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Université Lyon 2
Institut d'Etudes Politiques de Lyon et Ecole Normale Supérieure lettres sciences humaine
Bozonnet Grégory
Master II de Sociologie Politique
L’exclusion des comiques professionnels
du champ politique
Critique de la théorie bourdieusienne du champ
politique à travers les candidatures à l’élection
présidentielle, de Pierre Dac, Coluche et Dieudonné
Sous la direction de Paul Bacot, Professeur de Science
politique, Université de Lyon Institut d'Etudes politiques
Date de soutenance : 20 juin 2008
Jury : Mme Dompnier Nathalie Professeure de Science politique – Université de Lyon, Université
Lumière Lyon2 M. Barbet Denis Maître de conférences en Science politique – Université de Lyon,
Institut d'Etudes politiques
Table des matières
Citation . .
Remerciements . .
Introduction . .
Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ? . .
Les médias ne marginalisent pas particulièrement les candidatures fantaisistes . .
Aux candidats fantaisistes la levée de rideau, aux candidats patentés le reste de la
campagne . .
La stratégie de censure . .
Des candidatures décriées par tous les médias… ou presque . .
Que faire de l’« intrusion » de ces « clowns » ? . .
Des candidatures fréquemment « sondées » et analysées, peut-on parler
d’exclusion ? . .
Une exclusion à relativiser . .
Une volonté d’exclusion des candidats fantaisistes du champ politique . .
Cinq cent signatures d’élus, une mission impossible . .
Des attaques directes, plus qu’un jeu politique traditionnel ? . .
Peut-on exclure quelqu’un qui ne cherche pas à entrer dans le champ politique ? . .
Des candidats qui tendent le bâton pour se faire battre ? . .
Des candidatures seulement fantaisistes ? . .
Conclusion . .
Bibliographie . .
Les ouvrages . .
Ouvrages généraux . .
Appréhender la théorie du champ politique de Pierre Bourdieu . .
Mieux connaître les candidats . .
Comprendre les mouvements auxquels les candidats sont comparés . .
Autres ouvrages mobilisés . .
Les articles . .
Les travaux de recherche . .
Sites web . .
Images du mémoire . .
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L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
Citation
« Celui qui veut tuer le plus radicalement, celui là rit ». Nietzsche, Ainsi parlait
Zarathoustra
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Bozonnet Grégory - 2008
Remerciements
Remerciements
Mes premiers remerciements iront tout naturellement à Paul Bacot, professeur de science politique,
pour avoir accepté de présider le jury de mon mémoire de fin d’études à l’IEP de Lyon et pour
m’avoir aidé et soutenu tout au long de cette année.
Je tiens également à remercier Denis Barbet, maître de conférences en science politique, pour
être à nouveau présent dans ce jury après avoir marqué mes quatre années à l’IEP de Lyon. Ainsi
que Nathalie Dompnier pour sa présence dans le jury mais également pour son séminaire qui m’a
permis d’explorer un autre aspect de la campagne de Coluche
Je tiens à exprimer ma gratitude à l’ensemble du corps enseignant du Master II de sociologie
politique qui a confirmé mon envie de poursuivre dans cette voie.
J’adresse un remerciement tout particulier à Jean-Michel Vaguelsy, pour avoir participé au
festival Coluche (IEP-2005) et avoir toujours répondu à mes sollicitations. Je remercie également
Patrick Filleux, pour le temps qu’il m’a accordé. Ainsi que Paul Lederman pour m’avoir répondu
aussi spontanément que naturellement. Enfin, même si elle n’a pas pu m’obtenir d’entretiens avec
l’équipe de Charlie Hebdo, je remercie chaleureusement Liliane Roudière, secrétaire de rédaction,
pour sa patience, sa sympathie et toute sa bonne volonté.
Je ne peux oublier dans ces remerciements mes parents, pour m’avoir permis de vivre ma
passion pour Coluche et pour leur soutien tout au long de cette année.
Je remercie toutes les personnes qui de près ou de loin ont dû supporter mes monologues sur ce
mémoire, notamment Marianne Rigaux pour son aide dans la gestion de crises. Un remerciement
tout particulier à Constance Lozet, pour avoir su m’encourager chaque fois que c’était nécessaire
et à Alexandre Foilleret qui est l’auteur de la couverture de ce mémoire.
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L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
Introduction
Soixante-quatre. Soixante-quatre, c’est le nombre de candidats au poste de Président de la
République dénombré par Frédéric-Joël Guilledoux dans son ouvrage Tous candidats ! qui
revient sur l’élection présidentielle de 2007. Alphonse Gallaud de la Pérouse, dit Zo d'Axa,
ème
écrivain et journaliste anarchiste français, écrivait à la fin du XIX
siècle que l’« électeur
n’est qu’un candidat manqué », il semblerait que petit à petit l’idée ait fait son chemin. Malgré
les vagues d’indignations que l’on a pu lire dans la presse quand de nombreux candidats
s’étaient présentés au poste de gouverneur de Californie en 2003 – il y avait en effet des
candidats comme Larry Flint, 61 ans, magnat de la presse pornographique, Gary Coleman,
connu pour avoir joué Arnold dans la série Arnold et Willy, mais aussi des anonymes
comme Georgy Russell, une jeune informaticienne de 26 ans – nous avons connu avec
les élections présidentielles de 2007, un fait quasi-similaire. Cindy Lee se présentait pour
le parti du plaisir, Nicolas Miguet pour le Rassemblement des contribuables français, outre
une candidature anonyme déclarée sous le pseudonyme de Catherine Médicis et Lucien
Sorreda (pour un Président Dictateur Républicain) qui déclarait « mieux vaut une bonne
dictature qu’une mauvaise démocratie », nous pouvons noter que l’humoriste Dieudonné
présentait, aussi, son intention d’être candidat. Le 20 avril 1976, Jean Lecanuet, alors
ministre de l’Intérieur, déclarait - lors d’un débat à l’Assemblée Nationale qui aboutira à la
loi des cinq cents signatures que l’on connaît actuellement – que « cette élection met en
œuvre des moyens publicitaires considérables (…) peu coûteux pour les candidats. » Il
pensait qu’il pourrait être « tentant, dès lors, de détourner de leur but ces moyens pour les
utiliser à des fins dépourvues de caractère véritablement politique ». Pour lui, ainsi que pour
tous les parlementaires qui ont voté cette loi, il fallait « éviter un tel détournement et, d’une
manière très générale, décourager les candidatures de fantaisie qui nuiraient à la dignité
de l’élection. » Si cette loi est apparue après trois élections présidentielles - nous verrons
que l’idée avait en réalité germée bien avant - c’est parce que le nombre de candidats
n’avait cessé d’augmenter. De plus, à chaque élection il était possible de rencontrer des
intentions de candidatures déclarées par des personnes considérées comme fantaisistes.
Ce fut le cas de Pierre Dac en 1965, dans une moindre échelle de Marcel Barbu qui était
1
qualifié dans Le Monde d’« extravaguant » et d’« illuminé » et d’André Dupont, alias Aguigui
Mouna en 1974 (puis en 1981). Après avoir consacré un premier mémoire à la candidature
fantaisiste la plus connue - celle de Coluche - nous avons donc décidé de nous intéresser
d’une manière plus large aux candidatures fantaisistes aux élections présidentielles de la
Cinquième République. Le terme fantaisiste pouvant faire débat, nous avons décidé de
le restreindre à son sens le plus strict, c'est-à-dire celui de comique professionnel. Nous
allons donc nous intéresser aux candidatures de Pierre Dac en 1965, de Coluche en 1981
et de Dieudonné en 2002 et 2007, puisqu’ils ont tous trois fait acte de candidature à une
élection présidentielle tout en étant comique de profession, profession étant entendu au
2
sens d’ « occupation habituelle dont on tire un revenu » . Avant de préciser le but de notre
travail sur ces candidatures, il convient d’éclaircir leur contexte et leur nature.
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Ernout (Liliane), « Le candidat de la vingt-cinquième heure », Le Monde, 3 décembre 1965, n°6497, p.3
Bacot (Paul), Dictionnaire du vote – Elections et délibérations, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1994, p.142
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Introduction
Lors de la première et de la dernière édition de l’élection présidentielle au suffrage
universel direct, un candidat fantaisiste a annoncé sa volonté de se porter candidat. Ainsi,
pour revenir sur le contexte de ces élections, il nous faut nous intéresser de près à l’évolution
qu’a connue la Cinquième République. Nous nous devons de souligner, que la Constitution
de 1958, souhaitée par Charles de Gaulle, semble avoir réussi à imposer un Président fort.
Toujours élu au suffrage universel indirect, le président puisera sa légitimité dans un collège
beaucoup plus large qu’auparavant. Le corps électoral était en effet fixé à quatre-vingt mille
membres et sa composition ressemblait davantage à celle qui désigne les sénateurs. Ce
mode de scrutin ne servira pourtant qu’à une seule reprise, pour élire Charles de Gaulle
président, le 21 décembre 1958, lors d’une élection sans grand enjeu. Quelques années
plus tard, après la fin de la guerre d’Algérie, le Général de Gaulle échappe de justesse
à la mort dans l’« attentat du Petit Clamart ». En quatre ans de présidence, de Gaulle
avait conquis un pouvoir plus important que celui prévu dans la Constitution, il était devenu
3
« l’inspirateur et le grand metteur en scène de la politique française » . Soucieux de donner
une légitimité maximale à son successeur, le Général de Gaulle interviendra en ces mots,
le 20 septembre 1962 : « Je crois devoir faire au pays la proposition que voici : quand
sera achevé mon propre septennat, ou si la mort ou la maladie l’interrompait avant le
terme, le président de la République sera dorénavant élu au suffrage universel ». Si cette
proposition n’est pas intervenue plus tôt, c’est parce que les Républicains, en France, se
méfient de l’élection présidentielle au suffrage universel direct. Comme le montre Pierre
Bréchon, la seule expérience sur laquelle la République Française puisse s’appuyer, en
matière d’élection du Président de la République au suffrage universel (masculin) direct, a
généré le Second Empire.
« L’expérience d’un Président élu au suffrage universel direct remonte en France
à 1848 et fut de très courte durée. Le coup d’Etat napoléonien de 1851 discrédita
ce type d’élection aux yeux des Républicains : le Président élu risquait de se
transformer en despote et le peuple, manquant d’éducation politique, risquait
de se laisser séduire, au moment de l’élection, par une personnalité autoritaire
charismatique. Il valait donc mieux qu’il soit choisi par les parlementaires, qui
appartiennent aux élites éclairées, bien éduquées, politiquement plus sûres. C’est
4
la tradition qui s’imposa sous la IIIème et IVème Républiques. »
Cette réforme sera pourtant très populaire. Le 28 octobre 1962, le référendum est adopté
par 62,2% des suffrages exprimés. Ce score était pourtant loin d’être assuré puisque les
hommes politiques non gaullistes s’étaient massivement opposés à cette réforme parce
que la procédure suivie avait été anticonstitutionnelle, le référendum ayant été proposé
sans avoir été préalablement adopté par les deux Assemblées, et donc en méconnaissance
de l’article 89 de la Constitution ; mais ils s’y étaient également opposés parce que cette
réforme leur ferait perdre une partie de leur pouvoir, puisqu’ils ne participeraient plus à la
nomination du Président. Sylvie Guillaume analyse en profondeur cette coalition de partis
que l’on a nommé « cartel des non ». « Radicaux, socialistes, chrétiens-démocrates, et
indépendants décident de réagir à ce qu’ils considèrent comme une dérive de la nouvelle
République instituée en 1958 vers un pouvoir personnel et ils se proclament les gardiens
5
du temple républicain.»
3
Bréchon (Pierre) (dir.), Les élections présidentielles en France – quarante ans d’histoire politique, Paris, La documentation
française, 2008, p.10
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5
idem, p.9
Guillaume (Sylvie), « Le "cartel des non" », Parlement[s] 2004/3, Hors-série, p.45-64
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L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
Le référendum ayant été adopté à une large majorité, une élection présidentielle aura
lieu à la fin du premier septennat de Charles de Gaulle. La date est fixée au 5 décembre
1965 pour le premier tour, deux semaines plus tard, pour le second. Avant même que
cette date soit connue, le 17 novembre 1963, Jean-Louis Tixier-Vignancour s’était déclaré
candidat de l’extrême droite. En tout et pour tout, il y aura six candidats, dont un candidat
surprise, Marcel Barbu. Pierre Marcilhacy vient compléter le tableau des petits candidats –
expression qui n’était pas utilisée à l’époque et dont l’origine reste difficile à dater – pour
le compte de la Convention Nationale Libérale et qui, ironie de l’histoire, deviendra un peu
plus de dix ans plus tard rapporteur de la loi des cinq cents signatures dont le but est de
limiter le nombre de petits candidats. Jean Lecanuet (Mouvement Républicain Populaire)
et François Mitterrand (Convention des Institutions Républicaines, investi par la Section
française de l'Internationale ouvrière, soutenu par le Parti Communiste Français, le Parti
Radical et le Parti Socialiste Unifié) viennent compléter la liste des candidats qui s’opposent
à la réélection du Général de Gaulle. Celui-ci se verra même contraint d’entrer en campagne,
campagne qu’il avait pourtant refusée après l’officialisation de sa candidature un mois avant
le premier tour. Nous pouvons noter que, pour leur première apparition majeure dans un
événement politique en France, les sondages ont marqué des points puisque les résultats
publiés avançaient la possibilité que le Général de Gaulle soit en ballotage. Il ne sera, en
effet, élu qu’au second tour avec 55,2% des voix après avoir récolté 44,6% des suffrages
exprimés au premier tour. André Issac, mieux connu sous le nom de Pierre Dac, quant à lui,
avait fait acte de candidature dans le numéro de L’Os à moelle daté du 11 février 1965. Il
s’appuyait sur un parti créé pour l’occasion, dont le nom, issu de la tradition loufoque, ne sera
jamais explicité, le Mouvement Ondulatoire Unifié. En jouant sur la siglaison du nom de ce
parti, L’Os pouvait titrer la semaine suivante « Les temps sont durs, vive le M.O.U. », à partir
du numéro du 25 février figurera même en dessous du titre la mention « organe officiel du
M.O.U. ». La candidature de Pierre Dac n’a eu qu’un très faible écho, nous aurons l’occasion
de revenir sur ce point, mais on peut noter qu’elle est restée interne au journal. Aucun autre
titre n’a repris l’information. Son aventure présidentielle prendra fin très rapidement, en avril,
même s’il continuera à publier des articles au nom du M.O.U. dans L’Os à Moelle par la
suite. Pierre Dac viendra annoncer son retrait lors d’une émission radiophonique : « Je viens
de constater que Jean-Louis Tixier-Vignancourt, brigue lui aussi, mais au nom de l’extrême
droite, la magistrature suprême. Il y a donc, désormais, dans cette bataille, plus loufoque
que moi. Je n’ai aucune chance et je préfère renoncer. » Nous reviendrons sur ce point au
cours de notre réflexion, mais nous pouvons d’ores et déjà souligner que plusieurs sources
confirment ce que Robert Mallat écrit dans son livre sur le rire français : « Dac ne dit pas
tout. Par courtoisie et surtout par fidélité et respect : ce sont les services de l’Elysée qui
l’ont « prié » de retirer sa candidature, le Général n’aime pas les trublions qui se mêlent
6
des affaires d’autrui et marchent sur les plates bande de la politique » . Il est vrai que
le Général de Gaulle et Pierre Dac se connaissaient, l’humoriste avait, en effet, été « la
voix de la France » à Londres en 1943-1944. Dans « les Français parlent aux Français »
ses slogans faisaient mouche, notamment le plus célèbre d’entre eux : « Radio-Paris ment,
Radio-Paris ment, Radio-Paris est allemand ».
Quinze ans plus tard, c’est au tour de Coluche d’annoncer sa candidature à l’élection
présidentielle. Entre temps, Charles de Gaulle a démissionné, Pompidou lui a succédé, et
au décès de celui-ci, une autre élection a été organisée et Valéry Giscard d’Estaing (nous
le nommerons parfois VGE) a été élu. Alors qu’il y avait eu six candidats en 1965, sept en
1969, ils étaient douze à prétendre au poste de Président de la République en 1974. Le
législateur est donc intervenu et la loi organique n° 76-528 a rendu la candidature à l’élection
6
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Mallat (Robert), Coluche, Devos et les autres- un demi-siècle de rire français, Paris, L’archipel, 1997, p.50
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Introduction
présidentielle plus difficile, notamment en passant le nombre de parrainages d’élus minimum
à cinq cents. Pour préciser davantage le contexte de cette élection, il faut noter que Valéry
Giscard d’Estaing vit une fin de mandat difficile. Fin de mandat notamment marquée par « les
affaires ». La plus célèbre d’entre elles étant « l’affaire des diamants ». Ces diamants offerts
par l’empereur de Centre-Afrique, Jean-Bedel Bokassa, au président Giscard. Diamants
qu’il a, dans un premier temps, nié avoir reçus, puis qu’il a déclaré avoir vendus. Il doit
s’expliquer devant les citoyens, il apparaît mal à l’aise, il bafouille, « le roi Giscard » semble
affaibli.
« Le roi » est un surnom révélateur d’une des critiques les plus récurrentes adressées
au président en exercice et qui lui a valu cette une du Nouvel Observateur. Les
Français semblent en effet très critiques à l’égard de cette monarchisation de la fonction
présidentielle. En novembre 1980, Le Monde fait paraître un sondage qui révèle que « 65%
des français ne veulent plus des princes qui les gouvernent ». Les critiques concernant la
noblesse du président pleuvent, candidat à sa réélection il tentera de paraître plus proche
du peuple que durant son premier mandat à la tête de l’Etat.
Le 30 octobre 1979, moins de trois semaines après la parution du Canard Enchaîné
révélant « l’affaire des diamants », Robert Boulin est retrouvé mort dans la forêt de
Rambouillet. L’enquête sur le décès du ministre du Travail en exercice est longue et ne
fournit pas d’éléments concrets. Cet événement marque l’opinion, d’autant plus que trois
mois plus tard, le 2 février 1981, une autre mort non-élucidée fera du bruit, celle de l’ancienministre Joseph Fontanet. Interrogé par le Nouvel Observateur Michel Rocard va « s’étonner
qu’autant d’hommes politiques disparaissent de mort violente »
dur pour le président en exercice.
7
. C’est un nouveau coup
Nous ne pouvons pas passer en détails toutes les critiques adressées à Valéry Giscard
d’Estaing en cette fin de mandat, notons qu’en cette période d’élection un projet de loi
intitulé « sécurité et liberté » fait grand bruit.Toutefois, ce qui va vraisemblablement affaiblir
davantage le président, c’est l’échec de sa politique économique. La crise mondiale ne
pouvait épargner la France bien longtemps, mais en nommant Raymond Barre, souvent
qualifié par l’antonomase le Joffre de l’économie,à la tête du gouvernement, VGE avait
signalé sa volonté de réussir dans ce domaine. Pourtant le seuil symbolique des 1,5 millions
de chômeurs sera franchi, et l’inflation avoisinera les 13%.
Dans son sketch « Votez Nul », Coluche résumait ce septennat en quelques bons mots :
« Valéry Giscard d’Estaing, on lui a demandé l’autre jour et il a répondu : « je suis au trois
quarts satisfait ». Voyez-vous : un million huit cent mille chômeurs, la hausse des prix, le
déséquilibre du commerce extérieur ; c’est que les trois quarts de ce qu’il peut faire. Moi à
votre place je voterai encore pour lui, il va faire mieux ce mec là ! »
Giscard semble pourtant assuré de sa réélection. Dans un texte de soutien à Coluche
sur lequel nous reviendrons plus tard nous pouvons lire « plus rien ne pourra changer
le résultat final : la corruption, les scandales, la crise, le mécontentement populaire, les
8
atteintes aux Droits de l'Homme, n'y feront rien. »
Nous pourrions nous étonner qu’après toutes ces critiques, VGE paraisse aussi sûr
d’être à nouveau élu. Cette réélection programmée est vue par Coluche comme une
7
8
Pfister (Thierry), « Que faire de Coluche ? », Le Nouvel Observateur, 8 décembre 1980, n° 839, p.40
« Coluche aussi a ses intellectuels pétitionnaires », Libération, 19 novembre 1980, n°2104, p.8
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L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
« mauvaise nouvelle », pour lui si « Giscard gagne dans un fauteuil… les français perdent
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les élections ».
Cette probable réélection n’est pas le fruit du hasard. L’union de la gauche a volé en
éclat en 1978 après l’échec des négociations sur la réactualisation du programme commun.
En 1981, ce ne sera pas un, mais plusieurs candidats de la gauche qui affronteront le
président sortant au premier tour. Le parti socialiste et le parti communiste se renvoient la
responsabilité de cet échec, ce qui contribue à leur perte de crédibilité et renforce Giscard
dans les sondages. Nous pouvons de plus noter que ces mêmes sondages semblent
montrer que le candidat souhaité par les sympathisants socialistes était Michel Rocard.
François Mitterrand sera pourtant à nouveau désigné pour affronter le président sortant.
Coluche dira d’ailleurs tous les soirs dans son spectacle au théâtre du Gymnase qu’il a
« peut-être raté le certificat d’études, mais que lui ne l’a pas tenté trois fois ». Il le raillera
aussi à travers cette petite phrase : « 11 novembre, journée des anciens combattants de
10
14-18 : Mitterrand se présente. »
Raymond Barillon reviendra dans les colonnes du Monde sur cette situation de la, voire
des, gauche française. Pour lui, « le premier degré de la désunion, celui de la guerre entre le
P.C.F. et le P.S. qui rendait impossible, par définition, une candidature unique de la gauche,
est dépassé. On est désormais au second, celui de la querelle double au sein du P.S. et du
P.C.F., puisqu'il est évident que M. Mitterrand ne sera pas le candidat de tous les socialistes
11
et que M. Marchais n'est pas celui de tous les communistes. » Guy Bedos conclut : «Il y a
12
des gens, en 1974, qui voulaient changer la vie. Et puis ils ont changé d'avis. »
L’élection de 1981 aura donc des allures de « remake », « qu’est-ce qu’on joue au
13
deuxième tour ? Mitterrand - Giscard. C’est con j’ai déjà vu le film »
écrira Coluche.
Mais « tous les observateurs s’accordent à penser » que « les présidentielles seront des
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"élections pour rien" »
et que corollairement la « campagne s'annonce assez terne »
15
. On lira dans les colonnes du Monde que ce sont des élections « pour le principe,
puisque "les jeux sont faits" , que le président de la République sortant est, paraît-il assuré
16
de sa réélection. »
, les journalistes de Charlie Hebdo qualifient même cette élection
d’« escroquerie ». « Un loto dont le numéro gagnant serait connu d'avance serait bien une
17
escroquerie, non ? »
Face à cette élection qui s’annonce « courue d’avance », et particulièrement morne,
Coluche a décidé d’assumer le rôle de perturbateur. Difficile de savoir comment l’idée de se
présenter à cette élection est née, il y a débat. Cette campagne serait partie d’une idée de
son ami, le cinéaste Romain Goupil, qui pensait ainsi contourner la censure dont Coluche
s’estimait victime après son renvoi de Radio Monte Carlo. L’idée pouvait se résumer ainsi,
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17
10
Coluche, Libération, 8 novembre 1980, n°2095, p.07
Coluche, Libération, 10 novembre 1980, n°2096, p.07
Barillon (Raymond), Résurgences, Le Monde, 21 novembre 1980, n° 11 138, p.10
Lhomeau(Jean-Yves), « Un entretien avec Monsieur Guy Bedos », Le Monde, 3 décembre 1980,n°11 148 p.1
Coluche, Libération, 23 décembre 1980, n°2133, p.8
Najman (Maurice), « Coluche l’anti-candidat : "J’irai jusqu’au bout" », Libération, 31 octobre 1980, n°2088, p.1 et p.24
er
« L'effet Coluche », Le Matin de Paris, 1 novembre 1980, n°1146, p.2
Lhomeau(Jean-Yves), « Coluche ou la campagne imprévisible », Le Monde, 12 décembre 1980, n°11 156, p.10
Cavanna, « Qu’est-ce qu’il peut-il arrêter Coluche ? », Charlie Hebdo, 11 février 1981
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Introduction
si Coluche est candidat il bénéficiera d’un temps d’antenne où il sera libre de dénoncer ce
qu’il entend sans risque de se faire renvoyer. Cette idée va être soigneusement distillée
à qui veut l’entendre pendant plusieurs mois. Ainsi, en mars 1980, on peut déjà lire dans
les colonnes du Monde, « Je vais probablement me présenter aux élections présidentielles.
Comme candidat nul, pour faire voter les non-votants. Mon argument principal sera ne pas
18
être élu »
. Au fur et à mesure que l’on approche de l’annonce officielle, Coluche multiplie
ce type de déclaration. « J'attends avec impatience les élections pestilentielles. Je souhaite
19
me présenter » déclarait-il dans les colonnes du même journal en octobre 1980.
Il n’aura pas attendu très longtemps, le 20 octobre 1980, un premier communiqué de
presse annonce officiellement la candidature de l’humoriste et annonce une conférence de
presse au Gymnase, dix jours plus tard.
Le rendez-vous est pris. Le 30 octobre toute la presse et toutes les télévisions seront
présentes. Coluche va tenir une vraie conférence de presse, certes plus drôle que celles
des autres candidats mais qui fait tout de même passer un message : « Je m'adresse à
ceux qui ont voté à gauche pendant 30 ans pour rien. Car, malheureusement, elle n'a rien
fait. Je fais partie de ceux qui ont mis pas mal d'espoir dans la gauche. Mais en arrêtant
leur programme commun, ils ont décidé de ne pas être élus. Je m'adresse aussi à ceux qui
ont voté à droite pendant 30 ans pour rien non plus. Vous en connaissez des promesses
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tenues ? »
Il ajoutera, « Depuis trente ans, ils votent pour des gens compétents et
intelligents qui les prennent pour des imbéciles. Aujourd’hui je leur propose de voter pour
un imbécile ». « D’habitude, ils votent pour rien » : en choisissant Coluche, « ils voteraient
" pour quelqu'un qui n'est rien " sinon un " abstentionniste professionnel" et qui, d'ailleurs,
ne voudrait pas être élu et ne se présentera qu'au premier tour, les gens sérieux pouvant
21
toujours, au second tour, faire le choix qui comptera. » Nous reviendrons par la suite sur
les raisons de ce choix, mais nous pouvons d’ores et déjà noter que cette candidature sera
le centre même de notre réflexion.
Vingt ans plus tard, c’est Dieudonné qui prend la relève, se revendiquant directement de
Coluche. Une fois encore le contexte est un peu différent. Ces élections se déroulent après
une longue cohabitation de cinq ans. Les inconvénients d’une telle situation sont apparus
encore plus nettement que lors des expériences précédentes. Afin d’éviter, à l’avenir, les
cohabitations à la tête de l’Etat, une réforme constitutionnelle, entérinée par référendum
en septembre 2000, a réduit le mandat présidentiel à cinq ans. En outre, une autre loi a
modifié le calendrier électoral pour que les législatives se déroulent après la présidentielle.
Cette réforme vise indéniablement à favoriser l’émergence d’une majorité parlementaire
conforme à la majorité présidentielle. L’année politique de 2002 est donc d’abord marquée
par l’élection présidentielle des 21 avril et 5 mai, suivie par les législatives des 9 et 16
ème
juin, que l’on appelle souvent le 3
tour de la présidentielle. Pour les petits partis, il
est nécessaire d’être représenté à l’élection présidentielle sous peine d’être totalement
invisible aux législatives. Toutes les petites formations ont voulu être présentes à l’élection
présidentielle, ce qui a rendu encore plus durs les possibilités de trouver les cinq cents
signatures pour les « petits ». Dieudonné ne réussira pas à les réunir. Il est pourtant
probablement « le plus sérieux » des trois candidats que nous étudions. Il s’est en effet
18
19
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21
Fléouter (Claude), « La politique me fait rire », Le Monde, 27 mars 1980, n°10936, p.13
Fléouter (Claude), « « Je voudrais être candidat aux prochaines élections » », Le Monde, 4 octobre 1980, n°11 097, p. 27.
Najman (Maurice), « Coluche l’anti-candidat : « J’irai jusqu’au bout » », Libération, 31 octobre 1980, n°2088, p.1 et p.24
er
La Bardonnie (Mathilde), « Coluche candidat : sérieux », Le Monde, 1 novembre 1980, n°11121, p.8
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L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
présenté à un certain nombre d’élections. Dès 1997, il est présent sur la scène politique en
se présentant à Dreux pour la députation, obtenant d’ailleurs le quatrième meilleur score en
récoltant 7,74% des suffrages exprimés. L’année suivante, il obtient 5% des voix en briguant
un poste au Conseil régional du Centre. L’année avant l’élection présidentielle de 2002, il a
tenté de se présenter aux municipales à Dreux, mais il n’est pas parvenu à constituer une
liste à temps. Il se présentera, par la suite, aux élections présidentielles de 2002 et 2007.
Entre temps, le personnage Dieudonné a évolué. En effet, pour remonter un peu plus haut
dans sa biographie, en 1997, Dieudonné qui vient juste d’entamer sa carrière en solo se
présente aux législatives à Dreux « pour faire barrage » à la liste FN menée par MarieFrance Stirbois. Il s’engage alors dans des luttes dénonçant les discriminations raciales et
se battant pour une plus grande visibilité de la population noire dans la société française.
Ces engagements lui valent, en 2000, le titre honorifique onusien d’« homme de bonne
volonté contre le racisme ». C’est avec cette image qu’il se présente en 2002. Deux élections
et de nombreux scandales plus tard, cette image a totalement volé en éclat. Elie Sémoun
écrira dans un article paru dans Libération que Dieudonné s’est peu à peu en transformé
en « Le Pen de gauche ». Pendant sa campagne à l’élection présidentielle de 2002, il fera
plusieurs fois scandale, tout d’abord en tenant les propos suivants lors d’un entretien avec
un journaliste de Lyon Capitale : « Le racisme a été inventé par Abraham. Le "peuple élu",
c'est le début du racisme. (…) Pour moi, les juifs, c'est une secte, une escroquerie. C'est
22
une des plus graves parce que c'est la première.» Quelques semaines plus tard, dans une
interview accordée à L’Echo des savanes il affirmera « préférer le charisme de Ben Laden
23
à celui de George Bush.» Un mois plus tard, il sera relaxé alors qu’il comparaissait pour
un délit de diffamation raciale pour avoir qualifié blancs et catholiques d'esclavagistes et de
racistes en mars 2000. Mais l’affaire qui aura fait le plus grand bruit reste, sans conteste,
son passage à l’émission « On ne peut pas plaire à tout le monde » animée par Marc-Olivier
Fogiel. Au cours de cette émission consacrée à l'humoriste Jamel Debbouze, Dieudonné
déclare « J'encourage les jeunes gens qui nous regardent aujourd'hui dans les cités, pour
vous dire, convertissez-vous comme moi, essayez de vous ressaisir, rejoignez l'axe du bien,
l'axe américano-sioniste ! », puis il tend le bras droit à la fin du sketch et crie « Israël ! » ou
« Isra-heil ! », selon les versions, la justice n’ayant pas retenue de version officielle. Parmi
ses propos ayant également suscité de nombreuses réactions, on peut relever ceux relatifs
24
à un « lobby juif » cités par Le Monde en janvier 2004 et ceux tenus lors d'une conférence
de presse à Alger le 16 février 2005, où il avait qualifié l'ampleur du traitement médiatique de
la mémoire de la Shoah de « pornographie mémorielle ». C’est dans ce contexte qu’il devra
quitter la liste Euro-Palestine sur laquelle il était en bonne place pour les Européennes de
2004. Cette liste avait pour ambition d’inscrire la paix au Proche-Orient comme l’une des
missions de l’Union Européenne.
Mais ce qui fait dire à Anne-Sophie Mercier - qui, comme elle l’écrit en introduction
de son livre, a passé un an de sa vie avec Dieudonné - que « la transgression c’est le
25
caviar de Dieudonné » , c’est que l’humoriste va aussi réutiliser cette provocation dans ses
sketches, sur scène. Olivier Mongin pense d’ailleurs que « loin d’être le fait de dérapages
malheureux, le rire de Dieudonné est parfaitement rodé, il s’est emparé de la question
22
23
24
25
12
« Entretien: Dieudonne, humoriste et candidat aux présidentielles », Lyon Capitale, 23 janvier 2002
Prinvault (Elizabeth), « Dieudonné », L’Echo des Savanes, 1er février 2002
« Dieudonné saisit la justice dans son différend avec Marc-Olivier Fogiel », Le Monde, 8 janvier 2004.
Mercier (Anne-Sophie), La vérité sur Dieudonné, Paris, Plon, 2005, p.14
Bozonnet Grégory - 2008
Introduction
26
communautaire comme d’une bombe politique.» Ainsi, à titre d’exemple, nous pouvons
relever ces expressions relevées dans ses sketches : « J’ai vu la Terre promise et j’ai vomi »
27
28
ou encore, « le peuple élu de la fange de la médiocrité » . Notons au passage, que le
spectacle « Mes excuses », initialement intitulé « Mes excuses, dans ton cul », commence
par une mise en scène qu’Olivier Mongin retranscrit parfaitement :
« L’entrée du spectacle mes excuses ne trompe pas : Dieudonné sort d’un
nuage de fumée comme de l’enfer pour s’excuser : "Je m’excuse, ô peuple élu.
Pardonne. Pardonne à la bête que je suis les offenses proférées. Mais je n’ai pas
d’âme. Mes paroles ne sont qu’un grognement instinctif. Cela n’a aucun sens. Je
me soumets à ta grandeur, ô peuple élu. Merci de m’avoir épargné, Maître. Merci
Maître…" Et de faire un bras d’honneur en forme d’uppercut : "Dans le cul. " »
Il en conclut que « Dieudonné réinvente malencontreusement le rire politique en le
brandissant comme une arme. Mais celle-ci n’est plus à destination des hommes
politiques (…) puisqu’elle se concentre sur les identités ethniques et les communautés
29
d’appartenance. » Anne-Sophie Mercier montre qu’il « est devenu pour un certain nombre
de gens le porte parole de l’antisémitisme. Pour d’autres, c’est une bête de scène qui
30
incarne la liberté d’expression. » Dans les premières pages de son livre, elle nous confie
que « très vite [elle a] acquis une certitude. Dieudonné n’est plus un comique, c’est un
31
politique ». C’est un peu l’idée de Noël Mamère, qui avait été proche de Dieudonné lors
de ses premières expériences politiques, et qui déclarait en 2005 « Il est la victime de
son inculture et de sa volonté farouche d’être reconnu comme politique ». Nous aurons
l’occasion de relativiser cette idée par la suite, mais on est en mesure d’avancer que
Dieudonné sera donc le candidat qui se prend le plus au sérieux dans ses candidatures à
l’élection présidentielle.
Nous le signalions auparavant, parmi les trois candidatures que nous venons de
présenter plus amplement, c’est à celle de Coluche que nous nous intéresserons le plus
particulièrement et ceci pour plusieurs raisons. Nous en reparlerons dans le premier temps
de notre réflexion, mais la candidature du comique à la salopette a été celle qui a suscité le
plus d’articles de presse. En effet, tous les journaux ont dû, tôt ou tard, donner leur position
sur la campagne de l’humoriste. De plus, Coluche est devenu une sorte de référence en
la matière. En effet, le nom propre Coluche va parfois être utilisé comme antonomase
métaphorique pour désigner des candidats « surprises » à une élection capitale. Avant
d’en donner des exemples, notons que selon le Trésor de la Langue française, une
antonomase est une « figure de rhétorique qui consiste à remplacer, en vue d'une
expression plus spécifiante ou plus suggestive, un nom propre par un nom commun (le
Sauveur pour Jésus-Christ) ou un nom commun par un nom propre (un Tartuffe pour un
hypocrite). »Comme le montre Sarah Leroy, dans son ouvrage Le nom propre en français
32
, l’antonomase a des analyses divergentes : elle peut être prototypique (un arpagon,
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28
29
30
31
Mongin (Olivier), De quoi rions-nous ? Notre société et ses comiques, Paris, Plon, 2006, p.106
Dieudonné, spectacle « 1905 », 2005
Dieudonné, spectacle « Mes excuses » - sketch d’entrée en scène, 2006
Mongin (Olivier), op.cit., p.106
Mercier (Anne-Sophie), op.cit., p.90
Mercier (Anne-Sophie), La vérité sur Dieudonné, Paris, Plon, 2005, p.12
32
Leroy (Sarah), Le nom propre en français, Paris, Ophrys, 2004,137p.
Bozonnet Grégory - 2008
13
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
une bérézina), métonymique (un nom de lieu devient un événement ou un nom commun
ème
comme camembert) ou métaphorique (Le Saint-Thomas d’Aquin du XX
siècle). Dans
cet ouvrage, elle nous apprend notamment que l’« on peut ainsi considérer que si le nom
propre a, au départ, peu ou pas de sens, son occurrence en discours en acquiert beaucoup.
Dans cette perspective, le contenu sémantique du nom propre n’est pas fondamentalement
33
différent de celui du nom commun. » Nous allons voir dans les exemples qui suivent
que le nom propre Coluche rompt avec son référent originel pour renvoyer à un tout autre
référent. Ainsi, les expressions que nous allons présenter, « en utilisant le statut tropaïque de
34
l’antonomase » peuvent être étudiées comme un « cas particulier de la métaphore » . « Le
nom propre désigne en effet un référent qui n’en est pas le porteur habituel, mais dont on dit
qu’il lui ressemble d’une façon ou une autre. La modification s’opère donc aux deux niveaux,
35
syntaxique et référentiel. »
Ainsi, Nicolas Hulot qui a annoncé songer à être candidat à
36
l’élection présidentielle de 2007 a été qualifié par l’expression « le Coluche de 2007 »
dans les colonnes du Progrès ; Stephane Colbert candidat à la fois démocrate et républicain
à la Maison Blanche, alors qu’il est un présentateur d’une émission télévisuelle populaire,
37
sera nommé « le Coluche de Caroline du Nord »
; enfin Dieudonné a pu être souvent
comparé à Coluche, puisque nous montrions qu’il faisait lui-même référence à l’humoriste,
38
ce qui lui a valu d’être catégorisé comme « un Coluche » dans les colonnes du Figaro.
Sarah Leroy souligne que « le nom propre modifié de type métaphorique désigne un référent
39
discursif et non le référent originel » et « signale d’abord un rôle » , ou un type avant de
signaler un référent. On a ici des exemples de ce que Kleiber nommait un « usage attributif
flottant ». Les personnes comparées ici à Coluche ne le sont que dans le cadre discursif
présent ; elles pourraient très bien se voir attribuer une autre image dans un autre contexte,
mais comme dans ces articles on traite de leur candidature « fantaisiste », l’auteur choisit
de les comparer à Coluche. L’intérêt de l’antonomase métaphorique est donc d’évoquer tout
de suite un certain nombre de qualificatifs que l’on attribue au référent d’origine. Ainsi, on
peut imaginer que ces candidatures, par exemple, ne sont pas sérieuses. On peut discuter
le choix de ces antonomases, notamment dans le cas de la candidature de Nicolas Hulot
40
où la comparaison, bien qu’aussi réalisée à deux reprises dans le livre Le moment Hulot
, semble quelque peu exagérée, mais force est de constater qu’elle est révélatrice quant à
l’importance qu’a pris la candidature de Coluche. Si l’on utilise cette référence pour qualifier
la candidature de Stéphane Colbert, c’est bien que le nom Coluche est celui qui évoque le
mieux ce qu’est une candidature fantaisiste. A notre connaissance, personne n’a eu l’idée
d’utiliser le nom de Pierre Dac ou de Dieudonné pour le même effet. La candidature de
Coluche se révèle donc être un symbole de ce qu’est une candidature fantaisiste. Notons
tout de même que malgré le fait que nous allons nous centrer sur la candidature de Coluche,
nous ne manquerons pas d’analyser les candidatures de Pierre Dac et Dieudonné tout au
long de notre réflexion.
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36
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39
40
14
idem, p.115
Flaux (Nelly), « L'antonomase du nom propre ou la mémoire du référent », Langue française, 1991, n° 92, p. 26-45
idem
« Au sujet de la téléphonie mobile par carte », Le Progrès, 5 février 2007, p.42
Serina (Guillaume), « Le Coluche de Caroline du Sud », Le Point, 8 novembre 2007
Douguet (Gwen), « Dieudonné, le sérieux du bouffon », Le Figaro, 13 juin 2001, p.5
Leroy (Sarah), op.cit., p.68
Larabi (Malik), Marc (Xavier), Le Moment Hulot. Un candidat jamais candidat, Paris, Armand Colin, 2008, p.16, puis p.122
Bozonnet Grégory - 2008
Introduction
Un autre fait révèle l’importance de la candidature de Coluche par rapport à celle des
autres comiques professionnels. Cette candidature a été soutenue par une petite trentaine
d’intellectuels de gauche, voire d’extrême gauche. Si nous aurons l’occasion de reparler de
cet engagement de l’intelligentsia au côté de l’humoriste, notons tout de suite que parmi les
signataires, figurait un certain Pierre Bourdieu. À partir de cette candidature, il va approfondir
sa théorie du champ politique pour réaliser un article paru dans Actes de la recherche en
41
sciences sociale , avant que ne soit publié, quelques années plus tard, Propos sur le
42
champ politique .
Afin d’avancer vers une compréhension de ce qu’est le champ politique pour Pierre
Bourdieu, nous allons commencer par analyser ce qu’il a écrit à propos de la candidature
de Coluche. Ce qui est intéressant, tout d’abord, c’est de noter que Patrick Champagne et
Olivier Christin, tout comme Louis Pinto sont revenus sur cet engagement du sociologue
au côté de l’humoriste. Ainsi les premiers écrivaient à ce propos qu’il s’agissait du
« prolongement politique de ses travaux sur la représentation politique » (Son soutien à la
campagne du comique Coluche en 1981 relève (…) d’une « intervention sociologique » sur
43
le champ politique) » alors que Louis Pinto y voyait la marque d’un « irréalisme d’intellectuel
44
animé d’une défiance excessive envers les hommes politiques ? »
À la suite de cet
engagement, Pierre Bourdieu écrivit que « les professionnels du pouvoir sont pris en flagrant
délit d’abus de pouvoir : alors que, comme à l’accoutumée, ils se présentent en porte-parole
de l’ « opinion publique », caution de toutes les paroles autorisées, ils livrent non la vérité
du monde social, mais la vérité de leur rapport à ce monde, obligeant à demander s’ils ne
45
font pas ainsi d’autre fois. » Il écrira, en outre :
« Ainsi, les professionnels, hommes politiques et journalistes, tentent de refuser
au #casseur de jeu# le droit d’entrée que les profanes lui accordent massivement
(ils sont favorables pour les deux tiers au principe de sa candidature). Sans doute
parce que, en entrant dans le jeu sans le prendre au sérieux, sans se prendre au
sérieux, ce joueur extra-ordinaire menace le fondement même du jeu, c’est-à-dire
46
la croyance et la crédibilité des joueurs ordinaires. »
On retrouvera sensiblement la même idée, dans des termes différents, quelques années
plus tard lors de son intervention à l’Université Lumière Lyon II :
« Tout le champ médiatico-politique s’était mobilisé, par delà toutes les
références, pour condamner la barbarie radicale qui consistait à mettre en
question le présupposé fondamental, à savoir que seuls les politiques peuvent
parler politique. Seuls les politiques ont compétence (c’est un mot très important,
à la fois technique et juridique) pour parler politique. Il leur appartient de parler
41
Bourdieu (Pierre), « La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », Actes de la recherche en
sciences sociales, février 1981, n°36, p.3-24
42
43
44
45
46
Bourdieu (Pierre), Propos sur le champ politique, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 2000, 110p.
Champagne (Patrick), Christin (Olivier), Pierre Bourdieu - Mouvements d’une pensée, Paris, Bordas, 2004, p.201
Pinto (Louis), Pierre Bourdieu et la théorie du monde social, 2000, Paris, Albin Michel – Points, p.234
Bourdieu (Pierre), « La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », art.cit., p.7
Bourdieu (Pierre), « La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », art.cit., p.7
Bozonnet Grégory - 2008
15
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
de politique. La politique leur appartient. Voilà une proposition tacite qui est
47
inscrite dans l’existence du champ politique. » .
Avant d’approfondir cette théorie du champ politique, il convient de souligner qu’un autre
chercheur a écrit au sujet de Coluche, Arnaud Mercier. Sa contribution est beaucoup plus
récente, il s’agit d’un article paru dans le numéro d’Hermès de mai 2001 consacré à la
dérision en politique. Pour cet auteur, Coluche a « poussé à l’extrême la désacralisation »
48
, il l’a poussé à tel point qu’il ne s’agit même plus de « désacralisation, mais d’agression,
d’attaque frontale». Pour lui, Coluche a franchi le Rubicon et s’est ainsi retrouvé dans la
même position qu’un chien dans un jeu de quille, figure souvent utilisée au cours de cette
campagne. Il montrera, en outre, que le bouffon a en fait été consacré comme « vestiges
d’une civilisation féodale » par les Lumières, ce qui a totalement terni leur image. Ainsi,
selon lui, « les bouffons contemporains sont tolérés tant qu’ils ne vont pas trop loin, tant
qu’ils ne bouleversent pas vraiment les règles d’un jeu qui n’a pas à supporter pareille
49
moquerie puisqu’il est démocratique. » .
Ceci nous amène donc, à nouveau, à progresser dans notre connaissance de la théorie
bourdieusienne du champ politique. Tout d’abord, il convient de donner une définition de ce
qu’est un champ. Si l’on se réfère au Dictionnaire du vote de Paul Bacot, « dans le langage
scientifique, un champ est un espace limité, concret ou abstrait, pourvu de propriétés
particulières. » Ainsi le champ politique est le « champ social structurant la concurrence pour
la détention des postes politiques. » sachant qu’un champ social est un « espace structuré
50
de positions déterminant les comportements des agents qui l’habitent. » Cette théorie des
champs définie par Pierre Bourdieu n’est pas apparue ex nihilo, Alain Accardo et Philippe
Corcuff en montrent les origines :
« La théorie des champs est dans la continuité d’une longue tradition de
réflexions sociologiques et anthropologiques sur la différenciation historique
des activités ou des fonctions sociales et sur la division sociale du travail. De
Spencer à Elias en passant par Marx, Durkheim, Weber, ce thème ne cesse,
en effet, d’apparaître sous la plume des théoriciens du monde social (…) C’est
sans doute la réflexion durkheimienne sur la division du travail social que Pierre
Bourdieu a puisé une grande partie des schèmes interprétatifs pour formuler sa
51
théorie des champs.»
L’apport principal de son travail sera, en revanche, de montrer qu’il existe des lois communes
à tous les champs. C’est notamment ce qu’il explicite dans son ouvrage Question de
sociologie. Ainsi, selon lui, « dans tout champ on trouvera une lutte, dont il faut chaque
fois rechercher les formes spécifiques, entre le nouvel entrant qui essaie de faire sauter les
verrous du droit d’entrée et le dominant qui essaie de défendre le monopole et d’exclure la
52
concurrence. » De plus, un champ se définit par des enjeux et des intérêts spécifiques « on
47
48
Bourdieu (Pierre), Propos sur le champ politique, op.cit., p.55
Mercier (Arnaud), « Quand le bouffon franchit le Rubicon : la candidature de Coluche à la présidentielle de 1981 », Hermès, mai
2001, n° 29, p.175
49
Mercier (Arnaud), op.cit., p.182
50
51
Bacot (Paul), op.cit.,p.39
Lahire (Bernard), dir., Le travail sociologique de Pierre Bourdieu – dettes et critiques, Paris, La découverte, 2001,
p.26-27
52
16
Bourdieu (Pierre), Question de sociologie, Paris, Ed. de Minuit, 2002, p.113
Bozonnet Grégory - 2008
Introduction
53
ne pourra pas faire courir un philosophe avec des enjeux de géographe » . Il ajoutait que
pour qu’un champ fonctionne, il faut qu’il « y ait des enjeux et des gens prêts à jouer le jeu,
dotés de l’habitus impliquant la connaissance et la reconnaissance des lois immanentes du
54
jeu, des enjeux, etc. » Il ajoute après avoir précisé que la structure du champ est un état du
rapport de force entre les agents engagés dans la lutte qu’il y a des propriétés moins visibles
du champ comme lefait que « tous les gens qui sont engagés dans un champ ont en commun
un certain nombre d’intérêts fondamentaux, à savoir tout ce qui est lié à l’existence même
du champ : de là une complicité objective qui est sous-jacente à tous les antagonismes »,
il explique ce fait par l’idée que pour qu’il y ait une lutte, il faut que les antagonistes se
soient mis d’accord sur ce qui mérite d’être en lutte. Ainsi, «Ceux qui participent à la lutte
contribuent à la reproduction du jeu en contribuant, plus ou moins complètement selon le
champ, à produire la croyance dans la valeur des enjeux. Les nouveaux entrants doivent
55
payer un droit d’entrée qui consiste dans la reconnaissance de la valeur du jeu »
Dans leur manuel de sociologie politique, Bernard Denni et Patrick Lecomte, précisent
les étapes qui ont conduit la politique à se constituer comme un champ :
« L’apparition d’un corps spécifique d’hommes politiques vivant "de" la
politique et non plus seulement "pour" la politique (Weber) est corrélative
au développement de l’Etat moderne et à la mise en place de structures
autonomes d’encadrement et de mobilisations populaires, le suffrage universel
et les partis politiques. Ces transformations de nature institutionnelle, liées
au développement de la bureaucratie et au perfectionnement du système de
communication entre gouvernants et gouvernés, créent un ensemble spécifique
de rôles politiques différenciés et hiérarchisés qui correspondent à des tâches de
plus en plus complexes et spécialisées. Ainsi "la politique devient inévitablement
une carrière" (Schumpeter) et les chefs des partis (comme les parlementaires)
forment "une classe de politiciens professionnels, de techniciens de la politique,
éprouvés et patentés" (Michels) qui conquièrent progressivement le monopole de
l’activité, et de la représentation politiques (Gaxie). »
Alain Accardo et Philippe Corcuff montreront que l’intervention de Pierre Bourdieu,
complètera ces analyses en offrant l’instrument théorique qui permettra de « commencer
à analyser avec précision les mécanismes subtils de cette mystification idéologique qui
permet de priver, en tout légitimité, une grande partie des citoyens du droit effectif de faire
56
la loi et d’en contrôler l’application. »
Ce que Bourdieu montre dans ses écrits c’est que le champ politique s’autonomise.
Son indépendance il la doit à un jeu et la maintient par ce jeu qui ne rend l’accès au politique
possible que pour les individus possédant le capital politique nécessaire. Il « n’est rien qui
ne soit plus absolument exigé par le jeu politique que cette adhésion fondamentale au jeu
lui-même ». Pour lui, ceci crée une « solidarité de tous les initiés qui sont liés par cette
adhésion fondamentale au jeu » et explique la « logique oligopolistique qui régit l’offre du
champ politique. Monopole de la production laissé à un corps professionnels, c'est-à-dire à
un petit nombre d’unités de production elles-mêmes contrôlées par les professionnels ». La
53
54
55
56
idem, p.113-114
idem
Bourdieu (Pierre), Question de sociologie, op.cit., p.134
Accardo (Alain), Corcuff (Philippe), La Sociologie de Bourdieu – Textes choisis et commentés, Bordeaux, Le Mascaret, 1986, p.120
Bozonnet Grégory - 2008
17
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
concentration de ce capital étant concentré dans quelques mains, ces professionnels ont
le pouvoir d’imposer un « effet de censure en limitant l’univers du discours politique et, par
là, l’univers de ce qui est pensable politiquement ». La politique est donc le monopole des
professionnels. Il n’y a pas de place pour les profanes. Il ajoute que « rien n’est moins naturel
que le mode de pensée et d’action qui est exigé par la participation au champ politique »,
l’habitus du politicien demande un entraînement spécial, un certain langage, une certaine
rhétorique. Pour pouvoir accéder à cet habitus, il faut accéder à de grandes écoles telles que
l’ENA « chargée de sélectionner et de former les producteurs professionnels de schèmes
de pensée et d’expression du monde social ». « L’autonomisation du champ de production
idéologique s’accompagne sans doute d’une élévation du droit d’entrée dans le champ, et
57
en particulier d’un renforcement des exigences en matière de compétence ». Bourdieu
expliquera par la suite que les règles du jeu, implicitement admises par toute personne
entrant dans le champ politique, impliquent que la concurrence dans ce champ ne se fera
qu’entre professionnels et non pas entre professionnel et profane. Il ne peut donc y avoir
d’intrusion. Pour désigner ce champ politique, il utilise l’expression « microcosme ». « Parler
de champ politique, c’est dire que le champ politique est un microcosme, c’est-à-dire un
58
petit monde social relativement autonome à l’intérieur du grand monde social. »
On peut
ici établir un parallèle entre l’activité politique et l’activité économique. Ainsi nous dirions
que d’un côté se trouvent les producteurs qui ont le monopole de la production de produits
politiques, offerts sur le marché, formellement ouvert à tout et à tous mais pratiquement
limité quant aux producteurs qui y ont accès et aux produits qui y sont proposés, et de l’autre,
« les consommateurs de politique » (formule au centre de la campagne de Coluche). La
concentration de moyens de production proprement politique aux mains de professionnels
et la dépossession corrélative du plus grand nombre, c’est comme cela que nous définirions
la fermeture du champ politique. Pierre Bourdieu montre que la fermeture de ce champ
politique est liée à son évolution, petit à petit le champ politique s’est professionnalisé,
notamment avec la création d’écoles comme Sciences Po ou l’ENA. Le corollaire de
professionnalisation est l’autonomisation qui a généré la fermeture.
« Plus le champ politique se constitue, plus il s’autonomise, plus il se
professionnalise, plus les professionnels ont tendance à regarder les profanes
avec une sorte de commisération. Pour faire comprendre que je ne suis pas
dans la spéculation pure, j’évoquerai simplement l’usage que certains hommes
politiques font de l’accusation d’irresponsabilité lancée contre les profanes
qui veulent se mêler de la politique : supportant mal l’intrusion des profanes
dans le cercle sacré des politiques, il les rappellent à l’ordre comme les clercs
59
rappelaient les laïcs à leur illégitimité. »
Pierre Bourdieu écrit que « Tous ces phénomènes de fermeture du champ politique sur luimême ont été aggravés bizarrement par la télévision et par l’intervention des journalistes. »
60
Il ajoute qu’« actuellement, un des facteurs déterminant de l’existence dans le champ
politique, c’est la reconnaissance par les journalistes. » « Aujourd’hui, si j’inclus les
journalistes dans le champ politique, c’est qu’ils sont, comme disent les Anglo-saxons, les
gate keepers, les gardiens de but [sic], qui contrôlent grandement l’entrée dans le champ
57
58
59
60
18
Bourdieu (Pierre), « La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », art.cit., p.6
Bourdieu (Pierre), Propos sur le champ politique, op.cit., p.52
Bourdieu (Pierre), Propos sur le champ politique, op.cit, p.55
Idem, p.36
Bozonnet Grégory - 2008
Introduction
61
politique » . Il en conclut que « le club de la presse d’Europe 1 est l’équivalent du caucus
américain, c’est un lieu où s’élaborent les candidatures politiques importantes. Et être invité
à certaines émissions de télévision ou de radio, c’est être consacré comme politiquement
62
important ».
Nous ne pourrons pas vraiment détailler d’avantage cette théorie du champ politique,
notons, en conclusion, cette formule marquant de l’ouvrage Propos sur le champ politique,
« quand on dit à un simple citoyen qu’il est irresponsable politiquement, on l’accuse
63
d’exercice illégal de la politique »
En corollaire de cette théorie du champ politique, viennent se greffer les notions d’illusio
et d’habitus fréquemment utilisées par Pierre Bourdieu et dont nous devons ici dire quelques
mots. Pour lui, « l’illusio, c’est le fait d’être pris au jeu, d’être pris par le jeu, de croire que
le jeu en vaut la chandelle, ou, pour dire les choses simplement, que ça vaut la peine de
64
jouer. » Or, cette illusio est acquise par socialisation. L’agent croit que tel enjeux social
est important, parce qu’il a été socialisé à le croire. Les intérêts sociaux sont ainsi des
croyances, socialement inculquées et validées. En fait, Pierre Bourdieu entre en opposition
ici avec le concept d’ « intérêt » wébérien et avec l’utilitarisme de la théorie des choix
rationnels, l’intérêt ne peut pas se résumer à un intérêt matériel. Il est la croyance qui
fait que les individus pensent qu’une activité sociale est importante, vaut la peine d’être
poursuivie. Il existe donc autant de types d’intérêt que de champs sociaux : chaque espace
social propose en effet aux agents un enjeu spécifique. Ainsi l’intérêt que poursuivent les
hommes politiques n’est pas le même que celui des hommes d’affaires : les uns croient que
le pouvoir est la source fondamentale d’utilité, tandis que l’enrichissement économique est
la motivation première des businessmen. Pierre Bourdieu a ainsi proposé de substituer au
terme d’intérêt celui d’illusio car cette croyance est souvent une illusion. C’est cette illusio
qui fait que les individus s’adaptent aux règles du jeu, qu’ils le prennent au sérieux et s’y
investissent. En ce qui concerne le second terme, l’habitus pourrait se résumer comme des
« systèmes de dispositions durables et transposables, structures structurées
disposées à fonctionner comme structures structurantes, c'est-à-dire en tant
que principe générateur et organisateurs de pratiques et de représentations
qui peuvent être objectivement « réglées » et « régulières » sans être en rien
le produit de l’obéissance à des règles, et, étant tout cela, collectivement
65
orchestrées sans être le produit de l’action organisatrice d’un chef d’orchestre »
Enfin, pour finir avec ce panorama de la théorie bourdieusienne des champs, il convient de
traiter rapidement de ce que peut-être dans l’œuvre de Bourdieu le champ journalistique. On
a d’ores et déjà pu voir que Pierre Bourdieu considérait, comme le veut la tradition marxiste,
les journalistes comme des « chiens de garde » de la bourgeoisie. Il parle d’une convergence
d’intérêts entre les médias et les journalistes et les hommes politiques. Pour Bourdieu, de
part leur formation, leur habitus, les journalistes partagent la même vision du monde que
les dominants. Les journalistes étant victime de leur ethnocentrisme. Dans son livre préfacé
par Pierre Bourdieu, Serge Halimi écrit à propos de cette connivence : « Idées uniformes et
61
62
Idem, p.38
Idem, p.37
63
64
65
Idem, p.55
Bourdieu (Pierre), Raisons pratiques, Paris, Seuil, coll. Points, 1996, p. 153.
Bourdieu (Pierre), Le sens pratique, Paris, Editions de Minuit, 1980, p.88-89
Bozonnet Grégory - 2008
19
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
déchiffreurs identiques (…) Entre eux, la connivence est de règle. Ils se rencontrent, ils se
66
fréquentent, ils s’apprécient, ils s’entreglosent. Ils sont d’accord sur presque tout. »
Pierre Bourdieu a été extrêmement critiqué pour sa théorie sur le champ journalistique.
Il a parfois été perçu comme « un "adversaire des médias" (certains chroniqueurs diront
67
même qu’il avait "insulté" les journalistes). » Le livre en ligne de mire, est, avant tout,
68
Sur la télévision
. À sa sortie, un journaliste de Libération le qualifiait de « pamphlet à
la fois pessimiste et combatif ».
Le sous-titre de notre travail, laisse entendre que nous allons nous livrer à une critique
de cette théorie du champ politique. Nous ne cherchons pas à démontrer que la théorie
est erronée dans l’absolu, ni à la dépasser. Ce que nous souhaitons montrer, c’est tout
simplement que Pierre Bourdieu s’est beaucoup appuyé sur la candidature de Coluche pour
établir sa théorie du champ politique alors que l’exemple des candidatures fantaisistes peut
en partie contredire sa théorie. Les écrits critiques sur Pierre Bourdieu sont très nombreux.
Certains cherchent à corriger un aspect d’une théorie, d’autres voudraient totalement en
découdre avec l’œuvre du sociologue. Nous pouvons noter que concernant la théorie du
champ politique, les critiques sont, en revanche, assez peu nombreuses. Nous pouvons
signaler tout de même qu’Alain Caillé critique une vision trop utilitariste du concept de
champs sociaux. Il reproche à Pierre Bourdieu de réduire la vie sociale à une logique
utilitariste et de la transformer en terrains de compétition et de concurrence entre les
individus et les groupes. Il considère que la sociologie de Pierre Bourdieu obéit à une
« axiomatique de l’intérêt », attestée par diverses propositions : l’intérêt économique est
le but ultime des acteurs parce que le capital économique est à la base de la constitution
des autres capitaux ; même si on peut sacrifier l’intérêt économique, par exemple dans
le don, les agents cherchent néanmoins à accumuler du capital symbolique, qui lui-même
à la longue permet de réaliser une plus-value économique. Par ailleurs, Bernard Lahire
affirme que Pierre Bourdieu oscille, dans sa théorie des champs, entre l’affirmation de
la nécessaire autonomisation et la dénonciation de l’absence d’autonomie, adoptant un
point de vue normatif. Ainsi, il considère l’autonomie des champs de production culturelle
comme bénéfique et hautement souhaitable. Mais, parallèlement, l’autonomie de certains
autres champs, et tout particulièrement du champ politique, est sévèrement critiquée en
raison de sa clôture qui amènerait les hommes politiques à ne plus s’intéresser qu’aux
enjeux politiciens (la « politique politicienne ») en passant par-dessus la tête des citoyens
ordinaires, dont ils sont pourtant les représentants. C’est cette autonomie du microcosme
politique qui rendrait raison en partie de la désaffection des Français pour les affaires
publiques. Il ira jusqu’à affirmer que « la théorie des champs peut être un obstacle
à la connaissance du monde social dans la mesure, tout d’abord, où elle ignore les
incessants passages opérés par les agents appartenant à un champ entre le champ au sein
duquel ils sont producteurs, les champs dans lesquels ils sont de simples consommateursspectateurs, et les multiples situations qui ne sont pas référables à un champ, réduisant
69
l’acteur à son être-comme-membre-d’un-champ. » Pour lui, la théorie des champs ne peut
pas constituer une théorie générale et universelle, mais représente une théorie partielle du
monde social.
66
Halimi (Serge), Les nouveaux chiens de garde, Paris, Raisons d’agir, 2005, p.111
67
68
69
20
Pinto (Louis), Sapiro (Gisèle), Champagne (Patrick), dir., Pierre Bourdieu, sociologue, Paris, Fayard, 2004, p.432
Bourdieu (Pierre), Sur la télévision, Paris, Liber, 1996, 95p.
Bonnewitz (Patrice), Pierre Bourdieu – vie, œuvres et concepts, Paris, Ellipses, 2002, p.70
Bozonnet Grégory - 2008
Introduction
Pour se recentrer à présent sur notre sujet, nous allons donc confronter cette théorie du
champ politique aux campagnes de Pierre Dac, Coluche et Dieudonné. A partir de la théorie
que nous avons développée, nous avons émis comme hypothèse que ces candidatures
présentées par des personnes extérieures au champ politique, seront dénoncées par les
médias et les hommes politiques. Ainsi, les premiers devraient décrier cette candidature
et rapidement cesser d’en parler, la censurer ; alors que les derniers devraient refuser
de prendre en considération ces candidatures et faire bloc pour les mettre hors-jeu. Afin
d’interroger ces hypothèses, de les infirmer ou de les confirmer, nous allons nous appuyer
sur la question suivante : en quoi peut-on dire que les comiques professionnels ayant fait
acte de candidature à une élection présidentielle ont été mis hors-jeu par le personnel
politique et les médias ? Ce qui revient à se demander dans un premier temps en quoi
les médias remplissent le rôle de gate keeper du champ politique, pour ensuite réfléchir en
quelle mesure les professionnels de la politique sont-ils amenés à manifester leur volonté
d’exclusion de ces candidatures. Le terrain que nous avons choisi est indissociable de
cette question. Des précisions s’imposent tout de même : les médias seront représentés
exclusivement par la presse écrite. Nous aurions pu décider de travailler sur les journaux
et émissions télévisés ou radiodiffusés, mais le peu de temps qui nous était imparti et la
difficulté d’accéder à de telles archives pour les élections présidentielles de 1965 et 1981
nous a amené à nous centrer sur la presse écrite. Toutefois, travailler sur la presse écrite
ne signifie pas forcément travailler sur toute la presse écrite, un choix doit encore s’opérer.
Etant donné que notre travail est centré sur les élections présidentielles, il ne semblait pas
opportun de nous tourner vers la presse écrite locale, nous n’avons donc retenu que des
titres présentés dans la presse nationale [à l’exception près du Quotidien de Paris et du
Matin de Paris, qui ont été analysés pour la candidature de Coluche après conseils de
Jean-Michel Vaguelsy, le « bureau-politique ambulant » de Coluche]. Alors que nous nous
orientions vers un corpus exclusivement composé de presse quotidienne nationale, nous
avons pris conscience qu’une grande partie du débat, notamment pour la candidature de
Coluche, était présenté dans la presse hebdomadaire, nous avons donc élargi notre terrain à
ces journaux. Afin de présenter l’angle de vue le plus large et le plus grand nombre d’articles
nous avons essayé de retenir des journaux de toutes tendances politiques. Les journaux
n’étant pas immuables, ni éternels, il était impossible de conserver la même sélection de
titres pour les trois candidatures. Ainsi pour Pierre Dac, nous nous sommes tournés vers
Le Canard Enchaîné, L’Humanité, Le Nouvel Observateur, Le Monde, L’Aurore, Le Point,
L’Express, Le Figaro. Pour la candidature de Coluche, le nombre de journaux est un peu
plus important pour plusieurs raisons, d’une part nous avons pu reprendre le corpus de
texte d’un mémoire précédent et nous avons pu l’élargir vers de nouveaux titres, et d’autre
part cette candidature a été traitée par un très large éventail de journaux différents. Ainsi,
les titres retenus sont donc Charlie Hebdo, Le Canard Enchaîné, L’Humanité, Libération,
Le Quotidien de Paris, Le Matin de Paris, Le Nouvel Observateur, Le Monde, La Croix,
Les Nouvelles Littéraires, L’Express, Le Point, Le Figaro, Minute et Rivarol. Enfin, pour
établir notre corpus pour les candidatures de Dieudonné, nous avons utilisé Factiva pour
réunir les articles des principaux journaux nationaux. Outre les titres disponibles sur Factiva
(Libération, Le Figaro, Le Monde, La Croix, L’Express, Le Nouvel Observateur) nous avons
fait des recherches sur L’Humanité, Minute et Rivarol. Dans la mesure du possible, nous
avons retenu pour ces candidatures tous les articles de ces titres faisant allusion à la
campagne des candidats et ce pendant toute la durée de celle-ci. Ainsi nous avons retenu
les articles parus entre le 13 février et le début du mois de juillet 1965 pour la candidature
de Pierre Dac ; ceux publiés du 31 octobre 1980 au début avril 1981 pour Coluche ; et de
novembre 2000 à mars 2002, puis pendant le dernier trimestre 2006 pour les candidatures
de Dieudonné. Avant de présenter nos hypothèses et nos méthodes, notons tout de même,
Bozonnet Grégory - 2008
21
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
que les titres et périodes donnés pour Pierre Dac sont donnés à titre indicatif, puisque nous
n’avons, en fait, pas trouvé la moindre ligne accordée à cette candidature dans ces journaux.
Pour Coluche et Dieudonné, le nombre d’articles total est légèrement supérieur à quatre
cents, dont trois quarts pour la candidature de Coluche qui a suscité beaucoup plus de
réactions.
Afin de présenter au mieux, le résultat de notre réflexion, nous allons dans un
premier temps interroger le rôle des médias dans l’éventuelle exclusion des comiques
professionnels du champ politique. Nous nous arrêterons souvent sur les mots et
expressions de ceux-ci car comme le soulignait Pierre Bourdieu, « parmi les choses qui
dépendent des journalistes, il y a le maniement des mots. C’est à travers les mots qu’ils
70
produisent des effets, qu’ils exercent une violence symbolique. »
Par la suite, nous
intéresser à cette exclusion en regardant par quels moyens les hommes politiques ont-ils
pu chercher à mettre au ban ces candidatures marginales.
70
Bourdieu (Pierrre), « Question de mots – une vision plus modeste du rôle des journalistes », in Les Mensonges du golfe,
Paris, Arléa, 1992, p.27-36
22
Bozonnet Grégory - 2008
Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
Les médias sont-ils les « gate keepers »
du champ politique ?
Comme nous venons de le signaler, une des critiques que nous voudrions apporter à la
théorie du champ politique de Pierre Bourdieu réside dans le rôle annoncé des médias
comme « gate keepers » du champ politique. Nous ne quittons pas, bien sûr, notre terrain
composé de journaux, mais nous évoquerons parfois les autres médias, en nous demandant
toujours si les comiques professionnels sont victimes, ou non, d’un traitement médiatique
qui aurait tendance à les écarter des campagnes durant les élections présidentielles. Pour
ce faire, nous allons dans un premier temps montrer que les médias ne marginalisent pas
quantitativement les candidatures des comiques professionnels, pour ensuite mettre en
question leur volonté d’exclure les candidats du champ politique.
Les médias ne marginalisent pas particulièrement les
candidatures fantaisistes
Dans le but d’interroger le rôle des médias dans la mise à la marge des candidatures
fantaisistes - nous utilisons ce terme générique pour désigner, rappelons-le, les
candidatures de Pierre Dac, Coluche et Dieudonné – nous allons analyser dans un premier
temps le traitement quantitatif de ces candidatures dans la presse, pour ensuite mettre en
question une possible stratégie de la censure de la part de ces candidats.
Aux candidats fantaisistes la levée de rideau, aux candidats patentés
le reste de la campagne
Afin d’essayer de quantifier, l’évolution du traitement médiatique des candidatures
fantaisistes, nous allons faire une présentation diachronique de ces campagnes. Nous
verrons donc dans un premier temps le comportement des médias au moment de l’annonce
de la candidature des comiques professionnels, pour ensuite nous intéresser au traitement
médiatiques des dites campagnes quelques mois avant le premier tour.
Une couverture médiatique en début de campagne que beaucoup envient
« On peut aimer ou détester leur numéro, on peut aimer ou, redouter ce qu'ils
71
annoncent, on ne peut pas les ignorer. »
Afin de préciser le traitement médiatique des campagnes des humoristes professionnels,
nous nous devons tout d’abord de rappeler que nous n’aborderons quasiment pas la
candidature de Pierre Dac. Nous reviendrons, par la suite, sur les raisons qui ont pu pousser
les journaux à ne pas parler de cet acte de candidature, mais nous pouvons, d’ores et déjà,
71
Chambraud (André), « Cassandre et le saltimbanque », Le Point, 24 novembre 1980, n°427, p.44
Bozonnet Grégory - 2008
23
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
préciser que le livre que lui a consacré Jacques Pessis, Pierre Dac, mon maître soixante72
trois , ne traite de cette candidature que sur quelques lignes alors que l’ouvrage atteint
presque les cinq cents pages. Cela montre que contrairement aux deux autres comiques
qui ont fait acte de candidature à une élection présidentielle, la candidature de Pierre
Dac n’a pas été un temps fort de sa carrière. En ce qui concerne les candidatures de
Coluche et de Dieudonné, les choses sont différentes, malgré certaines similitudes. Lorsque
Coluche annonce son intention de se présenter, aucun des grands candidats n’a fait acte
officiellement de candidature. En fait, Coluche se déclare, nous l’avons vu, le 30 octobre
1980, alors que la déclaration officielle de candidature de François Mitterrand aura lieu le 24
janvier 1981 et celle Valéry Giscard d’Estaing, le 3 mars. Même si la candidature à sa propre
succession de VGE ne faisait guère de doute et que dès la mi-novembre la candidature de
François Mitterrand était amorcée au sein de son parti, nous sommes en mesure d’imaginer
que l’absence de déclarations officielles va laisser un espace dans lequel vont se précipiter
les petits candidats et notamment les candidats fantaisistes. C’est probablement ce qui
peut justifier les annonces de candidatures très anticipées de Dieudonné M’bala M’bala,
en effet, il se déclara candidat le 30 novembre 2000 pour la présidentielle de 2002, et en
janvier 2006, pour celle de 2007. À titre d’exemples, notons que Jacques Chirac s’était
officiellement déclaré candidat le 11 février 2002 et Lionel Jospin, le 20. Cet élément avait
aussi d’ailleurs caractérisé la candidature de Pierre Dac, déclaré candidat en février 1965,
alors que François Mitterrand ne l’avait fait que le 9 septembre et Charles de Gaulle, le 4
novembre.
Coluche pense que le succès de sa candidature réside dans cet élément, il déclara, en
effet, « j'ai envoyé un télégramme aux agences pour annoncer une conférence de presse.
Tous les journalistes étaient là. Ils se sont dit : si je n'en parle pas, lui en parlera... Et c'est
parti... En plus, les journaux ne savaient pas quoi dire. Normal : les principaux candidats ne
73
l'étaient pas...» La recette fonctionne à merveille. La campagne de Coluche est annoncée
à la radio et à la télévision. La presse est présente pour relayée l’information. À travers un
article en une, et une interview du candidat Coluche, Libération affirme d’ores et déjà la
sympathie que sa rédaction peut avoir pour la candidature de l’humoriste. Si ce journal va
réussir à décrocher une interview, c’est, il faut le dire, parce que Maurice Najman, journaliste
à Libération proche de Romain Goupil était devenu un ami de Coluche. Ce quotidien n’est
toutefois pas le seul à rendre compte de cette conférence de presse. Le Matin de Paris,
Le Quotidien de Paris, et surtout La Croix et Le Monde annonceront cette candidature
le lendemain dans leurs colonnes, souvent avec un titre en une. Le Monde va montrer
toute la complexité de rendre compte de cette « plaisanterie à caractère social ». En effet,
c’est Mathilde la Bardonnie qui devra couvrir cet événement. Le choix d’envoyer cette
journaliste en dit long sur les intentions du journal puisqu’elle couvre habituellement les
pages spectacles, théâtre. Pourtant, le lendemain, c’est à la page huit que l’on retrouve
l’article sur Coluche, soit dans les pages politiques. Il est possible que le quotidien de
référence ait pris le temps d’observer ce que les autres rédactions faisaient pour prendre
leur décision. Tous les autres journaux ayant, en effet, publiés cette information dans leurs
colonnes politiques. Nous insistons, beaucoup sur la place accordée à cette information,
parce que, pour nous, il s’agit d’un premier élément qui peut quelque peu contredire ce
que pouvait écrire Pierre Bourdieu. Paraître dans les colonnes politiques d’un journal aussi
important que La Croix ou Le Monde correspond pour Coluche à une première estampille
politique. D’autant plus que l’article signée Mathilde la Baronnie est tout à fait élogieux : « Ce
72
Pessis (Jacques), Pierre Dac, mon maître soixante-trois, Paris, éditions François Bourin, 1992, 479p.
73
24
Najman (Maurice), « Coluche conférencier à Polytechnique », Libération, 20 janvier 1981, n°, p.9
Bozonnet Grégory - 2008
Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
serait quand même drôle, ce serait quand même bien s'il les recueillait, Coluche, le candidat
Coluche, les satanées cinq cents signatures de "personnalités" habilitées au parrainage
74
pour Le marathon présidentiel. Ce serait "sympa" » . A travers ces articles Coluche a fait
plus qu’entrer dans les colonnes politiques, il est entré dans la campagne. En fait, il ne
quittera plus les pages politiques avant le 26 novembre et la mort de son régisseur-lumières
René Gorlin. À ce moment précis de la campagne, il entrera dans la rubrique faits divers,
puisque son régisseur a été retrouvé mort assassiné dans une carrière désaffectée. En
outre, une semaine plus tard, Coluche recevra des menaces de mort signées « Honneur
de la police », groupe qui avait revendiqué l’assassinat de Pierre Goldman en septembre
1979. Ces deux événements marqueront un tournant dans la campagne de l’humoriste qui
avait pris ses habitudes dans les colonnes politiques.
Le début de candidature de l’humoriste Dieudonné sera très similaire à celui de la
candidature de Coluche, qu’il prend pour modèle. En effet, il a, à son tour, décidé d’amener
les journalistes sur son terrain. Ainsi, alors que Coluche avait tenu une conférence de presse
au théâtre du Gymnase, Dieudonné a invité les journalistes au théâtre de la Main d’or. À
cette occasion il a placé son initiative dans « le courant d'action de Coluche » en affirmant
75
qu’il était « attaché à ce personnage comme le RPR est attaché au gaullisme» . D’ailleurs
quand un journaliste lui demandera des prévisions sur sa candidature, Dieudonné répondra
avec des expressions que Coluche utilisait lors de sa candidature. « Quitte à voter pour des
humoristes, autant voter pour des professionnels. Un bouffon à la cour doit parfois prendre
la couronne et se la mettre sur la tête. On me pose souvent la question de savoir si ma
76
candidature est sérieuse. Pourquoi ne pas aussi la poser aux autres ? » Mais si Dieudonné
reçoit lui aussi, le droit d’être accueilli dans les colonnes politiques des quotidiens français.
Il en sortira beaucoup plus vite que Coluche puisqu’en fait, malgré le fait qu’il ait annoncé sa
candidature très tôt, il ne rentrera en campagne que quelques semaines avant le premier
tour de l’élection présidentielle. « Dieudonné erre entre deux spectacles et deux promos.
Pour corser le tout, [il] est injoignable, entre deux voyages, entre deux scènes. Bref, loin
de sa campagne électorale. Elle se jouera essentiellement sur la scène de Bobino, à partir
77
du 7 février et jusqu'au 7 avril. Soit deux semaines avant le premier tour. »
Pour revenir à la candidature de Coluche, si nous parlions d’une première estampille
politique en évoquant son entrée dans les colonnes politiques du Monde, ce qui va
réellement lui faire prendre du poids dans la campagne, c’est la une que va lui consacrer
le Nouvel Observateur la semaine même où François Mitterrand va se déclarer disponible
pour mener le parti socialiste à l’élection présidentielle. Philippe Boggio écrit, dans sa
biographie de référence, que « le 17 novembre, Le Nouvel Observateur donne, plus
78
ou moins volontairement, un sérieux coup de pouce à cette campagne fourre-tout.»
L’expression « plus ou moins volontairement » est de rigueur. À la lecture des articles
publiés dans ce magazine, il est difficile de penser que le magazine ait réellement voulu
79
aider Coluche. En effet, on peut relever dans son éditorial que Jean Daniel, qui craint
que la candidature de Coluche puisse « dégénérer rapidement en un mouvement de pure
74
75
76
77
78
79
La Bardonnie (Mathilde), art.cit., p.8
« Dieudonné, candidat à la présidentielle », Libération, 1
er
Décembre 2000, p.18
Douguet (Gwen), « Dieudonné, le sérieux du bouffon », Le Figaro, 13 juin 2001
Hassoux (Didier), « Le « cocorico » de Dieudonné », Libération, 2 février 2002
Boggio (Philippe), Coluche, Paris, Flammarion, 1991, p.248
Daniel (Jean), «De Coluche à Peyreffite », Le Nouvel Observateur, 17 novembre 1980, n°836, p.44
Bozonnet Grégory - 2008
25
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
vulgarité antipolitique », pense que la présence de l’humoriste à cette élection montre que
« nous sommes au creux de la vague ». Toutefois, outre cet article, ce numéro du Nouvel
Observateur présente un portrait de « La France de Coluche » et surtout un sondage qui va
faire grand bruit. Nous reviendrons plus tard sur la présence de Coluche dans les sondages,
mais notons que celui-ci, bien qu’il n’ait pas la moindre valeur scientifique, va faire le jeu de
Coluche. 27% des 500 abonnés au Nouvel Observateur parisiens interrogés se déclarent
enclin à voter Coluche. Notons qu’en outre, ce numéro du Nouvel Observateur est loin
d’être passé inaperçu. Vendu à grand renfort de publicité, comme on peut le voir ci-dessous,
80
l’hebdomadaire aurait, selon Jean-Michel Vaguelsy , augmenté de 65% ses ventes sur ce
numéro, soit un peu plus de quatre cent mille exemplaires. Coluche entre dans la campagne
et prouve aussi par la même occasion qu’il peut être une véritable manne financière.
Peut-être par effet d’imitation, ce que Pierre Bourdieu appelle la « circulation circulaire
de l’information », ou peut-être parce que dédouanés par le fait qu’ils ne sont pas les
premiers à le faire, les journalistes vont se sentir plus libres d’écrire sur Coluche, mais
c’est après ce numéro du Nouvel Observateur que la campagne de Coluche va connaître
sa plus grande médiatisation. Coluche sera invité sur France Inter quelques jours plus
tard et L’Humanité ainsi que Le Figaro vont faire paraître leurs premiers articles sur cette
candidature. « C’est l’embrasement. La plus forte couverture de presse qu’un homme
81
politique puisse espérer. »
Il ne se passe pas un jour sans qu’un article à propos de
Coluche paraisse dans un grand quotidien national. Le Monde retranscrit au jour le jour
tous les commentaires que les hommes politiques et autres personnalités médiatiques
peuvent faire sur la candidature de Coluche. Un éditorial signé Raymond Barillon redonnera
une fois encore une vraie importance à la candidature de Coluche, même si sa position
est diamétralement opposée à celle que Mathilde la Bardonnie exposait en début de
campagne. De nombreux éditorialistes saisissent d’ailleurs l’occasion pour critiquer un fait
plus ou moins lié et pour donner leur point de vue sur l’état actuel de la France. Le Matin
de Paris consacrera un article presque tous les jours à cette candidature et réservera
même, le 24 novembre, quatre pages centrales pour un débat sur cette campagne au
sein de la rédaction. Les journalistes du Quotidien de Paris, plus critiques, s’interrogent
sur cette candidature, pendant qu’un, voire plusieurs articles, sont publiés chaque jour
dans Libération. Articles sur les intellectuels, reportages dans les comités de soutien à la
candidature de Coluche, les journalistes de Libération ne laissent pas passer une occasion
de s’exprimer à ce sujet.
Du côté de la presse hebdomadaire, l’article du Nouvel Observateur a lui aussi ouvert
la porte à de nombreuses pages publiées sur Coluche. L’équipe de Charlie Hebdo n’avait
pas attendu le magazine proche du parti socialiste pour exprimer, à ce sujet, toute leur
créativité, mais des hebdomadaires comme Le Point commenceront à faire paraître des
articles au sujet de cette candidature la semaine suivant la parution du numéro sur « la
France de Coluche ». La rédaction du Nouvel Observateur probablement satisfaite des
ventes du numéro précédent laissera une place sur ses unes les deux semaines suivantes
pour la candidature de Coluche. Elle va s’intéresser notamment aux retombées de l’article.
Sans que Coluche n’ait réellement fait acte de campagne, il n’a pas tenu de réunions
publiques en dehors de sa conférence de presse du mois d’octobre, il y a eu un véritable
emballement médiatique. De nombreuses émissions sont proposées à Coluche. « Les
responsables des sociétés de télévision ne dev[aient] pas considérer comme, négligeable
80
81
26
Vaguelsy (Jean-Michel), op.cit., p.43
Boggio (Philippe), Coluche, Paris, Flammarion, 1991, p.244
Bozonnet Grégory - 2008
Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
82
cette occasion de faire grimper les sondages d'audience. » Il sera ainsi invité au mois de
décembre à Radio-7, et en plus d’autres émissions de variétés, il participera à l’émission
prévue pour le réveillon de la Saint Sylvestre sur France 2. Du moins, c’est ce qui était
prévu. Après la mort de René Gorlin, qui va être vraisemblablement l’événement le plus
médiatisé de la campagne de Coluche, l’excitation médiatique va retomber d’un cran. Ceci
n’est probablement pas lié à ce meurtre dans l’entourage de Coluche, mais à d’autres
éléments que nous allons analyser par la suite. On peut souligner, en effet, qu’un dernier
point sera très médiatisé, il s’agit du premier sondage d’opinion dans lequel Coluche est
proposé comme item. Nous en reparlerons, mais on peut dire que les 10 ou 12,5% dont il est
crédité dans ce sondage (selon la présence, ou non, de Michel Debré) vont probablement
beaucoup marquer cette campagne.
Avant de poursuivre notre réflexion, nous voudrions reproduire, trois graphiques que
nous avions réalisés lors d’un précédent travail. Ces graphiques ont été réalisés en prenant
en compte le nombre de mots des articles ayant pour sujet principal Coluche dans chaque
journal traité. On ne retrouve pas l’ensemble des titres présentés pour la simple raison que
notre corpus pour ce précédent travail était moins large.
A travers ce graphique, nous voyons que malgré le fait qu’il restera quinze semaines de
campagne après la parution du sondage dans Le Quotidien de Paris seul Libération (et dans
une toute autre mesure L’Humanité) continuera à faire paraître à peu près autant d’articles
au sujet de cette candidature. Nous reproduisons aussi, ci-dessous, deux graphiques
montrant l’évolution chronologique du traitement dans la presse de candidatures de
Coluche. Nous voyons que ce traitement a été beaucoup plus bref dans les hebdomadaires,
malgré le fait qu’ils aient commencé plus tard, ces magazines ont plus vite cessé de
rendre compte de cette candidature. Nous voyons aussi que le traitement médiatique de la
campagne de Coluche retrouvera un nouvel essor en fin de campagne, ce que nous allons
par la suite tenter d’expliquer.
L’extinction prévisible du feu médiatique à la fin de la précampagne
« Coluche est parti trop tôt. A force de se répéter. Il va finir par nous
83
emmerder. »
A travers les graphiques que nous venons de présenter nous pouvons voir que les
journalistes qui avaient écrit massivement sur la campagne de Coluche vont peu à peu
cesser d’en parler. Avant de relever les causes de ce ralentissement, nous nous devons de
rappeler que la médiatisation était particulièrement importante au début de la campagne ce
qui nous a amené à nuancer l’idée de Pierre Bourdieu comme quoi les journalistes seraient
les gardiens de l’entrée du champ politique. En fait, nous pouvons même souligner qu’une
candidature comme celle de Coluche met la théorie bourdieusienne du champ journalistique
face à un certain paradoxe. En effet, d’un côté, Pierre Bourdieu pense que les journalistes
vont interdire l’entrée des fantaisistes dans le champ politique de l’autre, pour cet auteur,
« les journalistes "opèrent une sélection et une construction" du réel à parti de "lunettes" bien
particulières qui les amènent à privilégier le sensationnel et le spectaculaire au détriment
84
du reste» , ainsi ils pourraient être amenés à traiter cette candidature puisqu’elle est très
médiatique et qu’elle a le mérite de faire vendre des journaux. En voyant se dessiner les
graphiques que nous présentions auparavant, nous avons pu émettre l’hypothèse que la
82
83
84
La Bardonnie (Mathilde), art.cit., p.8
Lhomeau (Jean-Yves), « Il est parti trop tôt », Le Monde, 3 décembre 1980,n°11 148 p.10
Bourdieu (Pierre), Sur la télévision, op.cit., p.18
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L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
presse se défaisait de ce paradoxe en profitant du côté spectaculaire de telles campagnes
dans un premier temps puis en reprenant son rôle plus sérieux de gate keeper dans un
second. C’est que nous allons essayer de comprendre dans cette partie.
Sur le schéma présenté précédemment, nous avions indiqué la date du 31 décembre
avec la légende : « Antenne 2 censure Coluche », nous reviendrons par la suite pour essayer
de préciser s’il y a eu, ou non censure, mais notons que les deux émissions que nous citions
auparavant, celle de Radio-7 et celle d’Antenne 2 seront finalement décommandées. En
fait, Coluche ne réapparaîtra pas en direct à la télévision après l’émission de Guy Lux sur
85
TF1 le 10 décembre 1980 , il fera une mince apparition dans un sketch enregistré au début
de l’année 1981 sur la même chaîne. Il en va de même pour la radio dont il disparaîtra
totalement jusqu’à la fin de la campagne. Coluche se rendra d’ailleurs au siège de Parti
Socialiste, le soir de la victoire de François Mitterrand, le 10 mai, et lorsqu’un journaliste
essaiera de lui demander ce qu’il pense de la victoire socialiste, il répondra simplement
« Tiens donc vous êtes là ? Ça fait longtemps que je ne vous avais pas vus ! ».
Toutefois, il faut souligner que le traitement médiatique de la candidature de Coluche
n’a pas totalement pris fin après la parution du sondage dans Le Quotidien de Paris. Notons
tout d’abord que la semaine suivante, Coluche sera en une de L’Express pour un dossier
de plusieurs pages qui mobilisera quatre journalistes. Bien que les articles de ce magazine
furent un concentré de tout ce qui a pu être écrit de plus agressif sur l’humoriste et sa
campagne, ce numéro prouve au moins que Coluche continue à faire débat dans la presse
écrite. D’ailleurs, leur premier numéro de l’année 1981 réservera une place conséquente à
un débat des lecteurs sur le dossier paru le 17 décembre 1980. Parallèlement, les autres
journalistes de la presse hebdomadaire continuent à présenter des articles sur le sujet.
Un article dénonçant la censure faite à cette candidature peut être lu dans les colonnes
du Nouvel Observateur, pendant que dans Le Point on peut toujours trouver des analyses
politiques de cette campagne, notamment appuyées par des sondages. Du côté de la
presse quotidienne, Coluche est loin d’avoir totalement disparu. Si les journalistes du Figaro
attendront l’annonce du retrait de la candidature de Coluche, le 16 mars 1981, pour réaborder directement le sujet (entre temps, ils font paraître des articles qui indirectement
concernent Coluche, par exemple, un article qui explique l’intérêt de la loi des cinq cents
86
signatures et un article qui appelle à la reconnaissance des votes blancs et nuls pour
87
éviter les candidatures fantaisistes ) la plupart des journaux vont rendre compte de tous les
faits de campagne de l’humoriste. En effet, Coluche avait profité d’un véritable emballement
médiatique sans qu’il n’ait vraiment réalisé le moindre acte de campagne. Cet emballement
ayant fini par s’estomper, le « candidat nul », va concevoir quelques événements pour
attirer les médias. Ainsi, les 17 et 19 janvier, Coluche va respectivement proposer de faire
scène commune avec des petits candidats et donner une conférence chez les X. Ces deux
événements seront de relatifs échecs médiatiquement parlant. Toutefois, on peut noter que
les deux événements sont relayés dans Le Monde ainsi que dans Libération, Le Matin
et Le Quotidien de Paris, même le journal L’Humanité pourtant peu prolixe au sujet de
l’humoriste, rappelons qu’il est à l’époque l’organe officiel du Parti Communiste Français,
publiera quelques mots à propos de la venue de Coluche à Polytechnique à l’initiative
d’une des listes en lice pour devenir le nouveau bureau des élèves de l’école. Le dernier
fait de campagne de l’humoriste sera développé plus en détails par la suite, lorsque nous
85
86
87
Vaguelsy (Jean-Michel), op. cit., p.56
Thibon (Pierre), « Présidentielle, Pourquoi cinq cents », Le Figaro, 10 mars 1981, n°11 357, p.1
Desaubiliaux (Patrice), « Contre les candidatures fantaisistes, La reconnaissance du bulletin blanc », Le Figaro, 27 janvier
1981, n°11 321, p.6
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Bozonnet Grégory - 2008
Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
reviendrons sur cette loi des cinq cents signatures, mais notons qu’il sera tout de même
traité dans trois quotidiens nationaux, dont Le Monde, alors qu’il s’agit d’une conférence
de presse dédiée exclusivement aux médias anglo-saxons. Lors de cette conférence de
presse, Coluche a, en effet, annoncé qu’il avait réuni 632 signatures d’élus habilités ce qui
lui permettrait d’aller au premier tour de l’élection présidentielle.
Force est de constater, que du 30 octobre au 2 avril, la presse écrite n’a jamais
totalement cessé de traiter la candidature de Coluche. Si l’emballement médiatique s’est
certes estompé au bout de quelques semaines, de nombreux journaux étaient encore là
au moment où Coluche a annoncé qu’il continuait sa campagne après avoir envoyé une
dépêche à l’AFP comme quoi il donnerait une conférence de presse pour annoncer son
retrait de la course à la candidature. Il annonce, en effet, le 16 mars, qu’il ne réunira pas les
signatures nécessaires, tout en continuant à faire croire qu’il est encore candidat, ce que
Le Monde fait tout de même paraître dans les colonnes de son journal. Pour rester dans
ce quotidien de référence tout en avançant un peu dans la compréhension du traitement
médiatique de cette candidature, nous avons réalisé ce tableau qui présente les articles
parus en pages politiques du Monde et leur répartition par candidat.
Nous pouvons souligner que la candidature de Coluche, même dans la dernière partie
de sa campagne n’est pas moins médiatisée que celles des autres petits candidats. C’est
finalement plutôt le traitement médiatique de son début de campagne qui semble anormal.
En effet, nous pouvons remarquer que lors des deux premiers mois de la campagne de
l’humoriste, seuls François Mitterrand et Valéry Giscard d’Estaing se sont vus accorder
plus d’articles que Coluche, et aucun n’a réussi à obtenir autant de brèves (nous avons
considéré comme brève, tout article occupant moins d’un quart de page). Dans la suite
de la campagne, Coluche se voit accorder un nombre d’articles supérieur à la plupart
des petits candidats que nous avons pourtant choisi parmi les plus médiatiques de cette
campagne présidentielle, ce qui le place, comme il le déclarait en début de campagne,
dans la position de « � cinquième candidat � le premier des vingt-cinq candidats qui n’ont
88
aucune chance» . On peut tout de même souligner que plus on approche de la fin de la
campagne, plus les articles traitant de l’humoriste se raréfient, pour d’autant plus renforcer la
présence de François Mitterrand et de Valéry Giscard d’Estaing, ainsi que celle de Jacques
Chirac et Georges Marchais, les quatre candidats que Coluche, mais également d’autres
observateurs, se plaisaient à nommer « la bande des quatre ». Pierre Bréchon développe
cette idée dans son ouvrage que nous citions auparavant : pour lui, l’avènement de l’élection
du Président de la République au suffrage universel direct a fait que la vie politique française
s’organise de plus en plus autour de cet événement, ce qui a donc eu de « puissants effets
89
bipolariseurs » . Cet effet bipolariseur étant donc prévisible, on pouvait anticiper le fait
que la candidature de Coluche soit de moins en moins traitée à l’instar de celle des autres
petits candidats. D’autres éléments vont peut-être aller dans ce sens. En fait, on peut noter
une sorte de phénomène d’usure, de lassitude. On voit sur le graphique que certaines
semaines, les journalistes de Libération, que l’on peut difficilement accuser de vouloir se
détourner de la campagne de l’humoriste, ne trouvent rien à écrire à ce sujet. Il faut dire
que la campagne de Coluche n’a pas été très fournie en événements, il n’a par exemple
jamais fait le moindre meeting, n’est jamais allé à la rencontre de comités de soutien à sa
candidature qui s’étaient formés ça et là. Il est vrai que Coluche a alimenté, tout au long de sa
campagne, les journaux qui soutenaient sa candidature, il convient d’ailleurs de préciser un
88
89
La Bardonnie Mathilde, art.cit, p.8
Bréchon (Pierre) (dir.), Les élections présidentielles en France – quarante ans d’histoire politique, Paris, La documentation
française, 2008, p.21
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L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
peu leur rôle. Le journal officiel de cette campagne sera sans conteste Charlie Hebdo, mais
Coluche sera également invité à collaborer au journal Libération par des aphorismes publiés
quotidiennement entre le 4 novembre et le 20 janvier 1981. Ces deux journaux fidèles à
Coluche le font tout d’abord par amitié. Nous avons déjà pu préciser que Maurice Najman,
était devenu un ami de Michel Colucci, et il en était de même pour l’équipe de Charlie Hebdo
qui se retrouvait très régulièrement réunie au domicile de l’humoriste. De plus, « Maurice
Najman [et] les amis de Charlie-Hebdo se comptent parmi les réfractaires à cette élection,
90
pour eux sans enjeux.» Grâce à leur soutien, Coluche pouvait bénéficier d’une tribune
garantie pour la durée de l’élection. Pourtant, preuve que si les autres journalistes vont
petit à petit se désintéresser de la campagne de l’humoriste, c’est aussi parce qu’il y a une
lassitude de celui-ci, et Coluche va de sa propre initiative cesser de publier ses aphorismes
dans les colonnes de Libération. Ce fait montre combien il est dur pour un humoriste de
tenir la distance sur une campagne aussi longue. Coluche a probablement finit par perdre
son inspiration et par lasser. C’est ce qui ressort de la confession faite à un journaliste de
Libération par Berroyer, pourtant proche de Coluche : « quand il n'est pas là pour le dire
avec sa voix, ses tics et son gros bide en avant, personne ne rit. La phrase quotidienne
de Libé par exemple, je trouve ça nul ». C’est déjà ce qu’avait mis en avant Delfeil de Ton
dans Le Nouvel Observateur du 17 novembre 1980 : « Coluche, candidat à la présidence
de la République, y va de sa pensée tous les jours dans Libération. C’est aussi nul que
ce que racontent les autres candidats. Il serait temps que ça change ». En outre, sans
vouloir porter de jugement, les pages allouées à la candidature de Coluche dans Charlie
Hebdo, intitulées Coluche Hebdo, ne sont qu’une succession de messages envoyés par
les supporters de la candidature de Coluche, l’humoriste n’ayant jamais alimenté lui-même
ces pages. Nous pouvons tout de même ajouter, qu’en dehors de ces pages, l’équipe de
Charlie Hebdo trouvera toujours d’excellents moyens de soutenir la campagne, notamment
à travers les appels situés en dernière page jusqu’à la fin du mois de Janvier. En panne
d’inspiration et sans réels actes de campagnes, on était en mesure d’imaginer que les autres
journaux allaient se détourner de cette candidature. Ce que prévoyait très tôt un journaliste
de Libération : « L'effet-media devrait à présent s'estomper : on ne peut répéter à longueur
91
de colonnes : la politique est malade, le discours politique doit se renouveler.» Quand
Coluche met fin à sa campagne, on peut lire dans Le Quotidien de Paris : « Ainsi estil mis fin à une plaisanterie qui ne devenait pas meilleure de traîner en longueur. Depuis
quelque temps déjà le cœur n'y était plus ; le bluff ne faisait que cacher la déconfiture et il y
a quinze jours, le candidat nul (et nu), incapable de créer l'événement, avait paru quelque
92
peu dépassé » .
Maintenant que nous avons précisé le traitement médiatique de la fin de campagne
de Coluche, il convient de revenir sur celle de Dieudonné. Nous allons être plus bref à son
sujet dans la mesure où nous reviendrons en grande partie sur cette médiatisation dans la
suite de notre réflexion sur la censure. Notons tout de même que, comme nous le signalions
auparavant, Dieudonné n’a entamé sa campagne qu’au début de l’année 2002. Il est donc
arrivé dans la dernière ligne droite, ce qui aurait pu expliquer que les journaux se détournent
de lui, pour se centrer sur des candidatures qui ont plus de probabilité d’arriver au second
tour. En fait, la candidature de Dieudonné va plutôt recevoir un accueil positif. Dieudonné, a
par exemple été reçu à « France Europe Express », le 10 février 2002. Il sera d’ailleurs invité
à débattre avec François Raffarin, alors président de la région Poitou-Charentes et vice
90
91
92
30
Boggio (Philippe), op.cit., p.239
Roland-Levy (Fabien), « Coluche en orbite », Libération, 24 novembre 1980, n°2108, p.9
Jamet (Dominique), « Coluche out », Le Quotidien de Paris, 16 mars 1981, p.32
Bozonnet Grégory - 2008
Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
président de démocratie libérale. C’est sa première estampille politique puisque Dieudonné
était entré en campagne quelques jours auparavant en faisant annoncer par un comité de
soutien, dont on ne connaissait pas la composition, qu’il avait réuni les cinq cents signatures
nécessaires.
Cependant, contrairement à Coluche, il quittera très rapidement les pages politiques,
puisque pour attirer les médias, il utilisera, comme nous l’avons longuement détaillé en
introduction, la polémique. À peine entré en campagne, il déclarera qu’il préfère le charisme
de Ben Laden à celui de Georges Bush ce qui lui vaudra une place dans les colonnes
judiciaires, plus que dans les pages politiques. On peut tout de même souligner que ses
propos lui ont ouvert les portes des studios de France Inter dont les journalistes lui ont
demandé de s’expliquer à ce sujet. Il sera également en débat dans les colonnes du Figaro
avec notamment un article signé de la main d’Alain Finkielkraut. Après moins de deux
mois de campagne, et sans reconnaître qu’il n’avait pas réussi à réunir les signatures
nécessaires, Dieudonné quitte l’aventure présidentielle. En 2007, la campagne va se
dérouler tout à fait différemment, nous en reparlerons beaucoup plus longuement par la
suite. Notons tout de même que cette fois-ci Dieudonné veut s’investir totalement sur le
terrain politique. Il lancera sa candidature en présentant ses vœux à la presse, il se rendra
par la suite au salon de l’Agriculture, et proposera un vrai programme. Toutefois, il sortira
de la campagne dès le 12 octobre 2006 sans avoir réussi à tirer la couverture médiatique
à lui. Il faut dire que ses récents propos, et ses vingt-deux relaxes pour des accusations
allant jusqu’à « incitation à la haine raciale », vont entraîner les médias à être très prudents
à son propos. En cherchant sur Factiva, dans toutes les sources francophones, nous avons
trouvé 1377 articles consacrés à l’humoriste entre janvier 2006 et avril 2008 (la recherche
Dieudonné dans Factiva entraîne beaucoup plus de réponses mais elles sont sans rapport
avec l’humoriste), il faut reconnaître que beaucoup d’articles se recoupent, mais surtout
que la plupart sont en rapport avec ses propos et non sa candidature. Toutefois, nous
avons comparé avec les différentes personnes qui se sont déclarées candidates à l’élection
présidentielle, il se classe en quinzième position, les trois premiers étant Nicolas Sarkozy
(78 032), Ségolène Royal (50 545), François Bayrou (21755). Bien que ces chiffres n’aient
pas de réelles significations, nous pouvons noter que Dieudonné se situe assez loin du
premier petit candidat, José Bové et les 7458 articles qui ont traité de sa candidature, mais
qu’il est devant des candidats comme Bruno Mégret (1270) ou Frédéric Nihous (1233)
qui s’appuient pourtant sur un parti. Nous allons analyser plus en détails cette mise au
ban des candidatures de Dieudonné, à présent en questionnant l’idée de censure de ces
candidatures. Mais auparavant, notons que Dieudonné a pu s’appuyer sur un média fidèle,
le site lesogres.org. Les OGRES (Ouverture géographique, religieuse, ethnique, sociale)
est un site qui se déclare pour le « Dialogue critique légal avec les intégristes contre
93
l’intégrisme ». Anne-Sophie Mercier parle d’« un site qui lui est tout réservé. » Ce qui n’est
pas tout à fait vrai, puisque ce site soutien également des personnes aussi diverses que
Denis Robert et Tariq Ramadan. Mais ce qui est certain, c’est que ce site soutient totalement
Dieudonné. On peut trouver des titres comme « Dieudonné. Une chance. », mais on retrouve
surtout chaque faits et gestes de l’humoriste pendant sa campagne et un appui de poids
pour dénoncer en permanence la censure et la désinformation.
La stratégie de censure
93
Mercier (Anne-Sophie), La vérité sur Dieudonné, Paris, Plon, 2005, p.128
Bozonnet Grégory - 2008
31
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
94
« Coluche censuré et menacé, pour bien enfoncer le clown » .
Maintenant que nous avons précisé en détails le traitement médiatique de ces candidatures,
nous nous devons de mettre en question l’idée qu’elles aient été censurées. Afin d’avancer
sur ce plan, nous allons donc analyser la stratégie de censure mise en place par les
candidats pour ensuite essayer de voir s’il on peut, ou non, affirmer qu’ils ont été exclus
des médias.
Quoiqu’il arrive, criez « censure ! »
Une fois encore, nous traiterons dans cette partie de notre réflexion essentiellement les
candidatures de Dieudonné et de Coluche. Contrairement aux deux autres comiques
professionnels ayant fait acte de candidature à une élection présidentielle, Pierre Dac ne
s’est jamais plaint de la censure. Nous évoquions pourtant le fait qu’aucun journaliste, en
dehors de L’Os à Moelle, n’a évoqué cette candidature. Nous pouvons imaginer que ceci
est lié à deux points différents, d’une part Pierre Dac n’a jamais cherché à être médiatisé,
sa campagne se voulait interne à son journal. D’autre part, on peut noter que comme
le soulignait Bruno Fuligni, « en 1848, nul ne se serait amusé à ridiculiser le suffrage
universel. » On peut imaginer que les journalistes aient fait preuve d’autocensure, étant
donné qu’il s’agissait de la première élection du Président de la République au suffrage
universel direct, de peur de porter préjudice à une institution encore trop fragile. Enfin,
soulignons que Pierre Dac s’est déclaré candidat très tôt alors qu’à l’époque la période
de campagne était nettement plus courte. Ces éléments à propos de Pierre Dac indiqués,
nous allons nous intéresser plus en détails à une éventuelle stratégie de censure dans les
candidatures de Coluche et de Dieudonné. Tout d’abord, définissons ce que nous entendons
par ce terme. Il s’agit de dénoncer en toute circonstance la censure que l’on subit. Dès qu’un
micro se tend, il faut se plaindre d’être toujours censuré. Ainsi, on espère obliger les médias
à ouvrir davantage leurs portes ou sinon, on espère récolter un statut de victime qui permet
de dénoncer un peu plus le système face auquel on se porte en faux.Voltaire écrivait à ce
sujet, en introduction de son Poème sur le désastre de Lisbonne que « c’est le propre de la
censure violente d’accréditer les opinions qu’elle attaque ». Certains candidats pourraient
donc être tentés d’accréditer leur thèse en se faisant plus ou moins volontairement censurer.
Dans un premier temps nous allons nous intéresser à la candidature de Coluche, pour
ensuite analyser la vision plus politique de la censure dans les candidatures de Dieudonné.
La première apparition de l’idée de censure dans la campagne de Coluche est datée du
5 novembre 1980, alors que la candidature de Coluche était présente dans les colonnes de
tous les journaux ainsi que dans les autres médias, Arthur écrivait « Coluche, roi de l'audio
visuel (…) on ne l'entend ni ne le voit sur les ondes et les écrans. Si Coluche était un écrivain
95
timide, on le ferait parler, croyez-moi ! » . Coluche ne manquait d’ailleurs de le faire dans
ses aphorismes quotidiens publiés dans Libération, ainsi, le 3 décembre, le lendemain de
la publication du sondage dans Le Quotidien de Paris il écrivit « Salut les sondés : 10%
des intentions de vote pour moi, ça veut dire que 90% des mécontents hésitent encore.
96
Je monte dans les sondages. Va-t-on me renvoyer "la censure" ? »
Prémonition ou
provocation, difficile de trancher. Rappelons que c’est à partir de cette période que Coluche
va se voir refuser des émissions de télévisions et de radios prévues de longue date. C’est
ainsi qu’Europe 1 va lui refuser l’émission « Club de la presse » qui lui avait été promise à
94
Le Canard enchaîné, 3 décembre 1980, n°3136, p.8
95
96
32
Arthur, « Colucci, Coluche and C° », Charlie Hebdo, 5 novembre 1980, n°520, p.3
Coluche, Libération, 3 décembre 1980, n°2116, p.10
Bozonnet Grégory - 2008
Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
demi-mot. En fait, l’initiative d’avoir invité Coluche à l’émission politique phare d’Europe 1
revient à MM Carreyrou et Duhamel,. Ils suggèrent leur projet à Etienne Mougeotte qui n’est
pas enchanté de la proposition mais qui suggère aux deux hommes de faire un petit sondage
auprès des autres journalistes politiques de l’émission. Ils récolteront dix-neuf « oui », deux
« non » (celui de Claude Estier, qui écrit pour L’Unité, l’hebdomadaire du parti socialiste,
et de M.Andrieu que l’on peut lire dans L’Humanité), et trois réponses mitigées dont celle
de P.Duhamel, chef du service politique de T.F.1. MM Carreyrou et Duhamel rapportent
ces résultats à M. Mougeotte, qui refuse catégoriquement l’émission. L’ordre vient de JeanLuc Lagardère, vice-président de la station, qui ne veut pas « jeter le discrédit » sur sa
prestigieuse émission qui a reçu quelques semaines auparavant M.Kissinger. La même
semaine c’est Radio-7 et Antenne 2 qui retiraient leur invitation. Coluche continuera dans
les colonnes de Libération son réquisitoire contre la censure. « Les journalistes se plaignent
de manquer de liberté. Malgré ses 10% Coluche interdit de sketch à la télé. Coluche,
interdit d’émission politique à la radio et à la télé. Patrick Meyer démissionne de Radio 7 à
cause de l’interdiction de Coluche et personne n’en parle. La censure ne manque pas de
97
complices. » Jusqu’à ses derniers aphorismes Coluche gardera la censure comme sujet
de prédilection, ainsi le 14 janvier, il écrit : « Sondage Le Point, suite. Premier tour : Chirac
8%, Debré 7% ; Coluche 11%. Chirac et Debré ont le droit de faire des sketches à la radio
et la télévision, Coluche n’a pas le droit. C’est normal, les électeurs de ces messieurs sont
98
importants tandis que les 11% de Coluche sont des cons. »
Pour l’humoriste, « c'est
quand même marrant que le pouvoir n'hésite pas à me sanctionner d'une manière aussi
99
voyante. »
Tout n’est pourtant pas aussi simple qu’il semble l’annoncer. De nombreux articles
révèlent que Coluche a une sérieuse tendance à mettre les journalistes dehors. Il aurait, en
outre, dit à un journaliste : « Qu'est-ce que tu fais comme métier, toi ? Je vais te le dire : cireur
100
de bottes et enfoiré mondain. » Son ami Serge July a d’ailleurs du mal à prononcer le mot
censure : « Est-ce le bon mot quand sa réputation de videur de journalistes aux questions
trop fouilles-merdes et de parasites divers a franchi aussi vite les grilles de cet immeuble ? »
101
Très rapidement d’ailleurs, Coluche refusera tous les entretiens avec la presse nationale
pour privilégier la presse internationale. Ainsi, la couverture de sa campagne est portée en
une, un peu partout en Europe, notamment à Londres, où le très sérieux Times lui accorde
sa une du 4 décembre 1980. En fait, le moment où Coluche va vraiment commencer à se
tourner vers la presse étrangère corrobore avec la baisse de sa médiatisation en France.
Succédané ou lien de cause à effet ? Probablement un peu des deux, c’est parce que la
presse nationale à commencer à se détourner du comique qu’il a souhaité parler à la presse
étrangère, mais c’est aussi probablement un peu parce que Coluche a privilégié la presse
internationale que la presse française a commencé à se lasser d’attendre. Des journalistes
témoigneront que Coluche est devenu plus difficile à aborder que le président lui-même ! Le
Quotidien de Paris titrera d’ailleurs « Coluche ne nous aime plus ». Comme nous pouvons
le voir ci-dessous, toute la presse étrangère saisira cette occasion de se moquer un peu
de la France.
97
98
99
100
101
Coluche, Libération, 7 Janvier 1981, n°2144, p.8
Coluche, Libération, 14 Janvier 1981, n°2150, p.7
Coluche, « A propos de l'interdiction », Chalrie Hebdo, 25 mars 1981, n°541
Lhomeau (Jean-Yves), « Coluche fait croit qu‘il est encore candidat », Le Monde, n°11 238, p.12
July (Serge), « Coluche : Le candidat pas sérieux du tout devenu l’événement politique français », Libération, 2 janvier
1981, n°2138, p.22
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33
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
Cette primeur systématiquement donnée à la presse internationale, n’est pas le seul
point qui amène à mettre en relief une stratégie de censure. Coluche refusera à deux
reprises de passer à la télévision. Ainsi, le 31 décembre, Coluche refuse de maintenir un
de ses sketches, sous prétexte que son sketch du « conseil des sinistres » avait été retiré
de la programmation de la chaîne. Dans le même registre, mais de manière un peu plus
surprenante cette fois, Coluche, refusera le journal d’Antenne 2 du 4 février qui lui était
proposé par Jean-Pierre Elkabbach. Coluche a déclaré, pour repousser cette offre, que
« tant qu’on [l]’interdira en tant qu’artiste de variété, [il] déclinera toute invitation à des
102
émissions télévisées en tant que candidat. »
Une fois encore, plusieurs journalistes
trouveront que cette excuse est un peu étrange, il est « prétentieux de sa part d'établir,
selon la nature des émissions qui lui étaient proposées ou refusées, une distinction entre
103
les prestations du fantaisiste et celles du candidat » , écrira Jean-Yves Lhomeau dans
Le Monde.D’autres trouveront surprenant qu’un petit candidat refuse l’occasion de passer
à un journal télévisé. Dans le Quotidien de Paris, on peut lire :
« Voilà une attitude qui n'est pas sans rappeler celle qu'avait adoptée à
une certaine époque le Parti communiste dont les porte-parole mettaient
systématiquement à profit les occasions qu'ils avaient de paraître au petit écran
pour se plaindre de n'y être jamais invités. Du moins ne poussaient-ils jamais la
104
plaisanterie jusqu'à s'abstenir d'utiliser la tribune mise à leur disposition. »
En fait, certains journalistes vont aller jusqu’à montrer qu’il n’y a pas vraiment de censure
contre la candidature de Coluche, ce sur quoi nous reviendrons par la suite, mais notons
que parmi eux, « Berroyer, lui, estime, que la candidature Coluche montre qu'on vit dans
105
un régime finalement assez libéral.»
D’autres insisteront plus sur le gain que Coluche
peut tirer d’une telle censure :
« Censurer ne rend pas intelligent, figurez-vous, messieurs les Censeurs Réunis,
messieurs Aux ordres, que plus Coluche sera interdit d'ondes et d’antenne, plus
il pourra compter gagner des voix. (…) Faut-il que vous méprisiez le peuple pour
croire qu'il n'est pas assez grand pour s'apercevoir tout seul, en voyant Coluche
partir en candidature, que Coluche pète plus haut que son cul ! A condition,
bien sûr, qu'il soit vu et entendu, Coluche, et qu'en l'interdisant de radio et de
106
télévision, on ne le mette pas sur un piédestal. »
Cette idée, Coluche, la reprend lui-même: « En m'interdisant à la télé, ils m'ont sauvé la
107
vie. Si j'avais dû leur parler de politique, on se serait vite aperçu de la supercherie. »
Mais cela ne l’empêche pas de continuer à se révolter contre la censure qui plane sur sa
candidature. Ce que l’on voit à travers cette pleine page parue dans le Charlie Hebdo du
3 décembre 1980.
L’un de ces derniers actes de campagne sera d’ailleurs mis en place uniquement pour
dénoncer la censure de cette candidature. Il s’agit de la grève de la faim entamée par
102
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«Coluche ne participera pas au journal d’Antenne 2 », Le Monde, 4 février 1980, n°11 202, p.10
Lhomeau (Jean-Yves), « Coluche n‘est plus candidat », Le Monde, 17 mars 1981, n° 11 237, p.9
« Coluche déclare forfait », Le Quotidien de Paris, 4 février 1981, p.27
Roland-Lévy (Fabien), « les coluches-gadgets font un tabac », Libération, 9 Janvier 1981, n°2146, p.9
Delfeil de Ton, « Interdit de défendre », Le Nouvel Observateur, 19 janvier 1981, n°845, p.63
Bourseiller (Antoine), (Antoine), « Marie-France et Coluche », Le Monde, 13 mars 1981, n°11 234, p.2
Bozonnet Grégory - 2008
Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
Coluche le 16 mars 1981. Alors que toute la presse croit être conviée à une conférence de
presse annonçant le retrait de sa candidature, les journalistes retrouvent Coluche sur scène
en train de manger un copieux repas. Il annonce que ce sera le dernier avant qu’il ait été reçu
par « Carte sur table » d’Antenne 2 et le « Club de la presse » d’Europe 1. Ce choix corrobore
la citation de Pierre Bourdieu que nous avons mise en exergue dans l’introduction, comme
quoi « le Club de la Presse » était l’équivalent du caucus américain. Coluche réclame les
deux émissions politiques les plus importantes pour affirmer l’importance de sa candidature.
Jean-Yves Lhomeau, du Monde, affirme que« malgré le médecin qui est censé surveiller
108
sa tension et, l'huissier, l'évolution de son poids », il « n’y croit plus »
. Nous verrons à
la fin de notre raisonnement que Coluche a beaucoup joué avec les symboles dans cette
campagne, mais, en faisant une grève de la faim, il touche à un symbole un peu trop fort
politiquement pour être ridiculisé. Les journalistes ne suivront pas vraiment. « C’est allé
trop loin. Le comique, cette fois, joue avec des valeurs plus profondes, avec les armes des
martyrs. Ailleurs, de par le monde, des hommes luttent pour des idées au prix d’une agonie
109
non factice » . Son tout dernier acte de campagne, avant sa fausse hospitalisation, pour
marquer son vrai retrait de la campagne, sera de s’offrir cette publicité dans Le Monde. Nous
ne pouvons pas dire que c’est un faux, mais nous dirons simplement que le nom de LouisAuguste Girault de Coursac est un écran pour dissimuler Coluche. Ce nom noble, « qui fait
caution », comme nous confiait Jean-Michel Vaguelsy lors d’un entretien, cache en fait un
de ses meilleurs amis, fils des historiens Paul et Pierrette Girault de Coursac. Cette pétition
est en fait commandée par Coluche, il n’est pas vraiment sûr d’ailleurs que les signataires
aient été consultés à l’instar de la première liste de soutien qu’il publiait dès le 5 novembre
1980 dans Charlie Hebdo.
Maintenant que nous avons vu comment Coluche pouvait jouer avec le sujet de la
censure, nous allons nous intéresser aux candidatures de Dieudonné qui en font un usage
plus systématique et plus politique. En guise d’introduction à l’esthétique de la censure
chez Dieudonné et ses soutiens, nous pouvons présenter l’étendue du vocabulaire du
champ lexical de la censure utilisé sur le site lesogres.org. En effet, sur ce site, nous
pouvons lire les mots et expressions suivantes : « boycott », « privilèges médiatiques »,
« embargo », « désinfo.com », « désinformation », « Dieudonné, l’homme à abattre ou le
« tort » d’être noir », « Pravda française », « arrangement de la vérité », « Dieudo, le canard
noir de la présidentielle », « manipulation », « médiacratie parisienne », « journalisme de
connivence », « connivence abjecte », « Monsieur Dieudonné, censuré », « Propagande
mensongère contre Dieudonné », « Une France qui censure »,… Cette liste de mot
correspond exclusivement au vocabulaire de la censure présent dans les titres des articles
de ce site internet, c’est dire à quel point le sujet peut-être traité. Dans son ouvrage auquel
nous nous sommes déjà référé, Olivier Mongin souligne à propos de Dieudonné que « le
donneur de coups bas aime à se faire passer pour une victime. (…) Le comique clame
110
partout qu’il fait l’objet d’un lynchage médiatique ».
Avant de poursuivre l’analyse de ces
articles, relevons tout de même que ces expressions sont pour la plupart des hyperboles.
Nous pouvons notamment remarquer cette antonomase, « Pravda française ». Cette image
est utilisée pour désigner l’ensemble de la presse française. Rappelons que La Pravda est
un grand quotidien russe, que l’on associe souvent à la période où il était la publication
officielle du parti communiste (de 1918 à 1991). Son nom signifiant liberté a souvent été
utilisé comme antonomase pour désigner un journal muselé et pour souligner l’absence de
108
109
110
Lhomeau (Jean-Yves), « Coluche fait croit qu‘il est encore candidat », Le Monde, n°11 238, p.12
Boggio (Philippe), op.cit., p.277
Mongin (Olivier), op.cit., p.107
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L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
liberté de ses journalistes. L’utilisation de cette image, nous éclaire sur ce que pensent les
soutiens de Dieudonné de la presse française. Nous évoquons ses soutiens, mais il en va de
même du comique, notons par exemple que quand il parle de sa situation dans ses sketches,
il le fait en ces termes : « J’ai été rossé comme la dernière des crevures. Ils m’ont laissé pour
111
mort »
, il ajoutera par la suite « Ils étaient capables de rétablir la peine de mort rien que
pour ma face, Raffarin, Chirac, Perben, ils sont tous montés aux créneaux ». Dieudonné
ne va pas, à ce sujet, réussir à retenir ses propos, il va, corollairement, se retrouver en
procès pour injure, poursuivi pour avoir dénoncé des « manipulations médiatiques » de la
« population juive », ainsi qu'un « lobby très puissant » ayant fait « main basse sur tous les
médias ». Il avait été condamné en première instance, mais sera finalement relaxé. Il en
profitera pour dénoncer une fois encore les procès qu’on lui fait sans raisons. Pour mettre
en relief le fait qu’il soit victime du système, Dieudonné a trouvé une référence, Jean-Marie
Le Pen. On se souvient de tous les articles qui ont été publiés alors qu’il s’était rendu à
la fête du Front National pendant sa campagne en 2006. Dans le numéro 1 du magazine
Choc du mois, un hebdomadaire d’extrême droite qui a été repris par le rédacteur en chef
de Minute en mai 2006, on peut lire : « J’ai détrôné Jean-Marie Le Pen dans le rôle du grand
méchant. C’est moi le nouveau Dark Vador ! Ni moi ni lui n’avons de responsabilités dans la
situation catastrophique dans laquelle se trouve la France. Il est la vraie droite, je suis la vraie
gauche. Le nouvel empire n’aime ni les uns, ni les autres… ». L’utilisation de l’antonomase
Dark Vador revoie vraisemblablement à l’aspect « côté obscur de la force » du personnage.
C’est une façon de montrer qu’il est désigné comme le mal absolu. Pour appuyer, une fois
encore cette théorie, comme quoi il serait l’homme que tout le monde cherche à abattre,
Dieudonné qui aime à créer des effets comiques avec son patronyme, se désignera dans
l’un de ses sketches du spectacle « Mes Excuses », comme « Dieudonné M’Dreyfus ».
Nous reviendrons par la suite, lorsque nous évoquerons les processus de disqualifications
des candidatures des comiques, sur les dérivations du nom propre Dieudonné. Mais en
modifiant son nom de famille et en empruntant celui de Dreyfus, il prend une fois encore
des aspects du référent. Nous pouvons imaginer qu’en se comparant à un juif, Dieudonné
espère se dédouaner d’antisémitisme, accusation qui lui est portée très régulièrement. Mais
ce qu’il cherche surtout, c’est à obtenir le statut de victime et à donner un aspect de scandale
national aux procès qui lui sont faits.
Pour conclure sur cette stratégie de censure et de victimisation mise au point par
Dieudonné, nous pouvons souligner ces mots écrits à son propos par Allain-Jules Meyne,
qui est un blogueur qui alimente très régulièrement le site lesogres, « L’opprobre jeté sur
la face de l’incontournable homme d’Etat [sic] n’a convaincu personne. » Allant jusqu’à
112
parler de « boycott méphistophélique »
, il pense que Dieudonné « est floué par les
113
médias dominants. » Quelques semaines auparavant, il écrivait déjà sur ce site les propos
suivants :
« Lorsque les laissés (es)-pour-compte se lèveront comme un seul homme, il y
aura des cris et des grincements de dents. L’abus des privilèges est la chose la
mieux partagée par l’abominable lobby anti-Dieudonné. Cette bande de fous à lier
s’en donne à cœur joie à leur exercice favori et toujours morbide de diabolisation
abjecte. Le plus ridicule est qu’ils s’adonnent à des manœuvres aussi basses
111
112
113
36
Sketch d’introduction du spectacle « Mes Excuses », 2005
Meyne (Allain-jules), « Dieudonné M‘Bala M‘Bala, la naissance d‘un homme d‘Etat », 31 Août 2006, lesogres.org
Meyne (Allain-jules), « Pro-Dieudo contre anti, le clash! », 24 juin 2006, lesogres.org
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Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
que leurs pseudo arguments avec des contradicteurs triés sur le volet, bref des
114
complices. »
Cette citation nous renvoie au champ lexical de la censure que nous présentions au
préalable. Certains des mots de vocabulaires nous renvoient aux théories d’extrême gauche
sur les médias. Connivence, par exemple, nous fait penser aux Nouveaux chiens de garde
de Serge Halimi que nous citions en introduction. A l’opposé, Dieudonné se plaît à créer la
polémique en se comparant à Le Pen, et en reprenant à son compte des idées comme celle
du bâillon alors qu’il est le seul candidat « à dire la vérité » (l’une des expressions les plus
souvent utilisées sur le site lesogres). Nous nous permettons ainsi, en guise de conclusion,
de mettre en parallèle cette caricature de Guillaume Suing reprise à plusieurs reprises sur le
site lesogres et l’affiche réalisée avant l’élection présidentielle de 2002 par le Front National.
.
Alors que nous venons de présenter les stratégies de censure utilisées diversement par
les candidats, il convient à présent de réfléchir à la possibilité de parler ou non de censure
de ces candidatures.
Peut-on réellement parler de censure ?
Nous avons présenté, dans un premier temps, la présence des comiques professionnels
dans les médias, nous venons de voir les possibles stratégies de censure, nous allons
donc à présent essayer de conclure sur cette idée en nous demandant s’il est possible de
parler de censure de ces candidatures. Nous allons commencer par aborder la candidature
de Coluche. Nous avons déjà pu le signaler, Coluche n’a pas été présent à la radio et
à la télévision entre le 10 décembre 1980 et le 10 mai 1981. Même si on a pu montrer
qu’une part de son absence lui était imputable, on est quand même en mesure de nous
demander comment, lui qui était présent sur tous les fronts depuis qu’il était apparu au grand
public, lors de l’élection présidentielle de 1974 (Guy Lux restant à l’antenne en attendant
l’allocution de François Mitterrand, défait, propulsera la carrière de Coluche qui interprétera
« C’est l’histoire d’un mec ». Le coup de publicité était soigneusement orchestré par Paul
Lederman qui a toujours été conscient du potentiel publicitaire de l’élection présidentielle)
pouvait être absents des ondes et des écrans pendant six mois consécutifs. Dans un
entretien qu’il accorde à Philippe Boggio, « Jean-Pierre Elkabach reconnaît bien volontiers
que Coluche avait fait, à peu près tous les jours, la preuve de la frilosité des médias, à la fin
115
du giscardisme. » L’ancien directeur de l’information d’Antenne 2 écrira qu’il était censuré
par « tous ceux, qui, par habitude, muselaient encore l’insolence sur les ondes ou le petit
116
écran. »
La censure va être va être un des éléments les plus souvent traités ee cette
candidature dans les articles. Henri Roussel, alias Delfeil de Ton, écrira par exemple dans
le Nouvel Observateur :
« Le principal intérêt de la candidature Coluche apparaît ailleurs. Ce qu'elle
provoque en montre long sur la censure qui règne chez nous et sur les complicités qu'elle rencontre. Songez : pas un sondage sur la candidature de Coluche
ne le crédite de moins de dix pour cent des intentions de vote. Ce n'est pas rien.
Eh bien ! depuis le premier sondage, aucune, absolument aucune télévision,
114
115
116
Meyne (Allain-jules), « Abusons de nos privilèges médiatiques, chiche! », 21 mai 2006, lesogres.org
Boggio (Philippe), op.cit., p.276
Idem
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L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
d'Etat ou privée, en France, n'a fait venir le candidat Coluche à une émission
d'informations. Aucune radio non plus. »
D’autres journalistes dénonceront à leur tour cette censure alors qu’en même temps,
certains la nieront. Parfois, le même journaliste arrive à affirmer qu’il y a eu censure « Il est
vrai que Coluche a été victime de censures répétées à la radio et à la télévision » tout en
trouvant une justification « Si la presse a fait silence, c'est sans doute parce que Coluche
117
n'avait plus rien à dire. »
A posteriori, une explication est souvent revenue, ainsi JeanPierre Elkabbach déclarait que Coluche « était trop imprévisible pour la télévision des ces
années-là. C’est vrai qu’Alain Duhamel et moi, nous avons refusé de la faire venir à Cartes
sur tables. C’était risquer d’affaiblir l’image, déjà malmenée, de la politique. Aujourd’hui, bien
sûr, je m’empresserai de prendre Coluche. Moi aussi, j’ai fait des progrès en face d’invités
118
imprévisibles. J’ai dû avoir peur à l’époque. »
C’est l’explication la plus probable. Cette
explication justifie également le fait que Coluche n’ait jamais réussi à trouver un document
écrit qui demandait de ne plus l’inviter dans les médias. De plus, force est de constater
que les médias qui ont ouvert leurs antennes à l’humoriste se sont confrontés à son côté
imprévisible. Ainsi, sur France-Inter, à la mi-novembre, Coluche déclarera : « L’important
c’est le bordel que je sème(…) c’est pour ça que je les emmerde (…) Y se sont foutus de
notre gueule sur toute la ligne (…) Un politologue qu’est-ce que j’en ai à foutre (…) Ce qui est
arrivé au Chili, personnellement moi j’men fous… Y nous gonflent… Je veux aller jusqu’au
119
bout et foutre le merde que j’ai déjà semée… »
Ainsi Etienne Mougeotte expliquera qu’on
ne l’invitera pas au « Club de la presse », alors qu’il avait été invité à s’exprimer sur Europe 1
dans le cadre d’autres émissions parce qu’« il ne faut pas discréditer cette institution qu'est
120
le Club de la Presse, qu'il ne faut pas abîmer cet outil »
. Pour Gébé, si Coluche a crié
à la censure, c’est parce qu’il a vraiment souffert de se voir interdit d’antenne :
« Il a senti, et il en fut très perturbé, la puissance de la coercition en face de lui
des médias. Il avait pensé qu’il pouvait les manipuler et en tirer tout ce qu’il voulait… Il
était comme un fou ! Un homme de communication, un homme de parole, un homme qui
haranguait les foules, condamné au mutisme ! Il en était malade, physiquement (…) Il a
compris qu’il y avait des limites ; que la limite de la liberté de parole, c’était de devoir jouer
un certain jeu. Il a senti aussi la force des appareils politiques. Il a touché des murs, des
portes. Il était comme une mouche en cage ! »
Nous avons demandé, aux proches de Coluche ce qu’ils pensaient de cette censure,
ainsi nous avons interrogé son « bureau politique ambulant », le journaliste chargé de suivre
la campagne de l’humoriste pour le compte de l’AFP ainsi que le producteur de Coluche.
Tous trois n’ont pas réellement souhaité parler de censure.
Patrick Filleux, nous explique tout d’abord qu’à l’AFP, il n’a jamais été victime de
censure. L’AFP a préféré que cette campagne soit suivie par quelqu’un qui était proche de
Coluche plutôt que par un journaliste du service politique, ce qui peut être tout de même un
certain signe d’exclusion de la campagne du comique. Toutefois, interrogé sur la censuré
Patrick Filleux déclara « Les médias étaient du côté du manche. Mais il n’y a pas eu plus
de censure que d’auto-censure. Bon c’est sûr que la télé avant Mitterrand, ce n’est pas très
117
118
119
120
38
Lhomeau (Jean-Yves), « Coluche n’est plus candidat », Le Monde, 17 mars 1981,n°11 237, p.9
Boggio (Philippe), op.cit., p.276
Jamet (Dominique), « Sic, ainsi parla Coluche», Le Quotidien de Paris, 19 novembre 1980, n°304, p.32
Roland-Lévy (Fabien), « Coluche ? ce n’est pas convenable », Libération, 29-30 novembre 1980, n° 2113, p.9
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Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
libre et qu’il devait y avoir un peu de censure au niveau du service public. Ce n’est jamais
facile de savoir s’il y a censure, les journalistes étaient quand même là, à chaque fois qu’il
faisait quelque chose. » Il nous répétera, en outre, à plusieurs reprises qu’à l’AFP, il n’a
jamais été censuré. « A l’AFP la censure ça n’existe pas vraiment. On écrit bien sur ce que
l’on veut. Je me souviens qu’on m’avait fait remarquer que je faisais beaucoup de Coluche,
mais rien de plus. ». Mais pour lui si Coluche a eu l’impression d’être censuré, c’est parce
qu’il était difficile d’être au « top du show-biz » et d’être en même temps « un petit candidat ».
Il nous confiera, enfin, que malgré toute l’admiration qu’il peut avoir pour l’humoriste, les
événements que Coluche créaient pour attirer les journalistes, comme sa conférence de
presse avec les petits candidats, n’étaient « pas très drôles ».
Jean-Michel Vaguelsy, pense que la censure dont Coluche a été victime était une
question d’époque, même si les choses évoluaient, « Il faut voir que la SOFIRAD était
encore "le bras armé" de l’Etat ». Si cette affirmation est à relativiser, il est vrai qu’en matière
audiovisuelle, les choses évoluent lentement comme le soulignait Jean-Pierre Elkabbach.
Même si, comme le disait Christine Ockrent : « Il faut avoir la mémoire courte pour ne pas
121
s’exclamer sur le chemin parcouru depuis l’époque de l’ORTF » . Le producteur et ami
de Coluche, Paul Lederman, nous confira les mots suivants :
« C’est difficile de parler de censure. J’ai lancé Claude François, Le Luron, Renaud,… je
connaissais tout le monde à la télévision. Mais ils se sont détournés de Coluche. Personne
ne m’a dit avoir reçu d’ordre explicite, et je ne pense pas qu’il y en ait eu. En fait, c’est
plus compliqué, plus personne ne voulait de Coluche à la télévision. D’ailleurs il a fallu que
j’insiste auprès de Guy Lux pour qu’il passe et repasse après la campagne. Mais, il faut
les comprendre, Coluche c'était un électron libre, on ne savait pas ce qu’il était capable de
leur faire… »
Pour revenir à la candidature de Dieudonné. Il est difficile de dire qu’il a été interdit par
les médias, parce que la candidature de Dieudonné n’a, contrairement à celle de Coluche,
jamais vraiment cessé d’être traitée à la télévision et à la radio. Ce qui fait qu’il a pu parler
de censure, c’est que si on parlait de sa candidature et de ses « écarts », il était de plus en
plus rare de voir Dieudonné invité dans les médias. Dérapage après dérapage, provocation
après provocation, l’humoriste a, en fait, découragé la plupart de ceux qui appréciaient
son insolence. Comme il ne restera rapidement autour de lui que le petit noyau de fidèles
baptisés « les Ogres » dont nous parlions auparavant, il a pensé que la provocation serait
un moyen de faire revenir les médias. Il n’a donc cessé de jeter de l’huile sur le feu…
Pendant sa campagne il va notamment prendre la défense des autorités iraniennes alors
que le président Ahmadinejad vient de qualifier l’Holocauste de « mythe ». Un mois plus
tard, après la mort du jeune Ilan Halimi, torturé et séquestré, il assure que c’est la « barbarie
néo-libérale » qui est à l’origine du drame. En Juillet, sans aucune raison précise, sinon de
stigmatiser la communauté juive, son site de campagne (fermé depuis, tvdieudo.net) met
en avant une dépêche AFP à propos de l’affaire « du sentier 2 », qui évoque la fuite de
six rabbins… Pour Frédéric-Joël Guilledoux, « cette stratégie de la tension a rapidement
122
discrédité sa démarche » . A son sujet, les médias vont faire preuve de prudence d’où
l’inévitable accusation de boycott portée par son entourage. Il faut pourtant avouer que c’est
compréhensible si l’on regarde le nombre de procès qu’il a pu gagner contre la presse,
notamment en faisant condamner Marc-Olivier Fogiel après qu’il ait fait son sketch du colon
juif. On peut lire à la suite de cette affaire sur le site lesogres qu’« un black-out médiatique
121
122
Ockrent (Christine), La mémoire du cœur, Paris, Fayard, 1997, p.244
Guilledoux (Frédéric-Joël), op.cit., p.277
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L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
total le frappe depuis deux ans, l’empêchant à la fois d’exprimer son point de vue politique
de citoyen et d’humoriste militant pour rire des choses graves. ».
Dieudonné ne disparaîtra pas pour autant des médias, bien au contraire, des émissions
comme « Lundi investigation » sur Canal + vont s’intéresser à sa campagne. A l’époque où
les spectacles de Dieudonné sont interdit un peu partout en France, par peur de troubles à
l’ordre public, on peut même noter que l’on parle beaucoup de l’humoriste. Thierry Ardisson,
expliquera dans « Paris dernière », qu’il n’est toutefois plus possible d’inviter Dieudonné à la
télévision, non pas par ordre, ni par volonté de censure, mais parce qu’il n’est plus possible
de « supporter qu’il tape sur les juifs pour défendre les noirs », il insistera, en outre, en
affirmant que « Dieudonné décrédibilise les causes pour lesquelles il se bat ».
Enfin, rappelons que chaque candidat bénéficiera d’un « journal » de soutien tout
au long de la campagne. Pierre Dac avait sa tribune hebdomadaire dans le magazine
dont il était rédacteur en chef, L’Os à Moelle. D’ailleurs l’élection présidentielle avait été
une occasion pour ce journal de relever un peu la pente. Malheureusement ce ne sera
pas une durée suffisante et le titre disparaîtra à l’été. Dieudonné pouvait lui, s’appuyer
sur son site de campagne et sur lesogres qui nous l’avons vu va publier régulièrement
des articles dithyrambiques à son propos. Cela ne lui suffisant pas, il créera également
une « radio libre » sur Internet pour contrer les médias qui le boycott. Cette radio ne
fonctionnera jamais vraiment. Coluche, quant à lui, s’appuie sur Charlie Hebdo et ses 60 000
à 80 000 exemplaires hebdomadaires (selon Cavanna). Le journal profitera d’une hausse
des ventes à cette période mais devra malheureusement cesser de paraître au mois de
décembre 1981 par manque de lecteurs et ne reparaîtra qu’en 1992. Nous ne voulons
pas dire qu’encourager les candidatures fantaisistes mène le journal à la faillite, mais il
est vrai que Libération qui offrait une tribune quotidienne à l’humoriste devra à son tour
cesser de paraître entre le 21 février et le 10 mai pour revenir sur une formule quelque peu
différente. Comme le souligne Samuelson dans sa thèse devenue un ouvrage de référence
sur l’histoire du quotidien, Libération était la convergence d’imprévisibles d’utopies. Ce
journal donnait la parole à tous les employés avec un même salaire et un même traitement.
A cette époque Libération était « un entonnoir dans lequel s’engouffraient presque toutes
123
les composantes du gauchisme » . Nous pouvons tout de même ajouter que Libération
se vendait tout de même à 45 000 exemplaires quotidiens, une belle tribune pour Coluche.
En conclusion de ce point, et de notre partie de la réflexion, force est de reconnaître
qu’il est difficile d’affirmer que les comiques professionnels aient été exclus du champ
médiatique. Etant donné que pour Pierre Bourdieu, « actuellement, un des facteurs
déterminants de l’existence dans le champ politique, c’est la reconnaissance dans les
médias », on peut même en déduire, qu’il est difficile de dire qu’ils ont été exclus du champ
politique, mais nous y reviendrons. On peut même affirmer, pour revenir à leur présence
dans les médias, que leur popularité et leur aisance dans les médias, leur aura permis,
au moins pendant un temps, d’avoir une couverture médiatique qui n’était pas accordée à
beaucoup de candidats plus sérieux. Patrick Lecomte nous invite d’ailleurs à réfléchir aux
conséquences de l’avènement de la télévision dans les campagnes présidentielle. Pour lui,
il faudra « déchiffrer le brouillage superficiel des schèmes traditionnels de la vie publique
sous l’effet caricatural du miroir-loupe télévisuel qui, focalisant sur la "politique-spectacle",
tend à accuser l’inadaptation ou l’obsolescence des codes symboliques conventionnels de
la relation gouvernants/gouvernés, alimentant ainsi la crise de la représentation politique »
124
. A travers nos trois exemples, nous pouvons d’ailleurs noter que plus le temps a passé
123
124
40
Samuelson (François), Il était une fois Libé…, Paris, Flammarion, 2007, p.14
Lecomte (Patrick), Communication, télévision et démocratie, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1993, p.45
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Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
plus les médias se sont ouverts à ces candidatures. Si Pierre Dac n’avait pas vraiment
pu profiter des médias pour sa campagne, Coluche aura l’espace d’un mois été présent
dans tous les journaux, toutes les radios et télévisions jusqu’à ce qu’il y ait une fermeture
des deux derniers. Dieudonné aurait vraisemblablement pu bénéficier d’un espace dans
tous les médias, s’il n’avait pas cherché par lui même à s’en exclure en jouant avec des
propos plus que litigieux. Il est, dans tous les cas, difficile d’affirmer que les candidatures de
ces comiques ont été mises au ban par les journalistes. Certes, Pierre Bourdieu considère
que « la télévision a une sorte de monopole de fait sur la formation des cerveaux d’une
125
partie très importante de la population » . Ce à quoi Cyril Lemieux répondait que « Peutêtre politiquement séduisante, cette assertion n’a rien d’évident scientifiquement parlant.
126
Elle pourrait bien, en définitive, témoigné d’un préjugé misérabiliste » . Si l’on reprend
les chiffres parus dans l’ouvrage de Patrick Lecomte, que nous citions auparavant, « 68%
des Français interrogés sur la campagne électorale de 1981 déclarent l’avoir suivie à la
127
télévision (contre 45% dans la presse et 33% à la radio) » , on pourrait ainsi affirmer
que dans une certaine mesure Coluche n’a pas bénéficié des mêmes conditions que les
candidats ayant eu les cinq cents signatures et donc un temps d’antenne, mais pouvait-il
vraiment les avoir ?
Des candidatures décriées par tous les médias… ou
presque
Maintenant que nous venons d’analyser la place que ces candidatures avaient occupée
dans les médias, il convient de nous intéresser à une acception plus qualitative de ces
campagnes, comment ont-elles été traitées, qualifiées ? Pour ce faire nous allons dans
un premier temps analyser le vocabulaire employé par les journalistes pour traiter de
ces candidatures, pour ensuite regarder si ces candidatures ont bénéficié des mêmes
traitements que les candidatures plus politiques, ce que nous analyserons à travers leur
présence dans les sondages et sous les plumes des spécialistes politiques des médias.
Que faire de l’« intrusion » de ces « clowns » ?
Afin de présenter le processus d’exclusion mis en place par la presse, nous allons nous
intéresser dans un premier temps aux mots utilisés pour exclure ces candidats, notamment
à l’important champ lexical de la comédie, dans un second temps, nous présenterons une
analyse en onomastique politique des noms Coluche et Dieudonné.
Analyse du processus d’exclusion de ces candidatures
Du fait de l’ampleur de notre corpus, nous pourrions réaliser un mémoire entier sur le
vocabulaire de l’exclusion utilisé pendant les campagnes des humoristes. Afin de rester
brefs, nous allons nous contenter de présenter quelques grands thèmes. Nous présenterons
125
126
Bourdieu (Pierre), Sur la télévision, Paris, Liber, 1996, p.17
Lemieux (Cyril), « Une critique sans raison ? L’approche bourdieusienne des médias et ses limites », in Lahire (Bernard),
dir., Le travail sociologique de Pierre Bourdieu – dettes et critiques, Paris, La découverte, 2001,p.216
127
Lecomte (Patrick), Communication, télévision et démocratie, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1993, p.48
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41
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
dans un premier temps l’utilisation du mot candidat dans la campagne présidentielle de
Coluche, pour ensuite essayer de dégager un sens général à l’omniprésence du vocabulaire
du show business dans ces campagnes, nous conclurons enfin par l’analyse de quelques
expressions révélant l’exclusion, et notamment à la métonymie de la salopette pour désigner
Coluche.
La simple analyse de l’utilisation du mot candidat dans la campagne du comique à
la salopette nous apprend beaucoup sur le processus de marginalisation dont il a pu être
victime sous la plume de certains journalistes.
Tout d’abord, ce qui est intéressant à relever c’est l’utilisation que vont faire les journaux
des termes que Coluche a utilisé pendant sa campagne pour se désigner. En fait, nous nous
arrêterons sur deux expressions essentiellement l’expression candidat nul et candidats des
minorités. Ce qui intéressant sur le terme candidat nulc’est tous le jeu qu’il va y avoir sur la
« guillemetisation » du mot. Ainsi, on retrouvera le mot sous les formes suivantes : « candidat
nul », candidat « nul » ou candidat nul. La première expression est de très loin la plus utilisée,
elle sera reprise par presque toutes les rédactions, Le Matin de Paris étant le plus grand
utilisateur. Utiliser cette forme signifie donc que l’on reprend les mots de Coluche sans se
les approprier ce qui peut signifier que l’on ne porte pas de jugement sur cette qualification.
La deuxième forme est intéressante, ne mettre que le terme nul entre guillemets montre que
l’on marque une moins grande distance avec l’expression, elle n’est plus totalement une
citation de Coluche, même si le journaliste tient à noter que ce n’est pas lui qui se permet de
qualifier la candidature de Coluche de « nul ». Les guillemets précisent que le mot provient
de l’intéressé. Il est vrai que le terme est très dépréciatif. Il ne serait probablement pas
venu à l’esprit des journalistes de qualifier par eux mêmes cette candidature de nulle. La
forme sans guillemets apparaît quasi exclusivement dans les colonnes de Libération bien
que Le Quotidien de Paris l’ait parfois utilisée. En fait, dans le cas présent, l’utilisation de
ce terme sans guillemets révèle tout simplement que pour les journalistes de ce quotidien
l’expression est devenue courante. Rappelons qu’il est de loin le journal qui a le plus publié
sur la candidature de Coluche. Dans leurs colonnes, le candidat nul se décline également en
candidat zéro. Les journalistes se sont totalement approprié le mot de Coluche et l’on peut
imaginer que le lecteur habitué n’est pas surpris par la présence de cette expression sans
guillemets. Ce qui est également intéressant c’est que cette expression a pu être détournée
de son sens originel. Ainsi le mot nul qui renvoie à quelque chose qui est sans valeur. Le
mot à ainsi pu retrouver le sens péjoratif dont il disposait au départ. Ainsi dans les colonnes
du Matin de Paris on a pu lire « "Candidat nul", de son propre aveu, Coluche aura au moins
eu le mérite d'amener, en quelques jours, le débat politique au niveau vers lequel il tendait
128
depuis plusieurs mois : le niveau zéro. »
La presse de soutien à Coluche s’en servira
129
également pour décrédibiliser Michel Debré, qualifié « d’encore plus nul » .
L’expression « candidat des minorités » va être souvent détournée en se référant
à la liste des minorités qu’il a pu établir dans son « appel historique ». Mais toutes les
expressions ne renvoient pas aux mêmes marginaux. Ainsi, pour L’Humanité, alors que
Georges Marchais est parti en guerre contre la drogue, Coluche est le candidat « des
drogués, des fainéants et des crasseux », Le Quotidien de Paris préfère le nommer
« candidat des pédés, des drogués et des crasseux », alors que pour Le Monde, reprenant
des expressions qu’il a pu tenir à sa conférence de presse au théâtre du Gymnase, Coluche
est le « candidat des faiseurs de patins à roulettes, des pédés, des nègres, des vieux qui
128
129
42
Liebaert (Alexis), « Le niveau zéro », Le Matin de Paris, 24 novembre 1980, n°1165, p.16
« couvertures auxquelles vous avez échappez », Charlie Hebdo, 15 avril 1981, p.7
Bozonnet Grégory - 2008
Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
ont une retraite de m…, des chômeurs (qui sont plus de un million et demi), des crasseux,
des chevelus, des « consommateurs de politique », ceux qui la subissent et pour qui « on
ne fait rien » ». Enfin, notons que d’une manière plus péjorative, Jean Dominique Bauby,
utilisera l’expression candidats des « juifs, des clodos et des pédés » pour faire un parallèle
avec Hitler…
Outre ces expressions, le terme candidat, rarement utilisé sans complément à propos
de Coluche sera utilisé sous les formes les plus diverses. Ainsi, nous pouvons souligner
qu’il sera parfois désigné par des termes tout à fait formels comme « candidat à la
Présidence de la République » (par tous les journaux analysés à l’exception de La Croix
et de L’Humanité). Cette formalité est parfois de circonstance mais souvent utilisée contre
lui dans des expressions signifiant plus ou moins « Dire qu’il est candidat à la Présidence
de la République ». On trouvera des dérivés, tels que « candidat à la présidentielle »,
« à l’Elysée », « candidature élyséenne », « candidat à la présidence ». Des expressions
viennent ajouter des nuances telles que « candidat à la candidature » (Le Figaro l’utilisera en
s’offusquant que des personnes puissent songer à ne pas être plus sérieux), un journaliste
du Point créera une nuance supplémentaire en ajoutant supposé, « candidat supposé à
la candidature ». D’autres nuances pourront être ajoutées comme dans Le Monde où l’on
emploie l’expression « candidat au premier tour » ou dans L’Express, l’expression « aspirant
candidat ». Mais c’est dans les colonnes du Figaro que l’on trouve les termes qui mettent
le plus de distance avec l’idée d’une candidature Coluche, employant notamment candidat
entre guillemets ou le mot « pseudo-candidature ».
Nous ne pourrons pas présenter toutes les compléments du mot candidat, mais
nous pouvons noter qu’il existe de multiples variantes qui vont de l’expression la plus
politique à la plus loufoque, ainsi Le Point utilisera la phrase suivante : « candidat de la
dérision est le centre potentiel de toutes les frustrations politiques : candidat de l'apolitisme
(abstentionnistes et écologistes) ; candidat de la gauche brisée ; candidat des déçus du
130
giscardisme ; bref, candidat des frustrés »
tandis que le premier article paru dans le
journal La Croix utilise l’expression attachée au jeu de mot français le plus ancien en
désignant Coluche par le candidat « Yau-de-poêle ». Ce terme renvoie inévitablement à
la blague parue il y a déjà bien longtemps dans L’Almanach Vermot, qui est un dialogue
entre deux hommes, l’un demande « comment vas-tu, yau-de-poêle ?» et l’autre lui
répond « bien et, toi-là-matelas ? ». Ce terme inscrit l’acte de Coluche dans une tradition
fantaisiste. Il est pour Le Matin de Paris, « le candidat des pêcheurs à la ligne et des
abstentionnistes ». Dans un registre plus excluant, il est également qualifié, au même titre
que Georges Marchais, de « candidat Nyaqua », terme dévalorisant qui pour eux signifient
qu’ils promettent tout et n’importe quoi. Dans Le Monde elle est également qualifiée de
« candidature-scatologique », Le Quotidien de Paris fait paraître un article qui considère
que cette candidature est « indigne de son enjeu » alors que dans Le Nouvel Observateur
on peut dire qu’il s’agit du « candidat des bistrots ». Enfin, le terme candidat est très souvent
associé au vocabulaire du champ lexical de la comédie, sur lequel nous allons revenir plus
en détails, mais dont nous pouvons donner quelques exemples, comme « candidat de la
coulisse », « candidat de cabaret », « candidat du music-hall », « candidat comique dissident
vulgaire » ou encore « pitre-candidat », qui a été développé sous d’autres formes comme
fantaisiste candidat, amuseur candidat, …
Du fait d’un corpus beaucoup moins important, la même richesse d’expression ne se
retrouve pas du côté des candidatures de Dieudonné. Considérons tout de même qu’il a été
nommé par quelques expressions qui méritent d’être soulevées. Béatrice Gurrey souligne
130
Charlot (Jean), « Giscard ébranlé mais toujours favori », Le point, 12 janvier 1981, n°434, p.31-36
Bozonnet Grégory - 2008
43
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
que c’est la « candidature du premier Black à la présidentielle », les autres expressions sont
à chercher dans les colonnes de Libération qui le qualifiera, après le salon de l’agriculture,
de « candidat sympa », et pendant le reste de la campagne de « candidat d’une autre
République » du fait qu’il s’adresse aux jeunes des banlieues, mais également de « vraifaux candidat ».
Ce qui est surprenant, c’est que contrairement à Coluche, les expressions composées
avec candidat ne renvoient pas chez Dieudonné au champ lexical de la comédie. Pourtant,
ce champ lexical n’est pas moins présent dans les articles qui lui sont réservés. En
étudiant l’intégralité de notre corpus, nous pouvons rencontrer une grande partie du
vocabulaire du show-business. Les candidats sont, en effet, désignés tour à tour par
des expressions comme « artiste de variétés », saltimbanque, clown, bouffon, comique,
humoriste, comédien, « homme de spectacle », amuseur (public),… Ce que nous voulons
montrer, c’est que l’omniprésence de ces mots a vraisemblablement pour effet une mise à
l’écart de ces candidatures. Il n’est quasiment pas un article de notre corpus sur Dieudonné
qui ne reprenne un de ces termes. Il existe plusieurs raisons à cela. Tout d’abord, ces mots
permettent d’éviter les redondances, il n’est dans ce cas qu’une figure de style. Dans le cas
de Dieudonné, il s’agit aussi parfois d’éviter la confusion, étant donné que Dieudonné est
avant tout un prénom, les journalistes préfèrent souvent utiliser l'expression « l’humoriste
Dieudonné » que de l’appeler par son nom « Dieudonné M’Bala M’Bala », même si ceci a été
fait à plusieurs reprises. Toutefois, à travers cette dénomination, il va y avoir un enjeu. Pour
commencer, notons les expressions les plus utilisées dans le corpus dédié à Dieudonné et
dans celui dédié à Coluche.
A travers ces deux graphiques, obtenus par un traitement informatique de notre corpus,
nous remarquons que les deux candidats ne sont pas vraiment désignés par les mêmes
termes. Ainsi, pour Coluche, le mot préféré est clown alors que pour Dieudonné, le mot
qui fait pratiquement l’unanimité est humoriste. Pour Coluche, le deuxième terme qui le
désigne fréquemment est le terme fantaisiste, il est quasi exclusivement utilisé par Le
Monde en début de campagne, mais sera repris à la fin par d’autres quotidiens comme Le
Quotidien de Paris ou Le Matin de Paris. Ce terme est utilisé par le quotidien de référence qui
semble le juger plus neutre. Notons qu’il est tout de même surprenant que Dieudonné soit
dénommé par le terme clown, l’édition numérique du Trésor de la langue française donne
pour définition « Artiste de cirque au costume et au maquillage extravagants qui emploie ses
talents à faire rire les spectateurs au moyen de pitreries diverses, fondées principalement
sur la parodie et la dérision ». Si ce terme peut convenir à Coluche qui portait ostensiblement
le nez rouge et des chaussures jaunes trop grandes, on peut être surpris de la voir attribuer
à Dieudonné, dont le jeu scénique est toujours limité au minimum, « sur scène (…) à la
différence de nos autres humoristes, il bouge à peine en dépit d’une présence physique
131
manifeste. »
Mais d’autres expressions plus chargées de sens seront utilisées dans ce registre.
Registre qui servira souvent à montrer l’exclusion des comiques professionnels du champ
politique en soulignant leur inadaptabilité. Pour ne donner que quelques exemples, notons
que pour Alain- Gérard Slama, dans la candidature de Coluche ce qui « constitue le fond
132
de l'affaire [c’est] la substitution d'une urne électorale à une caisse de théâtre. »
Dans le
même journal, nous pouvions lire : « Le débat d'idées - qui est la marque même du débat
présidentiel - risque ainsi de devenir une sorte d' "Au théâtre ce soir". ». Parallèlement à
cette omniprésence du vocabulaire du music-hall, un terme revient souvent pour désigner
131
132
44
Mongin (Olivier), op.cit., p.106
Slama (Alain-Gérard), « La France malade de Coluche », Le Figaro, 28 novembre 1980, n°11 270, p.2
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Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
Coluche, il s’agit de la salopette. Cette métonymie va être utilisée dans près d’un quart des
articles et dans très nombreuses caricatures. C’est le symbole même de Coluche : « La
salopette de Coluche est devenue comme la défroque de Charlot, un symbole. C’est elle
133
qui figure, sans le bonhomme à l’intérieur, sur la première affiche » . Dans la plupart des
cas, cette salopette ne va être utilisée que dans des périphrases qui évitent les répétitions,
mais parfois le symbole coluchien va être utilisé pour marquer la nuance entre Coluche et le
monde politique. La manifestation la plus flagrante de ce point vient de Claude Estier dans
l’hebdomadaire du parti socialiste L’Unité, « Est-ce qu’il sort de sa salopette quelque fois,
134
ce gus, pour aller dans le monde. Le vrai. »
Patrick Séry utilisera cette métonymie pour
montrer à quel point il détonne dans cette campagne, « la salopette bleue à bretelles est là,
pas très solennellement assise au fond de la lucarne, précédée d'un gros nez clownesque
135
peint en rouge hilarant. Un certain contraste avec la pâleur digne de ses prédécesseurs. »
Mais le fait marquant de cette campagne, c’est probablement l’habile jeu de mot de Gérard
Nicoud, soutien de Coluche au titre du CID-UNATI, qui a déclaré préférer « votez pour une
salopette que pour un salopard ». Si de la bouche du leader de cette organisation, ce mot
d’esprit passait pour une critique poujadiste du système, sous la plume de François Brigneau
dans Minute, cela va devenir une véritable insulte. Jouant sur la racine commune des mots
salopard et salopette (le mot sale), le journaliste écrira que Coluche est donc un « salopard
136
en salopette » . Ce terme aurait pu rester une simple formule, mais il est accompagné de
mots tellement durs que cet article affectera le comique. Par exemple, parmi les expressions
désignant Coluche, nous pouvons relever « loubard devenu homme-pipi de café théâtre »,
« boudin-guignol », ou même, plus gratuit encore, « gros dégoûtant ».
L’un des autres points qui vient marquer le contraste entre ces candidats et ceux dits
« sérieux » s’établit autour de deux mots, professionnel et irruption. En effet, l’un des
arguments principaux pour écarter ces comiques professionnels consistent à les opposer
aux professionnels de la politique en rappelant qu’ils ont fait irruption sur leur scène. Pour
ce qui est du premier terme, soulignons que l’on trouve dans les deux campagnes des
termes comme « comique professionnel », ou « humoriste de métier ». Ainsi, dans l’Express,
Olivier Todd écrira qu’« on a déjà vu des candidats vraiment fantaisistes : Barbu en 1965,
Ducatel en 1969. Coluche, lui, est un amuseur de métier. Nous assistons à la fusion de la
137
candidature fantaisiste et du candidat fantaisiste professionnel » , dans plusieurs articles
on lui rappelle qu’il n’est pas du « métier politique », mais c’est dans Le Figaro que la charge
la plus dure sera donnée, Xavier Marchetti parlera d’« outrances des farceurs professionnels
et de leur claque intéressée » insistant sur ce terme, il ajoutera « les clowns de profession et
les gugusses par inconscience [ont un but :] ridiculiser la fonction, l'avilir en feignant de s'en
138
prétendre dignes. » Cette utilisation du terme professionnel est tellement prégnante dans
ces campagnes que Dieudonné, déclarera « retourner à son métier » quand il arrêtera sa
campagne. Corollairement à cette idée de métier politique, apparaissent les termes irruption,
intrusion… Pour en donner quelques exemples notons que pour Thierry Pfister, Coluche
« faisait irruption dans la sphère politique tel un corps étranger », pour Pierre Billard et Jean133
134
Bureau (Andrea), dir., Coluche. C‘est l‘histoire d‘un mec, Paris, Stock, 1986, p.26
Charon-Baquel (Yvan), « Réponse à Guy Bedos, un seul vaccin contre la coqueluche …», L’Unité, 12 décembre 1980,
n°403, p.2
135
136
137
138
Séry (Patrick), « L'effet Coluche », l’Express, 22 novembre 1980, n°1533, p.108
Brigneau (François), « Celui par qui Coluche est arrivé », Minute, 17 décembre 1980, n°975, p.7-8
Todd(Olivier), « Le cru et les recuits », L’Express, 22 novembre 1980, n° 1533, p.110
Marchetti (Xavier), « La fonction présidentielle », Le Figaro, 24 novembre 1980, n° 11 266, p.1 et p.6
Bozonnet Grégory - 2008
45
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
Claude Loiseau, Coluche, « "le candidat nul" a déboulé dans le jeu de quilles de l'élection
139
présidentielle. »
Enfin, pour finir avec ce bref aperçu des mots et expressions utilisés pour rappeler
aux candidats fantaisistes qu’ils ne sont pas les bienvenus dans le champ politique,
nous pouvons souligner que certains journalistes ont rivalisé d’imagination. Nous nous
intéresserons exclusivement à la candidature de Coluche, pour relever des expressions
comme dans l’Express des termes comme zozo, symptôme ou expert en chienlit (terme sur
lequel nous reviendrons). Le Figaro rivalisera avec la créativité de L’Express en employant
une expression telle que « fossoyeur du music-hall » ou « manipulateur d’excrément ».
Parmi les attaques plus directes sur la personne de Coluche, nous pouvons noter, une fois
encore, une phrase issue des colonnes de L’unité : « Il a toujours fait dans le noir et dans
le moche. Au fond des chiottes, pas dans l’azur. Il vole au ras des pâquerettes, jamais
140
à la cime des arbres. Tout le monde ne peut pas s’appeler Devos. »
. Cette phrase
sera écrite en tout début de campagne, elle sera suivie par d’autres tout aussi agressives,
Jacques Dérogy écrira dans L’express qu’il est « irresponsable, odieux, méprisant ; c'est un
141
pitre sympathique quand on ne le connaît pas de trop près »
. Ces mots sont inscrits
dans un numéro spécial de L’Express intitulé « la vraie nature de Coluche ». Numéro qui va
résumer cette nature comme foncièrement mauvaise, on y trouve un Coluche détestable,
appuyé par une enquête sur ses agissements irrespectueux plus ou moins anciens. Ce
numéro est tellement dur qu’il va surprendre plus d’un lecteur, d’autant que L’Express avait
réalisé le 11 octobre 1980, une très longue interview de l’humoriste dans laquelle on pouvait
lire qu’il était un « très drôle, très lucide et très tendre personnage ». Etrange revirement
de situation que la rédaction expliquera par la différence entre « une enquête » et « une
interview ». Minute poursuivra la voie tracée par L’Express et consacrera la dernière page
de son dernier numéro de l’année 1980 à Coluche : peu de texte, mais une photo, une photo
anthropométrique qui plus est. Photo réalisée alors que Coluche avait seulement 19 ans et
qu’il était coupable d’un vol en bande pour un total d’environ 1000 francs.
Avant de continuer l’analyse de cette exclusion par une étude en onomastique politique,
il convient de noter que ces articles très violents restent très marginaux. La plus grande
production d’article revient tout de même aux journaux de soutien qui encensent la
candidature de Coluche. En des termes comme « heureux événement politique » (Cavanna)
ou « événement politique de l’année » (Serge July). Un journaliste moins proche de
l’humoriste écrira d’ailleurs « Suspendons, un instant, s’il vous plaît, nos désespoirs
142
républicains »
comme pour dire à ses confrères de cesser d’attaquer Coluche, comme
143
s’il était un « clown dangereux »
.
Une analyse en onomastique politique révèle une autre face de l’exclusion
des comiques
139
Billard (Pierre) & Loiseau (Jean-Claude), « Coluche : « Y s'marre, le mec ! » », Le Point, 22 décembre 1980, n°431, p.3
puis p.95
140
Charon-Baquel (Yvan), « Réponse à Guy Bedos, un seul vaccin contre la coqueluche …», l’unité, 12 décembre 1980, n
°403, p.2
141
142
143
46
Dérogy (Jacques), « La vraie nature de Coluche », L’Express, 27 décembre 1980, n°1538, p.35
er
Jeanneney (Jean-Noël), « Un clown chasse l’autre », Le Point, 1 décembre 1980, n°428, p.50-51
Slama (Alain-Gérard), « La France malade de Coluche », Le Figaro, 28 novembre 1980, n°11 270, p.2
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Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
Afin de présenter par un autre biais l’exclusion à laquelle les comiques ont pu être
confrontés, nous allons proposer une approche en onomastique politique. L’onomastique
politique est une discipline qui s’intéresse à l’utilisation du nom propre (noté Np) dans
le champ politique. Nous nous intéresserons, une fois encore, essentiellement au nom
Coluche, notre corpus étant nettement plus important que pour les autres candidats, ce qui
n’empêche que nous donnerons quelques embryons d’analyses du nom Dieudonné.
Afin de commencer notons que Coluche, est le pseudonyme de Michel, Gérard, Joseph
Colucci. Tout au long, de cette candidature, nous avons pu montrer que les journalistes ont
rivalisé d’imagination pour qualifier l’humoriste et sa candidature, nous allons montrer que
l’utilisation du nom de scène ou du patronyme de Coluche est chargée de sens. Avant toute
chose, il convient de rappeler d’où vient ce nom de « Coluche ». Michel Colucci est né à
Paris, d’un père italien, en 1946, ce qui explique la consonance italophone de son nom. Dès
1968, il crée avec quelques amis (Romain Bouteille, Renaud, Patrick Dewaere,…) le « Café
de la Gare », alors que sur scène, on le connait déjà sous le pseudonyme de « Coluche ».
Même si les sources divergent à ce sujet, il semblerait que Coluche se soit fait appeler ainsi
beaucoup plus tôt, lorsqu’il vivait dans les quartiers de Montrouge, où ses amis lui avaient
trouvé ce surnom hypocoristique. Plusieurs explications ont été données par Coluche tout
au long de sa carrière. La première, dans le registre de la scatologie qu’il affectionnait,
consiste à dire qu’il se serait fait appeler Coluche parce que « Colucci, ça fait Colucci
partout ». D’autres, plus probables, ont été avancées. Il n’était pas forcément toujours bien
vu d’être un immigré italien quelques années après la seconde guerre mondiale, ce qui l’a
amené à préférer le surnom de Coluche. Enfin, il a annoncé que c’était également pour des
raisons pratiques, personne n’ayant jamais su comment se prononçait son patronyme! Tous
les surnoms n’ont pas forcément une histoire, il est parfois difficile de savoir comment un
surnom se forme. Coluche aimait à dire que le sien venait du mot coqueluche, il l’a d’ailleurs
144
chanté dans sa chanson sketch, « J’suis l’andouille qui fait l’imbécile » que son « nom
sonne comme une maladie ». Cette chanson a d’ailleurs été écrite alors que la France
entière ne connaissait l’humoriste que par son pseudonyme. Quelles que soient les lectures
que l’on puisse avoir sur Coluche, force est de constater qu’il est quasiment toujours désigné
par ce pseudonyme connu de tous. Nous allons tout de même regarder à quelles occasions,
Coluche, sera nommé autrement que par son nom de scène pendant cette campagne à
l’élection présidentielle. Sarah Leroy, dans son ouvrage de référence, écrivait qu’« un même
nom propre peut être attribué à plusieurs individus et un même référent peut être porteur de
145
plusieurs noms propres » . Dans le cas de Coluche, deux noms propres lui sont attribués,
Colucci son nom de naissance, Coluche son pseudonyme. Mais nous allons voir qu’ils ont
pu connaître plusieurs variations.
Les différents noms propres par lesquels Coluche a été désigné sont au nombre
de sept : M.Michel Colucci, dit Coluche ; Michel Colucci, dit Coluche ; Michel Colucci ;
M.Colucci ; Colucci ; Coluche ; Monsieur Coluche. Ce que nous voulons montrer, c’est que
le choix d’une forme ou d’une autre est porteur de sens. Si l’on regarde le corpus dans
son ensemble, il est indéniable qu’appeler Coluche, « Coluche », est la norme. Dans la
quasi-totalité des articles, on retrouve en effet ce Np. Nous allons donc plus précisément
nous intéresser aux cas où l’on n’utilise pas celui-ci et où on le remplace par l’une des six
autres formes présentées. Les articles où l’une de ces six dénominations est utilisée ne
représentent que 20% de notre corpus, soit une petite cinquantaine d’articles, ce qui nous
permet d’en tirer une analyse conséquente bien que ces utilisations demeurent marginales.
144
145
Coluche, « Je suis l’andouille qui fait l’imbécile », 1975
Leroy (Sarah), op.cit., p.105
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47
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
Seul un journal a publié des articles en utilisant, l’expression M.Michel Colucci, dit
Coluche. Il s’agit du Monde. Ce journal est également celui qui utilise le plus souvent
la dénomination Michel Colucci, dit Coluche, et c’est d’ailleurs le seul dans lequel ces
expressions sont utilisées aussi souvent que le nom Coluche. Où chercher l’explication ?
Ce n’est pas nécessaire d’aller très loin. Le Monde joue une fois encore, son rôle de journal
de référence. Présenter Coluche, sous son nom de citoyen et non son nom de scène est lié
à un raisonnement logique. Toutes les personnes citées dans Le Monde (de cette époque)
sont nommées, du moins dans le chapeau de l’article, par cette forme. L’idée est de traiter
tout le monde sur un pied d’égalité, du moins d’en donner les apparences à travers ce genre
d’expressions. Nous avons vu que Le Monde présentera tout au long de cette campagne,
les articles les plus « neutres » de toute la presse. Puisqu’à l’exception de deux articles
d’opinion, tous les articles consacrés à la candidature de Coluche ne visent qu’à relater des
faits de campagne. Rappelons que pour faire plus neutre, dans les colonnes de ce journal
de référence, un « clown » devient un « fantaisiste ».
Le Monde cependant, n’a pas l’exclusivité de l’expression Michel Colucci, dit Coluche.
Celle-ci s’avère être utilisée par la quasi-intégralité des journaux que nous avons pu
analyser. A trois exceptions près, sur lesquelles nous reviendrons brièvement par la suite,
cette expression est utilisée dans les journaux entre le 26 novembre et le 3 décembre
1980, pourquoi ? La raison est simple, les journalistes qui ont ressorti cette expression
patronymique, l’ont fait lorsque Coluche est passé de la rubrique politique à la rubrique faits
divers. Ceci marque une césure et crée une sorte d’officialisation appropriée aux affaires
judiciaires. Rappelons que Coluche a, en effet, croisé les institutions judiciaires à deux
reprises pendant sa campagne : le 26 novembre suite à la mort par balles de son régisseur
lumières René Gorlin et le 2 décembre, après avoir reçu des menaces de mort. L’utilisation
de ces termes est appropriée aux circonstances et rendent les faits plus officiels.
Les trois formes ne correspondant pas à cette période sont moins aisément explicables,
146
l’une est liée au fait que le journaliste du Point
qui l’emploie effectue une sorte de
biographie de Coluche, il est donc justifié de commencer par son nom de baptême. L’une
extraite du Matin de Paris semble plus recourir à l’exercice journalistique, puisqu’elle
apparaît dans un article relativement long, où le journaliste cherche visiblement à limiter
147
les répétitions. La dernière, parue dans les colonnes de Charlie Hebdo
semble être une
pure ironie, une utilisation pompeuse pour annoncer la candidature de Coluche sachant que
dans la même phrase Arthur place les mots merde et cul.
Dans la majorité des cas, les expressions Michel Colucci et M.Coluccisont utilisées
durant la même période que celle que nous citions précédemment. Dans deux ou trois cas,
l’expression ne sert à rien d’autre qu’à éviter une répétition, elle n’est pas particulièrement
porteuse de sens. Ce sont des expressions finalement assez peu utilisées dans l’ensemble.
Mais on peut tout de même en tirer deux caractéristiques qui s’en dégagent. Un journaliste
du Matin de Paris pense que cette expression est utilisée par ceux qui « pensent banaliser
148
cette démarche »
; cette vision semble quelque peu erronée. En fait, ces expressions ont
été mises en avant par les journalistes au moment où la candidature de Coluche atteignait un
score élevé dans les sondages d’opinion ; cette réapparition du nom de famille, est associée
à l’adjectif sérieux. La candidature devient sérieuse, « Michel Colucci, candidat sérieux ».
L’autre type d’utilisation du terme Michel Colucci a pour but de montrer une dualité entre
146
147
148
48
Chambraud (André), « Cassandre et le saltimbanque », Le Point, 24 novembre 1980, n°427, p.44
Arthur, « Colucci, Coluche and C° », Charlie Hebdo, 5 novembre 1980, n°520, p.3
« Le cas Coluche », Le Matin, 8 Janvier 1981, n°1214, p.4
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Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
Coluche et Michel Colucci. L’un serait le candidat, l’autre le comique en campagne. Tous
les journalistes ne s’accordent pas pour savoir lequel est lequel, mais cette idée de dualité
de la personnalité de Coluche est présentée dans plusieurs articles. Pour ne donner qu’un
exemple, dans les colonnes du Nouvel Observateur, on pouvait lire que « Michel Colucci
s’épuise à tenter de suivre le phénomène Coluche », ou que « la candidature Coluche
149
existe, pas celle de Michel Colucci » . L’utilisation ici est intéressante. Chacun des noms
propres qui renvoie pourtant officiellement à la même personne, renvoie ici à une partie
de la personnalité différente. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces expressions par
la suite, mais nous pouvons noter que cet exemple montre à quel point les noms propres
peuvent être porteurs de sens.
Les deux dernières formes méritent notre attention. Utilisées très rarement, elles n’en
sont pas moins génératrices de sens. Colucci utilisé seul n’apparait que dans deux articles,
l’un paru dans Minute, l’autre dans L’Express. Ils ont la particularité d’être tous les deux très
durs vis à vis de l’humoriste. En ce qui concerne Minute, l’utilisation de Colucci a pour but
de rappeler les origines du « candidat-nul », « Colucci, Lederman (…), La France est bien
150
devenue le pays de l’étranger » . En ce qui concerne L’Express, l’utilisation de Colucci
pour désigner l’humoriste ne semble pas porter sur une question xénophobe, mais sur une
marque de profond irrespect pour la personne de Coluche. L’article vise à le montrer sous
ses plus mauvais jours, quelqu’un de tellement méprisant qu’il en devient méprisable, « pas
151
con, en vérité. Mais odieux avec ceux qu'il peut écraser de son mépris »
Enfin, notons que l’expression Monsieur Coluche est à la base un non sens. Ce n’est
pas le pseudonyme de Coluche, et Coluche n’est pas, non plus, son nom de famille, donc
il n’est pas censé être précédé par Monsieur. Cette expression prend des apparences
d’oxymore (figure de style qui consiste à juxtaposer deux termes de sens a priori opposés)
et va être utilisée comme telle. Mais seuls trois articles se réfèrent à cette forme, les trois
152
dans un aspect différent. Tout d’abord dans Minute
, l’utilisation est on ne peut plus
ironique, elle se prononcerait d’ailleurs /Môssieur Coluche/, nous évoquant immédiatement
un dialogue de sourd entre les deux protagonistes d’Uderzo et Goscinny s’échangeant des
« Môssieur Astérix » et des « Môssieur Obélix ». Le journaliste de Minute écrit Monsieur
Coluche, exclusivement sous la forme M.Coluche et pour donner une illustration de l’ironie
de l’article on peut souligner que François Brigneau nomme l’humoriste « le Saint homme ».
La référence que l’on peut trouver dans Le Point est a mi-chemin entre le respect et
l’ironie. On n’est pas assez proche du respect pour appeler Coluche par son patronyme,
mais les scores dans les sondages de l’humoriste amènent à le considérer comme un
vrai candidat, « Désormais, il n'y a plus de cas Coluche. Il y a tout simplement Monsieur
Coluche, candidat à la candidature à la présidence de la République, qui, avec 11 %
des intentions de vote, s'installe au quatrième rang parmi les candidats (supposés) à
la candidature, derrière Giscard, Mitterrand et Marchais, mais ex aequo avec Chirac et
153
Debré. »
Enfin, Le Monde utilisera à cinq reprises dans le même article cette formulation,
difficile de comprendre ici le choix du journaliste, il agit comme si le fait de dire simplement
149
150
151
152
153
Pfister (Thierry), « Que faire de Coluche ? », Le Nouvel Observateur, 8 décembre 1980, n° 839, p.40
Brigneau (François), « Celui par qui Coluche est arrivé », Minute, 17 décembre 1980, n°975, p.7
Dérogy (Jacques), « La vraie nature de Coluche », L’Express, 27 décembre 1980, n°1538, p.35
Brigneau (François), « docteur Althusser et Mister Coluche », Minute, 26 novembre 1980, n°969, p.10-11
Chambraud (André), « Coluche drague à gauche », Le Point, 12 janvier 1981, n°434, p.36-37
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49
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
« Coluche » serait irrespectueux, et nomme le comique une fois par son patronyme, une
fois par cette expression hybride.
Maintenant que nous avons vu les différents Np qui désignent Coluche, il est intéressant
d’étudier les dérivés qu’a pu connaître ce Np pendant la campagne de l’humoriste.Que ce
soit Jean Molino ou Sarah Leroy, tous deux reconnaissent dans la dérivation des noms
propres l’un des enjeux principaux de l’étude desNp. Cette dernière écrit que « la dérivation
154
du N p , loin d’être exceptionnelle, se révèle au contraire riche et variée »
alors que
Jean Molino montrait qu’il était extrêmement productif de former des adjectifs à partir de
noms de personnes. Pour Sarah Leroy, les dérivés des noms propres se rangent dans trois
catégories :noms communs (ex : une lapalissade), adjectifs (ex : dreyfusard) et verbes (ex :
proustifier). Nous allons étudier les différentes dérivations qu’a connues le nom Coluche
pendant la campagne de l’humoriste à l’élection présidentielle de 1981. Avant toute chose,
il convient de noter que tous les dérivés utilisés sont des dérivés issus du pseudonyme
de l’artiste et non pas de son patronyme. Pas de °coluccisme ou du °coluccien alors que
la consonance aurait été la même. Ceci confirme, une fois encore, l’idée que Coluche est
avant tout connu et désigné par son nom de scène. Afin de présenter au mieux tous les
dérivés qu’a connu le nom Coluche pendant cette campagne, nous allons dans un premier
temps nous intéresser au vocabulaire construit avec les suffixes -ien, -iste et –ismepour
ensuite nous intéresser aux autres suffixes qui ont généré des dérivations du Np Coluche.
Nous verrons enfin les termes construits avec des préfixes.François Gaudin et Louis
Guespin affirmaient que « si le nom propre tend à privilégier l’un des suffixes disponibles,
essentiellement : -ien ou -iste, les deux suffixes peuvent être utilisés concurremment :
gaullien et gaulliste n’ont pas la même valeur : "un discours gaullien" évoquera l’homme : -ien
a le sens de "propre à" ; "un discours gaulliste" référera aux idées de l’homme : -iste a le sens
de "partisan de", il en va de même pour les oppositions en mitterrandien et mitterrandiste,
155
marxiste et marxien » . Nous allons essayer de voir si cette division reconnue entre suffixe
en -ien et suffixe en -iste a été respectée au sujet de Coluche.
Nous aurons l’occasion d’en reparler, un peu plus loin, mais notons que de nombreux
journaux se sont intéressés, par le biais de sondages, aux électeurs de Coluche. D’autres
plus rares, s’intéresseront aux quelques comités de soutien à la candidature de l’humoriste
qui ont germé un peu partout en France. Pour tous ces militants et électeurs potentiels de
l’humoriste, les journalistes se devaient de trouver un nom. Ils se sont naturellement
penchés vers les dérivés en -ien et en -iste.
« Les gens qui vous appuient ne soutiennent ni une politique ni un programme ni
156
une visée présidentielle »
disait Dominique Jamet à Coluche. Ce dernier rétorquait qu’il
n’avait pas à avoir de programme, car il n’était pas un politicien. Toute la campagne de
Coluche ne serait en fait qu’une boite vide dans laquelle on pouvait glisser les idées que
l’on voulait qu’il défende. Bref, difficile d’être « partisan de » Coluche, puisqu’il assume le
fait de ne pas avoir de programme. Les militants sont donc plutôt attachés à la personne
de Coluche et seraient donc, selon la logique, plus « coluchiens » que « coluchistes ».
Dans les faits, cette théorie est tout à fait confirmée. Le journal qui s’intéresse le plus aux
« militants » de Coluche est de très loin Libération. Les militants sont systématiquement
154
155
Leroy (Sarah), op.cit., p.59
Gaudin (François), Guespin (Louis), Initiation à la lexicologie française, de la néologie aux dictionnaires, Paris, De Boeck/
Duculot, 2000, p.258
156
50
Jamet (Dominique), « A Quoi jouez-vous, M. Coluche ? », Le Quotidien de Paris, 24 novembre 1980, n°308, p.7
Bozonnet Grégory - 2008
Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
appelés « coluchiens ». Ainsi, on trouve dans les colonnes de ce journal des expressions
telles que, « symbolique coluchienne », « engagement coluchien », « farce coluchienne »,
« inconditionnels coluchiens », « intellectuels coluchiens », « candidature coluchienne », …
coluchien peut être accolé à tout un spectre de noms communs, mais l’adjectif qualificatif
sera toujours coluchien. Ainsi, tous ces « militants » forment « le parti des coluchiens »,
un parti sérieux et organisé : « militants dans l’âme ils sont prêts et à coller des affiches, à
recueillir des signatures sur les marchés, à discuter avec les gens dans le quartier. Sans
157
rire. »
Coluchien est utilisé par la plupart des autres analystes politiques, ainsi Le Matin
de Paris publiera dans ces colonnes l’expression « rhétorique coluchienne » ou « ras-le158
bol coluchien » . Le Point consacrera plusieurs articles à essayer de comprendre ce
mouvement, notamment à comprendre la sociologie des « militants ». Par ailleurs, André
Chambraud affirmera, tout de même, que « le thème "coluchien" du "chacun pour soi" est
159
en réalité singulièrement égoïste, démoralisateur et poujadiste »
.
Nous venons de voir que coluchien était très répandu ; mais est-ce que cela signifie que
personne n’a utilisé coluchiste ? Personne, pas tout à fait, mais presque. En fait, le terme ne
va apparaître que six fois dans toute la campagne. Six fois, dont une seule utilisation sans
guillemet. Cette utilisation revient à Jean Daniel dans les colonnes du Nouvel Observateur.
Mais ce qui intéressant à noter, c’est que sur six utilisations, quatre sont à mettre à l’actif
d’un seul journaliste, Claude Weill pour Le Matin de Paris. Il va dérouler plusieurs articles
160
sur les « coluchistes » avant de se demander : « faut-il dire " coluchiens " ?» .
Le 5 mars 1981, les mots croisés des Nouvelles littéraires proposaient cette définition
pour un mot en dix lettres : « On peut dire qu’il est le fruit de la désespérance (néol) ».
Le mot qui se cachait derrière cette définition ? Coluchisme. Un terme, utilisé assez peu
fréquemment dans cette campagne. Il n’y en aura en fait que six occurrences. Si l’on se
réfère au Grand Robert de 1999 :
« Le suffixe –isme est très productif ; ajouté à un nom ou à un adjectif, il forme
des termes politiques et sociaux, avec la valeur axiologique du "système
d’opinions" ou de "attitude, tendance" ; des termes de philosophie, de religion
ou de science ("doctrine" ou "croyance") ; des termes littéraires et artistiques
("écoles" ou "tendances"). Il a toujours la valeur de "attitude positive par rapport
à". Une deuxième valeur du suffixe est celle d’ "attitude" et "activités" conforme
à la tendance ou au modèle qu’exprime la base ou favorable à une personne, un
groupe humain, etc. (américanisme ; -pro-). »
Bien sûr, il est un peu difficile d’imaginer le coluchisme comme un « système d’opinions »,
comme une doctrine ; mais comme « attitude positive par rapport » à Coluche, ceci peut
se comprendre. On peut imaginer que la polysémie du suffixe a pu décourager plus d’un
journaliste à l’utiliser. Jacques Dérogy nous explique dans L’Express que « l'ampleur du
161
"coluchisme" [est] révélée par les sondages »
. Cette idée pourrait donc correspondre
à la définition d’attitude positive par rapport à Coluche. Les quelques dix pour cent qui
se disent enclins à voter Coluche seraient des personnes favorables à Coluche et à son
157
158
159
160
161
Maigne (Jacques), « Les humanistes et les Gaulois », Libération, 27 décembre 1980, n°2136, p.7
« L'avertissement de Coluche », Le Matin de Paris, 16 mars 1981, n°1261, p.2
Chambraud (André), « Cassandre et le saltimbanque », Le Point, 24 novembre 1980, n°427, p.44
Weill(Claude), Présidentielle : Coluche s’installe », Le Matin de Paris, 15 décembre 1980, n°1183, p.4
Dérogy (Jacques), « La vraie nature de Coluche », L’Express, 27 décembre 1980, n°1538, p.35
Bozonnet Grégory - 2008
51
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
initiative et c’est donc cela que l’on nommerait le « coluchisme ». C’est dans ce sens
que les articles du Matin de Paris qui s’y réfèrent l’emploient. On peut en fait souligner
deux énoncésnotables : lepremier est issu des colonnes de L’Express : « Le coluchisme,
162
pour l'heure symptôme plus que mouvement, n'est pas encore un boulangisme »
; le
163
second, tiré du Monde,
oppose un « coluchisme de réflexion » à un « coluchisme de pure
jubilation ». A travers cette expression « coluchisme de réflexion », on peut distinguer les
prémisses d’une idéologie. Dans cet article, ce serait une sorte d’idéologie antipolitique ou
plus précisément anti-présidentialiste, nous reviendrons un peu plus loin sur ce point.
De coluchien à coluchisme, en passant par coluchistes, la candidature de Coluche a
été l’occasion de créer des néologismes avec des suffixes « politiques ». Pour compléter le
tableau, il manquait le terme coluchards, L’Express ne l’a pas oublié. Selon eux, l’électorat
164
de Coluche est de « quelques centaines de milliers de coluchards potentiels » . Il pourrait
être intéressant de faire une analyse complète des différents suffixes. Mais pour ne dire
qu’un mot sur le suffixe -ard, nous pourrions noter que l’édition numérique du Trésor de
la Langue française, le défini comme un « suffixe péjoratif formateur d'adjectifs ou de
substantifs qualifiant ou désignant des personnes» ou comme un suffixe « désignant une
réalité sociale ou politique ». Il est vrai qu’il est courant de rencontrer un mot créé avec le
suffixe -ard qui soit péjoratif, et que ce suffixe peut également s’appliquer à des mots comme
communard ou dreyfusard. L’article dans lequel Olivier Todd a utilisé cette expression
montre toutes les réminiscences de notre passé politique que Coluche ferait ressurgir. Il est
extrêmement dépréciatif. On peut donc supposer que l’auteur a joué sur la polysémie de
ce suffixe pour désigner les militants de Coluche. On peut, bien sûr, le prendre comme un
suffixe formateur d’une réalité politique que sont ces militants, dans ce cas, et en rapport
avec le thème de l’article, à nous d’interpréter à quel évènement il peut nous renvoyer en
qualifiant les électeurs potentiels de Coluche, de « coluchards ». Mais on peut également
imaginer, que l’auteur choisi ce suffixe pour sa valeur dépréciative, et notamment pour
former un mot qui sonne comme clochard. En tout cas, ce mot à lui seul montre l’étendue
de la sympathie qu’Olivier Todd peut avoir pour la campagne de l’humoriste…
Nous venons de voir toutes les dérivations du nom Coluche qui ont généré des
néologismes politiques ; nous pouvons également noter quelques autres suffixes utilisés
pour créer des néologismes d’un autre domaine. Pendant cette campagne, nous avons
pu en relever deux créés respectivement avec les suffixes -ite et -erie. Ainsi dans l’article
d’Olivier Todd, que nous avons déjà amplement cité, on peut lire qu’« il est trop tôt pour
165
dramatiser la coluchite d'une fraction de l'opinion » . Le suffixe –ite renvoie immédiatement
au champ lexical de la médecine et l’on pourrait d’ailleurs faire le parallèle avec un autre
article de L’Express qui affirmait que « la France fait, comme cela lui arrive régulièrement,
166
une allergie. Coluche, c'est une crise d'urticaire.» . Libération, aussi, a utilisé coluchite,
pour qualifier un engagement soudain d’un groupe de militants jusqu’alors très peu politisés,
162
163
Todd (Olivier), « Le cru et les recuits », L’Express, 22 novembre 1980, n° 1533, p.110
Franceshini (Paul-Jean), « les limites d’un pet » », Le Monde, 26 novembre 1980, n°11 142, p.2
164
165
166
52
Todd (Olivier), « Le cru et les recuits », L’Express, 22 novembre 1980, n° 1533, p.110
Todd (Olivier), art.cit., p.110
Roy (Albert, de), « Sondage : que pèse M.Colucci », L’Express, 27 décembre 1980, p.39
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Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
167
« la coluchite les saisit un dimanche soir »
. Dans cette phrase, l’expression de la
soudaineté peut, en effet, être mise en parallèle avec l’idée de virus.
Enfin, on peut croiser dans un article du Point, un néologisme fort péjoratif, il s’agit de
168
colucherie . Le suffixe -erie, entraîne un dérivé avec une valeur dépréciative, affective ou
fréquentative. Dans le cas présent, il ne fait aucun doute que c’est la valeur dépréciative qui
prédomine, d’autant plus que colucherie résonne comme un nom préexistant à connotation
très péjorative.
Pour conclure, et pour insister sur la richesse de l’étude de la dérivation des Np pour
montrer l’exclusion de cette candidature, on peut noter que trois termes ont été crées
pendant cette campagne en utilisant des préfixes. Deux n’ont pas vraiment de valeur
politique, ils ont été essentiellement créés pour le plaisir du bon mot, l’autre est un peu plus
chargé de sens. Pour commencer par ce dernier, il s’agit de procoluchiens utilisé par Paul
Israël dans les colonnes du Matin de Paris. Ce terme désigne les personnes enclines à
voter Coluche. L’auteur a dû juger que le suffixe –ien, dont nous avons déjà évoqué le sens,
ne marquait pas encore suffisamment l’attachement des électeurs potentiels à la personne
de Coluche. Pour insister, un peu davantage, il a utilisé le préfixe pro- qui est prend, ici, le
sens de «favorable à, partisan de» (Trésor de la langue française). Sur un ton plus léger,
Patrick Séry écrira dans L’Express, « Candidat des minorités — c'est lui qui le dit — Coluche
grignoterait sûrement les marginaux du fait simplement qu'il serait le plus marginal de tous :
un des effets de l'« effet Coluche ». Les écologistes pourraient en prendre un coup, à moins
169
de se transformer en écoluchiens.»
Enfin, une caricature de Charlie Hebdo, présente un
jeu de mot, qui peut entrer dans cette catégorie, puisque cette caricature appelle à voter
« coco-luche ».
On peut noter, cependant, qu’aucun dérivé du Np Coluche n’a généré de verbe. On
aurait pu imaginer par exemple un énoncé disant que la précampagne aurait « coluchisé »
les esprits ou les candidats. Cette absence de verbe est peut-être révélatrice du trop faible
impact de cette candidature sur la campagne.
Pour conclure sur l’analyse de ce nom, nous pourrions nous intéresser à l’utilisation
de Coluche comme antonomase pendant cette campagne, le premier exemple sur lequel
nous aimerions nous arrêter est issu des colonnes du Monde. M.Franceshini signe un article
très dur contre la candidature de l’humoriste, qu’il conclut par ces mots : « Le beau sujet
de s'esclaffer que les imperfections et les vices d'un système comme le nôtre ! Quand les
rieurs seront légion, la voie sera frayée pour un régime où les Coluche se verront indiquer
170
par arrêté ministériel les sujets dont le pouvoir veut qu'on s'amuse. » D’un point de vue
syntaxique, le déterminant défini introduit une utilisation tropaïque du Np. Il détourne le sens
propre du nom Coluche. Il y a donc une antonomase, utilisation d’un nom propre comme
un nom commun. Dans le cas présent, le déterminant est indéfini et pluriel, mais Sarah
171
Leroy montre que dans l’antonomase « tous les déterminants sont envisageables » .
Coluche se conduit ici comme n’importe quel nom commun. Il est donc doté d’un sens, sens
167
Gilson (Martine), « Randonnée dans le parti des coluchiens – 2
ème
partie : les jeunes, les intellectuels, les drôles »,
Libération, 27 décembre 1980, p.7
168
169
170
171
Chambraud (André), « Coluche drague à gauche », Le Point, 12 janvier 1981, n°434, p.36
Sery (Patrick), « L'effet Coluche », l’Express, 22 novembre 1980, n°1533, p.108
Franceshini (Paul-Jean), « les limites d’un pet » », Le Monde, 26 novembre 1980, n°11 142, p.2
Leroy (Sarah), op.cit., p.71
Bozonnet Grégory - 2008
53
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
que le contexte aide à révéler. Il serait ici assez générique et représenterait les comiques
professionnels officiant dans les médias. Ainsi, on pourrait tout à fait imaginer le journaliste
modifiant sa phrase en utilisant cette périphrase et ceux, sans modifier le sens initial. En
guise de deuxième exemple, sur les expressions que nous avions auparavant citées sans
trop les expliquer : « Michel Colucci s’épuise à tenter de suivre le phénomène Coluche », ou
172
« la candidature Coluche existe, pas celle de Michel Colucci » . Rappelons que ce ne sont
que des exemples choisis d’opposition entre « Michel Colucci » et « Coluche ». Force est de
constater que ces deuxNp renvoient au même référent et pourtant, ils n’ont pas, ici, le même
sémantisme. En effet, on est en quelque sorte dans le cas de la phrase-exemple de Sarah
173
Leroy : « Montand est devenu Montand » . Dans ces énoncés, l’un des emplois du Np « fait
appel au sens dénominatif ». Si l’on plagie un peu davantage Sarah Leroy, on peut écrire
que l’on peut sans problème gloser un des deux Np par le x appelé Coluche. En revanche,
le second Np ne permet pas cette interprétation, et nécessite de faire appel au contenu du
Np (qu’on peut gloser par « le comique qui fait une irruption dans le champ politique»). En
d’autres termes, dans ces expressions, seul un des deux Np peut être remplacé par une
périphrase - parce que chargé de sens - l’autre Np n’a qu’une vertu dénominative. Pour
ne donne qu’un dernier exemple avant de nous intéresser à Dieudonné, nous pourrions
mettre en relief ces mots très durs issus des colonnes de Minute. Pour cet hebdomadaire
d’extrême droit, la cause du succès de Coluche est « morale parce que depuis des années
et des années on s'applique à faire de ce peuple un ramassis de Coluche. Rien d'étonnant
s'ils se sont reconnus dans son image et veulent maintenant en faire leur président. ». Cet
expression « ramassis de Coluche », selon Le Trésor de la langue française, un ramassis est
un « rassemblement disparate de gens peu estimables », il est plus difficile en revanche de
savoir comment François Brigneaudéfinirait un Coluche, en parcourant le reste de l’article,
on peut simplement juger qu’il s’agit de quelqu’un vraisemblablement dénué de valeurs et
d’intérêts.
Le nom de Dieudonné, est beaucoup moins souvent enclin à des dérivations, ce qui est
notamment lié au fait qu’on ne le croise que rarement dans les colonnes politiques. Afin de
présenter quelques aspects de l’utilisation de son nom, nous nous fierons essentiellement
à la presse d’extrême droite et à son site de soutien.
En ce qui concerne la presse d’extrême droite, le nom de Dieudonné est régulièrement
utilisé pour rappeler ses origines. Dieudonné est métis, « né d’un père camerounais et d’une
mère bretonne » comme il aime à le dire. Contrairement à Coluche, son patronyme apparaît
relativement régulièrement dans ses campagnes. Ceci est lié à plusieurs phénomènes, tout
d’abord nous avons vu avec Coluche que son patronyme était mobilisé au moment où il
entrait dans les colonnes « faits divers » ou « justice ». Il en ira de même pour Dieudonné,
à la nuance près, qu’il n’a jamais vraiment quitté les colonnes « justice » pendant ses
campagnes. Nous nous devons tout de même de noter que, si l’utilisation de son nom est
quasi systématique lorsqu’un article renvoie à un procès de l’artiste, son patronyme apparaît
également dans d’autres temps de la campagne. Ceci est vraisemblablement lié au fait que
Dieudonné soit avant tout un prénom et que, par conséquent, les journalistes doivent mettre
en œuvre un processus de différenciation, nous avions noté auparavant que ce processus
passait très souvent par l’utilisation du terme « l’humoriste Dieudonné », parfois, l’utilisation
de son nom de famille prend également ce rôle. Pour en revenir à la presse d’extrême
172
173
54
Pfister (Thierry), « Que faire de Coluche ? », Le nouvel observateur, 8 décembre 1980, n° 839, p.40
Leroy (Sarah), op.cit., p.115
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Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
droite. Dieudonné est systématiquement nommé par son nom. En fait, ceci ne changera
qu’à propos de l’article traitant de la présence de l’humoriste à la fête bleu, blanc, rouge, du
Front national. Pour ne donner que deux exemples, nous pouvons noter que Rivarol intitule
174
son article à propos de l’humoriste par un jeu de mot sur son nom « M’ba la campagne » .
Le jeu de mot renvoie bien sûr à l’expression battre la campagne, mais corrobore avec la
dénomination de Dieudonné par l’expression « candidat M’bala, M’bala », c’est aussi par
175
ces mots que l’humoriste est désigné dans les colonnes de Minute
. Notons que cet
article renvoie à une utilisation tropaïque de Dieudonné, en effectuant un jeu de mot à partir
de la consonance du Np. En fait, le prénom Dieudonné vient de « Dieu a donné », c’est à
partir de là que Minute a pu titrer « L’humour ce n’est pas Dieudonné à tout le monde ».
En dehors de ces utilisations par la presse d’extrême droite, les ogres ont très
régulièrement joué avec le nom de l’humoriste. L’humoriste lui-même sur scène, joue
beaucoup avec les difficultés qu’ont certaines personnes à prononcer ou à écrire son nom.
Ce à quoi nous allons nous intéresser à propos de Dieudonné c’est à l’utilisation de la
dérivation par son site de soutien. Nous pouvons tout de suite noter qu’elle est relativement
courante. Ainsi, les médias sont pour eux « sarkophile et dieudophobe ». L’utilisation de ce
suffixe –phobe est utilisé pour appuyer leur théorie du lynchage médiatique de l’humoriste.
Rappelons que ce suffixe entre dans la construction d’adjectif et de substantif en leur
donnant le sens de « peur de ». La presse aurait donc peur de Dieudonné. Outre ce suffixe,
on retrouve également la formation de verbe à partir de Dieudonné. Ainsi il existerait un
176
verbe dieudonniser
. Le sous-titre de l’article est « je, tu, il, Dieudonnise ». Mais si
dans le titre, l’équipe des Ogres utilise une majuscule, elle sera perdue dès la première
ligne, avec le terme dieudonnisation. Terme dont ils donnent une définition, il s’agit de
« reprendre une de ses phrases en se foutant de tout le reste ». Autrement dit, l’idée que
Dieudonné serait antisémite est une construction médiatique pour l’exclure. Pour cela, toute
l’équipe a fait un important travail de recherche, et ont pris des déclarations de Coluche,
Pierre Desproges, mais aussi d’Alain Finkielkraut, Dominique Sopo, Bernard Henry-Lévy,…,
déclarations qu’ils ont sorties de leur contexte pour montrer qu’elle pourrait être considérées
comme antisémite. C’est donc cette pratique qui s’appellerait une dieudonnisation, notons
qu’elle alimente une fois encore la stratégie de victimisation de l’artiste. Toutefois, ses
soutiens se défendent de le faire par stratégie, au contraire, c’est en face qu’il y a une
idéologie de l’antidieudonnisme. Ce terme apparaît à plusieurs reprises dans les articles
présents sur ce site web, pour dénoncer l’acharnement médiatique de ce qu’ils appellent le
« lobby sioniste ». Enfin, nous pouvons noter qu’il relaie aussi les utilisations de Dieudonné
comme antonomase dans les autres médias. Ainsi, ils reviennent sur les déclarations de
177
Michaël Prazan dans les colonnes du Figaro qui dit qu’on le « traite de "Dieudonné" » . En
fait, pour donner quelques mots du contexte, Michaël Prazan vient alors de publier Pierre
Goldman, le frère de l’ombre (Seuil) dans lequel il prouve la culpabilité de l’homme dans un
double assassinat pour lequel il avait été innocenté plus de trente ans auparavant. Certains
l’ayant accusé d’être antisémite (alors qu’il est juif), l’ont qualifié de Dieudonné. Ainsi, un
Dieudonné serait donc synonyme d’un antisémite. C’est un peu ce que l’on retrouve dans
les pages débats du monde quelques mois plus tôt où l’on parle « d’élucubrations d’un
174
175
176
177
« M’ba la campagne », Rivarol, 16 novembre 2001, p.3
Langeau (Henri), «L‘humour c‘est pas Dieudonné à tout le monde», Minute, 20 décembre 2001, n°2045, p.7
« Et si on les dieudonnisait? Jeu de massacre », lesogres.org, 25 septembre 2005
Burnat (Patrice), «l‘embarassant fantôme de Pierre Goldman », Le Figaro, 24 septembre 2005, p.8
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L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
178
Dieudonné » dans un article consacré à la victimisation des Noirs et des juifs. On retrouve
également la même idée sous la plume de Gilles Anquetil, « si les violences coloniales
avaient été mieux enseignées, un Dieudonné n’aurait pas eu le moindre prétexte pour
179
délirer dans sa surenchère victimaire » . A propos de l’antisémitisme de Dieudonné, Alain
Finkielkraut était monté au créneau s’offusquer de certains de ces propos. Notons qu’à cette
occasion, il a avait utilisé une expression marquante, moins de deux mois après la mort de
Pierre Bourdieu, il parlait de « pensée "Bourdieudonné" ». Sous ce jeu de mots se cachait
une dénonciation « d’une pensée qui, entre Bush et Ben Laden, choisit quand même Ben
180
Laden, parce que celui-ci a le charisme du révolté. »
Après avoir montré les mots des journalistes donnant une impression d’une volonté
d’exclusion de ces comiques de la campagne à l’élection présidentielle, nous venons de voir,
que l’étude des noms propres Dieudonné et Coluche ainsi que de leur dérivation pouvaient
mettre en exergue d’autres stratégies de mise au ban de ces campagnes. Nous allons à
présent voir, si ces candidats sont également mis à l’écart des élections en n’étant traité ni
par les sondages, ni par les analystes politiques.
Des candidatures fréquemment « sondées » et analysées, peut-on
parler d’exclusion ?
« Grace aux sondages, les journalistes et les politologues médiatiques
participent directement à la lutte politique tout en apparaissant comme des
181
observateurs impartiaux » Patrick Champagne, Faire l’opinion.
Dans son analyse du champ politique, Bourdieu comprend les journalistes politiques et les
professionnels des sondages à l’intérieur du champ politique. Être ou ne pas être dans
un sondage est un signe d’appartenance, ou non, au champ politique, tout comme le fait
d’être ou ne pas être cité par les grands analystes politiques, dans les éditoriaux des grands
journaux. Nous avons eu l’occasion de montrer que les grands journaux ne s’étaient pas tant
détournés des humoristes qu’on pouvait le croire, nous allons maintenant nous intéresser
aux sondages et aux articles écrits par les analystes politiques des grands journaux.
Des candidats exclus des études d’opinions ?
« Un sondage sur l’impact de cette candidature n’a aucune signification
182
politique ». Bernard Pons, secrétaire général du R.P.R. à propos de Coluche.
Le premier point sur lequel nous souhaitons donc réfléchir, c’est de nous demander, si
Coluche et Dieudonné ont été, à un moment ou à un autre, exclus des sondages d’opinions
et pourquoi.
S’il est évident que Pierre Dac n’ait figuré dans aucun sondage, même si les sondages
d’opinions politiques font leur première vraie apparition en 1965 en France, il est un peu plus
dur de quantifier la présence et l’absence de Dieudonné et de Coluche dans les sondages.
Tous deux ont été proposés à plusieurs reprises dans les sondages d’opinions et ils ont
178
179
180
Benbassa Esther, « Les Noirs, les juifs et la victimisation », Le Monde, 17 mars 2005, p.15
Anquetil (Gilles), « Massacres et mémoire », Le Nouvel Observateur, 19 mai 2005, p.43
Lacroix (Alexis), « Alain Finkielkraut - "C'est reparti comme en cinquante ! " », Le Figaro, 16 mars 2002, p.13
181
Champagne (Patrick), Faire l’opinion, éd. de Minuit, p.153
182
« Pons… », Libération, 17 novembre 1980, n°2102, p.6
56
Bozonnet Grégory - 2008
Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
aussi, tous deux, été écartés dans d’autres. En ce qui concerne Dieudonné, on peut noter
que son retrait prématuré de la course à l’élection présidentielle de 2007 explique, à lui
seul, son absence dans les sondages. Afin d’être le plus précis possible, nous allons dans
un premier temps, étudier la question de la présence dans les sondages de Dieudonné,
pour ensuite nous intéresser plus longuement à la candidature de Coluche. En effet, cette
dernière candidature va soulever un peu plus d’interrogations. Comme peut le montrer cet
extrait d’un article paru dès la mi-novembre dans Libération.
« L'excitation produite par le phénomène Coluche dans les milieux
journalistiques est telle que jeudi, un bruit courait à Paris selon lequel un
sondage test de la SOFRES créditerait le candidat de 10% des intentions de vote
au premier tour. La réalité est pour le moment plus sage ; il ne s'agit en fait que
d'une crainte des spécialistes : comment éviter que les indécis (environ 20 %
pour l'instant) ne se précipitent sur le nom de Coluche pour éviter de dire : « Je
ne sais pas ». « La question sur Coluche est le type du « biais » en matière de
sondage. Il est évident que le score serait énormément gonflé : je ne serais pas
surpris qu'il atteigne 10 %, soit la moitié du nombre de ces indécis qui saisiraient
ainsi une possibilité d'échappatoire » dit Jaffré, « Le moment venu, on verra
comment on peut éviter les biais. On posera sans doute une ou deux questions
parallèles pour recouper la réponse sur Coluche », explique Olivier Noc de
183
Baromètre Public SA. »
Laurent Jaffré prend d’ailleurs son rôle très à cœur. Il explique dans l’article qu’il est soucieux
de ne pas inscrire trop de candidats dans les questionnaires pour ne pas faire perdre de
sens aux sondages tout en s’assurant de ne pas fermer la porte à des candidats potentiels.
« Nous ne pouvons pas nous ériger en conseil constitutionnel des candidats »expliquait-il
tout en précisant qu’il ne « fera[it] pas d ostracisme à l'égard d'un candidat, même si c'est
un fantaisiste professionnel ».
En fait, « Les instituts de sondage, dans leur grande majorité, attendent donc que les
candidats fassent état d’un certain nombre de promesses de signature d’élus pour l’intégrer
184
dans leurs sondages. » Le journaliste de Libération critique ce pouvoir des instituts de
sondages qui peuvent finalement désigner qui est digne d’être présenté comme un candidat
potentiel ou non. « Les instituts de sondages, chiens d'arrêts de la classe politique » écrira
Fabien Roland-Lévy, en conclusion de son article. Pour lui, figurer dans les même colonnes
185
que Giscard, Mitterrand ou Marchais constitue « la première estampille politicienne »
Nous avons montré qu’en ce qui concerne Coluche, la première marque de son importance
politique était vraisemblablement sa place en une de grands quotidiens nationaux, ou de
revues généralistes.
Pour revenir, à la présence dans les sondages de nos candidats, nous pouvons
noter que Dieudonné, a été relativement présent dans les sondages. Compte tenu des
débordements de sa campagne qui ont amené certains médias à se détourner de sa
candidature. En fait, ce qui est surprenant, c’est que pendant sa campagne on peut
rencontrer essentiellement des sondages issus de l’IFOP, ce qui est peut-être un parti pris
de cet institut de sondage quand les autres préféraient partir du principe qu’il ne serait pas
candidat à l’élection présidentielle et donc que sa présence dans un sondage introduirait
183
Roland-Levy (Fabien), «Les sondeurs vont devoir pêcher le Coluche », Libération,15 novembre 1980, n°2101, p.8
184
185
Roland-Levy (Fabien), «Les sondeurs vont devoir pêcher le Coluche », Libération,15 novembre 1980, n°2101, p.8
Idem
Bozonnet Grégory - 2008
57
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
un biais. A l’instar de la candidature de l’humoriste, sa présence dans les sondages est
en dent de scie. Ainsi, dès le 29 juin 2001, Dieudonné apparaît dans les colonnes du
Journal du Dimanche. Selon ce sondage il récolterait, 4% des voix, tout comme Jean-Pierre
Chevènement, ce qui correspondait, dans ce sondage à une huitième place, derrière Robert
Hue, mais devant le candidat des Verts, Alain Lipietz. On le retrouvera, dans les colonnes
du même journal à un mois du premier tour alors que sa présence au premier tour semble,
de plus en plus, compromise. Dans ce dernier sondage, on prévoit qu’il ne récolterait qu’un
pour cent des voix. Entre temps, le même institut de sondage, pour le même journal ou
pour un autre, a réalisé plusieurs enquêtes dans laquelle ne figurait pas le comique. Nous
reproduisons ci-dessous plusieurs résultats.
Comme on peut le remarquer, en face de Dieudonné, appelé dans les sondages par
son patronyme, figure souvent NP ce qui signifie qu’il n’était pas proposé dans les choix
de candidats possibles. On peut noter qu’à de faibles variations près, plus le sondage était
proche du premier tour, moins Dieudonné récoltait de voix. Ceci peut confirmer l’idée de
Laurent Jaffré, les indécis ont peut-être tendance à choisir un candidat fantaisiste plutôt qu’à
renoncer à donner une opinion.
En dehors, de ces résultats, nous pouvons relever, deux autres sondages qui sacrent
Dieudonné comme un candidat important. Le premier a été réalisé au début de l’année
2001, alors que Dieudonné avait déjà annoncé sa candidature. VSD avait pour le compte
d’un article consacré à l’humoriste commandé un sondage sur ses électeurs potentiels. Sur
un échantillon représentatif des français de plus de 18 ans de 953 personnes, ce sondage
interroge le rapport des enquêtés à la politique mais s’intéresse surtout à la perception de
la candidature de l’humoriste par les français. On apprend ainsi que moins d’un français sur
deux exclu totalement l’idée de voter pour le comique polémiste. En effet, 7% des interrogés
affirment que « c’est certain », ils voteront pour Dieudonné, 24% répondent « pourquoi pas »
quand on leur pose la question, et 20% des enquêtés jugent « peu probable » qu’ils lui
accordent leur bulletin de vote, deux personnes sur cent ne se prononçant pas. D’autre part,
nous reproduisons ci-dessous, la question portant sur le syntagme qualifiant au mieux la
candidature de Dieudonné M’Bala M’Bala. Nous pouvons noter que le qualificatif qui est le
plus retenu est celui de fantaisiste, qui regroupe plus de quatre personnes sur dix. On peut
noter que plus du tiers des interviewés pensent que cette candidature peut être utile que ce
soit pour inciter les jeunes à voter ou les hommes politiques à se renouveler.
Enfin, et nous reviendrons avec Coluche sur ce type de sondage. Un sondage TNSSOFRES commandé par l’association « Festival contre le racisme » quelques semaines
avant le premier tour, place Dieudonné en tête des candidats capable de résoudre le
problème du racisme en France. Ce sondage est très peu représentatif puisqu’il a été réalisé
sur quatre cents jeunes âgés entre quinze et vingt-quatre ans. Même si dans ce cas, ce
sondage n’a eu qu’un très faible écho, nous verrons par la suite que des sondages réalisés
« sur mesure » pour que le candidat fantaisiste obtienne un gros score ont pu être courants
pendant la campagne de Coluche et ce, même dans des grands quotidiens.
Avant de nous attacher un peu davantage au traitement de Coluche dans les
sondages, nous pouvons noter qu’à l’instar de son traitement médiatique, Dieudonné n’est
ni totalement exclu, ni très présent dans les sondages d’opinions, ce qui prouve que l’on ne
peut pas réellement parler d’exclusion de sa candidature des médias.
En ce qui concerne la candidature de Coluche, après avoir longtemps hésité à faire
figurer Coluche dans leurs sondages, ce qu’expliquait Laurent Jaffré, la plupart des instituts
de sondages ajoutera l’item Coluche à leurs questionnaires. Il y aura de plus de nombreux
sondages commandés spécialement sur la candidature de Coluche, notamment pour mieux
58
Bozonnet Grégory - 2008
Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
connaître ses militants. Le premier sondage a été publié le 17 novembre 1980 dans
le Nouvel Observateur, soit moins de trois semaines après la déclaration officielle de
candidature de l’humoriste, le dernier a été publié le 27 mars 1981, soit plusieurs jours,
après le retrait de l’annonce du retrait de sa candidature par Coluche. La particularité de
ces sondages, c’est qu’il n’interrogeait la population que sur la candidature de Coluche.
Coluche figure également dans des sondages aux côtés des autres candidats, le premier a
été publié dans les colonnes du Quotidien de Paris le 2 décembre 1980 et le dernier dans
l’hebdomadaire Le Point, le 19 février 1981. Force est de constater, que bien que Coluche
n’ait pas été présent dans tous les sondages publiés, il a été régulièrement cité, tout au long
au long de sa campagne.
Avant toute chose, nous allons essayer de retracer les scores obtenus par Coluche
dans les différentes enquêtes d’opinions. Le premier sondage est paru le 17 novembre
1980 dans les colonnes du Nouvel Observateur, sur 500 abonnés parisiens du magazine,
48% jugent la candidature sympathique, 27% voteraient pour lui s’il se présentait. Nous ne
pouvons pas, pas du tout donner de crédit à ce sondage dont la population n’est ni suffisante,
ni représentative, mais on peut affirmer que ce sondage a contribué à la popularisation
de la candidature de l’humoriste puisqu’il a été repris dans les colonnes de nombreux
quotidiens le lendemain, L’Express qualifiera ces réponses de « réponses canulardesques
186
à une candidature canular »
. Dans son numéro de 22 novembre, L’Express publie
un sondage réalisé sur un panel de 250 témoins régulièrement utilisé par ce magazine.
42% d’entre eux sont hostiles à la candidature. Albert de Roy insiste pour dire qu’ils ont
volontairement omis de poser la question de l’intention de vote, parce que ce « serait jouer
le jeu de Coluche ». Le 2 décembre 1980 paraît donc le premier sondage où Coluche est
proposé comme n’importe quel autre candidat comme item possible. Selon la présence ou
non d’autres candidats présents (notamment Chirac et Debré) le score de Coluche varie
entre 10 et 12,5% des intentions de votes. Pour Philippe Boggio, ce sondage Indice-Opinion
pour le Quotidien de Paris « signe le début des ennuis » de Coluche parce que « la politique
187
va se défendre ». Nous reviendrons plus amplement sur ce point, dans la seconde partie
de notre réflexion. Moins de deux semaines plus tard, Le Journal du Dimanche surenchérit
et propose un Coluche à 16%. Ce sondage réalisé par un institut nommé l’IFRES a été
fait en sorte que Coluche donne l’impression d’obtenir un maximum de vote puisque la
question qui a été posée était de savoir si les enquêtés avaient envie de voter Coluche.
16% ont répondu « tout à fait envie », 22% « un peu envie ». La commission officielle des
sondages interviendra quelques jours plus tard pour rappeler la nuance entre l’envie et
l’intention de vote. Dans ce même sondage, nous pouvions lire en réponses annexes que
13,8% des personnes interrogées trouvent la candidature de Coluche très utile, et 61,3%
la jugent positive. Cinq jours plus tard, à la demande de plusieurs quotidiens régionaux, la
Sofres réalise un sondage qui donne pour résultat que 17% des interrogés jugent que la
candidature de Coluche est une « bonne chose », 49% du même panel trouvent Coluche
« sympathique ». Le 27 décembre, L’Express publie le résultat de la deuxième convocation
de son panel, 42% sont indifférents, 39 hostiles et 14% favorables. Le premier sondage
de l’année 1981 est commandé à l’Ipsos par le Point, Coluche rassemble alors 11% des
intentions de votes. Il descend à 7% dans les colonnes du Figaro, le 21 janvier, pour un
sondage dont on ne sait à qui il a été commandé. Le 24 janvier, L’Express publie un sondage
IFOP qui donne Coluche à 5, 5% des intentions de vote, la veille pourtant un sondage
Indice-Opinion était paru dans Le Quotidien de Paris qui donnait Coluche à 10%. Le 19
186
187
Roy (Albert, de), « Sondage : que pèse M.Colucci », L’Express, 27 décembre 1980, p.39
Boggio (Philippe), Coluche, Paris, Flammarion, 1991, p.255
Bozonnet Grégory - 2008
59
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
février paraîtra le dernier sondage où Coluche est proposé comme item à un échantillon
représentatif des français, paru dans Le Point, ce sondage de l’Ipsos donne 6,5% d’intention
de vote à l’humoriste. Enfin, le 27 mars 1981, Le Matin de Paris, publie un article pour lequel
ils ont réalisés un sondage sur une population de motards non-définie, sondage qui dit que
17% des motards voteraient Coluche au premier tour.
On peut affirmer que de nombreux sondages ont été réalisés de manière à obtenir
le plus grand score possible, c’est notamment le cas du sondage IFRES- Journal du
Dimanche, qui pose la question de l’envie de voter, mais aussi du type de sondage du
matin de Paris qui cherche à mettre en exergue l’importance de Coluche. Ce type de
sondage est fondé sur un calcul, le but est bien entendu de créer l’événement. Une
fois encore, on retrouve le poids de l’argument commercial dans la médiatisation de la
campagne de Coluche. Les journaux savent qu’en portant en une un score de 16% et une
photo de Coluche, les ventes suivront. C’est vraisemblablement ce qui s’est passé dans
cette campagne. Soulignons, qu’en revanche, d’autres journaux feront un calcul différent.
Conscient que d’inscrire Coluche comme item possible, au même titre que n’importe quel
autre candidat, revenait à lui donner du poids politiquement, des journaux comme Le
Figaro n’ont jamais fait figurer Coluche dans les sondages qu’ils commandaient et se sont
bien gardés de commenter les sondages des autres journaux. En revanche, si Libération
à l’époque n’avait sans doute pas les moyens de s’offrir les services d’un institut de
sondage, les journalistes de ce quotidien commenteront quasiment tous les sondages parus
surtout ceux qui donnaient les plus gros scores à Coluche. Le débat sur la necessité
de faire entrer ou non Coluche dans les sondages ne se tarira pas, chaque générera
un questionnement sur le sujet. Le journal qui aura l’utilisation la plus paradoxale des
sondages sera vraisemblablement. Souvent dans les colonnes de ce journal on peut lire des
remarques comme quoi la place de Coluche n’est pas forcément dans les sondages, « les
"sondeurs" ont fait du "sur mesure" pour Coluche, puisqu'ils le placent, sans précaution,
188
sur le même pied que les autres candidats. »
Parallèlement, ce journal fera beaucoup
d’études sur cette candidature et proposera Coluche comme item dans leurs sondages.
Avant de nous intéresser un peu plus précisément aux sondages essayant de mieux
définir l’électorat coluchien, nous pouvons noter que de nombreux sondages sont présentés
simultanément avec et sans Coluche. C’est le cas de la quasi-totalité d’ailleurs. Les
sondeurs veulent ainsi montrer que rien ne garantit la présence du comique professionnel
au premier tour. Ceci leur permet également de ne pas trop prendre parti, on ne peut
difficilement les critiquer de vouloir aider Coluche puisqu’ils émettent toujours la possibilité
qu’il ne participe pas au premier tour.
De nombreux sondages ont essayé de définir qui était la population se déclarant à voter
pour Coluche. Avant de préciser ces résultats notons que malgré l’aberration scientifique
que peuvent représenter certains de ces sondages, ils ne sont rarement présentés comme
peu fiables. En fait à part L’Express, qui avertira par une phrase ses lecteurs – « Le faible
score de Coluche rend délicate l'analyse de son "électorat" : celle-ci porte sur un nombre
189
peu élevé de personnes interrogées »
– les autres journaux déroulent une analyse sans
se préoccuper de la faiblesse de leur échantillon.
« Grâce à Coluche, nous devrons tous revenir à l'école pour comprendre ce qui fait
courir ses supporters. Un sacré bordel en perspective ! »
188
189
190
60
190
. Ce constat fait par le journaliste
Roy (Albert, de), « Sondage : que pèse M.Colucci », L’Express, 27 décembre 1980, p.39
« Si Coluche est candidat », L’Express, 24 janvier 1981, n°1542, p.65
« Montpellier : les coluchiens sont en marche », Libération, 25 novembre 1980, n°2109, p.9
Bozonnet Grégory - 2008
Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
de Libération envoyé à Montpellier pour découvrir ce qu’était le mouvement coluchiste,
en dit long. Difficile de savoir qui s’intéresse au message coluchiste, qui est prêt à voter
pour lui (ou encore à s’inscrire en mairie pour voter pour lui) voire même à militer pour
sa candidature. Certains tirent pourtant des conclusions plus rapides, Claude Weill pour
Le Matin de Paris écrit que « tout naturellement, Coluche recrute le gros de ses troupes
191
dans les rangs des abstentionnistes. C'est d'ailleurs la cible qu'il vise en priorité. »
.
D’autres essaient de justifier leurs propos avec des sondages ainsi dans les colonnes du
Matin de Paris, on pouvait lire que « Les "coluchistes" (…) sont plutôt du sexe masculin
(19 % des hommes disent avoir « tout à fait envie » de voter pour Coluche, et seulement
12,7 % des femmes). Ils sont jeunes (21,4 % de « tout à fait envie » chez les 18-25 ans ;
20,4 % chez, les 26-35 ; 10 % chez les 36-45). Ils n'appartiennent généralement pas aux
192
milieux les plus aisés » . Quelques semaines plus tard, nous trouvions sensiblement la
même analyse dans le magazine Le Point : « Par-delà les étiquettes politiques, découvrons
maintenant la structure sociologique de cet électorat. Il est fortement typé. Côté sexes, les
hommes (57%) l'emportent largement sur les femmes (43 %). Du point de vue de l'âge,
le poids des jeunes est écrasant : sur 100 partisans de Coluche, 58% ont entre 18 à 34
ans. Socialement, les employés, les cadres moyens, les ouvriers sont les plus nombreux »
193
. Arrêtons-nous quelques instants sur ces chiffres. Le dernier sondage a été réalisé en
janvier 1981 sur 1236 français en âge de voter (méthode par quotas). Nous savons qu’au
mois de janvier, les scores annoncés pour Coluche dans les sondages étaient relativement
faibles, plafonnant au maximum à 11 % des intentions de votes. Ainsi, le journaliste ici,
établit cette statistique sur une population qui doit être comprise entre cent et cent cinquante
personnes ! On voit, que les sondages qui sont réalisés sur cette candidature n’ont pas
vraiment de légitimité scientifique, ils ne sont faits que pour pouvoir alimenter les écrits
sur cette candidature. Difficile dès lors de parler de censure de cette candidature dans les
sondages. En effet, quittes à publier des sondages totalement insignifiants (panel de deux
cents cinquante personnes pour L’Express, sous-population de moins de cent cinquante
personnes passée au crible comme un vrai échantillon pour Le Point) les journaux ont voulu
commenter cette campagne. Nous allons, à présent essayer de regarder si ces candidatures
ont été, ou non, analysées par les spécialistes politiques des médias.
Des candidats niés par les analystes politiques ?
« Les sociologues dédaignent souvent les filiations, les héritages, l’histoire
même. Ils nous préviennent ainsi contre l’abus des analogies, voire contre le
194
mythe de la continuité apparentes, chaque situation étant nouvelle. » , Michel
Winock.
Nous le signalions auparavant, outre les sondagiers, Pierre Bourdieu considère que les
spécialistes politiques des médias font partie intégrante du champ politique. Nous allons
analyser ce qu’ils pensent de ces candidatures en nous focalisant une fois encore sur celle
qui a fait couler le plus d’encre, la candidature de Coluche.
Les candidatures de Dieudonné ayant rapidement quittées les colonnes politiques des
journaux, outre quelques phrases qui relèvent plus du commentaire de sondage que de
191
192
193
194
Weill Claude), « Plus qu'un trouble-fête », Le Matin de Paris, 15 décembre 1980, n°1183, p.4
Weill (Claude), « Présidentielle : Coluche s’installe », Le Matin de Paris, 15 décembre 1980, n°1183, p.4
Chambraud (André), « Coluche drague à gauche », Le Point, 12 janvier 1981, n°434, p.37
Winock (Michel), « Populismes français », Vingtième Siècle, 1997, vol 56, n°1, p.90
Bozonnet Grégory - 2008
61
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
l’analyse, il n’y a pas grand chose à relever sur cette candidature. A part l’interrogation pour
savoir si Dieudonné, est ou non antisémite, s’il est un « Le Pen noir », comme l’écrivent
beaucoup d’internaute, ou « le Goebbels des banlieues » antonomase employée lors des
manifestations pour empêcher la tenue des spectacles de l’humoriste, il n’a pas suscité
beaucoup de réflexions politiques.
Pour Coluche, en revanche, la donne est totalement différente. Pendant les deux
premiers mois de la campagne, la quasi-intégralité des spécialistes politiques des médias
vont se pencher sur ce qu’ils nomment « le phénomène Coluche ». Nous allons essayer de
présenter brièvement ce qu’ils ont pu écrire et surtout à quels grands courants politiques,
cette candidature a été rattachée. A tel point que des journalistes vont parler de « fiévreuse
195
logorrhée des commentateurs politiques » . La candidature de Coluche va en effet passer
entre les mains de tous les spécialistes politiques de tous les journaux. Chacun va y aller
de son commentaire, chacun va y aller de son image. Pour essayer de donner un sens à
ce mouvement coluchien, on va essayer de trouver ce à quoi il se rapproche le plus. Pour
essayer de présenter le panorama le plus complet de ces images, nous allons dans un
premier temps, nous appuyer sur les images qui le renvoient aux candidatures fantaisistes
pour ensuite analyser les images qui le renvoient à d’autres mouvements politiques, nous
finirons par nous centrer sur l’image principale, le poujadisme.
Pour, Coluche a permis de « brasser l’histoire. Et ce n'est pas un mince résultat ! Sacré
Coluche ! Tout y est passé : les fous du roi, les personnages de Rabelais, le « pétomane »
ème
du XVIII
siècle ou de 1900, le Père Duchêne (J.-P. Faye sur Europe 1), Ferdinand
196
e
e
Lop, éternel candidat aux présidentielles des III
et IV
Républiques.»
. Le panorama
est presque complet. Notons dans le même registre que la référence qui revient le plus
souvent dans cette campagne est celle du roi Ubu. Ubu roi est une pièce de théâtre d'Alfred
ème
Jarry qui appartient au cycle Ubu, cycle qui marqua le théâtre de la fin du XIX
. Le roi
Ubu est connu pour être à la fois le roi et son bouffon, c’est un personnage lourd et gras à
tous les sens de ces termes. D’autres références reviendront, notamment une référence à
Pierre Dac, mais non pas à sa campagne avec le M.O.U. mais plutôt au sketch de Francis
197
Blanche, « le parti d’en rire ». Dans le même article du Point , Coluche est comparé à
Alphonse Allais et au Captain Cap, le candidat qui était « contre le déboisement et la chute
des cheveux, ces deux plaies de la France ! » et à « Aristophane, son célèbre ancêtre en
scatologie (le génie en plus) ». Ces références ont pour but de rappeler que Coluche fait
cette campagne pour rire et que d’autres personnes l’ont fait avant lui. On peut toutefois,
dans le même registre, relever trois parallèles qui n’ont pas vraiment pour but d’analyser
la campagne de Coluche, mais juste de la décrédibiliser. Notons par exemple, que sous
198
la plume de Jean Daniel , Coluche est renvoyé à l’époque de Caligula. Il n’est, bien sûr,
pas comparé au troisième empereur romain, mais à son cheval qui selon la légende aurait
été proclamé consul par Caligula, ici le but est bien sûr de ridiculiser Coluche. Le Figaro
199
préférera l’image de Montéhus qui était un chansonnier qui selon eux, avait arrêté la
195
Billard (Pierre) & Loiseau (Jean-Claude), « Coluche : « Y s'marre, le mec ! » », Le Point, 22 décembre 1980, n°431, p.3
puis p.95
196
197
198
199
62
Gritti (Jules), « L‘effet Coluche », La Croix, 8 décembre 1980, n°29739,p.16
er
De Montvalon (Dominique), « Coluche : l'Elysée maquignon », Le Point, 1 décembre 1980, n°428, p.50
Daniel (Jean), « De Peyrefitte à Coluche », Le Nouvel Observateur, 17 novembre 1980, n° 836, p.44
Slama (Alain-Gérard), « La France malade de Coluche », Le Figaro, 28 novembre 1980, n°11 270, p.2
Bozonnet Grégory - 2008
Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
chanson au moment de son adhésion à la SFIO, même si cette idée peut être quelque peu
réfutée si on parcourt l’Anthologie de la chanson française –année 1936, on comprend
que le journaliste veut expliquer à Coluche qu’il doit faire un choix entre sa carrière et la
200
politique. Enfin, lorsque le journaliste de L’Humanité
compare Coluche à Rodolphe Salis
ce n’est pas vraiment parce qu’il était un candidat loufoque en 1884, mais plutôt parce
qu’il « annexait froidement aux farceurs de son comité électoral Maurice Barrès et Paul
Déroulède ». Renvoyant ainsi, l’humoriste au boulangisme.
Le boulangisme est l’une des images que l’on a pu mettre en face du phénomène
Coluche. Pour le résumer en quelques mots, il s’agit du mouvement du Général Boulanger
ème
qui a menacé la III
République alors que « la tentation du retour à la solution de l’homme
providentiel frappe une population, à nouveau lassée du jeu politique et des « affaires » qui
201
compromettent la crédibilité des dirigeants. »
Ce parallèle entre le Général Boulanger
et Coluche est notamment fait par Dominique Jamet, qui changera de position en fin de
campagne, fait avec la campagne de « ce faux comique, héritier bizarre et inattendu du
Général Boulanger [qui] ira plus loin qu’on ne pense. Il ne s’arrêtera pas en chemin. Il
202
risque de faire un malheur. Pour le nôtre. »
On n’imagine difficilement que le journaliste
pense à une analogie entre les deux mouvements, il cherche simplement un exemple
qui pourrait discréditer la campagne de Coluche, celui-ci pouvait correspondre puisque
comme le souligne Alexandre Dorna : « le boulangisme est chargé de beaucoup de maux.
Les historiens, sauf rares exceptions, ont écrit une légende maudite sur le mouvement
203
boulangiste. »
Le prisme des images auxquelles la candidature de Coluche a été comparée est assez
large, il va en fait de l’extrême gauche, à l’extrême droite. Certains analystes n’hésitent
pas à aller aux deux références extrêmes comme Olivier Todd pour L’Express « celle
du poujadisme de droite cru et de l'anarchisme de gauche recuit, regardez de près une
salle de Coluche. Ce n'est pas la jonction des communistes et des Croix-de-Feu place de
la Concorde en 1934. Mais tout le monde se pâme en chœur quand sur les politiciens
tombe le mot "pourris". Certains trouvent ainsi un successeur à Nicoud. D'autres un modèle
204
imprévu, après Mao, Castro, l'Oncle Ho, le Che »
. Pour revenir sur les références
d’extrême gauche, nous pouvons noter des références à l’anarchisme et au communisme.
La référence au totalitarisme communiste provient du Figaro, pour ce journal, le fait de
railler la politique en confondant personnage public et privé fait que « sans l'avoir voulu, ni
s'en apercevoir, on glisse vers un modèle à la Staline, ou à la Mao ». En ce qui concerne
l’anarchisme, la référence est elle aussi peu présente dans ce corpus, on la trouve à propos
de quelques militants coluchiens qui proviennent des mouvements anarchistes, seul un
205
article désigne directement Coluche comme « un anar gai » .
L’anarchisme en revanche sert souvent à faire le grand pont entre l’extrême gauche
et l’extrême droite. En effet, beaucoup d’expressions seront composées avec le mot
anarchisme et un terme qui renvoie à la droite. Selon un journaliste du Matin de Paris,
200
201
202
203
204
205
Wurmser (André), « De Salis en Coluche », L’Humanité, 16 décembre 1980, p.1
Dorna (Alexandre), Le populisme, Paris, Presses Universitaires de France –Que sais-je ?, 1999, p.59
Jamet (Dominique), « A Quoi jouez-vous, M. Coluche ? », Le Quotidien de Paris, 24 novembre 1980, n°308, p.6
Dorna (Alexandre), op.cit., 1999, p.57
Todd (Olivier), « Le cru et les recuits », L’Express, 22 novembre 1980, n° 1533, p.110
Harvet (Jean-Christian), « Quand Coluche brouille les cartes », Les nouvelles littéraires, 27 novembre 1980, n°2764, p.33-34
Bozonnet Grégory - 2008
63
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
« Coluche joue sur une double sensibilité qui reste encore profondément enracinée dans
206
l'opinion publique : le mépris du politicien et l'anarchisme plus frondeur que violent. »
207
On trouve ainsi des expressions comme « chansonnier anarcho-poujadiste »
ou encore
208
« fascisto-anarchiste »
et enfin, un journaliste du Matin de Paris utilisait l’expression
209
« anarchisme de droite » . Ces formules sont quelques peu surprenantes, mais Pascal
Ory nous apprend qu’« absent des programmes de science politique, l’anarchisme de
210
droite occupe une place de choix dans ceux des médias » , Pour lui, « L’anarchisme de
droite est « loin d’être une formule vide comme "fascisme de gauche" ou "café décaféiné",
211
ou un glissement de sens comme "chocolat blanc" ou "anarcho-capitalisme" ». Dans
cet ouvrage de l’élève de René Rémond, affirme pourtant que Coluche n’est pas un
anarchiste de droite. Pour lui, les similitudes ne sont que de surface. « L’anarchiste de
droite parle volontiers du petit, et surtout il aime à parler petit, mais en haine du gros, en
212
mépris de l’inférieur ». De plus, pour l’anarchiste de droite « L’acharnement contre la
"politique politicienne", lui, n’a aucune retenue. L’anarchisme de droite partage en effet avec
son cousin de la main gauche l’usage intensif de cet adjectif de presbytère, dans lequel
213
l’utilisateur met, par définition, la politique des autres. »
∙
Ce qui est tout de même à souligner c’est que le journaliste des Nouvelles Littéraires
soit allé jusqu’à parler de fascisme, il n’est pourtant pas le seul, nous évoquions
auparavant Jean-Dominique Boby qui en reprenant des mots de Coluche l’avait
comparé à Hitler, dans le même journal, on peut lire que la candidature de Coluche
évoque « le rêve avoué des ligueurs fascisants des années 1930 [qui] était de
214
flanquer à la Seine la totalité de la Chambre des députés » . Dans Le Monde c’est
Antoine Bourseiller qui accuse Coluche de « réveille[r] des nostalgies pétainistes »
215
. Corollairement aux parallèles avec Poujade, Coluche sera aussi taxé de
populisme.
∙
Avant de revenir sur les parallèles effectués avec Pierre Poujade, notons que
Coluche, nous pouvons noter que dans certaines analyses, Coluche sera rapproché
de partis politiques plus traditionnels. Nous n’allons pas trop nous arrêter sur ce
point qui est en fait assez simple, si le journal est de gauche, il rapprochera Coluche
d’un parti de droite et réciproquement. Ainsi dans les colonnes de L’Unité « Coluche
participe à cette gigantesque opération idéologique » qui consiste à « servir la
216
candidature de Valéry Giscard d’Estaing »
en faisant croire que tout est joué
d’avance. A l’opposé, dans les colonnes du Quotidien de Paris, Dominique Jamet
217
essayera de faire dire à Coluche qu’il « roule pour François Mitterrand »
alors que
206
207
208
209
210
er
« L'effet Coluche », Le Matin de Paris, 1 novembre 1980, n°1146, p.2
Daniel (Jean), « L’effet Coluche », Le Nouvel Observateur, 24 novembre 1980, n°837, p.36
Harvet (Jean-Christian), art.cit, p.33-34
L.M., « Tirons la chasse », Le Matin, 29 novembre 1980, n° 1170, p.4
Ory (Pascal), l’anarchisme de droite ou du mépris considéré comme morale, le tout assorti de réflexions plus générales,
Paris, Grasset, 1985, p.25
211
212
213
Idem, p.37
Idem, p.42
Ory (Pascal), l’anarchisme de droite ou du mépris considéré comme morale, le tout assorti de réflexions plus générales,
Paris, Grasset, 1985, p.49
64
Bozonnet Grégory - 2008
Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
parallèlement l’humoriste est désigné d’« homme de gauche abonné à Libé»
les colonnes de Minute.
218
dans
Notons au passage, un autre nom hybride composé non pas à partir de celui de l’humoriste
mais, cette fois-ci, à partir de celui de Valéry Giscard d’Estaing. Ainsi, le titre de l’article de
L’Unité traite de « la France de Giscarluche ». On voit, de plus sur cette caricature parue
en illustration de l’article en question, que pour eux Giscard s’appuie sur Coluche. L’idée
étant qu’il s’agit d’une manigance du pouvoir pour que Georges Marchais, finisse devant
François Mitterrand, et ainsi permettre la réélection plus aisée du président en place.
« Coluche, Poujade, même combat. Coluche néopoujadiste ? L’accusation fut
portée vite et fort dès le début de la précampagne présidentielle. Accusation
plutôt que parallèle, en effet, car en ce début de décennie 80, la comparaison
avec le grand rassembleur des mécontents des années 50 ne pouvait être faite
sans qu’on y discerne une légère volonté de nuire ou, en tout cas, d’éveiller
les consciences. Le terme « poujadisme » semble être le mot clef avancé par
tous ceux qui ont peur du phénomène coluchien. Parce qu’ils n’en comprennent
ni le sens, ni la portée, le monde politique et les médias vont le rattacher à un
219
poujadisme qu’ils peuvent appréhender et expliquer. »
Issu du mécontentement fiscal et économique des petits commerçants et des artisans,
le mouvement de Pierre Poujade trouve d’abord son point d’ancrage dans la défense de
leurs intérêts par des manifestations corporatistes, puis au sein d’institutions représentatives
(caisse de Sécurité sociale, d’Allocations familiales et chambres de commerce) aux
élections desquelles les poujadistes rencontrent leurs premiers succès. Très vite, ils font
irruption sur la scène politique. L’élection de cinquante-deux des leurs aux législatives
du 2 janvier 1956 crée la surprise. Cette incroyable réussite, Pierre Poujade, papetier à
Saint-Céré, et ses supporters la doivent à une ligne politique d’opposition au régime tous
azimuts capable de séduire des mécontents venus d’horizons politiques les plus divers. Les
revendications de ces députés étaient la suppression des contrôles fiscaux pour les petits
artisans, la défense des petits commerçants, ils ont aussi affirmé leur hostilité au traité de
Rome et prôné le maintien de l’Algérie française. Ce mouvement s’essoufflera rapidement
et disparaîtra quasi-entièrement avec l’avènement de la Cinquième République. Depuis,
utiliser le terme « poujadisme » revient généralement à taxer une personne ou un événement
d’attitude démagogique en faveur des petits commerçants vis-à-vis des puissants, d'antiparlementarisme, de corporatisme, ou de populisme. « Le poujadisme enrôle sous sa
220
bannière tout ce qui est négatif, contre, anti, passé ou dépassé »
écrira Annie Colovald,
parlant de « mot de passe ». Elle ajoutera qu’« il est aujourd’hui une arme routinisée de la
compétition politique et une formule reçue du vocabulaire politique dont les multiples usages
221
ont peu à peu, en le remaniant, usé le projet originel » . On peut en effet, dire que ce
nom composé à partir du nom de Pierre Poujade a perdu beaucoup de marques de son
référent. Puisqu’il n’y a par exemple aucune trace de lutte pour les petits commerçants chez
Coluche. Annie Colovald montre que « Deux périodes récentes [en 1991, ndla] ont suscité
des mobilisations publiques saillantes du « poujadisme » et des controverses vives sur le
bien fondé de son attribution : la candidature Coluche aux élections présidentielles de 1981,
219
220
Halimi (André), Coluche victime de la politique, Paris, Edition°1, 1994, p.71
Collovald (Annie), « Histoire d’un mot de passe : le poujadisme. Contribution à une analyse des « ismes » », Genèses, n°3,
mars 1991, p.98
221
Idem, p.107
Bozonnet Grégory - 2008
65
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
la percée du front national aux élections européennes de 1984. »
223
parlera d’« élasticité de l’injure » .
222
C’est pourquoi, elle
Pour rendre l’injure, plus élastique encore ; le terme de poujadisme va être enrichi de
quelques compléments. Ainsi pour que ce soit plus adapté à la campagne de Coluche, on
pourra lire des termes comme « néopoujadisme », nous citions « anarcho-poujadisme »,
mais aussi « poujadisme de gauche » ou d’« héritatage historique du poujadisme ».
L’accusation devenait tellement omniprésente, que certains intellectuels membres du
comité de soutien à Coluche, ont dû intervenir, c’est notamment le cas de Jean-Pierre Faye
qui déclarera :
« Coluche est l'opposé de Poujade. Bien plus : le gag coluchien est la mise en
ridicule du Français poujadiste moyen. Car Poujade fut ce personnage lugubre
qui s'est aussitôt apparié à Le Pen, dont le moins qu'on puisse dire est qu'il n'a
jamais été amusant. Poujade, c'est le risible chauvin, le champion des paras
tortionnaires, de la campagne de lynchage fasciste contre Mendès France, de
l'hystérie antigauche, du racisme antisémite et antiarabe. Coluche, au contraire,
c'est celui qui réplique : « Oui, je suis raciste, j'aime pas les Blancs... », « Excusez-moi, mais je suis déjà le candidat des Arabes... », « La France sera avancée
quand elle prendra les Arabes en stop... » Et Coluche, entre tous les politiques,
respecte Mendès France. »
Il est vrai que le fait même qu’un intellectuel vienne défendre Coluche devrait presque
le dédouaner de poujadisme, car rappelons que pour Poujade les intellectuels sont les
premières cibles dans son ouvrage J’ai choisi le combat, il les qualifie même de « petite
224
pourriture de plumitifs » . Ce parallèle avec le poujadisme étant présent sur toutes les
lèvres si bien que Dominique Jamet, finira par interroger l’intéressé le 4 décembre 1980,
Poujade répondra que « Ça n’a rien à voir : le ras de marrée [sic] que j’ai provoqué avait
des origines profondes et le phénomène Coluche n’est que le signe de la dégradation de
notre démocratie. ». Nous évoquerons à nouveau le poujadisme un peu plus loin dans notre
réflexion.
Pour conclure sur ce point, ce que nous souhaiterions souligner finalement c’est que la
candidature de Coluche a fait couler beaucoup d’encre dans les colonnes politiques, mais
qu’elle n’a finalement été que très rarement « analysée ». Les commentaires des plumes
politiques, avaient pour but premier de le décrédibiliser. En l’incluant dans les colonnes
politiques, les journalistes ont cherché à exclure le comique. Toutes les images utilisées
ressemblent plus à des insultes qu’à des parallèles. L’important semble surtout de toujours
montrer qu’il est l’autre. Il n’est pas de notre côté, mais il fait le jeu de nos adversaires.
Coluche va en fait être utilisé comme un argument de campagne. On ne sait pas toujours
vraiment à qui sont désignés les coups, en atteignant Coluche, c’est souvent une autre
personne qui est visée. Parfois les éditorialistes utilisent cette campagne pour dénoncer
un tout autre événement souvent beaucoup plus général. « La plupart des commentateurs
profitent du coup d’éclat de Coluche pour critiquer l’usure des institutions elles-mêmes, la
225
rigidité de ce système présidentiel. »
Coluche semble parfois un peu agacé qu’on le
compare sans cesse à Poujade, mais il « interprète ces qualificatifs peu flatteurs comme
222
223
224
Idem, p.100
Idem, p.100
Poujade (Pierre), J’ai choisi le combat, Saint Céré, société générale des éditions et des publications, 1955
225
66
Boggio (Philippe), Coluche, Paris, Flammarion, 1991, p.244
Bozonnet Grégory - 2008
Les médias sont-ils les « gate keepers » du champ politique ?
la glose habituelle de ce qu’il appelle les ˝milieux autorisés˝, qui mettent à l’amende un
226
phénomène qu’ils n’arrivent pas à appréhender » .
En conclusion de cette partie de notre réflexion, et avant de nous intéresser aux acteurs
principaux du champ politique, les hommes politiques eux-mêmes, il convient de revenir
en quelques mots sur ce que nous avons pu noter. A l’exception toute particulière de
la candidature de Pierre Dac, les candidatures de comiques professionnels attirent les
professionnels des médias. La popularité de ces comiques peut, pour eux, représenter
une source potentielle d’audimat, ou d’amélioration des ventes de leur titre. Toutefois, et
comme le dit le dicton populaire, les plaisanteries les plus courtes demeurent les meilleures,
les médias montreront à un moment quelques signes de lassitude. Plus grand chose
de drôle à écrire, place de plus en plus importante allouée aux candidats qui peuvent
l’emporter… De plus, du point de vue de l’audiovisuel, nous avons vu une évolution sur
la période que nous traitons. Les médias sont fermés à la candidature de Pierre Dac, ils
s’ouvrent en grand pour la candidature de Coluche, jusqu’à ce qu’ils se rendent compte que
l’humoriste est immaîtrisable et qu’il serait bien de le tenir un peu à distance des ondes
quelques temps. Notons que c’est d’ailleurs ce qui a marqué la carrière du comique jusqu’à
cette période, beaucoup d’émissions radiophoniques le voulaient comme animateur, mais
il finissait toujours par être licencié rapidement. En ce qui concerne Dieudonné, toutes
les émissions, même les « institutions » comme France Europe Express lui sont ouvertes
jusqu’à ce qu’il aille sur un terrain trop glissant pour que les journalistes n’aient envie de
l’inviter. Notons de surcroît que la popularité et le succès de Dieudonné ne sont pas tout
à fait équivalents à ceux de Coluche, même si on a souvent tendance à surestimer a
posteriori ceux-ci. Il convient de remarquer que si quantitativement la censure n’est pas
facile à avancer, qualitativement, des éléments penchent plus dans le sens de la théorie
bourdieusienne. En effet, certains journalistes vont vraiment se porter en faux face à ses
candidatures. Des mots très durs seront lancés à l’égard des ces candidats leur reprochant
de ne pas être à leur place, cela d’autant plus qu’ils pouvaient connaître un succès dans
les sondages. Sondages qui ne se détourneront jamais vraiment de ces candidatures,
même si l’item des candidatures fantaisistes n’ait pas systématiquement présent, elles ne
sont jamais totalement mis au banc jusqu’à l’annonce définitive de leur retrait. Nous avons
pu voir, que l’exclusion pouvait passer par l’inclusion. On inclut les candidatures dans les
colonnes politiques, pour les qualifier avec un vocabulaire de l’exclusion et ce notamment
en les qualifiant de poujadiste. Un bilan contrasté donc pour le traitement médiatique de
ces candidatures, il convient maintenant d’aller voir ce qu’il en est du côté des hommes
politiques, seront-ils plus efficaces pour exclure les candidatures fantaisistes de leur terrain
de jeu ?
226
Vaguelsy (Jean-Michel), Coluche, roi de cœur, Paris, Plon, 2002, p.59
Bozonnet Grégory - 2008
67
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
Une exclusion à relativiser
À présent que nous avons fait un état des lieux du rôle des médias dans l’exclusion des
comiques professionnels du champ politique, rôle que nous avons pu amplement minimiser,
nous allons questionner l’idée d’une réelle exclusion des comiques de ce champ. Pour ce
faire, nous allons analyser dans un premier temps le processus de rejet des comiques
professionnels par les professionnels de la politique, pour ensuite questionner la volonté
des comiques professionnels d’entrer dans ce champ politique.
Une volonté d’exclusion des candidats fantaisistes du
champ politique
Le rejet par les hommes politiques patentés des comiques professionnels, qui font preuve
d’une volonté d’intégrer le champ politique, a pour symbole la loi sur les 500 signatures.
Nous allons, par conséquent, consacrer le premier temps de notre réflexion à cette loi
qui rend nulle tout candidature n’étant pas présentée par au moins 500 élus répartis sur
trente départements différents, sans qu’un département ne puisse apporter plus du dixième
des signatures. Nous analyserons par la suite, les objections avancées par les hommes
politiques de profession à l’entrée des comiques professionnels dans une campagne
présidentielle.
Cinq cent signatures d’élus, une mission impossible
« Quand ils mettront la barre à 25 000 signatures, il n’y aura plus qu'un candidat »
227
, Coluche
S’intéresser à la loi sur les cinq cents signatures, c’est dans un premier temps essayer de
comprendre pourquoi cette loi été mise en œuvre, dans quel but. Mais il s’agit également
d’interroger son fonctionnement, se demander si cette loi est efficiente. Nous allons, donc,
réfléchir à ces deux points, en étudiant, tout d’abord, les débats qui ont pu avoir lieu autour
de la mise en place de cette loi sur les cinq cents signatures, pour ensuite mettre en relief
son efficacité sur la mise au ban des candidatures fantaisistes.
Pourquoi la loi sur les cinq cents signatures d’élus ?
La loi que l’on appelle communément la loi des cinq cents signatures est en fait la loi
organique n° 76-528 du 18 juin 1976 modifiant la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative
à l’élection du Président de la République au suffrage universel. En effet, cette loi est, en fait,
venue modifier celle votée en 1962, qui prévoyait qu’un candidat pourrait se présenter si,
et seulement si, il était présenté par cent élus issus d’au moins dix départements différents.
Avant de présenter cette loi plus en détails, nous allons donc nous intéresser à l’instauration
de loi initiale et des raisons qui ont pu pousser le législateur à la modifier.
227
68
« Coluche ne renonce plus », Le Matin de Paris, 17 mars 1981, n°1262, p.1
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
Nous présentions auparavant, en introduction, le référendum proposé,
anticonstitutionnellement, par le général de Gaulle aux français pour que l’élection du
président de la République ait lieu au suffrage universel direct. Rappelons que ce
référendum avait été adopté le 28 octobre 1962 par 62,2% des suffrages exprimés. Plus
d’un siècle après le coup d’Etat de Louis-Napoléon Bonaparte, et alors que les esprits
républicains étaient encore marqués par cet événement, le peuple français allait, donc,
pouvoir retrouver un président élu au suffrage universel direct. Dans son ouvrage qui
s’intéresse aux « petits candidats » à l’élection présidentielle de 2007, Frédéric-Joël
Guilledoux, nous rappelle une discussion qui a eu lieu quelques jours avant ce référendum
de 1962. Cette discussion a eu lieu le 2 octobre 1962, au court d’un Conseil des ministres,
elle portait sur l’idée de limiter le nombre de candidats à l’élection présidentielle. La
Constitution de 1958, prévoyait déjà, pour l’élection du président au suffrage universel
indirect, un minimum de cinquante « parrains » pour pouvoir figurer parmi la liste des
« présidentiables ». Pendant ce Conseil des ministres, la question va donc être de savoir
si l’on doit garder, supprimer ou modifier ce dispositif. « De Gaulle hésite : « Ou bien les
élus accordent une véritable investiture, et il faut y aller carrément […] en procédant à
une véritable élection préalable par collège restreint. Ou bien on renonce à ce système,
on adopte le suffrage universel dans toute son ampleur et alors, il ne doit pas y avoir
228
229
de conditions préalables ».
Si l’on se réfère au livre C’était de Gaulle
d’Alain
Peyrefitte, on comprend que le président était partisan de la deuxième solution. En fait, ce
mémorialiste nous rapporte qu’une « forte majorité de ministres demandait cinq cent ou
mille signatures au moins ». Le Général répugnait, pourtant, à s’engager dans cette voie
qui donnait, selon lui, trop de pouvoirs aux partis. Il souhaitait au contraire réduire à zéro le
nombre de « parrains » imposés. « Est-ce que la démocratie, ce n’est pas plus précisément
230
que tout le monde puisse se présenter à une élection ? Le peuple fera le tri !»
déclaraitil. Finalement, la règle du jeu restera quasi inchangée par rapport à la Constitution de 1958.
En effet, la seule modification retenue est donc de doubler le nombre de « présentations »
indispensables, ce qui les amène donc à cent. Frédéric-Joël Guilledoux avance l’idée que
cette « concession » faite par le Général de Gaulle serait liée au fait que l’un de ses proches
lui aurait parlé d’une possible candidature de Ferdinand Lop, « le candidat perpétuel » qui
ne manquait jamais de provoquer l’hilarité lorsqu’il tenait ses conférences de presse dans
la salle « Lop ».
Si cette règle des cents signatures a été appliquée pour les deux premières élections
présidentielles au suffrage universel direct de la cinquième République, elle a été
rapidement remise en question par la suite. Dès l’année 1973, à l’initiative du Sénat, une
commission est chargée de réfléchir à une éventuelle modification de la loi pour limiter
le nombre de candidatures à l’élection présidentielle. Rappelons qu’en 1965 six candidats
avaient réussi à récolter les cents précieux sésames, dont l’homme au béret, Marcel Barbu,
ils étaient sept, quatre ans plus tard, pour l’élection qui a fait suite à la démission du
Général de Gaulle.
La commission est confiée aux centristes René Jager, Louis Jung et Francis Palmero
qui sont tous trois d’accord sur le fait qu’il faille « limiter le nombre des candidats
aux élections présidentielles » puisqu’« il est évident qu’une trop importante inflation
de candidats finirait par nuire, non seulement à l’intérêt de la compétition, mais très
228
229
230
Guilledoux (Frédéric-Joël), op.cit., p.153-154
Peyrefitte (Alain), C’était de Gaulle, Paris, Gallimard, 2002, 1954p.
Guilledoux (Frédéric-Joël), op.cit., p.153-154
Bozonnet Grégory - 2008
69
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
231
certainement à la qualité »
. Le résultat de cette commission, et la proposition de
loi qui en découle, seront donc proposés au Sénat, lors de la séance du 19 décembre
1973. Leur proposition équivaut pratiquement à la loi sur les cinq cents signatures que
nous connaissons aujourd’hui, notons quelques différences tout de même. Nous savons
que le nombre de signature nécessaire est porté à cinq cents et que le nombre de
départements dont elles doivent être issues est multiplié par trois pour passer à trente. La
commission propose, en outre, que parmi ces signatures, vingt-cinq doivent être issues de
parlementaires, en revanche, elle ne prévoit pas la publication du nom des signataires. Le
débat qui suivra la présentation de ces propositions ne sera ni houleux, ni mouvementé.
Quelques achoppements sur le nombre de signatures nécessaires sont à noter, des bancs
socialistes naîtra l’idée de la parution des noms des signataires, ce qui « réveillera » quelque
peu le débat, mais ne changera rien au fait qu’il semblait y avoir sur les bancs des sénateurs
un consensus autour de ces propositions. Après la présentation du rapport de la commission
par M. Jager, le débat a été ouvert par M. Jean Taittinger, garde des sceaux, ministre de la
justice. Son intervention laisse déjà deviner le parfum de consensus qui règne dans le palais
Bourbon : il évoque « le souci qu’[ils ont], les uns et les autres, d’éviter des candidatures
qu’à la limite on pourrait qualifier de fantaisistes mais qu’[ils qualifieront] seulement de
non suffisamment sérieuses pour une consultation de cette nature ». Notons au passage,
quelques interventions de sénateurs issus de différents groupes. Pour le PCF, le sénateur
Louis Namy estime qu’« on ne peut pas être opposé à des dispositions qui tendent à
écarter des candidatures fantaisistes dans une élection aussi sérieuse et importante que
celle du Président de la République », le socialiste Auguste Pinton ne le contredira pas,
puisque s’il votera oui à la proposition de loi, c’est parce qu’il éprouve « le désir de rendre
plus sérieuse encore une élection particulièrement importante, car personne ne peut se
féliciter de voir proliférer certaines candidatures ». Le centriste Roger Poudonson, est de
cet avis également, pour lui, il faut « rendre la présentation d’un candidat à la présidence
de la république un peu plus difficile, certes, mais surtout plus crédible, plus sérieuse,
plus conforme à la dignité de cette élection. ». Enfin, le sénateur UDR, Pierre Carous,
confirme que par cette loi, « nous avons voulu – et nous sommes tous d’accord à cet
égard – éliminer les fantaisistes qui, par leur comportement auraient tendance à dévaluer
la première fonction du pays. ». Nous n’allons pas continuer à présenter des réactions
synonymes, avec ces quatre exemples, nous avons déjà matière à affirmer que le leitmotiv
des sénateurs est d’éliminer les candidatures pas assez « sérieuses » pour être digne
de cette élection qui l’est particulièrement. En effet, au-delà de l’accord qui peut exister
sur l’idée de la loi. On peut souligner, qu’il y a un accord sur les mots, et surtout sur un
mot, l’adjectif « sérieux ». Cette omniprésence du mot « sérieux », dont l’antonyme, ici,
est « fantaisiste », montre qu’en se basant, sur la définition du Dictionnaire du vote de
Paul Bacot, on peut affirmer qu’on assiste à une sacralisation de la fonction présidentielle.
L’attribution unanime du caractère « sérieux » à cette élection, montre que l’on l’entoure
d’un respect absolu, or « la sacralisation est l’action de sacraliser, d’attribuer un caractère
232
sacré, c'est-à-dire inviolable, digne d’un respect absolu. »
Cette loi vise donc à protéger
une fonction sacrée, ou du moins sacralisée, des attaques de personnes malintentionnées
dont le sérieux serait discutable. On est, dans le cas présent, devant une mise en avant
objective d’une fermeture de l’élection présidentielle à une partie de la population. Pour
être candidat, il faudra, en effet, prouver son sérieux, notamment en ayant une certaine
notoriété et respectabilité qui feront que cinq cents élus seront prêts à donner leur accord
pour rendre possible une candidature. Il faudra de plus avoir une assise nationale, puisque
231
232
70
Ces citations ainsi que les suivantes sont issus du compte-rendu de la séance au Sénat du 19 décembre 1973
Bacot (Paul), op.cit., p.159
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
les signatures doivent émaner de trente départements, ce qui revient à avoir un parrain dans
au moins un département français sur trois.
Pour en revenir à une analyse bourdieusienne, on pourrait dire que le débat qui se joue
au Sénat, ce 19 décembre 1973, n’a d’autre but que de définir les contours d’une partie du
champ politique. On définit qui peut ou ne peut pas prétendre accéder au poste suprême.
La lutte pour le poste suprême est incontestablement, la lutte majeure de la cinquième
République depuis l’avènement du suffrage universel direct. C’est donc, corollairement, le
cœur du champ politique, qui est, rappelons-le, le « champ social structurant la concurrence
233
pour la détention des postes politiques » . Le consensus qui règne au sein du Sénat, sur
cette question, montre que tous les sénateurs sont d’accord sur la nécessaire fermeture
du champ politique aux candidats fantaisistes. Gérard Mauger écrivait que « la question
234
des limites du champ est toujours posée au sein du champ lui-même. »
Dans ce débat,
on comprend que l’élément central de la définition de ce qui est ou n’est pas digne d’être
présenté, réside autour du caractère « sérieux » de la candidature. On pourrait imaginer
qu’il y ait une lutte interne autour de la définition de ce qui est ou non sérieux, qu’un groupe
cherche à imposer sa définition. On peut noter qu’ici, ce n’est pas vraiment le cas, tout le
monde semble être d’accord, que le contraire de sérieux serait fantaisiste et personne ne
cherche vraiment à définir ce que serait une candidature fantaisiste. Gérard Mauger, nous
explique par la suite que « pour exclure du champ des partisans potentiels, on s’efforcera
d’élever « le droit d’entrée ». Ces barrières à l’entrée peuvent être informelles (processus
de cooptation et de consécration multiples) ou institutionnalisées (le numerus clausus est
235
délimité par des frontières juridiques) » . L’augmentation du nombre de signatures est
un exemple concret de droit d’entrée. Il ne s’agit pas d’un numerus clausus – bien qu’on
n’aurait pu imaginer les sénateurs fixer un nombre de candidature maximum à une élection
présidentielle - mais d’une barrière formelle qui nécessite le soutien de membres du champ
politique, soutien qui se traduit par une « signature ».
Malgré le consensus qu’a pu connaître la chambre haute autour de cette proposition
de loi, le texte qui avait été adopté à 273 voix pour, 3 voix contre et une abstention, ne sera
pas voté par l’Assemblée Nationale. Les députés ont jugé qu’à l’aune de l’année 1974, alors
que l’échéance de l’élection présidentielle approche, il était impossible de voter une loi qui
modifie ces règles. La discussion de ce texte de loi est donc reportée à plus tard.
A défaut, d’avoir vu la loi proposée par le Sénat entrer en application, Poher qui assure
l’intérim de l’Elysée après la mort de Pompidou, intervient pour demander aux élus de faire
preuve de « discernement » à l’heure de donner leur signature pour cette élection de 1974.
Six candidats en 1965, sept en 1969, trente-huit candidats déclarés en 1974, pour
douze candidats « qualifiés » pour le premier tour. Ces chiffres vont à eux seuls justifier la
reprise de la discussion de la proposition de loi. Il faudra, cependant, attendre le 20 avril
1976 pour que ce texte soit présenté à l’Assemblée Nationale. La séance commencera par
une introduction de Pierre-Charles Krieg. Il rappelle les grandes lignes de la proposition
de loi en insistant sur la nécessité de garder une loi modérée afin de ne pas prendre le
risque de bloquer totalement le système politique. « Quoi qu’il en soit, le chiffre retenu par
le Sénat a au moins le mérite de ne pas être trop élevé, ce qui devrait permettre à toute
personne représentant en France un courant d’idées de se faire connaître dans le cadre
233
234
Bacot (Paul), op.cit., p.39
Mauger Gérard, « Champ, habitus et capital », in Corcuff (Philippe), dir., Pierre Bourdieu : les champs de la critique, Paris,
Bibliothèque Publique d’Information/Centre Pompidou, 2004, p.66
235
Idem
Bozonnet Grégory - 2008
71
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
de la campagne électorale ». Le rôle de l’élection présidentielle semble être vu quelque
peu différemment, en effet, à propos des petites organisations politiques, le député UDR,
déclarait : « S’il ne leur est pas possible de se manifester à l’occasion d’une campagne pour
l’élection du Président de la République, quand et comment pourront-ils le faire, sinon dans
des conditions qui pourraient être fort déplaisantes ? ». Après cette présentation, c’est au
ministre de la Justice de s’exprimer, entre temps, le gouvernement a changé, dorénavant
le poste est occupé par Jean Lecanuet. Malgré le changement de ministre, le discours
reste sensiblement le même. Ainsi Jean Lecanuet insiste en déclarant à propos de l’élection
présidentielle: « Il peut être tentant de détourner de leur but [les moyens médiatiques
offerts par la campagne présidentielle] pour les utiliser à des fins dépourvues de caractère
véritablement politique, alors qu’il s’agit de choisir le chef de l’Etat. Il convient d’éviter un tel
détournement et, d’une manière très générale, de décourager les candidatures de fantaisie
qui nuiraient à la dignité de l’élection. ». A l’exception du groupe communiste les positions
sont quasiment identiques. Ainsi, Lucien Villa, le député communiste de la trente-et-unième
circonscription de Paris, s’exprimera au nom de son parti, dans une position bien différente
de celle que le parti tenait quelques années auparavant au Sénat : « Le parti communiste
français, qui a déposé une proposition de loi constitutionnelle portant déclaration des
libertés, ne saurait cautionner une politique qui vise à restreindre celles-ci. La démocratie
ne doit pas être mutilée, limitée, pas plus que les libertés fondamentales conquises par
notre peuple. ». La navette législative est retournée au Sénat. Les sénateurs ne sont guère
revenus, sur ce qui faisait consensus, ils ont beaucoup discutés les différentes possibilités.
Certains proposaient de passer le nombre de signatures de 100 à 500, à 800, à 1000 voire à
2000. Certains voulaient également influer sur la qualité des signataires, ainsi l’idée d’avoir
au moins vingt-cinq parlementaires parmi ces signataires a été à nouveau défendu alors
que les députés s’y étaient majoritairement opposés de peur de rendre impossible de voir
percer un mouvement politique en dehors des partis. L’assise territoriale des candidats a été
peu discutée, les trente départements semblent avoir fait consensus. L’idée de la publication
des signataires, défendue comme élément suffisant à décourager les maires à signer pour
des candidats non sérieux qui risquerait des les ridiculiser, a été retenue. Au final, le texte
voté par 258 voix pour, et vingt votes contre au Sénat et qui ne sera pas modifié lors de la
dernière lecture à l’Assemblée national est le suivant :
« Article unique – I. – Le deuxième alinéa du I de l’article 3 de la loi n° 62-1262
du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au
suffrage universel est modifié ainsi qu’il suit : « Cette liste préalablement établie
par le conseil constitutionnel au vu des présentations qui lui sont adressées,
dix-huit jours au moins avant le premier tour du scrutin, par au moins cinq
cents membres du Parlement, des conseils généraux, du conseil de Paris, des
assemblées territoriales des territoires d’outre-mer ou maires. Une candidature
ne peut être retenue que si, parmi les signataires de la présentation, figurent des
élus d’au moins trente départements ou territoire d’outre-mer, sans que plus
d’un dixième d’entre eux puissent être les élus d’un même département d’outremer. » « II. – Le dernier alinéa du I de l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre
1962 est modifié ainsi qu’il suit : « Le nom et la qualité des citoyens qui ont
proposé les candidats inscrits sur la liste sont rendus publics par le Conseil
constitutionnel huit jours au moins avant le premier tour du scrutin, dans la limite
du nombre requis pour la validité de la candidature. » « III. – Le II de l’article 3 de
la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962 est remplacé par les dispositions suivantes :
« II. – Les opérations électorales sont organisées selon les règles fixées par
72
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
les articles L. premier à L.45, L.47 à L.55, L.57 à L.117, L.199 à L.203 du code
électoral. L’article L.O. 128 du même code est applicable. »
Nous avons présenté assez longuement cette loi sur les cinq cents signatures. Il ne faut,
cependant, pas croire que cette loi soit une fin en soi. Entre la première élection du président
ème
de la V
République au suffrage universel direct et l’adoption de cette loi, il y a eu une
douzaine de propositions diverses déposées dans les deux chambres. Toutes tendaient à
rendre plus difficile la présentation d’un candidat aux élections présidentielles. Sans les citer
toutes, nous pouvons noter qu’elles allaient d’un extrême à l’autre, et que l’une des plus
populaires était celle qui suggérait une pétition nationale par au moins cent mille électeurs.
L’idée de cette possibilité ne s’est pas arrêtée avec l’adoption de la loi. A chaque élection
présidentielle, les propositions pleuvent, les candidats doivent souvent d’ailleurs donner leur
position sur cette loi. C’est ainsi que François Mitterrand n’assumant pas sa position ni celle
de son parti sur ce point a déclaré en 1981, que « le groupe socialiste et [lui-même s’étaient]
opposés à l’adoption de cette loi ». Déclaration un peu surprenante puisqu’en même temps
dans son livre-programme écrit avec Guy Claisse, Ici et Maintenant, on pouvait trouver la
conversation suivante :
« François Mitterrand : L’élection présidentielle n’est pas un Radio-Crochet. Je
trouve la loi sévère. Je ne la désapprouve pas. Guy Claisse : En 1965 et en 1969,
il n’y avait pas ces règles draconiennes et on n’a as eu tellement de candidats Si trop. - A qui peut-on attribuer cette tendance ? Au besoin d’expression des
gens ? - Dans une société cloisonnée comme la nôtre, le besoin de s’exprimer
est pour l’esprit – et le cœur – ce que le besoin de manger est pour le corps.
Comment résister, au surplus, à l’attrait de cette formidable tribune qu’est la
télévision quand on croit avoir quelque chose à dire ? Mais, trop de candidats,
236
pas de candidats, sauf un, celui de l’Elysée. La démocratie n’y gagne pas. »
Ce petit oubli de la part du président socialiste, lui aura valu, une remarque acerbe du
237
dessinateur Siné dans les colonnes de Charlie Hebdo
:
Aujourd’hui, encore, la loi sur les cinq cents signatures, ne fait pas l’unanimité, nous le
disions. Parmi toutes les propositions avancées, celle d’une pétition nationale est toujours
d’actualité, et se trouve défendue par des candidats d’horizons différents. A titre d’exemple,
on peut souligner qu’Alain Madelin (Union pour un Mouvement Populaire issu de Démocratie
Libérale) affirmait que :
« Ce système n’est pas vraiment démocratique, parce qu’il y a une sorte
de contradiction à faire valider par des élus une candidature qui s’adresse
au peuple. L’élection présidentielle est justement le moyen de s’adresser
directement aux Français, c’est comme ça que le Général de Gaulle l’a compris et
que tous les candidats le comprennent. La cohérence voudrait que tout candidat
qui aurait recueilli par exemple 200 000 ou 300 000 signatures de Français et de
Françaises ait la capacité de s’adresser à eux. Cette loi ne me semble donc pas
238
pertinente ».
236
237
238
Mitterrand (François), entretien avec Claisse (Guy), Ici et maintenant, Paris, Fayard, 1980, p.28
Siné, « Siné massacre », Charlie Hebdo, 8 avril 1981, n°543, p.7
Cité in Guilledoux (Frédéric-Joël), op.cit, p.195
Bozonnet Grégory - 2008
73
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
Le débat est loin d’être clos, certains hommes politiques s’opposent également à la
publication des noms, nous aurons l’occasion de revenir, sur ce point par la suite, mais
notons par exemple que le 26 juin 2002, le sénateur UMP de Moselle, Jean-Louis Masson,
dépose une proposition de loi. Il suggère de supprimer la publicité des parrainages afin de
« réduire les risques de pression ou de menaces de représailles sur les parrains potentiels ».
A noter également que le 7 novembre de cette même année, le Conseil Constitutionnel
239
a publié ses observations sur les élections présidentielles de 2002. Dans ce rapport, les
« sages », sont revenus sur la recrudescence du nombre de candidats : « La législation
en vigueur n’a pas empêché un nombre sans précédent de candidats. Une telle situation
comporte assurément des inconvénients pour la clarté du débat politique. […] Elle conduit à
s’interroger sur le bien-fondé de règles de présentation dont le renforcement en 1976 n’a pas
permis d’éviter une multiplication des candidatures. ». Malgré ces différentes interventions,
le législateur n’a toujours pas modifié cette loi des cinq cents signatures. On peut imaginer
plusieurs raisons à ceci. D’une part, les candidats, dans une volonté de fermeture de la
candidature à l’élection présidentielle préfère rester sur un système de signatures d’élus
ce qui permet de limiter l’accès à l’élection présidentielle de personnes populaires mais
non issues d’un parti politique – cet élément confirmerait l’idée d’une fermeture du champ
politique – d’autre part, il semble que modifier cette loi, en augmentant par exemple le
nombre de signature nécessaire semble une idée exclue par le législateur car probablement
trop coûteuse électoralement. En effet, les hommes politiques semblent préférer voir le
nombre de candidature prospérer, quitte à prendre le risque de ne pas être au second tour,
plutôt que de risquer de passer pour liberticide et fermés à la concurrence, en empêchant
certaines candidatures.
Des maires peu enclins à signer sont découragés
« Les 41 313 parrains potentiels sont les hommes et les femmes les plus
240
recherchés de France. »
Etant donné que ce n’est un secret pour personne, nous pouvons commencer notre
réflexion par cette affirmation, la loi des cinq cents signatures est efficace pour rendre
les candidatures des comiques professionnels impossibles. Aucun des trois « humoristescandidats » n’est parvenu à se présenter au premier tour d’une élection présidentielle. Nous
pourrions, donc, nous arrêter à ce point, en affirmant que cette loi est tout à fait efficiente.
En fait, il semblerait que ce soit un peu plus compliqué que cela. Tout d’abord, il faut avouer
que nos trois candidats n’ont pas mis la même ardeur à trouver les signatures nécessaires
pour rendre leur candidature officielle. En ce qui concerne Pierre Dac, aucun article dans
L’Os à moelle ne se réfère à une possible recherche des signatures –même si en 1965,
le nombre de ces signatures n’était que de cent- ce qui est vraisemblablement révélateur
du fait qu’il n’a jamais réellement cherché à être candidat au premier tour de l’élection
présidentielle. Pour Coluche et Dieudonné, c’est un peu plus complexe. Il est possible que
Coluche ait eu un temps l’idée d’obtenir les signatures, d’autant plus qu’au début de sa
campagne, Gérard Nicoud et son organisation d’artisans et de petits commerçants, le CIDUNATI, proposaient de les lui donner (ils estimaient alors leur nombre d’élus à 3000). Selon
Jean-Michel Vaguelsy, l’une de ses motivations à entrer dans cette élection présidentielle
était de pouvoir faire des sketches entre deux « vrais » candidats à l’élection présidentielle.
Toutefois, le « bureau politique ambulant » de Coluche précise que l’humoriste a rapidement
changé d’avis. Trouver les signatures s’avérait être assez difficile et chronophage, d’autant
239
240
74
http://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2002/obspdr02.htm
Pitette (Yves), «Signez-là s’il vous plait! », La Croix, 27 novembre 1980, n°29730, p.10
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
que le CID-UNATI qui avait changé de président entre temps ne lui proposait plus aucune
aide. En outre, la campagne avait eu une telle emprise sur l’humoriste qu’il n’imaginait guère
pouvoir trouver le temps et l’inspiration pour écrire un sketch quotidien et le jouer au moment
où il aurait son temps de parole à la télévision. De plus, et nous aurons l’occasion de revenir
sur cette idée un peu plus loin, Coluche n’a jamais voulu être réellement candidat à l’élection
présidentielle. On n’est donc en mesure d’imaginer, malgré tout le bruit qu’il a pu faire à ce
sujet pendant sa campagne, qu’il n’a jamais vraiment recherché les précieux paraphes. Sur
ce sujet, un point unit la candidature de Coluche et celles de Dieudonné, ils ont tous deux
affirmés avoir dépassé le stade des cinq cents signatures. Pour Coluche, le livre de JeanMichel Vaguelsy montre bien la machination autour de cette affirmation. Ils avaient une ou
deux promesses de signatures officielles qu’ils avaient soigneusement placées au dessus
d’une pile de fausses signatures. Cette pile était posée sur une table devant un parterre
de journalistes internationaux. Au moment où un journaliste lui demande s’il a les cinq
cents signatures nécessaires, Coluche se réjouit et lui dit que c’est la meilleure question, le
journaliste repart donc avec un paquet de lessive en guise de cadeau mais sans réponse à
sa question. Finalement, Coluche dira – après avoir répété la scène avec son producteur –
qu’il a en effet, largement plus de cinq cents signatures puisqu’il en est à 628. Jean-Michel
Vaguelsy le coupe, et lui apprend qu’ils en sont, en fait, à 632 car quatre signatures lui
étaient arrivées le matin même. La scène est bien répétée, mais les journalistes restent
sceptiques. Le lendemain, la presse nationale relaie l’information, mais toutes les rédactions
se permettent de la mettre en doute. Même le journal Libération qui annonce la nouvelle
241
en une, commence son article par « Canular ou vérité ? »
. Dieudonné, quant à lui,
a annoncé lors d’une conférence de presse tenue au théâtre de la main d’or le 27 janvier
2002 avoir obtenu les cinq cents signatures, il parle même de huit cents. Difficile de savoir
dans quelle mesure il était sincère à ce moment là. Il semble qu’en fait, il ait vraiment fait la
démarche de trouver les paraphes, notamment en se rendant à plusieurs reprises dans les
DOM-TOM, toutefois, il demeure impossible de dire combien de signatures il a pu recueillir.
Lorsqu’il retire sa candidature, il affirme d’ailleurs que ce n’est pas par manque de parrains,
il ne reconnaîtra que beaucoup plus tard, lors de son abandon à la candidature de 2007,
qu’il n’avait pas, alors, le nombre de signatures nécessaires. A propos de sa candidature
en 2007, on peut noter que la donne est différente. Dieudonné va renoncer à se présenter
dès la mi-octobre 2006 soit plus de six mois avant l’échéance du premier tour. Au moment
de son retrait, il affirme avoir réunit 200 signatures d’élus et pouvoir réunir les trois cents
manquantes à une seule condition, qu’on lui prête un million d’euros. Ce million d’euros est,
en effet, le coût qu’il estime nécessaire pour financer sa campagne et sillonner la France à
la recherche des parrains potentiels. Il renonce donc en affirmant que son retrait est lié au
refus des banquiers de lui prêter de l’argent.
Bien que nous puissions donc relativiser l’idée que les comiques professionnels ayant
fait part de leur intention de se présenter à une élection présidentielle aient vraiment cherché
à récolter les cinq cents signatures nécessaires. Nous allons essayer de voir s’il était
possible pour eux de les recueillir. Pour cela, nous allons montrer dans un premier temps que
les maires sont peu enclins à donner leur signature, pour ensuite essayer de comprendre
ce qui peut les décourager.
Du fait du cumul des mandats, il n’est jamais aisé de connaître le nombre de parrains
potentiels. En 1981, Christian Bonnet, alors ministre de l’Intérieur, annonce officiellement
qu’il y a 41 298 postes d’élus susceptibles de parrainer un candidat à l’élection présidentielle
(maires, élus des conseils généraux, parlementaires) mais du fait du cumul des mandats, il
241
« 632 maires prêts à signer pour Coluche », Libération, 10 février1981, n°, p.1
Bozonnet Grégory - 2008
75
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
y a, en fait, 38.600 élus à ces postes. Le nombre peut varier selon les sources, mais nous
retiendrons donc celui-ci. En 1981, il y a eu 16000 signatures de « parrains » déposées au
Conseil Constitutionnel. Sept ans plus tard, il y en avait mille de moins, et pour l’élection de
1995, encore un millier en moins soit 14000. Il faudra attendre 2002 et le nombre record de
candidats pour que le nombre de signataires reparte à la hausse et dépasse celui de 1981,
avec près de 18000 élus concernés. Ces chiffres corroborent avec un sondage réalisé par
242
l’Ipsos en 2001. Comme, nous pouvons le constater sur le tableau ci-dessous, six maires
sur dix rechignent à donner leur parrainage à un candidat à l’élection présidentielle. Les
maires des petites communes semblent d’autant moins enclins à donner leur signature.
243
Selon, l’Ipsos , les raisons qui poussent les maires à ne pas donner leur signature sont
de deux ordres. D’une part, les élus entendent « préserver leur image locale » et préfèrent
donc « se tenir à l’écart » des élections présidentielles. D’autre part, ils ont souvent été
élus sur des listes d’intérêt communal, ce sont des maires « sans étiquette », ils ne veulent
donc pas « prendre le risque de mécontenter une partie de leur électorat en affichant une
244
245
couleur politique ». Fin 1980, Le Matin de Paris , et le Quotidien de Paris , ont tous
deux eu l’idée d’aller proposer à des maires ruraux de parrainer la campagne de Coluche.
L’idée était plus de sonder leurs réactions que de réellement chercher des signatures pour
le candidat fantaisiste. Nous allons voir si les motifs de refus avancés par ces signataires
correspondent à ce que nous apprend ce sondage Ipsos.
Si nous avons pu montrer, qu’il était tout à fait impossible que Coluche trouve les cinq
cents signatures nécessaires puisqu’il n’avait pas même fait la démarche de les rechercher,
et qu’il invitait, d’ailleurs, les comités de soutiens à sa candidature à ne pas le faire, de
nombreuses rédactions de journaux se sont inquiétées de savoir si Coluche pouvait récolter
ces précieux paraphes. Certains espéraient comme Mathilde de La Bardonnie dans Le
Monde : « Ce serait quand même drôle, ce serait quand même bien s'il les recueillait,
Coluche, le candidat Coluche, les satanées cinq cents signatures de «personnalités»
246
habilitées au parrainage pour Le marathon présidentiel.» , d’autres comme Jean Daniel
« ne souhait[aient] nullement à Coluche de recueillir les signatures nécessaires pour valider
247
sa candidature. » , mais presque toutes les rédactions se sont posées la question. Il faut
dire que Coluche, n’a jamais cessé de clamer qu’il pourrait avoir ces signatures sans aucun
soucis, et qu’il était notamment soutenu dans cette initiative par de nombreux intellectuels
qui avaient signer une pétition qui appelait les maires à signer pour l’humoriste.
« Nous leur demandons [aux maires] quelles que soient leurs options politiques,
d'être nombreux à se porter garants de la candidature de Coluche, et, par
là, à faire obstacle au système censitaire déguisé qu'on essaie de leur faire
cautionner. C'est une question élémentaire de démocratie : un citoyen
représentatif d'un large courant d'opinion, comme il l'est, doit pourvoir s'exprimer
242
Sondage Ipsos-Courrier des Maires, réalisé entre le 9 et le 16 octobre par téléphone auprès de 350 maires répartis ainsi :
170 maires de communes de moins de 2.000 habitants, 90 maires de communes de 2.000 à 10.000 habitants, 90 maires de communes
de plus de 10.000 habitants
243
244
Zulfikarpasic (Adélaïde), « Les maires veulent rester à l'écart du débat présidentiel », Ipsos.fr, 19 novembre 2001
Kauffmann (Jean-Paul), « Présidentielle : à la recherche des parrainages pour la candidat Coluche », Le Matin de Paris,
9 décembre 1980, n°1177, p.4-5
245
246
247
76
« Monsieur le maire et les candidats », Le Quotidien de Paris, 26 novembre 1980, n°310, p.2
Labardonnie (Mathilde), art.cit., p.8
Daniel (Jean), « L’effet Coluche », Le Nouvel Observateur, 24 novembre 1980, n°837, p.36
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
en tant que candidat au cours des élections les plus importantes de la vie
248
politique française. »
Les deux quotidiens parisiens ayant donc fait la démarche de rencontrer des maires, ce sont
rendus des les pays de la Loire pour le Matin de Paris et en Bourgogne pour le Quotidien
de Paris. Les deux journalistes ont rencontré une quinzaine de maires chacun. En lisant,
leurs comptes-rendus, nous pouvons noter que le motif du refus peut parfois être un peu
plus complexe que ce que nous avons pu annoncer auparavant. Bien sûr, dans un premier
temps, il y a les refus parce que la personne a déjà signé pour un autre candidat, il est, bien
sûr, impossible de donner sa signature à deux candidats. Il y aussi les refus lié au fait que les
personnes n’ont pas envie de soutenir la candidature de Coluche : «Coluche, ça rabaisse
le débat. » (Philippe des Jamonières, maire de Le Cellier – Loire Atlantique), « Coluche,
c’est plus que de la rigolade, c’est dégradant » (maire de Commarin – Côte d’Or), d’autres
affirmeront que ce n’est pas assez sérieux pour une élection présidentielle.
D’autres éléments viennent appuyer leur refus. Tout d’abord, il y a la peur de ne pas
être réélu, « Je ne peux parrainer personne. Que voulez-vous j’ai été élu sur une liste
d’intérêt local, sans étiquette politique avec autours de moi des conseillers aux opinions
très diverses. » (Georges Marchand, maire de Varzy – Nièvre), ce point amène les maires
à dire que leur problème, c’est surtout la publication de leur nom, « Je ne dis pas, si ça
avait été secret, mais on m'a dit qu'on publiait le nom des maires.» dira le maire de SaintJoachim (Loire-Atlantique). Cavanna écrivait : « Quel maire, quel élu prendra le risque de
donner caution à un non-conformiste, à un Coluche, pour ne citer que lui, sachant que,
aux prochaines municipales, son concurrent n'aura rien de plus pressé que d'ameuter les
populations contre ce pignouf, cet hurluberlu, cet irresponsable, cet anarchiste qui veut
249
donner la France à un pétomane ?»
Ce qui entre en jeu aussi dans leur refus, ce sont les pressions qu’ils peuvent recevoir.
Les maires encartés avouent volontiers que leur parti leur interdit de signer pour un autre
candidat. Le maire PCF de Montoir-de-Bretagne (Loire-Atlantique) affirme se moquer des
consignes de son parti, « Je n'ai d'ordres à recevoir de personne. Je suis un homme
libre » déclarait-il. Alors que le maire PS de Narcy (Nièvre), Jean Septier, dira à Cabu
venu assisté Jean-Paul Kauffmann : « Je ne peux donner mon parrainage à aucun parti
puisque je suis moi-même au PS, je sais pourtant que c’est le jeu de la démocratie, mais
je ne peux pas faire cela au PS… » avant d’ajouter « En tout cas vous ne trouverez
pas un élu socialiste qui veuille parrainer un petit parti, encore moins Coluche ! ». En
dehors de ces pressions liées aux partis politiques, le maire de Mauves évoque «les
pressions probables de la préfecture ». Ces éventuelles pressions des préfets ont fait
couler beaucoup d’encre dans la campagne présidentielle de 1981. Certains journalistes
condamneront ce que Philippe Boggio résumera comme « un système qui permet aux
principaux partis, et plus encore aux préfectures, de verrouiller les soutiens des maires,
250
des conseillers généraux, eu besoin de les monnayer. » . Une rumeur circule comme
quoi « L’Elysée et Matignon env[erraien]t des télex dans toutes les préfectures, avec ordre
de faire taire le saltimbanque. Unique consigne : Coluche est un dangereux agitateur
qui ridiculise les institutions de la République. »
248
251
Coluche résumait ceci, avec un
« Coluche aussi a ses intellectuels pétitionnaires », Libération , 19 novembre 1980, n°2104, p.8
249
250
251
Cavanna « Qu’est-ce qu’il peut-il arrêter Coluche ? », Charlie Hebdo, 11 février 1981
Boggio (Philippe), op.cit., p.246
Boggio (Philippe), op.cit., p.248
Bozonnet Grégory - 2008
77
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
aphorisme dans le style qu’il maîtrisait le mieux : « Pour m’arrêter, ils font des tas de trucs
auprès des journalistes, auprès des maires, mais je vais leur mettre au cul. Moi, je fais
252
une campagne populaire. »
. Il est particulièrement difficile de mesurer l’impact réel
de ces pressions. Aucune preuve tangible ne peut d’ailleurs en être donnée. Toutefois,
nous pouvons tout de même supposer qu’elles ont été réelles, pour plusieurs raisons. Tout
d’abord, on peut noter les appels du ministre de l’Intérieur dans le communiqué que nous
citions auparavant. « Puisse la campagne qui va s'ouvrir prochainement revêtir la dignité
qui sied aux exigences d'une grande démocratie. Puissent les Français ne pas oublier que
sur quelque cent cinquante États représentés à l’O.N.U., à peine une vingtaine bénéficie
aujourd’hui des libertés dont une histoire encore récente enseigne qu’il ne faut pas attendre
253
d’en être privé pour les apprécier. »
Ces mots ne sont pas adressés directement aux
maires, mais le message est là. De plus, on peut noter qu’une circulaire du ministère de
l'Intérieur, datée du 30 novembre 1979, va compliquer un peu les possibilités de parrainage
des maires. En effet, cette circulaire précise que les élus devront se charger eux-mêmes
d'aller chercher les formulaires officiels d'enregistrement des parrainages à la préfecture.
Parlant de conditions « draconiennes » de parrainage, la Ligue des Droits de l'Homme, a
décidé d’exiger le retrait de cette circulaire. Pour le rédacteur du communiqué, le fait que les
maires doivent se rendre en préfecture était un moyen de les décourager mais également
de les influencer au moment de la remise du formulaire. Le communiqué insistait, en outre,
en précisant que cette décision n’était pas conforme à celle du Conseil Constitutionnel qui
stipule que les formulaires devaient être tenus à la disposition des citoyens. La Ligue des
Droits de l’Homme conclut son communiqué par cette phrase : « cette multiplication des
difficultés administratives (...) vise à éliminer de la compétition électorale les formations non
254
parlementaires qui ne disposent pas en leur sein des 500 parrainages exigés par la loi.»
La circulaire sera finalement retirée et les élus habilités au parrainage recevront finalement
le formulaire directement.
Toutefois ces pressions réelles et supposées, montrent que les élus eux-mêmes, n’ont
pas vraiment foi en la barrière que peut représenter cette loi des cinq cents signatures. Si
nous utilisons barrière, c’est parce que c’est le terme que Pierre-Charles Krieg employait
pour présenter la loi, terme qui peut permettre de visualiser en quelque sorte le champ
politique, champ qui serait donc fermé par cette barrière. On assiste, ici, à une volonté
de fermeture de l’élection présidentielle aux candidatures des comiques professionnelles.
Fermeture qui semblait impérative, puisque de peur que la loi ne suffise pas, les partis
politiques ainsi que les préfets semblent avoir fait le nécessaire pour verrouiller les
candidatures trop fantaisistes.
Il semble, en effet, qu’il ne soit pas facile, notamment du fait de la publication des
noms des signataires, de trouver des maires enclins à signer pour des candidats marginaux.
Candidats qui de surcroît assumaient leur marginalité, ce sur quoi nous reviendrons plus
amplement par la suite, mais qui peut être représenté par cette « fausse » lettre aux élus
que Coluche aurait pu envoyer, parue dans Charlie Hebdo le 12 novembre 1980. Même
pour les candidats issus de petites formations, il s’avère difficile de surmonter l’épreuve
des cinq cents signatures. Frédéric-Joël Guilledoux affirme d’ailleurs que les candidats qui
réussissent cents signatures. Frédéric-Joël Guilledoux affirme d’ailleurs que les candidats
qui ont réussi à passer cette barrière alors qu’ils étaient issus de toutes petites formations ou
252
253
254
78
Greilsamer (Laurent), « L’Enquête sur le meurtre de René Gorlin », Le Monde, 29 novembre 1980, n°11145 p14
Bonnet (Christian) in « Les règles de l’élection présidentielle c, Le Figaro, 15 janvier 1981, p.6
« Les droits de l'homme pour les "petits" » , Libération, 13 novembre 1980, n°2099, p.9
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
de la société civile lors des précédentes élections ont, en fait, été parrainés par des grands
partis qui servaient un intérêt politique. « Rare sont les candidats qui ont déniché leurs 500
255
paraphes sans avoir fait l’objet d’une stratégie gloutonne »
écrira-t-il à ce sujet.
Nous venons de voir qu’en effet il existe bel et bien une règle qui consiste à fermer une
partie du champ politique aux candidatures fantaisistes. Il convient, bien sûr, de montrer
à quel point cette idée est relative puisque l’on voit que cette barrière a une efficience qui
est parfois remise en question et qui doit être relayée par d’autres types d’obstacles pour
empêcher les candidatures fantaisistes que le législateur à vraiment à cœur d’empêcher.
Nous avons pu noter que parfois, les hommes politiques ouvraient volontairement ces
barrières pour des raisons stratégiques, ce qui démontrent, a minima, que la fermeture du
champ n’est pas la priorité absolue des membres de ce champ. Afin d’avancer sur cette
idée d’exclusion des comiques professionnels du champ politique, nous allons analyser les
réactions des hommes politiques à propos de ces candidatures.
Des attaques directes, plus qu’un jeu politique traditionnel ?
« Une pareille transgression de la dérision bouffonne, qui s'autorise à descendre
directement dans l'arène politique, qui porte la contestation dans les lieux mêmes
de la compétition pour le pouvoir, ne pouvait que susciter de vives réactions
256
d'exclusion ».
Nous avons déjà eu l’occasion de montrer qu’en masse la presse s’était emparée de la
campagne de l’humoriste, nous allons voir qu’il en est de même des hommes politiques,
au point que l’on peut mettre en doute l’exclusion du champ politique de la candidature des
humoristes professionnels. Nous allons dans un premier temps présenter les réactions des
hommes politiques pour ensuite mettre en question l’idée d’exclusion du champ politique.
Une critique qui transcende les clivages politiques
« Les politiciens sont complices même si apparemment ils s'opposent. Ils sont
contre ma candidature parce qu’ils ne veulent pas que je sois sur leur terrain, là
où ils font pipi. » Coluche.
« D'un bout à l'autre de l'horizon politique, il n'y a eu rien d'autre, en fait de commentaires,
que l'expression du mépris et de la condamnation. Tous les ténors des partis ont été
solidaires dans l'indignation. Le socialiste Claude Estier rejoignant tristement le giscardien
257
Roger Chinaud. Tous se sont drapés dans la vertu la plus suffisante. »
C’est à partir de
ce constat que nous avons souhaité étudier les divers commentaires que les hommes et
les femmes politiques, entendant par là les responsables de partis et autres candidats à
l’élection présidentielle, avaient pu faire sur la candidature de Coluche. Nous reviendrons,
par la suite, sur la candidature de Dieudonné. Ces commentaires sur la candidature sont
258
extraits de différents articles de journaux, notamment celui de Claire Frémont
mais
également du livre Coluche de Philippe Boggio.
255
256
257
258
Guilledoux (Frédéric-Joël), op.cit., p.191
Mercier (Arnaud), art. cit., p.176
Daniel (Jean), « L’effet Coluche », Le Nouvel Observateur, 24 novembre 1980, n°837, p.36
Frémont (Claire), « Ce qu’en disent les hommes et les femmes politiques », Le Matin de Paris, 22 novembre 1980, n°1164, p.15
Bozonnet Grégory - 2008
79
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
Dans un premier temps nous allons nous intéresser aux réactions des membres de « la
bande des quatre », pour ensuite essayer d’analyser les différentes prises de positions des
autres candidats, les raisons des critiques et leur nature. La première chose qu’il convient
de souligner, c’est qu’il est relativement difficile de dater le début des prises de position
sur la candidature de Coluche. Contrairement à ce que l’on a pu lire dans de nombreux
articles les critiques ne commenceront pas avec le sondage du Quotidien de Paris. En fait,
les critiques qui vont émaner des partis vont souvent être provoquées par les questions des
journalistes qui interrogent les candidats à ce sujet. Nous pouvons dater la plupart des prises
de position à partir du 20 novembre, il semblerait que ce soit Marie-France Garaud qui ait
ouvert le bal, mais nous ne pouvons vraiment l’affirmer. Toujours est-il que les déclarations
des professionnels de la politique vont vraisemblablement être un corollaire au numéro du
Nouvel Observateur du 17 novembre. Coluche est entré à ce moment là totalement dans
la campagne, il est devenu un paramètre important et a donc commencé à devenir une
vraie question posée aux vrais candidats. C’est cinq jours après la parution de ce numéro
que Claire Frémont a décidé d’interroger un grand nombre d’hommes politiques sur cette
candidature. D’autres réactions viendront plus spontanément, lors d’allocutions publiques
notamment. Contrairement à ce que pouvait laisser entendre, Jean Daniel, les réactions
ne seront pas tout à fait les mêmes au sein de la bande des quatre. Il y a tout de même
quelques points communs, notons par exemple la volonté de nier cette candidature dans
un premier temps. Au Rassemblement Pour le République, Jacques Chirac, Bernard Pons
et Pierre Charpy ont déclaré d’une seule voix « Cela ne nous intéresse pas. », Maurice
Couve de Murville renchérissait en déclarant : « Je refuse d'en parler. », à Michel Debré
d’ajouter « Je ne donne mon avis sur aucune candidature. ». La stratégie est un peu la
même du côté du Parti Socialiste François Mitterrand et Michel Rocard ne diront « Rien.
» et Jean-Pierre Chevènement déclarera : « Je n'ai rien à dire. ». Il en va de même au
Parti Communiste, mais dans un autre registre, René Andrieu « ne tien[t] pas à participer
à la campagne de publicité faite autour de Coluche. » alors qu’à la question concernant les
candidatures de Coluche et de Marie-France Garaud, Georges Marchais répondait : « Je
mènerai une campagne sérieuse, digne, responsable, pour impulser un vaste débat sur les
vrais problèmes.» Le parti de la majorité en place déclarera par la voix de Michel Pinton,
délégué général de l'U.D.F., que « Coluche n'entre même pas dans [leurs] calculs ».
Le vrai point commun de ces partis, c’est qu’en dehors de cette volonté d’exclure
Coluche de leur commentaire sous peine d’accorder de l’importance à cette candidature,
ils prêtent un œil très attentif à cette candidature. Ainsi, dans un article des Nouvelles
Littéraires, Jean-Christian Harvet a essayé de mener l’enquête pour voir comment les
différents partis avaient réagi. On apprend qu’à l’Elysée dans un premier temps la stratégie
a été de laisser-faire. Cette candidature ne les affecterait pas, elle déstabilise surtout la
gauche et pourrait permettre de voir passer Georges Marchais, dont les électeurs sont
plus « captifs », devant François Mitterrand. Ceci, est confirmé dans un article du Nouvel
Observateur où « un homme du président » a confié à Guy Sitbon que « Coluche joue un
numéro de démystification de la politique. Les gens se rendent ainsi mieux compte que les
petites querelles pour le pouvoir sont mesquines. Le président apparaît au-dessus de ce
tumulte dérisoire, celui qui doit faire face à la terrible réalité et qui prépare l'avenir comme
259
dans son discours d'Autun »
et par Jean Lecanuet pour qui « la candidature de Coluche
surprend. Elle ne nous affecte pas outre mesure. Lorsqu'on regarde ceux qui le soutiennent, on constate que sa candidature est un exutoire pour le PC et le PS. Cela ressemble à
un poujadisme de gauche.» On retrouve ici, des éléments que nous indiquions auparavant,
l’utilisation de cette expression hybride qu’est le poujadisme de gauche, mais surtout le
259
80
Sitbon (Guy),« La France de Coluche », Le nouvel Observateur, du 17 novembre1980, n°836, p48-49
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
renvoi de Coluche au camp opposé. Rapidement, toutefois, la position du parti majoritaire va
changer et se durcir. Les conseillers du président lui auraient dit qu’il serait de mauvais genre
que Coluche obtienne un temps de parole à la télévision, il s’en servirait sûrement pour le
prendre à partie. Ainsi, Michel Pinton apportait une nouvelle déclaration officielle qui cette
fois-ci était beaucoup plus dure avec celui qui est nommé le « candidat de cabaret ». C’est
à cette période que l’on commence à parler de pressions faites aux maires par le biais des
préfets : « le changement de tactique a été soudain : De l’Elysée et de Matignon les ordres
sont partis ; les préfets ont été mobilisés. Consigne : tout faire pour empêcher les maires
260
de donner leur aval au candidat Coluche. » . Du côté du Parti Socialiste, si les positions
n’évolueront pas aussi vite, on apprend que les cadres du partis ont « déjà consacré une
réunion interne au phénomène. Les "experts" ont expliqué gravement qu’il s’apparentait
à la poussée poujadiste qui marqua les élections de 1956. Parce que radicalement antipoliticien, ont-ils ajouté, le discours coluchien ne peut être qu’intrinsèquement de "droite" »
261
. François Mitterrand après avoir maladroitement essayé de décourager le candidat en
envoyant deux « émissaires », chargera Jacques Attali de prendre contact avec le comique
et d’organiser une rencontre. Il ne donnera son avis qu’après cette rencontre, une fois le
phénomène Coluche dépassionné. Sa déclaration, surprendra quelques commentateurs, il
appellera à « juger Coluche sur son programme ». Au Parti Communiste, la candidature de
Coluche, semble plus inquiéter. Après des mauvais résultats à des législatives partielles,
la candidature à l’élection présidentielle va prendre une autre tournure. Une enquête est
lancée dans quelques fédérations, cette enquête révèle que Coluche semblerait piper des
voix à Georges Marchais. Des électeurs qui voulaient voter « contestataire », préfèrent voter
pour Coluche. Les attaques vont être lancées. Ainsi M. Fiterman, empruntera le vocabulaire
de Coluche, pour le concurrencer : « Tenez, j’ai lu l’autre jour le but qu’il se donne : "foutre
la merde". Mais pour utiliser le vocabulaire de Coluche – et vous m’en excusez – moi je
dirais : foutre la merde ? Merci bien. La merde, on l’a déjà. On y est en plein dedans. Et ça
nous suffit. Le vrai problème, c’est de s’en sortir, de la merde dans laquelle les capitalistes
et leurs soutiens plongent les jeunes et le pays. Et c’est justement ce que nous propose
Georges Marchais. Voilà pourquoi les jeunes exploités et révoltés voteront et feront voter
pour lui. » Claude Cabanes ajoutera que « Coluche, candidat à l'Elysée, se moque du «
prolo » comme de l'an quarante ». Mais la phrase, la palme de la phrase la plus violente sera
vraisemblablement attribué à Roger Garaudy, qui a déclaré que Coluche était « le degré
zéro de l’humanité ».
A l’extrême gauche, d’autres réactions apparaîtront rapidement. Avant-Garde, bimensuel du Mouvement de la jeunesse communiste, écrit, à propos de Coluche : « Celui
qu’on s’évertue à nous présenter comme anticonformiste et subversif est en fait un
archimilliardaire, bien intégré, cynique et méprisant, qui cache ses vieilles idées derrière
une salopette, des lunettes rondes et des chaussures jaunes. » On retrouve ici, la salopette
comme élément de l’exclusion de Coluche, mais ce qui marque avant tout c’est bien que
l’on s’oppose ici à Coluche avec l’argument de lutte habituel, qui est l’argument de lutte
des classes. Coluche est présenté comme milliardaire, pour marquer sa différence. Nous
verrons par la suite qu’à l’extrême gauche, d’autres réactions sont beaucoup plus clémentes
avec l’humoriste.
Avant de présenter les autres déclarations de candidats, notons que le Centre
d’informations civiques, organe neutre rattaché au Sénat a pris position sur cette
candidature. M. Barbé, directeur du centre écrit à propos de cette candidature qu’« il faut
260
261
Harvet (Jean-Christian), « Quand Coluche brouille les cartes », Les nouvelles littéraires, 27 novembre 1980, n°2764, p.33
Idem
Bozonnet Grégory - 2008
81
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
y voir, indépendamment de l'opération publicitaire, une manifestation du goût à la fois
destructeur et ordurier que nourrît, en un coin caché de son inconscient, une fraction —
quelle en est l'importance ? — du peuple tenu pour le plus spirituel du monde. Il est vrai
que, vers 1900, le pétomane attirait les foules... ».
Nous avons eu l’occasion de l’exprimer assez longuement en première partie, à la minovembre les articles concernant la candidature de Coluche sont tellement nombreux qu’ils
occuperont une grande partie des colonnes politiques des journaux. Le calcul des petits
candidats sera simple, parler de Coluche pour pouvoir entrer dans ces dites colonnes. À
part Michel Jobert (mouvement des démocrates) qui n ‘a jamais souhaité s’exprimer à ce
sujet, tous les candidats iront de leur déclaration. Même Aguigui Mouna, alias André Dupont,
a déclaré à propos de la candidature de Coluche que c’était une « pub soutenue par des
262
snobs »
Aguigui Mouna a souvent été considéré comme l’autre candidat fantaisiste de
ces élections présidentielles. Il était connu pour ses aphorismes, comme « ne prenez pas
le métro prenez le pouvoir », ou « les mass media rendent les masses médiocres », ses
revendications pas toujours très accessibles : « La grossesse à six mois, la retraite à quinze
ans ! » et son style inimitable.
Chez les autres candidats, on trouve deux types de réaction pas toujours aisément
différenciables. D’un côté, il va y avoir une opposition au nom de la démocratie, de l’autre
Coluche va être utilisé comme arme politique.
« II ne faut pas dévoyer à ce point les institutions de la République. » déclara le
premier Jacques Blanc pour le compte du Parti Radical. D’autres emboîteront le pas, c’est
notamment le cas du candidat « anti-Coluche » - « Sans moi il n’aurait même pas existé »
déclarera l’humoriste - Michel Crépeau, président et candidat du MRG, « on ne va pas à
l’élection présidentielle comme chez le coiffeur ». Son statut de candidat « anti-Coluche », lui
permettra de s’exprimer dans plusieurs médias, il insistera donc en affirmant que l’humoriste
« représente un danger dont notre démocratie assaillie par des périls de toute sorte n'a
pas besoin. Il faut savoir qu'en politique également le ridicule tue presque aussi sûrement
que les attentats aux libertés. ». Le président délégué du centre des démocrates-sociaux,
Bernard Stasi, déclarera lors d’un meeting à Epernay :
« Si Coluche est un excellent comique, il ne faut pas mélanger les genres. La fonction
présidentielle est trop sérieuse et trop importante pour notre pays pour qu’on la tourne en
dérision : c’est le président de la République qui doit appuyer sur le bouton de la riposte
atomique, et je ne serais pas rassuré si c’était un homme comme Coluche qui avait à
assumer cette responsabilité. La campagne présidentielle doit être l’occasion d’examiner
les difficultés des Français et les problèmes de la France : il ne serait pas décent qu’elle
donne lieu à des excentricités et des pitreries. »
Bernard Stasi ajoutera par la suite que « les pitreries de Georges Marchais suffiront
pour mettre un peu de fantaisie. ». Jean-Pierre Chevènement (P.S.), a déclaré, une semaine
plus tard dans une réunion publique à Metz qu’« il ne faut pas ridiculiser le bulletin de vote.
C'est le fruit du combat d'un siècle pour lequel des hommes sont morts. Si on est contre
le suffrage universel, on est prêt à une dictature acceptée. ». Enfin, et nous arrêterons
notre inventaire sur ce point, Marie-France Garaud, dissidente gaulliste, qui a donc été la
première candidate à donner son avis sur l’humoriste, pense qu’« il faut en pleurer. Elle
prouve un état de déliquescence de notre démocratie. »
Mais la plupart des déclarations nous rappellent qu’à cette époque la campagne
présidentielle bat déjà son plein. Ainsi, et comme nous les signalions auparavant, plusieurs
262
82
« Aguigui Mouna… », Libération, 17 novembre 1980, n°2102, p.6
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
personnalités politiques vont chercher à toucher une autre cible en critiquant Coluche. Jean
Poperen, écrira que «Des gens se sont battus longtemps pour conquérir des institutions
démocratiques. Je suis écœuré de les voir galvaudées. Coluche ? C'est bon pour Giscard,
c’est bon pour les adversaires de la démocratie.»
Pour Huguette Bourchardeau, la candidate du parti socialiste unifié « Georges Marchais
est le père de Coluche », mais le spectacle n’est pas rigolo « pour ceux qui attendent
263
autre chose de la politique, c’est-à-dire les chômeurs et les femmes surtout » . En une
seule phrase, Huguette Bouchardeau, attaque la candidature de Coluche, celle de Georges
Marchais, tout en s’adressant à ses électeurs. Par la suite, elle reparlera de la candidature
de Coluche avec l’image suivante :
« Dans un pays où on aurait faim, où il n'y aurait rien à manger, rien sur lequel
rêver ou croire, Coluche serait un peu celui qui dirait : "Eh bien, autant casser
la vaisselle, au moins ça fait du bruit, au moins on s'amuserait." Et il aurait
bien raison. A quoi peut servir cette vaisselle quand les grands ayatollahs
de la politique ont d'autre nourriture et des places réservées dans d'autres
restaurants ? Pourtant, je me demande si, la vaisselle cassée, il ferait ensuite le
ménage. »
La critique de Coluche est probablement moins dure que celle qu’elle réserve aux autres
membres du champ politique, mais elle souligne quand même que derrière sa campagne
il n’y a rien, qu’il ne réparera pas ce qu’il a cassé.
En dehors de ces interventions, d’autres candidats afficheront nettement plus de
sympathie vis à vis de cette candidature. Outre l'ancien secrétaire national du MRG,
François Loncle, qui se porte en faux avec Michel Crépeau, en déclarant que cette
candidature est « un coup de botte formidable dans le derrière du pouvoir, de tous les
pouvoirs. », les réactions positives émanent de l’extrême gauche. Ainsi, Antoine Artous
(Rouge) note que « le propos démystificateur de Coluche n'est pas pour le gêner », et que
« son engagement de voter à gauche au second tour » n'est pas fait pour lui déplaire. Dans
Lutte Ouvrière, Pierre Vernant écrit :
« L’enjeu électoral des présidentielles est nul pour les exploités et les opprimés
de cette société. Ce n'est pas en mettant un bout de papier dans une urne en avril
prochain que ceux-ci pourront changer leur sort. En ce sens les révolutionnaires
ne peuvent que se réjouir des vagues que suscite la candidature Coluche dans
tout le personnel politique de la bourgeoisie. Ces gens-là tremblent de voir leur
système ridiculisé et dénoncé pour ce qu'il est : une farce. Tant mieux ! »
∙
Arlette Laguiller, confirmera cette position de Lutte Ouvrière:
« Je ne serais absolument pas gênée si Coluche se présentait. Sa compagnie sur
les écrans de la campagne électorale ne me paraît pas plus mauvaise que celle
de certains autres avec lesquels je vais me trouver. Au contraire, si je puis dire,
Coluche est franc, sincère, et il est probablement honnête. Les autres ne font rire
personne. Bien sûr, si Coluche se présente, cela peut ridiculiser toute l'élection
présidentielle et les hommes politiques qui tiennent le haut du pavé, et la fonction
présidentielle elle-même. Mais ce n'est pas moi qui m'en plaindrai. Cette parodie
de démocratie n'existe que parce qu'ils veulent faire croire aux masses qu'elles
peuvent décider de leur sort par le suffrage universel, alors qu'en fait leur sort se
263
« Grand prix Elysée 81 », Libération, 8 décembre 1980, n°2121, p.8
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83
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
décide dans les conseils d'administration des banques, dans les étages élevés
de l'administration et de l'appareil d'Etat. Si Coluche ridiculise cette élection
et les institutions, si la satire peut faire mieux que ce que je peux faire, je dirai
simplement : "Bravo, Coluche ! " »
Pour Fabien Roland-Lévy, journaliste à Libération, en s’imposant comme une question
à laquelle tous les hommes politiques doivent répondre, « Coluche a gagné la première
264
manche. »
En règle générale, pour les soutiens de Coluche, ces réactions ont été du
« pain béni ». Cabu, en a notamment fait une caracature parue dans le numéro d’Hara-Kiri
qui avait porté Coluche en une.
Peut-on, pour autant parler d’exclusion du champ politique ?
Nous venons de présenter les réactions qu’a générées la candidature de Coluche chez les
professionnels de la politique. Est-ce pour autant que nous pouvons parler d’exclusion du
champ politique. Dans une certaine mesure, nous pouvons considérer, que l’exclusion du
champ politique a été réelle tant que personne n’avait commenté cette candidature. Cette
exclusion a pu durer aussi longtemps que les hommes politiques renonçaient à prendre
position. A partir du moment, qu’ils ont commencé à parler de cette candidature, il est difficile
de dire qu’elle est exclue. Elle sera d’autant moins exclue que tout le monde va commencer
à prendre position, des plus petits candidats au futur président de la République. Valéry
Giscard d’Estaing, ne s’est jamais exprimé publiquement sur cette candidature, mais le
délégué général de son parti, Michel Pinton, le fera à plusieurs reprises comme on a pu le
voir. En outre, Coluche est véritablement entré en politique à partir du moment où les partis
ont commencé à réfléchir à ce qu’il devait faire de cette candidature. Nous faisions état d’une
réunion en plus haut lieu au P.S., mais il en va vraisemblablement de même avant chaque
prise de position. L’inclusion de cette candidature dans la campagne se fera d’autant plus
que Coluche va parfois être utilisé comme une arme, pour attaquer les autres candidats.
Rapidement ont lui donnera du crédit politique en lui trouvant ses essences et son électorat
dans un parti traditionnel. Ainsi, nous montrions que pour le P.S. cette candidature était
forcément de droite, alors que l’U.D.F. ne se sentait pas gênée par cette candidature de
gauche.
Notons tout de même qu’une grande partie des candidats va chercher à exclure au
nom de la démocratie la candidature de Coluche. Utilisant des termes proches de ceux que
dénonce Pierre Bourdieu quand il affirme que les professionnels de la politique accusent
265
les profanes « d’exercice illégale de la politique » . En effet, dans les déclarations que
nous avons reproduites auparavant, on pouvait retrouver des verbes comme, dévoyer,
assaillir, ridiculiser ou galvauder. Même si ce vocabulaire n’est pas repris par l’ensemble
des hommes politiques, on peut y voir une manifestation de leur illusio.Rappelons que
« l’illusio, c’est le fait d’être pris au jeu, d’être pris par le jeu, de croire que le jeu en vaut
266
la chandelle, ou, pour dire les choses simplement, que ça vaut la peine de jouer. »
C’est ce qui rendrait le jeu politique possible. Ce jeu créerait une solidarité entre les initiés,
les hommes politiques patentés, et justifierait le fait qu’il y ait une situation oligopolistique
sur le marché politique. En effet, selon Pierre Bourdieu, l’une des règles premières du jeu
est de lutter entre professionnels pour le vote des profanes. Sans qu’il y ait un accord
explicite, les joueurs, les hommes politiques, vont naturellement s’opposer à l’entrée de
264
F.R.L., « Coluche en orbite », Libération, 24 novembre 1980, n°2108, p.9
265
266
84
Bourdieu (Pierre), Propos sur le champ politique, p.55
Bourdieu (Pierre), Raisons pratiques, Paris, Seuil, coll. Points, 1996, p. 153.
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
Coluche dans le champ politique. Ceci représente un exemple de stratégie de conservation.
Les hommes politiques patentés vont fonder leur pouvoir sur le caractère sérieux qu’il faut
pour pouvoir exercer une telle fonction. Sérieux dont ne peut se revendiquer Coluche.Ils
vont ainsi créer un « effet de censure en limitant l’univers du discours politique et, par là,
l’univers de ce qui est pensable politiquement ». Nous reviendrons, plus amplement sur le
discours coluchien par la suite. Mais, ils vont se battre pour que Coluche ne soit pas un
choix possible lors du vote du 26 avril 1981. La stratégie de discrimination est à peu près
la même que celle que nous avions rencontrée dans les médias. Il y a d’un côté, le fait de
renvoyer Coluche à ses origines du music-hall, c’est le réflexe adopté par Michel Pinton,
qui après avoir assuré que Coluche ne les dérangeait pas, va s’empresser de rappeler
qu’il est un « candidat de cabaret ». De l’autre côté, on le renvoie à des images politiques
connotées péjorativement. On établit un parallèle avec le poujadisme, tout en prévenant
que l’on risque de glisser dans la dictature. On peut noter qu’il n’y a qu’assez peu de retenue
sur les expressions employées, ce qui montre le côté naturel du jeu, on peut discréditer
ouvertement Coluche, parce que c’est normal de le faire, il se moque de la démocratie. C’est
ce qu’écrivait Arnaud Mercier quand il évoquait « un jeu qui n’a pas à supporter pareille
moquerie puisqu’il est démocratique. ». L’image la plus marquante provient du journal Le
267
Figaro, qui utilise l’antonomase « Watergate par effet comique » . Le Watergate est à la
base un ensemble de bâtiments composé d’un hôtel, de bureaux et d’appartements, rendu
célèbre par le scandale qui a pris son nom. Le scandale du Watergate est l’un des scandales
les plus importants de l’histoire politique américaine. Il a débouché à une crise politique qui
contraindra même le président Nixon à démissionner suite à la découverte de pratiques
illégales à grande échelle au sein de son administration. On imagine que ce à quoi l’on se
réfère dans cet article du Figaro dans l’utilisation de Watergate, c’est probablement le côté
scandaleux de l’affaire.
Ainsi Coluche et sa candidature seraient scandaleux. Ce caractère est dénoncé
à plusieurs reprises dans les interventions, tout comme le côté dangereux de cette
candidature. Ce qui a été très caricaturé par Charlie Hebdo. Notamment dans cet exemple
de caricature paru dans les « unes auxquelles vous avez échappé » où les conséquences de
la candidature de Coluche sont comparées à celles de tremblements de terre ou d’incendie !
Pour passer à un autre point, notons que Pierre Bourdieu écrivait que l’enjeu du champ
politique est d’acquérir le « monopole du droit de parler et d’agir au nom d’une partie ou
268
de la totalité des profanes » . La manifestation la plus probante dans les réactions que
nous citions auparavant, est bien sûr celle de Claude Cabanes pour qui Coluche se moque
du « prolo ». L’intervention de Claude Cabanes, s’effectue au cœur même de l’organe de
presse du parti communiste. Les lecteurs sont donc en grande partie des électeurs. On
s’adresse à eux, pour leur montrer que la solution n’est pas Coluche, mais bien Georges
Marchais. Manifestement, Claude Cabannes parle comme si cette population floue que
sont les « prolos », était un électorat captif. Comme si seul Georges Marchais et les
autres communistes patentés pouvaient s’exprimer en leur nom. « Quand même, à mon
copain, l’ouvrier coco dans son usine, ça va être duraille de lui expliquer que lui et le bon
269
bourgeois de l’U.D.F. derrière son bureau de patron, c’est pareil. »
Cette phrase de
Claude Cabannes est du même registre, les communistes patentés vont devoir expliquer
que la parole du « rupin » Coluche ne peut pas avoir de valeur quand il s’adresse aux
« prolos ». Les mêmes arguments seront dans l’hebdomadaire du parti socialiste qui remet
267
268
269
Marchetti (Xavier), « La fonction présidentielle », Le Figaro, 24 novembre 1980, n° 11 266, p.6
Bourdieu (Pierre), « La représentation politique. Éléments pour une théorie du champ politique », art.cit., p.13
Cabanes (Claude), « Coluche me fait rire », L’Humanité, 19 novembre 1980, n°11269, p.2
Bozonnet Grégory - 2008
85
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
en question la capacité de Coluche a parlé au nom des travailleurs : « Que sait-il de tous
ceux qui souffrent ?(…) Que sait-il Coluche, de mon pote de Nanterre qui a démissionné de
"France Nouvelle" purgé un an de chômage et qui continue à se battre pour l’Unité dans sa
cellule ? ». On reproche, ici à Coluche, de ne pas avoir les connaissances et l’expérience
de ses préoccupations. Pour cela, L’Humanité emploie à nouveau le vocabulaire de la lutte
des classes. Ces éléments soulignent l’accaparation du capital nécessaire pour pouvoir
lutter dans le champ politique par un oligopole de professionnels de la politique. Et en cela
confirme la théorie bourdieusienne du champ politique.
Une des réactions les plus surprenantes lors de cette campagne est celle du C.I.C.,
M. Barbé critique fermement cette campagne publicitaire, il qualifie cette candidature de
« dérisoire » et « attristant[e] ». Ce centre a pour vocation d’inciter les citoyens à s’inscrire
sur les listes électorales, notamment les jeunes de 18 ans qui viennent d’acquérir le droit
de vote. Coluche s’exprimera à plusieurs reprises sur cette réaction du C.I.C.. Il pense qu’il
a amené plus de personnes à s’inscrire dans leur mairie qu’eux. Il est vrai que Coluche,
conclut son « appel historique », par un appel à l’inscription sur les listes électorales.
Cependant, nous avons essayé de mesurer l’impact que Coluche pouvait avoir sur la
politisation, notamment des populations abstentionnistes, et nous avons pu nous rendre
compte qu’elle est extrêmement dur à quantifier. Rappelons que la politisation est une
socialisation et une intégration politique. On peut l’entendre à un sens statique comme
degré d’intérêt pour la politique ou dans un sens de processus par lequel un individu (ou
un groupe) est amené à s’intéresser à la politique. Coluche revendique un grand impact
sur la politisation et la participation des abstentionnistes: « Moi je m’adresse aux pouilleux,
aux crasseux, aux mecs qui n’existent pas en politique, à ceux qui ne sont jamais inscrits,
je fais acte de civisme plus qu’aucun parti. Aucun parti n’a encore réussi à récupérer les
voix des 18-20 ans depuis qu’ils ont le droit de vote. Il n’y a pas plus de votants qu’avant.
270
Qui essaie d’intéresser ces gens-là ? Personne. »
Il disait également : « Je me présente
pour les abstentionnistes, inscrits ou pas. Pour ceux qui ne seront pas représentés, les
271
consommateurs de politiques, ceux qui la subissent » . C’est ce discours que le C.I.C.
n’a pas dû apprécier. Monsieur Barbé n’apprécie sûrement que très peu, que ce soit un
humoriste qui vienne faire ce qui est le cœur de leur rôle. En plus, Coluche se permettra de
les critiquer : « Et en plus le CIC, qui est un organisme qui doit s’occuper de recruter des
votants, dit que je m’adresse à la pègre, à la merde. Il les traite de merdes et qu’en plus
je ne devrais pas exister, alors que j’essaie de faire voter des nouveaux votants, ce qu’ils
272
n’ont jamais réussi à faire. »
Manifestement, la présence de Coluche dans cette élection présidentielle dérange. Un
proche de Coluche, Maurice Siegel, rédacteur en chef de VSD l’avait pourtant averti, « les
élections sont affaires sérieuses, les partis puissants, les grands candidats prêts à tout. En
e
République, surtout sous la V
du nom, s’en prendre au mandat présidentiel équivaut
273
à toucher au sacré. Pierre Bénichou, consulté, a exprimé les mêmes mises en garde. »
Félix Guattari, qui était à l’initiative de la pétition de soutien à la candidature de Coluche
affirmait lors d’une interview que « les castes au pouvoir tolèrent mal qu'un personnage
270
271
272
273
86
Jamet (Dominique), « A Quoi jouez-vous, M. Coluche ? », Le Quotidien de Paris, 24 novembre 1980, n°308, p. 6
Najman (Maurice), « Coluche l‘anti-candidat: « J‘irai jusq‘au bout» », Libération, 31 octobre 1980, n°2088, p.24
« LE C.I.C. : dérisoire et attristant », Le Monde, 20 novembre 1980, n°11 137 , p.10
Boggio (Philippe), op.cit., p.240-241
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
274
d'aussi basse extraction vienne fourrer son nez dans leurs affaires. »
Pourtant, malgré
tout ce que nous venons de noter, l’exclusion de Coluche du champ politique est à relativiser.
D’une part les attaques auraient pu être plus virulentes, et plus directes. On peut par
exemple souligner, que la plupart des sondages montrent que cette campagne prendra la
majorité de ses voix au candidat Mitterrand et que celui-ci, ne prendra position que très tard,
et que cette position, invite Coluche à se joindre au champ politique. C’est très probablement
un calcul de sa part, mais cela contribue à relativiser l’exclusion. Si on parle de calcul
c’est qu’en fait, comme le montre Pierre Bourdieu, le champ politique ne pourra en aucun
cas devenir un jour totalement indépendant, puisque l’une des particularités de ce champ
c’est que « les politiques sont justiciables du verdict populaire : il faut bien qu’ils entrent
en relation avec ceux qui leur donnent délégation et, de ce fait, une partie de leurs actions
275
restent tournées vers le public, ils ne peuvent pas rêver de la fermeture totale » Ainsi on
peut imaginer que Mitterrand, ne voulant pas prendre de risque de froisser les électeurs
coluchiens qui semblent en parti être composés de rocardiens déçus, ne va pas pouvoir
s’opposer à Coluche comme il l’aurait peut-être fait. La grande médiatisation et popularité de
Coluche, empêcheront vraisemblablement plus d’un candidat de critiquer trop violemment
Coluche.
En outre, nous pouvons souligner que parmi les attaques les plus virulentes se trouvent
celles effectuées par le parti communiste. Pourtant, Charles Fiterman, va contribuer à
légitimer la présence du clown dans l’élection en reprenant son vocabulaire. Coluche ne
fera aucun effort pour s’intégrer au champ politique, nous le montrerons, par conséquent,
adopter ne serait-ce qu’un mot de son registre, même si c’est pour le condamner, est
forcément une victoire pour le comique. Charles Fiterman a contribué à légitimer le
vocabulaire de Coluche en le représentant sur le terrain politique. D’autant plus que le fait
qu’il utilise ce terme va être repris dans de nombreux articles notamment dans Le Monde.
Charlie Hebdo se délectera de ces attaques à travers des caricatures comme celles-ci :
Avant d’aborder en quelques mots le cas de Pierre Dac et de Dieudonné, notons que
l’un des éléments qui revient le plus souvent dans les critiques, c’est le fait que la fonction
soit trop sérieuse, trop importante pour être moquée. En fait d’exclusion du champ politique,
Coluche est exclu de l’élection présidentielle. Nous avons eu l’occasion de montrer que
dans la Cinquième République, l’élection du président de la République est l’enjeu de
pouvoir suprême, mais il n’empêche qu’il n’est pas le seul. Il est possible d’imaginer que
si Coluche s’était présenté à une autre élection, il n’aurait en aucun cas récolté le fruit
d’une telle campagne. L’exemple de Dieudonné pourrait corroborer avec cette idée. En
effet, comme nous le présentions en introduction, Dieudonné s’est présenté à plusieurs
échéances électorales, notamment aux élections municipales de 2001 à Dreux. Il n’a pas
réussi à monter une liste à temps bien que pour cette campagne, il bénéficiait d’un appui
de poids, les Verts. « Dieudonné, (…) s'est fiancé avec les Verts. Pour les élections
municipales, il viendra les soutenir à Lille, à Rouen, à Paris 18e, aux Ulis, donnant de
276
sa médiatique personne. En échange, les Verts le soutiennent à Dreux »
. Pour cette
campagne, avant qu’il ne renonce, Daniel Cohn-Bendit s’était déplacé pour le soutenir. Il
est pourtant l’un des rares à donner sa position sur la candidature de l’humoriste qui dans
277
l’ensemble « indiffère les autres candidats »
. Il « conseille au comédien "de rester
274
275
276
277
Guattari (Félix), « Pourquoi Coluche », Le nouvel observateur, 15 décembre 1980, n° 840, p.42
Bourdieu (Pierre), Propos sur le champ politique, op.cit., p.38
Gurrey (Béatrice), « A Dreux, le Black Dieudonné se veut l’héritier de Coluche », Le Monde, 18 janvier 2001.
Idem
Bozonnet Grégory - 2008
87
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
tranquillement à la maison" pour la présidentielle. "C'est inutile de tenter de faire un remake
de Coluche en 1981, plaide l'écologiste. Un remake au cinéma, c'est toujours mauvais.
278
Coluche, Montand, Dieudonné, faut oublier." »
Alors que Dieudonné que Daniel CohnBendit considère que Dieudonné peut se prétendre digne d’être élu maire de la ville de
Dreux, qui compte tout de même plus de trente mille habitants, il n’estime pas qu’il puisse
être candidat à l’élection présidentielle. C’est une nouvelle preuve manifeste de la volonté
de restreindre cette élection présidentielle à une concurrence entre professionnels. Mais
notons, tout de même deux éléments supplémentaires. Dans un premier temps on peut
remarquer qu’il utilise comme exemple pour le discréditer, la candidature de Coluche. C’est
le référent. Pour jeter le discrédit, plus besoin d’aller mobiliser les dictateurs, ou Pierre
Poujade, Coluche renvoie systématiquement à une candidature fantaisiste qui ne cherche
pas à aboutir ce qui permet de discréditer la candidature de Dieudonné. Le second point
que nous aimerions souligner, c’est le fait que les partis sont tout de même enclins à inviter
les comiques professionnels dans des compétitions de moindre importance, pour profiter de
leur charisme. Il est vrai que les comiques professionnels sont souvent dits « populaires » et
« charismatiques ». Or le charisme est un capital politique indéniable, il « est la capacité de
séduction tenant aux qualités particulières prêtées à un dirigeant, dit alors charismatique.
279
Max Weber y voit l’un des fondateurs possibles de la légitimation d’une domination »
et
Pierre Bourdieu affirme que c’est l’un des attributs les plus importants du capital politique.
Ainsi, pour servir leur lutte, les « petits » partis comme les Verts peuvent être amenés à se
faire aider par des personnalités médiatiques extérieures. Cette expérience peut s’inscrire
dans le capital politique de l’humoriste, mais vient surtout lui donner une certaine légitimité
à parler de politique. Pourtant, Pierre Bourdieu, montrait que l’enjeu du champ politique
était de conserver cette légitimité à parler de politique, à parler au nom des profanes, entre
politiques.
Notons, enfin, qu’un autre candidat avait pris position pour que Dieudonné puisse se
présenter à l’élection présidentielle, il s’agit de Jean-Pierre Chevènement qui n’a pas caché
280
qu’il soutenait le comique uniquement parce qu’«il pren[ait] des suffrages à Mamère».
Nous évoquions auparavant des « stratégies gloutonnes » de certains partis qui vont fournir
des signatures pour favoriser une candidature qui déstabilise l’adversaire politique. Nous
sommes, dans le cas présent, dans le même cas de figure. Jean-Pierre Chevènement, va
donner du crédit politique à la candidature de Dieudonné, en annonçant publiquement qu’il
est pour sa candidature (rappelons que ce soutien était de poids puisqu’à l’époque il était
qualifié de « troisième homme », le seul à pouvoir enrayer l’inévitable duel entre Lionel
Jospin et Jacques Chirac) mais cela uniquement en espérant faire perdre des points à son
concurrent potentiel qu’est Noël Mamère. Tout comme dans le cas de la candidature de
Coluche, on ne peut donc pas vraiment dire qu’il a été exclu du champ politique puisqu’il
a été utilisé comme « arme politique ».
Même si l’idée que l’on retient de ces candidatures et plus précisément de la campagne
coluchienne c’est que « devant la candidature Coluche, les partis politiques unanimes ont
281
fait la fine bouche et exprimé une réprobation fortement teintée de mépris » cette idée est
à relativiser. Les médias avaient probablement accordé trop de places à la candidature de
Coluche pour que les hommes politiques l’ignorent sans qu’on leur reproche de se couper
278
279
280
281
88
Hassoux (Didier), « Le « cocorico » de Dieudonné », Libération, 2 février 2002
Bacot (Paul), Dictionnaire du vote – Elections et délibérations, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1994, p.9
Gurrey (Béatrice), « A Dreux, le Black Dieudonné se veut l’héritier de Coluche », Le Monde, 18 janvier 2001.
Weill (Claude), « Plus qu'un trouble-fête », Le Matin de Paris, 15 décembre 1980, p.4
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
du pays réel. Ils ont donc du prendre parole sur cette campagne et ont ainsi contribué à lui
donner du cachet politique. Après avoir qualifié cette campagne de tous les mots négatifs
possibles, certains hommes politiques patentés l’ont utilisée comme arme électorale en
renvoyant cette candidature au camp adverse. On a même vu que parfois ils ont même
été influencés par cette campagne au point d’en reprendre des termes. Coluche n’a pas
été totalement exclu du champ politique, on a essayé de l’exclure après lui avoir ouvert la
porte. En fait, étant donné que les médias n’avaient pas joué leur rôle de gate keeper les
hommes politiques ont dû utiliser leurs armes pour déqualifier le candidat, mais pour cela, ils
n’avaient d’autre choix que de le porter sur la place publique. A la fin novembre, seulement
4% des témoins de l’Express n’étaient pas au courant de la candidature de Coluche quand
près de 20% ne savaient pas que Marie-France Garaud, la dissidente gaulliste qui s’est
déclarée candidate en même temps que l’humoriste, l’était. La candidature de Coluche a
vraiment pris, et a obligé la plupart des hommes politiques a révélé qu’ils ne souhaitaient
pas lutter contre un comique. Ce que montre déjà la loi sur les cinq cents signatures d’élus.
Mais s’il est manifeste que la plupart des hommes politiques ne souhaitaient nullement que
Coluche soit candidat, à part les petites formations marginales qui souhaitent casser le jeu
des grands partis, on peut reconnaître que l’exclusion de la candidature de Coluche n’est
pas passée par le processus décrit par Bourdieu, mais belle et bien par une lutte au sein du
champ politique dans laquelle les hommes politiques ont engagés toutes leurs forces. On
peut noter que dans le cadre de la candidature de Coluche, ils ont réussi à le faire renoncer,
mais n’auraient-ils pas gagné une partie dans laquelle, ils étaient les seuls à jouer ?
Peut-on exclure quelqu’un qui ne cherche pas à entrer
dans le champ politique ?
Afin de réfléchir à la logique de l’exclusion de ces candidatures fantaisistes, nous allons
dans un premier temps montré que les candidats ne cherchent absolument pas à être pris
au sérieux et à s’intégrer à la logique de compétition politique. Nous ne demanderons par la
suite, pourquoi dans ce cas, ces candidatures ont-elles pu être victimes d’une telle violence
de la part des médias et des hommes politiques.
Des candidats qui tendent le bâton pour se faire battre ?
Dans le but de mettre en exergue l’auto-exclusion des comiques du champ politique, nous
allons montrer leur volonté de railler tout ce qui est politique et notamment en le remplaçant
par le scatologique pour ensuite montrer que ces candidatures s’attaquent également aux
symboles républicains.
Un discours où le politique devient scatologie
Nous venons de voir que Coluche et Dieudonné ont beaucoup été critiqués par les hommes
politiques qui ont essayé de les exclure de la course à l’élection présidentielle. Nous
signalions que ni l’un ni l’autre n’avaient cherché à vraiment s’intégrer au jeu politique, ils
n’en ont pas accepté les codes, les symboles. Nous allons voir à travers une étude de leur
discours et de caricatures que leur campagne a parfois tourné en tirades antipolitiques.
Dans un premier temps nous reviendrons sur ce vocabulaire antipolitique des candidats
Bozonnet Grégory - 2008
89
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
pour ensuite nous intéresser à ce par quoi ils proposent de remplacer la démocratie qu’ils
décrient.
Les termes qui concluent l’ « appel historique » de Coluche font appel à une thématique
profondément antipolitique. Ces deux dernières phrases sont en effet, « tous ensemble
pour leur foutre au cul » et « le seul candidat qui n’a pas de raison de mentir ». Les
appels suivants, seront parfois signés du terme « démagogie maximum » et « le seul
candidat qui dit la vérité ». Ces expressions rappellent d’autres bons mots que Coluche a
pu avoir tout au long de sa carrière comme : « Les quatre leaders des grandes formations
politiques françaises ne sont pas les uns contre les autres, mais bien unis comme les trois
282
mousquetaires des cinq doigts de la main : " un pour tous, tous pourris" » , ou encore
283
« y'a des hommes politiques qui mangeraient du cirage pour briller en société »
, ou
enfin « la grande différence entre les oiseaux et les hommes politiques, c'est que de temps
284
en temps, les oiseaux s'arrêtent de voler » . Pendant sa campagne, Coluche n’a pas
manqué d’ajouter à son palmarès d’autres expressions de cet acabit. Parmi ces expressions
critiquant les hommes politiques avec un langage commun, on peut relever, « je suis l’enfant
285
de la désunion de la gauche, du ras le bol de la bande des quatre »
ou encore « je
voudrais que les hommes politiques prennent conscience qu’en France les mécontents,
ceux qui ne votent pas et ceux qui votent blanc, ils vont trouver non seulement qu’ils existent
mais qu’ils se désintéressent de la chose politique telle qu’elle est faite avec ses magouilles
286
et ses dessous de table… »
, « dessous de table qui sont tellement plein, qu’ils ne savent
plus ou mettre les jambes ». Voyant que ces formules fonctionnent, il ira jusqu’à faire la leçon
aux hommes politiques en disant qu’«il y a un problème de communication des hommes
287
politiques avec la base » . Notons bien sûr que ses aphorismes quotidiens parus dans
Libération, quand ils ne dénoncent pas la censure, jouent sur ce registre antipolitique. Pour
ne noter que quelques exemples de ce que Serge July appelle les « petites phrases et
répercutions multiples », notons qu’il a écrit : « Enfin, une grossièreté gratuite dans ce monde
288
pourri par l’argent ! Coluche : J’emmerde les hommes politiques ! ! »
; « Malaise : Il paraît
que les cordonniers sont les plus fraudeurs. Sûrement que les hommes politiques sont les
289
plus mal chaussés. »
; « Premier sondage honnête : 60% sont contre Barre, 74% sont
contre Giscard, 77% sont contre Mitterrand, 84% sont contre Marchais, 88% sont contre
290
Chirac, 383% des Français sont contre la politique. » . Tout au long de cette campagne,
il va éculer ce thème, qui promettait d’être l’un de ses thèmes de prédilection pour son
spectacle prévu pour la rentrée 1986. Nous pouvons en effet, retrouver des traces de ces
sketches, notamment un intitulé « les discours en disent long » où Coluche affirme que « Si
la Gestapo avait les moyens de vous faire parler, les politiciens d’aujourd’hui ont les moyens
de vous faire taire. ».
282
283
284
285
286
287
288
289
290
90
Coluche, Votez Nul, 1980
Coluche, Le chômeur, 1986
Coluche, Y se foutent bien de notre gueule, 1986
Jamet (Dominique), « A quoi jouez-vous, M. Coluche ? », Le Quotidien de Paris, 24 novembre 1980, n°308, p.6
Idem, p.7
Idem, p.6
Coluche, Libération, 14 novembre 1980, n°2100, p.10
Coluche, Libération, 13-14 décembre 1980, n°2125, p.7
Coluche, Libération, 9 janvier 1981, n°2146, p.9
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
En ce qui concerne Dieudonné, il déclarera « la politique est une vieille dame malade,
agonisante ». A partir de sa référence, Coluche, dont il défend la mémoire avec emphase
« il est la dernière figure politique majeure de ce pays » ; il offre une violente critique de
la politique, pour lui la « politique aujourd’hui dit professionnels, affaires, business ». Il ira
jusqu’à déclarer « La politique politicienne est une vaste bouffonnerie qui ne m’intéresse
291
absolument pas »
Nous allons par la suite nous intéresser aux symboles républicains détournés par
les comiques professionnels mais auparavant, nous pouvons noter qu’ils détournent la
symbolique des partis politiques tout comme le symbole qui pour eux représente le vote,
l’urne.
A propos du détournement de la symbolique des partis, les candidats sont restés
à leurs prémices. On aurait pu imaginer qu’ils aillent beaucoup plus loin. Toutefois, on
peut noter que sur les quelques exemples que nous allons présenter, il y a un véritable
fossé entre l’utilisation faite par Dieudonné et celle faite par Coluche. Ce dernier va
véritablement chercher l’effet comique, alors que Dieudonné en a une utilisation plus
politique et polémique.
Sur les caricatures présentées ci-dessus, toutes deux extraites des pages de Charlie
Hebdo, nous pouvons noter que c’est le symbole du parti socialiste qui est pris à parti, il
passe à travers le filtre grivois des équipes de l’humoriste. Pour coller avec le discours de
celui-ci. Notons que la première caricature est parue avant « l’appel historique » alors que
la candidature de Coluche n’était pas encore lancée devant la presse. La caricature donne
déjà le ton. Siné reprendra par la suite ce même symbole pour illustrer la phrase qui clôt
l’appelle coluchien : « Avec Coluche pour leur foutre au cul »
Dieudonné, ne reprendra pas les partis à travers des caricatures mais le fera par les
mots. Sa vision de la politique est elle également proche du « tous pourris », nous l’avons
signalé. Concrètement cela ce traduit, dans ces textes et interventions par des expressions
controversées. Par exemple, il reprend les sigles UMP et PS pour parler d’UMPS. Notons,
que ce jeu sur les sigles n’a pas été crée par l’humoriste. La paternité est revendiquée
par Marin Le Pen (Octobre 2003), mais c’est probablement Philippe De Villiers qui l’utilise
le plus, même si François Bayrou n’a pas manqué de reprendre cette expression à son
compte. On voit que le détournement du sigle sort d’un usage proprement comique mais
qu’il sert des arguments visiblement plus politiques. Notons que sur un registre politique,
il n’hésitera pas à détourner les sigles PS pour en faire le « Parti Sioniste », tout comme
il avait détourné SOS racisme pour en faire « SOS sionisme ». Ce détournement servait
aussi parfois pour alimenter ce que nous nommions auparavant la stratégie de censure, par
exemple, Libération, dont les journalistes sont pourtant les plus prolixes sur la candidature
de l’humoriste, est rebaptisé Liberticide et Le Monde, L’immonde. Quand Coluche, détourne
les sigles, c’est plutôt dans un but humoristique comme le montre cet aphorisme paru dans
les colonnes de Libération « R.E.R., E.D.F. et post-scriptum (P.S.). le R.E.R. fera-t-il alliance
292
avec le P.S. contre l’E.D.F. au deuxième tour? »
Si sur le détournement des partis, les
candidats s’opposent, ils se rejoignent sur le détournement de la symbolique autour du vote.
Trois des quatre caricatures sont issues de Charlie Hebdo et sont allouées à la
candidature de Coluche, la dernière, signée Tignous a alimentée la candidature de
Dieudonné. Si on excepte la seconde candidature, toutes les autres sont à relier directement
avec la scatologie de ces campagnes. L’urne électorale est transformée en toilettes dans
291
292
Mercier (Anne-Sophie), op.cit., p.113
Coluche, Libération, 16 décembre 1980, n°2127, p.9
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91
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
la candidature de Coluche, alors que pour Dieudonné c’est la mairie qui occupe ce rôle.
L’expression « Tirons la chasse !» pourrait être interprétée par l’idée de sortir le personnel
en place dans cette mairie. Pour en revenir à Coluche, l’urne dont sort le poing pourrait
renvoyer à l’idée de « piège à con » que serait ces élections. La scatologie désacralise le
vote au point de lui enlever toute valeur. Ce vote, pour Coluche, n’a aucune valeur, car il
n’offre aucune possibilité de changer les choses.
Pour en revenir à la scatologie, elle se retrouvera en fil rouge dans ces campagnes.
Pour Dieudonné, « on vote, on vote et il y a comme un arrière goût de pisse, c’est vrai »
293
. Coluche a utilisé nettement plus souvent cette image, jusqu’à la lettre où il annonce
l’arrêt de sa candidature :
« Messieurs les hommes politiques de métier, j'avais mis le nez dans le trou de
294
votre cul, je ne vois pas l'intérêt de l'y laisser.»
Ces quelques caricatures sont extraites des pages de Charlie Hebdo, et notamment du
numéro 542 paru à la fin de la campagne de l’humoriste. On voit que la scatologie est
utilisée dans deux registres différents, il y a d’un côté l’humour que l’on qualifie aujourd’hui
volontiers de « pipi, caca », un humour léger, de potache. C’est notamment le cas de la
première des caricature à laquelle on a adjoint volontairement une faute d’orthographe pour
donner l’aspect d’un dessin d’enfant. L’esprit est le même dans la première caricature de la
seconde ligne, langue tirée, la main sur le nez, un enfant à l’écharpe tricolore quelque peu
dévalorisée. La scatologie sert à remplacer tous les slogans et revendications éventuelles,
son programme : « prout ! ». Ceci nous renvoie à la dénomination utilisée par l’équipe de
Charlie Hebdo qui parle de « candidat de la merde ».La dernière caricature donne un sens
un peu différent à l’utilisation de ce registre. Le majeur tendu évoque un signe d’hostilité,
le doigt d’honneur, et le slogan rappelle celui de l’« appel historique ». On retrouve ici, la
rengaine antipolitique qui lui a valu les accusations de poujadisme, boulangisme…
La scatologie n’est pas le succédané à la démocratie. Coluche appellera souvent à
prendre les pleins pouvoirs. Nous en reparlerons par la suite, mais notons qu’il y a souvent
des références qui montrent à quel point il n’a en aucun cas cherché à s’intéresser aux
postes qu’il convoitait, il n’a jamais cherché à être élu, ni à essayer de reproduire le langage
du champ politique. La scatologie employée, et les critiques acerbes qu’il pouvait tenir
au sujet des politiciens, montre qu’il ne cherchait vraiment pas à entrer dans la norme.
Pour Dieudonné, on pourrait avoir l’impression que les choses sont un peu différentes qu’il
s’agisse d’une stratégie d’entrant dans le champ politique de critiquer les autres membres,
d’annoncer qu’il faut tirer la chasse, nous aurons l’occasion de montrer qu’il n’en est rien.
Après avoir présenté l’antipolitisme de nos candidats, il convient de montrer que leur
absence de volonté de s’intégrer dans la course à la présidence de la République Française
est visible de les distorsions qu’ils peuvent faire subir aux symboles de cette République.
Une critique des symboles et de l’histoire de la République française
Les trois comiques professionnels qui se sont présentés à une élection présidentielle de la
Cinquième République ont en commun d’avoir pendant la campagne revisité un ou plusieurs
symboles républicains.
Pour obtenir, les premiers éléments sur la critique de la symbolique républicaine par
Coluche, nous pouvons nous référer au mémoire de fin d’études de Caroline Vincent, réalisé
293
294
92
Sketch d’introduction du spectacle Mes Excuses, 2006
Coluche, «J’arrête », Charlie matin, 16 mars 1981, n°1, p.3
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
295
à l’IEP de Lyon sous la direction de Denis Barbet . A partir de ce travail, nous pouvons
catégoriser les critiques dans trois domaines, d’un côté le détournement des symboles
républicains, de l’autre la reformulation de l’histoire politique française mais également
internationale et enfin une attaque plus générale de la politique. Comme nous le disions
auparavant, ces critiques unissent les trois candidats, nous ne resterons, par conséquent,
pas cloisonnés au cas de Coluche, et nous regarderons ce qu’ont pu faire les autres
candidats de ces symboles et faits politiques.
Parmi les symboles républicains, nous pouvons retenir, le drapeau tricolore, l’hymne
national, l’allégorie de la République qu’est Marianne et la devise « liberté, égalité,
fraternité ». En ce qui concerne l’hymne national, ni Pierre Dac, ni Coluche, ni Dieudonné
n’en ont fait de versions détournées à notre connaissance, c’est le seul des symboles
républicains qui ne soit pas passé entre les armes redoutables des équipes de campagne
des humoristes.
Le premier symbole sur lequel nous allons nous arrêter est bien sûr le drapeau tricolore,
c’est l’emblème national selon la Constitution. Contrairement à l’idée très répandue dans
les articles et autres ouvrages consacrés à Coluche, le mensuel Hara-Kiri n’a joué qu’un
rôle mineur dans la campagne de l’humoriste. En fait, le seul rôle qu’il ait joué était de faire
de la publicité pour l’hebdomadaire Charlie-Hebdo qui, comme on a pu le voir, était l’organe
officiel de la campagne de Coluche. Cependant, ils ont marqué la campagne, en offrant à
Coluche la une de leur numéro de décembre 1980. Cette une, chargée de symboles, aura
valu à Coluche des petits ennuis avec la justice pour « port illégal de décoration ». On voit
en effet sur cette une, Coluche installé sur « le trône » - car c’est probablement dans ce
sens là qu’il faut interpréter les toilettes sur lesquels il pose – le pantalon baissé mais le
sexe caché par une médaille de la légion d’honneur.
Dans le mémoire que nous citions auparavant, Caroline Vincent pose comme
hypothèse que la couleur rouge a été remplacée dans le drapeau coluchien par la merde,
parce que le rouge est en fait la couleur politique la plus proche de l’humoriste. En ce qui
nous concerne, nous pensons plus simplement qu’il s’agit ici d’un simple effet d’humour,
de syntaxe. Souvent, et nous verrons que ceci se confirme à propos de la devise libertéégalité-fraternité, c’est le dernier mot que l’on remplace. Ceci permet l’effet comique puisque
nous nous attendons à entendre rouge, quand on nous dit bleu-blanc-… Remplacer le
dernier terme par merde, est une profonde atteinte à ce symbole de la République qu’est le
drapeau tricolore. Nous aurons l’occasion de revenir sur le caractère scatologique de cette
campagne, mais notons que cette affiche a marqué les esprits, comme le symbole même de
l’irrévérence, de l’irrespect de la candidature de Coluche. Dans cette affiche, on retrouve à
nouveau la salopette identitaire qui est, comme nous le montrions, la signature de Coluche,
il adopte en partie les codes vestimentaires d’une vision traditionnelle de la politique, le haut
de forme, la veste et le nœud papillon qui sont contrastés par le drapeau devant lequel il
fait son allocution, et le trône sur lequel il siège.
Nous pouvons noter que le candidat Coluche, utilisera pendant sa campagne les
couleurs bleue, blanche et rouge à plusieurs reprises. En effet, lors du faux conseil des
ministres (rebaptisé pour l’occasion « conseil des sinistres ») réalisé pour le compte
d’Antenne 2 – émission non diffusée que nous évoquions – Coluche apparaissait ceint d’une
écharpe tricolore. Lors d’un de ses derniers actes de campagne, la fédération des petits
candidats, il est apparu totalement nu, un ruban tricolore protégeant son sexe et une plume
tricolores dans les fessses. Cette image n’a pas provoqué d’indignation dans la presse, elle
295
Vincent (Caroline), Coluche président ou la symbolique et l’essence du politique revisitées, mémoire de fin d’étude dirigé
par Denis Barbet, IEP de Lyon, 2005, 125p.
Bozonnet Grégory - 2008
93
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
est pourtant une marque prononcée d’absence de respect pour le drapeau national. JeanPierre Elkabbach confiait à Philippe Boggio qu’« on ne se rend plus compte aujourd’hui à
quel point son coup de plumes dans les fesses avait été violent, à quel point Coluche avait
une grande capacité à choquer. »
296
En ce qui concerne Marianne, on peut noter que les premières représentations d'une
femme à bonnet phrygien, allégorie de la Liberté et de la République, apparaissent pendant
la Révolution française. L’origine du prénom Marianne est difficile à trouver, ce serait
probablement une simple contraction des prénoms Marie et Anne qui étaient déjà très
ème
répandus au XVIII
siècle. Marianne a été un symbole de liberté, notamment du fait
qu’elle portait le bonnet phrygien, coiffe qui était portée par les esclaves affranchis en Grèce
et à Rome. Marianne est, aujourd’hui, une figure allégorique de la République Française.
Parmi les quatre caricatures de Marianne présentées ci-dessus, trois appartiennent à
la candidature de Coluche, et une à celle de Dieudonné. Les trois caricatures appartenant
à la candidature de Coluche sont issus des pages des « Couvertures auxquelles vous avez
échappées » de Charlie-Hebdo, la dernière, celle ayant trait à la candidature de Dieudonné,
297
est issu de son livre Lettres d’insultes
illustré par le dessinateur Tignous qui est donc
l’auteur de cette caricature. Si l’on commence par cette Marianne, on peut voir que les
traits sous lesquels serait représentée la Marianne de Dieudonné sont avant tout ethniques.
Le bonnet phrygien, tout comme le masque qu’elle porte renvoie à la culture africaine
traditionnelle, à l’instar de la robe qu’elle peut arborer. Ceci corrobore avec ce que l’on a pu
nommer en introduction une ethnicisation du rire.
Dans la campagne de Coluche, Marianne est avant tout disgracieuse. Notons tout
même que le sein nu de Marianne, censé représenter la mère nourricière, est, dans la
première caricature, un objet de désir pour le président Coluche. Dans ce registre, nous
pouvons souligner également que dans le magazine Lui, de Janvier 1981, Coluche pose
avec une Marianne entièrement nue puisqu’elle a pour seuls vêtements un bonnet phrygien
et deux cercles bleus et rouges sur les seins. Dans toutes les candidatures présentées
ici, les bustes semblent vraiment amputés des bras, tant la rupture est disgracieuse. On
retrouve une fois encore la salopette comme métonymie de Coluche. On peut remarquer
qu’elle ne sied pas le moins du monde à la République Française, Marianne nageant dans
ses nouveaux vêtements. La dernière image est celle d’un buste de Marianne repoussant,
attirant les mouches. Caroline Vincent interprète cette caricature comme la marque du
caractère absolu du pouvoir souhaité par Coluche, puisqu’il irait jusqu’à remplacer le buste
de Marianne par sa propre image une fois arrivé au pouvoir. Cet aspect de la candidature
de l’humoriste, est également visible dans les faux timbres réalisés par Siné, qui seraient
devenus officiels si Coluche avait gagné. Le premier timbre montre, en effet, Coluche,
désigné sous un nom
Selon le site de l’Assemblée Nation Nationale, cette Marianne incarnait une France
rurale. Le positionnement des pieds montraient aussi, toujours selon le même site,
er
une République en marche. d’empereur. Coluche 1 se voit alloués tous les attributs
vestimentaires symboliques de l’empereur. Le jeu sur les symboles est tout à fait central
dans cette campagne. Il n’est, donc, pas anodin que le second timbre détourne l’allégorie de
Marianne comme semeuse, selon l’œuvre de Louis-Oscar Roty qui avait été choisi comme
symbole philatélique dès 1897. Pour représenter une République agricole, mais aussi une
296
297
94
Boggio (Philippe), op.cit., p.276
M’bala M’bala (Dieudonné), Lettres d’insulte, Paris, Le cherche midi, 2002,155p.
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
République en marche. Nous pouvons noter qu’outre ses significations, le fait que Marianne
ait les cheveux dans le vent donne une sensation de liberté à la scène, de plus l’allégorie
de Marianne comme semeuse va de pair avec le symbole de fertilité. Après le passage,
entre les mains de Siné, il ne reste plus grand-chose de ce symbole. Maurice Agulhon écrit
dans son ouvrage intitulé les métamorphoses de Marianne que « Siné maintient à l’extrême
298
gauche la tradition libertaire du mépris haineux contre la République Etat national. »
Outre cet aspect, on peut souligner que cette caricature est tout à fait dans le ton donné
par Coluche qui voulait être candidat pour « foutre la merde ». En langage guère plus poli,
on dit « semer la merde ». La semeuse se transforme donc en semeuse de merde pour
l’occasion. Nous reviendrons dans le deuxième temps de notre réflexion sur la scatologie
des candidats Coluche et Dieudonné.
Ce détournement de l’imagerie républicaine est dans tous les cas une nouvelle marque
du détachement des comiques professionnels des affaires de la cité.
Enfin, en ce qui concerne la devise républicaine, liberté, égalité, fraternité. Une fois
encore, Coluche et Dieudonné, l’ont détournée de son sens. Pour commencer par Coluche,
ce n’est pas un détournement qu’il a régulièrement utilisé. Il n’en a jamais fait un sketch. En
299
revanche, lors d’une tribune qui lui est confiée dans Le Monde , il utilisera l’expression,
« liberté, égalité, copains partout ». Selon lui, « c'est la nouvelle devise qui pourrait s'inscrire
300
au frontispice de la nation »
. Cette expression est du ressort du « tous pourris » qui a
fait son succès. Par cette dénonciation du népotisme, Coluche critique l’incompétence des
ministres. « J'aimerais bien qu'on me cite un ministre qui ait fait des études correspondant
à ses fonctions. Ce serait le minimum. On se demande des fois pourquoi d'éminentes
sommités françaises n'ont jamais eu de postes au gouvernement. La réponse est simple :
301
elles ne sont pas "copains avec l'U.D.F."»
Dieudonné fera une utilisation quelque peu différente. Il en fera, une sorte de phrase
culte, un peu comme la marque de son spectacle Mes Excuses. « Liberté, Egalité, et mon
cul sur la commode ! ». A l’instar du « bleu, blanc, merde », de Coluche, nous ne pensons
pas qu’il faille interpréter le choix du terme effacé, c’est a priori une simple question de
syntaxe. Ce qui est à souligner, c’est le côté irrévérencieux, provocateur. La formule de
fin décrédibilise totalement les deux premières. On sent, dans ce syntagme, une vision
désabusée de la République française.
Notons un dernier exemple de symbole républicain détourné. Bien qu’il n’ait jamais été
réellement un symbole de la République française, le coq a marqué l’histoire de France
et continue à être l’emblème choisi pour orner les équipements des sportifs français. En
fait, le coq a été dès l’Antiquité un symbole de la Gaule et des Gaulois, du fait d’un jeu
sur le mot latin galus qui signifiait à la fois coq et gaulois. On peut trouver sur le site de
l’Elysée, les différentes époques où cet emblème a été sollicité, il s’agit essentiellement de
ème
la Révolution de 1789 et de la III
République. On peut noter que depuis, il est moins
utilisé du fait qu’un animal de basse-cour peut difficilement rivaliser avec d’autres emblèmes
internationaux comme l’aigle américain, ou le lion iranien. Coluche a raillé ce symbole dans
son sketch Le Belge, en disant que si les Français ont choisi le coq comme emblème « c’est
298
Agulhon (Maurice), Les métamorphoses de Marianne – l’imagerie et la symbolique républicaines de 1914 à nos jours,
Paris, Flammarion, 2001, 320p.
299
300
301
Coluche, «L’Etat de la France », Le Monde, 25 mars 1981n°11 244, p.2
Idem
Idem
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95
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
302
parce que c’est le seul animal à pouvoir chanter les pieds dans la merde »
. Pendant
la campagne présidentielle, ce symbole a été détourné à plusieurs reprises, notamment
au moment où il est apparu sur scène avec la plume entre les fesses. Il faisait la semaine
suivante la une suivante de Charlie Hebdo. A noter qu’une fois encore, Reiser utilise pour le
fond de cette une les couleurs bleue, blanche et rouge. Dieudonné, quant à lui, a intitulé son
spectacle, qui devait être un spectacle de campagne mais qui ne différait en rien des autres,
Cocorico ! en référence bien sûr au chant du coq. Nous reproduisons ci-dessous l’affiche
du spectacle, qui ethnicise une fois encore ce symbole. Notons qu’il utilise également le
drapeau, bleu blanc, rouge.
Maintenant que nous avons amplement détaillé le détournement de la symbolique
républicaine par les comiques professionnels ayant fait acte de candidature à l’élection
présidentielle, nous pouvons noter qu’ils se réapproprient assez fréquemment des faits et
des personnages historiques. Nous allons montrer que la référence au Général de Gaulle
est très marquée dans ces candidatures, pour ensuite voir que la candidature de Coluche
revisite mai 68 ainsi que d’autres événements historiques.
Point commun à toutes les candidatures, la référence au Général de Gaulle est
ème
incontournable pour ces candidats. Il est l’homme clé de la V
République, celui qui l’a
souhaitée, celui qui l’a créée. Il n’est donc pas surprenant de le voir caricaturer par tous les
comiques professionnels. Il va en fait servir de légitimation.
Dans le cas de la première caricature, celle qui est donc réalisé par Tignous pour le
compte de Dieudonné. La légitimation passe par le symbole de la casquette. Or, la casquette
auquel se réfère Tignous, est vraisemblablement le képi du Général. Il effectue donc une
comparaison, en assumant le côté incomparable des deux éléments. La couverture du
Charlie Hebdo du 19 novembre 1980, nous rappelle inévitablement, les tracts du Front
National dans le quinzième arrondissement de
Paris, en 2001. Sur ces tracts on pouvait lire, « De Gaulle avec Le Pen ». Il s’agissait
en fait du petit-fils du Général, qui porte, de surcroît, le même prénom son grand-père. Le
tract insistait, en outre, sur le fait que ce n’était pas un simple homonyme, mais bien, le
petit fils du Général. On voit, ici, que le nom de Gaulle, agit comme un sésame. Quelle
que soit l’utilisation de son nom, il est le mot de passe pour entrer dans une campagne
présidentielle. L’affiche présentée, est ce que Coluche a appelé pendant sa campagne son
« appel historique ». On en trouvera plusieurs versions tout au long de cette « plaisanterie à
caractère social », mais seule celle-ci a vraiment été réalisée par l’humoriste et son équipe.
Les autres sont les fruits de l’équipe de Charlie Hebdo. En s’attaquant à cette affiche chargée
d’histoire, Coluche se joue d’un symbole fort de l’histoire de France. Nous reviendrons plus
en détail par la suite, sur le sens de cette affiche, utilisée par Coluche.
Le lien qui a pu unir, le Général de Gaulle et Pierre Dac implique de traiter cette
candidature un peu à part. Si l’on peut lire dans l’Os à moelle, le slogan courant à l’époque
« Charlot, des sous ! ». La référence s’arrête là. Il y a peu de critiques directes du pouvoir,
si ce n’est un article loufoque sur le sujet : « Pourquoi Charles de Gaulle a-t-il peur du
M.O.U. ? ». En fait, les références utilisées à Charles de Gaulle, pendant cette campagne
ème
sont essentiellement tournée vers la Constitution de la V
République. C’est le seul
symbole politique auquel Pierre Dac va réellement s’attaquer. Coluche, avait voulu l’imiter
d’ailleurs en 1981, il avait, un soir, accompagné de ses amis, décidé de réécrire entièrement
la Constitution, mais Paul Lederman s’y est opposé et la Constipation coluchienne ne verra
302
96
Coluche, Le Belge, 1979
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
donc jamais le jour. Trois semaines de suite, Le M.O.U. revisitera la Constitution française
pour avoir « une République sans faiblesse ». Pour donner quelques exemples, l’équipe de
L’os à moelle revisitera l’article 24 de la Constitution : « Le Parlement comprend l’Assemblée
nationale et le Sénat. ». Pour eux, « C’est nettement insuffisant » il faudrait plutôt écrire :
« Le Parlement comprend l’Assemblée nationale et le Sénat, qui, de leur côté, font ce
303
qu’ils peuvent pour comprendre ce qu’on leur dit. »
. En outre, il propose, de préciser
d’autres articles, c’est notamment le cas de l’article 12, du Titre II, qui stipule que « Le
Président de la République peut, après consultation du Premier ministre et des présidents
des Assemblées, prononcer la dissolution de l’Assemblée Nationale. ». Dans la grande
tradition loufoque, Pierre Dac proposera d’ajouter, par précaution la phrase suivante. « En
aucun cas, et quel que soit l’état d’urgence, l’Assemblée Nationale ne pourra être dissoute
304
dans l’acide sulfurique ou tout autre produit corrosif similaire. »
. Il proposera également
de compléter l’article 31, « Les membres du gouvernement ont accès aux deux assemblées.
Ils sont entendus quand ils le demandent », qu’il trouve trop imprécis. Pour Pierre Dac,
l’article devrait être : « Ils sont entendus quand ils le demandent, mais sans aucune garantie
305
d’être écoutés. »
. En fait, seul un article mérite d’être conservé tel quel, il s’agit de
l’article Il s’agit de l’article 68, du Titre IV, ainsi conçu : « Le Président de la République n’est
responsable des actes commis dans l’exercice de ses fonctions que dans le cas de haute
306
trahison. »
On note dans ces articles, une grande différence entre les détournements
réalisés par Coluche et Dieudonné, et ceux réalisés par Pierre Dac. Dans le derniers cas,
l’irrévérence n’est que jeu de mot, on se situe dans une tradition fantaisiste. Pour les deux
307
autres comiques, on se situe plus dans ce que Gilles Verlant a qualifié d’humour grinçant .
La durée et la médiatisation de la candidature de Coluche, lui a permis d’aller plus
loin dans la réécriture de l’histoire. Nous allons, avant de revenir plus généralement sur
la critique générale de la politique, notamment par le biais de la scatologie, étudier les
différentes périodes revisitées. En fait, outre, la caricature du Général de Gaulle, Coluche, va
s’attaquer à la révolution française, au totalitarisme mais également au mouvement hippie
et surtout à mai 68. Ce qui a pu contribuer à classer la candidature de Coluche du côté de
l’anarchie, c’est le côté « anti-tout » qu’il revendiquait plus ou moins.
Les deux premières caricatures revisitent l’histoire dans la tradition coluchienne de la
scatologie. Ainsi, la prise de la Bastille, devient « La brise de la pastille », brise qui est
en fait un pet. On peut noter que cette caricature se retrouve à deux reprises dans les
couvertures auxquelles vous avez échappées de Charlie Hebdo, la deuxième reprenant
approximativement le même texte, mais faisant dire à Coluche « Et sans culotte !», ce qui
ajoute encore à l’effet comique, en détournant, le nom des révolutionnaires. Dans la seconde
caricature, Le slogan hippie, « peace and love », est donc revisité pour devenir « peace and
prout », on peut également noter, que cette caricature de Nicoulaud issue de Charlie Hebdo
donne des attribue à Coluche qui détourne totalement le symbole hippie. En effet, outre, le
caractère scatologique du nouveau slogan, les accessoires que sont le cigare, la couronne
et le nez rouge assurent le mélange des genres. Ainsi, loin d’être un « baba cool », le hippie
303
304
305
306
307
Dac (Pierre), « Le M.O.U. fait passer à la constitution son conseil de révision », L’Os à Moelle, 11 mars 1965, n°, p.3
Dac (Pierre), « Le M.O.U. veut une république sans faiblesse de constitution », L’Os à Moelle, 25 mars 1965, p.3
Dac (Pierre), « Le M.O.U. fait passer à la constitution son conseil de révision », art.cit., p.3
Dac (Pierre), « Le M.O.U. veut une république sans faiblesse de constitution », L’Os à Moelle, 25 mars 1965, p.3
Verlant (Gilles), L’encyclopédie de l’humour français – de 1900 à aujourd’hui », Paris, Hors Collection, 2002.
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97
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
de Coluche est un homme fortuné et puissant, mais ridiculisé par son slogan scatologique
et son nez rouge de clown. Enfin, la caricature de Nicoulaud, apparue très tôt dans la
campagne de l’humoriste, représente Coluche en Hitler, mais toujours avec ses formes
généreuses et sa salopette ce qui donne au personnage un côté sympathique. On peut
imaginer que cette caricature sert à répondre aux premières critiques qui ont été soulevées
sur l’aspect anti-présidentialiste de Coluche que certains trouvaient dans la campagne de
l’humoriste.
Enfin, le dernier événement historique revisité par Coluche est bien sûr, mai 68. Coluche
a souvent été présenté comme un soixante-huitard. Ce n’est pas tout à fait exact. En mai 68,
il était certes, « pour le rapprochement des pavés avec la gueule des flics », mais il n’a pas
du tout participé. Il était à l’époque en train de travailler avec Romain Goupil à la création de
leur café-théâtre. Les caricatures que nous présentons ci-dessous, ont été réalisées, pour
la plus part par Siné. A l’exception de celle intitulée « Coluche menace » qui a été dessinée
par Cabu, et de celle nommée « Avec Coluche la lutte continuche », qui n’a pas été signée.
A la droite de chacune de ses affiches inspirées de mai 68, issues de Charlie Hebdo,
est présentée l’affiche dont nous pensons que Siné s’est inspiré. Ces affiches sont issues
du site achard.info, site personnel de Jean-Paul Achard qui présente une grande sélection
d’affiches de Mai 68 en ligne. On retrouve à nouveau des références, à Charles de Gaulle,
notamment par la reprise de ce mot chienlit. Chienlit est un mot qui a été popularisé par
le Général pendant les événements de Mai 68, le 19 mai pour être plus précis, où il avait
déclaré : « La réforme : oui, la chienlit : non ». Chienlit est extrêmement difficile à définir, si
l’on compare plusieurs articles d’encyclopédies et de dictionnaires, on peut souligner qu’il a
été utilisé dans des sens très différents par plusieurs auteurs comme Zola, Hugo ou Giono. A
l’origine, ce terme vient de « chie-en-lit », donc, celui ou celle qui défèque au lit, mais le terme
a été utilisé pour désigner un morceau de chemise souillée dépassant du pantalon. Il était
notamment un costume traditionnel du Carnaval de Paris. Si l’utilisation de ce terme par le
Général de Gaulle dans son allocution radiophonique du 19 mai a particulièrement marqué
les esprits, c’est en partie parce que la lithographie intitulée « la chienlit c’est lui », que nous
avons reproduit ci-dessus, fut réalisée six heures après et diffusée rapidement à 25 000
308
exemplaires . Siné détourne donc la lithographie et propose comme réponse à la chienlit,
non pas la réforme, mais de donner le pouvoir à Coluche. Pouvoir que la caricature « moi »
semble montrer qu’il tendrait vers l’absolu. En ce qui concerne la caricature, avec « Coluche,
la lutte continuche », c’est l’expression gauchiste « la lutte continue » qui est ridiculisée. Les
travailleurs unis de l’affiche de Mai 68 deviennent dans la campagne de Coluche un groupe
d’amis. En outre, pendant cette campagne, « les lendemains qui chantent » sont devenus
des « lendemains qui chient ». Les deux dernières caricatures revisitent deux autres affiches
en les passant par le filtre scatologique de Coluche, dont nous parlions auparavant.
En guise de conclusion, nous pouvons souligner que plusieurs caricaturistes se sont
« défendus », en renvoyant les symboles de la république aux comiques. Nous pouvons
noter par exemples, ces trois caricatures issues de la campagne de Coluche.
La première illustre, le dépit de Marianne face à la multiplication des candidatures et
surtout des candidatures fantaisistes. Elle s’apprête à inscrire un clown alors que Coluche
vient déjà de déposer sa candidature et en jubile. La seconde renvoie l’image de la
scatologie à Coluche, en montrant qu’il a inscrit son programme sur un rouleau de papier
hygiénique. Cette caricature de Jacques Faizant, est un autre exemple d’arme que l’on
a retournée contre Coluche, comme Charles Fiterman qui se met à employer le mot de
Cambronne, Jacques Faizant, pour décrédibiliser Coluche, le prend à la scatologie. Enfin,
308
98
Source, Feuerhahn (Nelly), « Mai 68, les murs ont la parole », Encycloepedia universalis en ligne.
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
nous voyions sur cette dernière caricature, les mines défaites de la bande des quatre face
à une urne dans laquelle Coluche aurait été placé.
Le discours antipolitique et son corollaire, la manipulation des symboles montrent
que les comiques n’ont jamais vraiment souhaités s’intégrer à cette campagne, s’intégrer
au champ politique. Même si comme le soulignait Eric Neveu « La critique du
professionnalisme, le refus des « cuisines », de la « bouillabaisse » de la politique
309
« politicienne », constitue une stratégie habituelle d’entrants.
Le discours de ces
comiques, en tout cas de Dieudonné et de Coluche, n’est pas un discours que l’on
cherche à adapter à la République que l’on raille. Certes il y a une critique de la politique
politicienne, mais ces candidatures ont dépassé le stade de l’apolitique pour afficher des
valeurs antipolitiques. Difficile dès lors de parler d’exclusion du champ politique, leur acte
de candidature à l’élection présidentielle laisse à penser qu’ils cherchent à recueillir des
suffrages, mais la réalité semble tout autre, et c’est ce que nous allons essayer de montrer
à présent.
Des candidatures seulement fantaisistes ?
Afin de réfléchir à la question du sérieux de ces candidatures, nous allons dans un premier
temps rappeler les éléments qui soulignent le caractère fantaisiste de ces candidatures
pour ensuite montrer en quoi ces candidatures ont-elles pu laisser penser qu’elles étaient
sérieuses.
De vraies candidatures fantaisistes
Ce que nous souhaiterions montrer, c’est que ces candidatures étaient en fait
réellement fantaisistes et s’inscrivaient dans une vraie tradition loufoque. Dieudonné ayant
vraisemblablement été celui qui a cherché à s’en éloigner le plus mais qui a été rattrapé par
l’impossibilité d’une telle candidature. « Ainsi que l’escargot au printemps sort de sa coquille,
ainsi que la chenille au soleil de mai devient papillon, ainsi que le rhume en hiver se change
en fluxion de poitrine, le Français, aux mois d’élection, devient naturellement candidat »
écrivait Simon Burgal en 1890 dans Excentriques disparus. Il y a une vraie tradition française
des candidatures fantaisistes comme nous le montrions à travers l’exemple de Votez fou !
En ce qui concerne Pierre Dac, il est le seul dont le doute n’ait jamais été permis.
310
« C’est en humoriste qu’il s’est lancé dans cette bagarre faussement politique. »
Il ne se
prendra jamais vraiment au sérieux, et si on regarde son programme d’un peu plus près, on
voit qu’il est tout à fait fantaisiste et comparable à ceux des ces prédécesseurs. Il propose
ainsi la création d’un territoire Suisse dans chaque pays européen ; une réforme fiscale
révolutionnaire en vertu de laquelle chaque citoyen payera les impôts de celui qui se situe
au niveau inférieur ; une modification de la constitution décrétant que le président du groupe
majoritaire à l’Assemblée dirigera lui-même l’orchestre de la garde républicaine. Il se félicite
des bons rapports qu’il entretient avec les chefs d’Etat étrangers « Etant donné que nous ne
nous sommes jamais rencontrés, nos opinions sont en parfaits état de concorde. » Et fidèle
à son humour il lance quelques formules bien senties : « c’est par peur de la trouille que le
monde est dans la crainte du pire ». Avant de se prendre au sérieux, Coluche avait présenté
à la presse un programme quelque peu similaire : déclarer la guerre à l’Albanie (parce
309
Neveu (Eric), « Métier politique : d’une institutionnalisation à une autre », in Lagroye (Jacques), La politisation, Paris, Belin,
2003, p.105
310
Mallat (Robert), Coluche, Devos et les autres- un demi-siècle de rire français, Paris, L’archipel, 1997, p.50
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99
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
qu’elle constitue une proie isolée et donc facile), rassembler la flotte anglais dans la rade de
Mers-el-Kébir (à seule fin de la torpiller entièrement), et beaucoup d’autres aussi loufoques.
Dans son programme présenté le 26 novembre 1980 dans Charlie Hebdo, il ajoutait que
sa politique sociale tiendrait en deux points : « plus de pauvres tout le monde riche », le
second point étant « Réflexion faite, après examen plus approfondi de la situation, plus de
riches. Tout le monde pauvre ». On retrouve, il est vrai, les tendances antipolitiques que
nous soulignons auparavant, « création d’un Ministère des Affaires pas propres où seront
regroupées l’administration des Diamants et Pots-de-Vins, celle des assassinats de Ministre
pas réglos,… » Entre autres, pour l’égalité des sexes Coluche propose une « égalité totale »
en supprimant le « mot infamant femme » et le « mot sexiste homme »… Des revendications
qui ressemblent à celles de leur prédécesseurs en fantaisie, le Captain Cap et Ferdinand
Lop, qui promettaient l’extinction du paupérisme après vingt-deux heures ou appelaient à
supprimer la dernière rame du métro parisien parce que c’est toujours la plus encombrée. On
pourrait penser que Dieudonné a échappé à cette fantaisie, mais il n’en est rien, sans même
qu’aucun journaliste ne lui ait mis la pression avec la question embarrassante, avec-qui
comptez-vous gouverner ? Dieudonné à naturellement inscrit sur son site de campagne son
gouvernement s’il était élu : « Premier ministre : Jamel Debbouze ; ministre des Finances :
Daniel Prévost ; aux Affaires étrangères : Guillaume Depardieu… » un gouvernement
fantaisiste, pour un candidat fantaisiste. Candidat d’autant plus fantaisiste, qu’il n’a jamais
vraiment cessé de se comparer à Coluche et à sa candidature. D’autant plus fantaisiste,
qu’à chaque fois qu’on lui posait une question un peu plus pointue sur un problème politique
de la France, il répondait « je n’ai pas d’avis, je ne suis pas un politique, je ne suis qu’un
bouffon » ou encore qu’il ne fallait pas lui demander car il est irresponsable.
Il est vrai que pour Dieudonné, on pouvait être en mesure de se tromper sur le sérieux
de sa candidature, il a d’ailleurs très probablement un moment ou à un autre cru en la
nécessité de sa candidature, mais pour Coluche, il est difficile de comprendre l’écho que
cette candidature a pu avoir. Si on parcourt les colonnes de Libération et de Charlie Hebdo,
il est vrai qu’on a un peu l’impression de voir deux candidatures de Coluche différentes.
D’un côté, on trouve des commentaires de sondages, des enquêtes sur les électeurs, des
articles de fond sur la campagne, et de l’autre des gags énormes. Comme les exemples
que l’on peut noter ci-dessous.
Les documents que nous présentons, issus des colonnes de Charlie Hebdo, montrent
tout le sérieux de cette campagne ! Pour annoncer qu’avec Coluche il y a aura du
changement, Charlie Hebdo publie une liste des stations de métro qui soutiennent
l’humoriste, le candidat Coluche appelle également ses concitoyens à rentrer bourrés,
pose avec toute une panoplie de sponsors, sans compter les propositions faites sur la
question des enfants et de la Guadeloupe… On pourrait penser que dans Libération la
donne est totalement différente. Si cette affirmation est totalement vraie sur la forme, le fond
reste sensiblement le même. Rappelons que Libération utilise sans cesse des expressions
comme anticandidat, candidat nul, candidat zéro. Par la dénomination même que se donnait
Coluche, il ne pouvait être pris au sérieux. Tout comme le fait qu’il ait annoncé que quoiqu’il
arrive il serait sur son île déserte au second tour. Promesse qu’il n’a pas vraiment tenue
mais qui signifiait tout de même quelque chose, tout comme le fait qu’il martelait sans cesse
que son principal argument électoral, c’était de ne pas être élu c’est d’ailleurs pour cela qu’il
était le seul candidat qui n’avait aucune raison de mentir.
La question pourrait donc être se demander pourquoi, ces candidats se présententils ? On peut tout d’abord trouver une raison publicitaire à cela. Jean Lecanuet, le disait,
« cette élection met en œuvre des moyens publicitaires considérables », il est tentant
100
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
de les détourner. En ce qui concerne la candidature de Pierre Dac, on ne peut pas dire
que ce soit le seul motif, mais c’en était forcément un pour essayer de relancer son journal
qui lui était si cher, L’Os à Moelle. Paul Lederman, interrogé à ce sujet a nié avoir fait ça
pour la publicité, « on n’en a pas besoin ». C’est pourtant ce que Patrick Filleux et JeanMichel Vaguelsy, n’hésitaient pas à dire. Si Paul Lederman n’a pas lancé Coluche pour
la publicité, on peut pourtant dire que cette candidature a été un beau coup de publicité
pour l’humoriste. C’est une critique que lui ont opposée plusieurs journalistes et hommes
311
politiques. Claude Estier parle de « gag publicitaire bien monté » , Antoine Bourseiller
312
dans Le Monde parle de « détournement de publicité » . Mais ce ne sont pas les seuls,
Coluche lui-même n’hésitera pas à le dire à plusieurs reprises, « Je me fous de la politique.
313
J'ai fait ça pour me faire de la pub gratuitement, et qu'est-ce que ça marche bien !» ou
« le coût de ma campagne s’élève en tout et pour tout à 17 francs, prix du télégramme
envoyé à l’A.F.P. pour annoncer ma candidature. Par contre sur un plan de publicité, ça
314
m’a déjà rapporté plus de 600 millions d’anciens francs. »
On pourrait dire que si ces
interventions sur la publicité arrivent tard dans la campagne de l’humoriste, c’est une forme
d’aveu d’échec, il voulait faire plus que de la publicité, mais comme ça ne fonctionne pas,
il dit que ce n’était que pour rire et que ce n’était qu’un gigantesque coup de pub. Si ce
n’est pas tout à fait impossible, nous le verrons par la suite, ce n’est pas pour autant que
cela décrédibilise l’idée que cette campagne soit avant tout publicitaire. Paul Lederman a
fait rééditer lors de cette campagne l’intégralité des vinyles du comique et notamment des
enregistrements publics dont la pochette du vinyle présentait Coluche portant un blaser
ceint d’une écharpe, non pas tricolore, mais rouge, avec un entonnoir sur la tête. Il assure
qu’ils se sont « bien marrés tout au long de cette campagne ». D’autres pensent que ce
n’était qu’un immense coup publicitaire. « Paul Lederman est comblé. Les jours passant,
son protégé reste le point de mire de ce début de campagne. Un article quotidien dans la
presse du matin. Les hebdomadaires. Des couvertures à profusion. Les hommes politiques
de la majorité, sur ordre de l’exécutif, ont déclenché une contre-attaque visant à démontrer
que le coluchisme, phénomène déprimé, protéiforme et incisif, n’est pas autre chose qu’une
315
opération commerciale de promotion. Si c’est vrai, tous les médias y contribuent. »
Paul Lederman ne cherchera d’ailleurs pas vraiment à les contredire en annonçant les
prolongations du spectacle au théâtre du Gymnase. Spectacle pour lequel, il est impossible
d’avoir des places si on ne les achète pas au moins « quarante jours avant la date du
spectacle ». Des journalistes estimeront à 1,5 millions le nombre de disques de Coluche
écoulés pendant cette période. Il faut, donc, voir dans ces candidatures un certain aspect
publicitaire. Paul Lederman est connu pour avoir lancé Coluche « comme un paquet de
lessive », il a toujours voulu profiter de la publicité que peut apporter (gratuitement), une
élection présidentielle. En effet, nous avions pu lire, dans quelques sources qu’il avait
souhaité lancé Thierry Le Luron, sept ans auparavant, il nous l’a confirmé lors de notre
entretien. Rappelons que ce n’est pas non plus un hasard, si la popularité de Coluche a
début lors de l’élection présidentielle de 1974, Paul Lederman était déjà au commande de
la carrière de l’humoriste. Soulignons, pour finir sur cette candidature, que dans tous les
journaux que nous avons pu parcourir pour établir notre corpus, nous avons rencontré une
quantité difficile à définir de publicités ayant trait à Coluche. Il y a d’un côté, les publicités
311
312
313
314
315
Estier (Claude), « La France de Giscarluche », L’Unité, 21 novembre 1980, n°400, p.1
« Marie-France et Coluche », Le Monde, 13 mars 1981, n°11 234, p.2
Greilsamer (Laurent), « J’ai fait ça pour me faire de la pub », Le Monde, 17 mars 1981,n°11 237, p.9
« Les 632 signatures de Coluche », Le Matin de Paris, 10 février 1981, n°1232, p.4
Boggio (Philippe), Coluche, Paris, Flammarion, 1991, p.253
Bozonnet Grégory - 2008
101
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
qui annoncent la sortie d’un magazine portant Coluche en une, nous avons vu l’exemple
du Nouvel Observateur, mais celui-ci s’est répété notamment pour promouvoir les numéros
de Charlie Hebdo, mais il y aussi des publicités, pour le film « L’Inspecteur Labavure »,
dont Coluche joue le rôle principal et qui sortira le 3 décembre 1980, au moment où sa
candidature est encore très médiatisée. Il y’aura également les publicités pour les produits
dérivés du film, mais également pour les disques de Coluche et enfin pour annoncer les
prolongations de son spectacle au Gymnase. Ces publicités se retrouveront dans tous
les journaux, souvent près des pages où sont écrits les articles sur sa candidature. C’est
notamment le cas, des ces trois publicités, parues respectivement dans les pages du Matin
de Paris, de L’Humanité, et de Charlie Hebdo systématiquement à la page où il y avait un
article pour Coluche.
En ce qui concerne la candidature de Dieudonné, Anne-Sophie Mercier écrivait
qu’« assurer sa promo avant tout voilà un reproche quasi-général à l’égard de Dieudonné »
316
. Même Romain Bouteille, qui avait fondé avec Coluche le Café de la Gare, va estimer
que l’ancien compère d’Elie Sémoun est l’auteur d’un « terrible coup marketing ». C’est une
question que l’on peut se poser, quand on voit que Dieudonné occupe assez fréquemment
la scène politique et médiatique. Nous pouvons souligner par exemple, que sa candidature
317
aux législatives de Dreux a été lancée « à grand renfort de publicité»
au moment où il
commençait à peine sa carrière solo. Quelques semaines plus tard, il montait sur scène
pour son spectacle «Tout seul ». Dans le cas de Dieudonné, nous pouvons également poser
l’hypothèse que l’ensemble des débordements que nous citions ne sont pas forcément
politiques, mais qu’ils lui permettent d’occuper pendant un temps les médias, de faire parler
de lui.
Notons que cette idée d’utiliser des élections pour assurer sa promotion n’a rien
d’une idée nouvelle. Dès la Troisième République, Bruno Fuligni nous apprend que pour
quelques industriels malins, la candidature politique a pu constituer une véritable campagne
publicitaire. En effet, les affiches électorales pouvant être apposées en franchise de
timbre, contrairement aux affiches commerciales, certaines entreprises n’hésitaient pas à
se présenter uniquement pour se faire de la publicité moins chère. Les deux bulletins de
vote que nous reproduisons ci-dessous sont édités au nom d’une société fabriquant des
sirops et liqueurs et d’un vendeur de tissus. Nous pouvions également trouver des affiches
pour un boulanger ou un vendeur de cirage.
Généralement, au bout de quelques jours les candidats sérieux se débarrassaient de
ces candidatures publicitaires en leur donnant de l’argent. Ce qui a pu encourager la pratique
à se développer.
Nous pouvons également noter, pour finir sur ce point, que les candidatures de ces
comiques, surtout de Pierre Dac et de Coluche, sont un sketch en soi. L’idée première de
Coluche était vraiment de venir réaliser des sketches en direct, entre des annonces de
candidats qui auraient été enregistrées. Cette idée de « foutre la merde », est également
à entendre dans ce sens là. Si Paul Lederman a voulu lancer des comiques dans cette
aventure, et non, par exemple, des chanteurs qu’il produisait, c’est bien sûr pour que ce
soit un gag. Il est possible que cette candidature ce soit laissée emportée, notamment par
les sondages, mais il faut bien reconnaître que quand on relit les premières déclarations
de l’humoristes, cette candidature était vraisemblablement prévue pour rester au stade du
gag, gag publicitaire peut-être, mais gag avant tout.
316
317
102
Mercier (Anne-Sophie), op.cit., p.123
Idem, p.134
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
… qui peuvent passer pour sérieuses
Pour commencer sur cette idée que certains candidats fantaisistes ont pu se prendre
au sérieux, il convient de commencer par Dieudonné. Si la seule forme de campagne
qu’il ait daigné faire en 2002 était un spectacle intitulé Cocorico, spectacle qui n’était
pas différent des autres spectacles qu’il avait pu donner auparavant. Il va, en 2006, faire
paraître un vrai programme. Programme qui débute par ces constations : « La France
318
traverse actuellement une grave crise démocratique, identitaire et sociale. » Il commence
par des considérations générales, parlant de « dictature du politiquement correct » ou
« d’alignement progressif de la France sur la politique belliqueuse de "l’axe du bien" ».
Avant d’attaquer son thème de prédilection, la gestion française du multiculturalisme. Il parle
de ses « compatriotes noirs, arabes ou asiatiques, toujours désignés comme "immigrés",
quand bien même ils sont nés en France, et souvent de familles françaises. ». Par la suite,
il essaie de présenter des solutions à ces problèmes. Il présente ses idées autours de la
devise républicaine, « liberté, égalité, fraternité », qu’il raillait pourtant auparavant. Ainsi il
propose de « Restaurer la Liberté d’expression, par l’abrogation des lois racisantes du
13 juillet 1990 dite loi Gayssot, du 29 janvier 2001 sur le génocide arménien, du 21 mai
2001 dite loi Taubira, du 22 décembre 2004 et celle du 23 février 2005 faisant obligation
aux enseignants de souligner les aspects « positifs » de la colonisation. » Il « propose de
rétablir l’Égalité des droits entre tous les citoyens » et pour la fraternité, il parle d’un « plan
Marshall de déghettoïsation sociale et ethnique des quartiers riches et pauvres ».
Ce programme est un mélange de politique et de fantaisie. Il est politique notamment
parce qu’il se réfère à des éléments concrets comme des articles de loi, mais aussi parce
qu’il emploie du vocabulaire politique comme l’antonomase « plan Marshall » qui est
employée à de multiples reprises, pour désigner des programmes de grand ampleur sur un
point plus ou moins précis. (« Plan Marshall des banlieues », « Plan Marshall du système
bancaire », …). Ce programme est d’un autre côté assez peu sérieux, certains passages
ne sont pas sans nous rappeler celui d’Horace de Boudrant, en 1881 « Peuple, mon frère,
que veux-tu ? Etre heureux ! Qu’est-ce que je veux moi ? Ton bonheur… ». Déclarer que
l’on va arranger le problème des banlieues en « restaurant l’égalité des droits » est un
engagement qui peut certes être considéré comme politique, mais qui n’a pas vraiment de
sens. On ne peut à la fois pas vraiment être contre l’idée, sans pour autant lui rappeler qu’elle
existe déjà et noter que son programme n’apporte rien de concret. « Dieudonné essaie
de "récupérer" une communauté noire en mal de reconnaissance et cultivant souvent une
319
dogmatique victimaire. »
Ce que l’on remarque surtout dans ce programme c’est qu’il
essaie de s’approprier le langage du champ politique et ses codes symboliques. En effet,
il conclura même son discours par « Vive la République ! ». C’est probablement, ce qu’il
entendait en affirmant que sa seconde candidature serait encore plus sérieuse. Rappelons
que parmi tous les symboles politiques, il avait même adopter la célèbre visite au « Salon
de l’Agriculture ».
Pour Arnaud Mercier, on touche dans ce cas à l’ambivalence du rôle du bouffon : « soit
il est une institution reconnue, payé par le roi, et alors il est fatalement à son service (…),
soit il reprend réellement à son compte une partie des critiques populaires et il bascule alors
320
dans la contestation, mais ses armes le disqualifient d’emblée sur le terrain politique » .
Si Dieudonné essaye dans ce cas d’entrer sur le terrain politique, il est décrédibilisé par sa
318
Programme disponible sur le site http:// lesogres.org
319
320
Mongin (Olivier), De quoi rions-nous ? Notre société et ses comiques, Paris, Plon, 2006, p.113
Mercier (Arnaud), op.cit., p.179
Bozonnet Grégory - 2008
103
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
fonction, par le fait que cette déclaration soit publiée sur un site de campagne où l’on trouve
une composition de gouvernement étrange. D’autant plus que cette déclaration d’intention
manque d’éléments concrets. On pourrait également souligner qu’elle manque de sacralité
parce que Dieudonné n’a pas la légitimité de parler de ces problèmes, il lui manque ce
que Bourdieu appelle le pouvoir symbolique pour que son discours fasse foi et autorité.
« Le pouvoir symbolique est un pouvoir qui est en mesure de se faire reconnaître, d’obtenir
la reconnaissance ; c’est-à-dire un pouvoir (économique, politique, culturel ou autre) qui a
le pouvoir de se faire méconnaître dans sa vérité de pouvoir, de violence et d’arbitraire.
L’efficacité propre de ce pouvoir s’exerce non dans l’ordre de la force physique, mais dans
321
l’ordre du sens de la connaissance. »
Prisonnier de sa condition d’humoriste et de ses
déclarations passées, son programme est resté cloisonné à son site et n’a pas eu d’écho
dans la presse, ni dans la campagne.
Pour revenir à la candidature de Coluche, André Halimi écrivait qu’« Il avait, dans son
désir de se mêler de politique, le souci assez rare de ne s’occuper que des pauvres et des
322
déshérités.» . Si Coluche a pris place dans cette campagne, ce serait, selon ses mots,
parce que « le public m’a donné une position de vedette, de révélateur de la connerie
humaine et si j’en profite pas pour ouvrir ma gueule avant de me barrer sur mon île, pour
323
tourner en ridicule cette sinistre campagne électorale, je serais un vrai salaud. »
Mais
Coluche va vraiment montrer les limites de prendre comme porte-parole un clown. Dès le
début de l’année 1980, Coluche commence à répandre la rumeur qu’il se présentera peutêtre à l’élection présidentielle. Il déclarera à un journaliste du Monde « Mon programme est
tout aussi digne d'intérêt que celui des partis politiques : sexe, drogue et rock n'roll. » On est
ici, dans une déclaration fantaisiste, après avoir annoncé que son programme a de la valeur
politique, il le présente comme un slogan plus près de Woodstock que du champ politique.
Toutefois, il contrebalance tout de suite avec une phrase plus sérieuse, qui semble donner
un sens politique à cette candidature : « Pour les gens qui sont chômeurs et qui cherchent
du travail, pour ceux qui ont un boulot et qui sont quand même dans la mouise, vraiment,
324
je voudrais bien être candidat. »
Ces deux candidats sont enclins à passer du fantaisiste au politique, nous allons
essayer de voir que des éléments extérieurs vont parfois les entraîner à pencher du côté
politique.
Pour Coluche, un des éléments qui va pousser sa candidature dans un sens plus
politique, sera le soutien des intellectuels qui se traduit par une pétition parue le 13
325
novembre 1980. Cette pétition sera retranscrite en intégralité dans Libération
et on en
retrouvera des extraits ou un commentaire dans tous les quotidiens, excepté Le Figaro.
L’initiative revient à Felix Guattari, psychanalyste, auteur avec Gilles Deleuze de L’antiŒdipe – Capitalisme et schizophrénie, 1972. Il a vu en Coluche la possibilité de critiquer
la fonction de Président de la République ; il réunira autour d’une pétition des intellectuels
de gauche que Jean-Michel Vaguelsy qualifie d’« intellectuels soixante-huitards moins à
321
Bourdieu (Pierre), « Dévoiler les ressorts du pouvoir », in Interventions — Science sociale et action politique,
Paris,
Agone, 2002, p.173
322
323
324
Halimi (André), op.cit., p.17
Boggio (Philippe), op.cit., p.240
Fléouter Claude, « Coluche : "Je voudrais être candidat aux prochaines élections" », Le Monde, 4 octobre 1980, n°11
097, p. 27.
325
104
« Coluche aussi a ses intellectuels pétitionnaires », Libération, 19 novembre 1980, n°2104, p.8
Bozonnet Grégory - 2008
Une exclusion à relativiser
326
la mode au début des années 80. »
Selon lui, ces intellectuels « de gauche, ou plutôt
d’extrême gauche » retrouvent dans le souffle libertaire de Coluche des « traces de leurs
théories », ils sont aussi « sensibles à son appel aux minorités, à la façon dont il pointe
une démocratie verrouillée (…) ». On retrouve ainsi Gilles Deleuze, Jean-Pierre Faye, Jean
Chesneaux, ainsi que Pierre Bourdieu, mais également des magistrats, souvent issus du
syndicat de la magistrature, qui ont pour objectif de dénoncer les articles 16 et 49-3 de la
Constitution, la loi « sécurité et liberté » ainsi que la loi sur les cinq cents signatures. Coluche
gardera toujours une certaine distance avec l’engagement de ces intellectuels. Lors de la
réunion organisée au Procope, l’humoriste se retirera au moment où les propos trop sérieux
se sont mis à pleuvoir (« Il faut aller au Larzac », « il faut créer un parti »…). Quand André
Bercoff a demandé à Coluche ce qu’il pensait des intellectuels qui avaient signé pour lui,
327
l’humoriste a répondu : « qu’ils sont malades. » Toutefois, ces soutiens vont contribuer au
battage médiatique autour de la campagne de Coluche. L’humoriste sera sans arrêt sollicité
pour des interviews, et va se laisser prendre au jeu de la politique. Ce que nous voudrions
avancer comme hypothèse ici, c’est que les médias n’ont pas joué le rôle de gate keeper du
champ politique, mais au contraire ont fait entrer Coluche dans la campagne. Nous avons
présenté cette idée en détails au début de notre réflexion, mais soulignons que c’est à ce
moment là que Coluche a dû commencer à répondre plus sérieusement à des questions
sur son programme. Son programme il l’avait annoncé lors de la conférence de presse, il
était fantaisiste, il annonçait une bonne blague. Mais à partir du moment où Coluche va
entrer dans ce jeu, il va entrer dans une logique trop sérieuse. Plusieurs commentateurs
vont noter que sa candidature devient trop sérieuse pour être drôle, mais est bien trop drôle
pour être sérieuse.
En ce qui concerne Dieudonné, il a été poussé à plusieurs reprises par des associations
de la « communauté noire ». Pendant sa campagne, « BlackdeFrance.com – site qui se veut
un moyen d’information, de promotion et d’affirmation de la communauté noire de France – a
328
organisé un comité de soutien pour Dieudonné. Sur Grioo.com » Ce soutien va l’entraîner
à prendre son rôle plus au sérieux qu’il ne le pensait, c’est à la suite de ce soutien qu’il aura
d’ailleurs publié le programme que l’on citait. Dans Le Monde, Béatrice Gurrey le qualifiait
329
de « chantre de la cause des Blacks »
. Cette position va amener dans son sillage des
personnes qui vont essayer de l’« utiliser » pour porter leurs idées. Ainsi, il se rapprochera
de la Tribu Ka, ce mouvement crée en décembre 2004 par Kémi Seba et qui se bat contre le
« système occidentalo-sémite » pour défendre la cause du peuple noir. Ce rapprochement
peut contribuer à expliquer les propos de Dieudonné pendant ses campagnes.
Pour qualifier leur engagement politique, notons dans un premier temps, que les trois
ème
candidats fantaisistes qui ont brigué la présidence au cours de la V
République se
sont adressés aux abstentionnistes. C’est la population électorale qu’ils visent, les individus
qu’ils souhaitent défendre. Ainsi, Pierre Dac écrit : « Le taux des abstentions se situe aux
environs de 30%, c’est-à-dire que sur 27.957.350 membres du collège électoral national,
les 8.387.210 qui se sont abstenus deviennent automatiquement les futurs électeurs
du M.O.U., qui, en s’abstenant lui-même, se voit promu au rang de leader du parti de
326
327
328
329
Vaguelsy (Jean-Michel), op.cit, p.38-39
Bercoff (André), « Ma journée avec Coluche », Elle, 5 janvier 1981, n°1586
Mercier (Anne-Sophie), op.cit., p.72
Gurrey (Béatrice), « A Dreux, le Black Dieudonné se veut l’héritier de Coluche », Le Monde, 18 janvier 2001.
Bozonnet Grégory - 2008
105
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
330
l’abstentionnisme. »
. Coluche a marqué les esprits avec son « appel historique » où il
invite entre autres « les abstentionnistes convaincus, tous ceux qui ne comptent pas pour
les hommes politiques à voter pour [lui et] à s’inscrire dans leur mairie », c’est un peu le
même discours que l’on retrouve vingt ans plus tard chez Dieudonné qui cible « les jeunes,
les exclus, les générations issues de l'immigration et, d'une façon générale, les déçus de
la politique, mal représentés par les partis au point de grossir, le plus souvent, le camp de
l'abstention »
331
Si Pierre Dac saura en rester à ce stade, Coluche et Dieudonné vont à un moment de
la campagne se sentir investis de la défense de cette population marginale.
Quand nous demanderons à Jean-Michel Vaguelsy si Coluche a été dépassé par sa
campagne, il nous répondra affirmativement. Pour lui, l’humoriste était parti pour faire une
« farce à dimension nationale », il pensait récolter au maximum deux pour cents sans même
vraiment penser aller au premier tour. Le problème étant qu’au moment où il a fait son
entrée dans les sondages, il s’est pensé en représentant de dix pour cent de la population.
Sans pouvoir imaginer que dans toutes les personnes qui s’étaient déclarées enclines à
voter pour le comique, une partie (peut-être la majorité) ne le faisait que pour railler le
questionnaire qu’on leur soumettait, ou pour ne pas affirmer qu’ils n’avaient pas d’opinion
sur cette élection. Le discours de Coluche va commencer à changer : « J’étais parti pour
faire un acte nul qui n’aurait servi à rien, mais voilà que plein de gens se mettent à penser
que ça peut servir à quelque chose. » Il finira même par déclarer, « Je ne vous trahirai pas ».
Poussés par un zeste de mégalomanie et une grande dose de défiance envers le
personnel politique, les candidats vont penser leur acte utile à la société. En demandant
à Jean-Michel Vaguelsy comment il résumerait le message politique de Coluche, il a cité
Jean-Luc Godard : « la marge c’est ce qui fait tenir ensemble les pages du cahier ». Pour
lui, si les intellectuels déclaraient que Coluche était « un citoyen représentatif d'un large
332
courant d'opinion »
c’est parce que Coluche révélait qu’un pays ne peut pas fonctionner
en ne prenant pas en compte ce qui constitue ses marges et ses minorités.
Sondages à plus de dix pour cent, couvertures de presse de tous les grands magazines
généralistes, intellectuels qui établissent un comité de soutien, Coluche n’a pas pu résister
à vouloir « faire quelque chose de sa candidature ». En ce qui concerne Dieudonné, difficile
de distinguer ce qui relève du gag et du sérieux dans son humour, nous avons tout de même
montré qu’il n’était pas si évident qu’il prenne ses candidatures au sérieux.
330
Dac (Pierre), « Eclatante victoire du M.O.U. qui a neutralisé le ballotage aux élections municipales », L’os à moelle, 18
mars 1965, n°48, p.3
331
332
106
Gurrey (Béatrice), « La politique n'appartient pas qu'aux énarques et aux technocrates », Le Monde, 18 Janvier 2001
« Coluche aussi a ses intellectuels pétitionnaires », Libération , 19 novembre 1980, n°2104, p.8
Bozonnet Grégory - 2008
Conclusion
Conclusion
Nous venons d’analyser, point par point, ce qui pourrait être considéré comme une exclusion
des comiques professionnels du champ politique. Nous avons pu noter qu’ils avaient
tendance à jouer sur leur exclusion des médias qui est pourtant relative. Relative car leur
candidature est beaucoup plus médiatisée que la plupart des candidatures, pendant un
temps celle de Coluche a même été plus médiatisée que celle de François Mitterrand et
Valéry Giscard d’Estaing. Relative aussi, parce que celle qui a pris le plus d’ampleur – celle
de Coluche – est passée aux mains de tous les spécialistes politiques et notamment à
travers de multiples enquêtes par sondages. Relative enfin parce que cette candidature a
été portée sur la place publique par des unes de magazines aux tirages aussi importants
que Le Nouvel Observateur ou L’Express. Il est probable que sans cette hypermédiatisation,
aucun homme politique n’ait jamais pris la peine de considérer cette candidature. On voit
notamment que la candidature de Dieudonné, plus discrète, n’a pas soulevé une telle vague
de commentaires. Il est tout à fait probable également que sans cette hypermédiatisation,
Coluche n’ait jamais atteint de tels scores dans les sondages. Au fur et à mesure qu’il
s’efface de la place publique, ses scores diminuent. Ceci étant également lié au fait
que l’item Coluche a pu servir d’exutoire à de nombreux indécis et abstentionnistes qui
ne voulaient pas se déclarer comme tels. On peut donc en conclure que les médias
se sont acharnés à détruire, parfois avec une violence remarquable, ce qu’ils avaient
construits. Il y avait probablement de la part de ces candidats une volonté notoire de
profiter d’une publicité totalement gratuite. Publicité à laquelle les médias ont contribué
en jouant le jeu de ces candidatures. Ces candidatures montrent tout de même une
capacité des professionnels de la politique à se défendre. Les éditorialistes sont allés
pêcher les figures politiques connotées le plus péjorativement dans l’histoire française
pour exclure la candidature de Coluche par exemple. Pierre Dac, alors qu’il ne cherchait
pas la médiatisation, a été sommé d’arrêter de faire croire qu’il était candidat à l’élection
présidentielle. Quant à Dieudonné, sa première candidature avait été accueillie sans
retenue, mais les médias et les hommes politiques se sont détournés de ses provocations
et sa deuxième candidature qu’il voulait plus sérieuse est apparue dans l’indifférence la plus
complète du personnel politique. Trois candidatures qui, bien que différentes, ont permis
de mettre en relief des points communs. Une cible commune, une remise en question
des symboles républicains et un mur qui se dresse dans le champ politique dès lors
que ces candidatures deviennent trop sérieuses. Nous avons également vu qu’il semblait
relativement impossible que ces candidats accèdent un jour au premier tour de l’élection
présidentielle, la loi sur les cinq cents signatures semblant être une barrière efficace.
Efficace, ne signifie pas obligatoirement suffisante, quand ils se sont sentis menacés par
la candidature de Coluche, les hommes politiques sont montés au créneau. Coluche a
mis un second pied dans la campagne quand la majorité des hommes politiques se sont
officiellement offusqués de la présence d’un clown à une élection aussi importante. Pourtant,
nous avons vu qu’aucun candidat n’avait jamais vraiment pris au sérieux leur candidature, et
qu’ils l’auraient certainement encore moins prise au sérieux s’ils avaient vraiment été exclus.
Nous n’avons pas cherché à annihiler la théorie bourdieusienne du champ politique.
Nous avons vu que dans une certaine mesure elle était fondée, notamment dans les
prises de positions virulentes de certains éditorialistes et hommes politiques, mais nous
Bozonnet Grégory - 2008
107
L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
avons également pu constater que quand les médias ne jouent pas pleinement leur rôle
de gate keepers, il devient dès lors difficile de parler d’exclusion des candidatures. Si ces
candidatures ont été exclues, c’est dans un second temps et pour une quantité de causes
assez importantes comme nous avons pu le signaler.
En fait, il convient de souligner qu’en réalité l’exclusion est à mettre en lien avec une
sacralisation de la fonction présidentielle. Ces candidatures n’auraient pas été exclues d’une
autre lutte pour un poste moins important, on a même vu qu’elles pouvaient servir de faire
valoir à des candidatures de partis installés dans le champ politique.
Nous avons vu que l’une des critiques adressées aux comiques professionnels était
le fait qu’ils ne soient pas du métier. On affirme donc publiquement l’existence d’un métier
politique. C’est pourtant un débat qui est encore ouvert. Nous montrions en introduction les
éléments qui avaient contribué à faire de la politique un champ, à s’autonomiser. On parle de
professionnalisation de la politique, mais pourtant peu d’hommes politiques avouent l’être de
profession. On voit même certains ministres garder un poste privé, en affirmant souvent que
c’est dans le but de ne pas sa couper du monde du travail. « Ainsi dit-on que la politique est
marquée par la professionnalisation, en cela c’est une activité de plus en plus spécialisée et
qui permet de gagner sa vie. Les hommes politiques sont de plus en plus professionnalisés,
de plus en plus professionnels, des professionnels de la politique, en cela qu’ils sont de
333
plus en plus spécialisés et qu’ils vivent de cette activité »
. Cette spécialisation a été
marquée par la création d’écoles comme Sciences Po et l’ENA qui forment les futures élites
dirigeantes.
Cette idée d’apparition d’une compétence politique est allée de pair avec l’affirmation
de l’incompétence des masses sur laquelle les hommes politiques fondent leur légitimité.
L’analyse de la politique en termes de champ permet de mettre en exergue l’idée d’une
lutte pour l’enjeu spécifique qu’est le pouvoir. En effet, rappelons que pour Pierre Bourdieu
« chaque univers possède ses enjeux propres et son prestige spécifique, ce qui explique
que le soldat peut chercher la gloire militaire et rester indifférent à la renommée scientifique
(et inversement pour le savant) ; qu’on ne peut donc pas « faire courir un philosophe avec
334
des enjeux de géographes » . Toutefois, cela repose sur l’idée que le pouvoir, l’enjeu du
champ politique, n’attire que les hommes politiques. Que ni un universitaire, ni un militaire,
ni un sportif ne pourrait être attiré par le pouvoir. On a pourtant vu à plusieurs reprises des
exemples de personnes qui ne sont pas issues des écoles qui préparent à ces enjeux et qui
après avoir obtenu le prestige dans d’autre domaines s’étaient investis en politique, c’est
le cas de nombreux sportifs, mais aussi d’acteurs, on peut penser notamment à Arnold
Schwarzenegger.
L’idée que nous voudrions soumettre à réflexion, c’est que l’un des arguments
principaux pour s’opposer à la candidature de Coluche était de dire d’une part qu’il n’était
pas du métier, mais d’autre part qu’il était issu de l’humour scatologique ce qui ne peut
pas du tout se prêter à l’exercice du pouvoir. Mais la classe politique pourrait-elle s’opposer
aussi ouvertement à un candidat aussi populaire que Coluche mais qui n’a pas fondé ses
réussites sur la dérision ? Nous pourrions par exemple penser à la candidature de Nicolas
Hulot. Patrick Lecomte écrivait :
« L’ouverture de l’espace public médiatisé sur la société civile offre en effet
aux acteurs politiques un cursus inédit d’accès au pouvoir. Un processus de
légitimation directe par l’opinion publique, appuyé sur la conquête personnelle
333
334
108
Bacot (Paul), op.cit., p.142
Bourdieu (Pierre), op.cit.
Bozonnet Grégory - 2008
Conclusion
de notoriété et d’une popularité médiatiques, s’ouvre désormais aux aspirants
à la relève des élites du pouvoir en place. Il vient concurrencer, en le courtcircuitant, le cursus de légitimation traditionnel des leaders politiques, qui
procédait d’abord de la reconnaissance par les militants d’un parti, puis de
l’investiture par les électeurs au niveau local et national, enfin de la consécration
par le cercle dirigeant des professionnels de la politique. Brûlant les étapes
classiques de cette ascension méthodique vers les sommets de l’Etat, des
« étoiles montantes » de la politique-spectacle peuvent ainsi pallier la faiblesse
de leurs ressources partisanes ou de leur expérience militante en cultivant leur
« aura » médiatique personnelle dans l’opinion publique pour se faire reconnaître
par l’ensemble du personnel politique, puis s’imposer parmi ses leaders en
335
réalisant une économie de carrière importante. »
Cette idée pourrait se développer parce que nous voyons que parallèlement à une idée de
professionnalisation de la politique s’est développée l’idée de médiatisation des campagnes
et son corollaire, ce que nous avons pu appeler « la politique spectacle ». Eric Neveu
montrait les conséquences de l’interdépendance du champ journalistique et politique en ces
termes :
« L’interdépendance à l’égard du champ journalistique réduit l’autonomie des
politiques, suscite des comportements d’anticipation ("faire" deux minutes
pour le journal télévisé), aboutit parfois aux excès cocasses et ridicules de ceux
qui en font visiblement trop pour l’accès à l’espace médiatique. Sommé d’être
transparent jusque dans l’exhibition de son domicile ou de sa famille, assujettie
aux impératifs de l’audimat et de l’infotainment, le professionnel de la politique
risque aussi de se dépouiller, dans ses redéfinitions de frontières entre rôles
publics et vie privée, d’une part de la sacralité qui constituait pour lui comme
pour les profanes une des spécificités de son activité. Ce déficit engendre un
336
sentiment plus aigu d’une part de comédie dans le rôle. »
Ce sentiment de comédie était la base de la candidature de Coluche qui disait notamment
« Je ferai remarquer aux hommes politiques qui me prennent pour un rigolo que ce n'est
pas moi qui ait commencé. » Ce sentiment de comédie peut donc amener à désacraliser
la fonction et donc à donner à d’autres individus l’idée de pouvoir prétendre au poste. Ces
individus peuvent attirer les médias qui comme nous l’avons vu avec ces candidatures
n’ont pas forcément les mêmes intérêts que les hommes politiques, contrairement à ce
que pouvait écrire Pierre Bourdieu. Les médias ont également un intérêt commercial à
aller du côté des personnalités médiatiques, des personnes appréciées par les spectateurs.
Ces spectateurs étant souvent électeurs, il est possible d’imaginer des candidatures de la
société civile devenir inquiétantes, comme l’a pu l’être l’espace d’un temps la candidature
de Coluche pour le personnel politique.
« Nicolas Hulot n’est pas le premier à s’attirer de la sympathie en tant que
candidat non professionnel de la politique. Coluche Hulot ont en commun
d’être des objets médiatiques venus d’ailleurs. Cependant, les ressemblances
entre les deux modes d’interpellation, sur le fond et sur la forme, ne sont
335
Lecomte (Patrick), Communication, télévision et démocratie, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1993, 96p.
336
Neveu (Eric), « Métier politique : d’une institutionnalisation à une autre », in Lagroye (Jacques), La Politisation, Paris,
Belin, 2003, p.115
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L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
pas si nombreuses. Plus récemment, en 2002, Jean-Pierre Chevènement a
longtemps été le troisième homme dans les sondages avant de s’effondrer aussi
337
rapidement. »
Pour les auteurs de cet ouvrage sur Nicolas Hulot, « La force de la "marque Hulot" favorise
338
l’incursion en politique »
. Il peut en effet s’appuyer sur un capital assez important.
Il a, petit à petit, construit une image qui le rend populaire, il a un capital réputationnel
conséquent. Il a également à son actif des victoires politiques comme celle de réunir une
grande partie de la classe politique derrière un pacte écologique. Pour l’instant il ne s’est
jamais porté candidat, mais d’autres, comme José Bové, ont franchi le Rubicon. « Être
candidat à l’élection présidentielle, n’est ni ma vocation ni mon fantasme. Mais si la seule
339
solution est de franchir la ligne rouge, je ne l’exclus pas. »
On voit qu’il y a encore une
certaine sacralisation dans l’idée de s’engager politiquement, il parle de « franchir la ligne
rouge », mais il serait intéressant de se demander dans ces conditions ce qui peut tenir une
personne de la société civile populaire à l’écart du champ politique alors que les médias lui
ont ouvert les portes, et que les hommes politiques ne dénoncent pas son incursion, mais
au contraire y participent, une réflexion que nous aimerions avoir par la suite.
337
338
339
110
Larabi (Malik), Marc (Xavier), op.cit., p.17
Idem, p.41
Idem, p94
Bozonnet Grégory - 2008
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L’exclusion des comiques professionnels du champ politique
Images du mémoire
Toutes les images de ce mémoire sont à consulter sur place au Centre de
Documentation Contemporaine de l'Institut d'Etudes Politiques de Lyon
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