Le New Deal et la littérature

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Le New Deal et la littérature
Analyse
Appartient au dossier Art et crise : le New Deal
:
Le New Deal et la littérature
Le Federal Writers’ Project est un des projets du programme culturel Federal One dédié aux documents
écrits pendant et autour de la Grande Dépression : enquêtes historiques et sociologiques, essais d’
anthropologie ou d’ethnologie, guides variés, constitution d’archives, transcriptions d’expériences de vie
en temps de crise et textes littéraires. Les différents travaux entrepris par le FWP visent à lutter contre
le chômage des personnes ayant un lien avec l’écriture au sens large, des « cols blancs », chacun
devant participer selon ses compétences à l’effort collectif du New Deal.
A partir de 1935, le Federal Writers' Project (FWP) recrute plus de 6
600 personnes, sous la direction d’Henry Alsberg, journaliste et
producteur de théâtre. Ainsi, des écrivains, poètes, journalistes,
chercheurs, enseignants, éditeurs, archéologues, anthropologues,
sociologues, historiens et bibliothécaires participent à différents
travaux consistant à rassembler dans chaque état des informations
relatives à l’époque, mais aussi à l’histoire du pays.
L'histoire du FWP est décrite en détail sur le site de la bibliothèque
du Congrès
La production du FWP est très variée et ses recherches, sans
précédent dans l’histoire américaine, visent à exposer et dénoncer la
Crise. En outre, ces travaux permettent de démontrer que le
gouvernement agit, qu’il propose du travail et que chacun est partie
prenante de cette politique.
Parmi les auteurs qui ont été recrutés au FWP ou qui ont écrit sur la
Grande Dépression, beaucoup sont devenus célèbres, c’est le cas
notamment des écrivains noirs de la Renaissance de Harlem initiée
dans les années 20, Langston Hughes, Richard Wright, Arna
Bontemps, Zora Neale Hurston, Claude McKay, Dorothy West ,
Nella Larsen…, des poètes Conrad Aiken, Archibald Mac Leish, Kenneth Rexroth, Kenneth Patchen,
des romanciers comme John Steinbeck, Erskine Caldwell, John Dos Passos, Saul Bellow, Ralph
Ellison, John Cheever, James Agee, Nelson Algren, Eudora Welty, le journaliste Studs Terkel, l’écrivain
de polars Jim Thompson, les poétesses May Swenson et Gwendolyn Brooks… Sterling Brown, poète et
enseignant noir, aura pour élèves, entre autres, Toni Morrison et LeRoi Jones. Edmund
Wilson deviendra critique littéraire et Stetson Kennedy écrira un livre longtemps interdit sur le racisme et
le Klu Klux Klan. D’autres seront oubliés comme l’écrivain Jack Conroy (The Disinherited), ou
redécouverts : Tom Kromer, Tillie Olsen… Les Noirs Frank Yerby et Louis L’Amour écriront des bestsellers dans les années 50.
Pour beaucoup d’entre eux, cet emploi au gouvernement a décidé de leur carrière, a servi de tremplin,
de période d’entraînement et a inspiré leurs œuvres et leur écriture.
Le Federal Writers’ Project prit fin en 1943, mais la Grande Dépression continua d'inspirer de nombreux
auteurs. Les personnages représentés étaient alors plus proches de la population, à l’image des
personnes interviewées dont la mémoire fut recueillie par les membres du FWP. Malgré les
controverses, le risque d’une « littérature officielle » et les attaques des anticommunistes (certains
écrivains liés au New Deal comme Jim Thompson et Richard Wright seront blacklistés dans les années
50), les travaux du FWP documentent les années 30 tout en éclairant l’histoire américaine et l’
ambivalence des Américains face au passé : fierté et en même temps remise en question de ses
fondements (l’exploitation des esclaves notamment). Ce projet annonça les manifestations pour les
Droits civiques des années 60 qui mirent fin à la ségrégation et ouvrit la voie aux mouvements
contestataires des années 70 : le pacifisme de Kenneth Patchen, le soutien de Kenneth Rexroth à la
Beat Generation…
La rédaction de guides détaillés pour chaque Etat
"One of the noblest and most absurd undertakings ever attempted by a state"
(L'un des projets les plus nobles et les plus absurdes jamais entrepris par un état)
W.H. Auden
De 1935 à 1941, plus de 48 « State guides » et de
nombreux « city guides » sont rédigés. Des enquêteurs,
pour beaucoup des écrivains, ethnologues et
anthropologues sillonnent le pays, chaque état leur
attribuant des missions précises. Ces guides ont
plusieurs objectifs : ils doivent présenter, de façon aussi
exhaustive (et encyclopédique) que possible, les
caractéristiques de chaque Etat ou ville. C’est donc un
travail aux frontières de plusieurs disciplines. Les enquêtes
s’appuient sur des entretiens réalisés avec les habitants,
d’où la richesse du folklore ( folk-lore ou héritage des
gens), des anecdotes, des figures mythiques de l’
histoire locale.
Derrière le projet, il y a évidemment une ambition d’ordre économique en encourageant le tourisme, mais
d’autres raisons ont présidé à cette entreprise monumentale et unique, ces guides étant devenus de
véritables classiques et fournissant des données incomparables. Les éditeurs du projet, John Lomax,
folkloriste et musicologue puis Benjamin Botkin, spécialiste de folklore, étaient persuadés qu’ils
pouvaient bâtir une identité nationale sur la diversité d’où cette vision kaléidoscopique de l’Amérique et
la recherche d’une identité collective.
En effet, là où les guides sont particulièrement intéressants, c’est quand
ils s’attardent à décrire l’histoire de l’immigration pour chaque état, la
présence des différentes nationalités qui composent la mosaïque du
pays. Mieux se connaître et connaître les autres devait, pour Botkin, lutter
contre l’intolérance, et ce par la représentation des Américains et du pays
à travers différents points de vue. Il faut rappeler le contexte
historique : le fascisme menace en Europe et les années 20 aux EtatsUnis ont vu se répandre les théories eugénistes, la restriction des quotas
d’immigration et toujours les adeptes de la "suprématie blanche" font des
ravages. Il faut donc réaffirmer les véritables racines de l’Amérique, dire
qu’elle s’est faite grâce à ses arrivées successives d’immigrés, le fameux
"melting pot".
Ainsi des personnes issues des minorités sont
impliquées dans le projet : des Noirs, des femmes, des Indiens, des
immigrés, des minorités, et un chapitre de chaque guide leur est consacré.
Il s’agit d’offrir un condensé d’histoire américaine, de renforcer la solidarité
et d’affirmer une ambition démocratique.
Eudora Welty est envoyée dans le Mississippi pour travailler sur le guide,
Zora Neale Hurston parcourt la Floride pour couvrir cet état, elle souhaite
offrir son regard de féministe noire et d’anthropologue. Elle travaille et
voyage avec Stetson Kennedy, mais ils connaissent des problèmes liés à la
ségrégation : certains lieux, y compris des bureaux du FWP, sont interdits
à Hurston et il est mal vu qu’un Blanc collabore avec elle. Le poète
Kenneth Rexroth rédige un guide de voyage et un précis d’histoire naturelle
sur les montagnes de Californie. Nelson Algren écrit sur l’Illinois et Richard
Wright édite un livre visant à faire connaître la vie culturelle noire
américaine à Chicago.
Lire les guides en texte intégral en anglais, par exemple le guide de l'Idaho
La transcription des récits d’anciens esclaves
Entre 1936 et 1938, quatre états décident de faire porter des enquêtes sur les anciens esclaves. Les
écrivains recrutés prennent des photos de ces personnes et de leur environnement. Ainsi plus de 2 300
récits à la première personne accompagnés de 500 photos sont retranscrits. C’est Benjamin Botkin, futur
directeur des archives à la Bibliothèque du Congrès, qui sélectionne les photos et les textes, il en fait un
livre en 1945 :
Lay My Burden Down: A Folk History of Slavery
Benjamin Botkin, University of Chicago Press, 1969
Ce livre explore ce que signifient l’esclavage et l’émancipation, à travers
les mots de ceux qui les ont vécus. Ce sont des extraits et récits du travail
effectué par le FWP. La vie sur la plantation, le travail des champs, les
privations, les relations entre esclaves, le Klu Klux Klan. Mais aussi : les
réseaux qui ont aidé des esclaves à s’enfuir, la joie et l’étonnement face à
la liberté enfin acquise.
A la Bpi, niveau 2, 39(73) LAY
Ce projet d’envergure, certainement un des plus importants du FWP, a pour but de donner la parole à ceux qui
en étaient privés, de susciter une prise de conscience de ce que fut l’esclavage du point de vue de ceux
qui l’ont subi et non plus du point de vue des maîtres. Les années 30 sont marquées par la nostalgie de
la grandeur passée du Sud, la Guerre de Sécession est encore très présente dans les esprits et divise
toujours profondément l'Amérique.
Toutefois dans les années 20 et 30, on observe un regain d’intérêt pour
les récits d’esclaves en fuite ou affranchis, les années 20 ont été « l’âge
du jazz », la culture des Noirs américains suscite de l’intérêt, elle se fait
connaître par la musique, mais aussi par l’écriture et notamment grâce
au mouvement littéraire de la Renaissance de Harlem. Les écrivains noirs,
très militants, traitent de la discrimination et des questions de classe.
Cependant il ne faut pas oublier que les Noirs, comme les femmes, ont
plus de difficulté à trouver du travail, y compris dans les années 30. En
effet, certains états du Sud refusent d’employer des Noirs car ils ne
veulent pas dépenser de l’argent pour mettre en place des lieux
ségrégués, le Sud faisant appliquer la loi « Separate but equal ». L’
emploi des Noirs a donc été assez symbolique, sauf en Virginie, en
Floride, en Illinois et à New York.
100 000 ex-esclaves sont encore vivants dans les années 30, mais l’on
réalise qu’il y a urgence à recueillir les témoignages de personnes très
âgées. La nouveauté réside dans l’aspect sociologique de ces récits, loin
des approches teintées de moralisme.
Cependant, au moment où sont écoutés ces esclaves qui reviennent sur
leur passé douloureux (évoquant les violences et privations subies), la
ségrégation sévit toujours dans les Etats du Sud. Les photographes de la Farm
Security administration en rendent bien compte dans leurs photos, la
discrimination et les violences perdurent.
Les années 30 représentent donc le temps des confessions, et c’est aussi
le cas pour les récits de vie.
Lire ou écouter les récits en texte intégral sur le site Born in slavery :
slave narratives from the Federal Writers’ Project, 1936-1938
Les récits de vie ou la mémoire orale
Les écrivains du FWP se lancent dans la
retranscription d’expériences vécues en temps
de crise et se transforment en reporters allant
interviewer plus de 10 000 hommes et femmes
dans différentes régions. En général, ils sont
bien acceptés, car ayant eux-mêmes ont connu
le chômage et ne sont pas très bien rémunérés
(les salaires sont modestes : 20 à 25 dollars par
semaine). Ce qui rapproche aussi ces hommes
ordinaires des écrivains, c’est que beaucoup
ont sillonné les routes pour trouver du travail, s’
apparentant un peu à des "hoboes", ces
vagabonds qui arpentent l’Amérique en quête
de petits boulots. Ainsi, le futur naturaliste et
philosophe Loren Eiseley erre de ville en ville,
dans des trains de marchandises.
De plus, certains d’entre eux sont issus de
milieux ouvriers (Tom Kromer, Meridel Le Sueur
ouJack Conroy, proches du roman prolétarien
de James T.Farrell) et connaissent la misère.
Certains écrivains de l’époque n’hésitent pas à
aller rencontrer les travailleurs en grève, c’est le
cas de Theodore Dreiser, Upton Sinclair, John Dos Passos, Katherine Anne Porter, Sherwood Anderson…
Lire ces récits en ligne sur le site de la Bibliothèque du congrès
Hard times : histoires orales de la Grande Dépression
Studs Terkel, photographies de Dorothea Lange, Ed. Amsterdam, 2009
Des centaines d'entretiens font revivre les souvenirs de ceux qui ont traversé la grande dépression de
1929 aux États-Unis, du krach aux luttes syndicales, de la difficulté de la vie paysanne aux
conséquences du New Deal. La diversité des expériences et des points de vue exprimés dessine un
monde complexe marqué par la précarité et la solidarité. Ce document, publié en 1970 est également
basé sur les propres souvenirs de Terkel. Sont interrogés des pauvres, blancs et noirs, mais aussi des
riches ayant tout perdu. Le sentiment d’échec, les conflits physiques lors des recrutements, les
expropriations, l’errance, les suicides, la faim, les grèves, la pensée d’une révolution prochaine, la
chance d’avoir trouvé du travail grâce au WPA résument l’état d’esprit de l’époque.
A la Bpi, niveau 3, 978-82 TER
+ Hard Times: The Story of the Depression in the Voices of Those Who Lived It
enregistrement sonore disponible à la Bpi
Louons maintenant les grands hommes : Alabama, trois familles de métayers en 1936
James Agee et Walker Evans, Plon, 2002
En 1936, Agee est chargé par une agence du New Deal (Farm Security Administration) d'un reportage
sur les paysans pauvres d'Alabama. Accompagné du célèbre photographe Walker Evans, il décrit la vie
quotidienne de ces familles avec une profondeur non dépourvue d'essence poétique. Ce document est
une protestation vivace contre la condition sociale des pauvres du Sud-Est américain. C'est une
commande de la revue Fortune qui refusa de le publier si bien qu’Agee en fit un livre qui parut en 1941.
Poète, écrivain et scénariste, Agee est dans la lignée du photojournalisme, de l’investigation
documentée par une enquête de terrain et illustrée.
A la Bpi, niveau 3, 821 AGEE 4 LE
A treasury of Western Folklore
Benjamin Botkin, Crown, 1975
Dans cet ouvrage Botkin présente toute la diversité de la culture des états de l’Ouest à travers des
interviews, des traditions, des chansons, des légendes, de l’humour, des mythes. Les Mexicains, les
mineurs, les pionniers, les chercheurs d’or, les différentes nationalités sont présentes dans ce livre.
Botkin, fils d’immigrés lithuaniens, est sensible à l’aspect multiculturel de ces documents. Il défend une
culture ouverte sur les autres et tout ce qui s’est transmis de génération en génération. Botkin était
passionné de culture aussi bien populaire que classique. Comme beaucoup de personnes travaillant
dans le cadre du New Deal, il sera considéré comme communiste et surveillé par le FBI.
A la Bpi, niveau 2, 39(73) TRE
Deux autres livres en anglais édités par Botkin sont disponibles à la Bpi, un sur le folklore de la Nouvelle
Angleterre et un autre sur le folklore du Sud des Etats-Unis.
Sélection de références
Harlem Photographs, 1932-1940
Siskind, Aaron (1903-1991)
Smithsonian Institution, 1990, ÉTATS-UNIS
Ce livre présente les photos prises par Siskind dans le quartier de
Harlem : les enfants, les ouvriers, les prostitués, les lieux interdits aux
Noirs. Des écrivains mettent l’accent sur le taux de chômage 3 fois
plus élevé des Noirs et rappellent que beaucoup étaient venus du Sud
chercher du travail dans les années 20 à Harlem et parlent de la
culture urbaine. Ils ont recueilli huit histoires ainsi que des comptines
et des poèmes.
A la Bpi, niveau 3, 770 SISK
Harlem Speaks : A Living History of the Harlem
Renaissance
Wintz, Cary D.
Sourcebooks, 2007, ÉTATS-UNIS
Ce livre rappelle le rôle joué par ce mouvement littéraire initié dans les
années 20 et qui influença toute une série d'auteurs Noirs dans les
années 30. D'autres écrivains se sentirent redevables à ces auteurs
d'avoir ouvert la voie à une littérature militante ancrée dans la dure
réalité sociale accentuée par la ségrégation. On y croise la figure
tutélaire de Langston Hughes et les écrivains qui furent nombreux à
participer au Federal Writers' Project.
A la Bpi,
3, 821(091)
HAR
Soul
of aniveau
People
: writing
America's (hi)story
La bibliothèque du Congrès présente un documentaire autour du livre de
David A.Taylor "Soul of a people, the WPA writers’ project uncovers
Depression America " qui rappelle les origines et l’héritage du Federal
Writers’ Project. (1h35)(en anglais)
Publié
le
22/03
/2013
HISTOIRE - LITTÉRATURE
Amérique du Nord
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:
Stéphanie David
Voir aussi
20ème siècle
-
écriture
A propos de l'auteur
Bibliographie
Les écrivains engagés et le New Deal
Publié le 22/03/2013
HISTOIRE - LITTÉRATURE
Les écrivains du New Deal ont bénéficié d'une matière documentaire très riche que certains ont mis au
service de leur engagement. Parmi ces écrivains engagés, citons Steinbeck, John Dos
Passos, Richar...