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Université Lyon 2 Institut d'Etudes Politiques de Lyon et Ecole Normale Supérieure lettres sciences humaine Bozonnet Grégory Master II de Sociologie Politique L’exclusion des comiques professionnels du champ politique Critique de la théorie bourdieusienne du champ politique à travers les candidatures à l’élection présidentielle, de Pierre Dac, Coluche et Dieudonné Sous la direction de Paul Bacot, Professeur de Science politique, Université de Lyon Institut d'Etudes politiques Date de soutenance : 20 juin 2008 Jury : Mme Dompnier Nathalie Professeure de Science politique – Université de Lyon, Université Lumière Lyon2 M. Barbet Denis Maître de conférences en Science politique – Université de Lyon, Institut d'Etudes politiques Table des matières Citation . . Remerciements . . Introduction . . Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? . . Les médias ne marginalisent pas particulièrement les candidatures fantaisistes . . Aux candidats fantaisistes la levée de rideau, aux candidats patentés le reste de la campagne . . La stratégie de censure . . Des candidatures décriées par tous les médias… ou presque . . Que faire de l’« intrusion » de ces « clowns » ? . . Des candidatures fréquemment « sondées » et analysées, peut-on parler d’exclusion ? . . Une exclusion à relativiser . . Une volonté d’exclusion des candidats fantaisistes du champ politique . . Cinq cent signatures d’élus, une mission impossible . . Des attaques directes, plus qu’un jeu politique traditionnel ? . . Peut-on exclure quelqu’un qui ne cherche pas à entrer dans le champ politique ? . . Des candidats qui tendent le bâton pour se faire battre ? . . Des candidatures seulement fantaisistes ? . . Conclusion . . Bibliographie . . Les ouvrages . . Ouvrages généraux . . Appréhender la théorie du champ politique de Pierre Bourdieu . . Mieux connaître les candidats . . Comprendre les mouvements auxquels les candidats sont comparés . . Autres ouvrages mobilisés . . Les articles . . Les travaux de recherche . . Sites web . . Images du mémoire . . 4 5 6 23 23 23 31 41 41 56 68 68 68 79 89 89 99 107 111 111 111 111 112 113 113 114 114 115 116 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique Citation « Celui qui veut tuer le plus radicalement, celui là rit ». Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra 4 Bozonnet Grégory - 2008 Remerciements Remerciements Mes premiers remerciements iront tout naturellement à Paul Bacot, professeur de science politique, pour avoir accepté de présider le jury de mon mémoire de fin d’études à l’IEP de Lyon et pour m’avoir aidé et soutenu tout au long de cette année. Je tiens également à remercier Denis Barbet, maître de conférences en science politique, pour être à nouveau présent dans ce jury après avoir marqué mes quatre années à l’IEP de Lyon. Ainsi que Nathalie Dompnier pour sa présence dans le jury mais également pour son séminaire qui m’a permis d’explorer un autre aspect de la campagne de Coluche Je tiens à exprimer ma gratitude à l’ensemble du corps enseignant du Master II de sociologie politique qui a confirmé mon envie de poursuivre dans cette voie. J’adresse un remerciement tout particulier à Jean-Michel Vaguelsy, pour avoir participé au festival Coluche (IEP-2005) et avoir toujours répondu à mes sollicitations. Je remercie également Patrick Filleux, pour le temps qu’il m’a accordé. Ainsi que Paul Lederman pour m’avoir répondu aussi spontanément que naturellement. Enfin, même si elle n’a pas pu m’obtenir d’entretiens avec l’équipe de Charlie Hebdo, je remercie chaleureusement Liliane Roudière, secrétaire de rédaction, pour sa patience, sa sympathie et toute sa bonne volonté. Je ne peux oublier dans ces remerciements mes parents, pour m’avoir permis de vivre ma passion pour Coluche et pour leur soutien tout au long de cette année. Je remercie toutes les personnes qui de près ou de loin ont dû supporter mes monologues sur ce mémoire, notamment Marianne Rigaux pour son aide dans la gestion de crises. Un remerciement tout particulier à Constance Lozet, pour avoir su m’encourager chaque fois que c’était nécessaire et à Alexandre Foilleret qui est l’auteur de la couverture de ce mémoire. Bozonnet Grégory - 2008 5 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique Introduction Soixante-quatre. Soixante-quatre, c’est le nombre de candidats au poste de Président de la République dénombré par Frédéric-Joël Guilledoux dans son ouvrage Tous candidats ! qui revient sur l’élection présidentielle de 2007. Alphonse Gallaud de la Pérouse, dit Zo d'Axa, ème écrivain et journaliste anarchiste français, écrivait à la fin du XIX siècle que l’« électeur n’est qu’un candidat manqué », il semblerait que petit à petit l’idée ait fait son chemin. Malgré les vagues d’indignations que l’on a pu lire dans la presse quand de nombreux candidats s’étaient présentés au poste de gouverneur de Californie en 2003 – il y avait en effet des candidats comme Larry Flint, 61 ans, magnat de la presse pornographique, Gary Coleman, connu pour avoir joué Arnold dans la série Arnold et Willy, mais aussi des anonymes comme Georgy Russell, une jeune informaticienne de 26 ans – nous avons connu avec les élections présidentielles de 2007, un fait quasi-similaire. Cindy Lee se présentait pour le parti du plaisir, Nicolas Miguet pour le Rassemblement des contribuables français, outre une candidature anonyme déclarée sous le pseudonyme de Catherine Médicis et Lucien Sorreda (pour un Président Dictateur Républicain) qui déclarait « mieux vaut une bonne dictature qu’une mauvaise démocratie », nous pouvons noter que l’humoriste Dieudonné présentait, aussi, son intention d’être candidat. Le 20 avril 1976, Jean Lecanuet, alors ministre de l’Intérieur, déclarait - lors d’un débat à l’Assemblée Nationale qui aboutira à la loi des cinq cents signatures que l’on connaît actuellement – que « cette élection met en œuvre des moyens publicitaires considérables (…) peu coûteux pour les candidats. » Il pensait qu’il pourrait être « tentant, dès lors, de détourner de leur but ces moyens pour les utiliser à des fins dépourvues de caractère véritablement politique ». Pour lui, ainsi que pour tous les parlementaires qui ont voté cette loi, il fallait « éviter un tel détournement et, d’une manière très générale, décourager les candidatures de fantaisie qui nuiraient à la dignité de l’élection. » Si cette loi est apparue après trois élections présidentielles - nous verrons que l’idée avait en réalité germée bien avant - c’est parce que le nombre de candidats n’avait cessé d’augmenter. De plus, à chaque élection il était possible de rencontrer des intentions de candidatures déclarées par des personnes considérées comme fantaisistes. Ce fut le cas de Pierre Dac en 1965, dans une moindre échelle de Marcel Barbu qui était 1 qualifié dans Le Monde d’« extravaguant » et d’« illuminé » et d’André Dupont, alias Aguigui Mouna en 1974 (puis en 1981). Après avoir consacré un premier mémoire à la candidature fantaisiste la plus connue - celle de Coluche - nous avons donc décidé de nous intéresser d’une manière plus large aux candidatures fantaisistes aux élections présidentielles de la Cinquième République. Le terme fantaisiste pouvant faire débat, nous avons décidé de le restreindre à son sens le plus strict, c'est-à-dire celui de comique professionnel. Nous allons donc nous intéresser aux candidatures de Pierre Dac en 1965, de Coluche en 1981 et de Dieudonné en 2002 et 2007, puisqu’ils ont tous trois fait acte de candidature à une élection présidentielle tout en étant comique de profession, profession étant entendu au 2 sens d’ « occupation habituelle dont on tire un revenu » . Avant de préciser le but de notre travail sur ces candidatures, il convient d’éclaircir leur contexte et leur nature. 1 2 6 Ernout (Liliane), « Le candidat de la vingt-cinquième heure », Le Monde, 3 décembre 1965, n°6497, p.3 Bacot (Paul), Dictionnaire du vote – Elections et délibérations, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1994, p.142 Bozonnet Grégory - 2008 Introduction Lors de la première et de la dernière édition de l’élection présidentielle au suffrage universel direct, un candidat fantaisiste a annoncé sa volonté de se porter candidat. Ainsi, pour revenir sur le contexte de ces élections, il nous faut nous intéresser de près à l’évolution qu’a connue la Cinquième République. Nous nous devons de souligner, que la Constitution de 1958, souhaitée par Charles de Gaulle, semble avoir réussi à imposer un Président fort. Toujours élu au suffrage universel indirect, le président puisera sa légitimité dans un collège beaucoup plus large qu’auparavant. Le corps électoral était en effet fixé à quatre-vingt mille membres et sa composition ressemblait davantage à celle qui désigne les sénateurs. Ce mode de scrutin ne servira pourtant qu’à une seule reprise, pour élire Charles de Gaulle président, le 21 décembre 1958, lors d’une élection sans grand enjeu. Quelques années plus tard, après la fin de la guerre d’Algérie, le Général de Gaulle échappe de justesse à la mort dans l’« attentat du Petit Clamart ». En quatre ans de présidence, de Gaulle avait conquis un pouvoir plus important que celui prévu dans la Constitution, il était devenu 3 « l’inspirateur et le grand metteur en scène de la politique française » . Soucieux de donner une légitimité maximale à son successeur, le Général de Gaulle interviendra en ces mots, le 20 septembre 1962 : « Je crois devoir faire au pays la proposition que voici : quand sera achevé mon propre septennat, ou si la mort ou la maladie l’interrompait avant le terme, le président de la République sera dorénavant élu au suffrage universel ». Si cette proposition n’est pas intervenue plus tôt, c’est parce que les Républicains, en France, se méfient de l’élection présidentielle au suffrage universel direct. Comme le montre Pierre Bréchon, la seule expérience sur laquelle la République Française puisse s’appuyer, en matière d’élection du Président de la République au suffrage universel (masculin) direct, a généré le Second Empire. « L’expérience d’un Président élu au suffrage universel direct remonte en France à 1848 et fut de très courte durée. Le coup d’Etat napoléonien de 1851 discrédita ce type d’élection aux yeux des Républicains : le Président élu risquait de se transformer en despote et le peuple, manquant d’éducation politique, risquait de se laisser séduire, au moment de l’élection, par une personnalité autoritaire charismatique. Il valait donc mieux qu’il soit choisi par les parlementaires, qui appartiennent aux élites éclairées, bien éduquées, politiquement plus sûres. C’est 4 la tradition qui s’imposa sous la IIIème et IVème Républiques. » Cette réforme sera pourtant très populaire. Le 28 octobre 1962, le référendum est adopté par 62,2% des suffrages exprimés. Ce score était pourtant loin d’être assuré puisque les hommes politiques non gaullistes s’étaient massivement opposés à cette réforme parce que la procédure suivie avait été anticonstitutionnelle, le référendum ayant été proposé sans avoir été préalablement adopté par les deux Assemblées, et donc en méconnaissance de l’article 89 de la Constitution ; mais ils s’y étaient également opposés parce que cette réforme leur ferait perdre une partie de leur pouvoir, puisqu’ils ne participeraient plus à la nomination du Président. Sylvie Guillaume analyse en profondeur cette coalition de partis que l’on a nommé « cartel des non ». « Radicaux, socialistes, chrétiens-démocrates, et indépendants décident de réagir à ce qu’ils considèrent comme une dérive de la nouvelle République instituée en 1958 vers un pouvoir personnel et ils se proclament les gardiens 5 du temple républicain.» 3 Bréchon (Pierre) (dir.), Les élections présidentielles en France – quarante ans d’histoire politique, Paris, La documentation française, 2008, p.10 4 5 idem, p.9 Guillaume (Sylvie), « Le "cartel des non" », Parlement[s] 2004/3, Hors-série, p.45-64 Bozonnet Grégory - 2008 7 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique Le référendum ayant été adopté à une large majorité, une élection présidentielle aura lieu à la fin du premier septennat de Charles de Gaulle. La date est fixée au 5 décembre 1965 pour le premier tour, deux semaines plus tard, pour le second. Avant même que cette date soit connue, le 17 novembre 1963, Jean-Louis Tixier-Vignancour s’était déclaré candidat de l’extrême droite. En tout et pour tout, il y aura six candidats, dont un candidat surprise, Marcel Barbu. Pierre Marcilhacy vient compléter le tableau des petits candidats – expression qui n’était pas utilisée à l’époque et dont l’origine reste difficile à dater – pour le compte de la Convention Nationale Libérale et qui, ironie de l’histoire, deviendra un peu plus de dix ans plus tard rapporteur de la loi des cinq cents signatures dont le but est de limiter le nombre de petits candidats. Jean Lecanuet (Mouvement Républicain Populaire) et François Mitterrand (Convention des Institutions Républicaines, investi par la Section française de l'Internationale ouvrière, soutenu par le Parti Communiste Français, le Parti Radical et le Parti Socialiste Unifié) viennent compléter la liste des candidats qui s’opposent à la réélection du Général de Gaulle. Celui-ci se verra même contraint d’entrer en campagne, campagne qu’il avait pourtant refusée après l’officialisation de sa candidature un mois avant le premier tour. Nous pouvons noter que, pour leur première apparition majeure dans un événement politique en France, les sondages ont marqué des points puisque les résultats publiés avançaient la possibilité que le Général de Gaulle soit en ballotage. Il ne sera, en effet, élu qu’au second tour avec 55,2% des voix après avoir récolté 44,6% des suffrages exprimés au premier tour. André Issac, mieux connu sous le nom de Pierre Dac, quant à lui, avait fait acte de candidature dans le numéro de L’Os à moelle daté du 11 février 1965. Il s’appuyait sur un parti créé pour l’occasion, dont le nom, issu de la tradition loufoque, ne sera jamais explicité, le Mouvement Ondulatoire Unifié. En jouant sur la siglaison du nom de ce parti, L’Os pouvait titrer la semaine suivante « Les temps sont durs, vive le M.O.U. », à partir du numéro du 25 février figurera même en dessous du titre la mention « organe officiel du M.O.U. ». La candidature de Pierre Dac n’a eu qu’un très faible écho, nous aurons l’occasion de revenir sur ce point, mais on peut noter qu’elle est restée interne au journal. Aucun autre titre n’a repris l’information. Son aventure présidentielle prendra fin très rapidement, en avril, même s’il continuera à publier des articles au nom du M.O.U. dans L’Os à Moelle par la suite. Pierre Dac viendra annoncer son retrait lors d’une émission radiophonique : « Je viens de constater que Jean-Louis Tixier-Vignancourt, brigue lui aussi, mais au nom de l’extrême droite, la magistrature suprême. Il y a donc, désormais, dans cette bataille, plus loufoque que moi. Je n’ai aucune chance et je préfère renoncer. » Nous reviendrons sur ce point au cours de notre réflexion, mais nous pouvons d’ores et déjà souligner que plusieurs sources confirment ce que Robert Mallat écrit dans son livre sur le rire français : « Dac ne dit pas tout. Par courtoisie et surtout par fidélité et respect : ce sont les services de l’Elysée qui l’ont « prié » de retirer sa candidature, le Général n’aime pas les trublions qui se mêlent 6 des affaires d’autrui et marchent sur les plates bande de la politique » . Il est vrai que le Général de Gaulle et Pierre Dac se connaissaient, l’humoriste avait, en effet, été « la voix de la France » à Londres en 1943-1944. Dans « les Français parlent aux Français » ses slogans faisaient mouche, notamment le plus célèbre d’entre eux : « Radio-Paris ment, Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand ». Quinze ans plus tard, c’est au tour de Coluche d’annoncer sa candidature à l’élection présidentielle. Entre temps, Charles de Gaulle a démissionné, Pompidou lui a succédé, et au décès de celui-ci, une autre élection a été organisée et Valéry Giscard d’Estaing (nous le nommerons parfois VGE) a été élu. Alors qu’il y avait eu six candidats en 1965, sept en 1969, ils étaient douze à prétendre au poste de Président de la République en 1974. Le législateur est donc intervenu et la loi organique n° 76-528 a rendu la candidature à l’élection 6 8 Mallat (Robert), Coluche, Devos et les autres- un demi-siècle de rire français, Paris, L’archipel, 1997, p.50 Bozonnet Grégory - 2008 Introduction présidentielle plus difficile, notamment en passant le nombre de parrainages d’élus minimum à cinq cents. Pour préciser davantage le contexte de cette élection, il faut noter que Valéry Giscard d’Estaing vit une fin de mandat difficile. Fin de mandat notamment marquée par « les affaires ». La plus célèbre d’entre elles étant « l’affaire des diamants ». Ces diamants offerts par l’empereur de Centre-Afrique, Jean-Bedel Bokassa, au président Giscard. Diamants qu’il a, dans un premier temps, nié avoir reçus, puis qu’il a déclaré avoir vendus. Il doit s’expliquer devant les citoyens, il apparaît mal à l’aise, il bafouille, « le roi Giscard » semble affaibli. « Le roi » est un surnom révélateur d’une des critiques les plus récurrentes adressées au président en exercice et qui lui a valu cette une du Nouvel Observateur. Les Français semblent en effet très critiques à l’égard de cette monarchisation de la fonction présidentielle. En novembre 1980, Le Monde fait paraître un sondage qui révèle que « 65% des français ne veulent plus des princes qui les gouvernent ». Les critiques concernant la noblesse du président pleuvent, candidat à sa réélection il tentera de paraître plus proche du peuple que durant son premier mandat à la tête de l’Etat. Le 30 octobre 1979, moins de trois semaines après la parution du Canard Enchaîné révélant « l’affaire des diamants », Robert Boulin est retrouvé mort dans la forêt de Rambouillet. L’enquête sur le décès du ministre du Travail en exercice est longue et ne fournit pas d’éléments concrets. Cet événement marque l’opinion, d’autant plus que trois mois plus tard, le 2 février 1981, une autre mort non-élucidée fera du bruit, celle de l’ancienministre Joseph Fontanet. Interrogé par le Nouvel Observateur Michel Rocard va « s’étonner qu’autant d’hommes politiques disparaissent de mort violente » dur pour le président en exercice. 7 . C’est un nouveau coup Nous ne pouvons pas passer en détails toutes les critiques adressées à Valéry Giscard d’Estaing en cette fin de mandat, notons qu’en cette période d’élection un projet de loi intitulé « sécurité et liberté » fait grand bruit.Toutefois, ce qui va vraisemblablement affaiblir davantage le président, c’est l’échec de sa politique économique. La crise mondiale ne pouvait épargner la France bien longtemps, mais en nommant Raymond Barre, souvent qualifié par l’antonomase le Joffre de l’économie,à la tête du gouvernement, VGE avait signalé sa volonté de réussir dans ce domaine. Pourtant le seuil symbolique des 1,5 millions de chômeurs sera franchi, et l’inflation avoisinera les 13%. Dans son sketch « Votez Nul », Coluche résumait ce septennat en quelques bons mots : « Valéry Giscard d’Estaing, on lui a demandé l’autre jour et il a répondu : « je suis au trois quarts satisfait ». Voyez-vous : un million huit cent mille chômeurs, la hausse des prix, le déséquilibre du commerce extérieur ; c’est que les trois quarts de ce qu’il peut faire. Moi à votre place je voterai encore pour lui, il va faire mieux ce mec là ! » Giscard semble pourtant assuré de sa réélection. Dans un texte de soutien à Coluche sur lequel nous reviendrons plus tard nous pouvons lire « plus rien ne pourra changer le résultat final : la corruption, les scandales, la crise, le mécontentement populaire, les 8 atteintes aux Droits de l'Homme, n'y feront rien. » Nous pourrions nous étonner qu’après toutes ces critiques, VGE paraisse aussi sûr d’être à nouveau élu. Cette réélection programmée est vue par Coluche comme une 7 8 Pfister (Thierry), « Que faire de Coluche ? », Le Nouvel Observateur, 8 décembre 1980, n° 839, p.40 « Coluche aussi a ses intellectuels pétitionnaires », Libération, 19 novembre 1980, n°2104, p.8 Bozonnet Grégory - 2008 9 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique « mauvaise nouvelle », pour lui si « Giscard gagne dans un fauteuil… les français perdent 9 les élections ». Cette probable réélection n’est pas le fruit du hasard. L’union de la gauche a volé en éclat en 1978 après l’échec des négociations sur la réactualisation du programme commun. En 1981, ce ne sera pas un, mais plusieurs candidats de la gauche qui affronteront le président sortant au premier tour. Le parti socialiste et le parti communiste se renvoient la responsabilité de cet échec, ce qui contribue à leur perte de crédibilité et renforce Giscard dans les sondages. Nous pouvons de plus noter que ces mêmes sondages semblent montrer que le candidat souhaité par les sympathisants socialistes était Michel Rocard. François Mitterrand sera pourtant à nouveau désigné pour affronter le président sortant. Coluche dira d’ailleurs tous les soirs dans son spectacle au théâtre du Gymnase qu’il a « peut-être raté le certificat d’études, mais que lui ne l’a pas tenté trois fois ». Il le raillera aussi à travers cette petite phrase : « 11 novembre, journée des anciens combattants de 10 14-18 : Mitterrand se présente. » Raymond Barillon reviendra dans les colonnes du Monde sur cette situation de la, voire des, gauche française. Pour lui, « le premier degré de la désunion, celui de la guerre entre le P.C.F. et le P.S. qui rendait impossible, par définition, une candidature unique de la gauche, est dépassé. On est désormais au second, celui de la querelle double au sein du P.S. et du P.C.F., puisqu'il est évident que M. Mitterrand ne sera pas le candidat de tous les socialistes 11 et que M. Marchais n'est pas celui de tous les communistes. » Guy Bedos conclut : «Il y a 12 des gens, en 1974, qui voulaient changer la vie. Et puis ils ont changé d'avis. » L’élection de 1981 aura donc des allures de « remake », « qu’est-ce qu’on joue au 13 deuxième tour ? Mitterrand - Giscard. C’est con j’ai déjà vu le film » écrira Coluche. Mais « tous les observateurs s’accordent à penser » que « les présidentielles seront des 14 "élections pour rien" » et que corollairement la « campagne s'annonce assez terne » 15 . On lira dans les colonnes du Monde que ce sont des élections « pour le principe, puisque "les jeux sont faits" , que le président de la République sortant est, paraît-il assuré 16 de sa réélection. » , les journalistes de Charlie Hebdo qualifient même cette élection d’« escroquerie ». « Un loto dont le numéro gagnant serait connu d'avance serait bien une 17 escroquerie, non ? » Face à cette élection qui s’annonce « courue d’avance », et particulièrement morne, Coluche a décidé d’assumer le rôle de perturbateur. Difficile de savoir comment l’idée de se présenter à cette élection est née, il y a débat. Cette campagne serait partie d’une idée de son ami, le cinéaste Romain Goupil, qui pensait ainsi contourner la censure dont Coluche s’estimait victime après son renvoi de Radio Monte Carlo. L’idée pouvait se résumer ainsi, 9 10 11 12 13 14 15 16 17 10 Coluche, Libération, 8 novembre 1980, n°2095, p.07 Coluche, Libération, 10 novembre 1980, n°2096, p.07 Barillon (Raymond), Résurgences, Le Monde, 21 novembre 1980, n° 11 138, p.10 Lhomeau(Jean-Yves), « Un entretien avec Monsieur Guy Bedos », Le Monde, 3 décembre 1980,n°11 148 p.1 Coluche, Libération, 23 décembre 1980, n°2133, p.8 Najman (Maurice), « Coluche l’anti-candidat : "J’irai jusqu’au bout" », Libération, 31 octobre 1980, n°2088, p.1 et p.24 er « L'effet Coluche », Le Matin de Paris, 1 novembre 1980, n°1146, p.2 Lhomeau(Jean-Yves), « Coluche ou la campagne imprévisible », Le Monde, 12 décembre 1980, n°11 156, p.10 Cavanna, « Qu’est-ce qu’il peut-il arrêter Coluche ? », Charlie Hebdo, 11 février 1981 Bozonnet Grégory - 2008 Introduction si Coluche est candidat il bénéficiera d’un temps d’antenne où il sera libre de dénoncer ce qu’il entend sans risque de se faire renvoyer. Cette idée va être soigneusement distillée à qui veut l’entendre pendant plusieurs mois. Ainsi, en mars 1980, on peut déjà lire dans les colonnes du Monde, « Je vais probablement me présenter aux élections présidentielles. Comme candidat nul, pour faire voter les non-votants. Mon argument principal sera ne pas 18 être élu » . Au fur et à mesure que l’on approche de l’annonce officielle, Coluche multiplie ce type de déclaration. « J'attends avec impatience les élections pestilentielles. Je souhaite 19 me présenter » déclarait-il dans les colonnes du même journal en octobre 1980. Il n’aura pas attendu très longtemps, le 20 octobre 1980, un premier communiqué de presse annonce officiellement la candidature de l’humoriste et annonce une conférence de presse au Gymnase, dix jours plus tard. Le rendez-vous est pris. Le 30 octobre toute la presse et toutes les télévisions seront présentes. Coluche va tenir une vraie conférence de presse, certes plus drôle que celles des autres candidats mais qui fait tout de même passer un message : « Je m'adresse à ceux qui ont voté à gauche pendant 30 ans pour rien. Car, malheureusement, elle n'a rien fait. Je fais partie de ceux qui ont mis pas mal d'espoir dans la gauche. Mais en arrêtant leur programme commun, ils ont décidé de ne pas être élus. Je m'adresse aussi à ceux qui ont voté à droite pendant 30 ans pour rien non plus. Vous en connaissez des promesses 20 tenues ? » Il ajoutera, « Depuis trente ans, ils votent pour des gens compétents et intelligents qui les prennent pour des imbéciles. Aujourd’hui je leur propose de voter pour un imbécile ». « D’habitude, ils votent pour rien » : en choisissant Coluche, « ils voteraient " pour quelqu'un qui n'est rien " sinon un " abstentionniste professionnel" et qui, d'ailleurs, ne voudrait pas être élu et ne se présentera qu'au premier tour, les gens sérieux pouvant 21 toujours, au second tour, faire le choix qui comptera. » Nous reviendrons par la suite sur les raisons de ce choix, mais nous pouvons d’ores et déjà noter que cette candidature sera le centre même de notre réflexion. Vingt ans plus tard, c’est Dieudonné qui prend la relève, se revendiquant directement de Coluche. Une fois encore le contexte est un peu différent. Ces élections se déroulent après une longue cohabitation de cinq ans. Les inconvénients d’une telle situation sont apparus encore plus nettement que lors des expériences précédentes. Afin d’éviter, à l’avenir, les cohabitations à la tête de l’Etat, une réforme constitutionnelle, entérinée par référendum en septembre 2000, a réduit le mandat présidentiel à cinq ans. En outre, une autre loi a modifié le calendrier électoral pour que les législatives se déroulent après la présidentielle. Cette réforme vise indéniablement à favoriser l’émergence d’une majorité parlementaire conforme à la majorité présidentielle. L’année politique de 2002 est donc d’abord marquée par l’élection présidentielle des 21 avril et 5 mai, suivie par les législatives des 9 et 16 ème juin, que l’on appelle souvent le 3 tour de la présidentielle. Pour les petits partis, il est nécessaire d’être représenté à l’élection présidentielle sous peine d’être totalement invisible aux législatives. Toutes les petites formations ont voulu être présentes à l’élection présidentielle, ce qui a rendu encore plus durs les possibilités de trouver les cinq cents signatures pour les « petits ». Dieudonné ne réussira pas à les réunir. Il est pourtant probablement « le plus sérieux » des trois candidats que nous étudions. Il s’est en effet 18 19 20 21 Fléouter (Claude), « La politique me fait rire », Le Monde, 27 mars 1980, n°10936, p.13 Fléouter (Claude), « « Je voudrais être candidat aux prochaines élections » », Le Monde, 4 octobre 1980, n°11 097, p. 27. Najman (Maurice), « Coluche l’anti-candidat : « J’irai jusqu’au bout » », Libération, 31 octobre 1980, n°2088, p.1 et p.24 er La Bardonnie (Mathilde), « Coluche candidat : sérieux », Le Monde, 1 novembre 1980, n°11121, p.8 Bozonnet Grégory - 2008 11 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique présenté à un certain nombre d’élections. Dès 1997, il est présent sur la scène politique en se présentant à Dreux pour la députation, obtenant d’ailleurs le quatrième meilleur score en récoltant 7,74% des suffrages exprimés. L’année suivante, il obtient 5% des voix en briguant un poste au Conseil régional du Centre. L’année avant l’élection présidentielle de 2002, il a tenté de se présenter aux municipales à Dreux, mais il n’est pas parvenu à constituer une liste à temps. Il se présentera, par la suite, aux élections présidentielles de 2002 et 2007. Entre temps, le personnage Dieudonné a évolué. En effet, pour remonter un peu plus haut dans sa biographie, en 1997, Dieudonné qui vient juste d’entamer sa carrière en solo se présente aux législatives à Dreux « pour faire barrage » à la liste FN menée par MarieFrance Stirbois. Il s’engage alors dans des luttes dénonçant les discriminations raciales et se battant pour une plus grande visibilité de la population noire dans la société française. Ces engagements lui valent, en 2000, le titre honorifique onusien d’« homme de bonne volonté contre le racisme ». C’est avec cette image qu’il se présente en 2002. Deux élections et de nombreux scandales plus tard, cette image a totalement volé en éclat. Elie Sémoun écrira dans un article paru dans Libération que Dieudonné s’est peu à peu en transformé en « Le Pen de gauche ». Pendant sa campagne à l’élection présidentielle de 2002, il fera plusieurs fois scandale, tout d’abord en tenant les propos suivants lors d’un entretien avec un journaliste de Lyon Capitale : « Le racisme a été inventé par Abraham. Le "peuple élu", c'est le début du racisme. (…) Pour moi, les juifs, c'est une secte, une escroquerie. C'est 22 une des plus graves parce que c'est la première.» Quelques semaines plus tard, dans une interview accordée à L’Echo des savanes il affirmera « préférer le charisme de Ben Laden 23 à celui de George Bush.» Un mois plus tard, il sera relaxé alors qu’il comparaissait pour un délit de diffamation raciale pour avoir qualifié blancs et catholiques d'esclavagistes et de racistes en mars 2000. Mais l’affaire qui aura fait le plus grand bruit reste, sans conteste, son passage à l’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde » animée par Marc-Olivier Fogiel. Au cours de cette émission consacrée à l'humoriste Jamel Debbouze, Dieudonné déclare « J'encourage les jeunes gens qui nous regardent aujourd'hui dans les cités, pour vous dire, convertissez-vous comme moi, essayez de vous ressaisir, rejoignez l'axe du bien, l'axe américano-sioniste ! », puis il tend le bras droit à la fin du sketch et crie « Israël ! » ou « Isra-heil ! », selon les versions, la justice n’ayant pas retenue de version officielle. Parmi ses propos ayant également suscité de nombreuses réactions, on peut relever ceux relatifs 24 à un « lobby juif » cités par Le Monde en janvier 2004 et ceux tenus lors d'une conférence de presse à Alger le 16 février 2005, où il avait qualifié l'ampleur du traitement médiatique de la mémoire de la Shoah de « pornographie mémorielle ». C’est dans ce contexte qu’il devra quitter la liste Euro-Palestine sur laquelle il était en bonne place pour les Européennes de 2004. Cette liste avait pour ambition d’inscrire la paix au Proche-Orient comme l’une des missions de l’Union Européenne. Mais ce qui fait dire à Anne-Sophie Mercier - qui, comme elle l’écrit en introduction de son livre, a passé un an de sa vie avec Dieudonné - que « la transgression c’est le 25 caviar de Dieudonné » , c’est que l’humoriste va aussi réutiliser cette provocation dans ses sketches, sur scène. Olivier Mongin pense d’ailleurs que « loin d’être le fait de dérapages malheureux, le rire de Dieudonné est parfaitement rodé, il s’est emparé de la question 22 23 24 25 12 « Entretien: Dieudonne, humoriste et candidat aux présidentielles », Lyon Capitale, 23 janvier 2002 Prinvault (Elizabeth), « Dieudonné », L’Echo des Savanes, 1er février 2002 « Dieudonné saisit la justice dans son différend avec Marc-Olivier Fogiel », Le Monde, 8 janvier 2004. Mercier (Anne-Sophie), La vérité sur Dieudonné, Paris, Plon, 2005, p.14 Bozonnet Grégory - 2008 Introduction 26 communautaire comme d’une bombe politique.» Ainsi, à titre d’exemple, nous pouvons relever ces expressions relevées dans ses sketches : « J’ai vu la Terre promise et j’ai vomi » 27 28 ou encore, « le peuple élu de la fange de la médiocrité » . Notons au passage, que le spectacle « Mes excuses », initialement intitulé « Mes excuses, dans ton cul », commence par une mise en scène qu’Olivier Mongin retranscrit parfaitement : « L’entrée du spectacle mes excuses ne trompe pas : Dieudonné sort d’un nuage de fumée comme de l’enfer pour s’excuser : "Je m’excuse, ô peuple élu. Pardonne. Pardonne à la bête que je suis les offenses proférées. Mais je n’ai pas d’âme. Mes paroles ne sont qu’un grognement instinctif. Cela n’a aucun sens. Je me soumets à ta grandeur, ô peuple élu. Merci de m’avoir épargné, Maître. Merci Maître…" Et de faire un bras d’honneur en forme d’uppercut : "Dans le cul. " » Il en conclut que « Dieudonné réinvente malencontreusement le rire politique en le brandissant comme une arme. Mais celle-ci n’est plus à destination des hommes politiques (…) puisqu’elle se concentre sur les identités ethniques et les communautés 29 d’appartenance. » Anne-Sophie Mercier montre qu’il « est devenu pour un certain nombre de gens le porte parole de l’antisémitisme. Pour d’autres, c’est une bête de scène qui 30 incarne la liberté d’expression. » Dans les premières pages de son livre, elle nous confie que « très vite [elle a] acquis une certitude. Dieudonné n’est plus un comique, c’est un 31 politique ». C’est un peu l’idée de Noël Mamère, qui avait été proche de Dieudonné lors de ses premières expériences politiques, et qui déclarait en 2005 « Il est la victime de son inculture et de sa volonté farouche d’être reconnu comme politique ». Nous aurons l’occasion de relativiser cette idée par la suite, mais on est en mesure d’avancer que Dieudonné sera donc le candidat qui se prend le plus au sérieux dans ses candidatures à l’élection présidentielle. Nous le signalions auparavant, parmi les trois candidatures que nous venons de présenter plus amplement, c’est à celle de Coluche que nous nous intéresserons le plus particulièrement et ceci pour plusieurs raisons. Nous en reparlerons dans le premier temps de notre réflexion, mais la candidature du comique à la salopette a été celle qui a suscité le plus d’articles de presse. En effet, tous les journaux ont dû, tôt ou tard, donner leur position sur la campagne de l’humoriste. De plus, Coluche est devenu une sorte de référence en la matière. En effet, le nom propre Coluche va parfois être utilisé comme antonomase métaphorique pour désigner des candidats « surprises » à une élection capitale. Avant d’en donner des exemples, notons que selon le Trésor de la Langue française, une antonomase est une « figure de rhétorique qui consiste à remplacer, en vue d'une expression plus spécifiante ou plus suggestive, un nom propre par un nom commun (le Sauveur pour Jésus-Christ) ou un nom commun par un nom propre (un Tartuffe pour un hypocrite). »Comme le montre Sarah Leroy, dans son ouvrage Le nom propre en français 32 , l’antonomase a des analyses divergentes : elle peut être prototypique (un arpagon, 26 27 28 29 30 31 Mongin (Olivier), De quoi rions-nous ? Notre société et ses comiques, Paris, Plon, 2006, p.106 Dieudonné, spectacle « 1905 », 2005 Dieudonné, spectacle « Mes excuses » - sketch d’entrée en scène, 2006 Mongin (Olivier), op.cit., p.106 Mercier (Anne-Sophie), op.cit., p.90 Mercier (Anne-Sophie), La vérité sur Dieudonné, Paris, Plon, 2005, p.12 32 Leroy (Sarah), Le nom propre en français, Paris, Ophrys, 2004,137p. Bozonnet Grégory - 2008 13 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique une bérézina), métonymique (un nom de lieu devient un événement ou un nom commun ème comme camembert) ou métaphorique (Le Saint-Thomas d’Aquin du XX siècle). Dans cet ouvrage, elle nous apprend notamment que l’« on peut ainsi considérer que si le nom propre a, au départ, peu ou pas de sens, son occurrence en discours en acquiert beaucoup. Dans cette perspective, le contenu sémantique du nom propre n’est pas fondamentalement 33 différent de celui du nom commun. » Nous allons voir dans les exemples qui suivent que le nom propre Coluche rompt avec son référent originel pour renvoyer à un tout autre référent. Ainsi, les expressions que nous allons présenter, « en utilisant le statut tropaïque de 34 l’antonomase » peuvent être étudiées comme un « cas particulier de la métaphore » . « Le nom propre désigne en effet un référent qui n’en est pas le porteur habituel, mais dont on dit qu’il lui ressemble d’une façon ou une autre. La modification s’opère donc aux deux niveaux, 35 syntaxique et référentiel. » Ainsi, Nicolas Hulot qui a annoncé songer à être candidat à 36 l’élection présidentielle de 2007 a été qualifié par l’expression « le Coluche de 2007 » dans les colonnes du Progrès ; Stephane Colbert candidat à la fois démocrate et républicain à la Maison Blanche, alors qu’il est un présentateur d’une émission télévisuelle populaire, 37 sera nommé « le Coluche de Caroline du Nord » ; enfin Dieudonné a pu être souvent comparé à Coluche, puisque nous montrions qu’il faisait lui-même référence à l’humoriste, 38 ce qui lui a valu d’être catégorisé comme « un Coluche » dans les colonnes du Figaro. Sarah Leroy souligne que « le nom propre modifié de type métaphorique désigne un référent 39 discursif et non le référent originel » et « signale d’abord un rôle » , ou un type avant de signaler un référent. On a ici des exemples de ce que Kleiber nommait un « usage attributif flottant ». Les personnes comparées ici à Coluche ne le sont que dans le cadre discursif présent ; elles pourraient très bien se voir attribuer une autre image dans un autre contexte, mais comme dans ces articles on traite de leur candidature « fantaisiste », l’auteur choisit de les comparer à Coluche. L’intérêt de l’antonomase métaphorique est donc d’évoquer tout de suite un certain nombre de qualificatifs que l’on attribue au référent d’origine. Ainsi, on peut imaginer que ces candidatures, par exemple, ne sont pas sérieuses. On peut discuter le choix de ces antonomases, notamment dans le cas de la candidature de Nicolas Hulot 40 où la comparaison, bien qu’aussi réalisée à deux reprises dans le livre Le moment Hulot , semble quelque peu exagérée, mais force est de constater qu’elle est révélatrice quant à l’importance qu’a pris la candidature de Coluche. Si l’on utilise cette référence pour qualifier la candidature de Stéphane Colbert, c’est bien que le nom Coluche est celui qui évoque le mieux ce qu’est une candidature fantaisiste. A notre connaissance, personne n’a eu l’idée d’utiliser le nom de Pierre Dac ou de Dieudonné pour le même effet. La candidature de Coluche se révèle donc être un symbole de ce qu’est une candidature fantaisiste. Notons tout de même que malgré le fait que nous allons nous centrer sur la candidature de Coluche, nous ne manquerons pas d’analyser les candidatures de Pierre Dac et Dieudonné tout au long de notre réflexion. 33 34 35 36 37 38 39 40 14 idem, p.115 Flaux (Nelly), « L'antonomase du nom propre ou la mémoire du référent », Langue française, 1991, n° 92, p. 26-45 idem « Au sujet de la téléphonie mobile par carte », Le Progrès, 5 février 2007, p.42 Serina (Guillaume), « Le Coluche de Caroline du Sud », Le Point, 8 novembre 2007 Douguet (Gwen), « Dieudonné, le sérieux du bouffon », Le Figaro, 13 juin 2001, p.5 Leroy (Sarah), op.cit., p.68 Larabi (Malik), Marc (Xavier), Le Moment Hulot. Un candidat jamais candidat, Paris, Armand Colin, 2008, p.16, puis p.122 Bozonnet Grégory - 2008 Introduction Un autre fait révèle l’importance de la candidature de Coluche par rapport à celle des autres comiques professionnels. Cette candidature a été soutenue par une petite trentaine d’intellectuels de gauche, voire d’extrême gauche. Si nous aurons l’occasion de reparler de cet engagement de l’intelligentsia au côté de l’humoriste, notons tout de suite que parmi les signataires, figurait un certain Pierre Bourdieu. À partir de cette candidature, il va approfondir sa théorie du champ politique pour réaliser un article paru dans Actes de la recherche en 41 sciences sociale , avant que ne soit publié, quelques années plus tard, Propos sur le 42 champ politique . Afin d’avancer vers une compréhension de ce qu’est le champ politique pour Pierre Bourdieu, nous allons commencer par analyser ce qu’il a écrit à propos de la candidature de Coluche. Ce qui est intéressant, tout d’abord, c’est de noter que Patrick Champagne et Olivier Christin, tout comme Louis Pinto sont revenus sur cet engagement du sociologue au côté de l’humoriste. Ainsi les premiers écrivaient à ce propos qu’il s’agissait du « prolongement politique de ses travaux sur la représentation politique » (Son soutien à la campagne du comique Coluche en 1981 relève (…) d’une « intervention sociologique » sur 43 le champ politique) » alors que Louis Pinto y voyait la marque d’un « irréalisme d’intellectuel 44 animé d’une défiance excessive envers les hommes politiques ? » À la suite de cet engagement, Pierre Bourdieu écrivit que « les professionnels du pouvoir sont pris en flagrant délit d’abus de pouvoir : alors que, comme à l’accoutumée, ils se présentent en porte-parole de l’ « opinion publique », caution de toutes les paroles autorisées, ils livrent non la vérité du monde social, mais la vérité de leur rapport à ce monde, obligeant à demander s’ils ne 45 font pas ainsi d’autre fois. » Il écrira, en outre : « Ainsi, les professionnels, hommes politiques et journalistes, tentent de refuser au #casseur de jeu# le droit d’entrée que les profanes lui accordent massivement (ils sont favorables pour les deux tiers au principe de sa candidature). Sans doute parce que, en entrant dans le jeu sans le prendre au sérieux, sans se prendre au sérieux, ce joueur extra-ordinaire menace le fondement même du jeu, c’est-à-dire 46 la croyance et la crédibilité des joueurs ordinaires. » On retrouvera sensiblement la même idée, dans des termes différents, quelques années plus tard lors de son intervention à l’Université Lumière Lyon II : « Tout le champ médiatico-politique s’était mobilisé, par delà toutes les références, pour condamner la barbarie radicale qui consistait à mettre en question le présupposé fondamental, à savoir que seuls les politiques peuvent parler politique. Seuls les politiques ont compétence (c’est un mot très important, à la fois technique et juridique) pour parler politique. Il leur appartient de parler 41 Bourdieu (Pierre), « La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », Actes de la recherche en sciences sociales, février 1981, n°36, p.3-24 42 43 44 45 46 Bourdieu (Pierre), Propos sur le champ politique, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2000, 110p. Champagne (Patrick), Christin (Olivier), Pierre Bourdieu - Mouvements d’une pensée, Paris, Bordas, 2004, p.201 Pinto (Louis), Pierre Bourdieu et la théorie du monde social, 2000, Paris, Albin Michel – Points, p.234 Bourdieu (Pierre), « La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », art.cit., p.7 Bourdieu (Pierre), « La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », art.cit., p.7 Bozonnet Grégory - 2008 15 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique de politique. La politique leur appartient. Voilà une proposition tacite qui est 47 inscrite dans l’existence du champ politique. » . Avant d’approfondir cette théorie du champ politique, il convient de souligner qu’un autre chercheur a écrit au sujet de Coluche, Arnaud Mercier. Sa contribution est beaucoup plus récente, il s’agit d’un article paru dans le numéro d’Hermès de mai 2001 consacré à la dérision en politique. Pour cet auteur, Coluche a « poussé à l’extrême la désacralisation » 48 , il l’a poussé à tel point qu’il ne s’agit même plus de « désacralisation, mais d’agression, d’attaque frontale». Pour lui, Coluche a franchi le Rubicon et s’est ainsi retrouvé dans la même position qu’un chien dans un jeu de quille, figure souvent utilisée au cours de cette campagne. Il montrera, en outre, que le bouffon a en fait été consacré comme « vestiges d’une civilisation féodale » par les Lumières, ce qui a totalement terni leur image. Ainsi, selon lui, « les bouffons contemporains sont tolérés tant qu’ils ne vont pas trop loin, tant qu’ils ne bouleversent pas vraiment les règles d’un jeu qui n’a pas à supporter pareille 49 moquerie puisqu’il est démocratique. » . Ceci nous amène donc, à nouveau, à progresser dans notre connaissance de la théorie bourdieusienne du champ politique. Tout d’abord, il convient de donner une définition de ce qu’est un champ. Si l’on se réfère au Dictionnaire du vote de Paul Bacot, « dans le langage scientifique, un champ est un espace limité, concret ou abstrait, pourvu de propriétés particulières. » Ainsi le champ politique est le « champ social structurant la concurrence pour la détention des postes politiques. » sachant qu’un champ social est un « espace structuré 50 de positions déterminant les comportements des agents qui l’habitent. » Cette théorie des champs définie par Pierre Bourdieu n’est pas apparue ex nihilo, Alain Accardo et Philippe Corcuff en montrent les origines : « La théorie des champs est dans la continuité d’une longue tradition de réflexions sociologiques et anthropologiques sur la différenciation historique des activités ou des fonctions sociales et sur la division sociale du travail. De Spencer à Elias en passant par Marx, Durkheim, Weber, ce thème ne cesse, en effet, d’apparaître sous la plume des théoriciens du monde social (…) C’est sans doute la réflexion durkheimienne sur la division du travail social que Pierre Bourdieu a puisé une grande partie des schèmes interprétatifs pour formuler sa 51 théorie des champs.» L’apport principal de son travail sera, en revanche, de montrer qu’il existe des lois communes à tous les champs. C’est notamment ce qu’il explicite dans son ouvrage Question de sociologie. Ainsi, selon lui, « dans tout champ on trouvera une lutte, dont il faut chaque fois rechercher les formes spécifiques, entre le nouvel entrant qui essaie de faire sauter les verrous du droit d’entrée et le dominant qui essaie de défendre le monopole et d’exclure la 52 concurrence. » De plus, un champ se définit par des enjeux et des intérêts spécifiques « on 47 48 Bourdieu (Pierre), Propos sur le champ politique, op.cit., p.55 Mercier (Arnaud), « Quand le bouffon franchit le Rubicon : la candidature de Coluche à la présidentielle de 1981 », Hermès, mai 2001, n° 29, p.175 49 Mercier (Arnaud), op.cit., p.182 50 51 Bacot (Paul), op.cit.,p.39 Lahire (Bernard), dir., Le travail sociologique de Pierre Bourdieu – dettes et critiques, Paris, La découverte, 2001, p.26-27 52 16 Bourdieu (Pierre), Question de sociologie, Paris, Ed. de Minuit, 2002, p.113 Bozonnet Grégory - 2008 Introduction 53 ne pourra pas faire courir un philosophe avec des enjeux de géographe » . Il ajoutait que pour qu’un champ fonctionne, il faut qu’il « y ait des enjeux et des gens prêts à jouer le jeu, dotés de l’habitus impliquant la connaissance et la reconnaissance des lois immanentes du 54 jeu, des enjeux, etc. » Il ajoute après avoir précisé que la structure du champ est un état du rapport de force entre les agents engagés dans la lutte qu’il y a des propriétés moins visibles du champ comme lefait que « tous les gens qui sont engagés dans un champ ont en commun un certain nombre d’intérêts fondamentaux, à savoir tout ce qui est lié à l’existence même du champ : de là une complicité objective qui est sous-jacente à tous les antagonismes », il explique ce fait par l’idée que pour qu’il y ait une lutte, il faut que les antagonistes se soient mis d’accord sur ce qui mérite d’être en lutte. Ainsi, «Ceux qui participent à la lutte contribuent à la reproduction du jeu en contribuant, plus ou moins complètement selon le champ, à produire la croyance dans la valeur des enjeux. Les nouveaux entrants doivent 55 payer un droit d’entrée qui consiste dans la reconnaissance de la valeur du jeu » Dans leur manuel de sociologie politique, Bernard Denni et Patrick Lecomte, précisent les étapes qui ont conduit la politique à se constituer comme un champ : « L’apparition d’un corps spécifique d’hommes politiques vivant "de" la politique et non plus seulement "pour" la politique (Weber) est corrélative au développement de l’Etat moderne et à la mise en place de structures autonomes d’encadrement et de mobilisations populaires, le suffrage universel et les partis politiques. Ces transformations de nature institutionnelle, liées au développement de la bureaucratie et au perfectionnement du système de communication entre gouvernants et gouvernés, créent un ensemble spécifique de rôles politiques différenciés et hiérarchisés qui correspondent à des tâches de plus en plus complexes et spécialisées. Ainsi "la politique devient inévitablement une carrière" (Schumpeter) et les chefs des partis (comme les parlementaires) forment "une classe de politiciens professionnels, de techniciens de la politique, éprouvés et patentés" (Michels) qui conquièrent progressivement le monopole de l’activité, et de la représentation politiques (Gaxie). » Alain Accardo et Philippe Corcuff montreront que l’intervention de Pierre Bourdieu, complètera ces analyses en offrant l’instrument théorique qui permettra de « commencer à analyser avec précision les mécanismes subtils de cette mystification idéologique qui permet de priver, en tout légitimité, une grande partie des citoyens du droit effectif de faire 56 la loi et d’en contrôler l’application. » Ce que Bourdieu montre dans ses écrits c’est que le champ politique s’autonomise. Son indépendance il la doit à un jeu et la maintient par ce jeu qui ne rend l’accès au politique possible que pour les individus possédant le capital politique nécessaire. Il « n’est rien qui ne soit plus absolument exigé par le jeu politique que cette adhésion fondamentale au jeu lui-même ». Pour lui, ceci crée une « solidarité de tous les initiés qui sont liés par cette adhésion fondamentale au jeu » et explique la « logique oligopolistique qui régit l’offre du champ politique. Monopole de la production laissé à un corps professionnels, c'est-à-dire à un petit nombre d’unités de production elles-mêmes contrôlées par les professionnels ». La 53 54 55 56 idem, p.113-114 idem Bourdieu (Pierre), Question de sociologie, op.cit., p.134 Accardo (Alain), Corcuff (Philippe), La Sociologie de Bourdieu – Textes choisis et commentés, Bordeaux, Le Mascaret, 1986, p.120 Bozonnet Grégory - 2008 17 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique concentration de ce capital étant concentré dans quelques mains, ces professionnels ont le pouvoir d’imposer un « effet de censure en limitant l’univers du discours politique et, par là, l’univers de ce qui est pensable politiquement ». La politique est donc le monopole des professionnels. Il n’y a pas de place pour les profanes. Il ajoute que « rien n’est moins naturel que le mode de pensée et d’action qui est exigé par la participation au champ politique », l’habitus du politicien demande un entraînement spécial, un certain langage, une certaine rhétorique. Pour pouvoir accéder à cet habitus, il faut accéder à de grandes écoles telles que l’ENA « chargée de sélectionner et de former les producteurs professionnels de schèmes de pensée et d’expression du monde social ». « L’autonomisation du champ de production idéologique s’accompagne sans doute d’une élévation du droit d’entrée dans le champ, et 57 en particulier d’un renforcement des exigences en matière de compétence ». Bourdieu expliquera par la suite que les règles du jeu, implicitement admises par toute personne entrant dans le champ politique, impliquent que la concurrence dans ce champ ne se fera qu’entre professionnels et non pas entre professionnel et profane. Il ne peut donc y avoir d’intrusion. Pour désigner ce champ politique, il utilise l’expression « microcosme ». « Parler de champ politique, c’est dire que le champ politique est un microcosme, c’est-à-dire un 58 petit monde social relativement autonome à l’intérieur du grand monde social. » On peut ici établir un parallèle entre l’activité politique et l’activité économique. Ainsi nous dirions que d’un côté se trouvent les producteurs qui ont le monopole de la production de produits politiques, offerts sur le marché, formellement ouvert à tout et à tous mais pratiquement limité quant aux producteurs qui y ont accès et aux produits qui y sont proposés, et de l’autre, « les consommateurs de politique » (formule au centre de la campagne de Coluche). La concentration de moyens de production proprement politique aux mains de professionnels et la dépossession corrélative du plus grand nombre, c’est comme cela que nous définirions la fermeture du champ politique. Pierre Bourdieu montre que la fermeture de ce champ politique est liée à son évolution, petit à petit le champ politique s’est professionnalisé, notamment avec la création d’écoles comme Sciences Po ou l’ENA. Le corollaire de professionnalisation est l’autonomisation qui a généré la fermeture. « Plus le champ politique se constitue, plus il s’autonomise, plus il se professionnalise, plus les professionnels ont tendance à regarder les profanes avec une sorte de commisération. Pour faire comprendre que je ne suis pas dans la spéculation pure, j’évoquerai simplement l’usage que certains hommes politiques font de l’accusation d’irresponsabilité lancée contre les profanes qui veulent se mêler de la politique : supportant mal l’intrusion des profanes dans le cercle sacré des politiques, il les rappellent à l’ordre comme les clercs 59 rappelaient les laïcs à leur illégitimité. » Pierre Bourdieu écrit que « Tous ces phénomènes de fermeture du champ politique sur luimême ont été aggravés bizarrement par la télévision et par l’intervention des journalistes. » 60 Il ajoute qu’« actuellement, un des facteurs déterminant de l’existence dans le champ politique, c’est la reconnaissance par les journalistes. » « Aujourd’hui, si j’inclus les journalistes dans le champ politique, c’est qu’ils sont, comme disent les Anglo-saxons, les gate keepers, les gardiens de but [sic], qui contrôlent grandement l’entrée dans le champ 57 58 59 60 18 Bourdieu (Pierre), « La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », art.cit., p.6 Bourdieu (Pierre), Propos sur le champ politique, op.cit., p.52 Bourdieu (Pierre), Propos sur le champ politique, op.cit, p.55 Idem, p.36 Bozonnet Grégory - 2008 Introduction 61 politique » . Il en conclut que « le club de la presse d’Europe 1 est l’équivalent du caucus américain, c’est un lieu où s’élaborent les candidatures politiques importantes. Et être invité à certaines émissions de télévision ou de radio, c’est être consacré comme politiquement 62 important ». Nous ne pourrons pas vraiment détailler d’avantage cette théorie du champ politique, notons, en conclusion, cette formule marquant de l’ouvrage Propos sur le champ politique, « quand on dit à un simple citoyen qu’il est irresponsable politiquement, on l’accuse 63 d’exercice illégal de la politique » En corollaire de cette théorie du champ politique, viennent se greffer les notions d’illusio et d’habitus fréquemment utilisées par Pierre Bourdieu et dont nous devons ici dire quelques mots. Pour lui, « l’illusio, c’est le fait d’être pris au jeu, d’être pris par le jeu, de croire que le jeu en vaut la chandelle, ou, pour dire les choses simplement, que ça vaut la peine de 64 jouer. » Or, cette illusio est acquise par socialisation. L’agent croit que tel enjeux social est important, parce qu’il a été socialisé à le croire. Les intérêts sociaux sont ainsi des croyances, socialement inculquées et validées. En fait, Pierre Bourdieu entre en opposition ici avec le concept d’ « intérêt » wébérien et avec l’utilitarisme de la théorie des choix rationnels, l’intérêt ne peut pas se résumer à un intérêt matériel. Il est la croyance qui fait que les individus pensent qu’une activité sociale est importante, vaut la peine d’être poursuivie. Il existe donc autant de types d’intérêt que de champs sociaux : chaque espace social propose en effet aux agents un enjeu spécifique. Ainsi l’intérêt que poursuivent les hommes politiques n’est pas le même que celui des hommes d’affaires : les uns croient que le pouvoir est la source fondamentale d’utilité, tandis que l’enrichissement économique est la motivation première des businessmen. Pierre Bourdieu a ainsi proposé de substituer au terme d’intérêt celui d’illusio car cette croyance est souvent une illusion. C’est cette illusio qui fait que les individus s’adaptent aux règles du jeu, qu’ils le prennent au sérieux et s’y investissent. En ce qui concerne le second terme, l’habitus pourrait se résumer comme des « systèmes de dispositions durables et transposables, structures structurées disposées à fonctionner comme structures structurantes, c'est-à-dire en tant que principe générateur et organisateurs de pratiques et de représentations qui peuvent être objectivement « réglées » et « régulières » sans être en rien le produit de l’obéissance à des règles, et, étant tout cela, collectivement 65 orchestrées sans être le produit de l’action organisatrice d’un chef d’orchestre » Enfin, pour finir avec ce panorama de la théorie bourdieusienne des champs, il convient de traiter rapidement de ce que peut-être dans l’œuvre de Bourdieu le champ journalistique. On a d’ores et déjà pu voir que Pierre Bourdieu considérait, comme le veut la tradition marxiste, les journalistes comme des « chiens de garde » de la bourgeoisie. Il parle d’une convergence d’intérêts entre les médias et les journalistes et les hommes politiques. Pour Bourdieu, de part leur formation, leur habitus, les journalistes partagent la même vision du monde que les dominants. Les journalistes étant victime de leur ethnocentrisme. Dans son livre préfacé par Pierre Bourdieu, Serge Halimi écrit à propos de cette connivence : « Idées uniformes et 61 62 Idem, p.38 Idem, p.37 63 64 65 Idem, p.55 Bourdieu (Pierre), Raisons pratiques, Paris, Seuil, coll. Points, 1996, p. 153. Bourdieu (Pierre), Le sens pratique, Paris, Editions de Minuit, 1980, p.88-89 Bozonnet Grégory - 2008 19 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique déchiffreurs identiques (…) Entre eux, la connivence est de règle. Ils se rencontrent, ils se 66 fréquentent, ils s’apprécient, ils s’entreglosent. Ils sont d’accord sur presque tout. » Pierre Bourdieu a été extrêmement critiqué pour sa théorie sur le champ journalistique. Il a parfois été perçu comme « un "adversaire des médias" (certains chroniqueurs diront 67 même qu’il avait "insulté" les journalistes). » Le livre en ligne de mire, est, avant tout, 68 Sur la télévision . À sa sortie, un journaliste de Libération le qualifiait de « pamphlet à la fois pessimiste et combatif ». Le sous-titre de notre travail, laisse entendre que nous allons nous livrer à une critique de cette théorie du champ politique. Nous ne cherchons pas à démontrer que la théorie est erronée dans l’absolu, ni à la dépasser. Ce que nous souhaitons montrer, c’est tout simplement que Pierre Bourdieu s’est beaucoup appuyé sur la candidature de Coluche pour établir sa théorie du champ politique alors que l’exemple des candidatures fantaisistes peut en partie contredire sa théorie. Les écrits critiques sur Pierre Bourdieu sont très nombreux. Certains cherchent à corriger un aspect d’une théorie, d’autres voudraient totalement en découdre avec l’œuvre du sociologue. Nous pouvons noter que concernant la théorie du champ politique, les critiques sont, en revanche, assez peu nombreuses. Nous pouvons signaler tout de même qu’Alain Caillé critique une vision trop utilitariste du concept de champs sociaux. Il reproche à Pierre Bourdieu de réduire la vie sociale à une logique utilitariste et de la transformer en terrains de compétition et de concurrence entre les individus et les groupes. Il considère que la sociologie de Pierre Bourdieu obéit à une « axiomatique de l’intérêt », attestée par diverses propositions : l’intérêt économique est le but ultime des acteurs parce que le capital économique est à la base de la constitution des autres capitaux ; même si on peut sacrifier l’intérêt économique, par exemple dans le don, les agents cherchent néanmoins à accumuler du capital symbolique, qui lui-même à la longue permet de réaliser une plus-value économique. Par ailleurs, Bernard Lahire affirme que Pierre Bourdieu oscille, dans sa théorie des champs, entre l’affirmation de la nécessaire autonomisation et la dénonciation de l’absence d’autonomie, adoptant un point de vue normatif. Ainsi, il considère l’autonomie des champs de production culturelle comme bénéfique et hautement souhaitable. Mais, parallèlement, l’autonomie de certains autres champs, et tout particulièrement du champ politique, est sévèrement critiquée en raison de sa clôture qui amènerait les hommes politiques à ne plus s’intéresser qu’aux enjeux politiciens (la « politique politicienne ») en passant par-dessus la tête des citoyens ordinaires, dont ils sont pourtant les représentants. C’est cette autonomie du microcosme politique qui rendrait raison en partie de la désaffection des Français pour les affaires publiques. Il ira jusqu’à affirmer que « la théorie des champs peut être un obstacle à la connaissance du monde social dans la mesure, tout d’abord, où elle ignore les incessants passages opérés par les agents appartenant à un champ entre le champ au sein duquel ils sont producteurs, les champs dans lesquels ils sont de simples consommateursspectateurs, et les multiples situations qui ne sont pas référables à un champ, réduisant 69 l’acteur à son être-comme-membre-d’un-champ. » Pour lui, la théorie des champs ne peut pas constituer une théorie générale et universelle, mais représente une théorie partielle du monde social. 66 Halimi (Serge), Les nouveaux chiens de garde, Paris, Raisons d’agir, 2005, p.111 67 68 69 20 Pinto (Louis), Sapiro (Gisèle), Champagne (Patrick), dir., Pierre Bourdieu, sociologue, Paris, Fayard, 2004, p.432 Bourdieu (Pierre), Sur la télévision, Paris, Liber, 1996, 95p. Bonnewitz (Patrice), Pierre Bourdieu – vie, œuvres et concepts, Paris, Ellipses, 2002, p.70 Bozonnet Grégory - 2008 Introduction Pour se recentrer à présent sur notre sujet, nous allons donc confronter cette théorie du champ politique aux campagnes de Pierre Dac, Coluche et Dieudonné. A partir de la théorie que nous avons développée, nous avons émis comme hypothèse que ces candidatures présentées par des personnes extérieures au champ politique, seront dénoncées par les médias et les hommes politiques. Ainsi, les premiers devraient décrier cette candidature et rapidement cesser d’en parler, la censurer ; alors que les derniers devraient refuser de prendre en considération ces candidatures et faire bloc pour les mettre hors-jeu. Afin d’interroger ces hypothèses, de les infirmer ou de les confirmer, nous allons nous appuyer sur la question suivante : en quoi peut-on dire que les comiques professionnels ayant fait acte de candidature à une élection présidentielle ont été mis hors-jeu par le personnel politique et les médias ? Ce qui revient à se demander dans un premier temps en quoi les médias remplissent le rôle de gate keeper du champ politique, pour ensuite réfléchir en quelle mesure les professionnels de la politique sont-ils amenés à manifester leur volonté d’exclusion de ces candidatures. Le terrain que nous avons choisi est indissociable de cette question. Des précisions s’imposent tout de même : les médias seront représentés exclusivement par la presse écrite. Nous aurions pu décider de travailler sur les journaux et émissions télévisés ou radiodiffusés, mais le peu de temps qui nous était imparti et la difficulté d’accéder à de telles archives pour les élections présidentielles de 1965 et 1981 nous a amené à nous centrer sur la presse écrite. Toutefois, travailler sur la presse écrite ne signifie pas forcément travailler sur toute la presse écrite, un choix doit encore s’opérer. Etant donné que notre travail est centré sur les élections présidentielles, il ne semblait pas opportun de nous tourner vers la presse écrite locale, nous n’avons donc retenu que des titres présentés dans la presse nationale [à l’exception près du Quotidien de Paris et du Matin de Paris, qui ont été analysés pour la candidature de Coluche après conseils de Jean-Michel Vaguelsy, le « bureau-politique ambulant » de Coluche]. Alors que nous nous orientions vers un corpus exclusivement composé de presse quotidienne nationale, nous avons pris conscience qu’une grande partie du débat, notamment pour la candidature de Coluche, était présenté dans la presse hebdomadaire, nous avons donc élargi notre terrain à ces journaux. Afin de présenter l’angle de vue le plus large et le plus grand nombre d’articles nous avons essayé de retenir des journaux de toutes tendances politiques. Les journaux n’étant pas immuables, ni éternels, il était impossible de conserver la même sélection de titres pour les trois candidatures. Ainsi pour Pierre Dac, nous nous sommes tournés vers Le Canard Enchaîné, L’Humanité, Le Nouvel Observateur, Le Monde, L’Aurore, Le Point, L’Express, Le Figaro. Pour la candidature de Coluche, le nombre de journaux est un peu plus important pour plusieurs raisons, d’une part nous avons pu reprendre le corpus de texte d’un mémoire précédent et nous avons pu l’élargir vers de nouveaux titres, et d’autre part cette candidature a été traitée par un très large éventail de journaux différents. Ainsi, les titres retenus sont donc Charlie Hebdo, Le Canard Enchaîné, L’Humanité, Libération, Le Quotidien de Paris, Le Matin de Paris, Le Nouvel Observateur, Le Monde, La Croix, Les Nouvelles Littéraires, L’Express, Le Point, Le Figaro, Minute et Rivarol. Enfin, pour établir notre corpus pour les candidatures de Dieudonné, nous avons utilisé Factiva pour réunir les articles des principaux journaux nationaux. Outre les titres disponibles sur Factiva (Libération, Le Figaro, Le Monde, La Croix, L’Express, Le Nouvel Observateur) nous avons fait des recherches sur L’Humanité, Minute et Rivarol. Dans la mesure du possible, nous avons retenu pour ces candidatures tous les articles de ces titres faisant allusion à la campagne des candidats et ce pendant toute la durée de celle-ci. Ainsi nous avons retenu les articles parus entre le 13 février et le début du mois de juillet 1965 pour la candidature de Pierre Dac ; ceux publiés du 31 octobre 1980 au début avril 1981 pour Coluche ; et de novembre 2000 à mars 2002, puis pendant le dernier trimestre 2006 pour les candidatures de Dieudonné. Avant de présenter nos hypothèses et nos méthodes, notons tout de même, Bozonnet Grégory - 2008 21 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique que les titres et périodes donnés pour Pierre Dac sont donnés à titre indicatif, puisque nous n’avons, en fait, pas trouvé la moindre ligne accordée à cette candidature dans ces journaux. Pour Coluche et Dieudonné, le nombre d’articles total est légèrement supérieur à quatre cents, dont trois quarts pour la candidature de Coluche qui a suscité beaucoup plus de réactions. Afin de présenter au mieux, le résultat de notre réflexion, nous allons dans un premier temps interroger le rôle des médias dans l’éventuelle exclusion des comiques professionnels du champ politique. Nous nous arrêterons souvent sur les mots et expressions de ceux-ci car comme le soulignait Pierre Bourdieu, « parmi les choses qui dépendent des journalistes, il y a le maniement des mots. C’est à travers les mots qu’ils 70 produisent des effets, qu’ils exercent une violence symbolique. » Par la suite, nous intéresser à cette exclusion en regardant par quels moyens les hommes politiques ont-ils pu chercher à mettre au ban ces candidatures marginales. 70 Bourdieu (Pierrre), « Question de mots – une vision plus modeste du rôle des journalistes », in Les Mensonges du golfe, Paris, Arléa, 1992, p.27-36 22 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? Comme nous venons de le signaler, une des critiques que nous voudrions apporter à la théorie du champ politique de Pierre Bourdieu réside dans le rôle annoncé des médias comme « gate keepers » du champ politique. Nous ne quittons pas, bien sûr, notre terrain composé de journaux, mais nous évoquerons parfois les autres médias, en nous demandant toujours si les comiques professionnels sont victimes, ou non, d’un traitement médiatique qui aurait tendance à les écarter des campagnes durant les élections présidentielles. Pour ce faire, nous allons dans un premier temps montrer que les médias ne marginalisent pas quantitativement les candidatures des comiques professionnels, pour ensuite mettre en question leur volonté d’exclure les candidats du champ politique. Les médias ne marginalisent pas particulièrement les candidatures fantaisistes Dans le but d’interroger le rôle des médias dans la mise à la marge des candidatures fantaisistes - nous utilisons ce terme générique pour désigner, rappelons-le, les candidatures de Pierre Dac, Coluche et Dieudonné – nous allons analyser dans un premier temps le traitement quantitatif de ces candidatures dans la presse, pour ensuite mettre en question une possible stratégie de la censure de la part de ces candidats. Aux candidats fantaisistes la levée de rideau, aux candidats patentés le reste de la campagne Afin d’essayer de quantifier, l’évolution du traitement médiatique des candidatures fantaisistes, nous allons faire une présentation diachronique de ces campagnes. Nous verrons donc dans un premier temps le comportement des médias au moment de l’annonce de la candidature des comiques professionnels, pour ensuite nous intéresser au traitement médiatiques des dites campagnes quelques mois avant le premier tour. Une couverture médiatique en début de campagne que beaucoup envient « On peut aimer ou détester leur numéro, on peut aimer ou, redouter ce qu'ils 71 annoncent, on ne peut pas les ignorer. » Afin de préciser le traitement médiatique des campagnes des humoristes professionnels, nous nous devons tout d’abord de rappeler que nous n’aborderons quasiment pas la candidature de Pierre Dac. Nous reviendrons, par la suite, sur les raisons qui ont pu pousser les journaux à ne pas parler de cet acte de candidature, mais nous pouvons, d’ores et déjà, 71 Chambraud (André), « Cassandre et le saltimbanque », Le Point, 24 novembre 1980, n°427, p.44 Bozonnet Grégory - 2008 23 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique préciser que le livre que lui a consacré Jacques Pessis, Pierre Dac, mon maître soixante72 trois , ne traite de cette candidature que sur quelques lignes alors que l’ouvrage atteint presque les cinq cents pages. Cela montre que contrairement aux deux autres comiques qui ont fait acte de candidature à une élection présidentielle, la candidature de Pierre Dac n’a pas été un temps fort de sa carrière. En ce qui concerne les candidatures de Coluche et de Dieudonné, les choses sont différentes, malgré certaines similitudes. Lorsque Coluche annonce son intention de se présenter, aucun des grands candidats n’a fait acte officiellement de candidature. En fait, Coluche se déclare, nous l’avons vu, le 30 octobre 1980, alors que la déclaration officielle de candidature de François Mitterrand aura lieu le 24 janvier 1981 et celle Valéry Giscard d’Estaing, le 3 mars. Même si la candidature à sa propre succession de VGE ne faisait guère de doute et que dès la mi-novembre la candidature de François Mitterrand était amorcée au sein de son parti, nous sommes en mesure d’imaginer que l’absence de déclarations officielles va laisser un espace dans lequel vont se précipiter les petits candidats et notamment les candidats fantaisistes. C’est probablement ce qui peut justifier les annonces de candidatures très anticipées de Dieudonné M’bala M’bala, en effet, il se déclara candidat le 30 novembre 2000 pour la présidentielle de 2002, et en janvier 2006, pour celle de 2007. À titre d’exemples, notons que Jacques Chirac s’était officiellement déclaré candidat le 11 février 2002 et Lionel Jospin, le 20. Cet élément avait aussi d’ailleurs caractérisé la candidature de Pierre Dac, déclaré candidat en février 1965, alors que François Mitterrand ne l’avait fait que le 9 septembre et Charles de Gaulle, le 4 novembre. Coluche pense que le succès de sa candidature réside dans cet élément, il déclara, en effet, « j'ai envoyé un télégramme aux agences pour annoncer une conférence de presse. Tous les journalistes étaient là. Ils se sont dit : si je n'en parle pas, lui en parlera... Et c'est parti... En plus, les journaux ne savaient pas quoi dire. Normal : les principaux candidats ne 73 l'étaient pas...» La recette fonctionne à merveille. La campagne de Coluche est annoncée à la radio et à la télévision. La presse est présente pour relayée l’information. À travers un article en une, et une interview du candidat Coluche, Libération affirme d’ores et déjà la sympathie que sa rédaction peut avoir pour la candidature de l’humoriste. Si ce journal va réussir à décrocher une interview, c’est, il faut le dire, parce que Maurice Najman, journaliste à Libération proche de Romain Goupil était devenu un ami de Coluche. Ce quotidien n’est toutefois pas le seul à rendre compte de cette conférence de presse. Le Matin de Paris, Le Quotidien de Paris, et surtout La Croix et Le Monde annonceront cette candidature le lendemain dans leurs colonnes, souvent avec un titre en une. Le Monde va montrer toute la complexité de rendre compte de cette « plaisanterie à caractère social ». En effet, c’est Mathilde la Bardonnie qui devra couvrir cet événement. Le choix d’envoyer cette journaliste en dit long sur les intentions du journal puisqu’elle couvre habituellement les pages spectacles, théâtre. Pourtant, le lendemain, c’est à la page huit que l’on retrouve l’article sur Coluche, soit dans les pages politiques. Il est possible que le quotidien de référence ait pris le temps d’observer ce que les autres rédactions faisaient pour prendre leur décision. Tous les autres journaux ayant, en effet, publiés cette information dans leurs colonnes politiques. Nous insistons, beaucoup sur la place accordée à cette information, parce que, pour nous, il s’agit d’un premier élément qui peut quelque peu contredire ce que pouvait écrire Pierre Bourdieu. Paraître dans les colonnes politiques d’un journal aussi important que La Croix ou Le Monde correspond pour Coluche à une première estampille politique. D’autant plus que l’article signée Mathilde la Baronnie est tout à fait élogieux : « Ce 72 Pessis (Jacques), Pierre Dac, mon maître soixante-trois, Paris, éditions François Bourin, 1992, 479p. 73 24 Najman (Maurice), « Coluche conférencier à Polytechnique », Libération, 20 janvier 1981, n°, p.9 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? serait quand même drôle, ce serait quand même bien s'il les recueillait, Coluche, le candidat Coluche, les satanées cinq cents signatures de "personnalités" habilitées au parrainage 74 pour Le marathon présidentiel. Ce serait "sympa" » . A travers ces articles Coluche a fait plus qu’entrer dans les colonnes politiques, il est entré dans la campagne. En fait, il ne quittera plus les pages politiques avant le 26 novembre et la mort de son régisseur-lumières René Gorlin. À ce moment précis de la campagne, il entrera dans la rubrique faits divers, puisque son régisseur a été retrouvé mort assassiné dans une carrière désaffectée. En outre, une semaine plus tard, Coluche recevra des menaces de mort signées « Honneur de la police », groupe qui avait revendiqué l’assassinat de Pierre Goldman en septembre 1979. Ces deux événements marqueront un tournant dans la campagne de l’humoriste qui avait pris ses habitudes dans les colonnes politiques. Le début de candidature de l’humoriste Dieudonné sera très similaire à celui de la candidature de Coluche, qu’il prend pour modèle. En effet, il a, à son tour, décidé d’amener les journalistes sur son terrain. Ainsi, alors que Coluche avait tenu une conférence de presse au théâtre du Gymnase, Dieudonné a invité les journalistes au théâtre de la Main d’or. À cette occasion il a placé son initiative dans « le courant d'action de Coluche » en affirmant 75 qu’il était « attaché à ce personnage comme le RPR est attaché au gaullisme» . D’ailleurs quand un journaliste lui demandera des prévisions sur sa candidature, Dieudonné répondra avec des expressions que Coluche utilisait lors de sa candidature. « Quitte à voter pour des humoristes, autant voter pour des professionnels. Un bouffon à la cour doit parfois prendre la couronne et se la mettre sur la tête. On me pose souvent la question de savoir si ma 76 candidature est sérieuse. Pourquoi ne pas aussi la poser aux autres ? » Mais si Dieudonné reçoit lui aussi, le droit d’être accueilli dans les colonnes politiques des quotidiens français. Il en sortira beaucoup plus vite que Coluche puisqu’en fait, malgré le fait qu’il ait annoncé sa candidature très tôt, il ne rentrera en campagne que quelques semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle. « Dieudonné erre entre deux spectacles et deux promos. Pour corser le tout, [il] est injoignable, entre deux voyages, entre deux scènes. Bref, loin de sa campagne électorale. Elle se jouera essentiellement sur la scène de Bobino, à partir 77 du 7 février et jusqu'au 7 avril. Soit deux semaines avant le premier tour. » Pour revenir à la candidature de Coluche, si nous parlions d’une première estampille politique en évoquant son entrée dans les colonnes politiques du Monde, ce qui va réellement lui faire prendre du poids dans la campagne, c’est la une que va lui consacrer le Nouvel Observateur la semaine même où François Mitterrand va se déclarer disponible pour mener le parti socialiste à l’élection présidentielle. Philippe Boggio écrit, dans sa biographie de référence, que « le 17 novembre, Le Nouvel Observateur donne, plus 78 ou moins volontairement, un sérieux coup de pouce à cette campagne fourre-tout.» L’expression « plus ou moins volontairement » est de rigueur. À la lecture des articles publiés dans ce magazine, il est difficile de penser que le magazine ait réellement voulu 79 aider Coluche. En effet, on peut relever dans son éditorial que Jean Daniel, qui craint que la candidature de Coluche puisse « dégénérer rapidement en un mouvement de pure 74 75 76 77 78 79 La Bardonnie (Mathilde), art.cit., p.8 « Dieudonné, candidat à la présidentielle », Libération, 1 er Décembre 2000, p.18 Douguet (Gwen), « Dieudonné, le sérieux du bouffon », Le Figaro, 13 juin 2001 Hassoux (Didier), « Le « cocorico » de Dieudonné », Libération, 2 février 2002 Boggio (Philippe), Coluche, Paris, Flammarion, 1991, p.248 Daniel (Jean), «De Coluche à Peyreffite », Le Nouvel Observateur, 17 novembre 1980, n°836, p.44 Bozonnet Grégory - 2008 25 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique vulgarité antipolitique », pense que la présence de l’humoriste à cette élection montre que « nous sommes au creux de la vague ». Toutefois, outre cet article, ce numéro du Nouvel Observateur présente un portrait de « La France de Coluche » et surtout un sondage qui va faire grand bruit. Nous reviendrons plus tard sur la présence de Coluche dans les sondages, mais notons que celui-ci, bien qu’il n’ait pas la moindre valeur scientifique, va faire le jeu de Coluche. 27% des 500 abonnés au Nouvel Observateur parisiens interrogés se déclarent enclin à voter Coluche. Notons qu’en outre, ce numéro du Nouvel Observateur est loin d’être passé inaperçu. Vendu à grand renfort de publicité, comme on peut le voir ci-dessous, 80 l’hebdomadaire aurait, selon Jean-Michel Vaguelsy , augmenté de 65% ses ventes sur ce numéro, soit un peu plus de quatre cent mille exemplaires. Coluche entre dans la campagne et prouve aussi par la même occasion qu’il peut être une véritable manne financière. Peut-être par effet d’imitation, ce que Pierre Bourdieu appelle la « circulation circulaire de l’information », ou peut-être parce que dédouanés par le fait qu’ils ne sont pas les premiers à le faire, les journalistes vont se sentir plus libres d’écrire sur Coluche, mais c’est après ce numéro du Nouvel Observateur que la campagne de Coluche va connaître sa plus grande médiatisation. Coluche sera invité sur France Inter quelques jours plus tard et L’Humanité ainsi que Le Figaro vont faire paraître leurs premiers articles sur cette candidature. « C’est l’embrasement. La plus forte couverture de presse qu’un homme 81 politique puisse espérer. » Il ne se passe pas un jour sans qu’un article à propos de Coluche paraisse dans un grand quotidien national. Le Monde retranscrit au jour le jour tous les commentaires que les hommes politiques et autres personnalités médiatiques peuvent faire sur la candidature de Coluche. Un éditorial signé Raymond Barillon redonnera une fois encore une vraie importance à la candidature de Coluche, même si sa position est diamétralement opposée à celle que Mathilde la Bardonnie exposait en début de campagne. De nombreux éditorialistes saisissent d’ailleurs l’occasion pour critiquer un fait plus ou moins lié et pour donner leur point de vue sur l’état actuel de la France. Le Matin de Paris consacrera un article presque tous les jours à cette candidature et réservera même, le 24 novembre, quatre pages centrales pour un débat sur cette campagne au sein de la rédaction. Les journalistes du Quotidien de Paris, plus critiques, s’interrogent sur cette candidature, pendant qu’un, voire plusieurs articles, sont publiés chaque jour dans Libération. Articles sur les intellectuels, reportages dans les comités de soutien à la candidature de Coluche, les journalistes de Libération ne laissent pas passer une occasion de s’exprimer à ce sujet. Du côté de la presse hebdomadaire, l’article du Nouvel Observateur a lui aussi ouvert la porte à de nombreuses pages publiées sur Coluche. L’équipe de Charlie Hebdo n’avait pas attendu le magazine proche du parti socialiste pour exprimer, à ce sujet, toute leur créativité, mais des hebdomadaires comme Le Point commenceront à faire paraître des articles au sujet de cette candidature la semaine suivant la parution du numéro sur « la France de Coluche ». La rédaction du Nouvel Observateur probablement satisfaite des ventes du numéro précédent laissera une place sur ses unes les deux semaines suivantes pour la candidature de Coluche. Elle va s’intéresser notamment aux retombées de l’article. Sans que Coluche n’ait réellement fait acte de campagne, il n’a pas tenu de réunions publiques en dehors de sa conférence de presse du mois d’octobre, il y a eu un véritable emballement médiatique. De nombreuses émissions sont proposées à Coluche. « Les responsables des sociétés de télévision ne dev[aient] pas considérer comme, négligeable 80 81 26 Vaguelsy (Jean-Michel), op.cit., p.43 Boggio (Philippe), Coluche, Paris, Flammarion, 1991, p.244 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? 82 cette occasion de faire grimper les sondages d'audience. » Il sera ainsi invité au mois de décembre à Radio-7, et en plus d’autres émissions de variétés, il participera à l’émission prévue pour le réveillon de la Saint Sylvestre sur France 2. Du moins, c’est ce qui était prévu. Après la mort de René Gorlin, qui va être vraisemblablement l’événement le plus médiatisé de la campagne de Coluche, l’excitation médiatique va retomber d’un cran. Ceci n’est probablement pas lié à ce meurtre dans l’entourage de Coluche, mais à d’autres éléments que nous allons analyser par la suite. On peut souligner, en effet, qu’un dernier point sera très médiatisé, il s’agit du premier sondage d’opinion dans lequel Coluche est proposé comme item. Nous en reparlerons, mais on peut dire que les 10 ou 12,5% dont il est crédité dans ce sondage (selon la présence, ou non, de Michel Debré) vont probablement beaucoup marquer cette campagne. Avant de poursuivre notre réflexion, nous voudrions reproduire, trois graphiques que nous avions réalisés lors d’un précédent travail. Ces graphiques ont été réalisés en prenant en compte le nombre de mots des articles ayant pour sujet principal Coluche dans chaque journal traité. On ne retrouve pas l’ensemble des titres présentés pour la simple raison que notre corpus pour ce précédent travail était moins large. A travers ce graphique, nous voyons que malgré le fait qu’il restera quinze semaines de campagne après la parution du sondage dans Le Quotidien de Paris seul Libération (et dans une toute autre mesure L’Humanité) continuera à faire paraître à peu près autant d’articles au sujet de cette candidature. Nous reproduisons aussi, ci-dessous, deux graphiques montrant l’évolution chronologique du traitement dans la presse de candidatures de Coluche. Nous voyons que ce traitement a été beaucoup plus bref dans les hebdomadaires, malgré le fait qu’ils aient commencé plus tard, ces magazines ont plus vite cessé de rendre compte de cette candidature. Nous voyons aussi que le traitement médiatique de la campagne de Coluche retrouvera un nouvel essor en fin de campagne, ce que nous allons par la suite tenter d’expliquer. L’extinction prévisible du feu médiatique à la fin de la précampagne « Coluche est parti trop tôt. A force de se répéter. Il va finir par nous 83 emmerder. » A travers les graphiques que nous venons de présenter nous pouvons voir que les journalistes qui avaient écrit massivement sur la campagne de Coluche vont peu à peu cesser d’en parler. Avant de relever les causes de ce ralentissement, nous nous devons de rappeler que la médiatisation était particulièrement importante au début de la campagne ce qui nous a amené à nuancer l’idée de Pierre Bourdieu comme quoi les journalistes seraient les gardiens de l’entrée du champ politique. En fait, nous pouvons même souligner qu’une candidature comme celle de Coluche met la théorie bourdieusienne du champ journalistique face à un certain paradoxe. En effet, d’un côté, Pierre Bourdieu pense que les journalistes vont interdire l’entrée des fantaisistes dans le champ politique de l’autre, pour cet auteur, « les journalistes "opèrent une sélection et une construction" du réel à parti de "lunettes" bien particulières qui les amènent à privilégier le sensationnel et le spectaculaire au détriment 84 du reste» , ainsi ils pourraient être amenés à traiter cette candidature puisqu’elle est très médiatique et qu’elle a le mérite de faire vendre des journaux. En voyant se dessiner les graphiques que nous présentions auparavant, nous avons pu émettre l’hypothèse que la 82 83 84 La Bardonnie (Mathilde), art.cit., p.8 Lhomeau (Jean-Yves), « Il est parti trop tôt », Le Monde, 3 décembre 1980,n°11 148 p.10 Bourdieu (Pierre), Sur la télévision, op.cit., p.18 Bozonnet Grégory - 2008 27 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique presse se défaisait de ce paradoxe en profitant du côté spectaculaire de telles campagnes dans un premier temps puis en reprenant son rôle plus sérieux de gate keeper dans un second. C’est que nous allons essayer de comprendre dans cette partie. Sur le schéma présenté précédemment, nous avions indiqué la date du 31 décembre avec la légende : « Antenne 2 censure Coluche », nous reviendrons par la suite pour essayer de préciser s’il y a eu, ou non censure, mais notons que les deux émissions que nous citions auparavant, celle de Radio-7 et celle d’Antenne 2 seront finalement décommandées. En fait, Coluche ne réapparaîtra pas en direct à la télévision après l’émission de Guy Lux sur 85 TF1 le 10 décembre 1980 , il fera une mince apparition dans un sketch enregistré au début de l’année 1981 sur la même chaîne. Il en va de même pour la radio dont il disparaîtra totalement jusqu’à la fin de la campagne. Coluche se rendra d’ailleurs au siège de Parti Socialiste, le soir de la victoire de François Mitterrand, le 10 mai, et lorsqu’un journaliste essaiera de lui demander ce qu’il pense de la victoire socialiste, il répondra simplement « Tiens donc vous êtes là ? Ça fait longtemps que je ne vous avais pas vus ! ». Toutefois, il faut souligner que le traitement médiatique de la candidature de Coluche n’a pas totalement pris fin après la parution du sondage dans Le Quotidien de Paris. Notons tout d’abord que la semaine suivante, Coluche sera en une de L’Express pour un dossier de plusieurs pages qui mobilisera quatre journalistes. Bien que les articles de ce magazine furent un concentré de tout ce qui a pu être écrit de plus agressif sur l’humoriste et sa campagne, ce numéro prouve au moins que Coluche continue à faire débat dans la presse écrite. D’ailleurs, leur premier numéro de l’année 1981 réservera une place conséquente à un débat des lecteurs sur le dossier paru le 17 décembre 1980. Parallèlement, les autres journalistes de la presse hebdomadaire continuent à présenter des articles sur le sujet. Un article dénonçant la censure faite à cette candidature peut être lu dans les colonnes du Nouvel Observateur, pendant que dans Le Point on peut toujours trouver des analyses politiques de cette campagne, notamment appuyées par des sondages. Du côté de la presse quotidienne, Coluche est loin d’avoir totalement disparu. Si les journalistes du Figaro attendront l’annonce du retrait de la candidature de Coluche, le 16 mars 1981, pour réaborder directement le sujet (entre temps, ils font paraître des articles qui indirectement concernent Coluche, par exemple, un article qui explique l’intérêt de la loi des cinq cents 86 signatures et un article qui appelle à la reconnaissance des votes blancs et nuls pour 87 éviter les candidatures fantaisistes ) la plupart des journaux vont rendre compte de tous les faits de campagne de l’humoriste. En effet, Coluche avait profité d’un véritable emballement médiatique sans qu’il n’ait vraiment réalisé le moindre acte de campagne. Cet emballement ayant fini par s’estomper, le « candidat nul », va concevoir quelques événements pour attirer les médias. Ainsi, les 17 et 19 janvier, Coluche va respectivement proposer de faire scène commune avec des petits candidats et donner une conférence chez les X. Ces deux événements seront de relatifs échecs médiatiquement parlant. Toutefois, on peut noter que les deux événements sont relayés dans Le Monde ainsi que dans Libération, Le Matin et Le Quotidien de Paris, même le journal L’Humanité pourtant peu prolixe au sujet de l’humoriste, rappelons qu’il est à l’époque l’organe officiel du Parti Communiste Français, publiera quelques mots à propos de la venue de Coluche à Polytechnique à l’initiative d’une des listes en lice pour devenir le nouveau bureau des élèves de l’école. Le dernier fait de campagne de l’humoriste sera développé plus en détails par la suite, lorsque nous 85 86 87 Vaguelsy (Jean-Michel), op. cit., p.56 Thibon (Pierre), « Présidentielle, Pourquoi cinq cents », Le Figaro, 10 mars 1981, n°11 357, p.1 Desaubiliaux (Patrice), « Contre les candidatures fantaisistes, La reconnaissance du bulletin blanc », Le Figaro, 27 janvier 1981, n°11 321, p.6 28 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? reviendrons sur cette loi des cinq cents signatures, mais notons qu’il sera tout de même traité dans trois quotidiens nationaux, dont Le Monde, alors qu’il s’agit d’une conférence de presse dédiée exclusivement aux médias anglo-saxons. Lors de cette conférence de presse, Coluche a, en effet, annoncé qu’il avait réuni 632 signatures d’élus habilités ce qui lui permettrait d’aller au premier tour de l’élection présidentielle. Force est de constater, que du 30 octobre au 2 avril, la presse écrite n’a jamais totalement cessé de traiter la candidature de Coluche. Si l’emballement médiatique s’est certes estompé au bout de quelques semaines, de nombreux journaux étaient encore là au moment où Coluche a annoncé qu’il continuait sa campagne après avoir envoyé une dépêche à l’AFP comme quoi il donnerait une conférence de presse pour annoncer son retrait de la course à la candidature. Il annonce, en effet, le 16 mars, qu’il ne réunira pas les signatures nécessaires, tout en continuant à faire croire qu’il est encore candidat, ce que Le Monde fait tout de même paraître dans les colonnes de son journal. Pour rester dans ce quotidien de référence tout en avançant un peu dans la compréhension du traitement médiatique de cette candidature, nous avons réalisé ce tableau qui présente les articles parus en pages politiques du Monde et leur répartition par candidat. Nous pouvons souligner que la candidature de Coluche, même dans la dernière partie de sa campagne n’est pas moins médiatisée que celles des autres petits candidats. C’est finalement plutôt le traitement médiatique de son début de campagne qui semble anormal. En effet, nous pouvons remarquer que lors des deux premiers mois de la campagne de l’humoriste, seuls François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing se sont vus accorder plus d’articles que Coluche, et aucun n’a réussi à obtenir autant de brèves (nous avons considéré comme brève, tout article occupant moins d’un quart de page). Dans la suite de la campagne, Coluche se voit accorder un nombre d’articles supérieur à la plupart des petits candidats que nous avons pourtant choisi parmi les plus médiatiques de cette campagne présidentielle, ce qui le place, comme il le déclarait en début de campagne, dans la position de « � cinquième candidat � le premier des vingt-cinq candidats qui n’ont 88 aucune chance» . On peut tout de même souligner que plus on approche de la fin de la campagne, plus les articles traitant de l’humoriste se raréfient, pour d’autant plus renforcer la présence de François Mitterrand et de Valéry Giscard d’Estaing, ainsi que celle de Jacques Chirac et Georges Marchais, les quatre candidats que Coluche, mais également d’autres observateurs, se plaisaient à nommer « la bande des quatre ». Pierre Bréchon développe cette idée dans son ouvrage que nous citions auparavant : pour lui, l’avènement de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct a fait que la vie politique française s’organise de plus en plus autour de cet événement, ce qui a donc eu de « puissants effets 89 bipolariseurs » . Cet effet bipolariseur étant donc prévisible, on pouvait anticiper le fait que la candidature de Coluche soit de moins en moins traitée à l’instar de celle des autres petits candidats. D’autres éléments vont peut-être aller dans ce sens. En fait, on peut noter une sorte de phénomène d’usure, de lassitude. On voit sur le graphique que certaines semaines, les journalistes de Libération, que l’on peut difficilement accuser de vouloir se détourner de la campagne de l’humoriste, ne trouvent rien à écrire à ce sujet. Il faut dire que la campagne de Coluche n’a pas été très fournie en événements, il n’a par exemple jamais fait le moindre meeting, n’est jamais allé à la rencontre de comités de soutien à sa candidature qui s’étaient formés ça et là. Il est vrai que Coluche a alimenté, tout au long de sa campagne, les journaux qui soutenaient sa candidature, il convient d’ailleurs de préciser un 88 89 La Bardonnie Mathilde, art.cit, p.8 Bréchon (Pierre) (dir.), Les élections présidentielles en France – quarante ans d’histoire politique, Paris, La documentation française, 2008, p.21 Bozonnet Grégory - 2008 29 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique peu leur rôle. Le journal officiel de cette campagne sera sans conteste Charlie Hebdo, mais Coluche sera également invité à collaborer au journal Libération par des aphorismes publiés quotidiennement entre le 4 novembre et le 20 janvier 1981. Ces deux journaux fidèles à Coluche le font tout d’abord par amitié. Nous avons déjà pu préciser que Maurice Najman, était devenu un ami de Michel Colucci, et il en était de même pour l’équipe de Charlie Hebdo qui se retrouvait très régulièrement réunie au domicile de l’humoriste. De plus, « Maurice Najman [et] les amis de Charlie-Hebdo se comptent parmi les réfractaires à cette élection, 90 pour eux sans enjeux.» Grâce à leur soutien, Coluche pouvait bénéficier d’une tribune garantie pour la durée de l’élection. Pourtant, preuve que si les autres journalistes vont petit à petit se désintéresser de la campagne de l’humoriste, c’est aussi parce qu’il y a une lassitude de celui-ci, et Coluche va de sa propre initiative cesser de publier ses aphorismes dans les colonnes de Libération. Ce fait montre combien il est dur pour un humoriste de tenir la distance sur une campagne aussi longue. Coluche a probablement finit par perdre son inspiration et par lasser. C’est ce qui ressort de la confession faite à un journaliste de Libération par Berroyer, pourtant proche de Coluche : « quand il n'est pas là pour le dire avec sa voix, ses tics et son gros bide en avant, personne ne rit. La phrase quotidienne de Libé par exemple, je trouve ça nul ». C’est déjà ce qu’avait mis en avant Delfeil de Ton dans Le Nouvel Observateur du 17 novembre 1980 : « Coluche, candidat à la présidence de la République, y va de sa pensée tous les jours dans Libération. C’est aussi nul que ce que racontent les autres candidats. Il serait temps que ça change ». En outre, sans vouloir porter de jugement, les pages allouées à la candidature de Coluche dans Charlie Hebdo, intitulées Coluche Hebdo, ne sont qu’une succession de messages envoyés par les supporters de la candidature de Coluche, l’humoriste n’ayant jamais alimenté lui-même ces pages. Nous pouvons tout de même ajouter, qu’en dehors de ces pages, l’équipe de Charlie Hebdo trouvera toujours d’excellents moyens de soutenir la campagne, notamment à travers les appels situés en dernière page jusqu’à la fin du mois de Janvier. En panne d’inspiration et sans réels actes de campagnes, on était en mesure d’imaginer que les autres journaux allaient se détourner de cette candidature. Ce que prévoyait très tôt un journaliste de Libération : « L'effet-media devrait à présent s'estomper : on ne peut répéter à longueur 91 de colonnes : la politique est malade, le discours politique doit se renouveler.» Quand Coluche met fin à sa campagne, on peut lire dans Le Quotidien de Paris : « Ainsi estil mis fin à une plaisanterie qui ne devenait pas meilleure de traîner en longueur. Depuis quelque temps déjà le cœur n'y était plus ; le bluff ne faisait que cacher la déconfiture et il y a quinze jours, le candidat nul (et nu), incapable de créer l'événement, avait paru quelque 92 peu dépassé » . Maintenant que nous avons précisé le traitement médiatique de la fin de campagne de Coluche, il convient de revenir sur celle de Dieudonné. Nous allons être plus bref à son sujet dans la mesure où nous reviendrons en grande partie sur cette médiatisation dans la suite de notre réflexion sur la censure. Notons tout de même que, comme nous le signalions auparavant, Dieudonné n’a entamé sa campagne qu’au début de l’année 2002. Il est donc arrivé dans la dernière ligne droite, ce qui aurait pu expliquer que les journaux se détournent de lui, pour se centrer sur des candidatures qui ont plus de probabilité d’arriver au second tour. En fait, la candidature de Dieudonné va plutôt recevoir un accueil positif. Dieudonné, a par exemple été reçu à « France Europe Express », le 10 février 2002. Il sera d’ailleurs invité à débattre avec François Raffarin, alors président de la région Poitou-Charentes et vice 90 91 92 30 Boggio (Philippe), op.cit., p.239 Roland-Levy (Fabien), « Coluche en orbite », Libération, 24 novembre 1980, n°2108, p.9 Jamet (Dominique), « Coluche out », Le Quotidien de Paris, 16 mars 1981, p.32 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? président de démocratie libérale. C’est sa première estampille politique puisque Dieudonné était entré en campagne quelques jours auparavant en faisant annoncer par un comité de soutien, dont on ne connaissait pas la composition, qu’il avait réuni les cinq cents signatures nécessaires. Cependant, contrairement à Coluche, il quittera très rapidement les pages politiques, puisque pour attirer les médias, il utilisera, comme nous l’avons longuement détaillé en introduction, la polémique. À peine entré en campagne, il déclarera qu’il préfère le charisme de Ben Laden à celui de Georges Bush ce qui lui vaudra une place dans les colonnes judiciaires, plus que dans les pages politiques. On peut tout de même souligner que ses propos lui ont ouvert les portes des studios de France Inter dont les journalistes lui ont demandé de s’expliquer à ce sujet. Il sera également en débat dans les colonnes du Figaro avec notamment un article signé de la main d’Alain Finkielkraut. Après moins de deux mois de campagne, et sans reconnaître qu’il n’avait pas réussi à réunir les signatures nécessaires, Dieudonné quitte l’aventure présidentielle. En 2007, la campagne va se dérouler tout à fait différemment, nous en reparlerons beaucoup plus longuement par la suite. Notons tout de même que cette fois-ci Dieudonné veut s’investir totalement sur le terrain politique. Il lancera sa candidature en présentant ses vœux à la presse, il se rendra par la suite au salon de l’Agriculture, et proposera un vrai programme. Toutefois, il sortira de la campagne dès le 12 octobre 2006 sans avoir réussi à tirer la couverture médiatique à lui. Il faut dire que ses récents propos, et ses vingt-deux relaxes pour des accusations allant jusqu’à « incitation à la haine raciale », vont entraîner les médias à être très prudents à son propos. En cherchant sur Factiva, dans toutes les sources francophones, nous avons trouvé 1377 articles consacrés à l’humoriste entre janvier 2006 et avril 2008 (la recherche Dieudonné dans Factiva entraîne beaucoup plus de réponses mais elles sont sans rapport avec l’humoriste), il faut reconnaître que beaucoup d’articles se recoupent, mais surtout que la plupart sont en rapport avec ses propos et non sa candidature. Toutefois, nous avons comparé avec les différentes personnes qui se sont déclarées candidates à l’élection présidentielle, il se classe en quinzième position, les trois premiers étant Nicolas Sarkozy (78 032), Ségolène Royal (50 545), François Bayrou (21755). Bien que ces chiffres n’aient pas de réelles significations, nous pouvons noter que Dieudonné se situe assez loin du premier petit candidat, José Bové et les 7458 articles qui ont traité de sa candidature, mais qu’il est devant des candidats comme Bruno Mégret (1270) ou Frédéric Nihous (1233) qui s’appuient pourtant sur un parti. Nous allons analyser plus en détails cette mise au ban des candidatures de Dieudonné, à présent en questionnant l’idée de censure de ces candidatures. Mais auparavant, notons que Dieudonné a pu s’appuyer sur un média fidèle, le site lesogres.org. Les OGRES (Ouverture géographique, religieuse, ethnique, sociale) est un site qui se déclare pour le « Dialogue critique légal avec les intégristes contre 93 l’intégrisme ». Anne-Sophie Mercier parle d’« un site qui lui est tout réservé. » Ce qui n’est pas tout à fait vrai, puisque ce site soutien également des personnes aussi diverses que Denis Robert et Tariq Ramadan. Mais ce qui est certain, c’est que ce site soutient totalement Dieudonné. On peut trouver des titres comme « Dieudonné. Une chance. », mais on retrouve surtout chaque faits et gestes de l’humoriste pendant sa campagne et un appui de poids pour dénoncer en permanence la censure et la désinformation. La stratégie de censure 93 Mercier (Anne-Sophie), La vérité sur Dieudonné, Paris, Plon, 2005, p.128 Bozonnet Grégory - 2008 31 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique 94 « Coluche censuré et menacé, pour bien enfoncer le clown » . Maintenant que nous avons précisé en détails le traitement médiatique de ces candidatures, nous nous devons de mettre en question l’idée qu’elles aient été censurées. Afin d’avancer sur ce plan, nous allons donc analyser la stratégie de censure mise en place par les candidats pour ensuite essayer de voir s’il on peut, ou non, affirmer qu’ils ont été exclus des médias. Quoiqu’il arrive, criez « censure ! » Une fois encore, nous traiterons dans cette partie de notre réflexion essentiellement les candidatures de Dieudonné et de Coluche. Contrairement aux deux autres comiques professionnels ayant fait acte de candidature à une élection présidentielle, Pierre Dac ne s’est jamais plaint de la censure. Nous évoquions pourtant le fait qu’aucun journaliste, en dehors de L’Os à Moelle, n’a évoqué cette candidature. Nous pouvons imaginer que ceci est lié à deux points différents, d’une part Pierre Dac n’a jamais cherché à être médiatisé, sa campagne se voulait interne à son journal. D’autre part, on peut noter que comme le soulignait Bruno Fuligni, « en 1848, nul ne se serait amusé à ridiculiser le suffrage universel. » On peut imaginer que les journalistes aient fait preuve d’autocensure, étant donné qu’il s’agissait de la première élection du Président de la République au suffrage universel direct, de peur de porter préjudice à une institution encore trop fragile. Enfin, soulignons que Pierre Dac s’est déclaré candidat très tôt alors qu’à l’époque la période de campagne était nettement plus courte. Ces éléments à propos de Pierre Dac indiqués, nous allons nous intéresser plus en détails à une éventuelle stratégie de censure dans les candidatures de Coluche et de Dieudonné. Tout d’abord, définissons ce que nous entendons par ce terme. Il s’agit de dénoncer en toute circonstance la censure que l’on subit. Dès qu’un micro se tend, il faut se plaindre d’être toujours censuré. Ainsi, on espère obliger les médias à ouvrir davantage leurs portes ou sinon, on espère récolter un statut de victime qui permet de dénoncer un peu plus le système face auquel on se porte en faux.Voltaire écrivait à ce sujet, en introduction de son Poème sur le désastre de Lisbonne que « c’est le propre de la censure violente d’accréditer les opinions qu’elle attaque ». Certains candidats pourraient donc être tentés d’accréditer leur thèse en se faisant plus ou moins volontairement censurer. Dans un premier temps nous allons nous intéresser à la candidature de Coluche, pour ensuite analyser la vision plus politique de la censure dans les candidatures de Dieudonné. La première apparition de l’idée de censure dans la campagne de Coluche est datée du 5 novembre 1980, alors que la candidature de Coluche était présente dans les colonnes de tous les journaux ainsi que dans les autres médias, Arthur écrivait « Coluche, roi de l'audio visuel (…) on ne l'entend ni ne le voit sur les ondes et les écrans. Si Coluche était un écrivain 95 timide, on le ferait parler, croyez-moi ! » . Coluche ne manquait d’ailleurs de le faire dans ses aphorismes quotidiens publiés dans Libération, ainsi, le 3 décembre, le lendemain de la publication du sondage dans Le Quotidien de Paris il écrivit « Salut les sondés : 10% des intentions de vote pour moi, ça veut dire que 90% des mécontents hésitent encore. 96 Je monte dans les sondages. Va-t-on me renvoyer "la censure" ? » Prémonition ou provocation, difficile de trancher. Rappelons que c’est à partir de cette période que Coluche va se voir refuser des émissions de télévisions et de radios prévues de longue date. C’est ainsi qu’Europe 1 va lui refuser l’émission « Club de la presse » qui lui avait été promise à 94 Le Canard enchaîné, 3 décembre 1980, n°3136, p.8 95 96 32 Arthur, « Colucci, Coluche and C° », Charlie Hebdo, 5 novembre 1980, n°520, p.3 Coluche, Libération, 3 décembre 1980, n°2116, p.10 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? demi-mot. En fait, l’initiative d’avoir invité Coluche à l’émission politique phare d’Europe 1 revient à MM Carreyrou et Duhamel,. Ils suggèrent leur projet à Etienne Mougeotte qui n’est pas enchanté de la proposition mais qui suggère aux deux hommes de faire un petit sondage auprès des autres journalistes politiques de l’émission. Ils récolteront dix-neuf « oui », deux « non » (celui de Claude Estier, qui écrit pour L’Unité, l’hebdomadaire du parti socialiste, et de M.Andrieu que l’on peut lire dans L’Humanité), et trois réponses mitigées dont celle de P.Duhamel, chef du service politique de T.F.1. MM Carreyrou et Duhamel rapportent ces résultats à M. Mougeotte, qui refuse catégoriquement l’émission. L’ordre vient de JeanLuc Lagardère, vice-président de la station, qui ne veut pas « jeter le discrédit » sur sa prestigieuse émission qui a reçu quelques semaines auparavant M.Kissinger. La même semaine c’est Radio-7 et Antenne 2 qui retiraient leur invitation. Coluche continuera dans les colonnes de Libération son réquisitoire contre la censure. « Les journalistes se plaignent de manquer de liberté. Malgré ses 10% Coluche interdit de sketch à la télé. Coluche, interdit d’émission politique à la radio et à la télé. Patrick Meyer démissionne de Radio 7 à cause de l’interdiction de Coluche et personne n’en parle. La censure ne manque pas de 97 complices. » Jusqu’à ses derniers aphorismes Coluche gardera la censure comme sujet de prédilection, ainsi le 14 janvier, il écrit : « Sondage Le Point, suite. Premier tour : Chirac 8%, Debré 7% ; Coluche 11%. Chirac et Debré ont le droit de faire des sketches à la radio et la télévision, Coluche n’a pas le droit. C’est normal, les électeurs de ces messieurs sont 98 importants tandis que les 11% de Coluche sont des cons. » Pour l’humoriste, « c'est quand même marrant que le pouvoir n'hésite pas à me sanctionner d'une manière aussi 99 voyante. » Tout n’est pourtant pas aussi simple qu’il semble l’annoncer. De nombreux articles révèlent que Coluche a une sérieuse tendance à mettre les journalistes dehors. Il aurait, en outre, dit à un journaliste : « Qu'est-ce que tu fais comme métier, toi ? Je vais te le dire : cireur 100 de bottes et enfoiré mondain. » Son ami Serge July a d’ailleurs du mal à prononcer le mot censure : « Est-ce le bon mot quand sa réputation de videur de journalistes aux questions trop fouilles-merdes et de parasites divers a franchi aussi vite les grilles de cet immeuble ? » 101 Très rapidement d’ailleurs, Coluche refusera tous les entretiens avec la presse nationale pour privilégier la presse internationale. Ainsi, la couverture de sa campagne est portée en une, un peu partout en Europe, notamment à Londres, où le très sérieux Times lui accorde sa une du 4 décembre 1980. En fait, le moment où Coluche va vraiment commencer à se tourner vers la presse étrangère corrobore avec la baisse de sa médiatisation en France. Succédané ou lien de cause à effet ? Probablement un peu des deux, c’est parce que la presse nationale à commencer à se détourner du comique qu’il a souhaité parler à la presse étrangère, mais c’est aussi probablement un peu parce que Coluche a privilégié la presse internationale que la presse française a commencé à se lasser d’attendre. Des journalistes témoigneront que Coluche est devenu plus difficile à aborder que le président lui-même ! Le Quotidien de Paris titrera d’ailleurs « Coluche ne nous aime plus ». Comme nous pouvons le voir ci-dessous, toute la presse étrangère saisira cette occasion de se moquer un peu de la France. 97 98 99 100 101 Coluche, Libération, 7 Janvier 1981, n°2144, p.8 Coluche, Libération, 14 Janvier 1981, n°2150, p.7 Coluche, « A propos de l'interdiction », Chalrie Hebdo, 25 mars 1981, n°541 Lhomeau (Jean-Yves), « Coluche fait croit qu‘il est encore candidat », Le Monde, n°11 238, p.12 July (Serge), « Coluche : Le candidat pas sérieux du tout devenu l’événement politique français », Libération, 2 janvier 1981, n°2138, p.22 Bozonnet Grégory - 2008 33 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique Cette primeur systématiquement donnée à la presse internationale, n’est pas le seul point qui amène à mettre en relief une stratégie de censure. Coluche refusera à deux reprises de passer à la télévision. Ainsi, le 31 décembre, Coluche refuse de maintenir un de ses sketches, sous prétexte que son sketch du « conseil des sinistres » avait été retiré de la programmation de la chaîne. Dans le même registre, mais de manière un peu plus surprenante cette fois, Coluche, refusera le journal d’Antenne 2 du 4 février qui lui était proposé par Jean-Pierre Elkabbach. Coluche a déclaré, pour repousser cette offre, que « tant qu’on [l]’interdira en tant qu’artiste de variété, [il] déclinera toute invitation à des 102 émissions télévisées en tant que candidat. » Une fois encore, plusieurs journalistes trouveront que cette excuse est un peu étrange, il est « prétentieux de sa part d'établir, selon la nature des émissions qui lui étaient proposées ou refusées, une distinction entre 103 les prestations du fantaisiste et celles du candidat » , écrira Jean-Yves Lhomeau dans Le Monde.D’autres trouveront surprenant qu’un petit candidat refuse l’occasion de passer à un journal télévisé. Dans le Quotidien de Paris, on peut lire : « Voilà une attitude qui n'est pas sans rappeler celle qu'avait adoptée à une certaine époque le Parti communiste dont les porte-parole mettaient systématiquement à profit les occasions qu'ils avaient de paraître au petit écran pour se plaindre de n'y être jamais invités. Du moins ne poussaient-ils jamais la 104 plaisanterie jusqu'à s'abstenir d'utiliser la tribune mise à leur disposition. » En fait, certains journalistes vont aller jusqu’à montrer qu’il n’y a pas vraiment de censure contre la candidature de Coluche, ce sur quoi nous reviendrons par la suite, mais notons que parmi eux, « Berroyer, lui, estime, que la candidature Coluche montre qu'on vit dans 105 un régime finalement assez libéral.» D’autres insisteront plus sur le gain que Coluche peut tirer d’une telle censure : « Censurer ne rend pas intelligent, figurez-vous, messieurs les Censeurs Réunis, messieurs Aux ordres, que plus Coluche sera interdit d'ondes et d’antenne, plus il pourra compter gagner des voix. (…) Faut-il que vous méprisiez le peuple pour croire qu'il n'est pas assez grand pour s'apercevoir tout seul, en voyant Coluche partir en candidature, que Coluche pète plus haut que son cul ! A condition, bien sûr, qu'il soit vu et entendu, Coluche, et qu'en l'interdisant de radio et de 106 télévision, on ne le mette pas sur un piédestal. » Cette idée, Coluche, la reprend lui-même: « En m'interdisant à la télé, ils m'ont sauvé la 107 vie. Si j'avais dû leur parler de politique, on se serait vite aperçu de la supercherie. » Mais cela ne l’empêche pas de continuer à se révolter contre la censure qui plane sur sa candidature. Ce que l’on voit à travers cette pleine page parue dans le Charlie Hebdo du 3 décembre 1980. L’un de ces derniers actes de campagne sera d’ailleurs mis en place uniquement pour dénoncer la censure de cette candidature. Il s’agit de la grève de la faim entamée par 102 103 104 105 106 107 34 «Coluche ne participera pas au journal d’Antenne 2 », Le Monde, 4 février 1980, n°11 202, p.10 Lhomeau (Jean-Yves), « Coluche n‘est plus candidat », Le Monde, 17 mars 1981, n° 11 237, p.9 « Coluche déclare forfait », Le Quotidien de Paris, 4 février 1981, p.27 Roland-Lévy (Fabien), « les coluches-gadgets font un tabac », Libération, 9 Janvier 1981, n°2146, p.9 Delfeil de Ton, « Interdit de défendre », Le Nouvel Observateur, 19 janvier 1981, n°845, p.63 Bourseiller (Antoine), (Antoine), « Marie-France et Coluche », Le Monde, 13 mars 1981, n°11 234, p.2 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? Coluche le 16 mars 1981. Alors que toute la presse croit être conviée à une conférence de presse annonçant le retrait de sa candidature, les journalistes retrouvent Coluche sur scène en train de manger un copieux repas. Il annonce que ce sera le dernier avant qu’il ait été reçu par « Carte sur table » d’Antenne 2 et le « Club de la presse » d’Europe 1. Ce choix corrobore la citation de Pierre Bourdieu que nous avons mise en exergue dans l’introduction, comme quoi « le Club de la Presse » était l’équivalent du caucus américain. Coluche réclame les deux émissions politiques les plus importantes pour affirmer l’importance de sa candidature. Jean-Yves Lhomeau, du Monde, affirme que« malgré le médecin qui est censé surveiller 108 sa tension et, l'huissier, l'évolution de son poids », il « n’y croit plus » . Nous verrons à la fin de notre raisonnement que Coluche a beaucoup joué avec les symboles dans cette campagne, mais, en faisant une grève de la faim, il touche à un symbole un peu trop fort politiquement pour être ridiculisé. Les journalistes ne suivront pas vraiment. « C’est allé trop loin. Le comique, cette fois, joue avec des valeurs plus profondes, avec les armes des martyrs. Ailleurs, de par le monde, des hommes luttent pour des idées au prix d’une agonie 109 non factice » . Son tout dernier acte de campagne, avant sa fausse hospitalisation, pour marquer son vrai retrait de la campagne, sera de s’offrir cette publicité dans Le Monde. Nous ne pouvons pas dire que c’est un faux, mais nous dirons simplement que le nom de LouisAuguste Girault de Coursac est un écran pour dissimuler Coluche. Ce nom noble, « qui fait caution », comme nous confiait Jean-Michel Vaguelsy lors d’un entretien, cache en fait un de ses meilleurs amis, fils des historiens Paul et Pierrette Girault de Coursac. Cette pétition est en fait commandée par Coluche, il n’est pas vraiment sûr d’ailleurs que les signataires aient été consultés à l’instar de la première liste de soutien qu’il publiait dès le 5 novembre 1980 dans Charlie Hebdo. Maintenant que nous avons vu comment Coluche pouvait jouer avec le sujet de la censure, nous allons nous intéresser aux candidatures de Dieudonné qui en font un usage plus systématique et plus politique. En guise d’introduction à l’esthétique de la censure chez Dieudonné et ses soutiens, nous pouvons présenter l’étendue du vocabulaire du champ lexical de la censure utilisé sur le site lesogres.org. En effet, sur ce site, nous pouvons lire les mots et expressions suivantes : « boycott », « privilèges médiatiques », « embargo », « désinfo.com », « désinformation », « Dieudonné, l’homme à abattre ou le « tort » d’être noir », « Pravda française », « arrangement de la vérité », « Dieudo, le canard noir de la présidentielle », « manipulation », « médiacratie parisienne », « journalisme de connivence », « connivence abjecte », « Monsieur Dieudonné, censuré », « Propagande mensongère contre Dieudonné », « Une France qui censure »,… Cette liste de mot correspond exclusivement au vocabulaire de la censure présent dans les titres des articles de ce site internet, c’est dire à quel point le sujet peut-être traité. Dans son ouvrage auquel nous nous sommes déjà référé, Olivier Mongin souligne à propos de Dieudonné que « le donneur de coups bas aime à se faire passer pour une victime. (…) Le comique clame 110 partout qu’il fait l’objet d’un lynchage médiatique ». Avant de poursuivre l’analyse de ces articles, relevons tout de même que ces expressions sont pour la plupart des hyperboles. Nous pouvons notamment remarquer cette antonomase, « Pravda française ». Cette image est utilisée pour désigner l’ensemble de la presse française. Rappelons que La Pravda est un grand quotidien russe, que l’on associe souvent à la période où il était la publication officielle du parti communiste (de 1918 à 1991). Son nom signifiant liberté a souvent été utilisé comme antonomase pour désigner un journal muselé et pour souligner l’absence de 108 109 110 Lhomeau (Jean-Yves), « Coluche fait croit qu‘il est encore candidat », Le Monde, n°11 238, p.12 Boggio (Philippe), op.cit., p.277 Mongin (Olivier), op.cit., p.107 Bozonnet Grégory - 2008 35 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique liberté de ses journalistes. L’utilisation de cette image, nous éclaire sur ce que pensent les soutiens de Dieudonné de la presse française. Nous évoquons ses soutiens, mais il en va de même du comique, notons par exemple que quand il parle de sa situation dans ses sketches, il le fait en ces termes : « J’ai été rossé comme la dernière des crevures. Ils m’ont laissé pour 111 mort » , il ajoutera par la suite « Ils étaient capables de rétablir la peine de mort rien que pour ma face, Raffarin, Chirac, Perben, ils sont tous montés aux créneaux ». Dieudonné ne va pas, à ce sujet, réussir à retenir ses propos, il va, corollairement, se retrouver en procès pour injure, poursuivi pour avoir dénoncé des « manipulations médiatiques » de la « population juive », ainsi qu'un « lobby très puissant » ayant fait « main basse sur tous les médias ». Il avait été condamné en première instance, mais sera finalement relaxé. Il en profitera pour dénoncer une fois encore les procès qu’on lui fait sans raisons. Pour mettre en relief le fait qu’il soit victime du système, Dieudonné a trouvé une référence, Jean-Marie Le Pen. On se souvient de tous les articles qui ont été publiés alors qu’il s’était rendu à la fête du Front National pendant sa campagne en 2006. Dans le numéro 1 du magazine Choc du mois, un hebdomadaire d’extrême droite qui a été repris par le rédacteur en chef de Minute en mai 2006, on peut lire : « J’ai détrôné Jean-Marie Le Pen dans le rôle du grand méchant. C’est moi le nouveau Dark Vador ! Ni moi ni lui n’avons de responsabilités dans la situation catastrophique dans laquelle se trouve la France. Il est la vraie droite, je suis la vraie gauche. Le nouvel empire n’aime ni les uns, ni les autres… ». L’utilisation de l’antonomase Dark Vador revoie vraisemblablement à l’aspect « côté obscur de la force » du personnage. C’est une façon de montrer qu’il est désigné comme le mal absolu. Pour appuyer, une fois encore cette théorie, comme quoi il serait l’homme que tout le monde cherche à abattre, Dieudonné qui aime à créer des effets comiques avec son patronyme, se désignera dans l’un de ses sketches du spectacle « Mes Excuses », comme « Dieudonné M’Dreyfus ». Nous reviendrons par la suite, lorsque nous évoquerons les processus de disqualifications des candidatures des comiques, sur les dérivations du nom propre Dieudonné. Mais en modifiant son nom de famille et en empruntant celui de Dreyfus, il prend une fois encore des aspects du référent. Nous pouvons imaginer qu’en se comparant à un juif, Dieudonné espère se dédouaner d’antisémitisme, accusation qui lui est portée très régulièrement. Mais ce qu’il cherche surtout, c’est à obtenir le statut de victime et à donner un aspect de scandale national aux procès qui lui sont faits. Pour conclure sur cette stratégie de censure et de victimisation mise au point par Dieudonné, nous pouvons souligner ces mots écrits à son propos par Allain-Jules Meyne, qui est un blogueur qui alimente très régulièrement le site lesogres, « L’opprobre jeté sur la face de l’incontournable homme d’Etat [sic] n’a convaincu personne. » Allant jusqu’à 112 parler de « boycott méphistophélique » , il pense que Dieudonné « est floué par les 113 médias dominants. » Quelques semaines auparavant, il écrivait déjà sur ce site les propos suivants : « Lorsque les laissés (es)-pour-compte se lèveront comme un seul homme, il y aura des cris et des grincements de dents. L’abus des privilèges est la chose la mieux partagée par l’abominable lobby anti-Dieudonné. Cette bande de fous à lier s’en donne à cœur joie à leur exercice favori et toujours morbide de diabolisation abjecte. Le plus ridicule est qu’ils s’adonnent à des manœuvres aussi basses 111 112 113 36 Sketch d’introduction du spectacle « Mes Excuses », 2005 Meyne (Allain-jules), « Dieudonné M‘Bala M‘Bala, la naissance d‘un homme d‘Etat », 31 Août 2006, lesogres.org Meyne (Allain-jules), « Pro-Dieudo contre anti, le clash! », 24 juin 2006, lesogres.org Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? que leurs pseudo arguments avec des contradicteurs triés sur le volet, bref des 114 complices. » Cette citation nous renvoie au champ lexical de la censure que nous présentions au préalable. Certains des mots de vocabulaires nous renvoient aux théories d’extrême gauche sur les médias. Connivence, par exemple, nous fait penser aux Nouveaux chiens de garde de Serge Halimi que nous citions en introduction. A l’opposé, Dieudonné se plaît à créer la polémique en se comparant à Le Pen, et en reprenant à son compte des idées comme celle du bâillon alors qu’il est le seul candidat « à dire la vérité » (l’une des expressions les plus souvent utilisées sur le site lesogres). Nous nous permettons ainsi, en guise de conclusion, de mettre en parallèle cette caricature de Guillaume Suing reprise à plusieurs reprises sur le site lesogres et l’affiche réalisée avant l’élection présidentielle de 2002 par le Front National. . Alors que nous venons de présenter les stratégies de censure utilisées diversement par les candidats, il convient à présent de réfléchir à la possibilité de parler ou non de censure de ces candidatures. Peut-on réellement parler de censure ? Nous avons présenté, dans un premier temps, la présence des comiques professionnels dans les médias, nous venons de voir les possibles stratégies de censure, nous allons donc à présent essayer de conclure sur cette idée en nous demandant s’il est possible de parler de censure de ces candidatures. Nous allons commencer par aborder la candidature de Coluche. Nous avons déjà pu le signaler, Coluche n’a pas été présent à la radio et à la télévision entre le 10 décembre 1980 et le 10 mai 1981. Même si on a pu montrer qu’une part de son absence lui était imputable, on est quand même en mesure de nous demander comment, lui qui était présent sur tous les fronts depuis qu’il était apparu au grand public, lors de l’élection présidentielle de 1974 (Guy Lux restant à l’antenne en attendant l’allocution de François Mitterrand, défait, propulsera la carrière de Coluche qui interprétera « C’est l’histoire d’un mec ». Le coup de publicité était soigneusement orchestré par Paul Lederman qui a toujours été conscient du potentiel publicitaire de l’élection présidentielle) pouvait être absents des ondes et des écrans pendant six mois consécutifs. Dans un entretien qu’il accorde à Philippe Boggio, « Jean-Pierre Elkabach reconnaît bien volontiers que Coluche avait fait, à peu près tous les jours, la preuve de la frilosité des médias, à la fin 115 du giscardisme. » L’ancien directeur de l’information d’Antenne 2 écrira qu’il était censuré par « tous ceux, qui, par habitude, muselaient encore l’insolence sur les ondes ou le petit 116 écran. » La censure va être va être un des éléments les plus souvent traités ee cette candidature dans les articles. Henri Roussel, alias Delfeil de Ton, écrira par exemple dans le Nouvel Observateur : « Le principal intérêt de la candidature Coluche apparaît ailleurs. Ce qu'elle provoque en montre long sur la censure qui règne chez nous et sur les complicités qu'elle rencontre. Songez : pas un sondage sur la candidature de Coluche ne le crédite de moins de dix pour cent des intentions de vote. Ce n'est pas rien. Eh bien ! depuis le premier sondage, aucune, absolument aucune télévision, 114 115 116 Meyne (Allain-jules), « Abusons de nos privilèges médiatiques, chiche! », 21 mai 2006, lesogres.org Boggio (Philippe), op.cit., p.276 Idem Bozonnet Grégory - 2008 37 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique d'Etat ou privée, en France, n'a fait venir le candidat Coluche à une émission d'informations. Aucune radio non plus. » D’autres journalistes dénonceront à leur tour cette censure alors qu’en même temps, certains la nieront. Parfois, le même journaliste arrive à affirmer qu’il y a eu censure « Il est vrai que Coluche a été victime de censures répétées à la radio et à la télévision » tout en trouvant une justification « Si la presse a fait silence, c'est sans doute parce que Coluche 117 n'avait plus rien à dire. » A posteriori, une explication est souvent revenue, ainsi JeanPierre Elkabbach déclarait que Coluche « était trop imprévisible pour la télévision des ces années-là. C’est vrai qu’Alain Duhamel et moi, nous avons refusé de la faire venir à Cartes sur tables. C’était risquer d’affaiblir l’image, déjà malmenée, de la politique. Aujourd’hui, bien sûr, je m’empresserai de prendre Coluche. Moi aussi, j’ai fait des progrès en face d’invités 118 imprévisibles. J’ai dû avoir peur à l’époque. » C’est l’explication la plus probable. Cette explication justifie également le fait que Coluche n’ait jamais réussi à trouver un document écrit qui demandait de ne plus l’inviter dans les médias. De plus, force est de constater que les médias qui ont ouvert leurs antennes à l’humoriste se sont confrontés à son côté imprévisible. Ainsi, sur France-Inter, à la mi-novembre, Coluche déclarera : « L’important c’est le bordel que je sème(…) c’est pour ça que je les emmerde (…) Y se sont foutus de notre gueule sur toute la ligne (…) Un politologue qu’est-ce que j’en ai à foutre (…) Ce qui est arrivé au Chili, personnellement moi j’men fous… Y nous gonflent… Je veux aller jusqu’au 119 bout et foutre le merde que j’ai déjà semée… » Ainsi Etienne Mougeotte expliquera qu’on ne l’invitera pas au « Club de la presse », alors qu’il avait été invité à s’exprimer sur Europe 1 dans le cadre d’autres émissions parce qu’« il ne faut pas discréditer cette institution qu'est 120 le Club de la Presse, qu'il ne faut pas abîmer cet outil » . Pour Gébé, si Coluche a crié à la censure, c’est parce qu’il a vraiment souffert de se voir interdit d’antenne : « Il a senti, et il en fut très perturbé, la puissance de la coercition en face de lui des médias. Il avait pensé qu’il pouvait les manipuler et en tirer tout ce qu’il voulait… Il était comme un fou ! Un homme de communication, un homme de parole, un homme qui haranguait les foules, condamné au mutisme ! Il en était malade, physiquement (…) Il a compris qu’il y avait des limites ; que la limite de la liberté de parole, c’était de devoir jouer un certain jeu. Il a senti aussi la force des appareils politiques. Il a touché des murs, des portes. Il était comme une mouche en cage ! » Nous avons demandé, aux proches de Coluche ce qu’ils pensaient de cette censure, ainsi nous avons interrogé son « bureau politique ambulant », le journaliste chargé de suivre la campagne de l’humoriste pour le compte de l’AFP ainsi que le producteur de Coluche. Tous trois n’ont pas réellement souhaité parler de censure. Patrick Filleux, nous explique tout d’abord qu’à l’AFP, il n’a jamais été victime de censure. L’AFP a préféré que cette campagne soit suivie par quelqu’un qui était proche de Coluche plutôt que par un journaliste du service politique, ce qui peut être tout de même un certain signe d’exclusion de la campagne du comique. Toutefois, interrogé sur la censuré Patrick Filleux déclara « Les médias étaient du côté du manche. Mais il n’y a pas eu plus de censure que d’auto-censure. Bon c’est sûr que la télé avant Mitterrand, ce n’est pas très 117 118 119 120 38 Lhomeau (Jean-Yves), « Coluche n’est plus candidat », Le Monde, 17 mars 1981,n°11 237, p.9 Boggio (Philippe), op.cit., p.276 Jamet (Dominique), « Sic, ainsi parla Coluche», Le Quotidien de Paris, 19 novembre 1980, n°304, p.32 Roland-Lévy (Fabien), « Coluche ? ce n’est pas convenable », Libération, 29-30 novembre 1980, n° 2113, p.9 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? libre et qu’il devait y avoir un peu de censure au niveau du service public. Ce n’est jamais facile de savoir s’il y a censure, les journalistes étaient quand même là, à chaque fois qu’il faisait quelque chose. » Il nous répétera, en outre, à plusieurs reprises qu’à l’AFP, il n’a jamais été censuré. « A l’AFP la censure ça n’existe pas vraiment. On écrit bien sur ce que l’on veut. Je me souviens qu’on m’avait fait remarquer que je faisais beaucoup de Coluche, mais rien de plus. ». Mais pour lui si Coluche a eu l’impression d’être censuré, c’est parce qu’il était difficile d’être au « top du show-biz » et d’être en même temps « un petit candidat ». Il nous confiera, enfin, que malgré toute l’admiration qu’il peut avoir pour l’humoriste, les événements que Coluche créaient pour attirer les journalistes, comme sa conférence de presse avec les petits candidats, n’étaient « pas très drôles ». Jean-Michel Vaguelsy, pense que la censure dont Coluche a été victime était une question d’époque, même si les choses évoluaient, « Il faut voir que la SOFIRAD était encore "le bras armé" de l’Etat ». Si cette affirmation est à relativiser, il est vrai qu’en matière audiovisuelle, les choses évoluent lentement comme le soulignait Jean-Pierre Elkabbach. Même si, comme le disait Christine Ockrent : « Il faut avoir la mémoire courte pour ne pas 121 s’exclamer sur le chemin parcouru depuis l’époque de l’ORTF » . Le producteur et ami de Coluche, Paul Lederman, nous confira les mots suivants : « C’est difficile de parler de censure. J’ai lancé Claude François, Le Luron, Renaud,… je connaissais tout le monde à la télévision. Mais ils se sont détournés de Coluche. Personne ne m’a dit avoir reçu d’ordre explicite, et je ne pense pas qu’il y en ait eu. En fait, c’est plus compliqué, plus personne ne voulait de Coluche à la télévision. D’ailleurs il a fallu que j’insiste auprès de Guy Lux pour qu’il passe et repasse après la campagne. Mais, il faut les comprendre, Coluche c'était un électron libre, on ne savait pas ce qu’il était capable de leur faire… » Pour revenir à la candidature de Dieudonné. Il est difficile de dire qu’il a été interdit par les médias, parce que la candidature de Dieudonné n’a, contrairement à celle de Coluche, jamais vraiment cessé d’être traitée à la télévision et à la radio. Ce qui fait qu’il a pu parler de censure, c’est que si on parlait de sa candidature et de ses « écarts », il était de plus en plus rare de voir Dieudonné invité dans les médias. Dérapage après dérapage, provocation après provocation, l’humoriste a, en fait, découragé la plupart de ceux qui appréciaient son insolence. Comme il ne restera rapidement autour de lui que le petit noyau de fidèles baptisés « les Ogres » dont nous parlions auparavant, il a pensé que la provocation serait un moyen de faire revenir les médias. Il n’a donc cessé de jeter de l’huile sur le feu… Pendant sa campagne il va notamment prendre la défense des autorités iraniennes alors que le président Ahmadinejad vient de qualifier l’Holocauste de « mythe ». Un mois plus tard, après la mort du jeune Ilan Halimi, torturé et séquestré, il assure que c’est la « barbarie néo-libérale » qui est à l’origine du drame. En Juillet, sans aucune raison précise, sinon de stigmatiser la communauté juive, son site de campagne (fermé depuis, tvdieudo.net) met en avant une dépêche AFP à propos de l’affaire « du sentier 2 », qui évoque la fuite de six rabbins… Pour Frédéric-Joël Guilledoux, « cette stratégie de la tension a rapidement 122 discrédité sa démarche » . A son sujet, les médias vont faire preuve de prudence d’où l’inévitable accusation de boycott portée par son entourage. Il faut pourtant avouer que c’est compréhensible si l’on regarde le nombre de procès qu’il a pu gagner contre la presse, notamment en faisant condamner Marc-Olivier Fogiel après qu’il ait fait son sketch du colon juif. On peut lire à la suite de cette affaire sur le site lesogres qu’« un black-out médiatique 121 122 Ockrent (Christine), La mémoire du cœur, Paris, Fayard, 1997, p.244 Guilledoux (Frédéric-Joël), op.cit., p.277 Bozonnet Grégory - 2008 39 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique total le frappe depuis deux ans, l’empêchant à la fois d’exprimer son point de vue politique de citoyen et d’humoriste militant pour rire des choses graves. ». Dieudonné ne disparaîtra pas pour autant des médias, bien au contraire, des émissions comme « Lundi investigation » sur Canal + vont s’intéresser à sa campagne. A l’époque où les spectacles de Dieudonné sont interdit un peu partout en France, par peur de troubles à l’ordre public, on peut même noter que l’on parle beaucoup de l’humoriste. Thierry Ardisson, expliquera dans « Paris dernière », qu’il n’est toutefois plus possible d’inviter Dieudonné à la télévision, non pas par ordre, ni par volonté de censure, mais parce qu’il n’est plus possible de « supporter qu’il tape sur les juifs pour défendre les noirs », il insistera, en outre, en affirmant que « Dieudonné décrédibilise les causes pour lesquelles il se bat ». Enfin, rappelons que chaque candidat bénéficiera d’un « journal » de soutien tout au long de la campagne. Pierre Dac avait sa tribune hebdomadaire dans le magazine dont il était rédacteur en chef, L’Os à Moelle. D’ailleurs l’élection présidentielle avait été une occasion pour ce journal de relever un peu la pente. Malheureusement ce ne sera pas une durée suffisante et le titre disparaîtra à l’été. Dieudonné pouvait lui, s’appuyer sur son site de campagne et sur lesogres qui nous l’avons vu va publier régulièrement des articles dithyrambiques à son propos. Cela ne lui suffisant pas, il créera également une « radio libre » sur Internet pour contrer les médias qui le boycott. Cette radio ne fonctionnera jamais vraiment. Coluche, quant à lui, s’appuie sur Charlie Hebdo et ses 60 000 à 80 000 exemplaires hebdomadaires (selon Cavanna). Le journal profitera d’une hausse des ventes à cette période mais devra malheureusement cesser de paraître au mois de décembre 1981 par manque de lecteurs et ne reparaîtra qu’en 1992. Nous ne voulons pas dire qu’encourager les candidatures fantaisistes mène le journal à la faillite, mais il est vrai que Libération qui offrait une tribune quotidienne à l’humoriste devra à son tour cesser de paraître entre le 21 février et le 10 mai pour revenir sur une formule quelque peu différente. Comme le souligne Samuelson dans sa thèse devenue un ouvrage de référence sur l’histoire du quotidien, Libération était la convergence d’imprévisibles d’utopies. Ce journal donnait la parole à tous les employés avec un même salaire et un même traitement. A cette époque Libération était « un entonnoir dans lequel s’engouffraient presque toutes 123 les composantes du gauchisme » . Nous pouvons tout de même ajouter que Libération se vendait tout de même à 45 000 exemplaires quotidiens, une belle tribune pour Coluche. En conclusion de ce point, et de notre partie de la réflexion, force est de reconnaître qu’il est difficile d’affirmer que les comiques professionnels aient été exclus du champ médiatique. Etant donné que pour Pierre Bourdieu, « actuellement, un des facteurs déterminants de l’existence dans le champ politique, c’est la reconnaissance dans les médias », on peut même en déduire, qu’il est difficile de dire qu’ils ont été exclus du champ politique, mais nous y reviendrons. On peut même affirmer, pour revenir à leur présence dans les médias, que leur popularité et leur aisance dans les médias, leur aura permis, au moins pendant un temps, d’avoir une couverture médiatique qui n’était pas accordée à beaucoup de candidats plus sérieux. Patrick Lecomte nous invite d’ailleurs à réfléchir aux conséquences de l’avènement de la télévision dans les campagnes présidentielle. Pour lui, il faudra « déchiffrer le brouillage superficiel des schèmes traditionnels de la vie publique sous l’effet caricatural du miroir-loupe télévisuel qui, focalisant sur la "politique-spectacle", tend à accuser l’inadaptation ou l’obsolescence des codes symboliques conventionnels de la relation gouvernants/gouvernés, alimentant ainsi la crise de la représentation politique » 124 . A travers nos trois exemples, nous pouvons d’ailleurs noter que plus le temps a passé 123 124 40 Samuelson (François), Il était une fois Libé…, Paris, Flammarion, 2007, p.14 Lecomte (Patrick), Communication, télévision et démocratie, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1993, p.45 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? plus les médias se sont ouverts à ces candidatures. Si Pierre Dac n’avait pas vraiment pu profiter des médias pour sa campagne, Coluche aura l’espace d’un mois été présent dans tous les journaux, toutes les radios et télévisions jusqu’à ce qu’il y ait une fermeture des deux derniers. Dieudonné aurait vraisemblablement pu bénéficier d’un espace dans tous les médias, s’il n’avait pas cherché par lui même à s’en exclure en jouant avec des propos plus que litigieux. Il est, dans tous les cas, difficile d’affirmer que les candidatures de ces comiques ont été mises au ban par les journalistes. Certes, Pierre Bourdieu considère que « la télévision a une sorte de monopole de fait sur la formation des cerveaux d’une 125 partie très importante de la population » . Ce à quoi Cyril Lemieux répondait que « Peutêtre politiquement séduisante, cette assertion n’a rien d’évident scientifiquement parlant. 126 Elle pourrait bien, en définitive, témoigné d’un préjugé misérabiliste » . Si l’on reprend les chiffres parus dans l’ouvrage de Patrick Lecomte, que nous citions auparavant, « 68% des Français interrogés sur la campagne électorale de 1981 déclarent l’avoir suivie à la 127 télévision (contre 45% dans la presse et 33% à la radio) » , on pourrait ainsi affirmer que dans une certaine mesure Coluche n’a pas bénéficié des mêmes conditions que les candidats ayant eu les cinq cents signatures et donc un temps d’antenne, mais pouvait-il vraiment les avoir ? Des candidatures décriées par tous les médias… ou presque Maintenant que nous venons d’analyser la place que ces candidatures avaient occupée dans les médias, il convient de nous intéresser à une acception plus qualitative de ces campagnes, comment ont-elles été traitées, qualifiées ? Pour ce faire nous allons dans un premier temps analyser le vocabulaire employé par les journalistes pour traiter de ces candidatures, pour ensuite regarder si ces candidatures ont bénéficié des mêmes traitements que les candidatures plus politiques, ce que nous analyserons à travers leur présence dans les sondages et sous les plumes des spécialistes politiques des médias. Que faire de l’« intrusion » de ces « clowns » ? Afin de présenter le processus d’exclusion mis en place par la presse, nous allons nous intéresser dans un premier temps aux mots utilisés pour exclure ces candidats, notamment à l’important champ lexical de la comédie, dans un second temps, nous présenterons une analyse en onomastique politique des noms Coluche et Dieudonné. Analyse du processus d’exclusion de ces candidatures Du fait de l’ampleur de notre corpus, nous pourrions réaliser un mémoire entier sur le vocabulaire de l’exclusion utilisé pendant les campagnes des humoristes. Afin de rester brefs, nous allons nous contenter de présenter quelques grands thèmes. Nous présenterons 125 126 Bourdieu (Pierre), Sur la télévision, Paris, Liber, 1996, p.17 Lemieux (Cyril), « Une critique sans raison ? L’approche bourdieusienne des médias et ses limites », in Lahire (Bernard), dir., Le travail sociologique de Pierre Bourdieu – dettes et critiques, Paris, La découverte, 2001,p.216 127 Lecomte (Patrick), Communication, télévision et démocratie, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1993, p.48 Bozonnet Grégory - 2008 41 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique dans un premier temps l’utilisation du mot candidat dans la campagne présidentielle de Coluche, pour ensuite essayer de dégager un sens général à l’omniprésence du vocabulaire du show business dans ces campagnes, nous conclurons enfin par l’analyse de quelques expressions révélant l’exclusion, et notamment à la métonymie de la salopette pour désigner Coluche. La simple analyse de l’utilisation du mot candidat dans la campagne du comique à la salopette nous apprend beaucoup sur le processus de marginalisation dont il a pu être victime sous la plume de certains journalistes. Tout d’abord, ce qui est intéressant à relever c’est l’utilisation que vont faire les journaux des termes que Coluche a utilisé pendant sa campagne pour se désigner. En fait, nous nous arrêterons sur deux expressions essentiellement l’expression candidat nul et candidats des minorités. Ce qui intéressant sur le terme candidat nulc’est tous le jeu qu’il va y avoir sur la « guillemetisation » du mot. Ainsi, on retrouvera le mot sous les formes suivantes : « candidat nul », candidat « nul » ou candidat nul. La première expression est de très loin la plus utilisée, elle sera reprise par presque toutes les rédactions, Le Matin de Paris étant le plus grand utilisateur. Utiliser cette forme signifie donc que l’on reprend les mots de Coluche sans se les approprier ce qui peut signifier que l’on ne porte pas de jugement sur cette qualification. La deuxième forme est intéressante, ne mettre que le terme nul entre guillemets montre que l’on marque une moins grande distance avec l’expression, elle n’est plus totalement une citation de Coluche, même si le journaliste tient à noter que ce n’est pas lui qui se permet de qualifier la candidature de Coluche de « nul ». Les guillemets précisent que le mot provient de l’intéressé. Il est vrai que le terme est très dépréciatif. Il ne serait probablement pas venu à l’esprit des journalistes de qualifier par eux mêmes cette candidature de nulle. La forme sans guillemets apparaît quasi exclusivement dans les colonnes de Libération bien que Le Quotidien de Paris l’ait parfois utilisée. En fait, dans le cas présent, l’utilisation de ce terme sans guillemets révèle tout simplement que pour les journalistes de ce quotidien l’expression est devenue courante. Rappelons qu’il est de loin le journal qui a le plus publié sur la candidature de Coluche. Dans leurs colonnes, le candidat nul se décline également en candidat zéro. Les journalistes se sont totalement approprié le mot de Coluche et l’on peut imaginer que le lecteur habitué n’est pas surpris par la présence de cette expression sans guillemets. Ce qui est également intéressant c’est que cette expression a pu être détournée de son sens originel. Ainsi le mot nul qui renvoie à quelque chose qui est sans valeur. Le mot à ainsi pu retrouver le sens péjoratif dont il disposait au départ. Ainsi dans les colonnes du Matin de Paris on a pu lire « "Candidat nul", de son propre aveu, Coluche aura au moins eu le mérite d'amener, en quelques jours, le débat politique au niveau vers lequel il tendait 128 depuis plusieurs mois : le niveau zéro. » La presse de soutien à Coluche s’en servira 129 également pour décrédibiliser Michel Debré, qualifié « d’encore plus nul » . L’expression « candidat des minorités » va être souvent détournée en se référant à la liste des minorités qu’il a pu établir dans son « appel historique ». Mais toutes les expressions ne renvoient pas aux mêmes marginaux. Ainsi, pour L’Humanité, alors que Georges Marchais est parti en guerre contre la drogue, Coluche est le candidat « des drogués, des fainéants et des crasseux », Le Quotidien de Paris préfère le nommer « candidat des pédés, des drogués et des crasseux », alors que pour Le Monde, reprenant des expressions qu’il a pu tenir à sa conférence de presse au théâtre du Gymnase, Coluche est le « candidat des faiseurs de patins à roulettes, des pédés, des nègres, des vieux qui 128 129 42 Liebaert (Alexis), « Le niveau zéro », Le Matin de Paris, 24 novembre 1980, n°1165, p.16 « couvertures auxquelles vous avez échappez », Charlie Hebdo, 15 avril 1981, p.7 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? ont une retraite de m…, des chômeurs (qui sont plus de un million et demi), des crasseux, des chevelus, des « consommateurs de politique », ceux qui la subissent et pour qui « on ne fait rien » ». Enfin, notons que d’une manière plus péjorative, Jean Dominique Bauby, utilisera l’expression candidats des « juifs, des clodos et des pédés » pour faire un parallèle avec Hitler… Outre ces expressions, le terme candidat, rarement utilisé sans complément à propos de Coluche sera utilisé sous les formes les plus diverses. Ainsi, nous pouvons souligner qu’il sera parfois désigné par des termes tout à fait formels comme « candidat à la Présidence de la République » (par tous les journaux analysés à l’exception de La Croix et de L’Humanité). Cette formalité est parfois de circonstance mais souvent utilisée contre lui dans des expressions signifiant plus ou moins « Dire qu’il est candidat à la Présidence de la République ». On trouvera des dérivés, tels que « candidat à la présidentielle », « à l’Elysée », « candidature élyséenne », « candidat à la présidence ». Des expressions viennent ajouter des nuances telles que « candidat à la candidature » (Le Figaro l’utilisera en s’offusquant que des personnes puissent songer à ne pas être plus sérieux), un journaliste du Point créera une nuance supplémentaire en ajoutant supposé, « candidat supposé à la candidature ». D’autres nuances pourront être ajoutées comme dans Le Monde où l’on emploie l’expression « candidat au premier tour » ou dans L’Express, l’expression « aspirant candidat ». Mais c’est dans les colonnes du Figaro que l’on trouve les termes qui mettent le plus de distance avec l’idée d’une candidature Coluche, employant notamment candidat entre guillemets ou le mot « pseudo-candidature ». Nous ne pourrons pas présenter toutes les compléments du mot candidat, mais nous pouvons noter qu’il existe de multiples variantes qui vont de l’expression la plus politique à la plus loufoque, ainsi Le Point utilisera la phrase suivante : « candidat de la dérision est le centre potentiel de toutes les frustrations politiques : candidat de l'apolitisme (abstentionnistes et écologistes) ; candidat de la gauche brisée ; candidat des déçus du 130 giscardisme ; bref, candidat des frustrés » tandis que le premier article paru dans le journal La Croix utilise l’expression attachée au jeu de mot français le plus ancien en désignant Coluche par le candidat « Yau-de-poêle ». Ce terme renvoie inévitablement à la blague parue il y a déjà bien longtemps dans L’Almanach Vermot, qui est un dialogue entre deux hommes, l’un demande « comment vas-tu, yau-de-poêle ?» et l’autre lui répond « bien et, toi-là-matelas ? ». Ce terme inscrit l’acte de Coluche dans une tradition fantaisiste. Il est pour Le Matin de Paris, « le candidat des pêcheurs à la ligne et des abstentionnistes ». Dans un registre plus excluant, il est également qualifié, au même titre que Georges Marchais, de « candidat Nyaqua », terme dévalorisant qui pour eux signifient qu’ils promettent tout et n’importe quoi. Dans Le Monde elle est également qualifiée de « candidature-scatologique », Le Quotidien de Paris fait paraître un article qui considère que cette candidature est « indigne de son enjeu » alors que dans Le Nouvel Observateur on peut dire qu’il s’agit du « candidat des bistrots ». Enfin, le terme candidat est très souvent associé au vocabulaire du champ lexical de la comédie, sur lequel nous allons revenir plus en détails, mais dont nous pouvons donner quelques exemples, comme « candidat de la coulisse », « candidat de cabaret », « candidat du music-hall », « candidat comique dissident vulgaire » ou encore « pitre-candidat », qui a été développé sous d’autres formes comme fantaisiste candidat, amuseur candidat, … Du fait d’un corpus beaucoup moins important, la même richesse d’expression ne se retrouve pas du côté des candidatures de Dieudonné. Considérons tout de même qu’il a été nommé par quelques expressions qui méritent d’être soulevées. Béatrice Gurrey souligne 130 Charlot (Jean), « Giscard ébranlé mais toujours favori », Le point, 12 janvier 1981, n°434, p.31-36 Bozonnet Grégory - 2008 43 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique que c’est la « candidature du premier Black à la présidentielle », les autres expressions sont à chercher dans les colonnes de Libération qui le qualifiera, après le salon de l’agriculture, de « candidat sympa », et pendant le reste de la campagne de « candidat d’une autre République » du fait qu’il s’adresse aux jeunes des banlieues, mais également de « vraifaux candidat ». Ce qui est surprenant, c’est que contrairement à Coluche, les expressions composées avec candidat ne renvoient pas chez Dieudonné au champ lexical de la comédie. Pourtant, ce champ lexical n’est pas moins présent dans les articles qui lui sont réservés. En étudiant l’intégralité de notre corpus, nous pouvons rencontrer une grande partie du vocabulaire du show-business. Les candidats sont, en effet, désignés tour à tour par des expressions comme « artiste de variétés », saltimbanque, clown, bouffon, comique, humoriste, comédien, « homme de spectacle », amuseur (public),… Ce que nous voulons montrer, c’est que l’omniprésence de ces mots a vraisemblablement pour effet une mise à l’écart de ces candidatures. Il n’est quasiment pas un article de notre corpus sur Dieudonné qui ne reprenne un de ces termes. Il existe plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, ces mots permettent d’éviter les redondances, il n’est dans ce cas qu’une figure de style. Dans le cas de Dieudonné, il s’agit aussi parfois d’éviter la confusion, étant donné que Dieudonné est avant tout un prénom, les journalistes préfèrent souvent utiliser l'expression « l’humoriste Dieudonné » que de l’appeler par son nom « Dieudonné M’Bala M’Bala », même si ceci a été fait à plusieurs reprises. Toutefois, à travers cette dénomination, il va y avoir un enjeu. Pour commencer, notons les expressions les plus utilisées dans le corpus dédié à Dieudonné et dans celui dédié à Coluche. A travers ces deux graphiques, obtenus par un traitement informatique de notre corpus, nous remarquons que les deux candidats ne sont pas vraiment désignés par les mêmes termes. Ainsi, pour Coluche, le mot préféré est clown alors que pour Dieudonné, le mot qui fait pratiquement l’unanimité est humoriste. Pour Coluche, le deuxième terme qui le désigne fréquemment est le terme fantaisiste, il est quasi exclusivement utilisé par Le Monde en début de campagne, mais sera repris à la fin par d’autres quotidiens comme Le Quotidien de Paris ou Le Matin de Paris. Ce terme est utilisé par le quotidien de référence qui semble le juger plus neutre. Notons qu’il est tout de même surprenant que Dieudonné soit dénommé par le terme clown, l’édition numérique du Trésor de la langue française donne pour définition « Artiste de cirque au costume et au maquillage extravagants qui emploie ses talents à faire rire les spectateurs au moyen de pitreries diverses, fondées principalement sur la parodie et la dérision ». Si ce terme peut convenir à Coluche qui portait ostensiblement le nez rouge et des chaussures jaunes trop grandes, on peut être surpris de la voir attribuer à Dieudonné, dont le jeu scénique est toujours limité au minimum, « sur scène (…) à la différence de nos autres humoristes, il bouge à peine en dépit d’une présence physique 131 manifeste. » Mais d’autres expressions plus chargées de sens seront utilisées dans ce registre. Registre qui servira souvent à montrer l’exclusion des comiques professionnels du champ politique en soulignant leur inadaptabilité. Pour ne donner que quelques exemples, notons que pour Alain- Gérard Slama, dans la candidature de Coluche ce qui « constitue le fond 132 de l'affaire [c’est] la substitution d'une urne électorale à une caisse de théâtre. » Dans le même journal, nous pouvions lire : « Le débat d'idées - qui est la marque même du débat présidentiel - risque ainsi de devenir une sorte d' "Au théâtre ce soir". ». Parallèlement à cette omniprésence du vocabulaire du music-hall, un terme revient souvent pour désigner 131 132 44 Mongin (Olivier), op.cit., p.106 Slama (Alain-Gérard), « La France malade de Coluche », Le Figaro, 28 novembre 1980, n°11 270, p.2 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? Coluche, il s’agit de la salopette. Cette métonymie va être utilisée dans près d’un quart des articles et dans très nombreuses caricatures. C’est le symbole même de Coluche : « La salopette de Coluche est devenue comme la défroque de Charlot, un symbole. C’est elle 133 qui figure, sans le bonhomme à l’intérieur, sur la première affiche » . Dans la plupart des cas, cette salopette ne va être utilisée que dans des périphrases qui évitent les répétitions, mais parfois le symbole coluchien va être utilisé pour marquer la nuance entre Coluche et le monde politique. La manifestation la plus flagrante de ce point vient de Claude Estier dans l’hebdomadaire du parti socialiste L’Unité, « Est-ce qu’il sort de sa salopette quelque fois, 134 ce gus, pour aller dans le monde. Le vrai. » Patrick Séry utilisera cette métonymie pour montrer à quel point il détonne dans cette campagne, « la salopette bleue à bretelles est là, pas très solennellement assise au fond de la lucarne, précédée d'un gros nez clownesque 135 peint en rouge hilarant. Un certain contraste avec la pâleur digne de ses prédécesseurs. » Mais le fait marquant de cette campagne, c’est probablement l’habile jeu de mot de Gérard Nicoud, soutien de Coluche au titre du CID-UNATI, qui a déclaré préférer « votez pour une salopette que pour un salopard ». Si de la bouche du leader de cette organisation, ce mot d’esprit passait pour une critique poujadiste du système, sous la plume de François Brigneau dans Minute, cela va devenir une véritable insulte. Jouant sur la racine commune des mots salopard et salopette (le mot sale), le journaliste écrira que Coluche est donc un « salopard 136 en salopette » . Ce terme aurait pu rester une simple formule, mais il est accompagné de mots tellement durs que cet article affectera le comique. Par exemple, parmi les expressions désignant Coluche, nous pouvons relever « loubard devenu homme-pipi de café théâtre », « boudin-guignol », ou même, plus gratuit encore, « gros dégoûtant ». L’un des autres points qui vient marquer le contraste entre ces candidats et ceux dits « sérieux » s’établit autour de deux mots, professionnel et irruption. En effet, l’un des arguments principaux pour écarter ces comiques professionnels consistent à les opposer aux professionnels de la politique en rappelant qu’ils ont fait irruption sur leur scène. Pour ce qui est du premier terme, soulignons que l’on trouve dans les deux campagnes des termes comme « comique professionnel », ou « humoriste de métier ». Ainsi, dans l’Express, Olivier Todd écrira qu’« on a déjà vu des candidats vraiment fantaisistes : Barbu en 1965, Ducatel en 1969. Coluche, lui, est un amuseur de métier. Nous assistons à la fusion de la 137 candidature fantaisiste et du candidat fantaisiste professionnel » , dans plusieurs articles on lui rappelle qu’il n’est pas du « métier politique », mais c’est dans Le Figaro que la charge la plus dure sera donnée, Xavier Marchetti parlera d’« outrances des farceurs professionnels et de leur claque intéressée » insistant sur ce terme, il ajoutera « les clowns de profession et les gugusses par inconscience [ont un but :] ridiculiser la fonction, l'avilir en feignant de s'en 138 prétendre dignes. » Cette utilisation du terme professionnel est tellement prégnante dans ces campagnes que Dieudonné, déclarera « retourner à son métier » quand il arrêtera sa campagne. Corollairement à cette idée de métier politique, apparaissent les termes irruption, intrusion… Pour en donner quelques exemples notons que pour Thierry Pfister, Coluche « faisait irruption dans la sphère politique tel un corps étranger », pour Pierre Billard et Jean133 134 Bureau (Andrea), dir., Coluche. C‘est l‘histoire d‘un mec, Paris, Stock, 1986, p.26 Charon-Baquel (Yvan), « Réponse à Guy Bedos, un seul vaccin contre la coqueluche …», L’Unité, 12 décembre 1980, n°403, p.2 135 136 137 138 Séry (Patrick), « L'effet Coluche », l’Express, 22 novembre 1980, n°1533, p.108 Brigneau (François), « Celui par qui Coluche est arrivé », Minute, 17 décembre 1980, n°975, p.7-8 Todd(Olivier), « Le cru et les recuits », L’Express, 22 novembre 1980, n° 1533, p.110 Marchetti (Xavier), « La fonction présidentielle », Le Figaro, 24 novembre 1980, n° 11 266, p.1 et p.6 Bozonnet Grégory - 2008 45 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique Claude Loiseau, Coluche, « "le candidat nul" a déboulé dans le jeu de quilles de l'élection 139 présidentielle. » Enfin, pour finir avec ce bref aperçu des mots et expressions utilisés pour rappeler aux candidats fantaisistes qu’ils ne sont pas les bienvenus dans le champ politique, nous pouvons souligner que certains journalistes ont rivalisé d’imagination. Nous nous intéresserons exclusivement à la candidature de Coluche, pour relever des expressions comme dans l’Express des termes comme zozo, symptôme ou expert en chienlit (terme sur lequel nous reviendrons). Le Figaro rivalisera avec la créativité de L’Express en employant une expression telle que « fossoyeur du music-hall » ou « manipulateur d’excrément ». Parmi les attaques plus directes sur la personne de Coluche, nous pouvons noter, une fois encore, une phrase issue des colonnes de L’unité : « Il a toujours fait dans le noir et dans le moche. Au fond des chiottes, pas dans l’azur. Il vole au ras des pâquerettes, jamais 140 à la cime des arbres. Tout le monde ne peut pas s’appeler Devos. » . Cette phrase sera écrite en tout début de campagne, elle sera suivie par d’autres tout aussi agressives, Jacques Dérogy écrira dans L’express qu’il est « irresponsable, odieux, méprisant ; c'est un 141 pitre sympathique quand on ne le connaît pas de trop près » . Ces mots sont inscrits dans un numéro spécial de L’Express intitulé « la vraie nature de Coluche ». Numéro qui va résumer cette nature comme foncièrement mauvaise, on y trouve un Coluche détestable, appuyé par une enquête sur ses agissements irrespectueux plus ou moins anciens. Ce numéro est tellement dur qu’il va surprendre plus d’un lecteur, d’autant que L’Express avait réalisé le 11 octobre 1980, une très longue interview de l’humoriste dans laquelle on pouvait lire qu’il était un « très drôle, très lucide et très tendre personnage ». Etrange revirement de situation que la rédaction expliquera par la différence entre « une enquête » et « une interview ». Minute poursuivra la voie tracée par L’Express et consacrera la dernière page de son dernier numéro de l’année 1980 à Coluche : peu de texte, mais une photo, une photo anthropométrique qui plus est. Photo réalisée alors que Coluche avait seulement 19 ans et qu’il était coupable d’un vol en bande pour un total d’environ 1000 francs. Avant de continuer l’analyse de cette exclusion par une étude en onomastique politique, il convient de noter que ces articles très violents restent très marginaux. La plus grande production d’article revient tout de même aux journaux de soutien qui encensent la candidature de Coluche. En des termes comme « heureux événement politique » (Cavanna) ou « événement politique de l’année » (Serge July). Un journaliste moins proche de l’humoriste écrira d’ailleurs « Suspendons, un instant, s’il vous plaît, nos désespoirs 142 républicains » comme pour dire à ses confrères de cesser d’attaquer Coluche, comme 143 s’il était un « clown dangereux » . Une analyse en onomastique politique révèle une autre face de l’exclusion des comiques 139 Billard (Pierre) & Loiseau (Jean-Claude), « Coluche : « Y s'marre, le mec ! » », Le Point, 22 décembre 1980, n°431, p.3 puis p.95 140 Charon-Baquel (Yvan), « Réponse à Guy Bedos, un seul vaccin contre la coqueluche …», l’unité, 12 décembre 1980, n °403, p.2 141 142 143 46 Dérogy (Jacques), « La vraie nature de Coluche », L’Express, 27 décembre 1980, n°1538, p.35 er Jeanneney (Jean-Noël), « Un clown chasse l’autre », Le Point, 1 décembre 1980, n°428, p.50-51 Slama (Alain-Gérard), « La France malade de Coluche », Le Figaro, 28 novembre 1980, n°11 270, p.2 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? Afin de présenter par un autre biais l’exclusion à laquelle les comiques ont pu être confrontés, nous allons proposer une approche en onomastique politique. L’onomastique politique est une discipline qui s’intéresse à l’utilisation du nom propre (noté Np) dans le champ politique. Nous nous intéresserons, une fois encore, essentiellement au nom Coluche, notre corpus étant nettement plus important que pour les autres candidats, ce qui n’empêche que nous donnerons quelques embryons d’analyses du nom Dieudonné. Afin de commencer notons que Coluche, est le pseudonyme de Michel, Gérard, Joseph Colucci. Tout au long, de cette candidature, nous avons pu montrer que les journalistes ont rivalisé d’imagination pour qualifier l’humoriste et sa candidature, nous allons montrer que l’utilisation du nom de scène ou du patronyme de Coluche est chargée de sens. Avant toute chose, il convient de rappeler d’où vient ce nom de « Coluche ». Michel Colucci est né à Paris, d’un père italien, en 1946, ce qui explique la consonance italophone de son nom. Dès 1968, il crée avec quelques amis (Romain Bouteille, Renaud, Patrick Dewaere,…) le « Café de la Gare », alors que sur scène, on le connait déjà sous le pseudonyme de « Coluche ». Même si les sources divergent à ce sujet, il semblerait que Coluche se soit fait appeler ainsi beaucoup plus tôt, lorsqu’il vivait dans les quartiers de Montrouge, où ses amis lui avaient trouvé ce surnom hypocoristique. Plusieurs explications ont été données par Coluche tout au long de sa carrière. La première, dans le registre de la scatologie qu’il affectionnait, consiste à dire qu’il se serait fait appeler Coluche parce que « Colucci, ça fait Colucci partout ». D’autres, plus probables, ont été avancées. Il n’était pas forcément toujours bien vu d’être un immigré italien quelques années après la seconde guerre mondiale, ce qui l’a amené à préférer le surnom de Coluche. Enfin, il a annoncé que c’était également pour des raisons pratiques, personne n’ayant jamais su comment se prononçait son patronyme! Tous les surnoms n’ont pas forcément une histoire, il est parfois difficile de savoir comment un surnom se forme. Coluche aimait à dire que le sien venait du mot coqueluche, il l’a d’ailleurs 144 chanté dans sa chanson sketch, « J’suis l’andouille qui fait l’imbécile » que son « nom sonne comme une maladie ». Cette chanson a d’ailleurs été écrite alors que la France entière ne connaissait l’humoriste que par son pseudonyme. Quelles que soient les lectures que l’on puisse avoir sur Coluche, force est de constater qu’il est quasiment toujours désigné par ce pseudonyme connu de tous. Nous allons tout de même regarder à quelles occasions, Coluche, sera nommé autrement que par son nom de scène pendant cette campagne à l’élection présidentielle. Sarah Leroy, dans son ouvrage de référence, écrivait qu’« un même nom propre peut être attribué à plusieurs individus et un même référent peut être porteur de 145 plusieurs noms propres » . Dans le cas de Coluche, deux noms propres lui sont attribués, Colucci son nom de naissance, Coluche son pseudonyme. Mais nous allons voir qu’ils ont pu connaître plusieurs variations. Les différents noms propres par lesquels Coluche a été désigné sont au nombre de sept : M.Michel Colucci, dit Coluche ; Michel Colucci, dit Coluche ; Michel Colucci ; M.Colucci ; Colucci ; Coluche ; Monsieur Coluche. Ce que nous voulons montrer, c’est que le choix d’une forme ou d’une autre est porteur de sens. Si l’on regarde le corpus dans son ensemble, il est indéniable qu’appeler Coluche, « Coluche », est la norme. Dans la quasi-totalité des articles, on retrouve en effet ce Np. Nous allons donc plus précisément nous intéresser aux cas où l’on n’utilise pas celui-ci et où on le remplace par l’une des six autres formes présentées. Les articles où l’une de ces six dénominations est utilisée ne représentent que 20% de notre corpus, soit une petite cinquantaine d’articles, ce qui nous permet d’en tirer une analyse conséquente bien que ces utilisations demeurent marginales. 144 145 Coluche, « Je suis l’andouille qui fait l’imbécile », 1975 Leroy (Sarah), op.cit., p.105 Bozonnet Grégory - 2008 47 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique Seul un journal a publié des articles en utilisant, l’expression M.Michel Colucci, dit Coluche. Il s’agit du Monde. Ce journal est également celui qui utilise le plus souvent la dénomination Michel Colucci, dit Coluche, et c’est d’ailleurs le seul dans lequel ces expressions sont utilisées aussi souvent que le nom Coluche. Où chercher l’explication ? Ce n’est pas nécessaire d’aller très loin. Le Monde joue une fois encore, son rôle de journal de référence. Présenter Coluche, sous son nom de citoyen et non son nom de scène est lié à un raisonnement logique. Toutes les personnes citées dans Le Monde (de cette époque) sont nommées, du moins dans le chapeau de l’article, par cette forme. L’idée est de traiter tout le monde sur un pied d’égalité, du moins d’en donner les apparences à travers ce genre d’expressions. Nous avons vu que Le Monde présentera tout au long de cette campagne, les articles les plus « neutres » de toute la presse. Puisqu’à l’exception de deux articles d’opinion, tous les articles consacrés à la candidature de Coluche ne visent qu’à relater des faits de campagne. Rappelons que pour faire plus neutre, dans les colonnes de ce journal de référence, un « clown » devient un « fantaisiste ». Le Monde cependant, n’a pas l’exclusivité de l’expression Michel Colucci, dit Coluche. Celle-ci s’avère être utilisée par la quasi-intégralité des journaux que nous avons pu analyser. A trois exceptions près, sur lesquelles nous reviendrons brièvement par la suite, cette expression est utilisée dans les journaux entre le 26 novembre et le 3 décembre 1980, pourquoi ? La raison est simple, les journalistes qui ont ressorti cette expression patronymique, l’ont fait lorsque Coluche est passé de la rubrique politique à la rubrique faits divers. Ceci marque une césure et crée une sorte d’officialisation appropriée aux affaires judiciaires. Rappelons que Coluche a, en effet, croisé les institutions judiciaires à deux reprises pendant sa campagne : le 26 novembre suite à la mort par balles de son régisseur lumières René Gorlin et le 2 décembre, après avoir reçu des menaces de mort. L’utilisation de ces termes est appropriée aux circonstances et rendent les faits plus officiels. Les trois formes ne correspondant pas à cette période sont moins aisément explicables, 146 l’une est liée au fait que le journaliste du Point qui l’emploie effectue une sorte de biographie de Coluche, il est donc justifié de commencer par son nom de baptême. L’une extraite du Matin de Paris semble plus recourir à l’exercice journalistique, puisqu’elle apparaît dans un article relativement long, où le journaliste cherche visiblement à limiter 147 les répétitions. La dernière, parue dans les colonnes de Charlie Hebdo semble être une pure ironie, une utilisation pompeuse pour annoncer la candidature de Coluche sachant que dans la même phrase Arthur place les mots merde et cul. Dans la majorité des cas, les expressions Michel Colucci et M.Coluccisont utilisées durant la même période que celle que nous citions précédemment. Dans deux ou trois cas, l’expression ne sert à rien d’autre qu’à éviter une répétition, elle n’est pas particulièrement porteuse de sens. Ce sont des expressions finalement assez peu utilisées dans l’ensemble. Mais on peut tout de même en tirer deux caractéristiques qui s’en dégagent. Un journaliste du Matin de Paris pense que cette expression est utilisée par ceux qui « pensent banaliser 148 cette démarche » ; cette vision semble quelque peu erronée. En fait, ces expressions ont été mises en avant par les journalistes au moment où la candidature de Coluche atteignait un score élevé dans les sondages d’opinion ; cette réapparition du nom de famille, est associée à l’adjectif sérieux. La candidature devient sérieuse, « Michel Colucci, candidat sérieux ». L’autre type d’utilisation du terme Michel Colucci a pour but de montrer une dualité entre 146 147 148 48 Chambraud (André), « Cassandre et le saltimbanque », Le Point, 24 novembre 1980, n°427, p.44 Arthur, « Colucci, Coluche and C° », Charlie Hebdo, 5 novembre 1980, n°520, p.3 « Le cas Coluche », Le Matin, 8 Janvier 1981, n°1214, p.4 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? Coluche et Michel Colucci. L’un serait le candidat, l’autre le comique en campagne. Tous les journalistes ne s’accordent pas pour savoir lequel est lequel, mais cette idée de dualité de la personnalité de Coluche est présentée dans plusieurs articles. Pour ne donner qu’un exemple, dans les colonnes du Nouvel Observateur, on pouvait lire que « Michel Colucci s’épuise à tenter de suivre le phénomène Coluche », ou que « la candidature Coluche 149 existe, pas celle de Michel Colucci » . L’utilisation ici est intéressante. Chacun des noms propres qui renvoie pourtant officiellement à la même personne, renvoie ici à une partie de la personnalité différente. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces expressions par la suite, mais nous pouvons noter que cet exemple montre à quel point les noms propres peuvent être porteurs de sens. Les deux dernières formes méritent notre attention. Utilisées très rarement, elles n’en sont pas moins génératrices de sens. Colucci utilisé seul n’apparait que dans deux articles, l’un paru dans Minute, l’autre dans L’Express. Ils ont la particularité d’être tous les deux très durs vis à vis de l’humoriste. En ce qui concerne Minute, l’utilisation de Colucci a pour but de rappeler les origines du « candidat-nul », « Colucci, Lederman (…), La France est bien 150 devenue le pays de l’étranger » . En ce qui concerne L’Express, l’utilisation de Colucci pour désigner l’humoriste ne semble pas porter sur une question xénophobe, mais sur une marque de profond irrespect pour la personne de Coluche. L’article vise à le montrer sous ses plus mauvais jours, quelqu’un de tellement méprisant qu’il en devient méprisable, « pas 151 con, en vérité. Mais odieux avec ceux qu'il peut écraser de son mépris » Enfin, notons que l’expression Monsieur Coluche est à la base un non sens. Ce n’est pas le pseudonyme de Coluche, et Coluche n’est pas, non plus, son nom de famille, donc il n’est pas censé être précédé par Monsieur. Cette expression prend des apparences d’oxymore (figure de style qui consiste à juxtaposer deux termes de sens a priori opposés) et va être utilisée comme telle. Mais seuls trois articles se réfèrent à cette forme, les trois 152 dans un aspect différent. Tout d’abord dans Minute , l’utilisation est on ne peut plus ironique, elle se prononcerait d’ailleurs /Môssieur Coluche/, nous évoquant immédiatement un dialogue de sourd entre les deux protagonistes d’Uderzo et Goscinny s’échangeant des « Môssieur Astérix » et des « Môssieur Obélix ». Le journaliste de Minute écrit Monsieur Coluche, exclusivement sous la forme M.Coluche et pour donner une illustration de l’ironie de l’article on peut souligner que François Brigneau nomme l’humoriste « le Saint homme ». La référence que l’on peut trouver dans Le Point est a mi-chemin entre le respect et l’ironie. On n’est pas assez proche du respect pour appeler Coluche par son patronyme, mais les scores dans les sondages de l’humoriste amènent à le considérer comme un vrai candidat, « Désormais, il n'y a plus de cas Coluche. Il y a tout simplement Monsieur Coluche, candidat à la candidature à la présidence de la République, qui, avec 11 % des intentions de vote, s'installe au quatrième rang parmi les candidats (supposés) à la candidature, derrière Giscard, Mitterrand et Marchais, mais ex aequo avec Chirac et 153 Debré. » Enfin, Le Monde utilisera à cinq reprises dans le même article cette formulation, difficile de comprendre ici le choix du journaliste, il agit comme si le fait de dire simplement 149 150 151 152 153 Pfister (Thierry), « Que faire de Coluche ? », Le Nouvel Observateur, 8 décembre 1980, n° 839, p.40 Brigneau (François), « Celui par qui Coluche est arrivé », Minute, 17 décembre 1980, n°975, p.7 Dérogy (Jacques), « La vraie nature de Coluche », L’Express, 27 décembre 1980, n°1538, p.35 Brigneau (François), « docteur Althusser et Mister Coluche », Minute, 26 novembre 1980, n°969, p.10-11 Chambraud (André), « Coluche drague à gauche », Le Point, 12 janvier 1981, n°434, p.36-37 Bozonnet Grégory - 2008 49 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique « Coluche » serait irrespectueux, et nomme le comique une fois par son patronyme, une fois par cette expression hybride. Maintenant que nous avons vu les différents Np qui désignent Coluche, il est intéressant d’étudier les dérivés qu’a pu connaître ce Np pendant la campagne de l’humoriste.Que ce soit Jean Molino ou Sarah Leroy, tous deux reconnaissent dans la dérivation des noms propres l’un des enjeux principaux de l’étude desNp. Cette dernière écrit que « la dérivation 154 du N p , loin d’être exceptionnelle, se révèle au contraire riche et variée » alors que Jean Molino montrait qu’il était extrêmement productif de former des adjectifs à partir de noms de personnes. Pour Sarah Leroy, les dérivés des noms propres se rangent dans trois catégories :noms communs (ex : une lapalissade), adjectifs (ex : dreyfusard) et verbes (ex : proustifier). Nous allons étudier les différentes dérivations qu’a connues le nom Coluche pendant la campagne de l’humoriste à l’élection présidentielle de 1981. Avant toute chose, il convient de noter que tous les dérivés utilisés sont des dérivés issus du pseudonyme de l’artiste et non pas de son patronyme. Pas de °coluccisme ou du °coluccien alors que la consonance aurait été la même. Ceci confirme, une fois encore, l’idée que Coluche est avant tout connu et désigné par son nom de scène. Afin de présenter au mieux tous les dérivés qu’a connu le nom Coluche pendant cette campagne, nous allons dans un premier temps nous intéresser au vocabulaire construit avec les suffixes -ien, -iste et –ismepour ensuite nous intéresser aux autres suffixes qui ont généré des dérivations du Np Coluche. Nous verrons enfin les termes construits avec des préfixes.François Gaudin et Louis Guespin affirmaient que « si le nom propre tend à privilégier l’un des suffixes disponibles, essentiellement : -ien ou -iste, les deux suffixes peuvent être utilisés concurremment : gaullien et gaulliste n’ont pas la même valeur : "un discours gaullien" évoquera l’homme : -ien a le sens de "propre à" ; "un discours gaulliste" référera aux idées de l’homme : -iste a le sens de "partisan de", il en va de même pour les oppositions en mitterrandien et mitterrandiste, 155 marxiste et marxien » . Nous allons essayer de voir si cette division reconnue entre suffixe en -ien et suffixe en -iste a été respectée au sujet de Coluche. Nous aurons l’occasion d’en reparler, un peu plus loin, mais notons que de nombreux journaux se sont intéressés, par le biais de sondages, aux électeurs de Coluche. D’autres plus rares, s’intéresseront aux quelques comités de soutien à la candidature de l’humoriste qui ont germé un peu partout en France. Pour tous ces militants et électeurs potentiels de l’humoriste, les journalistes se devaient de trouver un nom. Ils se sont naturellement penchés vers les dérivés en -ien et en -iste. « Les gens qui vous appuient ne soutiennent ni une politique ni un programme ni 156 une visée présidentielle » disait Dominique Jamet à Coluche. Ce dernier rétorquait qu’il n’avait pas à avoir de programme, car il n’était pas un politicien. Toute la campagne de Coluche ne serait en fait qu’une boite vide dans laquelle on pouvait glisser les idées que l’on voulait qu’il défende. Bref, difficile d’être « partisan de » Coluche, puisqu’il assume le fait de ne pas avoir de programme. Les militants sont donc plutôt attachés à la personne de Coluche et seraient donc, selon la logique, plus « coluchiens » que « coluchistes ». Dans les faits, cette théorie est tout à fait confirmée. Le journal qui s’intéresse le plus aux « militants » de Coluche est de très loin Libération. Les militants sont systématiquement 154 155 Leroy (Sarah), op.cit., p.59 Gaudin (François), Guespin (Louis), Initiation à la lexicologie française, de la néologie aux dictionnaires, Paris, De Boeck/ Duculot, 2000, p.258 156 50 Jamet (Dominique), « A Quoi jouez-vous, M. Coluche ? », Le Quotidien de Paris, 24 novembre 1980, n°308, p.7 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? appelés « coluchiens ». Ainsi, on trouve dans les colonnes de ce journal des expressions telles que, « symbolique coluchienne », « engagement coluchien », « farce coluchienne », « inconditionnels coluchiens », « intellectuels coluchiens », « candidature coluchienne », … coluchien peut être accolé à tout un spectre de noms communs, mais l’adjectif qualificatif sera toujours coluchien. Ainsi, tous ces « militants » forment « le parti des coluchiens », un parti sérieux et organisé : « militants dans l’âme ils sont prêts et à coller des affiches, à recueillir des signatures sur les marchés, à discuter avec les gens dans le quartier. Sans 157 rire. » Coluchien est utilisé par la plupart des autres analystes politiques, ainsi Le Matin de Paris publiera dans ces colonnes l’expression « rhétorique coluchienne » ou « ras-le158 bol coluchien » . Le Point consacrera plusieurs articles à essayer de comprendre ce mouvement, notamment à comprendre la sociologie des « militants ». Par ailleurs, André Chambraud affirmera, tout de même, que « le thème "coluchien" du "chacun pour soi" est 159 en réalité singulièrement égoïste, démoralisateur et poujadiste » . Nous venons de voir que coluchien était très répandu ; mais est-ce que cela signifie que personne n’a utilisé coluchiste ? Personne, pas tout à fait, mais presque. En fait, le terme ne va apparaître que six fois dans toute la campagne. Six fois, dont une seule utilisation sans guillemet. Cette utilisation revient à Jean Daniel dans les colonnes du Nouvel Observateur. Mais ce qui intéressant à noter, c’est que sur six utilisations, quatre sont à mettre à l’actif d’un seul journaliste, Claude Weill pour Le Matin de Paris. Il va dérouler plusieurs articles 160 sur les « coluchistes » avant de se demander : « faut-il dire " coluchiens " ?» . Le 5 mars 1981, les mots croisés des Nouvelles littéraires proposaient cette définition pour un mot en dix lettres : « On peut dire qu’il est le fruit de la désespérance (néol) ». Le mot qui se cachait derrière cette définition ? Coluchisme. Un terme, utilisé assez peu fréquemment dans cette campagne. Il n’y en aura en fait que six occurrences. Si l’on se réfère au Grand Robert de 1999 : « Le suffixe –isme est très productif ; ajouté à un nom ou à un adjectif, il forme des termes politiques et sociaux, avec la valeur axiologique du "système d’opinions" ou de "attitude, tendance" ; des termes de philosophie, de religion ou de science ("doctrine" ou "croyance") ; des termes littéraires et artistiques ("écoles" ou "tendances"). Il a toujours la valeur de "attitude positive par rapport à". Une deuxième valeur du suffixe est celle d’ "attitude" et "activités" conforme à la tendance ou au modèle qu’exprime la base ou favorable à une personne, un groupe humain, etc. (américanisme ; -pro-). » Bien sûr, il est un peu difficile d’imaginer le coluchisme comme un « système d’opinions », comme une doctrine ; mais comme « attitude positive par rapport » à Coluche, ceci peut se comprendre. On peut imaginer que la polysémie du suffixe a pu décourager plus d’un journaliste à l’utiliser. Jacques Dérogy nous explique dans L’Express que « l'ampleur du 161 "coluchisme" [est] révélée par les sondages » . Cette idée pourrait donc correspondre à la définition d’attitude positive par rapport à Coluche. Les quelques dix pour cent qui se disent enclins à voter Coluche seraient des personnes favorables à Coluche et à son 157 158 159 160 161 Maigne (Jacques), « Les humanistes et les Gaulois », Libération, 27 décembre 1980, n°2136, p.7 « L'avertissement de Coluche », Le Matin de Paris, 16 mars 1981, n°1261, p.2 Chambraud (André), « Cassandre et le saltimbanque », Le Point, 24 novembre 1980, n°427, p.44 Weill(Claude), Présidentielle : Coluche s’installe », Le Matin de Paris, 15 décembre 1980, n°1183, p.4 Dérogy (Jacques), « La vraie nature de Coluche », L’Express, 27 décembre 1980, n°1538, p.35 Bozonnet Grégory - 2008 51 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique initiative et c’est donc cela que l’on nommerait le « coluchisme ». C’est dans ce sens que les articles du Matin de Paris qui s’y réfèrent l’emploient. On peut en fait souligner deux énoncésnotables : lepremier est issu des colonnes de L’Express : « Le coluchisme, 162 pour l'heure symptôme plus que mouvement, n'est pas encore un boulangisme » ; le 163 second, tiré du Monde, oppose un « coluchisme de réflexion » à un « coluchisme de pure jubilation ». A travers cette expression « coluchisme de réflexion », on peut distinguer les prémisses d’une idéologie. Dans cet article, ce serait une sorte d’idéologie antipolitique ou plus précisément anti-présidentialiste, nous reviendrons un peu plus loin sur ce point. De coluchien à coluchisme, en passant par coluchistes, la candidature de Coluche a été l’occasion de créer des néologismes avec des suffixes « politiques ». Pour compléter le tableau, il manquait le terme coluchards, L’Express ne l’a pas oublié. Selon eux, l’électorat 164 de Coluche est de « quelques centaines de milliers de coluchards potentiels » . Il pourrait être intéressant de faire une analyse complète des différents suffixes. Mais pour ne dire qu’un mot sur le suffixe -ard, nous pourrions noter que l’édition numérique du Trésor de la Langue française, le défini comme un « suffixe péjoratif formateur d'adjectifs ou de substantifs qualifiant ou désignant des personnes» ou comme un suffixe « désignant une réalité sociale ou politique ». Il est vrai qu’il est courant de rencontrer un mot créé avec le suffixe -ard qui soit péjoratif, et que ce suffixe peut également s’appliquer à des mots comme communard ou dreyfusard. L’article dans lequel Olivier Todd a utilisé cette expression montre toutes les réminiscences de notre passé politique que Coluche ferait ressurgir. Il est extrêmement dépréciatif. On peut donc supposer que l’auteur a joué sur la polysémie de ce suffixe pour désigner les militants de Coluche. On peut, bien sûr, le prendre comme un suffixe formateur d’une réalité politique que sont ces militants, dans ce cas, et en rapport avec le thème de l’article, à nous d’interpréter à quel évènement il peut nous renvoyer en qualifiant les électeurs potentiels de Coluche, de « coluchards ». Mais on peut également imaginer, que l’auteur choisi ce suffixe pour sa valeur dépréciative, et notamment pour former un mot qui sonne comme clochard. En tout cas, ce mot à lui seul montre l’étendue de la sympathie qu’Olivier Todd peut avoir pour la campagne de l’humoriste… Nous venons de voir toutes les dérivations du nom Coluche qui ont généré des néologismes politiques ; nous pouvons également noter quelques autres suffixes utilisés pour créer des néologismes d’un autre domaine. Pendant cette campagne, nous avons pu en relever deux créés respectivement avec les suffixes -ite et -erie. Ainsi dans l’article d’Olivier Todd, que nous avons déjà amplement cité, on peut lire qu’« il est trop tôt pour 165 dramatiser la coluchite d'une fraction de l'opinion » . Le suffixe –ite renvoie immédiatement au champ lexical de la médecine et l’on pourrait d’ailleurs faire le parallèle avec un autre article de L’Express qui affirmait que « la France fait, comme cela lui arrive régulièrement, 166 une allergie. Coluche, c'est une crise d'urticaire.» . Libération, aussi, a utilisé coluchite, pour qualifier un engagement soudain d’un groupe de militants jusqu’alors très peu politisés, 162 163 Todd (Olivier), « Le cru et les recuits », L’Express, 22 novembre 1980, n° 1533, p.110 Franceshini (Paul-Jean), « les limites d’un pet » », Le Monde, 26 novembre 1980, n°11 142, p.2 164 165 166 52 Todd (Olivier), « Le cru et les recuits », L’Express, 22 novembre 1980, n° 1533, p.110 Todd (Olivier), art.cit., p.110 Roy (Albert, de), « Sondage : que pèse M.Colucci », L’Express, 27 décembre 1980, p.39 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? 167 « la coluchite les saisit un dimanche soir » . Dans cette phrase, l’expression de la soudaineté peut, en effet, être mise en parallèle avec l’idée de virus. Enfin, on peut croiser dans un article du Point, un néologisme fort péjoratif, il s’agit de 168 colucherie . Le suffixe -erie, entraîne un dérivé avec une valeur dépréciative, affective ou fréquentative. Dans le cas présent, il ne fait aucun doute que c’est la valeur dépréciative qui prédomine, d’autant plus que colucherie résonne comme un nom préexistant à connotation très péjorative. Pour conclure, et pour insister sur la richesse de l’étude de la dérivation des Np pour montrer l’exclusion de cette candidature, on peut noter que trois termes ont été crées pendant cette campagne en utilisant des préfixes. Deux n’ont pas vraiment de valeur politique, ils ont été essentiellement créés pour le plaisir du bon mot, l’autre est un peu plus chargé de sens. Pour commencer par ce dernier, il s’agit de procoluchiens utilisé par Paul Israël dans les colonnes du Matin de Paris. Ce terme désigne les personnes enclines à voter Coluche. L’auteur a dû juger que le suffixe –ien, dont nous avons déjà évoqué le sens, ne marquait pas encore suffisamment l’attachement des électeurs potentiels à la personne de Coluche. Pour insister, un peu davantage, il a utilisé le préfixe pro- qui est prend, ici, le sens de «favorable à, partisan de» (Trésor de la langue française). Sur un ton plus léger, Patrick Séry écrira dans L’Express, « Candidat des minorités — c'est lui qui le dit — Coluche grignoterait sûrement les marginaux du fait simplement qu'il serait le plus marginal de tous : un des effets de l'« effet Coluche ». Les écologistes pourraient en prendre un coup, à moins 169 de se transformer en écoluchiens.» Enfin, une caricature de Charlie Hebdo, présente un jeu de mot, qui peut entrer dans cette catégorie, puisque cette caricature appelle à voter « coco-luche ». On peut noter, cependant, qu’aucun dérivé du Np Coluche n’a généré de verbe. On aurait pu imaginer par exemple un énoncé disant que la précampagne aurait « coluchisé » les esprits ou les candidats. Cette absence de verbe est peut-être révélatrice du trop faible impact de cette candidature sur la campagne. Pour conclure sur l’analyse de ce nom, nous pourrions nous intéresser à l’utilisation de Coluche comme antonomase pendant cette campagne, le premier exemple sur lequel nous aimerions nous arrêter est issu des colonnes du Monde. M.Franceshini signe un article très dur contre la candidature de l’humoriste, qu’il conclut par ces mots : « Le beau sujet de s'esclaffer que les imperfections et les vices d'un système comme le nôtre ! Quand les rieurs seront légion, la voie sera frayée pour un régime où les Coluche se verront indiquer 170 par arrêté ministériel les sujets dont le pouvoir veut qu'on s'amuse. » D’un point de vue syntaxique, le déterminant défini introduit une utilisation tropaïque du Np. Il détourne le sens propre du nom Coluche. Il y a donc une antonomase, utilisation d’un nom propre comme un nom commun. Dans le cas présent, le déterminant est indéfini et pluriel, mais Sarah 171 Leroy montre que dans l’antonomase « tous les déterminants sont envisageables » . Coluche se conduit ici comme n’importe quel nom commun. Il est donc doté d’un sens, sens 167 Gilson (Martine), « Randonnée dans le parti des coluchiens – 2 ème partie : les jeunes, les intellectuels, les drôles », Libération, 27 décembre 1980, p.7 168 169 170 171 Chambraud (André), « Coluche drague à gauche », Le Point, 12 janvier 1981, n°434, p.36 Sery (Patrick), « L'effet Coluche », l’Express, 22 novembre 1980, n°1533, p.108 Franceshini (Paul-Jean), « les limites d’un pet » », Le Monde, 26 novembre 1980, n°11 142, p.2 Leroy (Sarah), op.cit., p.71 Bozonnet Grégory - 2008 53 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique que le contexte aide à révéler. Il serait ici assez générique et représenterait les comiques professionnels officiant dans les médias. Ainsi, on pourrait tout à fait imaginer le journaliste modifiant sa phrase en utilisant cette périphrase et ceux, sans modifier le sens initial. En guise de deuxième exemple, sur les expressions que nous avions auparavant citées sans trop les expliquer : « Michel Colucci s’épuise à tenter de suivre le phénomène Coluche », ou 172 « la candidature Coluche existe, pas celle de Michel Colucci » . Rappelons que ce ne sont que des exemples choisis d’opposition entre « Michel Colucci » et « Coluche ». Force est de constater que ces deuxNp renvoient au même référent et pourtant, ils n’ont pas, ici, le même sémantisme. En effet, on est en quelque sorte dans le cas de la phrase-exemple de Sarah 173 Leroy : « Montand est devenu Montand » . Dans ces énoncés, l’un des emplois du Np « fait appel au sens dénominatif ». Si l’on plagie un peu davantage Sarah Leroy, on peut écrire que l’on peut sans problème gloser un des deux Np par le x appelé Coluche. En revanche, le second Np ne permet pas cette interprétation, et nécessite de faire appel au contenu du Np (qu’on peut gloser par « le comique qui fait une irruption dans le champ politique»). En d’autres termes, dans ces expressions, seul un des deux Np peut être remplacé par une périphrase - parce que chargé de sens - l’autre Np n’a qu’une vertu dénominative. Pour ne donne qu’un dernier exemple avant de nous intéresser à Dieudonné, nous pourrions mettre en relief ces mots très durs issus des colonnes de Minute. Pour cet hebdomadaire d’extrême droit, la cause du succès de Coluche est « morale parce que depuis des années et des années on s'applique à faire de ce peuple un ramassis de Coluche. Rien d'étonnant s'ils se sont reconnus dans son image et veulent maintenant en faire leur président. ». Cet expression « ramassis de Coluche », selon Le Trésor de la langue française, un ramassis est un « rassemblement disparate de gens peu estimables », il est plus difficile en revanche de savoir comment François Brigneaudéfinirait un Coluche, en parcourant le reste de l’article, on peut simplement juger qu’il s’agit de quelqu’un vraisemblablement dénué de valeurs et d’intérêts. Le nom de Dieudonné, est beaucoup moins souvent enclin à des dérivations, ce qui est notamment lié au fait qu’on ne le croise que rarement dans les colonnes politiques. Afin de présenter quelques aspects de l’utilisation de son nom, nous nous fierons essentiellement à la presse d’extrême droite et à son site de soutien. En ce qui concerne la presse d’extrême droite, le nom de Dieudonné est régulièrement utilisé pour rappeler ses origines. Dieudonné est métis, « né d’un père camerounais et d’une mère bretonne » comme il aime à le dire. Contrairement à Coluche, son patronyme apparaît relativement régulièrement dans ses campagnes. Ceci est lié à plusieurs phénomènes, tout d’abord nous avons vu avec Coluche que son patronyme était mobilisé au moment où il entrait dans les colonnes « faits divers » ou « justice ». Il en ira de même pour Dieudonné, à la nuance près, qu’il n’a jamais vraiment quitté les colonnes « justice » pendant ses campagnes. Nous nous devons tout de même de noter que, si l’utilisation de son nom est quasi systématique lorsqu’un article renvoie à un procès de l’artiste, son patronyme apparaît également dans d’autres temps de la campagne. Ceci est vraisemblablement lié au fait que Dieudonné soit avant tout un prénom et que, par conséquent, les journalistes doivent mettre en œuvre un processus de différenciation, nous avions noté auparavant que ce processus passait très souvent par l’utilisation du terme « l’humoriste Dieudonné », parfois, l’utilisation de son nom de famille prend également ce rôle. Pour en revenir à la presse d’extrême 172 173 54 Pfister (Thierry), « Que faire de Coluche ? », Le nouvel observateur, 8 décembre 1980, n° 839, p.40 Leroy (Sarah), op.cit., p.115 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? droite. Dieudonné est systématiquement nommé par son nom. En fait, ceci ne changera qu’à propos de l’article traitant de la présence de l’humoriste à la fête bleu, blanc, rouge, du Front national. Pour ne donner que deux exemples, nous pouvons noter que Rivarol intitule 174 son article à propos de l’humoriste par un jeu de mot sur son nom « M’ba la campagne » . Le jeu de mot renvoie bien sûr à l’expression battre la campagne, mais corrobore avec la dénomination de Dieudonné par l’expression « candidat M’bala, M’bala », c’est aussi par 175 ces mots que l’humoriste est désigné dans les colonnes de Minute . Notons que cet article renvoie à une utilisation tropaïque de Dieudonné, en effectuant un jeu de mot à partir de la consonance du Np. En fait, le prénom Dieudonné vient de « Dieu a donné », c’est à partir de là que Minute a pu titrer « L’humour ce n’est pas Dieudonné à tout le monde ». En dehors de ces utilisations par la presse d’extrême droite, les ogres ont très régulièrement joué avec le nom de l’humoriste. L’humoriste lui-même sur scène, joue beaucoup avec les difficultés qu’ont certaines personnes à prononcer ou à écrire son nom. Ce à quoi nous allons nous intéresser à propos de Dieudonné c’est à l’utilisation de la dérivation par son site de soutien. Nous pouvons tout de suite noter qu’elle est relativement courante. Ainsi, les médias sont pour eux « sarkophile et dieudophobe ». L’utilisation de ce suffixe –phobe est utilisé pour appuyer leur théorie du lynchage médiatique de l’humoriste. Rappelons que ce suffixe entre dans la construction d’adjectif et de substantif en leur donnant le sens de « peur de ». La presse aurait donc peur de Dieudonné. Outre ce suffixe, on retrouve également la formation de verbe à partir de Dieudonné. Ainsi il existerait un 176 verbe dieudonniser . Le sous-titre de l’article est « je, tu, il, Dieudonnise ». Mais si dans le titre, l’équipe des Ogres utilise une majuscule, elle sera perdue dès la première ligne, avec le terme dieudonnisation. Terme dont ils donnent une définition, il s’agit de « reprendre une de ses phrases en se foutant de tout le reste ». Autrement dit, l’idée que Dieudonné serait antisémite est une construction médiatique pour l’exclure. Pour cela, toute l’équipe a fait un important travail de recherche, et ont pris des déclarations de Coluche, Pierre Desproges, mais aussi d’Alain Finkielkraut, Dominique Sopo, Bernard Henry-Lévy,…, déclarations qu’ils ont sorties de leur contexte pour montrer qu’elle pourrait être considérées comme antisémite. C’est donc cette pratique qui s’appellerait une dieudonnisation, notons qu’elle alimente une fois encore la stratégie de victimisation de l’artiste. Toutefois, ses soutiens se défendent de le faire par stratégie, au contraire, c’est en face qu’il y a une idéologie de l’antidieudonnisme. Ce terme apparaît à plusieurs reprises dans les articles présents sur ce site web, pour dénoncer l’acharnement médiatique de ce qu’ils appellent le « lobby sioniste ». Enfin, nous pouvons noter qu’il relaie aussi les utilisations de Dieudonné comme antonomase dans les autres médias. Ainsi, ils reviennent sur les déclarations de 177 Michaël Prazan dans les colonnes du Figaro qui dit qu’on le « traite de "Dieudonné" » . En fait, pour donner quelques mots du contexte, Michaël Prazan vient alors de publier Pierre Goldman, le frère de l’ombre (Seuil) dans lequel il prouve la culpabilité de l’homme dans un double assassinat pour lequel il avait été innocenté plus de trente ans auparavant. Certains l’ayant accusé d’être antisémite (alors qu’il est juif), l’ont qualifié de Dieudonné. Ainsi, un Dieudonné serait donc synonyme d’un antisémite. C’est un peu ce que l’on retrouve dans les pages débats du monde quelques mois plus tôt où l’on parle « d’élucubrations d’un 174 175 176 177 « M’ba la campagne », Rivarol, 16 novembre 2001, p.3 Langeau (Henri), «L‘humour c‘est pas Dieudonné à tout le monde», Minute, 20 décembre 2001, n°2045, p.7 « Et si on les dieudonnisait? Jeu de massacre », lesogres.org, 25 septembre 2005 Burnat (Patrice), «l‘embarassant fantôme de Pierre Goldman », Le Figaro, 24 septembre 2005, p.8 Bozonnet Grégory - 2008 55 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique 178 Dieudonné » dans un article consacré à la victimisation des Noirs et des juifs. On retrouve également la même idée sous la plume de Gilles Anquetil, « si les violences coloniales avaient été mieux enseignées, un Dieudonné n’aurait pas eu le moindre prétexte pour 179 délirer dans sa surenchère victimaire » . A propos de l’antisémitisme de Dieudonné, Alain Finkielkraut était monté au créneau s’offusquer de certains de ces propos. Notons qu’à cette occasion, il a avait utilisé une expression marquante, moins de deux mois après la mort de Pierre Bourdieu, il parlait de « pensée "Bourdieudonné" ». Sous ce jeu de mots se cachait une dénonciation « d’une pensée qui, entre Bush et Ben Laden, choisit quand même Ben 180 Laden, parce que celui-ci a le charisme du révolté. » Après avoir montré les mots des journalistes donnant une impression d’une volonté d’exclusion de ces comiques de la campagne à l’élection présidentielle, nous venons de voir, que l’étude des noms propres Dieudonné et Coluche ainsi que de leur dérivation pouvaient mettre en exergue d’autres stratégies de mise au ban de ces campagnes. Nous allons à présent voir, si ces candidats sont également mis à l’écart des élections en n’étant traité ni par les sondages, ni par les analystes politiques. Des candidatures fréquemment « sondées » et analysées, peut-on parler d’exclusion ? « Grace aux sondages, les journalistes et les politologues médiatiques participent directement à la lutte politique tout en apparaissant comme des 181 observateurs impartiaux » Patrick Champagne, Faire l’opinion. Dans son analyse du champ politique, Bourdieu comprend les journalistes politiques et les professionnels des sondages à l’intérieur du champ politique. Être ou ne pas être dans un sondage est un signe d’appartenance, ou non, au champ politique, tout comme le fait d’être ou ne pas être cité par les grands analystes politiques, dans les éditoriaux des grands journaux. Nous avons eu l’occasion de montrer que les grands journaux ne s’étaient pas tant détournés des humoristes qu’on pouvait le croire, nous allons maintenant nous intéresser aux sondages et aux articles écrits par les analystes politiques des grands journaux. Des candidats exclus des études d’opinions ? « Un sondage sur l’impact de cette candidature n’a aucune signification 182 politique ». Bernard Pons, secrétaire général du R.P.R. à propos de Coluche. Le premier point sur lequel nous souhaitons donc réfléchir, c’est de nous demander, si Coluche et Dieudonné ont été, à un moment ou à un autre, exclus des sondages d’opinions et pourquoi. S’il est évident que Pierre Dac n’ait figuré dans aucun sondage, même si les sondages d’opinions politiques font leur première vraie apparition en 1965 en France, il est un peu plus dur de quantifier la présence et l’absence de Dieudonné et de Coluche dans les sondages. Tous deux ont été proposés à plusieurs reprises dans les sondages d’opinions et ils ont 178 179 180 Benbassa Esther, « Les Noirs, les juifs et la victimisation », Le Monde, 17 mars 2005, p.15 Anquetil (Gilles), « Massacres et mémoire », Le Nouvel Observateur, 19 mai 2005, p.43 Lacroix (Alexis), « Alain Finkielkraut - "C'est reparti comme en cinquante ! " », Le Figaro, 16 mars 2002, p.13 181 Champagne (Patrick), Faire l’opinion, éd. de Minuit, p.153 182 « Pons… », Libération, 17 novembre 1980, n°2102, p.6 56 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? aussi, tous deux, été écartés dans d’autres. En ce qui concerne Dieudonné, on peut noter que son retrait prématuré de la course à l’élection présidentielle de 2007 explique, à lui seul, son absence dans les sondages. Afin d’être le plus précis possible, nous allons dans un premier temps, étudier la question de la présence dans les sondages de Dieudonné, pour ensuite nous intéresser plus longuement à la candidature de Coluche. En effet, cette dernière candidature va soulever un peu plus d’interrogations. Comme peut le montrer cet extrait d’un article paru dès la mi-novembre dans Libération. « L'excitation produite par le phénomène Coluche dans les milieux journalistiques est telle que jeudi, un bruit courait à Paris selon lequel un sondage test de la SOFRES créditerait le candidat de 10% des intentions de vote au premier tour. La réalité est pour le moment plus sage ; il ne s'agit en fait que d'une crainte des spécialistes : comment éviter que les indécis (environ 20 % pour l'instant) ne se précipitent sur le nom de Coluche pour éviter de dire : « Je ne sais pas ». « La question sur Coluche est le type du « biais » en matière de sondage. Il est évident que le score serait énormément gonflé : je ne serais pas surpris qu'il atteigne 10 %, soit la moitié du nombre de ces indécis qui saisiraient ainsi une possibilité d'échappatoire » dit Jaffré, « Le moment venu, on verra comment on peut éviter les biais. On posera sans doute une ou deux questions parallèles pour recouper la réponse sur Coluche », explique Olivier Noc de 183 Baromètre Public SA. » Laurent Jaffré prend d’ailleurs son rôle très à cœur. Il explique dans l’article qu’il est soucieux de ne pas inscrire trop de candidats dans les questionnaires pour ne pas faire perdre de sens aux sondages tout en s’assurant de ne pas fermer la porte à des candidats potentiels. « Nous ne pouvons pas nous ériger en conseil constitutionnel des candidats »expliquait-il tout en précisant qu’il ne « fera[it] pas d ostracisme à l'égard d'un candidat, même si c'est un fantaisiste professionnel ». En fait, « Les instituts de sondage, dans leur grande majorité, attendent donc que les candidats fassent état d’un certain nombre de promesses de signature d’élus pour l’intégrer 184 dans leurs sondages. » Le journaliste de Libération critique ce pouvoir des instituts de sondages qui peuvent finalement désigner qui est digne d’être présenté comme un candidat potentiel ou non. « Les instituts de sondages, chiens d'arrêts de la classe politique » écrira Fabien Roland-Lévy, en conclusion de son article. Pour lui, figurer dans les même colonnes 185 que Giscard, Mitterrand ou Marchais constitue « la première estampille politicienne » Nous avons montré qu’en ce qui concerne Coluche, la première marque de son importance politique était vraisemblablement sa place en une de grands quotidiens nationaux, ou de revues généralistes. Pour revenir, à la présence dans les sondages de nos candidats, nous pouvons noter que Dieudonné, a été relativement présent dans les sondages. Compte tenu des débordements de sa campagne qui ont amené certains médias à se détourner de sa candidature. En fait, ce qui est surprenant, c’est que pendant sa campagne on peut rencontrer essentiellement des sondages issus de l’IFOP, ce qui est peut-être un parti pris de cet institut de sondage quand les autres préféraient partir du principe qu’il ne serait pas candidat à l’élection présidentielle et donc que sa présence dans un sondage introduirait 183 Roland-Levy (Fabien), «Les sondeurs vont devoir pêcher le Coluche », Libération,15 novembre 1980, n°2101, p.8 184 185 Roland-Levy (Fabien), «Les sondeurs vont devoir pêcher le Coluche », Libération,15 novembre 1980, n°2101, p.8 Idem Bozonnet Grégory - 2008 57 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique un biais. A l’instar de la candidature de l’humoriste, sa présence dans les sondages est en dent de scie. Ainsi, dès le 29 juin 2001, Dieudonné apparaît dans les colonnes du Journal du Dimanche. Selon ce sondage il récolterait, 4% des voix, tout comme Jean-Pierre Chevènement, ce qui correspondait, dans ce sondage à une huitième place, derrière Robert Hue, mais devant le candidat des Verts, Alain Lipietz. On le retrouvera, dans les colonnes du même journal à un mois du premier tour alors que sa présence au premier tour semble, de plus en plus, compromise. Dans ce dernier sondage, on prévoit qu’il ne récolterait qu’un pour cent des voix. Entre temps, le même institut de sondage, pour le même journal ou pour un autre, a réalisé plusieurs enquêtes dans laquelle ne figurait pas le comique. Nous reproduisons ci-dessous plusieurs résultats. Comme on peut le remarquer, en face de Dieudonné, appelé dans les sondages par son patronyme, figure souvent NP ce qui signifie qu’il n’était pas proposé dans les choix de candidats possibles. On peut noter qu’à de faibles variations près, plus le sondage était proche du premier tour, moins Dieudonné récoltait de voix. Ceci peut confirmer l’idée de Laurent Jaffré, les indécis ont peut-être tendance à choisir un candidat fantaisiste plutôt qu’à renoncer à donner une opinion. En dehors, de ces résultats, nous pouvons relever, deux autres sondages qui sacrent Dieudonné comme un candidat important. Le premier a été réalisé au début de l’année 2001, alors que Dieudonné avait déjà annoncé sa candidature. VSD avait pour le compte d’un article consacré à l’humoriste commandé un sondage sur ses électeurs potentiels. Sur un échantillon représentatif des français de plus de 18 ans de 953 personnes, ce sondage interroge le rapport des enquêtés à la politique mais s’intéresse surtout à la perception de la candidature de l’humoriste par les français. On apprend ainsi que moins d’un français sur deux exclu totalement l’idée de voter pour le comique polémiste. En effet, 7% des interrogés affirment que « c’est certain », ils voteront pour Dieudonné, 24% répondent « pourquoi pas » quand on leur pose la question, et 20% des enquêtés jugent « peu probable » qu’ils lui accordent leur bulletin de vote, deux personnes sur cent ne se prononçant pas. D’autre part, nous reproduisons ci-dessous, la question portant sur le syntagme qualifiant au mieux la candidature de Dieudonné M’Bala M’Bala. Nous pouvons noter que le qualificatif qui est le plus retenu est celui de fantaisiste, qui regroupe plus de quatre personnes sur dix. On peut noter que plus du tiers des interviewés pensent que cette candidature peut être utile que ce soit pour inciter les jeunes à voter ou les hommes politiques à se renouveler. Enfin, et nous reviendrons avec Coluche sur ce type de sondage. Un sondage TNSSOFRES commandé par l’association « Festival contre le racisme » quelques semaines avant le premier tour, place Dieudonné en tête des candidats capable de résoudre le problème du racisme en France. Ce sondage est très peu représentatif puisqu’il a été réalisé sur quatre cents jeunes âgés entre quinze et vingt-quatre ans. Même si dans ce cas, ce sondage n’a eu qu’un très faible écho, nous verrons par la suite que des sondages réalisés « sur mesure » pour que le candidat fantaisiste obtienne un gros score ont pu être courants pendant la campagne de Coluche et ce, même dans des grands quotidiens. Avant de nous attacher un peu davantage au traitement de Coluche dans les sondages, nous pouvons noter qu’à l’instar de son traitement médiatique, Dieudonné n’est ni totalement exclu, ni très présent dans les sondages d’opinions, ce qui prouve que l’on ne peut pas réellement parler d’exclusion de sa candidature des médias. En ce qui concerne la candidature de Coluche, après avoir longtemps hésité à faire figurer Coluche dans leurs sondages, ce qu’expliquait Laurent Jaffré, la plupart des instituts de sondages ajoutera l’item Coluche à leurs questionnaires. Il y aura de plus de nombreux sondages commandés spécialement sur la candidature de Coluche, notamment pour mieux 58 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? connaître ses militants. Le premier sondage a été publié le 17 novembre 1980 dans le Nouvel Observateur, soit moins de trois semaines après la déclaration officielle de candidature de l’humoriste, le dernier a été publié le 27 mars 1981, soit plusieurs jours, après le retrait de l’annonce du retrait de sa candidature par Coluche. La particularité de ces sondages, c’est qu’il n’interrogeait la population que sur la candidature de Coluche. Coluche figure également dans des sondages aux côtés des autres candidats, le premier a été publié dans les colonnes du Quotidien de Paris le 2 décembre 1980 et le dernier dans l’hebdomadaire Le Point, le 19 février 1981. Force est de constater, que bien que Coluche n’ait pas été présent dans tous les sondages publiés, il a été régulièrement cité, tout au long au long de sa campagne. Avant toute chose, nous allons essayer de retracer les scores obtenus par Coluche dans les différentes enquêtes d’opinions. Le premier sondage est paru le 17 novembre 1980 dans les colonnes du Nouvel Observateur, sur 500 abonnés parisiens du magazine, 48% jugent la candidature sympathique, 27% voteraient pour lui s’il se présentait. Nous ne pouvons pas, pas du tout donner de crédit à ce sondage dont la population n’est ni suffisante, ni représentative, mais on peut affirmer que ce sondage a contribué à la popularisation de la candidature de l’humoriste puisqu’il a été repris dans les colonnes de nombreux quotidiens le lendemain, L’Express qualifiera ces réponses de « réponses canulardesques 186 à une candidature canular » . Dans son numéro de 22 novembre, L’Express publie un sondage réalisé sur un panel de 250 témoins régulièrement utilisé par ce magazine. 42% d’entre eux sont hostiles à la candidature. Albert de Roy insiste pour dire qu’ils ont volontairement omis de poser la question de l’intention de vote, parce que ce « serait jouer le jeu de Coluche ». Le 2 décembre 1980 paraît donc le premier sondage où Coluche est proposé comme n’importe quel autre candidat comme item possible. Selon la présence ou non d’autres candidats présents (notamment Chirac et Debré) le score de Coluche varie entre 10 et 12,5% des intentions de votes. Pour Philippe Boggio, ce sondage Indice-Opinion pour le Quotidien de Paris « signe le début des ennuis » de Coluche parce que « la politique 187 va se défendre ». Nous reviendrons plus amplement sur ce point, dans la seconde partie de notre réflexion. Moins de deux semaines plus tard, Le Journal du Dimanche surenchérit et propose un Coluche à 16%. Ce sondage réalisé par un institut nommé l’IFRES a été fait en sorte que Coluche donne l’impression d’obtenir un maximum de vote puisque la question qui a été posée était de savoir si les enquêtés avaient envie de voter Coluche. 16% ont répondu « tout à fait envie », 22% « un peu envie ». La commission officielle des sondages interviendra quelques jours plus tard pour rappeler la nuance entre l’envie et l’intention de vote. Dans ce même sondage, nous pouvions lire en réponses annexes que 13,8% des personnes interrogées trouvent la candidature de Coluche très utile, et 61,3% la jugent positive. Cinq jours plus tard, à la demande de plusieurs quotidiens régionaux, la Sofres réalise un sondage qui donne pour résultat que 17% des interrogés jugent que la candidature de Coluche est une « bonne chose », 49% du même panel trouvent Coluche « sympathique ». Le 27 décembre, L’Express publie le résultat de la deuxième convocation de son panel, 42% sont indifférents, 39 hostiles et 14% favorables. Le premier sondage de l’année 1981 est commandé à l’Ipsos par le Point, Coluche rassemble alors 11% des intentions de votes. Il descend à 7% dans les colonnes du Figaro, le 21 janvier, pour un sondage dont on ne sait à qui il a été commandé. Le 24 janvier, L’Express publie un sondage IFOP qui donne Coluche à 5, 5% des intentions de vote, la veille pourtant un sondage Indice-Opinion était paru dans Le Quotidien de Paris qui donnait Coluche à 10%. Le 19 186 187 Roy (Albert, de), « Sondage : que pèse M.Colucci », L’Express, 27 décembre 1980, p.39 Boggio (Philippe), Coluche, Paris, Flammarion, 1991, p.255 Bozonnet Grégory - 2008 59 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique février paraîtra le dernier sondage où Coluche est proposé comme item à un échantillon représentatif des français, paru dans Le Point, ce sondage de l’Ipsos donne 6,5% d’intention de vote à l’humoriste. Enfin, le 27 mars 1981, Le Matin de Paris, publie un article pour lequel ils ont réalisés un sondage sur une population de motards non-définie, sondage qui dit que 17% des motards voteraient Coluche au premier tour. On peut affirmer que de nombreux sondages ont été réalisés de manière à obtenir le plus grand score possible, c’est notamment le cas du sondage IFRES- Journal du Dimanche, qui pose la question de l’envie de voter, mais aussi du type de sondage du matin de Paris qui cherche à mettre en exergue l’importance de Coluche. Ce type de sondage est fondé sur un calcul, le but est bien entendu de créer l’événement. Une fois encore, on retrouve le poids de l’argument commercial dans la médiatisation de la campagne de Coluche. Les journaux savent qu’en portant en une un score de 16% et une photo de Coluche, les ventes suivront. C’est vraisemblablement ce qui s’est passé dans cette campagne. Soulignons, qu’en revanche, d’autres journaux feront un calcul différent. Conscient que d’inscrire Coluche comme item possible, au même titre que n’importe quel autre candidat, revenait à lui donner du poids politiquement, des journaux comme Le Figaro n’ont jamais fait figurer Coluche dans les sondages qu’ils commandaient et se sont bien gardés de commenter les sondages des autres journaux. En revanche, si Libération à l’époque n’avait sans doute pas les moyens de s’offrir les services d’un institut de sondage, les journalistes de ce quotidien commenteront quasiment tous les sondages parus surtout ceux qui donnaient les plus gros scores à Coluche. Le débat sur la necessité de faire entrer ou non Coluche dans les sondages ne se tarira pas, chaque générera un questionnement sur le sujet. Le journal qui aura l’utilisation la plus paradoxale des sondages sera vraisemblablement. Souvent dans les colonnes de ce journal on peut lire des remarques comme quoi la place de Coluche n’est pas forcément dans les sondages, « les "sondeurs" ont fait du "sur mesure" pour Coluche, puisqu'ils le placent, sans précaution, 188 sur le même pied que les autres candidats. » Parallèlement, ce journal fera beaucoup d’études sur cette candidature et proposera Coluche comme item dans leurs sondages. Avant de nous intéresser un peu plus précisément aux sondages essayant de mieux définir l’électorat coluchien, nous pouvons noter que de nombreux sondages sont présentés simultanément avec et sans Coluche. C’est le cas de la quasi-totalité d’ailleurs. Les sondeurs veulent ainsi montrer que rien ne garantit la présence du comique professionnel au premier tour. Ceci leur permet également de ne pas trop prendre parti, on ne peut difficilement les critiquer de vouloir aider Coluche puisqu’ils émettent toujours la possibilité qu’il ne participe pas au premier tour. De nombreux sondages ont essayé de définir qui était la population se déclarant à voter pour Coluche. Avant de préciser ces résultats notons que malgré l’aberration scientifique que peuvent représenter certains de ces sondages, ils ne sont rarement présentés comme peu fiables. En fait à part L’Express, qui avertira par une phrase ses lecteurs – « Le faible score de Coluche rend délicate l'analyse de son "électorat" : celle-ci porte sur un nombre 189 peu élevé de personnes interrogées » – les autres journaux déroulent une analyse sans se préoccuper de la faiblesse de leur échantillon. « Grâce à Coluche, nous devrons tous revenir à l'école pour comprendre ce qui fait courir ses supporters. Un sacré bordel en perspective ! » 188 189 190 60 190 . Ce constat fait par le journaliste Roy (Albert, de), « Sondage : que pèse M.Colucci », L’Express, 27 décembre 1980, p.39 « Si Coluche est candidat », L’Express, 24 janvier 1981, n°1542, p.65 « Montpellier : les coluchiens sont en marche », Libération, 25 novembre 1980, n°2109, p.9 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? de Libération envoyé à Montpellier pour découvrir ce qu’était le mouvement coluchiste, en dit long. Difficile de savoir qui s’intéresse au message coluchiste, qui est prêt à voter pour lui (ou encore à s’inscrire en mairie pour voter pour lui) voire même à militer pour sa candidature. Certains tirent pourtant des conclusions plus rapides, Claude Weill pour Le Matin de Paris écrit que « tout naturellement, Coluche recrute le gros de ses troupes 191 dans les rangs des abstentionnistes. C'est d'ailleurs la cible qu'il vise en priorité. » . D’autres essaient de justifier leurs propos avec des sondages ainsi dans les colonnes du Matin de Paris, on pouvait lire que « Les "coluchistes" (…) sont plutôt du sexe masculin (19 % des hommes disent avoir « tout à fait envie » de voter pour Coluche, et seulement 12,7 % des femmes). Ils sont jeunes (21,4 % de « tout à fait envie » chez les 18-25 ans ; 20,4 % chez, les 26-35 ; 10 % chez les 36-45). Ils n'appartiennent généralement pas aux 192 milieux les plus aisés » . Quelques semaines plus tard, nous trouvions sensiblement la même analyse dans le magazine Le Point : « Par-delà les étiquettes politiques, découvrons maintenant la structure sociologique de cet électorat. Il est fortement typé. Côté sexes, les hommes (57%) l'emportent largement sur les femmes (43 %). Du point de vue de l'âge, le poids des jeunes est écrasant : sur 100 partisans de Coluche, 58% ont entre 18 à 34 ans. Socialement, les employés, les cadres moyens, les ouvriers sont les plus nombreux » 193 . Arrêtons-nous quelques instants sur ces chiffres. Le dernier sondage a été réalisé en janvier 1981 sur 1236 français en âge de voter (méthode par quotas). Nous savons qu’au mois de janvier, les scores annoncés pour Coluche dans les sondages étaient relativement faibles, plafonnant au maximum à 11 % des intentions de votes. Ainsi, le journaliste ici, établit cette statistique sur une population qui doit être comprise entre cent et cent cinquante personnes ! On voit, que les sondages qui sont réalisés sur cette candidature n’ont pas vraiment de légitimité scientifique, ils ne sont faits que pour pouvoir alimenter les écrits sur cette candidature. Difficile dès lors de parler de censure de cette candidature dans les sondages. En effet, quittes à publier des sondages totalement insignifiants (panel de deux cents cinquante personnes pour L’Express, sous-population de moins de cent cinquante personnes passée au crible comme un vrai échantillon pour Le Point) les journaux ont voulu commenter cette campagne. Nous allons, à présent essayer de regarder si ces candidatures ont été, ou non, analysées par les spécialistes politiques des médias. Des candidats niés par les analystes politiques ? « Les sociologues dédaignent souvent les filiations, les héritages, l’histoire même. Ils nous préviennent ainsi contre l’abus des analogies, voire contre le 194 mythe de la continuité apparentes, chaque situation étant nouvelle. » , Michel Winock. Nous le signalions auparavant, outre les sondagiers, Pierre Bourdieu considère que les spécialistes politiques des médias font partie intégrante du champ politique. Nous allons analyser ce qu’ils pensent de ces candidatures en nous focalisant une fois encore sur celle qui a fait couler le plus d’encre, la candidature de Coluche. Les candidatures de Dieudonné ayant rapidement quittées les colonnes politiques des journaux, outre quelques phrases qui relèvent plus du commentaire de sondage que de 191 192 193 194 Weill Claude), « Plus qu'un trouble-fête », Le Matin de Paris, 15 décembre 1980, n°1183, p.4 Weill (Claude), « Présidentielle : Coluche s’installe », Le Matin de Paris, 15 décembre 1980, n°1183, p.4 Chambraud (André), « Coluche drague à gauche », Le Point, 12 janvier 1981, n°434, p.37 Winock (Michel), « Populismes français », Vingtième Siècle, 1997, vol 56, n°1, p.90 Bozonnet Grégory - 2008 61 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique l’analyse, il n’y a pas grand chose à relever sur cette candidature. A part l’interrogation pour savoir si Dieudonné, est ou non antisémite, s’il est un « Le Pen noir », comme l’écrivent beaucoup d’internaute, ou « le Goebbels des banlieues » antonomase employée lors des manifestations pour empêcher la tenue des spectacles de l’humoriste, il n’a pas suscité beaucoup de réflexions politiques. Pour Coluche, en revanche, la donne est totalement différente. Pendant les deux premiers mois de la campagne, la quasi-intégralité des spécialistes politiques des médias vont se pencher sur ce qu’ils nomment « le phénomène Coluche ». Nous allons essayer de présenter brièvement ce qu’ils ont pu écrire et surtout à quels grands courants politiques, cette candidature a été rattachée. A tel point que des journalistes vont parler de « fiévreuse 195 logorrhée des commentateurs politiques » . La candidature de Coluche va en effet passer entre les mains de tous les spécialistes politiques de tous les journaux. Chacun va y aller de son commentaire, chacun va y aller de son image. Pour essayer de donner un sens à ce mouvement coluchien, on va essayer de trouver ce à quoi il se rapproche le plus. Pour essayer de présenter le panorama le plus complet de ces images, nous allons dans un premier temps, nous appuyer sur les images qui le renvoient aux candidatures fantaisistes pour ensuite analyser les images qui le renvoient à d’autres mouvements politiques, nous finirons par nous centrer sur l’image principale, le poujadisme. Pour, Coluche a permis de « brasser l’histoire. Et ce n'est pas un mince résultat ! Sacré Coluche ! Tout y est passé : les fous du roi, les personnages de Rabelais, le « pétomane » ème du XVIII siècle ou de 1900, le Père Duchêne (J.-P. Faye sur Europe 1), Ferdinand 196 e e Lop, éternel candidat aux présidentielles des III et IV Républiques.» . Le panorama est presque complet. Notons dans le même registre que la référence qui revient le plus souvent dans cette campagne est celle du roi Ubu. Ubu roi est une pièce de théâtre d'Alfred ème Jarry qui appartient au cycle Ubu, cycle qui marqua le théâtre de la fin du XIX . Le roi Ubu est connu pour être à la fois le roi et son bouffon, c’est un personnage lourd et gras à tous les sens de ces termes. D’autres références reviendront, notamment une référence à Pierre Dac, mais non pas à sa campagne avec le M.O.U. mais plutôt au sketch de Francis 197 Blanche, « le parti d’en rire ». Dans le même article du Point , Coluche est comparé à Alphonse Allais et au Captain Cap, le candidat qui était « contre le déboisement et la chute des cheveux, ces deux plaies de la France ! » et à « Aristophane, son célèbre ancêtre en scatologie (le génie en plus) ». Ces références ont pour but de rappeler que Coluche fait cette campagne pour rire et que d’autres personnes l’ont fait avant lui. On peut toutefois, dans le même registre, relever trois parallèles qui n’ont pas vraiment pour but d’analyser la campagne de Coluche, mais juste de la décrédibiliser. Notons par exemple, que sous 198 la plume de Jean Daniel , Coluche est renvoyé à l’époque de Caligula. Il n’est, bien sûr, pas comparé au troisième empereur romain, mais à son cheval qui selon la légende aurait été proclamé consul par Caligula, ici le but est bien sûr de ridiculiser Coluche. Le Figaro 199 préférera l’image de Montéhus qui était un chansonnier qui selon eux, avait arrêté la 195 Billard (Pierre) & Loiseau (Jean-Claude), « Coluche : « Y s'marre, le mec ! » », Le Point, 22 décembre 1980, n°431, p.3 puis p.95 196 197 198 199 62 Gritti (Jules), « L‘effet Coluche », La Croix, 8 décembre 1980, n°29739,p.16 er De Montvalon (Dominique), « Coluche : l'Elysée maquignon », Le Point, 1 décembre 1980, n°428, p.50 Daniel (Jean), « De Peyrefitte à Coluche », Le Nouvel Observateur, 17 novembre 1980, n° 836, p.44 Slama (Alain-Gérard), « La France malade de Coluche », Le Figaro, 28 novembre 1980, n°11 270, p.2 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? chanson au moment de son adhésion à la SFIO, même si cette idée peut être quelque peu réfutée si on parcourt l’Anthologie de la chanson française –année 1936, on comprend que le journaliste veut expliquer à Coluche qu’il doit faire un choix entre sa carrière et la 200 politique. Enfin, lorsque le journaliste de L’Humanité compare Coluche à Rodolphe Salis ce n’est pas vraiment parce qu’il était un candidat loufoque en 1884, mais plutôt parce qu’il « annexait froidement aux farceurs de son comité électoral Maurice Barrès et Paul Déroulède ». Renvoyant ainsi, l’humoriste au boulangisme. Le boulangisme est l’une des images que l’on a pu mettre en face du phénomène Coluche. Pour le résumer en quelques mots, il s’agit du mouvement du Général Boulanger ème qui a menacé la III République alors que « la tentation du retour à la solution de l’homme providentiel frappe une population, à nouveau lassée du jeu politique et des « affaires » qui 201 compromettent la crédibilité des dirigeants. » Ce parallèle entre le Général Boulanger et Coluche est notamment fait par Dominique Jamet, qui changera de position en fin de campagne, fait avec la campagne de « ce faux comique, héritier bizarre et inattendu du Général Boulanger [qui] ira plus loin qu’on ne pense. Il ne s’arrêtera pas en chemin. Il 202 risque de faire un malheur. Pour le nôtre. » On n’imagine difficilement que le journaliste pense à une analogie entre les deux mouvements, il cherche simplement un exemple qui pourrait discréditer la campagne de Coluche, celui-ci pouvait correspondre puisque comme le souligne Alexandre Dorna : « le boulangisme est chargé de beaucoup de maux. Les historiens, sauf rares exceptions, ont écrit une légende maudite sur le mouvement 203 boulangiste. » Le prisme des images auxquelles la candidature de Coluche a été comparée est assez large, il va en fait de l’extrême gauche, à l’extrême droite. Certains analystes n’hésitent pas à aller aux deux références extrêmes comme Olivier Todd pour L’Express « celle du poujadisme de droite cru et de l'anarchisme de gauche recuit, regardez de près une salle de Coluche. Ce n'est pas la jonction des communistes et des Croix-de-Feu place de la Concorde en 1934. Mais tout le monde se pâme en chœur quand sur les politiciens tombe le mot "pourris". Certains trouvent ainsi un successeur à Nicoud. D'autres un modèle 204 imprévu, après Mao, Castro, l'Oncle Ho, le Che » . Pour revenir sur les références d’extrême gauche, nous pouvons noter des références à l’anarchisme et au communisme. La référence au totalitarisme communiste provient du Figaro, pour ce journal, le fait de railler la politique en confondant personnage public et privé fait que « sans l'avoir voulu, ni s'en apercevoir, on glisse vers un modèle à la Staline, ou à la Mao ». En ce qui concerne l’anarchisme, la référence est elle aussi peu présente dans ce corpus, on la trouve à propos de quelques militants coluchiens qui proviennent des mouvements anarchistes, seul un 205 article désigne directement Coluche comme « un anar gai » . L’anarchisme en revanche sert souvent à faire le grand pont entre l’extrême gauche et l’extrême droite. En effet, beaucoup d’expressions seront composées avec le mot anarchisme et un terme qui renvoie à la droite. Selon un journaliste du Matin de Paris, 200 201 202 203 204 205 Wurmser (André), « De Salis en Coluche », L’Humanité, 16 décembre 1980, p.1 Dorna (Alexandre), Le populisme, Paris, Presses Universitaires de France –Que sais-je ?, 1999, p.59 Jamet (Dominique), « A Quoi jouez-vous, M. Coluche ? », Le Quotidien de Paris, 24 novembre 1980, n°308, p.6 Dorna (Alexandre), op.cit., 1999, p.57 Todd (Olivier), « Le cru et les recuits », L’Express, 22 novembre 1980, n° 1533, p.110 Harvet (Jean-Christian), « Quand Coluche brouille les cartes », Les nouvelles littéraires, 27 novembre 1980, n°2764, p.33-34 Bozonnet Grégory - 2008 63 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique « Coluche joue sur une double sensibilité qui reste encore profondément enracinée dans 206 l'opinion publique : le mépris du politicien et l'anarchisme plus frondeur que violent. » 207 On trouve ainsi des expressions comme « chansonnier anarcho-poujadiste » ou encore 208 « fascisto-anarchiste » et enfin, un journaliste du Matin de Paris utilisait l’expression 209 « anarchisme de droite » . Ces formules sont quelques peu surprenantes, mais Pascal Ory nous apprend qu’« absent des programmes de science politique, l’anarchisme de 210 droite occupe une place de choix dans ceux des médias » , Pour lui, « L’anarchisme de droite est « loin d’être une formule vide comme "fascisme de gauche" ou "café décaféiné", 211 ou un glissement de sens comme "chocolat blanc" ou "anarcho-capitalisme" ». Dans cet ouvrage de l’élève de René Rémond, affirme pourtant que Coluche n’est pas un anarchiste de droite. Pour lui, les similitudes ne sont que de surface. « L’anarchiste de droite parle volontiers du petit, et surtout il aime à parler petit, mais en haine du gros, en 212 mépris de l’inférieur ». De plus, pour l’anarchiste de droite « L’acharnement contre la "politique politicienne", lui, n’a aucune retenue. L’anarchisme de droite partage en effet avec son cousin de la main gauche l’usage intensif de cet adjectif de presbytère, dans lequel 213 l’utilisateur met, par définition, la politique des autres. » ∙ Ce qui est tout de même à souligner c’est que le journaliste des Nouvelles Littéraires soit allé jusqu’à parler de fascisme, il n’est pourtant pas le seul, nous évoquions auparavant Jean-Dominique Boby qui en reprenant des mots de Coluche l’avait comparé à Hitler, dans le même journal, on peut lire que la candidature de Coluche évoque « le rêve avoué des ligueurs fascisants des années 1930 [qui] était de 214 flanquer à la Seine la totalité de la Chambre des députés » . Dans Le Monde c’est Antoine Bourseiller qui accuse Coluche de « réveille[r] des nostalgies pétainistes » 215 . Corollairement aux parallèles avec Poujade, Coluche sera aussi taxé de populisme. ∙ Avant de revenir sur les parallèles effectués avec Pierre Poujade, notons que Coluche, nous pouvons noter que dans certaines analyses, Coluche sera rapproché de partis politiques plus traditionnels. Nous n’allons pas trop nous arrêter sur ce point qui est en fait assez simple, si le journal est de gauche, il rapprochera Coluche d’un parti de droite et réciproquement. Ainsi dans les colonnes de L’Unité « Coluche participe à cette gigantesque opération idéologique » qui consiste à « servir la 216 candidature de Valéry Giscard d’Estaing » en faisant croire que tout est joué d’avance. A l’opposé, dans les colonnes du Quotidien de Paris, Dominique Jamet 217 essayera de faire dire à Coluche qu’il « roule pour François Mitterrand » alors que 206 207 208 209 210 er « L'effet Coluche », Le Matin de Paris, 1 novembre 1980, n°1146, p.2 Daniel (Jean), « L’effet Coluche », Le Nouvel Observateur, 24 novembre 1980, n°837, p.36 Harvet (Jean-Christian), art.cit, p.33-34 L.M., « Tirons la chasse », Le Matin, 29 novembre 1980, n° 1170, p.4 Ory (Pascal), l’anarchisme de droite ou du mépris considéré comme morale, le tout assorti de réflexions plus générales, Paris, Grasset, 1985, p.25 211 212 213 Idem, p.37 Idem, p.42 Ory (Pascal), l’anarchisme de droite ou du mépris considéré comme morale, le tout assorti de réflexions plus générales, Paris, Grasset, 1985, p.49 64 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? parallèlement l’humoriste est désigné d’« homme de gauche abonné à Libé» les colonnes de Minute. 218 dans Notons au passage, un autre nom hybride composé non pas à partir de celui de l’humoriste mais, cette fois-ci, à partir de celui de Valéry Giscard d’Estaing. Ainsi, le titre de l’article de L’Unité traite de « la France de Giscarluche ». On voit, de plus sur cette caricature parue en illustration de l’article en question, que pour eux Giscard s’appuie sur Coluche. L’idée étant qu’il s’agit d’une manigance du pouvoir pour que Georges Marchais, finisse devant François Mitterrand, et ainsi permettre la réélection plus aisée du président en place. « Coluche, Poujade, même combat. Coluche néopoujadiste ? L’accusation fut portée vite et fort dès le début de la précampagne présidentielle. Accusation plutôt que parallèle, en effet, car en ce début de décennie 80, la comparaison avec le grand rassembleur des mécontents des années 50 ne pouvait être faite sans qu’on y discerne une légère volonté de nuire ou, en tout cas, d’éveiller les consciences. Le terme « poujadisme » semble être le mot clef avancé par tous ceux qui ont peur du phénomène coluchien. Parce qu’ils n’en comprennent ni le sens, ni la portée, le monde politique et les médias vont le rattacher à un 219 poujadisme qu’ils peuvent appréhender et expliquer. » Issu du mécontentement fiscal et économique des petits commerçants et des artisans, le mouvement de Pierre Poujade trouve d’abord son point d’ancrage dans la défense de leurs intérêts par des manifestations corporatistes, puis au sein d’institutions représentatives (caisse de Sécurité sociale, d’Allocations familiales et chambres de commerce) aux élections desquelles les poujadistes rencontrent leurs premiers succès. Très vite, ils font irruption sur la scène politique. L’élection de cinquante-deux des leurs aux législatives du 2 janvier 1956 crée la surprise. Cette incroyable réussite, Pierre Poujade, papetier à Saint-Céré, et ses supporters la doivent à une ligne politique d’opposition au régime tous azimuts capable de séduire des mécontents venus d’horizons politiques les plus divers. Les revendications de ces députés étaient la suppression des contrôles fiscaux pour les petits artisans, la défense des petits commerçants, ils ont aussi affirmé leur hostilité au traité de Rome et prôné le maintien de l’Algérie française. Ce mouvement s’essoufflera rapidement et disparaîtra quasi-entièrement avec l’avènement de la Cinquième République. Depuis, utiliser le terme « poujadisme » revient généralement à taxer une personne ou un événement d’attitude démagogique en faveur des petits commerçants vis-à-vis des puissants, d'antiparlementarisme, de corporatisme, ou de populisme. « Le poujadisme enrôle sous sa 220 bannière tout ce qui est négatif, contre, anti, passé ou dépassé » écrira Annie Colovald, parlant de « mot de passe ». Elle ajoutera qu’« il est aujourd’hui une arme routinisée de la compétition politique et une formule reçue du vocabulaire politique dont les multiples usages 221 ont peu à peu, en le remaniant, usé le projet originel » . On peut en effet, dire que ce nom composé à partir du nom de Pierre Poujade a perdu beaucoup de marques de son référent. Puisqu’il n’y a par exemple aucune trace de lutte pour les petits commerçants chez Coluche. Annie Colovald montre que « Deux périodes récentes [en 1991, ndla] ont suscité des mobilisations publiques saillantes du « poujadisme » et des controverses vives sur le bien fondé de son attribution : la candidature Coluche aux élections présidentielles de 1981, 219 220 Halimi (André), Coluche victime de la politique, Paris, Edition°1, 1994, p.71 Collovald (Annie), « Histoire d’un mot de passe : le poujadisme. Contribution à une analyse des « ismes » », Genèses, n°3, mars 1991, p.98 221 Idem, p.107 Bozonnet Grégory - 2008 65 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique la percée du front national aux élections européennes de 1984. » 223 parlera d’« élasticité de l’injure » . 222 C’est pourquoi, elle Pour rendre l’injure, plus élastique encore ; le terme de poujadisme va être enrichi de quelques compléments. Ainsi pour que ce soit plus adapté à la campagne de Coluche, on pourra lire des termes comme « néopoujadisme », nous citions « anarcho-poujadisme », mais aussi « poujadisme de gauche » ou d’« héritatage historique du poujadisme ». L’accusation devenait tellement omniprésente, que certains intellectuels membres du comité de soutien à Coluche, ont dû intervenir, c’est notamment le cas de Jean-Pierre Faye qui déclarera : « Coluche est l'opposé de Poujade. Bien plus : le gag coluchien est la mise en ridicule du Français poujadiste moyen. Car Poujade fut ce personnage lugubre qui s'est aussitôt apparié à Le Pen, dont le moins qu'on puisse dire est qu'il n'a jamais été amusant. Poujade, c'est le risible chauvin, le champion des paras tortionnaires, de la campagne de lynchage fasciste contre Mendès France, de l'hystérie antigauche, du racisme antisémite et antiarabe. Coluche, au contraire, c'est celui qui réplique : « Oui, je suis raciste, j'aime pas les Blancs... », « Excusez-moi, mais je suis déjà le candidat des Arabes... », « La France sera avancée quand elle prendra les Arabes en stop... » Et Coluche, entre tous les politiques, respecte Mendès France. » Il est vrai que le fait même qu’un intellectuel vienne défendre Coluche devrait presque le dédouaner de poujadisme, car rappelons que pour Poujade les intellectuels sont les premières cibles dans son ouvrage J’ai choisi le combat, il les qualifie même de « petite 224 pourriture de plumitifs » . Ce parallèle avec le poujadisme étant présent sur toutes les lèvres si bien que Dominique Jamet, finira par interroger l’intéressé le 4 décembre 1980, Poujade répondra que « Ça n’a rien à voir : le ras de marrée [sic] que j’ai provoqué avait des origines profondes et le phénomène Coluche n’est que le signe de la dégradation de notre démocratie. ». Nous évoquerons à nouveau le poujadisme un peu plus loin dans notre réflexion. Pour conclure sur ce point, ce que nous souhaiterions souligner finalement c’est que la candidature de Coluche a fait couler beaucoup d’encre dans les colonnes politiques, mais qu’elle n’a finalement été que très rarement « analysée ». Les commentaires des plumes politiques, avaient pour but premier de le décrédibiliser. En l’incluant dans les colonnes politiques, les journalistes ont cherché à exclure le comique. Toutes les images utilisées ressemblent plus à des insultes qu’à des parallèles. L’important semble surtout de toujours montrer qu’il est l’autre. Il n’est pas de notre côté, mais il fait le jeu de nos adversaires. Coluche va en fait être utilisé comme un argument de campagne. On ne sait pas toujours vraiment à qui sont désignés les coups, en atteignant Coluche, c’est souvent une autre personne qui est visée. Parfois les éditorialistes utilisent cette campagne pour dénoncer un tout autre événement souvent beaucoup plus général. « La plupart des commentateurs profitent du coup d’éclat de Coluche pour critiquer l’usure des institutions elles-mêmes, la 225 rigidité de ce système présidentiel. » Coluche semble parfois un peu agacé qu’on le compare sans cesse à Poujade, mais il « interprète ces qualificatifs peu flatteurs comme 222 223 224 Idem, p.100 Idem, p.100 Poujade (Pierre), J’ai choisi le combat, Saint Céré, société générale des éditions et des publications, 1955 225 66 Boggio (Philippe), Coluche, Paris, Flammarion, 1991, p.244 Bozonnet Grégory - 2008 Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? la glose habituelle de ce qu’il appelle les ˝milieux autorisés˝, qui mettent à l’amende un 226 phénomène qu’ils n’arrivent pas à appréhender » . En conclusion de cette partie de notre réflexion, et avant de nous intéresser aux acteurs principaux du champ politique, les hommes politiques eux-mêmes, il convient de revenir en quelques mots sur ce que nous avons pu noter. A l’exception toute particulière de la candidature de Pierre Dac, les candidatures de comiques professionnels attirent les professionnels des médias. La popularité de ces comiques peut, pour eux, représenter une source potentielle d’audimat, ou d’amélioration des ventes de leur titre. Toutefois, et comme le dit le dicton populaire, les plaisanteries les plus courtes demeurent les meilleures, les médias montreront à un moment quelques signes de lassitude. Plus grand chose de drôle à écrire, place de plus en plus importante allouée aux candidats qui peuvent l’emporter… De plus, du point de vue de l’audiovisuel, nous avons vu une évolution sur la période que nous traitons. Les médias sont fermés à la candidature de Pierre Dac, ils s’ouvrent en grand pour la candidature de Coluche, jusqu’à ce qu’ils se rendent compte que l’humoriste est immaîtrisable et qu’il serait bien de le tenir un peu à distance des ondes quelques temps. Notons que c’est d’ailleurs ce qui a marqué la carrière du comique jusqu’à cette période, beaucoup d’émissions radiophoniques le voulaient comme animateur, mais il finissait toujours par être licencié rapidement. En ce qui concerne Dieudonné, toutes les émissions, même les « institutions » comme France Europe Express lui sont ouvertes jusqu’à ce qu’il aille sur un terrain trop glissant pour que les journalistes n’aient envie de l’inviter. Notons de surcroît que la popularité et le succès de Dieudonné ne sont pas tout à fait équivalents à ceux de Coluche, même si on a souvent tendance à surestimer a posteriori ceux-ci. Il convient de remarquer que si quantitativement la censure n’est pas facile à avancer, qualitativement, des éléments penchent plus dans le sens de la théorie bourdieusienne. En effet, certains journalistes vont vraiment se porter en faux face à ses candidatures. Des mots très durs seront lancés à l’égard des ces candidats leur reprochant de ne pas être à leur place, cela d’autant plus qu’ils pouvaient connaître un succès dans les sondages. Sondages qui ne se détourneront jamais vraiment de ces candidatures, même si l’item des candidatures fantaisistes n’ait pas systématiquement présent, elles ne sont jamais totalement mis au banc jusqu’à l’annonce définitive de leur retrait. Nous avons pu voir, que l’exclusion pouvait passer par l’inclusion. On inclut les candidatures dans les colonnes politiques, pour les qualifier avec un vocabulaire de l’exclusion et ce notamment en les qualifiant de poujadiste. Un bilan contrasté donc pour le traitement médiatique de ces candidatures, il convient maintenant d’aller voir ce qu’il en est du côté des hommes politiques, seront-ils plus efficaces pour exclure les candidatures fantaisistes de leur terrain de jeu ? 226 Vaguelsy (Jean-Michel), Coluche, roi de cœur, Paris, Plon, 2002, p.59 Bozonnet Grégory - 2008 67 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique Une exclusion à relativiser À présent que nous avons fait un état des lieux du rôle des médias dans l’exclusion des comiques professionnels du champ politique, rôle que nous avons pu amplement minimiser, nous allons questionner l’idée d’une réelle exclusion des comiques de ce champ. Pour ce faire, nous allons analyser dans un premier temps le processus de rejet des comiques professionnels par les professionnels de la politique, pour ensuite questionner la volonté des comiques professionnels d’entrer dans ce champ politique. Une volonté d’exclusion des candidats fantaisistes du champ politique Le rejet par les hommes politiques patentés des comiques professionnels, qui font preuve d’une volonté d’intégrer le champ politique, a pour symbole la loi sur les 500 signatures. Nous allons, par conséquent, consacrer le premier temps de notre réflexion à cette loi qui rend nulle tout candidature n’étant pas présentée par au moins 500 élus répartis sur trente départements différents, sans qu’un département ne puisse apporter plus du dixième des signatures. Nous analyserons par la suite, les objections avancées par les hommes politiques de profession à l’entrée des comiques professionnels dans une campagne présidentielle. Cinq cent signatures d’élus, une mission impossible « Quand ils mettront la barre à 25 000 signatures, il n’y aura plus qu'un candidat » 227 , Coluche S’intéresser à la loi sur les cinq cents signatures, c’est dans un premier temps essayer de comprendre pourquoi cette loi été mise en œuvre, dans quel but. Mais il s’agit également d’interroger son fonctionnement, se demander si cette loi est efficiente. Nous allons, donc, réfléchir à ces deux points, en étudiant, tout d’abord, les débats qui ont pu avoir lieu autour de la mise en place de cette loi sur les cinq cents signatures, pour ensuite mettre en relief son efficacité sur la mise au ban des candidatures fantaisistes. Pourquoi la loi sur les cinq cents signatures d’élus ? La loi que l’on appelle communément la loi des cinq cents signatures est en fait la loi organique n° 76-528 du 18 juin 1976 modifiant la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel. En effet, cette loi est, en fait, venue modifier celle votée en 1962, qui prévoyait qu’un candidat pourrait se présenter si, et seulement si, il était présenté par cent élus issus d’au moins dix départements différents. Avant de présenter cette loi plus en détails, nous allons donc nous intéresser à l’instauration de loi initiale et des raisons qui ont pu pousser le législateur à la modifier. 227 68 « Coluche ne renonce plus », Le Matin de Paris, 17 mars 1981, n°1262, p.1 Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser Nous présentions auparavant, en introduction, le référendum proposé, anticonstitutionnellement, par le général de Gaulle aux français pour que l’élection du président de la République ait lieu au suffrage universel direct. Rappelons que ce référendum avait été adopté le 28 octobre 1962 par 62,2% des suffrages exprimés. Plus d’un siècle après le coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, et alors que les esprits républicains étaient encore marqués par cet événement, le peuple français allait, donc, pouvoir retrouver un président élu au suffrage universel direct. Dans son ouvrage qui s’intéresse aux « petits candidats » à l’élection présidentielle de 2007, Frédéric-Joël Guilledoux, nous rappelle une discussion qui a eu lieu quelques jours avant ce référendum de 1962. Cette discussion a eu lieu le 2 octobre 1962, au court d’un Conseil des ministres, elle portait sur l’idée de limiter le nombre de candidats à l’élection présidentielle. La Constitution de 1958, prévoyait déjà, pour l’élection du président au suffrage universel indirect, un minimum de cinquante « parrains » pour pouvoir figurer parmi la liste des « présidentiables ». Pendant ce Conseil des ministres, la question va donc être de savoir si l’on doit garder, supprimer ou modifier ce dispositif. « De Gaulle hésite : « Ou bien les élus accordent une véritable investiture, et il faut y aller carrément […] en procédant à une véritable élection préalable par collège restreint. Ou bien on renonce à ce système, on adopte le suffrage universel dans toute son ampleur et alors, il ne doit pas y avoir 228 229 de conditions préalables ». Si l’on se réfère au livre C’était de Gaulle d’Alain Peyrefitte, on comprend que le président était partisan de la deuxième solution. En fait, ce mémorialiste nous rapporte qu’une « forte majorité de ministres demandait cinq cent ou mille signatures au moins ». Le Général répugnait, pourtant, à s’engager dans cette voie qui donnait, selon lui, trop de pouvoirs aux partis. Il souhaitait au contraire réduire à zéro le nombre de « parrains » imposés. « Est-ce que la démocratie, ce n’est pas plus précisément 230 que tout le monde puisse se présenter à une élection ? Le peuple fera le tri !» déclaraitil. Finalement, la règle du jeu restera quasi inchangée par rapport à la Constitution de 1958. En effet, la seule modification retenue est donc de doubler le nombre de « présentations » indispensables, ce qui les amène donc à cent. Frédéric-Joël Guilledoux avance l’idée que cette « concession » faite par le Général de Gaulle serait liée au fait que l’un de ses proches lui aurait parlé d’une possible candidature de Ferdinand Lop, « le candidat perpétuel » qui ne manquait jamais de provoquer l’hilarité lorsqu’il tenait ses conférences de presse dans la salle « Lop ». Si cette règle des cents signatures a été appliquée pour les deux premières élections présidentielles au suffrage universel direct de la cinquième République, elle a été rapidement remise en question par la suite. Dès l’année 1973, à l’initiative du Sénat, une commission est chargée de réfléchir à une éventuelle modification de la loi pour limiter le nombre de candidatures à l’élection présidentielle. Rappelons qu’en 1965 six candidats avaient réussi à récolter les cents précieux sésames, dont l’homme au béret, Marcel Barbu, ils étaient sept, quatre ans plus tard, pour l’élection qui a fait suite à la démission du Général de Gaulle. La commission est confiée aux centristes René Jager, Louis Jung et Francis Palmero qui sont tous trois d’accord sur le fait qu’il faille « limiter le nombre des candidats aux élections présidentielles » puisqu’« il est évident qu’une trop importante inflation de candidats finirait par nuire, non seulement à l’intérêt de la compétition, mais très 228 229 230 Guilledoux (Frédéric-Joël), op.cit., p.153-154 Peyrefitte (Alain), C’était de Gaulle, Paris, Gallimard, 2002, 1954p. Guilledoux (Frédéric-Joël), op.cit., p.153-154 Bozonnet Grégory - 2008 69 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique 231 certainement à la qualité » . Le résultat de cette commission, et la proposition de loi qui en découle, seront donc proposés au Sénat, lors de la séance du 19 décembre 1973. Leur proposition équivaut pratiquement à la loi sur les cinq cents signatures que nous connaissons aujourd’hui, notons quelques différences tout de même. Nous savons que le nombre de signature nécessaire est porté à cinq cents et que le nombre de départements dont elles doivent être issues est multiplié par trois pour passer à trente. La commission propose, en outre, que parmi ces signatures, vingt-cinq doivent être issues de parlementaires, en revanche, elle ne prévoit pas la publication du nom des signataires. Le débat qui suivra la présentation de ces propositions ne sera ni houleux, ni mouvementé. Quelques achoppements sur le nombre de signatures nécessaires sont à noter, des bancs socialistes naîtra l’idée de la parution des noms des signataires, ce qui « réveillera » quelque peu le débat, mais ne changera rien au fait qu’il semblait y avoir sur les bancs des sénateurs un consensus autour de ces propositions. Après la présentation du rapport de la commission par M. Jager, le débat a été ouvert par M. Jean Taittinger, garde des sceaux, ministre de la justice. Son intervention laisse déjà deviner le parfum de consensus qui règne dans le palais Bourbon : il évoque « le souci qu’[ils ont], les uns et les autres, d’éviter des candidatures qu’à la limite on pourrait qualifier de fantaisistes mais qu’[ils qualifieront] seulement de non suffisamment sérieuses pour une consultation de cette nature ». Notons au passage, quelques interventions de sénateurs issus de différents groupes. Pour le PCF, le sénateur Louis Namy estime qu’« on ne peut pas être opposé à des dispositions qui tendent à écarter des candidatures fantaisistes dans une élection aussi sérieuse et importante que celle du Président de la République », le socialiste Auguste Pinton ne le contredira pas, puisque s’il votera oui à la proposition de loi, c’est parce qu’il éprouve « le désir de rendre plus sérieuse encore une élection particulièrement importante, car personne ne peut se féliciter de voir proliférer certaines candidatures ». Le centriste Roger Poudonson, est de cet avis également, pour lui, il faut « rendre la présentation d’un candidat à la présidence de la république un peu plus difficile, certes, mais surtout plus crédible, plus sérieuse, plus conforme à la dignité de cette élection. ». Enfin, le sénateur UDR, Pierre Carous, confirme que par cette loi, « nous avons voulu – et nous sommes tous d’accord à cet égard – éliminer les fantaisistes qui, par leur comportement auraient tendance à dévaluer la première fonction du pays. ». Nous n’allons pas continuer à présenter des réactions synonymes, avec ces quatre exemples, nous avons déjà matière à affirmer que le leitmotiv des sénateurs est d’éliminer les candidatures pas assez « sérieuses » pour être digne de cette élection qui l’est particulièrement. En effet, au-delà de l’accord qui peut exister sur l’idée de la loi. On peut souligner, qu’il y a un accord sur les mots, et surtout sur un mot, l’adjectif « sérieux ». Cette omniprésence du mot « sérieux », dont l’antonyme, ici, est « fantaisiste », montre qu’en se basant, sur la définition du Dictionnaire du vote de Paul Bacot, on peut affirmer qu’on assiste à une sacralisation de la fonction présidentielle. L’attribution unanime du caractère « sérieux » à cette élection, montre que l’on l’entoure d’un respect absolu, or « la sacralisation est l’action de sacraliser, d’attribuer un caractère 232 sacré, c'est-à-dire inviolable, digne d’un respect absolu. » Cette loi vise donc à protéger une fonction sacrée, ou du moins sacralisée, des attaques de personnes malintentionnées dont le sérieux serait discutable. On est, dans le cas présent, devant une mise en avant objective d’une fermeture de l’élection présidentielle à une partie de la population. Pour être candidat, il faudra, en effet, prouver son sérieux, notamment en ayant une certaine notoriété et respectabilité qui feront que cinq cents élus seront prêts à donner leur accord pour rendre possible une candidature. Il faudra de plus avoir une assise nationale, puisque 231 232 70 Ces citations ainsi que les suivantes sont issus du compte-rendu de la séance au Sénat du 19 décembre 1973 Bacot (Paul), op.cit., p.159 Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser les signatures doivent émaner de trente départements, ce qui revient à avoir un parrain dans au moins un département français sur trois. Pour en revenir à une analyse bourdieusienne, on pourrait dire que le débat qui se joue au Sénat, ce 19 décembre 1973, n’a d’autre but que de définir les contours d’une partie du champ politique. On définit qui peut ou ne peut pas prétendre accéder au poste suprême. La lutte pour le poste suprême est incontestablement, la lutte majeure de la cinquième République depuis l’avènement du suffrage universel direct. C’est donc, corollairement, le cœur du champ politique, qui est, rappelons-le, le « champ social structurant la concurrence 233 pour la détention des postes politiques » . Le consensus qui règne au sein du Sénat, sur cette question, montre que tous les sénateurs sont d’accord sur la nécessaire fermeture du champ politique aux candidats fantaisistes. Gérard Mauger écrivait que « la question 234 des limites du champ est toujours posée au sein du champ lui-même. » Dans ce débat, on comprend que l’élément central de la définition de ce qui est ou n’est pas digne d’être présenté, réside autour du caractère « sérieux » de la candidature. On pourrait imaginer qu’il y ait une lutte interne autour de la définition de ce qui est ou non sérieux, qu’un groupe cherche à imposer sa définition. On peut noter qu’ici, ce n’est pas vraiment le cas, tout le monde semble être d’accord, que le contraire de sérieux serait fantaisiste et personne ne cherche vraiment à définir ce que serait une candidature fantaisiste. Gérard Mauger, nous explique par la suite que « pour exclure du champ des partisans potentiels, on s’efforcera d’élever « le droit d’entrée ». Ces barrières à l’entrée peuvent être informelles (processus de cooptation et de consécration multiples) ou institutionnalisées (le numerus clausus est 235 délimité par des frontières juridiques) » . L’augmentation du nombre de signatures est un exemple concret de droit d’entrée. Il ne s’agit pas d’un numerus clausus – bien qu’on n’aurait pu imaginer les sénateurs fixer un nombre de candidature maximum à une élection présidentielle - mais d’une barrière formelle qui nécessite le soutien de membres du champ politique, soutien qui se traduit par une « signature ». Malgré le consensus qu’a pu connaître la chambre haute autour de cette proposition de loi, le texte qui avait été adopté à 273 voix pour, 3 voix contre et une abstention, ne sera pas voté par l’Assemblée Nationale. Les députés ont jugé qu’à l’aune de l’année 1974, alors que l’échéance de l’élection présidentielle approche, il était impossible de voter une loi qui modifie ces règles. La discussion de ce texte de loi est donc reportée à plus tard. A défaut, d’avoir vu la loi proposée par le Sénat entrer en application, Poher qui assure l’intérim de l’Elysée après la mort de Pompidou, intervient pour demander aux élus de faire preuve de « discernement » à l’heure de donner leur signature pour cette élection de 1974. Six candidats en 1965, sept en 1969, trente-huit candidats déclarés en 1974, pour douze candidats « qualifiés » pour le premier tour. Ces chiffres vont à eux seuls justifier la reprise de la discussion de la proposition de loi. Il faudra, cependant, attendre le 20 avril 1976 pour que ce texte soit présenté à l’Assemblée Nationale. La séance commencera par une introduction de Pierre-Charles Krieg. Il rappelle les grandes lignes de la proposition de loi en insistant sur la nécessité de garder une loi modérée afin de ne pas prendre le risque de bloquer totalement le système politique. « Quoi qu’il en soit, le chiffre retenu par le Sénat a au moins le mérite de ne pas être trop élevé, ce qui devrait permettre à toute personne représentant en France un courant d’idées de se faire connaître dans le cadre 233 234 Bacot (Paul), op.cit., p.39 Mauger Gérard, « Champ, habitus et capital », in Corcuff (Philippe), dir., Pierre Bourdieu : les champs de la critique, Paris, Bibliothèque Publique d’Information/Centre Pompidou, 2004, p.66 235 Idem Bozonnet Grégory - 2008 71 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique de la campagne électorale ». Le rôle de l’élection présidentielle semble être vu quelque peu différemment, en effet, à propos des petites organisations politiques, le député UDR, déclarait : « S’il ne leur est pas possible de se manifester à l’occasion d’une campagne pour l’élection du Président de la République, quand et comment pourront-ils le faire, sinon dans des conditions qui pourraient être fort déplaisantes ? ». Après cette présentation, c’est au ministre de la Justice de s’exprimer, entre temps, le gouvernement a changé, dorénavant le poste est occupé par Jean Lecanuet. Malgré le changement de ministre, le discours reste sensiblement le même. Ainsi Jean Lecanuet insiste en déclarant à propos de l’élection présidentielle: « Il peut être tentant de détourner de leur but [les moyens médiatiques offerts par la campagne présidentielle] pour les utiliser à des fins dépourvues de caractère véritablement politique, alors qu’il s’agit de choisir le chef de l’Etat. Il convient d’éviter un tel détournement et, d’une manière très générale, de décourager les candidatures de fantaisie qui nuiraient à la dignité de l’élection. ». A l’exception du groupe communiste les positions sont quasiment identiques. Ainsi, Lucien Villa, le député communiste de la trente-et-unième circonscription de Paris, s’exprimera au nom de son parti, dans une position bien différente de celle que le parti tenait quelques années auparavant au Sénat : « Le parti communiste français, qui a déposé une proposition de loi constitutionnelle portant déclaration des libertés, ne saurait cautionner une politique qui vise à restreindre celles-ci. La démocratie ne doit pas être mutilée, limitée, pas plus que les libertés fondamentales conquises par notre peuple. ». La navette législative est retournée au Sénat. Les sénateurs ne sont guère revenus, sur ce qui faisait consensus, ils ont beaucoup discutés les différentes possibilités. Certains proposaient de passer le nombre de signatures de 100 à 500, à 800, à 1000 voire à 2000. Certains voulaient également influer sur la qualité des signataires, ainsi l’idée d’avoir au moins vingt-cinq parlementaires parmi ces signataires a été à nouveau défendu alors que les députés s’y étaient majoritairement opposés de peur de rendre impossible de voir percer un mouvement politique en dehors des partis. L’assise territoriale des candidats a été peu discutée, les trente départements semblent avoir fait consensus. L’idée de la publication des signataires, défendue comme élément suffisant à décourager les maires à signer pour des candidats non sérieux qui risquerait des les ridiculiser, a été retenue. Au final, le texte voté par 258 voix pour, et vingt votes contre au Sénat et qui ne sera pas modifié lors de la dernière lecture à l’Assemblée national est le suivant : « Article unique – I. – Le deuxième alinéa du I de l’article 3 de la loi n° 62-1262 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel est modifié ainsi qu’il suit : « Cette liste préalablement établie par le conseil constitutionnel au vu des présentations qui lui sont adressées, dix-huit jours au moins avant le premier tour du scrutin, par au moins cinq cents membres du Parlement, des conseils généraux, du conseil de Paris, des assemblées territoriales des territoires d’outre-mer ou maires. Une candidature ne peut être retenue que si, parmi les signataires de la présentation, figurent des élus d’au moins trente départements ou territoire d’outre-mer, sans que plus d’un dixième d’entre eux puissent être les élus d’un même département d’outremer. » « II. – Le dernier alinéa du I de l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 est modifié ainsi qu’il suit : « Le nom et la qualité des citoyens qui ont proposé les candidats inscrits sur la liste sont rendus publics par le Conseil constitutionnel huit jours au moins avant le premier tour du scrutin, dans la limite du nombre requis pour la validité de la candidature. » « III. – Le II de l’article 3 de la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962 est remplacé par les dispositions suivantes : « II. – Les opérations électorales sont organisées selon les règles fixées par 72 Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser les articles L. premier à L.45, L.47 à L.55, L.57 à L.117, L.199 à L.203 du code électoral. L’article L.O. 128 du même code est applicable. » Nous avons présenté assez longuement cette loi sur les cinq cents signatures. Il ne faut, cependant, pas croire que cette loi soit une fin en soi. Entre la première élection du président ème de la V République au suffrage universel direct et l’adoption de cette loi, il y a eu une douzaine de propositions diverses déposées dans les deux chambres. Toutes tendaient à rendre plus difficile la présentation d’un candidat aux élections présidentielles. Sans les citer toutes, nous pouvons noter qu’elles allaient d’un extrême à l’autre, et que l’une des plus populaires était celle qui suggérait une pétition nationale par au moins cent mille électeurs. L’idée de cette possibilité ne s’est pas arrêtée avec l’adoption de la loi. A chaque élection présidentielle, les propositions pleuvent, les candidats doivent souvent d’ailleurs donner leur position sur cette loi. C’est ainsi que François Mitterrand n’assumant pas sa position ni celle de son parti sur ce point a déclaré en 1981, que « le groupe socialiste et [lui-même s’étaient] opposés à l’adoption de cette loi ». Déclaration un peu surprenante puisqu’en même temps dans son livre-programme écrit avec Guy Claisse, Ici et Maintenant, on pouvait trouver la conversation suivante : « François Mitterrand : L’élection présidentielle n’est pas un Radio-Crochet. Je trouve la loi sévère. Je ne la désapprouve pas. Guy Claisse : En 1965 et en 1969, il n’y avait pas ces règles draconiennes et on n’a as eu tellement de candidats Si trop. - A qui peut-on attribuer cette tendance ? Au besoin d’expression des gens ? - Dans une société cloisonnée comme la nôtre, le besoin de s’exprimer est pour l’esprit – et le cœur – ce que le besoin de manger est pour le corps. Comment résister, au surplus, à l’attrait de cette formidable tribune qu’est la télévision quand on croit avoir quelque chose à dire ? Mais, trop de candidats, 236 pas de candidats, sauf un, celui de l’Elysée. La démocratie n’y gagne pas. » Ce petit oubli de la part du président socialiste, lui aura valu, une remarque acerbe du 237 dessinateur Siné dans les colonnes de Charlie Hebdo : Aujourd’hui, encore, la loi sur les cinq cents signatures, ne fait pas l’unanimité, nous le disions. Parmi toutes les propositions avancées, celle d’une pétition nationale est toujours d’actualité, et se trouve défendue par des candidats d’horizons différents. A titre d’exemple, on peut souligner qu’Alain Madelin (Union pour un Mouvement Populaire issu de Démocratie Libérale) affirmait que : « Ce système n’est pas vraiment démocratique, parce qu’il y a une sorte de contradiction à faire valider par des élus une candidature qui s’adresse au peuple. L’élection présidentielle est justement le moyen de s’adresser directement aux Français, c’est comme ça que le Général de Gaulle l’a compris et que tous les candidats le comprennent. La cohérence voudrait que tout candidat qui aurait recueilli par exemple 200 000 ou 300 000 signatures de Français et de Françaises ait la capacité de s’adresser à eux. Cette loi ne me semble donc pas 238 pertinente ». 236 237 238 Mitterrand (François), entretien avec Claisse (Guy), Ici et maintenant, Paris, Fayard, 1980, p.28 Siné, « Siné massacre », Charlie Hebdo, 8 avril 1981, n°543, p.7 Cité in Guilledoux (Frédéric-Joël), op.cit, p.195 Bozonnet Grégory - 2008 73 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique Le débat est loin d’être clos, certains hommes politiques s’opposent également à la publication des noms, nous aurons l’occasion de revenir, sur ce point par la suite, mais notons par exemple que le 26 juin 2002, le sénateur UMP de Moselle, Jean-Louis Masson, dépose une proposition de loi. Il suggère de supprimer la publicité des parrainages afin de « réduire les risques de pression ou de menaces de représailles sur les parrains potentiels ». A noter également que le 7 novembre de cette même année, le Conseil Constitutionnel 239 a publié ses observations sur les élections présidentielles de 2002. Dans ce rapport, les « sages », sont revenus sur la recrudescence du nombre de candidats : « La législation en vigueur n’a pas empêché un nombre sans précédent de candidats. Une telle situation comporte assurément des inconvénients pour la clarté du débat politique. […] Elle conduit à s’interroger sur le bien-fondé de règles de présentation dont le renforcement en 1976 n’a pas permis d’éviter une multiplication des candidatures. ». Malgré ces différentes interventions, le législateur n’a toujours pas modifié cette loi des cinq cents signatures. On peut imaginer plusieurs raisons à ceci. D’une part, les candidats, dans une volonté de fermeture de la candidature à l’élection présidentielle préfère rester sur un système de signatures d’élus ce qui permet de limiter l’accès à l’élection présidentielle de personnes populaires mais non issues d’un parti politique – cet élément confirmerait l’idée d’une fermeture du champ politique – d’autre part, il semble que modifier cette loi, en augmentant par exemple le nombre de signature nécessaire semble une idée exclue par le législateur car probablement trop coûteuse électoralement. En effet, les hommes politiques semblent préférer voir le nombre de candidature prospérer, quitte à prendre le risque de ne pas être au second tour, plutôt que de risquer de passer pour liberticide et fermés à la concurrence, en empêchant certaines candidatures. Des maires peu enclins à signer sont découragés « Les 41 313 parrains potentiels sont les hommes et les femmes les plus 240 recherchés de France. » Etant donné que ce n’est un secret pour personne, nous pouvons commencer notre réflexion par cette affirmation, la loi des cinq cents signatures est efficace pour rendre les candidatures des comiques professionnels impossibles. Aucun des trois « humoristescandidats » n’est parvenu à se présenter au premier tour d’une élection présidentielle. Nous pourrions, donc, nous arrêter à ce point, en affirmant que cette loi est tout à fait efficiente. En fait, il semblerait que ce soit un peu plus compliqué que cela. Tout d’abord, il faut avouer que nos trois candidats n’ont pas mis la même ardeur à trouver les signatures nécessaires pour rendre leur candidature officielle. En ce qui concerne Pierre Dac, aucun article dans L’Os à moelle ne se réfère à une possible recherche des signatures –même si en 1965, le nombre de ces signatures n’était que de cent- ce qui est vraisemblablement révélateur du fait qu’il n’a jamais réellement cherché à être candidat au premier tour de l’élection présidentielle. Pour Coluche et Dieudonné, c’est un peu plus complexe. Il est possible que Coluche ait eu un temps l’idée d’obtenir les signatures, d’autant plus qu’au début de sa campagne, Gérard Nicoud et son organisation d’artisans et de petits commerçants, le CIDUNATI, proposaient de les lui donner (ils estimaient alors leur nombre d’élus à 3000). Selon Jean-Michel Vaguelsy, l’une de ses motivations à entrer dans cette élection présidentielle était de pouvoir faire des sketches entre deux « vrais » candidats à l’élection présidentielle. Toutefois, le « bureau politique ambulant » de Coluche précise que l’humoriste a rapidement changé d’avis. Trouver les signatures s’avérait être assez difficile et chronophage, d’autant 239 240 74 http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2002/obspdr02.htm Pitette (Yves), «Signez-là s’il vous plait! », La Croix, 27 novembre 1980, n°29730, p.10 Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser que le CID-UNATI qui avait changé de président entre temps ne lui proposait plus aucune aide. En outre, la campagne avait eu une telle emprise sur l’humoriste qu’il n’imaginait guère pouvoir trouver le temps et l’inspiration pour écrire un sketch quotidien et le jouer au moment où il aurait son temps de parole à la télévision. De plus, et nous aurons l’occasion de revenir sur cette idée un peu plus loin, Coluche n’a jamais voulu être réellement candidat à l’élection présidentielle. On n’est donc en mesure d’imaginer, malgré tout le bruit qu’il a pu faire à ce sujet pendant sa campagne, qu’il n’a jamais vraiment recherché les précieux paraphes. Sur ce sujet, un point unit la candidature de Coluche et celles de Dieudonné, ils ont tous deux affirmés avoir dépassé le stade des cinq cents signatures. Pour Coluche, le livre de JeanMichel Vaguelsy montre bien la machination autour de cette affirmation. Ils avaient une ou deux promesses de signatures officielles qu’ils avaient soigneusement placées au dessus d’une pile de fausses signatures. Cette pile était posée sur une table devant un parterre de journalistes internationaux. Au moment où un journaliste lui demande s’il a les cinq cents signatures nécessaires, Coluche se réjouit et lui dit que c’est la meilleure question, le journaliste repart donc avec un paquet de lessive en guise de cadeau mais sans réponse à sa question. Finalement, Coluche dira – après avoir répété la scène avec son producteur – qu’il a en effet, largement plus de cinq cents signatures puisqu’il en est à 628. Jean-Michel Vaguelsy le coupe, et lui apprend qu’ils en sont, en fait, à 632 car quatre signatures lui étaient arrivées le matin même. La scène est bien répétée, mais les journalistes restent sceptiques. Le lendemain, la presse nationale relaie l’information, mais toutes les rédactions se permettent de la mettre en doute. Même le journal Libération qui annonce la nouvelle 241 en une, commence son article par « Canular ou vérité ? » . Dieudonné, quant à lui, a annoncé lors d’une conférence de presse tenue au théâtre de la main d’or le 27 janvier 2002 avoir obtenu les cinq cents signatures, il parle même de huit cents. Difficile de savoir dans quelle mesure il était sincère à ce moment là. Il semble qu’en fait, il ait vraiment fait la démarche de trouver les paraphes, notamment en se rendant à plusieurs reprises dans les DOM-TOM, toutefois, il demeure impossible de dire combien de signatures il a pu recueillir. Lorsqu’il retire sa candidature, il affirme d’ailleurs que ce n’est pas par manque de parrains, il ne reconnaîtra que beaucoup plus tard, lors de son abandon à la candidature de 2007, qu’il n’avait pas, alors, le nombre de signatures nécessaires. A propos de sa candidature en 2007, on peut noter que la donne est différente. Dieudonné va renoncer à se présenter dès la mi-octobre 2006 soit plus de six mois avant l’échéance du premier tour. Au moment de son retrait, il affirme avoir réunit 200 signatures d’élus et pouvoir réunir les trois cents manquantes à une seule condition, qu’on lui prête un million d’euros. Ce million d’euros est, en effet, le coût qu’il estime nécessaire pour financer sa campagne et sillonner la France à la recherche des parrains potentiels. Il renonce donc en affirmant que son retrait est lié au refus des banquiers de lui prêter de l’argent. Bien que nous puissions donc relativiser l’idée que les comiques professionnels ayant fait part de leur intention de se présenter à une élection présidentielle aient vraiment cherché à récolter les cinq cents signatures nécessaires. Nous allons essayer de voir s’il était possible pour eux de les recueillir. Pour cela, nous allons montrer dans un premier temps que les maires sont peu enclins à donner leur signature, pour ensuite essayer de comprendre ce qui peut les décourager. Du fait du cumul des mandats, il n’est jamais aisé de connaître le nombre de parrains potentiels. En 1981, Christian Bonnet, alors ministre de l’Intérieur, annonce officiellement qu’il y a 41 298 postes d’élus susceptibles de parrainer un candidat à l’élection présidentielle (maires, élus des conseils généraux, parlementaires) mais du fait du cumul des mandats, il 241 « 632 maires prêts à signer pour Coluche », Libération, 10 février1981, n°, p.1 Bozonnet Grégory - 2008 75 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique y a, en fait, 38.600 élus à ces postes. Le nombre peut varier selon les sources, mais nous retiendrons donc celui-ci. En 1981, il y a eu 16000 signatures de « parrains » déposées au Conseil Constitutionnel. Sept ans plus tard, il y en avait mille de moins, et pour l’élection de 1995, encore un millier en moins soit 14000. Il faudra attendre 2002 et le nombre record de candidats pour que le nombre de signataires reparte à la hausse et dépasse celui de 1981, avec près de 18000 élus concernés. Ces chiffres corroborent avec un sondage réalisé par 242 l’Ipsos en 2001. Comme, nous pouvons le constater sur le tableau ci-dessous, six maires sur dix rechignent à donner leur parrainage à un candidat à l’élection présidentielle. Les maires des petites communes semblent d’autant moins enclins à donner leur signature. 243 Selon, l’Ipsos , les raisons qui poussent les maires à ne pas donner leur signature sont de deux ordres. D’une part, les élus entendent « préserver leur image locale » et préfèrent donc « se tenir à l’écart » des élections présidentielles. D’autre part, ils ont souvent été élus sur des listes d’intérêt communal, ce sont des maires « sans étiquette », ils ne veulent donc pas « prendre le risque de mécontenter une partie de leur électorat en affichant une 244 245 couleur politique ». Fin 1980, Le Matin de Paris , et le Quotidien de Paris , ont tous deux eu l’idée d’aller proposer à des maires ruraux de parrainer la campagne de Coluche. L’idée était plus de sonder leurs réactions que de réellement chercher des signatures pour le candidat fantaisiste. Nous allons voir si les motifs de refus avancés par ces signataires correspondent à ce que nous apprend ce sondage Ipsos. Si nous avons pu montrer, qu’il était tout à fait impossible que Coluche trouve les cinq cents signatures nécessaires puisqu’il n’avait pas même fait la démarche de les rechercher, et qu’il invitait, d’ailleurs, les comités de soutiens à sa candidature à ne pas le faire, de nombreuses rédactions de journaux se sont inquiétées de savoir si Coluche pouvait récolter ces précieux paraphes. Certains espéraient comme Mathilde de La Bardonnie dans Le Monde : « Ce serait quand même drôle, ce serait quand même bien s'il les recueillait, Coluche, le candidat Coluche, les satanées cinq cents signatures de «personnalités» 246 habilitées au parrainage pour Le marathon présidentiel.» , d’autres comme Jean Daniel « ne souhait[aient] nullement à Coluche de recueillir les signatures nécessaires pour valider 247 sa candidature. » , mais presque toutes les rédactions se sont posées la question. Il faut dire que Coluche, n’a jamais cessé de clamer qu’il pourrait avoir ces signatures sans aucun soucis, et qu’il était notamment soutenu dans cette initiative par de nombreux intellectuels qui avaient signer une pétition qui appelait les maires à signer pour l’humoriste. « Nous leur demandons [aux maires] quelles que soient leurs options politiques, d'être nombreux à se porter garants de la candidature de Coluche, et, par là, à faire obstacle au système censitaire déguisé qu'on essaie de leur faire cautionner. C'est une question élémentaire de démocratie : un citoyen représentatif d'un large courant d'opinion, comme il l'est, doit pourvoir s'exprimer 242 Sondage Ipsos-Courrier des Maires, réalisé entre le 9 et le 16 octobre par téléphone auprès de 350 maires répartis ainsi : 170 maires de communes de moins de 2.000 habitants, 90 maires de communes de 2.000 à 10.000 habitants, 90 maires de communes de plus de 10.000 habitants 243 244 Zulfikarpasic (Adélaïde), « Les maires veulent rester à l'écart du débat présidentiel », Ipsos.fr, 19 novembre 2001 Kauffmann (Jean-Paul), « Présidentielle : à la recherche des parrainages pour la candidat Coluche », Le Matin de Paris, 9 décembre 1980, n°1177, p.4-5 245 246 247 76 « Monsieur le maire et les candidats », Le Quotidien de Paris, 26 novembre 1980, n°310, p.2 Labardonnie (Mathilde), art.cit., p.8 Daniel (Jean), « L’effet Coluche », Le Nouvel Observateur, 24 novembre 1980, n°837, p.36 Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser en tant que candidat au cours des élections les plus importantes de la vie 248 politique française. » Les deux quotidiens parisiens ayant donc fait la démarche de rencontrer des maires, ce sont rendus des les pays de la Loire pour le Matin de Paris et en Bourgogne pour le Quotidien de Paris. Les deux journalistes ont rencontré une quinzaine de maires chacun. En lisant, leurs comptes-rendus, nous pouvons noter que le motif du refus peut parfois être un peu plus complexe que ce que nous avons pu annoncer auparavant. Bien sûr, dans un premier temps, il y a les refus parce que la personne a déjà signé pour un autre candidat, il est, bien sûr, impossible de donner sa signature à deux candidats. Il y aussi les refus lié au fait que les personnes n’ont pas envie de soutenir la candidature de Coluche : «Coluche, ça rabaisse le débat. » (Philippe des Jamonières, maire de Le Cellier – Loire Atlantique), « Coluche, c’est plus que de la rigolade, c’est dégradant » (maire de Commarin – Côte d’Or), d’autres affirmeront que ce n’est pas assez sérieux pour une élection présidentielle. D’autres éléments viennent appuyer leur refus. Tout d’abord, il y a la peur de ne pas être réélu, « Je ne peux parrainer personne. Que voulez-vous j’ai été élu sur une liste d’intérêt local, sans étiquette politique avec autours de moi des conseillers aux opinions très diverses. » (Georges Marchand, maire de Varzy – Nièvre), ce point amène les maires à dire que leur problème, c’est surtout la publication de leur nom, « Je ne dis pas, si ça avait été secret, mais on m'a dit qu'on publiait le nom des maires.» dira le maire de SaintJoachim (Loire-Atlantique). Cavanna écrivait : « Quel maire, quel élu prendra le risque de donner caution à un non-conformiste, à un Coluche, pour ne citer que lui, sachant que, aux prochaines municipales, son concurrent n'aura rien de plus pressé que d'ameuter les populations contre ce pignouf, cet hurluberlu, cet irresponsable, cet anarchiste qui veut 249 donner la France à un pétomane ?» Ce qui entre en jeu aussi dans leur refus, ce sont les pressions qu’ils peuvent recevoir. Les maires encartés avouent volontiers que leur parti leur interdit de signer pour un autre candidat. Le maire PCF de Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique) affirme se moquer des consignes de son parti, « Je n'ai d'ordres à recevoir de personne. Je suis un homme libre » déclarait-il. Alors que le maire PS de Narcy (Nièvre), Jean Septier, dira à Cabu venu assisté Jean-Paul Kauffmann : « Je ne peux donner mon parrainage à aucun parti puisque je suis moi-même au PS, je sais pourtant que c’est le jeu de la démocratie, mais je ne peux pas faire cela au PS… » avant d’ajouter « En tout cas vous ne trouverez pas un élu socialiste qui veuille parrainer un petit parti, encore moins Coluche ! ». En dehors de ces pressions liées aux partis politiques, le maire de Mauves évoque «les pressions probables de la préfecture ». Ces éventuelles pressions des préfets ont fait couler beaucoup d’encre dans la campagne présidentielle de 1981. Certains journalistes condamneront ce que Philippe Boggio résumera comme « un système qui permet aux principaux partis, et plus encore aux préfectures, de verrouiller les soutiens des maires, 250 des conseillers généraux, eu besoin de les monnayer. » . Une rumeur circule comme quoi « L’Elysée et Matignon env[erraien]t des télex dans toutes les préfectures, avec ordre de faire taire le saltimbanque. Unique consigne : Coluche est un dangereux agitateur qui ridiculise les institutions de la République. » 248 251 Coluche résumait ceci, avec un « Coluche aussi a ses intellectuels pétitionnaires », Libération , 19 novembre 1980, n°2104, p.8 249 250 251 Cavanna « Qu’est-ce qu’il peut-il arrêter Coluche ? », Charlie Hebdo, 11 février 1981 Boggio (Philippe), op.cit., p.246 Boggio (Philippe), op.cit., p.248 Bozonnet Grégory - 2008 77 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique aphorisme dans le style qu’il maîtrisait le mieux : « Pour m’arrêter, ils font des tas de trucs auprès des journalistes, auprès des maires, mais je vais leur mettre au cul. Moi, je fais 252 une campagne populaire. » . Il est particulièrement difficile de mesurer l’impact réel de ces pressions. Aucune preuve tangible ne peut d’ailleurs en être donnée. Toutefois, nous pouvons tout de même supposer qu’elles ont été réelles, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, on peut noter les appels du ministre de l’Intérieur dans le communiqué que nous citions auparavant. « Puisse la campagne qui va s'ouvrir prochainement revêtir la dignité qui sied aux exigences d'une grande démocratie. Puissent les Français ne pas oublier que sur quelque cent cinquante États représentés à l’O.N.U., à peine une vingtaine bénéficie aujourd’hui des libertés dont une histoire encore récente enseigne qu’il ne faut pas attendre 253 d’en être privé pour les apprécier. » Ces mots ne sont pas adressés directement aux maires, mais le message est là. De plus, on peut noter qu’une circulaire du ministère de l'Intérieur, datée du 30 novembre 1979, va compliquer un peu les possibilités de parrainage des maires. En effet, cette circulaire précise que les élus devront se charger eux-mêmes d'aller chercher les formulaires officiels d'enregistrement des parrainages à la préfecture. Parlant de conditions « draconiennes » de parrainage, la Ligue des Droits de l'Homme, a décidé d’exiger le retrait de cette circulaire. Pour le rédacteur du communiqué, le fait que les maires doivent se rendre en préfecture était un moyen de les décourager mais également de les influencer au moment de la remise du formulaire. Le communiqué insistait, en outre, en précisant que cette décision n’était pas conforme à celle du Conseil Constitutionnel qui stipule que les formulaires devaient être tenus à la disposition des citoyens. La Ligue des Droits de l’Homme conclut son communiqué par cette phrase : « cette multiplication des difficultés administratives (...) vise à éliminer de la compétition électorale les formations non 254 parlementaires qui ne disposent pas en leur sein des 500 parrainages exigés par la loi.» La circulaire sera finalement retirée et les élus habilités au parrainage recevront finalement le formulaire directement. Toutefois ces pressions réelles et supposées, montrent que les élus eux-mêmes, n’ont pas vraiment foi en la barrière que peut représenter cette loi des cinq cents signatures. Si nous utilisons barrière, c’est parce que c’est le terme que Pierre-Charles Krieg employait pour présenter la loi, terme qui peut permettre de visualiser en quelque sorte le champ politique, champ qui serait donc fermé par cette barrière. On assiste, ici, à une volonté de fermeture de l’élection présidentielle aux candidatures des comiques professionnelles. Fermeture qui semblait impérative, puisque de peur que la loi ne suffise pas, les partis politiques ainsi que les préfets semblent avoir fait le nécessaire pour verrouiller les candidatures trop fantaisistes. Il semble, en effet, qu’il ne soit pas facile, notamment du fait de la publication des noms des signataires, de trouver des maires enclins à signer pour des candidats marginaux. Candidats qui de surcroît assumaient leur marginalité, ce sur quoi nous reviendrons plus amplement par la suite, mais qui peut être représenté par cette « fausse » lettre aux élus que Coluche aurait pu envoyer, parue dans Charlie Hebdo le 12 novembre 1980. Même pour les candidats issus de petites formations, il s’avère difficile de surmonter l’épreuve des cinq cents signatures. Frédéric-Joël Guilledoux affirme d’ailleurs que les candidats qui réussissent cents signatures. Frédéric-Joël Guilledoux affirme d’ailleurs que les candidats qui ont réussi à passer cette barrière alors qu’ils étaient issus de toutes petites formations ou 252 253 254 78 Greilsamer (Laurent), « L’Enquête sur le meurtre de René Gorlin », Le Monde, 29 novembre 1980, n°11145 p14 Bonnet (Christian) in « Les règles de l’élection présidentielle c, Le Figaro, 15 janvier 1981, p.6 « Les droits de l'homme pour les "petits" » , Libération, 13 novembre 1980, n°2099, p.9 Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser de la société civile lors des précédentes élections ont, en fait, été parrainés par des grands partis qui servaient un intérêt politique. « Rare sont les candidats qui ont déniché leurs 500 255 paraphes sans avoir fait l’objet d’une stratégie gloutonne » écrira-t-il à ce sujet. Nous venons de voir qu’en effet il existe bel et bien une règle qui consiste à fermer une partie du champ politique aux candidatures fantaisistes. Il convient, bien sûr, de montrer à quel point cette idée est relative puisque l’on voit que cette barrière a une efficience qui est parfois remise en question et qui doit être relayée par d’autres types d’obstacles pour empêcher les candidatures fantaisistes que le législateur à vraiment à cœur d’empêcher. Nous avons pu noter que parfois, les hommes politiques ouvraient volontairement ces barrières pour des raisons stratégiques, ce qui démontrent, a minima, que la fermeture du champ n’est pas la priorité absolue des membres de ce champ. Afin d’avancer sur cette idée d’exclusion des comiques professionnels du champ politique, nous allons analyser les réactions des hommes politiques à propos de ces candidatures. Des attaques directes, plus qu’un jeu politique traditionnel ? « Une pareille transgression de la dérision bouffonne, qui s'autorise à descendre directement dans l'arène politique, qui porte la contestation dans les lieux mêmes de la compétition pour le pouvoir, ne pouvait que susciter de vives réactions 256 d'exclusion ». Nous avons déjà eu l’occasion de montrer qu’en masse la presse s’était emparée de la campagne de l’humoriste, nous allons voir qu’il en est de même des hommes politiques, au point que l’on peut mettre en doute l’exclusion du champ politique de la candidature des humoristes professionnels. Nous allons dans un premier temps présenter les réactions des hommes politiques pour ensuite mettre en question l’idée d’exclusion du champ politique. Une critique qui transcende les clivages politiques « Les politiciens sont complices même si apparemment ils s'opposent. Ils sont contre ma candidature parce qu’ils ne veulent pas que je sois sur leur terrain, là où ils font pipi. » Coluche. « D'un bout à l'autre de l'horizon politique, il n'y a eu rien d'autre, en fait de commentaires, que l'expression du mépris et de la condamnation. Tous les ténors des partis ont été solidaires dans l'indignation. Le socialiste Claude Estier rejoignant tristement le giscardien 257 Roger Chinaud. Tous se sont drapés dans la vertu la plus suffisante. » C’est à partir de ce constat que nous avons souhaité étudier les divers commentaires que les hommes et les femmes politiques, entendant par là les responsables de partis et autres candidats à l’élection présidentielle, avaient pu faire sur la candidature de Coluche. Nous reviendrons, par la suite, sur la candidature de Dieudonné. Ces commentaires sur la candidature sont 258 extraits de différents articles de journaux, notamment celui de Claire Frémont mais également du livre Coluche de Philippe Boggio. 255 256 257 258 Guilledoux (Frédéric-Joël), op.cit., p.191 Mercier (Arnaud), art. cit., p.176 Daniel (Jean), « L’effet Coluche », Le Nouvel Observateur, 24 novembre 1980, n°837, p.36 Frémont (Claire), « Ce qu’en disent les hommes et les femmes politiques », Le Matin de Paris, 22 novembre 1980, n°1164, p.15 Bozonnet Grégory - 2008 79 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique Dans un premier temps nous allons nous intéresser aux réactions des membres de « la bande des quatre », pour ensuite essayer d’analyser les différentes prises de positions des autres candidats, les raisons des critiques et leur nature. La première chose qu’il convient de souligner, c’est qu’il est relativement difficile de dater le début des prises de position sur la candidature de Coluche. Contrairement à ce que l’on a pu lire dans de nombreux articles les critiques ne commenceront pas avec le sondage du Quotidien de Paris. En fait, les critiques qui vont émaner des partis vont souvent être provoquées par les questions des journalistes qui interrogent les candidats à ce sujet. Nous pouvons dater la plupart des prises de position à partir du 20 novembre, il semblerait que ce soit Marie-France Garaud qui ait ouvert le bal, mais nous ne pouvons vraiment l’affirmer. Toujours est-il que les déclarations des professionnels de la politique vont vraisemblablement être un corollaire au numéro du Nouvel Observateur du 17 novembre. Coluche est entré à ce moment là totalement dans la campagne, il est devenu un paramètre important et a donc commencé à devenir une vraie question posée aux vrais candidats. C’est cinq jours après la parution de ce numéro que Claire Frémont a décidé d’interroger un grand nombre d’hommes politiques sur cette candidature. D’autres réactions viendront plus spontanément, lors d’allocutions publiques notamment. Contrairement à ce que pouvait laisser entendre, Jean Daniel, les réactions ne seront pas tout à fait les mêmes au sein de la bande des quatre. Il y a tout de même quelques points communs, notons par exemple la volonté de nier cette candidature dans un premier temps. Au Rassemblement Pour le République, Jacques Chirac, Bernard Pons et Pierre Charpy ont déclaré d’une seule voix « Cela ne nous intéresse pas. », Maurice Couve de Murville renchérissait en déclarant : « Je refuse d'en parler. », à Michel Debré d’ajouter « Je ne donne mon avis sur aucune candidature. ». La stratégie est un peu la même du côté du Parti Socialiste François Mitterrand et Michel Rocard ne diront « Rien. » et Jean-Pierre Chevènement déclarera : « Je n'ai rien à dire. ». Il en va de même au Parti Communiste, mais dans un autre registre, René Andrieu « ne tien[t] pas à participer à la campagne de publicité faite autour de Coluche. » alors qu’à la question concernant les candidatures de Coluche et de Marie-France Garaud, Georges Marchais répondait : « Je mènerai une campagne sérieuse, digne, responsable, pour impulser un vaste débat sur les vrais problèmes.» Le parti de la majorité en place déclarera par la voix de Michel Pinton, délégué général de l'U.D.F., que « Coluche n'entre même pas dans [leurs] calculs ». Le vrai point commun de ces partis, c’est qu’en dehors de cette volonté d’exclure Coluche de leur commentaire sous peine d’accorder de l’importance à cette candidature, ils prêtent un œil très attentif à cette candidature. Ainsi, dans un article des Nouvelles Littéraires, Jean-Christian Harvet a essayé de mener l’enquête pour voir comment les différents partis avaient réagi. On apprend qu’à l’Elysée dans un premier temps la stratégie a été de laisser-faire. Cette candidature ne les affecterait pas, elle déstabilise surtout la gauche et pourrait permettre de voir passer Georges Marchais, dont les électeurs sont plus « captifs », devant François Mitterrand. Ceci, est confirmé dans un article du Nouvel Observateur où « un homme du président » a confié à Guy Sitbon que « Coluche joue un numéro de démystification de la politique. Les gens se rendent ainsi mieux compte que les petites querelles pour le pouvoir sont mesquines. Le président apparaît au-dessus de ce tumulte dérisoire, celui qui doit faire face à la terrible réalité et qui prépare l'avenir comme 259 dans son discours d'Autun » et par Jean Lecanuet pour qui « la candidature de Coluche surprend. Elle ne nous affecte pas outre mesure. Lorsqu'on regarde ceux qui le soutiennent, on constate que sa candidature est un exutoire pour le PC et le PS. Cela ressemble à un poujadisme de gauche.» On retrouve ici, des éléments que nous indiquions auparavant, l’utilisation de cette expression hybride qu’est le poujadisme de gauche, mais surtout le 259 80 Sitbon (Guy),« La France de Coluche », Le nouvel Observateur, du 17 novembre1980, n°836, p48-49 Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser renvoi de Coluche au camp opposé. Rapidement, toutefois, la position du parti majoritaire va changer et se durcir. Les conseillers du président lui auraient dit qu’il serait de mauvais genre que Coluche obtienne un temps de parole à la télévision, il s’en servirait sûrement pour le prendre à partie. Ainsi, Michel Pinton apportait une nouvelle déclaration officielle qui cette fois-ci était beaucoup plus dure avec celui qui est nommé le « candidat de cabaret ». C’est à cette période que l’on commence à parler de pressions faites aux maires par le biais des préfets : « le changement de tactique a été soudain : De l’Elysée et de Matignon les ordres sont partis ; les préfets ont été mobilisés. Consigne : tout faire pour empêcher les maires 260 de donner leur aval au candidat Coluche. » . Du côté du Parti Socialiste, si les positions n’évolueront pas aussi vite, on apprend que les cadres du partis ont « déjà consacré une réunion interne au phénomène. Les "experts" ont expliqué gravement qu’il s’apparentait à la poussée poujadiste qui marqua les élections de 1956. Parce que radicalement antipoliticien, ont-ils ajouté, le discours coluchien ne peut être qu’intrinsèquement de "droite" » 261 . François Mitterrand après avoir maladroitement essayé de décourager le candidat en envoyant deux « émissaires », chargera Jacques Attali de prendre contact avec le comique et d’organiser une rencontre. Il ne donnera son avis qu’après cette rencontre, une fois le phénomène Coluche dépassionné. Sa déclaration, surprendra quelques commentateurs, il appellera à « juger Coluche sur son programme ». Au Parti Communiste, la candidature de Coluche, semble plus inquiéter. Après des mauvais résultats à des législatives partielles, la candidature à l’élection présidentielle va prendre une autre tournure. Une enquête est lancée dans quelques fédérations, cette enquête révèle que Coluche semblerait piper des voix à Georges Marchais. Des électeurs qui voulaient voter « contestataire », préfèrent voter pour Coluche. Les attaques vont être lancées. Ainsi M. Fiterman, empruntera le vocabulaire de Coluche, pour le concurrencer : « Tenez, j’ai lu l’autre jour le but qu’il se donne : "foutre la merde". Mais pour utiliser le vocabulaire de Coluche – et vous m’en excusez – moi je dirais : foutre la merde ? Merci bien. La merde, on l’a déjà. On y est en plein dedans. Et ça nous suffit. Le vrai problème, c’est de s’en sortir, de la merde dans laquelle les capitalistes et leurs soutiens plongent les jeunes et le pays. Et c’est justement ce que nous propose Georges Marchais. Voilà pourquoi les jeunes exploités et révoltés voteront et feront voter pour lui. » Claude Cabanes ajoutera que « Coluche, candidat à l'Elysée, se moque du « prolo » comme de l'an quarante ». Mais la phrase, la palme de la phrase la plus violente sera vraisemblablement attribué à Roger Garaudy, qui a déclaré que Coluche était « le degré zéro de l’humanité ». A l’extrême gauche, d’autres réactions apparaîtront rapidement. Avant-Garde, bimensuel du Mouvement de la jeunesse communiste, écrit, à propos de Coluche : « Celui qu’on s’évertue à nous présenter comme anticonformiste et subversif est en fait un archimilliardaire, bien intégré, cynique et méprisant, qui cache ses vieilles idées derrière une salopette, des lunettes rondes et des chaussures jaunes. » On retrouve ici, la salopette comme élément de l’exclusion de Coluche, mais ce qui marque avant tout c’est bien que l’on s’oppose ici à Coluche avec l’argument de lutte habituel, qui est l’argument de lutte des classes. Coluche est présenté comme milliardaire, pour marquer sa différence. Nous verrons par la suite qu’à l’extrême gauche, d’autres réactions sont beaucoup plus clémentes avec l’humoriste. Avant de présenter les autres déclarations de candidats, notons que le Centre d’informations civiques, organe neutre rattaché au Sénat a pris position sur cette candidature. M. Barbé, directeur du centre écrit à propos de cette candidature qu’« il faut 260 261 Harvet (Jean-Christian), « Quand Coluche brouille les cartes », Les nouvelles littéraires, 27 novembre 1980, n°2764, p.33 Idem Bozonnet Grégory - 2008 81 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique y voir, indépendamment de l'opération publicitaire, une manifestation du goût à la fois destructeur et ordurier que nourrît, en un coin caché de son inconscient, une fraction — quelle en est l'importance ? — du peuple tenu pour le plus spirituel du monde. Il est vrai que, vers 1900, le pétomane attirait les foules... ». Nous avons eu l’occasion de l’exprimer assez longuement en première partie, à la minovembre les articles concernant la candidature de Coluche sont tellement nombreux qu’ils occuperont une grande partie des colonnes politiques des journaux. Le calcul des petits candidats sera simple, parler de Coluche pour pouvoir entrer dans ces dites colonnes. À part Michel Jobert (mouvement des démocrates) qui n ‘a jamais souhaité s’exprimer à ce sujet, tous les candidats iront de leur déclaration. Même Aguigui Mouna, alias André Dupont, a déclaré à propos de la candidature de Coluche que c’était une « pub soutenue par des 262 snobs » Aguigui Mouna a souvent été considéré comme l’autre candidat fantaisiste de ces élections présidentielles. Il était connu pour ses aphorismes, comme « ne prenez pas le métro prenez le pouvoir », ou « les mass media rendent les masses médiocres », ses revendications pas toujours très accessibles : « La grossesse à six mois, la retraite à quinze ans ! » et son style inimitable. Chez les autres candidats, on trouve deux types de réaction pas toujours aisément différenciables. D’un côté, il va y avoir une opposition au nom de la démocratie, de l’autre Coluche va être utilisé comme arme politique. « II ne faut pas dévoyer à ce point les institutions de la République. » déclara le premier Jacques Blanc pour le compte du Parti Radical. D’autres emboîteront le pas, c’est notamment le cas du candidat « anti-Coluche » - « Sans moi il n’aurait même pas existé » déclarera l’humoriste - Michel Crépeau, président et candidat du MRG, « on ne va pas à l’élection présidentielle comme chez le coiffeur ». Son statut de candidat « anti-Coluche », lui permettra de s’exprimer dans plusieurs médias, il insistera donc en affirmant que l’humoriste « représente un danger dont notre démocratie assaillie par des périls de toute sorte n'a pas besoin. Il faut savoir qu'en politique également le ridicule tue presque aussi sûrement que les attentats aux libertés. ». Le président délégué du centre des démocrates-sociaux, Bernard Stasi, déclarera lors d’un meeting à Epernay : « Si Coluche est un excellent comique, il ne faut pas mélanger les genres. La fonction présidentielle est trop sérieuse et trop importante pour notre pays pour qu’on la tourne en dérision : c’est le président de la République qui doit appuyer sur le bouton de la riposte atomique, et je ne serais pas rassuré si c’était un homme comme Coluche qui avait à assumer cette responsabilité. La campagne présidentielle doit être l’occasion d’examiner les difficultés des Français et les problèmes de la France : il ne serait pas décent qu’elle donne lieu à des excentricités et des pitreries. » Bernard Stasi ajoutera par la suite que « les pitreries de Georges Marchais suffiront pour mettre un peu de fantaisie. ». Jean-Pierre Chevènement (P.S.), a déclaré, une semaine plus tard dans une réunion publique à Metz qu’« il ne faut pas ridiculiser le bulletin de vote. C'est le fruit du combat d'un siècle pour lequel des hommes sont morts. Si on est contre le suffrage universel, on est prêt à une dictature acceptée. ». Enfin, et nous arrêterons notre inventaire sur ce point, Marie-France Garaud, dissidente gaulliste, qui a donc été la première candidate à donner son avis sur l’humoriste, pense qu’« il faut en pleurer. Elle prouve un état de déliquescence de notre démocratie. » Mais la plupart des déclarations nous rappellent qu’à cette époque la campagne présidentielle bat déjà son plein. Ainsi, et comme nous les signalions auparavant, plusieurs 262 82 « Aguigui Mouna… », Libération, 17 novembre 1980, n°2102, p.6 Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser personnalités politiques vont chercher à toucher une autre cible en critiquant Coluche. Jean Poperen, écrira que «Des gens se sont battus longtemps pour conquérir des institutions démocratiques. Je suis écœuré de les voir galvaudées. Coluche ? C'est bon pour Giscard, c’est bon pour les adversaires de la démocratie.» Pour Huguette Bourchardeau, la candidate du parti socialiste unifié « Georges Marchais est le père de Coluche », mais le spectacle n’est pas rigolo « pour ceux qui attendent 263 autre chose de la politique, c’est-à-dire les chômeurs et les femmes surtout » . En une seule phrase, Huguette Bouchardeau, attaque la candidature de Coluche, celle de Georges Marchais, tout en s’adressant à ses électeurs. Par la suite, elle reparlera de la candidature de Coluche avec l’image suivante : « Dans un pays où on aurait faim, où il n'y aurait rien à manger, rien sur lequel rêver ou croire, Coluche serait un peu celui qui dirait : "Eh bien, autant casser la vaisselle, au moins ça fait du bruit, au moins on s'amuserait." Et il aurait bien raison. A quoi peut servir cette vaisselle quand les grands ayatollahs de la politique ont d'autre nourriture et des places réservées dans d'autres restaurants ? Pourtant, je me demande si, la vaisselle cassée, il ferait ensuite le ménage. » La critique de Coluche est probablement moins dure que celle qu’elle réserve aux autres membres du champ politique, mais elle souligne quand même que derrière sa campagne il n’y a rien, qu’il ne réparera pas ce qu’il a cassé. En dehors de ces interventions, d’autres candidats afficheront nettement plus de sympathie vis à vis de cette candidature. Outre l'ancien secrétaire national du MRG, François Loncle, qui se porte en faux avec Michel Crépeau, en déclarant que cette candidature est « un coup de botte formidable dans le derrière du pouvoir, de tous les pouvoirs. », les réactions positives émanent de l’extrême gauche. Ainsi, Antoine Artous (Rouge) note que « le propos démystificateur de Coluche n'est pas pour le gêner », et que « son engagement de voter à gauche au second tour » n'est pas fait pour lui déplaire. Dans Lutte Ouvrière, Pierre Vernant écrit : « L’enjeu électoral des présidentielles est nul pour les exploités et les opprimés de cette société. Ce n'est pas en mettant un bout de papier dans une urne en avril prochain que ceux-ci pourront changer leur sort. En ce sens les révolutionnaires ne peuvent que se réjouir des vagues que suscite la candidature Coluche dans tout le personnel politique de la bourgeoisie. Ces gens-là tremblent de voir leur système ridiculisé et dénoncé pour ce qu'il est : une farce. Tant mieux ! » ∙ Arlette Laguiller, confirmera cette position de Lutte Ouvrière: « Je ne serais absolument pas gênée si Coluche se présentait. Sa compagnie sur les écrans de la campagne électorale ne me paraît pas plus mauvaise que celle de certains autres avec lesquels je vais me trouver. Au contraire, si je puis dire, Coluche est franc, sincère, et il est probablement honnête. Les autres ne font rire personne. Bien sûr, si Coluche se présente, cela peut ridiculiser toute l'élection présidentielle et les hommes politiques qui tiennent le haut du pavé, et la fonction présidentielle elle-même. Mais ce n'est pas moi qui m'en plaindrai. Cette parodie de démocratie n'existe que parce qu'ils veulent faire croire aux masses qu'elles peuvent décider de leur sort par le suffrage universel, alors qu'en fait leur sort se 263 « Grand prix Elysée 81 », Libération, 8 décembre 1980, n°2121, p.8 Bozonnet Grégory - 2008 83 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique décide dans les conseils d'administration des banques, dans les étages élevés de l'administration et de l'appareil d'Etat. Si Coluche ridiculise cette élection et les institutions, si la satire peut faire mieux que ce que je peux faire, je dirai simplement : "Bravo, Coluche ! " » Pour Fabien Roland-Lévy, journaliste à Libération, en s’imposant comme une question à laquelle tous les hommes politiques doivent répondre, « Coluche a gagné la première 264 manche. » En règle générale, pour les soutiens de Coluche, ces réactions ont été du « pain béni ». Cabu, en a notamment fait une caracature parue dans le numéro d’Hara-Kiri qui avait porté Coluche en une. Peut-on, pour autant parler d’exclusion du champ politique ? Nous venons de présenter les réactions qu’a générées la candidature de Coluche chez les professionnels de la politique. Est-ce pour autant que nous pouvons parler d’exclusion du champ politique. Dans une certaine mesure, nous pouvons considérer, que l’exclusion du champ politique a été réelle tant que personne n’avait commenté cette candidature. Cette exclusion a pu durer aussi longtemps que les hommes politiques renonçaient à prendre position. A partir du moment, qu’ils ont commencé à parler de cette candidature, il est difficile de dire qu’elle est exclue. Elle sera d’autant moins exclue que tout le monde va commencer à prendre position, des plus petits candidats au futur président de la République. Valéry Giscard d’Estaing, ne s’est jamais exprimé publiquement sur cette candidature, mais le délégué général de son parti, Michel Pinton, le fera à plusieurs reprises comme on a pu le voir. En outre, Coluche est véritablement entré en politique à partir du moment où les partis ont commencé à réfléchir à ce qu’il devait faire de cette candidature. Nous faisions état d’une réunion en plus haut lieu au P.S., mais il en va vraisemblablement de même avant chaque prise de position. L’inclusion de cette candidature dans la campagne se fera d’autant plus que Coluche va parfois être utilisé comme une arme, pour attaquer les autres candidats. Rapidement ont lui donnera du crédit politique en lui trouvant ses essences et son électorat dans un parti traditionnel. Ainsi, nous montrions que pour le P.S. cette candidature était forcément de droite, alors que l’U.D.F. ne se sentait pas gênée par cette candidature de gauche. Notons tout de même qu’une grande partie des candidats va chercher à exclure au nom de la démocratie la candidature de Coluche. Utilisant des termes proches de ceux que dénonce Pierre Bourdieu quand il affirme que les professionnels de la politique accusent 265 les profanes « d’exercice illégale de la politique » . En effet, dans les déclarations que nous avons reproduites auparavant, on pouvait retrouver des verbes comme, dévoyer, assaillir, ridiculiser ou galvauder. Même si ce vocabulaire n’est pas repris par l’ensemble des hommes politiques, on peut y voir une manifestation de leur illusio.Rappelons que « l’illusio, c’est le fait d’être pris au jeu, d’être pris par le jeu, de croire que le jeu en vaut 266 la chandelle, ou, pour dire les choses simplement, que ça vaut la peine de jouer. » C’est ce qui rendrait le jeu politique possible. Ce jeu créerait une solidarité entre les initiés, les hommes politiques patentés, et justifierait le fait qu’il y ait une situation oligopolistique sur le marché politique. En effet, selon Pierre Bourdieu, l’une des règles premières du jeu est de lutter entre professionnels pour le vote des profanes. Sans qu’il y ait un accord explicite, les joueurs, les hommes politiques, vont naturellement s’opposer à l’entrée de 264 F.R.L., « Coluche en orbite », Libération, 24 novembre 1980, n°2108, p.9 265 266 84 Bourdieu (Pierre), Propos sur le champ politique, p.55 Bourdieu (Pierre), Raisons pratiques, Paris, Seuil, coll. Points, 1996, p. 153. Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser Coluche dans le champ politique. Ceci représente un exemple de stratégie de conservation. Les hommes politiques patentés vont fonder leur pouvoir sur le caractère sérieux qu’il faut pour pouvoir exercer une telle fonction. Sérieux dont ne peut se revendiquer Coluche.Ils vont ainsi créer un « effet de censure en limitant l’univers du discours politique et, par là, l’univers de ce qui est pensable politiquement ». Nous reviendrons, plus amplement sur le discours coluchien par la suite. Mais, ils vont se battre pour que Coluche ne soit pas un choix possible lors du vote du 26 avril 1981. La stratégie de discrimination est à peu près la même que celle que nous avions rencontrée dans les médias. Il y a d’un côté, le fait de renvoyer Coluche à ses origines du music-hall, c’est le réflexe adopté par Michel Pinton, qui après avoir assuré que Coluche ne les dérangeait pas, va s’empresser de rappeler qu’il est un « candidat de cabaret ». De l’autre côté, on le renvoie à des images politiques connotées péjorativement. On établit un parallèle avec le poujadisme, tout en prévenant que l’on risque de glisser dans la dictature. On peut noter qu’il n’y a qu’assez peu de retenue sur les expressions employées, ce qui montre le côté naturel du jeu, on peut discréditer ouvertement Coluche, parce que c’est normal de le faire, il se moque de la démocratie. C’est ce qu’écrivait Arnaud Mercier quand il évoquait « un jeu qui n’a pas à supporter pareille moquerie puisqu’il est démocratique. ». L’image la plus marquante provient du journal Le 267 Figaro, qui utilise l’antonomase « Watergate par effet comique » . Le Watergate est à la base un ensemble de bâtiments composé d’un hôtel, de bureaux et d’appartements, rendu célèbre par le scandale qui a pris son nom. Le scandale du Watergate est l’un des scandales les plus importants de l’histoire politique américaine. Il a débouché à une crise politique qui contraindra même le président Nixon à démissionner suite à la découverte de pratiques illégales à grande échelle au sein de son administration. On imagine que ce à quoi l’on se réfère dans cet article du Figaro dans l’utilisation de Watergate, c’est probablement le côté scandaleux de l’affaire. Ainsi Coluche et sa candidature seraient scandaleux. Ce caractère est dénoncé à plusieurs reprises dans les interventions, tout comme le côté dangereux de cette candidature. Ce qui a été très caricaturé par Charlie Hebdo. Notamment dans cet exemple de caricature paru dans les « unes auxquelles vous avez échappé » où les conséquences de la candidature de Coluche sont comparées à celles de tremblements de terre ou d’incendie ! Pour passer à un autre point, notons que Pierre Bourdieu écrivait que l’enjeu du champ politique est d’acquérir le « monopole du droit de parler et d’agir au nom d’une partie ou 268 de la totalité des profanes » . La manifestation la plus probante dans les réactions que nous citions auparavant, est bien sûr celle de Claude Cabanes pour qui Coluche se moque du « prolo ». L’intervention de Claude Cabanes, s’effectue au cœur même de l’organe de presse du parti communiste. Les lecteurs sont donc en grande partie des électeurs. On s’adresse à eux, pour leur montrer que la solution n’est pas Coluche, mais bien Georges Marchais. Manifestement, Claude Cabannes parle comme si cette population floue que sont les « prolos », était un électorat captif. Comme si seul Georges Marchais et les autres communistes patentés pouvaient s’exprimer en leur nom. « Quand même, à mon copain, l’ouvrier coco dans son usine, ça va être duraille de lui expliquer que lui et le bon 269 bourgeois de l’U.D.F. derrière son bureau de patron, c’est pareil. » Cette phrase de Claude Cabannes est du même registre, les communistes patentés vont devoir expliquer que la parole du « rupin » Coluche ne peut pas avoir de valeur quand il s’adresse aux « prolos ». Les mêmes arguments seront dans l’hebdomadaire du parti socialiste qui remet 267 268 269 Marchetti (Xavier), « La fonction présidentielle », Le Figaro, 24 novembre 1980, n° 11 266, p.6 Bourdieu (Pierre), « La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », art.cit., p.13 Cabanes (Claude), « Coluche me fait rire », L’Humanité, 19 novembre 1980, n°11269, p.2 Bozonnet Grégory - 2008 85 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique en question la capacité de Coluche a parlé au nom des travailleurs : « Que sait-il de tous ceux qui souffrent ?(…) Que sait-il Coluche, de mon pote de Nanterre qui a démissionné de "France Nouvelle" purgé un an de chômage et qui continue à se battre pour l’Unité dans sa cellule ? ». On reproche, ici à Coluche, de ne pas avoir les connaissances et l’expérience de ses préoccupations. Pour cela, L’Humanité emploie à nouveau le vocabulaire de la lutte des classes. Ces éléments soulignent l’accaparation du capital nécessaire pour pouvoir lutter dans le champ politique par un oligopole de professionnels de la politique. Et en cela confirme la théorie bourdieusienne du champ politique. Une des réactions les plus surprenantes lors de cette campagne est celle du C.I.C., M. Barbé critique fermement cette campagne publicitaire, il qualifie cette candidature de « dérisoire » et « attristant[e] ». Ce centre a pour vocation d’inciter les citoyens à s’inscrire sur les listes électorales, notamment les jeunes de 18 ans qui viennent d’acquérir le droit de vote. Coluche s’exprimera à plusieurs reprises sur cette réaction du C.I.C.. Il pense qu’il a amené plus de personnes à s’inscrire dans leur mairie qu’eux. Il est vrai que Coluche, conclut son « appel historique », par un appel à l’inscription sur les listes électorales. Cependant, nous avons essayé de mesurer l’impact que Coluche pouvait avoir sur la politisation, notamment des populations abstentionnistes, et nous avons pu nous rendre compte qu’elle est extrêmement dur à quantifier. Rappelons que la politisation est une socialisation et une intégration politique. On peut l’entendre à un sens statique comme degré d’intérêt pour la politique ou dans un sens de processus par lequel un individu (ou un groupe) est amené à s’intéresser à la politique. Coluche revendique un grand impact sur la politisation et la participation des abstentionnistes: « Moi je m’adresse aux pouilleux, aux crasseux, aux mecs qui n’existent pas en politique, à ceux qui ne sont jamais inscrits, je fais acte de civisme plus qu’aucun parti. Aucun parti n’a encore réussi à récupérer les voix des 18-20 ans depuis qu’ils ont le droit de vote. Il n’y a pas plus de votants qu’avant. 270 Qui essaie d’intéresser ces gens-là ? Personne. » Il disait également : « Je me présente pour les abstentionnistes, inscrits ou pas. Pour ceux qui ne seront pas représentés, les 271 consommateurs de politiques, ceux qui la subissent » . C’est ce discours que le C.I.C. n’a pas dû apprécier. Monsieur Barbé n’apprécie sûrement que très peu, que ce soit un humoriste qui vienne faire ce qui est le cœur de leur rôle. En plus, Coluche se permettra de les critiquer : « Et en plus le CIC, qui est un organisme qui doit s’occuper de recruter des votants, dit que je m’adresse à la pègre, à la merde. Il les traite de merdes et qu’en plus je ne devrais pas exister, alors que j’essaie de faire voter des nouveaux votants, ce qu’ils 272 n’ont jamais réussi à faire. » Manifestement, la présence de Coluche dans cette élection présidentielle dérange. Un proche de Coluche, Maurice Siegel, rédacteur en chef de VSD l’avait pourtant averti, « les élections sont affaires sérieuses, les partis puissants, les grands candidats prêts à tout. En e République, surtout sous la V du nom, s’en prendre au mandat présidentiel équivaut 273 à toucher au sacré. Pierre Bénichou, consulté, a exprimé les mêmes mises en garde. » Félix Guattari, qui était à l’initiative de la pétition de soutien à la candidature de Coluche affirmait lors d’une interview que « les castes au pouvoir tolèrent mal qu'un personnage 270 271 272 273 86 Jamet (Dominique), « A Quoi jouez-vous, M. Coluche ? », Le Quotidien de Paris, 24 novembre 1980, n°308, p. 6 Najman (Maurice), « Coluche l‘anti-candidat: « J‘irai jusq‘au bout» », Libération, 31 octobre 1980, n°2088, p.24 « LE C.I.C. : dérisoire et attristant », Le Monde, 20 novembre 1980, n°11 137 , p.10 Boggio (Philippe), op.cit., p.240-241 Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser 274 d'aussi basse extraction vienne fourrer son nez dans leurs affaires. » Pourtant, malgré tout ce que nous venons de noter, l’exclusion de Coluche du champ politique est à relativiser. D’une part les attaques auraient pu être plus virulentes, et plus directes. On peut par exemple souligner, que la plupart des sondages montrent que cette campagne prendra la majorité de ses voix au candidat Mitterrand et que celui-ci, ne prendra position que très tard, et que cette position, invite Coluche à se joindre au champ politique. C’est très probablement un calcul de sa part, mais cela contribue à relativiser l’exclusion. Si on parle de calcul c’est qu’en fait, comme le montre Pierre Bourdieu, le champ politique ne pourra en aucun cas devenir un jour totalement indépendant, puisque l’une des particularités de ce champ c’est que « les politiques sont justiciables du verdict populaire : il faut bien qu’ils entrent en relation avec ceux qui leur donnent délégation et, de ce fait, une partie de leurs actions 275 restent tournées vers le public, ils ne peuvent pas rêver de la fermeture totale » Ainsi on peut imaginer que Mitterrand, ne voulant pas prendre de risque de froisser les électeurs coluchiens qui semblent en parti être composés de rocardiens déçus, ne va pas pouvoir s’opposer à Coluche comme il l’aurait peut-être fait. La grande médiatisation et popularité de Coluche, empêcheront vraisemblablement plus d’un candidat de critiquer trop violemment Coluche. En outre, nous pouvons souligner que parmi les attaques les plus virulentes se trouvent celles effectuées par le parti communiste. Pourtant, Charles Fiterman, va contribuer à légitimer la présence du clown dans l’élection en reprenant son vocabulaire. Coluche ne fera aucun effort pour s’intégrer au champ politique, nous le montrerons, par conséquent, adopter ne serait-ce qu’un mot de son registre, même si c’est pour le condamner, est forcément une victoire pour le comique. Charles Fiterman a contribué à légitimer le vocabulaire de Coluche en le représentant sur le terrain politique. D’autant plus que le fait qu’il utilise ce terme va être repris dans de nombreux articles notamment dans Le Monde. Charlie Hebdo se délectera de ces attaques à travers des caricatures comme celles-ci : Avant d’aborder en quelques mots le cas de Pierre Dac et de Dieudonné, notons que l’un des éléments qui revient le plus souvent dans les critiques, c’est le fait que la fonction soit trop sérieuse, trop importante pour être moquée. En fait d’exclusion du champ politique, Coluche est exclu de l’élection présidentielle. Nous avons eu l’occasion de montrer que dans la Cinquième République, l’élection du président de la République est l’enjeu de pouvoir suprême, mais il n’empêche qu’il n’est pas le seul. Il est possible d’imaginer que si Coluche s’était présenté à une autre élection, il n’aurait en aucun cas récolté le fruit d’une telle campagne. L’exemple de Dieudonné pourrait corroborer avec cette idée. En effet, comme nous le présentions en introduction, Dieudonné s’est présenté à plusieurs échéances électorales, notamment aux élections municipales de 2001 à Dreux. Il n’a pas réussi à monter une liste à temps bien que pour cette campagne, il bénéficiait d’un appui de poids, les Verts. « Dieudonné, (…) s'est fiancé avec les Verts. Pour les élections municipales, il viendra les soutenir à Lille, à Rouen, à Paris 18e, aux Ulis, donnant de 276 sa médiatique personne. En échange, les Verts le soutiennent à Dreux » . Pour cette campagne, avant qu’il ne renonce, Daniel Cohn-Bendit s’était déplacé pour le soutenir. Il est pourtant l’un des rares à donner sa position sur la candidature de l’humoriste qui dans 277 l’ensemble « indiffère les autres candidats » . Il « conseille au comédien "de rester 274 275 276 277 Guattari (Félix), « Pourquoi Coluche », Le nouvel observateur, 15 décembre 1980, n° 840, p.42 Bourdieu (Pierre), Propos sur le champ politique, op.cit., p.38 Gurrey (Béatrice), « A Dreux, le Black Dieudonné se veut l’héritier de Coluche », Le Monde, 18 janvier 2001. Idem Bozonnet Grégory - 2008 87 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique tranquillement à la maison" pour la présidentielle. "C'est inutile de tenter de faire un remake de Coluche en 1981, plaide l'écologiste. Un remake au cinéma, c'est toujours mauvais. 278 Coluche, Montand, Dieudonné, faut oublier." » Alors que Dieudonné que Daniel CohnBendit considère que Dieudonné peut se prétendre digne d’être élu maire de la ville de Dreux, qui compte tout de même plus de trente mille habitants, il n’estime pas qu’il puisse être candidat à l’élection présidentielle. C’est une nouvelle preuve manifeste de la volonté de restreindre cette élection présidentielle à une concurrence entre professionnels. Mais notons, tout de même deux éléments supplémentaires. Dans un premier temps on peut remarquer qu’il utilise comme exemple pour le discréditer, la candidature de Coluche. C’est le référent. Pour jeter le discrédit, plus besoin d’aller mobiliser les dictateurs, ou Pierre Poujade, Coluche renvoie systématiquement à une candidature fantaisiste qui ne cherche pas à aboutir ce qui permet de discréditer la candidature de Dieudonné. Le second point que nous aimerions souligner, c’est le fait que les partis sont tout de même enclins à inviter les comiques professionnels dans des compétitions de moindre importance, pour profiter de leur charisme. Il est vrai que les comiques professionnels sont souvent dits « populaires » et « charismatiques ». Or le charisme est un capital politique indéniable, il « est la capacité de séduction tenant aux qualités particulières prêtées à un dirigeant, dit alors charismatique. 279 Max Weber y voit l’un des fondateurs possibles de la légitimation d’une domination » et Pierre Bourdieu affirme que c’est l’un des attributs les plus importants du capital politique. Ainsi, pour servir leur lutte, les « petits » partis comme les Verts peuvent être amenés à se faire aider par des personnalités médiatiques extérieures. Cette expérience peut s’inscrire dans le capital politique de l’humoriste, mais vient surtout lui donner une certaine légitimité à parler de politique. Pourtant, Pierre Bourdieu, montrait que l’enjeu du champ politique était de conserver cette légitimité à parler de politique, à parler au nom des profanes, entre politiques. Notons, enfin, qu’un autre candidat avait pris position pour que Dieudonné puisse se présenter à l’élection présidentielle, il s’agit de Jean-Pierre Chevènement qui n’a pas caché 280 qu’il soutenait le comique uniquement parce qu’«il pren[ait] des suffrages à Mamère». Nous évoquions auparavant des « stratégies gloutonnes » de certains partis qui vont fournir des signatures pour favoriser une candidature qui déstabilise l’adversaire politique. Nous sommes, dans le cas présent, dans le même cas de figure. Jean-Pierre Chevènement, va donner du crédit politique à la candidature de Dieudonné, en annonçant publiquement qu’il est pour sa candidature (rappelons que ce soutien était de poids puisqu’à l’époque il était qualifié de « troisième homme », le seul à pouvoir enrayer l’inévitable duel entre Lionel Jospin et Jacques Chirac) mais cela uniquement en espérant faire perdre des points à son concurrent potentiel qu’est Noël Mamère. Tout comme dans le cas de la candidature de Coluche, on ne peut donc pas vraiment dire qu’il a été exclu du champ politique puisqu’il a été utilisé comme « arme politique ». Même si l’idée que l’on retient de ces candidatures et plus précisément de la campagne coluchienne c’est que « devant la candidature Coluche, les partis politiques unanimes ont 281 fait la fine bouche et exprimé une réprobation fortement teintée de mépris » cette idée est à relativiser. Les médias avaient probablement accordé trop de places à la candidature de Coluche pour que les hommes politiques l’ignorent sans qu’on leur reproche de se couper 278 279 280 281 88 Hassoux (Didier), « Le « cocorico » de Dieudonné », Libération, 2 février 2002 Bacot (Paul), Dictionnaire du vote – Elections et délibérations, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1994, p.9 Gurrey (Béatrice), « A Dreux, le Black Dieudonné se veut l’héritier de Coluche », Le Monde, 18 janvier 2001. Weill (Claude), « Plus qu'un trouble-fête », Le Matin de Paris, 15 décembre 1980, p.4 Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser du pays réel. Ils ont donc du prendre parole sur cette campagne et ont ainsi contribué à lui donner du cachet politique. Après avoir qualifié cette campagne de tous les mots négatifs possibles, certains hommes politiques patentés l’ont utilisée comme arme électorale en renvoyant cette candidature au camp adverse. On a même vu que parfois ils ont même été influencés par cette campagne au point d’en reprendre des termes. Coluche n’a pas été totalement exclu du champ politique, on a essayé de l’exclure après lui avoir ouvert la porte. En fait, étant donné que les médias n’avaient pas joué leur rôle de gate keeper les hommes politiques ont dû utiliser leurs armes pour déqualifier le candidat, mais pour cela, ils n’avaient d’autre choix que de le porter sur la place publique. A la fin novembre, seulement 4% des témoins de l’Express n’étaient pas au courant de la candidature de Coluche quand près de 20% ne savaient pas que Marie-France Garaud, la dissidente gaulliste qui s’est déclarée candidate en même temps que l’humoriste, l’était. La candidature de Coluche a vraiment pris, et a obligé la plupart des hommes politiques a révélé qu’ils ne souhaitaient pas lutter contre un comique. Ce que montre déjà la loi sur les cinq cents signatures d’élus. Mais s’il est manifeste que la plupart des hommes politiques ne souhaitaient nullement que Coluche soit candidat, à part les petites formations marginales qui souhaitent casser le jeu des grands partis, on peut reconnaître que l’exclusion de la candidature de Coluche n’est pas passée par le processus décrit par Bourdieu, mais belle et bien par une lutte au sein du champ politique dans laquelle les hommes politiques ont engagés toutes leurs forces. On peut noter que dans le cadre de la candidature de Coluche, ils ont réussi à le faire renoncer, mais n’auraient-ils pas gagné une partie dans laquelle, ils étaient les seuls à jouer ? Peut-on exclure quelqu’un qui ne cherche pas à entrer dans le champ politique ? Afin de réfléchir à la logique de l’exclusion de ces candidatures fantaisistes, nous allons dans un premier temps montré que les candidats ne cherchent absolument pas à être pris au sérieux et à s’intégrer à la logique de compétition politique. Nous ne demanderons par la suite, pourquoi dans ce cas, ces candidatures ont-elles pu être victimes d’une telle violence de la part des médias et des hommes politiques. Des candidats qui tendent le bâton pour se faire battre ? Dans le but de mettre en exergue l’auto-exclusion des comiques du champ politique, nous allons montrer leur volonté de railler tout ce qui est politique et notamment en le remplaçant par le scatologique pour ensuite montrer que ces candidatures s’attaquent également aux symboles républicains. Un discours où le politique devient scatologie Nous venons de voir que Coluche et Dieudonné ont beaucoup été critiqués par les hommes politiques qui ont essayé de les exclure de la course à l’élection présidentielle. Nous signalions que ni l’un ni l’autre n’avaient cherché à vraiment s’intégrer au jeu politique, ils n’en ont pas accepté les codes, les symboles. Nous allons voir à travers une étude de leur discours et de caricatures que leur campagne a parfois tourné en tirades antipolitiques. Dans un premier temps nous reviendrons sur ce vocabulaire antipolitique des candidats Bozonnet Grégory - 2008 89 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique pour ensuite nous intéresser à ce par quoi ils proposent de remplacer la démocratie qu’ils décrient. Les termes qui concluent l’ « appel historique » de Coluche font appel à une thématique profondément antipolitique. Ces deux dernières phrases sont en effet, « tous ensemble pour leur foutre au cul » et « le seul candidat qui n’a pas de raison de mentir ». Les appels suivants, seront parfois signés du terme « démagogie maximum » et « le seul candidat qui dit la vérité ». Ces expressions rappellent d’autres bons mots que Coluche a pu avoir tout au long de sa carrière comme : « Les quatre leaders des grandes formations politiques françaises ne sont pas les uns contre les autres, mais bien unis comme les trois 282 mousquetaires des cinq doigts de la main : " un pour tous, tous pourris" » , ou encore 283 « y'a des hommes politiques qui mangeraient du cirage pour briller en société » , ou enfin « la grande différence entre les oiseaux et les hommes politiques, c'est que de temps 284 en temps, les oiseaux s'arrêtent de voler » . Pendant sa campagne, Coluche n’a pas manqué d’ajouter à son palmarès d’autres expressions de cet acabit. Parmi ces expressions critiquant les hommes politiques avec un langage commun, on peut relever, « je suis l’enfant 285 de la désunion de la gauche, du ras le bol de la bande des quatre » ou encore « je voudrais que les hommes politiques prennent conscience qu’en France les mécontents, ceux qui ne votent pas et ceux qui votent blanc, ils vont trouver non seulement qu’ils existent mais qu’ils se désintéressent de la chose politique telle qu’elle est faite avec ses magouilles 286 et ses dessous de table… » , « dessous de table qui sont tellement plein, qu’ils ne savent plus ou mettre les jambes ». Voyant que ces formules fonctionnent, il ira jusqu’à faire la leçon aux hommes politiques en disant qu’«il y a un problème de communication des hommes 287 politiques avec la base » . Notons bien sûr que ses aphorismes quotidiens parus dans Libération, quand ils ne dénoncent pas la censure, jouent sur ce registre antipolitique. Pour ne noter que quelques exemples de ce que Serge July appelle les « petites phrases et répercutions multiples », notons qu’il a écrit : « Enfin, une grossièreté gratuite dans ce monde 288 pourri par l’argent ! Coluche : J’emmerde les hommes politiques ! ! » ; « Malaise : Il paraît que les cordonniers sont les plus fraudeurs. Sûrement que les hommes politiques sont les 289 plus mal chaussés. » ; « Premier sondage honnête : 60% sont contre Barre, 74% sont contre Giscard, 77% sont contre Mitterrand, 84% sont contre Marchais, 88% sont contre 290 Chirac, 383% des Français sont contre la politique. » . Tout au long de cette campagne, il va éculer ce thème, qui promettait d’être l’un de ses thèmes de prédilection pour son spectacle prévu pour la rentrée 1986. Nous pouvons en effet, retrouver des traces de ces sketches, notamment un intitulé « les discours en disent long » où Coluche affirme que « Si la Gestapo avait les moyens de vous faire parler, les politiciens d’aujourd’hui ont les moyens de vous faire taire. ». 282 283 284 285 286 287 288 289 290 90 Coluche, Votez Nul, 1980 Coluche, Le chômeur, 1986 Coluche, Y se foutent bien de notre gueule, 1986 Jamet (Dominique), « A quoi jouez-vous, M. Coluche ? », Le Quotidien de Paris, 24 novembre 1980, n°308, p.6 Idem, p.7 Idem, p.6 Coluche, Libération, 14 novembre 1980, n°2100, p.10 Coluche, Libération, 13-14 décembre 1980, n°2125, p.7 Coluche, Libération, 9 janvier 1981, n°2146, p.9 Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser En ce qui concerne Dieudonné, il déclarera « la politique est une vieille dame malade, agonisante ». A partir de sa référence, Coluche, dont il défend la mémoire avec emphase « il est la dernière figure politique majeure de ce pays » ; il offre une violente critique de la politique, pour lui la « politique aujourd’hui dit professionnels, affaires, business ». Il ira jusqu’à déclarer « La politique politicienne est une vaste bouffonnerie qui ne m’intéresse 291 absolument pas » Nous allons par la suite nous intéresser aux symboles républicains détournés par les comiques professionnels mais auparavant, nous pouvons noter qu’ils détournent la symbolique des partis politiques tout comme le symbole qui pour eux représente le vote, l’urne. A propos du détournement de la symbolique des partis, les candidats sont restés à leurs prémices. On aurait pu imaginer qu’ils aillent beaucoup plus loin. Toutefois, on peut noter que sur les quelques exemples que nous allons présenter, il y a un véritable fossé entre l’utilisation faite par Dieudonné et celle faite par Coluche. Ce dernier va véritablement chercher l’effet comique, alors que Dieudonné en a une utilisation plus politique et polémique. Sur les caricatures présentées ci-dessus, toutes deux extraites des pages de Charlie Hebdo, nous pouvons noter que c’est le symbole du parti socialiste qui est pris à parti, il passe à travers le filtre grivois des équipes de l’humoriste. Pour coller avec le discours de celui-ci. Notons que la première caricature est parue avant « l’appel historique » alors que la candidature de Coluche n’était pas encore lancée devant la presse. La caricature donne déjà le ton. Siné reprendra par la suite ce même symbole pour illustrer la phrase qui clôt l’appelle coluchien : « Avec Coluche pour leur foutre au cul » Dieudonné, ne reprendra pas les partis à travers des caricatures mais le fera par les mots. Sa vision de la politique est elle également proche du « tous pourris », nous l’avons signalé. Concrètement cela ce traduit, dans ces textes et interventions par des expressions controversées. Par exemple, il reprend les sigles UMP et PS pour parler d’UMPS. Notons, que ce jeu sur les sigles n’a pas été crée par l’humoriste. La paternité est revendiquée par Marin Le Pen (Octobre 2003), mais c’est probablement Philippe De Villiers qui l’utilise le plus, même si François Bayrou n’a pas manqué de reprendre cette expression à son compte. On voit que le détournement du sigle sort d’un usage proprement comique mais qu’il sert des arguments visiblement plus politiques. Notons que sur un registre politique, il n’hésitera pas à détourner les sigles PS pour en faire le « Parti Sioniste », tout comme il avait détourné SOS racisme pour en faire « SOS sionisme ». Ce détournement servait aussi parfois pour alimenter ce que nous nommions auparavant la stratégie de censure, par exemple, Libération, dont les journalistes sont pourtant les plus prolixes sur la candidature de l’humoriste, est rebaptisé Liberticide et Le Monde, L’immonde. Quand Coluche, détourne les sigles, c’est plutôt dans un but humoristique comme le montre cet aphorisme paru dans les colonnes de Libération « R.E.R., E.D.F. et post-scriptum (P.S.). le R.E.R. fera-t-il alliance 292 avec le P.S. contre l’E.D.F. au deuxième tour? » Si sur le détournement des partis, les candidats s’opposent, ils se rejoignent sur le détournement de la symbolique autour du vote. Trois des quatre caricatures sont issues de Charlie Hebdo et sont allouées à la candidature de Coluche, la dernière, signée Tignous a alimentée la candidature de Dieudonné. Si on excepte la seconde candidature, toutes les autres sont à relier directement avec la scatologie de ces campagnes. L’urne électorale est transformée en toilettes dans 291 292 Mercier (Anne-Sophie), op.cit., p.113 Coluche, Libération, 16 décembre 1980, n°2127, p.9 Bozonnet Grégory - 2008 91 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique la candidature de Coluche, alors que pour Dieudonné c’est la mairie qui occupe ce rôle. L’expression « Tirons la chasse !» pourrait être interprétée par l’idée de sortir le personnel en place dans cette mairie. Pour en revenir à Coluche, l’urne dont sort le poing pourrait renvoyer à l’idée de « piège à con » que serait ces élections. La scatologie désacralise le vote au point de lui enlever toute valeur. Ce vote, pour Coluche, n’a aucune valeur, car il n’offre aucune possibilité de changer les choses. Pour en revenir à la scatologie, elle se retrouvera en fil rouge dans ces campagnes. Pour Dieudonné, « on vote, on vote et il y a comme un arrière goût de pisse, c’est vrai » 293 . Coluche a utilisé nettement plus souvent cette image, jusqu’à la lettre où il annonce l’arrêt de sa candidature : « Messieurs les hommes politiques de métier, j'avais mis le nez dans le trou de 294 votre cul, je ne vois pas l'intérêt de l'y laisser.» Ces quelques caricatures sont extraites des pages de Charlie Hebdo, et notamment du numéro 542 paru à la fin de la campagne de l’humoriste. On voit que la scatologie est utilisée dans deux registres différents, il y a d’un côté l’humour que l’on qualifie aujourd’hui volontiers de « pipi, caca », un humour léger, de potache. C’est notamment le cas de la première des caricature à laquelle on a adjoint volontairement une faute d’orthographe pour donner l’aspect d’un dessin d’enfant. L’esprit est le même dans la première caricature de la seconde ligne, langue tirée, la main sur le nez, un enfant à l’écharpe tricolore quelque peu dévalorisée. La scatologie sert à remplacer tous les slogans et revendications éventuelles, son programme : « prout ! ». Ceci nous renvoie à la dénomination utilisée par l’équipe de Charlie Hebdo qui parle de « candidat de la merde ».La dernière caricature donne un sens un peu différent à l’utilisation de ce registre. Le majeur tendu évoque un signe d’hostilité, le doigt d’honneur, et le slogan rappelle celui de l’« appel historique ». On retrouve ici, la rengaine antipolitique qui lui a valu les accusations de poujadisme, boulangisme… La scatologie n’est pas le succédané à la démocratie. Coluche appellera souvent à prendre les pleins pouvoirs. Nous en reparlerons par la suite, mais notons qu’il y a souvent des références qui montrent à quel point il n’a en aucun cas cherché à s’intéresser aux postes qu’il convoitait, il n’a jamais cherché à être élu, ni à essayer de reproduire le langage du champ politique. La scatologie employée, et les critiques acerbes qu’il pouvait tenir au sujet des politiciens, montre qu’il ne cherchait vraiment pas à entrer dans la norme. Pour Dieudonné, on pourrait avoir l’impression que les choses sont un peu différentes qu’il s’agisse d’une stratégie d’entrant dans le champ politique de critiquer les autres membres, d’annoncer qu’il faut tirer la chasse, nous aurons l’occasion de montrer qu’il n’en est rien. Après avoir présenté l’antipolitisme de nos candidats, il convient de montrer que leur absence de volonté de s’intégrer dans la course à la présidence de la République Française est visible de les distorsions qu’ils peuvent faire subir aux symboles de cette République. Une critique des symboles et de l’histoire de la République française Les trois comiques professionnels qui se sont présentés à une élection présidentielle de la Cinquième République ont en commun d’avoir pendant la campagne revisité un ou plusieurs symboles républicains. Pour obtenir, les premiers éléments sur la critique de la symbolique républicaine par Coluche, nous pouvons nous référer au mémoire de fin d’études de Caroline Vincent, réalisé 293 294 92 Sketch d’introduction du spectacle Mes Excuses, 2006 Coluche, «J’arrête », Charlie matin, 16 mars 1981, n°1, p.3 Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser 295 à l’IEP de Lyon sous la direction de Denis Barbet . A partir de ce travail, nous pouvons catégoriser les critiques dans trois domaines, d’un côté le détournement des symboles républicains, de l’autre la reformulation de l’histoire politique française mais également internationale et enfin une attaque plus générale de la politique. Comme nous le disions auparavant, ces critiques unissent les trois candidats, nous ne resterons, par conséquent, pas cloisonnés au cas de Coluche, et nous regarderons ce qu’ont pu faire les autres candidats de ces symboles et faits politiques. Parmi les symboles républicains, nous pouvons retenir, le drapeau tricolore, l’hymne national, l’allégorie de la République qu’est Marianne et la devise « liberté, égalité, fraternité ». En ce qui concerne l’hymne national, ni Pierre Dac, ni Coluche, ni Dieudonné n’en ont fait de versions détournées à notre connaissance, c’est le seul des symboles républicains qui ne soit pas passé entre les armes redoutables des équipes de campagne des humoristes. Le premier symbole sur lequel nous allons nous arrêter est bien sûr le drapeau tricolore, c’est l’emblème national selon la Constitution. Contrairement à l’idée très répandue dans les articles et autres ouvrages consacrés à Coluche, le mensuel Hara-Kiri n’a joué qu’un rôle mineur dans la campagne de l’humoriste. En fait, le seul rôle qu’il ait joué était de faire de la publicité pour l’hebdomadaire Charlie-Hebdo qui, comme on a pu le voir, était l’organe officiel de la campagne de Coluche. Cependant, ils ont marqué la campagne, en offrant à Coluche la une de leur numéro de décembre 1980. Cette une, chargée de symboles, aura valu à Coluche des petits ennuis avec la justice pour « port illégal de décoration ». On voit en effet sur cette une, Coluche installé sur « le trône » - car c’est probablement dans ce sens là qu’il faut interpréter les toilettes sur lesquels il pose – le pantalon baissé mais le sexe caché par une médaille de la légion d’honneur. Dans le mémoire que nous citions auparavant, Caroline Vincent pose comme hypothèse que la couleur rouge a été remplacée dans le drapeau coluchien par la merde, parce que le rouge est en fait la couleur politique la plus proche de l’humoriste. En ce qui nous concerne, nous pensons plus simplement qu’il s’agit ici d’un simple effet d’humour, de syntaxe. Souvent, et nous verrons que ceci se confirme à propos de la devise libertéégalité-fraternité, c’est le dernier mot que l’on remplace. Ceci permet l’effet comique puisque nous nous attendons à entendre rouge, quand on nous dit bleu-blanc-… Remplacer le dernier terme par merde, est une profonde atteinte à ce symbole de la République qu’est le drapeau tricolore. Nous aurons l’occasion de revenir sur le caractère scatologique de cette campagne, mais notons que cette affiche a marqué les esprits, comme le symbole même de l’irrévérence, de l’irrespect de la candidature de Coluche. Dans cette affiche, on retrouve à nouveau la salopette identitaire qui est, comme nous le montrions, la signature de Coluche, il adopte en partie les codes vestimentaires d’une vision traditionnelle de la politique, le haut de forme, la veste et le nœud papillon qui sont contrastés par le drapeau devant lequel il fait son allocution, et le trône sur lequel il siège. Nous pouvons noter que le candidat Coluche, utilisera pendant sa campagne les couleurs bleue, blanche et rouge à plusieurs reprises. En effet, lors du faux conseil des ministres (rebaptisé pour l’occasion « conseil des sinistres ») réalisé pour le compte d’Antenne 2 – émission non diffusée que nous évoquions – Coluche apparaissait ceint d’une écharpe tricolore. Lors d’un de ses derniers actes de campagne, la fédération des petits candidats, il est apparu totalement nu, un ruban tricolore protégeant son sexe et une plume tricolores dans les fessses. Cette image n’a pas provoqué d’indignation dans la presse, elle 295 Vincent (Caroline), Coluche président ou la symbolique et l’essence du politique revisitées, mémoire de fin d’étude dirigé par Denis Barbet, IEP de Lyon, 2005, 125p. Bozonnet Grégory - 2008 93 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique est pourtant une marque prononcée d’absence de respect pour le drapeau national. JeanPierre Elkabbach confiait à Philippe Boggio qu’« on ne se rend plus compte aujourd’hui à quel point son coup de plumes dans les fesses avait été violent, à quel point Coluche avait une grande capacité à choquer. » 296 En ce qui concerne Marianne, on peut noter que les premières représentations d'une femme à bonnet phrygien, allégorie de la Liberté et de la République, apparaissent pendant la Révolution française. L’origine du prénom Marianne est difficile à trouver, ce serait probablement une simple contraction des prénoms Marie et Anne qui étaient déjà très ème répandus au XVIII siècle. Marianne a été un symbole de liberté, notamment du fait qu’elle portait le bonnet phrygien, coiffe qui était portée par les esclaves affranchis en Grèce et à Rome. Marianne est, aujourd’hui, une figure allégorique de la République Française. Parmi les quatre caricatures de Marianne présentées ci-dessus, trois appartiennent à la candidature de Coluche, et une à celle de Dieudonné. Les trois caricatures appartenant à la candidature de Coluche sont issus des pages des « Couvertures auxquelles vous avez échappées » de Charlie-Hebdo, la dernière, celle ayant trait à la candidature de Dieudonné, 297 est issu de son livre Lettres d’insultes illustré par le dessinateur Tignous qui est donc l’auteur de cette caricature. Si l’on commence par cette Marianne, on peut voir que les traits sous lesquels serait représentée la Marianne de Dieudonné sont avant tout ethniques. Le bonnet phrygien, tout comme le masque qu’elle porte renvoie à la culture africaine traditionnelle, à l’instar de la robe qu’elle peut arborer. Ceci corrobore avec ce que l’on a pu nommer en introduction une ethnicisation du rire. Dans la campagne de Coluche, Marianne est avant tout disgracieuse. Notons tout même que le sein nu de Marianne, censé représenter la mère nourricière, est, dans la première caricature, un objet de désir pour le président Coluche. Dans ce registre, nous pouvons souligner également que dans le magazine Lui, de Janvier 1981, Coluche pose avec une Marianne entièrement nue puisqu’elle a pour seuls vêtements un bonnet phrygien et deux cercles bleus et rouges sur les seins. Dans toutes les candidatures présentées ici, les bustes semblent vraiment amputés des bras, tant la rupture est disgracieuse. On retrouve une fois encore la salopette comme métonymie de Coluche. On peut remarquer qu’elle ne sied pas le moins du monde à la République Française, Marianne nageant dans ses nouveaux vêtements. La dernière image est celle d’un buste de Marianne repoussant, attirant les mouches. Caroline Vincent interprète cette caricature comme la marque du caractère absolu du pouvoir souhaité par Coluche, puisqu’il irait jusqu’à remplacer le buste de Marianne par sa propre image une fois arrivé au pouvoir. Cet aspect de la candidature de l’humoriste, est également visible dans les faux timbres réalisés par Siné, qui seraient devenus officiels si Coluche avait gagné. Le premier timbre montre, en effet, Coluche, désigné sous un nom Selon le site de l’Assemblée Nation Nationale, cette Marianne incarnait une France rurale. Le positionnement des pieds montraient aussi, toujours selon le même site, er une République en marche. d’empereur. Coluche 1 se voit alloués tous les attributs vestimentaires symboliques de l’empereur. Le jeu sur les symboles est tout à fait central dans cette campagne. Il n’est, donc, pas anodin que le second timbre détourne l’allégorie de Marianne comme semeuse, selon l’œuvre de Louis-Oscar Roty qui avait été choisi comme symbole philatélique dès 1897. Pour représenter une République agricole, mais aussi une 296 297 94 Boggio (Philippe), op.cit., p.276 M’bala M’bala (Dieudonné), Lettres d’insulte, Paris, Le cherche midi, 2002,155p. Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser République en marche. Nous pouvons noter qu’outre ses significations, le fait que Marianne ait les cheveux dans le vent donne une sensation de liberté à la scène, de plus l’allégorie de Marianne comme semeuse va de pair avec le symbole de fertilité. Après le passage, entre les mains de Siné, il ne reste plus grand-chose de ce symbole. Maurice Agulhon écrit dans son ouvrage intitulé les métamorphoses de Marianne que « Siné maintient à l’extrême 298 gauche la tradition libertaire du mépris haineux contre la République Etat national. » Outre cet aspect, on peut souligner que cette caricature est tout à fait dans le ton donné par Coluche qui voulait être candidat pour « foutre la merde ». En langage guère plus poli, on dit « semer la merde ». La semeuse se transforme donc en semeuse de merde pour l’occasion. Nous reviendrons dans le deuxième temps de notre réflexion sur la scatologie des candidats Coluche et Dieudonné. Ce détournement de l’imagerie républicaine est dans tous les cas une nouvelle marque du détachement des comiques professionnels des affaires de la cité. Enfin, en ce qui concerne la devise républicaine, liberté, égalité, fraternité. Une fois encore, Coluche et Dieudonné, l’ont détournée de son sens. Pour commencer par Coluche, ce n’est pas un détournement qu’il a régulièrement utilisé. Il n’en a jamais fait un sketch. En 299 revanche, lors d’une tribune qui lui est confiée dans Le Monde , il utilisera l’expression, « liberté, égalité, copains partout ». Selon lui, « c'est la nouvelle devise qui pourrait s'inscrire 300 au frontispice de la nation » . Cette expression est du ressort du « tous pourris » qui a fait son succès. Par cette dénonciation du népotisme, Coluche critique l’incompétence des ministres. « J'aimerais bien qu'on me cite un ministre qui ait fait des études correspondant à ses fonctions. Ce serait le minimum. On se demande des fois pourquoi d'éminentes sommités françaises n'ont jamais eu de postes au gouvernement. La réponse est simple : 301 elles ne sont pas "copains avec l'U.D.F."» Dieudonné fera une utilisation quelque peu différente. Il en fera, une sorte de phrase culte, un peu comme la marque de son spectacle Mes Excuses. « Liberté, Egalité, et mon cul sur la commode ! ». A l’instar du « bleu, blanc, merde », de Coluche, nous ne pensons pas qu’il faille interpréter le choix du terme effacé, c’est a priori une simple question de syntaxe. Ce qui est à souligner, c’est le côté irrévérencieux, provocateur. La formule de fin décrédibilise totalement les deux premières. On sent, dans ce syntagme, une vision désabusée de la République française. Notons un dernier exemple de symbole républicain détourné. Bien qu’il n’ait jamais été réellement un symbole de la République française, le coq a marqué l’histoire de France et continue à être l’emblème choisi pour orner les équipements des sportifs français. En fait, le coq a été dès l’Antiquité un symbole de la Gaule et des Gaulois, du fait d’un jeu sur le mot latin galus qui signifiait à la fois coq et gaulois. On peut trouver sur le site de l’Elysée, les différentes époques où cet emblème a été sollicité, il s’agit essentiellement de ème la Révolution de 1789 et de la III République. On peut noter que depuis, il est moins utilisé du fait qu’un animal de basse-cour peut difficilement rivaliser avec d’autres emblèmes internationaux comme l’aigle américain, ou le lion iranien. Coluche a raillé ce symbole dans son sketch Le Belge, en disant que si les Français ont choisi le coq comme emblème « c’est 298 Agulhon (Maurice), Les métamorphoses de Marianne – l’imagerie et la symbolique républicaines de 1914 à nos jours, Paris, Flammarion, 2001, 320p. 299 300 301 Coluche, «L’Etat de la France », Le Monde, 25 mars 1981n°11 244, p.2 Idem Idem Bozonnet Grégory - 2008 95 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique 302 parce que c’est le seul animal à pouvoir chanter les pieds dans la merde » . Pendant la campagne présidentielle, ce symbole a été détourné à plusieurs reprises, notamment au moment où il est apparu sur scène avec la plume entre les fesses. Il faisait la semaine suivante la une suivante de Charlie Hebdo. A noter qu’une fois encore, Reiser utilise pour le fond de cette une les couleurs bleue, blanche et rouge. Dieudonné, quant à lui, a intitulé son spectacle, qui devait être un spectacle de campagne mais qui ne différait en rien des autres, Cocorico ! en référence bien sûr au chant du coq. Nous reproduisons ci-dessous l’affiche du spectacle, qui ethnicise une fois encore ce symbole. Notons qu’il utilise également le drapeau, bleu blanc, rouge. Maintenant que nous avons amplement détaillé le détournement de la symbolique républicaine par les comiques professionnels ayant fait acte de candidature à l’élection présidentielle, nous pouvons noter qu’ils se réapproprient assez fréquemment des faits et des personnages historiques. Nous allons montrer que la référence au Général de Gaulle est très marquée dans ces candidatures, pour ensuite voir que la candidature de Coluche revisite mai 68 ainsi que d’autres événements historiques. Point commun à toutes les candidatures, la référence au Général de Gaulle est ème incontournable pour ces candidats. Il est l’homme clé de la V République, celui qui l’a souhaitée, celui qui l’a créée. Il n’est donc pas surprenant de le voir caricaturer par tous les comiques professionnels. Il va en fait servir de légitimation. Dans le cas de la première caricature, celle qui est donc réalisé par Tignous pour le compte de Dieudonné. La légitimation passe par le symbole de la casquette. Or, la casquette auquel se réfère Tignous, est vraisemblablement le képi du Général. Il effectue donc une comparaison, en assumant le côté incomparable des deux éléments. La couverture du Charlie Hebdo du 19 novembre 1980, nous rappelle inévitablement, les tracts du Front National dans le quinzième arrondissement de Paris, en 2001. Sur ces tracts on pouvait lire, « De Gaulle avec Le Pen ». Il s’agissait en fait du petit-fils du Général, qui porte, de surcroît, le même prénom son grand-père. Le tract insistait, en outre, sur le fait que ce n’était pas un simple homonyme, mais bien, le petit fils du Général. On voit, ici, que le nom de Gaulle, agit comme un sésame. Quelle que soit l’utilisation de son nom, il est le mot de passe pour entrer dans une campagne présidentielle. L’affiche présentée, est ce que Coluche a appelé pendant sa campagne son « appel historique ». On en trouvera plusieurs versions tout au long de cette « plaisanterie à caractère social », mais seule celle-ci a vraiment été réalisée par l’humoriste et son équipe. Les autres sont les fruits de l’équipe de Charlie Hebdo. En s’attaquant à cette affiche chargée d’histoire, Coluche se joue d’un symbole fort de l’histoire de France. Nous reviendrons plus en détail par la suite, sur le sens de cette affiche, utilisée par Coluche. Le lien qui a pu unir, le Général de Gaulle et Pierre Dac implique de traiter cette candidature un peu à part. Si l’on peut lire dans l’Os à moelle, le slogan courant à l’époque « Charlot, des sous ! ». La référence s’arrête là. Il y a peu de critiques directes du pouvoir, si ce n’est un article loufoque sur le sujet : « Pourquoi Charles de Gaulle a-t-il peur du M.O.U. ? ». En fait, les références utilisées à Charles de Gaulle, pendant cette campagne ème sont essentiellement tournée vers la Constitution de la V République. C’est le seul symbole politique auquel Pierre Dac va réellement s’attaquer. Coluche, avait voulu l’imiter d’ailleurs en 1981, il avait, un soir, accompagné de ses amis, décidé de réécrire entièrement la Constitution, mais Paul Lederman s’y est opposé et la Constipation coluchienne ne verra 302 96 Coluche, Le Belge, 1979 Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser donc jamais le jour. Trois semaines de suite, Le M.O.U. revisitera la Constitution française pour avoir « une République sans faiblesse ». Pour donner quelques exemples, l’équipe de L’os à moelle revisitera l’article 24 de la Constitution : « Le Parlement comprend l’Assemblée nationale et le Sénat. ». Pour eux, « C’est nettement insuffisant » il faudrait plutôt écrire : « Le Parlement comprend l’Assemblée nationale et le Sénat, qui, de leur côté, font ce 303 qu’ils peuvent pour comprendre ce qu’on leur dit. » . En outre, il propose, de préciser d’autres articles, c’est notamment le cas de l’article 12, du Titre II, qui stipule que « Le Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents des Assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée Nationale. ». Dans la grande tradition loufoque, Pierre Dac proposera d’ajouter, par précaution la phrase suivante. « En aucun cas, et quel que soit l’état d’urgence, l’Assemblée Nationale ne pourra être dissoute 304 dans l’acide sulfurique ou tout autre produit corrosif similaire. » . Il proposera également de compléter l’article 31, « Les membres du gouvernement ont accès aux deux assemblées. Ils sont entendus quand ils le demandent », qu’il trouve trop imprécis. Pour Pierre Dac, l’article devrait être : « Ils sont entendus quand ils le demandent, mais sans aucune garantie 305 d’être écoutés. » . En fait, seul un article mérite d’être conservé tel quel, il s’agit de l’article Il s’agit de l’article 68, du Titre IV, ainsi conçu : « Le Président de la République n’est responsable des actes commis dans l’exercice de ses fonctions que dans le cas de haute 306 trahison. » On note dans ces articles, une grande différence entre les détournements réalisés par Coluche et Dieudonné, et ceux réalisés par Pierre Dac. Dans le derniers cas, l’irrévérence n’est que jeu de mot, on se situe dans une tradition fantaisiste. Pour les deux 307 autres comiques, on se situe plus dans ce que Gilles Verlant a qualifié d’humour grinçant . La durée et la médiatisation de la candidature de Coluche, lui a permis d’aller plus loin dans la réécriture de l’histoire. Nous allons, avant de revenir plus généralement sur la critique générale de la politique, notamment par le biais de la scatologie, étudier les différentes périodes revisitées. En fait, outre, la caricature du Général de Gaulle, Coluche, va s’attaquer à la révolution française, au totalitarisme mais également au mouvement hippie et surtout à mai 68. Ce qui a pu contribuer à classer la candidature de Coluche du côté de l’anarchie, c’est le côté « anti-tout » qu’il revendiquait plus ou moins. Les deux premières caricatures revisitent l’histoire dans la tradition coluchienne de la scatologie. Ainsi, la prise de la Bastille, devient « La brise de la pastille », brise qui est en fait un pet. On peut noter que cette caricature se retrouve à deux reprises dans les couvertures auxquelles vous avez échappées de Charlie Hebdo, la deuxième reprenant approximativement le même texte, mais faisant dire à Coluche « Et sans culotte !», ce qui ajoute encore à l’effet comique, en détournant, le nom des révolutionnaires. Dans la seconde caricature, Le slogan hippie, « peace and love », est donc revisité pour devenir « peace and prout », on peut également noter, que cette caricature de Nicoulaud issue de Charlie Hebdo donne des attribue à Coluche qui détourne totalement le symbole hippie. En effet, outre, le caractère scatologique du nouveau slogan, les accessoires que sont le cigare, la couronne et le nez rouge assurent le mélange des genres. Ainsi, loin d’être un « baba cool », le hippie 303 304 305 306 307 Dac (Pierre), « Le M.O.U. fait passer à la constitution son conseil de révision », L’Os à Moelle, 11 mars 1965, n°, p.3 Dac (Pierre), « Le M.O.U. veut une république sans faiblesse de constitution », L’Os à Moelle, 25 mars 1965, p.3 Dac (Pierre), « Le M.O.U. fait passer à la constitution son conseil de révision », art.cit., p.3 Dac (Pierre), « Le M.O.U. veut une république sans faiblesse de constitution », L’Os à Moelle, 25 mars 1965, p.3 Verlant (Gilles), L’encyclopédie de l’humour français – de 1900 à aujourd’hui », Paris, Hors Collection, 2002. Bozonnet Grégory - 2008 97 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique de Coluche est un homme fortuné et puissant, mais ridiculisé par son slogan scatologique et son nez rouge de clown. Enfin, la caricature de Nicoulaud, apparue très tôt dans la campagne de l’humoriste, représente Coluche en Hitler, mais toujours avec ses formes généreuses et sa salopette ce qui donne au personnage un côté sympathique. On peut imaginer que cette caricature sert à répondre aux premières critiques qui ont été soulevées sur l’aspect anti-présidentialiste de Coluche que certains trouvaient dans la campagne de l’humoriste. Enfin, le dernier événement historique revisité par Coluche est bien sûr, mai 68. Coluche a souvent été présenté comme un soixante-huitard. Ce n’est pas tout à fait exact. En mai 68, il était certes, « pour le rapprochement des pavés avec la gueule des flics », mais il n’a pas du tout participé. Il était à l’époque en train de travailler avec Romain Goupil à la création de leur café-théâtre. Les caricatures que nous présentons ci-dessous, ont été réalisées, pour la plus part par Siné. A l’exception de celle intitulée « Coluche menace » qui a été dessinée par Cabu, et de celle nommée « Avec Coluche la lutte continuche », qui n’a pas été signée. A la droite de chacune de ses affiches inspirées de mai 68, issues de Charlie Hebdo, est présentée l’affiche dont nous pensons que Siné s’est inspiré. Ces affiches sont issues du site achard.info, site personnel de Jean-Paul Achard qui présente une grande sélection d’affiches de Mai 68 en ligne. On retrouve à nouveau des références, à Charles de Gaulle, notamment par la reprise de ce mot chienlit. Chienlit est un mot qui a été popularisé par le Général pendant les événements de Mai 68, le 19 mai pour être plus précis, où il avait déclaré : « La réforme : oui, la chienlit : non ». Chienlit est extrêmement difficile à définir, si l’on compare plusieurs articles d’encyclopédies et de dictionnaires, on peut souligner qu’il a été utilisé dans des sens très différents par plusieurs auteurs comme Zola, Hugo ou Giono. A l’origine, ce terme vient de « chie-en-lit », donc, celui ou celle qui défèque au lit, mais le terme a été utilisé pour désigner un morceau de chemise souillée dépassant du pantalon. Il était notamment un costume traditionnel du Carnaval de Paris. Si l’utilisation de ce terme par le Général de Gaulle dans son allocution radiophonique du 19 mai a particulièrement marqué les esprits, c’est en partie parce que la lithographie intitulée « la chienlit c’est lui », que nous avons reproduit ci-dessus, fut réalisée six heures après et diffusée rapidement à 25 000 308 exemplaires . Siné détourne donc la lithographie et propose comme réponse à la chienlit, non pas la réforme, mais de donner le pouvoir à Coluche. Pouvoir que la caricature « moi » semble montrer qu’il tendrait vers l’absolu. En ce qui concerne la caricature, avec « Coluche, la lutte continuche », c’est l’expression gauchiste « la lutte continue » qui est ridiculisée. Les travailleurs unis de l’affiche de Mai 68 deviennent dans la campagne de Coluche un groupe d’amis. En outre, pendant cette campagne, « les lendemains qui chantent » sont devenus des « lendemains qui chient ». Les deux dernières caricatures revisitent deux autres affiches en les passant par le filtre scatologique de Coluche, dont nous parlions auparavant. En guise de conclusion, nous pouvons souligner que plusieurs caricaturistes se sont « défendus », en renvoyant les symboles de la république aux comiques. Nous pouvons noter par exemples, ces trois caricatures issues de la campagne de Coluche. La première illustre, le dépit de Marianne face à la multiplication des candidatures et surtout des candidatures fantaisistes. Elle s’apprête à inscrire un clown alors que Coluche vient déjà de déposer sa candidature et en jubile. La seconde renvoie l’image de la scatologie à Coluche, en montrant qu’il a inscrit son programme sur un rouleau de papier hygiénique. Cette caricature de Jacques Faizant, est un autre exemple d’arme que l’on a retournée contre Coluche, comme Charles Fiterman qui se met à employer le mot de Cambronne, Jacques Faizant, pour décrédibiliser Coluche, le prend à la scatologie. Enfin, 308 98 Source, Feuerhahn (Nelly), « Mai 68, les murs ont la parole », Encycloepedia universalis en ligne. Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser nous voyions sur cette dernière caricature, les mines défaites de la bande des quatre face à une urne dans laquelle Coluche aurait été placé. Le discours antipolitique et son corollaire, la manipulation des symboles montrent que les comiques n’ont jamais vraiment souhaités s’intégrer à cette campagne, s’intégrer au champ politique. Même si comme le soulignait Eric Neveu « La critique du professionnalisme, le refus des « cuisines », de la « bouillabaisse » de la politique 309 « politicienne », constitue une stratégie habituelle d’entrants. Le discours de ces comiques, en tout cas de Dieudonné et de Coluche, n’est pas un discours que l’on cherche à adapter à la République que l’on raille. Certes il y a une critique de la politique politicienne, mais ces candidatures ont dépassé le stade de l’apolitique pour afficher des valeurs antipolitiques. Difficile dès lors de parler d’exclusion du champ politique, leur acte de candidature à l’élection présidentielle laisse à penser qu’ils cherchent à recueillir des suffrages, mais la réalité semble tout autre, et c’est ce que nous allons essayer de montrer à présent. Des candidatures seulement fantaisistes ? Afin de réfléchir à la question du sérieux de ces candidatures, nous allons dans un premier temps rappeler les éléments qui soulignent le caractère fantaisiste de ces candidatures pour ensuite montrer en quoi ces candidatures ont-elles pu laisser penser qu’elles étaient sérieuses. De vraies candidatures fantaisistes Ce que nous souhaiterions montrer, c’est que ces candidatures étaient en fait réellement fantaisistes et s’inscrivaient dans une vraie tradition loufoque. Dieudonné ayant vraisemblablement été celui qui a cherché à s’en éloigner le plus mais qui a été rattrapé par l’impossibilité d’une telle candidature. « Ainsi que l’escargot au printemps sort de sa coquille, ainsi que la chenille au soleil de mai devient papillon, ainsi que le rhume en hiver se change en fluxion de poitrine, le Français, aux mois d’élection, devient naturellement candidat » écrivait Simon Burgal en 1890 dans Excentriques disparus. Il y a une vraie tradition française des candidatures fantaisistes comme nous le montrions à travers l’exemple de Votez fou ! En ce qui concerne Pierre Dac, il est le seul dont le doute n’ait jamais été permis. 310 « C’est en humoriste qu’il s’est lancé dans cette bagarre faussement politique. » Il ne se prendra jamais vraiment au sérieux, et si on regarde son programme d’un peu plus près, on voit qu’il est tout à fait fantaisiste et comparable à ceux des ces prédécesseurs. Il propose ainsi la création d’un territoire Suisse dans chaque pays européen ; une réforme fiscale révolutionnaire en vertu de laquelle chaque citoyen payera les impôts de celui qui se situe au niveau inférieur ; une modification de la constitution décrétant que le président du groupe majoritaire à l’Assemblée dirigera lui-même l’orchestre de la garde républicaine. Il se félicite des bons rapports qu’il entretient avec les chefs d’Etat étrangers « Etant donné que nous ne nous sommes jamais rencontrés, nos opinions sont en parfaits état de concorde. » Et fidèle à son humour il lance quelques formules bien senties : « c’est par peur de la trouille que le monde est dans la crainte du pire ». Avant de se prendre au sérieux, Coluche avait présenté à la presse un programme quelque peu similaire : déclarer la guerre à l’Albanie (parce 309 Neveu (Eric), « Métier politique : d’une institutionnalisation à une autre », in Lagroye (Jacques), La politisation, Paris, Belin, 2003, p.105 310 Mallat (Robert), Coluche, Devos et les autres- un demi-siècle de rire français, Paris, L’archipel, 1997, p.50 Bozonnet Grégory - 2008 99 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique qu’elle constitue une proie isolée et donc facile), rassembler la flotte anglais dans la rade de Mers-el-Kébir (à seule fin de la torpiller entièrement), et beaucoup d’autres aussi loufoques. Dans son programme présenté le 26 novembre 1980 dans Charlie Hebdo, il ajoutait que sa politique sociale tiendrait en deux points : « plus de pauvres tout le monde riche », le second point étant « Réflexion faite, après examen plus approfondi de la situation, plus de riches. Tout le monde pauvre ». On retrouve, il est vrai, les tendances antipolitiques que nous soulignons auparavant, « création d’un Ministère des Affaires pas propres où seront regroupées l’administration des Diamants et Pots-de-Vins, celle des assassinats de Ministre pas réglos,… » Entre autres, pour l’égalité des sexes Coluche propose une « égalité totale » en supprimant le « mot infamant femme » et le « mot sexiste homme »… Des revendications qui ressemblent à celles de leur prédécesseurs en fantaisie, le Captain Cap et Ferdinand Lop, qui promettaient l’extinction du paupérisme après vingt-deux heures ou appelaient à supprimer la dernière rame du métro parisien parce que c’est toujours la plus encombrée. On pourrait penser que Dieudonné a échappé à cette fantaisie, mais il n’en est rien, sans même qu’aucun journaliste ne lui ait mis la pression avec la question embarrassante, avec-qui comptez-vous gouverner ? Dieudonné à naturellement inscrit sur son site de campagne son gouvernement s’il était élu : « Premier ministre : Jamel Debbouze ; ministre des Finances : Daniel Prévost ; aux Affaires étrangères : Guillaume Depardieu… » un gouvernement fantaisiste, pour un candidat fantaisiste. Candidat d’autant plus fantaisiste, qu’il n’a jamais vraiment cessé de se comparer à Coluche et à sa candidature. D’autant plus fantaisiste, qu’à chaque fois qu’on lui posait une question un peu plus pointue sur un problème politique de la France, il répondait « je n’ai pas d’avis, je ne suis pas un politique, je ne suis qu’un bouffon » ou encore qu’il ne fallait pas lui demander car il est irresponsable. Il est vrai que pour Dieudonné, on pouvait être en mesure de se tromper sur le sérieux de sa candidature, il a d’ailleurs très probablement un moment ou à un autre cru en la nécessité de sa candidature, mais pour Coluche, il est difficile de comprendre l’écho que cette candidature a pu avoir. Si on parcourt les colonnes de Libération et de Charlie Hebdo, il est vrai qu’on a un peu l’impression de voir deux candidatures de Coluche différentes. D’un côté, on trouve des commentaires de sondages, des enquêtes sur les électeurs, des articles de fond sur la campagne, et de l’autre des gags énormes. Comme les exemples que l’on peut noter ci-dessous. Les documents que nous présentons, issus des colonnes de Charlie Hebdo, montrent tout le sérieux de cette campagne ! Pour annoncer qu’avec Coluche il y a aura du changement, Charlie Hebdo publie une liste des stations de métro qui soutiennent l’humoriste, le candidat Coluche appelle également ses concitoyens à rentrer bourrés, pose avec toute une panoplie de sponsors, sans compter les propositions faites sur la question des enfants et de la Guadeloupe… On pourrait penser que dans Libération la donne est totalement différente. Si cette affirmation est totalement vraie sur la forme, le fond reste sensiblement le même. Rappelons que Libération utilise sans cesse des expressions comme anticandidat, candidat nul, candidat zéro. Par la dénomination même que se donnait Coluche, il ne pouvait être pris au sérieux. Tout comme le fait qu’il ait annoncé que quoiqu’il arrive il serait sur son île déserte au second tour. Promesse qu’il n’a pas vraiment tenue mais qui signifiait tout de même quelque chose, tout comme le fait qu’il martelait sans cesse que son principal argument électoral, c’était de ne pas être élu c’est d’ailleurs pour cela qu’il était le seul candidat qui n’avait aucune raison de mentir. La question pourrait donc être se demander pourquoi, ces candidats se présententils ? On peut tout d’abord trouver une raison publicitaire à cela. Jean Lecanuet, le disait, « cette élection met en œuvre des moyens publicitaires considérables », il est tentant 100 Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser de les détourner. En ce qui concerne la candidature de Pierre Dac, on ne peut pas dire que ce soit le seul motif, mais c’en était forcément un pour essayer de relancer son journal qui lui était si cher, L’Os à Moelle. Paul Lederman, interrogé à ce sujet a nié avoir fait ça pour la publicité, « on n’en a pas besoin ». C’est pourtant ce que Patrick Filleux et JeanMichel Vaguelsy, n’hésitaient pas à dire. Si Paul Lederman n’a pas lancé Coluche pour la publicité, on peut pourtant dire que cette candidature a été un beau coup de publicité pour l’humoriste. C’est une critique que lui ont opposée plusieurs journalistes et hommes 311 politiques. Claude Estier parle de « gag publicitaire bien monté » , Antoine Bourseiller 312 dans Le Monde parle de « détournement de publicité » . Mais ce ne sont pas les seuls, Coluche lui-même n’hésitera pas à le dire à plusieurs reprises, « Je me fous de la politique. 313 J'ai fait ça pour me faire de la pub gratuitement, et qu'est-ce que ça marche bien !» ou « le coût de ma campagne s’élève en tout et pour tout à 17 francs, prix du télégramme envoyé à l’A.F.P. pour annoncer ma candidature. Par contre sur un plan de publicité, ça 314 m’a déjà rapporté plus de 600 millions d’anciens francs. » On pourrait dire que si ces interventions sur la publicité arrivent tard dans la campagne de l’humoriste, c’est une forme d’aveu d’échec, il voulait faire plus que de la publicité, mais comme ça ne fonctionne pas, il dit que ce n’était que pour rire et que ce n’était qu’un gigantesque coup de pub. Si ce n’est pas tout à fait impossible, nous le verrons par la suite, ce n’est pas pour autant que cela décrédibilise l’idée que cette campagne soit avant tout publicitaire. Paul Lederman a fait rééditer lors de cette campagne l’intégralité des vinyles du comique et notamment des enregistrements publics dont la pochette du vinyle présentait Coluche portant un blaser ceint d’une écharpe, non pas tricolore, mais rouge, avec un entonnoir sur la tête. Il assure qu’ils se sont « bien marrés tout au long de cette campagne ». D’autres pensent que ce n’était qu’un immense coup publicitaire. « Paul Lederman est comblé. Les jours passant, son protégé reste le point de mire de ce début de campagne. Un article quotidien dans la presse du matin. Les hebdomadaires. Des couvertures à profusion. Les hommes politiques de la majorité, sur ordre de l’exécutif, ont déclenché une contre-attaque visant à démontrer que le coluchisme, phénomène déprimé, protéiforme et incisif, n’est pas autre chose qu’une 315 opération commerciale de promotion. Si c’est vrai, tous les médias y contribuent. » Paul Lederman ne cherchera d’ailleurs pas vraiment à les contredire en annonçant les prolongations du spectacle au théâtre du Gymnase. Spectacle pour lequel, il est impossible d’avoir des places si on ne les achète pas au moins « quarante jours avant la date du spectacle ». Des journalistes estimeront à 1,5 millions le nombre de disques de Coluche écoulés pendant cette période. Il faut, donc, voir dans ces candidatures un certain aspect publicitaire. Paul Lederman est connu pour avoir lancé Coluche « comme un paquet de lessive », il a toujours voulu profiter de la publicité que peut apporter (gratuitement), une élection présidentielle. En effet, nous avions pu lire, dans quelques sources qu’il avait souhaité lancé Thierry Le Luron, sept ans auparavant, il nous l’a confirmé lors de notre entretien. Rappelons que ce n’est pas non plus un hasard, si la popularité de Coluche a début lors de l’élection présidentielle de 1974, Paul Lederman était déjà au commande de la carrière de l’humoriste. Soulignons, pour finir sur cette candidature, que dans tous les journaux que nous avons pu parcourir pour établir notre corpus, nous avons rencontré une quantité difficile à définir de publicités ayant trait à Coluche. Il y a d’un côté, les publicités 311 312 313 314 315 Estier (Claude), « La France de Giscarluche », L’Unité, 21 novembre 1980, n°400, p.1 « Marie-France et Coluche », Le Monde, 13 mars 1981, n°11 234, p.2 Greilsamer (Laurent), « J’ai fait ça pour me faire de la pub », Le Monde, 17 mars 1981,n°11 237, p.9 « Les 632 signatures de Coluche », Le Matin de Paris, 10 février 1981, n°1232, p.4 Boggio (Philippe), Coluche, Paris, Flammarion, 1991, p.253 Bozonnet Grégory - 2008 101 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique qui annoncent la sortie d’un magazine portant Coluche en une, nous avons vu l’exemple du Nouvel Observateur, mais celui-ci s’est répété notamment pour promouvoir les numéros de Charlie Hebdo, mais il y aussi des publicités, pour le film « L’Inspecteur Labavure », dont Coluche joue le rôle principal et qui sortira le 3 décembre 1980, au moment où sa candidature est encore très médiatisée. Il y’aura également les publicités pour les produits dérivés du film, mais également pour les disques de Coluche et enfin pour annoncer les prolongations de son spectacle au Gymnase. Ces publicités se retrouveront dans tous les journaux, souvent près des pages où sont écrits les articles sur sa candidature. C’est notamment le cas, des ces trois publicités, parues respectivement dans les pages du Matin de Paris, de L’Humanité, et de Charlie Hebdo systématiquement à la page où il y avait un article pour Coluche. En ce qui concerne la candidature de Dieudonné, Anne-Sophie Mercier écrivait qu’« assurer sa promo avant tout voilà un reproche quasi-général à l’égard de Dieudonné » 316 . Même Romain Bouteille, qui avait fondé avec Coluche le Café de la Gare, va estimer que l’ancien compère d’Elie Sémoun est l’auteur d’un « terrible coup marketing ». C’est une question que l’on peut se poser, quand on voit que Dieudonné occupe assez fréquemment la scène politique et médiatique. Nous pouvons souligner par exemple, que sa candidature 317 aux législatives de Dreux a été lancée « à grand renfort de publicité» au moment où il commençait à peine sa carrière solo. Quelques semaines plus tard, il montait sur scène pour son spectacle «Tout seul ». Dans le cas de Dieudonné, nous pouvons également poser l’hypothèse que l’ensemble des débordements que nous citions ne sont pas forcément politiques, mais qu’ils lui permettent d’occuper pendant un temps les médias, de faire parler de lui. Notons que cette idée d’utiliser des élections pour assurer sa promotion n’a rien d’une idée nouvelle. Dès la Troisième République, Bruno Fuligni nous apprend que pour quelques industriels malins, la candidature politique a pu constituer une véritable campagne publicitaire. En effet, les affiches électorales pouvant être apposées en franchise de timbre, contrairement aux affiches commerciales, certaines entreprises n’hésitaient pas à se présenter uniquement pour se faire de la publicité moins chère. Les deux bulletins de vote que nous reproduisons ci-dessous sont édités au nom d’une société fabriquant des sirops et liqueurs et d’un vendeur de tissus. Nous pouvions également trouver des affiches pour un boulanger ou un vendeur de cirage. Généralement, au bout de quelques jours les candidats sérieux se débarrassaient de ces candidatures publicitaires en leur donnant de l’argent. Ce qui a pu encourager la pratique à se développer. Nous pouvons également noter, pour finir sur ce point, que les candidatures de ces comiques, surtout de Pierre Dac et de Coluche, sont un sketch en soi. L’idée première de Coluche était vraiment de venir réaliser des sketches en direct, entre des annonces de candidats qui auraient été enregistrées. Cette idée de « foutre la merde », est également à entendre dans ce sens là. Si Paul Lederman a voulu lancer des comiques dans cette aventure, et non, par exemple, des chanteurs qu’il produisait, c’est bien sûr pour que ce soit un gag. Il est possible que cette candidature ce soit laissée emportée, notamment par les sondages, mais il faut bien reconnaître que quand on relit les premières déclarations de l’humoristes, cette candidature était vraisemblablement prévue pour rester au stade du gag, gag publicitaire peut-être, mais gag avant tout. 316 317 102 Mercier (Anne-Sophie), op.cit., p.123 Idem, p.134 Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser … qui peuvent passer pour sérieuses Pour commencer sur cette idée que certains candidats fantaisistes ont pu se prendre au sérieux, il convient de commencer par Dieudonné. Si la seule forme de campagne qu’il ait daigné faire en 2002 était un spectacle intitulé Cocorico, spectacle qui n’était pas différent des autres spectacles qu’il avait pu donner auparavant. Il va, en 2006, faire paraître un vrai programme. Programme qui débute par ces constations : « La France 318 traverse actuellement une grave crise démocratique, identitaire et sociale. » Il commence par des considérations générales, parlant de « dictature du politiquement correct » ou « d’alignement progressif de la France sur la politique belliqueuse de "l’axe du bien" ». Avant d’attaquer son thème de prédilection, la gestion française du multiculturalisme. Il parle de ses « compatriotes noirs, arabes ou asiatiques, toujours désignés comme "immigrés", quand bien même ils sont nés en France, et souvent de familles françaises. ». Par la suite, il essaie de présenter des solutions à ces problèmes. Il présente ses idées autours de la devise républicaine, « liberté, égalité, fraternité », qu’il raillait pourtant auparavant. Ainsi il propose de « Restaurer la Liberté d’expression, par l’abrogation des lois racisantes du 13 juillet 1990 dite loi Gayssot, du 29 janvier 2001 sur le génocide arménien, du 21 mai 2001 dite loi Taubira, du 22 décembre 2004 et celle du 23 février 2005 faisant obligation aux enseignants de souligner les aspects « positifs » de la colonisation. » Il « propose de rétablir l’Égalité des droits entre tous les citoyens » et pour la fraternité, il parle d’un « plan Marshall de déghettoïsation sociale et ethnique des quartiers riches et pauvres ». Ce programme est un mélange de politique et de fantaisie. Il est politique notamment parce qu’il se réfère à des éléments concrets comme des articles de loi, mais aussi parce qu’il emploie du vocabulaire politique comme l’antonomase « plan Marshall » qui est employée à de multiples reprises, pour désigner des programmes de grand ampleur sur un point plus ou moins précis. (« Plan Marshall des banlieues », « Plan Marshall du système bancaire », …). Ce programme est d’un autre côté assez peu sérieux, certains passages ne sont pas sans nous rappeler celui d’Horace de Boudrant, en 1881 « Peuple, mon frère, que veux-tu ? Etre heureux ! Qu’est-ce que je veux moi ? Ton bonheur… ». Déclarer que l’on va arranger le problème des banlieues en « restaurant l’égalité des droits » est un engagement qui peut certes être considéré comme politique, mais qui n’a pas vraiment de sens. On ne peut à la fois pas vraiment être contre l’idée, sans pour autant lui rappeler qu’elle existe déjà et noter que son programme n’apporte rien de concret. « Dieudonné essaie de "récupérer" une communauté noire en mal de reconnaissance et cultivant souvent une 319 dogmatique victimaire. » Ce que l’on remarque surtout dans ce programme c’est qu’il essaie de s’approprier le langage du champ politique et ses codes symboliques. En effet, il conclura même son discours par « Vive la République ! ». C’est probablement, ce qu’il entendait en affirmant que sa seconde candidature serait encore plus sérieuse. Rappelons que parmi tous les symboles politiques, il avait même adopter la célèbre visite au « Salon de l’Agriculture ». Pour Arnaud Mercier, on touche dans ce cas à l’ambivalence du rôle du bouffon : « soit il est une institution reconnue, payé par le roi, et alors il est fatalement à son service (…), soit il reprend réellement à son compte une partie des critiques populaires et il bascule alors 320 dans la contestation, mais ses armes le disqualifient d’emblée sur le terrain politique » . Si Dieudonné essaye dans ce cas d’entrer sur le terrain politique, il est décrédibilisé par sa 318 Programme disponible sur le site http:// lesogres.org 319 320 Mongin (Olivier), De quoi rions-nous ? Notre société et ses comiques, Paris, Plon, 2006, p.113 Mercier (Arnaud), op.cit., p.179 Bozonnet Grégory - 2008 103 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique fonction, par le fait que cette déclaration soit publiée sur un site de campagne où l’on trouve une composition de gouvernement étrange. D’autant plus que cette déclaration d’intention manque d’éléments concrets. On pourrait également souligner qu’elle manque de sacralité parce que Dieudonné n’a pas la légitimité de parler de ces problèmes, il lui manque ce que Bourdieu appelle le pouvoir symbolique pour que son discours fasse foi et autorité. « Le pouvoir symbolique est un pouvoir qui est en mesure de se faire reconnaître, d’obtenir la reconnaissance ; c’est-à-dire un pouvoir (économique, politique, culturel ou autre) qui a le pouvoir de se faire méconnaître dans sa vérité de pouvoir, de violence et d’arbitraire. L’efficacité propre de ce pouvoir s’exerce non dans l’ordre de la force physique, mais dans 321 l’ordre du sens de la connaissance. » Prisonnier de sa condition d’humoriste et de ses déclarations passées, son programme est resté cloisonné à son site et n’a pas eu d’écho dans la presse, ni dans la campagne. Pour revenir à la candidature de Coluche, André Halimi écrivait qu’« Il avait, dans son désir de se mêler de politique, le souci assez rare de ne s’occuper que des pauvres et des 322 déshérités.» . Si Coluche a pris place dans cette campagne, ce serait, selon ses mots, parce que « le public m’a donné une position de vedette, de révélateur de la connerie humaine et si j’en profite pas pour ouvrir ma gueule avant de me barrer sur mon île, pour 323 tourner en ridicule cette sinistre campagne électorale, je serais un vrai salaud. » Mais Coluche va vraiment montrer les limites de prendre comme porte-parole un clown. Dès le début de l’année 1980, Coluche commence à répandre la rumeur qu’il se présentera peutêtre à l’élection présidentielle. Il déclarera à un journaliste du Monde « Mon programme est tout aussi digne d'intérêt que celui des partis politiques : sexe, drogue et rock n'roll. » On est ici, dans une déclaration fantaisiste, après avoir annoncé que son programme a de la valeur politique, il le présente comme un slogan plus près de Woodstock que du champ politique. Toutefois, il contrebalance tout de suite avec une phrase plus sérieuse, qui semble donner un sens politique à cette candidature : « Pour les gens qui sont chômeurs et qui cherchent du travail, pour ceux qui ont un boulot et qui sont quand même dans la mouise, vraiment, 324 je voudrais bien être candidat. » Ces deux candidats sont enclins à passer du fantaisiste au politique, nous allons essayer de voir que des éléments extérieurs vont parfois les entraîner à pencher du côté politique. Pour Coluche, un des éléments qui va pousser sa candidature dans un sens plus politique, sera le soutien des intellectuels qui se traduit par une pétition parue le 13 325 novembre 1980. Cette pétition sera retranscrite en intégralité dans Libération et on en retrouvera des extraits ou un commentaire dans tous les quotidiens, excepté Le Figaro. L’initiative revient à Felix Guattari, psychanalyste, auteur avec Gilles Deleuze de L’antiŒdipe – Capitalisme et schizophrénie, 1972. Il a vu en Coluche la possibilité de critiquer la fonction de Président de la République ; il réunira autour d’une pétition des intellectuels de gauche que Jean-Michel Vaguelsy qualifie d’« intellectuels soixante-huitards moins à 321 Bourdieu (Pierre), « Dévoiler les ressorts du pouvoir », in Interventions — Science sociale et action politique, Paris, Agone, 2002, p.173 322 323 324 Halimi (André), op.cit., p.17 Boggio (Philippe), op.cit., p.240 Fléouter Claude, « Coluche : "Je voudrais être candidat aux prochaines élections" », Le Monde, 4 octobre 1980, n°11 097, p. 27. 325 104 « Coluche aussi a ses intellectuels pétitionnaires », Libération, 19 novembre 1980, n°2104, p.8 Bozonnet Grégory - 2008 Une exclusion à relativiser 326 la mode au début des années 80. » Selon lui, ces intellectuels « de gauche, ou plutôt d’extrême gauche » retrouvent dans le souffle libertaire de Coluche des « traces de leurs théories », ils sont aussi « sensibles à son appel aux minorités, à la façon dont il pointe une démocratie verrouillée (…) ». On retrouve ainsi Gilles Deleuze, Jean-Pierre Faye, Jean Chesneaux, ainsi que Pierre Bourdieu, mais également des magistrats, souvent issus du syndicat de la magistrature, qui ont pour objectif de dénoncer les articles 16 et 49-3 de la Constitution, la loi « sécurité et liberté » ainsi que la loi sur les cinq cents signatures. Coluche gardera toujours une certaine distance avec l’engagement de ces intellectuels. Lors de la réunion organisée au Procope, l’humoriste se retirera au moment où les propos trop sérieux se sont mis à pleuvoir (« Il faut aller au Larzac », « il faut créer un parti »…). Quand André Bercoff a demandé à Coluche ce qu’il pensait des intellectuels qui avaient signé pour lui, 327 l’humoriste a répondu : « qu’ils sont malades. » Toutefois, ces soutiens vont contribuer au battage médiatique autour de la campagne de Coluche. L’humoriste sera sans arrêt sollicité pour des interviews, et va se laisser prendre au jeu de la politique. Ce que nous voudrions avancer comme hypothèse ici, c’est que les médias n’ont pas joué le rôle de gate keeper du champ politique, mais au contraire ont fait entrer Coluche dans la campagne. Nous avons présenté cette idée en détails au début de notre réflexion, mais soulignons que c’est à ce moment là que Coluche a dû commencer à répondre plus sérieusement à des questions sur son programme. Son programme il l’avait annoncé lors de la conférence de presse, il était fantaisiste, il annonçait une bonne blague. Mais à partir du moment où Coluche va entrer dans ce jeu, il va entrer dans une logique trop sérieuse. Plusieurs commentateurs vont noter que sa candidature devient trop sérieuse pour être drôle, mais est bien trop drôle pour être sérieuse. En ce qui concerne Dieudonné, il a été poussé à plusieurs reprises par des associations de la « communauté noire ». Pendant sa campagne, « BlackdeFrance.com – site qui se veut un moyen d’information, de promotion et d’affirmation de la communauté noire de France – a 328 organisé un comité de soutien pour Dieudonné. Sur Grioo.com » Ce soutien va l’entraîner à prendre son rôle plus au sérieux qu’il ne le pensait, c’est à la suite de ce soutien qu’il aura d’ailleurs publié le programme que l’on citait. Dans Le Monde, Béatrice Gurrey le qualifiait 329 de « chantre de la cause des Blacks » . Cette position va amener dans son sillage des personnes qui vont essayer de l’« utiliser » pour porter leurs idées. Ainsi, il se rapprochera de la Tribu Ka, ce mouvement crée en décembre 2004 par Kémi Seba et qui se bat contre le « système occidentalo-sémite » pour défendre la cause du peuple noir. Ce rapprochement peut contribuer à expliquer les propos de Dieudonné pendant ses campagnes. Pour qualifier leur engagement politique, notons dans un premier temps, que les trois ème candidats fantaisistes qui ont brigué la présidence au cours de la V République se sont adressés aux abstentionnistes. C’est la population électorale qu’ils visent, les individus qu’ils souhaitent défendre. Ainsi, Pierre Dac écrit : « Le taux des abstentions se situe aux environs de 30%, c’est-à-dire que sur 27.957.350 membres du collège électoral national, les 8.387.210 qui se sont abstenus deviennent automatiquement les futurs électeurs du M.O.U., qui, en s’abstenant lui-même, se voit promu au rang de leader du parti de 326 327 328 329 Vaguelsy (Jean-Michel), op.cit, p.38-39 Bercoff (André), « Ma journée avec Coluche », Elle, 5 janvier 1981, n°1586 Mercier (Anne-Sophie), op.cit., p.72 Gurrey (Béatrice), « A Dreux, le Black Dieudonné se veut l’héritier de Coluche », Le Monde, 18 janvier 2001. Bozonnet Grégory - 2008 105 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique 330 l’abstentionnisme. » . Coluche a marqué les esprits avec son « appel historique » où il invite entre autres « les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour les hommes politiques à voter pour [lui et] à s’inscrire dans leur mairie », c’est un peu le même discours que l’on retrouve vingt ans plus tard chez Dieudonné qui cible « les jeunes, les exclus, les générations issues de l'immigration et, d'une façon générale, les déçus de la politique, mal représentés par les partis au point de grossir, le plus souvent, le camp de l'abstention » 331 Si Pierre Dac saura en rester à ce stade, Coluche et Dieudonné vont à un moment de la campagne se sentir investis de la défense de cette population marginale. Quand nous demanderons à Jean-Michel Vaguelsy si Coluche a été dépassé par sa campagne, il nous répondra affirmativement. Pour lui, l’humoriste était parti pour faire une « farce à dimension nationale », il pensait récolter au maximum deux pour cents sans même vraiment penser aller au premier tour. Le problème étant qu’au moment où il a fait son entrée dans les sondages, il s’est pensé en représentant de dix pour cent de la population. Sans pouvoir imaginer que dans toutes les personnes qui s’étaient déclarées enclines à voter pour le comique, une partie (peut-être la majorité) ne le faisait que pour railler le questionnaire qu’on leur soumettait, ou pour ne pas affirmer qu’ils n’avaient pas d’opinion sur cette élection. Le discours de Coluche va commencer à changer : « J’étais parti pour faire un acte nul qui n’aurait servi à rien, mais voilà que plein de gens se mettent à penser que ça peut servir à quelque chose. » Il finira même par déclarer, « Je ne vous trahirai pas ». Poussés par un zeste de mégalomanie et une grande dose de défiance envers le personnel politique, les candidats vont penser leur acte utile à la société. En demandant à Jean-Michel Vaguelsy comment il résumerait le message politique de Coluche, il a cité Jean-Luc Godard : « la marge c’est ce qui fait tenir ensemble les pages du cahier ». Pour lui, si les intellectuels déclaraient que Coluche était « un citoyen représentatif d'un large 332 courant d'opinion » c’est parce que Coluche révélait qu’un pays ne peut pas fonctionner en ne prenant pas en compte ce qui constitue ses marges et ses minorités. Sondages à plus de dix pour cent, couvertures de presse de tous les grands magazines généralistes, intellectuels qui établissent un comité de soutien, Coluche n’a pas pu résister à vouloir « faire quelque chose de sa candidature ». En ce qui concerne Dieudonné, difficile de distinguer ce qui relève du gag et du sérieux dans son humour, nous avons tout de même montré qu’il n’était pas si évident qu’il prenne ses candidatures au sérieux. 330 Dac (Pierre), « Eclatante victoire du M.O.U. qui a neutralisé le ballotage aux élections municipales », L’os à moelle, 18 mars 1965, n°48, p.3 331 332 106 Gurrey (Béatrice), « La politique n'appartient pas qu'aux énarques et aux technocrates », Le Monde, 18 Janvier 2001 « Coluche aussi a ses intellectuels pétitionnaires », Libération , 19 novembre 1980, n°2104, p.8 Bozonnet Grégory - 2008 Conclusion Conclusion Nous venons d’analyser, point par point, ce qui pourrait être considéré comme une exclusion des comiques professionnels du champ politique. Nous avons pu noter qu’ils avaient tendance à jouer sur leur exclusion des médias qui est pourtant relative. Relative car leur candidature est beaucoup plus médiatisée que la plupart des candidatures, pendant un temps celle de Coluche a même été plus médiatisée que celle de François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing. Relative aussi, parce que celle qui a pris le plus d’ampleur – celle de Coluche – est passée aux mains de tous les spécialistes politiques et notamment à travers de multiples enquêtes par sondages. Relative enfin parce que cette candidature a été portée sur la place publique par des unes de magazines aux tirages aussi importants que Le Nouvel Observateur ou L’Express. Il est probable que sans cette hypermédiatisation, aucun homme politique n’ait jamais pris la peine de considérer cette candidature. On voit notamment que la candidature de Dieudonné, plus discrète, n’a pas soulevé une telle vague de commentaires. Il est tout à fait probable également que sans cette hypermédiatisation, Coluche n’ait jamais atteint de tels scores dans les sondages. Au fur et à mesure qu’il s’efface de la place publique, ses scores diminuent. Ceci étant également lié au fait que l’item Coluche a pu servir d’exutoire à de nombreux indécis et abstentionnistes qui ne voulaient pas se déclarer comme tels. On peut donc en conclure que les médias se sont acharnés à détruire, parfois avec une violence remarquable, ce qu’ils avaient construits. Il y avait probablement de la part de ces candidats une volonté notoire de profiter d’une publicité totalement gratuite. Publicité à laquelle les médias ont contribué en jouant le jeu de ces candidatures. Ces candidatures montrent tout de même une capacité des professionnels de la politique à se défendre. Les éditorialistes sont allés pêcher les figures politiques connotées le plus péjorativement dans l’histoire française pour exclure la candidature de Coluche par exemple. Pierre Dac, alors qu’il ne cherchait pas la médiatisation, a été sommé d’arrêter de faire croire qu’il était candidat à l’élection présidentielle. Quant à Dieudonné, sa première candidature avait été accueillie sans retenue, mais les médias et les hommes politiques se sont détournés de ses provocations et sa deuxième candidature qu’il voulait plus sérieuse est apparue dans l’indifférence la plus complète du personnel politique. Trois candidatures qui, bien que différentes, ont permis de mettre en relief des points communs. Une cible commune, une remise en question des symboles républicains et un mur qui se dresse dans le champ politique dès lors que ces candidatures deviennent trop sérieuses. Nous avons également vu qu’il semblait relativement impossible que ces candidats accèdent un jour au premier tour de l’élection présidentielle, la loi sur les cinq cents signatures semblant être une barrière efficace. Efficace, ne signifie pas obligatoirement suffisante, quand ils se sont sentis menacés par la candidature de Coluche, les hommes politiques sont montés au créneau. Coluche a mis un second pied dans la campagne quand la majorité des hommes politiques se sont officiellement offusqués de la présence d’un clown à une élection aussi importante. Pourtant, nous avons vu qu’aucun candidat n’avait jamais vraiment pris au sérieux leur candidature, et qu’ils l’auraient certainement encore moins prise au sérieux s’ils avaient vraiment été exclus. Nous n’avons pas cherché à annihiler la théorie bourdieusienne du champ politique. Nous avons vu que dans une certaine mesure elle était fondée, notamment dans les prises de positions virulentes de certains éditorialistes et hommes politiques, mais nous Bozonnet Grégory - 2008 107 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique avons également pu constater que quand les médias ne jouent pas pleinement leur rôle de gate keepers, il devient dès lors difficile de parler d’exclusion des candidatures. Si ces candidatures ont été exclues, c’est dans un second temps et pour une quantité de causes assez importantes comme nous avons pu le signaler. En fait, il convient de souligner qu’en réalité l’exclusion est à mettre en lien avec une sacralisation de la fonction présidentielle. Ces candidatures n’auraient pas été exclues d’une autre lutte pour un poste moins important, on a même vu qu’elles pouvaient servir de faire valoir à des candidatures de partis installés dans le champ politique. Nous avons vu que l’une des critiques adressées aux comiques professionnels était le fait qu’ils ne soient pas du métier. On affirme donc publiquement l’existence d’un métier politique. C’est pourtant un débat qui est encore ouvert. Nous montrions en introduction les éléments qui avaient contribué à faire de la politique un champ, à s’autonomiser. On parle de professionnalisation de la politique, mais pourtant peu d’hommes politiques avouent l’être de profession. On voit même certains ministres garder un poste privé, en affirmant souvent que c’est dans le but de ne pas sa couper du monde du travail. « Ainsi dit-on que la politique est marquée par la professionnalisation, en cela c’est une activité de plus en plus spécialisée et qui permet de gagner sa vie. Les hommes politiques sont de plus en plus professionnalisés, de plus en plus professionnels, des professionnels de la politique, en cela qu’ils sont de 333 plus en plus spécialisés et qu’ils vivent de cette activité » . Cette spécialisation a été marquée par la création d’écoles comme Sciences Po et l’ENA qui forment les futures élites dirigeantes. Cette idée d’apparition d’une compétence politique est allée de pair avec l’affirmation de l’incompétence des masses sur laquelle les hommes politiques fondent leur légitimité. L’analyse de la politique en termes de champ permet de mettre en exergue l’idée d’une lutte pour l’enjeu spécifique qu’est le pouvoir. En effet, rappelons que pour Pierre Bourdieu « chaque univers possède ses enjeux propres et son prestige spécifique, ce qui explique que le soldat peut chercher la gloire militaire et rester indifférent à la renommée scientifique (et inversement pour le savant) ; qu’on ne peut donc pas « faire courir un philosophe avec 334 des enjeux de géographes » . Toutefois, cela repose sur l’idée que le pouvoir, l’enjeu du champ politique, n’attire que les hommes politiques. Que ni un universitaire, ni un militaire, ni un sportif ne pourrait être attiré par le pouvoir. On a pourtant vu à plusieurs reprises des exemples de personnes qui ne sont pas issues des écoles qui préparent à ces enjeux et qui après avoir obtenu le prestige dans d’autre domaines s’étaient investis en politique, c’est le cas de nombreux sportifs, mais aussi d’acteurs, on peut penser notamment à Arnold Schwarzenegger. L’idée que nous voudrions soumettre à réflexion, c’est que l’un des arguments principaux pour s’opposer à la candidature de Coluche était de dire d’une part qu’il n’était pas du métier, mais d’autre part qu’il était issu de l’humour scatologique ce qui ne peut pas du tout se prêter à l’exercice du pouvoir. Mais la classe politique pourrait-elle s’opposer aussi ouvertement à un candidat aussi populaire que Coluche mais qui n’a pas fondé ses réussites sur la dérision ? Nous pourrions par exemple penser à la candidature de Nicolas Hulot. Patrick Lecomte écrivait : « L’ouverture de l’espace public médiatisé sur la société civile offre en effet aux acteurs politiques un cursus inédit d’accès au pouvoir. Un processus de légitimation directe par l’opinion publique, appuyé sur la conquête personnelle 333 334 108 Bacot (Paul), op.cit., p.142 Bourdieu (Pierre), op.cit. Bozonnet Grégory - 2008 Conclusion de notoriété et d’une popularité médiatiques, s’ouvre désormais aux aspirants à la relève des élites du pouvoir en place. Il vient concurrencer, en le courtcircuitant, le cursus de légitimation traditionnel des leaders politiques, qui procédait d’abord de la reconnaissance par les militants d’un parti, puis de l’investiture par les électeurs au niveau local et national, enfin de la consécration par le cercle dirigeant des professionnels de la politique. Brûlant les étapes classiques de cette ascension méthodique vers les sommets de l’Etat, des « étoiles montantes » de la politique-spectacle peuvent ainsi pallier la faiblesse de leurs ressources partisanes ou de leur expérience militante en cultivant leur « aura » médiatique personnelle dans l’opinion publique pour se faire reconnaître par l’ensemble du personnel politique, puis s’imposer parmi ses leaders en 335 réalisant une économie de carrière importante. » Cette idée pourrait se développer parce que nous voyons que parallèlement à une idée de professionnalisation de la politique s’est développée l’idée de médiatisation des campagnes et son corollaire, ce que nous avons pu appeler « la politique spectacle ». Eric Neveu montrait les conséquences de l’interdépendance du champ journalistique et politique en ces termes : « L’interdépendance à l’égard du champ journalistique réduit l’autonomie des politiques, suscite des comportements d’anticipation ("faire" deux minutes pour le journal télévisé), aboutit parfois aux excès cocasses et ridicules de ceux qui en font visiblement trop pour l’accès à l’espace médiatique. Sommé d’être transparent jusque dans l’exhibition de son domicile ou de sa famille, assujettie aux impératifs de l’audimat et de l’infotainment, le professionnel de la politique risque aussi de se dépouiller, dans ses redéfinitions de frontières entre rôles publics et vie privée, d’une part de la sacralité qui constituait pour lui comme pour les profanes une des spécificités de son activité. Ce déficit engendre un 336 sentiment plus aigu d’une part de comédie dans le rôle. » Ce sentiment de comédie était la base de la candidature de Coluche qui disait notamment « Je ferai remarquer aux hommes politiques qui me prennent pour un rigolo que ce n'est pas moi qui ait commencé. » Ce sentiment de comédie peut donc amener à désacraliser la fonction et donc à donner à d’autres individus l’idée de pouvoir prétendre au poste. Ces individus peuvent attirer les médias qui comme nous l’avons vu avec ces candidatures n’ont pas forcément les mêmes intérêts que les hommes politiques, contrairement à ce que pouvait écrire Pierre Bourdieu. Les médias ont également un intérêt commercial à aller du côté des personnalités médiatiques, des personnes appréciées par les spectateurs. Ces spectateurs étant souvent électeurs, il est possible d’imaginer des candidatures de la société civile devenir inquiétantes, comme l’a pu l’être l’espace d’un temps la candidature de Coluche pour le personnel politique. « Nicolas Hulot n’est pas le premier à s’attirer de la sympathie en tant que candidat non professionnel de la politique. Coluche Hulot ont en commun d’être des objets médiatiques venus d’ailleurs. Cependant, les ressemblances entre les deux modes d’interpellation, sur le fond et sur la forme, ne sont 335 Lecomte (Patrick), Communication, télévision et démocratie, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1993, 96p. 336 Neveu (Eric), « Métier politique : d’une institutionnalisation à une autre », in Lagroye (Jacques), La Politisation, Paris, Belin, 2003, p.115 Bozonnet Grégory - 2008 109 L’exclusion des comiques professionnels du champ politique pas si nombreuses. Plus récemment, en 2002, Jean-Pierre Chevènement a longtemps été le troisième homme dans les sondages avant de s’effondrer aussi 337 rapidement. » Pour les auteurs de cet ouvrage sur Nicolas Hulot, « La force de la "marque Hulot" favorise 338 l’incursion en politique » . Il peut en effet s’appuyer sur un capital assez important. Il a, petit à petit, construit une image qui le rend populaire, il a un capital réputationnel conséquent. Il a également à son actif des victoires politiques comme celle de réunir une grande partie de la classe politique derrière un pacte écologique. Pour l’instant il ne s’est jamais porté candidat, mais d’autres, comme José Bové, ont franchi le Rubicon. « Être candidat à l’élection présidentielle, n’est ni ma vocation ni mon fantasme. Mais si la seule 339 solution est de franchir la ligne rouge, je ne l’exclus pas. » On voit qu’il y a encore une certaine sacralisation dans l’idée de s’engager politiquement, il parle de « franchir la ligne rouge », mais il serait intéressant de se demander dans ces conditions ce qui peut tenir une personne de la société civile populaire à l’écart du champ politique alors que les médias lui ont ouvert les portes, et que les hommes politiques ne dénoncent pas son incursion, mais au contraire y participent, une réflexion que nous aimerions avoir par la suite. 337 338 339 110 Larabi (Malik), Marc (Xavier), op.cit., p.17 Idem, p.41 Idem, p94 Bozonnet Grégory - 2008 Bibliographie Bibliographie Les ouvrages Ouvrages généraux Bacot (Paul), Dictionnaire du vote – Elections et délibérations, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1994, 191p Charaudeau (Patrick), Maingueneau (Dominique), Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Seuil, 2002, 662p. 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