboutira à un décalage
entre les analyses des Japonais sur leur situation et celles d’intervenants extérieurs : il
semblerait que l’individualisme soit montré du doigt pour expliquer de nombreux problèmes
que connaît le Japon moderne, en opposition au Japon de l’avant-guerre ou au Japon de
l’avant Meiji. La dénatalité n’échappe pas à la règle. On élargira alors l’idée du « quiproquo
sur l’individualisme » formulée par la journaliste française Anne Garrigue.
A. Les normes sociales concernant la famille en
décalage avec à son évolution
1. Le mariage comme passage obligé
Les normes sociales concernant la forme que doit prendre le couple pour être reconnu par
la société japonaise, sont qualifiées d’ « idées reçues sociales […] tenaces » par Furukawa,
qui estime que ce sont elles qui empêchent le Japon de redresser son TFR.
2
Garrigue, 2000 p.29-30.
3
Une vieille femme fait un discours lors d’un mariage pour décrire la vie que le couple célébré ce jour-là va connaître. Chaque étape
de la vie évoquée par la grand-mère est illustrée par un épisode de la vie des Yamada qui vient si ce n’est contredire, en tout cas
nuancer la norme sociale édictée par l’aïeule.
Dubois Charlotte - 2009
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La crise de la fécondité au Japon
Elles concernent d’abord les femmes. Comme le montre le cinéaste Ozu dans Le goût
du sake, une jeune fille doit être mariée avant 25 ans. Comme les gâteaux que les Japonais
consomment traditionnellement à Noël, passé le 25 décembre elles ne sont plus appréciées.
Les personnages principaux du film communiquent sur l’âge des jeunes filles à marier sans
même prononcer la dizaine : ils se contentent d’énoncer l’unité pour dire l’âge, « quatre »
pour « vingt-quatre » par exemple.
Ensuite, les normes sociales se recentrent sur le couple. Qui dit couple dit mariage. Le
concubinage est en effet marginal au Japon, où l’on ne cohabite pas avec son partenaire
avant de franchir le pas de l’union nuptiale. Néanmoins, les mariages arrangés décrits par
Ozu en 1963 ne sont plus la norme. Représentant plus de 60% des unions en 1955, les
omiai sont à l’origine de moins de 5% des mariages en 2004. Reste que le mariage est la
norme en matière de couple : les naissances hors mariage représentent moins de 2% des
naissances, alors qu’en France elles sont majoritaires depuis 2007. Ainsi, non seulement
le mariage est-il nécessaire pour toute vie de couple, mais il l’est d’autant plus lorsque l’on
envisage de faire un enfant, comme le montre le phénomène des « mariages d’urgence »
qu’on étudiera plus bas.
A cette nouvelle étape, les normes sociales concernent à nouveau quasi-exclusivement
les femmes. Une fois mariées puis mères, elles abandonnent leur travail. Le moment où la
femme démissionne pour se convertir en femme au foyer diffère de celui illustré dans Le
goût du sake. Il ne s’agit plus du mariage, mais de la naissance du premier enfant. La courbe
de l’activité de la femme en fonction de son âge, caractéristique au Japon puisqu’elle est
en forme de M, s’est ainsi décalée vers la droite. Cependant, cette norme sociale qui veut
que la femme – forcément en couple, donc mariée, après 25 ans – reste au foyer tandis
que l’homme travaille demeure. En 2004, 45,2% des Japonais estimaient être clairement
4
ou plutôt d’accord avec cet adage . 48,9% étaient plutôt ou clairement contre, mais suivant
le sexe ou l’âge du répondant, la réponse diffère. Ainsi, on constate une forte baisse du
pourcentage d’opinions en faveur de cette norme chez les femmes : entre 1982 et 1997, il
5
est tombé de 71 à 46% . Selon d’autres sources, les femmes mariées rejettent la norme
de la démission après le mariage, et ne sont que 28,7% à être pour, contre 63,9% contre
en 2005. Dans le même sens, les opinions diffèrent selon les circonstances entourant la
vie de la femme. Ainsi, une mère doit rester au foyer au moins durant la période où ses
enfants sont petits pour 71,8% des femmes mariées en 2005 (Iwasawa, 2008b). Ainsi, 70%
des Japonaises démissionnent à la naissance de leur premier enfant. Or cette dernière ne
va pas sans mariage, comme on l’a vu avec la marginalité des naissances hors mariage.
Toru Suzuki en 2006 insiste d’ailleurs sur l’originalité de la situation japonaise par rapport
aux autres pays à « lowest-low fertility rate » d’Europe du Sud où la religion est encore
très prégnante. En Espagne par exemple, le taux de naissances hors mariage est de 25%
environ, contre 1,99% en 2004 au Japon. Et ce n’est pas la religion catholique qui impose
le mariage mais bien les normes sociales, alors même que sous Meiji les naissances
illégitimes passaient de 5 à 10% des naissances. Finalement, à terme, le mariage est
synonyme de sacrifice pour la femme, de contraintes.
2. La naissance qui réduit la femme à son rôle de mère
4
Section sur l’Egalité devant l’emploi du Bureau du Travail de la Préfecture de Mie, La condition des femmes actives à Mie
en chiffres, 2008.
5
12
Les chiffres de ce paragraphe sont des données officielles citées par Ogawa et Retherford, 2005.
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I. Les normes sociales de la famille en porte-à-faux avec les évolutions modernes de sa forme : le
« quiproquo sur l’individualisme Garrigue, 2000 p.29-30. » qui pèse sur la natalité.
Si la naissance ne va pas sans mariage, l’inverse se vérifie également. Environ 75% des
femmes marées estiment qu’un couple marié devrait donner la vie. Pour Muriel Jolivet en
1993, il s’agit d’une « obligation sociale et/ou familiale » (p.56). Traditionnellement dans
le Japon féodal, la bru n’était inscrite sur le registre de l’ie qu’elle avait intégrée à son
mariage, qu’à la naissance de l’aîné. Une fois l’enfant né, on l’a vu, la femme démissionne
pour élever son petit. On citera alors un témoignage recueilli par Muriel Jolivet en 1993, où
une femme répondait aux jeunes qui confiaient leurs enfants à la crèche pour continuer à
travailler. Elle estimait que face au matérialisme de la société moderne, il était inconcevable
de payer quelqu’un pour élever ses enfants à sa place. Elle utilisait l’argument accusateur
de l’égoïsme dont faisaient preuve ces femmes, d’autant plus qu’élever ses enfants n’était
qu’un sacrifice de courte durée dans une vie dont on jouissait de plus en plus longtemps.
C’est un devoir que de s’occuper de ses enfants soi-même ; les enfants dont les mères sont
« obsédées » par le travail, deviennent des enfants attardés.
Ce discours moralisateur est entretenu par les mères, les voisines, les collègues de
bureau, les amis, les médecins comme on le verra plus bas, les hommes politiques comme
Shintarô Ishihara ou Hakuo Yanagisawa. Le premier, gouverneur de Tokyo, a estimé en
2001 que les femmes qui, arrivées à un certain âge, ne pouvaient plus faire d’enfants et
avaient perdu leur force reproductive, devenaient inutiles et commettaient un crime par le
6
fait même de vivre . Le second, ancien ministre de l’Emploi et de la Protection Sociale,
a comparé en janvier 2007 les femmes à « des machines à faire des enfants ». Les
associations de parents d’élèves aussi mettent en accusation morale les mères actives,
en programmant les réunions aux heures où seules les mères au foyer sont libres (Jolivet,
1993 et Garrigue, 2000).
Alors, durant le creux de la courbe en M de l’activité professionnelle en fonction de
son âge, la femme se consacre à son ou ses enfants. Sous l’époque Meiji, la mère est tout
sacrifice et soutient son enfant face au père. Muriel Jolivet en 1993 parle de la nostalgie
de la « Meiji Mama » dans le chapitre cinq de son ouvrage. L’image de la mère-pélican est
toujours d’actualité : lors de la fête des mères 2008, on a pu observer la tonalité des cartes
de fête des mères.
Photographies personnelles.
On remercie sa mère de faire les courses, préparer les bentô chaque jour, d’encourager
pour l’école ou le sport… La même année, sur le site Internet de la chaîne de restaurants
Kappa Zuchi, l’histoire « merci Maman ! » est proposée aux enfants pour illustrer la fête
des mères. Elle met en scène Kâ Kun et Pâ Chan qui cherchent le bon cadeau pour leur
mère. Ils l’observent alors toute la journée et finissent par lui offrir des « bons pour aide »
dont elle pourra se servir pour être soulagée par ses enfants de ses tâches quotidiennes : la
vaisselle, la lessive, le balayage des feuilles mortes dans le jardin, la cuisine. Dans de ces
6
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Dubois Charlotte - 2009
13
La crise de la fécondité au Japon
saynètes, la maman kappa sue. En découvrant ce cadeau généreux, elle pleure de joie. Et
7
l’histoire de se conclure sur la moralité suivante : « Toi aussi chez toi, aide ta maman ! ». Les
publicités, les films récents reflètent souvent la même réalité d’une mère au foyer, comme
Kô-Kun to no Natsuyasumi par exemple.
Ainsi, la mère est tout dévouée à son enfant, ce qui instaure une relation fusionnelle
entre eux. Tous les auteurs en font le constat : la mère japonaise est sur-protectrice. Certains
8
vont plus loin, et considère que cette relation est castratrice . Muriel Jolivet en 1993 insiste
sur le skinship qui s’établit ou doit s’établir entre la mère et l’enfant à travers les « dix
commandements de la bonne mère » suivants (p.108-147). Elle les tire de l’analyse du
discours des pédiatres au travers des ouvrages de puériculture. Leur point de vue se résume
bien dans le terme japonais qui désigne le carnet de santé. On parle de « boshi techô », de
bo, la mère, shi, l’enfant et techô le carnet.
- « A ton fœtus t’attacheras » : il est indispensable pour la femme enceinte d’être
épargnée de tout stress, afin qu’elle puisse aimer son bébé. Elle fera ainsi passer par le
cordon ombilical des hormones d’amour au fœtus. Dans le cas contraire, les mauvaises
vibrations d’une mère trop stressée ou qui n’arrive pas à s’attacher à son enfant à naître
peuvent le pousser au « suicide in utero », c’est-à-dire à la fausse couche.
- « Le quotient intellectuel de ton fœtus amoureusement développeras » : les Japonais
sont adeptes de « l’éducation fœtale », défendue par exemple par le Président de Sony
Ibuka, car l’essentiel du développement des cellules du cerveau a lieu in utero.
- « Dans la douleur accoucheras » : c’est cette douleur qui va permettre à la mère de
s’attacher au nouveau-né. Il s’agit de prendre l’enfant tout de suite sur son sein pour établir
le lien physique, le « bounding », le « skinship » qui rendra l’enfant « mignon » aux yeux
de sa mère.
- « Avec bébé, nuit et jour, un corps à corps assumeras » : il faut dormir avec l’enfant.
Ce conseil est même inscrit dans les carnets de santé que l’auteure a pu étudier. D’après
un article du Japan Times du 18 décembre 2007, 90% des enfants japonais dorment
occasionnellement ou toujours avec leurs parents, dont 60% pour cette dernière réponse.
On appelle cela « dormir en kawa no ji », comme le caractère du mot rivière. Au contraire,
65% des enfants américains n’ont jamais dormi avec eux. Ainsi au Japon, le père est exclu
de la dyade au point que le lit parental perd sa symbolique. Aux yeux des psychologues, les
enfants ne percevraient alors pas le lien qui unit le père et la mère. Les enfants ne pourraient
pas alors dépasser le stade oedipien normalement pré-pubère par la confrontation de sa
propre place par rapport à celle du parent du sexe opposé.
- « Nuit et jour pendant un an ton bébé allaiteras » : c’est en effet un autre moyen de
faire passer au bébé les « hormones d’amour » et d’établir le « skinship » qui permettra à la
mère d’aimer son enfant. Selon les médecins japonais, cela rend l’enfant plus calme, plus
stable psychiquement, plus intelligent même et ce serait d’ailleurs une excellente méthode
contraceptive. Jolivet fait néanmoins remarquer qu’un allaitement aussi contraignant pour
la mère l’avilie complètement et la met au service de l’enfant. Une fois de plus, le père est
totalement exclut de la relation, n’a pas la place pour s’affirmer.
- « La nourriture de ton enfant amoureusement prépareras » : les petits pots, et plus tard
dans la vie de l’enfant, la cantine sont des moyens de facilité issus de l’industrialisation et
empêchent la femme de s’exprimer par la confection des repas. La mère, lorsqu’elle prépare
7
8
14
« minamo okâsan no otestudaishiyône ! »
Cf. plus bas, Jolivet, 2000.
Dubois Charlotte - 2009
I. Les normes sociales de la famille en porte-à-faux avec les évolutions modernes de sa forme : le
« quiproquo sur l’individualisme Garrigue, 2000 p.29-30. » qui pèse sur la natalité.
un bentô pour son enfant, lui témoigne de son amour. Ceci explique les compétitions de
bentô à l’école entre les mères, qui sont pour elles une occasion de démontrer à quel point
elles aiment leur enfant.
- « Les couches de ton bébé toi-même laveras » : en 1992, le Japon a été ému d’un
article sur la femme du Prince héritier qui lavait elle-même les couches de son enfant,
comme 93% des femmes en 1986. Taniguchi Yûji, spécialiste de l’éducation fœtale écrit
ainsi deux ouvrages sur le sujet, allant jusqu’à tester sur lui-même les couches industrielles
et montrer combien elles sont néfastes à l’enfant.
- « De l’altruisme sans compter sur ton enfant déverseras » : avec les mariages d’amour,
les femmes seraient devenues égoïstes et immatures. La progression du planning familial
aurait réduit la « maternalité » des femmes, qui ne verrait dans l’enfant qu’un petto, c’està-dire un animal domestique, un accessoire. Il faut au contraire faire passer ses propres
intérêts après ceux de l’enfant, comme les femmes d’autres fois dont Hiraï Nobuyoshi,
spécialiste de la psychologie du rapport mère-enfant maintes fois cité par l’auteure, fait
l’éloge.
- « Ton instinct maternel énergiquement réveilleras » : le « mythe de l’instinct maternel »
est évoqué tout au long de l’ouvrage. Une mère doit naturellement aimer son enfant, le
trouver « mignon », comprendre ses pleurs, anticiper ses réactions, l’élever correctement.
- « Toute activité professionnelle pendant cinq ans (au moins) suspendras » : si la mère
travaille, l’enfant risque d’être attardé. C’est de l’ordre du « devoir » pour une femme que
de se retirer de la vie professionnelle. C’est dans ce chapitre que l’auteure fait appel au
témoignage qu’on a déjà évoqué sur les arguments moralisateurs d’une femme envers ces
« obsédées » qui gardent un travail au-delà du temps partiel.
Ainsi, la bonne mère japonaise établit une relation plus que fusionnelle avec son enfant.
C’est contradictoire avec le vieux dicton japonais « kawaii ko niwa tabi o sase (yo) » : « les
voyages font la jeunesse », et cela aura des conséquences sur la maturité et la capacité à
être indépendant des jeunes Japonais que l’on étudiera plus tard. De plus, comme on va le
voir, la mère est laissée seule face à son enfant du fait de la nucléarisation de la famille, ce
qui ne fait que renforcer la pression qu’elle subit seule.
3. La famille japonaise : la base du système d’Etat Providence, mise à
l’épreuve de la montée de l’individualisme.
La famille japonaise est une famille au sens large, réunissant au moins trois générations
sous le même toit. C’est le fils aîné, ou cadet selon les régions, qui recueille ses parents.
Comme dans Mes voisins les Yamada, les grands-parents offrent leurs terres au fils pour
qu’il y construise une grande bâtisse pour loger toute la famille. Cependant, ce modèle
traditionnel a été remis en cause dès l’après-guerre. Au cours de la conférence sur les
effets de la mondialisation en France et au Japon, notamment sur le rapport entre les
genres, Mme Nakajima intervenait sur le thème « L’avenir des ‘femmes aux foyers à haut
niveau d’études’ dans le contexte de la mondialisation ». Elle remontait alors le cours de
9
l’histoire pour expliquer l’origine du système familial japonais. Selon elle , le modèle familial
japonais a été institué par le Parti Libéral Démocrate au pouvoir depuis l’après-guerre. A
la fin de la période de Haute Croissance, le Parti Libéral Démocrate (PLD) définit la vision
de la Nation, de la société de Bien-Être et de la famille japonaise. Le Japon ayant rattrapé
9
Voir aussi Akagawa, 2006 p.30.
Dubois Charlotte - 2009
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La crise de la fécondité au Japon
l’Occident, contrairement à son attitude face à lui à l’ère Meiji, il n’adoptera ni le modèle
de l’individualisme exacerbé occidental, ni celui du déni de l’individu du totalitarisme. Il
choisira une « philosophie de l’entre deux », en créant son propre schéma des relations
entre l’individu et la société. Le noyau sera la famille, qui prendra en charge l’éducation
et la fin de vie, dont l’Etat s’occupe ailleurs. Le couple marié sera alors le modèle familial
japonais, avec M. A, diplômé universitaire, qui travaillera pour sa famille, et Mme A, elle
aussi diplômée, mais qui n’est allée à l’université que pour se cultiver. Après avoir travaillé
quelques années, elle se mariera à 25 ans, puis aura des enfants. Elle gérera le ménage. A
35 ans, ses enfants seront scolarisés. Elle aura alors un hobby ou un emploi à temps partiel
sans perspective de carrière professionnelle : la politique de natalité estime que les femmes
qui restent au foyer font plus d’enfants. Elle aura à sa charge le soin des dépendants : les
enfants et les personnes âgées. Dans ce cadre, les grands-parents peuvent cohabiter avec
leurs enfants et leurs petits-enfants. Ainsi, en 1982, une majorité de 52,5% des couples
mariés cohabitaient avec leurs parents (White Paper on the National Lifestyle 2008).
Néanmoins, les grandes familles sont de moins en moins nombreuses au Japon.
Le pourcentage qu’on vient d’évoquer est tombé à 23,3% en 2005 selon les mêmes
sources. Avec la généralisation des mariages d’amour, les couples ont d’avantage réclamé
une certaine intimité. C’est la nucléarisation de la famille. Les couples ont eu besoin
d’indépendance, avec la Haute Croissance chacun réclame sa propre voiture, « my car »
selon l’expression japonaise consacrée, sa propre maison, et les féministes en 1965
d’ajouter « mais sans la grand-mère», c’est-à-dire la belle-mère, qui vit plus longtemps que
son mari, et que la femme de l’aîné devait accueillir dans son foyer pour la prendre en
charge.
On peut distinguer trois étapes de la montée de l’individualisme au Japon. D’abord le
retrait de la sphère publique : shijika (���), qu’on peut traduire par privatisation. Lors de la
période de Haute Croissance, en réaction à la segmentation du travail, la fonctionnarisation,
la systématisation et la mécanisation du travail, l’individu se serait replié dans la sphère
privée pour ne pas perdre son identité. Ensuite, par l’individuation, kobetsuka (���),
l’individu se replie sur lui-même au sein du groupe privé. On installe une télévision dans
les chambres individuelles, on prend ses repas seul par exemple. Enfin, avec le processus
d’individualisation, kojinka (���), on veut vivre selon ses envies, ses propres préférences.
C’est pour les deux derniers phénomènes la fin de la standardisation face au refoulement
des valeurs, des modes de vie et des comportements. Alors au sein de la famille, ce sont
des « chocs entre des valeurs individualistes » : on ne cherche pas à comprendre ou à aider
l’autre, alors même que l’esprit familial traditionnel est tout le contraire. Les sondages sont
en ce sens éloquents. A la déclaration « je veux un espace qui me soit propre au sein de
la famille » 80% des épouses et 70% des hommes acquiescent en 2000. Ce phénomène
d’individuation apparaît même au sein du couple : 90% des femmes, et 75% des hommes se
retrouvent dans l’affirmation « même si je suis en couple, je veux être moi ». (Sodei, 2003)
Avec cette nucléarisation de la famille, les Japonais ont perdu le sentiment de sécurité
attaché au foyer. Les familles à bas revenus sont apparues, qui seront d’autant plus
sensibles aux coûts qu’engrangent un enfant comme nous le verrons. C’est pourquoi en
période de crise, le taux de cohabitation des couples mariés avec leurs parents remonte :
les loyers étant extrêmement élevés, les jeunes couples préfèrent patienter, avant ou après
le mariage dans le cas du calcul qui nous intéresse, pour s’installer seuls. Ce taux est ainsi
remonté à 29% en 2002 (Ogawa et Retherford, 2005 p.13).
Selon certains auteurs, la nucléarisation de la famille, l’individualisation et l’urbanisation
ont fabriqué des familles « sans héritage » qui n’ont guère soucis des générations,
16
Dubois Charlotte - 2009
I. Les normes sociales de la famille en porte-à-faux avec les évolutions modernes de sa forme : le
« quiproquo sur l’individualisme Garrigue, 2000 p.29-30. » qui pèse sur la natalité.
précédentes comme futures (Shimizu, 2004). D’ailleurs, un sondage du Mainichi Shinbun
montre que les Japonais attendent de moins en moins de leurs enfants qu’ils s’occupent
d’eux plus tard : ils étaient 18% en 1990 et seulement 11% en 2004 à avoir une telle
10
opinion . Certains estiment qu’Okinawa est le champion japonais de la natalité car l’île a
su conserver l’esprit de la communauté, et donc de la famille (Shimizu, 2004).
Ces mêmes auteurs s’intéressent enfin à la maison en tant que telle, et à la vision de
l’enfant. Selon eux, l’enfant peut considérer la maison familiale comme une « pension ».
Il la quitte très tôt le matin pour aller à l’école bien loin de chez lui, il n’y rentre que tard,
après les activités de club et les cours privés juku. Auparavant, la maison était un lieu de
rencontre, représentée par le repas familial, qualifié de simple « souhait » aujourd’hui par
les auteurs. On étudiera plus bas le rapport au temps passé ensemble par la famille : il est
pourtant jugé suffisant pour 82,4% des personnes interrogées par le Cabinet en 2008. Les
Japonais semblent donc bien avoir changé d’attitude face à la dialectique groupe-individu.
Finalement, l’image idéale et traditionnelle de la famille japonaise unie sous le même
toit et dont la mère prend un soin délicat, s’est érodée face à la montée de l’individualisme.
Ainsi, si on veut résumer la vision de la transformation de la famille japonaise après les
nombreuses lectures qu’on a pu effectuer, on aurait un portrait acerbe de chacun de ses
membres. Les grands-parents, dont on fait fi de la sagesse, sont devenus soit de grands
enfants égoïstes qui ne pensent qu’à profiter de leur retraite et refusent même de garder
leurs petits-enfants, soit des poids dont plus personne, et surtout plus la fille ou la belle-fille,
ne veut s’occuper. Le père est passé du rôle d’autorité crainte comme le séisme, le tonnerre
et l’incendie selon un ancien proverbe japonais, à celui de gagne-pain absent. La mère n’est
plus une mère-pélican comme la Meiji Mama décrite par Jolivet, mais une femme égoïste
qui préfère faire moins d’enfants. L’enfant lui n’est plus l’innocent choyé mais le petit roi trop
gâté mais seul, acharné comme son père dit Jolivet, incapable de s’affirmer arrivé à l’âge
adulte. On va alors chercher à savoir si cet individualisme est le même que celui qui a mené
l’Occident à la Deuxième Transition Démographique.
B. Quid de la Deuxième Transition Démographique au
Japon ?
1. Les aboutissants sans les tenants
On a déjà défini en introduction la Seconde Transition Démographique théorisée par Van
De Kaa. Il expliquait que la généralisation des moyens de contraception, la sécularisation,
et l’individualisation des sociétés avaient entraîné une perte de vitesse de l’institution
du mariage couplée à une révolution sexuelle. D’une part, les rapports sexuels se sont
détachés du mariage, et d’autre part de nouveaux modèles de couples ont été socialement
créés et validés, des couples tournés vers le bien-être matériel et vers un rapport d’égalité
entre eux, qui contrôlent les naissances grâce à une généralisation des moyens de
contraception hormonaux fiables. Finalement, cela a entraîné une forte baisse des taux de
natalité, couplée au vieillissement de la population, dont les conséquences ne pourraient
10
Mainichi Shibun, Enquête Nationale sur le Planning Familial de 1990 et Enquête sur la Population, les Familles et les
Générations, 2004, citées par Ogawa et Rehterford, 2005 p.18.
Dubois Charlotte - 2009
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La crise de la fécondité au Japon
être contrebalancées que grâce à un phénomène d’« immigration de renouvellement », pour
éviter le dépeuplement. Le graphique représentant le taux de natalité et le taux de mortalité
en fonction du temps élaboré par Ogawa et Retherford, 2005 p.2, illustre parfaitement
la théorie de la Seconde Transition Démographique, où la mortalité dépasse la natalité,
entraînant le dépeuplement. La théorie semble donc se calquer parfaitement sur le cas
japonais.
Taux de natalité et de fécondité au Japon (1900-2040)
Cette analyse doit être doublée de celle du célèbre historien des mentalités Philippe
11
Ariès sur l’histoire de l’enfance. Selon lui, les couples en Occident ont changé d’attitude
face aux enfants, face à leur enfant. Avant le XXème siècle et l’avènement des méthodes
modernes de contrôle des naissances, les couples se mariaient dans le but d’avoir des
enfants. C’était une question de descendance, les relations sexuelles étaient intimement
liées au mariage. Les couples étaient « king-child » selon les termes d’Ariès. Avec la baisse
de la mortalité infantile et le contrôle des naissances, la vie de l’enfant a pris plus de valeur.
Dans la deuxième moitié du XXème siècle, avec la montée de l’individualisme qui amène un
souci d’égalité entre hommes et femmes, les individus en sont venus à se mettre en couple
pour des raisons personnelles, d’ordre sentimental. Un couple est devenu une association
de deux semblables : il est « king-pair ». La naissance d’un enfant elle-même est devenue
un choix strictement personnel, lié au bien-être du couple, tant matériel que relationnel.
Selon la thèse de Philippe Ariès, on est passé du couple« king-child », l’enfant-roi, à l’âge du
« king-pair », le couple-roi. Ce passage de la très haute considération des désirs de l’enfant
à celle de la très haute considération des désirs du couple aurait entraîné une baisse de la
fécondité. Cela participe alors de la Seconde Transition Démographique.
Makato Atoh en 2001 compare précisément le cas démographique japonais et la théorie
de la Seconde Transition Démographique. On sait que le Japon est dans la situation finale
11
18
Two successive motivations for low fertility, 1980.
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I. Les normes sociales de la famille en porte-à-faux avec les évolutions modernes de sa forme : le
« quiproquo sur l’individualisme Garrigue, 2000 p.29-30. » qui pèse sur la natalité.
décrite par celle-ci d’un très bas taux de fécondité doublé d’un vieillissement de la population
qui entraîne un dépeuplement. Etudions alors les conditions qui devraient y avoir mené le
Japon, en suivant le schéma de la Seconde Transition Démographique.
Tout d’abord, on a vu plus haut la montée de l’individualisme au Japon. Le rapport à
l’enfant aurait ainsi évolué en ce sens. Classiquement, dans le Shintoïsme, on considérait
que l’enfant était une créature envoyée par les Dieux qui pouvaient la reprendre jusqu’à
l’âge de sept ans. C’était sans doute un moyen d’expliquer la mortalité infantile. Aujourd’hui,
selon Hiroaki Shimizu, l’enfant n’est plus un cadeau que l’on reçoit des Dieux, mais un bien
que l’on choisit d’acquérir, que la médecine peut « fabriquer ». L’enfant n’est plus un bien
commun mais privé, dépendant entièrement des parents, qui par là ressentent un poids
accru par rapport à lui. Aujourd’hui, estiment-ils, les couples veulent des enfants « parce
que c’est mignon », et pas en ce souciant des générations futures ou précédentes. Si on
suit leur avis, le Japon est bien passé du côté king-pair décrit par Ariès. De même, selon
Ogawa et Retherford, 2005 la révolution sexuelle a bien eu lieu au Japon : l’âge au premier
rapport a diminué, le sexe a lieu avant le mariage. Le pourcentage d’étudiants déclarant
avoir eu des rapports sexuels est passé de 23% en 1974 à 63% en 1999 chez les hommes,
et de 11% à 51% chez les femmes. La volonté des célibataires de profiter de leur vie en tant
que tels témoigne de la volonté d’une égalité accrue au sein du couple, notamment du côté
des femmes, mieux éduquées. On serait donc tenté de raccrocher le Japon au groupe des
pays occidentaux ayant effectués une Seconde Transition Démographique.
Néanmoins, Makato Atoh en 2001 tend à démontrer le contraire. Nous éclairerons
l’analyse de son texte d’éléments lus ailleurs. En premier lieur, au niveau religieux, la
vénération des ancêtres a perdu du terrain. La maison et les ancêtres ont la place numéro
neuf sur dix propositions dans les choses les plus importantes dans sa vie depuis 1958 dans
les White Papers on the National Lifestyle.
De plus, l’ouverture aux comportements hors norme – hors mariage – en matière de
couple n’a pas eu lieu. L’auteur a identifié peu de changement depuis la Guerre. Il démontre
en effet le blocage de la révolution sexuelle japonaise par la généralisation de moyens
de contraception « male-dominant », contrôlés par les hommes comme le préservatif, le
retrait, plutôt que « female-dominant » (Atoh, 2001 p.2), plus sûrs et contrôlés par la femme
comme la pilule et le stérilet, facteurs d’émancipation sexuelle puis sociale. Les femmes
japonaises seraient ainsi conservatrices ou hésiteraient à prendre des initiatives en matière
sexuelle, ce à quoi les aurait poussées un moyen de contraception « female-dominant » tel
que la pilule. Le Japon ne s’est ouvert que très tard à ces derniers moyens de contraception,
comme nous l’étudierons en détail plus tard. Par conséquent, le sexe avant le mariage
est trop risqué en terme de grossesse. Ainsi, Atoh rappelle que le taux de jeunes femmes
de vingt ans ayant des rapports sexuels au Japon est de 50% contre 80 à 100% dans la
plupart des pays Occidentaux. Les moyens de contraception female-dominant étant la clef
d’une possibilité de couple hors-mariage, le Japon garde le mariage comme seule forme
socialement acceptée et toujours incontournable de couple.
En ce qui concerne le rapport d’égal à égal, on s’évertuera à montrer son absence
au sein du couple japonais, même si on sera amenée à nuancer ce constat. Nous nous
contenterons de citer ici une phrase de l’auteur : « le constat selon lequel la participation
des hommes dans les tâches domestiques et l’éducation des enfants est extrêmement
limitée, et la conscience profonde des femmes de l’immuable division sexuelle des tâches
ont sans doute dissuadé les femmes non mariées de s’investir ne serait-ce que dans un
12
concubinage ».
12
Atoh, 2001 p.6, emphase ajoutée.
Dubois Charlotte - 2009
19
La crise de la fécondité au Japon
Enfin, la description seule des impératifs dictés à la mère japonaise par le discours
ambiant sur son rôle comme on l’a décrit à l’aide de l’ouvrage de Muriel Jolivet en 1993,
tend à montrer combien la vie du couple est encore child-oriented. Le couple est poussé
à la naissance, on l’a vu ; la vie de la mère tourne uniquement autour de son enfant, qui
s’insinue jusque dans le lit conjugal. On conviendra alors que le couple japonais en est resté
au stade du king-child.
On vient donc de montrer que si le cas démographique japonais est bien relié à la
Deuxième Transition Démographique par le constat qui lui est attaché, on ne retrouve
néanmoins pas la plupart des phénomènes en amont des conséquences décrites par la
théorie. Le Japon connaît bien les aboutissants, mais pas les tenants de cette transition
démographique qui touche la plupart des pays occidentaux. Le reste de cette étude
détaillera ce constat qu’on établit ici comme un préambule. On cherchera en effet à montrer
progressivement les particularités du cas japonais, les poids sociaux, puisque c’est là le
domaine causal principal de la Deuxième Transition Démographique, qui pèsent sur les
couples tout au long de leur vie.
2. Le « quiproquo sur l’individualisme »
13
L’un des aspects principaux de la Deuxième Transition Démographique réside dans
l’individualisation des sociétés modernes, qui, de paire avec le contrôle des naissances, a
mené à la privatisation de la prise de décision du couple, en ce qui concerne à la fois la
forme qu’il choisira et la naissance éventuelle d’un enfant. Le portrait acerbe que l’on a tiré
de la nouvelle famille japonaise a un trait de commun pour chaque membre de celle-ci :
l’individualisme. Importé d’Occident à l’ère Meiji comme le prouve l’inexistence du mot en
japonais auparavant, il est montré du doigt pour expliquer de nombreux maux dont souffre
le Japon aujourd’hui. La crise de la fécondité ne fait pas exception. Mais l’individualisme
n’a pas provoqué ailleurs le même type de conséquences. L’individualisme japonais diffèret-il de l’individualisme occidental classique ? En quoi joue-t-il un rôle dans la dénatalité
japonaise ? On va s’attacher ici à définir l’individualisme dans le cadre japonais, avant
d’étudier le quiproquo qui en résulte. On explorera d’une part un individualisme constructif
et d’autres part un individualisme montré du doigt par les différentes sources qu’on a pu
lire car il va à l’encontre de la société. On vérifiera alors le paradoxe de l’individualisme à
la japonaise.
On va d’abord étudier les termes japonais pour décrire l’individualisme, comme on a
vu ceux pour parler du processus d’individualisation. On s’appuiera ici de l’étude effectuée
par Anne Garrigue (p.56 à 58). Le mot « individu » (ichikojin) n’est apparu au Japon qu’à
l’ère Meiji. La notion n’est reconnue qu’en 1946 par l’article 1 de la Constitution. En effet,
dans la mentalité japonaise classique, empreinte de ruralité et de confucianisme, c’est
l’idée du groupe qui prime sur l’individu. Même dans la société moderne, la différence
n’est pas valorisée en soi. Elle est acceptée chez les autres. En parallèle se développe
un individualisme égoïste qui ne ressemble pas à l’individualisme occidental, qualifié de
« kojinshugi » (kojin, individu, shugi, principe). Avec l’expression « jibunrashii », composé
des mots « jibun », soi-même, et « rashii », sembler, comme le résume l’auteure, il s’agit
d’ «être soi-même sans se séparer des autres », pour ne pas se faire frapper par le marteau
en étant le clou qui dépasse, selon un proverbe japonais. On veut s’affirmer, faire ressortir ce
qu’on est soi-même (jibun), sans être isolé par rapport au groupe. On s’exprime davantage
13
20
Garrigue, 2000 p.53.
Dubois Charlotte - 2009
I. Les normes sociales de la famille en porte-à-faux avec les évolutions modernes de sa forme : le
« quiproquo sur l’individualisme Garrigue, 2000 p.29-30. » qui pèse sur la natalité.
pour ressembler à son moi authentique. On est plus « naturel» ». Les media y incitent
les Japonais et les Japonaises, à travers la publicité par exemple. Pour traduire la volonté
grandissante des Japonaises d’indépendance par rapport à la famille, aux pères, aux chefs,
on parle de « jiritsu », de « ji » soi-même et « ritsu », tenir debout. On rend généralement
ce terme par indépendance en français. Les femmes prennent leurs propres décisions,
à tel point que certaines, ne voulant dépendre de rien ni personne, ne se marient ni ne
font d’enfants. Enfin, le terme le plus utilisé pour désigner les jeunes femmes célibataires
selon l’auteur, est «wagamama», de « waga » égo, et « mama », tel quel. Cela désigne
«un égocentrisme enfantin, irrationnel et capricieux», semble-t-il typiquement japonais,
contrairement au « kojinshugi ». Les jeunes japonaises seraient égoïstes (« wagamama »)
tandis qu’avec l’âge, elles seraient plus raisonnables, dans le cadre du « jibunrashii ».
L’individualisme est ainsi condamné s’il menace le groupe. Or la famille est la cellule qui
fonde le groupe. Si une femme a des aspirations individualistes, elle menace la famille et
par là le groupe. En effet, on peut considérer que les jeunes femmes qui décident de ne
pas se marier ni d’avoir d’enfant pour des raisons wagamama (faire carrière) menacent la
société (le taux de natalité baisse). Mais dans d’autres sociétés, faire carrière n’est pas
une aspiration égoïste mais individualiste. C’est ce que l’auteure appelle le « quiproquo sur
l’individualisme ». Les femmes japonaises aspirent simplement à être femmes au-delà de
leur rôle de mères-épouses. On va à présent s’attacher à montrer ce « quiproquo ».
Selon certains auteurs japonais, l’individualisme importé de l’Occident est la cause des
maux démographiques du Japon.
D’après Yagi Hidetsugu en 1999, la cause principale de la dénatalité, c’est
« [l’]éducation qui a réussi à convaincre [les Japonais] de l’importance de la liberté
individuelle et de la richesse matérielle ». Ainsi, les femmes sont trop préoccupées par leur
vie personnelle, leurs envies de carrières et choisissent de faire passer leurs aspirations
égoïstes devant le souci pour le futur : « pour [celles] qui trouvaient la tâche trop pénible,
on a même proposé des garderies ». Les jeunes en général préfèrent jouir de leur liberté
et de leur aisance matérielle de célibataire habitant chez ses parents et refusent de se
mettre en danger en s’engageant dans une vie de couple. L’auteure refuse d’envisager une
diversification des modèles sociaux des couples par les naissances hors-mariage, qu’elle
associe quasi-exclusivement aux mères célibataires : ce type de relations retarderaient
davantage les naissances et les mariages. Or les mères non mariées pourraient être en
couple, partie prenante d’un foyer de concubins avec des enfants. Elle considère que le
concubinage étant une relation moins sérieuse que le mariage, le risque de séparation
est plus élevé. De plus, et Muriel Jolivet en 1993 déjà faisait état de telles réflexions,
les naissances hors mariage menaceraient la stabilité sociale par une recrudescence des
crimes, de la délinquance, des problèmes de drogues. La quasi-absence de naissances
hors mariage au Japon relève d’un « sens moral développé ». Au-delà, le Japon risquerait
de connaître un délitement des liens familiaux et une absence du père. Enfin, elle met en
accusation l’Etat Providence subventionnant les naissances en expliquant qu’en Suède,
« la maternité et l’éducation des enfants à charge sont devenues tellement tributaires de
l’Etat que les gens ont décidé d’avoir moins d’enfants lorsque les fonds publics se sont taris
du fait de la récession ». Elle en appelle au modèle français, quand De Gaulle a opéré
une « révolution psychologique » pour redresser le pays en « pens[ant] aux générations à
venir ». Il nous est impossible de ne pas contredire cette opposition entre la Suède et la
France, qui ont des systèmes de prise en charge des naissances comparables. Et l’auteure
de conclure : « ne pensons pas qu’à la liberté et la richesse, mais au monde après nous ». On
aura l’occasion de démontrer que la diversification du modèle social du couple est pourtant
l’une des grandes libertés qui pourraient permettre au Japon de remédier à la crise de la
Dubois Charlotte - 2009
21
La crise de la fécondité au Japon
fécondité ; que les liens familiaux moins forts encouragent la maturité et l’indépendance
des jeunes ; que l’absence du père est d’ores et déjà un des problèmes principaux de la
famille japonaise.
D’autres auteurs considèrent que par ce processus d’individualisation et de
rationalisation économique des comportements, l’enfant est apparenté à un « bien de
consommation durable » selon les termes de Makato Atoh en 1996. Auparavant, ils étaient
des « avoirs productifs » dans l’optique de soins reçus en retour au moment de la vieillesse.
A présent, il s’agit de choisir d’avoir un enfant en terme d’investissement, et ces biens de
consommation étant « fort chers » comme l’écrit l’auteur, il n’apparaît que peu rentable de
se lancer dans cette démarche. On ajoutera qu’au-delà du coût matériel, il apparaît que
la naissance en général manque d’attrait : nous montrerons plus tard que ce n’est pas
l’individualisme qui coince dans ce problème.
De même, en ce qui concerne l’analyse de Philippe Ariès sur les couples king-child
ou king-pair, Yashiro Naohiro en 1996 estime également que le mariage n’est plus une
nécessité économique mais individuelle, du fait du déplacement de l’unité de production
de la famille à l’individu salarié dû au développement économique. Ainsi, une relation plus
horizontale –de type king-pair – aurait remplacé la relation verticale entre les parents et les
enfants – un couple plutôt orienté king-child. Or on a déjà montré à quel point la relation
entre les parents était polarisée par l’éducation des enfants. On étudiera précisément la
relation non égalitaire entre les parents pour montrer que l’absence de relation horizontale
entre les deux membres du couple.
Enfin, en terme d’individuation, « la philosophie [des Japonais] envers leur vie
personnelle » a bien évolué selon Atoh en 2001. Alors que le dévouement à la société était
majoritaire en 1953, il arrive en dernière position en 1993, septième sur dix en 2003. Les
chiffres cités ensuite par l’auteur diffèrent de ceux présentés par le White Paper on the
National Lifestyle 2008 (p.9). « Vivre selon ses goûts » a augmenté de 20% en 40 ans ,
et arrive en première position en 1993. Selon le white paper, il était en première position
en 1958 mais reste deuxième depuis la fin des années 1970. Reste que la sécularisation,
autre pendant de la Deuxième Transition Démographique, et individuation se sont moins
imposées que dans les pays occidentaux. Par exemple, sur la même période, les Japonais
qui pensaient que «les individus n’[allaient] mieux que quand le Japon avan[çait] » et ceux
qui pensaient à l’inverse que « le Japon avan[çait] seulement lorsque les individus [étaient]
heureux » ont peu évolué. De même, les aspirations à vivre seulement pour satisfaire ses
projets n’ont pas progressé face aux aspirations de ne pas vivre seulement pour soi mais
en étant utile pour la société (Atoh, 2001 p.7). Enfin, l’auteur évoque la persistance de
liens familiaux très resserrés. Ce qui est à la tête des choses les plus importantes pour les
Japonais selon les Etudes Statistiques Mathématiques est bien la famille, passée devant
les aspirations personnelles et les affects et le psychisme à la fin des années 1970 et en
constante augmentation depuis. Le taux de répondant cochant cette option est passé de
11% environ en 1958 à 45% en 2003.
Finalement, Takako Sodei établit en 2003 une concurrence entre d’un côté le personal
network et les aspirations personnelles des individus et de l’autre le couple. Effectivement,
on a déjà évoqué les besoins exprimés par les Japonais d’avoir une identité propre au
sein du couple. C’est cette conception de l’individualisme qui semble menacer le couple
et non pas l’individualisme en soi. Si s’assumer et s’affirmer implique nécessairement de
négliger l’Autre, alors en effet, l’individualisme entre en contradiction avec l’idée même
de couple, de famille, d’enfants. Une meilleure acception de l’individualisme est celle qui
pousse des associations à faire des conférences sur le work-life balance dans les universités
22
Dubois Charlotte - 2009
I. Les normes sociales de la famille en porte-à-faux avec les évolutions modernes de sa forme : le
« quiproquo sur l’individualisme Garrigue, 2000 p.29-30. » qui pèse sur la natalité.
afin d’encourager les étudiants, qui entrent peu après dans la vie active, à s’écouter et
14
écouter leur famille pour exister en dehors de leur travail . C’est également celle qui pousse
les Occidentaux à rechercher l’âme sœur dans l’association en un couple, à voir dans la
fondation d’une famille l’aboutissement d’une relation arrivée au moment opportun pour se
prolonger dans une naissance. La psychologue américaine exerçant au Japon Ana Kishida,
citée par Anne Garrigue p.286, explique que la vision du couple japonaise est plus orientée
vers la perpétuation d’une lignée, le maintien de la tradition et la construction d’un foyer
avec des enfants. On revient à cette idée de devoir familial attaché à la naissance. On voit
donc bien se dessiner les contours du « quiproquo sur l’individualisme » évoqué par Anne
Garrigue. Le Japon manque d’individualisme dans le sens où il faut savoir, face aux rôles
que la société dicte – salaryman, épouse, mère – s’affirmer pour exister en soi – homme
et femme. Mais d’un autre côté, un individualisme exacerbé qui se rapproche de l’égoïsme
menace l’équilibre de la vie des Japonais lorsque l’Autre est vu comme une menace à son
identité, à son bien-être aussi bien matériel – le coût d’un enfant, on le verra, est parfois
insurmontable – que psychologique – c’est le manque de liberté qui repousse le plus les
15
célibataires à l’idée de se marier . Cette schizophrénie individualiste est bien illustrée dans
le film Tôkyô Sonata réalisé par Kurosawa Kiyoshi en 2008. Une famille est disloquée par
les aspirations de chacun, qu’ils refusent de partager les uns avec les autres, soit parce
qu’on a refusé de les écouter – le cadet prend des cours de piano en les payant avec
l’argent de la cantine, soit parce qu’on en a honte – le père se fait licencier et finit par
accepter un poste de technicien d’entretien dans un centre commercial. A la fin du film,
la famille se recompose, car tous ont été obligés de partager leurs avis, leurs projets, et
les ont mutuellement acceptés. Le sort de la mère sera évoqué plus bas. On entrevoit ici
les premières contradictions démontrées par le sujet : d’une part entre un mode de vie
traditionnel dont « le prix à payer en ce cas de maintien […] sera de plus en plus lourd pour
la société » (Yashiro, 1996) et la nécessité de s’affirmer en tant qu’individu, et d’autre part
entre aspirations individualistes et égoïsme.
On a donc fait un préambule pour établir les premières contradictions qui sous-tendent
la crise de la fécondité au Japon. Le couple est enfermé dans un carcan social qui définit
les rôles de chacun ; les aspirations personnelles des individus entrent en conflit avec
celui-ci, au point qu’ils rejettent toute idée de couple ou d’enfant qui pourrait menacer
leur bien-être. Ce paradigme se retrouvera tout au long de notre étude, que nous avons
voulu faire suivre le processus d’association d’un couple japonais. On veut y déceler les
dysfonctionnements qui éloignent les Japonais soit du couple, soit d’une vie de couple qui
leur donne la possibilité et l’envie d’avoir des enfants. Nous allons entamer le cheminement
par ce qui précède la formation du couple. Quelles sont les relations qu’entretiennent les
jeunes japonais entre eux ? Pour étudier ces relations avant le mariage, on s’attardera sur
l’histoire du contrôle des naissances : on considère en effet que l’utilisation de certains
contraceptifs est déterminant pour une société, notamment pour la division sexuelle des
rôles qu’elle implique. Ensuite, nous mettrons en relation les critères de séduction des
jeunes avec l’avancée des femmes dans la société : plus les femmes accèdent à la sphère
publique, plus elles sont exigeantes envers les hommes. Ceci a des conséquences sur le
taux de célibat. Nous ferons la transition avec ce thème, qui appartient à la partie suivante,
en concluant celle-ci sur la vie de célibataire que prolongent les Japonais avant même de
se lancer dans une expérience de couple.
14
15
A l’image de la conférence sur le work-life balance de l’Université de Mie.
Avantage du célibat : liberté dans la façon de vivre et d’agir pour 70% des célibataires interrogés par la 13
ème
Iwasawa,
2008a.
Dubois Charlotte - 2009
23
La crise de la fécondité au Japon
II. Les relations avant le mariage : mieux
vaut rester chacun chez ses parents
A. Les usages en terme de contraception comme
déterminant des relations hommes-femmes : le Japon
male-oriented par une pratique contraceptive maledominant
On a étudié plus haut la distinction faite par Makato Atoh en 2001 entre les contraceptifs
male-dominant et female-dominant. Les premiers, contrôlés par les hommes, sont d’une
efficacité moindre que les seconds, instruments de libération sexuelle puis sociale de la
femme. Au Japon, les premiers sont les plus utilisés par les 60% des femmes mariées
ayant recours à la contraception. Ainsi en 2004, environ 80% des couples mariés utilisant
un moyen contraceptif, disaient avoir recours au préservatif, 30% au retrait, et 10% environ
à la méthode Ogino, qui consiste à calculer l’hypothétique période la plus féconde du
cycle afin d’y éviter les rapports sexuels à risques. Le préservatif reste le contraceptif
de prédilection des Japonais, utilisé par 80,3% des hommes et 73,7% des femmes. La
pilule a été rencontrée par 0,8% des hommes et utilisée par 1,4% des femmes célibataires
seulement. Par conséquent, les risques de grossesse sont élevés. Le taux d’échec des
méthodes contraceptives classiques (préservatifs, spermicides, diaphragmes) est de 12 à
21%. Ainsi, 14% des femmes utilisant un moyen de contraception en 1997 en combinaient
deux voire trois (Satô, 2006). Le gynécologue Kunio Kitamura fait le même constat :
« *le préservatif* devrait être utilisé comme une méthode préventive contre le SIDA et
non comme une méthode contraceptive ». (Jolivet, 2000 p. 141)
La pilule n’a été autorisée qu’en 1999, or comme le montrent les études de Joseph
Potter cité par Tiana Norgren, lorsqu’un moyen de contraception s’est imposé, qu’une
chaîne d’événements historiques a renforcé et entretenu sa pratique, il est très difficile d’en
imposer un nouveau, quels que soient les progrès qu’il représente. C’est la théorie du « path
dependant ». Ainsi, malgré l’apparition de la pilule mini-dosée, très sûre et plus efficace,
les Japonaises ont toujours recours aux méthodes traditionnelles. De plus, les interruptions
volontaires de grossesse (IVG) ou avortements sont nombreux au Japon. 320 000 femmes
y ont recouru en 2003, mais en 1955 on a atteint un pic de 1,17 millions de cas. Malgré la
diffusion des moyens de contraception et la légalisation de l’IVG dès 1948, certains auteurs
estiment que 40% des grossesses sont non voulues ou non planifiées ; qu’en 1995 25%
des femmes mariées avaient subi au moins une IVG dans leur vie. Ainsi, le Japon a un
rapport à la contraception inverse de celui des autres pays développés. D’une part, il a
légalisé l’avortement avant la pilule, de sorte que l’IVG s’est généralisée au titre d’un moyen
de contraception, alors qu’ailleurs il est considéré comme un dernier recours si le moyen
24
Dubois Charlotte - 2009
II. Les relations avant le mariage : mieux vaut rester chacun chez ses parents
de contra-ception utilisé a failli. D’autre part, la contraception a permis à la femme, dans
la plupart des pays développés, de revendiquer un droit au contrôle de son corps, qui a
amené à terme un rapport plus égalitaire entre les individus hommes et femmes. Quelles
sont les raisons historiques qui ont mené les Japonais à avoir un comportement contraceptif
si original par rapport aux autres pays développés, où le taux d’utilisation de la contraception
est plus élevé et les moyens choisis sont ceux les plus sûrs comme la pilule et le stérilet ?
On verra d’abord la théorie générale défendue par Tiana Norgren sur la politique de la
contraception au Japon depuis Meiji. Ensuite, on étudiera précisément les différentes étapes
du contrôle des naissances au Japon, par l’autorisation de l’avortement, le cas de la pilule
et enfin l’histoire du planning familial.
En réalité, les pouvoirs publics ont joué avec le contrôle des naissances comme
avec tout autre domaine de la politique, dans le but de servir l’intérêt du pays. Tiana
Norgren prouve que l’Etat et les groupes d’intérêts ont modelé la politique de l’usage
des contraceptifs en ayant pour objectif de servir leur cause. Chercheuse en science
politique, elle montre qu’à chaque tournant de la politique de la contraception, tel ou
tel groupe de pression profitait de « fenêtres d’opportunité » pour faire coïncider ses
revendications propres avec l’intérêt du pays. Ainsi, pendant la guerre, le Ministère de la
Santé et du Bien-Être (MHW, aujourd’hui Ministère de la Santé, du Travail et du BienÊtre, MHLW) a-t-il encouragé les naissances, dans le but de servir la politique militariste
du Japon impérialiste. De même, la concurrence sur le marché des contraceptifs, entre
les obstétriciens-gynécologues (ob-gyn) et leur groupe d’intérêts Nichibo, et les médecins
associés dans la Japanese Medical Association (JMA) à des fins plus politiques que
médicales, a été décisive dans le processus de légalisation de la pilule. Mais le lien entre
les politiques et les groupes d’intérêts est tel que souvent en effet, les intérêts des uns se
confondaient avec ceux des autres. On prendra pour exemple type Taniguchi Yasaburô,
président du Nichibo jusqu’en 1963, et président de la JMA de 1950 à 1952. Il a également
été député dès 1947. 30 à 40% des hommes politiques dans les années 1980 étaient
issus des groupes d’intérêts. Lorsque nous avions commenté l’ouvrage de Norgren, nous
en avions tiré le schéma suivant pour décrire les relations entre l’Etat et les groupes de
pression :
Relations entre l’Etat et les groupes de pression au Japon
Dubois Charlotte - 2009
25
La crise de la fécondité au Japon
Toute l’histoire de la politique de la contraception qu’elle décrit fait état de ce rapport
complexe entre l’Etat et les groupes de pression. Cette interpénétration va avoir des effets
directs sur l’historicité de la pratique contraceptive japonaise. On va étudier les mouvements
historiques et politiques accompagnant la légalisation de l’avortement, puis de la pilule,
avant de s’intéresser à l’horizon général du planning familial à la japonaise.
1. « L’avortement plutôt que la contraception »
Dans cette approche de l’histoire contemporaine de l’avortement au Japon, on va voir
successivement l’originalité de sa légalisation en 1948, puis les trois mouvements de
révision menant à la modification de la loi de 1948 en 1996. Enfin, on réfléchira sur le rapport
des Japonaises à l’avortement ainsi induit par une politique permissive en la matière, en
opposant le point de vue de deux auteures, Tiana Norgren et Muriel Jolivet.
L’avortement est autorisé jusqu’à 22 semaines, contre 14 semaines d’aménorrhée en
France. Ici, un avortement opéré dans le délai légal est une Interruption Volontaire de
Grossesse, IVG, légalisée par la loi Veil de 1975. Au-delà des 14 semaines, on peut subir
un avortement thérapeutique en cas de mise en danger de la vie de la mère, ou si le fœtus
16
est atteint d’une maladie incurable et qu’il risque fortement de mourir à la naissance . Tout
autre type d’avortement est pénalisé. Le terme avortement peut même évoquer une fausse
couche. Il faut donc parler d’avortement provoqué dans le cadre légal, ou d’IVG pour traduire
le terme « abortion » qu’utilise l’auteur. On utilisera également le terme simple d’avortement,
mais il faudra alors comprendre de la même façon IVG ou avortement provoqué légal. Ce
processus eut lieu très tôt au Japon, d’abord dans un esprit teinté d’eugénisme. Dès 1940,
il s’agissait d’encourager les plus riches d’avoir des enfants, et d’empêcher les plus pauvres
de se multiplier. C’est la première apparition d’un des paradigmes qui va influencer la
politique du contrôle des naissances. Il s’agit de la peur de la sélection adverse, par laquelle
en encourageant la contraception, ou ici, l’IVG, les plus riches, mieux informés, auraient
plus facilement accès à celle-ci, tandis que les plus pauvres n’y auraient pas recours. La
Loi sur l’Eugénisme National est votée qui évoque sans l’autoriser clairement l’IVG pour
des raisons eugéniques pour les couches les plus pauvres de la population, dans l’intérêt
national. A l’époque, c’est la « guerre de populations » (« population war ») de Mussolini.
Après la guerre, le Japon est menacé par la pauvreté. En se référant aux vieilles théories
malthusiennes, une population croissante met en danger la stabilité économique du pays.
La population japonaise augmente de 11 millions d’habitants entre 1945 et 1950. Pour
l’occupant américain MacArthur, c’est la stabilité politique qui risque d’être mise en cause
par un accroissement de la pauvreté provoqué par un accroissement de la population : en ce
début de Guerre Froide, il faut ne pas laisser une once de terrain fertile au communisme. La
Loi de Protection Eugénique est ainsi passée en 1948 pour empêcher le Japon de sombrer
dans la misère. Cette loi a un objectif inverse de celle de 1940 : il s’agit d’empêcher les
naissances, mais c’est toujours dans l’intérêt du pays.
L’intérêt du pays était doublé de l’intérêt des groupes de pression. La JMA et le Nichibo
se sont ainsi affrontés pour savoir qui aurait le monopole de la pratique des avortements.
C’est le Nichibo qui remporte le combat politique. En établissant ainsi un monopole pour
les ob-gyn, la course à l’expansion du droit à l’avortement en défaveur de tout autre moyen
de contrôle des naissances qui pourrait diminuer les profits ainsi engrangés est lancée. Le
marché noir des IVG est ainsi rendu inutile, ce qui permet bien sûr d’améliorer les conditions
de traitement des femmes qui avortent. D’autres auteurs rappellent que le gouvernement
16
26
Encyclopédie Encarta 2004.
Dubois Charlotte - 2009
II. Les relations avant le mariage : mieux vaut rester chacun chez ses parents
avait en tête de protéger les femmes mises enceinte conte leur gré par les colons de
retour des territoires occupés par l’Empire (Muramatsu, 1996). D’ailleurs, les féministes de
l’époque ne s’alarment pas de voir ce droit manipulé à des fins politiques et commerciales.
Leur discours est en effet plutôt teinté de maternalisme, qui donc ne considèrent pas l’IVG
comme un combat de femme-mère. Norgren rapporte que les ob-gyn vont vendre l’IVG
jusque dans les conférences sur le contrôle des naissances, ce qui contribue à lui donner
l’image d’un moyen de contraception comme un autre.
En conséquence, le nombre d’IVG augmente fortement. D’autant que dès 1949 la
clause dite des raisons économiques est ajoutée à la loi : les IVG pour des raisons
économiques sont autorisées, ce qui renforce le côté eugénique de la loi. L’amendement
de 1952 supprime l’entretien nécessaire pour obtenir l’autorisation d’avorter. Mais l’auteure
fait remarquer que ce sont les rapports aux autorités des ces avortements qui augmentent,
puisqu’ils sont devenus légaux : ils ont été multipliés par 4 entre 1949 et 1952. Elle estime
très difficile de faire la part de l’augmentation réelle de leur nombre découlant directement
de leur légalisation. Quoiqu’il en soit, en 1955 on l’a dit, le Japon avec ses « deux millions
17
d’avortements » passe pour le « paradis de l’avortement » auprès des autres Etats.
18
Certaines parlent d’aller se faire avorter « comme on va chez le coiffeur ».
Cette situation ne tarde pas d’alarmer les autorités publiques : l’économie du pays est
plus que bonne durant la période de Haute Croissance ; on commence même à craindre
une pénurie de main d’œuvre dans le futur : le taux de natalité est passé de 4,57 en 1947
à 2,04 en 1957. Les mouvements de planning familial se retournent contre l’IVG. L’auteure
décrit alors le combat politique entre un mouvement religieux qu’on qualifierait aujourd’hui
de secte pro-life, le Seichô no Ie, « la maison du progrès » et le Nichibo. Entre 1967 et
1974, Seichô no Ie et le Nichibo vont s’opposer. C’est le premier mouvement pour la révision
de la loi. Les premiers parviennent à mettre la question de la révision de la Loi Eugénique
à l’ordre du jour de l’Assemblée, tandis que leur soutien contribue à l’élection de certains
membres du PLD à la Diète. Dans les années 1970, le MHW lui-même s’affiche en faveur
d’une révision. En 1969, le Comité Consultatif sur les Problèmes de Population signale la
nécessité de relancer le taux de natalité. Le débat penche ainsi en la faveur de Seichô
no Ie, et de la révision de la loi, c’est une « fenêtre d’opportunités » qui s’ouvre pour le
groupe religieux. Le Nichibo accepte d’entamer des discussions en ce sens, afin de pouvoir
garder la main sur le texte d’une éventuelle révision. Ils parviennent à un accord sur le
retrait de la clause des « raisons économiques », puisque le Japon s’est redressé. Mais le
Nichibo obtient en contrepartie l’ajout de certaines clauses, dont une clause de « raisons
mentales », qu’on pourrait interpréter comme « raisons psychologiques ». C’est donc une
clause dont l’interprétation pour les médecins serait très largement ouverte, et dans laquelle
les raisons économiques pourraient même être incluses. Mais la révision ne sera pas votée
par la Diète. Cependant, d’autres groupes s’étaient élevés en faveur de la révision de la
loi. Les défenseurs des droits des personnes handicapées rejetaient le côté eugénique
de la loi. Plutôt que d’éliminer le handicap par l’avortement, ils estiment plus judicieux de
créer une société où les handicapés pourraient vivre et s’intégrer. Les féministes viennent
également se greffer au mouvement pour la révision. On a évoqué plus haut le féminisme
maternaliste et sociétal, qui rejetait l’avortement et la contraception, puisqu’ils menaçaient
la maternité. Ce féminisme va alors s’engager dans le mouvement de révision, en clamant
que les femmes auraient plus d’enfants si le gouvernement les aidaient à les élever. Les
femmes n’auraient jamais voulu avoir recours à l’avortement, ce sont les conditions de vie
17
18
Réflexion des Chûpiren accusant les anti-pilule d’être responsables d’autant d’IVG depuis 1948.
« like they were going to take a perm », dit un représentant de la Fédération des Femmes au Foyer, cité p.50.
Dubois Charlotte - 2009
27
La crise de la fécondité au Japon
politiques et économiques qui les y auraient poussées. Elles demandent alors aux politiques
19
de « construire une société on l’on peut avoir des enfants, où l’on veut avoir des enfants » .
On pouvait alors retirer la clause des « raisons économiques » de la loi à condition que
l’Etat aide financièrement à l’éducation des enfants. Le Parti Communiste Japonais se joint
alors à elles dans ces revendications. Néanmoins, le MHW n’engage aucun dialogue avec
elles. C’est alors qu’un nouveau type de féminisme, cette fois considérant la femme à titre
d’individu, et non pas seulement mère ou épouse, naît dans les années 1970. Ce féminisme
20
est représenté par le groupe Chûpiren . Elles estiment que l’avortement est le droit des
femmes à décider d’avoir ou non un enfant et militent pour la levée de l’interdiction de
la pilule. Si leur mouvement n’a pas eu d’échos au sein de la Diète, sa création est très
importante, d’autant que le groupe va acquérir de l’influence au cours de la décennie à venir.
Une deuxième vague du mouvement pour la révision de la loi intervient en 1982. Les
élections de 1980 révèlent un Japon plus conservateur. Seichô no Ie retrouve alors une
« fenêtre d’opportunités », avec une Diète qui met en place une Politique pour Renforcer les
Fondements de la Famille, c’est-à-dire qui replace la femme au foyer, qui doit s’occuper des
dépendants, enfants et personnes âgées. On donne plus de reconnaissance à la femme au
foyer, en encourageant une « conscience professionnelle de mère », une « confiance en
soi et fierté d’être des artisans du foyer » (Norgren, 2001 p.69-70). On a déjà évoqué ce
système d’Etat Providence sans Etat, la Société de Bien-Être à la japonaise. C’est la famille
–la femme, au foyer– qui s’occupe des dépendants, et non pas l’Etat, dont l’expansion est
ainsi limitée. Au printemps 1982, Seichô no Ie reprend son discours anti-avortement avec
21
force : le Japon n’a plus de morale sexuelle ; l’avortement est un meurtre ; il mène à
l’extinction de la race, par exemple. L’un de leur parlementaire va même jusqu’à chanter
une chanson contre l’avortement le 15 mars 1982, en pleine cession de la Chambre des
Conseillers :
« Maman ! Maman ! Je suis un enfant qui a manqué d’être né J’ai été jeté dehors,
tout seul Sans jamais avoir connu le bon lait, ou le chaud sein Je suis un enfant
qui ne peut pas devenir quelqu’un. Maman ! Maman ! Est-ce que ma voix te
parvient ? Il fait froid ici, Et je veux être près de toi Je suis un enfant qui a
manqué d’être né »
Le titre qu’il a donné à cette chanson est la référence de la section du Code Pénal qui régit
l’avortement criminel de 1880 qui n’a pas été abolie ni par la Loi sur l’Eugénisme National
22
de 1940, ni par la Loi de Protection Eugénique de 1948 . Mais les femmes et les médecins
réagissent vivement face à la violence de la contestation du droit à l’avortement. D’une part,
les médecins de Nichibo et de la JMA battent la Seichô no Ie sur leur propre terrain de la
localité, en faisant signer des pétitions par exemple. D’autre part, les femmes sont elles
aussi très engagées, au point que leur force de mobilisation et de vote fait peur au PLD.
Elles dénoncent en effet son conservatisme, notamment en matière de ségrégation des
sexes, lorsqu’ils imposent la division des rôles « femme au foyer / homme au travail ». Cette
fois, les négociations sur la modification de la loi n’ont pas eu lieu dans l’ombre, entre deux
groupes de pression (Nichibo et Seichô no Ie). La population, et surtout les femmes, se sont
19
20
« Make a Society Where We Can Have Children, Where We Want To Have Chlidren », p.67.
« Chûzetsu Kinshi Hô Ni Hantai Shi Piru Kaikin O Yôkyû Suru Josei Kaihô Rengô », la Fédération pour la Libération des
Femmes Opposées à la Loi d’Interdiction de l’Avortement et pour la Levée de l’Interdiction de la Pilule, p.66.
21
22
28
Le Japon est un « hotbed of free-sex » p.70.
Murakami, cité p.70.
Dubois Charlotte - 2009
II. Les relations avant le mariage : mieux vaut rester chacun chez ses parents
mobilisées pour défendre le droit à l’avortement, puisque c’est l’un des seuls moyens de
contrôle des naissances qui leur soient autorisés.
L’élan qui mènera à la révision de la loi de 1996 vise cette fois à éliminer l’aspect
eugénique de la loi, qui s’appelle alors toujours « Loi de Protection Eugénique ». Ce
sont les défenseurs des droits des personnes handicapées qui ont lancé ce mouvement,
en dénonçant les discriminations envers elles. Ils ont agi par « pression extérieure »,
c’est-à-dire en dénonçant la situation japonaise lors de forums internationaux. Les articles
23
1 et 4 de la loi étaient clairement orientés vers l’eugénisme , ce qui a entraîné des
abus, comme la stérilisation d’un malade mental sans l’autorisation des parents dans
la préfecture de Miyazaki (Norgren, 2001 p.77-78). Les féministes vont alors entrer en
conflit avec les défenseurs des droits des handicapés, dans la mesure où elles craignent
que soient restreintes les raisons que peut évoquer une femme qui souhaiterait se faire
avorter, notamment lorsqu’il s’agit de déformation du fœtus. Le mouvement s’emballe
alors, et chacun des groupes engagés dans le mouvement veut faire valoir ses intérêts.
Les féministes demandent l’abolition de la Loi sur les Avortements Criminels de 1907
et l’expansion des moyens de contraception. Les médecins vont jusqu’à demander
24
l’autorisation d’IVG sélectives . Certains veulent interdire toute IVG. Pour couper ce
mouvement d’amplification, le projet de loi est rapidement établi, sans même consulter
les groupes concernés par lui. C’est que ces groupes n’avaient pas de lien avec le
pouvoir, et c’est la raison pour laquelle ils avaient procédé par « pression extérieure ».
On ôte l’eugénisme du texte, ce qui déçoit tous les groupes, sauf les handicapés qui
ne demandaient souvent pas davantage. La Loi de Protection Eugénique est abolie et
remplacée par la Loi de Protection de la Mère.
Ainsi, les Japonaises ont-elles appris à utiliser l’avortement comme un moyen de
contraception classique. Selon Muriel Jolivet (1993), en 1984, 70% des IVG concernaient
des couples mariés : une demande de planning familial semble donc bien rester sans
réponse efficace. L’avortement coûte moins cher qu’un accouchement qui, n’étant pas une
maladie, est, selon la préfecture ou le quartier, plus ou moins pris en charge par le système
de sécurité sociale japonais. L’auteure, qui a vécu personnellement la grossesse au Japon,
explique que « voulez-vous le garder ? » est une question de routine du gynécologue
qui confirme la grossesse d’une patiente. Reste que contrairement à ce que semble
sous-entendre plus ou moins Tiana Norgren, les Japonaises souffrent d’un avortement,
malgré l’absence d’un interdit ou d’une morale religieux. Jolivet fait état d’un véritable
commerce de la cérémonie religieuse qui suit l’avortement. Elle porte le nom de cérémonie
de l’enfant avorté, mizuko kuyô, mizuko signifiant l’enfant qui coule comme l’eau. Les
femmes culpabilisent d’avorter sans raison lourde, la clause des raisons économiques étant
invoquée dans 90% des cas. Effectivement, dans l’univers religieux japonais, les enfants
étant envoyés des Dieux jusqu’à leurs sept ans, un avortement était considéré comme un
« renvoi », un infanticide comme un « désherbage » car les Japonais traditionnellement
préfèrent ne pas aggraver leur situation en cas de mauvaise récolte par exemple. Ils offraient
ainsi une chance à l’enfant de se réincarner dans une période meilleure. De nombreuses
légendes et chansons racontent ainsi le destin des enfants qu’on a avortés, ou qu’on a
laissés dans la rivière une fois nés. Jolivet explique que c’est sans doute l’origine des kappa,
littéralement enfant de la rivière. Néanmoins, des offices religieux ont été créés, à des fins
23
Article 1 : « Le but de cette loi est d’empêcher la naissance d’enfants inférieurs en matière eugénique, et de protéger la vie
et la santé de la mère. » (emphase ajoutée), p.145.
24
En cas de traitement contre la stérilité, on pourrait aboutir à des grossesses multiples et vouloir avorter certains des embryons,
p.80.
Dubois Charlotte - 2009
29
La crise de la fécondité au Japon
d’abord lucratives pour ceux dont le dogme n’y voit aucune nécessité et condamne les
enfants morts-nés à un enfer, puis psychologiques, moyennant un don au temple, pour
celles qui souffrent d’avoir avorté. C’est ainsi qu’on trouve des statues de jizô, bodhisattva
à qui on confie les enfants morts dans le bouddhisme, dans les temples, comme dans celui
de Zojôji à Tokyo.
Les statues ne portent pas le nom des enfants, puisqu’ils ne sont pas nés, mais celui
25
de la famille, comme on peut le voir par le kanji � accolé au nom sur les vases . Reste
que pour Norgren, seuls 20% des femmes qui ont avorté suivent le rituel. Les femmes
japonaises entretiennent donc un rapport ambigu avec l’avortement. D’abord considéré
comme une menace pour ses femmes définies par leur rôle de mère, elles en sont venues
à le considérer comme un droit, qu’elles doivent défendre face au gouvernement et aux
groupes de pression. Ainsi, la médecine étant capable de rendre possible la survie de
bébés nés de plus en plus prématurément, il est possible que le délai légal pour avorter soit
raccourci. Face à cette menace, Yuriko Ashino en 1996 prévient qu’il vaudrait mieux réguler
les naissances en amont, par une contraception efficace.
Cette ouverture politique face à l’avortement aurait également dû favoriser la diffusion
de la contraception en général et notamment la pilule. Ashino écrivait avant sa légalisation
en 1999. Le Japon faisait alors exception au sein des pays développés : en France par
exemple, elle avait été autorisée vingt ans plus tôt par la loi Neuwirth. Il semble nécessaire
de se pencher sur la question de la pilule et de sa laborieuse légalisation.
2. La pilule : instrument d’émancipation refusé aux Japonaises ?
Tiana Norgren dresse le tableau d’une politique duale envers la contraception. D’une part, le
gouvernement japonais a très tôt légalisé l’avortement, par la loi de Protection Eugénique de
1948, et fut même le premier pays à autoriser l’avortement pour des raisons économiques
en 1949. D’autre part, face à cette politique progressiste de l’avortement, les autres moyens
de contraception ont fait l’objet d’une politique conservatrice. Ainsi, le stérilet n’a été autorisé
qu’en 1974, tandis qu’en 1999, le Japon était le seul pays membre de l’ONU à ne pas avoir
autorisé la pilule. Il semble nécessaire d’étudier le retard japonais pris dans ce domaine
pour expliquer les conséquences qu’il a eues sur le comportement reproductif, et au-delà,
sur la division sexuelle des rôles au sein de la société japonaise. On va rapporter les
25
30
Photographies personnelles, prises au temple de Zojôji le 26 février 2008.
Dubois Charlotte - 2009
II. Les relations avant le mariage : mieux vaut rester chacun chez ses parents
débats sur l’autorisation de la pilule durant les décennies 1960, 70, 80, et 90 comme
décrits par Tiana Norgren. Nous en arriverons à sa légalisation tardive en 1999, ce qui
n’empêche pas un débat de se poursuivre, comme nous le verrons avec un article de Francis
Fukuyama de l’époque. Finalement, on conclura sur le rapport inédit ainsi façonné par plus
de quarante ans de politique contraceptive des Japonaises aux moyens de contraception
female-dominant.
Dans les années 1960, le débat sur l’autorisation de la pilule débute, puisque la vente en
est légalisée en mai 1960 aux Etats-Unis. Ce qui oriente les discussions est la peur des effets
en terme de santé publique. Outre les effets secondaires dont on n’a pas encore pu mesurer
la force peu de temps après sa mise en circulation, on a peur des usages détournés de ce
médicament. Dès le printemps 1961, le scandale de la vente illégale de somnifère à des
mineurs éclate, et les problème de drogues, de détournement de l’usage de médicaments
va faire la une des journaux pendant trois ans. Le MHW est montré du doigt, et la pilule en
26
pâtit. La même année, l’affaire des bébés victimes de la Thalidomide en Europe parvient
aux oreilles des Japonais. Le gouvernement ne réglementerait donc pas suffisamment
l’usage des médicaments, et la pilule est ainsi stigmatisée. En conséquence, les tests
cliniques auxquels seront soumis ce contraceptif sont encore plus drastiques que pour
d’autres médicaments. En effet, pour qu’un médicament d’origine étrangère soit autorisé
au Japon, il doit subir des tests japonais, même s’il a déjà été testé par son fabricant. En
outre, ces appréhensions se doublent de considérations quant aux conséquences sociales
sur les mœurs, notamment la morale sexuelle des femmes, qui risqueraient de se voir
libérer du risque de grossesse lié au rapport sexuel, et qui donc hésiteraient moins à en
avoir avant, en dehors du mariage. Le Nichibo comme les mouvements de planning familial
s’opposent eux aussi à la légalisation de la pilule. En plus des raisons médicales qu’on a
vues, le problème se double pour eux de considérations économiques : d’une part le nombre
d’avortements et la vente de préservatifs, donc les profits ainsi engrangés respectivement
par les ob-gyn et par le planning familial, diminueraient ; d’autre part, la pilule serait mise
à disposition de la population non pas par les ob-gyn ou par le planning, mais par les
pharmaciens ou les médecins, dont ils voyaient la concurrence d’un mauvais oeil. Ainsi,
malgré les tests japonais concluant en 1964, la pilule est comparée par ses opposants au
progrès qu’on voyait dans l’énergie atomique avant la bombe et dénigrée par le personnel
27
du MHW lui-même : le Premier Ministre interrompt la marche à la légalisation. Dès cette
époque, les lobbies, tout en jouant sur la concordance de leur intérêt et de l’intérêt national,
font pression sur les dirigeants : ils leur rappellent que ce sont eux qui devront prendre la
responsabilité des conséquences néfastes de la légalisation du contraceptif oral. Cette peur
des responsabilités des bureaucrates va fortement peser dans le débat.
Dans les années 1970, l’auteure évoque un réel « débat » autour de la pilule. En
décembre 1971, le problème réapparaît sur le devant de la scène politique : le MHW interdit
les programmes ou les publicités qui pourraient évoquer le problème. En avril 1972, il interdit
la délivrance de la pilule thérapeutique sans ordonnance, après le procès des victimes
de la Thalimonide. Mais cette politique de censure échoue : en 1973 et 1974, une réelle
« controverse » sur la pilule anime la société japonaise, dans ses journaux comme à la Diète.
26
En 1960-1961, trois ans après sa commercialisation, on s’aperçoit que cette molécule donnée aux femmes enceintes pour
réduire les nausées matinales causait des malformations au fœtus. « Environ 15 000 fœtus ont été affectés par la thalidomide, parmi
lesquels 12 000 dans 46 pays sont nés avec des défauts congénitaux. Parmi eux, seuls 8 000 ont vécu au delà d'un an. » d’après
l’encyclopédie en ligne Wikipédia. http://fr.wikipedia.org/wiki/Thalidomide
27
L’un des membres de la branche Régulation des Médicaments du Ministère affirme qu’il ne veut pas que sa femme prenne
la pilule même si elle venait à être commercialisée, Norgren , 2001 p.110.
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31
La crise de la fécondité au Japon
28
La demande de contraceptifs oraux augmente . Deux groupes, pro et anti, s’opposent alors.
D’un côté les féministes et les bureaucrates effrayés par les responsabilités qu’ils pourraient
avoir à prendre, de l’autre les pharmaciens et les ob-gyn du Nichibo, qui se battent pour
obtenir le monopole de la distribution de la pilule. Au Japon en effet, lorsqu’un médicament
est autorisé par le MHW, il peut être en vente libre, chez les pharmaciens, ou uniquement
sur prescription, fourni alors par les médecins eux-mêmes. Le planning familial lui ne prend
pas part au débat. Le positionnement de chacun des groupes est alors ambivalent.
En ce qui concerne les féministes, on a d’un côté celles qui ont peur d’entraver le
droit à l’IVG. Certains bureaucrates en jouent, en affirmant qu’effectivement, si la pilule
était autorisée, on pourrait restreindre les modalités d’accès à l’avortement, puisqu’un
contraceptif sûr comme la pilule devrait diminuer le risque de grossesse non désirée. Elles
se méfient également des effets secondaires. Mais elles cèdent surtout à théorie du complot,
qui voudrait que le gouvernement et les pharmaciens cherchent en fait à faire du profit sur le
dos et la santé des femmes. Un seul groupe féministe défend la pilule. On l’a déjà évoqué,
il s’agit du Chûpiren. Pour elles, la pilule reste pour les Japonaises le seul moyen de faire
valoir leur droit à « ne pas avoir d’enfant » (Norgren, 2001 p.117) Au Japon, parce que les
femmes sont trop sujettes aux grossesses non désirées, l’IVG a atteint un taux trop élevé,
alors que la pilule est le contraceptif les plus efficace, et est utilisée partout ailleurs dans le
monde. A ceux qui les contredisent, elles rétorquent que ce sont eux les responsables des
« 2 millions d’avortements », sans doute depuis 1948.
Les pharmaciens et les ob-gyn quant à eux, se trouvent en concurrence, comme on
29
l’a expliqué. Les ob-gyn avaient le contrôle de la pilule thérapeutique , tandis que les
pharmaciens pensaient que si la révision de la Loi de Protection Eugénique passait, le
droit à l’IVG serait restreint. En conséquence, il faudrait mettre la pilule à la disposition
du plus grand nombre, c’est-à-dire sans prescription. Ainsi, les pharmaciens financent
un membre du Parti Socialiste Japonais pour défendre régulièrement cette position à la
Diète, notamment en comparant la situation japonaise à celle des autres pays. Mais le
positionnement des ob-gyn est double : ils risquaient de perdre des revenus si le taux d’IVG
baissait en conséquence de l’autorisation de la pilule. Si les révisions de la Loi de Protection
Eugénique ne passaient pas, ils ne s’engageraient pas pour la pilule. En revanche, si le
droit à l’avortement était restreint, ils demandaient l’autorisation de la pilule sur prescription,
pour obtenir le monopole de sa distribution.
Le MHW lui aussi a un positionnement ambivalent : en effet, le taux d’IVG est trop
élevé, et la pilule est autorisée partout dans le monde. Mais dans un autre sens, comme on
l’a vu, le chef du Bureau de Régulation des Médicaments est personnellement contre. Par
conséquent, le Premier Ministre Tanaka lui-même va adopter un positionnement ambigu, en
autorisant à demi-mot l’utilisation de la pilule thérapeutique à des fins contraceptives : « la
30
loi n’interdit l’utilisation d’un médicament autorisé à des fins non autorisées » . Le Nichibo
gagne ainsi sur tous les plans : on l’a vu, les révisions de la Loi de Protection Eugénique
ne passent pas, l’IVG n’est donc pas restreint, leurs revenus ne seront pas diminués. En
outre, eux qui contrôlent la distribution de la pilule thérapeutique obtiennent l’autorisation
informelle de la prescrire à des fins contraceptives. Mais la situation est tellement ambiguë
28
« Dix composés hormonaux différents disponible à la vente pouvaient être utilisés à des fins contraceptives[…]. La demande
était telle qu’en novembre 1973, l’une des compagnies [pharmaceutique] de Tôkyô fut en rupture de stock. », idem, p.114.
29
On suppose à partir d’avril 1972, date à laquelle le MHW impose la prescription du médecin. Mais l’auteure ne le précise
pas p.118. Elle est autorisée depuis la fin des années 1950, seulement pour soigner des troubles gynécologiques.
30
32
Citation de l’auteure, retranscrivant les termes du Premier Ministre p.120.
Dubois Charlotte - 2009
II. Les relations avant le mariage : mieux vaut rester chacun chez ses parents
que d’une part les femmes n’osent pas demander une telle prescription, ou ne savent pas
qu’elles pourraient le faire ; et d’autre part les médecins préfèrent ne pas la prescrire. Et
l’auteur signale que ce sont ainsi les femmes qui en pâtissent, puisqu’en ayant toujours pas
accès librement à la pilule à l’aube des années 1980, elles ne maîtrisent pas leur fécondité,
et doivent avoir recours à des moyens male-dominant de contraception, voire à l’avortement
en cas d’échec des ces moyens peu sûrs.
A partir des années 1980, l’un des gros pans du débat sur la pilule est changé :
l’apparition de la pilule mini-dosée à la fin des années 1970 doit mettre fin à la peur des effets
secondaires. Aux Etats-Unis, au milieu des années 1980, la pilule mini-dosée supplante
l’utilisation de la pilule fortement dosée. Les principaux groupes de pression sont favorables
à la légalisation de la pilule mini-dosée. Mais le MHW est plutôt préoccupé par la chute de
la natalité, constatée en 1989 (« le choc des 1,57 »). Le prétexte, c’est ainsi que le qualifie
l’auteure, arboré cette fois est celui de la peur du SIDA. En février 1992, on estime que
la diffusion de la pilule risquait de nuire à l’utilisation du préservatif, et donc contribuer à
la transmission du SIDA. Deux mois auparavant, un rapport du Comité de Surveillance du
SIDA du MHW s’alarmait de l’augmentation du nombre de porteurs du virus au Japon. C’est
l’intérêt national – contrer la baisse du taux de natalité, la santé publique – empêcher la
diffusion du SIDA, qui sont alors évoqués. On ne se préoccupe toujours pas de l’intérêt des
individus, des femmes et des familles, dans un paternalisme qui les soumet à l’intérêt du
groupe. Des études de l’Organisation Mondiale de la Santé avaient pourtant prouvé qu’il
n’y avait pas de lien entre la pratique de la contraception orale et l’expansion du SIDA. De
plus, certaines maladies sexuellement transmissibles touchent de nombreuses Japonaises,
ce n’est donc pas l’utilisation du préservatif qui explique le taux particulièrement bas de
porteurs du virus du SIDA au Japon. Mais les conséquences du gel du processus sont
encore pour les femmes, qui n’ont pas d’autres choix que de prendre la pilule fortement
dosée si elles veulent un contraceptif efficace, malgré les risques d’effets secondaires bien
supérieurs à ceux d’une pilule mini-dosée. Ou elles subissent des grossesses non désirées
qui les mèneront parfois à l’avortement. Les groupes d’intérêt, qui cette fois se heurtent à
un refus catégorique du MHW, ont pourtant milité parfois violemment pour la légalisation
de la pilule.
En fait, c’est le manque de combativité des femmes et des féministes qui semble
pêcher. En effet, d’une part, les Japonaises ne sont que 13% à vouloir utiliser la pilule,
selon des enquêtes menées dans les années 1990. En 1998, 54% des femmes interrogées
disent ne pas vouloir utiliser la pilule mini-dosée même si elle était autorisée. Parmi elles,
72% craignent les effets secondaires, soit autant qu’en 1986, après 20 ans d’utilisation
généralisée de la pilule mini-dosée sans effets secondaires partout dans le monde. C’est
qu’en quatre décennies de refus, de craintes, de suspicion, la pilule avait acquis une bien
mauvaise réputation. Un gynécologue estime même en 1999 qu’il est plus facile pour une
Japonaise de dire qu’elle s’est fait avorter que de dire qu’elle est sous pilule. Certains
estiment que contrairement à la méthode Ogino, la contraception orale n’est pas naturelle,
et ne respecte pas le rythme naturel du corps de la femme. Or le Japon est le deuxième
consommateur de médicaments au monde (Norgren, 2001 p. 124-127). Les médecins ont
trop bien réussi à faire peur avec la pilule dans les années 1970, et maintenant que leurs
intérêts résidaient dans la pilule, ils ne pouvaient plus revenir en arrière.
D’autre part, les sages-femmes et les féministes restent contre la contraception orale,
en dénonçant son aspect non naturel, le risque de l’expansion du SIDA, le risque pour la
femme de devenir un objet sexuel, les risques potentiels pour sa santé, le fardeau qu’une
contraception female-dominant impose à la femme. Or selon Ryuzaburo Satô en 2006,
Dubois Charlotte - 2009
33
La crise de la fécondité au Japon
c’est par la maîtrise de leur fécondité que les femmes occidentales ont progressivement
pris leur propre sort en main, en prenant conscience qu’elles n’étaient pas que mères et
épouses mais des individus. A long terme, cela a permis de faire évoluer la norme sociale
du couple, dont le concubinage avant le mariage est devenu une généralité, au point que
les naissances hors mariage sont socialement acceptées. Or ce sont ces naissances hors
mariage qui permettent à beaucoup de pays de sortir de la zone du lowest-low taux de
fécondité.
Mais progressivement avec l’avancement dans la décennie 1990, les femmes vont
s’adoucir et s’accorder sur la nécessité de l’intérêt de la pilule mini-dosée. Ainsi, en
1996-1997, des groupes pour la pilule se forment, les premiers depuis Chûpiren, prenant
conscience que seules 36% des grossesses étaient voulues ou planifiées, 40% non voulues
ou arrivées à un moment où elles n’étaient pas attendues, et qu’une femme mariée sur 4
31
avait subi une IVG au moins une fois dans sa vie . En France, le taux de grossesses non
désirées était de 12% en 2000 (Jolivet, 2000).
Entre 1995 et 1997, un nouveau processus vers la légalisation s’engage. En septembre
1995, le Bureau de Régulation des Médicaments considère qu’il n’y a pas de lien entre la
contraception orale et la diffusion du virus du SIDA ; en 1997 il conclut que la pilule minidosée est un contraceptif sûr et efficace. Mais on se méfie du MHW qui a acquis la réputation
de changer d’avis à la dernière minute. En effet, cette fois encore il repousse l’autorisation
en mars 1998, en affirmant que la pilule favorisait l’apparition de cancer de l’utérus, et
aurait des conséquences sur l’environnement, en polluant à travers l’urine des femmes
qui la prennent. Encore une bonne excuse selon l’auteure (Norgren, 2001 p. 128-129).
D’autant plus que le 25 janvier 1999, le MHW légalise la commercialisation du Viagra, en
se basant sur des tests cliniques effectués à l’étranger, et après « à peine » six mois de
délibérations. Or il a fallu des années pour que le MHW accepte ne serait-ce que de faire
des tests cliniques pour la pilule mini-dosée, quand bien même des tests étrangers avaient
eu lieu, quand bien même elle était utilisée en masse depuis une décennie à l’étranger. Les
média, les féministes, les femmes politiques n’en reviennent pas. Un journaliste qualifie le
système politique japonais de « gérontocratie mâle » (ibid., p. 130). Finalement, le Bureau
de Régulation des Médicaments déclare le 3 mars 1999 que la pilule mini-dosée est sûre
et efficace. Le 2 juin 1999 elle est enfin légalisée, et mise en vente le 2 septembre.
Mais le texte est très précis. Une femme sous pilule doit se rendre chez le gynécologue
tous les trois mois pour subir des examens. Or les Japonaises se rendent très difficilement
chez le gynécologue. En France, le médecin généraliste est habilité à prescrire la pilule. Au
Japon, c’est le monopole des ob-gyn. Et comme le montrent Nobutaro, Fetters et Kitamura
en 2004, les médecins de famille japonais ne remettent pas en cause cet état de fait, et ne
seraient pas tous prêts à offrir des services de planning familial à leurs patients, trop gênés
pour parler des problèmes liés au sexe. De plus, la pilule n’est pas prise en charge par
le système de Sécurité Sociale, ni les fréquentes visites obligatoires chez le gynécologue.
Ce texte a ainsi érigé de lourdes barrières à l’accès des femmes au contraceptif oral.
Outre les obstacles législatifs, instaurer des examens si fréquents renforcent l’idée reçue
selon laquelle la pilule a des effets secondaires dangereux pour la santé des femmes.
En conséquence, moins de 100 000 prescriptions avaient été rédigées un an après sa
légalisation. Les groupes féministes qui voudraient faire baisser la fréquence des checkup n’ont pas d’influence suffisante sur le MHW, comparée à celles des ob-gyn, qui y voient
l’opportunité de nouvelles sources de revenus.
31
34
Statistiques citées par ces groupes, p.128.
Dubois Charlotte - 2009
II. Les relations avant le mariage : mieux vaut rester chacun chez ses parents
Francis Fukuyama, l’homme de la fin de l’histoire, a publié un article dans le New
York Times au lendemain de la légalisation de la pilule mini-dosée, le 9 juin 1999. Dès
sa description du planning familial à la japonaise, le lecteur avisé est choqué : « les
couples japonais ont recours actuellement aux préservatifs, à la méthode Ogino et à
l’avortement […] pour éviter les naissances non désirées ». Ceci confirme l’impression
qu’on ressent en étudiant le schéma japonais du contrôle des naissances : l’avortement
est considéré comme un moyen de contraception comme un autre. L’auteur défend la
thèse selon laquelle la légalisation de la pilule ne serait pas une « bonne nouvelle »,
comme le dit le titre. Il dénonce l’idée reçue selon laquelle « la bureaucratie du MHW
(présumée) composée d’hommes vieillissants » – la « gérontocratie mâle » évoquée plus
haut – a autorisé rapidement le Viagra et non la pilule parce que ce médicament touchait
leurs propres intérêts. Il rappelle que les politiciens ont un peu plus de « jugeote », et
étaient préoccupés par les conséquences de la pilule sur la société japonaise : relations
hors mariage, divorces, familles mono-parentales, comme en Occident. Or ce sont là des
« dysfonctionnements sociaux » qui entraînent à terme crimes, extrême pauvreté, drogue,
grossesses d’adolescentes. Or ces phénomènes ne touchent pas les Asiatiques « plus
ordonnés car les familles sont plus fortes et plus stables » reposant sur une division sexuelle
des rôles, selon un ancien Premier Ministre singapourien. C’est une « préférence culturelle »
que les Japonaises approuvent « sondage après sondage » selon Fukuyama. On aura
l’occasion de montrer le contraire. Il prédit alors « des bouleversements […] pour la
génération à venir » : la pilule et la baisse de la population vont « miner le contrat social sur
lequel repose traditionnellement la société japonaise, à savoir l’échange entre les richesses
des hommes et la fertilité des femmes ». Sa conclusion est la suivante : « c’est ce qui
tournera le Japon vers l’Occident, bien plus que la mondialisation ou Internet ».
Pourtant, il semble que rien n’ait changé pour les Japonaises. Elles ne se sont
pas saisies de cet instrument d’émancipation. Pourquoi ? Déjà en 1993, Muriel Jolivet
évoque la prise de la pilule à des fins thérapeutiques pendant de courtes périodes par les
Japonaises. De ses observations, elle conclut que le MHW n’a pas fait subir un « lavage
32
de cerveau » aux femmes afin de maintenir le statut quo. Elle estime que les Japonaises
ont culturellement des difficultés à l’idée de « prendre l’initiative de la contraception », ou
« d’absorber chaque jour une drogue bouleversant [leur] métabolisme ». De même, Yuriko
Ashino, directrice adjointe de la Fédération Japonaise de Planning Familial en 1996 rappelle
que selon les valeurs confucéennes, le sexe est méprisable, il n’y a donc pas lieu de faire de
l’éducation sexuelle. On ne peut alors détacher la cause de la conséquence : si les femmes
avaient l’initiative de la contraception, elles seraient moins gênées face à la sexualité en
général, et donc se protégeraient plus facilement des grossesses indésirées. Il faudra bien
qu’une première génération se lance, pour permettre à la suivante de ne pas ressentir cette
gêne, pour briser le tabou. Sinon, c’est un cercle vicieux qui enfonce les Japonaises et
les mènent soit à des naissances non voulues, dont on a déjà évoqué les proportions et
dont on verra les conséquences plus bas, soit à l’IVG. C’est pourquoi on a mis un point
d’interrogation au titre de cette sous-partie : dix ans après que les Japonaises ont eu accès
librement à ce moyen des plus female-dominant de contrôler leurs grossesses et par-là,
leur sexualité, elles ne sont que très peu à le faire. Pourtant, en 2000, 200 000 femmes
utilisaient la pilule très dosée, et 2,5 millions de femmes disaient vouloir essayer la pilule
33
mini dosée . Le stérilet, lui aussi female-dominant, 20 ans après son autorisation en 1974
n’était utilisé que par 0,6% des femmes (Jolivet, 2000). Cela participe du constat que nous
32
33
Jugement de Werblowky, cité par Norgren, 2001 p.189.
Sondage du Dr Kitamura Kunio (JFPA), cité par Jolivet, 2000 p.145.
Dubois Charlotte - 2009
35
La crise de la fécondité au Japon
aurons à construire tout au long de notre travail sur l’ambiguïté de l’attitude des Japonaises
face à leur propre destin. Un deuxième pan de la réponse à la question de la cause de ce
manque de réaction des femmes peut être illustré par l’étude du planning familial.
3. Le planning familial délégué à la sphère privée mais soumis à
l’intérêt public : l’inefficacité des politiques menant à un échec de la
privatisation de la naissance
Après la guerre, la demande de contrôle des naissances est forte, puisqu’on craint que
l’augmentation de la population n’empêche le Japon de se redresser, politiquement et
économiquement. Mais la seule solution apportée, par les groupes privés comme par
le gouvernement fut la légalisation de l’IVG, qui devint, à défaut, le premier moyen de
contraception. Pour Tiana Norgren, il n’y a pas eu de groupe capable de faire le poids
face aux médecins qui avaient intérêt à ce que l’IVG soit le moyen privilégier de contrôle
des naissances. Ainsi, les femmes défendaient la maternité, et ne pouvaient donc pas
revendiquer un droit à la contraception. En ce qui concerne les mouvements du planning
familial, ils n’ont pas été efficaces. De plus, aucune attention n’a été portée au désir des
couples. Les points de vue différents se sont affrontés à différentes échelles, sans jamais
se rencontrer. Les femmes souhaitaient la contraception pour améliorer leur santé et le
niveau de vie de leur famille, sans accorder d’importance à l’Etat ou à l’intérêt national. L’Etat
pensait au futur de la race, de l’économie, de la politique japonaises. L’auteure parle d’un
34
« fossé » entre les dirigeants et les objets de leurs politiques, ce qui explique l’inefficacité
des politiques de contrôle des naissances : les élites ne savaient pas comment établir des
politiques qui parleraient au peuple. Il a alors choisi de déléguer le planning familial à des
associations privées, pour se rapprocher des citoyens et de leurs attentes en la matière.
Le MHW, créé en 1938, et après-guerre toujours aux mains de ceux qui avaient
mis en place les politiques natalistes du Japon expansionniste, est par principe contre
le contrôle des naissances. Mais le choc de la défaite révèle aux Japonais la nécessité
d’atteindre un certain degré d’autosuffisance. Dès 1949, le Premier Ministre annonce une
politique de contrôle des naissances : c’est l’une des dix priorités de la liste élaborée par
le gouvernement pour relever le Japon. Seul le Parti Communiste Japonais s’élève contre,
en affirmant que si les ressources étaient allouées équitablement par l’Etat, on n’aurait
pas besoin de contrôle des naissances. Les féministes se rapprocheront de ces thèses
dans les années 1970 lorsqu’elles demandent à l’Etat « une société où l’on peut faire des
enfants, où l’on veut faire des enfants » (Norgren, 2001 p.60). Le contrôle des naissances
était pour l’Etat une nécessité, un problème de santé publique, et non pas un problème
individuel qui concerne la droit de la femme à disposer de son corps. Dans ce cas, la
contraception, comme l’IVG, aurait pu être prônée. D’ailleurs, le projet de Loi de Protection
Eugénique proposé par les socialistes en 1947 incluait la diffusion de la contraception.
En 1948, le passage de la Loi Pharmaceutique fut l’objet d’un quiproquo. Avant cette loi,
certains croyaient que les moyens de contraception comme le préservatif ou le stérilet
interdits, et ont cru que la loi les autorisait. Cela a provoqué une augmentation de leur
fabrication et de leur vente. Mais ces moyens restaient chers, et peu sûrs à cause du
manque de contrôle sur la qualité des produits. La contraception a donc la réputation d’être
chère, peu sûre voire dangereuse, tandis que grâce à la Loi de Protection Eugénique de
1948, l’avortement était devenu plus abordable et sûr. De plus, les élites avaient peur de
34
36
« such a gulf between elites and popular understandings of contraception », p. 84.
Dubois Charlotte - 2009
II. Les relations avant le mariage : mieux vaut rester chacun chez ses parents
la « sélection adverse ». L’avortement n’offrait pas ce genre de risques. Pour les femmes
en revanche, la contraception est une question personnelle, qui relève de la sphère privée.
Elles aimeraient par ce biais préserver leur santé, et améliorer le niveau de vie de leur
famille. Tiana Norgren cite ainsi les lettres interceptées par le SCAP à titre de contrôle du
courrier, dans lesquelles les femmes évoquent leur volonté de contraception (Norgren, p.
91). Un sondage du MHW et du Mainichi Shibun révèle qu’entre 1949 et 1950, entre 20
et 25% des Japonais utilisaient un moyen quelconque de contraception. Parmi ceux qui
n’en avait pas, 56% disaient vouloir en utiliser. 41% pensaient que le gouvernement devrait
mettre à la disposition des Japonais des services et une éducation en ce domaine (ibid.,
p. 93). Le Comité Consultatif sur les Problèmes de Population dès 1949 édite un avis qui
vise à encourager la contraception plutôt que l’IVG, dans la mesure où son taux était déjà
trop élevé et représentait une tendance dangereuse. Entre 1949 et 1952, le nombre d’IVG
déclarées aura ainsi été multiplié par 4, comme on l’a dit plus haut. Or le Comité Consultatif
sur les Problèmes de Population ne sera pas écouté. Négliger la contraception aura mené le
35
Japon à encourager l’IVG, dont le nombre augmente d’années en années jusqu’en 1955 .
Des mesures sont alors prises pour encourager la diffusion de la contraception : en 1952
est lancé le Plan de Promotion du Contrôle de la Conception ; Taniguchi Yusaburô luimême, président du Nichibo et auteur de la Loi de Protection Eugénique, supporte plusieurs
révisions de cette loi pour libéraliser la diffusion des moyens de contraception. Mais cette
campagne n’aura pas d’efficacité car le budget qui lui sera consacré s’avérera insuffisant.
Les professionnels eux-mêmes, n’y voyant pas un marché assez prometteur, n’auront pas
coopéré (ibid., p. 93). Ainsi, les sages-femmes avaient peur que la diffusion des moyens
de contraception ne finisse par faire disparaître leur travail. De plus, certains avaient été
emprisonnés, ou pire, pendant la guerre pour avoir défendu la contraception, par les mêmes
personnes – du MHW – leur demandant de la défendre à présent (ibid., p. 90). Finalement,
malgré les efforts politiques pour promouvoir la contraception, l’absence de groupe d’intérêt
pour les relayer, les querelles de personnes et de philosophies ont empêché sa diffusion,
et par là encouragé l’avortement au détriment de celle-ci.
Dans les années 1950, au problème de surpopulation se superpose le problème
du nombre trop élevé d’avortements. Les initiatives en faveur de la contraception se
multiplient. Le gouvernement, mis en échec au début des années 1950 comme on vient
de le voir, délègue la promotion de la contraception à des groupes privés, qui s’avéreront
plus efficaces. Ainsi, entre 1952 et 1961, le pourcentage d’usagers de la contraception
36
est passé de 40 à 68%, pour arriver à 80% dans les années 1980 . En conséquence
plus ou moins directe, le taux de natalité baissera fortement, jusqu’au « choc des 1,57 »
en 1989. Un Conseil des Problèmes de Population permanent est créé en 1954, qui
pousse le gouvernement à fournir gratuitement des moyens de contraception aux plus
pauvres, ou à payer les sages-femmes qui conseillent en cette matière et fournissent les
moyens de contraception. Mais l’effet de cette politique est limité. En effet, la diffusion ne
s’effectue pas au sein de la population urbaine ; les budgets alloués ne sont pas suffisants ;
les conditions pour obtenir gratuitement les moyens de contraception ne sont pas assez
clairement définies. Parallèlement, les initiatives privées et informelles sont encouragées,
qui elles auront davantage de succès. Le MHW manque en effet de crédibilité, comme on l’a
déjà vu, puisqu’il change radicalement de politique après guerre. Il donne ainsi l’impulsion –
pour ne pas dire ordre – qui aboutit à la création de l’Association Japonaise pour le Planning
Familial (JFPA) en 1954 (ibid., p. 98). Les revenus de l’association sont essentiellement tirés
35
36
Satô, 2006 graphique 1, p.10.
Des couples mariés, 80% ont utilisé un moyen de contraception dans leur vie, p.97.
Dubois Charlotte - 2009
37
La crise de la fécondité au Japon
de la vente de contraceptifs, notamment des préservatifs. La même année, des groupes de
planning familial préexistants se regroupent dans la Fédération Japonaise pour le Planning
Familial (FPFJ). En coopération, ces groupes mènent des actions à grande échelle, au point
que certains de leurs candidats sont élus à la chambre haute de 1956 à 1999. De plus,
les mouvements de planning familial mettent en place une campagne au sein d’entreprises
37
privées, baptisée « le Mouvement pour une Nouvelle Vie » . Débutée en 1953, elle
concerne 82 entreprises en 1958, qui s’occupent de 1,24 millions de salariés. Il s’agit de
diffuser les contraceptifs, qui coûtent moins cher à ces entreprises que des allocations par
enfants qu’elles auraient à verser aux salariés. L’existence de logements de fonction facilite
cette campagne. La majorité des salariés deviennent membres du mouvement, quand bien
même ils autorisent par ce biais l’entreprise à s’insinuer dans leur vie privée. Mais, comme
ces entreprises avaient suivi cette campagne car elle servait leurs intérêts, la crainte de la
pénurie de main d’œuvre à venir entraîna sa fin. Le PLD lui-même commençant à s’alarmer
de la baisse de la fécondité, fige les budgets consacrés au planning familial, budgets qui
selon l’auteur n’avaient jamais été très élevés de toutes façons.
Finalement, l’Etat a un positionnement lui aussi dual face au planning familial. Par le
MHW, il crée la JFPA, mais conserve le pouvoir en matière d’autorisation des contraceptifs,
d’allocation des budgets, d’administration. Il garde les responsabilités, et délègue le
travail de terrain. Ce système a apporté des bénéfices pour les mouvements privés : les
associations se trouvaient ainsi soutenues et légitimées, tout en conservant un pouvoir
critique. Mais c’est la peur des bureaucrates du MHW de prendre la responsabilité de la
diffusion de la pilule sur le marché de la contraception qui va retarder son autorisation
jusqu’en 1999. Les pouvoirs publics sont tiraillés entre la nécessité de faire baisser le
nombre d’avortements, et la nécessité de faire remonter le taux de natalité. Pour eux,
planning familial et fécondité sont contradictoires, tout comme d’une part libération sexuelle
et sociale des femmes, individualisme et d’autre part fécondité. Or en partant de l’hypothèse
38
de Toru Suzuki selon laquelle il faut distinguer le niveau macro du niveau micro , on peut
considérer que si à court terme, en apparence, contraception signifie baisse des naissances,
à long terme elle les encourage. La naissance privatisée ne serait alors pas synonyme
de baisse des naissances : « quelles que soient les politiques que le gouvernement
entreprendra, pas une seule femme au Japon décidera d’avoir un enfant parce que le
gouvernement le lui aurait demandé » dit Katô Shizue, partisan du planning familial, cité par
Tiana Norgren p. 82. C’est au contraire la situation actuelle du Japon qui le met en danger,
à commencer par la division sexuelle des tâches prônée par Fukuyama : on a montré que
le Japon était une société male-oriented suite à ses habitudes en matière de contrôle des
naissances.
B. L’avancée des femmes dans la société a-t-elle
remis en cause la division traditionnelle des tâches ?
Nous traitons dans cette partie de l’avant-couple. Cette période de la vie des jeunes
Japonais a changé : auparavant, il s’agissait d’une période de recherche de la personne
adéquate pour se marier. Les 49% de jeunes femmes qui travaillaient avant le mariage en
37
38
38
« New Life Movement », p.100.
Cf. infra sur la distorsion macro/micro à propos du travail des femmes.
Dubois Charlotte - 2009
II. Les relations avant le mariage : mieux vaut rester chacun chez ses parents
1955 avaient un emploi temporaire d’office lady (OL) qu’elles quittaient dès qu’elles avaient
trouvé un mari, généralement par rencontre organisée par leurs parents, comme on le voit
chez Ozu. En 2000, 100% des Japonaises travaillent avant leur mariage (Ogawa, 2005).
En 1986 avait été votée la Loi sur l’Egalité des Chances devant l’Emploi à l’issue de la
Décennie de la Femme, pour améliorer le rapport entre les sexes. Les emplois qu’occupent
les jeunes japonaises ont-ils évolué ? Quelles ont été les conséquences de cette loi sur
la vie des femmes ? On va faire ici un constat nuancé de la progression du statut de la
femme. Elles sont bien sorties du fond de la maison pour investir la sphère publique, par
leur investissement de l’université et le monde du travail. On montrera néanmoins les revers
de ce progrès : démission et temps partiel notamment. Finalement, on cherchera savoir si
les inspirations individualistes des Japonaises a véritablement remis en cause la division
traditionnelle des tâches.
1. Un bilan contrasté des conséquences de la Loi sur l’Egalité des
Chances devant l’Emploi
Dans un premier temps, on doit noter la généralisation des études supérieures pour les
jeunes filles. En 1996, les femmes ont dépassé le nombre d’hommes étudiant en cycle
long à l’université. Jusque là, elles privilégiaient le cycle court, en deux ans, afin de devenir
employées de bureau (OL) jusqu’à ce qu’elles démissionnent une fois mariées. Cette annéelà, le nombre d’étudiantes en cycle long avait même dépassé le nombre d’étudiantes en
cycle court. A présent, les jeunes filles ont plus d’ambition, et préfèrent étudier, puis travailler
à égalité avec les hommes. Anne Garrigue en 2000 évoque alors la présence des filles, de
plus en plus nombreuses, dans des filières menant à des carrières jusque là réservées aux
hommes. Elle rappelle que le nombre d’étudiantes en sciences sociales et ingénieries a crû
entre 1960 et 1994 respectivement de 7,4 à 25% et 0,5 à 4,3%. En revanche, celles étudiant
les arts ménagers, les sciences de l’éducation et les professions de santé, matières plutôt
réservés aux filles, sont devenues moins nombreuses : respectivement de 9,9 à 7,4%, 28,3
à 11,4%, 10,4 à 7,4% Néanmoins, le pourcentage de femmes dans la population active a
stagné, passant de 48,7% en 1985 à 48,4% en 2005 (Section sur l’Egalité devant l’emploi
du Bureau du Travail de la Préfecture de Mie).
De fait, le monde masculin du travail n’est pas un univers où l’on progresse seulement
grâce aux résultats que l’on obtient, comme à l’université. Ainsi, la courbe de l’emploi féminin
au Japon est tout à fait caractéristique : il s’agit de la courbe en M. Les femmes travaillent
jusqu’à 30 ans, avant de démissionner pour 70% d’entre elles pour l’Institut National de
Recherches sue la Population et la Sécurité Sociale, et de se consacrer à l’éducation de
leurs enfants. La courbe remonte ensuite entre 45 et 49 ans, quand les enfants ont grandi
et que les femmes occupent un emploi à temps partiel, puis redescend. « Le travail féminin
reste encore largement considéré comme un travail d’appoint » dit Anne Garrigue en 2000.
Par conséquent, en période de crise, elles démissionnent davantage. La crise actuelle
touche durement les Japonaises, notamment les mères qu’on pousse encore d’avantage
à la démission, selon l’Express en mai 2009. Ainsi, les entreprises estiment que former
une femme et lui donner des responsabilités est un gaspillage, dans la mesure où il n’y
pas de retour sur investissement, puisqu’elles risquent de démissionner après leur mariage.
On étudiera en détail la courbe en M plus bas. Cependant, on doit remarquer que l’âge
moyen des femmes actives ne cesse d’augmenter. Il est passé de 34,8 ans en 1965 à 39,1
ans en 2006 (ibid.). Cela signifie que les femmes plus âgées qui travaillent sont devenues
plus nombreuses. Ceci peut s’expliquer soit par la généralisation de la reprise d’une activité
Dubois Charlotte - 2009
39
La crise de la fécondité au Japon
professionnelle une fois que les enfants ont grandi, vers 40 ans, soit par un nombre accru
de femmes qui n’interrompent pas leur carrière.
La loi sur l’Egalité des Chances devant l’Emploi votée en 1986 devait éliminer les
discriminations en fonction du sexe, et ouvrir le monde du travail aux femmes. Mais celle-ci
n’était pas coercitive, d’où une modification du texte en 1999, afin d’imposer des sanctions
en cas de discrimination. Et dix ans après le premier texte, le Premier Ministre constatait
son échec dans le Livre blanc sur l’égalité des sexes dans le travail. La loi devait mettre
fin à l’apartheid qui divisait les filières en deux, en fonction du sexe : aux garçons la filière
générale, sôgôshoku qui garantissait l’emploi à vie avec construction d’une carrière en
échange du dévouement à l’entreprise ; aux filles le filière standard, ippanshoku, quel que
soit le niveau d’études. Il s’agissait des emplois de bureau aux emplois du temps moins
chargés et sans déplacements, en échange d’une absence totale de promotion et de la
retraite anticipée à 30 ans (Garrigue, 2000 p.140). Les filles faisant les mêmes études que
les garçons, il semblait difficile de leur fermer les portes des carrières. De plus, celles-ci
refusent en masse de démissionner à trente ans. Grâce à la loi, le monde des Petites et
Moyennes Entreprises s’est ouvert aux femmes. En revanche, les grosses entreprises ne
semblent pas avoir changé leur fonctionnement. Anne Garrigue ne cite-t-elle pas Toyota qui
embauche un quart de femmes à la production dans ses entreprises implantées à l’étranger
contre moins de 1% au Japon (ibid., p.151) ? Elle évoque néanmoins des entreprises
comme Shiseido qui s’efforcent de féminiser leur personnel. Mais la plupart des entreprises
choisissent d’aider la natalité en versant des bonus aux salaires mensuels du père, jusqu’à
39
la sortie de l’université de ses enfants s’il en a trois ou plus . L’orientation de ce type de
mesures ne répond alors pas aux attentes des femmes qui souhaitent pouvoir travailler tout
en élevant leurs enfants. En conséquence de ce système d’emploi des femmes, découlant
du système d’emploi à vie et de progression du salaire à l’ancienneté, les promotions ne
sont presque pas accessibles aux femmes : on l’étudiera plus bas. On peut de plus noter
que le pourcentage de femmes occupant un poste à responsabilité est passé de 4,5 à 5,1%
de 2000 à 2005 : on le verra, les postes les plus cotés ne sont encore pas complètement
accessibles aux femmes.
On aboutit donc à un difficile constat de l’avancée des femmes dans la sphère publique.
Si les filles vont de plus en plus à l’université, et dans les cycles longs, elles ne s’intègrent
que temporairement au monde du travail, si elles veulent devenir mère. Donc les femmes
japonaises travaillent davantage, mais leur vie active est modelée sur les exigences de leur
vie de mère : la démission au premier enfant entraîne une sortie du marché du travail régulier
quasi-définitive. Ensuite, elles ne reprennent un emploi qu’à temps partiel. Ici on a voulu
évoquer l’avancée des femmes, qu’il a été difficile de montrer sans de suite la nuancer. Nous
étudierons plus bas la non-avancée des femmes. A présent qu’on a parlé de leurs progrès,
on doit voir leurs conséquences sur le taux de natalité.
2. L’avancée des femmes a-t-elle vraiment eu des conséquences sur
le taux de natalité ?
Nous allons partir du principe que les femmes, sorties du fond de la maison, se seraient
également détournées de leur rôle de mère, en s’aventurant à l’université puis au travail.
39
Reportage télévisé du 17 avril 2008, Daiwa House Group : bonus de 5000Y par mois par enfant. Soft Bank versement de
50 000 à 300 000Y par an. Il semble que le nombre de salariés ayant des enfants a alors augmenté fortement dans ces entreprises.
40
Dubois Charlotte - 2009
II. Les relations avant le mariage : mieux vaut rester chacun chez ses parents
Mais nous montrerons que cela n’est pas si automatique, et ce pour les deux sphères que
nous avons citées.
Muriel Jolivet en 1993 cite l’ancien ministre des finances et Premier Ministre Ryûtarô
Hashimito qui estimait que les études supérieures avaient détourné les jeunes filles de leur
devoir : avoir des enfants. Dans le même sens, on peut effectivement penser que les femmes
sorties du foyer ont été éloignées des berceaux. En fait, de nombreux auteurs dénoncent
la loi de l’Egalité des Chances : on autorisait les femmes à investir le monde du travail,
tout en continuant de leur déléguer les tâches domestiques et le soin des dépendants. En
ce sens, elles devaient cumuler les rôles, ce qui finalement s’avérera impossible : mieux
vaut alors les ramener au foyer. Ce sera la thèse adoptée par les premières politiques
natalistes des années 1990. La démission au mariage s’explique ainsi facilement : si la
femme désire avoir une vie conjugale, elle ne peut pas continuer à travailler autant qu’un
homme et qu’une femme au foyer à la fois. C’est encore plus évident lorsqu’un enfant vient
à naître. Finalement, comme l’explique Rosenbluth en 2002, la main d’œuvre féminine reste
l’huile qui assouplit les mécanismes du système d’emploi à vie et progression à l’ancienneté.
Néanmoins, l’auteure attire notre attention sur une première constatation : à la
campagne, où le taux d’activité des femmes est plus élevé, le taux de natalité l’est aussi.
Pour elle, les femmes rencontrent moins d’obstacles à la naissance de leur enfant. Les
grands-parents habitent tout près et peuvent s’occuper des enfants ; on passe plus de temps
en famille ; le lieu de travail est plus proche du domicile ; l’éducation des enfants est moins la
cible du marketing des juku et autres. Le temps entre travail et famille semble plus équilibré,
d’autant plus que, fait remarquer l’auteure, le PLD oriente ses politiques vers son électorat
le plus fidèle, à savoir les ruraux. Déjà en 1993, Muriel Jolivet faisait état d’une étude du
MHW montrant que les femmes actives avaient un taux de fécondité plus élevé que les
autres. De même, Ogawa et Retherford mettent en évidence une relation entre le niveau
d’études de la population féminine japonaise et le taux de fécondité : certes plus le premier
a augmenté, plus le deuxième a diminué. Mais ils montrent que le taux de natalité a baissé
pour tous les niveaux d’études : ce n’est donc qu’une co-variation.
Sawako Shirahase, membre du NIPSSR, cherche à évaluer précisément le rapport
entre la généralisation des études supérieures chez les filles et la baisse du taux de natalité.
Nous nous trouvons en effet devant des variations concomitantes dont on nous apprend à
nous méfier en sciences sociales. L’auteure cite d’emblée une étude de Ueno en 1998 qui
prouve que même si une femme fait des études supérieures, elle n’est pas nécessairement
conduite à faire carrière. Dans un premier temps, elle étudie trois cohortes de femmes, nées
entre 1925 et 1975, en fonction de l’âge au mariage et l’année du diplôme. Elle observe
qu’en effet, l’âge au mariage augmente avec le niveau d’études. Or on le verra, c’est l’un
des principaux tenants démographiques de la baisse de la fécondité au Japon. Cependant,
elle montre que le temps entre le mariage et le diplôme est plus court à mesure que le
diplôme est tardif. Finalement, le mariage des non diplômées et des diplômées a lieu au
même âge environ. Elle établit alors une distinction entre l’« âge (time) au mariage » et le
« moment (timing) du mariage ». Si le moment est plus tardif dans la vie d’une femme, il
arrive au même âge. En ce qui concerne la naissance du premier enfant, elle arrive plus
tard pour les femmes diplômées, mais à distance égale du mariage avec les non-diplômées.
40
C’est le critère de l’âge qui semble le plus pertinent dans ce cas . Ensuite, elle étudie la
vision de la division sexuelle des tâches en fonction du parcours scolaire, en partant de
l’axiome suivant : plus femmes sont diplômées, plus elles rejettent la division traditionnelle
40
On a du mal à comprendre : puisque l’âge au mariage est identique, et que le temps entre le mariage et la naissance l’est
aussi, l’âge à la naissance du premier enfant ne devrait pas différer entre les diplômées et les non-diplômées.
Dubois Charlotte - 2009
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La crise de la fécondité au Japon
des tâches. En réalité, ce sont les hommes qui sont ici ceux qui feraient varier le taux de
natalité de leur femme. En effet, l’homme n’aidera pas sa femme dans les travaux ménagers
si elle travaille à plein temps, mais s’il a lui-même un haut niveau d’éducation. En ce qui
concerne leur participation à l’éducation des enfant en revanche, le facteur le plus influent
est l’âge du père, et toujours pas le travail de la mère.
Sa conclusion est donc que la décision d’avoir un enfant dépend surtout de l’âge
des parents, celui de la mère au mariage. Il l’emporte sur les évolutions sociales
et économiques liées à l’éducation des femmes. Ceci serait en raison d’une vision
chronologique hiérarchisée de la vie chez les Japonais, soumise à un « emploi du temps
social » très oppressant. Ainsi, lorsque les couples en arrivent à l’âge – time – où la société
leur pose la question de savoir si oui ou non ils font leur premier enfant, leur moment – timing
– n’est pas venu : ils répondent non. Ceci est bien illustré par la répartition des réponses des
célibataires sur leurs intentions de se marier un jour. 49,5% des femmes pensent qu’elles
finiront par se marier à un certain âge, contre 49% que cela ne dérange pas de devoir
attendre la bonne personne. Chez les hommes, les pourcentages sont respectivement de
51,9% et 46,7% (Iwasawa, 2008a). L’agrégat des ces décisions individuelles provoque la
dénatalité. Il semble donc bien qu’il y ait un problème au niveau global, dans cet agenda
social des décisions, imposé au niveau individuel. Finalement, la baisse du taux de natalité
n’a pas pour cause unique les femmes et leur avancée en terme d’éducation : les hommes
en sont tout aussi responsables, et c’est ce que nous tenterons de montrer tout au long de
cette étude, non plus seulement sur le thème de l’éducation. Selon l’auteure, les questions
de mariage et de naissance sont simultanées, comme on le verra. Si l’on n’est pas prêt pour
l’un, on ne fera ni l’un ni l’autre. Un système social plus flexible avec la vie du couple est
donc nécessaire, comme on le prouvera en décrivant les pressions sociales tout au long
de la vie du couple.
D’ailleurs, Toru Suzuki va plus loin : il démonte l’argument selon lequel l’avancée des
femmes sur le marché de l’emploi a entraîné la chute de la natalité. En réalité selon l’auteur,
il existe une distorsion entre le niveau macro et le niveau micro. Toru Suzuki explique qu’en
effet, encourager le travail des femmes fait mécaniquement baisser le taux de natalité à
court terme. Si une femme peut travailler, elle risque de préférer ne pas avoir d’enfant. Or
à plus long terme, faciliter le travail des femmes leur permet de vivre parallèlement leur vie
de femme et de mère. Le travail des femmes étant accepté socialement, techniquement
des ajustements s’effectuent pour permettre la conciliation du travail et de la maternité. La
naissance n’est pas un obstacle au travail, elle fait véritablement l’objet d’un choix libre que
rien n’empêche ou ne fait apparaître comme un sacrifice. Un graphique éloquent illustre
cette même idée, qui met en relation le taux de natalité en fonction du taux de femmes
actives au sein la population féminine (NIPSSR, 2003 p.29).
Taux de natalité en fonction du taux de participation féminine au marché du travail
42
Dubois Charlotte - 2009
II. Les relations avant le mariage : mieux vaut rester chacun chez ses parents
On a bien la preuve que malgré une forte participation des femmes au marché du travail,
le taux de natalité reste élevé. C’est même l’inverse qui est ici montré : les pays ayant le plus
bas taux de femmes actives sont ceux au lowest-low fertility rate identifiés par Toru Suzuki :
l’Espagne et l’Italie en Europe du Sud, la Corée du Sud et le Japon en Asie. Finalement,
l’avancée sociale des femmes ne semble pas agir en défaveur du taux de natalité. De même,
si classiquement l’individualisme des femmes est dénoncé pour expliquer la dénatalité,
sa montée a-t-elle réellement remis en cause la division sexuelle des tâches, au point de
détourner les femmes de leur rôle de mère ?
3. La montée de l’individualisme des femmes en diatribe féministe ?
Toru Suzuki rapproche les Etats d’Europe du Sud à lowest-low fertility rate par la prégnance
de valeurs conservatrices en ce qui concerne la famille, la religion, comme en témoigne
le bas taux de femmes actives. De même au Japon, les liens familiaux sont encore très
serrés. On accuse alors la montée de l’individualisme chez les femmes d’être l’une des
principales causes de la dénatalité, en contribuant à la désagrégation des liens familiaux.
Nous avons déjà étudié et élargi le « quiproquo » sur l’individualisme, mis à jour chez Anne
Garrigue en 2000. Les femmes, en préférant mener une vie personnelle, pour réaliser leurs
propres projets, choisiraient volontairement de ne pas se marier ni avoir d’enfants, pour être
carriéristes. Cette idée prouve qu’une femme ne peut pas concilier une vie personnelle et
une vie de mère, sans aller au devant d’obstacles ici matériels. C’est une nouvelle illustration
de ce quiproquo. Ainsi, selon Akiko Shimoju, citée par Anne Garrigue en 2000 p.52, « au
Japon, à chaque rôle correspond un faisceau de devoirs. […] On prend le masque de la
mère ou de la professionnelle.[…] Mais on est toujours le même individu ! […] Il faut que cela
change ! ». La campagne publicitaire de McDonald’s visant à recruter des salariés à temps
Dubois Charlotte - 2009
43
La crise de la fécondité au Japon
partiel joue sur ce registre en 2007-2008. Cette campagne vise aussi les femmes, puisque
celles de plus de trente ans représentent 85% des salariés à temps partiel. La femme, qui
a visiblement plus de trente ans, qui promeut l’emploi à temps partiel chez McDonald’s
explique qu’elle peut changer de visage, et ainsi troquer celui de maman (« mama »)
pour celui du travail (« Kitto, mama no kao kara, shigoto no kao ni natteru » Photographie
personnelle ).
Nous avons déjà évoqué les aspirations personnelles des Japonais en général au sein
même du couple. En réalité, celles des femmes semblent encore plus développées. 42%
des femmes non mariées de 18 à 24 ans répondaient que la raison pour laquelle elle ne se
mariait pas était la suivante : « je veux me concentrer sur mon travail (mes études) ». Cette
proportion a augmenté graduellement, passant de 28% en 1992, à 31 en 1997 et 37 en 2002
(Iwasawa, 2008a). Effectivement, puisque la charge de l’enfant repose exclusivement sur la
femme, le moindre changement les affectant a des effets directs sur la natalité. L’affirmation
« Même si je suis en couple, je veux être moi » séduit 90% des femmes contre 75% des
hommes ; « je ne veux pas sacrifier mes propres loisirs ou occupations aux affaires des
mon conjoint » est revendiqué par presque 80% des femmes contre moins de 60% des
hommes (Sodei, 2003). Muriel Jolivet en 1993 nous livre ainsi une caricature de la jeune fille
d’aujourd’hui très péjorative. Elle la surnomme Hanako, du nom d’un magazine féminin. Elle
habite chez ses parents, mais travaille afin d’avoir son propre budget pour assouvir sa
soif de consommation. Hanako aurait pu être dans son adolescence une adepte de l’enjo
kôsai, dont Jolivet ne parle pas, contrairement à Garrigue Il s’agit d’une pratique qui lie de
très jeunes femmes à des hommes d’âge mûr qui souhaitent entretenir des relations, être
vus avec elles. Elles se paient ainsi des articles de marque. Hanako veut faire carrière et
pourquoi pas trouver le Prince Charmant, sans devoir renoncer à rien : elle n’en « fai[t]
qu’à sa tête ». A contempler ces « ‘kattena obatarian’, bonnes femmes égocentriques et
Hanako capricieuses », la féministe Chizuko Ueno, paraphrasée dans le titre du paragraphe
de Jolivet, se lamente : « 20 ans de féminisme pour en arriver là ? ». Mais la jeune femme
moyenne qui rêve d’être Hanako ne le sera jamais, car le risque de célibat demeure trop
élevé, et le discours social envers lui encore sévère. Elles vivent ainsi pendant un temps,
mais se marient in fine : l’étude de la mentalité des célibataires fait le constat qu’après 25
ans, le célibat est davantage subi.
Finalement, les sondages qui concernent la vision traditionnelle selon laquelle la femme
doit rester au foyer et l’homme aller travailler sont révélateurs des différences entre la façon
de penser des hommes et celles des femmes. Seules 29% des femmes contre 36% des
hommes partagent cette opinion. « Il est normal d’avoir des buts personnels après s’être
44
Dubois Charlotte - 2009
II. Les relations avant le mariage : mieux vaut rester chacun chez ses parents
marié, différents de ceux de son partenaire ou des autres membres de la famille » obtenait
80,2% des voix masculines et 84,9% des voix féminines, soit pratiquement 5 points de
plus. « Il est naturel de sacrifier la moitié de sa personnalité ou de son style de vie pour
sa famille » est une opinion partagée par 56,7% des hommes mais seulement 40,1% des
femmes. Cette norme sociale qui lie couple et mariage, puis mariage et naissance, soude
aussi naissance et démission, famille et sacrifice de sa vie de femme. Néanmoins, celui
qui demande aux femmes de rester au foyer pendant que leurs enfants sont petits restent
généralement admis par 75,9% des hommes et 77,8% des femmes (Iwasawa, 2008b). On
retrouve le même constat que plus haut : si l’individualisme des femmes tend à faire changer
les mentalités, il ne semble pas influer en mal sur le taux de natalité. Les femmes restent
attachées à leur rôle de mère, auprès de leurs enfants.
On a donc vu dans cette partie qu’on pouvait parler d’une avancée des femmes
dans la société. Malgré de lourdes pesanteurs sociales sur lesquelles ont reviendra,
l’individualisme progresse au moins dans les idées. Mais dans les faits, il semble que
ce ne soit pas ce progrès des femmes qui ait fait chuter à ce point le taux de natalité
japonais. L’arrière-plan social que nous avons étudié jusqu’à présent (le path dependant
contraceptif japonais définissant les rapports hommes-femmes en faveur des hommes (A)
et une soif d’individualisation des femmes pas véritablement mise en pratique (B)), nous
mène au constat suivant : chacun des deux camps se retrouve éloigné par sa mentalité
et ses pratiques. Dans le carde de l’avant-couple, on va voir enfin l’opposition des deux
mondes sexués quant à la séduction l’un de l’autre. Tout d’abord, on étudiera le manque de
communication entre eux, pour voir en détail la séduction chez les Japonais. On comprendra
en quoi cela pèse sur la natalité. On débouchera naturellement sur le cantonnement chacun
chez soi, avec le phénomène des parasite single.
C. Jeunes japonais, jeunes japonaises : deux camps
opposés que rien ne rapproche
1. L’absence de marché de la rencontre
Nous avons déjà évoqué la fin des mariages arrangés par les parents: ils représentaient
plus de 60% des mariages en 1955, et en représentent moins de 5% en 2004. Néanmoins,
41
de nombreux auteurs constatent qu’ils n’ont pas fait place à un « marché du mariage » qui
aurait permis aux jeunes Japonais de rencontrer leur futur partenaire. Il n’y a en effet plus
de médiation qui leur soit donnée entre l’offre et la demande de mariage. Selon l’Enquête
Nationale sur le Planning Familial du Mainichi Shinbun (citée par Ogawa et Retherford,
2005 p.12), les femmes célibataires sans ami masculin étaient respectivement 34% en
1990, 38% en 1994, 41% en 1996 et 1998, et 39% en 2004. Selon la Treizième Etude
sur la Fécondité au Japon (Iwasawa, 2008a), 52,5% des hommes et 44,7% des femmes
célibataires interrogés n’ont pas de relations avec une personne du sexe opposé. Seuls
20,5% des hommes et 27,3% des femmes non mariés de 18 à 34 ans ont un ou une petit(e)
ami(e), qu’on qualifie dans le questionnaire d’«éventuel candidat au mariage ». Selon cette
enquête, la tranche d’âge où les hommes et les femmes ont le plus de relations est celle des
41
Etude de Fukutake en 1989, citée par Ogawa et Retherford, 2005 p.12.
Dubois Charlotte - 2009
45
La crise de la fécondité au Japon
25-29 ans, et le pourcentage de femmes à avoir un petit ami est plus important que celui des
42
hommes . Or, comme nous l’avons montré, les contraceptifs male-dominant sont ceux les
plus utilisés, pour les raisons historiques que nous avons vues chez Tiana Norgren. Ainsi,
les hommes célibataires sont-ils plus libres d’avoir des relations sexuelles : 58,2% d’entre
eux, contre 52,1% des femmes non mariées ont déjà eu des relations sexuelles. Alors que
chez les hommes, ce pourcentage augmente grandement avec l’âge, pour atteindre 66%
entre 25 et 29 ans, il augmente dans une bien moindre mesure chez les femmes, pour
atteindre le pic de 60,4% pour la même tranche d’âge. Notons de plus que ce pourcentage
diminue pour les deux sexes, depuis 2002 pour les femmes et depuis 1992 pour certaines
tranches d’âge chez les hommes.
Muriel Jolivet en 1993 explique cet éloignement des jeunes japonais par les préceptes
confucéens selon lesquels après sept ans, les filles et les garçons ne doivent plus s’asseoir
ensemble. Elle cite l’étude de Katsuko Suzuki, pour qui la place trop prépondérante
accordée à la famille, la renommée de l’université et l’employeur de l’autre, fausse les
rapports. Mari Mizuno, auteure de « sekando vâjin shokôgun » citée par Jolivet, observe un
désintérêt général pour le sexe. Les jeunes filles, un temps préoccupées par cela, perdent
leur virginité puis se détournent des garçons dans une période d’inactivité sexuelle qui
donne le titre à l’ouvrage de Mizuno, « seconde virginité ». Les garçons eux, n’ont pas
le temps de faire la cour aux filles. Toutes les étapes qui précèdent les rapports sexuels
étant trop coûteux, ils se rabattent sur une industrie pornographique des plus fécondes
au Japon, comme le rappelle Anne Garrigue qui évalue les revenus de l’industrie du sexe
à 1% du PIB nippon (p.328). Le progrès des Nouvelles Technologies de l’Information
et de la Communication (NTIC) a également contribué à l’éloignement des jeunes. La
communication virtuelle s’est généralisée, qui accentue la distance entre d’une part ce qu’on
fait ou dit quand on est caché par un clavier et un écran, celui du keitai denwa le téléphone
portable, et d’autre part ce qu’on est capable de faire dans la réalité, devant la personne.
On vit l’amour au travers des manga, des dorama les séries télévisées, le sexe aussi, par
procuration, comme les otaku, qu’on peut voir photographier des jeunes filles en uniforme
de lycéennes qu’ils paient, dans des parcs au milieu d’enfants qui jouent. On rappellera
alors les motifs qui auraient poussé le meurtrier de Akihabara à la tuerie qu’il a commise
début 2008 : les femmes rencontrées sur Internet ne s’intéressaient qu’à l’apparence, pas à
lui, avait-il constaté après les avoir rencontrées. Il n’arrivait pas à trouver de petite amie. En
outre, cela contribue à augmenter la concurrence entre chacun. En effet, le lien étant dans
un premier temps facilité, les jeunes multiplient les prises de contact, ce qui dilue d’autant
plus les chances de concrétisation réelle de ces approches virtuelles.
43
D’ailleurs, les célibataires veulent presque tous se marier . Selon la Treizième Etude
sur la Fécondité au Japon, dans son volet concernant les couples mariés (Iwasawa, 2008b),
la rencontre, à l’origine de l’amour des couples interrogés et mariés entre 1982 et 2002,
avait lieu sur le lieu de travail, pour environ 30% de ceux concernés par un mariage d’amour.
Depuis l’étude de 2005, c’est par le biais de connaissances que les futurs amants se
rencontrent. Cela corrobore l’hypothèse de l’absence de « marché de la rencontre » qui
pèserait sur les relations entre les jeunes : on s’aperçoit qu’ils recherchent l’intermédiation,
transférée des parents dans l’ancien cas des omiai, aux connaissances En tout, 70% des
mariages d’amour naissent grâce à des amis, au travail puis à l’école, dont la proportion
augmente d’année en année pour atteindre 11,1% en 2005 contre 6,1% en 1982. On
reviendra plus bas sur l’université considérée comme un lieu privilégier pour rencontrer son
42
35,3% des femmes de 25-29 ans contre 27,7% des hommes.
43
46
87% des hommes et 90% des femmes en 2005 (Iwasawa, 2008b).
Dubois Charlotte - 2009
II. Les relations avant le mariage : mieux vaut rester chacun chez ses parents
futur époux. En ce qui concerne le travail, on parle d’endogamie. Jolivet en 1993 estime que
les cols bleus en ont davantage le temps que les cols blancs, c’est-à-dire les salarymen.
Pour palier les manques d’occasions de rencontres, 6,4% des couples ont été présentés
par des intermédiaires de type omiai ou agence matrimoniale. Parfois, les entreprises s’y
joignent pour améliorer la concentration de leurs salariés, et leur dévouement à leur travail.
Il existe en effet 3100 entreprises de dating dans tout le pays, et certaines entreprises créent
des clubs de rencontre pour favoriser l’endogamie. Ogawa et Retherford citent l’exemple du
Mizuho Financial Group qui possède Canon, Sapporo Beer, et NKK Steel notamment. Pour
une cotisation de 50 000 Yen par an, les salariés peuvent rejoindre le Club de la Famille
Foyô. Si un mariage en résulte, le couple reçoit une prime de 70 000 Yen. Le club compte 70
000 membres avec 10% de succès en termes de mariages. Certains auteurs vont jusqu’à
défendre l’idée d’un service public de la rencontre. En janvier 2005, le gouvernement luimême a mandaté un groupe d’experts au sein du Ministère de l’Economie, du Commerce et
de l’Industrie pour étudier les possibilités de services d’information sur le mariage, et d’aide
44
à la maîtrise de la communication interpersonnelle .
Il existe donc un forte demande, mais en l’absence d’intermédiation naît la frustration
qu’on vient d’évoquer. Cela renforce la concurrence entre les individus sur le marché de la
rencontre. On va à présent évoquer ces jeux de l’amour d’un point de vue rationnel.
2. Le différentiel de charme, fatal à beaucoup, galvanisé par les
exigences des femmes…
Donc, contrairement à celles qui les ont précédées, les jeunes générations depuis les
années 1980 ont vu leurs occasions de rencontre se multiplier, même s’ils ne savent
pas concrétiser ces contacts. Auparavant les écoles n’étaient pas mixtes, l’université un
monde d’hommes : les hommes tombaient d’autant plus facilement amoureux qu’ils avaient
rarement côtoyé de femmes. Les femmes acceptaient plus directement les propositions des
hommes pour des raisons notamment économiques, leur bien-être financier et social étant
liés au mariage. Aujourd’hui, la multiplication des occasions de rencontres a compliqué les
rapports, comme nous l’avons étudié. D’une part, la concurrence entre chacun est accrue ;
d’autre part, ceux qui ne s’intéressent pas du tout au sexe sont plus nombreux. Nous avons
ainsi constaté que le sexe globalement reculait chez les jeunes. En réalité, il augmente pour
certains, sur qui les rencontres se concentrent, tandis que d’autre en sont véritablement
écartés. C’est ce que montre très bien ce graphique (Yamada, 2007 p.181).
Taux et fréquence des rapports sexuels chez les étudiants japonais
44
Asahi Shinbun, 2005, cité par Ogawa et Retherford, 2005.
Dubois Charlotte - 2009
47
La crise de la fécondité au Japon
On voit dans le premier graphique la baisse du taux d’étudiants ayant eu des rapports
sexuels en fonction de l’année d’études. Il diminue après la deuxième année d’université
par rapport à 1999. Cela signifie que les rapports ont lieu plus tôt pour ceux qui se lancent,
les autres patientent davantage qu’en 1999. Le second graphique montre la fréquence
des rapports. Celle-ci est bien supérieure à celle de 1999, surtout à partir de l’entrée en
université. Cela montre clairement que les rapports se concentrent sur ceux qui ont un
potentiel de charme certain, et qui concurrencent les autres au point de détenir le monopole
des rapports sexuels.
Yamada théorise ce principe de « différentiel de charme » ou « potentiel de séduction »,
miryoku. C’est ce qui contribue selon l’auteur à différencier l’homme de l’animal. L’être
humain préfèrera rester célibataire s’il ne ressent pas de réciprocité dans l’attirance. L’auteur
critique par là indirectement le système d’agences matrimoniales ou de speed-dating pour
trouver un partenaire à tout prix. C’est bien la réciprocité qui pose problème pour certains
jeunes, qui ressentent de l’attirance mais n’en suscitent pas. Ce potentiel de charme tient
aux critères de séduction liés à chaque génération. C’est ce à quoi nous allons nous
intéresser, d’abord du côté des hommes, puis de celui des femmes, pour connaître le profil
des jeunes à haut potentiel de charme. En effet, puisque le mariage est une question
48
Dubois Charlotte - 2009
II. Les relations avant le mariage : mieux vaut rester chacun chez ses parents
d’amour, et plus une nécessité d’ordre économique, on se pose davantage de questions
sur son coût et ses bénéfices. Cela contribue encore à accentuer la concurrence entre les
jeunes gens dans la cadre de la séduction.
De nos jours, l’argent joue un grand rôle pour les femmes. Muriel Jolivet en 1993
décrit les trois kô (de takai, haut) qui attirent les femmes : kô shûnyû, hauts revenus,
kô gakureki, parcours scolaire dans les meilleures écoles, kô shinchô, grand de taille. La
Hanako qu’on a décrite plus haut y ajoute trois ryô (de yoi, beau) : Ryô kao, seikaku,
iegara, c’est-à-dire beau physiquement, ayant bon caractère et issu d’une bonne famille.
Jolivet intitule alors l’un des ses paragraphes « le marché des ‘incasables’ » pour parler
des vieux garçons. Le critère économique reste donc le critère principal pour les femmes :
il s’agit d’une part du revenu, mais également de la capacité à diriger. C’est là le reflet de la
division traditionnelle des tâches, intériorisée dans les rapports de séduction. Ainsi, plus le
salaire des hommes est bas, plus le taux de célibataires est haut (Yamada). Ceux ayant un
parcours scolaire moins prestigieux, donc les postes offrant les salaires les moins élevés,
voire n’ayant pas d’emploi régulier, comme le jeune tueur de Akihabara, ont beaucoup de
mal à séduire, et se retrouvent sur la touche. Ce phénomène s’accentue avec l’accession
des femmes à l’université. Plus leur potentiel dans le monde du travail sera haut, plus elles
seront exigeantes avec les hommes. Puisque le salaire de l’homme va se substituer au leur
lorsqu’elles démissionneront après la naissance de leur premier enfant, le premier doit être
d’autant plus conséquent que le second était haut. On verra plus bas le coût de l’éducation
d’un enfant : il suppose véritablement un haut salaire pour l’homme qui seul doit subvenir
aux besoins, et au-delà, aux envies de sa famille. Or depuis la période de Haute Croissance,
le bonheur est synonyme d’aisance matérielle. Ainsi, l’homme à bas salaire est pénalisé lors
de la séduction, et même une fois qu’il a une relation, il peut la perdre lorsque la question
du mariage se pose.
Du côté des femmes, Yamada estime que cela est moins difficile. Toujours suite à
l’intériorisation de la division sexuelle des tâches, les critères de séduction attachées aux
femmes sont liés au caractère et à la silhouette. Dans ce cas, c’est une question de goût,
et pour lui « tous les goûts sont dans la nature ». Néanmoins, elles aussi rencontrent des
difficultés, mais le problème est l’inverse de celui des hommes. Plus leur niveau d’études est
élevé, plus elles ont du mal à attirer. En effet, le coût d’opportunité du mariage, synonyme
de démission, est plus haut : le salaire auquel elles doivent renoncer est d’autant plus élevé.
En conséquence, le taux de célibataires à vie, c’est-à-dire des non mariées, augmente
avec le niveau d’étude pour les femmes, tandis qu’il diminue pour les hommes (Ogawa
et Retherford, 2005). En fait, les hommes préfèrent se marier avec une femme au niveau
d’études inférieur au leur, tandis que les femmes adoptent une démarche inverse. Ainsi, il
est difficile de trouver un partenaire réciproquement pour les hommes à bas niveau d’études
comme on l’a vu et les femmes à haut niveau d’études, ce qui laisse « les femmes de rang
supérieur et hommes de rang inférieur sur la touche » (Akagawa, 2006).
Les femmes pourraient se mettre en couples mais ne le veulent pas. Les hommes
45
voudraient mais ne le peuvent pas . La conclusion de Yamada est simple. Puisque la place
des femmes dans la société japonaise est montante, et celle des hommes, notamment
en termes de salaire, est descendante, il doit être possible de trouver un juste milieu.
Pour cela néanmoins, les mentalités devront changer et s’adapter aux changements
socio-économiques. Si les hommes venaient à ne plus porter sur leurs seules épaules
la responsabilité des revenus pour toute la famille, les femmes reverraient à la baisse
leurs exigences en terme de salaire. Mais ceci dépend tout autant des femmes que des
45
Jolivet, 1993, conclusion d’une étude du Bureau des Problèmes Démographique dans les années 1990.
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49
La crise de la fécondité au Japon
hommes, qui doivent accepter de déléguer une part de cette responsabilité, à qui tient quasiexclusivement leur rôle dans la division traditionnelle des tâches, à leur femme.
3. … décourage les jeunes qui s’installent dans le célibat parasite
Face à ces obstacles, la période de célibat des jeunes japonais avant leur envolée dans la
vie de couple semble se prolonger. Toru Suzuki, dans sa démarche visant à différencier le
Japon des autres pays à lowest-low fertility rate en Europe du Sud, montre que les jeunes
japonais quittent plus tard le domicile parental, notamment les filles : 76,5% des femmes
célibataires entre 20 et 24 ans, 81,8% entre 25 et 29 ans, 79,3% entre 30 et 34 ans vivent
chez leur parents. Les hommes ont davantage tendance à quitter le domicile parental : ceux
qui vivent toujours chez leurs parents sont 72,0% des hommes célibataires entre 20 et 24
ans, 69,0% entre 25 et 29 ans, 69,9% entre 30 et 34 ans. Tout d’abord, outre la difficulté
des trouver un partenaire qu’on a montrée, une fois trouvé ils ne peuvent pas s’installer
avec lui pour gagner l’indépendance. En effet, d’une part l’Etat japonais ne verse aucune
aide au logement des jeunes ; et d’autre part le concubinage n’est socialement pas accepté.
On peut même penser que cela pèse sur les éventuelles relations des célibataires, dans
la mesure où ils ne pourraient pas avoir de relations et rendez-vous sérieux en dehors des
love hotel. Pourtant, les mariages d’amour entraînent un besoin accru d’indépendance par
rapport aux parents. Mais les prix de l’immobilier sont tels qu’il est impossible pour les jeunes
de s’installer ni en couple, ce qui leur permettrait pourtant de partager les coûts, ni même
seuls. La cohabitation avec un partenaire de sexe opposé est très mal accepté socialement.
Anne Garrigue en 2000 évoque le témoignage d’une jeune femme qui avoue qu’on craint
trop les problèmes de voisinage pour s’y risquer. D’ailleurs, 68,9% des femmes mariées en
2005 estiment qu’il faut se marier si on cohabite avec un homme (Iwasawa, 2008b). Miho
Iwaswa en 2004 montre que la courbe du pourcentage de femmes vivant avec un partenaire
du sexe opposé est comparable à celle du pourcentage de femmes mariées dans sa pente
descendante. Celles qui habitent avec un homme souhaitent se marier avec lui à plus de
70%. 10% des femmes fiancées vivent avec l’homme qu’elles vont épouser. L’auteur de
conclure que si la cohabitation diminue, c’est que la prégnance du mariage augmente. Les
rares couples qui cohabitent le font de toute façon en vue d’un mariage. Le concubinage
n’est pas un substitut au mariage, mais une association de courte durée qui le précède.
Les problèmes financiers et sociaux sont alourdis par un aspect inhérent aux jeunes
japonais, à savoir leur entrée tardive dans la vie active. Ce principe est matérialisé par
l’augmentation du nombre d’étudiants qui soit continuent des études plus poussées, en
gakuin, soit occupent des emplois à temps partiel. Ils n’étaient que 55% à obtenir un travail à
temps complet à la fin de leurs études en 2003 contre 77,8% en 1988. Ceux qui prolongent
leur parcours universitaire ou optent pour un poste à temps partiel sont passés de 9,4%
à 27,1% (Suzuki, 2006). Or leur salaire représente alors 30% de celui de leurs collègues
engagés dans le système d’emploi à vie.
46
Comparaison des revenus annuels selon la catégorie de l’emploi et l’âge
46
50
Document tiré du White Paper on the National Lifestyle annuel du Cabinet Office, de Juin 2005
Dubois Charlotte - 2009
II. Les relations avant le mariage : mieux vaut rester chacun chez ses parents
Et quand deux jeunes diplômés exerçant un petit boulot, arubaito, se mettent en couple,
ils font bien partie de la catégorie réputée la plus riche dans les société développées
des DINK : double-income-no-kids. Et pourtant ils ne parviennent pas à eux deux au
niveau de vie d’un couple dont seul l’homme travail à temps plein. Comment dans ce
contexte envisager le mariage ou la naissance ? D’autant plus qu’en tant que futurs parents,
ils se doutent qu’ils devront assurer l’avenir financier de leurs enfants plus tardivement
qu’auparavant, si leur future progéniture suit leur propre exemple et s’attarde chez eux.
Enfin, la réinsertion sur le marché du travail à plein temps après avoir entamé sa vie
professionnelle par le temps partiel, si cela n’est pas de l’ordre du provisoire le temps de
trouver un emploi régulier, est très difficile, tout autant que celle des femmes une fois qu’elles
ont quitté le système d’emploi à vie.
Le phénomène que nous décrivons ici est celui des parasite single, traduits tel quel
en japonais. Ce sont des jeunes qui vivent aux crochets de leurs parents bien plus tard
que raisonnable. Ils choisissent le temps partiel, puisqu’ils n’ont que peu de dépenses
notamment en terme de loyer. Leur salaire tient lieu d’argent de poche pour leurs loisirs.
Ils considèrent le domicile parental comme un hôtel, d’où le terme de hoteru kazoku,
Dubois Charlotte - 2009
51
La crise de la fécondité au Japon
famille-hôtel, qui leur est accolé. C’est l’apanage des OL, qui repoussent le mariage pour
profiter de leur vie de célibataire à l’image de Hanako, mais pas seulement. On verra cela
en détail plus bas. Avec la crise des années 1990, plus la crise asiatique de 1997, on
assiste à un vieillissement des célibataires parasites. On peut néanmoins s’interroger sur
la responsabilité des parents. On a déjà évoqué combien les mères japonaises étaient
protectrices. Selon certains auteurs, ce sont ces mères au foyer gâtant leur enfant qui
contribuent à leur manque d’indépendance. Plus on les considère comme des rois lorsqu’ils
sont enfants, plus on se sacrifie pour leur bonheur matériel, plus ils auront du mal à y
renoncer pour se lancer dans la vie. D’ailleurs, Makato Atoh en 2001 remarque que 60%
des célibataires femmes vivant chez leurs parents parlent des difficultés financières qu’elles
rencontreraient si elles vivaient seules. Or l’auteur signale que 40% des trentenaires qui
en auraient les moyens répondent la même chose. Seule la moitié d’entre celles qui vivent
seules avait pour objectif leur indépendance économique et mentale. L’auteur conclut donc
que l’aspiration à l’indépendance des jeunes femmes célibataires est faible. En général, les
deux sexes citent en troisième position des démérites du mariage la perte de contrôle sur les
dépenses de son propre argent. Le détail des dépenses d’un foyer composé d’un célibataire
comparées à celles d’un couple est éloquent. Les postes loyer, repas à l’extérieur et culture
47
et activité de loisir sont bien supérieurs dans le premier cas .
On vient donc d’étudier ce qui précède et détermine la formation du couple au Japon.
On a montré que l’usage des contraceptifs male-dominant n’avait pas permis aux femmes de
s’émanciper au même titre que celles des sociétés occidentales où les contraceptifs femaledominant sont les plus répandus. On a néanmoins essayé de décrire l’avancée des femmes
dans la société japonaise : elles ont investi la sphère publique à travers leur progrès dans
l’éducation et leur salarisation accrue au sein du marché du travail. Nous avons cependant
dû nuancer notre propos face aux modalités de cette participation que sont la démission
après le premier enfant et la domination du temps partiel chez les femmes actives, que nous
étudierons en détail plus bas. On a ainsi démontré que cette avancée relative n’avait pas
eu tant de conséquences qu’on aurait pu le croire en apparence, sur le taux de natalité.
C’est la distance entre les jeunes japonais qui semble plus décisive. Induite par ce qu’on
a vient de décrire et par une absence de communication et d’intermédiation sur le marché
de la rencontre, elle isole les jeunes qui n’ont pas de potentiel de charme suffisant pour
séduire un partenaire et se diriger ensemble jusqu’au mariage. Ce phénomène explique la
recrudescence des parasite single qui préfèrent jouir du confort de la vie de Tanguy plutôt
que de se risquer à se lancer dans la vie d’adulte. On va à présent étudier le moment
même de la formation du couple. Il s’agit d’une démarche du type bilan coûts-avantages
que chacun effectue pour prendre une décision, selon l’école de Michigan et de l’individu
rationnel. On ne s’investira dans le couple que si cela est avantageux pour soi. Nous allons
donc voir d’abord ce processus au travers l’école de l’économie du couple. On s’apercevra
alors que les jeunes japonais aboutissent en nombre à la conclusion selon laquelle le célibat,
c’est-à-dire le non-mariage, est plus intéressant. Mais l’augmentation du célibat n’a autant
d’impact sur le taux de natalité que parce qu’au Japon nuptialité et natalité sont soudées.
Le recul du mariage est l’une des causes principales de la crise de la fécondité : il convient
de l’étudier en détail.
47
52
White Paper on the National Lifestyle annuel du Cabinet Office, juin 2005.
Dubois Charlotte - 2009
III. La formation du couple : un bilan coûts-avantages défavorable à celui-ci
III. La formation du couple : un bilan
coûts-avantages défavorable à celui-ci
A. Le coût d’opportunité du mariage trop élevé pour
attirer…
Nous avons montré que le mariage n’est plus une nécessité d’ordre économique pour la
femme qui a acquis son indépendance financière par son travail. Pour franchir le pas du
mariage, il faut donc une autre raison. Selon les penseurs de l’économie du mariage, chacun
des partenaires va avoir une démarche rationnelle pour prendre cette décision. Chacun
pèse les pour et les contre, confronte les avantages et les inconvénients de sa situation
présente et ceux de la situation future. Or ce bilan coûts-avantages n’est pas au bénéfice
du mariage. On définira d’abord le coût d’opportunité symbolique de celui-ci, puis son coût
financier.
Selon le modèle de Backer, de l’école de Michigan (Shimizu, 2004), chaque individu
va chercher dans la relation avec l’autre à optimiser ses propres revenus, patrimoine,
caractère, apparence. Chercher le bon partenaire a un coût, il existe des asymétries
d’information comme sur tout type de marché. Plus le potentiel des femmes est haut, plus
elles auront du mal à trouver quelqu’un capable de le prolonger. C’est pourquoi on a vu
plus haut que les femmes à haut niveau d’études restaient en marge. Backer estime que
le couple est l’union de deux individus qui, au même titre que l’Angleterre et avec les draps
et le Portugal et le vin vont se spécialiser dans le facteur de production dont ils sont le
mieux doté pour atteindre l’équilibre général, synonyme ici de bonheur conjugal. Tant que
48
le salaire de l’homme sera supérieur à celui d’une femme au même poste , il portera la
responsabilité du travail rémunéré, tandis que la femme, qui a un meilleur rendement en
49
ce qui concerne les tâches ménagères, restera spécialisée dans le soin de la maison .
C’est la distinction entre le paid work qu’exerce le mari et le unpaid work de la femme.
Mais ce rapport est faussé par la modernisation. D’une part, la femme peut faire carrière,
parfois mieux que son mari si celui-ci n’occupe pas un emploi à vie. D’autre part, avec
la nucléarisation de la famille, les économies d’échelles réalisées par une famille de trois
générations réunies sur le même toit, en termes de nourriture ou de logement par exemple,
ne sont plus nécessaires. Les combini, l’électroménager d’une part facilitent la tâche de
la femme, qui dont le temps ainsi libérer peut être consacré à une activité professionnelle
salariée, et d’autre part rendent la vie domestique accessible aux hommes. Les deux sexes
sont dans une certaine mesure plus interchangeables. Il est donc davantage nécessaire
pour chacun de développer son potentiel de charme, afin de susciter des sentiments chez
48
49
une femme reçoit en moyenne 65,9% du salaire d’un homme pour le même poste, Cf. infra.
Voir la distinction entre « femme au foyer pure », dont le kanji en japonais signifie bien spécialisée, et celles qui cumulent
les rôles.
Dubois Charlotte - 2009
53
La crise de la fécondité au Japon
l’autre : rien ne pousse économiquement parlant à se mettre en couple, si ce n’est le coût
de l’immobilier. La décision d’avoir un enfant subit le même genre de traitement. On a
déjà évoqué les chercheurs comme Makato Atoh qui qualifiaient les enfants de « biens de
consommation durables ». Les enfants ne sont plus des « actifs productifs » sur lesquels
on compte pour ses vieux jours. La joie même d’avoir un enfant n’est pas vraiment un
attrait : peu de Japonais côtoient des enfants en bas âge, et on verra plus bas que le babyblues l’emporte sur le bonheur de donner la vie. Or avoir des enfants et se marier sont
des questions qui se superposent au Japon, comme nous l’avons vu et continuerons à
l’illustrer. D’un point de vue purement théorique, il semblerait donc que ni l’un ni l’autre ne
soit avantageux pour un homo œconomicus.
Concrètement, le bilan coûts-avantages qu’opèrent les Japonais avant de s’engager
se chiffre également en Yen. Muriel Jolivet en 1993 estimait le prix de revient de l’éducation
d’un enfant à 25 millions de Yen à la fin des années 1980, dont 20 millions consacrés à la
scolarisation. Mais le coût supporté par la femme en matière de renoncement au travail et à
une retraite de travailleur régulier est encore supérieur à cela. Selon les sources, cette perte
se chiffre à plus ou moins 85 millions de Yen. La femme, en sortant du marché du travail lors
de la naissance de son premier enfant, est quasi-assurée de ne pas retrouver un emploi
régulier. Or les emplois à temps partiel qu’elle occupera quand ses enfants auront grandi
peuvent être qualifiés de précaires et n’offrent que peu de garanties de sécurité sociale ou
de prestations. Pourtant à l’avenir, les femmes vont se tourner toujours davantage vers les
emplois à temps plein, leur niveau d’études augmentant toujours. En outre, les subventions
des entreprises pour les salariés dont la femme reste au foyer tendent à disparaître, en
même temps que l’exonération du salaire de la femme qui gagnait moins d’un million de
Yen par an, c’est-à-dire travaillant à temps partiel, a été supprimée en 2004. Cette mesure
avait eu une grande influence dans le choix des mères reprenant une activité salariée dans
50
le temps partiel . Les femmes à haut niveau d’études dont le mari touchait un haut salaire
étaient celles qui bénéficiaient le plus de cette mesure, et ce sont celles qui vont préférer
un emploi à temps plein car elles peuvent y avoir accès. Un individu rationnel aura du mal
à faire le choix de ce sacrifice. La joie n’étant pas non plus au rendez-vous, on peut penser
en fait que c’est l’« emploi du temps » social de la vie qui impose ce choix à ceux qui se
risqueront à se mettre en couple. Or, on l’a vu avec Makato Atoh, « envisager ne serait-ce
que le concubinage » est difficile pour des jeunes femmes modernes qui préfèreraient ne pas
être victime de la spécialisation factorielle qui ajoutera les heures de tâches domestiques à
leurs heures de travail. Finalement, même d’un point de vue pratique et pragmatique, il ne
semble pas rentable pour une femme de se marier et d’avoir des enfants. Pour un homme,
sans doute les dépenses liées à l’éducation des enfants sont-elles un repoussoir. Mais ce
serait alors dans une moindre mesure. C’est sans doute pour cela qu’on pointe davantage
du doigt les femmes quand on parle de la crise de la fécondité au Japon. Encore faudrait-il
que les Japonaises suivent effectivement la démarche rationnelle qu’on vient de décrire…
B. … et sa conséquence directe : un fort taux de
célibat
50
54
Voir plus bas idem note précédente.
Dubois Charlotte - 2009
III. La formation du couple : un bilan coûts-avantages défavorable à celui-ci
Nous avons déjà présenté les célibataires parasites. Nous souhaitons ici aborder le
problème du célibat dans un sens bien plus large. C’est l’un des deux aspects des causes
démographiques de la dénatalité au Japon, car là qui dit célibat dit absence de naissance.
C’est un cas particulier : ailleurs, non-mariage n’est pas antinomique avec l’idée de couple,
de cohabitation, voire de naissances. C’est qu’au Japon, les naissances hors mariage
sont minoritaires. En France, elles sont majoritaires depuis 2007. On comprend alors le
déficit de naissances ainsi provoqué. Quelles sont les autres caractéristiques du célibat à la
japonaise ? On fera d’abord un bilan de la situation, avant de voir les raisons qui poussent
les Japonais à ne pas se marier.
1. Des célibataires qui veulent pourtant se marier
Le décalage entre le taux de natalité total et le taux de fécondité nuptial révèle la lourde
51
responsabilité du célibat dans la dénatalité . En 2005, les célibataires représentent 47,1%
des hommes de 30-34 ans, et 32,0% des femmes jusqu’à 30 ans, alors qu’en 1975 ces
taux étaient respectivement de 14,3% et 7,7%. Entre 1970 et 2000, le taux de célibataires
hommes de plus de 50 ans est passé de 2 à 25%, celui de femmes de 3 à 19%. On n’est
plus ici dans le cadre restreint des célibataires parasites qui veulent profiter de la vie. 2%
des couples non mariés cohabitent, tandis que 10% des célibataires en ont fait l’expérience
(Yamada, 2007). On revient ici sur la gêne que pourrait provoquer la cohabitation avec les
parents de plus en plus longue des jeunes pour leur vie sexuelle. Yamada explique à un
Français qui l’interroge sur la capacité des Japonais à contenir leur désir sexuel quand
ils vivent si tard chez leur parent, le système des Love Hotel, ces chambres qu’on loue à
l’heure dans le but d’avoir un peu d’intimité avec sa compagne. Mais de telles associations
amoureuses ne peuvent pas être construites de façon sérieuse, dans une société où l’on
considère que les relations pour s’amuser mènent aux rapports sexuels, et les relations
amoureuses sérieuses au mariage (Ogawa et Retherford, 2005). Les relations sexuelles
hors mariage sont pourtant acceptées par la majorité des Japonais. Par exemple, 77,2%
des femmes mariées interrogées dans l’étude de Iwasawa (2008b) considèrent que les
membres d’un couple non marié peuvent avoir des relations sexuelles s’ils s’aiment. On a
mis à jour une nouvelle contradiction.
Une autre contradiction met en rapport la volonté toujours aussi forte – voire plus forte,
comme on l’étudiera – de se marier, parmi les célibataires mêmes, et le fort taux de célibat.
La volonté de mariage diffère selon les professions, notamment chez les hommes : les
titulaires d’un emploi stable, à vie avec salaire à l’ancienneté, recherchent davantage le
mariage. Ils sont en effet les représentants de la norme sociale, et à ce titre se doivent de
se marier, pour respecter les attentes que la société place sur eux.
2. Le mariage a trop d’inconvénients, le célibat trop d’avantages
Quelles sont les raisons évoquées par les Japonais pour ne pas se marier, et donc ne pas
se mettre en couple ? On s’appuiera dans ce paragraphe sur les résultats de la Treizième
Etudes sur la Fécondité au Japon, volet célibataire (Iwasawa, 2008a). Les célibataires
estiment que le mariage représente plus d’inconvénients que le célibat. 65,7% des hommes
et 74,0% des femmes pensent que le mariage à des avantages, avec 28,6% des hommes
et 21,5% des femmes qui n’attribuent aucun avantage au mariage. Pour le célibat, 83,8%
51
Voir graphique p.74 (Ogawa et Retherford, 2005 p.2)
Dubois Charlotte - 2009
55
La crise de la fécondité au Japon
des hommes et 87,2% des femmes évoquent des avantages, contre 10,3% des hommes
et 7,6% des femmes qui pensent qu’il n’y en a pas. Sur la balance des avantages et des
inconvénients, le mariage est moins bien équilibré que le célibat. Chez les femmes qui ne
travaillent pas, et qui pourraient donc devenir des femmes au foyer, le mariage semble avoir
encore moins d’avantages. De même, les hommes salariés à temps partiel ou en missions
temporaires trouvent le célibat plus avantageux. Leur profil montre qu’ils préfèrent un mode
de vie alternatif à la norme sociale ambiante.
Le questionnaire soumis aux interrogés permet de connaître les avantages et les
inconvénients que trouvent les célibataires au mariage ou au célibat. En ce qui concerne le
mariage, la vie d’époux apporte aux hommes d’abord un soulagement, un soutien d’ordre
psychologique. Pour les femmes, il s’agit de satisfaire le besoin de fonder sa propre famille.
Ensuite, pour les deux sexes, vient le bonheur de vivre avec quelqu’un pour qui on éprouve
de l’affection. On fera la remarque suivante : chez les hommes, si les faits d’entrer dans
la norme sociale et d’acquérir une vie plus confortable semblent regagner des points dans
les avantages liés au mariage, c’est surtout le critère de la famille qui progresse de 20%
en 1987, à 26% en 2002 puis 33% en 2005. En ce qui concerne la vie de célibataire,
c’est la « liberté d’action ou de style de vie » qui récolte l’écrasante majorité des réponses,
alors que les choix d’avantages pour le mariage étaient moins tranchés. Viennent ensuite
le confort économique, et l’absence de la responsabilité que fait peser une famille. Chez
les femmes, la réponse concernant la possibilité d’avoir un large cercle d’amis arrive en
deuxième position, avec un nombre de suffrages en contraste avec l’écrasante majorité
du choix de la liberté par les hommes. Le mariage est donc bien considéré comme une
contrainte, tant psychologique, que financière, voire sociale en ce qui concerne les femmes,
dans le sens où une fois mariées, elles se retrouvent seules puisqu’elles démissionnent en
majorité après leur premier enfant. Bien souvent, elles sont seules avec leur bébé alors que
leur mari travaille : c’est le baby-blues qu’on étudiera plus bas.
52
Finalement, quand on interroge les célibataires sur les raisons de leur choix de vie ,
on s’aperçoit qu’il est volontaire jusqu’à 25 ans, puis subi. Jusqu’à 25 ans, les célibataires
hommes se considèrent d’abord trop jeunes pour se marier à 57% ; 44% n’en voient pas
la nécessité ; 38% veulent se consacrer à leur travail. Chez les femmes, la réponse « n’en
ressent pas la nécessité » est celle citée en premier dans 39% des cas. Vient ensuite le
fait d’être trop jeune pour le mariage à 39%. La volonté de se consacrer à son travail se
53
détache des autres raisons évoquées : elle est en constante augmentation depuis 1992 .
Cela montre clairement l’incompatibilité entre une carrière et une vie d’épouse puis de mère.
Après 25 ans, la première raison avancée devient le fait de n’avoir pas trouvé le partenaire
idéal. Notons néanmoins que chez les femmes de 18-24 ans, ceci représentait déjà 37%
des réponses. Cela passe à 49% pour les femmes de 25 à 34 ans. La deuxième raison
qu’elles évoquent au-delà de 25 ans reste la peur de perdre leur liberté ou leur confort.
Mais puisqu’elles souhaitent à 90% se marier, cela signifie qu’elles seraient prêtes à se
marier avec un homme qu’elles ne considèrent pas comme l’amour de leur vie au-delà de
cette même barre fatidique des 25 ans que chez Ozu. C’est le cas pour 49,5% des femmes
célibataires, soit 6 points de plus que lors de l’Enquête de 2002.
Le White Paper on the National Lifestyle 2005 publié par le Cabinet du Premier Ministre
est moins précis mais apporte des éléments différents. On y explique que le mariage est
apprécié d’un point de vue psychologique, et rejeté d’un point de vue matériel. Les femmes
52
53
3 choix possibles par personne interrogée.
28% en 1992, 31% en 1997, 32% en 2002, 42% en 2005. On peut penser qu’avant 1992, le même type de progression
peut être observé.
56
Dubois Charlotte - 2009
III. La formation du couple : un bilan coûts-avantages défavorable à celui-ci
redoutent le rapport à la belle-famille, et la corvée des tâches ménagères ; tandis que
les hommes craignent la responsabilité de subvenir aux besoins de la famille qui leur
incombera. En ce sens, le graphique qu’ils ont construit illustre bien la différence entre les
hommes et les femmes en ce qui concerne le mariage. Enfin, l’un des documents étudie le
détail entre les postes de dépenses d’un couple et ceux d’un célibataire. Les célibataires
consacrent un budget plus conséquent aux postes liés au plaisir.
Dans ces questionnaires, l’idée que le mariage avilie les libertés individuelles est
confirmée. Les célibataires préfèrent ne pas se marier pour ne pas subir les contraintes
financières ou matérielles qui y sont liées. Ils sont tiraillés entre l’idéal d’une famille
soutien, d’un partenaire avec qui partager des intérêts communs, et les inconvénients de la
responsabilité, des tâches ménagères qui les contraindront. On retrouve le « quiproquo sur
l’individualisme » : les célibataires japonais, de plus en plus nombreux, refusent de se mettre
au second plan au sein d’une famille. Ils pensent ne pas pouvoir concilier leurs propres
envies et celle d’un autre. C’est à la fois la peur de ne pas pouvoir être soi à cause de
l’Autre, trop envahissant, et celle de ne pas accepter l’Autre et d’être trop envahissant soimême. Les compromis ne semblent pas de mise : les hommes qui ont peur de ces nouvelles
Japonaises trop exigeantes, sachant très bien qu’ils ne se plieront pas eux-mêmes à un
changement pour co-exister à deux, se tournent vers d’autres moyens pour rentrer dans
la norme.
3. La « traite des femmes» ?
54
Muriel Jolivet en 1993 et après elle Anne Garrigue en 2000, évoquent ce phénomène dans
leurs ouvrages. Les hommes qui ont de plus de mal à trouver une femme autour d’eux n’ont
plus seulement recours aux agences matrimoniales classiques, mais aussi aux agences
spécialisées dans les mariages mixtes. Elles organisent des voyages en groupe à l’étranger,
généralement en Asie du Sud-Est, pour sur place faire se rencontrer des locales et des
Japonais. Muriel Jolivet recueille le témoignage d’une Philippine qui explique qu’elle n’avait
pas été prévenue que le repas auquel elle avait été conviée était en fait un rendez-vous
arrangé pour que cinq hommes japonais l’évaluent en vue d’un mariage. L’homme devenu
son mari trois jours plus tard lui ment en lui promettant qu’elle pourra rentrer au pays ; il
ne la prévient pas qu’elle va habiter avec ses beaux-parents. Ce dernier aspect, que les
Japonaises ont fui, est l’un des reproches les plus fréquents des femmes étrangères à leurs
nouveaux maris, selon l’auteure. Il n’empêche qu’elle dit être heureuse et aimer son mari.
Cependant, d’autres relations ne tiennent pas, et cela à 90% pour des raisons sexuelles.
55
Le gérant d’une de ces sociétés matrimoniales spécialisées dans les mariages mixtes
explique que les hommes, abreuvés de vidéos pornographiques, imaginent qu’ils pourront
transposer leurs fantasmes dans la vraie vie. Ce sont surtout les agriculteurs qui ont du
mal à trouver une femme japonaise. Ils sont trop exigeants et ne sont pas du tout prêts au
compromis. Jolivet évoque l’image de la femme qu’ils avaient conservée toujours en 1993,
à savoir celle d’une femme « bête de somme » ou « machine à faire des enfants » comme le
terme Ofukuro désignant la mère le suggérait. La barrière de la langue est parfois impossible
à surmonter pour des femmes qui ne communiquent qu’avec leur mari, si tant est que cela
même soit possible, comme le signale l’auteure.
54
55
Interrogation de Muriel Jolivet, 1993 p.204.
Ibid., p.204.
Dubois Charlotte - 2009
57
La crise de la fécondité au Japon
Si certains renoncent sans regret au mariage d’autres sont prêts à tout pour y parvenir
comme on vient de le voir. Mais on a dit qu’in fine le plus grand nombre désirait se marier, et
malgré les désavantages finissait par le faire. Néanmoins, il repousse le moment fatidique
le plus tard possible.
C. Le recul du mariage : explication mécanique de la
dénatalité et à la crise de la fécondité
On a déjà évoqué le paradoxe des célibataires japonais, qui d’un côté souhaitent profiter
de la vie de célibataire, et d’un autre évoquent comme première raison pour leur célibat
après 25 ans le fait de ne pas avoir trouvé le partenaire idéal. La conséquence de cette
contradiction est double. D’une part, la notion de couple est soudée avec la nuptialité ;
d’autre part, pour profiter plus longtemps, le mariage est repoussé le plus tard possible. On
va étudier dans un premier temps le recul de l’idée de mariage à travers le décalage entre
l’idéal que s’en font les célibataires et ce à quoi ils s’attendent dans la réalité. Ensuite, on
56
étudiera les faits démographiques du recul de l’âge au mariage.
1. Le décalage entre le mariage espéré et le mariage attendu
A travers la Treizième Etude sur la Fécondité au Japon, dans son volet sur les célibataires
(Iwasawa, 2008a), on comprend les réticences des célibataires à l’idée de se marier aux
vues des graphiques sur l’idéal de vie, et sur la vie attendue. C’est surtout le point de vue
des femmes qui est éloquent. Le nombre de celles souhaitant devenir femmes au foyer
diminue fortement depuis 1987, où elles étaient 33,6% des répondants contre 19% en 2005.
Celles qui souhaitent interrompre leur vie active pour élever leurs enfants puis la reprendre
sont en nombre stable, à plus ou moins 30% des célibataires. En revanche, les femmes qui
aimeraient parvenir à concilier leur travail et leur vie familiale sont en forte augmentation,
passant de 18,5% en 1987 à 30,3% en 2005. Cependant, lorsqu’on étudie le style de vie
attendu, on s’aperçoit des obstacles que les femmes savent devoir rencontrer. Celles qui
s’attendent à devenir femmes au foyer diminuent bien : de 23,9% en 1987, elles ne sont plus
que 11,7%. Le nombre de celles qui pensent s’arrêter de travailler est en baisse : il est passé
de 45,8% en 1992 à 37,1% en 2005. Enfin, celles qui pensent en réalité pouvoir concilier
travail et famille sont certes en augmentation, mais demeurent un pourcentage relativement
faible des célibataires : 15,3% en 1987, elles sont 20,9% en 2005. Il existe donc un transfert
entre les modes de vie, en fonction des obstacles que chacune pense rencontrer en fonction
de ses projets. On reviendra plus tard sur les femmes au foyer, mais il semble que ce mode
de vie soit de moins en moins possible. De même, la conciliation entre la vie de famille et
la vie professionnelle semble véritablement inaccessible. Les transferts dans la réalité sont
au profit de la retraite anticipée puis d’un retour au travail une fois les enfants grandis, qui
pourtant dans l’idéal recueillait le même nombre de suffrages que la conciliation.
D’ailleurs, les hommes attendent en majorité des femmes qu’elles fassent ainsi, pour
38,7% d’entre les célibataires interrogés. Reste que cette réponse diminue fortement entre
2002, où elle atteignait 46,8%, et 2005. Ceux qui attendent que les femmes restent au foyer
56
On entend par recul une avancée dans l’âge, le mariage ayant lieu plus tard dans la vie. Eût-on choisi le terme avancée, l’ambiguïté
aurait été la même.
58
Dubois Charlotte - 2009
III. La formation du couple : un bilan coûts-avantages défavorable à celui-ci
diminuent fortement, passant de 37,9% des célibataires en 1987 à 12,5% en 2005. Ceux
qui imaginent que les femmes pourront mener de front carrière et vie de famille sont de plus
en plus nombreux, passant de 10% en 1987 à 28,2% en 2005. Ceci nous sera utile plus
bas lors de notre étude des hommes, mais nous montre déjà ici qu’il existe également un
décalage entre ce que souhaitent les femmes et ce qu’envisagent leurs futurs maris. C’est
une source d’opposition qui peut expliquer le recul du mariage.
2. La fuite du mariage
L’âge au mariage, qu’on qualifierait en France d’âge au premier mariage, comme commence
à la faire la statistique japonaise en 2008 (NIPSSR, Population Statistics of Japan 2008),
est de 30,1 ans pour les hommes et 28,3 ans pour les femmes en 2007. La période
de fréquentation avant le mariage s’allonge. Le décalage est net chez les femmes : la
première rencontre avec leur futur mari a lieu à presque 24 ans en moyenne, et le mariage
à 27 ans passés. Chez les hommes, la première rencontre correspond à leurs 25 ans
passés, et le mariage à 29 ans dans l’Etude Nationale sur la Fécondité de 2005 dans sa
partie concernant les couples mariés (Iwasawa, 2008b). La différence entre la durée de
fréquentation moyenne et celle des mariages d’amour est révélatrice. La période de cour
chez les couples d’amour est plus longue. C’est que les mariages d’amour patientent pour
avoir les moyens de s’installer en dehors du domicile parental, le prix de l’immobilier étant
très élevé au Japon. Les mariages arrangés eux tirent la moyenne vers une durée plus
courte, et à un moment plus tardif. C’est le dernier recours, et puisque tout est arrangé, il
est inutile de patienter, tout a été prévu.
Le Bureau Japonais de la Statistique observe que les âges ont reculé en 20 ans de
1,7 ans pour les hommes et 2,5 ans pour les femmes. Mécaniquement, cela entraîne
une maternité plus tardive, puisque les naissances ont lieu exclusivement dans les liens
matrimoniaux. Une femme ayant une vie féconde limitée, cela fait automatiquement baisser
le taux de natalité. Mais ce phénomène a lieu dans la plupart des pays avancés. Le titre du
bilan démographique français 2008 de l’INSEE est le suivant : « plus d’enfants, de plus en
plus tard ». On a bien le même constat dans la deuxième partie de la phrase, et pourtant
la première partie est l’inverse de ce qu’on aurait dit pour le bilan démographique du Japon
en 2005 : « moins d’enfants, de plus en plus tard ». On est bien au Japon plus que dans la
dénatalité, dans une crise de la fécondité. Néanmoins, Toru Suzuki estime que la baisse de
la nuptialité au Japon est responsable de celle-ci à hauteur de 35 à 75%. Nous devons en
effet ajouter au recul de l’âge au mariage l’augmentation du taux de divorce, mais nous y
reviendrons plus bas : nous étudions pour l’instant la formation du couple.
Enfin, nous allons revenir sur l’étude de Miho Iwaswa de 2004. Selon lui, le Japon est
en pleine transition des relations (« partnership transition »). On a vu que la cohabitation,
déjà marginale, perd du terrain, même chez les femmes mariées. L’auteur pense que les
couples japonais changent de norme, tout en essayant de se maintenir dans les cadres
sociaux acceptés. Ils rejettent le mariage, mais la société leur interdit le concubinage. Elle
tolère néanmoins le sexe hors du mariage, comme nous l’avons montré. Ainsi, à la forme
du couple mariés qui a des rapports sexuels et des enfants, les Japonais préfèrent le sexe
sans cohabitation, mariage ni enfant. Ils passent inaperçus dans le champ social, et vivent
leur amour dans les Love Hotel. Quel danger pour ce « pays en mal d’enfant » comme
le qualifie Muriel Jolivet en 1993 ! L’auteur prévient son lecteur de la dérive qui menace
le Japon. 70% des femmes de ce nouveau type de couples habitent chez leurs parents.
Pour l’instant, à terme ces couples débouchent sur le mariage, et donc sur la parentalité, ou
Dubois Charlotte - 2009
59
La crise de la fécondité au Japon
57
l’inverse . En 1999, 762 011 mariages avaient été célébrés, soit un taux de 6,1 pour mille
contre 4,4 pour mille en France. Mais les couples pourront préférer prolonger le même type
de relation que dans les pays d’Europe du Sud à lowest-low fertility rate, où sont apparus les
couples « LAT » : Living-Apart-Together et refuser de se fondre dans le moule du mariage.
On retombe une nouvelle fois sur la nécessité d’une plus grande liberté pour le couple, qu’on
veut montrer tout au long de cette étude. Si les naissances hors mariage sont acceptées, les
couples se sentiront plus libres de s’affirmer en dehors des ces liens. D’ailleurs, le mariage
est un moule tellement avilissant que de plus en plus de Japonais s’en libèrent par le divorce.
3. Le divorce grignote la nuptialité dans un pays où elle est synonyme
de natalité
On a été surprise de la diffusion à la télévision d’une émission sur les divorcés. Il s’agissait de
divorcés d’âge mûrs, à qui l’animateur demandait d’inscrire sur une ardoise leur sentiment
face à leur divorce. Les mots choisis étaient tous synonymes de liberté, libération, grand
bol d’air, indépendance. C’est l’image du divorce que reflète son étude par Muriel Jolivet
en 1993. Elle cite Noriko Okifuji, écrivain qui évoque la « per[te] d’illusions » des femmes
par rapport au couple. Tandis que chez les hommes, les attentes augmentent une fois
que leur raison de vivre jusque là – leur travail – n’est plus, chez les femmes, c’est le
contraire. Jolivet explique que la majorité des demandes de divorce vient des femmes, qui
veulent « souffler » une fois que les enfants sont partis du foyer et que le mari est à la
retraite. En outre, une réforme de 2007 donne droit à la moitié de la pension de retraite de
l’ex-mari laisse à penser que la tendance va s’amplifier. Jolivet explique que les hommes
arrivent à se remarier, tandis que les femmes sont rejetées par la société. En 2005, 51% des
femmes mariées considèrent qu’on ne doit pas divorcer pour des raisons aussi légères que
l’incompatibilité d’humeur (Iwasawa, 2008b). En effet, seuls 3% des femmes mariées ne le
sont pas de premières noces (Iwaswa, 2004). 50% des divorcés ne se remarient pas. Il est
d’autant moins probable qu’ils aient des enfants. Les raisons invoquées pour la procédure
sont les suivantes: l’insatisfaction par rapport à un salaire trop bas à 60% , le chômage ou
la banqueroute du mari à 20% (Yamada, 2007). Le taux de divorce pour mille habitants
est passé de 0,74 en 1960 à 2,25 pour mille en 2003, contre 1,9 en France en 2000. Le
graphique suivant, extrait de Yamada, 2007 p.164, montre l’augmentation du nombre et du
taux de divorces pour mille habitants.
La progression du taux de divorce pour mille habitants (1947-2005)
57
60
Voir la partie sur les « dekichatta kekkon », ou dans l’ordre inverse, la grossesse précipite le mariage.
Dubois Charlotte - 2009
III. La formation du couple : un bilan coûts-avantages défavorable à celui-ci
Là encore, si le cadre social du couple était moins figé, le divorce ne poserait pas de
tort à la natalité.
4. Le retour du mariage pour le plus grand bien de la natalité, mais
pas forcément de la société
Récemment, comme on peut le deviner sur ce graphique, on observe un retour de valeurs
conservatrices propres au mariage. Dans la Treizième Enquête Nationale sur le Fécondité
de 2005 (Iwasawa, 2008b), la fin du questionnaire consacré aux considérations d’ordres
sociales montre que les célibataires sont moins permissifs en matière de valeurs attachées
à la famille. Globalement, « les considérations en faveur du mariage et de la famille semblent
regagner des points » (ibid., p.69). En fait, ce sont des considérations en faveur du mariage,
du sacrifice pour la famille qui ont avancé. 78,9% des hommes et 68,9% des femmes
pensent qu’« on devrait avoir des enfants une fois mariés ». « Personne ne devrait divorcer
pour une raison aussi légère que l’incompatibilité d’humeur » est une idée défendue par
69,0% des hommes et 58,3% des femmes. Le concubinage lui-même est rejeté : 73,9%
des hommes et 56,0% des femmes pensent que « les hommes et les femmes devraient
se marier s’ils vivent ensemble ». Les Japonais ne sont donc pas prêts à encourager les
naissances hors mariage : c’est au contraire un retour à la norme sociale du mariage qui est
observé. Et dans ce pays où natalité rime exclusivement avec nuptialité, c’est tant mieux, du
moins pour le court terme, comme nous le verrons. En effet, depuis 2005 et le taux record de
1,25 enfants par femmes, le taux est remonté à jusqu’à 1,32 en 2006. Néanmoins, le taux a
recommencé à descendre depuis, et est estimé à 1,22 en 2008 et 1,21 pour 2009 : le Japon
est de retour parmi les pays à lowest-low fertility rate. Doit-on en conclure que la remontée
du taux de natalité et des valeurs conservatrices n’était que des variations concomitantes ?
Dubois Charlotte - 2009
61
La crise de la fécondité au Japon
Il faudra vérifier avec la publication de la prochaine Enquête Nationale sur la Fécondité,
sans doute d’ici la fin de l’année 2009.
On a donc vu dans cette partie décrivant la formation même du couple que le bilan
coûts-avantages était défavorable au mariage. En tant qu’individus rationnels, l’avancée
de la société prête moins d’utilité au couple, tandis que financièrement même son coût
d’opportunité est élevé, pour les femmes surtout. Le mariage ne tient pas la comparaison
avec la vie de célibataire, en terme de liberté, d’aisance financière. Ceci explique le succès
du célibat et sa prolifération qui tire encore vers le bas la natalité. C’est toute l’image de la
parentalité qui en pâtit. Du moins jusqu’à 25 ans, âge à partir duquel le célibat est plutôt
subi. Ainsi, des couples se forment. Certains choisissent des modes de vie en couple
marginaux pour échapper d’une part au célibat et d’autre part au mariage, qu’ils repoussent
au maximum. Mais, in fine les Japonais qui en large majorité en rêvent, se marient, car
c’est le seul cadre social autorisé pour une relation sérieuse. La nuptialité, qui correspond
à la natalité, est de plus mise à mal par le succès du divorce. Cependant, un retour des
valeurs traditionnelles concernant le couple semble poindre, qui avait semble-t-il permis
à la natalité de remonter quelque peu. Mais dans le couple même, quelle est l’état de la
fécondité ? Visiblement, elle n’est pas à la hauteur des déficits de naissances creusés
comme on l’a expliqué. On entre ici au cœur de la crise de la fécondité. On n’est plus
seulement dans la crise de l’image du couple avant sa formation, mais dans la crise au sein
du couple. Nous allons ainsi étudier la fécondité des couples mariés. En quoi sa baisse metelle en évidence des obstacles à la parentalité toujours plus pesants ? Les maux financiers,
sociaux, médicaux, rongent le taux de natalité. Nous verrons ensuite le couple du côté
femme puis du côté homme, pour tenter de comprendre les blocages face à la parentalité.
On réfléchira enfin sur la distribution traditionnelle des rôles au sien du couple. C’est là
qu’on insistera sur l’absence de work-life balance dans la vie des Japonais comme l’un des
principaux ressorts de la crise de la fécondité.
62
Dubois Charlotte - 2009
IV. Le couple : un rapport de forces loin des équilibres nécessaires à une parentalité sereine
IV. Le couple : un rapport de forces
loin des équilibres nécessaires à une
parentalité sereine
A. Un décalage entre rêve et réalité qui révèle les
obstacles à la parentalité
Une fois en couple, les Japonais ne semblent pas enthousiastes à l’idée d’avoir des enfants.
Après avoir mis en évidence cette affirmation au travers du décalage entre les nombres
d’enfants idéaux, prévus et réels, on évoquera les obstacles qui pèsent sur l’envie des
couples japonais d’avoir des enfants. On parlera ainsi du fardeau financier et psychologique
que représente l’éducation d’un enfant. Ensuite, on s’intéressera aux obstacles liés à la
procréation même. Enfin, on verra que certains couples sont véritablement déprimés à l’idée
même de faire l’amour. Sans amour et sans envie, on ne fait pas d’enfants.
1. Le décalage entres les nombres d’enfants idéaux, prévus, et réels
Nous avons déjà étudié le décalage entre la vision idéale de leur vie et le style de vie qu’elles
pensaient adopter en réalité chez les femmes célibataires. Chez les couples – ici mariés,
puisqu’on a bien montré que la forme du couple était fixe – le même type de décalage est
mis à jour. Il s’agit de la différence entre le nombre idéal d’enfants et d’abord le nombre
d’enfants que les couples pensent avoir en réalité puis le nombre d’enfants que le couple
aura finalement. Ce graphique tiré du rapport du East-West Center (Ogawa et Retherford,
2005 p.2) est en ce sens révélateur.
Evolution du taux de fécondité synthétique, du taux de fécondité des couples mariés et
du nombre idéal d’enfant au Japon (1947-2004)
Dubois Charlotte - 2009
63
La crise de la fécondité au Japon
Le nombre idéal d’enfants a peu varié depuis la fin des années 1970, à plus ou moins
2,60. Mais entre 2002 et 2005, il est pour la première fois tombé en dessous des 2,5 enfants.
Le nombre d’enfants programmés est également en baisse depuis 1987, et s’élève à 2,11
en 2005. Les chercheurs qui commentent l’Etude Nationale sur la Fécondité des couples
mariés (Iwasawa, 2008b) montrent que 55,3% des couples voudraient trois enfants mais
pensent n’en faire que deux, tandis que 20,4% d’entre eux en voudraient deux et pensent
n’en faire qu’un.
Ces nombres d’enfants idéaux et même prévus sont en décalage avec un troisième
chiffre : celui du nombre d’enfants que les couples auront finalement. Dans l’Etude Nationale
sur la Fécondité des couples mariés (Ibid.), on s’appuie sur le nombre d’enfants qu’ont
eu les couples répondants ayant atteint l’âge où les femmes cessent d’être fécondes. Ce
chiffre est en forte baisse depuis la première étude, en 1940 où il atteignait 4,27 enfants par
femmes. Stabilisé autour de 2,20 depuis 1972, il est passé sous le seuil du renouvellement
de la population entre la douzième et la treizième étude, soit entre 2002 et 2005, dates
auxquelles il était respectivement de 2,23 puis de 2,09 enfants par femme.
Si on combine la baisse de la fécondité des couples mariés et la baisse de la fécondité
liée à la progression du célibat, on obtient les chiffres suivant. L’outil démographique en ce
cas utilisé est le PPPR, pour period parity progress ratio, ce qui correspond à notre indice
synthétique de fécondité, c’est-à-dire nombre hypothétique d’enfants qu’aura une femme
au long de sa vie reproductive ramené à une année. En 2000, 31% des femmes n’auront
pas d’enfants, et 47% n’en auront pas ou un seul (Ogawa et Retherford, 2005 p.5). Si on a
déjà expliqué le cas des célibataires, qui ne peuvent pas avoir d’enfants hors du cadre du
mariage, le cas des femmes mariées est très révélateur. On entre d’autant plus dans la crise
de la fécondité que ces femmes là ont la possibilité d’avoir des enfants et ne l’exploitent pas
64
Dubois Charlotte - 2009
IV. Le couple : un rapport de forces loin des équilibres nécessaires à une parentalité sereine
autant qu’elles le souhaitent. Quels sont alors les obstacles qu’elles rencontrent dans leur
58
vie de couple qui les dissuadent de donner vie à leurs projets ?
2. L’enfant considéré comme un fardeau, d’abord financier
Le coût financier que représente un enfant est la raison première évoquée par les Japonais
quand ils cherchent la cause de la crise de la fécondité. Dans l’Enquête Nationale de la
Fécondité de 2005 au sujet des couples mariés (Iwasawa, 2008b), la raison financière du
décalage entre le nombre idéal d’enfants et le nombre prévu est invoquée par 65,9% des
couples étudiés. Cette réponse récolte davantage de suffrages chez les jeunes couples.
Ceux de 25-29 ans sont 83,5% ; 78,7% des 30-34 ans ; 75% des 35-39 ans et 54% des
40-49 ans répondent de la même façon. Dans le White Paper on the National Lifestyle 2005,
on se rend compte que ce fardeau (burden) est d’autant plus appréhendé que les couples
n’ont pas encore d’enfants, de même que les autres anxiétés à propos de la parentalité.
72,9% des couples sans enfants contre 36,4% avec, répondent avoir peur de l’énorme poids
financier que représente l’éducation d’un enfant. Le papier considère que les revenus réels
des couples en âge d’élever des enfants n’a pas progressé depuis dix ans, alors qu’un
revenu minimum est nécessaire pour avoir un enfant. Ils chiffrent l’éducation d’un enfant
59
sur 22 ans à 13 millions de Yen .
Nous avons parlé des considérations matérialistes liées au bonheur au Japon.
L’affection des parents serait ainsi assimilée à l’argent (Yamada, 2007). Si on ne peut pas
offrir à son enfant une chambre individuelle (environ 20% des couples de 25 à 34 ans
pensent que leur maison est trop petite pour avoir autant d’enfants qu’ils le souhaiteraient),
des cours de sport particuliers, des jeux vidéos, on pense qu’on sera des parents indignes,
que l’enfant sera rejeté par ses camarades, voire maltraité. Mais c’est le prix d’une bonne
éducation qui pèse surtout. On sait combien au sein des couples le parcours scolaire
(gakureki) est important. Pour le futur employeur, cela l’est encore davantage. Les études
sont plus longues et donc plus coûteuses : pour quatre ans d’université, en 2000, les parents
devaient débourser 28 600 000 Yen au minimum (université publique) et 63 010 000 Yen
au maximum (écoles privées ou médecine). A ces frais de scolarité viennent s’ajouter les
frais liés aux cours particuliers privés juku, passage obligé de tout élève japonais (Ogawa et
Retherford, 2005). Comme la concurrence entre les élèves, entre les mères, entre chacun
est accrue, on fait moins d’enfant pour consacrer plus d’argent, de temps à moins d’enfants
pour leur assurer une réussite plus brillante.
Finalement, le White Paper on the National Lifestyle 2005 conclut sur l’ « appréhension
du fardeau » (« sense of burden ») à la fois financier est psychologique lié à la parentalité. La
deuxième crainte évoquée par les couples est celle de voir leur enfant pleurer sans cesse et
ne pas les écouter. Vient ensuite la peur de maltraiter leur enfant, sur laquelle on reviendra :
c’est le poste auquel se retrouvent les parents et les couples qui ne le sont pas encore.
Sont évoqués ensuite le manque de connaissance en la matière, l’inadéquation du réseau
de prise en charge des enfants, le manque de coopération de la part des gens autour des
parents (le réseau local et la société), le manque de compréhension du monde du travail,
le manque d’aide. Dans la Treizième Etude Nationale sur la Fécondité (Iwasawa, 2008b),
les couples qui justifient le décalage entre leur nombre idéal d’enfants et ceux voulus en
réalité répondent comme suit.
58
59
On verra ensuite les obstacles dans leur vie de femme.
C’est 10 millions de moins que l’estimation de Jolivet pour la fin des années 1980.
Dubois Charlotte - 2009
65
La crise de la fécondité au Japon
Raisons pour lesquelles les couples ne prévoient pas d’avoir autant d’enfant que dans
l’idéal
La parentalité semble donc être assimilée à une charge plus qu’à un bonheur, une étape
supplémentaire dans la vie d’un couple, une preuve d’amour, etc.
3. Une demande de planning familial et de soins gynécologiques
laissée sans réponse
La dernière partie de l’étude de la fécondité des couples mariés (Iwasawa, 2008b) est
consacrée aux problèmes de santé rencontrés. 26,9% des couples qui veulent idéalement
2 enfants et n’en ont qu’un, citent des ennuis d’ordres gynécologiques comme obstacle, et
60
25,8% des couples en général ou bien se sentent ou bien sont concernés par la stérilité .
Or 13,4% seulement de ces couples suivent un traitement. Cette même situation concerne
44,7% des couples mariés sans enfants, dont la moitié ne consulte pas (19,6%). Il est alors
difficile de distinguer la cause de la conséquence, mais le fait est que le taux de natalité
en pâtit. 24,3% des femmes mariées déclarent connaître des désordres gynécologiques,
d’autant plus lorsque celles-ci travaillent de longues heures sans aménagement.
La stérilité serait alors devenue une des priorité du gouvernement japonais en 2006.
Depuis lors, l’Etat finance une aide de 20 000 Yen pour les femmes infertiles, et elles
ont une dérogation pour prendre des jours de congés pour subir leurs traitements. Selon
60
On aurait aimé distinguer l’infertilité, le fait d’avoir du mal à concevoir un enfant, et la stérilité, qui en est l’incapacité physique.
Mais le terme anglais infertility n’est pas défini précisément dans l’étude, et les dictionnaires consultés en français comme en anglais
ne donnent pas la nuance.
66
Dubois Charlotte - 2009
IV. Le couple : un rapport de forces loin des équilibres nécessaires à une parentalité sereine
61
un sondage du Nikkei , 13,8% des femmes dans leur trentaine ayant accouché en 2006
avaient suivi un traitement contre l’infertilité. 27% des Japonais interrogés estiment que l’une
des mesures nécessaires pour contrer la dénatalité réside dans l’intensification de l’aide à
l’accouchement, soit par rapport aux soins médicaux que doit subir la femme enceinte, soit
62
en lien avec la stérilité .
On a déjà évoqué la gêne des Japonaises à l’idée de se rendre chez le médecin (Jolivet
1993 et Ban, Fetters, Kitamura, 2004). A ceci s’ajoute la pénurie d’ob-gyn que connaît la
Japon actuellement. Sur le site même de la Japan Society of Obstetrics & Gynecology,
on peut se rendre compte de l’urgence de la situation. Lors du XXème Congrès d’Asie
Océanique des Ob-gyn, le président Yuji Taketani a déclaré :
« Pour être francs, nous tous, en tant que spécialistes de la santé et des soins
aux femmes, devons faire face à de nombreux problèmes, y compris la pénurie
de main d’œuvre chez les gynécologistes et les obstétriciens, sans doute due au
caractère laborieux de notre respectable profession, auquel viennent s’ajouter
une moindre rentabilité de notre activité, ainsi que de lourdes responsabilités
mises en jeu dans un nombre croissant de procès »
Selon le Washington Post en mai 2006, entre 1992 et 2004, les rangs des ob-gyn ont fondu
de 40%. 40% des obstétriciens du pays ont plus de 60 ans. Moins de 8000 d’entre eux
accouchent leurs patientes, tandis que la plupart préfère se concentrer sur la gynécologie.
Cette pénurie de main d’œuvre s’explique par le manque d’afflux de nouveaux
praticiens. Les ob-gyn se trouvent au centre d’un cercle vicieux. D’une part, les naissances
étant de moins en moins nombreuses, leur activité est de moins en moins rentable. Mais
la baisse de l’offre de praticiens est plus rapide encore que celle de la demande. Les
étudiants et les hôpitaux se tournent vers des activités plus lucratives et qui ont plus d’avenir
comme la gériatrie. En 2004, 10% du nombre total des maternités ont fermé, soit 163 selon
le Washington Post. D’autre part, la majorité des jeunes praticiens sont des femmes qui
ensuite s’arrêteront de travailler quand naîtra leur premier enfant. Les longues heures de
travail sont mal rémunérées. Les grossesses étant plus tardives, les risques qui y sont liées
augmentent, et avec eux les procès pour erreurs médicales.
Les conséquences pour les futures mamans sont lourdes. En 2006, une femme
enceinte avait été refusée dans 18 hôpitaux avant de succomber dans la préfecture de
Nara. 2452 femmes enceintes se seraient vu refuser des traitements par deux hôpitaux ou
plus entre 2004 et 2006. La plupart attendent des heures dans les ambulances avant de
63
trouver une place . Les jeunes femmes dans les régions rurales ou excentrées n’ont plus
de gynécologues attitrés. Ils effectuent soit des permanences, soit des visites à distance
grâce aux NTIC. Pour éviter d’avoir à se déplacer jusqu’à la ville la plus proche en cas
d’alerte, une sage-femme envoie les données au médecin qui détermine si l’accouchement
a vraiment commencé ou non. On déclenche artificiellement les accouchements les jours
où on peut prendre un rendez-vous. Ou bien on prend rendez-vous pour le jour prévu de
l’accouchement. Ce sont tout autant de désagréments qui sont loin de faciliter la grossesse,
et si les femmes font la démarche pour un premier enfant, elles ne sont pas forcément prêtes
61
62
63
http://health.nikkei.co.jp/special/child.cfm?&i=2007060906874p4
Ministère de l’Intérieur Japonais, Sondage d’opinion publique sur les politiques de la dénatalité, octobre 2006.
Article de Mohit Joshi
Dubois Charlotte - 2009
67
La crise de la fécondité au Japon
à endurer le même type de stress pour un deuxième : « Cela vous fait réfléchir sérieusement
64
à l’éventualité d’avoir un autre enfant » .
4. La prolifération des sexless couples, trop las pour faire l’amour
On s’est penché jusque là sur les problèmes physiques qui empêchaient les Japonais de
donner réalité à leurs projets d’avenir en terme d’enfants. A présent, on va s’intéresser à
un phénomène en recrudescence : les sexless couples. Muriel Jolivet en 2000 les qualifie
de « couples platoniques », mais nous n’adopterons pas cette traduction. Dans notre
imaginaire, les couples qui ont choisi une relation platonique ont un amour supérieur. Ici,
on observe des couples qui ne communiquent plus, voire qui divorcent tout en restant
ensemble, comme le montre l’utilisation du terme japonais kateinai-bekkyo (Garrigue, 2000).
En termes de satisfaction sexuelle, le Japon est l’un des pays les moins performants.
Selon l’Etude sur la Satisfaction Sexuelle Mondiale 2007-2008 effectuée par Durex, le Japon
est au dernier rang mondial, avec 15% des répondants satisfaits par leur vie sexuelle. Les
Japonais font l’amour en moyenne 48 fois par an. On sait que ces rapports ne sont pas
uniquement ceux des couples mariés, comme on a vu que le sexe en dehors du mariage
s’était répandu. Le taux d’orgasme est l’un des plus bas du monde, avec 27%, 43% chez les
hommes et 11% chez les femmes. Jolivet en 2000, concernant la fréquence des rapports,
donnait les chiffres suivants : les couples qui font l’amour 1 à 2 fois par semaine à trente ans
sont les plus nombreux (44,7%), à 30-35 ans c’est 1 à 2 fois toutes les 2 semaines (26,4%)
puis 1 à 2 fois par mois (24,8%). De même, la pratique contraceptive diminue depuis 1992,
parallèlement aux naissances : les Japonais ont donc moins de rapports. D’ailleurs, selon
le White Paper on the National Lifestyle 2005, si jusqu’aux années 1990 les changements
en terme de nuptialité avaient la plus grande responsabilité dans la dénatalité, c’est le
comportement des couples qui l’emporte depuis lors.
Responsabilité des comportements face au mariage et du comportement des couples
mariés dans la baisse de la fécondité
64
er
1
68
Erika Yamauchi, interviewée par Anthony Faiola, « In Japan, New Pains Suffered at Childbirth », The Washington Post,
mai 2006.
Dubois Charlotte - 2009
IV. Le couple : un rapport de forces loin des équilibres nécessaires à une parentalité sereine
Selon divers auteurs, ce rejet du sexe serait dû à la fatigue après le travail, au dégoût
après avoir eu un enfant, à la dégradation générale des rapports au sein du couple. Jolivet
en 1993 évoque les golf widows devenues tennis ou angler’s widows, dont personne ne
comble les besoins d’affection. Anne Garrigue rappelle que les parents s’appellent par le
nom commun définissant leur rôle – papa et maman– et non plus par leur prénom. On a
vu d’ailleurs plus haut que l’enfant dormait avec les parents – entre eux comme dans KôKun to no natsu yasumi. La relation est tellement fusionnelle entre mère et enfant que le
père en est exclu. Muriel Jolivet en 1993 fait un long développement sur les tanshin funin,
c’est-à-dire les mutations du père dans une ville lointaine. Généralement, la femme et les
enfants restent dans la ville d’origine, pour ne pas les perturber et avoir à revenir une fois la
mission terminée. Les hommes sont tenus de les accepter, dans le cadre de la compétition
au sein de l’entreprise. Mais la vie de couple (et de famille) en pâtit largement. En 1986,
selon une étude que cite l’auteure, 40,3% des 40-44 ans, 52,9% des 45-49 ans et 53,7%
des plus de 50 ans avaient déjà été mutés loin de leur famille. Dans ce cas, la vie de couple
est mise entre parenthèses.
On a mis en évidence les obstacles qui empêchent les couples d’aller sereinement
vers la parentalité. Ensuite, nous allons étudier chaque côté de la balance du couple,
pour comprendre les réticences d’abord des femmes, puis des hommes. Nous conclurons
finalement sur les rapports hommes-femmes, pour en venir à un bilan de l’application du
concept du work-life balance dans la vie des Japonais tels que nous l’avons décrite, pour
mettre en relief ses conséquences sur la natalité.
Dubois Charlotte - 2009
69
La crise de la fécondité au Japon
B. La maternité comme un cul-de-sac
Dans cette étude de la crise de la parentalité du côté des mères, on va s’attacher à montrer
le mal-être de ces femmes qui, selon les termes de Muriel Jolivet en 1993 observent une
« grève des ventres » (p.7-8). On va voir dans un premier temps le problème des grossesses
65
non voulues. Ensuite, on étudiera le baby-blues des jeunes mères japonaises, un malaise
qui peut les mener jusqu’à maltraiter leur enfant. On reviendra alors sur la pression qu’elles
subissent et qui nourrit leur malaise. On verra ensuite le statut de femme au foyer, pour y
détecter les raisons qui éloignent les Japonaises de la maternité : le marché du travail leur
est hostile, le dilemme qui se pose à la femme est ici particulièrement marqué. Finalement,
le couple et le mariage ont une image médiocre, qui pousse certaines à adopter des
comportements hors normes pour atteindre la satisfaction. On conclura sur le paradoxe de
ce portrait : le mode de vie des femmes japonaises ne leur donne pas envie de faire des
enfants, et pourtant il attire la plupart d’entre elles.
1. Le « mal de mère »
66
a. Le désir d’être mère plombé par les accidents
On a vu qu’au Japon 30 à 40% des grossesses n’étaient pas prévues, et qu’un quart de
ces grossesses se soldait par un avortement. Jolivet en 2000 écrit « les ‘accidents’ [sont]
plutôt la norme que l’exception ». Pourquoi ce pays cumule-t-il fort taux d’IVG, fort taux
de grossesses non désirées et bas taux de natalité ? L’importance de ces grossesses est
mise en évidence par les dekichatta kekkon. On traduira cela par mariages d’urgence,
littéralement cela signifie « j’ai pu me marier à la dernière minute » auquel on pourrait ajouter
un « ouf ! » de soulagement, étant donné que le niveau de langue utilisé est familier. Selon
Yamada, 2005, alors même que le couple n’a aucun projet de mariage en vue, nombreux
sont ceux qui franchissent le pas à cause d’une grossesse imprévue. Dans ce cas, la durée
du mariage est inférieure à la durée de la grossesse. Les femmes qui ne se savaient pas
enceintes au moment du mariage ne sont pas comptabilisées. Ce type de mariages en 2004
ont été au nombre de 140 000, soit un mariage sur cinq. Les enfants ainsi nés représentent
un enfant légitime de rang un sur quatre.
On doit néanmoins distinguer deux types de situations, avertit l’auteur. D’une part, il y a
des couples qui attendent l’arrivée d’une grossesse pour se marier. Ces mariages-là ne sont
pas des dekichatta kekkon. D’autres part, il y a les accidents, les grossesses non prévues
qui obligent les futurs parents à se marier pour ne pas être marginalisés sur la scène sociale.
L’âge à ce genre de mariage recule, mais les deux tiers des grossesses des jeunes filles de
20 à 24 ans y aboutissent, comme presque 100% des grossesses en dessous de 20 ans .
Tout dépend de la situation économique du couple, décrit l’auteur. Dans les régions moins
riches, on repousse mariage et enfant, pour les raisons financières qu’on a vues, or on utilise
moins la contraception tandis que les rencontres sont favorisées. Les grossesses accidents
sont plus fréquentes, et entraînent des mariages d’urgence. On obtient des couples sans
stabilité financière, qui manquent de maturité, et c’est là le terrain fertile aux mal traitements
sur lesquels on va revenir.
65
66
70
D’après le titre d’un reportage de 2004 réalisé par Cécile Dejean, « Baby Blues, Baby Dolls ».
Jolivet, 1993 p.8.
Dubois Charlotte - 2009
IV. Le couple : un rapport de forces loin des équilibres nécessaires à une parentalité sereine
Ces grossesses ne sont pas d’heureux événements, et pourtant elles comptent pour
0,1 dans le TFR selon l’auteur. Si elles n’étaient pas menées à terme, le TFR tomberait
au niveau de celui de Taiwan. Pour le bien-être des mères, il serait nécessaire que ce
genre d’accidents n’arrive plus, grâce au planning familial. Serait-ce un mal pour le TFR
japonais ? Pas si l’on en revient à la distorsion entre le niveau micro et le niveau macro.
Certes nombres de grossesses n’auraient pas lieu, mais l’image globale de la maternité en
serait plus positive : ce serait le résultat d’un choix personnel et une forme d’aboutissement
du couple. Dans ce cas, le TFR pourrait remonter.
b. La maternité comme une épreuve…
De toutes les sources qu’on a pu étudier à propos du « mal de mère » (bobyô qui associe
le caractère de mère et de maladie) comme le qualifie Jolivet en 1993 p.7-8, on en a tiré
trois aspects principaux : d’une part le mal-être, le baby-blues, le mal d’être mère en soi ;
d’autre part à la fois comme cause et conséquence le niveau d’exigence très élevé qu’elles
infligent à leur enfant ; et enfin les mauvais traitements.
Les deux principaux ouvrages qu’on a lus à propos des femmes japonaises (Garrigue,
2000 et Jolivet, 1993) évoquent longuement le baby-blues général de celles-ci. Toutes deux,
Jolivet plus particulièrement, font appel à des témoignages pour ancrer leurs recherches
dans le réel. Jolivet rend compte des appels reçus par « SOS Bébé », une association
qui écoute les mamans et répond à leurs angoisses. Voici les mots que les femmes
citées emploient pour évoquer leur maternité : « vacuité de l’existence », « aliénation »,
« décourageant, stérile, irritant », « monotonie de la vie insipide ». Les jeunes mères se
retrouvent devant un bébé qui généralement est le premier qu’elles côtoient. Elles n’ont
aucune expérience en la matière : elles n’ont pas eu de petites sœurs, pas fait de babysitting, le système n’existant pas au Japon, elles ont rarement l’occasion d’en voir dans leur
entourage. Elles sortent directement du cocon familial, d’autant plus qu’on l’a vu, les filles
quittent de plus en plus tard le domicile parental. Elles n’ont pas encore appris l’autonomie
que les voilà chargées d’un petit être autre qu’elles à s’occuper, et qu’elles ne comprennent
pas. On a vu que le manque d’expérience et le fait d’entendre son bébé pleurer sans
comprendre pourquoi, étaient des plus grandes angoisses des couples qui n’avaient pas
67
d’enfants . De plus, le tête-à-tête avec l’enfant est difficile à vivre. Elles sont seules face
à l’enfant qui apparaît étranger, seules par rapport à leur mari. Celui-ci travaille toute la
journée, ne rentre que tard le soir, ne prend pas part à l’éveil du bébé, aux tâches qui y sont
liées. Anne Garrigue parle du « blues de Pénélope » loin de son Ulysse. Elles sont seules
par rapport au reste de la famille, éloigné par la nucléarisation. Elles sont seules enfin par
rapport aux autres femmes, dont elles estiment les bavardages superficiels, dit Jolivet en
1993. 80% des mères se disent insatisfaites et considèrent leur enfant comme un fardeau
(Garrigue, 2000). Elles ont également le « spleen de la carrière interrompue » (Jolivet,
1993, p.45) : elles sont allées à l’université, ont travaillé en tant que salariées régulières,
on leur a promis de ce fait une promotion sociale, un autre rôle que celui de l’éducation
des enfants. « Ma vie à moi s’était arrêtée une fois pour toutes » peut-on lire dans les
témoignages rapportés. La féministe Keiko Higuchi, citée par Jolivet, confie : « la vérité c’est
qu’on ne peut plus élever des enfants par plaisir ». L’auteure insiste sur l’incompréhension
des mères face aux pleurs de leur enfant, et à lire les femmes qui appellent SOS Bébé,
on pourrait presque entendre les cris incessants. Ce n’est pas le recours aux manuels de
puériculture qui va les aider. On a étudié leur discours moralisateur plus haut, on étudiera
67
Voir l’étude du White Paper on the National Lifestyle 2005. (IV B/ 2°)),.
Dubois Charlotte - 2009
71
La crise de la fécondité au Japon
68
ensuite leurs conséquences sur les mères . L’auteure explique que certaines mères sont
ainsi particulièrement impatientes que leur enfant grandisse et se prenne enfin en charge,
69
d’où le terme de mattenai ikuji , car elles ne peuvent plus attendre.
L’autre aspect de la maternité qui ternit son image semble être l’exigence dont les mères
font preuve envers leur enfant. Elles sont d’autant plus hautes qu’elles en ont moins, et que
leur mari est absent. Elles transfèrent toute leur attention sur leur enfant, notamment sur leur
fils aîné. On investit en effet moins dans sa fille. Elles leur demandent d’être le meilleur dans
tous les domaines, scolaire, sportif, dans une sorte de compétition inconsciente avec le père
(Jolivet, 2000). C’est l’apanage des kyôiku mama, ces femmes qui insistent auprès de leurs
enfants pour qu’ils suivent en plus de l’école, des cours de soutien privés, les juku. Keiko
Funabachi, estime que les termes japonais mêmes ont changé pour témoigner de cette
implication active des parents dans l’atteinte de la perfection de leurs enfants. « Kosodate »,
verbe transitif au sens du verbe français « élever », aurait remplacé « kosodachi », verbe
intransitif qu’on pourrait traduire par « grandir, pousser ». Anne Garrigue évoque des
maternelles préparatoires auxquelles les mères inscrivent leur petit pour être sûr que dès
l’école primaire, il aura intégré le chemin vers la bonne université. Elles sont en pleine
« névrose éducative ». A l’école, la concurrence entre les enfants, mais également entre
les mamans est accentuée par les concours de bentô par exemple. En 2000, Jolivet va plus
loin. Elle écrit à propos des mères qui entraînent leur enfant au surmenage. La mort suite
à un stress et une charge de travail trop lourde est appelée karôshi, de karô surmenage
et shi la mort. Ces mères créent alors des karôji, des enfants (ji) qui s’épuisent aux études
pour plus tard se tuer au travail. Keiko Funabachi évoquait le danger d’une société axée
sur l’efficacité. Dans l’anime Mes voisins les Yamada, le fils qui veut parler à son père de
la meilleure façon de progresser en anglais dit qu’il fait travailler, et dans une vision pour
illustrer son propos, on voit sa mère le sermonner « travaille ! ». La mère apparaît deux, trois,
quatre fois et se multiplie jusqu’à remplir tout l’espace, le râle de « travaille ! » s’amplifiant à
mesure qu’elle devient plus nombreuse. C’est une illustration de la pression que sa mère,
pourtant pas même une kyôiku mama, lui impose. A trop s’investir pour son enfant, en bon
couple king-child, celui-ci n’acquiert jamais l’autonomie nécessaire à mûrir. En 1993, Jolivet
analysait le comportement des kyôiku mama : l’enfant serait leur prolongement. Elles qui
ont été socialement frustrées poussent leur enfant – leur fils aîné – pour qu’il réussisse là
où elles ont été freinées ; elles les soutiennent face au père pour tourner en leur faveur le
rapport de forces au sein du couple. Il s’agirait de l’expression d’un amour narcissique, très
révélateur du statut de mère.
On était là à la limite de la maltraitance. Si on l’a alors vue psychologique, on doit
nécessairement parler d’un phénomène alarmant : la maltraitance physique des enfants par
leur mère. Certains tentent d’expliquer ces méfaits par un raisonnement de type rationnel :
puisque l’enfant est tel un bien privé, on en jouit comme d’un objet, qu’on maltraite quand
il déçoit ou ne satisfait pas ou parce que cela soulage (Yamada, 2005). Le Japan Times
en décembre 2007 avance que le phénomène a pris de l’ampleur en 2007, avec une
augmentation de 34% des cas selon l’Agence de Police Nationale. On a vu que les couples
mariés avec et sans enfants se rejoignaient à propos de leurs angoisses face à la parentalité
sur un point : la peur de frapper son enfant sans penser aux conséquences. Muriel Jolivet
en 1993 cite le témoignage d’une femme qui tue presque son enfant à force de l’entendre
pleurer et de ne rien trouver pour le calmer. « Nous sommes toutes des criminelles en
puissance ». Toutes les Japonaises peuvent être confrontées à ce type d’emportements.
68
69
72
Etude en II- A/ 2°) ; conséquences en V- B/ 3°)
On lit « matenai ikuji » dans notre édition, mais on suppose que c’est une coquille.
Dubois Charlotte - 2009
IV. Le couple : un rapport de forces loin des équilibres nécessaires à une parentalité sereine
En 2008, le sujet numéro 58 de l’ouvrage Nihon no ronten 2008, the issues for Japan, 2008
qui en contient 90, est intitulé : « pourquoi les sévices sur les enfants se multiplient-ils ? Si
le modèle social de la femme changeait, mettrait-on fin à l’enchaînement des générations
qui maltraitent leurs enfants? ». En France, on a du mal à imaginer des mères ainsi traiter
leurs enfants, les maltraitances étant plutôt l’objet des hommes. La violence des enfants
70
eux-mêmes est alarmante . Ce climat de tension qui entoure la parentalité n’est pas des
plus propices à celle-ci. D’autant plus que rien n’est fait pour aider les mères qui se sentent
perdues, comme le sous-entend le titre du sujet 58 de Nihon no ronten 2008.
c. …qu’il n’est pas normal de ne pas savoir surmonter
On a déjà étudié en détail le discours des manuels de puériculture, relayé par l’entourage
de la mère. On va voir à présent les conséquences d’un tel discours sur les mères, dont on
vient de voir le malaise. En construisant un « mythe de l’instinct maternel » (Jolivet, 1993),
il ne fait que le renforcer. La mère qui ne comprend pas son bébé, n’arrive pas à le trouver
« mignon » se sent d’autant plus anormale qu’on lui affirme que c’est dans ses gènes, que
des milliards d’autres y sont très bien arrivées avant elle, qu’elle doit mal s’y prendre. Jolivet
résume ainsi les témoignages moralisateurs envers ces mères :
« pour peu qu’on y mette tout son cœur et qu’on s’applique à accomplir son devoir le
mieux possible, on ne saurait manquer d’y trouver une satisfaction susceptible de donner
un sens à sa vie (ou à son sacrifice) » .
Le malaise naît quand on n’arrive pas à donner un sens à son sacrifice. Les mères qui
témoignent auprès de SOS Bébé se qualifient de « marâtre » ou « mère indigne ». L’enfant
doit être équilibré sur tous les plans : psychologique et physique. Il faut donc être des parents
parfaits sur tous les plans, une mère parfaite dans tous les domaines. C’est un devoir pour
la mère que de tout lâcher pour se consacrer exclusivement à son enfant. On retombe dans
le king-child non pas pour le couple, mais pour la femme même, qui n’est plus ni épouse, ni
femme, mais plus que mère tout dévouée à son enfant. Jolivet parle même de « harcèlement
des femmes actives » par leur entourage, pour les pousser à la démission lorsqu’elles vont
avoir un enfant. On évoquera un article du Japan Times sur ce thème plus bas. Les mères
qui vivent une expérience aussi difficile se disent qu’ « une fois suffit» (ibid., p.100).
Quand elles ont désiré être mère, et une fois qu’elles le sont, elles déchantent, puis
culpabilisent de ne pas y arriver. Alors elles canalisent leur énergie sur leur enfant, en
exigeant trop de lui, jusqu’à le maltraiter. Une telle dérive du « mal de mère » ne peut pas
attirer les Japonaises vers le berceau. Ce mal-être pourrait être dilué dans une vie où la
femme pourrait changer d’air, grâce à son travail. Mais 70% des Japonaises démissionnent
à la naissance de leur premier enfant. On va à présent se pencher sur ces femmes au foyer
japonaises. En France, selon un sondage réalisé pour le secrétariat d'Etat à la Solidarité
en 2009, seules 3% des 565 jeunes filles âgées de 15 à 18 ans interrogées souhaitaient
71
devenir femme au foyer . Au Japon, c’est un passage quasi-obligé pour les femmes qui
72
ont des enfants, comme on pense que la santé de ceux-ci en dépend . C’est en effet une
norme, que la période de Haute Croissance a néanmoins aménagée. On étudiera alors les
modalités du rôle que la division sexuelle des tâches au Japon a conféré à la femme.
70
La violence des enfants à la fin des années 1990 : 1997, à Kobe, un collégien de 14 ans décapite un camarade après avoir,
entre autre, battu à mort deux fillettes, et dépose la tête au collège avec un message entre les dents…
71
72
http://www.lexpress.fr/actualite/societe/a-quoi-revent-les-jeunes-filles_743088.html
Commandement numéro 10 chez Jolivet, 1993 (cf. supra).
Dubois Charlotte - 2009
73
La crise de la fécondité au Japon
2. Être femme au foyer ? Puisque c’est nécessaire.
Être femme au foyer au Japon est de l’ordre de la norme, au moins pour un temps. 80%
des mères d’un enfant de moins de trois ans restent au foyer (Rosenbluth, 2002), soit un
ratio inverse aux Françaises qui ont un enfant et travaillent. Le nombre même de femmes
qui travaillent avant le mariage diminue selon l’Enquête Nationale sur la Fécondité 2005
(Iwasawa, 2008b). En 1997, 93,5% des épouses travaillaient avant leur mariage, contre
86% en 2005, le pourcentage étant tombé à 84,8% en 2002. Pendant les neuf premières
années de mariage, plus ou moins la moitié des épouses sont femmes au foyer. C’est le
reflet de la vision même des femmes par rapport à leur rôle. Toujours selon cette enquête,
71,8% des femmes mariées considèrent que la femme doit rester à la maison s’occuper
des enfants au moins quand ils sont petits. En fait, elles préfèreraient idéalement se retirer
73
du marché du travail et y retourner une fois que les enfants ont grandi . En effet, 60% des
épouses mariées depuis 10 à 14 ans travaillent. 33% prennent leur congé maternité, et 43%
d’entre celles-là ne reprennent pas le travail à son terme.
Cette norme est prolongée économiquement par le système d’emploi japonais. Les
femmes servant de main d’œuvre d’appoint en tant qu’office lady, il serait impossible
d’augmenter leur salaire à l’ancienneté alors que leur tâche ne nécessite aucune
expérience. On préfère qu’elles démissionnent puisqu’on aura toujours une jeune fille qui
commencera sa carrière d’OL et dont le salaire serait alors au plus bas. De plus, les patrons,
anticipant leur démission, ne prennent pas le risque de les former, de peur de perdre un tel
investissement. Quand bien même on leur offrirait un poste régulier, on sait qu’elles auraient
bien moins d’énergie à consacrer à leur travail, puisque l’éducation des enfants et la tenue
de la maison leur incombent. Muriel Jolivet en 1993, après avoir tenu ce raisonnement,
rappelle qu’il n’y a que de rares procès pour mise à la retraite abusive, à l’initiative de femmes
qui auraient souhaité continuer à travailler après la naissance de leur enfant.
On va à présent étudier les femmes au foyer en s’appuyant sur l’ouvrage de Tatako
Sodei. Cela va nous permettre de remettre cette norme sociale dans son contexte historique
pour en étudier les évolutions.
L’auteure distingue deux types de femmes au foyer. Les premières sont des « femmes
au foyer pures » (Sengyô shufu). Elles sont nées avec l’industrialisation et la séparation
entre le lieu d’habitat et le lieu de travail. C’est là qu’on a commencé à distinguer la sphère
privée, où l’influence de la femme dominait, et la sphère publique, occupée par l’homme.
Au Japon, cela correspond à l’époque Mieji, où la norme était celle de « bonne épouse et
mère avisée » (ryôsaikenbo). A partir de la période de Haute Croissance, les entreprises
familiales, où la femme travaillait chez elle au sein de la sphère privée, ont cédé le pas
aux industries. C’est l’entrée des femmes dans la sphère publique. Paradoxalement, le taux
de participation des femmes au marché du travail diminue, puisqu’elles ne peuvent plus
travailler sur leur lieu de résidence. Elles cumulent les rôles (kengyô shufu), et ne sont plus
des femmes au foyer pures. Les femmes mariées travaillent davantage que les femmes
célibataires en 1975, mais le temps partiel et la courbe en M caractérisent leur activité
professionnelle. Elles se convertissent en femmes au foyer pures le temps d’élever leurs
enfants, à partir de 35 ans en moyenne, cinq ou six années après leur mariage.
C’est là qu’est né le débat sur les femmes et qu’on a considéré qu’elles étaient le dernier
rempart à la montée de l’individualisme. La volonté des femmes de s’affirmer a en ce sens
été totalement rejetée par la société japonaise. Elles qui voulaient se socialiser, gagnant leur
indépendance financière, envisageant d’avoir recours au marché pour la garde des enfants
73
74
Voir le VI- C/ 1°)
Dubois Charlotte - 2009
IV. Le couple : un rapport de forces loin des équilibres nécessaires à une parentalité sereine
se sont vu accuser d’égoïsme. Avec l’individualisation qu’on a étudiée au sein de la famille,
le partage des tâches avait lui aussi été individualisé, et c’est ce partage que les femmes
mettaient en accusation. C’est pourquoi le gouvernement a lancé la décennie de la femme
entre 1976 et 1985, aboutissant à la Loi sur l’Egalité des Chances devant l’Emploi. Mais la
loi s’est heurtée à la difficulté de faire bouger les mentalités.
Pourtant, le gouvernement a fait preuve d’une attitude duale envers les femmes. En
parallèle à cette volonté affichée de moderniser le partage sexuel des tâches face à la baisse
74
de la natalité, il a mis en place des mesures pour ramener les femmes au foyer . Il a ainsi
créé des « demi femmes au foyer pures » qui travaillent certes, mais en dessous du plafond
du million de Yen de revenu annuel qui les obligerait à se prendre en charge en dehors de la
personne fiscale de leur époux. Elles devraient s’inscrire à la sécurité sociale séparément de
leur mari, cotiser pour leur propre retraite. En conséquence, l’auteure estime que la société a
pu garder le contrôle sur l’autonomie des femmes alors même que le système fiscal japonais
était en difficulté. Cela a fait naître un sentiment d’injustice face à ces femmes qui finalement
profitaient du système qui les contraignait en même temps.
A partir de ce contexte historique et social, l’auteure construit une pull-push theory.
On cherche à savoir pourquoi les femmes continuent à rester au foyer. On raisonne par
« carrefours » dans la vie des femmes. Le premier carrefour est celui de la naissance du
premier enfant. Cette naissance est le facteur attirant la femme au foyer. Le facteur répulsif
est le travail qu’elle exerce et qui ne la satisfait pas tant du point de vue des revenus qu’elle
en tire, que de son intérêt. Les femmes à haut parcours scolaire interrompent d’autant plus
leur carrière qu’elles en sont déçues. Le deuxième carrefour a lieu au moment de reprendre
une activité professionnelle. L’auteur distingue alors deux cas. Dans le premier, les revenus
du mari ne sont pas suffisants, alors la famille devient une motivation au travail, puisqu’il
faut la faire vivre. Dans ce cas, contraintes de ne pas dépasser le « mur du million de Yen
de revenus », elles s’en remettent au temps partiel, sans réelle profession, exploitées du
point de vue su salaire et à la merci du licenciement. Dans le second cas, le mari gagne
suffisamment pour faire vivre la famille, et la femme a un haut niveau d’études. Celle-ci
préfèrera rester femme au foyer pure. En effet, elle sait qu’elle ne trouvera pas de travail
stimulant intellectuellement, où ses collègues lui témoigneront du respect qu’elle mérite.
Les charges de la famille lui laissent du temps pour ses loisirs, sa culture, un mouvement
citoyen. Elles sont en effet devenues moins lourdes grâce à l’électroménager notamment.
75
On parle davantage de service à la famille (Jolivet, 1993). Soit alors elle remplit avec joie
ce rôle de femme au foyer spécialisée, ce qu’elle considère être un vrai métier, soit elle le
prend comme un sacrifice qui la brime, et se transforme en « kitchen drinker ».
Finalement, l’auteure pause la question de l’avenir des femmes au foyer. Certains
facteurs vont les pousser vers le travail, comme l’abolition du « mur du million de Yen » (que
l’auteure ne cite pas puisqu’elle a eu lieu en 2004 après la publication de son ouvrage), le
salaire du mari de moins en moins sûr, l’augmentation des divorces, l’assurance maladie
qui en 2012 prendra en compte le travail à temps partiel, l’influence de l’internationalisation,
la socialisation des tâches ménagères, de la garde des enfants, de la prise en charge des
personnes âgées. Ces facteurs tendent à vider de sa substance le rôle de femme au foyer
pure. A terme, les femmes japonaises qui choisiront ce mode de vie vivront dans un certain
luxe de pouvoir se le permettre, comme en France. D’ailleurs, dans le White Paper on the
National Lifestyle de 2006, il est montré que seuls 35% des femmes qui souhaitent devenir
femmes au foyer y parviennent. 50% cumulent les rôles, et 15% continuent de travailler.
74
75
Voir plus bas notre étude des politiques.
A distinguer du service à la famille du mari (kazoku sâbisu). Cf. infra.
Dubois Charlotte - 2009
75
La crise de la fécondité au Japon
Doit-on y déceler le début des changements dans les structures économiques et de l’emploi
au Japon qui mèneront les Japonais à travailler nécessairement à deux pour faire vivre
confortablement une famille ?
L’auteure conclut sur la nécessité de faire du mode de vie de femme au foyer un choix
et non plus un rôle socialement défini. Il évoque le sentiment d’injustice que son traitement
par le gouvernement fait naître. Yôko Kimura fait remarquer qu’une femme active et son
mari financent la retraite de la femme au foyer qui exerce un temps partiel et qui ne cotise
pas. Elle explique aussi le phénomène de la « ménopause des épouses ». En effet, une
fois leurs enfants grandis, elles s’ennuient, elles continuent de surprotéger leur enfant, ce
qui, comme on l’a vu, nourrit le phénomène des parasite single, retarde l’indépendance des
jeunes, contribue à la mauvaise image de la maternité, et accentue la baisse du taux de
natalité. On est bien dans une crise de la fécondité de toute part.
On a donc étudié les femmes au foyer japonaises. Reste à illustrer ce propos en
détaillant les caractéristiques de la vie professionnelles des femmes au Japon. On discute
la mauvaise image de la maternité. Elle tient au dilemme qui se pose aux femmes entre leur
travail et leur vie de famille, entre leur vie de femme, et celle d’épouse et de mère. On va
voir ici l’hostilité du monde du travail envers les mères. On y trouve l’une des justifications
de la répulsion des Japonaises pour la maternité. On va étudier d’abord la courbe en M
typiquement japonaise (et taiwanaise) de l’activité professionnelle au cours de la vie d’une
femme. On verra ensuite en quoi le temps partiel est si problématique, ne correspondant
pas comme en France à un poste régulier dont on a simplement aménagé les horaires
pour faciliter la conciliation entre le travail et la famille. Enfin, le manque de perspective
d’avenir pour les femmes qui interrompent leur carrière pour élever leurs enfants semble
les dissuader de le faire, tout autant que les obstacles qui s’élèvent sur la route de celles
qui veulent continuer à travailler malgré leur maternité.
3. L’hostilité du marché du travail : facteur répulsif de la maternité
a. La courbe en M
On a déjà évoqué la courbe en M de l’activité des femmes au Japon en fonction de leur
âge. La plus récente dont on dispose est celle de Nippon 2007. Elle s’explique comme
on l’a vu par le rôle social accolé à la femme, à savoir celui de mère – au foyer. Un
emploi régulier demande trop de travail, et est incompatible avec une vie privée qui plus est
animée par des enfants. Les femmes s’engagent sur le marché du travail après leurs études,
en tant qu’OL comme 31,9% des femmes en 2005. D’autres embrassent une carrière, et
hésiteront d’autant plus à s’engager dans la vie de couple, et dans une vie de mère. Une
partie croissante de ces femmes préfère rester célibataire. En 2005, elles sont 42% des
célibataires à évoquer cette raison avant 25 ans et 19% après. 27,8% des couples dont la
femme a entre 25 et 29 ans justifient ainsi le décalage entre le nombre idéal d’enfants et
celui qu’ils pensent avoir (Iwasawa, 2008a et 2008b, voir supra).
Une fois que l’enfant apparaît, la moitié des career women va démissionner (New
York Times, août 2008). Les OL doivent démissionner, puisque leurs tâches ne sont pas
destinées à évoluer. On les appelle les « fleurs de bureau » (shokuba no hana) ce qui montre
combien leur rôle est limité dans le temps. En tout, davantage de femmes démissionnent
(autour de 41,3%), 25,2% d’entre elles ne travaillaient pas avant d’accoucher, et 25,3%
continuent à travailler malgré leur maternité. Ce dernier pourcentage n’a pas augmenté
76
Dubois Charlotte - 2009
IV. Le couple : un rapport de forces loin des équilibres nécessaires à une parentalité sereine
depuis la fin des années 1985. Ces femmes deviennent des « actifs latents » selon
l’expression de Satoko Nakajima.
Ensuite, une fois les enfants grandis, la mère reprend une activité. Comme les
recrutements à mi-carrière sont contradictoires avec le système d’emploi à vie et de
progression à l’ancienneté, les femmes ne peuvent pas réintégrer un emploi régulier. Elles
se tournent alors vers les emplois à temps partiels, les arubaito. La femme d’âge mûr est
76
ainsi la cible de la publicité de McDonald’s pour le recrutement, aux côtés d’étudiants . En
effet, 20% des femmes mariées depuis moins de cinq ans travaillent, contre 40% d’entre
celles mariées depuis cinq à neuf ans. 65,7% des mères dont le dernier enfant a plus de
77
12 ans travaillent . On voit bien se dessiner la courbe en M. Même quand ils envisagent
78
la refonte du système d’emploi japonais , les auteurs – japonais – n’envisagent pas un
mécanisme efficace de congés maternité et parentaux mais une meilleure réinsertion sur le
marché du travail à mi-carrière, sans remettre en cause la courbe en M.
Satoko Nakajima, spécialiste des gender studies, a fait du sujet de son intervention lors
de la conférence à l’Université de Nagoya, les femmes à haut niveau d’études, dont le taux
d’activité est plus faible au Japon que partout ailleurs dans le monde. Il est de 60% pour les
30-40 ans, contre 80% en France par exemple. Elle explique que cette catégorie risque de
perdurer, puisque celles qui refusent d’y appartenir restent célibataires. Implacablement, les
autres continuent d’en nourrir les rangs. Ce sont celles qui restent femmes au foyer pures
car la perspective des emplois qui leurs sont offerts les détourne du marché du travail : il
s’agit d’emplois à temps partiel.
b. Le temps partiel à la japonaise : un emploi précaire qui fait office de
revenu d’appoint
Un lecteur français peut avoir une bonne image du temps partiel. En France, de nombreuses
femmes optent pour un aménagement de leurs horaires de travail pour mieux concilier leur
vie de femme active et leur vie de mère. Elles gardent leur poste, leurs conditions de travail,
de cotisations, de sécurité de l’emploi. Au Japon, les salariés à temps partiels sont en dehors
du système d’emploi à vie. On ne leur garantit aucune protection sociale, au même titre que
les salariés temporaires (jusqu’en 2012). Ils sont la main d’œuvre malléable qui huile les
rouages du système, la soupape d’ajustement face à des salariés réguliers qu’en principe
on ne peut pas renvoyer. Quand la crise grippe le système, ce sont avant tout les salariés
non réguliers qui sont touchés. Or les femmes salariées à temps partiel représentent 41,4%
des salariées au total en 2002. L’âge moyen de ces femmes augmente d’année en année
pour s’établir à 43,8 ans en 2006. Cela dénote bien de l’impossibilité des femmes de se
réinsérer sur le marché des travailleurs réguliers. De plus, même au sein des emplois à
temps partiel, au salaire horaire fixe, on observe des différence de salaires entre hommes
79
et femmes, sans doute parce que les hommes travaillent davantage .
Anne Garrigue en 2000 fait remarquer que cette précarité pourrait être moins
problématique si ces emplois correspondaient seulement à des revenus d’appoint. Mais la
nécessité économique on l’a vu pousse de plus en plus les femmes vers ce type d’activité
76
77
78
79
Voir p.54.
White Paper on the National Lifestyle 2006 (chiffres de 2002).
Voir plus bas.
Section sur l’Egalité devant l’emploi du Bureau du Travail de la Préfecture de Mie, La condition des femmes actives à Mie en
chiffres, 2008.
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La crise de la fécondité au Japon
professionnelle. Et qu’en est-il des femmes divorcées, qui souhaiteraient se réinsérer sur
le marché régulier du travail, pour qui c’est une question de survie ? Cela contribue à
les marginaliser, à en faire des working poors (Matsumoto, 2008). On a beaucoup de mal
avec la conclusion de Muriel Jolivet à son ouvrage de 1993. Très lucide sur la précarité de
l’emploi à temps partiel, elle affirme que ces femmes sont une « main d’œuvre intelligente,
surqualifiée, qui accepte un salaire de misère et reste congédiable ». Et de conclure « ainsi
va la vie », après avoir tenu des propos plutôt conciliants pour ce système qui « somme
toute, remplit exactement la mission escomptée, c’est-à-dire distraire les femmes ‘juste ce
qu’il faut’ sans empiéter sur leur vie privée » (p.257-258). Or si on peut apprécier en effet
que les horaires soient moins lourds que ceux d’un travail régulier, on ne peut néanmoins
pas oublier la précarité qui y est liée. Elle ne propose pas même un aménagement des
emplois réguliers vers un réel temps partiel. Sans doute considère-t-elle que les Japonaises
quelque part profitent de ce système, hypothèse qu’on étudiera plus bas. Même dans le cas
où elles apprécieraient de jouir d’horaires diminués mais aussi de responsabilités, on peine
à comprendre une telle louange du temps partiel à la japonaise.
c. Le manque de perspective d’avenir professionnel pour une femme, qui
plus est future mère
Les femmes partent avec le handicap même d’être une femme lorsqu’elles entrent sur le
marché du travail. Que ce soit au Japon ou non, c’est à elles qu’on adresse la question de
savoir « qui va garder les enfants ? », à l’image de Laurent Fabius évoquant la candidature
de Ségolène Royale aux présidentielles françaises de 2007. Les Japonaises ont d’autant
plus de problèmes pour gravir les échelons de la hiérarchie que la norme sociale qui les
veut au foyer est tenace. Selon un sondage du Cabinet du Premier Ministre rapporté dans
le dossier du Bureau du travail de Mie, 45,2% des personnes interrogées étaient d’accord
avec l’adage « les femmes au foyer, les hommes au travail », et 48,9% contre. Les femmes
semblent bloquées dans leur vie professionnelle : en 1985 seuls 6,6% des postes de
manager étaient occupés par des femmes, 10,1% en 2005 (The New York Times, août
2008). 0,1% des femmes actives sont dans l’administration ; une femme au même poste
80
régulier touchera 65,9% du salaire moyen d’un homme . Le New York Times dans un article
au titre révélateur d’août 2008 rapporte l’exemple de Yukako Kurose. Cette jeune femme
explique comment on a écarté de sa route plusieurs promotions lorsqu’elle a commencé à
partir plus tôt du travail – 18h30 – pour pouvoir aller chercher sa fille à la garderie. On l’a
même poussée à la démission en la reléguant à un travail de bureau. Un des témoignages
recueillis par Jolivet en 2000 est celui d’une professeur de lycée qui a été mutée loin de
son domicile par sa hiérarchie dans le but de la pousser à la démission : « je pense que
la distance qu’on m’a imposée doit être effectivement considérée comme une forme de
brimade de la part des autorités pour m’empêcher de travailler. J’étais alors mariée et mère
81
d’un enfant, ce qui suffisait à me faire considérer comme quelqu’un d’inutilisable ». Ces
exemples sont révélateurs de la situation des femmes. On a vu que les procès pour mise
à la retraite abusive étaient rares, ce n’est pas le genre des Japonais que de faire autant
de bruit autour de ses déboires. Tatako Sodei en appelle à la liberté de travailler qu’on
refuse aux femmes. Si on leur offrait une réelle possibilité d’évolution de carrière, malgré une
grossesse, sans doute à terme aurait-elles davantage envie de travailler, répond-elle à ceux
qui lui rétorquent que les Japonaises ne le souhaitent pas toutes. On n’entrera pas dans
80
81
78
Ibid. note précédente.
Jolivet, 2000, Mme Kimura, dont le témoignage est rendu p.190 à 198.
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IV. Le couple : un rapport de forces loin des équilibres nécessaires à une parentalité sereine
les détails ici, mais l’avancée des femmes en politique au Japon est ainsi parmi les moins
avancées des pays développés. Anne Garrigue y consacre un chapitre dans son ouvrage.
Finalement, on a vu que la vie professionnelle des femmes japonaises étaient semée
d’embûches. Elles savent d’emblée que si elles veulent être mères, elles ne pourront pas
poursuivre leur carrière. Alors elles restent des OL jusqu’à la naissance de leur enfant,
deviennent femmes au foyer pure pendant quelques années, puis reprennent une activité
précaire. Cause ou conséquence, les femmes accèdent très difficilement aux postes à
responsabilités. On en vient à une image médiocre de la maternité, du couple même. Jolivet
en 1993 parle d’ « entrer dans les ordres du mariage et de la maternité ». Makato Atoh
évoque la peur du rapport inégal « ne serait-ce que » dans le concubinage ; Tatako Sodei
écrit : « dans notre pays, les couples qui considèrent qu’ils sont ensemble pour construire
quelque chose sont trop peu nombreux ». Elle estime que l’éducation sexuée que reçoivent
les Japonaises est un « réfrigérateur à ambition ». Certaines rejettent alors ce modèle. Mais
elles sont marginales. On en viendra alors à se poser la question de l’intériorisation de cette
éducation sexuée chez les Japonaises.
4. Un modèle social vraiment remis en cause ?
a. Les femmes qui rejettent le moule de la femme mère et épouse…
Certaines femmes adoptent un mode de vie qui leur permet d’échapper aux normes qui
leur dictent une voie à suivre. On a évoqué les career women. Celles-ci peuvent choisir de
rester célibataires, ou essayent d’aménager leur vie de façon à concilier leur travail et leur
famille. Elles se rapprochent du domicile de leurs parents pour qu’ils s’occupent des enfants
la journée ; elles font appel au système de garde public ou privé ; elles exigent la coopération
de leur mari. Anne Garrigue en 2000 analyse ainsi le refus de certaines jeunes femmes
d’appeler leur mari papa ou maître, comme signifie littéralement shujin. Elles préfèrent le
terme pâtena, pour partenaire. Mais mener une carrière signifie faire autant d’heures que
les hommes, et cela fait parfois partie du mode de vie qu’elles rejettent. Ainsi, selon le White
Paper on the National Lifestyle de juin 2006, 40% des mères salariées régulières de 30
et 34 ans ayant un enfant de moins de cinq ans font des heures supplémentaires, c’està-dire plus de 42 heures de travail hebdomadaires. Alors certaines optent pour une vie à
l’étranger, notamment à Hawaï, le plus japonais des états américains comme le montre
Garrigue. D’autres font des mariages mixtes, ou « inversés ». Il s’agit pour une femme à
haut niveau d’études de prendre un homme moins bien loti qu’elle. Il ne pourra pas alors
la considérer comme un inférieur, puisqu’elle l’aura choisi pour son infériorité. Enfin, les
dernières préfèreront être freeters ou chefs de leur propre entreprise pour être maîtresses
de leur mode de travail, et ainsi de leur mode de vie.
b. …sont finalement marginales
Mais les femmes qui tentent de trouver une troisième voie, entre le trop-plein de vie privée
des femmes et le travail prééminent des hommes et des career women, sont une minorité.
C’est comme la Hanako décrite par Jolivet : chacune en rêve, mais aucune ne le devient.
Anne Garrigue montre bien le rejet des jeunes du modèle de leur mère, qu’elle soit restée
au foyer ou qu’elle ait travaillé au point de ne pas les voir assez souvent. Pourtant, on a été
surprise lors du zemi de l’université de Mie qu’on a suivi en 2008. Les étudiantes étaient
loin d’être en majorité des féministes révoltées à l’idée d’être enfermées dans le moule
social de mère au foyer. Le professeur demandant aux élèves qui souhaitait être femmes
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La crise de la fécondité au Japon
au foyer, de nombreuses ont levé la main. On leur a alors demandé pourquoi elles venaient
étudier à l’université si ce n’était pas pour être assurée d’avoir un bon poste. L’université
est en France un symbole de réussite sociale, et au Japon le gakureki étant si important,
on avait du mal à comprendre pourquoi elles avaient cette démarche, coûteuse en terme
de temps et d’argent, si c’était pour devenir femmes au foyer. Une étudiante avait répondu
qu’elle souhaitait se cultiver pour pouvoir transmettre des connaissances d’un bon niveau
à ses enfants. On soupçonne bon nombre d’entre ces étudiantes de considérer l’université
comme un lieu de rencontre pour leur futur mariage, comme on l’avait sous-entendu dans
l’étude du marché de la rencontre (Cf. infra). Les mêmes étudiantes du zemi disaient ne pas
vouloir confier des tâches ménagères à leur futur mari, de peur qu’ils fassent mal mais aussi
de peur de perdre leur identité, puisqu’elles ont intériorisé la norme sociale qui fait d’elles
avant tout des épouses et des mères, dévouées aux autres, et non pas des carriéristes
égoïstes qui souhaiteraient s’épanouir individuellement. On se trouve face à un « habitus »
fort qui témoigne d’une intériorisation profonde de l’extériorité qu’est le rôle que la société
japonaise leur aurait imposé (modèle de l’Etat Providence à la Japonaise). La thèse de
Pierre Bourdieu peut parfaitement s’appliquer aux femmes japonaises.
Dans un autre sens, Muriel Jolivet en 1993 a la réflexion suivante : « à voir trimer leurs
époux, elles se disent sans doute qu’elles n’ont pas la plus mauvaise part » (p.257). Entre
vivre dans le travail et négliger la partie personnelle de sa vie, les Japonaises préfèrent se
consacrer à leur épanouissement au sein de la famille. La question est de savoir si elles
s’épanouissent personnellement, ou si elles ne pourraient pas préférer s’épanouir aussi au
sein de la sphère publique grâce à leur travail. Reste qu’elles ne sont pas unanimement
malheureuses dans la société, en tout cas consciemment. Nous irons même plus loin à la fin
de notre analyse de la parentalité des deux côtés du couple : elles seraient conscientes de
leur chance d’être épargnées par le monde du travail et sauraient très bien en jouir. Reste
que le taux de natalité bas tel qu’il l’est sème le doute de l’acceptation des femmes dans
ce rôle.
On a donc conclu que les femmes étaient trop investies dans leur vie de famille, au
point qu’elles ne savent pas couper le cordon qui les relie à leurs enfants mutés en parasite
single. A force d’être exclues de la sphère publique, les Japonaises se retrouvent seules
dans la sphère privée, en proie au baby-blues dont rien ni personne ne les écarte. Au
contraire, le discours ambiant les culpabilise de ne pas y arriver. Avant et après avoir été
femmes au foyer, le monde du travail les rejette, de part la structure que le système d’emploi
japonais a fait prendre à leur activité, elles ne peuvent pas concilier travail et famille. Elles
ont alors recours au temps partiel, qui précarise leur statut, ou à des issues plus symboliques
mais qui ne paraissent pas totalement satisfaisantes. Finalement, la plupart se conforte
au diktat de la norme sociale dont elles sont l’objet. Mais on peine à deviner leur attitude
inconsciente, puisque la baisse de la natalité ne semble pas témoigner d’une harmonie entre
les aspirations des femmes et leur rôle de mère, rôle que si elles avaient tant à cœur, elles
mettraient davantage en œuvre. Or on se rend compte que ce ne serait pas complètement
à reculons qu’elles se fondraient dans ce moule plutôt douillet. En effet, si on compare la
situation des hommes sur le concept de work-life balance, on s’aperçoit qu’eux aussi sont
trop investis dans l’une des deux sphères : on va s’intéresser au trop plein de work dans
le mode de vie des hommes japonais. Ils travaillent quantitativement trop et de fait ils sont
absents du foyer, pour leur femme comme pour leur enfant. Comme pour les femmes, on
se posera ensuite la question de leur attitude face à ce rôle qu’on leur confère. Finalement,
on évoquera les « nouveaux pères », plus ou moins prêts à s’investir davantage pour leur
famille.
80
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IV. Le couple : un rapport de forces loin des équilibres nécessaires à une parentalité sereine
C. Les hommes, ni époux ni pères ?
1. Surchargés de travail, ils sont absents pour leur femme et pour leur
enfant
Contrairement aux femmes dont la balance penche trop du côté life, les hommes
japonais sont trop dans le work. Alors qu’en France, on travaille 16 000 heures par an, les
Japonais travaillent en moyenne entre 28 et 30 000 heures (Matsumoto, 2008). Dans la
courbe du pourcentage des hommes travaillant 60 heures ou plus par semaine en fonction
82
de leur âge , ce sont les hommes ayant un enfant de moins de 0 à 5 ans qui sont les plus
nombreux. Dans leur vingtaine, ils sont environ 27%. Dans leur trentaine, ils sont environ
24,8%. Vers 45 ans, ils sont 20,8%. Les hommes mariés sans enfant puis les hommes
célibataires sont en dessous de ces taux. Visiblement, le dilemme entre vie de famille et
travail ne se pose pas de la même façon pour les hommes, qui n’aménagent pas leur temps
pour leur famille, et semblent même faire le contraire. Le dicton qui décrivait l’autorité du
père que seul un aperçu de son dos fait craindre « oya no se wo mite sodatsu », a changé de
sens : le père n’est plus aperçu que de dos lorsqu’il part au travail, comme dans l’affiche de
la Poste pour la fête des pères 2008 : le père est celui dont on ne distingue que la silhouette
qui part au travail, en costume et attachée-case à la main. De même, l’observation des
cartes de fêtes des pères est éloquente. On lit « Papa, courage ! Mais quand même, ne
83
te rends pas malade ! » .
Muriel Jolivet dans son étude des hommes japonais en 2000, commence son ouvrage
pas déconstruire l’adage « le travail c’est la santé » à la lumière de l’exemple japonais.
Elle y évoque la mort par surmenage, karôji, la phobie du travail. Elle s’appuie notamment
sur l’expertise de Satoru Satô, spécialiste du workaholism de ces concitoyens. Il expliquait
déjà dans l’ouvrage de la même auteure en 1993 qu’aucun Japonais n’oserait se lever
se son bureau pour rentrer chez lui plus tôt que les autres, de peur d’être le clou qui
ressort, celui que le marteau social s’empresserait d’enfoncer à nouveau au même niveau
que ses semblables, d’après le dicton japonais. On les appelle les kigyô senshi, les
soldats de l’entreprise explique Masayoshi Toyoda. Le Dr Sekiya dirige une clinique neuropsychiatrique de Tokyo quasi-spécialisée dans le traitement des hommes épuisés par leur
travail. Interviewé par Jolivet en 2000, il explique qu’il n’y a plus de salariés heureux au
82
83
Présentée par White Paper on the National Lifestyle de juin 2006 p.6.
Photographies personnelles.
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La crise de la fécondité au Japon
Japon. Il décrit leur vie comme celle de solitaires, qui ne communiquent pas. Auparavant,
la remise de leur paie à leur femme leur valait gratitude et repas élaboré. Ils n’existent que
par leur travail, qui définit leur rôle. Ceci explique le point de vue du réalisateur de Tôkyô
Sonata qui met en scène un père de famille qui, licencié, n’ose rien dire à sa famille de peur
de perdre la face : il n’est rien d’autre que le gagne pain, et c’est bien pour cette raison qu’on
accepte son absence du foyer.
En effet, il découle de cet excès de zèle qu’ils n’ont pas su ménager leur côté life. Ils sont
absents du foyer, d’abord pour leur enfant. En 1993, Jolivet pose la question de la relation
affective entre le père et ses enfants. A la question « les pères japonais aiment-ils leurs
enfants ? », elle répond par la négative. 37,4% d’entre eux n’ont aucun contact avec leurs
enfants les jours ouvrables, 16,1% les jours chômés. Un manque de communication verbale
caractérise ces relations. Pour rendre compte de la réalité de cette idée, on évoquera la
campagne publicitaire pour la console Wii de Nintendô de juillet 2008. Elle détaille le succès
de la console auprès des Japonais, en donnant le résultat d’un sondage sur les raisons pour
lesquelles les clients apprécient le produit. « Chez les hommes de 40 ans, la raison qui a
obtenu le plus de suffrages est ‘les occasions de parler avec mes enfants sont devenues
plus nombreuses’ », à 19,8%. Dans les résultats détaillés, on se rend compte qu’en plus de
ces réponses, 16,2% estiment que le temps qu’ils passent avec leurs enfants a augmenté
grâce à la console. En tout, 38% des personnes ont vu leurs relations avec leurs enfants
s’intensifier. De même, 8% des clients ont intensifié leurs relations avec leur conjoint.
(Photographies personnelles)
Dans l’anime Mes voisins les Yamada, le père propose au fils une partie de Baseball, en argumentant que c’est là l’occasion parfaite d’entretenir une relation père-fils. Il
semble donc que les pères aient besoin d’occasions pour s’occuper de leurs enfants,
en l’occurrence un jeu, comme médiateur justifiant l’affection qu’il pourrait avoir envie de
témoigner. C’est que la spécialisation des tâches au sein de la société qui découle du
modèle japonais de l’Etat Providence, conjuguée à la course au rattrapage de l’Occident
durant la Haute Croissance, a consigné le père au bureau. L’adage selon lequel le père
84
est aussi impressionnant que le séisme, le tonnerre, et l’incendie n’a plus lieu d’être . A la
question « les enfants japonais aiment-ils leur père ? », Jolivet en 1993 répond aussi par des
statistiques. Alors qu’environ 90% des enfants aux Etats-Unis et en République Fédérale
d’Allemagne se sentent aimés, compris de leur père, et disent pouvoir compter sur lui. Au
Japon, ces taux tombent entre 60 et 70% dans le cas japonais.
84
82
Shimizu, 2004 « jishin kaminari kaji oyaji ».
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IV. Le couple : un rapport de forces loin des équilibres nécessaires à une parentalité sereine
Dans le même sens, les pères sont absents pour leur femme. Les hommes japonais
sont parmi les moins serviables au monde. Selon la First Longitudinal Survey on Babies in
the 21th Century du MHW, entre 60 et 80% des pères font rarement ou jamais la lessive,
le ménage, la vaisselle ou la cuisine. Ils font généralement les courses, pour 50% d’entre
eux toujours ou parfois. Ils sont ceux qui sortent les poubelles, à 70%. On pense bien
sûr qu’avec les horaires de travail qu’on a évoqués, et le mode de vie traditionnel qu’ils
poursuivent, il est logique qu’ils soient déchargés des tâches ménagères. D’une part, leur
travail les fatigue bien trop pour qu’ils aient l’énergie de tenir la maison ; d’autre part, leur
femme ne travaille pas, et la tenue de la maison fait partie intégrante des tâches qu’on
lui a assignées. Néanmoins, les femmes rejetant cette division classique des tâches, elles
travaillent, et aimeraient de la coopération de la part de leur mari. Même celles qui sont au
foyer préfèreraient les voir plus actifs. Ainsi, celles qui ont déjà des enfants en voudraient
d’autres à hauteur de 44,2% si le père les aide, et seulement de 36,6% si le père ne les aide
pas. Parmi les femmes qui n’en ont pas encore, l’écart est réduit mais demeure (Cabinet du
Premier Ministre, White Paper on the National Lifestyle, 2006).
Au sens qualitatif cette fois, les Japonaises regrettent la nature de leurs relations avec
leur époux, comme le montre Muriel Jolivet en 2000. Selon un vieil adage que rappelle
le Dr Watanabe Hisako p.92, un poisson une fois qu’il a été pêché n’a plus besoin d’être
appâté. Il estime que les Japonais ne savent pas aimer. Leur femme étant la seule personne
qu’ils ne craignent pas, ils se laissent aller devant elles. La sphère publique étant celle de
toutes les pressions sociales, une fois retranché au sein du foyer, le mari se met à l’aise,
quitte à négliger son épouse. Les maris oublient de faire la cour à leur femme, de prendre
soin d’elle, de lui faire plaisir, de communiquer avec elle. On a déjà évoqué le transfert
qu’effectuent les hommes japonais entre la relation qu’ils entretenaient avec leur mère et
celle qu’ils entretiennent avec leur femme. Ils n’ont pas l’idée d’agir différemment avec leur
femme qu’avec leur mère, dit sexologue de 79 ans, Yasushi Narabayashi. Yôko Itamoto a
ainsi créé à la fin des années 1980 une « école des maris », pour apprendre aux hommes les
fondements de la psychologie féminine. Selon le sexologue suscité, les hommes japonais,
sur-couvés par une mère « mante-religieuse » n’ont pas su s’opposer à elle à l’adolescence,
« tuer la mère » dit Narabayashi. Le fils se sent responsable du bonheur de sa mère, car
c’est sur lui que repose toutes ses attentes, puisque son mari n’est pas même un amant.
De peur de la blesser, elle qui est déjà malheureuse, le fils ne s’oppose pas. La relation est
« castratrice », et toutes les relations avec les femmes en pâtissent. Le sexologue considère
que la relation est si étouffante que le fils ne ressent pas le besoin de se marier, puisque sa
mère s’occupe si bien de lui, si ce ne sont ses pulsions sexuelles, que son inconscient (son
ça) lui impose de refouler en obéissant à l’interdit de l’inceste. Mais alors la mère se charge
de le marier en organisant un omiai. Narabayashi estime que « sans les mariages arrangés,
les hommes ne pourraient pas se marier, car ils sont incapables de tomber amoureux ».
Cela confirme ce que nous avons écrit sur les difficultés des jeunes japonais à communiquer
avant le mariage, et le vide laissé par la disparition des intermédiaires qu’étaient les omiai
sur le marché de la rencontre.
Ainsi, les hommes sont trop pris par leur travail. Ils ne s’occupent ni de leur enfant, ni
de leur femme, d’un point de vue quantitatif comme qualitatif. On a vu des facteurs sociaux
– le partage sexuel des tâches – et psychologiques – le rapport à la mère – qui peuvent
expliquer cette absence du foyer. On va à présent étudier plus précisément cette exclusion
des pères : est-elle volontaire ou subie ?
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La crise de la fécondité au Japon
2. « Les pères sont-ils exclus ou absentéistes ?»
85
Il convient de se poser cette question de la dialectique entre l’exclusion des hommes du
foyer et leur retrait volontaire. En effet, les hommes semblent manquer de volonté face
à leur famille. On a vu que les célibataires parasites considéraient la famille comme un
hôtel. Jolivet en 2000 avance que les pères ont également cette conception de la famille.
Dans le même sens, le fait de passer du temps avec sa famille est considéré comme du
« service familial » (kazoku sâbisu), dont la définition est la suivante : « temps accordé
par le père à sa famille, non perçu comme un dû » (p.87-88). Ainsi, les hommes utilisent
très peu leur droit à travailler moins, des droits pourtant légaux. 80% des hommes ne
refusent pas les heures supplémentaires pour des raisons familiales. D’ailleurs, 53% des
salariés ne parlent pas de leur famille au travail (Shigematsu et Yashiro, 2006). Dans le
reportage télévisé« la façon de travailler des Japonais », l’exemple était donné d’un homme
qui avait tu la maladie de sa femme de peur que cela lui ôtât ses chances de promotion. On
suivait alors le fonctionnement d’une entreprise dont on éteignait les lumières à vingt heures
pour empêcher les salariés de rester jusqu’à point d’heures au travail. Mais les salariés
se levaient pour les rallumer et continuer à travailler. Une publicité pour le cellophane de
2008 montre un jeune salarié qui rentre chez lui alors que sa femme est déjà couchée et
lui a préparé son repas, soigneusement emballé dans le fameux papier. Il en était réduit
à sourire et à remercier une reproduction grandeur nature de sa femme. Jolivet en 2000
dans son étude du workaholism des Japonais, évoque certains pères qui font semblant de
pianoter sur leur clavier pour ne pas à avoir à donner le bain à leurs enfants. Les Japonais
sont presque fiers de leur mode de travail, acharné et sans limite. Mais Jolivet prévient que
cela est parfois fatal, et qu’il leur serait nécessaire d’écouter leur corps pour ne pas nuire
à leur santé même.
Reste que comme pour les femmes, on a l’impression que c’est là une attitude qu’on
leur a dictée et qu’ils ont profondément intériorisée. Jolivet en 1993 fait remarquer que sous
l’époque Edo, les livres de puériculture s’adressaient à eux. C’est à l’époque Meiji que la
norme de la bonne mère et épouse avisée s’est répandue, que le modèle japonais de l’Etat
Providence, et la course au rattrapage de l’Occident ont sanctuarisée. Le père d’aujourd’hui
est en pleine crise d’identité dit Jolivet. Alors qu’on l’a retranché au bureau, qu’il n’a le
temps de rien, on l’accuse d’avoir fait capoter les politiques de relance de la natalité des
86
années 1990 par manque de volonté de s’investir auprès de sa femme . Pendant cette
même décennie, la société décrie les pères non virils qui s’occupent de leur enfant, vont le
chercher à la crèche (Garrigue, 2000). Jolivet en 1993 décrit l’industrialisation qui a coupé le
lien de transmission d’une technique, d’un savoir de père en fils. Il a été exclu de l’éducation
des enfants, avec la privatisation de celle-ci au sein de la sphère privée, qui n’est plus
que le domaine de la femme au foyer pure, renforcée par le mythe de l’instinct maternel,
du skinship entre la mère et l’enfant. S’ils ne refusent pas les tanshin funin, c’est que la
compétition au travail est trop forte, et qu’ils pensent au gain financier que cela procurera au
foyer. Ici ressort la responsabilité même des employeurs. Néanmoins, le raisonnement des
hommes devrait nécessairement changer. Leurs employeurs ne sont plus à même de leur
fournir un emploi à vie. Le nombre de firmes fonctionnant sur ce système plutôt que sur la
progression au mérite a été divisé par deux depuis 1993 (Ogawa et Retherford, 2005). Or ils
se consacraient à l’entreprise en échange de cette sécurité de l’emploi. On pourrait penser
que les pères ont là une « fenêtre d’opportunités » comme les définit Tiana Norgren, et qu’ils
85
Jolivet, 1993 p.94.
86
84
Voir plus bas notre étude des politiques de la shôshika.
Dubois Charlotte - 2009
IV. Le couple : un rapport de forces loin des équilibres nécessaires à une parentalité sereine
pourraient s’y engouffrer pour améliorer leur work-life balance. Mais finalement, les pères
japonais échouent dans ce rôle par leur incapacité même à rejeter le schéma inconscient
qui les a contraints à se retirer de la sphère privée, quand la société même les y autorise
et les y pousse.
3. Les « nouveaux pères » des années 2000
Cette expression est née en Europe pour décrire les attitudes avant-gardistes de certains
hommes dans les années 1970. Ils devenaient hommes au foyer ou simplement aidaient
leur femme pour les tâches ménagères et l’éducation des enfants. Au Japon, si quelques
« soixante-huitards […] serr[ent] les dents » (Hiroko Hara, citée par Jolivet 1993, p.237),
de plus en plus d’hommes aident naturellement leur femme. Avec l’éclatement de la Bulle
et le repli sur la famille qui a suivi, le travail des femmes est devenu une nécessité
économique pour de nombreux couples. Le partage traditionnel des tâches semble ainsi
être progressivement remis en cause. Aussi, le week-end n’est-il pas rare de voir dans les
parcs, les centres commerciaux, des hommes seuls avec leur enfant. Jolivet en 2000 cite
des hommes partisans d’un fushi techô, c’est-à-dire un carnet de santé non plus centré
sur le rapport entre la mère et l’enfant mais entre le père et celui-ci (fu signifiant père,
voir p.15).. Tel Shiomi Toshiyuki, professeur associé à faculté de pédagogie à l’université
de Tokyo, ils militent pour un « instinct paternel », et revendiquent leur paternité. Mais on
mettra deux bémols à ce constat. D’une part, cette aide est fort timide en matière de tâches
ménagères. D’autre part, elle est sélective, comme on l’a vu : les hommes veulent bien sortir
87
les poubelles ou faire les courses, mais pas davantage . De plus, elle concerne surtout
l’éducation des enfants. Il n’est pas rare aujourd’hui de voir dans la publicité, reflet des
normes sociales, des hommes mis en scène s’occupant de leur enfant, avec ou sans la
présence de leur femme. Ces publicités sont peut-être encore avant-gardistes, reste que les
générations ont enclenché le changement. Celle d’avant l’éclatement de la Bulle qualifiait les
hommes qui s’occupaient de leur famille de non virils, d’incapables de travailler, finalement
défectueux : ils étaient marginaux. Avec l’éclatement de la Bulle, les hommes en sont venus
à devoir s’occuper un peu de leur famille : quand bien même on les montrait toujours du
doigt, ils ont été plus nombreux par la force des choses. On pense alors que la future
génération aura le droit socialement parlant de prendre soin de sa famille, pour à terme
pouvoir prendre soin de soi. D’ailleurs, les hommes s’occupent en général de leur enfant :
selon la First Longitudinal Survey on Babies in the 21th Century du MHW, 50% en moyenne
des pères s’occupent souvent ou parfois de leurs enfants en bas âge. Ils sont un peu plus
de 40% à les nourrir, 65% à changer leurs couches, 85% à leur donner le bain, 50% à les
mettre au lit, 95% à jouer avec eux à la maison, et 70% à les emmener se promener. Le
problème de ce sondage demeure l’imprécision liée à la fréquence de ces actes. Les pères
répondant « toujours » représentant parfois une minorité des interrogés, on aurait voulu en
savoir plus. Reste que ces moments avec les enfants diminuent avec l’augmentation de
la durée du temps de travail. Le temps passé en famille est satisfaisant pour 82,4% des
Japonais, selon le White Paper on the National Lifestyle 2006. Mais le dossier insiste sur le
fait que les hommes de 30 à 49 ans déclarent ne pas passer suffisamment de temps avec
leur famille. On comprend donc que la nécessité d’un retour au foyer est ressenti par les
hommes. Les raisons évoquées par ceux-là sont à 77,5% à cause de leur travail ou des
études de leurs enfants. 81% des répondants déclarent ne pas pouvoir passer plus de temps
ensemble, contre 19% manquant de volonté de passer du temps en famille plutôt que seul.
87
Même constat plus bas lors de l’enquête qu’on a réalisée à Mie Daigaku.
Dubois Charlotte - 2009
85
La crise de la fécondité au Japon
Jolivet en 2000 évoque la difficulté du combat des nouveaux pères. Qui, que doiventils combattre dans une société qui favorise l’homme ? Comment demander moins de
responsabilités, plus d’égalité avec les femmes quand en apparence, ce sont les hommes
qui bénéficient de ce rapport inégalitaire ? Comment revendiquer un statut moins ambitieux
car plus réaliste sans passer pour des lâches, comme à l’époque de la Bulle ? Le Men’s Lib,
contrairement aux mouvements des femmes, n’a pas d’ennemi clairement identifiable. On
se demande si cet ennemi n’est pas le travail, ou tout du moins la façon de travailler des
Japonais. Certains auteurs parlent d’interdire les heures supplémentaires dans l’optique de
88
faire remonter le taux de natalité . On en revient à la crise d’identité des hommes évoquée
plus haut, puisque l’homme se définit au sein du foyer comme celui qui fait financièrement
vivre la famille. L’évolution de leur rôle est forcée par l’évolution de celui des femmes. Les
hommes japonais pourront-ils leur céder, en comprenant que c’est dans l’intérêt de tous,
du moins dans le leur même ?
On a donc analysé le work-life balance des Japonais du côté des femmes, puis de celui
des hommes. Il convient à présent de confronter ces deux extrémités de la balance pour voir
les obstacles à l’établissement d’un équilibre. On se rendrait alors compte que ces écueils
ne sont pas là où on les imagine. On va ainsi renverser les représentations du rapport entre
les sexes pour reconstruire une perspective de work-life balance.
4. Conclusion : les rapports hommes-femmes déconstruits pour un
équilibre à trouver
a. Rapports hommes-femmes en trompe-l’œil
Dans ce paragraphe, on va s’efforcer de déconstruire les rapports hommes-femmes tels
qu’on les a étudiés jusqu’à présent, afin de démontrer la complexité du schéma social
japonais, des habitus intériorisés par les hommes comme les femmes. Ceci expliquera sans
doute les difficultés que rencontre le gouvernement pour faire changer les mentalités et les
mœurs de ses citoyens. On renversera d’abord la vision des femmes puis celle du rôle des
hommes.
On a vu jusqu’ici que la femme japonaise était déprimée d’être mère. Le mariage puis
la naissance de l’enfant la cantonnent au rôle d’épouse puis de mère, alors même qu’elle
souhaite s’affirmer en tant que femme. On a néanmoins esquissé un portrait acerbe de la
mère, après avoir montré le mal et les pressions qu’elle subit. La mère trop protectrice,
devient destructrice et castratrice envers son fils. Or on peut considérer qu’elle agit de même
avec son époux. On a vu qu’il était exclu de la dyade mère-enfant, à l’origine par les discours
que la mère fait siens, et dans les faits donc par la mère. C’est elle qui décide pour sont mari.
Elle entre en compétition de maternage avec sa belle-mère dès le mariage : l’homme est
considéré tel un enfant supplémentaire à charge, dont elle n’attend que des performances
en terme de travail, et donc de salaire (Saitô Satoru, cité par Jolivet en 2000). C’est à elle
qu’il remet sa paie en fin de mois, comme on l’a vu plus tôt. Et aujourd’hui, explique le Dr
Sekiya cité par Jolivet en 2000, cette remise de la paie n’est plus même l’occasion de se
voir témoigner de la gratitude. Les femmes ne respectent plus les formes comme Ozu le
montre dès 1963, et leur discours est celui des caricatures avec lesquelles Jolivet illustre
son propos : « en dehors de ta paie, moins tu es là, mieux on se porte » ; « mais, pourquoi
tu rentres déjà ? » lorsqu’il rentre exceptionnellement plus tôt du travail. Les hommes sont
88
86
Ira Ishida, cité dans Nihon no ronten 2008, the issues for Japan, p.283.
Dubois Charlotte - 2009
IV. Le couple : un rapport de forces loin des équilibres nécessaires à une parentalité sereine
ainsi sujets à la phobie du foyer, kitaku kyohi, la peur de rentrer chez soi, au phénomène
de l’évaporation, jôhatsu, ces Japonais qui décident de disparaître du jour au lendemain
pour commencer une nouvelle vie (Mauger, 2009). D’ailleurs, les expressions japonaises
montrent bien la réalité d’une certaine domination des femmes. D’après l’étude de Reiko
Shimamori, on dit « Kakâ-denka », qu’elle traduit par « c’est la femme qui porte la culotte ».
Elle gère la maison, c’est-à-dire surtout le budget du foyer, ce qui lui procure un pouvoir
économique et de décision fort. Elle reçoit la paie du mari, et lui verse en échange de l’argent
de poche, comme on va le voir ensuite. Les femmes d’aujourd’hui, aspirant davantage que
les hommes à l’individualisme (voir supra), traitent leur mari de « sôdai gomi », « résidu
encombrant », ou encore d’élément de mobilier, « chien de garde » dit Jolivet. Elles sont
finalement heureuses d’une part de ne pas avoir à travailler autant que leur mari – Jolivet
dit qu’elles ont peut-être après tout le beau rôle en 1993 (p.257) – et d’autre part que lui
soit absent, ce qui les libère d’un poids. Elles le rejettent d’autant plus à sa retraite, ce qui
explique la recrudescence des divorces tardifs qu’on a vue plus tôt. Mais dès le mariage,
Jolivet en 1993 évoque Hanako, la caricature des filles des années 1990, qui ne se marie
que pour parfaire sa panoplie sociale, avoir des enfants « mignons » dont elle se déchargera
sur sa propre mère – et pas la belle-mère, en échange de la cohabitation qu’elle acceptera
sous cette seule condition. Finalement, les femmes ne sont pas si passives qu’en apparence
au sein de leur couple. On ne peut pas savoir si c’est à force d’avoir été tenues à distance
qu’elles ont appris à retourner la situation en leur faveur. Reste par conséquent, la vision
de la femme ne peut pas être monochrome.
Dans le même sens, les hommes, comme on a commencé à le voir, souffrent de leur
statut, qui ne serait finalement pas celui d’un bourreau sans cœur qui n’a que faire de sa
femme et ses enfants. De la même façon que les femmes dont on vient de dresser le portrait
inversé, les hommes seraient en quelque sorte des victimes, de la tyrannie de leur mère
d’abord, de leur femme ensuite, et enfin de leur travail. Dans une enquête, le Dr Sekiya a
demandé à 1556 pères de famille « qu’aimeriez-vous pouvoir dire à votre famille ? ». Les
réponses les plus sollicitées sont les suivantes, par ordre décroissant :
1- Lâchez-moi au moins les jours de congé 2- je voudrais que ma femme augmente mon
argent de poche 3- je voudrais être mieux traité 4- je voudrais voyager seul 5- je voudrais
avoir le droit de boire autant que j’ai envie 6- je voudrais tromper ma femme 7- je voudrais
que ma famille m’inclue dans son intimité 8- Je voudrais avoir droit de dire « je n’en peux
plus » 9- je voudrais qu’on m’adresse les salutations d’usage quand je pars le matin et rentre
le soir 10- j’aimerais qu’on soit reconnaissant et disposer d’un espace à moi (Jolivet, 2000
p.67 et suivantes).
On se rend compte que les maris souffriraient en silence de ne plus se voir reconnaître
dans le seul rôle qu’on leur a dévolu, celui de représentants de l’autorité d’une part, et de
pilier financier de la famille qui doit à ce titre être respecté et soulagé d’autre part. Mais ce
statut pourrait tout aussi bien arranger le père. Lui qui n’a jamais su prendre de décisions,
couvé par sa mère, serait bien heureux de laisser faire sa femme. Il ne saurait pas répondre
à ses questions en matière d’éducation des enfants par exemple, et préfère qu’elle ne les
lui pose pas. Son travail lui servirait d’alibi pour se dérober aux tâches qui le rebutent. Il
aurait peur des responsabilités, peur de ne pas être à la hauteur, comme on lui a toujours
89
demandé d’en faire davantage. Il serait invisible car aurait le désir de ne pas être vu . Se
pose là aussi la question de l’origine de ce retrait du foyer : s’est-il effectué en réaction à un
sentiment d’exclusion ? A-t-il été volontaire, dans l’objectif de se consacrer pleinement à son
89
Entretien avec Frédérique Barazer, agrégée de japonais, auteure de la méthode d’apprentissage du japonais Nihongo no
manekineko.
Dubois Charlotte - 2009
87
La crise de la fécondité au Japon
travail ? Les hommes d’aujourd’hui en sont-ils conscients ou désirent-ils retrouver une place
au sein de leur famille ? Le sondage qu’on a évoqué plus haut, et l’élan des nouveaux pères
vers leurs enfants semblent confirmer l’existence d’une telle réflexion chez les Japonais. On
aimerait conclure sur l’inversion des rapports hommes-femmes en citant les deux chansons
par lesquelles Jolivet termine son ouvrage Homo japonicus. Elles montrent parfaitement ce
qu’on vient d’exposer (voir annexe 2).
On vient donc de montrer la complexité des rapports hommes-femmes au Japon. La
division sexuelle des tâches, intériorisée, a entraîné des réactions contraires à celles-ci,
tandis que chacun a appris à retourner en sa faveur une situation qui ne le satisfaisait pas.
Or on assiste à nouveau à une volonté de changement. Comment remettre en cause une
construction inconsciente de la société à ce point intériorisée et faite sienne ? Dans le film
Tôkyô Sonata, le Japon qui change est symbolisé par la famille qu’on a déjà évoquée. Reste
le rôle de la mère qu’on n’a pas décrit. Elle prend le parti de ses enfants, qui tous deux
prennent des décisions en opposition radicale avec leur père. Elle prend conscience de sa
solitude au sein de son couple. Elle est enfermée dans son foyer, son mari ne la considère
pas (elle demande dans le vide qui pourrait la lever de son canapé), elle-même ne le
considère pas. « Ils se font souffrir mutuellement », comme le conclut le Dr Hisako Watanabe
citée par Jolivet en 2000 p.89. On ne peut pas différencier la cause de la conséquence de
cette farce conjugale, qui éloigne les deux époux, les éloigne de la perspective d’une vie
agréable, de la perspective d’une vie de famille heureuse, de faire des enfants par bonheur,
du moins inconsciemment. Mais la femme du film, après avoir vécu une parenthèse qui la
confronte avec ses interrogations, retourne à sa situation initiale, sans que le réalisateur
nous donne d’indices sur un quelconque changement pour elle, que ce soit par rapport à
son mari, ou à sa vie personnelle. Quand bien même les Japonais seraient conscients des
lourdeurs qui paralysent leur entrée dans le XXIème siècle, ne seraient-ils pas prêts à tout
remettre en cause ? C’est semble-t-il d’abord le work-life balance qu’il faudrait encourager.
b. Perspectives de work-life balance
En effet, comme on vient dans le montrer dans toute cette partie illustrant la vie de couple,
on se rend compte à quel point celle-ci est déséquilibrée. Les femmes sont prisonnières
– consciemment ou inconsciemment, ce qu’elles apprécient plus ou moins – du foyer,
n’ayant plus pied dans le monde professionnel après la naissance de leur enfant, ou au
prix d’aménagements si difficiles à mettre en place que peu s’y essaient. Elles sont trop
du côté life. En ce qui concerne les hommes, ils sont prisonniers – consciemment ou
inconsciemment, ce qu’ils apprécient plus ou moins – de leur travail, sans pouvoir profiter
de leur vie de famille en dehors des occasions formelles de kazoku sâbisu. Le work annihile
leur vie personnelle. Mais il en est de même lorsque l’époux et l’épouse échangent leur rôle.
Les career women n’ont guère de temps à consacrer à un mari et des enfants. Les pères
dont la femme travaille ont du mal à tout gérer sans elle. Le White Paper on the National
Lifestyle de 2005 explique clairement que « de nombreux couples dont les deux membres
travaillent à plein temps ont des difficultés à allouer suffisamment de temps pour élever
des enfants ». Comment alors ne pas imaginer un rééquilibrage qui profite à l’un comme
à l’autre ? Autorisons les femmes à réintégrer la sphère professionnelle à mi-carrière (à
terme, ce qui n’est pas encore envisagé même par les chercheurs japonais de la shôshika,
faisons en sorte qu’elles n’aient pas à en sortir), et permettons-leur de mieux s’épanouir.
Diminuons les heures de travail des hommes pour qu’ils réapprennent à être maris et
pères. Isako Matsumoto évoque une double responsabilité de chacun : envers les autres
et envers soi-même. Les femmes sont trop tournées vers les autres, les hommes vers eux88
Dubois Charlotte - 2009
IV. Le couple : un rapport de forces loin des équilibres nécessaires à une parentalité sereine
mêmes souligne-t-elle. Elle rappelle de plus que le travail doit être idéalement un facteur
d’épanouissement personnel. Le travail des hommes japonais ne semble pas répondre à
ce critère : il est plutôt aliénant. Quand aux femmes, 45,3% des femmes au foyer estiment
que l’enfant est un fardeau, contre seulement 29,1% des femmes actives (Takeishi, 2005).
Il semble bien que pour elles, le travail soit un moyen de se distraire, pour sortir du cocon
familial qui les aliène au temps du baby-blues par exemple.
Reste à savoir si ce genre de perspectives séduit les Japonais. Après tout on l’a vu, les
femmes continuent à vouloir être femmes au foyer. Mais la plupart rêvent d’un bon work-life
balance. On a déjà évoqué l’aspiration des femmes dans leur train de vie idéal (cf. supra).
Dans le White Paper on the National Lifestyle 2006, le premier graphique présenté dès
l’introduction est celui de l’insatisfaction des Japonais en matière de WLB. On a demandé
aux répondants de noter de 1 à 5, du moins au plus satisfaisant, les domaines de leur
vie, tels que les loisirs, la culture la santé, l’environnement professionnel et une dernière
catégorie WLB. Cette dernière était composée des entrées « adéquation des équipements
de soins des enfants », « jours de congés » et « environnement autour de la parentalité ».
Les notes moyennes sont respectivement de 2,94, 2,68 et 2,73. La note 2 correspond à
l’appréciation « pas très satisfaisant » et 3 « ne peut pas se prononcer ». La note moyenne
des entrées concernant la vie professionnelle (égalité entre les sexes, reconnaissance des
mérites et du travail, capacité de changement d’emploi, etc.) est de 2,54, contre 2,885 de
satisfaction moyenne pour la catégorie loisirs, culture et santé. Le white paper de 2008 est
de même éloquent. Le temps durant lequel toute la famille est réunie est en baisse : moins
de personnes sont réunies moins longtemps. En effet, plus le temps de travail et de trajet est
élevé, moins le temps passé en famille est long. Les moments de la journée privilégiés pour
se voir sont le matin avant dix heures et le soir après vingt heures, mais ces plages horaires
se décalent, et s’orientent de plus en plus tôt le matin et tard le soir. Les enfants restent seuls
chez eux : plus de trois heurs pour 20,8% des 13-15 ans et 33% des 16-18 ans. Pendant
ce temps-là, les 10-18 ans étudient à 40,8% ; 20,9% lisent les journaux ou regardent la
télévision. Enfin, les conversations en famille ont lieu pour 15,6% des sondés, seulement
une ou deux fois, voire pas du tout dans la semaine. En revanche, quand les membres de
la famille vivent séparément, comme dans le cas des tanshin funin, ce taux monte à 86,0%.
Cette conversation avec les parents semble d’importance stagnante pour les enfants tandis
que son adéquation est en baisse, dénotant sans doute d’une déconnexion entre les deux
pôles. Sans doute en conséquence de ces changements, de cet éloignement des membres
de la famille, elle est en tête dans les sondages sur « quelle est la chose la plus importante
pour vous ? », avec un taux de réponse de 45%. On fera néanmoins remarquer que les
enfants en eux-mêmes sont en quatrième position à 7% environ, après « la vie, la santé,
soi-même » à 21% et « l’affection, le psychisme » à 15%. Les Japonais semblent donc
conscients de ce délitement des liens familiaux, et souhaitent au contraire les entretenir. Or
on a vu que ces liens étaient particulièrement forts au Japon, comme dans les autres pays à
lowest-low fertility rate. Doit-on en conclure que le foyer est un lieu auquel on reste attaché
longtemps mais où on n’entretient plus de relations, ou que le Japon glisse vers une réelle
perte d’influence de la famille ?
Les solutions pour améliorer le WLB des Japonais sont diverses. Localement, dans
les white papers suscités, on évoque des moyens concrets pour reformer la famille au sein
même de la maison : mettre un seul poste de télévision au salon, faire un album photo
familial, fêter les anniversaires ensemble, communiquer par Internet avec les seniors, etc.
D’autres, plus politiques, parlent de réorganiser le système d’emploi japonais. On a ainsi
pu assister à l’Université de Mie à une conférence sur le WLB (Maeda et Suzuki, 2008).
Nous nous étions précipitée à celle-ci dans l’espoir de suivre un exposé scientifique de
Dubois Charlotte - 2009
89
La crise de la fécondité au Japon
la pensée du WLB et de son actualité au Japon. Il n’en était rien en réalité. Il s’agissait
pour les deux intervenants de faire prendre conscience aux étudiants, qui quelques années
plus tard seraient des travailleurs, de la nécessité d’améliorer leur propre WLB. En 1999,
Keiko Funabachi insiste sur le congé parental. Puisqu’en effet, le retour au travail des
femmes est problématique, elle conseille de créer une plage d’au moins six mois, rémunérée
convenablement, et flexible. Elle défend la possibilité de prendre ce congé sur de longues
périodes, par exemple trois heures par jour pendant quatre ans. Chaque salarié y aurait
droit : il ne serait pas limité à un par famille. Cela revient à proposer un véritable statut de
salarié à temps partiel régulier. Les femmes ne quitteraient pas leur emploi, puisque après
leur congé maternité, elles pourraient aménager leurs horaires pour continuer à progresser
dans leur carrière tout en construisant une famille. Reste que la plupart des propositions
aujourd’hui concernent la reprise du travail des femmes et les possibilités d’embauche à
mi-carrière. Les femmes devraient donc encore patienter avant de pouvoir vivre pleinement
les deux aspects de leur vie. On se pose néanmoins la question de savoir ce qui plaît
aux femmes japonaises. Actuellement, elles ne travaillent pas quand elles ont des enfants,
et cependant elles n’en mettent pas au monde de nombreux. Aussi peut-on penser que
la perspective de retravailler régulièrement après avoir élevé leurs enfants les fera moins
hésiter. Ou bien le facteur financier est celui qui pèse le plus. Auquel cas là encore, améliorer
les perspectives de carrière des femmes apportera un revenu supplémentaire au foyer, ce
qui pourrait permettre d’atténuer le fardeau financier. On ne prétend pas répondre ici à la
question de la solution de la crise de la fécondité au Japon, d’autant que comme on va le
voir dans la partie suivante, le gouvernement japonais lui-même a échoué.
90
Dubois Charlotte - 2009
V. Les remèdes à la crise de la fécondité et leur échec : la crise serait-elle plus sociale
qu’économique ?
V. Les remèdes à la crise de la fécondité
et leur échec : la crise serait-elle plus
sociale qu’économique ?
Dans notre dernière partie, nous allons nous efforcer d’analyser un faisceau de causes de
la crise de la fécondité plus récent, et qui s’est ajouté aux causes classiques que nous
avons essayé de démontrer jusqu’à présent. On considère en effet que l’inefficacité des
remèdes apportés à la dénatalité a contribué à son passage vers le lowest-low fertility rate
et la chôshôshika. On va alors établir les justifications des ces politiques et leur évolution au
fur et à mesure de leur application. Ensuite, on étudiera en détail les différentes modalités
des politiques de la famille mises en place depuis le « choc des 1,57 ». Enfin, on montrera
l’inefficacité de celles-ci, pour chercher à savoir pourquoi ces remèdes n’ont pas atteint leur
but principal : une remontée du taux de natalité.
A. Les justifications des politiques natalistes depuis
1990 : à la recherche d’une adéquation entre les
décisions particulières et l’intérêt général
Après le choc de 1989, l’Etat a pris le problème de la (dé)natalité à bras le corps, comme
on a vu qu’il s’en était toujours préoccupé depuis la fin de la guerre. Mais l’orientation qu’il
a d’abord adoptée s’avérant inefficace, le Gouvernement a élargi son champ d’action pour
changer la société tout entière.
Jusqu’aux années 1990, la politique nataliste avait pour but de ramener la femme au
foyer, afin qu’elle se consacre à sa famille, dans le modèle de Bien-Être à la japonaise
qu’on a vu. Le régime fiscal est alors avantageux pour les femmes au foyer par exemple.
Mais en 1989, l’Etat s’alarme d’un taux de fécondité au plus bas, et prend conscience
de la nécessité d’une prise en charge commune de la natalité, afin que les femmes ne
soient plus les seules à en porter le fardeau. Il s’est alors s’agit pour le gouvernement de
mettre en place un réseau de garderies, afin d’améliorer la compatibilité entre le travail et
la famille, notamment des femmes qui, avec la Bulle, pouvaient de plus en plus prétendre
à une carrière quitte alors à ne pas fonder de famille. On voulait véritablement influencer
les décisions des couples en soulageant le fardeau économique, en ouvrant la possibilité à
des allocations familiales, un congé maternité puis parental. Muriel Jolivet, en 1993, témoin
de ce type de politiques appelle à un changement de cap, auquel on va effectivement
assister. Ce type de plans en effet, concentrés sur les femmes, allait stigmatiser celles qui
n’avaient pas d’enfants. Shigematsu donne une analyse très intéressante de la « guerre
des sexes » menée au Japon. Le gouvernement s’était en même temps engagé dans une
campagne pour l’établissement d’une « société de participation égale des sexes ». Mais
d’abord, l’égalité des sexes va au-delà des problèmes liés à la dénatalité. Les mères qui
Dubois Charlotte - 2009
91
La crise de la fécondité au Japon
veulent travailler ne sont pas les seules victimes de discriminations. Il fallait aller bien audelà pour parvenir à une société égalitaire. De plus, cette course à l’égalité des sexes « a
été conçue pour garder les femmes dans la population active tout en les maintenant dans
leurs rôles de mère ». Ainsi, si les portes du monde du travail, des postes à responsabilités
commençaient timidement à s'ouvrir, l’équilibre du partage des tâches ménagères ou de
l’éducation des enfants n’était pas lui modifié. Une femme qui travaillait devait faire le même
unpaid work qu’une femme au foyer en plus de son paid work. Et c’est là qu’elles butaient,
et préféraient ne pas faire d’enfant.
Selon Shimizu, le gouvernement s’est en fait d’abord concentré sur l’éducation des
enfants, et le soutien de la société envers celle-ci. L’auteur évoque les premiers plans
communs aux ministères de la Culture, du Bien-Être, du Travail et de la Santé, concernant
les domaines de l’éducation, la famille, le logement, le coût de l’éducation. Avec le New
Angel Plan en 2000, on entre dans une nouvelle phase des politiques natalistes : cette fois,
on vise les « sentiments » liés à l’éducation des enfants. On reconnaît que le mariage et
la parentalité appartiennent à la sphère privée et obéissent à des décisions sur lesquelles
l’Etat ne peut intervenir. On veut alors rendre plus libres ces décisions : on travaillerait
sur l’égalité hommes-femmes, un retour facilité des femmes sur le marché du travail, une
évolution de la division traditionnelle des tâches. Le changement d’approche de l’Etat face à
la dénatalité est enclenché : désormais, les domaines concernés par les politiques natalistes
ne se borneraient pas aux seules femmes, ni aux seules familles ayant des enfants,
mais s’adresseraient à toute la société. On veut faire remonter la natalité en changeant
le système social d’approche de la parentalité. Pour l’auteur, c’est ce qui caractérise les
politiques depuis les années 2000. La shôshika, qui inquiète de plus en plus, ayant des
conséquences sur toute la société, devient le prétexte pour pousser les mentalités au
changement général. Le White Paper on the National Lifestyle 2005 explique : « la remontée
de la natalité est d’une importance considérable y compris pour la vie de ceux qui ne
sont pas directement impliqués dans l’éducation d’un enfant actuellement, et la société
toute entière devrait offrir son aide à la génération des parents d’aujourd’hui ». Les projets
du gouvernement ne sont plus des politiques de la famille mais des mesures contre la
dénatalité, plus globales. Elles ne sont plus même qualifiables ou classables tellement
ces « mesures basiques » sont générales, dans un cadre large de politiques du Bien-Être
(« welfare policy », Ogawa et Retherford, 2005). C’est véritablement l’idée de soutien à la
nouvelle génération qui prime aujourd’hui. Il apparaît en effet que les nouveaux parents ne
sont pas mûrs, et pas en mesure de relever le défi de la parentalité. C’est ce que démontre
le White Paper on the National Lifestyle 2008. 52,6% des Japonais semblent montrer du
doigt les capacités d’éducation des parents d’aujourd’hui, considérant qu’ils échouent à
discipliner leurs enfants. Pour 60,3% d’entre eux, c’est parce qu’eux-mêmes « manquent
de principes de base en matière de savoir-vivre ». 58,0% pensent qu’ils n’ont pas le sens
des responsabilités. Viennent ensuite l’absence de transmission de savoir par les grandsparents, le manque de temps passé en famille, le manque de temps en dehors du travail
des parents, la confusion dans laquelle plonge les parents l’abondante littérature sur la
puériculture et l’éducation (les remarques de Jolivet de 1993 sur les Dix Commandements
de la Bonne Mère sont toujours d’actualité) et le fait que les parents n’aient personne vers qui
se tourner pour demander conseil en matière de discipline. Ainsi, des mesures nécessaires
qui entrent dans le champ de la dénatalité sont prises en son nom, comme le traitement de
la stérilité. Nous préférons penser que même sans ce contexte démographique ce genre de
plan de soutien aurait été mis en place, mais nous n’en sommes pas sûre.
Dans les études qu’on a pu lire sur les politiques de la natalité japonaises, notamment
celles écrites par les Japonais, l’exemple français est souvent cité. Yoshida évoque ainsi
92
Dubois Charlotte - 2009
V. Les remèdes à la crise de la fécondité et leur échec : la crise serait-elle plus sociale
qu’économique ?
le site de la Caisse d’Allocations Familiales française, qui décline vingt types d’aides à
la parentalité, à la prise en charge de la nouvelle génération. La France est un modèle
de réussite des politiques familiales selon eux : le réseau d’aide, de prise en charge est
largement étendu ; le taux de natalité est le plus haut d’Europe. Mais après avoir étudié
les politiques mises en place par le Gouvernement japonais depuis les années 1990, on
constatera que, même si elles sont moins impressionnantes que celles appliquées en
France, notamment en terme de budget, leur inefficacité n’est pas qu’inhérente à elles. On
en viendra finalement à douter que même avec autant de mesures qu’en France, la natalité
japonaise remonterait.
B. Les politiques natalistes depuis les années
1990 : des mesures de plus en plus larges vers un
changement de la société en elle-même
Tableau récapitulant les grandes mesures de la shôshika, NIPSSR, 2003 p.14
1. Les politiques natalistes classiques : congés parentaux et
allocations familiales, ou comment alléger le fardeau économique qui
pèse sur les épaules des parents japonais
Dubois Charlotte - 2009
93
La crise de la fécondité au Japon
a. Les allocations familiales
Elles existent au Japon depuis 1972, pour encourager les couples à bas revenus à avoir
plus de trois enfants : elles n’étaient donc accordées qu’au troisième enfant. En 1986, elles
sont accordées au deuxième enfant. Après le choc de 1989, elles sont accordées dès le
premier enfant en 1992. A cela s’ajoute une prime à la naissance de 35 000 Yen. Le coût de
cette allocation est supporté par les gouvernements nationaux, préfectoraux et municipaux
et par les employeurs. La somme s’est accrue au fur et à mesure de la baisse du taux de
natalité. Depuis avril 2007, elles s’élèvent à 10 000 yen par mois par enfant. Au-delà du
deuxième enfant, elles restent de 10 000 Yen. Après les trois ans de l’enfant et jusqu’à
la fin de l’école primaire, période après laquelle elles s’arrêtent, c’est l’Etat qui finance les
allocations, tandis qu’avant cette limite, ce sont les employeurs qui cotisent. Dans un article
du Japan Times du 1er mars 2009, on nous explique qu’il s’agit de considérer les sommes
versées comme un investissement sur vingt ans : quand les enfants dont on a subventionné
l’éducation auront grandi, ce sont eux qui renfloueront les caisses de l’Etat. Ils relanceront
toute l’économie par leur existence même, en tant qu’agents économiques.
Contrairement à la politique française, les allocations familiales japonaises sont
90
soumises à des critères de revenus . Il existe également des allocations d’aide à l’éducation
pour les parents d’enfants handicapés, et les familles monoparentales. Le gouvernement
souhaite par ce biais soulager le fardeau financier de la parentalité mais seulement pour les
foyers les plus modestes. Or on n’a trouvé aucune étude tendant à prouver que la natalité
était décroissante en fonction des revenus des foyers mariés, en dehors des jeunes mariés
qui travaillent tous deux de façon irrégulière. On décèle donc une première faiblesse du
système de prise en charge de la parentalité. Les politiques décrites ci-après aident plutôt
les femmes à ne pas interrompre leur vie professionnelle malgré leur maternité. On va voir
en effet les congés maternité et parentaux, puis le système de garde.
b. Les politiques du congé parental
Le congé parental se distingue du congé maternité ou paternité. Le congé maternité est
de 6 semaines avant l’accouchement et 8 semaines après. L’Organisation Internationale
du Travail précise que « sur demande, la femme enceinte ou la mère allaitant a le droit de
refuser de faire des heures supplémentaires ou d'effectuer un travail de nuit et elle est en
droit d’exiger également un travail peu contraignant ». Le congé paternité est mis en place
en 2002, comme on le verra plus bas.
Le congé parental est l’une des premières mesures après 1989. Jusque là, il était
réservé depuis 1975 aux professeurs et infirmières, pour assurer le retour à l’emploi de
femmes dont on appréciait l’expérience. La loi de l’Egalité des Opportunités devant l’Emploi
de 1986 évoquait tout juste le sujet, en encourageant les firmes à mettre en place ce genre
de mesures. C’est le « Comité Intergouvernemental pour la Création d’un environnement
permettant d’élever des enfants », institué à son lendemain, qui en lance l’idée, afin de
rendre davantage compatible le travail et la maternité. En 1991, le Childcare Leave Act
prévoit un an de congés sans solde pour le père ou la mère jusqu’au un an de l’enfant. Il
n’est accessible qu’aux salariés réguliers. Il ne prévoit pas de sanction pour les entreprises
qui ne mettent pas en place ce plan, et les compagnies de moins de trente salariés en sont
exemptées jusqu’en mars 1997. Or il semble que de nombreuses entreprises ne mettront
pas en place le plan dans les délais demandés par l’Etat (Ogawa et Retherford, 2005).
90
94
On a pu lire 4,15 millions de Yen de revenus annuels pour un foyer de 4 personnes ou 8,6 millions de Yen.
Dubois Charlotte - 2009
V. Les remèdes à la crise de la fécondité et leur échec : la crise serait-elle plus sociale
qu’économique ?
En 1995, la loi est amendée et devient le Childcare and Family Care Act. Ainsi, le
travailleur peut prendre ce congé pour s’occuper d’un parent dépendant au même titre qu’un
enfant en bas âge, mais pour une durée maximale de trois mois. L’Etat se contredit : d’un
côté il défend une meilleure compatibilité du travail des femmes et de leur vie de famille,
d’un autre il les incitent à rester au foyer, pour s’occuper non plus seulement de leur enfant,
mais aussi des personnes âgées dépendantes, comme dans les années 1970. Les salariés
embauchés à temps partiel ou les travailleurs temporaires obtiennent le droit à un congé de
8 semaines. Les indemnisations pendant le congé sont inaugurées en avril 1995, et donnent
droit à 25% du salaire touché avant le congé. Cette compensation est payée par le Plan
National d’Assurance pour l’Emploi, créé à l’origine pour les chômeurs. Depuis 2000, c’est
l’Etat qui paye à la place de l’employeur la cotisation liée à cette assurance. En 2001, les
indemnités sont augmentées, à hauteur de 40% du salaire. En réalité, 30% sont versés
durant le congé et 10% une fois la reprise du travail effectuée, afin d’encourager le retour
au travail des femmes (NIPSSR, 2005). C’est en décembre 2004, la modification de la
loi prenant effet en avril 2005, que les salariés à temps partiel et travaillant de façon dite
« temporaire » mais dont le contrat a déjà duré un an, ont obtenu l’accès au congé parental.
Néanmoins, l’effet de cette loi semble avoir été limité. En effet, selon l’Institut National
de Recherches sur la Population et la Sécurité Sociale, 70% des femmes démissionnent
toujours à la naissance de leur premier enfant. 33% des femmes prennent leur congé
maternité, mais 43% d’entre elles ne reprennent pas le travail ensuite, d’où sans doute le
paiement des 10% du salaire seulement une fois le retour au travail effectué. Il semble donc
qu’une désinsitation au retour au travail demeure. Or on pense que si les congés maternité
et parentaux étaient utilisés à bon escient, une femme n’aurait pas à sortir du marché de
l’emploi, et la courbe en M n’existerait pas. Les femmes qui choisiraient de se retirer plus
longuement que leur congé maternité ne le leur permet, seraient néanmoins assurées de
retrouver leur carrière là où elles l’avaient laissée.
2. Les plans et politiques généraux : changer les normes sociales
a. Angel Plan 1995-1999
Le premier d’entre les célèbres plans de quatre ans d’amélioration de l’environnement lié
aux naissances et aux enfants, fut celui de 1994 « Basic Directions for the Future Child
Rearing Support Measures », avec un pan important consacré à l’amélioration du système
de garde japonais, « Five-Year Emergency Measures for Childcare Services ». Les objectifs
affichés étaient les suivants :
- réconcilier le travail et les responsabilités liées à la famille
- renforcer la fonction d’éducation des enfants dans la famille
- fournir de meilleurs logements pour les familles
- promouvoir un développement sain pour les enfants
- faciliter la réduction du fardeau économique associé à l’éducation d’un enfant.
Le dernier point concernait surtout les lieux d’accueil de jour pour les enfants en bas
âge. Il s’agissait d’augmenter le nombre de lieux d’accueil, d’assurer des subventions du
MHLW afin à terme de réconcilier la vie de travail et la vie de mère. En effet, le nombre de
centres d’accueil des 0-2 ans est passé de 466 000 en 1995 à 584 000 en 1999. Des centres
régionaux d’aide à la famille ont été créés, pour emmener les enfants du même quartier de
Dubois Charlotte - 2009
95
La crise de la fécondité au Japon
l’école au centre d’accueil par exemple. L’accent a effectivement été mis sur l’amélioration
de l’accueil des enfants en centres périscolaires, pour s’en occuper jusqu’à ce que leurs
parents rentrent du travail si leurs horaires ne correspondent pas à ceux de la fin des cours.
Les critères pour les centres d’accueil ont été laissés libres pour les localités, dans l’esprit
du « qui peut le plus paie le plus », pour soutenir les familles aux revenus les plus modestes.
En conséquence, en zone rurale, pour attirer les « clients » potentiels, les critères sont plutôt
indulgents. En revanche, pour les zones urbaines, avec de longues listes d’attente, ceux
qui ont les plus hauts revenus sont rejetés. Paradoxalement, il apparaît que ces foyers sont
ceux dont les deux parents travaillent à plein temps, et qui auraient donc besoin de ces
services de garde. Le tableau (NIPSSR, 2005 p.15) illustre les résultats obtenus pour les
principaux objectifs visés par l’Angel Plan en matière de centres de garde : il a plutôt été
91
efficace et a permis de mettre en place un solide réseau de garderies .
Tableau listant les résultats obtenus en termes de centres d’accueil
b. New Angel Plan 2000-2004
Le nouveau plan reprenait en grande partie les objectifs du premier pour les mener toujours
plus loin : « Basic Principles to cope with a fewer number of children ». Mais, comme on l’a
vu, l’optique des nouvelles lois sont plus larges que la seule compatibilité entre le travail et
la vie de famille des mères. Les objectifs prônés sont les suivants :
- rendre plus accessibles les services de garde
- rendre l’emploi plus flexible pour les parents
- développer les équipements de santé pour les femmes enceintes et les enfants
- changer la répartition des rôles en fonction du sexe et l’idée du travail primant sur le
reste de la vie
- promouvoir la prise en charge locale des enfants
- améliorer l’environnement lié à l’éducation, pour réduire la pression qui pèse sur les
enfants tout au long de leur scolarité, et le poids financier pour les parents
91
96
Cf. plus bas l’étude du système de garde japonais.
Dubois Charlotte - 2009
V. Les remèdes à la crise de la fécondité et leur échec : la crise serait-elle plus sociale
qu’économique ?
- améliorer la prise en charge commune des enfants par le logement et les équipements
publics.
Ainsi, de 1999 à 2002, les centres d’accueil des O-2ans sont passés de 564 000 à
644 000. Les activités périscolaires ont continué d’être encouragées : en 2003 671 000
enfants étaient inscrits dans des programmes de ce type. Les centres régionaux d’aide à
la famille ont été étendus de 82 à 286 entre 2000 et 2002. Des services de baby-sitting
subventionnés par l’Etat ont été mis en place dans 307 villes en 2003. De plus, une prise
en charge de l’infertilité a été promue. Ces services subventionnés ont été accessibles
dans 36 localités en 2002, et le gouvernement souhaitait tenir l’objectif pour 2004 de 1,3%
92
des naissances provenant de couples ayant suivi un traitement contre l’infertilité . Enfin,
le réseau de centres d’accueil est renforcé : entre 1990 et 2004, le taux d’enfants confiés
est passé de 24 à 34%.
Ce taux semble relativement bas par rapport aux progrès en matière d’offre, et ce serait
dû à la persistance de la norme sociale qui veut qu’une femme soit mère à plein temps : 45%
des mères qui posent leur enfant à la crèche sont mal à l’aise à l’idée d’y laisser leur enfant
(Ogawa et Retherford, 2005). 61% des femmes dont les enfants ne fréquentent pas les
crèches n’en ressentent pas l’utilité car elles sont femmes au foyer. 45% répondent qu’elles
veulent élever leur enfant toutes seules. 15% sont aidées par leur famille ; 9% estiment
que c’est trop coûteux ; seulement 1% dit qu’il n’y a pas de crèches près de chez elles
93
(ibid., p.29-30) . Les auteurs qu’on a lus considèrent donc que le réseau est satisfaisant,
d’autant plus que les listes d’attentes ne dépassent pas les 10% des capacités d’accueil des
crèches. Cela reste différent dans les zones urbaines, où les listes d’attentes sont longues
et les coûts élevés pour les municipalités, réticentes à construire de nouvelles garderies.
c. Basic Principles to cope with a fewer number of children plus one 2002
En 2002, il s’agit pour le gouvernement d’appeler les pères à participer à la vie de la
famille. Puisque la décennie de mesures prises pour encourager la hausse de la fécondité
plutôt centrée sur la femme n’a pas porté ses fruits, il semble nécessaire de régler les
blocages du côté des pères. Ainsi, un congé paternité d’au moins cinq jours est institué.
L’objectif visé par le gouvernement est que 10% des pères, contre 0,3% en 2002, et 80%
des femmes, contre 40%, éligibles prennent leur congé parental. En effet, 7% des hommes
et 76% des femmes ayant de jeunes enfants auraient aimé prendre un congé parental si
leurs employeurs et collègues ne le jugeaient pas si sévèrement (« social desapproval »,
ibid., p.32). Le gouvernement souhaitait également réduire le temps de travail des parents
ayant des enfants en bas âge pour 25% d’entre eux. Enfin, on appliquait le principe de
« Zéro enfant en attente » lancé par le Premier Ministre Koizumi en 2001. Le « plus one »
prend alors son sens au niveau du budget pour ce dernier point.
d. New-New Angel Plan 2005-2009
Ce dernier plan aura les mêmes objectifs que la Next Generation Law, avec un accent mis
sur la participation des pères dans la famille et la prise en charge commune de la parentalité.
Les objectifs sont les suivants :
- encourager l’indépendance des jeunes et renforcer le mental et le physique des
enfants
92
93
Voir le sondage du Nikkei, infra p.77.
Ogawa, 2004 cité p 29-30 à partir de l’Enquête sur la Population, les Familles et les Générations du Mainichi Shibun de 2004.
Dubois Charlotte - 2009
97
La crise de la fécondité au Japon
- aider les parents à concilier leur vie de famille et leur travail, en revoyant les modèles
et les normes sociaux attachés au travail
- faire prendre conscience de l’importance de la vie humaine et du rôle de la famille
- promouvoir de nouvelles formes d’aide et de solidarité envers les charges de la
parentalité.
D’abord, le plan signale que les hommes de plus de 30 ans ayant un enfant de moins
de 5 ans passent 48 minutes par jour en moyenne à s’occuper de leur enfant et participer
aux tâches ménagères (ibid., p.35). L’objectif est d’amené ce ratio à 2 heures par jour. Le
temps serait gagné sur les heures supplémentaires, qu’on a vu être nombreuses : 23%
des hommes de plus de 30 ans ayant un enfant de moins de 5 ans font plus de 4 heures
supplémentaires par jour et plus de 60 heures de travail hebdomadaire. Le gouvernement
souhaite réduire ce taux de moitié d’ici 2009. Pour encourager les pères et les mères à
prendre leur congé paternité/maternité, les indemnités perçues devraient être revalorisées
à 55% du salaire. 100% des entreprises, contre 60% en 2002, devront avoir appliqué les
congés parentaux à leurs salariés. En outre, les centres régionaux d’aide à la famille doivent
passer de 368 en 2005 à 710 en 2010. Le gouvernement souhaite faire renouer les Japonais
avec une image positive de la naissance, en mettant en contact les jeunes avec des enfants,
notamment dans les garderies.
e. Plan pour le bien-être des enfants
En 2000, face à l’augmentation des violences subies par les enfants qu’on a étudiée plus
haut, une loi de Prévention des Abus sur les Enfants est votée. Un amendement à la Loi sur
le Bien-Être des Enfants de 1997 permet la création de centre d’accueil périscolaires pour
les enfants, comme l’exigeait l’Angel Plan. Ils peuvent être gérés par les gouvernements
préfectoraux, ou des associations sociales. Néanmoins, les salariés semblent être mal
payés, en contrats précaires de travailleurs temporaires. De même, les locaux ne semblent
pas être idéaux. Finalement, cela pousse les salariés à démissionner, ce qui provoque une
absence de salariés expérimentés. Les parents ne sont alors pas encouragés à laisser leurs
enfants dans le périscolaire.
En 1997, on a cherché à adoucir le système d’examens scolaires, qualifié d’ « enfer »
pour les élèves (ibid., p.30). Il s’agissait ainsi de diminuer la pression mise sur les enfants,
mais aussi sur les parents, qu’on a discutée, pour à terme rendre le fait d’avoir un enfant
plus agréable. Par des directives du Ministère de l’Education, les standards scolaires ont été
adoucis, avec moins de matières, des mathématiques moins difficiles, moins de kanji, moins
d’examens, pas d’école le samedi. Mais en contrecoup, les performances académiques du
Japon en ont pâti.
3. Une demande de participation du secteur privé de plus en plus
appuyée
Face à la dette de l’Etat, s’alourdissant d’année en année, pour mener le Japon en tête
des pays de l’OCDE en cette matière, le gouvernement japonais en est venu à demander
de plus en plus la participation des entreprises pour changer les mœurs et encourager les
naissances. On va étudier d’abord les directives visant à diminuer le temps de travail, pour
faire davantage pencher la balance « work-life » du côté « life » pour viser à terme l’équilibre.
Ensuite, on s’attardera sur la Next Generation Law de 2003, qui compte véritablement sur
98
Dubois Charlotte - 2009
V. Les remèdes à la crise de la fécondité et leur échec : la crise serait-elle plus sociale
qu’économique ?
une implication accrue du secteur privé, dans un mouvement national vers la remontée du
taux de natalité.
a. Vers une diminution du temps de travail : ce sont les mœurs qu’il faut
changer
Les mesures visant à diminuer le temps de travail ont débuté dans la décennie 1980, avec
le déplacement au lundi des jours fériés tombant un dimanche, pour augmenter le temps
libre des salariés japonais. Les jours fériés étant à l’échelle nationale, les salariés sont
« contraints » de prendre quelques jours de repos. Ils ont ainsi gagné en moyenne 40
heures, soit cinq jours de travail. En 1992, les mesures pour véritablement diminuer le temps
de travail hebdomadaire ont pris naissance. A la même époque, Edith Cresson comparait
les Japonais à des « fourmis » qui ne cessaient de travailler. Il s’avérait nécessaire de
prendre plus de temps pour leur vie personnelle, et pour leur famille, dans l’optique d’une
remontée du taux de natalité. Le « Plan Quinquennal pour devenir une superpuissance en
ce qui concerne la qualité de la vie » s’étale sur la période 1992-1997. Il doit permettre
de faire diminuer les heures de travail à 1800 heures par an, soit un rythme de 40 heures
hebdomadaires. En 1997, la semaine de 40 heures est donc instituée, contre les 48 heures
légales jusque là. En ce qui concerne les usines, où les chaînes de montage étaient
coupées après huit heures journalières, la loi a plutôt été respectée : les heures effectuées
dans l’industrie, heures supplémentaires comprises, sont passées de 2124 à 1954 par
an entre 1990 et 2002 (ibid., p.30). En revanche, dans les autres secteurs, les Japonais
n’ont pas diminué leur rythme de travail, et ont conservé leur habitude liée aux heures
supplémentaires non-payées, les sâbisu zangyô. Ainsi en 2000, les salariés qui effectuaient
plus de 50 heures par semaine représentaient 28% de la population active japonaise. A titre
de comparaison, aux Etats-Unis, aux Pays-Bas, en Grèce, le taux le plus fort d’Europe, ce
taux est respectivement de 20%, 1% et 6%.
Dans la même optique, le Childcare and Family Care Leave Act de 1995 qu’on a détaillé
inclut des mesures pour aménager le temps de travail des salariés qui ont des enfants
jusqu’à leur sortie de l’école primaire et en font la demande. Les heures supplémentaires
pour ces parents ne devaient pas dépasser 24 heures par semaine ou 150 heures par an, et
ne devaient pas se dérouler entre 22 et 05 heures. Cette mesure ne s’adressait néanmoins
qu’aux travailleurs réguliers à temps complet jusqu’en décembre 2004. La loi demandait
des efforts de la part des entreprises, pour réduire le temps de travail des parents, mettre
en place des horaires plus flexibles, en leur permettant de commencer plus tard ou finir
plus tôt leur journée de travail, ne pas leur faire faire davantage d’heures supplémentaires
que le standard énoncé plus haut, permettre des congés en cas de maladie des enfants.
Mais la loi consiste à encourager les firmes, elle ne constitue pas une obligation pour les
entreprises : elle ne prévoit pas de sanction pour les contrevenantes. De plus, la pression
sociale qui entoure les femmes enceintes au travail ne les incitent pas à profiter du cadre
législatif qu’on a construit pour elles. On en veut pour preuve une campagne d’affichage
dans les métros, au cours de l’année 2007. On y voit une femme enceinte dans un train
94
bondé, qui demande à son supérieur de bien vouloir aménager son temps de travail .
94
Photographie personnelle. Légende : « pour ne pas me faire subir les heures de pointe dans le métro, Patron, aménagez
mes heures ! »
Dubois Charlotte - 2009
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La crise de la fécondité au Japon
b. Next Generation Law et « Law for measures to support the development of
the next generation » : un plan de dix ans pour faire changer le Japon
Cette loi est mise en place en même temps que les « Basic Measures to cope with a
declining-fertility society ». Un comité au sein du Cabinet du Premier Ministre du même
nom est créé, pour mettre en place des politiques à long terme. Il s’agit surtout d’un texte
général servant d’introduction sur les intentions du gouvernement : « Nous sommes appelés
à rapidement mettre un terme à la baisse de la natalité en créant un environnement dans
lequel les parents pourraient se sentir en sécurité et prêts à donner naissance à la nouvelle
génération, et à mettre en place une société dans laquelle les enfants grandissent de façon
égalitaire et en bonne santé de corps et d’esprit, et dont les parents seraient heureux et
fiers ». Les mesures concrètes sont celles de la Next Generation Law.
Cette loi a donc pour but d’aider la nouvelle génération, dans le contexte
d’élargissement des politiques natalistes : aussi bien les enfants, dépendants, en leur offrant
des services de qualité afin qu’ils grandissent dans les meilleures conditions, que les jeunes,
appelés à être parents, pour les réconcilier avec la vie de famille, la naissance, la parentalité.
Votée en juin 2003, elle a pris effet en avril 2005 pour une application de dix ans. Elle
s’adresse aux entreprises de plus de trois cents salariés, quelque que soit leur statut,
si leur contrat a duré plus d’un an. Chaque employeur doit préparer un projet pour faire
remonter le taux de natalité au sein de sa propre population de salariés. D’ici avril 2005,
les employeurs devaient soumettre leurs projets au gouvernement préfectoral, sans quoi
celui-ci les presserait de le faire. Si leurs plans sont approuvés, les employeurs peuvent
lancer leurs politiques, parrainés par la préfecture grâce au logo suivant (ibid., p.34). Les
entreprises rendent comptent de la progression de leur plan et conservent le logo s’il s’avère
efficace.
100
Dubois Charlotte - 2009
V. Les remèdes à la crise de la fécondité et leur échec : la crise serait-elle plus sociale
qu’économique ?
On rappellera alors la campagne au sein d’entreprises privées, baptisée « le
Mouvement pour une Nouvelle Vie » lancée par les mouvements de planning familial
japonais, eux-mêmes initiés par le MHW (Cf. supra p.46). Dans un mouvement comparable,
le gouvernement japonais demande la coopération des firmes dans un esprit paternaliste
particulier au Japon. Ce tableau (NIPSSR, 2005 p.16) explique ce mécanisme.
Explication des mécanismes de la Next Generation Law
Dubois Charlotte - 2009
101
La crise de la fécondité au Japon
Or il semble qu’un tel paternalisme permettant à la fois d’assouplir le climat social
concernant les congés ou les heures supplémentaires, et de mettre véritablement en place
des mesures pour améliorer le work-life balance des salariés, ne pourrait se faire qu’à
l’échelle d’une petite entreprise. L’Etat se serait trompé de cible en n’adressant ce texte
qu’aux entreprises de plus de trois cents salariés. En effet, lors de la conférence sur le
WLB de l’université de Mie, on a assisté à la confrontation de deux points de vue. La
première intervenante, Satomi Suzuki, membre de la section sur l’Egalité devant l’emploi
du Bureau du Travail de la Préfecture de Mie, insistait sur l’importance du dispositif légal
nécessaire à l’établissement d’un équilibre entre le travail et la vie personnelle des Japonais.
Le deuxième invité était Mitsuhisa Maeda, directeur de l’entreprise Asahi Denshi, qui lui
défendait une initiative d’ordre privé pour améliorer les conditions de travail des Japonais
et des Japonaises. Il montrait comment il avait réussi à améliorer le WLB de ses salariés,
en entretenant avec eux une relation de confiance, qui ne peut être développée que dans
le cadre de Petites et Moyennes Entreprises (PME). Cette idée est confirmée par Emiko
Takeishi, qui montre que le gouvernement a eu tort de privilégier les grosses entreprises,
dans la mesure où les petites firmes sont mieux à même de les mettre en place. Ainsi, les
femmes devenues mères retournent davantage à leur poste que dans les grandes firmes :
39,4% d’entre elles pour les entreprises de moins de 9 salariés, contre 13,7% pour les firmes
de plus de 1000 salariés. Les petites entreprises ont donc elles-mêmes mis en places des
politiques « out of necessity », ou simplement appliqué la loi, comme l’a fait le directeur
qu’on a écouté lors de la conférence, qui, par exemple, affirmait ne pas avoir recours aux
heures supplémentaires non-payées sâbisu zangyô, interdites par le Code du Travail. La
Treizième Enquête Nationale sur la Fécondité (Iwasawa, 2008b) montre de même un taux
d’utilisation des services de prise en charge de la parentalité plus haut à mesure que le
nombre de salariés est bas. On avancera alors que même dans les grandes entreprises, le
système hiérarchique japonais permettrait de mettre facilement en place une telle relation
paternaliste. Chaque chef de département, de bureau, pourrait veiller au respect des lois en
matière de temps de travail pour encore une fois contraindre les Japonais à travailler moins.
Dans l’émission sur la façon de travailler des Japonais, c’est le kachô, le chef de bureau,
qui mettait en place des mesures family-friendly, telles que des rencontres de familles.
Cet effort des entreprises s’illustre dans de nombreuses firmes japonaises, qui
subventionnent les naissances. Mais elles adoptent en général la première des orientations
politiques décrite. Elles se sont rendu compte au moins de l’absence d’effet négatif, voire
de la rentabilité et du retour sur investissement que promettaient les primes à la naissance.
Chez Soft Bank, depuis mars 2007 de conséquentes sommes sont versées à la naissance
des enfants des salariés. Pour un premier enfant, la prime s’élève à 50 000 Yen ; 100 000
Yen pour le deuxième ; un million de Yen pour le troisième ; trois millions pour le cinquième ;
et cinq millions pour les enfants supplémentaires. D’autres entreprises encourage la garde
des enfants par les grands-parents. Chez NEC, dans le cadre du système « d’aide au
soin des enfants », si les parents d’un enfant, jusqu’à ses trois ans, déménagent pour se
rapprocher du domicile des grands-parents, ou inversement, une prime « garder ses petits
enfants » est versée pour aider à financer le déménagement. Chez les Assurances Sai Ichi
Seimei, le jour de l’anniversaire des petits-enfants peut être chômé. Lors de la naissance
de leurs petits-enfants, les grands-parents peuvent prendre trois jours de congé. D’autres
firmes enfin ouvrent des garderies privées. Elles adoptent un autre genre d’orientation, à
l’image de Mitsuhisa Maeda : ils considèrent que l’argent investit dans la formation d’une
femme serait perdu si celle-ci devait se retirer pour élever ses enfants. En ce sens, il est
préférable d’aménager leur temps de travail, pour leur permettre de continuer à travailler, et
ne pas perdre ces éléments expérimentés. Elles sont un maillon de la chaîne à part entière,
102
Dubois Charlotte - 2009
V. Les remèdes à la crise de la fécondité et leur échec : la crise serait-elle plus sociale
qu’économique ?
disait Maeda. Dans un article du New York Times du 6 août 2006, Kuniko Inoguchi, ancien
ministre de l’égalité des sexes, confirme : « le Japon perd la moitié de sa matière grise alors
même qu’il fait face à une pénurie de main d’œuvre ». C’est, on l’a vu, ce qui avait justifié
les premiers congés parentaux pour les infirmières et les enseignantes en 1975.
Ce genre d’initiatives s’inscrit véritablement dans la prise de conscience du
gouvernement japonais que la dénatalité ne concerne pas que les femmes qui travaillent,
mais toutes les femmes, les hommes aussi, et au-delà, toute la société. On demande un
engagement national vers la relance de la natalité, en dissimulant ce dessein derrière un
vent d’amélioration des conditions de vie et de travail, vers un meilleur work-life balance.
C’est la même idée qui sous-tend le projet d’établissements de réseaux régionaux pour
articuler les actions gouvernementales, locales et d’ordre privées, sur lesquels on reviendra.
4. Le système de garde japonais : un système biaisé par des coûts
sociaux et financiers
Avec les Angel Plans successifs, l’accent a été placé sur la création d’un réseau d’accueil
des enfants. Contrairement à la France, où l’école publique accueille les enfants dès deux
ans et demi, au Japon l’école commence à six ans, à l’entrée en cycle primaire. Quel type
de système a-t-il été mis en place pour s’occuper des 0-6 ans, et ainsi permettre à la mère
de ne pas interrompre sa carrière ? Le réseau ainsi créé est-il adéquat, comme l’estiment
les Ogawa et Retherford en 2005 ? Nous verrons tout d’abord les différents types de centres
d’accueil, puis les caractéristiques qui concernent leur fréquentation (NIPSSR, 2005). Enfin,
nous nous attarderons sur les coûts que ce système engendre (ibid.), pour expliquer les
lourdeurs qui le pénalisent.
Il existe trois types de centres : les centres agréés, subventionnés par l’Etat,
comparables aux crèches françaises, les centres non agréés, et les jardins d’enfants, qui
s’apparentent aux écoles maternelles françaises. Dans la première et la dernière catégorie,
il existe des centres privés et des centres publics.
- Les centres agréés étant garantis par l’Etat japonais, ils répondent à des critères de
qualité précis, par exemple le nombre de salariés par enfant. En échange du respect de ces
critères, les crèches reçoivent des subventions des gouvernements locaux. La moitié d’entre
eux est gérée par le gouvernement local lui-même, et l’autre moitié par des associations, qui
n’ont alors aucune marge en terme de gestion. Les conditions d’accès concernent le revenu
des parents, la structure de la famille, le statut de la mère. Le coût moyen de ces garderies
est de 22 000 Yen par mois, montant adapté selon l’âge de l’enfant, les revenus des parents,
le nombre de frères et sœurs, le lieu de résidence. En mars 2003, ils accueillaient 50,54%
des enfants confiés à des centres d’accueil, dans 22 313 garderies. Les conditions de
rémunérations des salariés de centres agréés sont bien supérieures à ceux des centres non
agréés, à hauteur de 20% environ. Ils bénéficient de plus du système d’emploi à vie avec
progression à l’ancienneté, avec donc une sécurité de l’emploi et de la retraite à laquelle
n’ont pas accès les salariés de centres non agréés.
- Les centres non-agréés sont 9 645 et accueillent 5,49% des enfants confiés à des
centres d’accueil. Il s’agit de garderies mises en place par des organisations privées ou
des individus, des employeurs. 10% des enfants sont confiés à des baby hotels, seuls
centres ouverts la nuit, ou plus accessibles pour des utilisateurs non réguliers. En France,
les parents feraient en ce cas appel à une baby-sitter. La qualité de ces crèches diffère selon
les lieux, mais aucun label ne la garantit. Ainsi, les locaux sont généralement plus petits que
Dubois Charlotte - 2009
103
La crise de la fécondité au Japon
les crèches agréées, mais la qualité du service est parfois meilleure. Néanmoins, en 2000,
après la mort d’un enfant dans un centre à Yamato, leur popularité a diminué. Il n’y a pas
de critère d’accès pour ces centres, ainsi même les femmes au foyer peuvent confier leur
enfant. Celles qui sont à la recherche d’un emploi, et ne travaillant pas se voient refuser une
place en centre agréé, peuvent également accéder à un mode de garde temporaire. Celles
qui travaillent l’utilisent également dans l’attente d’une place en crèche agréée.
- Enfin, il existe des jardins d’enfants, comparables aux écoles maternelles françaises.
C’est le Ministère de l’Education qui les gère. Les prix sont bas : en moyenne 6 à 7 000
Yen par mois. Mais n’étant ouverts qu’à la demi-journée, pour les 3-6ans, ils sont moins
accessibles aux couples qui travaillent à plein temps, ceux-là mêmes qui en auraient le plus
besoin. Ils accueillent 44,0% des enfants, dans 370 085 centres.
La fréquentation des divers types de centres est la suivante. En ce qui concerne les
mères actives, 44,6% d’entre elles confient leur enfant à une crèche agréée, 15,4% à des
jardins d’enfants, et 4,9% à un centre non agréé. Les grands-parents jouent un rôle important
surtout avant un an : ils s’occupent des enfants à hauteur de 15,5%. Les mères femmes
au foyer s’occupent elles-mêmes de leur enfant à 68,3%. Les foyers aux revenus les plus
bas s’adressent aux centres agréés. Ceci explique la mauvaise réputation des garderies
agréées, qui passent pour être un recours pour les gens pauvres, toujours aujourd’hui
(Garrigue, 2000). Les foyers aux plus hauts revenus s’adressent aux crèches non agréées
ou aux jardins d’enfants : les travailleurs à temps complet représentent 80% des pères et
47,7% des mères des enfants confiés à ces crèches. Les centres non-agréés apparaissent
en effet plus souples pour des parents aux horaires moins flexibles. Selon Muriel Jolivet en
1993, les jardins d’enfants dépendant du Ministère de l’Education, tandis que les crèches
sont liées au Ministère de la Santé du Travail et du Bien-Être, les premiers ont la réputation
de permettre de socialiser les enfants, alors que les secondes auraient été mises en place
pour soulager les mères égoïstes qui continuent de travailler malgré la naissance de leur
enfant.
Après le « choc des 1,57 », les dépenses liées à l’enfance ont augmenté jusqu’à
atteindre 407 milliards de Yen en 2002. Mais ces dépenses représentent environ 0,08%
du PIB, c’est-à-dire une proportion moins importante qu’au début des années 1980. Dans
cette optique d’augmentation des dépenses, on peut se demander qui porte le fardeau
des dépenses publiques, comment sont réparties les dépenses liées aux centres de garde
agréés entre les différents agents de la scène publique. 80% du coût sont représentés par
la masse salariale, prise en charge par les municipalités. Il est d’autant plus lourd que les
salariés de ces centres ouverts dans les années 1980 fonctionnent au système d’emploi
à vie et de progression à l’ancienneté. En 2001, le coût total des centres agréés s’élevait
à 1 600 milliards de Yen, soit 0,32% du PIB. Ce coût est réparti entre le gouvernement,
les gouvernements préfectoraux, et les utilisateurs. Ce que ces derniers ne paient pas est
financé à hauteur de 50% par le gouvernement, 25% par les gouvernements préfectoraux et
25% par les municipalités. Ces dernières, pour réduire leurs coûts préfèrent embaucher de
la main d’œuvre temporaire, et réduire le prix pour l’utilisateur. Beaucoup de municipalités
préfèrent même ne pas construire de nouveaux centres, pour ne pas avoir à supporter de
tels coûts.
Finalement, après avoir établi les caractéristiques du système de garde japonais, il reste
à étudier les problèmes qui lui sont liés, outre les coûts qu’on vient d’évoquer : le système
est-il adéquat ? Il existe deux types de lacunes : des problèmes de capacité d’accueil d’une
part, et des problèmes de qualité du service d’autre part.
104
Dubois Charlotte - 2009
V. Les remèdes à la crise de la fécondité et leur échec : la crise serait-elle plus sociale
qu’économique ?
Le nombre d’enfants admis depuis le début du premier Angel Plan en 1995 a
augmenté, mais la demande elle-même a beaucoup augmenté, à un rythme plus rapide.
Par conséquent, en 2003, soit deux ans après le lacement du plan « Zéro enfant en
attente » du Premier Ministre Koizumi, 26 383 enfants étaient inscrits sur liste d’attente.
A ceux-là s’ajoutent les demandes cachées, les foyers qui anticipent les listes d’attente
et ne font pas même la démarche de s’inscrire. Les déficits budgétaires à tous les
niveaux gouvernementaux poussent l’Etat à déréguler les normes permettant l’agrément
des garderies. Ainsi en 1998, l’Etat a autorisé les centres avec listes d’attente à augmenter
leur capacité d’accueil de 10%. De même, certaines municipalités établissent leurs propres
normes pour délivrer une autorisation propre, comparable à un agrément municipal pour
les centres non agréés de haute qualité. Yokohama a ainsi certifié ses propres « Yokohama
Daycare Centers ». Ces garderies n’atteignent pas les critères définis par le MHLW mais
sont conformes aux standards voulus par la municipalité. Le seul critère imposé est celui
d’un maximum du coût imposé aux parents. Les jardins d’enfants quant à eux, voient leur
demande et leur nombre diminuer depuis 1985. Ils combinent donc aujourd’hui davantage
éducation et garde d’enfants, ouvrent plus tard, pour faire remonter la demande. Mais si
les femmes travaillent davantage à temps complet, une telle offre – à la demi-journée –
ne peut pas leur convenir. Néanmoins, l’Etat les subventionne pour suppléer le manque de
garderies, puisqu’en revanche cette offre peut convenir aux nombreuses mères travaillant
à temps partiel.
En ce qui concerne les lacunes dans la qualité du service offert, les auteurs évoquent
d’une part le manque de flexibilité des crèches. Elles ferment à 19 heures dans 94,3% des
cas, quand la plupart des travailleurs à plein temps finissent le bureau à 18 heures et que
le temps de transport est d’environ une heure trente. Les centres agréés gérés par des
personnes privées sont eux plus souples : 70% d’entre eux sont ouverts pendant plus de
11 heures par jour, contre 26% des centres agréés publics. Ainsi, les centres agréés privés
ont-ils plus de succès : ils sont occupés à 113,7% de leur capacité, contre 90,7% pour les
centres agréés publics. D’autre part, les auteurs évoquent la qualité du service en terme de
développement de l’enfant. Cette question fait l’objet des attentions de l’Etat depuis peu.
On fera alors à nouveau référence à la mauvaise réputation des crèches publiques, peutêtre alimentée par le manque de préoccupation de l’Etat en ce sens. A présent, la croyance
générale serait que les services dispensés par les centres agréés publics sont de meilleure
qualité. Or il semble que ce soit les crèches privées qui soient les mieux placées. En effet,
d’abord la situation des salariés contribue à assurer une bonne qualité de soins apportés
aux enfants. En 1997, dans les centres agréés publics, il y avait 8,3 nourrices par enfant en
moyenne, et 7,8 dans les centres agréés privés, contre 9,3 dans les centres non agréés.
De plus, on l’a déjà évoqué, les centres non agréés, plus souples notamment en terme
d’horaires, répondent davantage aux attentes des parents. Pour s’assurer de la qualité des
centres, en 1998 était lancé un projet d’évaluation des crèches, dont le rapport a été rendu
en 2001. Mais les municipalités ne semblent pas prêtes à se confronter à ses conclusions.
Ainsi, le réseau de centres de garde mis en place depuis l’Angel Plan de 1995 semble
avoir permis de répondre à la demande des parents, dans le sens où le nombre d’enfants en
attente d’une place est relativement limité (Akagawa, 2006). A la télévision, des publicités
mettent en scène des jeunes femmes qui s’occupent d’enfants dans une crèche, comme la
campagne des boissons Calpis en été 2008. Selon le Japan Times en décembre 2007, en
2002 1,8 millions d’enfants étaient confiés à 22 272 centres de gardes agréés, soit environ
20% des enfants non scolarisables. En 2007, 97% des enfants avaient été confiés au moins
une fois à une crèche ou à une nourrice – système peu répandu au Japon. Reste à se
demander s’ils ont été confiés quelques fois pour que la mère au foyer puisse prendre un
Dubois Charlotte - 2009
105
La crise de la fécondité au Japon
après-midi de liberté à faire du shopping avec ses amies, ou si la mère le dépose pour aller
prendre son travail à temps partiel, ou encore si celle-ci travaille à plein temps et dépose
son enfant le matin, que son père vient chercher le soir. Le graphique présenté par le White
paper on the National Lifestyle 2005, adapté de l’Etude longitudinale des Bébés au XXIème
siècle est en ce sens éloquent : visiblement, les mères continuent de s’occuper de leurs
enfants, et les confient occasionnellement à des services de garde, à mesure que leur temps
de travail est élevé. De plus, si le nombre de places est satisfaisant, il est inégalement
réparti : d’une part, entre les zones rurales et les zones urbaines, où les listes d’attentes
sont bien plus longues. Or on sait que ce sont dans les quartiers de Tokyo que le taux de
natalité est au plus bas, comme à Shibuya où il est de 0,7 enfants par femme. Ce sont les
zones où les Japonais et les Japonaises travaillent. On en vient à la deuxième lacune du
système de garde : il n’est pas assez flexible, il semble ne pas s’adresser à des couples
dont les deux individus travaillent à plein temps, et continue ainsi de décourager le travail
régulier des femmes. Il correspond néanmoins à l’utilisation que les Japonaises en font, à
savoir confier son enfant occasionnellement. En outre, les coûts sont toujours élevés pour
les parents, d’autant plus que ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire les couples dont
les deux membres travaillent à plein temps, ont les revenus les plus hauts, ce qui leur ferme
les portes de certains centres, et l’accès à des aménagements de tarifs. Muriel Jolivet en
1993 fait ainsi remarquer que le bénéfice du salaire supplémentaire de la mère est perdu
par les frais de garde. Il s’agirait donc que se répande ce mode de garde afin que ses coûts
soient diminués. Enfin, la qualité des services et des personnels nuit à la réputation déjà
mauvaise du système de garde.
On a donc vu que le gouvernement japonais avait combiné divers types de politiques
– primes à la naissances et allocations pour soulager le fardeau financier, et donc plutôt en
faveur des femmes au foyer, mais aussi congés parentaux et aménagement des heures pour
que les femmes actives ne soient pas contraintes à interrompre leur carrière – à différents
niveaux – national, local, associatif, d’ordre privé, dans les deux mêmes orientations. Mais
ces mesures n’ont pas eu l’effet escompté. De fait, malgré une décennie d’engagements,
depuis le début de l’application de l’Angel Plan, le Japon atteignait son record historique en
terme de bas taux de fécondité, 1,25 enfants par femmes, et passait ainsi dans le groupe
des pays à lowest-low taux de natalité. On va chercher à comprendre les raisons du blocage
des effets des textes votés, d’abord en aval, dans le processus de mise en application des
textes. Pour comprendre ce rejet des textes, on étudiera alors les blocages au sein même
du processus de prise des décisions, en amont.
C. Inefficacité des politiques : des blocages financiers
entretenus par le blocage des mentalités
1. Le rejet des politiques en aval : la dialectique entre la sphère privée
et la sphère publique pour contraindre au changement
Dans le rapport qu’entretiennent les politiques de type nataliste et les citoyens auxquelles
elles s’adressent, on a décelé trois axes. Le premier expliquerait le rejet de certains citoyens
des politiques qui visent à influencer leurs décisions privées. Dans un deuxième temps,
106
Dubois Charlotte - 2009
V. Les remèdes à la crise de la fécondité et leur échec : la crise serait-elle plus sociale
qu’économique ?
d’autres seraient empêchés de profiter du nouveau cadre législatif par ceux qu’il dessert.
Enfin, on se penchera sur l’éventualité du danger de légiférer à propos de décisions
si personnelles que la rencontre, le mariage, la naissance. On commencera alors à
comprendre pourquoi les décisions politiques n’ont pas été suivies d’effets en matière de
natalité.
Dans un premier temps, on doit constater que les politiques natalistes sont d’emblée
des politiques difficiles à appliquer, dans la mesure où concrètement l’Etat ne peut pas
forcer le couple à faire un enfant, à faire plus d’enfants. On a cité un gynécologue qui
rappelait que jamais une Japonaise ne ferait un enfant pour son pays. C’est une décision
des plus personnelles, prise dans le cadre de la sphère privée, que des décisions verticales
venant de la sphère publique auront du mal à influencer. Il serait plus facile d’empêcher
que de favoriser. C’est pourquoi l’Etat a d’une part demandé la participation du secteur
privé à l’effort de natalité, pour que les impulsions soient également horizontales, entre
citoyens de même niveau. D’autre part, plutôt que de vouloir changer la décision, il a alors
cherché à soulager le fardeau représenté par l’enfant une fois qu’il est né. C’est la prise en
charge commune de l’éducation des enfants, la socialisation de la parentalité. Elle passe
par l’allocation de subventions, de systèmes de garde, d’écoles financés par tous. Or des
voix s’élèvent contre cette mise en commun d’une charge qui ne concernent que certains.
Au contraire, à Okinawa, la préfecture japonaise championne de la natalité avec 3,14
enfants par femme, on a une attitude inverse. A la question « pourquoi avez vous beaucoup
d’enfants ? », un habitant de la préfecture répondait à Furukawa que la vie était plus agréable
quand il y avait plein d’enfants. L’auteur lui fait alors remarquer que cela doit être pénible
d’avoir tant d’enfants autour de soi. Il a rétorqué qu’au contraire, c’était une aide précieuse
pour tous. Peut-être alors peut-on penser que dans une préfecture comme Okinawa, l’idée
d’une prise en charge commune de la parentalité est plus acceptée, car les enfants sont
considérés comme une richesse pour tous, et pas comme un fardeau pour les parents
seulement. Plus largement, l’Etat ayant confié certaines prérogatives de l’Etat Providence
à la famille, les Japonais ne seraient pas aussi sensibles que les citoyens d’autres Etats
occidentaux, comme justement les Français auxquels ils se réfèrent si souvent en la matière,
aux politiques de ce type.
Dans un autre sens, les citoyens lésés par le nouveau système peuvent empêcher
ceux qui le souhaitent d’y avoir recours. D’abord, les politiciens eux-mêmes monteraient peu
d’enthousiasme à appliquer les textes qu’il font voter. Tiana Norgren évoque plusieurs fois le
caractère vague et grandiloquent des textes qui manquent cruellement de passage à l’acte.
Comment effectivement ne pas penser de même lorsqu’on lit les projets tels que les Basic
Measures to cope with a declining-fertility society ? Les personnes les plus haut placées,
généralement des hommes, plus âgés puisque la progression est liée à l’ancienneté, ont
du mal à intégrer les nouveaux cadres législatifs, et ne souhaitent pas remettre en cause
l’organisation classique du travail. On illustrera ce propos à l’aide du constat fait par le White
Paper on the National Lifestyle de 2006 à propos du congé parental. 80,7% des femmes
travaillant à plein temps l’ont pris. Dans les 19,3% qui ne l’ont pas fait, 23,4% étaient dans
une entreprise qui n’en proposaient pas, et se trouvaient donc dans l’illégalité. 13,4% d’entre
elles ne connaissaient pas l’existence du congé parental. 63,2% ont délibérément choisi de
ne pas le prendre. On pourrait alors penser qu’on est dans le cas d’un rejet de la politique,
comme étudié dans le premier paragraphe, mais ce n’est pas le cas. Parmi ces femmes
qui ont volontairement choisi de ne pas prendre leur congé parental, 45,9% ont subi des
pressions à leur travail les y dissuadant, par l’atmosphère qui règne sur le lieu de travail.
29,9% d’entre elles y ont renoncé pour des raisons financières : il semble donc nécessaire
de joindre des actes concrets aux discours sur l’effort vers une meilleure compatibilité du
Dubois Charlotte - 2009
107
La crise de la fécondité au Japon
travail des femmes et de leur rôle de mère, ici en améliorant la rémunération du congé
parental. Dans le même sens, Muriel Jolivet en 1993 évoque « l’exploit des mères actives ».
L’un des témoignages qu’elle rapporte est clair :
« Au travail, rien ne m’irrite davantage que d’entendre mes collègues (surtout
des hommes d’un certain âge) me dire que si c’est pour mettre mes enfants à
la crèche, ce n’est vraiment pas la peine de travailler. Si j’élève un enfant, c’est
pour moi et certainement pas pour mon pays. […] Les grandes entreprises ont
été promptes à réagir en introduisant de nouvelles mesures, mais à quoi cela
sert-il si nous n’avons pas le doit de nous en servir ? […] Qu’on ne vienne pas
ensuite se plaindre de la baisse de la natalité ou de l’insuffisance de la main
d’œuvre. » (p.229).
On comprend que malgré les textes législatifs, les mentalités ont du mal à évoluer. Même
si le texte de Jolivet a plus de quinze ans, on retrouve les mêmes témoignages dans des
ouvrages ou des articles de journaux récents. Chez Jolivet, la même femme parle d’être
courageuse pour que celles qui la suivront aient des exemples de réussite à suivre. D’autres
lui confient qu’elles travaillent pour sortir de chez elles, pour évacuer le stress du foyer :
« C’est surtout la mentalité des hommes qu’il faudrait faire évoluer car tous les systèmes
possibles auront beau être introduits, tant que leur utilisation dépendra de l’humeur de ces
messieurs, je n’en vois vraiment pas l’intérêt. » (p.236).
C’est pourquoi on insiste sur le concept de réseau. La conférence sur le WLB de
l’Université de Mie était présentée par le Réseau d’Aide pour l’Education de la Nouvelle
Génération de Mie, qui en introduction a expliqué ce terme par la coopération et la
coordination des secteurs publics et privés dans le but de rendre les mesures d’aides les
plus efficaces possible. En effet, puisque les politiques qui viennent d’en haut sont bloquées,
autant les relier avec des initiatives qui partent d’en bas. Les textes de lois, on l’a dit, souvent
vagues, ne prévoient pas de sanction, puisqu’ils proposent de grands principes. Même
lorsqu’ils concernent des décisions concrètes, aucune sanction n’est prévue aux acteurs
qui ne les mettraient pas à exécution. Les employeurs qui changent de poste une jeune
mère pour la pousser à la démission, qui ne cherchent pas à mettre fin à l’atmosphère
accusateur qui entoure leur travail, et même, puisque c’est la loi, qui n’encouragent pas à
l’aménagement des horaires des parents ne sont pas inquiétés – ou très rarement lors de
procès – et entrent même davantage dans la norme que ceux qui suivent les instructions
législatives. Le président de la petite entreprise venu témoigner lors de la conférence
reconnaît qu’un tel cadre est nécessaire, justement pour éviter les jalousies, les inégalités
entre les travailleurs ayant un patron bienveillant et les autres, puisque les mentalités
ne suivent pas la norme juridique. Reste qu’en conséquence, le degré d’utilisation des
systèmes visant à améliorer le WLB des Japonais est relativement bas. Selon la Treizième
Enquête Nationale sur la Fécondité (Iwasawa, 2008b), 56% des couples n’utilisaient aucun
des services cités par l’enquête, au nombre de dix, du congé maternité aux services de
garde. En revanche, seuls 9,2% des couples dont la femme a continué son emploi régulier
malgré sa maternité en ont fait autant. Mais l’étude montre que le taux de femmes ayant
pris leur congé maternité était de 76,2%, que 47,1% avaient pris leur congé parental, puis
que seulement 12,5% des couples en moyenne avaient eu recours à un service de garde
quelconque, les centres agréés par l’Etat recevant 31,7% des suffrages. Seuls 16,1% des
mères utilisent le système d’aménagement des heures autorisé par le Childcare and Family
Care Act. On notera néanmoins que l’usage augmente avec l’année de naissance de la
mère : on peut alors enfin penser que les mentalités ont commencé à évoluer.
108
Dubois Charlotte - 2009
V. Les remèdes à la crise de la fécondité et leur échec : la crise serait-elle plus sociale
qu’économique ?
Finalement, on s’aperçoit des dérives auxquelles peuvent amener des lois sur des
domaines à ce point privés. Yashiro Naohiro en 1996 prévenait qu’il serait difficile de faire
changer le rapport au travail des femmes, puisque l’Etat avait pendant des décennies
légiférer en leur faveur, des mesures qui ensuite se révèleraient être des barrières à
leur émancipation. Il évoquait le nombre d’heures supplémentaires plafonné, qui permet
aux patrons peu scrupuleux de ne pas leur payer celles effectuées au-delà du cotât, les
congés autorisés pendant les règles, qui ont contribué à donner une mauvaise image de
la travailleuse dont on ne serait alors pas sûre de la concentration tous les jours du mois,
l’interdiction du travail de nuit, qui ne pose problème pas seulement au Japon. On a vu les
mesures qui encourageaient la retraite au foyer puis le travail à temps partiel en dessous
du million de Yen de revenus par an pour ne pas avoir à cotiser pour le système de retraite
ou la sécurité sociale, les exonérations fiscales de la femme au foyer considérée comme
personne à charge pour l’époux. On a senti le sentiment d’injustice qui en était né. Devra-ton aller jusqu’à la discrimination positive pour faire valoir les compétences de femmes ? En
1999, le « Plan d’Actions Positives » a été mis en place, qui récompense les entreprises qui
favorisent l’accès des femmes à des postes de hautes responsabilités. C’est tout le débat
de la discrimination positive et de sa justification qui est ouvert. Les femmes accepterontelles de se voir récompenser pour le simple fait qu’elles soient de sexe féminin ? Reste que
si cela permet de donner l’impulsion nécessaire à l’évolution de la société vers l’égalité des
sexes, on peut penser que ce ne serait là qu’une étape par laquelle on devrait passer pour
l’inscrire dans les mœurs. Enfin, on s’inquiète de « l’idéologie de la famille bi-parentale » telle
qu’elle est entretenue par les textes législatifs (Shimizu, 2004). Elle entraîne le rejet social
de toute autre forme de famille. On ajoutera aux termes de ce concept « dont les parents
sont mariés », et on élargit d’autant plus le blocage social lié au couple à au renouvellement
de ses formes nécessaire.
2. Des blocages en amont, au sein même du processus de décisions
qui renforcent l’inertie des mentalités
On vient de montrer les lenteurs des mentalités à changer vers le work-life balance. On avait
en effet présenté les textes de lois comme avant-gardistes, dont l’application avait du mal à
se faire parmi les citoyens. Néanmoins, on a commencé à apercevoir les lourdeurs de tels
textes. A présent, on va étudier les défauts de la démarche des politiciens, pour montrer
qu’ils ne sont pas si enthousiastes qu’en apparence à l’idée de faire changer le Japon. On
verra le problème du rapport entre la catégorie d’électeurs choyés par le parti au pouvoir
et les politiques de la famille. Ensuite, on montrera les limites budgétaires des plans lancés
à grands renforts de grands mots. Enfin, on s’attachera à voir l’ultime changement de cible
souhaitable pour changer la société.
Tout d’abord, on doit constater que le parti au pouvoir depuis l’après-guerre, le PLD,
n’a pas pour électorat de prédilection les citoyens concernés par la parentalité. Les citoyens
conservateurs qui les élisent sont plus âgés, plutôt ruraux, et apparaissent réticents à l’idée
qu’on leur fasse payer la prise en charge des enfants des autres, comme on a pu l’expliquer
plus haut. Ils sont plus sensibles aux mesures concernant la prise en charge commune des
retraites, ou des dépendants âgés par exemple. Et comme le fait remarquer Katayama, « les
enfants de trois ans ne peuvent pas lever la main pour voter » face aux 40% des Japonais qui
ont plus de 50 ans et considèrent leurs pensions de retraite par exemple comme des « droits
acquis ». Les membres du Parti au pouvoir sont eux-mêmes conservateurs et des hommes
âgés : Tiana Norgren parle de « gérontocratie mâle », Seiko Noda, dans un article du Japan
Dubois Charlotte - 2009
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La crise de la fécondité au Japon
95
Times , décrit « un gouvernement par et pour les hommes ». Cette réflexion nous permet
d’en venir à une deuxième remarque : non seulement les décideurs sont conservateurs,
mais en plus les personnes qui sont directement concernées par les politiques qu’ils votent
ne sont pas incluses dans le processus de prise de décision. Les femmes ainsi ne sont pas
suffisamment représentées au sein du gouvernement, et même au sein des commissions
techniques sur les questions qui les concernent. Yuriko Ashino en 1996 évoque ainsi le
Conseil pour la Santé Publique dans sa section chargée de la santé des femmes, dont la
moitié des membres devraient être des femmes. On en revient néanmoins au débat sur
la discrimination positive ou même sur la parité : encore faut-il que ces femmes soient
compétentes en la matière, et non pas promues juste pour leur sexe. En conséquence, le
Japon est classé 42 des 75 pays étudiés par l’ONU au sein du « United Nations Development
Program’s “gender empowerment measures” » qui évalue la participation des femmes à
l’économie et la politique du pays. Les Etats-Unis sont classés au douzième rang, la Norvège
96
sont les numéro un . Finalement, le manque de passage à l’acte est flagrant dans l’absence
de sanctions quasi-systématique dans les grands projets sur la natalité. Ainsi, pour la Loi
sur l’Egalité des Chances devant l’Emploi, une liste des entreprises qui discriminaient les
femmes pouvait être dressée par l’Etat pour encourager les firmes aux changement. Le
gouvernement n’est jamais allé jusque là. On en revient à la thèse de Tiana Norgren sur le
lien entre les groupes de pressions, ici les firmes, et le gouvernement japonais.
Un autre des blocages en amont des décisions politiques de la shôshika relève du
point de vue financier. D’une part, on l’a à peine évoqué, la dette de l’Etat japonais est la
plus importante des pays de l’OCDE : elle s’élève à 132,6% du PIB (Ogawa et Retherford,
2005), alors même que les dépenses à venir vont croître en même temps que le nombre de
cotisants va diminuer. En conséquence, les politiques familiales souffrent d’une insuffisance
des budgets qui leurs sont consacrés. Les dépenses liées à l’enfance représentaient en
2002 407 milliards de Yen, soit 0,08% du PIB, c’est-à-dire moins que dans les années
1980. En 1998, les dépenses sociales représentaient en tout 0,21% du PIB, celles liées à la
famille 0,26% contre respectivement 1,54 et 2,23% du PIB au Danemark (ibid.). En 2004, les
allocations familiales ont coûté 3090,6 milliards de Yen , en étant multipliées par 2,8 entre
1990 et 2004. Néanmoins, et on en arrive à la troisième remarque, ces budgets sont bien
moindres que ceux consacrés à la vieillesse. Le budget des allocations versées à ce titre
étaient 5,6 fois supérieurs à celui des allocations familiales (Yoshida, 2008). En 2001, 55,6%
des dépenses de sécurité sociale étaient liées aux personnes âgées, contre 3,7% pour la
parentalité. Ces dernières sont moins bien acceptées, car plus récentes, elles concernent
moins les électeurs du PLD, et s’adressent à une population qui diminue, au moins jusqu’à
la reprise du taux de natalité en 2006, tandis que le montant des dépenses occasionnées
augmente (Ogawa et Retherford, 2005). Et tandis que Yoshida étudie l’exemple du système
français si complet et si efficace, il conclut que les Français sont imposés à 60% de leurs
revenus à l’époque où il écrit, taux qui lui semble impossible à instituer au Japon.
On a déjà vu les changements successifs de cap des politiques. On a d’abord cherché
à ramener les femmes au foyer, pensant que c’était la place qui leur permettrait de faire
plus d’enfants. Ensuite, quand on s’est aperçu que cela ne réglait pas le problème et même
l’amplifiait, on a voulu améliorer la compatibilité entre le travail des femmes et la maternité,
en les orientant vers le temps partiel, sans en améliorer le statut. Mais plus largement,
il faut considérer le problème de la place des femmes dans la société japonaise, pas
seulement la place des mères. Le changement de nom de la loi Eugénique allait en ce sens.
95
96
110
Ministre en charge des politiques de la Science et des Technologies, interviewée dans l’article du 12 février 2009.
Ibid. note précédente.
Dubois Charlotte - 2009
V. Les remèdes à la crise de la fécondité et leur échec : la crise serait-elle plus sociale
qu’économique ?
Quelles répercutions réelles a-t-il eu ? se demande Yuriko Yoshino en 1996. Sous couvert
de politique de la famille, on a véritablement pensé faire remonter le taux de natalité. Emiko
Takeishi propose de ne plus se focaliser sur cela. Cela rejoint notre thèse : le Japon n’est pas
dans une crise de la natalité, mais une crise de la fécondité, c’est-à-dire de la parentalité. Il
faut viser à plus long terme. Takeishi en appelle a des politiques non plus seulement familyfriendly, mais individual-friendly. C’est n’est pas que des femmes qu’il faut se préoccuper,
mais des hommes aussi, de tous. Le work-life balance est à promouvoir pour tous. On
citera en ce sens la réflexion de l’une des femmes dont Muriel Jolivet cite le témoignage
en 1993 : « qu’on laisse [aux femmes] le choix, si elles choisissent de continuer à travailler,
qu’on ne leur jette pas l’égalité à la figure sous prétexte qu’elles peuvent bénéficier des
mêmes avantages que les hommes. Est-ce un progrès de mourir de surmenage comme
eux ? ». Il ne s’agit pas de cantonner chaque époux à un rôle défini socialement et aux
frontières intangibles. Si l’un travaille, il aura le rôle du surmené, l’autre de parent au foyer.
On en revient à la campagne de publicité de McDonald’s et le discours sur les masques,
outre le tatamae et le honne que portent les Japonais suivant le rôle social qu’ils ont à
jouer (Garrigue, 2000). Il s’agit véritablement de changer la société, d’assouplir les codes
sociaux. Si à court terme cela ne joue pas directement sur la natalité, comme on l’a vu
chez Toru Suzuki, la distorsion entre le niveau macro et le niveau micro permettra à terme
de répercuter la marge de manœuvre sociale ainsi acquise au niveau de l’individu, sur la
parentalité, et donc sur la natalité. Toru Suzuki montrait combien il était difficile de faire
changer les « visions culturelles déterministes de la fécondité ». Les fluctuations du taux
de natalité sont des réactions aux changements de la société. Au Japon aujourd’hui, on
se trouve en plein dans une « fenêtre d’opportunités » comme les décrit Tiana Norgren.
Les individus demandent plus de liberté sociale, de work-life balance. Le gouvernement
veut étendre la tendance à un meilleur environnement de vie pour faire remonter le taux
de natalité. Il y a 18 ans, la femme de 54 ans qu’on citait dans Muriel Jolivet s’exclamait :
« c’est maintenant qu’il faut faire pression sur les politiciens ». Mieux vaut tard que jamais.
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La crise de la fécondité au Japon
VI. Conclusions : quel avenir pour la
société de la shôshika ? La dialectique
entre l’individu et la société relancée
grâce à une fenêtre d’opportunités
Dans cette partie, nous allons dans un premier temps rappeler comment on est parvenue à
penser la dénatalité japonaise comme une crise de la fécondité, de la parentalité, et même
d’identité. Puis nous allons rendre compte des solutions à la crise de la fécondité envisagées
par les auteurs que nous avons pu lire, ou que nous avons déduites de nos lectures. On
terminera ce travail par le compte rendu de l’enquête qu’on a effectuée auprès des étudiants
de l’université de Mie. On avait en effet chercher à savoir ce que pensaient les jeunes
des enfants, de la famille, du travail. Cela nous permettra de conclure sur l’inertie sociale
ambiante face à la nécessité vitale d’un changement.
A. Conclusion générale : de la crise de la parentalité
japonaise à une crise d’identité : une aporie ?
On va donc rappeler les divers arguments qu’on a étudiés sur les causes de la dénatalité
japonaise dont la source est, on l’a montré, une crise de la fécondité. On classera ces
faisceaux de causes selon les catégories suivantes : démographiques, économiques,
politiques et sociales. C’est une classification que nous n’avons pas voulu adopter pour ce
travail car de nombreux aspects se recoupent.
Nous avons préféré opter pour un plan plus complexe suivant le processus
d’association d’un couple, en commençant par les préjugés qu’on leur avait inculqués. Nous
avons d’abord expliqué les normes sociales attachées à la famille, notamment au rapport
entre la mère et son enfant, pour confronter ce discours toujours conservateur à l’évolution
récente de la forme de la famille. Nous avons ainsi permis au lecteur de sortir du contexte
français et de se plonger dans un discours social différent. De plus, on a pu rendre compte
de la spécificité de la situation démographique japonaise au sein des pays en fin de Seconde
Transition Démographique, en mettant en évidence un « quiproquo sur l’individualisme »
qui exacerbe les conséquences classiques de cette Transition, à savoir le vieillissement de
la population. On a défini une première crise d’identité : celle de la famille.
Ensuite, nous avons étudié l’avant-couple. D’abord, la distance entre les jeunes
est entretenue par la division sexuelle des rôles, découlant elle-même des habitudes
contraceptives des Japonais, la path dependance aux contraceptifs male-dominant. Ainsi,
le décalage entre leurs idéaux et la réalité complique les rapports hommes-femmes et de
nombreux jeunes préfèrent le célibat. On a dès lors mis en évidence un paradoxe chez les
femmes japonaises. En effet, elles ne se sont pas emparées du moyen de contraception
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Dubois Charlotte - 2009
VI. Conclusions : quel avenir pour la société de la shôshika ? La dialectique entre l’individu et la
société relancée grâce à une fenêtre d’opportunités
female-dominant que le gouvernement a fini par autoriser en 1999. La pilule leur aurait
permis de s’émanciper et rendre réelles leurs aspirations à un idéal de vie différent et par
là prolonger leur avancée, quoique nuancée, dans la société.
Puis nous avons observé le processus de formation du couple. On s’est rendu compte
que le mariage avait bien trop d’inconvénients, notamment pour les femmes, mais qu’il était
la seule forme de couple socialement admise, et en ce sens, était toujours souhaité par
les jeunes. En conséquence, ils le retardent de plus en plus, et l’institution est grignotée
par la montée des divorces. La natalité étant intimement soudée à la nuptialité, la perte
de popularité du mariage auprès des jeunes pèse sur la démographie. On en est arrivé
à penser que dans cette deuxième crise d’identité, celle du couple, la diversification des
modèles de couples était nécessaire à la reprise de la natalité.
Après cela, nous nous sommes intéressée à la vie de couple. Dans cette importante
partie, nous avons d’abord évoqué le décalage entre le nombre d’enfants idéaux, voulus, et
réels. Des obstacles, d’ordre financier mais pas seulement, se dressent sur le chemin de la
parentalité. On a alors travaillé sur l’équilibre entre la vie et le travail chez les femmes puis
chez les hommes, pour expliquer le manque d’enthousiasme des Japonais à l’idée d’être
parents. Nous avons terminé par l’inversion des rôles au sein de la division traditionnelle
des tâches : personne ne s’accommodant de celui qu’on lui a dévolu, tout le monde a su
retourner la situation en sa faveur, ou du moins a appris à s’y adapter. Voilà une troisième
et quatrième crise d’identité : celle des hommes et celle des femmes. La distance entre
hommes et femmes ainsi cultivée n’arrange pas la natalité.
Enfin, on a étudié les politiques de relance de la natalité et les causes de leur échec.
Elles sont d’ordre financier, par l’insuffisance des budgets alloués, et social : le pouvoir a
du mal à faire évoluer les mentalités vers plus d’égalité hommes-femmes, vers un meilleur
work-life balance. Pourtant, il ne demande plus directement aux femmes de revenir au foyer
pour faire plus d’enfants mais en appelle à un changement général du climat social, en
souhaitant que cela améliore l’image et la réalité de la parentalité. L’Etat a des difficultés
à revenir sur le modèle de Bien-Être à la japonaise qu’il a défini dans les années d’aprèsguerre et a continué d’entretenir jusqu’au Childcare and family care Leave Act de 1995.
C’est ici une crise d’identité globale qui est esquissée. Le Japon, fleuron de l’Asie,
est en crise économique depuis vingt ans, alors que le moteur de son avancée dans le
XXème siècle a été le rattrapage de l’Occident. Le modèle japonais semble se fissurer.
Aujourd’hui, le pays vieillit, la crise s’enlise dans une crise d’identité dont la crise de la
fécondité n’apparaît être qu’une modalité.
Les Japonais ne savent plus ce qui définit leur spécificité : la prospérité que leur
enviaient les pays d’Asie est menacée. C’est ainsi que les raisons économiques sont les
premières citées par les Japonais quand on leur parle de la crise de la fécondité. Le coût
de l’éducation d’un enfant serait trop élevé, les couples confrontés à la réalité limiteraient
leurs aspirations idéales.
Dans un autre sens, le Japon symbole de modernité, se voit montré du doigt pour
son archaïsme en matière de normes sociales, notamment par l’ONU en ce qui concerne
l’avancée des femmes. Les causes sociales de la crise de la fécondité sont pour nous les
plus pesantes. Nous avons parlé du manque de souplesse du modèle social du couple. Le
système d’emploi japonais, alors que le modèle de production national a été admiré par
tous, montre ses failles dans ses conséquences sociales. Il provoque l’absence du père,
empêche l’épanouissement de la mère par une intégration à la sphère professionnelle – si
tant est que les Japonaises en aient véritablement besoin. Cette dernière idée entraîne la
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La crise de la fécondité au Japon
sur-protection des enfants par leur mère et le manque de maturité de la nouvelle génération
qui rechigne d’autant plus à se battre contre les obstacles rencontrés.
On arrive à une aporie. La dénatalité découle d’une crise de la fécondité, une
crise sans cause, ou plutôt dont les causes sont partout. Elle se joue sur un plan
démographique (dénatalité mécanique, célibat, recul du mariage, montée du divorce) dont
les fondements sont économiques (coût de l’éducation d’un enfant, notamment en termes
de coût d’opportunité pour la femme) et les motivations surtout sociales (formes du couple
bridées, rôle de la mère, rôle du père, absence de work-life balance, hésitations sur la
division sexuelle des tâches nourries par le quiproquo sur l’individualisme), tandis que les
politiques ont échoué à la contrecarrer (échec des politiques, changements de cap tardifs,
manque de résonance dans les mentalités, contradictions des différentes approches). La
crise de la fécondité se transmet d’une génération à l’autre, rendant la situation de plus en
plus alarmante. Pour s’en sortir, c’est toute la société qui doit affronter sa crise d’identité.
B. Les solutions : devant l’impossibilité d’apports
externes, la nécessité de changements internes…
Quelles sont alors les solutions à cette crise sans cause ? D’emblée, on opposera deux
types de solutions. L’un est un apport extérieur, l’autre est d’ordre interne. On commencera
par le moins probable des choix d’orientation des politiques de la shôshika, à savoir l’appel
à l’immigration. On verra ensuite trois modalités d’actions internes avant de conclure sur les
considérations des jeunes japonais : la nécessité d’un changement social et économique
dans la prise en charge de la parentalité ; la construction d’un nouveau mode de travail ;
l’importance des réseaux dans le partage de la parentalité.
1. Accepter l’immigration pour remonter le taux de fécondité et la
population active ?
Dès 1993, Jolivet constate que le Japon est devant un dilemme : faire appel à la main
d’œuvre immigrée ou rentabiliser la main d’œuvre féminine. En effet, le sang neuf tiré
de l’immigration aurait un apport double. D’une part, la main d’œuvre immigrée viendrait
grossir les rangs de la population active qui diminue depuis 1998. D’autre part, comme le
montre Furukawa, la population immigrée ferait remonter le taux de natalité nationale, à
l’image de l’Australie et des Etats-Unis. On ne peut connaître l’influence exacte de la natalité
de la population immigrée en France, car toute discrimination est interdite en matière de
statistique, mais on peut imaginer qu’elle jour un grand rôle dans la vigueur de la natalité
totale. Outre les enfants issues de familles immigrées de longue date, en 2006 19% des
97
naissances avaient eu lieu au sein de couple dont l’un des deux membres était étranger .
Or le Japon est un pays très fermé, qui ne bénéficie ni de la dynamique de la fécondité
de familles immigrées de longue date grâce à une tradition d’immigration, ni de celle de
nouveaux étrangers. Les immigrés représentent 1% de la population japonaise, or selon
l’ONU, le Japon aura besoin de 17 millions de nouveaux entrants d’ici 2050, soit 17 fois
ce que le Japon a su ingérer en un quart de siècle, selon le New York Times en juillet
97
Calculs à partir de : http://www.ined.fr/fr/pop_chiffres/france/naissances_fecondite/naissances_nationalite_parents/
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VI. Conclusions : quel avenir pour la société de la shôshika ? La dialectique entre l’individu et la
société relancée grâce à une fenêtre d’opportunités
2003. L’expert démographe que cite le journaliste prévoit une difficile absorption de 200
000 immigrants dans les 10 ans à venir. Auparavant, on arrivait à accepter les immigrant
afin qu’ils prennent la place des burakumin auprès des tâches ingrates rejetées par les
Japonais. Aujourd’hui, le Japon préfère une immigration choisie de personnes à haut niveau
de compétences, alors même que le niveau d’anglais de leurs nationaux est l’un des moins
réputé d’Asie. Et le journaliste de conclure par une interrogation proche de la nôtre : « le
Japon peut-il changer ? », en montrant qu’il semble bien que le pays n’ait pas d’autre choix.
Le changement des mentalités qu’on a évoqué plus haut est un chantier à long terme. La
solution externe aurait le mérite d’avoir des réactions plus tangibles à court et moyen terme.
Mais l’immigration étant l’un des sujets les plus sensibles, on doute que ce soit la solution
envisagée.
2. Un nouveau mode de travail, pour ne pas dire système d’emploi,
pour un meilleur work-life balance
L’un des points sur lesquels on a le plus insisté est bien la nécessité d’établir un bon worklife balance, un réel équilibre entre vie privée et travail. On a vu qu’il s’agissait d’abord de
rééquilibrer la balance au sein du couple, pour moderniser la division sexuelle des tâches.
Ensuite, il faut que chaque individu soit à la fois dans les deux sphères, afin de mener à
bien son épanouissement personnel. On a pu lire chez Jolivet en 2000 le témoignage d’un
homme qui ne reconnaissait plus son épouse depuis qu’elle travaillait, qui décrit combien il
la sent plus épanouie : « ce n’était plus la même » (p.158).
Certains auteurs citent des mesures au sein même de leurs analyses. On a pu lire ainsi
plusieurs propositions d’interdiction des heures supplémentaires. L’écrivain Ira Ishida, cité
par Yoshida, souhaite une loi qu’on pourrait tout aussi bien appeler « loi pour encourager
les rendez-vous galants » ou « loi pour accélérer les relations amoureuses ». En effet selon
lui, cela renforcerait les liens entre les Japonais. Dans tout le pays, on instituerait un « jour
sans heures supplémentaires », peut-être deux fois par semaines. Les salarymen pourraient
consacrer le temps ainsi gagné à un loisir ou à une relation amoureuse. Il affirme que cela
permettrait de plus de relancer la consommation. Mais il est sévère avec les jeunes japonais,
en affirmant que c’est parce qu’ils n’ont pas d’énergie qu’ils n’ont pas eux-mêmes cette
démarche de refuser les heures supplémentaires pour ménager leur vie personnelle.
D’autres évoquent le working share, c’est à dire le partage du travail, pour que ce
qui était assumé par une seule personne jadis soit divisé entre plusieurs. Ainsi, la charge
de travail est moindre, les responsabilités mieux réparties, les absences mieux tolérées
car moins gênantes pour l’avancée des projets. Il semble que la crise actuelle pousse les
entreprises mettre en place ce nouveau mode d’organisation du travail (Japan Times, 25
février 2009).
Enfin, certains parlent d’un changement complet du système d’emploi à venir. En effet,
on l’a vu, les entreprises ne sont plus capables d’offrir la sécurité de l’emploi à vie contre
laquelle elles obtenaient la dévotion totale du salaryman à sa cause. Par conséquent,
les hommes pourraient revendiquer moins de charge de travail, puisque le pacte ne tient
plus, et que la sécurité ne repose plus que sur eux-mêmes. Les auteurs prévoient alors le
changement de structure du système d’emploi japonais. On passerait à l’ère du spécialiste.
Les entreprises ne consacreraient plus six mois à former un employer qu’elles risquent de
ne pas garder : il s’agirait pour les individus d’apprendre un métier avant leur intégration
dans la firme, et plus la pratique d’une entreprise acquise en son sein. Les auteurs décrivent
Dubois Charlotte - 2009
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La crise de la fécondité au Japon
la fin des combats en groupe (Esaka et Moroi, 1996). Il va falloir apprendre à se battre pour
soi, pour sa place, défendre ses compétences. Dans le film Tôkyô Sonata, le père licencié
effectue des entretiens d’embauche. On lui demande ce qu’il est capable de faire, lui. Il ne
sait que répondre et finit par évoquer le karaoke. Il ne cesse de clamer qu’il était responsable
dans la grande entreprise qui l’a limogé, mais il est incapable de décrire ses compétences.
Son savoir-faire n’avait de sens que dans cette entreprise. On est dans la charnière entre les
générations. Celle d’avant avait la sécurité de l’emploi ; celle de maintenant se fait licencier
et se rend compte qu’il faut se forger une individualité même au travail, pour être capable
d’exercer un métier propre dans des entreprises différentes. Mais rien ne les y a préparé :
la formation universitaire est tout sauf spécialisante, puisque c’est l’entreprise qui recrute
les jeunes diplômés qui les moule pendant six mois à l’embauche. Ils ont été élevés dans
la peur du marteau s’ils se mettaient à dépasser du groupe, à se démarquer. Sans doute
avec la nouvelle génération va-t-on apprendre à évoluer différemment. On pourra alors
envisager le recrutement à mi-carrière, ce qui permettra aux femmes de reprendre un emploi
régulier après avoir élevé leurs enfants, si tant est qu’elles se retirent toujours pour cela.
Yashiro Naohiro estime que les femmes sont donc mieux préparées au bouleversement
du système d’emploi japonais. La progression au mérite ne les pénalisera pas, à l’inverse
de celle à l’ancienneté. On peut alors penser qu’à terme, la conciliation entre la famille
et le travail, chez les femmes mais pas seulement, amènera à une meilleure vision de la
parentalité, et permettra une remontée du taux de natalité. Néanmoins, la crise actuelle
semble s’accommoder de la pénurie de main d’œuvre, et ce sont les femmes qui subissent
ses conséquences. Leur progression au sein du système d’emploi semble bien remise en
cause par l’aggravation de la situation économique du pays, comme on peut le lire dans
L’express en mai 2009.
3. Une prise en charge de la parentalité aussi bien financière que
sociale est requise
De nombreux auteurs insistent sur la nécessité d’allier les deux types d’aides. On a en
effet vu que les allocations et autres primes à la naissance n’avaient pas permis de motiver
les Japonais à la parentalité. Néanmoins, l’insuffisance par exemple de la prise en charge
de la perte de salaire durant les congés parentaux et maternité ont nui à leur succès. Ce
manque de motivation était également lié à l’atmosphère qui entoure la prise de tels congés.
Il s’agit donc bien de favoriser la liberté individuelle, comme le prône Yoshida, améliorer le
cloisonnement entre la sphère privée et la sphère publique, aussi bien chez les hommes,
dans le sens de la privatisation des décisions, que chez les femmes, dans un sens inverse
de prise de participation à la sphère publique.
Selon le Sondage d’opinion publique sur les politiques de la dénatalité du Ministère de
l’Intérieur Japonais, voici les attentes des Japonais en ce qui concerne les politiques à venir.
Un tiers d’entre eux souhaite imiter l’Europe et les Etats-Unis, un tiers pense que chaque
situation est différente en matière de normes sociales concernant la nationalité, le mariage
et la naissance, et donc appelle des politiques différentes. 17,4% des interrogés pensent
que dans les pays suscités, certains connaissent les mêmes soucis démographiques,
notamment on l’a vu les pays d’Europe du Sud, et qu’on ne peut donc pas s’en référer à
titre d’exemple. Donc finalement, 49,6% des sondés estiment que le Japon doit répondre
de façon autonome et propre au vieillissement de sa population, à la dénatalité. 51,1%
en appellent alors à une meilleure conciliation entre travail et famille, par la participation
des hommes à l’éducation, l’établissement d’une harmonie entre les deux sphères, en
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VI. Conclusions : quel avenir pour la société de la shôshika ? La dialectique entre l’individu et la
société relancée grâce à une fenêtre d’opportunités
permettant de continuer sa carrière même enceinte, en améliorant le retour au travail après
la retraite liée au mariage (décidément, cette norme demeure donc), en améliorant le
système de congé parental. 50,5% voudraient que le coût financier des enfants soit diminué,
grâce aux allocations familiales et à un système avantageux en matière de fiscalité. 41,7%
aimeraient que soit aménagé un environnement sûr pour élever des enfants, en matière
de logement et d’accessibilité. 33,3% souhaitent que s’accélère la « prise de conscience
de l’importance du rôle de la famille et de la vie ». On parle de multiplier les occasions
de côtoyer des nouveau-nés, de valoriser la puériculture, de mettre ne place des écoles
maternelles pour les enfants en bas âge. 27% demandent une meilleure prise en charge
de la grossesse et de l’accouchement, comme on a vu la pénurie de médecins qui rend
cette étape de la vie éprouvante pour les mères. 24,8% demandent une « transition vers
l’éducation d’enfants rigoureux et indépendants par les jeunes » : cela fait échos aux parties
qu’on a développées sur le manque d’indépendance et de maturité des jeunes japonais.
Enfin, 17,0% évoquent un meilleur système de soins pédiatriques pour mieux veiller sur la
santé des enfants. Ces expectatives englobent bien les deux principaux domaines d’actions
politiques qu’on a explorés : l’aspect financier et social de la parentalité. La crise de la
natalité concerne toute la société : c’est bien une crise non pas démographique, ni de la
maternité, mais sociale, une crise de la fécondité, une crise de la parentalité.
4. L’importance des réseaux dans la prise en charge de la parentalité
L’une des réponses souhaitées par les Japonais dans cette même enquête concerne un
« soutien régional à l’éducation ». Les interrogés évoquent le système du périscolaire,
l’entretien de relations intergénérationnelles, un soutien pour l’arrêt des mauvais traitements
infligés aux enfants, la constitution d’un service administratif d’information et d’écoute sur
la famille et les aides qu’elles peuvent recevoir. On avait assisté à la démonstration de la
nécessité d’associations faisant le lien entre les textes de lois à appliquer sur le terrain et les
initiatives privées de firmes qui les devançaient ou les complétaient, lors de la conférence à
l’Université de Mie. Selon les auteurs comme Makato Atoh ou Keiko Funabachi, il faut faire
revenir l’enfant dans la sphère publique, notamment régionale, nous ajouterons du moins
dans le partage de sa prise en charge, puisque la décision de faire un enfant doit rester
privée. Les enfants seraient des biens à nouveau publics, puisque éduqués tant par les
parents que par les voisins, les grands-parents, les professeurs.
Ainsi, un environnement local « child-friendly » est la première préoccupation des
couples mariés lorsqu’ils s’installent, pour 60,5% d’entre ceux interrogés dans le White
Paper on the National Lifestyle 2005. Dans le Sondage d’opinion publique sur les
politiques de la dénatalité du Ministère de l’Intérieur Japonais, la dernière question de
l’enquête est entièrement consacrée aux attentes des Japonais envers le voisinage. 52,3%
souhaitent pouvoir parler facilement des problèmes rencontrés en matière d’éducation.
Des relations entre famille et belle-famille basées sur la conversation sont revendiquées
par 41,3% des sondés. 31,8% d’entre eux souhaitent pouvoir faire garder leur enfant en
cas d’empêchement imprévu. 30,4% aimeraient se faire aider dans les tâches ménagères.
29,6% demandent un soutien pour les enfants, comme des activités sportives locales, des
cours extra-scolaires dispensés par le voisinage par exemple. Enfin, 19,4% des personnes
interrogées voudraient voir leur voisinage jouer avec leurs enfants. Donc les Japonais
demandent un dialogue plus ouvert, et un soutien d’ordre matériel et moral à un niveau
local. Noriko Okifuji parle d’un réseau du même type pour les personnes âgées : il s’agit de
transformer le modèle de Bien-Être à la japonaise pour soulager la famille de la prise en
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La crise de la fécondité au Japon
charge des dépendants. Elle écrit : « nous sommes la dernière génération qui ait à prendre
soin de ses parents et la première qui ne peut pas compter sur ses propres enfants ». On
retrouve cette idée de génération charnière dans le changement de la société japonaise.
C. …et d’une impulsion suffisante pour les provoquer
1. Refondre les modes de vie pour ne plus craindre la parentalité mais
y prendre plaisir
Finalement, les auteurs évoquent véritablement la construction d’un nouvel environnement
social autour de la naissance et au-delà. Il faut privatiser le bonheur de la naissance en
socialisant la prise en charge de la parentalité. Il faut refondre la division sexuelle des
tâches, pour équilibrer la vie de chacun. On a lu souvent que le work-life balance était l’une
des clefs de la reprise de la natalité, notamment dans les White Paper on the National
Lifestyle, que toute la société devait s’impliquer dans ce but. On a alors pu lire qu’il fallait
revoir le mode d’éducation notamment des petits garçons, pour leur apprendre à participer
aux tâches ménagères, comme dans la petite histoire sur le site de Kappa Zushi (Cf. infra,
p.15). Kazuyo Katsuma, interviewée par le Japan Times en mars 2009, explique que les
entreprises doivent réduire le temps de travail des salariés, tandis que le gouvernement doit
prendre en charge l’allocations de ressources pour aider les familles et réduire le coût de la
grossesse, dont les frais ne sont pas remboursés par la sécurité sociale. Shimizu propose
en 2004 p.278 un graphique où il définit les deux axes sur lesquels le Japon aura à se
définir rapidement : le modèle plus ou moins traditionnel ou égalitaire de la famille, l’Etat
Providence plus ou moins interventionniste en matière d’aide à la parentalité. Le graphique
est reproduit comme suit :
Les quatre modèles de prise de position de l’Etat face à la famille
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VI. Conclusions : quel avenir pour la société de la shôshika ? La dialectique entre l’individu et la
société relancée grâce à une fenêtre d’opportunités
Le Japon est dans une position à la fois conservatrice et peu interventionniste. A
son opposé, la Suède est dans un modèle égalitaire et de forte prise en charge sociale
de la parentalité. L’auteur excluant l’augmentation des naissances hors mariage pour des
raisons de normes sociales, il considère que le Japon va devoir se repositionner face à ces
quatre modèles. Dans le même sens, Yamada en 2007 définit quatre propositions pour une
« nouvelle société égalitaire » :
- sérénité de l’emploi, équilibre des revenus
- assurer le même niveau d’éducation à tous les enfants, quels que soient les revenus
économiques de leur famille, pour remédier au décalage entre le nombre d’enfants idéaux,
attendus et réels suite à des obstacles économiques
- égalité des sexes, work-life balance
- soutien à la communication entre les jeunes.
Après ces propositions, il décrit la vie du couple telle qu’elle sera rendue possible :
rencontre, amour, travail régulier et satisfaisant, peur du chômage, du divorce, mais pas
d’avoir un enfant, car la parentalité est soutenue par l’Etat, notamment pour la garde puis la
scolarisation des enfants. Ce modèle nous paraît ressembler étrangement au mode de vie
si ce n’est occidental, en tout cas français. Ayant l’impression d’avoir en France ce mode
de vie, on s’est demandé à quel point les jeunes japonais y aspiraient.
2. Les jeunes revendiquent-ils le même genre d’idéal que les
auteurs ?
On a alors cherché à connaître la réalité de ce type de revendications – égalité, worklife balance, amour idéal, parentalité sans peur – chez les jeunes qu’on a pu côtoyer.
Nous avons donc effectué un sondage auprès des étudiants de l’Université de Mie dans
laquelle nous avons étudié durant l’année 2007-2008. N’ayant construit qu’une modeste
enquête, nous ne tirerons pas de conclusions générales sur les jeunes japonais. Nous nous
Dubois Charlotte - 2009
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La crise de la fécondité au Japon
en tiendrons à parler des jeunes interrogés. Nous présenterons ici les résultats de cette
enquête, afin de mettre en évidence les points suivants. Nous avons d’abord voulu évaluer
la réalité de la démission et du mode de travail des femmes : nous voulions vérifier notre
hypothèse de génération charnière. Ensuite, nous avons voulu savoir quelles étaient les
intentions des jeunes filles actuelles face au dilemme de la naissance et de la carrière : sontelles des féministes revendiquant le droit de travailler quitte à ne pas faire d’enfants si la
société ne leur permet pas, ou respectent-elles le modèle intériorisé de femme au foyer ? De
plus, nous nous sommes demandé quelle était l’attitude envisagée par les jeunes hommes
face à la parentalité. Finalement, nous voulions connaître l’état d’esprit des étudiants face
à la crise de la fécondité.
a. Le questionnaire établi en fonction des domaines à vérifier
Nous avons rédigé un questionnaire en fonction des différentes orientations précitées.
Il est reproduit ci-dessous. Nous l’avons traduit en japonais, et avons été corrigée par
M. Yamamoto, responsable de l’échange entre l’IEP et l’université de Mie, professeur de
français. Le questionnaire en japonais est en annexe 3.
Garçons âge
Votre mère travaille-t-elle ?
Oui, à temps plein
Oui, à temps partiel
Non
A-t-elle démissionné lorsqu’elle a eu son premier enfant ? Au bout de combien de temps
a-t-elle repris le travail ?
Oui / non _______mois/ ans
Pensez-vous qu’il soit normal qu’une femme travaille ?
Oui, c’est tout à fait normal.
Oui, à temps partiel pour qu’elle se change les idées.
Oui, mais seulement en complément du salaire de l’époux si c’est nécessaire.
Non, une femme doit rester à la maison pour élever ses enfants.
Lorsque vous aurez des enfants, pensez-vous aidez votre femme pour les tâches
domestiques ?
1) faire le ménage oui / non
2) faire la cuisine oui / non
3) faire les courses oui / non
4) s’occuper des enfants oui / non
Quelle est selon vous la (les) causes de la crise de la fécondité au Japon ?
Filles âge
Votre mère travaille-t-elle ?
Oui, à temps plein
Oui, à temps partiel
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VI. Conclusions : quel avenir pour la société de la shôshika ? La dialectique entre l’individu et la
société relancée grâce à une fenêtre d’opportunités
Non
Si oui, a-t-elle démissionné lorsqu’elle a eu son premier enfant ? Au bout de combien
de temps a-t-elle repris le travail ?
Oui / non _______mois/ ans
Que pensez-vous du travail de la femme ?
Il est impossible de concilier la vie de famille et un travail à temps plein. Je pense
démissionner pour m’occuper de mon enfant.
Des mesures ont été prises pour que les femmes puissent concilier vie de famille et vie
de travail. Je compte prendre le congé de maternité d’un an, autorisé par la loi de 1992. Je
demanderai également des allégements de mes horaires, comme la loi me l’autorise. Mais
je souhaite continuer à travailler lorsque j’aurai un enfant.
Je ne souhaite pas avoir d’enfant car je veux me construire une carrière.
Êtes-vous consciente de la précarité de l’emploi des femmes au Japon ?
Oui, les femmes ont recours au temps partiel qui n’offre aucune couverture sociale et
est très mal payé.
Non, je ne vois pas de quoi vous parlez.
Avez-vous une bonne image de vos parents en ce qui concerne le partage des tâches
ménagères, l’amour qui les lie ?
Oui plutôt positive plutôt négative non, je ne veux surtout pas reproduire leur exemple.
Quelle est selon vous la (les) cause(s) de la crise de la fécondité au Japon ?
Nous avions des questions à poser à tous les étudiants en général, notamment en ce
qui concerne la démission, le statut professionnel des mères, et la vision de la crise de
la fécondité. Mais nous avions également des interrogations que seul le point de vue des
jeunes filles ou seul celui des jeunes hommes pouvait éclairer. Nous avons alors décidé
d’effectuer un questionnaire par sexe, avec les deux premières et la dernière question en
commun. Nous allons expliquer la teneur des questions, en les liant aux problématiques
définies ci-dessus. Nous verrons d’abord les questions communes, puis les questions
propres aux femmes et enfin les questions adressées aux garçons.
Pour évaluer la réalité de la démission des femmes au premier enfant, nous avons
demandé aux étudiants si leur propre mère avait démissionné pour élever leur(s) enfant(s).
En ce qui concerne le statut actuel de leur mère, il s’agissait de mettre en évidence
la caractéristique principale de l’activité professionnelle féminine au Japon, à savoir la
réinsertion sur le marché du travail après avoir élevé ses enfants, par un travail à temps
partiel. Enfin, nous souhaitions avoir une idée générale de l’opinion des jeunes envers la
crise de la fécondité. Nous pensions voir apparaître des réponses sur le code social japonais
défavorable aux femmes.
Dans un deuxième temps, nous nous intéressions à l’opinion des jeunes filles sur des
problèmes qui les concernent directement. D’abord, nous souhaitions savoir comment elles
envisageaient le dilemme qui allait se présenter à elles, étudiantes à l’université, ce que
nous pensions être dans l’optique d’obtenir un bon poste. Nous avons proposé trois types de
réponses, en pensant qu’ils pouvaient correspondre aux types de décisions des Japonaises.
Celle du milieu était plus nuancée et apparaîtrait être la plus logique du regard français :
l’Etat fait beaucoup depuis plus de quinze ans pour que les mères puissent travailler, je
souhaite donc bénéficier de ces mesures. Les deux extrémités témoignaient de la difficulté
Dubois Charlotte - 2009
121
La crise de la fécondité au Japon
à concilier la vie de travail et la vie de famille qui demeure, notamment dans les mentalités :
choisir la démission ou ne pas avoir d’enfant pour poursuivre une carrière. Enfin, la question
de la perception de la situation des femmes semblait importante, notamment dans le choix
de ne pas abandonner son emploi régulier à temps plein pour avoir des enfants, et pourrait
contribuer au choix du célibat par les jeunes femmes actives. La question concernant l’image
du couple des parents avait une ambition très générale. Il s’agissait de savoir si les enfants
percevaient une image positive de la vie en couple, de la vie de famille, notamment en ce qui
concerne par exemple l’amour entre les parents, le bonheur de vivre en couple, le partage
des tâches ménagères, l’implication du père, son attitude envers la mère, etc. Cette vision
de la vie de famille nous paraissait importante, entrant en considération dans le choix du
célibat des jeunes.
Enfin, en ce qui concerne les hommes, nous voulions vérifier l’hypothèse des
« nouveaux pères », ces hommes qui souhaitent s’impliquer davantage dans la vie de
famille, car souvent leur propre père a été absent. Il s’agissait d’abord de vérifier la
prégnance de la norme sociale qui veut que les femmes restent au foyer pour élever leurs
enfants. Nous nous demandions à quel degré elle s’élevait si elle demeurait. Nous avons
donc graduellement nuancé les réponses possibles, de la moins conservatrice à la plus
conservatrice. Mais cette nouvelle implication des hommes concerne deux sphères bien
distinctes de la vie de famille : les tâches domestiques d’une part (ménage, cuisine, courses)
et l’éducation des enfants d’autre part. Nous voulions savoir si les « nouveaux pères », s’ils
existaient bien, étaient prêts à s’investir pleinement ou préféraient sélectionner certaines
sphères pour laisser des domaines socialement féminins. C’est pourquoi on a séparé d’une
part les tâches ménagères de l’éducation des enfants et d’autre part, à l’intérieur des tâches
domestiques des plus lourdes aux moins lourdes, graduellement le ménage, la cuisine et
les courses.
b. Les résultats
Nous avons soumis le questionnaire à 18 filles et 20 garçons, avec l’échantillonnage d’âges
suivant.
Garçons : 20
Age (ans) 18
5
19
4
20
3
21
3
22
2
23
1
24
1
20
2
21
1
22
1
23
0
24
1
25
1
Filles : 18
Age (ans) 18
6
19
7
Les réponses aux questionnaires des filles sont les suivantes :
122
Dubois Charlotte - 2009
VI. Conclusions : quel avenir pour la société de la shôshika ? La dialectique entre l’individu et la
société relancée grâce à une fenêtre d’opportunités
Réponse N°
Votre mère travaille-t-elle ?
A-t-elle démissionné lorsqu’elle a eu son premier enfant ?
Au bout de combien de temps a-t-elle repris le travail ?
Comment pensez-vous aborder le problème du travail?
Êtes-vous consciente de la précarité de l‘emploi des
femmes?
Avez-vous une bonne image de vos parents?
1
5
14
2
8
2
3
4
4
0
16
13
2
3
2
2
12
3
1
En ce qui concerne le laps de temps après lequel la mère a repris le travail, les réponses
sont de 18 ans, 14 ans (deux fois), 7 ans, 5 ans (deux fois), trois ans, deux ans, l’une d’entre
elle n’a pas repris le travail, une autre ne travaillait pas quand elle a eu son premier enfant.
Deux avaient démissionné à leur mariage.
Les raisons de la crise de la fécondité ressenties par les filles sont les suivantes :
C'est dans l'air du temps (2 fois)
Problème d’argent / Crise économique
Problème des congés
Pressions sociales (2 fois)
Système japonais et marasme ambiant ( 4 fois)
Problème de l'incompatibilité du travail des femmes si elles ont un enfant (6 fois)
Recul de l’âge au mariage
Problème des familles nucléaires (2 fois)
Préférer mener sa propre vie (2 fois)
Emancipation des femmes
Peu d'enfants par couple (1 ou 2) (2 fois)
Le célibat en vogue
Moins de femmes en âge d'avoir des enfants
Préférer sa carrière
Problème interne au couple
Les hommes travaillent trop
Les réponses aux questionnaires des garçons sont les suivantes :
Réponse N°
Votre mère travaille-t-elle ?
A-t-elle démissionné lorsqu’elle a eu son premier enfant ?
Au bout de combien de temps a-t-elle repris le travail ?
Pensez-vous qu’il soit normal qu’une femme travaille ?
Pensez-vous aider votre femme pour les tâches
domestiques ?
1
8
8
2
8
8
3
4
11
18
3
19
4
18
4
20
En ce qui concerne le laps de temps après lequel la mère a repris le travail, les réponses
sont de 20 ans, 14 ans, 7 ans, 5 ans. Quatre mères ne travaillaient pas à la naissance de
leur premier enfant, deux n’ont jamais repris le travail.
Dubois Charlotte - 2009
123
La crise de la fécondité au Japon
Les raisons de la crise de la fécondité ressenties par les garçons sont les suivantes :
Problème du coût de l'éducation d'un enfant (4 fois)
Mariages tardifs (2 fois)
Avancée des femmes dans la société (4 fois)
Préférer le travail au mariage
Préférer s'amuser / vivre
Problème de l'incompatibilité du travail des femmes si elles ont un enfant (7 fois)
Problème de la pression sociale sur les femmes, des mentalités (3 fois)
Problème des crèches
Temps que prend l'éducation
Le réchauffement de la planète
Les hormones de l'environnement
Budget consacré aux personnes âgées bien plus important que celui consacré aux
enfants
Pas d'opinion (1 fois)
c. Commentaire : la nouvelle génération est la génération charnière dans la
crise de la fécondité
Les résultats du questionnaire ont à la fois apporté des réponses et posé de nouvelles
interrogations. Nous étudierons d’abord les éléments qui correspondent aux problématiques
définies : la réalité de la démission et du mode de travail des femmes ; les intentions des
jeunes filles face à leurs futurs choix de vie ; les projets des garçons face à la parentalité.
On commentera également les causes ressenties de la crise de la fécondité.
d. Les mères des étudiants ont elles aussi démissionné
En ce qui concerne les réponses aux premières questions, on s’aperçoit qu’une majorité de
mères a démissionné, soit au mariage, soit à la naissance de leur enfant : 22 mères sur
32 réponses. En revanche, l’écart entre les réponses des filles et celles des garçons est
surprenant. Ainsi, les mères des étudiants interrogés ont davantage continué à travailler,
tandis que les mères des étudiantes ont en très large majorité démissionné. Agit-on
différemment lorsqu’on a un garçon ? Les étudiantes qu’on a interrogées étaient-elles par
hasard en grand nombre membres de familles nombreuses ? Après avoir demandé son
avis à une étudiante de cinquième année ayant fait son mémoire de fin d’étude sur ce
genre de sujets, il semblerait que le résultat des étudiantes soit celui le plus pertinent. Le
temps de retrait de la vie active est plus ou moins long, avec une moyenne de sept ans
pour les mères d’étudiantes, soit proche de la moyenne de 6 ans observée par Ogawa et
Retherford en 2005, et 11,5 ans pour les mères d’étudiants. Les mères des garçons ont
moins démissionné, mais celles qui l’ont fait ont interrompu leur vie professionnelle plus
longtemps que les mères des filles.
Le statut professionnel des mères des élèves interrogés révèle également la précaire
réinsertion des mères sur le marché du travail : 16 d’entre elles travaillent à temps partiel,
contre 13 à temps plein et 8 qui ne travaillent pas. Néanmoins, là encore les mères des
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Dubois Charlotte - 2009
VI. Conclusions : quel avenir pour la société de la shôshika ? La dialectique entre l’individu et la
société relancée grâce à une fenêtre d’opportunités
garçons semblent mieux être intégrées au marché du travail, car 8 d’entre elles travaillent
à temps plein, soit le même nombre que celles qui travaillent à temps partiel. On imagine
alors que le nombre de démissions étant moins élevé, les mères ont pu conserver le travail
régulier qu’elles ont trouvé à la sortie de l’université et n’ont pas abandonné au mariage ou
à la naissance de leur premier enfant.
e. Les intentions des jeunes filles face au dilemme du travail ou de la
parentalité : une nouvelle donne ?
Contrairement à leur mère qui ont en grande majorité démissionné pour élever leurs
enfants, les étudiantes interrogées souhaitent en majorité conserver leur emploi et profiter
du système mis en place par la décennie de mesures pour réconcilier la vie de mère et le
statut de femme active.
Aucune étudiante n’a répondu vouloir renoncer à son travail pour élever ses enfants,
alors que 3 jeunes filles ont dit envisager de ne pas avoir d’enfant pour réaliser leur carrière.
13 jeunes filles pensent conserver leur emploi. Deux ont répondu « autre » : l’une souhaite
démissionner puis reprendre une activité professionnelle après avoir élevé ses enfants.
Nous n’avions pas précisé la reprise du travail après la période de retraite dans la première
proposition, pensant que c’était la suite logique de cette phase de la vie professionnelle
des femmes, le creux du M de la courbe. Une deuxième souhaite demander l’aide de son
époux pour l’éducation des enfants, on pense donc qu’elle souhaite continuer à travailler.
La génération des mères a en majorité démissionné, sans utiliser les mesures qui avaient
été mises en place pour leur permettre de continuer leur carrière. Il semble que la nouvelle
génération ait l’intention d’en jouir. C’est peut-être par elles que les normes sociales qui ont
empêché la génération de jeunes filles qui ont suivi leurs mères de faire de même, pourront
évoluer. Les étudiantes interrogées sont fortement conscientes de la précarité de l’emploi
des femmes, qui se réinsèrent sur le marché du travail par le travail à temps partiel : 16
des 18 filles l’ont compris. Le coût d’opportunité d’avoir un enfant est élevé si on prend en
considération la perte de revenus représentée par une démission. Elles préfèrent donc ne
pas avoir à démissionner, quand 3 souhaitent ne pas avoir d’enfant. Avec ce type de choix,
les normes sociales vont peut-être changer en faveur des mères qui conservent leur emploi.
Reste que dans cette opposition des générations, les jeunes filles ont en majorité une image
plutôt positive de leurs parents.
Enfin, la vision du couple parental semble être positive, pour 14 des jeunes femmes,
contre 4 qui la jugent négative. On a été surprise de ce résultat, pensant que les couples
ne vivaient pas dans une harmonie qu’ils transmettaient à leurs enfants. On peut bien-sûr
toujours se poser la question du biais lié à la participation à un questionnaire pour une
étrangère. Reste que la réponse à cette question n’était pas celle attendue.
f. Les « nouveaux pères » soucieux de s’impliquer… jusqu’à un certain point
Le point de vue des garçons nous intéressait fortement, afin d’évaluer la réalité du
phénomène des « nouveaux pères », qu’on voit dans les publicités, les émissions de
télévision, les parcs ou les centres commerciaux le dimanche, s’occuper de leurs enfants. En
général, les étudiants interrogés sont prêts à s’investir, mais le degré varie selon les tâches.
L’éducation de leurs enfants les touche : ils ont tous coché cette option du questionnaire.
Ils ont sans doute connu l’absence du père et souhaitent peut-être ne pas renouveler ce
modèle. De même, faire les courses leur paraît possible à tous. Mais en ce qui concerne
la cuisine et le ménage, on a un décalage de deux réponses. Les jeunes semblent donc
Dubois Charlotte - 2009
125
La crise de la fécondité au Japon
volontaires, jusqu’à un certain point, pour soulager leur femme. Sont-ils d’ailleurs d’accord
avec l’idée que leur femme travaille à temps plein même si elle a des enfants ?
La norme sociale qui veut que la femme reste au foyer et l’homme travaille n’a reçu
aucun suffrage. Les jeunes ont donc évolué dans le sens de l’acceptation du travail des
femmes. Ou bien ont-ils sentis qu’envers une étudiante française, cocher une telle réponse
montrerait que les hommes japonais étaient conservateurs. 11 étudiants sont totalement
pour le travail des femmes, ils estiment cela « normal », ce serait donc entré dans les
mœurs. Néanmoins, 7 d’entre eux émettent des réserves face aux femmes qui continuent
de travailler en élevant leurs enfants : 4 pensent que la femme peut travailler à temps
partiel pour se changer les idées, comme dans la publicité pour recruter du personnel de
McDonald’s ; 4 estiment que la femme peut travailler pour apporter un complément au
salaire du mari s’il n’est pas suffisant. Les mentalités des hommes semblent n’avoir donc
changé que partiellement. Le monde du travail japonais, qui fonctionne à l’ancienneté, est
dominé par les hommes, plus âgés, qui actuellement semblent bloquer le changement de
regard face au congé parental par exemple. Or la génération qui va les remplacer ne semble
pas complètement ouverte au travail des femmes. Dans cette enquête, on peut observer
un décalage entre la volonté des étudiantes de travailler tout en élevant leurs enfants, et
la vision toujours quelque peu conservatrice des étudiants qui attendent d’elles qu’elles
travaillent moins après une naissance. Elles peuvent travailler moins dans un travail régulier
à temps partiel grâce aux lois, mais les étudiants préfèrent le temps partiel, n’étant sans
doute pas conscients des attentes des étudiantes et du cadre législatif mis en place.
g. La vision de la crise de la fécondité : problème économique pour les
étudiants, social pour les étudiantes
Si on observe les réponses apportées à la dernière question de l’enquête, on se rend
compte que les problèmes majeurs sont bien identifiés par les jeunes interrogés. Ils
citent notamment les problèmes économiques liés au coût de l’éducation d’un enfant ;
les problèmes sociaux, comme l’avancée des femmes dans la société doublée de
l’incompatibilité entre la maternité et le travail, due au blocage des mentalités, et à l’absence
des pères qui travaillent trop ; les questions démographiques de la vogue du célibat et
des mariages retardés, de la baisse de la fécondité des couples mariés ; les problèmes
politiques de l’insuffisance des budgets des mesures pour la famille, ou du réseau de
crèches inégalement réparties sur le territoire. Mais les étudiantes citent plus souvent
les problèmes sociaux qui leur sont liés, comme l’incompatibilité entre la maternité et le
travail, les normes sociales qui leur sont défavorables : 15 réponses concernent ce type
de problème chez les filles. Les garçons évoquent également en nombre ce faisceau de
causes sociales, mais sont davantage sensibles aux problèmes économiques. 4 réponses
vont en ce sens chez les étudiants contre une chez les étudiantes. Ces dernières sont peutêtre davantage préoccupées par les obstacles qui les concernent directement : on voit se
dessiner les opinions en fonction de la traditionnelle division sexuelle des tâches. De plus,
les étudiants sont très conscients des pesanteurs sociales, mais on a vu plus haut que leur
propre opinion demeurait conservatrice, ce qui apparaît paradoxal.
3. Comment provoquer le changement et débloquer les
mentalités assez rapidement pour ne pas que le Japon s’enlise
démographiquement, économiquement et socialement dans une crise
126
Dubois Charlotte - 2009
VI. Conclusions : quel avenir pour la société de la shôshika ? La dialectique entre l’individu et la
société relancée grâce à une fenêtre d’opportunités
finalement d’identité ? La dialectique entre bonheur individuel et
intérêt général appliquée au Japon
Grâce à cette enquête, on s’aperçoit clairement que les étudiants de l’Université de Mie
font partie de la nouvelle génération, une génération charnière pour le Japon. Leurs mères
ont en majorité démissionné pour les élever, et ont généralement repris un emploi à temps
partiel une fois qu’ils ont grandi. Mais eux-mêmes semblent vouloir adopter une démarche
différente : les filles veulent continuer de travailler et jouir des aménagements législatifs mis
en place pour les aider à élever leurs enfants tout en travaillant ; les garçons souhaitent
s’investir dans la vie de leur foyer, surtout en ce qui concerne l’éducation de leurs enfants,
qui n’a plus rien de « dévirilisant » comme on a pu le lire chez Anne Garrigue. Néanmoins,
l’évolution des mentalités semble moins claire chez les garçons, encore réticents à l’idée que
leur femme travaille à temps plein tout en élevant leurs enfants. En fait, leurs mères croyaient
peut-être encore à la démission, la génération qui les a suivies aurait voulu faire autrement
mais n’a pas eu les outils juridiques ou sociaux nécessaires, la nouvelle génération,
celles des étudiants, semble plus volontaire, mais aura encore bien des obstacles à lever,
notamment sociaux. Nous aimerions faire un parallèle entre la génération des jeunes de
mai 1968 en France et celle des jeunes d’aujourd’hui au Japon. La société doit changer,
mais avant que ce changement soit accepté, une ou deux générations doivent le mener et
l’encourager. On a vu les successions d’étapes au cours de la deuxième moitié du XXème
siècle.
En ce début de XXIème, le Gouvernement a une réelle ambition pour changer la
société. La crise économique les y pousse. Reste que si le gouvernement et les citoyens
ont des intérêts différents, aujourd’hui leurs buts semblent s’accorder, on est dans une
« fenêtre d’opportunités » comme décrite par Tiana Norgren. C’est maintenant qu’il faut
changer les choses, plutôt que de remettre à la génération suivante les revendications
que les précédentes avaient mises à jour sans oser les mettre en application. Aujourd’hui,
les jeunes Japonais sont mal à l’aise : ils savent vers quelle société tendre, mais ils ne
savent pas par quels moyens y parvenir. Les jeunes de mai 1968 en France se sont fait
violence : un tel événement est-il impensable par les jeunes Japonais ? S’ils choisissent
de laisser faire le temps et la succession des générations par des moyens moins directs,
qui prendront alors sans doute plus de temps, ils risquent de se heurter à l’urgence de
la diminution de la population qui les presse, doublée de la crise économique qui affaiblit
d’autant plus leur dynamisme. Il faut des pionniers au Japon pour faire bouger le front du
blocage des mentalités, d’une crise d’identité qui ne gangrène pas le pays seulement sur le
plan démographique, mais comme on s’est efforcé de le montrer, sur le plan économique
et social. La lourdeur collective pèse sur chaque individu : il faudrait au Japon une avancée
de l’individualisme, non pas tel que certains l’ont interprété, en égoïsme. C’est la leçon du
libéralisme politique : si chacun recherche le bonheur, il ne menace pas le groupe car c’est
toute la société qui tend vers le bonheur. Le dénouement de la crise de la fécondité, de
la parentalité, d’identité est un appel à la recherche du bonheur, pas seulement matériel
comme le dénigrent certains auteurs qui accusent l’individualisme de tous les maux du
Japon. Pour faire des enfants, vivons heureux. Pour vivre heureux, faisons-nous violence et
revendiquons un meilleur work-life balance en sortant de l’inertie et la léthargie du groupe,
pour le bien individuel mais finalement l’intérêt général. Force est néanmoins de constater
que mai 68 avait été motivé par des jeunes en pleine croissance économique, que le
chômage ne touchait pas, et qui voulaient véritablement changer le monde. Du point de
vue économique, les jeunes japonais s’inquiètent pour leur avenir, avec la crise financière
dont certains décrivent l’origine dans la crise démographique japonaise et l’excès d’épargne
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127
La crise de la fécondité au Japon
ainsi amassé. Enfin, on peut se demander quel est leur degré de motivation face à un projet
aussi ambitieux que de changer les mentalités vers plus d’égalité.
128
Dubois Charlotte - 2009
Annexes
Annexes
Les conséquences multiples de la crise de la
fécondité
Shimizu, 2004 p.18
L’inversion du rapport hommes-femmes
Dubois Charlotte - 2009
129
La crise de la fécondité au Japon
Jolivet, 2000 p.388-389.
Sada Masahi (chanteur et compositeur)
Le manifeste du mari despotique, 1979
Avant de te prendre pour épouse, j’ai plusieurs choses à te dire.
Même si cela peut te paraître dur, écoute bien le fond de ma pensée…
Il n’est pas question que tu te couches avant moi, ni que tu te lèves après moi !
Fais-moi de bons petits plats et sois toujours impeccable,
Enfin, fais de ton mieux…
Mais surtout n’oublie pas que pour entretenir sa famille,
Un homme doit pouvoir s’investir dans son travail.
Il y a tant de choses que toi seules peux accomplir,
Ceci mis à part, ne la ramène pas et suis-moi !
Occupe-toi aussi bien de mes parents que des tiens ;
Sache y faire avec ma mère et ma sœur.
Au fond, rien de bien sorcier, applique-toi à les aimer…
Reste à l’abri des commérages, ne sois pas jalouse pour un rien,
Je ne te tromperais pas, du moins je ne le pense pas,
Sait-on jamais mais enfin, arme-toi quand même, si ça devait arriver…
Le bonheur se construit à deux
Sans qu’un des deux doive nécessairement s’immoler pour l’autre.
De toute manière, puisque tu quittes ta famille pour m’épouser,
Dis-toi bien que tu n’as plus nulle part ailleurs où aller ;
Et que c’est moi qui suis désormais ta seule et unique famille…
Une fois que les enfants seront élevés et qu’on aura pris de l’âge,
Ne t’avise surtout pas de mourir avant moi, ne serait-ce qu’un seul jour avant.
Je ne te demande rient d’autre que de prendre ma main et de verser quelques larmes
Et je te dirai alors que tu as illuminé ma vie…
Je suis sûr et certain de te le dire,
Car surtout n’oublie pas que c’est toi que j’aime,
Et que je n’airai aimé que toi…
N’oublie jamais que c’est toi que j’aime, toi seule et pour la vie…
Le manifeste du despote destitué, 1994
Je t’ai prise pour épouse et j’ai plein de petites choses à te dire,
Ecoute quand même le fond de ma pensée, même si ce n’est pas très amusant.
Tu peux coucher avant moi, mais laisse-moi au moins de quoi becqueter,
Parce que c’est quand même plutôt tristounet
130
Dubois Charlotte - 2009
Annexes
D’en être toujours réduit à partager avec le chien le curry de la veille,
Qu’on se réchauffe tous les deux au micro-ondes
Tant pis si tu as « oublié » tout ce que je t’avais dit…
Mais même si je ne fais pas d’étincelles,
J’ai fait tout mon possible, dans la mesure de mes moyens.
J’ai fait tout ce que je pouvais, de mon mieux…
Tu dis en secret aux enfants
De ne pas ressembler plus tard à leur père,
Et je sais bien que tu t’endors dès que tu as le ventre plein,
Ou aussitôt après avoir regardé tous les potins à la télé
A moins que tu ne repiques après avoir papoté avec les rombières du quartier
Je me demande parfois comment tu arrives encore à dormir la nuit
Au lieu de perdre ton temps à faire des régimes ou à te peser,
Si tu tiens vraiment à maigrir, tu ferais mieux de moins manger
Ou de te secouer un peu, en allant faire les courses à pied
Au lieu de te faire tout livrer à domicile
Tu as sans doute des reproches à me faire,
N’empêche qu’on a rudement bien fait de fonder un foyer ensemble
Pour que toi et les enfants ayez toujours le sourire,
Je suis prêt à me battre sur-le-champ de bataille qu’est le travail.
Même s’il y a des bonnes âmes pour avoir pitié de moi,
Quand elles me voient partir le matin ma carte d’abonnement dans la main droite,
Et le sac d’ordures biodégradables dans la main gauche…
N’empêche que j’y trouve mon compte…
Je te jure que je suis prêt à m’immoler pour votre bonheur.
Surtout ne doute pas de ma sincérité, car je le pense du fond du cœur…
On ne peut pas toujours faire ce qu’on veut dans la vie,
Mais même si je suis un peu maladroit, je fais tout ce que je peux…
Après ma mort, à l’occasion d’un petit ennui,
Tu repenseras à moi, ne serait-ce qu’un tout petit peu, et ça me remplira de joie…
Courage, courage, soyons courageux !
Le questionnaire distribué aux élèves de l’Université
de Mie, version japonaise
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131
La crise de la fécondité au Japon
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Annexes
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Dubois Charlotte - 2009
133
La crise de la fécondité au Japon
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ESAKA Akira et MOROI Kaoru, « L’horizon s’assombrit pour les employés »
KIMURA Yôko, « Les retraites et la femme active »
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enfants du baby-boom seront vieux »
OKIFUJI Noriko, « Comment faire face au veillissement de la population »
SUMIKO Iwao, introduction
YASHIRO Naohiro, « L’économie du mariage » et « Eliminer les obstacles
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YURIKO Ashino, « Les droits liés à la procréation : le point de vue d’une femme », Les
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FUNABASHI Keiko, 1999, « La place des enfants dans la société »
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Conférences
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japonaise), organisée par le Centre d’Orientation sur les Carrières de l’université et le
Réseau d’Aide pour l’Education de la Nouvelle Génération de Mie. Intervention de :
MAEDA Mitsuhisa, directeur de l’entreprise Asahi Denshi
SUZUKI Satomi, membre de la section sur l’Egalité devant l’emploi du Bureau du
Travail de la Préfecture de Mie
Dans le cadre du Séminaire Franco-japonais du 3 et 4 novembre 2007 à l’Université
de Nagoya « La mondialisation en France et au Japon : identités nationales, genres,
rapports salariaux »,
MATSUMOTO Isako, « Réflexion sur le concept du ‘work life balance’, pour la
construction de l’individu et de la société du XXIème siècle »
NAKAJIMA Satoko, « L’avenir des ‘femmes aux foyers à haut niveau d’études’ dans le
contexte de la mondialisation »
Compte rendu de la conférence donnée dans le cadre de la fête du Japon du Lycée
Ampère, à Lyon, le 28 mars 2008
SHIMAMORI Reiko, « Le statut de la femme japonaise à travers quelques expressions
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