Distr. GENERALE E/CN.4/1994/23 12 décembre 1993 FRANCAIS
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Distr. GENERALE E/CN.4/1994/23 12 décembre 1993 FRANCAIS Original : ANGLAIS/ESPAGNOL/ FRANCAIS COMMISSION DES DROITS DE L'HOMME Cinquantième session Point 9 de l'ordre du jour provisoire LE DROIT DES PEUPLES A DISPOSER D'EUX-MEMES ET SON APPLICATION AUX PEUPLES ASSUJETTIS A UNE DOMINATION COLONIALE OU ETRANGERE OU A L'OCCUPATION ETRANGERE Rapport sur la question de l'utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l'homme et d'empêcher l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, présenté par le Rapporteur spécial, M. Enrique Bernales Ballesteros, conformément à la résolution 1993/5 de la Commission des droits de l'homme GE.94-10113 (F) E/CN.4/1994/23 page 2 TABLE DES MATIERES Paragraphes INTRODUCTION I. 1 - 7 3 . . . . . . . . 8 - 17 4 Déroulement du programme d'activités . . . Correspondance . . . . . . . . . . . . . . 8 - 9 10 - 17 4 4 18 - 29 12 20 - 25 13 26 - 29 14 . . . . . . . . 30 - 60 15 . . . . 30 37 46 55 36 45 54 60 15 17 19 22 PRESENCE DE MERCENAIRES SUR LE TERRITOIRE DE L'EX-YOUGOSLAVIE . . . . . . . . . . . . . . . . 61 - 71 24 PRESENCE DE MERCENAIRES DANS CERTAINS ETATS QUI SE SONT FORMES SUR LE TERRITOIRE DE L'EX-UNION DES REPUBLIQUES SOCIALISTES SOVIETIQUES (URSS) . 72 - 98 27 A. B. C. D. E. 72 78 87 93 97 27 29 32 36 37 ACTIVITES DU RAPPORTEUR SPECIAL A. B. II. MANIFESTATION DES ACTIVITES MERCENAIRES A. B. III. V. VI. VII. Aspects généraux . . Angola . . . . . . . Afrique du Sud . . . Zaïre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Arménie-Azerbaïdjan (Haut-Karabakh) Géorgie . . . . . . . . . . . . . . République de Moldova . . . . . . . Tadjikistan . . . . . . . . . . . . Correspondance récente . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . - - 77 86 92 96 98 ETAT ACTUEL DE LA CONVENTION INTERNATIONALE CONTRE LE RECRUTEMENT, L'UTILISATION, LE FINANCEMENT ET L'INSTRUCTION DE MERCENAIRES . . . . . . . . . . 99 - 103 40 CONSEQUENCES NEFASTES, SUR LA JOUISSANCE DES DROITS DE L'HOMME, DES ACTES DE VIOLENCE COMMIS PAR DES GROUPES ARMES QUI SEMENT LA TERREUR AU SEIN DE LA POPULATION ET PAR DES TRAFIQUANTS DE DROGUE . . 104 - 113 41 114 - 133 43 134 - 146 50 VIII. CONCLUSIONS IX. . . . . Conflits armés et activités de mercenaires . Fin de la guerre froide et nouveaux scénarios d'activités mercenaires . . . . . . . . . . ACTIVITES MERCENAIRES EN AFRIQUE A. B. C. D. IV. . . . . . . . . . . . . . . . . . . Page . . . . . . . . . . . . . . . . . . RECOMMANDATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . E/CN.4/1994/23 page 3 Introduction 1. A sa quarante-neuvième session, le 19 février 1993 la Commission des droits de l'homme a adopté, sans la mettre aux voix, la résolution 1993/5 par laquelle elle a notamment réaffirmé que le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires devraient être considérés comme des infractions qui préoccupent très sérieusement tous les Etats; prié instamment tous les Etats d'interdire aux mercenaires de se servir d'une partie quelconque de leur territoire pour déstabiliser un Etat souverain; invité tous les Etats qui ne l'ont pas encore fait à envisager de prendre rapidement des mesures pour ratifier la Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires, ou pour y adhérer et prié le Rapporteur spécial de lui faire rapport, lors de sa cinquantième session, sur tous faits nouveaux concernant l'utilisation de mercenaires où que ce soit dans le monde. 2. A la même session, le 9 mars 1993, la Commission des droits de l'homme a adopté, également sans vote, la résolution 1993/48 par laquelle elle a notamment prié tous les rapporteurs spéciaux et tous les groupes de travail de continuer, dans leurs prochains rapports à la Commission, de porter une attention particulière aux conséquences néfastes, sur la jouissance des droits de l'homme, des actes de violence perpétrés dans de nombreux pays par des groupes armés qui sèment la terreur au sein de la population et par des trafiquants de drogue. 3. Le Conseil économique et social avait auparavant, par sa décision 1992/225 du 20 juillet 1992, approuvé la décision de la Commission de proroger de trois ans le mandat du Rapporteur spécial afin de permettre à celui-ci de réaliser de nouvelles études sur l'utilisation de mercenaires et de faire des recommandations en conséquence à la Commission. 4. En décembre 1993, l'Assemblée générale a adopté une résolution sur l'utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l'homme et d'empêcher l'exercice du droit des peuples à l'autodétermination. Par cette résolution, l'Assemblée a notamment condamné la poursuite du recrutement, du financement, de l'instruction, du rassemblement, du transit et de l'utilisation de mercenaires ainsi que toutes les autres formes d'appui aux mercenaires visant à déstabiliser et à renverser les gouvernements des Etats d'Afrique et d'autres Etats en développement, ainsi qu'à combattre les mouvements de libération nationale des peuples qui luttent pour l'exercice de leur droit à l'autodétermination (par. 2), et réaffirmé que l'utilisation, le recrutement, le financement et l'instruction de mercenaires sont des infractions qui préoccupent gravement tous les Etats et violent les objectifs et principes inscrits dans la Charte des Nations Unies (par. 3). 5. L'Assemblée générale a instamment demandé à tous les Etats de prendre les mesures nécessaires et de faire preuve d'une extrême vigilance face à la menace que constituent les activités des mercenaires et de faire en sorte, par des mesures à la fois administratives et législatives, que leur territoire et les autres territoires relevant de leur autorité aussi bien que leurs ressortissants ne soient pas utilisés pour le recrutement, le rassemblement, le financement, l'instruction et le transit de mercenaires, ni pour la planification d'activités visant à déstabiliser ou à renverser le gouvernement E/CN.4/1994/23 page 4 d'un Etat quel qu'il soit et à combattre les mouvements de libération nationale qui luttent contre le racisme, l'apartheid, la domination coloniale et l'intervention ou l'occupation étrangères (par. 5). 6. L'Assemblée a pris acte avec satisfaction du rapport du Rapporteur spécial (A/48/385, annexe) (par. 1) et l'a prié de lui présenter, à sa quarante-neuvième session, un rapport sur l'utilisation des mercenaires qui tienne spécialement compte des éléments supplémentaires signalés dans son rapport (par. 10). Elle a en outre prié le Centre pour les droits de l'homme d'organiser "dans le cadre des ressources existantes, des réunions de travail pour analyser les aspects philosophiques, politiques et juridiques de cette question à la lumière des recommandations contenues dans le rapport du Rapporteur spécial" (par. 9). 7. En application de la résolution 1993/5 de la Commission des droits de l'homme, le Rapporteur spécial a l'honneur de soumettre à l'examen de la Commission son treizième rapport sur la question de l'utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l'homme et d'empêcher l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Ce document a été établi compte tenu des limites à respecter quant au nombre maximum de pages que doivent contenir les rapports présentés à la Commission conformément à la résolution 1993/94 de celle-ci en date du 11 mars 1993. I. A. ACTIVITES DU RAPPORTEUR SPECIAL Déroulement du programme d'activités 8. Le Rapporteur spécial a séjourné à Vienne du 14 au 18 juin 1993, afin de participer à la rédaction de la déclaration que les membres des groupes de travail, les rapporteurs spéciaux, les représentants spéciaux et les experts indépendants de la Commission des droits de l'homme ont présentée à la Conférence mondiale sur les droits de l'homme qui s'est tenue dans cette ville du 14 au 25 juin 1993 (A/CONF.157/9). 9. Le Rapporteur spécial a séjourné à Genève du 25 au 30 juillet, puis du 29 novembre au 3 décembre 1993, pour tenir des consultations, avoir des entretiens et rédiger ses rapports à l'Assemblée générale et à la Commission des droits de l'homme. Au Siège de l'Organisation, où il a présenté son rapport devant la Troisième Commission de l'Assemblée générale, il a également eu l'occasion de s'entretenir, entre le 12 et le 15 octobre 1993, avec des représentants des Républiques de Bosnie-Herzégovine et de Croatie. Malheureusement, les entrevues qu'il avait sollicitées avec les représentants des Républiques d'Angola et de Géorgie n'ont pu avoir lieu. B. Correspondance 10. Avant d'établir son rapport à l'Assemblée générale, le Rapporteur spécial a reçu des gouvernements des Comores, du Costa Rica, de Cuba, du Chili, de la Dominique, de l'Ethiopie, de la Grèce, de l'Iraq, du Koweït, du Lichtenstein, du Pérou, de la Roumanie, de la Yougoslavie (Serbie et Monténégro) et de la Zambie, d'importantes communications qui contiennent des éléments factuels, de caractère législatif et doctrinal, présentant un intérêt particulier. Il a également reçu du Représentant permanent de l'Afrique du Sud auprès E/CN.4/1994/23 page 5 de l'Office des Nations Unies à Genève une communication, en date du 19 février 1993, dont il a reproduit les principaux passages dans son rapport à l'Assemblée générale (A/48/385, annexe, par. 10). 11. Pour ce qui est des conflits armés qui se déroulent en Angola, sur le territoire de l'ex-Yougoslavie et dans certains Etats formés sur le territoire de l'ex-Union des Républiques socialistes soviétiques, le Rapporteur spécial a écrit aux Etats concernés pour leur demander des informations officielles sur les plaintes reçues touchant des activités de mercenaires. Les réponses de ces Etats sont reproduites dans les chapitres pertinents du présent rapport. 12. Ayant reçu des informations selon lesquelles MM. Bob Denard, Jean-Paul Guerrier et Dominique Malacrino seraient en liberté sous contrôle judiciaire en France, le Rapporteur spécial a, le 7 juillet 1993, écrit au Représentant permanent de la France auprès de l'Office des Nations Unies à Genève. Ces personnes auraient participé à diverses activités mercenaires en Afrique durant les 16 dernières années. M. Denard a participé à la tentative de coup d'Etat qui a eu lieu au Bénin en janvier 1977 et, avec les autres personnes mentionnées, a également pris part à la tentative de coup d'Etat du 26 novembre 1989 dans la République fédérale islamique des Comores, au cours de laquelle le Président de ce pays a été assassiné. Le texte de la lettre envoyée par le Rapporteur spécial figure dans le rapport de ce dernier à l'Assemblée générale (A/48/385, annexe, par. 11). Il y a été répondu par une lettre en date du 1er octobre 1993 qui est ainsi libellée : "Le Ministère des affaires étrangères me transmet à votre intention les informations suivantes : 'M. Robert Denard a été condamné le 5 avril 1993 par le Tribunal correctionnel de Paris, sur opposition, à 5 ans d'emprisonnement avec sursis pour association de malfaiteurs, pour les événements survenus au Bénin en 1977. MM. Robert Denard, Jean-Paul Guerrier et Dominique Malacrino, un moment en détention provisoire en France, sont actuellement en liberté sous contrôle judiciaire, dans le cadre de l'information suivie au Tribunal de grande instance de Paris, au Cabinet de Mme Perdrix, à la suite de l'assassinat au cours de la nuit du 26 au 27 novembre 1989 du Président de la République islamique des Comores, M. Ahmed Abdallah'. Le Gouvernement français ne manquera pas de vous tenir informé des suites judiciaires qui seront données à cette affaire, laquelle est soumise pendant la durée de la procédure d'enquête au secret de l'instruction." 13. Le Rapporteur spécial a écrit au Gouvernement français pour lui exprimer son souhait d'être tenu informé des suites judiciaires de cette affaire et, quelles que soient celles-ci, lui réitérer son désir de s'entretenir avec les intéressés et lui demander un complément d'information à ce sujet. E/CN.4/1994/23 page 6 14. Le 30 juillet 1993, le Représentant permanent de Cuba auprès de l'Office des Nations Unies à Genève a adressé au Rapporteur spécial la lettre suivante : "Les activités mercenaires - qui englobent l'utilisation de mercenaires, leur recrutement, leur financement et leur instruction outre qu'elles constituent des violations flagrantes des droits fondamentaux et inaliénables de l'homme, portent atteinte aux principes qui régissent la coexistence entre les nations formant la communauté internationale, en particulier ceux qui se rapportent au respect absolu de la souveraineté des Etats, de la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats, de l'intégrité territoriale et de l'indépendance et entravent l'exercice du droit à l'autodétermination des peuples qui luttent contre le colonialisme, le racisme, l'apartheid et toutes les formes de domination et d'occupation étrangères. L'expérience de Cuba nous permet d'affirmer sans crainte de nous tromper que, si les activités mercenaires sont habituellement liées à des conflits armés internationaux ou intérieurs, il n'en demeure pas moins que ce phénomène se manifeste également en temps de paix. Comme on le sait, en avril 1961, des mercenaires ont lancé contre Cuba une attaque de grande envergure appuyée par le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique, comme l'a d'ailleurs reconnu l'administration de l'époque qui a recruté, instruit et financé les participants à cette agression, à savoir des individus d'origine cubaine résidant aux Etats-Unis d'Amérique et des ressortissants de ce pays. En droit pénal cubain (art. 119 du Code pénal), le mercenariat constitue une atteinte à la paix et au droit international qui est sévèrement réprimée par une peine d'emprisonnement de 10 à 20 ans ou par la condamnation à mort. D'autre part, conformément à la définition internationale en vigueur à l'époque où le Code pénal a été rédigé, les citoyens ressortissants de l'Etat agressé ne sont pas considérés comme des mercenaires. Toutefois, cela ne veut pas dire que cette conduite délictueuse ne soit pas punie avec la même sévérité lorsque l'intéressé est un citoyen cubain qui, agissant dans l'intérêt d'un Etat étranger, vend ses services à ce dernier contre rémunération en vue d'exécuter des actes qui attentent à l'indépendance ou à l'intégrité territoriale de l'Etat cubain. En pareil cas, il s'agit d'une atteinte à la sécurité extérieure de l'Etat. Nous nous permettons d'appeler de nouveau votre attention sur l'agression mercenaire bien connue de Playa Girón qui, dans le jargon américain, porte le nom de Baie des cochons. Elle se solda par une écrasante défaite. D'autres agressions suivirent, également encouragées et tolérées par le Gouvernement américain dans le propos délibéré de renverser la révolution cubaine. Elles se heurtèrent à la détermination du peuple cubain au long des 30 années et plus qui s'écoulèrent depuis l'accession de ce pays à l'indépendance. E/CN.4/1994/23 page 7 Cette politique criminelle, qui continue d'être menée actuellement contre le peuple cubain, comprend, entre autres, des actes de sabotage de l'économie nationale, des opérations d'infiltration par nos côtes, des attaques armées contre des embarcations cubaines dans les eaux internationales, des enlèvements de pêcheurs, des tirs d'armes automatiques contre des villages sans défense du littoral, des tentatives d'assassinat contre les principaux dirigeants, et même l'explosion en plein vol d'un avion commercial de Cubana de Aviación qui a coûté la vie à ses 73 passagers. Certains, parmi les mercenaires qui ont participé à ces actions que l'on ne saurait qualifier autrement que de terroristes, jouissent d'une liberté absolue et d'une totale impunité sur le territoire nord-américain où ils s'organisent en formations militaires, s'entraînent au maniement des armes et des explosifs, manigancent de nouveaux plans d'agression et les divulguent sans aucune vergogne dans la presse de ce pays. Ainsi, il est de notoriété publique que le camp 'Rumbo Sur' (Destination sud) dans lequel s'entraînent les membres de l'organisation terroriste 'Alpha 66', qui est dirigée par le célèbre terroriste Andrés Nazario Sargent et dont le but est de commettre des actes de vandalisme contre Cuba, est situé rue 40 SW et avenue 172, à Miami. Des terroristes notoires - Humberto Pérez, Francisco Garciá, Enrique García - se partagent le commandement du camp que fréquentent également d'autres résidents de Miami, à savoir Diego Medina, Silverio Rodríguez, Rolando Olivares, Angel Yassell, Osiel González, Hugo Gascón et Rámon Bonachea. Parmi les instructeurs chargés des 'affaires spéciales' figurent quatre anciens membres du corps d'infanterie de marine des forces armées américaines. Comme l'ont déclaré publiquement ses chefs de file, 'Alpha 66' dispose pour exécuter ses actes criminels, d'un arsenal composé de 60 fusils d'assaut M-16, de 20 fusils Ar-15, de 10 mitrailleuses de calibre 50, de 10 mitrailleuses M-60, de 400 fusils d'assaut AK-47, de 30 lance-grenades pour le fusil M-16, de plus de 500 carabines M-1, Garand et autres, de plus de 100 fusils de chasse ainsi que d'une quantité indéterminée d'explosifs plastiques de forte puissance, de grenades à main et d'armes de poing. Une partie de cet armement est cachée à proximité du camp 'Rumbo Sur' mentionné plus haut et le reste dans les résidences et maisons de campagne du terroriste Nazario Sargent et de certains de ses partisans les plus proches. Ce groupe de terroristes dispose pour mener ses actions subversives contre Cuba des embarcations suivantes : 'El Kiska III', propriété de Ramón Bonachea, amarrée à Rickenbaker Marina, à Key Biscaine, une chaloupe de 30 pieds de long arrimée sur une remorque stationnée devant le No 11063 de la troisième avenue (Flagger) à Miami, un hors-bord d'une capacité de 10 à 15 personnes placé au même endroit et d'un grand pétrolier tenant lieu de siège des opérations. E/CN.4/1994/23 page 8 Il est également bien connu qu'un groupe terroriste, fondé en 1989, qui se dénomme lui-même 'Partido de Unidad Nacional Democrática' (PUND) opère sur le territoire des Etats-Unis. Sergio González Rosquete en est le principal dirigeant. En font également partie Frank Sturgis, citoyen américain, condamné dans l'affaire du Watergate, Darío López, Juan León Rojas, Jorge Rodríguez, Higinio Díaz, Enrique J. Rabade et Ramón Orozco Crespo. Outre ses bureaux situés à Miami, au 215 W, 17th ave., ce groupe possède un camp d'entraînement dans le parc de Fakahatche, non loin du comté de Collier, à quelque 200 km à l'ouest de Miami et un camp situé à l'angle des 40ème et 137ème rues, également dans cette ville. En octobre 1990, alors qu'ils tentaient, à bord d'un canot gonflable, de s'introduire à Cuba par la côte nord de la province de La Havane, deux membres de ce groupe, Gustavo Rodríguez Souza et Tomás Ramos, furent fait prisonniers. Furent également saisies à cette occasion de nombreuses armes avec lesquelles ils avaient l'intention d'effectuer leurs actes de sabotage et d'attenter à la vie du président Fidel Castro et du Ministre des forces armées révolutionnaires, le général d'armée Raúl Castro. En octobre 1992, à Cayo Anguila, les autorités bahamiennes ont intercepté le 'Nautilus' et arrêté Rubén Darío López, Iván León Rojas et Jesús Morales García pour possession illégale d'armes et d'explosifs et complicité dans une opération militaire menée contre un Etat étranger. En octobre également, ont été fait prisonniers alors qu'ils tentaient de pénétrer en territoire cubain, les saboteurs Gustavo David Triana Aguado, Miguel Angel Alfonso González et Eduardo González Torres. Ils avaient emprunté un des chenaux d'accès au fleuve Miami à bord du 'Nautilus' et, arrivés à la hauteur de Cabo Francés, avaient abandonné celui-ci pour entrer en territoire cubain. Au début du mois de février 1993, les autorités américaines ont arrêté, au sud de Miami, plusieurs membres de ce groupe terroriste répondant aux noms de Oscar Francisco Pérez, Enrique J. Rabade, Pastor Guzmán Cruz, Santiago Burgos et Iván León Rojas. Ces individus avaient pris place à bord d'une embarcation chargée de mitrailleuses de gros calibre, de fusils, de lance-grenades et de 10 000 projectiles, matériel qui, selon la déclaration faite à un agent fédéral des Etats-Unis par l'un des terroristes, allait être remis à des membres présumés de ce groupe installés à Cuba. Le 5 février 1993, le chef de file du groupe en question, Sergio González Rosquete, a déclaré, lors d'une conférence de presse, que celui-ci était l''un des groupes paramilitaires les plus actifs sur le territoire américain', et a affirmé être en contact avec des terroristes à Cuba. Le 18 mars 1993, lors d'une conférence de presse, un des membres du groupe a menacé d'entreprendre de nouveaux actes de terrorisme contre Cuba. E/CN.4/1994/23 page 9 Un autre groupe terroriste qui s'est livré à de nombreuses menées subversives contre Cuba est le groupe dit des 'Comandos L'. Son chef de file était le terroriste bien connu Antonio Cuesta, maintenant décédé, auquel s'étaient joints José Dauzá, Ramón Font, Laureano Borges, Rolando Nieves et l'Américain Anthony Bryant, condamné par les tribunaux cubains à 12 ans d'emprisonnement pour le détournement, en 1969, d'un avion commercial américain. Ce groupe a attaqué des villages de pêcheurs sans défense, des navires marchands mouillant dans les ports de Matanzas et de La Havane, ainsi que des installations touristiques. Il a également tenté d'assassiner le Président du Conseil d'Etat et du Conseil des ministres de la République de Cuba, Fidel Castro et d'autres hauts fonctionnaires du gouvernement. En décembre 1991, il avait introduit dans ce but trois éléments armés en territoire cubain. Le 8 février 1992, des membres de ce groupe ont tenté d'attaquer des navires marchands qui mouillaient dans le port de La Havane, mais, interceptés par des unités de surface cubaines, ils ont pris la fuite après avoir tiré sur elles avec des armes lourdes et des fusils. Deux jours plus tard, un membre du groupe en question a déclaré publiquement qu'ils avaient attaqué avec des fusées de moyenne portée des embarcations cubaines sur nos côtes. Le 4 juillet 1992, les terroristes Anthony Bryant, Eugenio Llamera, Alejandro Basilio Pérez et Guillermo Casasus ont ouvert le feu sur un voilier croisant dans les eaux territoriales cubaines. Quelques jours plus tard, on apprit en Floride que les gardes-côtes américains leur avaient confisqué divers fusils et un film vidéo tourné lors de cet acte de terrorisme; les terroristes avaient été interceptés dans les eaux territoriales cubaines par la vedette 'Maui' du Service des gardes-côtes en un point situé à une dizaine de kilomètres au nord de Matanzas. Le 6 juillet 1992, le Chef de ce groupe a révélé que son groupe était l'auteur de six autres attaques contre Cuba. Il s'est vanté de ce que ni le Gouvernement des Etats-Unis, ni le FBI, n'avaient fait pression sur lui pour le contraindre à cesser ses activités contre Cuba. Le 1er octobre de la même année, un groupe dirigé par Anthony Bryant a tiré à plusieurs reprises sur l'hôtel 'Meliá Varadero'. Le Chef des dénommés 'Comandos L' a revendiqué cette action, qu'il a qualifiée avec une complète désinvolture, d'opération réussie contre un 'objectif militaire' sur les côtes cubaines. Le 7 janvier 1993, un jour après que le juge fédéral James Lawrence King, ait levé l'accusation de détention d'armes portée contre lui, Anthony Bryant a reconnu publiquement avoir participé à l'attaque contre le 'Meliá Varadero' et promis de mener de nouvelles actions contre des installations cubaines, notamment des hôtels et des centres touristiques. Ce même mois, alors qu'il était en tournée dans le New Jersey où il recueillait des fonds pour la poursuite de ses activités, il a menacé de représailles les touristes qui se rendraient à Cuba. E/CN.4/1994/23 page 10 Rolando Nieves Machado, dit 'Patilla' ('La gachette'), résidant à Miami (2881 NW 5th St., Miami, Floride, 33125) s'est également livré à des attaques pour le compte de ce groupe. Il était en possession d'explosifs de forte puissance, d'armes de tous genres et d'une vedette rapide mouillant à Cayo Maratón et utilisée dans des attaques contre des navires cubains et d'autres nationalités, dans les eaux cubaines et internationales. Ont participé à ces attaques Nelsy Ignacio Castro Matos, Reynaldo Aquit Manrique, dit 'Chino' ('Le Chinois'), et Miriam Ortega. Le 14 décembre 1990, Tomás Ramos Rodríguez et Gustavo Rodríguez Sosa ont été capturés en territoire cubain. Ils avaient eu pour instructeur Rolando Nieves Mahado et avaient reçu des conseils de l'ancien agent de la CIA, Frank Sturgis, pour mener à bien leurs activités terroristes à Cuba. Durant l'été 91, Rolando Nieves Machado, dont il a déjà été question plus haut, a élaboré des plans en vue d'assassiner le Président du Conseil d'Etat et du Conseil des ministres de la République de Cuba, Fidel Castro, lors de la visite que celui-ci devait effectuer à Guadalajara (Mexique), à l'occasion du premier sommet américano-ibérique. Dans cette perspective, il fit l'acquisition d'un fusil de calibre 7,63 mm. Ces activités font l'objet d'une vaste propagande relayée par des dizaines de radios qui, dans l'illégalité la plus totale, envahissent massivement et constamment les ondes cubaines et diffusent des appels visant, notamment, à éliminer physiquement le Président du Conseil d'Etat et du Conseil des ministres, Fidel Castro, à saboter l'économie nationale, à renverser le gouvernement par les armes et à encourager la subversion. Cuba désire porter à la connaissance du Rapporteur spécial ces informations concernant les activités d'éléments terroristes implantés sur le territoire nord-américain et exprimer sa profonde préoccupation devant la prolifération, sur ce territoire, de groupes terroristes qui opèrent contre Cuba et qui, ces derniers temps, font preuve d'un regain d'activité contre les intérêts du peuple cubain. Le Gouvernement de la République de Cuba saisit également cette occasion pour déclarer à nouveau que, compte tenu des faits mentionnés, des informations communiquées et des multiples résolutions adoptées par l'Assemblée générale en vue de condamner, combattre et faire cesser les activités mercenaires et le terrorisme international, le Rapporteur spécial devrait formuler des propositions concrètes tendant à mettre à jour le concept d'activité mercenaire, qu'il s'agisse de celui qui se livre à cette activité ou de celui qui la cautionne en recrutant, finançant, instruisant et employant des mercenaires, y compris toute personne physique ou morale qui est impliquée dans de telles activités, qu'elle soit ou non ressortissante du pays victime de l'agression. Par ailleurs, conformément aux paragraphes 5 et 6 de la résolution 47/84 de l'Assemblée générale, le Rapporteur spécial devrait attacher une attention particulière au suivi et à la surveillance E/CN.4/1994/23 page 11 des activités des Etats qui persistent à recruter des mercenaires ou en permettent ou en tolèrent le recrutement et leur fournissent des facilités pour lancer des agressions armées contre d'autres Etats et qui n'ont pas pris les mesures administratives et législatives pour faire en sorte que leur territoire et leurs ressortissants ne soient pas utilisés pour le recrutement, le rassemblement, le financement, l'instruction et le transit de mercenaires ni pour la planification d'activités visant à déstabiliser ou à renverser le gouvernement d'un autre Etat légitimement constitué. Cuba estime que le Rapporteur devrait également étudier les liens de plus en plus étroits que l'on observe entre le mercenariat et les pratiques terroristes, et ce en violation des buts et des principes inscrits dans la Charte des Nations Unies, en particulier du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes et des normes internationales en vigueur dans le domaine des droits de l'homme. Le Gouvernement cubain réaffirme sa volonté de coopérer avec le Rapporteur spécial dans tout ce qui se rapporte à l'exécution du mandat que lui a conféré la communauté internationale et recommande qu'une enquête ait lieu sur le terrain en vue de corroborer les informations contenues dans la présente réponse." 15. Le Rapporteur spécial fait observer, à propos de cette lettre, que des vérifications sont en cours concernant les affaires auxquelles il est fait référence, vérifications qui touchent à tous les aspects du concept d'activités mercenaires, à leur pratique et à leurs conséquences ainsi qu'aux responsabilités qu'entraînent les activités illicites, qu'elles mettent en cause des Etats tiers ou des personnes physiques ou morales. Le 7 octobre 1993, il a écrit dans ce sens au chargé d'affaires par intérim de la Mission permanente des Etats-Unis d'Amérique auprès de l'Office des Nations Unies à Genève pour lui demander de lui faire connaître le point de vue, les observations ou les commentaires de son gouvernement au sujet des passages de la communication du Gouvernement cubain mettant en cause des citoyens américains qui auraient participé à des activités mercenaires ou l'utilisation du territoire nord-américain à ces fins. 16. Après avoir élaboré le rapport qu'il a présenté à l'Assemblée générale, le Rapporteur spécial a reçu des communications des Gouvernements de la Bolivie, de l'Equateur, de la Jordanie, du Népal ainsi qu'une nouvelle communication du Gouvernement sud-africain. Ces communications contiennent des renseignements intéressants sur l'attitude des gouvernements de ces pays face aux activités mercenaires en général, sur leurs législations en la matière et sur la Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires. Le Rapporteur spécial regrette de ne pas pouvoir en reproduire le texte, en raison des restrictions déjà évoquées touchant le nombre maximum de pages des rapports présentés à la Commission des droits de l'homme. Il a également reçu des communications des Gouvernements de la République de Croatie, de la Fédération de Russie, de la République de Moldava, de l'Ukraine et de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) sur la question des activités E/CN.4/1994/23 page 12 mercenaires qui se déroulent sur le territoire de l'ex-Yougoslavie et dans certains Etats formés sur le territoire de l'ex-URSS. Ces communications sont examinées dans les chapitres pertinents du présent rapport. 17. Le Ministère des affaires extérieures de la Suède a adressé au Rapporteur spécial la communication suivante, en date du 24 août 1993 : "Le Code pénal suédois (ch. 19, par. 12) punit d'une peine d'emprisonnement de six mois au plus ou, en temps de guerre, de deux ans quiconque recrute des individus pour une armée étrangère ou une institution similaire sans l'autorisation du gouvernement ou pousse des individus à quitter illégalement le pays dans ce but. Une information pour présomption de manquement à l'interdiction de recrutement illicite a été ouverte par le Procureur du district d'Halmstad, en février 1993. L'information a été ouverte à la suite de renseignements selon lesquels des personnes auraient été recrutées en Suède en 1992 pour servir dans les forces armées de l'ex-Yougoslavie. L'information a débouché sur l'audition d'un suspect. Faute de preuves aucune inculpation n'a été prononcée. La Suède n'est pas partie à la Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires adoptée par l'Assemblée générale, le 4 décembre 1989, et n'envisage pas pour le moment d'y adhérer." II. MANIFESTATION DES ACTIVITES MERCENAIRES 18. De façon réitérée, les organes des Nations Unies ont adopté des résolutions qui condamnent les activités mercenaires. Celles-ci sont qualifiées d'infractions graves qui préoccupent vivement tous les Etats et portent atteinte à l'humanité. Pour que les Etats et les gouvernements combattent efficacement ces activités criminelles, l'Assemblée générale a adopté, le 4 décembre 1989, la Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires, qui est en cours de ratification et d'adhésion en vue de son entrée en vigueur. En Afrique, la Convention de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) sur l'élimination du mercenariat en Afrique s'applique et dans la législation pénale de beaucoup d'Etats, le mercenariat constitue une infraction spécifique ou, dans certains cas, un délit connexe sévèrement réprimé. 19. Nonobstant ces dispositions et bien que l'opinion publique internationale rejette de telles pratiques, il faut hélas constater que non seulement le mercenariat n'a pas diminué mais qu'on observe même, ces dernières années, une tendance croissante à l'utilisation de mercenaires. Ceux-ci prennent part, contre rémunération, à des conflits armés qui se déroulent sur des territoires dont ils ne sont pas ressortissants. Leur présence constitue même un facteur qui contribue à rendre plus violents et plus sanguinaires les conflits dans lesquels ils sont impliqués. De fait, le mercenaire est recruté parce que E/CN.4/1994/23 page 13 c'est un professionnel de la guerre dont l'activité n'est subordonnée à aucune finalité altruiste, ni limitée par le droit international humanitaire qu'il viole au contraire systématiquement. A. Conflits armés et activités de mercenaires 20. Le plus souvent, les conflits armés, intérieurs ou internationaux, et la présence de professionnels de la guerre dont la situation dans le domaine de l'emploi s'est dégradée ou ne répond pas à leurs attentes sur le plan social, politique ou économique, se conjuguent pour donner naissance au mercenariat. En d'autres termes, ces individus voient, dans n'importe quel conflit armé, la possibilité d'offrir leurs services en échange d'une paie et comptent sur la tolérance lorsqu'ils commettent des actes cruels ou se livrent au pillage, tous actes qui peuvent également leur procurer des avantages économiques supplémentaires, et ce même si le conflit en devient plus cruel et inhumain. Le mercenaire peut, en outre, même en l'absence de conflits armés, offrir ses services pour perpétrer des actes criminels pour le compte d'une puissance ou d'un groupe qui cherche à porter préjudice à un autre pays sans que l'on puisse lui en faire endosser la responsabilité. 21. Dans ce cas, le mercenaire, quelle que soit sa nationalité, offre ses services à celui qui prend contact avec lui, ou se met à sa disposition à son lieu de résidence. L'existence d'organisations qui s'occupent de recruter de tels individus, en liaison avec des agents du pays ou du groupe pour lequel ces individus sont appelés à travailler, facilite l'établissement d'une association criminelle entre celui qui offre le contrat et celui qui l'accepte. Dans certains cas, des moyens juridiques sont utilisés pour que le mercenaire apparaisse comme un ressortissant du pays dans lequel le conflit armé a lieu. Bien que l'utilisation de ces moyens permette d'occulter la condition réelle du mercenaire, l'origine du contrat, la paie, le type de services faisant l'objet du contrat, l'utilisation simultanée d'autres nationalités et d'autres passeports, etc., sont autant de pistes qui devraient permettre d'établir la véritable nationalité des personnes impliquées dans un conflit et que l'on soupçonne à juste titre d'être des mercenaires. 22. La liste des endroits où opèrent des mercenaires, dressée par le Rapporteur spécial dans ses précédents rapports, prouve que le recours à des mercenaires est lié d'ordinaire à un conflit armé, international ou intérieur dans lequel l'une des parties ou toutes les parties font appel à des mercenaires pour mettre en oeuvre leur stratégie militaire. Même si, aujourd'hui, les mercenaires interviennent massivement dans divers conflits armés, ce que facilite l'accroissement de l'offre pour ce type de services, le mercenaire a fait sa réapparition, à l'époque contemporaine, dans des conflits armés liés au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Dans les années 60 et dans le cadre de la décolonisation en Afrique, les intérêts coloniaux désireux de demeurer dans la région ont eu recours à la présence active de bandes de mercenaires afin d'entraver le processus d'autodétermination qui donnait naissance à de nouveaux Etats africains ou de créer des situations d'instabilité débouchant sur des conflits armés, que les mercenaires avaient essentiellement pour rôle d'intensifier et d'internationaliser. E/CN.4/1994/23 page 14 23. Il existe des cas complexes dans lesquels les activités présumées de mercenaires dans des conflits intérieurs sont signalées par la presse internationale et par des experts, mais on se heurte à un silence absolu lorsque l'on demande à ce sujet des renseignements officiels. Le Rapporteur spécial signale cette difficulté qui empêche objectivement de vérifier la présence de mercenaires dans des conflits intérieurs, en dépit des éléments de preuve diffusés à l'échelon international. On signale la présence de mercenaires, entre autres dans les conflits, qui ont lieu en Afghanistan, au Tchad, au Myanmar, au Rwanda et au Soudan. 24. En observant de près les conflits armés, les informations données par la presse internationale, ainsi que les difficultés et ingérences qui, parfois, compliquent ou retardent les processus de négociation politique visant à mettre fin à ces conflits, on peut se rendre compte de la présence de mercenaires. Ces derniers sont généralement d'anciens combattants qui s'identifient de manière compulsive au métier de la guerre, des partisans fanatiques d'une idéologie ou des individus ou des groupes foncièrement intolérants et violents. Mais le facteur aggravant est le fait que leur présence est liée aux aspects les plus cruels du conflit et aux actes les plus criminels qui sont perpétrés contre les droits de l'homme. Qui plus est, l'aspect financier de la question et les gains illicites que procurent aux mercenaires les pillages auxquels ils participent peuvent contribuer de façon déterminante à faire durer le conflit. L'intérêt du mercenaire ne réside pas dans la paix et dans la réconciliation, mais dans la guerre, puisque la guerre est son métier et qu'il en vit. 25. Les activités dont il est question dans le présent chapitre peuvent être le fait de nationaux, mais dans ce cas, il ne s'agit pas d'activités mercenaires à proprement parler, mais d'actes constituant des infractions punissables en application du droit pénal du pays. La condition d'étranger est, conformément aux normes internationales en la matière, un élément indispensable pour qualifier un délinquant de mercenaire. Il convient, toutefois, de signaler que les trafiquants de drogues et d'armes, les terroristes et les mercenaires opèrent d'ordinaire au sein de groupes internationaux liés entre eux. Ainsi, une bande armée irrégulière qui pratique le terrorisme peut rapidement se transformer en groupe mercenaires. C'est ce qui se passe lorsqu'elle se rend dans le territoire d'un Etat limitrophe pour y protéger des trafiquants de drogues ou occuper une partie du territoire étranger en se soustrayant à l'autorité de l'Etat souverain. B. Fin de la guerre froide et nouveaux scénarios d'activités mercenaires 26. Dans les 12 rapports qui précèdent celui-ci, le Rapporteur spécial a indiqué que l'utilisation de mercenaires a été l'un des éléments les plus marquants des conflits armés internationaux ou intérieurs qui ont ébranlé la paix dans le monde depuis la seconde guerre mondiale. D'une certaine manière, la prolifération des tensions internationales, des conflits et des guerres dites "de faible intensité" ont favorisé l'utilisation de mercenaires dans un climat caractérisé par la méfiance, des relations internationales tendues et l'existence de zones d'hégémonie issues de la bipolarisation du monde et de la guerre froide. E/CN.4/1994/23 page 15 27. La fin de la guerre froide, toutefois, n'a pas eu pour effet immédiat de mettre un terme aux conflits armés ou, à tout le moins, de les atténuer. En réalité, on assiste à la mise en place d'un processus de restructuration du monde qui se caractérise par la fin de la bipolarité et qui a pour effet de laisser dans une situation de précarité et de vulnérabilité des zones qui étaient auparavant sous la mouvance de l'une des deux grandes puissances. Avec la disparition de l'influence idéologique prédominante, avec la fin des aides économiques et le retrait des forces militaires de contrôle, sont apparus, presque naturellement, des processus complexes de réajustement et de transition vers d'autres régimes politiques et économiques en butte à des contradictions et des résistances multiples. 28. Les conflits armés intérieurs ou internationaux qui ont éclaté ou qui se sont intensifiés depuis 1989 sont, pour une grande part, directement liés à l'effondrement du système économique, des rapports sociaux et du régime politique dans les pays qui, durant la période de la guerre froide, se trouvaient dans l'orbite de la puissance mondiale qui a maintenant perdu son influence. Progressivement, en même temps qu'ils deviennent indépendants et que leur souveraineté nationale s'accroît, certains Etats sont confrontés à des attitudes nouvelles d'où le dialogue est exclu et qui exaltent même des sentiments régionalistes, nationalistes, ethniques, religieux et séparatistes. Dans cette situation complexe et délicate, des Etats fédérés se sont désagrégés, de nouveaux Etats sont apparus et des mouvements séparatistes encourageant l'indépendance de leur région ont vu le jour. Malheureusement, ces processus ne se sont pas tous déroulés de manière pacifique. Ils ont, bien souvent, engendré de graves conflits armés dont la plupart ne sont toujours pas réglés. 29. Le Rapporteur spécial se doit de mentionner ces conflits puisque, dans chacun d'eux, on signale la présence d'éléments mercenaires et que, dans certains cas, cette présence est la cause même de la barbarie du conflit. Par ailleurs, d'après certaines communications actuellement à l'étude, des unités militaires et des colonnes entières des armées régulières d'Etats en voie de reconstruction fourniraient leurs services, équipements et armements compris, pour se procurer des fonds et pouvoir ainsi payer leurs hommes, le but étant d'éviter la dissolution des unités en question et le risque que celles-ci, devenues oisives, ne s'organisent en bandes criminelles armées. Il s'agirait d'une forme jusqu'à présent inconnue de groupes de mercenaires. En tout état de cause, il est de la plus haute importance d'examiner ce phénomène, étant donné le risque qu'il présente - s'il se confirme - pour la stabilité, la paix et le respect des normes internationales garantissant le respect mutuel et la coexistence pacifique entre les Etats. III. ACTIVITES MERCENAIRES EN AFRIQUE A. Aspects généraux 30. D'un point de vue historique, les pays africains sont ceux qui ont souffert le plus directement de la présence de mercenaires sur leurs territoires. Au cours des dernières années, les activités mercenaires ont eu principalement pour but de déchaîner la violence afin d'empêcher ou d'entraver d'une manière ou d'une autre l'exercice du droit des peuples à l'autodétermination. On a également constaté ce type d'activités dans E/CN.4/1994/23 page 16 le contexte d'événements politico-militaires qui ont ébranlé la stabilité des gouvernements constitutionnels de la région. 31. Au cours des vingt dernières années, les jeunes pays africains ont subi des attaques dirigées contre le droit de leurs peuples à l'autodétermination, l'intégrité territoriale de leurs Etats et la stabilité de leurs gouvernements légitimes. Ces attaques ont été le fait d'agents mercenaires sous contrat qui, dans bien des cas, se sont comportés avec une extrême cruauté, au détriment des droits fondamentaux des populations concernées. L'Angola, le Bénin, le Botswana, les Comores, le Lesotho, le Mozambique, la Namibie et le Zimbabwe ont subi des attaques de mercenaires dont le but était toujours d'empêcher les populations de prendre en mains leur destin, de paralyser l'action des gouvernements en place et de les soumettre au contrôle d'une puissance régionale. Le racisme et l'appui au système d'apartheid sont également d'autres grandes caractéristiques des activités mercenaires dans ces pays. 32. Après de longues années d'hostilités, certains des pays les plus touchés par la violence armée ont engagé, sous les auspice de l'ONU et de l'Organisation de l'unité africaine (OUA), un processus de négociation politique qui a abouti à la signature et à l'entrée en vigueur d'accords de paix. Le 4 octobre 1992, l'Accord de paix signé à Rome entre le président Joaquim Chissano et Alfonso Dhlakama, chef de la Résistance nationale mozambicaine (RENAMO), a mis fin au conflit sanglant qui a déchiré le Mozambique pendant 17 ans. L'Accord prévoyait un cessez-le-feu supervisé par les observateurs militaires de l'opération des Nations Unies au Mozambique (ONUMOZ), le désarmement, le regroupement et la démobilisation générale des forces en présence, l'organisation d'élections présidentielles et législatives, actuellement prévues pour octobre 1994, et la création d'une nouvelle armée nationale. 33. L'Accord de paix de Cotonou (Bénin), signé le 25 juillet 1993, a mis fin à un conflit qui a duré plus de trois ans et demi et fait plus de 100 000 morts au Libéria. Le cessez-le-feu prévu par l'Accord de paix est entré en vigueur le 1er août 1993. Il a été suivi du regroupement, du désarmement et de la démobilisation des forces en conflit, tout cela sous la supervision de la force ouest-africaine d'interposition (ECOMOG) et de la Mission d'observation des Nations Unies au Libéria (MONUL), créée le 22 septembre 1993. Les élections présidentielles et législatives auront lieu en 1994. D'autre part, l'Accord de paix signé le 4 août 1993 à Arusha, en République-Unie de Tanzanie, vise à mettre fin au conflit qui oppose le Gouvernement rwandais aux forces rebelles du Front patriotique rwandais (FPR). 34. Les conflits armés en Afrique ont donc diminué d'intensité ou cessé totalement, mais cela ne veut pas dire que les mercenaires aient été démobilisés, que leurs unités aient été dissoutes, ni qu'ils se soient réinsérés dans la société civile pour y vivre de façon pacifique. Beaucoup d'entre eux se sont repliés vers d'autres régions, principalement en Afrique du Sud, considérée au temps de l'apartheid comme un sanctuaire pour les mercenaires. Maintenant que le système d'apartheid est en voie de démantèlement, le gouvernement du président de Klerk n'accueille plus les mercenaires étrangers à bras ouverts. Ces derniers n'ont pas pour autant abandonné le pays. Comme on le sait, le processus d'élimination de l'apartheid et de démocratisation de l'Afrique du Sud se heurte à la résistance des E/CN.4/1994/23 page 17 organisations racistes de la minorité blanche. Certaines de ces organisations ont recruté des mercenaires et constitué des groupes paramilitaires qui provoquent des actes de violence raciste et fomentent des affrontements sans merci des diverses ethnies sud-africaines. 35. Ces deux dernières années, l'Afrique a connu également des situations d'instabilité politique presque toujours accompagnées de violence armée. Les cas du Burundi, du Cameroun, de Djibouti, du Niger, du Tchad et du Togo ont été mentionnés dans des rapports antérieurs du Rapporteur spécial. A ces pays, il faut ajouter la Somalie dont la situation est très préoccupante et où la guerre entre clans et sous-clans a entraîné l'effondrement de l'Etat et contraint l'ONU à intervenir sur le plan humanitaire; le Rwanda et le Soudan, où la guerre civile a bouleversé les conditions de vie des populations locales; enfin le Zaïre, où des groupes militaires et paramilitaires relevant directement du président Mobuto Sese Seko se livrent au pillage, à des abus et à des violations systématiques des droits de l'homme. 36. Les conflits mentionnés mettent en péril la stabilité politique des gouvernements et entravent l'action en faveur du développement. Quand on connaît l'histoire et l'évolution d'autres conflits internes en Afrique et quand on sait que, dans certains cas, des intérêts étrangers misent sur ces conflits, on ne peut écarter la possibilité que l'une ou l'autre des parties qui s'affrontent ait recours à des activités mercenaires. Les mercenaires de carrière n'ont nullement quitté l'Afrique; ils attendent l'occasion d'intervenir et ces conflits la leur offrent. La communauté internationale devrait méditer sur le cours que prennent habituellement les conflits en Afrique et faire en sorte que soient conclus rapidement des accords de paix effectifs qui garantissent le droit à l'autodétermination, les libertés fondamentales, la démocratie et le développement de ces peuples qui, bien qu'ils aient accédé à l'indépendance depuis un certain nombre d'années, ne parviennent pas à obtenir la paix dans la justice ni à se développer, en raison principalement de la violence et des conflits armés. B. Angola 37. Signés à Lisbonne, le 31 mai 1991, entre les parties au conflit, les accords de paix en Angola auraient dû atteindre l'un de leurs principaux objectifs puisque des élections générales ont eu lieu, les 29 et 30 septembre 1992, en présence d'observateurs de l'ONU. Ces derniers ont constaté que les élections s'étaient déroulées normalement et que, d'une manière générale, elles avaient été libres et justes. 38. Malheureusement, le Chef de l'Uñiâo Nacional para a Independência Total de Angola (UNITA) n'a pas accepté le résultat de ces élections, a exigé que l'on reconnaisse son prétendu triomphe, puis est passé à l'action, se livrant à des actes de violence auxquels les forces fidèles au gouvernement ont répondu avec une violence égale. Les combats ont repris à Benguela, Caxito, Huambo, dans le port de Lobito, dans les environs de Luena, à Malangue, Puerto Quipira et Lubango, ainsi qu'à Luanda, la capitale, où il y eut de nombreuses victimes des deux côtés et où les locaux de l'UNITA ont été détruits ou incendiés. La guerre civile a recommencé sur une échelle et avec une intensité destructrice égales, sinon supérieures, à la précédente. E/CN.4/1994/23 page 18 39. Au cours de l'année 1993, la situation en Angola n'a cessé de se détériorer et de s'aggraver. On estime qu'un millier de personnes meurent chaque jour dans ce pays des conséquences directes ou indirectes de la guerre civile; le gouvernement contrôle les villes de Luanda, Lobito, Lubango, Cubal, Sumbe, Benguela et Namibe; en revanche d'autres villes, telles que Cuito, Menongue, Saurimo, Luena et Malangue, ont été encerclées en 1993 et soumises à d'intenses bombardements de la part de l'UNITA. La ville de Huambo a été prise par les forces rebelles, qui contrôlent également la cité pétrolière de Soyo et le port d'Ambriz. Les informations reçues mentionnent deux faits particulièrement graves, à savoir la profusion d'armes modernes et la présence active de mercenaires qui, de nouveau, entraîneraient des soldats et combattraient dans le pays. 40. Depuis la reprise des hostilités en octobre 1992, le Rapporteur spécial s'est maintenu en liaison avec les autorités angolaises, notamment avec le Ministre des relations extérieures auquel il a adressé des lettres, les 17 novembre 1992, 12 février 1993 et 9 juillet 1993, et s'est entretenu avec des membres de la délégation angolaise, lors de la quarante-neuvième session de la Commission des droits de l'homme. Dans sa lettre datée du 9 juillet 1993, le Rapporteur spécial mentionnait diverses communications concernant la présence de mercenaires dans le conflit armé qui déchire ce pays. Ces communications dénoncent principalement la présence de mercenaires étrangers dans les rangs de l'UNITA, la majorité d'origine sud-africaine et zaïroise. D'après le commandant de la région nord, le général Eusebio Brito Texeira, des mercenaires blancs auraient été enterrés à Soyo avec des combattants de l'UNITA. Les habitants de Soyo auraient également dénoncé la participation de mercenaires d'origine zaïroise aux pillages de la ville. 41. Les informations mentionnent également d'anciens membres des 31ème et 32ème bataillons sud-africains qui auraient été recrutés en qualité de gardes pour assurer la sécurité des raffineries et des installations pétrolières angolaises, mais qui auraient en fait combattu à Huambo aux côtés des forces de l'UNITA. La société sud-africaine Executive Outcomes, dirigée par Esben Barlow, se serait chargée du recrutement et les combattants auraient été transportés en Angola par la compagnie de transport Propilot dans des appareils appartenant à la Compagnie Westair. Trois mercenaires, Geoffrey Landsberg, Hermanus Ferreira et Nico Bosman, blessés lors des combats qui ont eu lieu à Huambo, ont été évacués, le 11 mars 1993, à bord d'un vol clandestin de Propilot à destination de l'Afrique du Sud. 42. Le contrôle par l'UNITA des provinces orientales du pays aurait facilité l'arrivée en Angola de mercenaires venus du Zaïre pour combattre aux côtés des forces rebelles. Des mercenaires, des armes et du matériel militaire auraient également été transportés à Mucusso et Jamba à bord de vols clandestins en provenance de Durban et de Johannesburg. Le 11 septembre 1993, le général Georg Meiring, chef des Forces de défense sud-africaines, a confirmé que des membres des unités spéciales d'élite et d'anciens membres des services sud-africains d'espionnage recevaient des offres d'engagement pour combattre en Angola comme mercenaires. On proposait aux candidats des contrats d'un an et un salaire mensuel de 10 000 dollars des Etats-Unis. Le général Meiring rappelait le caractère illégal de ces contrats et avertissait les responsables qu'ils feraient l'objet de poursuites judiciaires. E/CN.4/1994/23 page 19 43. La guerre civile en Angola a entraîné une grave détérioration des conditions de vie qui touche l'ensemble de la population angolaise. On estime à plus d'un demi-million le nombre des personnes qui ont trouvé la mort en 1993 en raison des affrontements militaires, des actes de sabotage, du manque de nourriture, des infections et du manque de soins et de médicaments dans les hôpitaux. Par ailleurs, malgré les sanctions décrétées par le Conseil de sécurité à l'encontre de l'UNITA dans sa résolution 864, et en dépit des efforts que déploie la Mission des Nations Unies, UNAVEM, les hostilités n'ont rien perdu de leur intensité. La résolution 864, adoptée le 15 septembre 1993 à l'unanimité en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, a établi un embargo sur les armes, le matériel de guerre et le pétrole à l'encontre des forces de l'UNITA et cet embargo est entré en vigueur le 26 septembre 1993. 44. L'achat d'armements, l'entraînement militaire de haut niveau à l'extérieur et la présence de techniciens et d'experts militaires sont autant d'éléments qui contribuent à accroître les hostilités et qui expliquent qu'aucune des parties en présence n'envisage de mettre immédiatement fin à la guerre par la voie des négociations. Il va sans dire que, dans un tel contexte, la présence de mercenaires, provenant principalement du Zaïre et de l'Afrique du Sud, est un facteur qui tend à aggraver le conflit et à le rendre plus impitoyable. La responsabilité de cette situation incombe essentiellement à l'UNITA qui, au début de la guerre civile, il y a 18 ans, a fait appel à des mercenaires étrangers à la fois pour entraîner ses troupes et pour participer aux combats. 45. Des négociations de paix entre les deux parties au conflit ont été engagées le 15 novembre 1993, à Lusaka (Zambie), sous la médiation de l'ONU agissant par l'intermédiaire du Représentant du Secrétaire général, M. Alioune Blondin Beye. Ces négociations ont abouti, le 3 décembre 1993, à la signature d'un accord de cessez-le-feu. Le Rapporteur spécial forme des voeux pour que cet accord soit effectivement appliqué et pour que la situation dramatique que connaît l'Angola se règle sans tarder par la voie des négociations politiques et grâce au renforcement du système démocratique. Il renouvelle son engagement de coopérer aux efforts déployés pour mettre fin à l'ingérence des forces mercenaires. Il se déclare à nouveau prêt à se rendre en Angola, dans le cadre de son mandat, si le gouvernement de ce pays le juge nécessaire et lui adresse une invitation dans ce sens. C. Afrique du Sud 46. Dans ses rapports précédents, le Rapporteur spécial se réfère aux conflits armés en Afrique australe, où l'on a repéré la présence de mercenaires. Dans l'analyse de ce phénomène, il parle de l'apartheid et de la politique raciste des gouvernements sud-africains qui faisaient obstacle à l'exercice du droit à l'autodétermination du peuple sud-africain et portaient atteinte à la souveraineté de l'ensemble des pays de la région. Si le régime raciste d'Afrique du Sud a eu recours, entre autres, aux mercenaires, c'est parce que ceux-ci étaient capables de multiplier les affrontements, de commettre des sabotages, de porter atteinte aux droits de l'homme et d'entraver l'exercice, par les peuples de cette région de l'Afrique, de leur droit à l'autodétermination. E/CN.4/1994/23 page 20 47. Le Rapporteur spécial a décrit en détail les actes de violence commis contre la population noire d'Afrique du Sud et il a mis en évidence, à ce propos, la tolérance dont l'appareil policier de l'Etat faisait preuve à l'égard des forces spéciales et des opérations clandestines qui avaient pour but de nuire à la population noire et, en particulier, aux dirigeants et aux membres du Congrès national africain (ANC). Il a signalé à cet égard l'importance, dans le cadre du démantèlement de l'apartheid, de la nomination de la Commission d'enquête sur les actes de violence et d'intimidation publique que présidait le juge Richard Goldstone. De l'avis du Rapporteur spécial, cette Commission devrait également faire porter ses investigations sur le recrutement et l'utilisation de mercenaires et accorder une attention particulière à cette question. 48. Dans ses rapports antérieurs, le Rapporteur spécial a analysé le processus de démantèlement du régime d'apartheid et son remplacement par une organisation politique, sociale et économique, ouverte et démocratique. Cet important changement est encouragé par le Président Fredrick W. de Klerk. Faisant preuve de réalisme, celui-ci a su reconnaître dans l'ANC un représentant et un interlocuteur valable, a obtenu l'accord de la majorité des organisations politiques pour mener à bien son plan d'abrogation de l'apartheid et d'édification d'une Afrique du Sud démocratique et intégrée et est parvenu à signer un accord national de paix, le 14 septembre 1991. Toutefois, certains groupes de la minorité blanche refusent de reconnaître la fin du régime raciste et ont constitué des unités paramilitaires pour "lutter pour la survie du peuple blanc". Ces groupes de choc se livrent à des actions extrêmement violentes et fomentent notamment les affrontements entre diverses ethnies noires d'Afrique du Sud. Ces organisations, parmi lesquelles on mentionne habituellement l'Afrikaner Resistance Movement (AWB), ne cachent pas leur sympathie pour l'idéologie nationale socialiste et plusieurs de leurs membres ont été reconnus coupables d'attentats terroristes en 1992 et 1993. La présence de mercenaires comme instructeurs ou membres des unités militaires de ces organisations est un fait qui a été amplement signalé. 49. Dans ce contexte, deux scénarios s'entrecroisent de façon dramatique en Afrique du Sud : d'un côté l'Accord national de paix, qui fait appel à l'ensemble des partis politiques sud-africains et qui établit un calendrier prévoyant des élections multinationales en avril 1994, une assemblée constituante pluraliste, une nouvelle constitution et un gouvernement de transition vers la démocratie jusqu'en 1999; à l'autre extrême, il y a ceux qui cherchent à transformer l'accord en un affrontement polarisé. D'où la violence raciale et interethnique alimentée par des positions extrémistes présentes partout, en particulier parmi les groupes minoritaires blancs à tendance extrémiste, mais aussi chez certains éléments de la majorité noire qui incitent à la violence et à l'intolérance ethnique. Les autorités gouvernementales et les forces régulières de la police ne parviennent pas à contrôler cette violence qui se propage et qui se caractérise, entre autres, par la présence de mercenaires. Se targuant d'anticommunisme, prêts à toutes les extrémités et agissant, pour la plupart, dans le cadre d'organisations paramilitaires ces mercenaires ne font qu'ajouter à l'insécurité et font monter d'un cran la violence. 50. L'assassinat du dirigeant communiste et membre de la direction de l'ANC Chris Hani, le 10 avril 1993, par un Polonais du nom de Janusz Walus, lié à E/CN.4/1994/23 page 21 l'Afrikaner Resistance Movement (AWB) depuis 1986 et à l'organisation "Lobos Blancos", pourrait être le point de départ d'une enquête sur la présence en Afrique du Sud de nationaux de pays d'Europe de l'Est qui, animés par leur anticommunisme et la nécessité de trouver des moyens de subsistance, sont devenus mercenaires. 51. Les communications font également état de l'action de hauts fonctionnaires et agents du Service de renseignements sud-africain qui mettent en place des réseaux internationaux de sociétés, organismes humanitaires, entreprises de services, fournitures d'armes et recrutement de mercenaires pour protéger les intérêts économiques sud-africains après la disparition du régime d'apartheid. Ainsi, par exemple, l'"Operación Agree" signalée par Nico Basson, ancien agent des renseignements sud-africains, est présentée comme un plan stratégique d'opérations échelonnées en Namibie, en Angola et autres pays d'Afrique australe, en liaison avec des sociétés implantées en Europe, pour maintenir le contrôle économique de l'Afrique du Sud sur la région après l'apartheid. Dans leurs enquêtes, Victoria Brittain et David Pallister, journalistes du Guardian, ont révélé, en mars 1993, l'établissement à Westminster de l'organisation Strategy Network International, avec des bureaux à Bonn et à Paris, et liée à l'organisation allemande Hilfe in Not, la société zimbabwéenne Reedway, la compagnie Merchant International Trading Inc., la société sud-africaine SA Bias, la société Merchant Trade Finance et l'entreprise sud-américaine d'armements Armscor. 52. En dépit de toutes ces actions destinées à boycotter le processus d'abrogation de l'apartheid, le démantèlement du système raciste en Afrique du Sud se poursuit et le calendrier prévu pour l'instauration d'une société multiethnique et démocratique, tel qu'il a été prévu à l'origine dans le cadre de la Convention pour une Afrique du Sud démocratique (COSADE) est grosso modo respecté. Il convient de souligner, à cet égard, l'adoption d'une constitution provisoire, la ratification de la date du 27 avril 1994 pour la tenue des premières élections générales démocratiques et multiraciales et la mise en place, auprès du gouvernement du Président de Klerk et jusqu'à la tenue des élections d'un conseil exécutif de transition dont fait partie l'ANC. Malgré ces progrès, les risques d'aventures militaires ne sont pas écartés, dans la mesure où différents groupes ethniques et politiques s'opposent au nouveau plan de démocratisation de l'Afrique du Sud. 53. L'un des principaux dangers vient de certains secteurs de l'Alliance pour la liberté, qui regroupe le Front du peuple afrikaner, dirigé par le général Constand Viljoen, ancien chef d'état-major de l'armée; le Parti conservateur; le Parti de la liberté Inkatha; et les dirigeants du Ciskei et du Bophuthatswana. Le Front du peuple afrikaner et l'Afrikaner Resistance Movement (AWB) revendiquent le droit à l'autodétermination et exigent la reconnaissance d'un territoire national réservé à la population blanche. Des représentants de l'AWB, mouvement de tendance néo-nazie qui a installé des camps d'entraînement militaire dans les environnements de Johannesburg et de Pretoria, ont même menacé de prendre les armes si l'on n'accepte pas leurs exigences et recruteraient actuellement des ressortissants des pays d'Europe orientale dans leurs unités paramilitaires. D'autres groupes extrémistes de la minorité blanche et le Parti de la liberté Inkatha encouragent les positions belliqueuses ainsi que l'intolérance ethnique et interethnique. Ils ont armé un grand nombre de leurs militants et engagé des mercenaires qui mènent E/CN.4/1994/23 page 22 actuellement des activités d'entraînement militaire, dans la perspective d'un conflit armé généralisé. 54. On ne doit pas écarter la possibilité qu'une guerre civile éclate en Afrique du Sud, à l'instigation des groupes qui s'opposent à la démocratisation et à l'intégration ethnique de ce pays. La communauté internationale devrait tenir compte du rôle néfaste que jouent à cet égard les mercenaires qui se trouvent en territoire sud-africain. Il faut interdire leurs activités et les obliger à quitter définitivement l'Afrique du Sud, et ce dans le cadre de l'élimination de l'apartheid et du renforcement du processus de paix et de démocratisation engagé dans ce pays. D. Zaïre 55. La situation au Zaïre demeure, pour le Rapporteur spécial, une source de préoccupation particulière. Pendant l'année 1993, ce pays d'Afrique centrale a été le théâtre de troubles sanglants, d'actes de pillage, d'opérations de "nettoyage ethnique" et d'une répression violente et d'autant plus grave qu'elle s'inscrit dans le contexte d'un affrontement politique. La crise dans ce pays est due à un conflit entre deux gouvernements, dont l'un est présidé par Etienne Tshisekedi et reconnu par un certain nombre d'Etats, notamment par la Belgique, les Etats-Unis d'Amérique et la France, et l'autre a à sa tête Faustin Birindwa. M. Tshisekedi a été élu premier ministre, le 15 août 1992, par la Conférence nationale souveraine, après avoir recueilli plus de 70 % des suffrages, puis destitué, le 6 février 1993, par le chef de l'Etat, le maréchal Mobutu Sese Seko. Il a toutefois refusé de s'en aller et, par un décret daté du 9 avril 1993, a constitué un nouveau gouvernement. De son côté, M. Birindwa, désigné comme son successeur par le chef de l'Etat, a présenté, le 2 avril 1993, son cabinet ministériel. 56. Cette impasse politique est à l'origine des abus et des actes de violence qui ont été commis. Plusieurs dizaines de personnes ont trouvé la mort au début du mois de février 1993, à Kinshasa, lors d'une série de troubles et de manifestations. Le 13 avril 1993, les résidences de M. Tshisekedi et de plusieurs de ses ministres ont été encerclées par des unités d'élite des forces de sécurité et des incidents ont eu lieu, au cours desquels une dizaine de personnes ont été blessées. Ces incidents se sont poursuivis tout au long de l'année 1993, malgré les pourparlers engagés entre les deux gouvernements, notamment lors des réunions qui ont eu lieu en septembre en vue de parvenir à un "Accord constitutionnel de transition". En dépit de ces rencontres, la tension politique et la violence n'ont pas diminué, le pays est devenu de plus en plus ingouvernable et des abus de toutes sortes ont été commis par des bandes armées qui attentent à la vie et à la sécurité des personnes. Les actes de pillage et de vandalisme sont attribués à des soldats et à des membres des forces de sécurité qui, souvent, ne reçoivent pas leurs salaires en temps voulu ni de manière régulière. Mais on signale également que, dans certains cas, des mercenaires ont été à l'origine de ces actes ou y ont participé activement. 57. La situation est encore aggravée par le déclenchement et l'extension de divers conflits ethniques qui, parfois, se mêlent aux rivalités politiques. Dès 1992, dans la région du Shaba qui est située au sud-est du pays, des membres du groupe ethnique Lunda, auquel appartient M. Nguz a Karl-i-Bond, E/CN.4/1994/23 page 23 l'ancien premier ministre, ont attaqué des membres de la communauté Luba dont fait partie M. Tshisekedi, au moment où ce dernier a remplacé M. Karl-i-Bond au poste de premier ministre. Ces attaques ont fait des dizaines de morts et contraint des milliers de Lubas à abandonner le Shaba. En 1993, les habitants de la province de Kasai ont abandonné leurs foyers par milliers dans la région du Shaba ainsi qu'à Likasi, Lubumbashi et Kolwezi. Le 14 juin 1993, une vingtaine de personnes originaires de Kasai ont trouvé la mort lors d'un exode massif de populations fuyant la région du Shaba. La province de Kivu a également été le théâtre d'actes de violence ethnique. Plusieurs villages y ont été saccagés au cours des cinq derniers mois de 1993, et de nombreux membres de l'ethnie Banyarwanda, apparentée à des groupes ethniques rwandais, ont été tués. On estime à plus de 6 000 le nombre des personnes qui ont péri en 1993 dans la province de Kivu. 58. Dans cette grave conjoncture, caractérisée par l'impasse politique, la violence ethnique, l'instabilité économique et l'incapacité des forces de sécurité à maîtriser la situation, le Rapporteur spécial a reçu un certain nombre de communications relatives à la présence de mercenaires étrangers. D'après ces informations, des mercenaires auraient participé à la création et à l'entraînement d'une brigade de la garde civile appelée Force d'intervention spéciale. On signale également la présence d'instructeurs d'origine égyptienne, israélienne et sud-africaine dans la Division spéciale présidentielle et dans certaines unités d'élite de l'armée. On affirme que ces instructeurs seraient payés en diamants. 59. Par ailleurs, le Rapporteur spécial a reçu des informations selon lesquelles des mercenaires étrangers entraîneraient des membres des forces rebelles de l'UNITA sur la base zaïroise de Kamina, qui est située dans la région du Shaba. Cette base serait également utilisée pour l'acheminement d'armes et de matériels aux rebelles angolais. D'après d'autres informations, des mercenaires sud-africains seraient installés dans la commune zaïroise de Moanda, à quelques kilomètres seulement de la frontière entre le Zaïre et l'enclave angolaise de Cabinda, et le territoire zaïrois serait utilisé pour acheminer clandestinement des mercenaires de nationalités sud-africaine et autres, des armes, des munitions, des médicaments et des produits alimentaires sur des vols nocturnes, à destination des zones contrôlées par l'UNITA en territoire angolais. 60. La présence de mercenaires étrangers en territoire zaïrois, leur recrutement, leur financement et leur utilisation comme instructeurs dans des unités d'élite ou comme commandants ou membres de groupes paramilitaires, loin d'aider le Zaïre à surmonter la grave crise politique, sociale et économique dans laquelle il se trouve, risquent plutôt de l'y enfoncer davantage. Quels que soient les intérêts politiques, idéologiques ou stratégiques qu'ils prétendent servir, les mercenaires cherchent avant tout à obtenir un maximum d'avantages économiques pour eux-mêmes. Le Zaïre ne les intéresse qu'en raison de ses énormes ressources naturelles et parce qu'ils espèrent y obtenir certains avantages. Que la population zaïroise retrouve le chemin de la démocratie et puisse exercer son droit à l'autodétermination par le biais d'élections libres et pluripartistes, n'entre guère dans leurs calculs mesquins. E/CN.4/1994/23 page 24 IV. PRESENCE DE MERCENAIRES SUR LE TERRITOIRE DE L'EX-YOUGOSLAVIE 61. Le Rapporteur spécial a commencé à examiner la question de la participation de mercenaires aux conflits qui se déroulent sur le territoire de l'ex-Yougoslavie dans son dixième rapport, qu'il a présenté à l'Assemblée générale à sa quarante-septième session (A/47/412, annexe). Il a envoyé diverses communications aux Etats intéressés et a eu des entrevues avec leurs représentants avant de procéder à une analyse complète en vue de formuler des conclusions définitives, qui ne reposent pas sur de simples rumeurs ou sur des allégations sans fondement ou des affirmations relevant de la propagande de guerre. 62. On trouvera dans le onzième rapport du Rapporteur spécial, soumis à la Commission des droits de l'homme à sa quarante-neuvième session (E/CN.4/1993/18), les données fournies à ce sujet par les Gouvernements de la République de Croatie (par. 112), de la Slovénie (par. 111) et de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) (par. 110). A ce jour, le Gouvernement de la République de Bosnie-Herzégovine n'a pas répondu. On trouvera également dans ce rapport un résumé des entrevues que le Rapporteur spécial a eues, au Siège de l'ONU, avec les représentants permanents auprès de l'Organisation des Républiques de Bosnie-Herzégovine (par. 121 à 123), de Croatie (par. 117 à 119) et de Slovénie (par. 120), ainsi qu'avec le chargé d'affaires par intérim de la Mission permanente de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) auprès de l'Organisation des Nations Unies (par. 114 et 115). 63. Lors de sa visite à Genève au début de février 1993, le Rapporteur spécial a tenu une nouvelle série de réunions avec M. Ivica Kostovic, membre de la délégation d'observation de la République de Croatie auprès de la Commission des droits de l'homme, à sa quarante-neuvième session, et avec M. Vladimir Pavicevic, chargé d'affaires par intérim de la Mission permanente de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) auprès de l'Office des Nations Unies à Genève. A M. Kostovic, le Rapporteur spécial a signalé la nécessité d'obtenir des éclaircissements au sujet des informations qu'il avait reçues touchant la présence de combattants étrangers dans les rangs de l'armée croate, afin de déterminer s'il pouvait s'agir de mercenaires. Le représentant de la Croatie a déclaré que son pays était victime d'une guerre d'agression et, qu'à cause de cette guerre, une partie du territoire croate était contrôlée par des milices et des groupes paramilitaires serbes. Il a expliqué en outre qu'il n'y avait pas de mercenaires étrangers en Croatie mais des volontaires d'origine croate qui, en vertu du jus sanguinis, devaient être considérés comme ayant la nationalité croate. Il a ajouté que, le 4 septembre 1992, le Ministère de la défense avait renvoyé tous les étrangers qui servaient dans l'armée croate, de sorte qu'il n'existait plus dans le pays qu'une seule armée régulière, subordonnée au pouvoir civil et constituée de ressortissants croates. 64. Lors de son entrevue avec M. Pavicevic, le Rapporteur spécial a indiqué à ce dernier qu'il avait reçu un certain nombre d'informations touchant la présence de combattants étrangers dans l'ex-Yougoslavie, en particulier parmi les groupes paramilitaires serbes, et qu'il y avait donc lieu de procéder à une enquête sur place. L'ambassadeur Pavicevic a démenti la présence de mercenaires en Serbie et au Monténégro. Il a déclaré que son gouvernement E/CN.4/1994/23 page 25 était pleinement disposé à collaborer avec le Rapporteur spécial dans l'exécution de son mandat et espérait que celui-ci examinerait la question et mènerait son enquête avec objectivité. 65. Le 12 février 1993, le Rapporteur spécial a eu une entrevue, au Siège du Centre pour les droits de l'homme, à Genève, avec le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'homme chargé d'étudier la situation des droits de l'homme sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, M. Tadeusz Mazowiecki; au cours de cette entrevue, il a mis ce dernier au courant de l'état d'avancement de ses enquêtes, des communications et allégations reçues et des entrevues dont il a été question dans les paragraphes qui précèdent. Le Rapporteur spécial a dit à M. Mazowiecki qu'il souhaitait coordonner les travaux réalisés dans l'exécution de leurs deux mandats, soit directement, soit par l'intermédiaire de la Section des procédures spéciales du Centre pour les droits de l'homme, et il a offert d'apporter à M. Mazowiecki toute la collaboration que celui-ci jugerait nécessaire. Le Rapporteur spécial chargé d'étudier la situation des droits de l'homme sur le territoire de l'ex-Yougoslavie a reconnu en effet la nécessité de coordonner l'exécution des deux mandats dans leurs domaines de compétence respectifs et a accepté avec reconnaissance l'offre de collaboration. 66. Dans une note verbale No 661/1 en date du 5 juillet 1993, reçue au Centre pour les droits de l'homme le 20 du même mois, la Mission permanente de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) auprès de l'Office des Nations Unies à Genève a indiqué que des mercenaires avaient participé, et participaient encore, aux conflits armés dans l'ex-Yougoslavie, que la Yougoslavie, en tant que pays, avait souffert des agissements de ces personnes et demandait, par conséquent, que celles-ci soient sanctionnées, et appuyait toute initiative dans ce sens. L'annexe à cette communication contient une liste de personnes censées être des mercenaires qui auraient participé aux conflits en Croatie en 1991 dans les forces armées croates. A propos du conflit en Bosnie-Herzégovine, la note verbale signale, entre autres, la participation de mercenaires étrangers dans les rangs des forces irrégulières croates, des forces gouvernementales de Bosnie-Herzégovine et des forces irrégulières musulmanes en 1992. Se référant au même conflit, la communication dénonce la présence, en janvier 1993, d'une centaine de mercenaires venus du Danemark, des Etats-Unis d'Amérique, de Finlande et de Suède pour apporter un appui à la 17ème brigade musulmane stationnée à Tranvnik; elle signale également qu'en février 1993, 20 ressortissants britanniques sont arrivés à Zagreb en qualité de mercenaires, dans l'intention de rallier les forces musulmanes. Enfin, d'après cette communication, quelques 43 "muyahídes" originaires d'Arabie saoudite et ayant pour chef un certain Abu Isa El Meki auraient commis des atrocités à l'encontre des populations serbes de la municipalité de Teslic, sur le territoire de la Bosnie-Herzégovine. Ce groupe aurait également participé au massacre de soldats serbes faits prisonniers - la note cite les noms de Blagoje Blagojevic, Nenad Petrovic et Branko Djurica parmi les victimes - et se serait livré à des violences sexuelles à l'encontre de femmes et d'enfants serbes. 67. Le 26 août 1993, la Mission permanente de la République de Croatie auprès de l'Office des Nations Unies à Genève a transmis une communication du docteur Mate Granic, ministre des affaires extérieures et vice-premier ministre de la République de Croatie, dans laquelle ce dernier répondait à la lettre datée E/CN.4/1994/23 page 26 du 8 juin 1993 que lui avait adressée le Rapporteur spécial au sujet des activités mercenaires dans le conflit armé qui déchire l'ex-Yougoslavie. Dans cette communication, le Ministre indique que, lors de l'agression dont la Croatie a été victime en 1991, un certain nombre de mercenaires ont participé à la guerre contre la République de Croatie dans les rangs de l'armée populaire yougoslave et des unités paramilitaires de la Serbie et du Monténégro. Il signale également que son pays possède des informations touchant la présence de mercenaires dans les camps d'entraînement situés en Slavonie orientale (Baranja) et en Dalmatie septentrionale (près de Knin). Il ajoute dans sa lettre que, d'après des informations, un criminel de notoriété internationale, un certain "Capitaine Dragan", était chargé d'entraîner des terroristes dans la région de la Slavonie orientale. Quant aux mercenaires opérant dans les zones occupées de la Croatie, il précise qu'un grand nombre d'entre eux sont originaires de Roumanie et de l'ex-Union soviétique. 68. En ce qui concerne la Bosnie-Herzégovine, la lettre signale que des mercenaires originaires de l'ex-Union soviétique, principalement de la Fédération de Russie, combattent aux côtés des Serbes, tandis que l'on trouve dans les rangs musulmans des mercenaires provenant de pays islamiques (Arabie saoudite, République islamique d'Iran, Turquie) et dont le nombre est estimé à plusieurs milliers. Enfin, le Ministre maintient la position officielle de la Croatie, à savoir qu'il n'y a pas de mercenaires dans les unités militaires croates, que ceux qui combattent comme volontaires sont d'origine croate ou descendent d'émigrants croates et qu'il y a donc lieu, conformément au jus sanguinis, de les considérer comme des Croates. 69. Le Rapporteur spécial a remis à nouveau des lettres aux gouvernements des Républiques de Bosnie-Herzégovine, de Croatie et de la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), auxquelles étaient jointes les communications qu'il avait reçues touchant les activités de mercenaires dans les conflits armés sur les territoires de l'ex-Yougoslavie. Dans ces lettres, le Rapporteur spécial demande une réponse approfondie, détaillée et appuyée sur des preuves concernant les allégations reçues. Il se déclare également préoccupé par les opérations de recrutement et d'entraînement de mercenaires qui auraient lieu actuellement à l'échelon international dans le but d'aider les parties et les forces qui s'affrontent sur le territoire de la République de Bosnie-Herzégovine. 70. Par ailleurs, les 14 et 15 octobre 1993, le Rapporteur spécial s'est entretenu avec des représentants de la République de Bosnie-Herzégovine et de la République de Croatie au Siège de l'Organisation, afin de préciser des informations concernant des étrangers qui ont participé et participent encore aux conflits armés sur le territoire de l'ex-Yougoslavie. Aucun de ces représentants n'a nié la présence de combattants étrangers mais, s'agissant de ceux qui luttent à leurs côtés, ils ont émis des réserves quant au qualificatif de mercenaires qui leur était appliqué. Dans les deux cas, il s'est agi d'entretiens préliminaires, et les représentants se sont engagés à demander de plus amples renseignements à leurs gouvernements respectifs. 71. Enfin, le Rapporteur spécial tient à signaler que les informations reçues ont également été transmises au Rapporteur spécial chargé d'étudier la situation des droits de l'homme sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, E/CN.4/1994/23 page 27 M. Tadeusz Mazowiecki, avec lequel il poursuit les travaux dans ce domaine. M. Mazowiecki a noté avec une préoccupation particulière les massacres de civils croates de Bosnie désarmés, qui ont eu lieu à Maljine et à Doljani, respectivement le 8 juin et les 27 et 28 juin 1993. D'après des témoins oculaires, ces massacres auraient été commis par des forces paramilitaires irrégulières composées d'étrangers qui se feraient appeler les "muyahídes" et qui agiraient en liaison avec la 7ème brigade de l'armée bosniaque. Dans une lettre datée du 22 octobre 1993, le président Izetbegovic a condamné ces assassinats et déclaré qu'une enquête criminelle avait été entreprise. V. PRESENCE DE MERCENAIRES DANS CERTAINS ETATS QUI SE SONT FORMES SUR LE TERRITOIRE DE L'EX-UNION DES REPUBLIQUES SOCIALISTES SOVIETIQUES (URSS) A. Arménie-Azerbaïdjan (Haut-Karabakh) 72. Le 30 août 1991, l'Azerbaïdjan s'est séparé de l'ex-Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS) et est devenu un nouvel Etat souverain et indépendant. Le 10 octobre, le Parlement azéri a nationalisé tout le matériel militaire soviétique qui se trouvait sur son territoire. Le 18 décembre, le Président Ayaz Mutalibov a ordonné que la IVe armée soviétique stationnée en Azerbaïdjan soit placée sous son autorité et que les unités du Ministère de l'intérieur soviétique soient intégrées aux forces armées azéries. Le 2 septembre 1991, soit deux jours après la proclamation de l'indépendance de l'Azerbaïdjan, les habitants du Haut-Karabakh, dans leur grande majorité Arméniens, ont proclamé la création de la "République du Haut-Karabakh", en se fondant sur une disposition de la loi soviétique sur la sécession, qui prévoit qu'une province autonome peut décider de continuer à faire partie de l'URSS si la République dans laquelle elle est intégrée se sépare de l'Union. 73. De son côté, la République d'Arménie s'est séparée de l'ex-Union soviétique, a formellement proclamé son indépendance et est devenue un nouvel Etat souverain et indépendant le 23 septembre 1991, deux jours après la tenue d'un référendum dans lequel 99,31 % des votants se sont prononcés pour l'indépendance. 74. Le Parlement azerbaïdjanais a réagi à la proclamation de la "République du Haut-Karabakh" en retirant à la région son statut d'autonomie, lors d'une séance extraordinaire tenue le 26 novembre 1991, en lançant une grande offensive militaire contre l'enclave et en déclarant un blocus économique contre l'Arménie. Au mois de janvier 1992, une partie de l'armée et des forces de sécurité de l'ex-Union soviétique se sont retirées du Haut-Karabakh. Les habitants de l'enclave ont alors créé des unités d'autodéfense composées de volontaires, qui réussirent à résister à l'offensive azérie. En pleine guerre, ils ont organisé un référendum, le 10 décembre 1991, lors duquel 95 % des votants se sont prononcés pour la séparation d'avec l'Azerbaïdjan. Quatre-vingt-cinq pour cent des habitants du Haut-Karabakh ont pris part au scrutin. Le 28 décembre, ils ont élu leur premier parlement. 75. Les offensives que les Azéris ont lancées aux mois de juin et de juillet 1992 leur ont permis de prendre Martakert, Haterk et Askeran dans le nord et l'est de l'enclave. Mais elles ont été arrêtées par une contre-offensive conjointe des forces arméniennes et des forces d'autodéfense E/CN.4/1994/23 page 28 du Haut-Karabakh, qui, le 20 juillet, ont réussi à reprendre Haterk et les villages de Meshen, Mojratag et Damirlo. Le 3 avril 1993, les forces conjointes de l'Arménie et du Haut-Karabakh ont pris la ville de Kelbadjar. Le 14 avril, elles ont commencé à bombarder la ville de Fizouli. Le 3 mai, un dixième du territoire azerbaïdjanais était au pouvoir des forces conjointes de l'Arménie et du Haut-Karabakh. Le 23 juillet, ces forces se sont emparées de la ville stratégique d'Agdam, située hors des frontières du Haut-Karabakh, tout en continuant leur offensive vers Fizouli, vers Barda, par le nord, et vers Agcabadi, par l'est. De leur côté, les forces azéries soumettaient Vardenis et d'autres villes arméniennes à des bombardements aériens. 76. Ce grave conflit aurait donné lieu à diverses activités de recrutement, de financement et d'utilisation de mercenaires. Elles ont été signalées au Rapporteur spécial, qui les a portées à la connaissance du Gouvernement azerbaïdjanais, dans une lettre datée du 26 juillet 1993, et du Gouvernement arménien, dans une lettre datée du 28 juillet 1993. Le Rapporteur spécial attend les réponses de ces gouvernements. Les faits signalés sont les suivants : a) Le 26 janvier 1992, un mercenaire français a été tué au cours d'une attaque azérie contre le village de Karin-Tak, près de Stepanakert. b) Au mois de février 1992, un mercenaire étranger combattant dans les forces d'autodéfense arménienne a été tué au cours de l'attaque lancée contre la ville azérie de Khojaly. c) Les 12, 13 et 14 juin 1992, neuf mercenaires étrangers combattant dans les forces arméniennes ont été tués au cours des combats se déroulant aux alentours d'Askeran. d) Le 1er juillet 1992, le commandant d'un bataillon des forces d'autodéfense azerbaïdjanaise a déclaré à l'Agence de presse Turan qu'un mercenaire étranger, qui combattait dans les rangs de l'armée nationale arménienne, avait été tué au cours d'un combat dans la région de Martakert. e) Le 1er juin 1993, six anciens soldats russes, qui se seraient livrés à des activités subversives au Haut-Karabakh, ont été faits prisonniers au cours d'un combat. Selon les informations reçues, ils avaient été recrutés par des officiers russes pour entraîner des unités arméniennes au Haut-Karabakh après la dissolution de leurs unités russes en Arménie et leur démobilisation. Ils auraient été considérés comme des mercenaires et condamnés comme tels. f) Des mercenaires étrangers, qui auraient été payés par les forces arméniennes et les forces du Haut-Karabakh, mais aussi par les forces azéries, auraient bombardé des maisons, des hôpitaux et des églises, pillé et incendié des maisons et délibérément terrorisé la population civile, la forçant à quitter les villages en tuant et en blessant des civils, y compris des femmes et des enfants, et en prenant des otages civils. g) Des mercenaires étrangers d'origine slave et turque exerceraient des fonctions militaires très spécialisées dans l'armée azérie. E/CN.4/1994/23 page 29 77. Bien que le Rapporteur spécial n'ait pas encore reçu de réponse des Gouvernements de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan à ses communications au sujet de plaintes faisant état de la participation de mercenaires au conflit, il a continué à rassembler des renseignements sur ce qui se passe dans cette région. Il faut signaler à ce sujet que si, en septembre 1993, une trêve a été instaurée, et devait rester en vigueur jusqu'au 5 novembre 1993, les perspectives d'une négociation politique en vue de la paix n'ont guère progressé. Les hostilités militaires ont repris depuis le 26 octobre et le conflit présente les mêmes caractéristiques qu'auparavant. Les forces du Haut-Karabakh ont conservé leur mainmise sur les villes de Mardakert, Kelbadjar, Agdam, Djebraïl et Fizouli, sur le couloir stratégique de Latchine, qui les relie à l'Arménie ainsi que sur les territoires azéris situés à l'est, à l'ouest et au sud-ouest de l'enclave. De son côté, l'Azerbaïdjan maintient son blocus à l'égard de l'Arménie et du Haut-Karabakh. Dans ce contexte de guerre, la présence d'éléments mercenaires dénoncée dans des plaintes précédentes peut contribuer à aggraver et à prolonger le conflit. B. Géorgie 78. Le 9 avril 1991, le Parlement de la République socialiste soviétique de Géorgie a voté à l'unanimité pour l'indépendance de la Géorgie. Le nouvel Etat indépendant a dû très rapidement faire face aux tentatives sécessionnistes de la région de l'Ossétie du Sud dont la population désirait, en majorité semble-t-il, faire partie de la Fédération de Russie. En janvier 1992, le Gouvernement géorgien a déclaré sa volonté de résoudre la crise par des moyens pacifiques en garantissant l'autonomie culturelle de l'Ossétie du Sud, mais en refusant de négocier politiquement la sécession. La crise a finalement été résolue en juin 1992 avec l'envoi d'une force de pacification composée de 1 500 soldats russes, géorgiens et ossètes, décision prise dans le cadre de négociations entre des représentants de la Fédération de Russie, de la Géorgie, de l'Ossétie du Nord et de l'Ossétie du Sud. 79. Une fois indépendante, la Géorgie a dû faire face à de graves problèmes politiques internes. En décembre 1991, le Conseil d'Etat a renversé le Président Zviad K. Gamzakhourdia et en juin 1992 a nommé Président provisoire l'ancien Ministre des affaires étrangères de l'Union soviétique, Edouard Chevardnadze. En octobre 1992 ont eu lieu des élections présidentielles et législatives. M. Chevardnadze a été élu président de la République à une large majorité des voix mais les partisans de Gamzakhourdia et de nombreux Ossètes et Abkhazes n'auraient pas participé au vote. 80. En novembre de 1992, des fonctionnaires géorgiens ont été enlevés en Abkhazie par des partisans de l'ex-Président Gamzakhourdia. La Garde nationale géorgienne ayant été envoyée pour les délivrer, de sérieux affrontements armés ont eu lieu avec les troupes du Ministère de l'intérieur d'Abkhazie. Par la suite, la Garde nationale géorgienne a occupé la capitale d'Abkhazie, Soukhoumi, à l'issue d'affrontements armés au cours desquels des centaines de personnes, pour la majorité des civils, ont trouvé la mort. Le 10 mars 1993, le Président Chevardnadze a déclaré devant le Parlement à Tbilissi que "des milliers de citoyens russes, mercenaires et membres des forces armées régulières participent directement aux hostilités contre la Géorgie". E/CN.4/1994/23 page 30 81. Devant cette affirmation très sérieuse et d'autres informations relatives à la participation de mercenaires étrangers dans le conflit en Abkhazie, le Rapporteur spécial a, le 20 juillet 1993, adressé la communication ci-après au Ministre des affaires étrangères de la République de Géorgie : "En exécution du mandat qui m'a été confié, j'aimerais recevoir de votre gouvernement des renseignements officiels sur les rapports que j'ai reçus faisant état de l'utilisation de mercenaires étrangers dans le cadre des hostilités en cours dans la province géorgienne d'Abkhazie. On peut apprendre dans les rapports mentionnés ce qui suit : a) En novembre 1992, un citoyen de la Fédération de Russie a été exécuté en Abkhazie après avoir été condamné à mort par une cour martiale pour activités mercenaires; b) Le 10 mars 1993, le Président de la République de Géorgie, M. Edouard Chevardnadze, a déclaré au Parlement à Tbilissi que des milliers de citoyens russes, mercenaires et soldats de l'armée régulière, participent directement aux opérations militaires contre la Géorgie. c) Des mercenaires étrangers à la solde des forces séparatistes abkhazes ont commis des actes de violence contre la population civile notamment exécutions sommaires, torture, pillage, prises d'otage et incendies de maisons. d) Des citoyens de la Fédération de Russie et des étrangers musulmans d'autres nationalités auraient instruit, armé et aidé les forces séparatistes abkhazes." 82. Par la suite, le Rapporteur spécial a reçu des informations selon lesquelles des soldats russes auraient vendu illégalement des armes, des munitions et du pétrole aux forces séparatistes abkhazes et leur auraient même offert leurs services contre paiement. Le président Chevardnadze a confirmé ses déclarations devant le Parlement géorgien le 16 mars 1993, affirmant qu'"il s'agit maintenant d'un conflit armé entre la Géorgie et la Fédération de Russie". Il a signalé que des troupes de l'armée russe stationnées dans la zone avaient appuyé ouvertement l'offensive des forces abkhazes contre Soukhoumi. En effet, entre mars et avril 1993, les relations entre la Géorgie et la Fédération de Russie se sont gravement dégradées, les deux parties s'accusant mutuellement, en raison de l'appui qu'aurait donné la Fédération de Russie aux indépendantistes abkhazes, ce que nient systématiquement les autorités de Russie qui soutiennent la thèse d'une stricte neutralité durant le conflit civil géorgien, tout en s'occupant de leurs unités militaires stationnées dans cette zone eu égard à la responsabilité particulière de la Fédération de Russie dans l'ancienne Union soviétique. 83. Malgré ces désaccords, le Président de la Fédération de Russie, Boris N. Eltsine et le président Chevardnadze ont conclu le 14 mai 1993 un accord de cessez-le-feu qui devait entrer en vigueur le 20 mai et devait être suivi par le retrait des armes lourdes de la zone du conflit et l'interdiction de survoler la région. Toutefois, ces accords n'ont pas dénoué la tension E/CN.4/1994/23 page 31 entre les séparatistes abkhazes et la Géorgie; au contraire, les affrontements armés se sont intensifiés et, d'après les informations reçues, les actes les plus violents seraient imputables aux groupes paramilitaires locaux et aux groupes de mercenaires. Enfin, le 27 juillet 1993, grâce à la médiation du vice-ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie, M. Boris Pastoukhov, les représentants des parlements d'Abkhazie et de Géorgie ont signé un accord de paix dans la station balnéaire russe de Sochi. L'accord prévoit notamment le retrait d'Abkhazie des troupes de la République de Géorgie, le retour à Soukhoumi des membres du Parlement abkhaze qui s'étaient retirés à Goudaouta, le retrait de toutes les unités armées étrangères d'Abkhazie, y compris des unités cosaques et celles de la "Confédération des peuples du Caucase", et le désarmement de tous les groupes paramilitaires locaux. L'accord établit un nouveau cessez-le-feu, qui devait entrer en vigueur à midi le 28 juillet 1993, dont l'observation serait supervisée par des groupes mixtes de contrôle abkhazes-géorgiens. Ces groupes formeraient la base d'une nouvelle armée multinationale composée de régiments abkhazes et géorgiens. Leurs activités seraient appuyées par un groupe de 50 observateurs militaires des Nations Unies. Il serait ainsi mis fin à un conflit qui d'après des déclarations du Ministre de la santé de la République de Géorgie, faites le 19 juillet 1993, s'est soldé par 1 446 morts, 4 956 blessés et 120 000 personnes réfugiées ou déplacées. 84. Malheureusement, l'arrêt des opérations armées en Abkhazie n'a pas rétabli le calme en Géorgie car on a enregistré presque immédiatement une escalade des hostilités avec les rebelles fidèles à l'ancien président Zviad Gamzakhourdia, qui contrôlaient le territoire des deux régions frontières avec l'Abkhazie, à l'ouest de la République, et la ville de Zougdidi, d'où ils menaçaient d'autres zones, par exemple la ville de Koutaïssi. Le 8 octobre 1993, la Géorgie a demandé à adhérer à la Communauté d'Etats indépendants (CEI) et les présidents Chevardnadze et Eltsine se sont à nouveau rencontrés à Moscou. Le 21 octobre, huit navires de guerre de la flotte russe de la mer Noire sont arrivés au port géorgien de Poti et ont débarqué 500 fusiliers marins, avec pour mission de protéger les installations portuaires, les routes et les chemins de fer de l'ouest du pays, en particulier la ligne Poti-Tbilissi. Le 30 octobre, le Ministre de la défense de la Fédération de Russie, M. Pavel Gratchev, a donné à ses troupes l'ordre de tirer sur quiconque tenterait d'attaquer ces installations ou d'interrompre le trafic ferroviaire. Passant à la contre-attaque, les forces gouvernementales géorgiennes ont réussi à libérer les villes de Senaki (1er novembre); Khobi (4 novembre), le port de Batoumi et la ville de Lantchkhouti. La ville de Zougdidi est tombée le 6 novembre. 85. Se référant à la nouvelle situation, le président Chevardnadze a déclaré le 26 novembre 1993 que, s'il était toujours nécessaire de maintenir l'état d'urgence pour achever de pacifier son pays, "la Géorgie occidentale a été débarrassée des partisans de l'ancien président et des mercenaires abkhazes et du Caucase du nord qui le soutiennent". Toutefois, ce regain d'optimisme ne doit pas cacher la réalité qui continue de mettre en danger la vie et la sécurité des individus dans tout le pays. Ainsi, par exemple, la presse internationale a rapporté à la fin du mois de novembre 1993 qu'une opération de mercenaires armés en Abkhazie, qui appuient les indépendantistes auraient assassiné et brûlé vifs 20 Grecs originaires du bord de la mer Noire et E/CN.4/1994/23 page 32 un Arménien. En 1993, 200 000 Géorgiens ont été obligés de quitter l'Abkhazie et bon nombre de leurs logements ont été pillés et incendiés. 86. Au début de décembre 1993 des pourparlers directs ont été engagés à l'Office des Nations Unies à Genève entre les représentants de la Géorgie et de l'Abkhazie; un calendrier des négociations entre les parties a été arrêté, sous les auspices des Nations Unies. Le Rapporteur spécial veut croire qu'il sera prévu, dans le cadre de ces pourparlers, de chercher à faire la lumière sur les accusations d'activités mercenaires dans cette région, d'imposer des sanctions aux responsables de crimes et d'obtenir la garantie que ce genre d'activité ne se reproduira plus jamais dans ces territoires caucasiens. C. République de Moldova 87. Le 28 juillet 1993, le Rapporteur spécial a envoyé la communication ci-après au Représentant permanent de la République de Moldova auprès de l'Organisation des Nations Unies : "Comme vous le savez, le 5 août 1992, le Ministère des affaires étrangères de la République de Moldova a envoyé au Centre pour les droits de l'homme la note No 837, où figure la déclaration suivante : 'Nous aimerions vous informer que nous possédons des preuves irréfutables de la participation de Kazakhs et de citoyens de la Fédération de Russie au conflit armé dans les régions orientales de la République de Moldova, et ce, en violation des résolutions 46/87 et 46/88 de l'Assemblée générale.' Cette note figure en résumé dans le rapport I présenté à la Commission des droits de l'homme à sa quarante-neuvième session (E/CN.4/1993/18, par. 20). Aux termes du mandat qui m'a été confié par la résolution 47/84 de l'Assemblée générale, en date du 16 décembre 1992, et la résolution 1993/5 de la Commission des droits de l'homme, en date du 19 février 1993, je suis tenu de faire rapport sur la présence et les activités de mercenaires qui portent atteinte aux droits de l'homme et à l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Je vous serais donc obligé de bien vouloir me communiquer toute information que vous pourrez obtenir sur l'existence de forces militaires étrangères et de mercenaires ayant participé au conflit armé dans les régions orientales de la République de Moldova et, en particulier, sur les preuves irréfutables que votre gouvernement prétend posséder concernant la participation de citoyens de la Fédération de Russie et de Kazakhs au conflit armé. Il est indispensable que je puisse avoir ce renseignement afin de déterminer si participation il y a eu, si elle a eu lieu au titre de mercenaire ou de membre des forces armées régulières." 88. En réponse à cette communication, le Vice-Ministre des affaires étrangères de la République de Moldova, M. Ion Ciubuc, a fait parvenir le 23 août 1993 la communication ci-après : E/CN.4/1994/23 page 33 "Me référant à votre lettre No G/SO 214 (18-11), j'ai l'honneur de vous faire tenir les renseignements demandés au sujet de la participation de citoyens de la Fédération de Russie, à savoir de Cosaques, en tant que mercenaires, dans le conflit armé qui a secoué la République de Moldova au cours de 1992. Pour résumer tous les faits concernant le respect des droits de l'homme dans notre République, je me dois d'appeler votre attention sur les enlèvements, les actes de torture et les assassinats de civils dans lesquels ont été directement impliqués la Garde de la République moldove autoproclamée de Transdniestrie (DMR) ainsi que les "mercenaires cosaques". Au sujet de la participation, en tant que mercenaires, de citoyens de la Fédération de Russie et de Cosaques, dans le récent conflit militaire dans la région du Dniestr, je vous fais savoir ce qui suit : A Tighina (Bendery), les Cosaques ont lancé une violente attaque, exigeant que les autorités de la ville prennent des sanctions pour condamner l'attaque d'un poste de police local. Le 31 janvier 1992, un groupe de Cosaques armés a attaqué un poste de police de Tighina; ils ont blessé cinq policiers, endommagé deux voitures et volé quatre pistolets. Le 27 février 1992, à Doubassary, trois Cosaques ont obligé le chauffeur d'une voiture à s'arrêter, l'ont roué de coups et se sont enfuis à bord du véhicule volé. Dès le début du conflit armé, les violations de la Constitution et de la loi de la République de Moldova se sont multipliées et, de surcroît, les Cosaques, associés à la Garde de la République autoproclamée, se sont livrés à des activités criminelles. En association avec les gardes républicains, les Cosaques ont attaqué des postes de police; ainsi le 2 mars 1992, 34 policiers moldoves ont été capturés et longuement soumis à des tortures et des sévices à la prison de Tiraspol. Ils assassinent des civils, par exemple lors des opérations militaires menées près du village de Cocieri contre la police moldove le 3 mars 1992, ils se livrent à des actes de sabotage - par exemple ils ont fait sauter un pont sur le Dniestr, ce qui a coupé la circulation sur la route internationale Kishinet-Volgograd - tous actes qui démontrent le caractère criminel de leurs agissements. De plus, les Cosaques ont participé à une opération menée par L. Andreeva (dirigeante du mouvement des femmes de la République autoproclamée) contre la base militaire de la 14ème armée de la Fédération de Russie, opération à la suite de laquelle 1 321 mitraillettes "Kalashnikov" ont été saisies, ainsi que 1,5 million de cartouches, 255 pistolets "Makarov" et "TT", 1 300 grenades "F-1" et "RLD-5", 15 mortiers avec munitions, 30 lanceurs mobiles de missiles Sol-Air et diverses autres armes. E/CN.4/1994/23 page 34 D'après S. Mescereakov, l'un des dirigeants de l'Union des Cosaques du Don (Fédération de Russie), les Cosaques sont venus en Moldova en tant que volontaires et pour leur propre compte. En réalité toutefois, le 3 mars 1992, des groupes importants de Cosaques venus de Russie sont arrivés en Moldova à bord de deux avions militaires - ce qui prouve qu'il y a ingérence d'un autre Etat dans nos affaires intérieures. Le Colonel V. Naoumov, l'un des dirigeants de l'Union des Cosaques, a déclaré officiellement que plus de 1 500 Cosaques avaient pris part au conflit armé en Moldova et 94 y avaient trouvé la mort. Pendant le conflit armé, la police Moldove a arrêté un grand nombre de personnes originaires de Fédération de Russie. Vous trouverez ci-après la liste des personnes détenues au poste de police de Aneny-Noy : 1. Belyaev Sergueï Vitalevitch, né en 1970, de Saint-Pétersbourg. 2. Betcheï Youry Fedorovitch, né en 1967, de Penza. 3. Egorov Andreï Alekseevitch, né en 1973, de Saint-Pétersbourg. 4. Babitchev Mikhaïl Viktorovitch, né en 1960, de Volgograd. 5. Yarov Evgueny Vladimirovitch, né en 1962, de Novossibirsk. 6. Plentchine Vladimir Alekseevitch, né en 1960, de Assinsk. 7. Jilinov Alekcandr Alekseevitch, né en 1963, de Omsk. 8. Baranov Youry Sergueevitch, né en 1955, de Youjnosakhalinsk. 9. Ivanov Valery Stepanovitch, né en 1958, de Tyoumeny. De plus, le 17 mars 1992, A. Skourko, né en 1961, et venant de Rostov (Fédération de Russie), a été capturé au combat. Il a avoué avoir été envoyé en Moldova sur ordre du commandement militaire des Cosaques. Une analyse des faits connus montre sans conteste que des citoyens de la Fédération de Russie sont impliqués dans le conflit armé livré contre la population civile. Tout cela prouve que les Cosaques ont pris part aux hostilités en tant que mercenaires". 89. Il faut rappeler les faits suivants au sujet du conflit en République de Moldova : après s'être séparée de l'URSS et s'être constituée en un nouvel Etat souverain, la République de Moldova a été confrontée aux velléités sécessionnistes des peuples slaves et russophones de la région de la rive orientale du Dniestr. Ethniquement, la population de la République de Moldova se compose de plus de 3,5 millions de Moldoves, peuple romanophone, de plus d'un demi-million de Russes et de près de 300 000 Ukrainiens. Toutefois, dans la région située sur la rive occidentale du Dniestr, les ethnies russe et ukrainienne représentent plus de la moitié de la population. Cette région a E/CN.4/1994/23 page 35 manifesté sa volonté de se séparer de la République de Moldova et a déclenché un grave conflit armé entre les forces armées de la République de Moldova et les forces sécessionnistes de la République autoproclamée de Transdniestrie. 90. Le 22 juin 1992, les forces moldoves ont attaqué un dépôt de mines d'un bataillon du génie de la XIVe armée russe stationné à Parcani, localité de la région de Svobodziea, provoquant la mort de plus de 30 soldats russes. Les villes de Grigariopol et Doubassary ont également été bombardées. Durant ces combats, les forces séparatistes de Transdniestrie auraient été appuyées, dirigées, entraînées et armées par des officiers russes d'active et de réserve, ainsi que par des mercenaires cosaques, selon la plainte déposée devant le Parlement de la République de Moldova par le Président de la République Mercia Snegur le 22 juin 1992. 91. Cette situation grave a entraîné la constitution d'un groupe d'observateurs de la Fédération de Russie, de la République de Moldova, de la Roumanie et de l'Ukraine qui se sont rendus à Bendery, ont obtenu un arrêt partiel des combats et ont proposé la conclusion d'un accord de cessez-le-feu. L'accord a été signé le 3 juillet 1992 à Moscou par les Présidents Snegur et Eltsine. Néanmoins, les combats ont repris deux jours plus tard à Bendery, occasionnant, aux dires du maire de la ville M. Viatcheslav Kogut, des dizaines de victimes, la destruction de 20 % des immeubles de la ville et l'exode de 80 000 habitants sur les 150 000 que compte Bendery. Un nouvel accord de cessez-le-feu signé en juillet 1992 a été respecté et maintenu en vigueur. L'accord prévoit le retrait des unités combattantes de la région orientale de la République de Moldova, la création d'une zone démilitarisée le long de la frontière de la "République de Transdniestrie" et l'envoi d'une force de paix mixte moldove-russe qui s'est installée dans la région le 5 août 1992. La Fédération de Russie aurait accepté de reconnaître la région de Transdniestrie comme partie du territoire moldove et en contrepartie le Gouvernement de la République de Moldova se serait engagé à respecter l'exercice du droit à l'autodétermination du peuple de Transdniestrie au cas où il déciderait de modifier ses frontières ou de faire partie de la Roumanie. 92. Le Rapporteur spécial voit dans la signature et le respect du cessez-le-feu en juillet 1992 un progrès très encourageant et espère qu'il jettera les bases d'une paix durable en Moldova. Il estime toutefois qu'il faut faire la lumière sur la question de la participation au conflit interne moldove de troupes de l'armée de la Fédération de Russie, car il est essentiel de déterminer dans quels cas il s'agit d'une participation d'éléments de l'armée régulière sous les ordres et l'autorité du Ministère de la défense de la Fédération de Russie, et dans quels cas des officiers d'active, des officiers de réserve et des soldats russes ont opéré en toute indépendance, s'affranchissant de leur commandement et offrant leurs services, des armes et autres équipements, contre une solde. Il est particulièrement important de vérifier aussi si des mercenaires de l'Union des Cosaques du Don ont participé au conflit. A cet égard, on trouvera dans la section relative à la correspondance récente du présent chapitre, une communication de la Fédération de Russie et une autre de la République d'Ukraine, qui contribuent à élucider les faits et à établir les responsabilités. E/CN.4/1994/23 page 36 D. Tadjikistan 93. Un autre grave conflit armé qui a lieu dans le sud du territoire de l'ancienne URSS est celui qui déchire la République du Tadjikistan. Le conflit a éclaté il y a trois ans pour la direction politique de ce nouveau pays indépendant, une coalition formée par le parti du renouveau islamique et le parti démocrate s'étant emparée du pouvoir en premier. La coalition a été renversée en décembre 1992 par un parti constitué par d'anciens fonctionnaires du régime communiste, prise de pouvoir qui s'est accompagnée de violences graves et de nombreux affrontements armés sur tout le territoire tadjik, avec des répercussions à l'intérieur des régions frontalières d'Afghanistan. D'après de nombreuses sources, ce conflit se serait déroulé avec la présence de mercenaires des deux côtés. Il a même été signalé que des soldats russes auraient opéré en tant que mercenaires pour le compte des forces gouvernementales et que des mercenaires provenant de pays islamiques et des "moudjahidin" auraient travaillé aux côtés des forces de l'opposition depuis le territoire afghan. 94. Récemment, le Rapporteur spécial a reçu des renseignements faisant état de la présence sur le territoire tadjik, de plus de 20 000 soldats russes essentiellement des parachutistes et des membres de corps d'élite, qui patrouillent le long de la frontière du Tadjikistan et de l'Afghanistan, laquelle constitue également l'une des frontières de la CEI. Cette frontière est un secteur particulièrement névralgique, car on y aurait détecté un véritable trafic de mercenaires, d'armes et de stupéfiants en provenance d'Afghanistan mais aussi un passage continuel de mercenaires et de volontaires qui veulent se rendre en Afghanistan pour se joindre aux forces de l'opposition tadjike. Ce conflit, dans lequel se mêlent des affrontements politiques et idéologiques et des rivalités régionales, voire entre clans et sous-clans, a fait déjà plus de 20 000 morts et 500 000 citoyens tadjiks ont été contraints de quitter leurs foyers. 95. Etant donné l'ampleur et la complexité de ce conflit, les risques de débordement au-delà des frontières et compte tenu des versions divergentes concernant les activités de mercenaires, le Rapporteur spécial a adressé le 29 juillet 1993, la communication ci-après au Représentant permanent de la République du Tadjikistan auprès de l'Organisation des Nations Unies : "Conformément au mandat qui m'est assigné, j'ai l'honneur d'informer votre gouvernement que les allégations ci-après concernant la présence de mercenaires étrangers et de membres des forces armées étrangères dans le conflit armé interne que connaît votre pays m'ont été rapportées : a) Des officiers et de simples soldats de l'armée de la Fédération de Russie participeraient, aux côtés des forces gouvernementales du Tadjikistan, aux affrontements et aux combats avec les forces d'opposition armées qui sont connues sous les noms de 'Milices islamo-démocratiques', 'Milices de Garm', 'Miliciens pamiris', 'Moudjahidin' et 'Miliciens du parti du renouveau islamique'. b) Des officiers et des soldats de la 201ème division de l'armée de la Fédération de Russie auraient été incorporés dans les forces E/CN.4/1994/23 page 37 du Gouvernement du Tadjikistan, en vue de maintenir l'ordre à Douchanbé, où l'état d'urgence a été proclamé en janvier 1993. c) Des membres de milices armées d'opposition auraient tué 24 soldats de l'armée de la Fédération de Russie qui patrouillaient le long de la frontière entre le Tadjikistan et l'Afghanistan, le 13 juillet 1993, lors d'une attaque qui aurait fait 200 autres morts. d) Les milices progouvernementales dirigées par Sangak Safarov, qui seraient responsables de plusieurs agressions contre la population civile de Douchanbé, compteraient dans leurs rangs des citoyens étrangers. e) Les milices armées d'opposition compteraient également parmi leurs membres des étrangers auxquels elles auraient confié des postes de responsabilité et de commandement, ainsi que des opérations militaires particulièrement délicates. Ce sont des étrangers qui auraient commandé les tirs d'artillerie des forces de l'opposition dans l'attaque contre la ville frontière de Piandj, le 22 juillet 1993. En vertu du mandat qui m'a été assigné par l'Assemblée générale dans sa résolution 47/84, en date du 16 décembre 1992, et par la Commission des droits de l'homme dans sa résolution 1993/5, en date du 19 février 1993, j'ai le devoir de faire rapport aux deux organes sur tous faits nouveaux concernant l'utilisation de mercenaires où que ce soit dans le monde. Je serais donc reconnaissant à votre gouvernement de bien vouloir me communiquer des renseignements officiels au sujet de la participation de combattants étrangers et de mercenaires au conflit armé interne que connaît votre pays, en précisant en particulier à quel titre les officiers et les soldats de l'armée de la Fédération de Russie sont présents et au sujet des autres allégations rapportées dans le paragraphe qui précède." 96. A ce jour, le Rapporteur spécial n'a pas encore reçu de réponse sur le fond de la question; en effet, le représentant permanent du Tadjikistan auprès de l'Organisation des Nations Unies lui a adressé une communication, datée du 23 août 1993, dans laquelle il signalait les difficultés rencontrées pour donner une réponse détaillée qui pourrait être jointe au rapport du Rapporteur spécial devant l'Assemblée générale. Aussi, le Rapporteur spécial a-t-il réitéré, par une lettre datée du 2 décembre 1993, qu'il souhaitait recevoir une communication répondant aux questions de fond relatives aux activités mercenaires présumées qui compromettent la paix au Tadjikistan. E. Correspondance récente 97. Pour ce qui est de la participation présumée d'officiers et de soldats de l'armée de terre, de l'armée de l'air et des forces du Ministère de l'intérieur de la Fédération de Russie, ainsi que de personnes de nationalité russe aux conflits armés en Arménie et en Azerbaïdjan (Haut-Karabakh), en Géorgie, dans la République de Moldova et au Tadjikistan, le Rapporteur spécial a adressé le 30 juillet 1993 au Représentant permanent de la Fédération de Russie auprès de l'Office des Nations Unies à Genève une lettre sollicitant des renseignements officiels. Le Gouvernement de la Fédération E/CN.4/1994/23 page 38 de Russie y a répondu par une communication datée du 27 septembre 1993, dont le texte est reproduit intégralement ci-après : "Le problème des mercenaires est une préoccupation majeure des autorités de la Fédération de Russie. Actuellement, l'élaboration d'accords internationaux entre la Russie et les Etats voisins est en cours. Sur le plan législatif, V.G. Stepankov, Procureur général de la Fédération de Russie, a soumis à l'examen du Conseil suprême de la Fédération de Russie un projet de loi sur la responsabilité en matière de recrutement, d'armement, de financement, d'instruction et d'utilisation de mercenaires, qui vise à interdire sur le territoire de la Russie toute activité de mercenaires et à établir la responsabilité pour de tels actes. Le Présidium du Conseil suprême de la Fédération de Russie a examiné le projet qui a été transmis pour décision aux commissions permanentes des chambres, aux commissions du Conseil suprême, au Président de la Fédération de Russie et aux autres organes chargés de l'élaboration des lois. Les lois relatives aux organisations sociales et à la protection des organes constitutionnels du pouvoir dans la Fédération de Russie constituent actuellement le fondement législatif de l'interdiction de toute activité visant à créer des unités paramilitaires et armées illégales et à organiser leur participation à des actions militaires à l'étranger. On n'a pas connaissance d'activités de grande envergure impliquant le recrutement, l'armement, le financement, l'instruction et l'utilisation de mercenaires dans la Fédération de Russie. En revanche, des cas isolés d'individus vivant en Russie qui décident de participer volontairement à des conflits armés sur le territoire d'autres Etats ont été relevés. Chaque fois que des faits de cette nature ont été mis au jour, les divers services du Procureur ont pris les mesures prévues par la loi. En ce qui concerne la participation d'un groupe de Cosaques du Don dans le conflit à Pridniestrovye, les procureurs des circonscriptions de Krasnodar et de Stravropol et des régions d'Omsk et de Rostov ont fait des représentations aux dirigeants des organes cosaques, pour protester contre ces activités inacceptables. Le Procureur général de la Fédération de Russie a fait des représentations dans le même sens au Conseil central du Parti républicain national de Russie, qui avait essayé de créer en son sein une légion nationale russe, unité paramilitaire, pour prendre part à des opérations militaires à l'étranger. Dans les deux cas, les organisations publiques ont été averties que si elles persistaient dans l'illégalité, elles encouraient un ordre judiciaire mettant fin à leurs activités. Certains organes d'information ne rendent pas toujours compte objectivement de la réalité s'agissant de la présence de mercenaires dans des actions militaires sur le territoire d'autres Etats, dont ils donnent une image déformée. Par exemple, d'après un grand nombre E/CN.4/1994/23 page 39 d'organes d'information, les dirigeants de la Confédération des peuples du Caucase auraient émis un ordre de mobilisation, appelant les réservistes vivant dans le nord du Caucase à participer au conflit en Abkhazie, alors qu'un tel ordre n'a jamais existé. De même, certains organes d'information ont décrit la visite à Bagdad, le 24 janvier 1993, d'une délégation de six membres du Parti démocratique libéral comme l'envoi d'un 'corps expéditionnaire'. La législation en vigueur en Russie prévoit une responsabilité pénale lourdement sanctionnée pour les cas d'actes de violence commis contre des individus par des groupes armés, y compris par des personnes se livrant au trafic de stupéfiants." 98. Au sujet des problèmes dus à des individus dont les activités peuvent être qualifiées de mercenaires, le Rapporteur spécial a reçu de la mission permanente de l'Ukraine auprès de l'Office des Nations Unies à Genève une communication datée du 7 septembre 1993, importante de par la référence qui y est faite à un cas concret d'activités mercenaires; l'attention est appelée en particulier sur le quatrième paragraphe de la communication reproduite ci-après : "L'Ukraine était parmi les délégations qui ont pris l'initiative de l'examen, au sein des organes de l'ONU, de la question de 'l'utilisation de mercenaires comme moyen de violer les droits de l'homme et d'empêcher l'exercice du droit des peuples à l'autodétermination'. En 1986 par exemple, l'Ukraine figurait, avec les délégations de nombreux autres pays, au nombre des auteurs des résolutions adoptées sur la question par la Commission des droits de l'homme et par l'Assemblée générale des Nations Unies (résolution 41/102, en date du 4 décembre 1986). Depuis lors, elle n'a cessé de donner activement son appui aux résolutions sur le même thème présenté aux organes de l'ONU. En tant que membre du Comité spécial, l'Ukraine a pendant neuf ans participé directement à l'élaboration du projet de Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires, dont le texte a été adopté par l'Assemblée générale des Nations Unies (résolution 44/34, en date du 4 décembre 1989). La Convention a été signée au nom de l'Ukraine en 1990 et le Conseil suprême de l'Ukraine est actuellement saisi d'une proposition en vue de sa ratification. En 1992, l'Ukraine a eu besoin de donner effet, dans la pratique, aux dispositions de la Convention et des résolutions de l'Assemblée générale concernant la pratique criminelle de l'utilisation de mercenaires. Etant donné l''ouverture' des frontières entre les Etats membres de la CEI, des particuliers et des groupes de Cosaques du Don sont entrés sur le territoire de l'Ukraine à l'insu des autorités ukrainiennes et ont pénétré dans un Etat voisin - la République de Moldova - où ils ont pris directement part, en qualité de mercenaires, au conflit armé qui avait éclaté à la suite de la proclamation de la prétendue République de la région du Dniestr. Toutefois, grâce à E/CN.4/1994/23 page 40 l'action énergique des autorités ukrainiennes, ces activités illégales avaient cessé vers la fin de 1992." VI. ETAT ACTUEL DE LA CONVENTION INTERNATIONALE CONTRE LE RECRUTEMENT, L'UTILISATION, LE FINANCEMENT ET L'INSTRUCTION DE MERCENAIRES 99. Par sa résolution 44/34, adoptée le 4 décembre 1989, l'Assemblée générale a adopté et ouvert à la signature et à la ratification ou à l'adhésion la Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires. L'Assemblée générale a ainsi contribué au développement progressif et à la codification du droit international en la matière en réaffirmant les buts et principes énoncés dans les deux premiers Articles de la Charte des Nations Unies et dans la Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les Etats conformément à la Charte des Nations Unies (résolution 2625 (XXV), annexe, de l'Assemblée générale, du 24 octobre 1970). 100. Conformément aux dispositions du premier paragraphe de son article 19, la Convention entrera en vigueur le trentième jour qui suivra la date de dépôt auprès du Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies du vingt-deuxième instrument de ratification ou d'adhésion. Le Rapporteur spécial se doit d'appeler l'attention sur la lenteur du processus de ratification ou d'adhésion par lequel un Etat exprime son engagement, étant donné que jusqu'à présent, sept Etats seulement l'ont mené à terme : la Barbade, qui a adhéré à la Convention le 10 juillet 1992; Chypre, qui a déposé son instrument d'adhésion le 8 juillet 1993; les Maldives, qui ont signé la Convention le 17 juillet 1990 et l'ont ratifiée le 11 septembre 1991; les Seychelles, qui ont adhéré à la Convention le 12 mars 1990; le Suriname, qui l'a signée le 27 février 1990 et l'a ratifiée le 10 août de la même année; le Togo, qui a déposé son instrument d'adhésion le 25 février 1991; et l'Ukraine, qui l'a signée le 21 septembre 1990 et l'a ratifiée le 13 septembre 1993. 101. Il faut signaler aussi que les 13 Etats suivants ont signé la Convention : Allemagne, 20 décembre 1990; Angola, 28 décembre 1990; Bélarus, 13 décembre 1990; Cameroun, 21 décembre 1990; Congo, 20 juin 1990; Italie, 5 février 1990; Maroc, 5 octobre 1990; Nigéria, 4 avril 1990; Pologne, 28 décembre 1990; Roumanie, 17 décembre 1990; Uruguay, 20 novembre 1990; Yougoslavie, 12 décembre 1990; et Zaïre, 20 mars 1990. 102. Le Rapporteur spécial ne peut que relever une contradiction préoccupante : l'instrument conventionnel approuvé par l'Assemblée générale et élaboré sous ses auspices afin de prévenir et de sanctionner ces activités ne peut entrer en vigueur, quatre ans après son adoption, en raison du nombre insuffisant d'Etats parties. Malgré le retard apporté à l'entrée en vigueur de la Convention, le Rapporteur spécial se doit de rappeler que les principes du droit international et les normes du droit coutumier et conventionnel international applicables à l'élimination de ces activités répréhensibles qui ont porté et portent si gravement atteinte à la jouissance des droits de l'homme et à l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes conservent toute leur valeur. E/CN.4/1994/23 page 41 103. Le Rapporteur spécial doit réaffirmer de plus que l'entrée en vigueur de la Convention internationale permettra d'élargir, d'approfondir, de mieux préciser et de mettre à jour les règles internationales visant à prévenir, à poursuivre et à réprimer le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires. Elle permettra de développer et de renforcer la coopération entre les Etats afin d'éliminer ces activités et de respecter les buts et principes consacrés par la Charte des Nations Unies. VII. CONSEQUENCES NEFASTES, SUR LA JOUISSANCE DES DROITS DE L'HOMME, DES ACTES DE VIOLENCE COMMIS PAR DES GROUPES ARMES QUI SEMENT LA TERREUR AU SEIN DE LA POPULATION ET PAR DES TRAFIQUANTS DE DROGUE 104. Le 9 mars 1993, la Commission des droits de l'homme a adopté, sans vote, la résolution 1993/48 par laquelle elle s'est déclarée à nouveau profondément préoccupée des conséquences néfastes, sur la jouissance des droits de l'homme, de la persistance des actes de violence perpétrés dans de nombreux pays par des groupes armés, de quelque origine qu'ils soient, qui sèment la terreur au sein de la population, et par des trafiquants de drogue. Elle a également prié de nouveau tous les rapporteurs spéciaux et tous les groupes de travail de continuer de porter, dans leur prochain rapport à la Commission, une attention particulière aux conséquences néfastes, sur la jouissance des droits de l'homme, de ces actes de violence. 105. Par sa résolution 1993/13, adoptée sans vote le 20 août 1993, la Sous-Commission de la lutte contre les mesures discriminatoires et de la protection des minorités a également exprimé, notamment, sa profonde inquiétude devant la persistance des actes relevant du terrorisme sous toutes ses formes et manifestations, qui mettent en danger ou tuent des innocents, menacent les libertés fondamentales, la démocratie, l'intégrité territoriale et la sécurité des Etats, déstabilisent des gouvernements légitimement constitués et ont des conséquences néfastes sur le développement économique des Etats. La Sous-Commission a exhorté les gouvernements à prendre, conformément aux normes internationales des droits de l'homme et aux principes internationalement reconnus de la procédure régulière, toutes les mesures nécessaires et efficaces pour empêcher et combattre le terrorisme. Enfin, elle a exhorté la communauté internationale à intensifier la coopération dans la lutte contre la propagation du terrorisme aux niveaux national, régional et international. 106. Conformément aux dispositions de la résolution 1993/48 de la Commission des droits de l'homme, le Rapporteur spécial a examiné les communications reçues par l'unité des procédures spéciales du Centre des droits de l'homme qui font état d'actes de violence criminelle préjudiciables à la population civile, attribués à des groupes armés qui sèment la terreur ainsi qu'à des trafiquants de drogue et à des mercenaires, agissant isolément ou en groupe, c'est-à-dire en bandes armées. Les gouvernements de la Colombie, du Costa Rica, de l'Equateur, du Guatemala, de l'Iraq, du Panama, du Pérou, des Philippines, de la Thaïlande, de la Turquie et du Zimbabwe ont formulé des observations de fond à ce sujet; il convient également de signaler la contribution du Gouvernement jamaïquain à l'étude de la question. Celle-ci a également été évoquée par le Programme des Nations Unies pour le contrôle E/CN.4/1994/23 page 42 international des drogues, dont le Directeur exécutif, M. Giorgio Giacomelli, a indiqué dans une lettre du 11 novembre 1993 ce qui suit : "Je souhaite appeler votre attention sur le fait qu'à sa trente-cinquième session, en 1992, la Commission des stupéfiants a évoqué spécifiquement les liens existant entre le trafic illicite des drogues et le commerce illicite des armes ainsi que le terrorisme; à sa trente-sixième session, en 1993, la Commission a également indiqué que, dans certains pays, des groupes insurgés participaient au trafic illicite de drogues, lequel était également associé au trafic illégal des armes à feu et au terrorisme. Mention a été faite dernièrement des rapports entre trafic de drogues et violation des droits de l'homme au paragraphe 10, alinéa f) du projet de résolution 48/L.12 que l'Assemblée générale a adopté à la suite des séances plénières de haut niveau consacrées, durant la session en cours, à la question de la lutte internationale contre l'abus des drogues". 107. D'autre part, le Centro Nicaragüense de Derechos Humanos, organisation non gouvernementale nicaraguayenne, s'appuyant sur le troisième paragraphe de la résolution 1993/48, a communiqué une abondante documentation qui expose en détail les circonstances de la mort violente de 705 nationaux nicaraguayens, causée dans la quasi-totalité des cas par des groupes armés irréguliers, et appelle l'attention sur l'impunité dont jouissent les auteurs de ces actes. 108. A la lumière de la documentation reçue, le Rapporteur spécial suggère qu'aux fins de la mise en oeuvre des dispositions de la résolution 1993/48, il soit tenu compte de la totalité du texte du présent rapport. En effet, les activités mercenaires sont généralement le fait de groupes armés irréguliers qui sèment la terreur au sein des populations en commettant des actes illicites moyennant une solde. Ils opèrent parfois pour le compte et sous l'autorité d'un Etat, mais il ressort des éléments disponibles qu'ils sont de plus en plus nombreux à collaborer avec des groupes armés irréguliers ou à travailler pour des organisations de trafiquants d'armes ou de drogues, constituant des associations criminelles dont l'activité a, sur le plein exercice des droits de l'homme, des effets dévastateurs. 109. Dans ses rapports antérieurs sur cette question, le Rapporteur spécial a rappelé que tout droit individuel a pour contrepartie un devoir de même niveau, de même rang et de même catégorie. Ainsi, le droit au respect et à la protection de la vie privée a pour corollaire universel l'obligation de respecter la vie d'autrui. Cette idée, sur laquelle repose toute la conception des droits de l'homme, est le fondement de la résolution 1993/48 et de textes antérieurs de même nature adoptés par la Commission des droits de l'homme pour protéger l'existence, la sécurité et les libertés fondamentales des personnes, menacées par les actes de violence que commettent des groupes armés et des trafiquants de drogue qui, dans certains cas, se substituent à l'Etat et tentent d'en restreindre voire d'en ruiner le pouvoir et l'autorité. 110. Le Rapporteur spécial estime qu'il ne faut pas reconnaître la moindre parcelle de légitimité ni d'autorité à des groupes armés irréguliers qui pratiquent la terreur pour intimider des personnes ou des populations ou pour les exploiter en vue de leurs objectifs politico-militaires. Aucun groupe - et un groupe ayant recours aux armes et à la terreur moins que tout autre - E/CN.4/1994/23 page 43 n'est investi de quelque autorité que exercice des droits de l'homme et des idéologie, d'une conception politique le pouvoir pour assurer une prétendue ce soit pour porter atteinte au plein libertés fondamentales au nom d'une ou de la nécessité supposée de prendre "libération populaire". 111. Or, c'est précisément ce qui se passe actuellement dans le cas de différentes bandes terroristes et de groupes irréguliers armés qui tentent d'usurper l'autorité de l'Etat en commettant des actes criminels et terroristes. Ces bandes et groupes ne sauraient en aucun cas être assimilés aux mouvements de libération nationale qui ont été reconnus par les Nations Unies ou aux mouvements qui luttent pour le plein exercice du droit des peuples à l'autodétermination, l'indépendance, l'intégrité territoriale des Etats auxquels ils appartiennent et l'unité nationale, et contre la domination coloniale, l'occupation et l'intervention étrangères, le racisme et l'apartheid. Les mouvements de libération nationale sont depuis toujours des forces organisées qui jouissent d'un vaste soutien populaire dans le cadre d'une lutte pour la conquête de l'indépendance nationale et de la démocratie. 112. On ne peut laisser les populations sans protection face aux agissements criminels de groupes armés qui sèment la terreur, de trafiquants de drogue et de mercenaires qui, isolément ou au sein d'associations criminelles, bafouent leurs droits à la vie, à la sécurité et à la liberté, et les empêchent le cas échéant d'exercer librement leurs droits politiques et dans tous les cas de jouir de leurs droits économiques, sociaux et culturels. L'Etat, représenté par un gouvernement démocratiquement et légitimement constitué, se doit d'assurer à ces populations protection et sécurité; il doit être le premier protecteur des droits de l'homme et des libertés fondamentales de ses citoyens. 113. Le Rapporteur spécial estime que la question des conséquences néfastes sur la jouissance des droits de l'homme de la persistance des actes de violence perpétrés par des groupes armés qui sèment la terreur au sein de la population, par des trafiquants de drogue et par des mercenaires, doit non seulement continuer d'être examinée à titre hautement prioritaire par la Commission des droits de l'homme, mais aussi faire l'objet d'une analyse plus fine de ses aspects particuliers. Compte tenu, en effet, de l'ensemble des communications reçues par l'unité des procédures spéciales du Centre pour les droits de l'homme depuis trois ans à ce sujet, ainsi que des divers rapports des rapporteurs et représentants spéciaux, experts indépendants et groupes de travail de la Commission qui l'ont abordé dans le cadre des divers thèmes dont ils s'occupent, il serait intéressant que la Commission envisage de renforcer la ligne de conduite qu'elle s'est fixée en la matière, en adoptant de nouvelles résolutions et décisions en faveur des populations et des personnes touchées par ces actes persistants de violence et de terrorisme et par les méthodes et pratiques de ces groupes armés, des trafiquants de drogue et des mercenaires. VIII. CONCLUSIONS 114. Les Nations Unies ont pour principe de considérer les activités des mercenaires comme illégitimes et criminelles du fait qu'elles servent à des fins contraires au droit international, créant des situations qui portent atteinte à l'autodétermination, à la souveraineté, à la stabilité E/CN.4/1994/23 page 44 constitutionnelle et aux droits de l'homme des peuples qu'elles touchent. C'est ainsi qu'ont été adoptés des textes internationaux qui condamnent et sanctionnent le recrutement, l'entraînement, le financement et l'utilisation de mercenaires; parallèlement, un nombre croissant d'Etats édictent, dans le cadre de la législation nationale, des peines punissant l'acte mercenaire. 115. Le caractère condamnable de l'acte mercenaire est universellement admis, y compris dans les Etats où ce dernier n'est pas encore pénalement défini. Si l'on débat actuellement de la portée et du contenu de l'acte répressible, son caractère délictueux n'est pas contesté. Sans préjudice du perfectionnement des textes juridiques internationaux et des législations nationales, les Etats membres disposent des instruments nécessaires pour formuler des politiques visant à prévenir, contrôler et réprimer les activités mercenaires, éviter qu'il puisse y avoir entraînement ou transit de mercenaires sur leur territoire, et empêcher que leur système financier et économique facilite des opérations servant à alimenter ces activités. 116. L'idée que les activités mercenaires auraient diminué par suite, d'une part, de l'adoption de dispositions légales destinées à les réprimer et à les sanctionner, et d'autre part, de l'achèvement du processus de décolonisation en Afrique, est démentie par les faits. Ces dernières années, et plus particulièrement depuis 1992, le Rapporteur spécial a eu connaissance d'un nombre accru - en Afrique comme ailleurs - d'actes délictueux de mercenaires, qui indiquent une tendance grandissante à faire appel à eux pour diverses activités illicites qui violent le droit des peuples à l'autodétermination et les droits de l'homme. Il y a également lieu de penser que cette augmentation est liée à l'éclatement de nouveaux conflits armés au lendemain de la fin de la guerre froide et à la création de nouveaux Etats. De fait, la phase de transition qui se déroule actuellement à l'échelle internationale s'accompagne non seulement de problèmes frontaliers entre Etats récemment créés, mais aussi d'un climat de forte intolérance ethnique, religieuse et nationaliste qui a dégénéré, en plus d'une occasion, en des conflits armés. Certains de ces conflits ont été aggravés par la participation de mercenaires étrangers. 117. L'analyse des activités mercenaires montre que la recherche des responsabilités ne saurait se borner à la détection de l'acte délictueux et à l'identification de l'agent. Il apparaît en effet que le mercenaire n'est que le dernier maillon d'une chaîne : son engagement et la réalisation de l'acte délictueux ne sont que l'aboutissement d'un processus conçu, préparé, organisé, financé et supervisé par d'autres - groupes privés, organisations politiques d'opposition, milieux qui prônent l'intolérance nationale, ethnique ou religieuse, organisations clandestines mais aussi gouvernements qui, à travers des opérations clandestines, décident une action illicite qui attente aux intérêts d'un Etat ou à la vie, à la liberté, à l'intégrité physique et à la sécurité de personnes, en s'assurant le concours de mercenaires. La responsabilité s'étend donc à toutes les parties prenantes à cet acte délictueux, dont la phase finale est exécutée par le mercenaire. D'où la grande importance de la vigilance des Etats ainsi que des mesures de contrôle et des prohibitions édictées par eux dans la législation nationale, afin d'éviter qu'opèrent sur leur territoire des organisations qui sont à l'origine d'activités mercenaires et, s'il y a lieu, faire cesser tout système de renseignement dans le cadre duquel des agents publics recruteraient E/CN.4/1994/23 page 45 secrètement des mercenaires, directement ou par l'entremise d'organisations tierces, en prévoyant des sanctions sévères contre ce genre de tractations. 118. Indépendamment de cette caractéristique générale que nous venons d'indiquer, les objectifs les plus habituels du recrutement de mercenaires sont l'accomplissement d'actes de sabotage contre un pays tiers, l'assassinat de personnalités déterminées et la participation à des conflits armés. Il faut donc en déduire que le mercenaire est un criminel qui, sans préjudice des sanctions réservées à ceux qui l'engagent et le paient, doit être sévèrement châtié conformément à la nature du délit de droit commun qu'il a commis, lorsque la législation nationale n'établit pas le délit de mercenariat en tant que tel. Dans tous les cas, la condition de mercenaire doit être considérée comme une circonstance aggravante. 119. Compte tenu des informations réunies au sujet de mercenaires qui participent aux nouveaux conflits armés, internes ou internationaux, tous les Etats membres doivent envisager sérieusement la possibilité que l'augmentation de l'offre de mercenaires soit due en partie à la présence d'anciens militaires dont la situation personnelle s'est dégradée à la suite de réductions d'effectifs ou de la dissolution des corps armés réguliers dont ils faisaient partie, et qui de ce fait ne sont plus payés. Il y aurait donc des personnes dotées d'une expérience ou d'une formation militaires qui voient dans chaque conflit armé une possibilité de s'engager en échange d'une solde, sans compter la tolérance dont on fera éventuellement preuve à l'égard d'actes de pillage ou de cruauté dont ils pourront tirer des bénéfices économiques additionnels. 120. Compte tenu des nouvelles formes que revêt l'action des mercenaires, le Rapporteur spécial est conduit à conclure que l'on fait parfois appel à des moyens juridiques ou, plus précisément, à des procédures juridiques normales pour dissimuler l'identité du mercenaire. Ainsi, ce dernier se présente au regard de la loi comme un ressortissant du pays où se déroule le conflit armé dans lequel il s'engage, ou de celui où il mènera ses activités criminelles, échappant ainsi à la qualification de mercenaire. Même si ce subterfuge occulte la condition réelle du mercenaire au regard de la loi, l'origine de la relation contractuelle, la paie, la nature des services convenus, l'utilisation simultanée de plusieurs nationalités et passeports, et d'autres éléments encore, devraient être autant de pistes pour établir la nationalité véritable de personnes que l'on a des raisons de suspecter. Un problème qui se pose à cet égard est celui des personnes qui ont légalement une double ou une triple nationalité et qui, par leurs activités, lèsent de manière délictueuse les intérêts d'un des pays dont ils ont la nationalité, pour le compte soit de l'autre pays dont ils sont ressortissants, soit d'un pays tiers ou de groupes organisés pour fomenter des attentats. 121. Même si les mercenaires sont recrutés le plus souvent pour participer à des conflits armés, ils le sont aussi parfois pour commettre des actes de provocation visant à créer les conditions d'un conflit armé ou à déstabiliser un gouvernement légitime et constitutionnel. Le mercenaire étant un agent criminel, il n'est pas surprenant qu'il ait des liens avec des bandes de trafiquants d'armes ou de drogue et de terroristes, qui bafouent les lois et compromettent la sûreté d'un pays. De plus, il n'est pas inhabituel que ces groupes illégaux changent d'identité; un groupe de terroristes peut être E/CN.4/1994/23 page 46 également défini comme une bande de mercenaires lorsqu'il se rend sur le territoire d'un autre Etat pour apporter une protection, moyennant paiement, à des trafiquants de drogue, réaliser des sabotages et des attentats ou prendre part à un conflit armé interne. 122. C'est dire que, par sa portée et son ampleur, l'activité mercenaire est un des délits les plus préjudiciables à l'autodétermination des peuples, à la stabilité constitutionnelle, à la paix et aux droits de l'homme. D'où l'importance de la résolution adoptée en décembre 1993 par laquelle l'Assemblée générale a recommandé de réunir des experts, des spécialistes et d'autres personnes intéressées par ce sujet, qui puissent contribuer à l'enrichissement des concepts, catégories, analyses et propositions de solution contenus dans les rapports que le Rapporteur spécial sur la question de l'utilisation de mercenaires a présentés tant à la Commission des droits de l'homme qu'à l'Assemblée générale elle-même. 123. Les renseignements recueillis permettent d'affirmer qu'en 1993, l'Afrique a continué d'être le continent le plus touché par l'agression de mercenaires. Il faut rappeler à ce sujet que le concept de mercenaire, tel qu'on l'entend aujourd'hui, a pris naissance à l'époque où des soldats de métier, de race blanche pour la plupart, intervenaient dans les conflits armés qui ensanglantaient différentes régions d'Afrique pour empêcher l'exercice du droit à l'autodétermination, l'accès à l'indépendance et la formation d'Etats africains souverains, et pour créer des enclaves territoriales dépendant des anciennes métropoles ou pour imposer des dirigeants sympathisants de ces dernières ou acquis aux entreprises colonialistes. Certains de ces conflits ont pris fin, restreignant d'autant la présence de mercenaires. Toutefois, celle-ci n'a pas entièrement disparu. L'Angola, le Bénin, le Botswana, les Comores, le Lesotho, le Libéria, le Mozambique, la Namibie, le Zaïre, la Zambie et le Zimbabwe figurent au nombre des pays qui ont été récemment le théâtre de l'activité de mercenaires; il y a eu, hors de l'Afrique australe, des attaques de mercenaires imputables à la politique d'apartheid qui est pratiquée en Afrique du Sud mais dont les ramifications et les activités criminelles s'étendent à d'autres parties de l'Afrique et même à d'autres continents. 124. En Angola, la situation n'a cessé de se dégrader et de s'aggraver en 1993, la reprise des hostilités de l'UNITA contre le Gouvernement angolais ayant consacré l'échec des accords de paix signés le 31 mai 1991. Il ressort des renseignements recueillis que les souffrances endurées par la population angolaise du fait de cette guerre sont plus grandes encore que celles qu'elle a subies en 1991. Les conditions de vie se sont dégradées au point qu'il y a maintenant des situations de famine; on estime à plus de 1 000 le nombre de décès quotidiens et à environ 500 000 celui des personnes qui ont été victimes en 1993 des affrontements armés, des actes de sabotage, des pénuries alimentaires, des infections et du manque de médicaments et soins médicaux appropriés dans les hôpitaux. Les efforts déployés par les Nations Unies pour atténuer les souffrances du peuple angolais et faire cesser ce conflit n'ont pas donné de résultats à ce jour. Un texte important a été adopté à l'unanimité par le Conseil de sécurité le 15 septembre 1993 : il s'agit de la résolution 864 (1993) par laquelle le Conseil, agissant en vertu du Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies, a décidé d'interdire la vente ou la fourniture à l'UNITA d'armements, de matériels militaires et de pétrole. Cet embargo est E/CN.4/1994/23 page 47 entré en vigueur le 26 septembre et l'on espère qu'il mettra un terme aux achats d'armes, à l'instruction militaire perfectionnée reçue à l'étranger et à la présence de techniciens et d'experts de la stratégie militaire - autant de facteurs qui contribuent au renforcement des hostilités, rendant du même coup plus difficile la réalisation d'une solution négociée. Il faut néanmoins indiquer qu'au début de décembre 1993, l'UNITA a fait savoir qu'elle était disposée à négocier une trêve et à reprendre le dialogue avec le gouvernement. 125. Tous les éléments qu'il possède portent le Rapporteur spécial à conclure que la présence de mercenaires étrangers ayant participé à l'entraînement et au combat est un facteur déterminant de la durée, des caractéristiques et de l'aggravation de ce conflit armé. Les sources gouvernementales indiquent que la plupart des mercenaires sont originaires d'Afrique du Sud et du Zaïre. Elles signalent également que d'anciens membres des 31ème et 32ème bataillons des forces de défense sud-africaines auraient été recrutés pour protéger les installations pétrolières et les raffineries angolaises; ils auraient toutefois combattu à Huambo aux côtés des forces de l'UNITA. Leur recrutement est attribué à une société sud-africaine, Executive Outcomes. Le fait que les provinces orientales du pays soient entre les mains de l'UNITA aurait facilité l'arrivée, du Zaïre, de mercenaires engagés pour combattre dans les rangs des forces rebelles. De même, le chef des forces de défense sud-africaines, le général Georg Meiring, a confirmé le 11 septembre 1993 que des membres du corps spécial d'élite et d'anciens membres des services de renseignement sud-africain recevaient des offres pour combattre comme mercenaires en Angola. Les candidats se voyaient proposer des contrats d'un an et une rémumération de 10 000 dollars des Etats-Unis par mois. Si tous les renseignements concourent à faire ressortir la responsabilité de l'UNITA dans l'utilisation de mercenaires, le Rapporteur spécial se doit de signaler que, d'après des dépêches parues récemment dans la presse internationale, le Gouvernement angolais aurait également admis des mercenaires d'origine sud-africaine comme instructeurs militaires dans son armée, certains d'entre eux ayant pris part aux opérations dirigées contre l'UNITA. Le Rapporteur spécial a communiqué ces informations au Gouvernement angolais en lui demandant ses observations à ce sujet. 126. Pour ce qui est des activités mercenaires qui puisent leur source dans la politique de l'apartheid de l'Afrique du Sud et qui se déroulent dans ce pays comme dans d'autres Etats de la région ou même d'ailleurs, les renseignements consignés dans le rapport permettent de conclure qu'ils ont sensiblement diminué, parallèlement au démantèlement progressif, du système d'apartheid. Parmi les événements les plus récents figure l'adoption d'une Constitution provisoire, qui supprime les rouages de ce système et place l'Afrique du Sud sur la voie d'une démocratie pluraliste, sans discrimination raciale, politique, sociale ni culturelle. Mais ces faits ne sauraient faire oublier l'existence de groupes extrêmement violents, qui s'opposent dans tous les domaines au démantèlement de l'apartheid : au nombre des diverses provocations de ces groupes s'inscrit l'assassinat, le 10 avril 1993, d'un dirigeant de l'ANC, Chris Hani, par un Polonais devenu mercenaire, un dénommé Janusz Walus. Cette situation, qui s'est prolongée jusqu'en décembre 1993, nous conduit à affirmer que, malgré les énormes progrès accomplis en Afrique du Sud sur la voie de la démocratie, le processus se heurte à la résistance de groupes qui préconisent une escalade de la violence et qui sont prêts à mener des E/CN.4/1994/23 page 48 activités criminelles et des actions terroristes en faisant appel pour cela à des mercenaires professionnels connus. 127. Le rapport contient une description succincte de la violence politique au Zaïre (par. 55 à 60). Tous les éléments tendent à montrer que des mercenaires étrangers participent à des actes de violence préjudiciables aux conditions d'existence de la population zaïroise. Ces mercenaires ont participé à la formation et à l'entraînement d'une brigade de la garde civile, dénommée Force d'intervention spéciale (FIS); de même, des mercenaires d'origines égyptienne, israélienne et sud-africaine auraient fait fonction d'instructeurs au sein de la Division présidentielle spéciale et de certaines unités d'élite de l'armée. 128. Pour la deuxième année consécutive, le Rapporteur spécial s'occupe, au titre de certains aspects de son mandat, des conflits armés qui se déroulent sur le territoire de l'ex-Yougoslavie. En effet, le Rapporteur spécial a reçu de nouveau des informations, émanant pour certaines d'entre elles des Etats touchés par le conflit eux-mêmes, faisant état de la présence de mercenaires étrangers. Ces informations sont exposées en détail aux paragraphes 61 à 71 du rapport et la correspondance qui contient de graves accusations concernant la présence de mercenaires est conservée dans les archives de l'unité du Centre des droits de l'homme qui s'occupe des procédures spéciales. La présence d'étrangers dans ce conflit est admise par toutes les parties, qui nient cependant qu'ils soient tous ou pour certains d'entre eux des mercenaires. Le Rapporteur spécial a demandé les pièces correspondantes et a informé de ses démarches le Rapporteur spécial que la Commission a chargé de suivre la situation des droits de l'homme sur le territoire de l'ex-Yougoslavie. 129. Malgré la poursuite du conflit armé, les divers cycles de négociation politique entre les parties continuent de faire espérer la conclusion d'un accord qui mette un terme à une guerre caractérisée par une violence et une cruauté extrêmes. Mais à supposer même que l'on parvienne à l'accord de paix qui est requis d'urgence, les crimes commis sont d'une gravité telle qu'il ne faudrait pas, de l'avis du Rapporteur spécial, suspendre les enquêtes à leur sujet; lorsque la participation de mercenaires serait établie, cet élément devrait être considéré comme une circonstance aggravante pour ce qui est de la peine à appliquer. 130. A la suite du démembrement de l'ex-Union des Républiques socialistes soviétiques, les républiques qui en faisaient partie sont devenues des Etats souverains et indépendants qui ont constitué dans leur majorité la Communauté d'Etats indépendants (CEI). Dans quelques-uns de ces pays, des différends de diverse nature ont surgi; certains ont trait à des questions de frontière et d'autres aux relations internes entre territoires et républiques ainsi qu'à leur régime d'autonomie par rapport au nouvel Etat. Mais les désaccords qui ont dégénéré en conflits armés sont principalement ceux où il existait un élément d'ordre ethnique joint à un sentiment nationaliste ou purement religieux. Ces deux facteurs ont contribué à aviver les aspirations à une plus grande autonomie, à une nouvelle identité territoriale nationale, ou à un changement de régime politique. D'après les informations analysées par le Rapporteur spécial, il y aurait eu participation de mercenaires dans tous les cas où une situation bloquée s'est transformée en conflit armé. E/CN.4/1994/23 page 49 131. Aux paragraphes 72 à 103 du rapport sont exposés les renseignements relatifs aux conflits armés qui sévissent en Arménie et en Azerbaïdjan (Haut-Karabakh), en Géorgie, en République de Moldova et au Tadjikistan; il y est notamment rendu compte de la correspondance officielle adressée au Rapporteur spécial, où l'on dénonce la présence de mercenaires étrangers recrutés pour participer activement à des actions de type militaire. Hormis le premier d'entre eux, ces conflits ont diminué d'intensité. Au moment où le conflit entre la Géorgie et l'Abkhazie était le plus aigu, des mercenaires étrangers y ont pris part; le président Chevardnadze lui-même en a dénoncé la présence le 16 mars 1993, à Tbilissi, devant le Parlement géorgien. De même, la communication du 23 août 1993 adressée au Rapporteur spécial par le Vice-Ministre des relations extérieures de la République de Moldova confirme la participation de mercenaires russes et cosaques au conflit militaire dont la région du Dniestr a été le théâtre; il y est question de neuf personnes originaires de la Fédération de Russie qui auraient été arrêtées pour avoir participé à ce conflit. Les faits décrits semblent confirmer la participation d'un certain nombre d'étrangers aux conflits armés qui ont éclaté dans certains des Etats qui formaient autrefois l'Union soviétique. L'enquête menée par le Rapporteur spécial n'est pas close et il espère pouvoir, avec le concours des autorités de chaque Etat, des sources internationales et des ONG, présenter à la Commission un rapport plus détaillé sur cette délicate question. 132. Pour ce qui est du statut actuel de la Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires, le Rapporteur spécial signale qu'à ce jour, sept Etats seulement (la Barbade, Chypre, les Maldives, les Seychelles, le Suriname, le Togo et l'Ukraine) ont accompli les formalités nécessaires pour devenir parties à la Convention et 13 autres l'ont signée. Le processus de ratification ou d'adhésion par lequel les Etats membres expriment leur engagement a donc pris du retard, puisque la Convention ne pourra entrer en vigueur qu'après le dépôt des instruments de ratification ou d'adhésion de 22 Etats. 133. Conformément à la résolution 1993/48 de la Commission des droits de l'homme, le Rapporteur spécial s'est occupé des conséquences néfastes, sur la jouissance des droits de l'homme, des actes de violence perpétrés par des groupes armés qui sèment la terreur au sein de la population et par des trafiquants de drogue. Il ressort des informations et des communications parvenues au Centre des droits de l'homme, et de la documentation qui les accompagne, qu'au long de l'année 1993 des populations de divers pays ont gravement souffert de l'action illégale et criminelle de groupes armés qui, quelle qu'ait pu être leur motivation idéologique, n'ont pas hésité à adopter des conduites absolument condamnables, se traduisant par la violation massive des droits de l'homme, des atteintes à la sûreté publique et des activités visant à ébranler l'ordre constitutionnel et à déstabiliser des gouvernements légitimes. Cette forme de terrorisme, destinée à intimider et à créer un climat général de peur, a été le fait de groupes armés qui invoquent des mobiles politiques, de bandes de trafiquants de drogue ou de mercenaires qui, dans plusieurs cas, ont joint leurs forces ou se sont rendus réciproquement service, formant des associations délictuelles qui attentent à la vie des personnes, à leur sécurité et à leur intégrité ainsi qu'aux droits de l'homme de populations entières. E/CN.4/1994/23 page 50 IX. RECOMMANDATIONS 134. Compte tenu des informations reçues au long de l'année 1993, qui révèlent que les activités de mercenaires n'ont pas diminué, créant des situations néfastes pour les droits de l'homme et l'autodétermination des peuples, et eu égard aux déclarations et résolutions de l'ONU qui condamnent ces activités, considérées comme des délits graves qui sont pour tous les Etats une cause de profonde préoccupation, le Rapporteur spécial recommande que la Commission spéciale, prenant en considération la répétition de ces faits et la position déjà adoptée en la matière, condamne de nouveau les activités mercenaires de toute nature, sous toutes leurs formes et à tous leurs niveaux, ainsi que les Etats ou les tiers qui y participent, et souligne la nécessité de renforcer les principes de la souveraineté, de l'égalité et de l'indépendance des Etats, de l'autodétermination des peuples, ainsi que du strict respect des droits de l'homme et de la stabilité des gouvernements constitutionnellement établis et légitimement en fonctions. 135. Comme le recours à des mercenaires a pour but de causer du tort - à une personne que désignent ses idées, ses convictions, sa race ou sa situation politique, à une institution de la société civile, à des hommes politiques ou des personnalités qui occupent des postes publics, ou à un Etat - et que les activités de mercenaires s'inscrivent principalement, mais non exclusivement, dans le cadre de conflits armés, le Rapporteur spécial recommande à la Commission de souligner que ce qui est condamnable, c'est le recours à des mercenaires en lui-même et leur utilisation pour des activités illicites, que ces activités soient le fait d'une ou de toutes les parties à un conflit armé ou que, en l'absence de pareil conflit, on fasse appel à des mercenaires pour empêcher l'autodétermination d'un peuple, endommager les installations matérielles d'un pays, déstabiliser les autorités constitutionnelles d'un Etat ou attenter à la vie et à la sécurité des personnes. 136. Compte tenu de la nature des activités mercenaires et des formes qu'elles revêtent, compte tenu aussi du fait qu'en règle générale elles font du mercenaire un instrument, son engagement et l'accomplissement de l'acte délictueux subséquent n'étant que la mise en oeuvre d'une action décidée, préparée, organisée, financée et surveillée par d'autres personnes, le Rapporteur spécial recommande que la résolution condamnant les activités des mercenaires souligne la nécessité pour les Etats membres de faire preuve de vigilance et d'édicter une interdiction expresse dans leur législation, afin d'éviter qu'opèrent sur leur territoire des organisations ayant des contacts avec des mercenaires, de prohiber l'utilisation de ces derniers par des autorités publiques et de démanteler tout système de renseignement qui aurait recours à des mercenaires à travers des opérations secrètes ou par l'intermédiaire d'organisations tierces. Il est recommandé que les Etats membres interdisent également le transit de mercenaires sur le territoire national et, bien entendu, prévoient des sanctions contre les nationaux ou les étrangers résidant sur leur territoire qui auraient une activité mercenaire. 137. Eu égard aux méthodes complexes que les mercenaires adoptent pour se dissimuler et modifier leur apparence, à l'existence d'effectifs excédentaires de militaires pour qui il est tentant de se transformer en mercenaires, au recours à des moyens et à des procédures juridiques normaux pour occulter au regard de la loi l'identité et la nationalité du mercenaire et aux cas E/CN.4/1994/23 page 51 de nationalité double ou multiple, le Rapporteur spécial recommande que la Commission considère les dispositions de la résolution adoptée en décembre 1993 par l'Assemblée générale qui ont trait à l'organisation d'une réunion d'experts, de spécialistes et de personnes intéressées qui coopéreront avec le Rapporteur spécial et prendront en considération les catégories d'analyse employées par lui afin d'aider à préciser et développer sensiblement les concepts pertinents ainsi qu'à formuler des propositions tendant à réduire radicalement les proportions de ce problème. 138. L'Afrique demeure le continent le plus touché par les activités de mercenaires, qui continuent d'intervenir dans certains conflits de cette partie du monde et de constituer un danger latent pour d'autres pays de la région. Aussi le Rapporteur spécial recommande-t-il que la Commission condamne de nouveau énergiquement la présence de mercenaires ainsi que les Etats ou les tiers qui soutiennent leurs activités en Afrique, et qu'elle réaffirme ce faisant son appui sans réserve à l'autodétermination, au développement et au libre exercice des droits de l'homme des peuples d'Afrique, de même que son soutien aux mesures qui pourraient être adoptées, en conformité avec le droit international et les législations nationales, par les pays qui subissent la présence de mercenaires. 139. A en juger par les conflits armés auxquels des mercenaires ont été associés sur le continent africain, ces derniers se replient lors de la conclusion d'accords de cessez-le-feu ou de paix, mais les principaux noyaux, généralement formés de mercenaires originaires d'autres continents ou de l'Afrique du Sud, ne quittent pas la région; ils se déplacent vers d'autres pays, où ils restent en rapport avec des organisations opérant à la faveur de situations conflictuelles et avec des groupes paramilitaires, ce qui permet à leurs membres de reprendre une activité de mercenaires dans le pays où ils se sont réfugiés ou dans d'autres Etats où règne la violence. Aussi le Rapporteur spécial recommande-t-il que la Commission préconise, conjointement avec l'interdiction du mercenariat et l'imposition des sanctions requises pour le punir, l'adoption de mesures visant à expulser des pays d'Afrique tous les étrangers qui y ont opéré en tant que mercenaires à l'occasion de conflits armés ou à l'appui de l'apartheid, qu'ils aient été condamnés ou non, et que les nationaux convaincus d'actes de mercenariat soient avertis que la récidive est punie avec la plus grande sévérité par la législation. 140. Compte tenu de l'aggravation du conflit armé en Angola intervenu en 1993, il est recommandé que la Commission des droits de l'homme souligne que la prolongation du conflit est gravement préjudiciable au peuple angolais ainsi qu'au respect et à l'exercice de ses droits de l'homme, et qu'il est nécessaire d'y mettre un terme, en s'appuyant sur les accords de paix et les initiatives contenues dans les résolutions des Nations Unies et de l'OUA. Il est recommandé également que la Commission condamne énergiquement la présence de mercenaires qui, sur le territoire angolais ou à partir de pays voisins, prennent part au conflit armé. 141. Eu égard à l'évolution favorable de la situation politique en Afrique du Sud, où l'adoption d'une nouvelle Constitution provisoire, la mise en place d'un gouvernement de transition vers la démocratie et la tenue d'élections générales et pluralistes en avril 1994 se traduisent par le démantèlement effectif de l'apartheid, mais eu égard aussi à la résistance de fractions de E/CN.4/1994/23 page 52 la minorité blanche qui entendent s'opposer par la violence armée à la disparition du système raciste et font appel à des mercenaires à cette fin, il est recommandé de prêter un soutien actif et vigilant à toutes les mesures destinées à éliminer l'apartheid et à instaurer la démocratie en Afrique du Sud, d'appeler l'attention sur les actes de violence visant à empêcher ou à retarder ce processus, de condamner ces actes et d'en attribuer la responsabilité aux groupes minoritaires racistes qui utilisent des mercenaires et fomentent la violence pour faire obstacle à la démocratisation en Afrique du Sud. 142. En ce qui concerne le Zaïre, où la détérioration de la situation politique s'est accompagnée du recours à des mercenaires, il est recommandé de condamner l'utilisation de ces derniers et de lancer un avertissement au Gouvernement zaïrois ainsi qu'à toutes les parties concernées, afin que cessent les attaques dirigées contre les populations civiles et l'utilisation de mercenaires, et que ces derniers, si leur participation à des actes délictueux est établie, soient punis et expulsés du Zaïre avec interdiction d'y revenir. 143. Compte tenu de la poursuite, en 1993, des conflits armés qui ont éclaté sur le territoire de l'ex-République fédérative de Yougoslavie, et d'éléments indiquant la présence de mercenaires et leur participation à de graves violations des droits de l'homme, il est recommandé que la Commission prononce dans toutes les résolutions qu'elle adoptera à ce sujet une condamnation du recrutement et de l'utilisation de mercenaires par toutes les parties aux conflits quelles qu'elles soient, et que, dans le même temps, les informations réunies au sujet de la participation de mercenaires à des actes criminels servent à l'ouverture d'enquêtes et à l'engagement de poursuites pénales contre les auteurs de telles atrocités. 144. Pour ce qui est des conflits armés qui se déroulent dans certains des Etats qui faisaient autrefois partie de l'Union des Républiques socialistes soviétiques, il est recommandé que, parallèlement aux initiatives internes et internationales en faveur de la paix et de l'amitié dans cette vaste région, la Commission condamne expressément l'utilisation de mercenaires par l'une quelconque des parties aux conflits armés qui se poursuivent, de même qu'à ceux qui ont déjà pris fin ou qui sont en voie de règlement, et qu'elle lance un appel à tous les Etats de la région afin qu'ils renforcent leur législation pénale, sanctionnent expressément les activités mercenaires et appliquent les sanctions édictées aux personnes qui agissent en mercenaires, individuellement ou en constituant des groupes irréguliers. 145. S'agissant de la Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires, le Rapporteur spécial recommande de suggérer aux Etats qui n'ont pas encore ratifié cet instrument ou qui n'y ont pas encore adhéré, d'examiner l'opportunité d'accélérer le processus d'adhésion et de ratification, dont l'achèvement permettra à la communauté internationale de lutter plus efficacement contre les activités mercenaires. E/CN.4/1994/23 page 53 146. Enfin, et compte tenu des résolutions déjà adoptées par la Commission des droits de l'homme au sujet des conséquences néfastes, sur la jouissance des droits de l'homme, des actes de violence commis par des groupes armés qui sèment la terreur au sein de la population et par des trafiquants de drogue, il est recommandé qu'elle condamne ces activités de nouveau et plus vigoureusement, et qu'elle souligne la nécessité de mesures plus efficaces pour lutter, aux plans interne et international, contre ces groupes qui portent atteinte aux droits de l'homme. Le Rapporteur spécial recommande en outre à la Commission d'envisager l'opportunité de créer un groupe de travail qui serait chargé d'évaluer systématiquement les dénonciations et les communications relatives à des actes de violence commis par des groupes armés qui sèment la terreur au sein de la population et par des trafiquants de drogue, et comportant des conséquences néfastes sur l'exercice des droits de l'homme. Ce groupe de travail pourrait également être constitué des rapporteurs spéciaux de la Commission qui s'acquittent actuellement de mandats de caractère thématique. -----