Là où le bât blesse

Transcription

Là où le bât blesse
Prévoyance
Gestion des risques
Là où le bât blesse
Les caisses de pensions
suisses taillent-elles
leur allocation d’actifs
à la mesure de leur
profil de risque? Rien
n’est moins sûr.
P
our tout investisseur, la réflexion
première consiste en principe à
définir son profil de risque, puis à
faire en sorte qu’il soit en adéquation avec les actifs en portefeuille.
En toute bonne logique, on s’attendrait donc à ce qu’une caisse de pensions
dont la capacité à prendre des risques est
élevée détienne davantage d’actifs risqués
qu’une autre institution moins bien lotie.
Etonnamment, les quelques analyses
effectuées sur le sujet semblent démentir
cette logique. Une étude réalisée en 2013*
a ainsi posé ce constat surprenant: de
l’analyse d’un échantillon de 195 caisses
de pensions fourni par l’Autorité de surveillance LPP et des fondations de Suisse
occidentale (AS-SO), il ressort une absence
quasi totale de corrélation entre la part
Il y a une
absence
quasi totale
de corrélation
entre la part
allouée aux
actifs risqués
et la capacité
des caisses à
prendre des
risques.
* Travail de mémoire présenté par un collaborateur-stagiaire de Synopsis, sur lequel est revenu le Think Tank Synopsis organisé en collaboration avec la faculté des HEC de l’Université de Lausanne en septembre 2014
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Février 2015 · BANCO
Le magazine suisse de l’asset management
EXTRAIT DE BANCO N° 85 - FÉVRIER 2015
Jacques-André Monnier
CEO
Synopsis Asset Management SA
DÉPENDANCE DE L’ALLOCATION EN ACTIONS DES CAISSES ROMANDES
PAR RAPPORT À LEUR PROFIL DE RISQUE…...
(échantillon de 195 caisses de pensions sans garantie d’Etat)
... par rapport au risque de financement
50%
40%
40%
20%
10%
0%
0
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
30%
Sources: AS-SO & Synopsis Asset Management
30%
Allocation en actions
50%
Sources: AS-SO & Synopsis Asset Management
Allocation en actions
... par rapport au risque structurel
20%
10%
0%
70%
80%
Rapport entre assurés actifs et bénéficiaires
allouée aux actifs risqués et la capacité
des institutions à prendre des risques.
Deux types de risques,
pas de corrélation
L’appréciation de la disposition au risque
est illustrée par deux métriques de risques
complémentaires, probablement les plus
importantes: le rapport entre assurés actifs
et rentiers (risque structurel) et le taux de
couverture économique (risque financier).
La dépendance de l’allocation d’actifs par
rapport à ces deux variables est exprimée
par une courbe de tendance.
S’agissant du risque structurel, plus
les assurés d’une institution sont jeunes,
plus son horizon-temps est important et
plus sa capacité à prendre des risques
est élevée. En principe, nous devrions
donc observer une relation positive
entre le ratio actifs/rentiers et la part
allouée aux actions. Pourtant, à regarder
les caisses de pensions romandes, il
n’en est rien (voir graphique de gauche).
S’agissant du risque financier maintenant, plus le taux de couverture d’une
institution est élevé (et supérieur à
100%), plus elle dispose de réserves
pour amortir les chocs boursiers et plus
sa capacité à prendre des risques est
donc élevée. Encore une fois, selon nos
observations des caisses romandes, bien
qu’une pente positive se dessine, elle
est trop faible pour conclure un lien de
cause à effet entre ces deux variables
(voir graphique de droite).
Alors que ces données dressent un
tableau qui concerne les caisses de pensions
de Suisse occidentale, les échos de divers
acteurs du 2e pilier suggèrent que les mêmes
constats valent sur le plan national.
Changer de logique
Pourquoi cet illogisme? L’explication la
plus crédible réside sans doute dans le
manque d’outils, et de bonnes pratiques,
susceptibles d’établir une adéquation entre
disposition effective au risque et allocation
d’actifs. L’usage veut que l’ALM (Asset Liability Management) remplisse cette mission.
Pourtant, cet instrument, aussi sophistiqué
soit-il, intègre une composante statistique
90%
100%
110%
très fragile: l’espérance de rendement des
actifs à moyen/long terme. Celle-ci intervient dans la détermination de la réserve de
fluctuations de valeurs. Or, cette réserve représente précisément la métrique de “risque
de financement” présentée ci-dessus. CQFD.
Autre élément d’explication, peut-être
moins probant, mais d’actualité: la qualification du risque rattaché à chaque véhicule de placement. Par le passé, les actifs
étaient classés de la manière suivante, du
moins au plus risqué: liquidités, obligations,
immobilier, actions, placements alternatifs.
Cette hiérarchie est-elle toujours valable
aujourd’hui? A supposer que nous soyons
à l’aube d’une japonisation des économies
matures et que les taux d’intérêts doivent
rester durablement bas (pour ne pas dire
négatifs), ne devrions-nous pas requalifier
les notions de risque attachées aux véhicules
de placement?
La question mériterait certainement
d’être posée, dès lors que le risque premier
et ultime de la caisse de pensions est bel
et bien de ne plus pouvoir faire face à ses
engagements sur le long terme.
BANCO · Février 2015
Le magazine suisse de l’asset management
120%
Risque de financement (taux de couverture)
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EXTRAIT DE BANCO N° 85 - FÉVRIER 2015