l`acte anormal de gestion et l`abus de bien social

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l`acte anormal de gestion et l`abus de bien social
L’ACTE ANORMAL DE
GESTION
ET
L’ABUS DE BIEN SOCIAL
Mémoire présenté par Sana DEGDEG
L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
SOMMAIRE
INTRODUCTION…………………………………………………………………………………….
Page 7
1ère Partie - La préservation commune d’une notion protéiforme :
l’intérêt social……………………………………………………………………………………….
Page 11
Section 1 – La défense analogue de l’intérêt social……………………………….
Page 11
I.
Les fondements de l’acte anormal de gestion et l’abus de
bien social………………………………………………………………………….
II.
Page 11
Les mécanismes de l’acte anormal de gestion et de l’abus
de bien social……………………………………………………………………..
Section 2 – Le caractère central et controversé de l’intérêt social………
Page 18
Page 24
I.
La compréhension de l’intérêt social…………………………………
Page 24
II.
Les carences de l’intérêt social………………………………………….
Page 31
2ème Partie – L’irrémédiable dissension entre les visions fiscaliste et
pénaliste de l’intérêt social…………………………………………………………………
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Section 1 – Une appréciation discordante de l’intérêt social : le réalisme
fiscal face au moralisme pénal……………………………………………………………..
I.
Illicéité et intérêt social : la conception amorale du droit
fiscal…………………………………………………………………………………..
II.
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Page 40
Sociétés de groupe et intérêt social : la conception
objective du droit fiscal………………………………………………………
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Section 2 – Une divergence de solution devant l’atteinte à l’intérêt
social : l’approche financière du droit fiscal face à l’approche punitive
du droit pénal……………………………………………………………………………………….
Page 54
I.
La recherche de l’atteinte à l’intérêt social………………………
Page 54
II.
Les solutions disparates de l’atteinte……………………………….
Page 59
CONCLUSION……………………………………………………………………………………….
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS
C.com
Code de commerce
CE Sous-sect.
Arrêt de sous-section du Conseil d’État
Chron.
Chronique
CGI
Code général des impôts
CP
Code pénal
CPC
Code de procédure civile
CPP
Code de procédure pénale
Dr. Et patr.
Revue Droit et Patrimoine
Dr. Fisc.
Revue de Droit Fiscal
Gaz. Pal.
Gazette du Palais
LPF
Livre des procédures fiscales
PA
Les Petites Affiches
Rep. Min.
Réponse ministérielle
Req.
Requête
RJF
Revue de jurisprudence fiscale
RTDCom
Revue Trimestrielle de Droit Commercial
SA
Société anonyme
TA
Jugement du Tribunal administratif
Trib. Corr
Jugement du Tribunal correctionnel
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
« L’excès de liberté ne peut tourner qu’en excès de servitude pour un
particulier aussi bien que pour un État. »
Platon, La République
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
INTRODUCTION
L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social sont des barrières à l’excès des dirigeants dans
la gestion de leur exploitation. L’étude concomitante de ces deux notions issues de deux matières
différentes apparait délicate au regard du flou entourant leur définition. De prime abord, un
certain nombre d’éléments laisseraient penser que l’acte anormal de gestion et l’abus de bien
social sont deux notions gémellaires1, deux binômes obéissant aux mêmes finalités. Si elle est
hâtive, cette position n’en est pas moins intéressante en ce qu’elle permet de remarquer la
similitude des deux notions qui semblent en effet très voisines.
D’une part, l’abus de bien social est défini par les articles L. 241-3 à 242-6 C.com. comme étant le
fait pour « le président, les administrateurs ou les directeurs généraux […] de faire, de mauvaise
foi, des biens ou du crédit de la société, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des
fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés
directement ou indirectement ». Il s’agit donc d’un abus ayant eu pour conséquence d’enrichir les
dirigeants au détriment de la société et que le code de commerce puni de cinq ans
d’emprisonnement et d’une amende de 375 000 euros. Cette atteinte au patrimoine social
semble trouver un parallèle intéressant dans la définition de l’acte anormal de gestion.
Cette théorie a de son côté été synthétisée par un auteur comme étant : « une dépense exposée
au nom de l’entreprise dans l’intérêt plus ou moins direct d’un tiers ou d’une partie liée »2 et qui
conduit l’administration fiscale à lui refuser le bénéfice de la loi fiscale de déduction. La similitude
est frappante puisque les deux notions tendent chacune à corriger l’atteinte au patrimoine social
réalisée au profit d’un tiers. Cependant, à ce stade il est déjà aisé de constater que l’une et l’autre
de ces notions n’usent pas des mêmes outils pour corriger l’appauvrissement irrégulier de la
société : l’abus de bien social est en effet sanctionné par une amende et une peine de prison alors
que la théorie de l’acte anormal de gestion conduit à des conséquences purement fiscales. De
plus, plusieurs questions demeurent : pour quelles raisons l’acte anormal de gestion qui est une
notion fiscale n’entraine-t-il pas automatiquement des poursuites pénales pour abus de bien
social ? Et inversement, pourquoi la condamnation d’un dirigeant pour abus de bien social
1
MEDINA (A.), Abus de biens sociaux : prévention, détection, poursuite, DALLOZ, 2001, p. 84 : « l’acte anormal de
gestion est au droit fiscal ce que l’abus de bien social est au droit des sociétés »
2
GOUYET (R.), La théorie de l’acte anormal de gestion, PA.2000, n° 225, p. 4
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
n’engendre pas automatiquement un redressement fiscal pour acte anormal de gestion ?1 Ces
divers points conduisent donc à écarter l’idée d’une similitude parfaite.
Pour autant, ce constat ne doit pas amener à penser que l’acte anormal de gestion et l’abus de
bien social sont finalement divergents. Cette position semble également excessive puisque bien
malgré elles, ces deux notions tendent à protéger l’intérêt de la société contre des dépenses
irrégulières. Toutefois, si l’abus de bien social conduit à sanctionner personnellement les auteurs
de l’atteinte, la réponse de l’administration fiscale est plus nuancée. Loin de sanctionner les
responsables de l’anormalité, elle procède à une correction fiscale des comptes. Cette réserve de
l’administration fiscale s’explique par le caractère économique de sa mission qui s’avère éloignée
des considérations morales du droit pénal et qui témoigne de la dissemblance des deux notions.
Cependant, les différences bien que présentes ne peuvent conduire à conclure à la divergence
totale de l’acte anormal de gestion et de l’abus de bien social. Bien que rattachées à des matières
fondamentalement éloignées (le droit fiscal et le droit pénal), elles demeurent voisines en ce
qu’elles touchent à un même thème : l’intérêt supérieur de la société.
En examinant de plus près la définition de l’abus de bien social, il apparait sans nul doute
que l’intérêt social est le critère fondateur de la définition donnée par le Code de commerce :
« […] un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci […] » précise le législateur qui fait de
l’intérêt social un des éléments constitutifs du délit. A l’inverse, concernant l’acte anormal de
gestion, le rôle et l’utilisation de l’intérêt social est plus subtile. La principale raison de cette
complexité est que la théorie de l’acte anormal de gestion est une construction purement
prétorienne, élaborée en réaction à des excès prenant appui sur la loi fiscale de déduction. En
effet, l’administration fiscale n’est autorisée à imposer que le bénéfice net des entreprises (art. 38
CGI2), déduction faite des dépenses réalisées dans le but de conserver le revenu. Un grand
nombre de ces « frais déductibles » est énuméré à l’article 39 CGI et est regroupé en trois
catégories : les frais généraux, les amortissements et les provisions3. Cependant, beaucoup
d’entrepreneurs sont tentés de déduire de leur bénéfice brut (et donc, leur assiette d’imposition)
un certain nombre de dépenses inutiles pour l’entreprise voire même contraires à l’intérêt de
celle-ci. A travers ces manœuvres, l’administration fiscale souffre d’un manque à gagner
1
ème
COZIAN (M.), Les grands principes de la fiscalité des entreprises, LITEC, 1999, 4 éd., p. 100 : « On peut poser comme
postulat qu’un acte sanctionné sur le plan juridique comme contraire à l’intérêt social constitue par la même un acte
anormal de gestion et qu’à l’inverse un acte qualifié d’anormal sur le plan fiscal implique qu’il soit contraire à l’intérêt
social. Mais il n’y a pas nécessairement concordance entre les deux notions ».
2
Art. 38 1° CGI : « Sous réserve des dispositions des articles 33 ter, 40 à 43 bis et 151 sexies, le bénéfice imposable est le
bénéfice net, déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises,
y compris notamment les cessions d’éléments quelconques de l’actif, soit en cours, soit en fin d’exploitation »
3
RIPERT (G.) et ROBLOT (R.), Traité de droit commercial, T.3, LGDJ, 1998, p. 317
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
important, mais n’ayant pas pour mission de contrôler la gestion des entreprises1, la recherche
d’une solution n’était pas aisée. Le Conseil d’État décida donc d’élaborer une théorie tendant à
protéger l’administration fiscale de ce que M. Cozian appelait des « évaporations financières »2
tout en ménageant la liberté de gestion des commerçants. Les juges décidèrent donc de ne
tolérer en déduction de l’assiette d’imposition que les actes concourant à la gestion normale de
l’entreprise. À défaut, les actes sont « anormaux » et l’administration fiscale est en droit de les
réintégrer dans l’assiette d’imposition. Et afin de déterminer le caractère normal ou anormal d’un
acte, les juges utilisèrent la notion controversée d’intérêt social : une gestion normale doit être
conforme à celui-ci. À l’instar de l’abus de bien social, cette notion joue donc un rôle central et
force est de constater qu’elle constitue le point de ralliement des deux définitions. Cependant, si
l’intérêt social constitue le socle commun des deux notions, elle n’en demeure pas moins fragile.
Qualifié « d’indéfinissable» par un auteur3, l’intérêt social est un instrument essentiel du droit des
affaires comme l’illustre son rôle au sein de la théorie de l’acte anormal de gestion. En effet, bien
plus qu’une simple notion théorique, il s’agit là d’un véritable outil de régulation mis à la
disposition « d’une certaine police des sociétés »4, un instrument qui légitime l’intrusion des juges
dans la gestion sociale d’une entreprise, domaine jusque là jalousement protégé. Mais en dépit de
l’utilisation inventive de l’intérêt social, sa définition ne cesse de nourrir de nombreux débats
entre les différents auteurs qui ne s’accordent que sur une chose : son caractère incertain.
Cette incertitude favorise une insécurité juridique qui détonne avec le nombre important de
contentieux en ces matières. Selon les statistiques du ministère de la Justice, les condamnations
pour gestion et comptabilité délictueuses s’élèvent à 547 en 2006 et 495 de ces affaires étaient
relatives à un abus de bien social, soit plus de 90% d’entre elles5. De son côté, l’acte anormal de
gestion est réputé être « le premier risque fiscal pour l’entreprise »6. La nécessité d’une
détermination des contours de l’acte anormal de gestion et de l’abus de bien social constitue un
enjeu important en ce qu’elle permet de mieux cerner les deux principaux écueils dans la
direction d’une société
1
ème
COZIAN (M.), Les grands principes de la fiscalité des entreprises, LITEC, 1999, 4 éd., p. 92 : « l’administration n’est
pas un contrôleur de gestion ; de là découle le principe de non-immixtion dans la gestion des entreprises »
2
ème
COZIAN (M.), Les grands principes de la fiscalité des entreprises, LITEC, 1999, 4 éd., p. 92
3
LEJEUNE (F.), Cautionnement des SCI : le faux critère de l’intérêt social, Dr. Et patrimoine, 1996, p. 60
4
SCHAPIRA (J.), L’intérêt social et le fonctionnement de la société anonyme, RTDCom.1971, p. 970 : « en réalité, l’intérêt
social est un instrument souple et pratique, utilisé en jurisprudence en vue d’une certaine police des sociétés.
L’institution qu’il nous rappelle le plus est celle de la « cause » dans les contrats ».
5
Annuaire statistique de la Justice, éd. 2008, p. 191
6
BUR (C.), L’acte anormal de gestion ou le premier risque fiscal pour l’entreprise, EFE, 1999, 486 p.
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
Dès lors, peut-on considérer que l’intérêt social constitue un solide point d’ancrage de l’acte
anormal de gestion et de l’abus de bien social, qu’il transcende leurs différences ?
Si l’intérêt social joue un rôle central au sein de ces deux notions, il n’en demeure pas moins une
notion protéiforme et insaisissable recouvrant plusieurs réalités (1ère partie) ; cette fragilité
intrinsèque ne peut donc qu’être accentuée par l’inévitable dissension entre les visions fiscaliste
et pénaliste de l’intérêt social (2ème partie).
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
1ère partie
La préservation commune d’une notion protéiforme :
l’intérêt social
Malgré les difficultés rencontrées afin d’en déterminer les contours, la notion d’intérêt
social s’impose clairement comme l’outil de mesure de la normalité. Cet instrument permet de
veiller à ce que les actes déductibles n’ont pas été accomplis « dans un intérêt autre que celui de
l’entreprise qui en supporte les conséquences »1. (Section 1). Pourtant, aussi fondatrice et
commune soit-elle, cette notion d’intérêt social est fragile et protéiforme et suscite débats et
interrogations au sein de la doctrine (Section 2).
Section 1 : La défense analogue de l’intérêt social
Le délit d’abus de bien social est une notion qui a vu le jour au début d’un XXème siècle secoué par
des scandales politico-financiers. Il s’agissait alors de lutter contre les agissements de dirigeants
sociaux peu scrupuleux qui pillaient les biens de la société à des fins personnelles et au détriment
d’épargnants. Au fil du temps, la notion d’intérêt des actionnaires ou associés a laissé place à la
notion d’intérêt social (I.). Cette défense de l’intérêt social inspirera par la suite les juges fiscaux
qui élaborèrent la théorie de l’acte anormal de gestion mais qui n’en firent pas le même usage
(II.).
I.
Les fondements de l’acte anormal de gestion et de l’abus de bien
social
« Le concept d’acte anormal de gestion est le fruit de l’acclimatation ou de la transplantation en
droit fiscal du concept commercial d’acte non conforme à l’intérêt social »2. L’inspiration de la
théorie de l’acte anormal de gestion est donc claire : elle emprunte largement à l’abus de bien
social en ce qui concerne ses fondements historiques (A.), mais elle fera preuve d’une grande
autonomie s’agissant de ses fondements théoriques (B.).
1
GOUYET (R.), La théorie de l’acte anormal de gestion, PA.2000, n° 225, p. 4
2
RACINE (P.-F.) concl. Sous CE, 27 juillet 1984, SA Renfort service : Dr. Fisc. 1985, n° 11, comm. 596
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
A. Un fondement historique commun : la lutte contre l’évasion financière
1) L’origine légale de l’abus de bien social
a) L’abandon de la théorie du mandat social et de l’abus de confiance
Il convient de préciser à titre liminaire, que le début du XXème siècle est marqué par une
effervescence financière inconnue jusqu’alors, prompte à toutes les dérives. Pourtant, face aux
agissements délictueux de dirigeants sociaux, les juges se contentaient d’appliquer l’incrimination
d’abus de confiance bien connue depuis 17911.
L’abus de confiance, se définissait alors comme le détournement de la chose remise à titre
précaire et en violation d’un des contrats limitativement énumérés par l’ancien article 408 C.
pén.2. Le contrat de société ne faisant pas partie de cette liste et les juges utilisaient donc la
notion de mandat social pour sanctionner les dirigeants sociaux coupables d’abus. Partant du
postulat que les dirigeants sociaux étaient investis d’un mandat général par les associés ou
actionnaires, le détournement des biens de la société équivalait à une violation, constitutive d’un
abus de confiance.
Si ce mode de répression ignorait encore la notion d’intérêt social, elle avait toutefois le mérite de
mettre l’accent sur la protection des actionnaires et associés. Pourtant, elle s’est vite révélée
insuffisante pour deux raisons essentielles : d’une part les peines infligées étaient minimes
comparativement à d’autres délits3 et d’autre part, des scandales politico-financiers vont
profondément ébranler la société française et précipiter l’apparition d’un délit autonome.
b) La tentative de moralisation du droit des sociétés
La France de l’entre-deux guerre connait tour à tour une phase d’euphorie économique
inégalée et le spectacle d’un effondrement boursier aussi violent qu’inattendu. L’éclatement de la
bulle spéculative en 1929 fut le théâtre de révélations médiatiques sur des dérives spéculatives
mettant en cause des personnalités politiques d’importance.
1
MASCALA (C.), Abus de confiance, Rép. Pén., DALLOZ, oct. 2003, p. 2 : « Le code pénal de 1791 distingue pour la
première fois trois infractions autonomes : le vol, l’escroquerie et l’abus de confiance […]».
2
Cet article dressait une liste des différents contrats pouvant donner lieu à un abus de confiance : dépôt, louage,
mandat, prêt, nantissement, travail salarié et non salarié. En dehors de ces sept cas, l’abus de confiance ne pouvait pas
être constitué. Le nouveau code pénal de 1994 a supprimé cette liste (art. 314-1 C.pén.), mettant ainsi un terme à
l’important contentieux découlant de la qualification des contrats ayant donné lieu à l’abus.
3
BOULOC (B.), Abus de biens sociaux, Rép. Pén., DALLOZ, janv. 2009, p. 2 : deux mois à deux ans d’emprisonnement
pour l’abus de confiance alors que l’escroquerie était punissable de six mois à cinq ans.
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
Trois grandes affaires marquèrent particulièrement les esprits et déclenchèrent une crise
politique, financière et sociale sans précédent : l’affaire Hanau en 19281, l’affaire Oustric en
19292, et enfin un scandale qui vient achever de détruire les derniers espoirs d’un système à
l’agonie : l’affaire Stavisky3. Ces trois scandales ont prit une tournure politique lorsque le Canard
Enchainé découvrit l’implication active de ministres, de magistrats, de journalistes et surtout de
parlementaires qui s’employaient à étouffer les poursuites judiciaires des escrocs voire même à se
porter garants de leur sérieux auprès des victimes.
Ces scandales furent le détonateur de la chute de plusieurs gouvernements4, de l’émeute
antiparlementaire du 6 février 1934 et surtout d’une prise de conscience générale sur la
dimension morale du monde des affaires. Au cœur de l’indignation générale, le sénateur Lesaché
déposa une proposition de loi en 19325 comportant des dispositions qui donneront naissance au
décret-loi du 8 août 1935. Ce décret-loi introduit le délit d’abus de bien social au sein des sociétés
anonymes qu’il déclare punissable des mêmes peines que l’escroquerie6. Lors de l’élaboration du
projet de loi sur les sociétés commerciales au début des années 60, de nombreux auteurs
commercialistes militèrent pour un assouplissement du délit, notamment par le recours aux
sanctions civiles, mais la loi qui s’ensuivie du 24 juillet 19667 ne précise pas la définition de l’abus
de bien social qui continue de susciter de nombreuses questions notamment sur ce qu’il faut
entendre par « intérêt de la société ». C’est pourtant cette notion qui inspirera le juge fiscal dans
l’élaboration de la théorie de l’acte anormal de gestion.
2) L’origine largement prétorienne de l’acte anormal de gestion
a) Les raisons de l’élaboration de la notion : les données du problème
Fidèle à la tradition largement prétorienne du droit fiscal, l’acte anormal de gestion a pour partie
été élaborée par le Conseil d’État au milieu du XXème siècle. Un arrêt du 7 juillet 19588 est
habituellement considéré comme le point de départ de cette théorie qui est venue pallier
1
Une femme d’affaires dénommée Marthe Hanau est arrêtée et soupçonnée d’escroquerie et d’abus de confiance sur
de petits épargnants.
2
Les médias révèlent une seconde affaire pointant du doigt les opérations frauduleuses d’un banquier bien connu de la
place parisienne, Albert Oustric. Ce dernier est accusé de banqueroute et d’opérations irrégulières ayant ruiné des
milliers de particuliers.
3
Alexandre Stavisky est accusé d’émettre de faux bons pour garantir les prêts sur gage du Crédit municipal de Bayonne.
Ces produits financiers étaient ensuite achetés par des compagnies d’assurance ainsi que des institutions qui se sont
retrouvés lésées lorsque l’escroquerie fut mise à jour.
4
Le Cabinet Tardieu suite à l’affaire Oustric et le cabinet Daladier consécutivement au scandale Stavisky
5
BOULOC (B.), Abus de biens sociaux, Rép. Pén., DALLOZ, 2009, p. 2
6
Le 30 octobre de la même année un second décret-loi étend le délit aux sociétés à responsabilité limitée.
7
Loi n° 66-537 sur les sociétés commerciales
8
ème
CE, 8 sous-sect. 7 juillet 1958, n° 35.977, Dr. Fisc. 1958, n° 44, comm. DUPONT, p. 938
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
l’absence de moyens de l’administration fiscale face à ces « évaporations financières »1 fort
dommageables pour elle et donc pour les contribuables.
Au regard des articles 38 et 39 CGI, l’exploitant est en effet autorisé à déduire de son bénéfice les
frais qu’il engage pour le fonctionnement de son entreprise. Cette règle apparait logique puisque
ces dépenses visent à préserver le bénéfice et sont réalisées dans l’intérêt de l’entreprise.
Pourtant, certains chef d’entreprise abusent de ce droit soit en élaborant des montages juridiques
faussement réguliers en vue de minorer la base d’imposition, soit en tentant de faire déduire des
actes réguliers, mais qui n’ont pas eu pour finalité de préserver le bénéfice de l’entreprise2.
Certes, le législateur interdit la déduction fiscale de certaines dépenses qui sont généralement
appelés « les actes anormaux de gestion par détermination de la loi » : les dépenses somptuaires
(art. 39-4 CGI), les rémunérations excessives (art. 39-1-1° CGI) et les transferts indirects de
bénéfices (art. 57 et 238 bis A CGI). Mais ces trois cas se sont vite révélés lacunaires au regard de
certaines opérations telles que les abandons de créance au profit d’un tiers, les prêts sans intérêts
ou les charges exposées au profit des membres de l’entreprise.
De plus, la nécessité de mettre fin à une déduction systématique de toute dépense régulière
conduirait l’administration fiscale à porter un jugement subjectif sur une décision de gestion. Or,
le principe de non-immixtion dans la gestion de l’entreprise s’oppose à un tel contrôle
d’opportunité.
b) La construction prétorienne de la notion : les solutions apportées
Le principe de non-immixtion découle directement de la liberté donnée au chef d’entreprise dans
la gestion de son exploitation. Cette liberté est étendue puisqu’elle autorise le dirigeant à prendre
des décisions qui ne sont pas nécessairement lucratives, telles que des opérations fiscalement
optimales3, la commission d’erreurs de gestion4 ou même le fait de ne pas tirer un maximum de
profit de ses choix5. Ces politiques conduisent à une perte de revenu pour l’entreprise (et donc
pour l’administration fiscale), pour autant, ils relèvent de la liberté de gestion et ne peuvent être
1
ème
COZIAN (M.), Les grands principes de la fiscalité des entreprises, LITEC, 1999, 4 éd., p. 92
Si la première hypothèse est sanctionnée par la théorie de l’abus de droit, la seconde éventualité posait quelques
difficultés et ne trouvait pas de réponse.
3
Rép. Min. n° 15.603, JO Déb. AN 20 mars 1971 : « En présence de deux techniques juridiques, dont la finalité est
identique, il est licite d’opérer un choix en fonction de la fiscalité »
4
ème
ème
CE, 7 et 9 sous-sect., 24 avril 1981, req. n° 24638 : Dr. Fisc. 1981, n° 42, comm. 1866, concl. SCHRICKE ; RJF 1981,
n° 6, p. 306 : concernant une exploitation déficitaire et le choix des dirigeants de ne pas augmenter le tarif des
commissions.
5
ème
Illustration, CE, 8
sous-sect. 7 juillet 1958, n° 35977 : Dr. Fisc. 1958, n° 44, comm. DUPONT, p. 938 : « […] le
contribuable, qui n’est jamais tenu de tirer des affaires qu’il traite, le maximum de profit que les circonstances lui
auraient permis de réaliser […] »
2
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
prohibés. L’élaboration d’une théorie visant à refuser la déductibilité de certains actes ne pouvait
donc se fonder sur le critère de la perte de profit.
Mais las de voir des bases d’imposition s’évaporer injustement, la jurisprudence est venue
s’immiscer dans cette liberté de gestion tant nuisible pour la prospérité de l’entreprise et pour
l’administration fiscale. Dans l’arrêt du 7 juillet 1958, elle approuve explicitement l’initiative de
l’administration fiscale qui avait refusé de déduire une dépense qu’elle jugea contraire aux
articles 38 et 39 CGI. Pour la première fois, les juges permettent à l’administration de remettre en
cause les actes ne relevant pas d’une gestion normale car réalisés « dans un intérêt commercial
étranger à l’entreprise »1.
Par une lecture a contrario des articles 38 et 39 CGI, le Conseil d’État a donc doté l’administration
d’un outil de mesure -l’intérêt social-, venant contrebalancer le pouvoir exorbitant accordé au
Fisc. Malgré ces lacunes, la préservation de l’intérêt social apparait central tout comme elle l’est
pour l’abus de bien social.
B. Un fondement théorique commun : la préservation de l’intérêt social
1) La contrariété à l’intérêt social : unique outil de mesure de la
normalité
a) Acte délibérément contraire à l’intérêt social : l’unique critère
Malgré les difficultés rencontrées afin d’en déterminer les contours, la notion d’intérêt
social s’impose clairement comme l’outil de mesure de la normalité. Cet instrument permet donc
de veiller à ce que les actes déductibles n’ont pas été accomplis « dans un intérêt autre que celui
de l’entreprise qui en supporte les conséquences »2.
De façon plus précise, il apparait que la contrariété à l’intérêt social recouvre deux
réalités. La première est celle admise depuis la naissance prétorienne de la théorie : un acte
anormal de gestion est un acte pris délibérément dans l’intérêt d’un tiers ne fournissant aucune
contrepartie à l’entreprise ou une contrepartie minime. La seconde réalité est plus récente
puisqu’elle date de l’arrêt « Loiseau » du 17 octobre 19903 qui vient compléter la définition de
l’acte anormal de gestion en introduisant la notion de « risque manifestement excessif » pour
1
ème
CE, 8
sous-sect., 7 juillet 1958, cf. supra, p. 14
2
GOUYET (R.), La théorie de l’acte anormal de gestion, PA.2000, n° 225, p. 4
3
CE 17 octobre 1990 Loiseau, req. n° 83310, ANNEXE n° 1 : « il [le chef d’entreprise] a excédé manifestement les risques
qu’un chef d’entreprise peut être conduit à prendre pour améliorer les résultats de son exploitation »
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
l’entreprise. Selon cette position, un acte peut être vu comme anormal lorsqu’il fait peser sur
l’entreprise un risque manifestement excessif portant atteinte à son intérêt.
L’élément
intentionnel n’est donc plus un critère.
Dans ces deux versants de la définition, un élément est récurrent : celui de l’appauvrissement
délibéré de l’entreprise qui constitue donc le seul et unique critère de l’acte anormal de gestion.
b) La dimension subjective de des agissements
Pour l’acte anormal de gestion soit constitué, il faut que la violation de l’intérêt social ait été
délibérée. Cet élément intentionnel contraste avec l’apparente objectivité de la notion d’intérêt
social qui ne semble se préoccuper que de l’aspect économique de l’acte. Or, l’exigence d’une
démarche volontaire du chef d’entreprise est malgré tout nécessaire puisqu’elle permet de
différencier la théorie de l’acte anormal de gestion de la notion voisine d’erreur de gestion.
Encore appelée « mauvaise gestion », l’erreur de gestion partage pourtant plusieurs points
communs avec l’acte anormal de gestion : tous deux sont des actes de gestion. Tous deux
conduisent à un appauvrissement de l’entreprise. Mais si une erreur de gestion est toujours
involontaire, un acte anormal de gestion ne peut résulter que d’un choix visant à privilégier un
intérêt autre que celui de l’entreprise. En effet, l’auteur d’une erreur de gestion a eu pour objectif
la préservation de l’intérêt social mais le chemin pris pour y parvenir était erroné. Contrairement
à lui, l’auteur de l’acte anormal de gestion savait que l’acte pris aurait ou aura pour conséquence
un appauvrissement de l’entreprise1.
Il s’agit ici d’une véritable prise en compte de la mauvaise foi de l’auteur de l’acte qui apporte une
dimension subjective à l’utilisation de la notion d’intérêt social. Pour autant, cet élément
intentionnel ne doit pas être entendu de la même façon qu’en droit pénal et doit davantage être
rapprochée de la notion civiliste de « cause subjective »2 plutôt que d’une intention frauduleuse.
2) La contrariété à l’intérêt social : élément matériel du délit d’abus de
bien social
1
GERSCHEL (C.), le principe de non-immixtion en droit des affaires, PA.1995, n° 104, p. 8 : « il y a acte de gestion
anormal lorsque le dirigeant de l’entreprise, au moment où il réalise l’acte, sait ou devrait savoir qu’il s’en suivra un
appauvrissement de son entreprise, qu’il pourrait éviter en ne prenant pas l’acte ».
2
SCHAPIRA (J.), L’intérêt social et le fonctionnement de la société anonyme, RTDCom.1971, p. 970 : « en réalité, l’intérêt
social est un instrument souple et pratique utilisé en jurisprudence en vue d’une certaine police des sociétés.
L’institution qu’elle nous rappelle le plus est celle de la « cause » dans les contrats »
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
a) Agissement délibérément contraire à l’intérêt social : l’un des
critères
Tout comme pour la théorie de l’acte anormal de gestion, la notion d’intérêt social est au centre
du délit d’abus de bien social. Mais contrairement au principe fiscal, le code de commerce fait
clairement référence à l’intérêt social, non pas comme un outil de mesure mais comme un des
critères déterminants du délit1. Au regard de cette définition, la notion d’intérêt social s’impose
donc comme l’élément matériel de l’infraction (un usage abusif des biens de la société qui a porté
atteinte à l’intérêt social), complété par un élément intentionnel (un abus réalisé
intentionnellement, à des fins personnelles).
Plusieurs éléments recoupent ceux de la théorie de l’acte anormal de gestion. Tout d’abord,
l’abus de bien social est un usage abusif des dirigeants sociaux. Il s’agit ici de l’élément matériel
du délit qui implique qu’il soit commis par les organes dirigeants limitativement énumérés. Ce
critère n’est pas officiellement requis pour l’acte anormal de gestion mais l’acte litigieux est
presque toujours pris par le chef d’entreprise. Par ailleurs, l’abus de bien social et l’acte anormal
de gestion intéressent tout deux le droit des sociétés en sanctionnant le comportement portant
atteinte à l’intérêt de celle-ci.
Pourtant, malgré ces similitudes certaines, les deux notions souffrent de différences notoires
principalement dues à la définition elliptique de l’acte anormal de gestion.
b) Le domaine limité de l’abus de bien social
A la différence de la théorie fiscale, l’utilisation des biens de la société doit être entendue de
manière extensive puisqu’elle englobe toute action portant atteinte au patrimoine social2. Parmi
ces agissements, il faut comprendre le simple usage abusif3, l’omission accompagnée d’une
participation personnelle du dirigeant4 ou la rémunération abusive du dirigeant5. L’acte anormal
de gestion ne retient pas ce critère de l’usage pour une raison simple : la théorie sanctionne des
déclarations comptables visant à déduire des actes contraires à l’intérêt social et non pas de
simples comportements.
1
En effet, les articles L. 241-3 à 242-6 C.com. définissent l’abus de bien social comme étant le fait pour « le président,
les administrateurs ou les directeurs généraux de la société de faire, de mauvaise foi, des biens ou du crédit de la
société, un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre
société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indirectement ».
2
LEPAGE (A.), MAISTRE du CHAMBON (P.) et SALOMON (R.), Droit pénal des affaires, LITEC, 2008, p. 282
3
Crim. 11 janvier 1968 ; Bull. Crim. 1968, n° 11
4
Crim. 7 septembre 2005
5
Crim. 25 novembre 1975, Bull. Crim. n° 257
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
Ensuite, un second critère dégagé par la définition de l’abus de bien social témoigne de la
différence de domaine d’application entre les deux notions, celui de la mauvaise foi. Le dirigeant
social doit avoir eu conscience de commettre un délit en agissant à l’encontre des intérêts de la
société. Cet élément intentionnel fait l’objet d’une présomption simple contre le dirigeant social
du seul fait de sa qualité1. Cette exigence n’est pas suffisante pour caractériser le délit, il faut au
surplus que l’acte contraire à l’intérêt social ait été réalisé « à des fins personnels », le dirigeant
s’étant enrichi directement ou indirectement au détriment de la société. Si la théorie de l’acte
anormal de gestion exige un élément intentionnel2, elle ne précise pas que ces agissements
doivent avoir été réalisés à des fins personnelles. Une fois encore, la notion d’abus de bien social
s’avère particulièrement étroite.
Ces différences témoignent déjà de divergences entre l’acte anormal de gestion et l’abus de bien
social. Elles ne permettent pas pour autant de conclure à une irrémédiable dissension entre les
deux notions. L’étude de leur mécanisme respectif met en lumière leur subtilité respective.
II.
Les mécanismes de l’acte anormal de gestion à la lumière de
l’abus de bien social
Les mécanismes de la théorie de l’acte anormal de gestion répondent donc à des exigences moins
importantes que pour l’abus de bien social qui implique la réunion de plusieurs critères. Pour
autant, ces nuances n’aboutissent pas à une contrariété entre ces deux notions. Toutes deux
sanctionnent les atteintes à l’intérêt social (A.) aboutissant à une perte financière (B.).
A. Une atteinte à l’intérêt social
1) Les objectifs de l’atteinte à l’intérêt social
a) Acte anormal de gestion : des objectifs variés
Un chef d’entreprise qui a recours à un acte anormal de gestion peut avoir trois types de desseins.
Le premier est assez rare, il s’agit de l’objectif fiscal. Dans cette hypothèse le chef d’entreprise
porte atteinte à l’intérêt social pour des raisons d’opportunité fiscale. Le problème n’est pas la
réalité de l’acte mais sa déduction du bénéfice brut. Il peut s’agir de la recherche d’un transfert de
1
LEPAGE (A.), MAISTRE du CHAMBON (P.) et SALOMON (R.), Droit pénal des affaires, LITEC, 2008, p. 289 : « Comme
souvent en droit pénal des affaires, la qualité de dirigeant social postule la mauvaise foi »
2
Le chef d’entreprise doit avoir eu conscience d’agir contre l’intérêt social. Ceci permet de différencier acte anormal de
gestion et erreur de gestion.
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
bénéfice1, de la recherche d’un bénéfice fiscal plus favorable2 ou d’une volonté d’obtenir une
exonération de plus-values3.
La deuxième finalité du chef d’entreprise est beaucoup plus fréquente et protéiforme. Ce sont les
objectifs visant à privilégier un intérêt autre que l’intérêt social. Notons à titre liminaire que le
seul fait d’agir pour le compte d’un tiers n’est pas en soit suffisant puisque un acte peut concilier
l’intérêt de l’entreprise avec un autre intérêt. Il peut s’agir de l’intérêt personnel d’un dirigeant
social qui déduit du bénéfice le coût des travaux de son appartement4, de l’intérêt d’un associé,
de l’intérêt d’un tiers par rapport à l’entreprise qui bénéficie d’un prêt sans intérêt dont le
montant est là encore déduit du bénéfice imposable5. Enfin, l’intérêt poursuivi peut être « moral »
comme le fait de prendre en charge spontanément l’hébergement d’associés ayant subi une
fraude des dirigeants6.
Une dernière hypothèse doit être évoquée : celle de l’incompétence ou l’insouciance de l’auteur
de l’acte qui néglige délibérément l’intérêt de la société. Citons l’exemple de l’expert-comptable
qui déposait tous les ans les déclarations fiscales de ses clients en retard et qui s’engageait à
prendre en charge les pénalités de retard qui en découlaient. Il déduisait ensuite ces pénalités de
son bénéfice. Mais lasse de ces méthodes, l’administration fiscale refusa de les déduire du
bénéfice car ne « résultant pas de l’exercice normale de la profession »7. La frontière avec l’erreur
de droit est mince mais « l’entêtement coupable »8 de l’auteur constitue une piste de
différenciation.
b) Abus de bien social : une atteinte nécessairement commise à des
fins personnelles
Contrairement la théorie de l’acte anormal de gestion, la définition de l’abus de bien social exige
la preuve d’un usage abusif des biens à des fins personnelles9. Cette précision enferme donc le
délit dans l’hypothèse d’une atteinte à l’intérêt social au profit exclusif, direct ou indirect des
dirigeants. Ce dol spécial qui rend plus difficile la constitution du délit, illustre également
1
CE 17 juin 1992, req. n° 74882
CE 24 février 1978, req. n° 2372
3
CE 19 novembre 1984, req. n° 35491
4
CE 4 décembre 1981, req. n° 19133
5
CE 7 janvier 1976, req. n° 94314 : une avance sans intérêt avait été consentie au père des associés
6
CE 14 avril 1976, req. n° 92197
7
CE 27 février 1991, req. n° 66971 ; concl. FOUQUET, RJF 1991, n° 4, p. 264
8
ème
COZIAN (M.), Les grands principes de la fiscalité des entreprises, LITEC, 1999, 4 éd., p. 105
9
Le code de commerce précise : « (…) à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans
laquelle il était intéressé directement ou indirectement »
2
Page | 19
L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
l’extrême précision de la définition de l’abus de bien social qui contraste avec le flou entourant la
théorie de l’acte anormal de gestion. Afin d’adoucir la rudesse de cette exigence, la jurisprudence
n’hésite pas à présumer l’utilisation à des fins personnelles notamment dans le cas de
prélèvements occultes d’un dirigeant1, la charge de la preuve étant ainsi renversée.
De manière générale, l’intérêt personnel renvoie à la recherche d’un enrichissement matériel,
mais pas seulement. Il peut également s’agir d’un intérêt moral absent de la théorie de l’acte
anormal de gestion : la recherche d’une notoriété2 ou d’un confort personnel3, la préservation de
la réputation familiale 4 ou de relations personnelles d’amitié5.
Cette compréhension de l’intérêt personnel qui s’avère être finalement très large se distingue de
l’acte anormal de gestion qui ne s’intéresse qu’à l’intention de l’auteur de l’acte et non à ses
projets. Cette différence s’explique en partie par la conception strictement économique du droit
fiscal des affaires.
2) Les techniques employées
a) Acte anormal de gestion : omission ou commission
L’acte anormal de gestion se scinde en deux catégories : d’une part la renonciation à un profit
(abstention), d’autre part l’intégration de charges étrangères à l’intérêt de l’entreprise (acte
positif). Dans les deux cas, l’acte peut avoir été réalisé pour le compte d’un tiers ou pour le
compte d’un membre de la société. Nous ne nous intéresserons qu’aux actes réalisées au profit
des membres de la société pour deux raisons principales : d’une part, la notion de « tiers » revêt
une acceptation particulière en droit fiscal, point qui sera développé en deuxième partie. D’autre
part, cette démarche favorisera la comparaison avec la notion d’abus de bien social qui se
concentre exclusivement sur les agissements commis au profit des dirigeants.
La renonciation à un profit constitue une abstention anormale qui nuit à l’entreprise, malgré
l’évolution de la notion d’intérêt social qui ne renvoie plus uniquement à la recherche de profit. La
renonciation prend la forme d’une vente par la société d’un bien pour un prix inférieur à sa valeur
vénale6, d’un loyer insuffisant7 ou d’une avance sans intérêt. Les charges étrangères à l’intérêt de
1
Crim. 11 janvier 1996
Crim. 20 mars 1997, Rev. Sociétés 1997, p. 581, note Bouloc
3
Crim. 26 juin 1978, JCP.1978.273 : le fait de faire rémunérer par la société le personnel de maison
4
Crim. 3 mai 1967, Bull. Crim., n° 148
5
Crim. 19 juin 1978, Bull. Crim., n° 202
2
6
7
Exemple : CE 24 juin 1994, n° 128420
CE 25 novembre 1981, n° 11383
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
l’entreprise quant à elles renvoient au paiement par la société d’un loyer excessif pour la location
consentie par l’un de ses membres mais également à l’entretien du train de vie du dirigeant.
Ces hypothèses, lorsqu’elles sont commises par des dirigeants sociaux sont toujours des abus de
bien social et peuvent faire l’objet de poursuites pénales.
b) Abus de bien social : l’atteinte est davantage morale
Traditionnellement, les abus commis par les dirigeants sont regroupés en trois catégories : d’une
part, les dirigeants possédant un compte d’associés débiteur. D’autre part les dirigeants touchant
une rémunération excessive. Enfin, les dirigeants opérant une confusion entre leur patrimoine et
celui de la société.
Si la première hypothèse renvoie à des agissements particuliers, la
rémunération excessive est également un acte anormal de gestion par détermination de la loi
(art. 39-1-1° CGI).
De façon moins catégorique, les usages abusifs renvoient à des situations diverses et entendue de
façon extensive. En effet, contrairement à l’acte anormal de gestion, la simple utilisation
lorsqu’elle est abusive peut constituer le délit1. Or, la théorie fiscale ne s’intéresse pas aux simples
agissements et ne se préoccupe que des actes ayant une répercussion fiscale. Cette différence, a
priori mineure, illustre parfaitement l’une des grandes divergences de conception entre droit
fiscal et droit pénal. A travers l’abus de bien social, les juges pénaux ne se préoccupent pas
seulement de l’appauvrissement de la société mais contrôlent et sanctionnent les agissements
délictueux des auteurs, peu importe les retombées financières.
B. Une perte financière consécutive à cette atteinte
1) L’admission commune de la notion de « risques » pour la société
a) L’admission par le droit fiscal
Depuis l’arrêt « Loiseau »2, l’administration fiscale considère que l’acte faisant courir un « risque
manifestement excessif » pour la société relève d’une gestion anormale. Cette position peut
apparaitre étrange puisque toute gestion n’est pas sans risque, pourtant l’administration fiscale
entend par là contrôler les gestions cavalières de certains dirigeants, qui font ainsi peser une
incertitude sur les finances publiques.
1
2
Exemple : l’utilisation excessive d’un hélicoptère appartenant à la société
CE 17 octobre 1990, cf. supra
Page | 21
L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
Dans cette espèce, M. Loiseau s’était engagé à indemniser les pertes subies par les clients dont il
gérait le portefeuille. Le contexte était particulier : d’une part, l’auteur de l’acte pensait agir
conformément à l’intérêt social et d’autre part, cet acte pouvait être vu comme un moyen de
fidéliser la clientèle. Pour autant, la disproportion de cet engagement constituait à long terme un
risque vital pour la société. Les juges décidèrent donc d’élargir la notion d’acte anormal de gestion
et estimèrent que l’intéressé avait « excédé manifestement les risques qu’un chef d’entreprise
peut être conduit à prendre pour améliorer le résultat de son exploitation ».
Cet arrêt étend considérablement la notion d’acte anormal de gestion pour trois raisons
principales : tout d’abord, l’acte anormal de gestion peut être constitué même sans intention
d’agir contrairement à l’intérêt social. L’élément intentionnel n’est plus un critère déterminant.
Ensuite, l’appauvrissement de la société ne peut être qu’hypothétique. Enfin, cet arrêt étend
considérablement le domaine de l’acte anormal de gestion, empiétant ainsi sur la notion d’erreur
de gestion.
b) L’admission par le droit pénal
L’admission de la notion de risque par le droit pénal est ancienne. En effet, si le code de
commerce ne précise nullement que la perte financière constitue une des conditions constitutives
du délit, c’est que seule l’atteinte à l’intérêt social préoccupe le juge pénal, peu importe qu’elle ait
donné lieu à des pertes financières ou non. L’aspect économique est secondaire et le délit (qui
dérive de l’abus de confiance) est avant tout moral : la loi sanctionne des dirigeants malhonnêtes.
Cette position a été officialisée par un arrêt en date de 19551 qui considère comme répréhensible
« tout acte qui fait courir un risque anormal au patrimoine social ». Afin de déterminer de manière
pertinente la notion de risques, il est fait usage de deux outils : d’un côté le préjudice pouvant
résulter de l’usage du bien et de l’autre, l’avantage susceptible d’être dégagé par la société2.
La notion de « risques » conduit à une conclusion similaire pour l’acte anormal de gestion et pour
l’abus de bien social. Pourtant, les raisonnements qui fondent cette acceptation sont
rigoureusement différents et illustrent les divergences fondamentales sur la question financière
entre droit fiscal et droit pénal.
1
2
Crim. 10 mai 1955, Bull. Crim. n° 234
ème
JEANDIDIER (W.), Droit pénal des affaires, DALLOZ, 6 éd., p. 372
Page | 22
L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
2) La perception différente de la perte financière
a) Acte anormal de gestion : le rôle déterminant du critère de la perte
financière
La principale conséquence qui découle d’un acte anormal de gestion est la perte financière subie
par l’entreprise. Au-delà d’un simple constat incident, cette perte financière injustifiée constitue
le critère déclencheur de l’application de la théorie. Afin de mieux appréhender son rôle, il
convient de se référer aux objectifs mêmes de la théorie de l’acte anormal de gestion. Son but est
en effet de corriger un manque à gagner subi par l’entreprise et donc, indirectement par
l’administration fiscale. Et c’est en raison de cette atteinte (économique) au patrimoine social,
que la théorie de l’acte anormal de gestion est appliquée1. Même dans le cas de « risque »,
l’atteinte économique est déjà certaine.
Dès lors, la théorie revêt une dimension presque exclusivement économique contrairement à
l’abus de bien social qui met l’accent sur l’aspect moral du délit. La perte financière dont souffre
l’entreprise en raison de l’acte anormal ne fait l’objet d’une répression fiscale que parce qu’il
porte indirectement atteinte aux finances publiques. Le rôle central de la perte financière n’est
pas perçu de la même manière pour l’abus de bien social, dans laquelle elle apparait presque
secondaire.
b) Abus de bien social : le rôle incident de la perte financière
Concernant le délit d’abus de bien social, l’impact financier des agissements n’est pas le
déclencheur de la répression mais davantage la preuve de l’atteinte à l’intérêt social. La
récupération de la perte financière n’est pas une fin mais un moyen de prouver l’abus de bien
social. En effet, afin de constater l’atteinte à l’intérêt social, le juge pénal ne se contente pas de
rechercher une atteinte seulement économique, il tient également compte de l’enrichissement
personnel du dirigeant au détriment de la société. Le dol spécial interdit donc de ne se fier qu’aux
pertes financières de la société pour condamner le dirigeant2.
Dès lors, le préjudice matériel de la société est davantage un indice de l’atteinte qu’un critère
constitutif. De plus et comme nous l’avons précédemment précisé, l’atteinte à l’intérêt social peut
également être morale3. Cet aspect moral imprègne la matière pénale et conduit à élargir la
1
GOUYET (R.), La théorie de l’acte anormal de gestion, PA.2000, n° 225, p. 4 : « Ainsi, ce sont essentiellement des
intérêts financiers et surtout économiques de l’entreprise qui sont les vraies composantes de la normalité fiscale ».
2
ème
JEANDIDIER (W.), Droit pénal des affaires, DALLOZ, 6 éd., p. 376 : l’auteur y voit un rapprochement avec l’abus de
confiance ce qui n’est guère étonnant puisque l’abus de bien social découle directement de l’abus de confiance.
3
LEPAGE (A.), MAISTRE du CHAMBON (P.) et SALOMON (R.), Droit pénal des affaires, LITEC, 2008, p. 290
Page | 23
L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
compréhension de la notion d’intérêt social par rapport au droit fiscal qui n’y voit qu’une perte
financière.
L’intérêt social apparait malgré tout au cœur de toutes les préoccupations. Pour autant, la notion
souffre d’une image controversée qui la fragilise et conduit à s’interroger sur son utilisation.
Page | 24
L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
Section 2 : Le caractère central et controversé de l’intérêt social
« La notion d’intérêt social est un procédé d’équité modératrice à la disposition du juge ». Cette
phrase de M. Sousi1 témoigne du rôle central dont jouit la notion d’intérêt social. Pourtant, si son
utilisation est récurrente en droit des affaires, l’intérêt social est l’une des notions les plus mal
définies et les plus sujettes à controverses. A travers l’étude de la théorie de l’acte anormal de
gestion et du délit d’abus de bien social, il n’est pas étonnant de constater que l’intérêt social
reçoit une compréhension différente (I.). Ces querelles quant à son interprétation conduisent
certains auteurs à s’interroger sur la pertinence de son utilisation (II.).
I.
La compréhension de l’intérêt social
La définition de l’intérêt social a toujours fait l’objet de controverses, questionnements et débats
doctrinaux, tant en droit fiscal qu’en droit pénal des affaires (A.). Paradoxalement, cette même
notion se situe au cœur de la théorie de l’acte anormal de gestion et de l’abus de bien social ce
qui conduit à nous interroger sur la solidité de ce socle commun (B.).
A. L’impossible définition de l’intérêt social
1) Une notion sujette à controverses
a) Les controverses quant à la nature de l’intérêt social
Malgré son rôle majeur en droit des sociétés, les tentatives visant à cerner la notion d’intérêt
social sont récentes2. Classiquement, le monde du droit des sociétés voit s’affronter deux thèses
concernant la nature de l’intérêt social, chacune défend sa vision de la notion de société. La
première conception suggère que la société repose sur un contrat entre ses membres. S’appuyant
sur l’article 1833 C.Civ.3, cette théorie « société-contrat » met en évidence l’intérêt des associés
qui se confondrait nécessairement avec l’intérêt de la société. En effet, la société est créée par
les associés qui entendent ainsi, à travers elle, satisfaire leur intérêt commun (partager les
bénéfices et profiter des économies). De ce fait, veiller à la protection de leurs intérêts revient à
protéger la société. Pourtant, si cette théorie fut dominante au début du XXème siècle, elle est
1
SOUSI (G.), « Intérêt de groupe et intérêt social », JCP.1975.11816, p. 10
MEDINA (A.), Abus de biens sociaux : prévention, détection, poursuite, DALLOZ, 2001, p. 80
3
Art. 1833 C.Civ. : « Toute société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés »
2
Page | 25
L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
apparue trop rigide aux yeux de certains en ce qu’elle refuse de considérer la société comme
autre chose qu’un simple contrat1.
Une autre conception est peu à peu apparue : celle de la « société-institution ». Principalement
développée par MM. Champaud et Paillusseau dans les années 1960, elle dissocie l’intérêt
commun des associés de l’intérêt social. Pour ces auteurs, l’intérêt social est autonome et propre
à la personne morale qui devient une véritable institution.
Si cette dernière conception l’a longtemps emportée, nous assistons aujourd’hui à l’émergence
d’une troisième théorie, mixte, qui décide de tenir compte de l’aspect protéiforme de l’intérêt
social. Pour ces auteurs, dont M. Mestre est le chef de file, le caractère ambivalent de la notion
empêche l’établissement d’une définition unitaire. Dès lors, l’intérêt social doit être vu comme
une combinaison d’intérêts, un outil avec suffisamment de souplesse pour permettre une
utilisation efficace dans différents domaines.
Finalement, cette dernière conception admet l’impossibilité d’une définition de l’intérêt social et
se contente de l’utiliser plutôt que d’essayer de la définir2, d’où les nombreuses critiques quant à
sa pertinence.
b) Les critiques quant à la pertinence de l’intérêt social
Si les tentatives de définition de l’intérêt social émanent d’auteurs commercialistes, les critiques
quant à la pertinence de cette même notion sont principalement soulevées par des fiscalistes,
tant est si bien que le recours à la notion d’intérêt social pour l’abus de bien social n’est
pratiquement pas contestée sur ce point.
Concernant l’acte anormal de gestion, les auteurs reprochent à l’administration fiscale son
utilisation systématique de la notion d’intérêt social, qui certes apporte une solution à
l’anormalité de gestion mais ne la définit nullement. Or, cette absence de définition de
l’anormalité est regrettable à deux égards : elle rend lacunaire la théorie de l’acte anormal de
gestion et elle créée une grave insécurité juridique3 pour l’entreprise.
1
DUCOULOUX-FAVARD (Cl.), sous TGI Mulhouse, 25 mars 1983, D.1984, p. 285 : « l’intérêt social est étrangère ; son
pays natal est l’Allemagne. C’est une notion qui ne pouvait voir le jour parmi les juristes trop convaincus que la société
est un contrat ».
2
ème
COZIAN (M.), VIANDIER (A.) et DEBOISSY (F.), Droit des sociétés, LITEC, 2006, 19 éd., 673 p. : l’intérêt social est vu
comme « un impératif de conduite, une règle déontologique, voire morale ».
3
COLLET (M.), Contrôle des actes anormaux de gestion : pour un retour à l’anormal, Dr. Fisc. 2003, n° 14, p. 536 : « Si les
effets juridiques qui lui sont attachés sont claires (…), son identification renferme une part d’aléa ».
Page | 26
L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
Le critère de l’intérêt de l’entreprise apparait donc très contesté tant sur le plan théorie que sur le
plan pratique. De plus, la dimension subjective de l’utilisation de l’intérêt social contrevient à
l’habituelle objectivité de l’administration fiscale qui se retrouve obligée de statuer « au cas par
cas ».
C’est au milieu de ces controverses que la notion d’intérêt social n’a cessé d’évoluer au sein de
l’acte anormal de gestion et de l’abus de bien social.
2) Une notion en constante évolution
a) Les évolutions en droit pénal
Si le juge pénal ne conteste pas l’utilisation de l’intérêt social, il tente malgré tout de faire évoluer
la notion. Les juges ont ainsi essayé de confondre intérêt social et objet social. L’objet social qui
peut être défini comme « l’ensemble des activités déterminées par le pacte social, que la société
peut exercer »1 est pourtant très différent de l’intérêt social puisqu’elle est dénuée de dimension
morale et ne prend comme référence que la volonté des associés matérialisée par les statuts2.
Ainsi, un acte conforme à l’objet social peut être contraire à l’intérêt social3.
De la même manière, s’inspirant de la théorie « société-contrat », certains juges ont tenté de
confondre l’intérêt de la société avec l’intérêt des actionnaires ou associés. Cette position est bien
évidemment erronée puisque la seule victime de l’abus de bien social est la société et non les
actionnaires ou associés4.
En définitive, l’atteinte à l’intérêt social dans le cadre de l’abus de bien social est une question de
faits relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond. En l’absence de textes et de
définition précise, la Cour de cassation se contente de vérifier la réunion des éléments constitutifs
du délit, laissant aux juges des Cours d’appel le soin d’apprécier l’atteinte à l’intérêt social5. Ce
désintérêt pour la notion contraste avec les réactions virulentes de certains auteurs fiscalistes qui
souhaitent tout simplement cesser d’utiliser la notion d’intérêt social.
1
CHAPUT (R.), De l’objet des sociétés commerciales, Thèse, Clermont, 1973, p. 35
A noter que le projet de loi du sénateur Lesaché de 1932 faisait référence à l’objet social.
3
Pour illustration, l’octroi de rémunérations qui est conforme à l’objet social mais contraire à l’intérêt social lorsqu’elles
sont excessive (CA Angers, 17 janvier 1991)
4
Citons simplement l’exemple de l’EURL qui est concernée par le délit d’abus de bien social alors même qu’elle ne
compte qu’un seul associé
5
Une formule de la Cour de cassation est récurrente : « Attendu que les énonciations de l’arrêt attaqué mettent la Cour
de cassation en mesure de s’assurer que la cour d’appel, par ces motifs exempts d’insuffisance ou de contradiction et
répondant aux articulations essentielles des conclusions dont elle est saisie, a caractérisé en tous ses éléments
constitutifs tant matériels qu’intentionnels, le délit d’abus de biens sociaux dont elle a déclaré le prévenu coupable ».
2
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
b) Les évolutions en droit fiscal
Le caractère aléatoire de l’intérêt social a conduit à de nombreuses évolutions jurisprudentielles,
certes en élargissant le champ d’application de l’acte anormal de gestion mais au prix d’une
incohérence théorique.
Cette évolution peut se résumer en trois étapes : dans un premier temps, la jurisprudence refusait
d’admettre que l’intérêt social puisse se confondre avec l’intérêt d’un tiers, l’intérêt de
l’exploitation était exclusif. Puis, en 1992, elle est revenue sur cette position en admettant que
l’intérêt d’un tiers puisse être également conforme à l’intérêt de l’entreprise1. Dès lors, les juges
ont eu pour mission de veiller à ce que la contrepartie accordée au tiers n’excède pas celle
accordée à l’exploitation. Enfin, la jurisprudence du Conseil d’État relative aux groupes de société
est venue rompre cet élargissement apparent : l’appartenance à un même groupe ne suffit pas à
caractériser l’intérêt social2. Ainsi, un abandon de créance doit apporter une contrepartie à la
société qui le consent sans qu’elle puisse se cacher derrière l’identité du bénéficiaire3.
Face à ces constats, de nombreuses voix s’élèvent pour substituer à la notion d’intérêt social
celles d’usage et d’égalité4. Cependant, si cette solution a le mérite de fonder la normalité sur un
socle moins mobile, elle élude un peu trop facilement l’élément intentionnel de l’auteur de l’acte.
B. Une utilisation partiale de l’intérêt social
1) L’utilisation orientée d’une notion large
a) Les deux orientations divergentes données par le droit fiscal et le
droit pénal
La notion d’intérêt social est la véritable matrice commune de l’acte anormal de gestion et de
l’abus de bien social. Pourtant, elle est entendue différemment suivant qu’elle est utilisée par un
juge fiscal ou un juge pénal. Pour le juge fiscal, l’intérêt social est nécessairement économique et
il se matérialise par une perte financière. Peu lui importe que l’acte soit illicite comme nous le
verrons en seconde partie. Il n’entend pas porter de jugement moral. Pour le juge pénal en
revanche, l’intérêt social est beaucoup plus large et vise aussi bien l’atteinte patrimoniale que
l’atteinte morale à l’intérêt de la société.
1
CE, Musel SBP et Bruner, 10 juillet 1992, req. n° 110213 et n° 110214
Cf. infra sur l’intérêt de groupe p. 46 et s.
3
CE, SA Rocadis, 26 septembre 2001, req. n° 219.825, Dr. Fisc. 2002, n° 24, comm. 490, concl. BACHELIER
4
SERLOOTEN (P.), Liberté de gestion et droit fiscal : la réalité et le renouvellement de l’encadrement de la liberté, Dr.
Fisc. 2007, n° 12, p. 11 : « la référence serait alors constituée par les usages de la profession ou les usages de
contribuables placés dans des situations comparables »
2
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
Ce constat est intéressant à deux égards : d’une part, il témoigne du caractère protéiforme de la
notion qui possède plusieurs versants. L’intérêt social n’est pas figé et ne se limite pas seulement
à son aspect économique. Si ceci est le cas pour le droit fiscal c’est uniquement en raison de la
particularité de sa matière. D’autre part, cette divergence d’orientation met en évidence les
conceptions foncièrement différentes du droit fiscal et du droit pénal et surtout l’autonomie de la
première par rapport à la seconde.
Pourtant, il est difficile sur le plan théorique de justifier qu’une seule et même notion soit utilisée
de deux façons différentes dans un même cas. Cette utilisation partiale d’une seule et même
notion qui permet aux juges d’éluder les éléments de la définition qui ne les satisfont pas,
apparait étonnante d’un point de vue théorique.
b) L’orientation essentiellement morale du droit pénal
Dès l’apparition de la notion d’abus de bien social au début du XXème siècle, le législateur n’a pas
caché son intention de moraliser le monde des affaires : le ratio legis de la loi de 1935 était la
protection de l’intérêt social1 contre les abus des dirigeants sociaux. L’origine essentiellement
politique du délit a conduit à une utilisation de la notion d’intérêt social qui visait à permettre de
sanctionner un comportement considéré comme bien plus grave que le simple abus de confiance.
Pour se convaincre de la dimension symbolique du délit d’abus de bien social, il suffit de se
référer à une très ancienne jurisprudence, apparue quelques mois avant le délit d’abus de bien
social, qui rend en quelque sorte « imprescriptible » le délit2. Cette décision fait débuter le délai
de prescription de trois ans au jour où le délit est découvert et non au jour où il est commis
(comme cela est habituellement prévu par les articles 7 à 9 CPP)3. Cette position audacieuse des
juges trouve sa justification dans la nature même du délit qui est souvent clandestin. La volonté
de la jurisprudence est claire : éviter que ne se retrouvent impunis les dirigeants indélicats qui ont
réussi à dissimuler leurs agissements.
Dès lors, l’intérêt social est volontairement utilisé comme un outil répressif qui permet, non pas
de délimiter le « normal » et « l’anormal » comme c’est le cas en droit fiscal, mais de caractériser
le délit.
La théorie de l’acte anormal de gestion en particulier et le droit fiscal en général rejette
clairement cette morale. Pour comprendre cette différence fondamentale entre l’acte anormal de
1
MEDINA (A.), Abus de biens sociaux : prévention, détection, poursuite, DALLOZ, 2001, p. 348
Crim. 4 janvier 1935, Gaz. Pal. 1935.1, p. 353
3
Cette position contra legem est toutefois à nuancer puisqu’elle n’est applicable que lorsque le délit a été dissimulé. Si
ce n’est pas le cas, de point de départ du délai est fixé au jour de la présentation des comptes annuels.
2
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
gestion et l’abus de bien social, il faut se pencher sur la mission première de l’administration
fiscale qui est d’imposer les entreprises conformément à l’article 14 de la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen de 1789 et non de poursuivre les auteurs de délits.
Dans les deux cas, l’aspect vaporeux de l’intérêt social conduit à une insécurité juridique qui
contrevient tout particulièrement à l’exigence de légalité des peines imposées par le droit pénal
et qui nécessite des remèdes.
2) Propositions et remèdes à l’insécurité juridique découlant de la notion
a) Le recours aux notions d’usage et d’égalité pour l’acte anormal de
gestion
Nombreux sont les auteurs qui considèrent l’intérêt social comme inapproprié. En effet, ces
fiscalistes notent que cette notion est un outil insuffisant pour fonder une théorie aussi majeure
que l’acte anormal de gestion1. Les reproches s’orientent tous vers le caractère incertain de cet
outil et de son « emploi aléatoire » par la jurisprudence. Presque totalement livrée à l’empirisme,
ce qui constitue le socle de la théorie de l’acte anormal de gestion apparait dangereux pour la
sécurité juridique du contribuable et risque ainsi de mettre à mal l’équilibre fiscal. Leur souhait
est de voir le juge fiscal utiliser d’autres notions beaucoup moins fluctuantes pour définir
l’anormalité d’une gestion.
Ainsi, ils souhaitent que le juge fiscal reviennent à la définition originaire de la normalité :
« caractère de ce qui est conforme au type le plus fréquent, qui se produit selon l’habitude »2. Un
acte serait anormal que s’il est contraire à un « usage de la profession ou d’usage des
contribuables placés dans des situations comparables »3. L’avantage d’un tel outil de mesure
serait de permettre un examen objectif de la gestion de l’entreprise beaucoup plus respectueuse
de l’équité fiscale et loin de toute considération morale. Toutefois, l’absence de base légale ou
jurisprudentielle nourrit une part d’aléa qui laisse une porte ouverte aux dérives généralisées des
dirigeants4.
1
COLLET (M.), Contrôle des actes anormaux de gestion : pour un retour à l’anormal, Dr. Fisc. 2003, n° 14, p. 538 :
« Affirmer que l’acte anormal de gestion est l’acte contraire à l’intérêt de l’entreprise n’est pas suffisant. La mise en
œuvre du critère de l’intérêt de l’exploitation oblige le juge à envisager de multiples combinaisons d’intérêts, et
s’avèrent donc beaucoup plus ardue qu’il n’y paraît de prime abord ».
2
Le Robert, dictionnaire de la langue française, 2008
3
COLLET (M.), Contrôle des actes anormaux de gestion : pour un retour à l’anormal, Dr. Fisc. 2003, n° 14, p. 538
4
Par exemple, si un usage contraire à l’intérêt social venait à se généraliser parmi les chefs d’entreprise, ce
comportement ne pourrait être sanctionné alors même qu’il nuit au Trésor Public.
Page | 30
L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
b) Les propositions législatives en droit pénal des affaires
Aujourd’hui, la charge émotionnelle des années 1930 est retombée et la réponse répressive
qu’est l’abus de bien social apparait excessive aux yeux de certains acteurs1. La réforme de l’abus
de bien social est limitée puisque l’article 22 de la Convention de Mérida (Convention des Nations
Unies contre la corruption) oblige en effet la France à sanctionner un tel comportement2. Une
réforme de l’abus de bien social notamment s’agissant du critère de la contrariété à l’intérêt
social apparait délicate, si ce n’est impossible. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler que
diverses commissions chargées de réformer le droit pénal des affaires n’ont guère pu modifier un
quelconque élément matériel du délit d’abus de bien social.
Très récemment, l’ancienne garde des Sceaux, Mme Rachida Dati, a confié à une commission le
soin « de limiter le risque pénal des entreprises et d'envisager des modes de régulation plus
adaptés à la vie économique »3. A l’issue de leurs travaux, la doctrine a pu constater qu’aucun
élément matériel de l’abus de bien social ne fut modifié et qu’au contraire, cette incrimination fut
considérée comme le noyau dur du droit pénal des affaires français. Toutefois, deux remises en
cause ont été mises en relief, l’une concernant le délai de prescription, le rapport précise : « Si la
justice veut être à la hauteur de ses valeurs et de son propre concept, il lui faut trouver un principe
global et modéré, qui consacre des délais plus longs, mais insusceptibles de variation aux cas
d'espèce »4. L’autre bémol concerne la notion d’intérêt social, le rapport se positionne contre
l’extension continue du délit d’abus de bien social due au caractère nécessairement subjectif de
« l’intérêt social »5.
Premier président honoraire de la Cour d’appel de Paris, Jean-Marie Coulon n’a pas permis de
mettre fin au délit d’abus de bien social et s’est montré beaucoup plus timoré que son
prédécesseur, le député Marini, chargé de moderniser le droit des sociétés en 19966.
1
Tels que Mme Annie Médina qui s’est exprimé lors du colloque sur l’abus de biens sociaux, organisé en 2003 : « La
notion d’usage contraire à l’intérêt social est trop floue et n’a pas sa place dans un texte pénal ».
2
Article 22 : « Chaque État Partie envisage d’adopter les mesures législatives et autres nécessaires pour conférer le
caractère d’infraction pénale, lorsque l’acte a été commis intentionnellement dans le cadre d’activités économiques,
financières ou commerciales, à la soustraction par une personne qui dirige une entité du secteur privé ou travaille pour
une telle entité, en quelque qualité que ce soit, de tous biens, de tous fonds ou valeurs privés ou de toute autre chose
de valeur qui lui ont été remis à raison de ses fonctions ».
3
Rapport de la Commission Coulon, Documentation Française, 2008, p. 2
4
Cf. Infra, p. 83
5
Rapport Coulon, 2008, Documentation Française, p. 39 : « Toujours selon certains, la notion d'« intérêt social » ne
peut être définie in abstracto, et est à rapprocher des notions génériques permettant une appréciation au cas d'espèce
par le juge, tel que la notion d'intérêt de l'enfant, ou la gestion de bon père de famille.
Cette extension du périmètre de l'abus de biens sociaux a également été due à la difficulté de caractériser d'autres
comportements, tels que la corruption. Une modification de cette incrimination pourrait ainsi permettre à l'abus de
biens sociaux de retrouver sa fonction initiale ».
6
Cf. Infra, p. 33
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
II.
Les carences de la notion d’intérêt social
En dépit des controverses entourant son utilisation, l’intérêt social est une notion qui continue
d’être appliquée. Pourtant, les critiques doctrinales se fondent sur des carences biens réelles tant
théoriques que pratiques (A.) qui ont pour conséquences de nuire à la sécurité juridique des
justiciables. La solution alternative de la Corporate Governance qui considère que l’intérêt des
actionnaires transcende l’intérêt social apparait pertinente à beaucoup d’acteurs économiques
(B.)
A. Les limites de l’utilisation de l’intérêt social
1) Les limites théoriques
a) Le principe de non-immixtion en droit fiscal des affaires
En donnant la possibilité à l’administration fiscale d’écarter des décisions de gestion en se fondant
sur leur contrariété à l’intérêt social, les juges ont entendu doter les services fiscaux d’armes
contre les excès. Pourtant, cette théorie n’est pas un blanc-seing accordé à l’administration fiscale
qui est tenue de ménager un autre grand principe de la fiscalité des entreprises : le principe de sa
non-immixtion dans la gestion de l’entreprise1.
Pourtant, loin de se sentir limitée par ce principe, la jurisprudence n’a pas hésité à empiéter sur ce
terrain en admettant qu’un simple risque excessif pour l’entreprise puisse être considéré comme
anormal2. L’audace de cette position contrevient très clairement au principe de liberté de gestion
du chef d’entreprise et cet empiètement nourrit l’incohérence générée par le critère de « l’intérêt
de l’entreprise ». En effet, la notion d’intérêt social s’en trouve élargie et amputée de l’élément
intentionnel qui la distinguait de l’erreur de gestion.
Le risque, qui était jusqu’alors considéré comme une erreur de gestion, devient un acte anormal
de gestion. Cette évolution fragilise le principe de liberté de gestion et rend la théorie de l’acte
anormal de gestion instable. L’abus de bien social connait ce même problème alors même que la
loi impose la légalité des peines pénales.
1
CE, 3 décembre 1975, req. n° 89412 : Dr. Fisc. 1976, comm. p. 467 : l’administration fiscale ne peut pas critiquer une
décision de gestion de l’entreprise.
2
CE 17 octobre 1990 Loiseau, req. n° 83.310, ANNEXE n° 1
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
b) Le principe de légalité des délits et des peines en droit pénal
Selon l’article 111-3 CP : « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments
ne sont pas définis par la loi »1. Cet article a deux conséquences : d’une part le principe de la nonrétroactivité des lois pénales plus sévères et d’autre part, l’interprétation stricte de la loi pénale
qui interdit au juge d’étendre une incrimination à des faits non prévus par le législateur. Ce
dernier point signifie que la jurisprudence ne peut pas étendre un délit à des faits ne réunissant
par tous les éléments constitutifs prévus par la loi.
Les éléments constitutifs du délit d’abus de bien social sont clairement définis par les articles L.
241-3 à 242-6 C.com. Or, les juges se montrent parfois très laxistes avec l’exigence du dol spécial
(le dirigeant doit en effet abuser des biens de la société « à des fins personnelles »). Cette
bienveillance s’explique aisément par la volonté de moraliser le monde des affaires mais ne
respecte pas parfaitement l’exigence de légalité des peines. Certains auteurs s’interrogent
finalement sur la pertinence de ce dol spécial qu’ils jugent « superfétatoire »2. L’éventuelle
disparition du dol spécial aurait pour avantage de mettre le droit en conformité avec le principe
de légalité des peines mais également de rapprocher l’abus de bien social de l’acte anormal de
gestion qui n’exige pas un tel élément.
Malgré l’incohérence à laquelle l’exigence d’un tel élément aboutit, les différentes réformes n’ont
pas conduit à son éviction des éléments constitutifs du délit.
2) Les limites pratiques
a) La notion d’erreur de gestion et l’acte anormal de gestion
L’intégration de la notion de risque dans le domaine de l’acte anormal de gestion a abouti à
élargir le domaine d’application de la théorie de l’acte anormal de gestion. Étudier à la lumière de
la notion d’intérêt social, ce « transfert » conduit à deux interrogations : d’une part, que devient
l’élément intentionnel, principal signe distinctif entre l’acte anormal de gestion et l’erreur de
gestion ? D’autre part, est-il permis de penser que la frontière entre les deux notions est devenue
si floue qu’elle n’est plus pertinente ?
1
Article 111-3 CP : « Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la
loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement. Nul ne peut être puni d’une
peine qui n’est pas prévue par la loi, si l’infraction est un crime ou un délit, ou pour le règlement si l’infraction est une
contravention »
2
ème
JEANDIDIER (W.), Droit pénal des affaires, DALLOZ, 6
éd., p. 378 : « L’examen de toutes ces décisions conduit à
s’interroger sur la rationalité de l’exigence d’un dol spécial pour l’abus de biens sociaux. Tout mobile étant pris en
considération, cela ne revient-il pas en définitive au caractère superfétatoire du dol spécial et de ce fait à un
rapprochement inattendu avec l’abus de confiance ».
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
L’erreur correspond à une écriture comptable erronée, effectuée de manière involontaire ce qui
l’exclut d’emblée de la catégorie des décisions qui sont nécessairement volontaires1. Pour
différencier les deux notions, l’administration fiscale examine si l’auteur de l’acte a entendu agir
dans l’intérêt de la société, en d’autres termes, elle procède à un examen de la « bonne foi » du
chef d’entreprise.
Or, depuis 1990, le risque excessif pris par un chef d’entreprise est devenu un acte anormal de
gestion. Cette évolution est née du besoin de ne pas laisser s’échapper des pertes financières
mais apparait bancale du point de vue théorique. En effet, le risque excessif est certes souvent le
fruit de la gestion fantaisiste d’un chef d’entreprise déraisonnable, mais rien ne prouve son
intention d’agir à l’encontre de l’intérêt social. Une fois encore, la jurisprudence utilise le critère
de la contrariété à l’intérêt sociale de façon cavalière : l’accompagnant dans un premier temps
d’un élément intentionnel, elle s’accommode depuis 1990 de l’absence de mauvaise foi du chef
d’entreprise.
b) La confusion d’intérêts
Aussi bien dans la théorie de l’acte anormal de gestion que dans le délit d’abus de bien social, la
principale difficulté réside dans un conflit d’intérêts : intérêt de la société et intérêt du dirigeant
ou des tiers2. Il s’agit de protéger l’intérêt de la société face aux intérêts considérés comme
« nécessairement » divergents et nuisibles des autres membres de l’entreprise ou des tiers.
Cette dissociation entre ces différents intérêts constitue un postulat dans l’une et l’autre des
notions. Pourtant, elle n’est pas forcément vraie et ne tient pas compte des « combinaisons »
d’intérêts que peuvent constituer certains actes.
Citons un exemple : un dirigeant peut être amené à acheter des vêtements de luxe pour lui et son
épouse afin de maintenir un certain « prestige » non pas dans son intérêt, mais pour celui de la
société. Ces achats pourront être vus comme des actes anormaux de gestion si l’administration
fiscale les juge excessifs. Mais ils pourront également faire l’objet d’une condamnation pour abus
de bien social.
1
ème
DAVID (C.), FOUQUET (O.) et PLAGNET (B.), Les Grands Arrêts de la Jurisprudence Fiscale, DALLOZ, 2003, 4
569
2
L’intérêt au profit du dirigeant social est un des éléments constitutifs du délit d’abus de bien social.
éd., p.
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
Cette dissociation basée sur la suspicion envers les dirigeants et actionnaires apparait extrême1 et
conduit à nous interroger sur la possibilité d’une autre issue qui restaure une certaine confiance :
la corporate governance. Le sénateur Marini, auteur du rapport du même nom écrivait à ce
propos : « (…) l’on peut se demander si l’intérêt social, censé transcender les intérêts des
actionnaires, n’est pas devenu l’alibi d’un nouveau despotisme éclairé »2.
B. L’alternative de la « corporate governance »
1) La définition
a) Réorganisation du pouvoir dans les entreprises : composante
essentielle
La Corporate Governance est habituellement traduite en français par la « gouvernance
d’entreprise » et désigne une nouvelle forme d’organisation du contrôle et du pouvoir au sein des
entreprises qui met l’accent sur l’implication active des actionnaires. Le besoin d’un rééquilibrage
s’est d’abord fait sentir dans les pays anglo-saxons dans les années 1990 à la suite du scandale
« ENRON », mettant en scène un conseil d’administration ayant abusé de son indépendance3. Ces
scandales financiers ont eu pour conséquence non pas d’alourdir le système répressif mais de
réinstaurer une confiance entre actionnaires et dirigeants sociaux en impliquant les premiers dans
le système décisionnaire et en limitant les frénésies spéculatives des seconds. A la répression
« externe » (judiciaire), les systèmes anglo-saxons privilégient la répression « interne »
(actionnaires).
Cette réorganisation encourage la transparence et l’octroi de nouvelles prérogatives aux
actionnaires qui sont chargés de seconder les décisions des dirigeants et non plus seulement de
les contrôler.
Cette nouvelle vision de la direction d’entreprise a donné lieu à plusieurs « codes de conduite » au
Royaume-Uni notamment4 et à une loi aux Etats-Unis en 20025. Elle a vite été considérée comme
un moyen de sauver l’économie de marché contre l’opacité du système. La Corporate Governance
a commencé à intéresser les entreprises françaises dès les années 1990.
1
Il s’agit d’une spécificité française selon MM. Richard et Miellet : MIELLET (D.) et RICHARD (B.), La dynamique du
gouvernement d’entreprise, 2003, Ed. D’organisation
2
Rapport Marini sur la modernisation du droit des sociétés, p. 13
3
MIELLET (D.) et RICHARD (B.), La dynamique du gouvernement d’entreprise, 2003, Ed. D’organisation, p. 3 : selon les
auteurs, le scandale ENRON est en partie du à une « multiplication des conflits d’intérêt entre les administrateurs et la
société »
4
Code of best practices de Sir Adrian Cadbury en 1992
5
Corporate Accountability Act du 30 juillet 2002, dite « Loi Sarbannes-Oxley »
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
b) La Corporate Governance à l’épreuve du système français
Le modèle français issue de la loi du 24 juillet 1966 se fonde sur une vision institutionnaliste de la
société : cette dernière est une véritable personne qui possède des intérêts propres, différents de
ceux des actionnaires ou des dirigeants. La jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de
cassation a eu l’occasion de réaffirmer à maintes reprises la dissociation entre intérêts des
actionnaires et intérêt social1. Seul l’intérêt de la société importe et le délit d’abus de bien social
entend protéger les intérêts de l’entreprise à l’exclusion de tout autre. Dès lors, le système
« institutionnaliste » français considère que les intérêts des actionnaires ne peuvent être
contraires aux intérêts des associés, mais se garde bien de définir clairement quels sont les
intérêts de la société.
Or, la Corporate Governance insiste sur la combinaison d’intérêts : l’intérêt des actionnaires est le
même que celui de la société qui y ont investi leur argent, leur temps et leur confiance. Cette
conception n’est pas sans rappeler la théorie de la société-contrat2 que la loi de 1966 est venue
remettre en cause. De ce fait, la Corporate Governance entend privilégier la régulation interne de
la société et écarter l’implication du législateur dans les affaires sociales. Au lieu de porter plainte
pour abus de bien social, les actionnaires sont invités à intervenir directement dans l’organe
décisionnaire de la société. Le délit deviendrait en quelque sorte un problème de gestion interne
au même titre que l’acte anormal de gestion.
Cette approche typiquement anglo-saxonne a vite semblé difficilement applicable aux entreprises
françaises, pourtant, des commissions ont subrepticement amené les débats en pointant du doigt
l’incohérence de l’intérêt social.
2) Le régime à la lumière de l’acte anormal de gestion et de l’abus de
bien social
a) Les percées de la Corporate Governance en France
Deux Commissions se sont penchées sur la modernisation de la vie des affaires et ont eu
l’occasion de s’intéresser à la notion d’intérêt social. La première d’entre elles est la Commission
Viénot I de 1995 : elle admet qu’un rôle actif doit être donné aux actionnaires mais insiste sur le
1
Crim. 5 novembre 1963, Bull. Crim. n° 307 ; D. 1964, p. 52 : la justification prise de l’accord des actionnaires
concernant l’acte litigieux est inopérante. Application récente : Crim. 22 septembre 2004, Dr. Pén. 2004, comm. 177,
obs. J.-H. Robert
2
Cf. Infra, p. 23
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
fait que leurs intérêts sont différents de ceux de la société1. Un an plus tard, la Commission Marini
sur la modernisation du droit des sociétés va plus loin. S’appuyant sur l’obsolescence de la loi de
1966 et de la conception « société-institution », elle fustige clairement l’utilisation de la notion
d’intérêt social dans la vie des affaires2 et milite pour une réforme sur ce point.
Ces deux rapports n’ont pas abouti à une réhabilitation de la « société-contrat » et ceci
principalement en raison de l’importance que revêt en France la répression judiciaire des délits
commis par les dirigeants. Définir l’intérêt de la société par rapport aux intérêts des actionnaires
reviendrait à ignorer les autres acteurs s’impliquant malgré eux dans la vie de l’entreprise :
administrateurs, salariés, dirigeants et Fisc.
b) Les avantages et les inconvénients d’une régulation interne de la
société
Du point de vue de l’acte anormal de gestion et de l’abus de bien social, le principal avantage
d’une telle conception serait de définir l’intérêt de la société. La nécessité d’une définition se fait
âprement sentir tant en droit fiscal qu’en droit pénal et conduit à une insécurité juridique. De
plus, définir l’intérêt de la société par rapport aux intérêts des actionnaires aurait pour
conséquence d’assouplir la gestion de la société voire même de diminuer le contentieux puisque
les actionnaires auront un regard sur la prise de décision.
Les inconvénients de la Corporate Governance sont les mêmes que ceux reprochés à la
conception « société-contrat » : considérer l’entreprise comme une succession de contrats est
réducteur puisqu’est ignoré le caractère d’ordre public du délit d’abus de bien social. Par ailleurs,
une réorganisation de la gouvernance n’aboutira pas nécessairement à la résolution des
problèmes propres à la théorie de l’acte anormal de gestion qui relève d’une matière totalement
1
Rapport Viénot 1, 1995, Documentation Française, p. 5 : « L’intérêt social peut ainsi se définir comme l’intérêt
supérieur de la personne morale elle-même, c’est-à-dire de l’entreprise considérée comme un agent économique
autonome, poursuivant des fins propres, distinctes notamment de celles de ses actionnaires, de ses salariés, de ses
créanciers dont le fisc, de ses fournisseurs et de ses clients, mais qui correspondent à leur intérêt général commun, qui
est d’assurer la prospérité et la continuité de l’entreprise. Le Comité considère que l’action des administrateurs doit
être inspirée par le seul souci de l’intérêt de la société concernée. »
2
Rapport Marini 1996, Documentation Française, p.13 : « La loi du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales a trente
ans. Elle privilégie une approche institutionnelle dans laquelle la société est porteuse d'un intérêt social distinct de celui
des associés. Elle comporte de ce fait une forte proportion de règles d'ordre public sanctionnées par un arsenal
répressif très développé. Le cadre qui en résulte est certes garant de la sécurité juridique, mais il est également
particulièrement
rigide.
Aujourd'hui, les impératifs de l'ouverture internationale et la nécessité pour nos entreprises d'évoluer dans un cadre
juridique compétitif appellent à une remise en question de ce modèle afin de laisser plus de place à la liberté
contractuelle. Une telle démarche apparaît d'autant plus nécessaire que l'on peut se demander si l'intérêt social, censé
transcender les intérêts des actionnaires, n'est pas devenu l'alibi d'un nouveau " despotisme éclairé ". »
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
autonome. Certains ajouteront qu’une telle conception de l’intérêt social aboutrait à une crainte
pour l’administration fiscale : voir les actionnaires agir contrairement à l’intérêt du Trésor Public.
« L’administration des sociétés expose leurs dirigeants à certaines tentations auxquelles la
pratique démontre qu’il n’est pas rare qu’ils succombent »1. Cette réalité constitue le cœur du
problème qui nécessite d’assainir la gestion des sociétés.
La théorie de l’acte anormal de gestion et le délit d’abus de bien social sont liés par la recherche
d’un même objectif : la préservation de l’intérêt social soit pour protéger la société elle-même
contre ses dirigeants, soit pour protéger l’administration fiscale contre les évasions financières
excessives. Véritable socle commun des deux notions, l’intérêt supérieur de la société est présent
dans les deux définitions et en constitue un des éléments essentiels. Pour autant, ce point
d’ancrage est fragilisée par la nature protéiforme de l’intérêt social et par l’absence de définition
précise qui rendent difficile une théorisation de son utilisation. Les lacunes de cette notion qui
constitue l’unique point commun entre acte anormal de gestion et abus de bien social militent
pour une définition législative de l’intérêt social ou une substitution de la notion.
Ces lacunes nous conduisent à penser que l’intérêt social est une base fragile et insatisfaisante.
Ces difficultés se trouvent accentuées par les dissensions propres aux matières pénale et fiscale
qui consomment la rupture entre acte anormal de gestion et abus de bien social.
1
JEANDIDIER (W.), Droit pénal des affaires, 2006, Dalloz, p. 368
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
2ème partie
L’irrémédiable dissension entre les visions fiscaliste et
pénaliste de l’intérêt social
L’intérêt social constitue donc le principal point d’ancrage de la théorie de l’acte anormal de
gestion et de l’abus de bien social. Comme nous avons pu le constater, ce point d’ancrage ne
dispose pas de définition ce qui en fait une notion fragile voire dangereuse pour la solidité de la
théorie de l’acte anormal de gestion et d’abus de bien social.
Le caractère intrinsèquement fragile et polymorphe de la notion d’intérêt social (pouvant à la fois
être vu sous un angle « économique » ou sous un angle « moral ») conduit nécessairement à un
risque de divergences entre acte anormal de gestion et abus de bien social. Ce risque est en
réalité bien concret puisque ces incompréhensions de départ concernant l’intérêt social sont
accentuées par les dissensions originaires entre les matières fiscale et pénale.
En raison de l’absence de définition de l’intérêt social, les principales sources sont
jurisprudentielles. Elles nous montrent que dans une même situation, le juge fiscal et le juge
pénal ne concluront pas à la même solution et ce, en raison d’une appréciation divergente de
l’intérêt que peut représenter l’acte pour la société. Cette discordance trouve son origine dans le
réalisme du droit fiscal qui contraste avec le moraliste pénal (Section 1). Mais le domaine où les
différences sont les plus palpables reste la sanction infligée : là où le juge fiscal tente de corriger
une anormalité, le juge pénal punit un comportement (Section 2).
Section 1 : Une appréciation discordante de l’intérêt social : le
réalisme du droit fiscal face au moralisme du droit pénal
La protection de l’intérêt social est fondamentale, tant dans la théorie de l’acte anormal de
gestion que dans le délit d’abus de bien social. Pourtant, cette protection ne recouvre pas la
même réalité suivant qu’elle est vue par le juge fiscal ou suivant son appréciation par le juge
pénal. Les raisons de cette dissonance sont à rechercher au-delà des simples notions étudiées,
elles sont le fruit d’une incompréhension beaucoup plus profonde entre le droit fiscal et la
matière pénale. Là où le fiscaliste ne recherche que l’intérêt financier d’une entreprise, le
pénaliste ne peut faire fi de la dimension morale de l’intérêt social. C’est pour cette raison que
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
face à un acte illicite (I.) et face à un groupe de société (II.), les solutions divergent et prouvent
encore une fois que l’acte anormal de gestion et l’abus de bien social ne sont pas des notions
symétriques.
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
I.
Illicéité et intérêt social : la conception amorale du droit fiscal
Si la mission du juge répressif est de départager le licite et l’illicite conformément à la loi, le
juge fiscal ne s’embarrasse guère de moralisme. L’adage si cher aux civilistes « Nul ne peut se
prévaloir de sa propre turpitude »1 ne rencontre que de lointains échos en droit fiscal. Il s’agit
donc de l’une des principales sources d’incompréhension entre l’acte anormal de gestion et l’abus
de bien social (A.) qui conduit une appréciation différente de mêmes faits. (B.)
A. Illicéité et intérêt social : les raisons de l’incompréhension
1) L’approche exclusivement comptable de l’anormalité
a) Les scrupules du juge fiscal
La dure réalité du monde des affaires peut conduire certains dirigeants à user de méthodes
interdites par la loi non pas à des fins personnelles mais pour l’intérêt de leur société. Ces
dépenses sont à la fois illicites et bénéfiques pour la société (et pour l’administration fiscale). Le
juge fiscal s’est donc retrouvé face à un dilemme : un acte illicite est-il nécessairement anormal
(et donc, devant être écarté de la déduction) ? A travers cette question, deux visions s’opposent :
la vision gestionnaire et la vision moraliste, à l’imperturbable réalisme de la première s’oppose les
scrupules moraux de la seconde.
Longtemps, le juge fiscal s’est laissé tenter par la conception moraliste, refusant
systématiquement de déduire les dépenses conformes à l’intérêt social, mais contraires à la loi.
L’illustration la plus probante de ce courant moraliste est l’arrêt rendu par le Conseil d’État du 10
décembre 19692, un chef d’entreprise offrait divers cadeaux aux gestionnaires de collectivités
territoriales dans le but d’obtenir des marchés. Cette méthode efficace était motivée par l’intérêt
de la société mais s’apparentait à de la corruption de fonctionnaire. Voulant déduire ces
dépenses, le chef d’entreprise s’est vu opposer un refus de l’administration fiscale justement en
raison du caractère illicite de ces « cadeaux ». Le Conseil d’État confirma cet arrêt : les dépenses
ne furent pas déduites du bénéfice et furent imposées par l’administration fiscale.
Cette position est restée inchangée tout au long des années 1970 et jusqu’au début des années
1980. L’administration fiscale refusait par exemple de déduire les amendes pénales infligées au
dirigeant3 ou les charges financières résultant d’une clause d’indexation illicite4. Ce courant fut
1
« Nemo auditur propriam turpitudinem allegans » : Nul n’est recevable à invoquer sa propre turpitude
ème
ème
CE, 7
et 9
sous-sect., 10 décembre 1969, req. n° 73973 : Dr. Fisc. 1970, n° 50, comm. 1429, concl. SCHMELTZ.
Encore d’actualité aujourd’hui car on estime que le paiement de ces amendes est le fruit d’une gestion anormale. Le
dirigeant peut toutefois apporter la preuve du contraire.
3
Rép. Min. n° 27181 à M. Braconnier, JO déb. Sénat 14 décembre 1978, p. 4740
4
ème ème
ème
CE, 7 , 8 et 9 sous-sect., 8 mai 1981, req. n° 8294 : Dr. Fisc. 1981, n° 29, comm. 1477, concl. VERNY
2
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
fortement critiqué par la doctrine1 et le commissaire du gouvernement Léger ne manqua pas
d’affirmer : « Cette conception, qui fait de toute illicéité un acte de gestion anormale et qui doit
être celle du juge pénal comme elle l’est du confesseur, doit-elle être celle du juge fiscal ? Nous ne
le pensons pas »2.
b) La conception gestionnaire du juge fiscal
L’année 1983 constitue un tournant puisqu’elle marque la fin du courant moraliste au profit du
courant réaliste : l’illicéité d’un acte ne le rend plus automatiquement anormal à condition qu’il
ait été réalisé dans l’intérêt de l’entreprise. Une affaire jugée le 11 juillet 19833 est venue mettre
un terme à la jurisprudence de 1969 : un épicier, afin d’attirer la clientèle, usait de procédés
publicitaires réprimés par la loi (en l’occurrence la vente avec prime). Les services fiscaux lui
refusèrent la déduction fiscale des dépenses occasionnées par ces techniques illicites au motif
qu’elles seraient contraires à une loi de 1951.
Cet arrêt a été l’occasion pour le Conseil d’État d’opérer un revirement important : bien que les
dépenses opérées fussent illicites sur le plan juridique, elles sont déductibles dès lors qu’elles ne
sont pas contraires à l’intérêt social. Cette nouvelle position fut initiée par le commissaire du
gouvernement, qui mit en exergue trois incohérences dans ses conclusions4 : d’une part, le
maintien d’un moralisme affaiblit la notion d’intérêt social puisqu’un acte illicite peut être
conforme à celui-ci. D’autre part, le pouvoir donné à l’administration fiscale de juger du licite ou
de l’illicite est excessif et n’appartient qu’au juge pénal. Enfin, M. Léger estime que cette nondéductibilité des dépenses illicites aboutit à sanctionner injustement le chef d’entreprise alors
même qu’aucun texte ne le prévoit.
Le courant réaliste l’emporte et avec lui la conception strictement gestionnaire et économique de
la mission des services fiscaux. Ce réalisme fiscal est incompris du juge pénal dont la principale
mission est de sanctionner les comportements contraires à la loi.
1
COZIAN (M.), Illicéité et normalité, Dr. Fisc. 1995, n° 51, p. 1837 : « Toute cette jurisprudence, d’inspiration
moralisatrice, est très critiquable ; si une dépense ou une perte est subie dans le cadre de la gestion d’une entreprise il
faut en admettre la déduction, à moins qu’un texte ne l’interdise de façon expresse ».
2
ème
Sous CE, 7 et 9 ème sous-sect., 11 juillet 1983, req. n° 33942 : Dr. Fisc. 1984, n° 16 comm. 813, concl. LEGER
3
Cf. Supra, note n° 2
4
Cf. Supra, Concl. LEGER, p. 39
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
2) L’approche fortement morale de l’abus de bien social
a) Un acte illicite ne peut pas être fait dans l’intérêt social pour le juge
pénal
Il est difficilement admissible pour le juge pénal, qu’un dirigeant commette une infraction dans
l’intérêt de la société. L’essence répressive de sa mission s’oppose à une vision strictement
économiste de la gestion du dirigeant : « tout acte contraire au droit pénal – qu’il expose ou non la
personne morale à des sanctions pénales – ne peut qu’aller à l’encontre de l’intérêt d’une société
qui ne saurait prospérer en marge de la loi »1. L’assertion peut paraitre abrupte, mais elle apparait
en cohérence avec le rôle répressif du juge pénal qui ne peut « ignorer » l’illicite au nom de
l’intérêt économique de la société. Il faut se rappeler que le juge pénal accorde une attention
quasiment exclusive à l’aspect moral de l’intérêt social. Peu lui importe l’aspect économique qui
relève du juge fiscal. Cet aspect est méconnu du droit fiscal qui admet parfaitement que des actes
illicites puissent être imposés ou déduits et qui refuse de voir au-delà de l’aspect strictement
financier.
Le moralisme du droit pénal conduit donc à une position différente du droit fiscal : un acte illicite
ne peut être considéré comme conforme à l’intérêt social. Cette affirmation qui semble pourtant
évidente, a donné lieu à de nombreuses péripéties jurisprudentielles dans les années 1990 au
cours desquelles, les juges de la chambre criminelles furent tentés par l’approche réaliste du droit
fiscal. Est-ce à dire que le droit fiscal est à l’origine de cette « tentation » du réalisme ? Il n’est pas
exagéré de le penser.
b) La tentation du réalisme
Deux types d’actes illicites commis par les dirigeants de société sont récurrents : la corruption
active et la constitution de « caisse noire ». Ces comportements réprimés par la loi peuvent être
considérés comme relevant d’une gestion normale par le droit fiscal à condition qu’ils ne soient
pas contraires à l’intérêt social. Le juge pénal fut tenté d’adopter la même position « amorale »,
ce qui donna lieu à une série d’hésitations jurisprudentielles en trois étapes.
Dans un premier temps, la chambre criminelle considéra que la corruption commise par le
dirigeant constituait automatiquement un usage abusif. La position choqua beaucoup de
commentateurs qui reprochaient à l’arrêt son « ton péremptoire »2, son absence d’explications,
1
2
ème
JEANDIDIER (W.), Droit pénal des affaires, DALLOZ, 6 éd., p. 374
DALMASSO (Th.), L’arrêt Carignon : retour à la rigueur ?, PA.1997, n° 146, p. 32
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
allant même jusqu’à qualifier la décision de « dévoiement » du délit d’abus de bien social1. Il
apparaissait en effet étonnant aux yeux de ces auteurs que le juge pénal puisse considérer qu’un
acte illicite est nécessairement contraire à l’intérêt social, alors même que la corruption peut
avoir pour but la sauvegarde de la société. La ligne de conduite controversée des juges fut
abandonnée quatre années plus tard par un arrêt dit « Rosemain »2 dont la formulation laissait
penser que l’utilisation d’une caisse noire à des fins sociales n’était pas forcément constitutive
d’un abus de bien social. Ce revirement de jurisprudence reçu un accueil positif3 par les auteurs
qui se réjouissaient de cette audace. Cette position fut réaffirmée dans un arrêt « Mouillot-Noir »
de 19974. Ainsi, la Cour de cassation cesse de soumettre l’acte illicite à une présomption
irréfragable de contrariété à l’intérêt social et admet qu’une opération, même contraire à la loi,
puisse avoir été réalisée conformément à l’intérêt social.
Cette jurisprudence si proche de la position fiscale posait quelques problèmes « éthiques ».
Comment justifier qu’un juge pénal, dont la principale mission est de sanctionner les actes non
conformes à la loi, puisse admettre l’idée d’un délit bénéfique pour l’entreprise. Cette
incohérence a pris fin avec un arrêt du 27 octobre 1997 « Carignon »5. Dans cette décision, la
chambre criminelle revient à la jurisprudence « Carpaye » de façon claire6. Elle met ainsi un terme
à sa période amorale et s’éloigne de la position prise par le Conseil d’Etat.
B. L’illustration
1) Un acte illicite est nécessairement abusif
a) Les conséquences du revirement : intervention du juge pénal
concernant la gestion immorale
L’épopée prétorienne de la chambre criminelle nous amène à constater le rôle ambigu de la
notion d’intérêt social dont la Cour a tant peiné à trouver l’orientation : tantôt morale, tantôt
économique. L’issue de ces rebondissements montre le caractère irrémédiablement moral de
1
BOULOC (B.), RJ Com, 1995.301. M. Bouloc reproche également à cet arrêt de confondre « intérêt social » et « objet
social »
2
Crim. 11 janvier 1996, Bull. Crim. n° 21, ANNEXE n° 2 : « S’il n’est pas justifié qu’ils ont été utilisés dans le seul intérêt
de la société, les fonds sociaux prélevés de manière occulte par un dirigeant social l’ont nécessairement été dans un
intérêt personnel » ; Ceci signifie que, certes, le juge pénal impose une présomption de dol spécial mais celle-ci n’est
pas irréfragable.
3
BOULOC (B.), Rev. Soc. 1996, p. 586 ; ROBERT (J.-H.), Dr. Pén. 1996, p. 108
4
Crim. 6 février 1997, Bull. Crim. n° 48
5
Crim. 27 octobre 1997 « Carignon », ANNEXE n° 3
6
Supra : « «Quel que soit l’avantage à court terme qu’elle peut procurer, l’utilisation des fonds sociaux ayant pour seul
objet de commettre un délit tel que la corruption est contraire à l’intérêt social, en ce qu’elle expose la personne
morale au risque anormal de sanctions pénales ou fiscales contre elle-même et ses dirigeants et porte atteinte à son
crédit et à sa réputation ».
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
l’intérêt social tel que compris par le juge pénal. La tentation du réalisme fiscal fut de courte
durée en raison des rôles totalement différents des juges pénaux et fiscaux : si le premier a pour
mission de faire respecter l’ordre au sein de l’État, le second ne doit se soucier que de la
protection de ses intérêts financiers. Le juge pénal a pour mission de réprimer tous les actes
socialement dangereux, prévus par le législateur. Admettre, même de manière accessoire, qu’un
acte illicite est partiellement bénéfique pour la société contrevient à son rôle.
En effet, le rôle du juge pénal, résolument plus contraignant que celui du juge fiscal, se retrouve
davantage limité par la décision « Carignon » qui refuse finalement de protéger l’intérêt
économique de la société peut-être parce qu’elle risque d’être en contradiction avec l’ordre
public dont la juridiction répressive est la gardienne.
Si la position est la même qu’en 1992, elle offre plus d’explications : l’acte illicite ne peut être
conforme à l’intérêt social « en ce qu’elle expose la personne morale au risque anormal de
sanctions pénales ou fiscales contre elle-même et ses dirigeants et porte atteinte à son crédit et à
sa réputation ». On constate que la Cour se garde bien de définir l’intérêt social et par un habile
raisonnement revient à la « jurisprudence des risques excessifs » pour déclarer l’acte illicite
contraire à l’intérêt social1.
b) Un abus de bien social n’est pas nécessairement anormal
L’arrêt « Carignon » évoque à l’appui de son raisonnement, les risques de « sanctions pénales ou
fiscales » découlant d’un acte illicite. Comme le fait justement remarquer M. Bouloc, les
conséquences fiscales sont inexistantes pour la société2 au regard de la jurisprudence du Conseil
d’État datant de 19833. L’argument de la Cour est donc inapproprié et il aurait été plus
compréhensible d’affirmer que tout acte illicite est nécessairement contraire à l’intérêt social en
raison du caractère d’ordre public de la matière pénale.
Dès lors, il s’agit ici d’une des situations dans laquelle un même acte est constitutif d’un abus de
bien social sans relever d’une gestion anormale pour le juge fiscal4. Un dirigeant s’étant rendu
coupable de corruption active sera poursuivie sur le plan de l’abus de bien social (dont
1
Si un acte illicite est nécessairement contraire à l’intérêt social c’est non pas en raison du caractère immoral du
comportement qui contrevient à l’ordre public, mais c’est en raison des risques excessifs que de tels agissements font
peser sur l’entreprise.
2
BOULOC (B.), Confirmation sur le recel d’abus de bien sociaux ; retour à 1997 sur l’acte contraire à l’intérêt social, Rev.
Soc. 1997, p. 869 : « Quoi qu’il en soit, les arguments invoqués ne sont pas imparables. En effet, la sanction fiscale qui
serait sans doute celle de l’acte anormal de gestion ne parait pas vraisemblable compte tenu de la jurisprudence du
Conseil d’État sur ce point ».
3
ème
ème
CE, 7 et 9 sous-sect., 11 juillet 1983, cf. supra
4
COZIAN (M.), Illicéité et normalité, Dr. Fisc. 1995, n° 51, p. 1837
Page | 45
L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
l’établissement sera d’autant plus facilité que pèsera une présomption d’intérêt personnel) mais
pourra déduire les dépenses engagées au titre des articles 38 et 39 CGI. Cette asymétrie cache en
filigrane la dissemblance manifeste entre les missions du juge pénal et celles du juge fiscal. A
l’appui de l’indépendance du juge fiscal, le principe d’autonomie du droit fiscal vient théoriser ces
différences.
Afin de saisir cette dissension, citons un arrêt du Conseil d’État en date du 5 décembre 19831 qui
admet à titre de principe la déduction de telles dépenses : « Considérant que l’Administration ne
conteste ni qu’il était de l’intérêt de la société X, notamment afin de mieux assurer la sécurité de
ses approvisionnements, de consentir à une personne désignée par son fournisseur une soulte en
sus du prix d’achat apparemment fixé, ni que le prix pratiqué, majoré du montant de la soulte, ait
été anormalement élevé ».
2) Un acte illicite n’est pas nécessairement anormal
a) L’autonomie du droit fiscal et le principe d’indépendance des
législations
La question de l’illicéité des actes déductibles fait resurgir une question plus large, celle de savoir
si le juge fiscal est véritablement lié par les qualifications du droit pénal. Il s’agit de savoir dans
quelle mesure le délit d’abus de bien social peut influencer la décision de l’administration fiscale
qui se prononcera sur la déductibilité des dépenses engendrées pour commettre le délit. S’il est
évident que l’administration fiscale se doit de tenir compte des décisions judiciaires et du droit
commun, les arrêts du juge fiscal s’écartent parfois du chemin tracé par les juges civils ou
administratifs.
La spécificité du droit fiscal est parfois critiquée par certains auteurs, notamment Maurice Cozian2
qui reprochait aux principes d’autonomie et de réalisme du droit fiscal d’être des concepts vides,
n’ayant jamais été sérieusement démontrés et ne servant que de conclusions à des auteurs peu
inspirés3. Ces principes laissent en effet penser -à tort- que le droit fiscal possède une sorte de
pouvoir exorbitant lui permettant de requalifier des délits, des décisions judiciaires ou des statuts
juridiques. Or, l’autonomie du droit fiscal ne correspond pas à ce schéma caricatural et repose en
1
ème
ème
CE, 7 et 9 sous-sect., 5 décembre 1983, req. n° 35697 : Dr. Fisc. 1984, n° 14, comm. 695 ; RJF 2/84, p. 62
ème
COZIAN (M.), Précis de fiscalité des entreprises, LITEC, 2008, 31 éd., p. 3, Document 1 « Propos désobligeants sur
une « tarte à la crème » : l’autonomie et le réalisme du droit fiscal.
3
COZIAN (M.), Précis de fiscalité des entreprises, cf. Supra, note n° 2, « Lorsque, tant bien que mal, les spécialistes
décortiquent les mécanismes de cette législation touffue et que, voulant faire les savants, ils avancent une explication
théorique, c’est trop souvent pour invoquer l’autonomie et le réalisme du droit fiscal. Une « tarte à la crème » que le
Petit Robert définit comme « une formule vide et prétentieuse par laquelle on prétend avoir réponse à tout » ».
2
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
réalité sur une interprétation autonome, indépendante et réaliste de faits ou actes juridiques, à la
lumière de l’intérêt économique de l’État. La législation fiscale tient uniquement compte de la
réalité juridique telle qu’elle est et non telle qu’elle aurait du être.
L’autonomie du droit fiscal est donc un concept qui consacre une autre vision des situations
juridiques qui se trouve davantage accentuée par le principe d’autonomie des législations.
b) Illustrations jurisprudentielles
L’autonomie du droit fiscal est donc pleinement visible à l’étude comparative de l’acte anormal de
gestion et de l’abus de bien social. Plusieurs jurisprudences illustrent l’autonomie du droit fiscal
par rapport au droit pénal concernant ce qu’il faut entendre par « atteinte à l’intérêt social ».
Dans l’arrêt « Philippe » de 20001, un chef d’entreprise entendait déduire de son bénéfice le
montant des condamnations pour recel et escroquerie. L’administration fiscale contesta ces
déductions et redressa le contribuable arguant de l’anormalité de ces dépenses. Cette position fut
confirmée par la Cour administrative d’appel de Nantes qui considéra que ces condamnations
étaient la conséquence des risques manifestement excessifs que le dirigeant avait fait supporter à
son entreprise. Le Conseil d’État censura la décision des juges nantais pour erreur de droit aux
motifs que « ne relèvent pas nécessairement d’une gestion anormale tous les actes ou opérations
que l’exploitant décide de faire en n’ignorant pas qu’il expose ainsi l’entreprise au risque de devoir
supporter certaines charges et dépenses ».
Cette décision qui s’inscrit pourtant dans la droite ligne de celle de 1983 (à la seule différence
qu’elle s’applique aux frais résultant d’une condamnation) rencontre encore de violentes critiques
de la part de commentateurs qui reproche au Conseil d’État sa position juridiquement immorale.
Ainsi, Mme Florence Deboissy reproche au Conseil d’État2 de n’avoir pas pris en considération
l’argument des « risques manifestement excessifs pour l’exploitation » avancé par les juges
d’appel. L’auteur va plus loin, puisqu’elle prône l’application à l’acte anormal de gestion de la
jurisprudence de la chambre criminelle sur l’abus de biens social3 : « Ceci démontre à l’évidence
que l’intérêt de l’entreprise ne saurait procéder d’une approche purement mercantile et que
1
ème
ème
CE, 8 et 9 sous-sect., 7 janvier 2000, Philippe, RJF 2000, n°162, p. 114. Notons qu’une décision a été rendue par
ème
ème
le Conseil d’État, le même jour (CE, 8
et 9
sous-sect., 7 janvier 2000, Jean-François) concernant une amende
prononcée par le Conseil de la concurrence. Elle a opté pour un refus de déductibilité car non conforme à l’intérêt
social. Mme Deboissy approuve : « la licéité est une composante nécessaire à l’intérêt de l’entreprise », il en va de la
ème
ème
cohérence de la « politique juridique étatique » (DEBOISSY (F.), obs. sous CE, 8
et 9
sous-sect., 7 janvier 2000,
Société entreprise Jean-François, RTDCom.2000, p. 757)
2
ème
ème
DEBOISSY (F.), obs. sous CE, 8 et 9 sous-sect., 7 janvier 2000, Philippe, RTDCom.2000, p. 760
3
Cf. Supra, note n° 2
Page | 47
L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
poursuivre dans cette voie mène au non-sens juridique. De toutes les façons, même si l’on réduit
l’intérêt de l’entreprise à une dimension exclusivement financière, ce qui est encore une fois
inadmissible juridiquement, il est évident que la commission d’infractions telles que le recel et
l’escroquerie obèrent lourdement la continuité de l’exploitation »1. La mésentente entre acte
anormal de gestion et abus de bien social se rencontre également dans un autre domaine : celui
de l’intérêt de groupe.
II.
Sociétés de groupe et intérêt social : la conception objective du
droit fiscal
L’aide financière entre deux sociétés constitue le second point de discorde significatif entre la
théorie de l’acte anormal de gestion et l’abus de bien social. Pour le droit pénal, une telle
opération est tout à fait admissible et n’est nullement constitutive d’un abus de bien social. En
revanche, pour les services fiscaux, l’aide apportée à une autre société est présumée être
anormale. Les raisons de cette incompréhension résultent d’une approche différente du
solidarisme inter-entreprise qui met encore une fois en exergue l’absence de définition de
l’intérêt social (A.). Ces clivages apparaissent davantage flagrants lorsqu’elles sont illustrées
d’exemples jurisprudentiels (B.).
A. L’intérêt de groupe : les raisons de l’incompréhension
1) L’approche strictement économique de l’intérêt social en droit fiscal
a) L’aide financière aux sociétés sœurs constitue un acte anormal de
gestion
Le droit fiscal se montre particulièrement exigeant et se situe à contre-courant de la position
pénaliste : l’aide financière entre sociétés est par principe et jusqu’à preuve du contraire, un acte
anormal de gestion. Autrement dit, lorsqu’une entreprise en aide une autre qui appartient à un
même groupe, elle commet un acte contraire à son intérêt social2 sauf si elle démontre un intérêt
commercial. Il était déjà admis que l’aide apportée à une autre société, sans aucun lien juridique,
1
ème
ème
DEBOISSY (F.), Obs. sous CE, 8 et 9 sous-sect., 7 janvier 2000, Société entreprise Jean-François, RTDCom.2000, p.
758
2
er
Pour une application récente ; CE, 1 mars 2004, req. n° 237013, SA Représentation, Dr. Fisc. 2004, n° 37, comm. 669,
concl. GOULARD
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
ne pouvait que s’apparenter à une gestion anormale1. Cette solution apparait logique au regard
de la conception strictement économique de l’administration fiscale. Comme le faisait remarquer
Maurice Cozian : « une entreprise n’est pas une œuvre de bienfaisance ; sa mission est de réaliser
des profits non de faire la charité »2. En revanche, lorsque les sociétés font parti d’un même
groupe, cette même position semble excessive pour ne pas dire inappropriée au regard des
réalités économiques.
En effet, si l’on s’en tient à l’habituelle approche strictement économique propre au droit fiscal,
les désagréments rencontrés par une société se répercuteront nécessairement, à moyen ou long
terme sur sa société-sœur. De plus et comme le fait remarquer un auteur, l’intérêt social d’une
filiale ne peut se concevoir pleinement sans tenir compte de l’intérêt du groupe dans lequel elle
est intégrée3. Le réalisme du droit fiscal montre ici ses limites puisque cette réalité économique
n’est pas prise en compte4.
Un début de changement s’est néanmoins fait sentir à l’initiative de la Cour administrative d’appel
de Paris dans un arrêt en date du 10 décembre 20045 : « c’est au regard de l’intérêt du groupe
intégré […] que doit être apprécié le caractère normal de l’acte de gestion en cause ». Cette
solution n’a pas été reprise par le Conseil d’État qui étend même cette jurisprudence à l’aide
apportée par une filiale à sa société-mère. A l’inverse, l’aide apportée par une société-mère à une
filiale n’est pas considérée comme anormale.
b) L’aide financière d’une société mère à sa filiale ne constitue pas un
acte anormal de gestion
L’aide financière d’une société à sa filiale en difficulté constitue une réalité économique que le
droit fiscal a décidé de prendre en considération. Au-delà de la théorie de l’acte anormal de
gestion, le code général des impôts prévoit à son article 223 A, la possibilité pour une sociétémère d’intégrer les déclarations fiscales de ses filiales dans sa propre imposition. Autrement dit, la
société-mère peut acquitter le paiement de l’impôt de sa filiale. Cette faculté accordée aux
sociétés-mères explique en partie la bienveillance de l’administration fiscale. Pour autant, il ne
1
Sauf à prouver un acte conforme à l’intérêt social
ème
COZIAN (M.), Précis de fiscalité des entreprises, LITEC, 2008, 31 éd., p. 243
3
LEGENDRE (A.), Plaidoyer pour la reconnaissance en droit fiscal de l’existence d’une part, non détachable de l’intérêt
du groupe auquel elle appartient, de l’intérêt propre d’une société, Dr. Fisc. 2006, n° 11, p. 606
4
A noter toutefois que malgré le refus des tribunaux, les entreprises invoquent souvent deux types de justification
pour obtenir la déductibilité d’une aide à une autre société du même groupe : la sauvegarde de leur propre pérennité
juridique (souvent rejeté) et la sauvegarde leur propre pérennité économique (parfois admise).
5
CAA Paris, 10 décembre 2004, n° 00-36
2
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
faut pas s’y tromper : le juge fiscal n’admet aucunement l’existence d’un intérêt de groupe mais
tient uniquement compte de l’intérêt propre de la société-mère. L’intérêt financier de telles
opérations motive la solution apportée par le Conseil d’État.
Cette solution est étendue aux sous-filiales en difficulté (les filiales des filiales) pour les mêmes
raisons. Il a été ainsi jugé qu’une telle aide ne constituait pas un acte anormal de gestion puisque
cette opération visait à sauvegarder l’intérêt de la sous-filiale1.
Face à cette rigueur fiscaliste, le droit pénal se montre particulièrement bienveillant et tranche
encore une fois avec une solution paradoxalement basée sur l’intérêt économique.
2) L’approche fortement subjective de l’intérêt social en droit pénal des
affaires
a) L’admission d’un intérêt de groupe
Le droit pénal se montre paradoxalement beaucoup plus réaliste que le droit fiscal lorsque les
abus ont lieu au sein d’un groupe de sociétés. Les juges de la chambre criminelle reconnaissent en
effet un fait justificatif tiré de l’intérêt de groupe. Il convient de rappeler à titre liminaire que
l’abus de bien social a pour mission de sanctionner les comportements des dirigeants sociaux,
pillant des biens de la société à leur profit. Cet éclairage permet de resserrer le questionnement
sur l’hypothèse d’un dirigeant utilisant les biens de la société pour aider une seconde société qu’il
possède ou dont il est actionnaire. Contrairement au droit fiscal qui n’y voit qu’un acte anormal
de gestion, sauf exceptions, le droit pénal fait preuve de beaucoup plus de subtilités.
Tout comme pour l’acte anormal de gestion, le premier pas vers l’admission d’un intérêt de
groupe a très tôt été franchi par des juges du fond, en l’occurrence le tribunal correctionnel de
Paris. Dans cette affaire « Willot »2, les juges ont admis que l’existence d’un intérêt de groupe
puisse assouplir le régime de l’abus de biens social. Cette souplesse est néanmoins limitée à la
réunion de trois conditions : d’une part les sociétés doivent faire partie d’un groupement
économique ; d’autre part, les sacrifices de la société doivent avoir été réalisés dans l’intérêt du
groupe ; enfin, ces sacrifices ne doivent pas avoir fait peser des risques trop lourds sur la société.
1
2
CE, 10 mars 2006 : Dr. Fisc. 2006, n° 21-22, comm. 414, concl. SENERS
Trib. Corr. Paris 16 mai 1974, Rev. Soc. 1975, 665, note B.O. ; D. 1975, 37
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
Contrairement à son homologue fiscaliste, les juges de la Cour de cassation décidèrent de
poursuivre dans cette voie et officialisèrent l’existence de la notion d’intérêt de groupe en 1985,
dans un arrêt « Rozenblum »1.
b) Les conséquences de l’admission d’un intérêt de groupe
L’arrêt « Rozenblum » est la décision de principe qui admet donc l’existence d’un intérêt de
groupe dans l’intérêt social, susceptible d’assouplir les règles d’application du délit d’abus de bien
social. La chambre criminelle considère donc que l’intérêt d’une société donnée est lui-même
constitué –en partie- de l’intérêt du groupe dans lequel il est intégré. Cette conception repose sur
des considérations économiques mais pas exclusivement puisque se dessine en filigrane
l’admission d’une solidarité de groupe, là où le droit fiscal est régi par un « égoïsme sacré »2. Ce
solidarisme est empreint de considérations morales : pourquoi poursuivre un dirigeant qui aide
financièrement une filiale ou une société sœur sur le point de s’écrouler ?
Pour autant, l’utilisation des biens de la société au profit d’une société du même groupe
n’immunise pas automatiquement le dirigeant qui en est l’auteur. On peut le comprendre
aisément puisque qu’il suffirait pour un dirigeant indélicat d’intégrer au sein du groupe sa propre
société (fictive ou non), arguer de difficultés financières et détourner l’argent de la société en
toute impunité. Pour ces raisons, la jurisprudence pénale a tenu à entourer cette justification de
conditions cumulatives inspirées de l’arrêt « Willot ». Les sociétés concernées doivent appartenir
au même groupement économique et le flux financier doit être interne au groupe ; ensuite, il doit
effectivement exister un intérêt de groupe commun ; par ailleurs, le concours financier doit
apporter une contrepartie à la société et ne doit pas excéder ses capacités.
Tous ces éléments aboutissent donc à limiter cette justification mais l’existence de cette
distorsion conduit à des situations asymétriques entre le juge fiscal et le juge pénal. L’illustration
de cas jurisprudentiels permet de mettre en lumière cette incompréhension.
B. L’illustration de la conception morale
1) Le cas des abandons de créance3
a) La vision stricte du droit fiscal
1
Crim.4 février 1985, Bull. Crim. n° 54 ; D. 1985, 478, note OHL; JCP 1986.II.20585, note JEANDIDIER
TUROT (J.), Avantages consentis entre sociétés d’un groupe multinational, RJF 1989, chron. p. 263
3
L’abandon de créance est la situation dans laquelle une société va renoncer à une créance qu’elle détient au profit
d’une autre société. Cette situation n’est a priori pas conforme à l’intérêt social lorsqu’elle est réalisée sans
contrepartie.
2
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
Sauf lorsqu’elle est réalisée par une société-mère au profit de sa filiale en difficulté ou lorsqu’elle
est justifiée par l’intérêt social, l’abandon de créance est un acte anormal de gestion. Maurice
Cozian rangeait ces deux exceptions en deux catégories1. La première qu’il qualifiait d’abandon de
créance présentant un caractère commercial renvoyait à l’hypothèse d’aide financière entre deux
partenaires commerciaux2 que la jurisprudence fiscale admet aisément même s’ils sont
indépendants juridiquement l’un de l’autre. La seconde catégorie est celle des abandons de
créance présentant un caractère financier qui renvoie aux groupes de sociétés. Les aides
financières entre sociétés sœurs sont des actes anormaux de gestion comme un arrêt Leclerc a pu
le rappeler3.
Les magasins Leclerc avait mis en place une règle de solidarité entre les différents magasins. Ainsi,
lorsqu’un nouveau commerçant intégrait le réseau Leclerc, il était parrainé par un autre
commerçant Leclerc. En l’espèce, ce nouvel adhérent Leclerc rencontrait quelques difficultés
financières qui furent résolues par l’apport financier du « parrain ». Ce dernier souhaitait déduire
fiscalement ces sommes qu’il a « données » au nouvel adhérent, mais le Fisc le lui refusa arguant
de l’absence de relations commerciales. Il s’agissait ici de savoir si le Conseil d’État allait
reconnaitre cette solidarité contractuellement prévue. Elle confirma la décision de la Cour
d’appel, écartant ici encore l’idée d’intérêt de groupe ou de solidarité intra-groupe.
b) La vision souple du droit pénal
La vision pénaliste est résolument plus souple en ce qu’elle prend en considération l’intérêt du
groupe dans son ensemble, intérêt de groupe qu’elle estime nécessairement rattaché à l’intérêt
social propre de la société. Pour autant, les conditions imposées par la jurisprudence limitent les
cas admissibles d’abandons de créances réalisés par des dirigeants.
Tout d’abord, les abandons de créances réalisées par les dirigeants sociaux doivent bénéficier à
des sociétés intégrées dans le groupe. Dans le cas contraire, l’abus de bien social est constitué si
ces sommes bénéficient à des sociétés au sein desquelles les dirigeants ont des intérêts4. D’autre
part, ces abandons de créances, ces aides financières doivent fournir des contreparties à la
société débitrice. Les abandons de créance faisant peser plus de risques sur la société débitrice
que sur la société bénéficiaire peuvent être constitutifs d’abus de bien social s’ils sont commis par
1
ème
COZIAN (M.), Précis de fiscalité des entreprises, LITEC, 2008, 31 éd., p. 241
ème
ème
CE, 8 et 9 sous-sect., 9 octobre 1991, Laboratoires Goupil : laboratoire qui avait aidé financièrement une filiale
étrangère.
3
CE, 26 septembre 2001 : Dr. Fisc. 2002, n° 24, comm. 490, concl. BACHELIER
4
Crim. 25 octobre 2006
2
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
un dirigeant à des fins personnelles1. Autre cas : celui d’une société intégrée au sein d’un groupe
mais de façon fictive, sans intégration dans la politique commune du groupe. Tel est le cas lorsque
« aucune politique n’est décidée en conseil d’administration ou en assemblée générale »2.
Ces limitations jurisprudentielles constituent un rempart contre l’utilisation de cet intérêt de
groupe pour commettre des abus de biens sociaux et permet de conserver une éthique. Cette
éthique se retrouve également au sujet de la question épineuse des rémunérations excessives
mêmes si le sujet ne s’inscrit pas toujours dans le cadre d’un groupe.
2) Le cas des rémunérations excessives versées aux dirigeants
a) Un cas particulier
Le thème des rémunérations et avantages excessifs est récurrent et nourrit de nombreux
contentieux. S’il apparait normal qu’un dirigeant social soit rétribué pour le travail accompli,
certaines rémunérations ou certains avantages excèdent ce que la société peut financièrement
offrir aux dirigeants. La particularité du sujet réside d’une part dans le fait qu’il s’agisse d’un
problème d’actualité et d’autre part que ces sommes ou avantages sont à la fois constitutifs d’un
acte anormal de gestion et d’un abus de bien social.
L’article 39-1-1° CGI dispose « Les rémunérations ne sont pas admises en déduction des résultats
que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à
l’importance du service rendu ». Cette disposition du code général des impôts condamne
directement le versement excessif de rémunérations. De son côté, le code pénal ne fait pas
clairement référence aux rémunérations excessives, ni aux avantages en nature.
La vision du droit fiscal et du droit pénal est la même et permet de constater qu’en dépit d’une
approche différente de l’intérêt social, certaines situations reçoivent une compréhension
strictement identiques. Cette particularité tranche avec les dissensions rencontrées tant
concernant l’illicéité des actes ou les groupes de sociétés et s’explique par le caractère à la fois
économique et moral de l’atteinte causée par les rémunérations excessives.
1
Crim. 20 mars 2007 : un dirigeant social a fait régler les factures de la société dans laquelle il était intéressé par la
société débitrice
2
Crim. 8 aout 1995
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
b) Les regards croisés du droit fiscal et du droit pénal
Les rémunérations excessives concernent principalement les dirigeants sociaux (d’où cette
symétrie parfaite entre le droit fiscal et le droit pénal). Dès lors, sont considérées comme
excessives par le droit fiscal, toutes les dépenses qui excèdent les capacités financières de la
société1. Ces dépenses ne seront pas déductibles et seront réintégrées dans le bénéfice de la
société. Le droit pénal quant à lui, considère que ces dépenses « manifestement excessives »2
sont constitutives d’un abus de bien social. La preuve est aisée à apporter puisque par définition,
ces rémunérations sont directement versées aux dirigeants à des fins personnelles (dol spécial).
Le droit pénal distingue deux cas : le premier est l’hypothèse dans laquelle un dirigeant s’est
octroyé des rémunérations excessives sans l’accord du conseil d’administration. Dans ce cas,
l’abus de bien social ne fait aucun doute3. En revanche, lorsque les rémunérations ont été
décidées par le conseil d’administration, le problème est plus délicat puisque le dirigeant ne s’est
pas lui-même octroyé les biens de la société. En dépit des critiques de la doctrine4, la chambre
criminelle ajoute une seconde condition empruntée au droit fiscal : il ne faut pas que ces
rémunérations décidées par le conseil d’administration soit excessives par rapport aux possibilités
financières de la société5, ni dénuées de contreparties.
Les solutions apportées aux actes anormaux de gestion et aux abus de biens sociaux sont
divergentes et aboutissent parfois à des situations contradictoires qui nuisent à la cohérence
d’ensemble du droit.
1
ème
COZIAN (M.), Précis de fiscalité des entreprises, LITEC, 2008, 31 éd., p. 247
Crim. 22 septembre 2004 : Rev. Soc. 2005, p. 45, note BARBIERI
3
Crim. 26 juin 1978, Bull. Crim. N° 212
4
Notamment : BOULOC (B.), Abus de biens sociaux, Rép. Pén., DALLOZ, janv. 2009, p. 12
5
Crim. 9 mai 1973, Bull. Crim. n° 216
2
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
Section 2 : Une divergence de solution devant l’atteinte à
l’intérêt social : l’approche financière du droit fiscal face à
l’approche punitive du droit pénal
Les solutions apportées à l’atteinte sont nombreuses et diverses. Cette diversité s’explique par les
buts respectivement différents suivis par les juges fiscaux et pénaux. La recherche de l’atteinte se
traduit pour les services fiscaux par une souplesse étonnante alors qu’elle apparait très stricte
pour les juridictions pénales (I.). Par ailleurs, les sanctions infligées ont une dimension presque
exclusivement punitives pour l’abus de bien social et ne sont que rectificatives en droit fiscal (II.)
I.
La recherche de l’atteinte à l’intérêt social
Tant en ce qui concerne l’acte anormal de gestion que pour l’abus de bien social, l’auteur de l’acte
litigieux bénéficie d’une présomption de bonne foi. Celle-ci peut être brisée si sont découverts des
éléments de nature à remettre en cause la sincérité ou la légalité de l’acte (A.), auquel cas, il
appartient à l’administration fiscale et aux services judiciaires de prouver leurs allégations (B.).
A. La découverte de l’atteinte à l’intérêt social
1) La constatation d’une irrégularité de gestion
a) La constatation fiscale par le vérificateur fiscal
La théorie de l’acte anormal de gestion ne concerne que l’imposition du bénéfice et les impôts sur
les sociétés sont déclaratifs, c'est-à-dire établis d’après la déclaration du contribuable. A ce titre,
cette déclaration bénéficie d’une présomption de sincérité et d’exactitude, à charge pour
l’administration fiscale d’apporter la preuve d’une irrégularité. Deux cas de figure se présentent
alors : soit le contribuable a rempli ses obligations déclaratives et dans cette hypothèse, si
l’administration fiscale estime que certains de ses éléments sont inexacts, elle doit engager une
procédure de rectification contradictoire. Soit le contribuable n’a pas rempli son obligation
déclarative, et dans ce cas, si à l’issue d’une mise en demeure de l’administration1 il ne s’en
acquitte pas, son bénéfice fera l’objet d’une taxation d’office2.
L’inexactitude est susceptible de résulter d’anomalies, d’incohérences ou du montant excessif de
certaines dépenses, ce qui motivera l’administration fiscale pour enclencher une procédure de
1
2
Mise en demeure avec un délai de 30 jours
Art. L. 65 et s. LPF
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
vérification fiscale1. Les services fiscaux adressent au contribuable une demande d’éclaircissement
et de justification qui satisferont l’administration fiscale ou au contraire le conforteront dans son
idée première.
Enfin, en dépit du fait que la constatation d’un acte anormal de gestion est une question de droit,
la commission départementale des impôts peut être appelée à se prononcer sur la matérialité ou
l’appréciation des faits invoqués par l’administration (questions de faits). Elle n’est en principe pas
compétente pour se prononcer sur la qualification des faits mais l’est exceptionnellement en
matière d’actes anormaux de gestion. Son rôle s’étend donc jusqu’à apprécier si un acte est
conforme à l’intérêt social ou s’il lui est contraire.
b) La constatation d’un abus de bien social
Les services fiscaux sont donc en position privilégiée pour constater l’existence d’irrégularités
fiscales voire pénales, mais ils ne sont pas les seuls : les commissaires aux comptes, les
actionnaires, les dirigeants peuvent également porter à la connaissance du procureur de la
République des faits délictueux. Le procureur est en effet à l’initiative des poursuites pénales, il
décide des suites à donner aux faits qui lui sont soumis en se plaçant au jour de leur commission
pour apprécier la réunion des éléments constitutifs du délit et en veillant à ce que les faits ne
soient pas prescrits. Il peut également faire procéder à une enquête de flagrance2.
A la différence de l’acte anormal de gestion, la société n’est jamais mise en cause en tant que
personne morale. L’abus de bien social est commis directement ou indirectement par les
dirigeants de fait ou de droit de celle-ci. Le magistrat peut également poursuivre les complices et
les recéleurs3.
2) Les conséquences de la constatation
a) Plusieurs cas de figure
L’administration fiscale non satisfaite des éclaircissements du contribuable peut procéder à des
vérifications de comptabilité sur place. Cette étape permettra aux services fiscaux de différencier
la simple erreur comptable de l’acte anormal de gestion. Elle ne peut porter que sur les trois
derniers exercices clos mais peut remonter au-delà (jusqu’à six ans) en cas d’activités occultes tel
1
Art. 10 et s. LPF
Art. 53 CPP
3
Les personnes ayant bénéficié des biens utilisés frauduleusement, en connaissance de cause, peuvent être poursuivis.
Le profit peut se matérialiser par des cadeaux, des voyages d’agréments ou des avantages divers (Crim. 29 avril 1996,
Bull. Crim. n° 174)
2
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
qu’un atelier clandestin. Cette vérification donnera lieu à la remise d’une proposition et le
contribuable pourra se faire assister d’un conseil1. Elle ne peut excéder une année, sauf en cas de
découverte d’un délit où la durée de vérification peut aller jusqu’à deux ans. La vérification de
comptabilité se conclut presque toujours par une rectification fiscale2 et si les faits découverts
sont constitutifs d’un délit, les services fiscaux ont l’obligation d’en avertir le procureur de la
République du lieu où se situe le siège social de la société vérifiée.
Cette procédure de vérification contradictoire est à différencier de la procédure d’imposition
d’office. Dans trois hypothèses, l’administration fiscale est en droit de procéder à une rectification
d’office de l’imposition : lorsque le contribuable n’a pas déposé de déclarations, lorsqu’il ne
répond pas à la mise en demeure lui intimant de présenter des éclaircissements ou lorsqu’il
s’oppose à la rectification fiscale. Cette procédure est unilatérale mais l’administration fiscale est
néanmoins tenue de présenter les méthodes lui ayant permis d’aboutir à l’imposition d’office.
b) La mise en examen dans le cas d’un abus de bien social
La procédure pour l’abus de bien social est différente puisque contrairement aux services fiscaux,
sauf pour l’instruction, la procédure est contradictoire. De plus, il n’y a pas de durée imposée par
le législateur, mais celle-ci doit rester raisonnable conformément aux exigences de la Convention
Européennes des Droits de l’Homme et si les investigations du juge d’instruction excèdent deux
années, le magistrat est tenu de rendre une ordonnance motivée expliquant les raisons de cette
durée.
Si à l’issue des investigations, des indices graves et concordants existent et rendent vraisemblable
que le dirigeant ait pu participer à l’abus de bien social, ce dernier est mis en examen. Mais depuis
2004, il peut bénéficier du statut de témoin assisté, statut hybride entre le mise en examen et le
simple témoignage : il est entendu en qualité de témoin mais ne prête pas serment, peut être
confronté à la personne mise en cause et peut se faire assister d’un avocat3. Le dirigeant peut
faire l’objet d’un contrôle judiciaire ou être placé en détention provisoire jusqu’au procès.
La procédure pénale est entourée de davantage de précautions en raison des conséquences
particulièrement attentatoires à la liberté auxquelles elle peut aboutir. Ces précautions sont
dictées par la loi mais surtout par la Convention européenne des droits de l’Homme.
1
A noter qu’en cas de refus par le contribuable d’accueillir une procédure de vérification de comptabilité, il s’expose à
une taxation d’office et à des pénalités pour l’entreprise.
2
Connue avant la circulaire du 25 mars 2004 sous le terme « redressement fiscal »
3
Il ne peut pas être placé en détention (art. 113-5 CPP)
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
B. La preuve de l’atteinte à l’intérêt social
1) La constitution et la charge de la preuve : autonomie des deux notions
a) Les obligations qui incombent aux services fiscaux et judiciaires
Lors de la découverte d’un acte ne semblant pas relever d’une gestion normale, l’administration
doit être en mesure de prouver ses allégations puisque la charge de la preuve lui incombe sauf
lorsque le contribuable refuse le dialogue. En dehors des cas où il existe un renversement de la
charge de la preuve, la théorie de l’acte anormal de gestion a fait naitre des règles spécifiques en
matière de preuves. Un arrêt de principe, rendu par l’assemblée plénière le 27 juillet 19841 dit
« SA Renfort-Service » fixe les principes de charge de la preuve, complétés par la jurisprudence
ultérieure. Par cette décision, le Conseil d’État pose le principe selon lequel l’appréciation de
l’anormalité d’un acte est une question de droit et qu’il appartient à l’administration d’établir les
faits qui lui ont permis de déduire l’anormalité. Elle ajoute en second lieu que pour les
contribuables relevant de l’impôt sur les sociétés, la charge de la preuve dépend de la nature des
écritures comptables : si l’acte s’est traduit par une écriture portant sur les charges, le fardeau de
la preuve incombe au contribuable. En revanche, lorsque l’acte de gestion litigieux a été
enregistré en comptabilité par une écriture sur l’actif, la preuve incombe à l’administration.
Le droit pénal ne connait pas toutes ces évolutions jurisprudentielles puisque la matière est régie
par le principe de la liberté de la preuve sous réserve de l’utilisation de moyens licites, légaux et
obtenus sans provocations2.
b) Les exceptions : présomptions et renversement de la charge de la
preuve
La matière fiscale a connu une grande atténuation de la charge de la preuve avec l’arrêt « SA
Renfort ». En effet, depuis cet arrêt, lorsque les actes litigieux portent sur dettes, amortissements,
provisions ou charges, le contribuable doit être en mesure de pouvoir justifier ces dépenses dans
leur principe et dans leur montant. Cet arrêt n’est cependant pas isolé puisque certaines
dispositions législatives attribuent la charge de la preuve et même lorsqu’il est disposé à dialoguer
1
ème
ème
ème
CE, 7 , 8 et 9 sous-sect., 27 juillet 1984, SA Renfort-Service, req. n° 34588 : Dr. Fisc. 1985, n° 11, comm. 596 ;
RJF 1984, n° 10, p. 562, concl. RACINE
2
Ce principe de liberté de la preuve est renforcée par l’absence de règles concernant le mode de preuve et par le
principe de l’intime conviction du juge qui prévaut (art. 427, al. 1 CPP)
Page | 58
L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
avec l’administration. Conformément aux dispositions de l’article 39-1-1° CGI1, le contribuable est
dans l’obligation de pouvoir justifier des frais généraux et des dépenses personnelles.
Mais ce renversement légal est également prévu pour d’autres types de dépenses. Ainsi, l’article
39-1-2° dispose que les amortissements ne doivent pas excéder ceux généralement admis par le
commerce ou l’industrie concernée2. L’article 39-1-5° CGI concerne les provisions qui ne peuvent
correspondre qu’à des pertes et charges nettement précisés.
En raison du principe de légalité des peines et des incriminations et conformément au respect de
la présomption d’innocence, le droit pénal d’admet qu’une seule exception qualifiée de
« présomption simple » d’abus. Il s’agit d’une part, des détournements occultes ou illicites qui
sont présumés avoir été réalisés dans l’intérêt du dirigeant, à charge pour lui de prouver que ses
motivations étaient toutes autres et qu’il a entendu agir dans l’intérêt de la société.
2) L’appréciation de la mauvaise foi et des justifications de l’auteur
a) Les justifications admises
Les justifications admises pour justifier l’anormalité d’un acte ou l’abus d’un dirigeant sont
volontairement restreintes. Les débordements résultant d’une gestion risquée peuvent être
amenés à atténuer l’application des notions. Ainsi, en droit fiscal la bonne foi du dirigeant ayant
fait peser sur son entreprise des risques excessifs peut être de nature à écarter l’acte anormal de
gestion et la rectification fiscale. A condition toutefois que cette bonne foi n’ait pas été anéantie
par un entêtement déraisonnable3, où qu’elle ne nuise pas excessivement à l’intérêt social.
Dans le cadre d’un abus de bien social, les justifications tirées de la sauvegarde d’une des filiales
ou d’une société-sœur est admise par la jurisprudence. La bonne foi de l’auteur de l’opération
litigieuse n’est pas susceptible d’écarter l’incrimination. Enfin, la jurisprudence n’accorde a priori
aucune importance à l’accord donné par les actionnaires étant entendu que le délit vise à
protéger non pas l’intérêt des actionnaires mais l’intérêt de la société (qui constitue une
combinaison d’intérêts, pas seulement ceux des actionnaires). De plus, « Nul ne peut autoriser
une personne à commettre une infraction »4 et enfin seul le Ministère public dispose de
l’opportunité des poursuites. Pourtant, l’accord des actionnaires dans le cadre d’une gestion de
1
Art. 39-1-1° CGI : « Toutes les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles
correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l’importance du service rendu »
2
On constate ici un des rares cas où la loi fiscal fait référence aux usages professionnels. Cf. Supra, p. 28 et s.
3
ème
ème
CE, 7 et 9 sous-sect., 27 février 1991, req. n° 69971, Cf. supra p. 18
4
MEDINA (A.), Abus de biens sociaux : prévention, détection, poursuite, DALLOZ, 2001, p. 122
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
type Corporate Governance pourrait amener à faire évoluer la jurisprudence et conduire le juge à
atténuer la peine de l’auteur.
b) Les justifications non admises
Les justifications non admises sont nombreuses tant dans le cadre de la théorie de l’acte anormal
de gestion que dans le domaine pénal de l’abus de bien social. La méconnaissance de la loi ne
peut être admise conformément à l’adage « Nul n’est censé ignorer la loi » qu’elle soit pénale ou
fiscale. Si cette maxime peut apparaitre évidente, elle ne constitue pourtant pas un argument
inapproprié tant les connaissances des dirigeants de petites entreprises sont limitées concernant
les risques pénaux et fiscaux pesant sur leur exploitation.
L’intérêt du groupe de société n’est pas invocable en droit fiscal, mais l’est en droit pénal1. De la
même manière, les actes illicites conformes à l’intérêt social ne sont pas des justifications solides
en droit pénal mais sont admises par le juge fiscal. Enfin, l’excuse tirée de la prescription est
limitée : la rectification peut intervenir dans les trois ans précédents le contrôle et la prescription
est triennale en matière délictuelle2. Le droit de reprise est étendu en droit fiscal en cas de fraude
et est facilitée en droit pénal puisque la chambre criminelle a décidée que le point de départ de
l’infraction ne débutait pas au jour de la présentation des comptes sociaux mais au jour de leur
découverte lorsque les faits ont été dissimulés, même si connus par le commissaire aux comptes3.
II.
Les solutions disparates de l’atteinte à l’intérêt social
Le sort de l’auteur de l’acte et de la société diffère là encore. Alors que l’acte anormal de gestion
aura des conséquences aussi bien pour l’entreprise que pour le bénéficiaire, l’abus de bien social
ne punit que le bénéficiaire des opérations délictueuses et jamais la société (A.) ; ces sanctions
ont un impact différent suivant qu’elles concernent une petite structure ou une grande (B.).
A. Les sanctions pécuniaires
1) Les conséquences pour l’exploitation
a) La rectification fiscale
1
Cf. supra, p. 46 et s.
Art. 133-4 CP
3
Crim. 25 mars 2005
2
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
La principale conséquence pour l’entreprise est un rappel de son impôt sur le bénéfice. La
procédure de rectification fiscale aboutit à deux types d’opération des services fiscaux : soit une
exclusion des charges anormales, soit une réintégration du manque à gagner sur renonciation à
recettes. La première hypothèse est bien sur celle d’un acte « positif » ayant conduit l’auteur de
l’acte à faire supporter à son entreprise des frais ou charges contraires à son intérêt ou lui faisant
peser des risques excessifs1. Le second cas renvoie aux renonciations de créances sans
contrepartie suffisante, la jurisprudence fiscale prévoie alors que le résultat imposable est
rehaussé à hauteur des sommes qui auraient du être facturées.
b) Les conséquences pratiques pour la société dans le cadre de l’abus
de bien social
Le sort de la société, victime des abus de la part d’un dirigeant, n’a pas été prévu par le
législateur. En tant que personne morale, elle dispose toutefois d’une action sociale contre le
dirigeant afin d’obtenir des dommages-intérêts. L’abus de bien social est un délit de fonction, qui
ne met donc en cause que la responsabilité des dirigeants sociaux2 si bien que ni la négligence de
la victime (la société), ni la réparation financière de la perte ne sauraient être de nature à
atténuer le dédommagement3. De plus, lorsque l’abus se caractérise par un transfert de fonds ou
une cession de contrat, une action en nullité peut être intentée4.
La société lésée peut bénéficier de dommages-intérêts pour les préjudicies moraux et matériels
subis. Le préjudice moral peut résulter de l’atteinte à la réputation de la société, il est matériel
lorsqu’il concerne la perte des sommes détournées (complétées par les intérêts de retard qui
commencent à courir au jour de l’assignation5).
2) Les conséquences pour le bénéficiaire de l’opération
a) La rectification fiscale en cas d’acte anormal de gestion : une
double rectification
Deux situations sont à distinguer : lorsque l’auteur de l’acte relève de l’impôt sur les sociétés,
l’avantage consenti à une nature de revenu distribué. Ce revenu sera imposé dans la catégorie des
1
Lorsque l’acte anormal de gestion est une prise de risque excessive, l’exclusion ne portera que sur la fraction du prix
considérée comme excessive, l’exclusion ne sera donc que partielle.
2
LEPAGE (A.), MAISTRE du CHAMBON (P.) et SALOMON (R.), Droit pénal des affaires, LITEC, 2008, p. 291
3
Crim. 28 janvier 2004, Bull. Crim. n° 18
4
BOULOC (B.), Abus de biens sociaux, Rép. Pén., DALLOZ, janv. 2009, p. 24
5
Crim. 25 octobre 2006, Bull. Crim. n° 254
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
revenus de capitaux mobiliers. Lorsque l’auteur relève de l’impôt sur le revenu (souvent
entreprise individuelle), il sera imposé dans la catégorie des revenus des bénéfices non
commerciaux1.
Enfin, les distributions irrégulières n’ouvrent pas droit au régime des bénéfices distribués et
subira une majoration de 25%.
b) L’engagement de la responsabilité pénale en cas d’abus de bien
social
Les conséquences pénales pour l’auteur de l’acte sont lourdes. Les peines principales prévues par
les articles L. 241-3 et L. 242-6 C. com. sont de cinq années d’emprisonnement et de 375 000€
d’amende. Les peines secondaires prévoient quant à elles une peine de confiscation2. Celle-ci
porte sur les biens meubles ou immeubles ayant servis à commettre l’infraction ou étant les
produits du délit.
En outre, des peines professionnelles3 sont infligées à l’encontre des auteurs d’abus de bien social
qui se matérialisent en une interdiction de gérer ou administrer une société pour une durée de 10
ans, dès lors que l’auteur a été condamné à une peine d’au moins trois mois d’emprisonnement.
A noter toutefois qu’en principe, il ne peut être prononcé aucune autre peine : pas de faillite
personnelle, ni d’interdiction d’exercer les professions d’expert-comptable ou de commissaire aux
comptes. Ces peines secondaires sont particulièrement lourdes puisque le dirigeant ne peut plus
exercer sa profession (gérer une société) ce qui est davantage dommageable lorsque le condamné
est un gérant d’EURL.
B. L’impact moral et social des sanctions
1) L’impact au sein des grandes sociétés
Ces peines ne sont pas vécues de la même manière par les dirigeants de grandes sociétés et par
les dirigeants de petites entreprises. Dans les grandes structures (exemple : SA), dotées d’un
Conseil d’administration, les dirigeants indélicats sont appréhendés de manière strictement
économique : leur mandat social les détache en quelque sorte de leurs fonctions et ils sont
souvent rompus à la direction d’entreprise. Dès lors, lorsque sont commis des abus contraires à
l’intérêt de l’entreprise, ils en ont pleinement conscience et le dissimule.
1
CE, 9 janvier 1974, req. n° 88069
Art. 131-21 CP, issu de la loi 2007-297 du 5 mars 2007
3
L. 128-1 à L. 128-6 C. Com. issus de la loi 2005-428 du 6 mai 2005
2
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
Les sanctions infligées (notamment l’interdiction d’exercer une activité de gestion ou de direction
de société) ne sont pas vécues de manière dramatique. Cette impact n’est pas le même lorsque le
dirigeant est unique et gère une société de type EURL.
2) L’impact au sein des petites sociétés
Ces peines ont un impact plus important lorsqu’elles sont infligées aux petites structures. Ainsi, un
dirigeant d’EURL qui se voit condamner pour abus de bien social et acte anormal de gestion en
raison des risques excessifs pris, subira des conséquences fatales pour son exploitation. En effet,
étant le seul gérant, il devra non seulement répondre d’une rectification fiscale mais également
d’une condamnation à une interdiction d’exercer sa profession. Dès lors, il sera tenu de faire
gérer sa société par un tiers.
Ces situations sont douloureuses pour les commerçants en ce qu’ils n’ont pas toujours conscience
d’agir contrairement à la société. Ainsi, l’exemple d’un engagement de caution au profit d’un tiers
peut apparaitre dénué de contrariété à l’intérêt social lorsque la société est prospère, pourtant,
elle expose le gérant à des risques fiscaux et pénaux1. Cette incompréhension des dirigeants
illustre la fracture qu’il existe entre les normes juridiques et la gestion commerciale.
1
BUR (C.), L’acte anormal de gestion ou le premier risque fiscal pour l’entreprise, EFE, 1999, p. 192 : l’auteur utilise les
termes « pérennité juridique et pérennité économique » que l’entreprise se doit de sauvegarder ».
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
CONCLUSION
« Le concept d’acte anormal de gestion est le fruit de l’acclimatation ou de la transplantation en
droit fiscal du concept commercial d’acte non conforme à l’intérêt social »1.
L’étude concomitante de l’acte anormal de gestion et de l’abus de bien social a pu mettre en
évidence plusieurs éléments : d’une part, le caractère polymorphe et flou de la notion d’intérêt
social qui revêt pourtant une importance particulière dans chacune des deux notions. Cette place
est critiquée et critiquable en ce qu’elle fragilise les deux notions sans en enrichir le contenu.
D’autre part, la protection de l’intérêt social qui constitue le point d’ancrage de l’acte anormal de
gestion et de l’abus de bien social aboutit à des applications différentes (sanctions), voire
divergentes (cas des actes illicites et des groupes de sociétés).
Il s’agit ici d’un véritable paradoxe : en dépit d’une notion fondatrice commune, d’un socle
identique, alors même qu’elles entendent défendre le même intérêt, les deux notions ne sont pas
symétriques. Ces dissensions, essentiellement issues des origines même des matières fiscale et
pénale, aboutissent parfois à des résultats contradictoires que certains considèrent comme
nuisibles pour le système juridique.
« L’intérêt social est la boussole de la société »2 estime un auteur. Si cette affirmation apparait
idéale, elle ne résiste malheureusement pas à la réalité complexe des faits et il conviendrait de
définir cet intérêt social, sans pour autant vouloir en faire l’excuse systématique de toute
intervention du juge dans la gestion d’une société.
1
2
RACINE (P.-F.) concl. sous CE, 27 juillet 1984, SA Renfort Service : Dr. Fisc. 1985, n° 11, comm. 596
PIROVANO (A.), La boussole de la société. Intérêt commun, intérêt social, intérêt de l’entreprise, D.1997, chron. p. 189
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
BIBLIOGRAPHIE
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201
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- Actes anormaux de gestion, Thèse, ÉCONOMICA, 2ème éd., 1985, 88 p.
III.
COLLOQUE
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
CREDA ESCP-EAP, sous la présidence du Doyen Michel Véron,
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IV.
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- Acte anormal de gestion : vers une évolution des critères d’appréciation de
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- La théorie de l’acte anormal de gestion, PA.2000, n° 225, p. 4
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LEGENDRE (A.)
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détachable de l’intérêt du groupe auquel elle appartient, de l’intérêt propre de la
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MAÏA (J.)
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- Liberté de gestion et droit fiscal : la réalité et le renouvellement de l’encadrement
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V.
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KORNPROBST (E.)
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Page | 68
L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
PRALUS (M.)
- Note sous Crim., 27 octobre 1997, JCP 1998.II.10017
ROBERT (J.-H.)
- Obs. sous Crim. 22 septembre 2004, Dr. Pén. 2004, comm. 177
ROSSIGNOL (J.-L.)
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SCHRICKE (J.-P.)
- Note sous CE, 7ème et 9ème sous-sect., 24 avril 1981, Dr. Fisc. 1981, n° 42, comm.
1866
VI.
TEXTES OFFICIELS
Loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 sur les sociétés commerciales
Rapport Coulon 2008 : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapportspublics/084000090/index.shtml
Rapport Viénot II 2002
Rapport Marini 1996
Rapport Viénot I 1995
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
TABLE DES MATIERES
LISTE DES PRINCIPALES ABREVIATIONS ............................................................................................. 5
INTRODUCTION .................................................................................................................................. 6
1ère partie .......................................................................................................................................... 11
La préservation commune d’une notion protéiforme : l’intérêt social ........................................... 11
Section 1 : La défense analogue de l’intérêt social ...................................................................... 11
Les fondements de l’acte anormal de gestion et de l’abus de bien social .................... 11
I.
Un fondement historique commun : la lutte contre l’évasion financière ................. 12
A.
L’origine légale de l’abus de bien social ................................................................. 12
1)
a)
L’abandon de la théorie du mandat social et de l’abus de confiance .................. 12
b)
La tentative de moralisation du droit des sociétés .............................................. 12
L’origine largement prétorienne de l’acte anormal de gestion ............................. 13
2)
a)
Les raisons de l’élaboration de la notion : les données du problème ................. 13
b)
La construction prétorienne de la notion : les solutions apportées .................... 14
Un fondement théorique commun : la préservation de l’intérêt social.................... 15
B.
La contrariété à l’intérêt social : unique outil de mesure de la normalité............. 15
1)
a)
Acte délibérément contraire à l’intérêt social : l’unique critère.......................... 15
b)
La dimension subjective de des agissements ....................................................... 16
La contrariété à l’intérêt social : élément matériel du délit d’abus de bien social 16
2)
a)
Agissement délibérément contraire à l’intérêt social : l’un des critères ............. 17
b)
Le domaine limité de l’abus de bien social .......................................................... 17
Le mécanisme de l’acte anormal de gestion à la lumière de l’abus de bien social ....... 18
II.
Une atteinte à l’intérêt social...................................................................................... 18
A.
Les objectifs de l’atteinte à l’intérêt social ............................................................. 18
1)
a)
Acte anormal de gestion : des objectifs variés..................................................... 18
b) Abus de bien social : une atteinte nécessairement commise à des fins
personnelles ................................................................................................................. 19
Les techniques employées ....................................................................................... 20
2)
a)
Acte anormal de gestion : omission ou commission ............................................ 20
b)
Abus de bien social : l’atteinte est davantage morale ......................................... 21
Une perte financière consécutive à cette atteinte ..................................................... 21
B.
L’admission commune de la notion de « risques » pour la société ........................ 21
1)
a)
L’admission par le droit fiscal ............................................................................... 21
b)
L’admission par le droit pénal .............................................................................. 22
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
La perception différente de la perte financière ...................................................... 23
2)
a)
Acte anormal de gestion : le rôle déterminant du critère de la perte financière 23
b)
Abus de bien social : le rôle incident de la perte financière ................................ 23
Section 2 : Le caractère central et controversé de l’intérêt social............................................... 25
La compréhension de l’intérêt social .............................................................................. 25
I.
L’impossible définition de l’intérêt social ................................................................... 25
A.
Une notion sujette à controverses .......................................................................... 25
1)
a)
Les controverses quant à la nature de l’intérêt social ......................................... 25
b)
Les critiques quant à la pertinence de l’intérêt social ......................................... 26
Une notion en constante évolution ......................................................................... 27
2)
a)
Les évolutions en droit pénal ............................................................................... 27
b)
Les évolutions en droit fiscal ................................................................................ 28
Une utilisation partiale de l’intérêt social .................................................................. 28
B.
L’utilisation orientée d’une notion large ................................................................ 28
1)
a)
Les deux orientations divergentes données par le droit fiscal et le droit pénal .. 28
b)
L’orientation essentiellement morale du droit pénal .......................................... 29
Propositions et remèdes à l’insécurité juridique découlant de la notion .............. 30
2)
a)
Le recours aux notions d’usage et d’égalité pour l’acte anormal de gestion ...... 30
b)
Les propositions législatives en droit pénal des affaires ...................................... 31
Les carences de la notion d’intérêt social ....................................................................... 32
II.
Les limites de l’utilisation de l’intérêt social .............................................................. 32
A.
Les limites théoriques .............................................................................................. 32
1)
a)
Le principe de non-immixtion en droit fiscal des affaires .................................... 32
b)
Le principe de légalité des délits et des peines en droit pénal ............................ 33
Les limites pratiques ................................................................................................ 33
2)
a)
La notion d’erreur de gestion et l’acte anormal de gestion................................. 33
b)
La confusion d’intérêts ......................................................................................... 34
L’alternative de la « corporate governance »............................................................. 35
B.
La définition ............................................................................................................. 35
1)
a)
Réorganisation du pouvoir dans les entreprises : composante essentielle ......... 35
b)
La Corporate Governance à l’épreuve du système français ................................ 36
Le régime à la lumière de l’acte anormal de gestion et de l’abus de bien social .. 36
2)
a)
Les percées de la Corporate Governance en France ............................................ 36
b)
Les avantages et les inconvénients d’une régulation interne de la société......... 37
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
2ème partie......................................................................................................................................... 39
L’irrémédiable dissension entre les visions fiscaliste et pénaliste de l’intérêt social ...................... 39
Section 1 : Une appréciation discordante de l’intérêt social : le réalisme du droit fiscal face au
moralisme du droit pénal ............................................................................................................. 39
Illicéité et intérêt social : la conception amorale du droit fiscal .................................... 41
I.
Illicéité et intérêt social : les raisons de l’incompréhension ...................................... 41
A.
L’approche exclusivement comptable de l’anormalité .......................................... 41
1)
a)
Les scrupules du juge fiscal .................................................................................. 41
b)
La conception gestionnaire du juge fiscal ............................................................ 42
L’approche fortement morale de l’abus de bien social .......................................... 43
2)
a)
Un acte illicite ne peut pas être fait dans l’intérêt social pour le juge pénal....... 43
b)
La tentation du réalisme ...................................................................................... 43
L’illustration ................................................................................................................. 44
B.
Un acte illicite est nécessairement abusif............................................................... 44
1)
a) Les conséquences du revirement : intervention du juge pénal concernant la
gestion immorale ......................................................................................................... 44
b)
Un abus de bien social n’est pas nécessairement anormal ................................. 45
Un acte illicite n’est pas nécessairement anormal ................................................. 46
2)
a)
L’autonomie du droit fiscal et le principe d’indépendance des législations ........ 46
b)
Illustrations jurisprudentielles ............................................................................. 47
Sociétés de groupe et intérêt moral : la conception objective du droit fiscal .............. 48
II.
L’intérêt de groupe : les raisons de l’incompréhension ............................................. 48
A.
L’approche strictement économique de l’intérêt social en droit fiscal .................. 48
1)
a)
L’aide financière aux sociétés sœurs constitue un acte anormal de gestion....... 48
b) L’aide financière d’une société mère à sa filiale ne constitue pas un acte anormal
de gestion ..................................................................................................................... 49
L’approche fortement subjective de l’intérêt social en droit pénal des affaires ... 50
2)
a)
L’admission d’un intérêt de groupe ..................................................................... 50
b)
Les conséquences de l’admission d’un intérêt de groupe ................................... 51
L’illustration de la conception morale ........................................................................ 51
B.
Le cas des abandons de créance.............................................................................. 51
1)
a)
La vision stricte du droit fiscal .............................................................................. 51
b)
La vision souple du droit pénal............................................................................. 52
Le cas des rémunérations excessives versées aux dirigeants................................. 53
2)
a)
Un cas particulier.................................................................................................. 53
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
b)
Les regards croisées du droit fiscal et du droit pénal........................................... 54
Section 2 : Une divergence de solution devant l’atteinte à l’intérêt social : l’approche financière
du droit fiscal face à l’approche punitive du droit pénal ............................................................. 55
La recherche de l’atteinte à l’intérêt social .................................................................... 55
I.
La découverte de l’atteinte à l’intérêt social .............................................................. 55
A.
La constatation d’une irrégularité de gestion ........................................................ 55
1)
a)
La constatation fiscale par le vérificateur fiscal ................................................... 55
b)
La constatation d’un abus de bien social ............................................................. 56
Les conséquences de la constatation ...................................................................... 56
2)
a)
Plusieurs cas de figure .......................................................................................... 56
b)
La mise en examen dans le cas d’un abus de bien social ..................................... 57
La preuve de l’atteinte à l’intérêt social ..................................................................... 58
B.
La constitution et la charge de la preuve : autonomie des deux notions .............. 58
1)
a)
Les obligations qui incombent aux services fiscaux et judiciaires ....................... 58
b)
Les exceptions : présomptions et renversement de la charge de la preuve........ 58
L’appréciation de la mauvaise foi et des justifications de l’auteur ....................... 59
2)
a)
Les justifications admises ..................................................................................... 59
b)
Les justifications non admises .............................................................................. 60
Les solutions disparates de l’atteinte à l’intérêt social .................................................. 60
II.
A.
Les sanctions pécuniaires ............................................................................................ 60
CONCLUSION .................................................................................................................................... 64
BIBLIOGRAPHIE................................................................................................................................. 65
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
ANNEXES
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
ANNEXE n° 1
Conseil d'Etat
statuant
au contentieux
N° 83310
Publié au recueil Lebon
7 / 8 SSR
M. Rougevin-Baville, président
Mme Denis-Linton, rapporteur
M. Fouquet, commissaire du gouvernement
lecture du mercredi 17 octobre 1990
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
(…)
Considérant que M. X... conclut à la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a
été assujetti au titre des années 1977, 1978, 1979 et 1980 à raison de la réintégration dans ses
revenus tirés de l'exercice de la profession de remisier en bourse, d'une part, des sommes
correspondant au remboursement des pertes en capital résultant, pour ses clients, de la gestion des
fonds que ceux-ci lui confiaient, d'autre part, des intérêts des emprunts contractés à l'effet de
financer ces remboursements et, enfin, des primes d'assurance souscrites en vue de garantir la
bonne fin de ces emprunts ;
Considérant que les opérations contestées par l'administration s'étant traduites dans la comptabilité
de l'entreprise par des écritures de charge, l'administration doit être regardée comme apportant la
preuve que ces opérations relèvent d'une gestion anormale si le contribuable n'est pas en mesure de
justifier de l'intérêt qu'elles présentaient pour son entreprise ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X... a versé à ses clients au cours des années 1977 à
1980 pour les garantir des pertes résultant de la gestion de leur portefeuille des sommes d'un
montant plusieurs fois supérieur à ses recettes professionnelles sans y être tenu par contrat ; que
dans ces conditions, si M. X... a pu, dans l'intérêt de son entreprise, accorder cette garantie pendant
les années 1977 et 1978, en revanche, et eu égard tant à l'expérience qu'il avait progressivement
acquise dans l'exercice de son activité qu'à l'importance des pertes déjà effectuées, il a, en
persistant à offrir cette garantie de bonne fin, au cours des deux années suivantes, excédé
manifestement les risques qu'un chef d'entreprise peut être conduit à prendre pour améliorer les
résultats de son exploitation ; qu'ainsi l'administration établit que pour les années 1979 et 1980, les
remboursements de pertes en capital, les intérêts des emprunts et les primes de la police d'assurance
souscrite pour garantir ces emprunts constituent des actes étrangers à une gestion commerciale
normale ; que, dès lors, M. X... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement
attaqué, le tribunal administratif de Châlons-sur-Marne a rejeté sa demande en décharge des
compléments d'impôt auxquels il a été assujetti au titre des années 1977 et 1978 respectivement
pour un montant de 44 989 F et 50 101 F ;
Article 1er : M. X... est déchargé des compléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti
au titre des années 1977 et 1978.
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Châlons-sur-Marne en date du 30 septembre
1986 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. X... et au ministre délégué auprès du ministre
d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget.
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
ANNEXE n° 2
Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du jeudi 11 janvier 1996
N° de pourvoi: 95-81776
Publié au bulletin Rejet
Président : M. Le Gunehec, président
Rapporteur : M. Schumacher., conseiller rapporteur
Avocat général : M. Amiel., avocat général
Avocat : la SCP Waquet, Farge et Hazan., avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
REJET des pourvois formés par Y... Georges, de X... de Saint-Michel Patrick, contre l'arrêt de la
cour d'appel de Fort-de-France, chambre correctionnelle, en date du 2 février 1995 qui a condamné,
le premier, pour abus de biens sociaux, à 1 an d'emprisonnement avec sursis et 300 000 francs
d'amende et le second, pour complicité de ce délit, à 50 000 francs d'amende.
LA COUR,
(…)
Attendu que, pour condamner pour abus de biens sociaux Georges Y..., gérant de fait de la société
Berdal Touristique, ayant pour objet l'exploitation d'un hôtel, les juges relèvent que, sur ses
instructions, a été constituée une caisse noire alimentée par une partie des recettes du bar et du
restaurant de l'établissement ; qu'ils énoncent que les sommes ainsi soustraites de la comptabilité,
d'un montant de 1 200 000 francs environ, ont servi, dans la proportion de 25 %, à rémunérer des
employés non déclarés et que, faute de justification de son emploi, le surplus, prélevé par le
prévenu, a été utilisé par ce dernier à des fins personnelles ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs
allégués ;
Qu'en effet, selon l'article 425, 4o, de la loi du 24 juillet 1966, s'il n'est pas justifié qu'ils ont été
utilisés dans le seul intérêt de la société, les fonds sociaux, prélevés de manière occulte par un
dirigeant social, l'ont nécessairement été dans son intérêt personnel ;
Que, dès lors, le moyen ne peut qu'être écarté ;
(…)
REJETTE les pourvois.
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L’acte anormal de gestion et l’abus de bien social
ANNEXE n° 3
Cour de cassation
chambre criminelle
Audience publique du lundi 27 octobre 1997
N° de pourvoi: 96-83698
Publié au bulletin Rejet
Président : M. Culié, président
Rapporteur : M. Schumacher., conseiller rapporteur
Avocat général : M. Lucas., avocat général
Avocats : la SCP Masse-Dessen, Georges et Thouvenin, la SCP Piwnica et Molinié, la SCP
Waquet, Farge et Hazan, M. Cossa., avocat(s)
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
(…)
Attendu que les demandeurs contestent que les dépenses engagées par le groupe Merlin, pour
l'appartement du boulevard Saint-Germain à Paris et les voyages d'Alain B..., et par le groupe
Lyonnaise des Eaux pour des honoraires fictifs et la reprise de la société Dauphiné News, aient été
contraires à l'intérêt des sociétés et à l'intérêt du groupe, dès lors qu'elles ont eu pour contrepartie
l'attribution de la concession du service des eaux de la ville de Grenoble à la société Cogese ;
Attendu que, pour écarter cette argumentation, les juges soulignent que le coût des avantages
consentis par les sociétés Merlin d'un montant total de près de 19 millions de francs s'inscrit dans
une " spirale folle de l'argent " et que leur montant " considérable " a permis d'obtenir " au prix fort
" l'attribution de la concession ; qu'ils relèvent que Marc-Michel Merlin qui ne s'est pas pourvu
contre sa condamnation des chefs d'abus de biens sociaux et de corruption active a reconnu avoir
agi dans son intérêt personnel, en vue de conserver de bonnes relations avec le maire de Grenoble
et a admis que les diverses libéralités consenties par les sociétés de son groupe à Alain B... et JeanLouis Dutaret, dont les sollicitations ont, selon lui, " frisé l'extorsion de fonds ", étaient contraires à
l'intérêt social ;
Qu'après avoir rappelé l'importance des dépenses engagées par le groupe de la Lyonnaise des Eaux
d'un montant de près de 12 millions de francs les juges retiennent encore, pour établir l'abus de
biens sociaux, que le rachat de la société Dauphiné News a été opéré sous la seule responsabilité de
Jean-Jacques Prompsy, qui n'a pas soumis cette décision à l'autorisation du comité d'investissement
de la Lyonnaise des Eaux, ni informé son supérieur hiérarchique direct ; que ce dernier a désavoué
Jean-Jacques Prompsy, en précisant que le secteur média-presse n'avait jamais présenté d'intérêt
particulier pour le groupe et que l'intervention de la filiale Serecom pour une telle prise de
participation n'était pas conforme à la logique économique du groupe ; qu'ils ajoutent que Louis
Béra, président de cette dernière société, en suivant les instructions de Jean-Jacques Prompsy, a agi
de mauvaise foi, contrairement à l'intérêt des sociétés du groupe et à des fins personnelles, pour
consolider sa situation au sein de la Lyonnaise des Eaux et donner satisfaction à des personnes
influentes ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a caractérisé le délit d'abus de biens
sociaux en tous ses éléments, notamment l'atteinte à l'intérêt social ;
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