7 Schu - Revue critique de fixxion française contemporaine

Transcription

7 Schu - Revue critique de fixxion française contemporaine
La route de Luc Vidal comme récit de voyage hippie:
ses intertextes, ses idéologèmes et son public
Que faut-il entendre par Hippie dans ce contexte ?
§1
La mobilité constituait et constitue aujourd’hui encore un topique central de la
mythisation des 68ards tant dans les médias – p. ex. à l’occasion de leur
quarantenaire en 2008 – que dans les structures du mouvement même, qui visait une
mobilisation de la société en France. Ce mouvement issu des milieux d’étudiants1,
d’élèves et d’apprentis atteignit par la suite les milieux ouvriers et aboutit à une grève
générale à l’échelon national. Le besoin de changements se traduisit non seulement
dans les revendications et actions politiques des 68ards, mais également dans leur
imaginaire collectif. Le désir d’une mobilité sociale et individuelle se manifesta entre
autres dans l’idée du voyage qui se transforma progressivement en topique central
dans le discours du mouvement. Tant les manifestes politiques du mouvement de mai
68 que les témoignages littéraires de hippies en voyage parlaient d’un chemin vers
l’avant (vers une meilleure société) et d’un chemin vers l’arrière (retour à la nature)
ainsi que d’un cheminement amenant au for intérieur spirituel, donc le chemin
menant au soi. 2
§2
Pour une partie des 68ards, la connaissance d’autres cultures et de styles de vie
alternatifs constituait donc une condition préliminaire indispensable à l’amélioration
et à la dynamisation d’une société sclérosée sur le plan moral. Entre 1962 et 1976,
l’envie de faire cette expérience poussa des milliers d’adolescents à prendre la route3.
Le voyage leur permettait de partir à la découverte de modèles de sociétés et de
religions différents des modèles et religions occidentaux qu’ils considéraient à la fois
comme (petits)-bourgeois et exploiteurs. Le besoin d’un élargissement de l’horizon
qui se traduisit à la fin des années 60 dans les voyages sur le célèbre ‘Hippie-Trail’ ne
se trouve pas uniquement en relation avec l’échelle des valeurs individualistes du
mouvement de mai 684 mais aussi avec sa mobilité intérieure. Ces aspirations formaient la base des structures de la culture hippie importée des US5 et qui avait
conquis la France et l’Europe depuis San Francisco et l’université de Berkeley à partir
de la deuxième moitié des années 606. Le phénomène des hippies peut donc être
considéré comme une subculture juvénile au sein du contre-mouvement politique des
68ards, un mouvement où des idées politiques et des modèles alternatifs de la vie en
société (les ‘communes’) et de l’organisation des loisirs (des voyages se voulant ‘antibourgeois’) s’engrenaient avec des éléments à la mode7. Dans ce contexte, Laurent
Chollet souligne le fait suivant à propos de l’étymologie du terme ‘hippie’ :
“Hip se traduit par informé ou branché”, explique l’écrivain Hunter S.
Thompson. Hip signifie également hanche, et certains y voient la véritable
étymologie […]. Il y eut en effet, au temps glorieux du bop, une mode – autre
défi à l’ordre établi – des blue jeans ultraserrés, qui moulaient les fesses et,
disait-on, étranglaient les hanches. Le hippie est héritier du beatnik – et du
hipster. “Être hip, c’est être ‘désaffilié’ [sic]. Le hipster est aussi un pacifiste, le
plus souvent objecteur de conscience, voire anarchiste. Être hip, c’est être anticommercial, anti-intellectuel, anti-culturel”, écrit E. Burdick du Reporter en
1958.8
Béatrice Schuchardt
La route de Luc Vidal comme récit de voyage hippie
§3
En général, les hippies partageaient les idéaux politiques des 68ards. Les reléguer au
statut d’une ‘fraction de divertissement’ au sein du mouvement de mai 68 serait tout
aussi faux que de prétendre qu’il s’agissait d’un groupement homogène9.
§4
C’est précisément l’hétérogénéité de la culture des jeunes hippies qui ne tarda pas à
susciter une critique émanant du mouvement lui-même et dirigée en premier lieu
contre les médias qui s’étaient approprié les symboles de la culture hippie en créant
le label ‘Hippie’ et le cliché d’une certaine apparence physique10. L’enterrement
symbolique du concept hippie qui eut lieu à la fin des années 60 à Haight Ashbury,
San Francisco, épicentre du mouvement, n’était donc pas dû au hasard : il s’agissait
d’enterrer par la même occasion les tentatives de la presse et de l’industrie de la mode
pour s’emparer du mouvement11.
Le genre du récit de voyage hippie
§5
La critique de la commercialisation du style hippie par les industries de la mode et les
médias témoigne déjà du dégré d’auto-réflexivité d’un mouvement juvénile comme
celui des hippies par rapport à ses manifestations physiques et discursives. Cela
confirme ce que Benedict Anderson avance dans son étude sur les communautés
imaginaires12 : de telles communautés – il prend l’exemple de la nation – se
constituent par le biais de leur auto-représentation collective et de l’identification du
lectorat avec ces descriptions, véhiculées avant tout par les médias populaires comme
la presse. Certains genres romanesques font également partie de ce type de médias
populaires, p. ex. le récit de voyage. Mon étude, basée sur le roman La route - mon
voyage de hippy de Luc Vidal, publié en français en 197413, porte sur un genre que
j’aimerais appeler récit de voyage hippie. Ce genre doit avant tout être considéré sous
l’angle du besoin de mobilité et du goût de la découverte du mouvement des 68ards.
Sur fond de l’image de soi anti-bourgeoise du mouvement hippie, cet article se
concentre sur le jeune public cible, tel qu’il apparaît dans le discours narratif du
genre, et sur ses valeurs politiques et sociales. En choisissant le récit de voyage
comme un genre aux tendances escapistes et pour cette raison populaire surtout chez
une génération de jeunes déçus par le conservatisme de leurs parents, notre auteur
veut atteindre un public juvénile dont il partage les frustrations.
§6
Nous allons donc d’une part examiner la question de la constitution d’une
communauté imaginaire comme celle des hippies avec son échelle de valeurs, ses
préférences, ses refus et surtout sa conception du voyage. D’autre part, l’analyse se
concentrera sur les contradictions idéologiques dans la narrative du récit de voyage
hippie qu’on rencontre surtout dans ses intertextes, conscients ou non. C’est surtout
la tension entre les prétentions anti-bourgeoises et anticapitalistes du mouvement
hippie et la perspective individuelle du récit qui me servira de point de départ,
tension qui se situe à trois niveaux :
o
au niveau de l’économie d’argent et de temps : collision entre les prétentions
anticapitalistes du mouvement d’une part et la recherche individuelle du profit
d’autre part.
o
au niveau topologique : refus des idéaux de l’éducation bourgeoise mais recours
répété dans le récit à des topiques centraux d’un canon littéraire provenant de
l’éducation bourgeoise (la littérature des orientalistes du XIXe siècle ainsi que
Rousseau, Pétrarque et les mythes de l’Antiquité).
79
Béatrice Schuchardt
o
§7
La route de Luc Vidal comme récit de voyage hippie
au niveau de la fusion du stéréotype culturel et du gender : les stéréotypes
culturels sont surtout abordés par le biais de la perception et de la présentation
des femmes orientales dans les cultures occidentales. Ce fait se trouve en
contradiction avec le gestus émancipateur du mouvement des 68ards et
l’abandon des structures patriarcales et misogynes qu’il envisageait.
Comme le confirmera la suite de notre analyse, parmi toutes ces tensions, c’est le
refus des valeurs de la génération parentale qui constitue pour l’auteur le principal
levier pour capter l’attention de son public hippie, dont il dit faire partie.
Refus de l’économie de temps
§8
Le narrateur Luc du récit de Vidal motive son départ vers l’Orient par le malaise
croissant qu’il éprouve dans son milieu natal, c’est-à-dire par cette frustration dont il
suppose qu’elle hante aussi d’autres jeunes de sa génération:
Je n’étais pas malheureux, mais pas heureux non plus. Il me semblait que la vie
confortable qui était déjà la mienne – la vie en tous points semblable à celle des
adultes que je côtoyais – me rétrécissait. Que si je ne sortais pas tout de suite de
ce qui insidieusement devenait une prison, jamais plus je n’aurais recouvré ma
liberté. […] Simplement je savais que je devais partir. (LR 9)
[…] Bref, j’avais présumé de mes forces et une existence monotone, cernée par
les horizons de mon enfance, m’accablait. […] La route de nouveau. Était-ce
une fuite, un constat d’échec ? (LR 13)
§9
Bien qu’il ne s’adresse pas directement au lecteur, il est évident que Vidal reprend ici
les frustrations centrales de sa génération de jeunes, et plus particulièrement leurs
motifs pour un voyage prévu ou déjà entamé vers des pays lointains. Il considère la
vie bourgeoise de ses parents avec tout son confort comme une contrainte à laquelle il
faut se soustraire en partant pour l’étranger. Ainsi, le hippie en voyage se perçoit à la
fois comme un voyageur anti-bourgeois et comme faisant partie d’une culture de
jeunesse subversive qui désire non seulement fuir le foyer paternel, mais aussi renier
son système de valeurs. Nul doute que le passage cité a emporté l’adhésion de la
plupart des lecteurs ; Laurent Chollet ne définit-il pas comme suit le motif central
pour le départ de beaucoup de hippies vers d’autres pays: “Rejetant la ‘société de
consommation’, une partie de la jeunesse pense (re)trouver quelques vérités perdues
en Asie”14.
§10
Il est intéressant de noter à ce sujet que le mouvement hippie – à l’opposé de la
culture prolétarienne des rockers – est précisément issu de cette classe moyenne dont
il refuse les valeurs15. Par conséquent, les hippies sont en quelque sorte des ‘bourgeois
déserteurs’ qui cherchent à prendre leurs distances par rapport au style de vie de
leurs parents, conservateurs au niveau politique et désireux de sécurité sur le plan
économique. Le récit de voyage de Vidal illustre cette attitude au moment où il se
place explicitement dans le contexte de la culture hippie au début de son ‘voyage en
Orient’. C’est avec une ironie certaine que le narrateur évoque les catégories sociales
de jeunes (beatniks, hippies, freaks)16. Par la suite Luc préférera se dire “vagabond” :
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La route de Luc Vidal comme récit de voyage hippie
Je me suis retrouvé dans la peau de ce qu’on appelait alors un beatnik, puis je
suis devenu un hippy, puis un freak, car régulièrement il nous fallait changer de
nom dès que la société avait récupéré à son profit certaines valeurs ou certaines
modes que nous représentions. J’étais donc un beatnik, le classique vagabond
libre et désœuvré. Je parcourais l’Europe, de la Méditerranée au Cap du Nord,
de l’Irlande à la Turquie. De coucher de soleil en coucher de soleil je vivais hors
du temps, dans l’illusion de me posséder et de posséder le monde. La route était
ma liberté. (LR 10)
§11
Toujours sans s’adresser directement au lecteur, le texte présente l’image collective
de soi d’une génération qui cherche à se démarquer du reste de la société par le biais
de l’appellation. L’auto-désignation “vagabond”, qui a ses racines dans le mouvement
beat, est combinée ici au topique romantique du coucher de soleil en tant que miroir
de l’âme mélancolique du poète : le narrateur se place donc loin au-dessus du
quotidien bourgeois et ses normes17. Par le biais de ce rapprochement intertextuel de
la littérature romantique, le texte de Vidal sape en même temps le gestus anti-culturel
du mouvement hippie mentionné par Chollet (v. supra). La vision de l’existence
comme une odyssée rocambolesque - le “vagabond” étant “une personne qui se
déplace sans cesse, qui erre de par le monde”, donc un “aventurier”18 – établit un
rapport intertextuel avec le mythe d’Ulysse. Paradoxalement c’est précisément ce
rapport avec le canon pédagogique bourgeois-humaniste qui caractérise l’image de
soi du hippie voyageur comme ‘renégat moderne’19.
§12
Pour que l’errance soit le moyen de renoncer au temps linéaire et téléologique du
capitalisme et de renier la maxime capitaliste stipulant que le temps c’est de l’argent,
le voyage doit fonctionner comme une fin en soi et un happening20. Et le mode de
déplacement caractéristique du voyage-happening est l’auto-stop, mode qui exige des
dépenses de temps incalculables à l’avance. En philosophant sur le charme méditatif
de l’auto-stop aux antipodes de la recherche de profit de la bourgeoisie, un autre récit
de voyage hippie – La terre n’est qu’un seul pays d’André Brugiroux (1975) – prétend
que cette façon de se déplacer apporte un autre type de profit personnel :
[…] j’avais découvert deux principes qui régissent l’auto-stop : le point
stratégique et savoir attendre. Attendre et attendre encore, des heures et même
des jours, s’il le faut. Question de temps. Le temps. […] Je suis comme un
pêcheur à la ligne. […] Mes pensées, claires et heureuses, se faufilent : réfléchir,
méditer. La notion du profit personnel me paraît évidente. Hélas, ce genre de
profit ne semble intéresser personne de nos jours. Pouvoir réfléchir, rêver, ne
penser à rien, c’est mon luxe.21
§13
Au contraire du voyage bourgeois qui – dans son évolution historique, et depuis le
XVIIIe siècle déjà22 – nécessitait des préparatifs sur le plan logistique et une planification adéquate quant au choix des bagages à emporter et des moyens de transport à
emprunter (diligence et train), le concept du voyage hippie était basé sur la vision
d’un départ au pied levé. Le narrateur de La route considère donc son départ de
Strasbourg en train comme inapproprié, même si c’est le seul moyen de gagner sa
course contre la montre (LR 15) :
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La route de Luc Vidal comme récit de voyage hippie
Je dois rejoindre Gil et Richard à Téhéran […]. Je n’ai donc qu’une semaine pour
franchir tous ces kilomètres. […] C’est pour cela que, renonçant à l’auto-stop,
mon traditionnel moyen de transport, je pars en train, comme un bourgeois.
§14
La thématisation du moyen de transport fait apparaître un topique central du
mouvement de voyage hippie : la majorité des hippies en voyage donnaient la
préférence au voyage à pied – qui leur permettait de “s’identifier avec les groupes
sous-privilégiés”23 puisque c’était le mode de déplacement des classes inférieures –,
mais surtout à l’auto-stop. Et l’on optait volontiers pour la 2CV24, légendaire de nos
jours, ou encore pour le bus VW T1, devenu le symbole iconographique de la culture
hippie. Au cours de son voyage, Luc rencontrera des compagnons conduisant
précisément ces moyens de transport et parcourra au moins une partie du trajet
‘comme il se doit’ dans une 2CV ou à bord d’un bus VW (LR 30 sv.). Certes, le fait que
l’auteur recoure précisément à ces types de véhicules comme symboles centraux de la
communauté hippie constitue un stratagème pour faciliter l’identification des jeunes
lecteurs qu’il vise.
Refus de l’économie d’argent
§15
Par le choix du titre La route – mon journal de hippy, le texte de Vidal s’inscrit dans
la tradition du genre du journal, garant d’authenticité. Par ailleurs, le titre de son
récit de voyage hippie établit un rapport intertextuel avec une œuvre centrale de la
littérature beat, et qui fut déterminante pour le début de l’époque du voyage hippie :
On the Road (1957) de Jack Kerouac, un portrait du style de vie d’un bohémien25.
Sous l’angle du thème comme du style, Vidal renoue avec l’ouvrage qui fut célèbre
auprès de la génération beat et hippie. Son récit aussi est caractérisé par la
description d’un mode de vie peu conventionnel dans un style de narration plutôt
conventionnel et linéaire remontant au réalisme. Tout comme dans le roman de
Kerouac, la route – lieu de transition géographique de son action – symbolise en
même temps un passage du parcours initiatique dans la tradition du concept de
voyage éducatif du Siècles des Lumières. Les deux récits racontent l’initiation par des
expériences limites comme la consommation de stupéfiants, la menace d’une mort
imminente et le contact avec des cultures étrangères.
§16
Comme la plupart des jeunes de sa génération qui se rendaient en Orient, le
narrateur de La route emprunte le célèbre Hippie Trail qui mène, via Katmandou,
d’Istanbul à Goa - la grande destination finale de beaucoup de hippies. Cette route fut
utilisée pour la première fois au début des années 60 par des jeunes de l’hémisphère
occidentale qui étaient à la recherche de la vérité26. Autour de 1968, lors de l’apogée
du mouvement hippie, elle devint le théâtre d’une migration massive ; rien que les
Français en route vers l’Inde étaient au nombre de 250 000 en 197327. Pour ce qui est
du tracé, la piste suit les routes connues de l’histoire et donc précodées au niveau du
discours. La route par voie de terre menant à l’Asie peut ainsi être considérée comme
le palimpseste de différentes vagues de départs (voyages et conquêtes). Celle des
départs hippie y représente seulement une des vagues les plus récentes28. Cette route,
qui empruntait le tracé la route de la soie et des chemins caravaniers à travers le
désert, avait été importante du point de vue économique et militaire. Elle portait les
traces des grands conquéreurs, tels Alexandre le Grand, Mahomet ou Marco Polo.
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La route de Luc Vidal comme récit de voyage hippie
§17
Luc, le narrateur, est conscient de cette dimension historique lorsqu’il évoque les
“hordes tartares” lors du passage du col de Khyber. Il s’agit des contrées où ces
hordes se déplaçaient au Moyen Âge en sens inverse de la campagne d’Alexandre le
Grand dans l’Antiquité29. Les antécédents historiques du Hippie Trail en tant que
route de guerre et de commerce vont à l’encontre de la vision des ‘flower children’,
qui rêvaient d’errer par des routes vierges, voire innocentes, à la découverte d’un
monde virginal. Le chevauchement palimpsestique des traces de voyageurs visant des
fins lucratives ou belliqueuses était loin de cadrer avec les idéaux apparemment
antimatérialistes des voyageurs hippies.
§18
Ce chevauchement révèle une contradiction flagrante au sein de la culture de voyage
hippie elle-même : tout en disant non au système capitaliste, ils l’exportaient vers les
villages les plus éloignés de l’Asie centrale. Ce paradoxe illustre en même temps le fait
que tout voyage dépend inévitablement de certaines conditions matérielles, et cette
dépendance s’applique également, voire tout particulièrement aux hippies, dont la
plupart voyageaient avec des fonds modestes.
§19
Ainsi, malgré tous ses ressentiments anticapitalistes du début, le narrateur finira par
céder à la tentation de réaliser des profits matériels. Au tout début du voyage et plus
tard après un entretien avec un voyageur bulgare, Luc se plaint de la “trahison du
Marxisme-Léninisme” commise par les États communistes (LR 17). En Afghanistan,
il résiste encore à l’impulsion d’acheter des manteaux de berger à un prix avantageux
en vue de les revendre plus cher en Europe, conscient qu’il est qu’une telle action
“[qu’il] reproche aux néo-colonialistes” serait incompatible avec l’éthique hippie (LR
48). Cette éthique économique apparemment rigoureuse du narrateur flanchera
toutefois tant au niveau de l’action qu’au niveau du discours narratif : sur le territoire
iranien Luc et ses compagnons achètent “quelques colliers, (au bazar) […] [qui],
même si on n’arrive pas à les revendre en Inde, […] doivent avoir quelque valeur en
France…” (LR 36). Lors de son entrée en Turquie aussi, Luc – en sa qualité de
marginal – fait preuve d’une certaine conscience mercantile quand il appelle la
possibilité de changer des dollars au taux officiel “un signe infaillible de bonne santé
économique” (LR 27) ; une déclaration qui par ailleurs traduit un certain
soulagement.
§20
L’ambivalence entre la consternation que lui cause la misère rencontrée dans les pays
qu’il visite et la peur de se faire escroquer constitue ainsi le fil conducteur à travers
tout le roman. A la vue des mendiants de Lahore, le narrateur se sent coupable et se
rend temporairement à la raison :
Et moi, tout fier de ma liberté, qu’est-ce que je fous ici, à profiter des sous que
mon pays sait si précautionneusement extorquer à ce tiers-monde qui surgit
devant moi, brusquement, avec sa misère? (LR 56)
§21
Par contre, le zèle commercial des montagnards népalais qui demandent de l’argent
après avoir présenté une danse folklorique suscite la mauvaise humeur du voyageur
hippie :
Nous sommes un peu interloqués par cette façon d’essayer de nous soutirer de
l’argent. C’est vrai que nous représentons des peuples riches, immensément
riches par rapport à eux, et ils s’imaginent que nous trois avons de l’argent à
jeter par les fenêtres. (LR 86)
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§22
La route de Luc Vidal comme récit de voyage hippie
La popularité de certains guides touristiques tels Asia on the Cheap (1973) et le
célèbre Guide du routard30, où la description de la route de l’Asie est publiée pour la
première fois au début des années 70, montre combien cette conscience des coûts –
qui transparaît dans le discours narratif – est représentative de la contradiction entre
l’idéologie et la pratique de voyage du mouvement hippie. La tension entre
l’engouement de la culture hippie pour le tiers-monde – inspiré par des motivations
antimatérialistes31– et l’exploitation des prix avantageux pour la nourriture et
l’hébergement – incompatible avec ces motivations (le récit de Vidal y fait allusion à
maintes reprises, surtout en ce qui concerne la nourriture) – illustre les
contradictions économiques et discursives entachant la culture de voyage hippie et
l’image de soi de ce mouvement32.
Le récit de voyage hippie sur les traces d’intertextes de l’éducation bourgeoise : l’orientalisme, le Siècle des Lumières et la mystique chrétienne
§23
Les références historiques sont plutôt rares dans le roman La route, où elles se
limitent à la mention de l’importance historique du col de Khyber ou du passé
colonial de Goa. En revanche le récit foisonne d’expériences témoignant tantôt d’un
présent perçu comme particulièrement authentique, tantôt d’une émancipation de la
temporalité linéaire des sociétés industrielles occidentales. Voilà une autre
illustration de la conception du temps anticapitaliste de la culture hippie, conception
qui s’annonce dès les premiers chapitres par des descriptions de paysages surtout ;
ainsi dans le passage “De coucher de soleil en coucher de soleil je vivais hors du
temps” déjà cité (LR 10). Cette émancipation du temps compté et précieux de la
bourgeoisie est dictée par la recherche d’originalité et d’authenticité dans un décor
perçu comme étrange et exotique autant que par l’espoir de découvrir la spiritualité
et le ‘vrai’ soi. Et cette aspiration, les hippies la partageaient avant tout avec les
orientalistes du XIXe siècle.
§24
En effet, tant les destinations géographiques des orientalistes du XIXe siècle – les îles
de la Méditerranée, le Maghreb, la Turquie, le Proche-Orient – que les motifs à l’origine du départ lui-même – à savoir le mouvement escapiste face à une société
étouffant chaque jour davantage sous l’industrialisation, la rationalisation et une
morale sexuelle rigoureuse – présentent des parallèles avec les destinations et raisons
qui devaient motiver le départ des hippies un siècle plus tard33. Tout comme eux, les
hippies refusent la société de consommation et se lancent dans une quête
aventureuse de la sagesse originelle et mythique d’un Orient perçu comme homogène
au niveau de la culture. De même que les orientalistes du XIXe siècle – jeunes couples
et voyageurs solitaires pour la plupart –, les hippies partaient à la recherche de lieux
où paraissait avoir été aboli le diktat de l’organisation rationnelle du temps,
caractéristique respectivement des débuts de l’industrialisation ou de la société
industrielle capitaliste du XXe siècle. Et dans le discours narratif des récits de voyage
des orientalistes du XIXe siècle comme dans le récit de Vidal, ces lieux sont décrits
comme paradisiaques, des contrées particulièrement désolées et originales qui
déploient leur charme avant tout pendant la nuit ou aux moments de transition entre
jour et nuit. En recourant aux mêmes motifs littéraires que les orientalistes du XIXe –
ce qu’on verra dans la suite de notre analyse –, Vidal fait allusion à une littérature
que non seulement il sait faire partie du canon littéraire, mais dont il peut aussi
supposer que les jeunes de sa génération l’ont lue en raison de sa teneur escapiste.
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La route de Luc Vidal comme récit de voyage hippie
Le paysage comme expérience de la transcendance
ou le retour des motifs orientalistes
§25
Bien qu’après son départ de Téhéran le narrateur de La route, visiblement
désillusionné, se plaigne que l’ ‘occidentalisation’ croissante34 fasse rapidement
perdre leur aspect ‘pittoresque’ aux villes de l’Orient, par la suite lui et ses
compagnons percevront de plus en plus les paysages parcourus comme le paradis
originel et innocent. Ils conçoivent la patrie et l’étranger dans la dichotomie entre ‘le
bas monde’ et ‘l’autre monde’. L’espace urbain représente la réalité du ‘bas monde’,
tandis que la nature à l’état sauvage incarne la réalité de ‘l’autre monde’. Le passage
au continent asiatique est donc mis en scène comme l’entrée dans une autre
dimension du temps, un topique figurant déjà dans les récits de voyage vers l’Orient
du XIXe siècle, qui ne cessent de tracer des parallèles entre l’Orient et le Moyen Âge
en Europe35.
§26
Citons Laurent Chollet au sujet de la notion de la frontière de l’Asie représentant un
‘seuil’ menant à un autre monde. Dans son essai sur la culture de voyage hippie et
plus particulièrement sur la route du Népal, il pose que surtout “Le voyage en Inde
est à considérer comme une rupture avec l’Occident, comme un voyage initiatique”36.
Chez Luc aussi, l’émerveillement à la vue des paysages asiatiques atteint son point
culminant au Népal. Ce qui frappe dans ce contexte est sa fascination pour les
couchers de soleil qui revient maintes fois (LR 96, 100, 135 sv.). Cette fascination
point déjà à Herat:
Le temps est très beau aujourd’hui. Le soleil a disparu derrières les collines. Le
paradis des couleurs qu’il engendre enflamme le ciel tandis que nous arrivons à
Herat, dont les deux grandes tours se découpent sur le ciel rouge comme deux
gigantesques gardes de la ville. (LR 38)
§27
La mise en relief particulière des silhouettes sombres des tours musulmanes sur le
fond rougeâtre du ciel illustre la fascination du narrateur à la vue du paysage urbain
étranger et rappelle la description de la physionomie nocturne de Constantinople
qu’on lit chez Pierre Loti :
[…] un bras de mer étend son vide tranquille entre ces quartiers assourdissants
que je viens de traverser et une autre grande ville, d’aspect fantastique, qui
apparaît au-delà sur le fond étoilé de la nuit, en silhouette toute noire dentelée
de minarets et de dômes.37
§28
Les deux passages comparés illustrent clairement les convergences du roman La
route de Vidal en tant que récit de voyage hippie : les couleurs somptueuses de
l’Orient constituaient déjà un topique central de l’orientalisme littéraire du XIXe
siècle. On lit ces descriptions littéraires de paysages aux couleurs somptueuses dans
Le voyage en Orient de Flaubert, comme dans les récits de voyage de Lamartine, de
Loti, de Nerval et de la Comtesse de Gasparin38.
§29
L’émerveillement du narrateur du roman La route devant le paysage asiatique
culmine finalement lors de l’ascension à pied (!) d’un massif himalayen aux alentours
du lieu de pèlerinage bouddhiste de Gosaigung. Déjà dans la vallée, Luc fait
l’expérience de la promesse d’un paysage solennellement paradisiaque, perçu comme
réel mais décrit en termes superlatifs ; un paysage qui s’élève au-delà du ‘bas monde’
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La route de Luc Vidal comme récit de voyage hippie
profane des routes non stabilisées du Népal. Comme il se doit pour un voyage hippie,
Luc et ses compagnons parcourent ces routes en cahotant à bord d’un bus VW :
Et, au-delà des crêtes boisées qui limitent le nord de la vallée, bien plus haut et
bien plus loin, par-dessus les brumes, surgissent majestueusement les pics
étincelants du Toit du monde qui surveillent calmement du haut de leurs huit
mille mètres ce panorama grandiose, éblouissant de beauté. Dans le vieux bus
brimbalant, je reste béatement le nez collé à la fenêtre devant le plus
formidable amalgame de pics, vallées, forêts, montagnes, champs et neiges que
j’aie jamais vu. […] Ce n’est qu’à la nuit tombante que nous pénétrons enfin
dans la vallée de Katmandu, capitale de ce paradis terrestre. (LR 70 sv.)
§30
La sensation qu’il est possible de vivre sur terre l’expérience de l’autre monde, grâce à
l’état sauvage et à la virginité du paysage parcouru, s’empare des compagnons du
narrateur aussi. La surprenante ‘virginité’ du Népal les ravit et forme un rude
contraste avec l’artificialité des paysages urbains de l’Europe occidentale.
Gil se penche à mon oreille pour me souffler émerveillé: “J’ai l’impression
d’avoir rejoint un pays imaginaire, un paradis terrestre, où hommes et bêtes
vivent en paix.” (LR 94)
§31
Dans ce passage, la conception du Népal comme paradis ne manque pas de rappeler
la vision de la nature à l’état sauvage que Rousseau disait garantir la paix entre
l’homme et la nature. Cet intertexte du récit – bien qu’inconscient – renvoie à un
topique central : la reprise de certaines idées du Siècle des Lumières indique combien
le discours hippie est enraciné dans l’éducation bourgeoise européenne. En reliant
l’idée centrale de la philosophie de Rousseau – pour retrouver l’harmonie
(entretemps perdue) entre les hommes et les animaux, il faut remonter aux origines
idéalisées de l’humanité – au motif de l’ascension d’une montagne qui remonte à
Pétrarque (mais est présent chez Rousseau aussi), le récit de voyage hippie de Vidal
affiche en même temps son enracinement dans l’univers de la mystique chrétienne.
Tout comme chez Pétrarque, la découverte du Dieu créateur est conçue comme une
expérience purifiante de la nature et s’accomplit par un voyage à pied.
Parcourir l’Himalaya sur les traces de Pétrarque
§32
Même si le L.S.D. était une substance psychédélique fort populaire dans les milieux
hippies, ce n’est pas l’ivresse due à la drogue qui, dans l’épisode central parlant de
l’initiation spirituelle, procure à Luc la transcendance recherchée. Il s’agit plutôt
d’une expérience limite dans l’espace. Comme on vient de le poser au début, il en
résulte la perception d’un espace solennel, originel et naturel d’un autre monde, en
opposition avec l’espace vécu jusqu’à présent – cet espace matériel, profane et volatil
du bas monde. Seule une autre expérience limite – une situation où se présente un
danger de mort aigu – permet d’accéder à l’espace métaphysique. Il faut à cet effet
descendre de voiture et continuer la route à pied. Les riches voyageurs bourgeois du
XIXe siècle avaient l’impression de pouvoir rompre avec le diktat du progrès de
l’industrialisation quand ils se résolvaient à se déplacer à pied. Depuis le Siècle des
Lumières déjà, le voyage à pied – entrepris volontairement (!) - signifie un retour aux
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Béatrice Schuchardt
La route de Luc Vidal comme récit de voyage hippie
origines, dans le giron de la nature39. Selon Rousseau, la possibilité de ce retour
s’offre surtout dans les régions ‘sauvages’ et crevassées des massifs montagneux:
Faire route à pied par un beau tems [sic] dans un beau pays sans être pressé
[…]. Au reste on sait déjà ce que j’entends par un beau pays. Jamais pays de
plaine, quelque beau qu’il fût, ne parut tel à mes yeux. Il me faut des torrents,
des rochers, des sapins, des bois noirs, des montagnes, des chemins raboteux à
monter et à descendre, des précipices à mes côtés qui me fassent bien peur.40
§33
Aux yeux du péripatéticien Rousseau, ce retour aux origines facilitait le processus de
réflexion et de la contemplation intérieure, de la recherche du soi41. Mise en relation
avec le topique de la randonnée en montagne, l’auto-contemplation de Rousseau
constitue en même temps une réflexion amenant à Dieu. Or, une lettre de Pétrarque
évoque déjà une expérience semblable pendant son ascension du Mont-Ventoux :
“l’expérience physique de l’ascension d’une montagne déclenche une réflexion
orientée vers la vision chrétienne de l’ascension des âmes”42, réflexion qui a ses
racines dans un intertexte de saint Augustin.
§34
D’un point de vue historico-littéraire, et contrairement à l’orientation vers le présent
du mouvement hippie, dans le roman de Vidal l’épisode décrivant une découverte de
Dieu dans les montagnes du Népal jette un pont entre la littérature du voyage en
Orient du XIXe siècle et Rousseau, Pétrarque et saint Augustin au niveau de ses
intertextes. De la même façon que dans l’œuvre de Pétrarque, c’est la vue d’un
paysage qui initie le passage à l’espace métaphysique42. Cette perception est pour sa
part reliée au topique orientaliste du coucher de soleil. Par ailleurs, tant chez
Pétrarque que chez Rousseau, c’est le décor montagneux qui donne à l’expérience
sensorielle toute son intensité et la charge d’une signification symbolique. Ainsi,
l’Occident et avec lui le ‘bas monde’ de la réalité – au point de vue spirituel comme au
point de vue topographique – s’effacent aussi dans le roman La route lorsque le soleil
se couche derrière les montagnes. Au niveau de la description visuelle, la nuit qui
tombe dissimule, voire efface symboliquement le ‘bas monde’ :
Le soleil tombe derrière les monts de l’Occident qui nous indiquent la direction
de l’Europe où il ne se couchera que dans cinq heures. […] J’ai l’impression
d’avoir rejoint les limites du monde réel, en tout cas de m’être détaché
complètement du monde des hommes et de leurs luttes mesquines, tout là-bas,
en bas. Ce paradis suspendu entre ciel et terre me rapproche des dimensions
incommensurables du Divin qu’il me semble presque toucher du doigt. Le soleil
a disparu. (LR 96 sv.)
§35
Tant Vidal que Pétrarque considèrent l’abandon du ‘bas monde’ – métaphore pour
décrire l’univers occidental – comme la condition indispensable à la possibilité de
faire l’expérience du divin. Au niveau de l’espace intermédiaire entre le ciel et la terre
décrit dans le passage cité, Luc se trouve encore dans l’interstice métaphysique que
constitue le moment où le bas monde européen du passé cède la place à l’autre
monde asiatique du présent.
§36
A la différence de l’expérience de Pétrarque, loin d’être directement liée à la
perception du paysage, l’orientation vers Dieu naît d’une autre impulsion : lorsque
Luc et ses compagnons se sont égarés dans l’Himalaya et que l’aventure menace de
87
Béatrice Schuchardt
La route de Luc Vidal comme récit de voyage hippie
devenir dangereuse à cause du manque d’eau et de nourriture, le narrateur envisage
la prière comme dernier recours. En fin de compte, le geste introspectif de la prière
déclenche un processus rationnel qui lui révèle la vanité de son errance, hypothéquée
par sa faible capacité d’endurance et son égoïsme.
Et ainsi, désespéré, le cœur plein de larmes, tout en marchant péniblement, je
me tourne peu à peu vers dieu. Il doit bien rigoler. Je mène une vie disparate, je
vagabonde égoïstement sans jamais accepter de souffrir un peu pour vivre, et
maintenant que je suis dans la merde jusqu’au cou, je lui demande de m’aider.
[…] Donc, le-bon-dieu-père-qui-est-dans-les-cieux […] je te le demande: sorsnous de ce bousier. (LR 109)
§37
La mort menaçant, l’expérience d’une présence ‘divine’ encore vague à la vue du
coucher de soleil aboutit alors à une orientation vers le personnage concret d’un Dieu
créateur. La paix qui s’empare de Luc le lendemain – paix atypique selon lui, “cette
paix qui m’a pénétré, […] quelque chose en dehors de moi” (LR 114) – constitue
désormais pour lui la preuve de l’existence de Dieu. Sa conviction s’affermit
davantage plus loin sur la route, lorsqu’il interprète le temple hindou “ChangenMary” comme une indication divine de la Vierge et donc comme une révélation
(ibid.). Dans ce contexte, la symbolique de sa propre culture chrétienne et occidentale
supplante la symbolique étrangère de l’hindouisme et exclut toute autre
interprétation du nom provenant de la culture étrangère. Le discours narratif
authentifie ainsi la propre expérience du salut et l’intègre dans le paysage déjà perçu
comme authentique. Cette appropriation discursive de la culture étrangère contraste
fortement avec l’ouverture d’esprit spirituelle que la culture hippie préconisait
comme postulat central du mouvement. Elle permet pourtant au narrateur de
sublimer son expérience physique limite menaçante dans un acte chrétien connu.
§38
Plutôt que la fascination du mouvement hippie pour les religions d’Extrême-Orient
qu’avait déclenchée surtout le voyage en Inde des Beatles43, c’est sa propre religion
chrétienne qui, en fin de compte, permet à Luc de renoncer au quotidien
apparemment vain de la société occidentale industrialisée : le narrateur trouve refuge
chez la communauté chrétienne de Loppiano (LR 209).
§39
La sérénité des moines bouddhistes qu’il avait rencontrés au début de son séjour au
Népal avait fasciné le narrateur, l’incitant dans un premier temps à trouver le
bouddhisme beaucoup plus attrayant que la religion chrétienne. Avant tout en raison
d’une différence de mentalité: contrairement à la culture occidentale, la culture
orientale affiche une attitude plus ‘positive’ vis-à-vis de la vie. La Comtesse de
Gasparin, orientaliste du XIXe siècle, avait elle aussi noté ce fait en observant des
musulmans à Constantinople :
[…] le Turc […], il marche vite, il parle vite, il est affairé comme nous;
seulement, ni tumultes ni querelles. Le musulman ne se fâche pas, il ne vocifère
point […]; pas une de ces notes aiguës et choquantes par où nos foules se
réjouissent ne vient déchirer les oreilles. Où trouver un autre peuple civilisé qui
se sèvre des bourrades et s’abstienne des imprécations?44
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Béatrice Schuchardt
§40
La route de Luc Vidal comme récit de voyage hippie
Luc fait des observations analogues au sujet des moines népalais :
[…] un petit groupe des hippies se passent la pipe autour d’un moine qui
semble leur enseigner quelque pratique mystique et mystérieuse. Une très
grande paix règne en cet endroit. Je me sens bien, calme, heureux. Deux
couples de pèlerins surgissent au sommet des escaliers. Aussitôt, ils s’inclinent
devant la première niche où un bouddha les accueille. […] Tout ceci se passe
dans une ambiance joyeuse qui contraste énormément avec les têtes
d’enterrement des pénitents, là-bas en Occident. (LR 76)
Le stéréotype culturel et la gendérisation : le tchador
§41
Selon les études sur la littérature du voyage en Orient du XIXe siècle (Stemmler entre
autres), des auteurs comme Pierre Loti, Alphonse de Lamartine, Gustave Flaubert et
Gérard de Nerval concevaient l’Orient comme à la fois archaïque, barbare, érotique et
dissimulé de manière mystique. La présentation de l’Orient dans la littérature
oscillait entre deux extrêmes : le voile et le dévoilement45. Le tchador constituait le
motif central sur le plan de ces topiques. L’intérêt suscité par le tchador – qui, selon
les auteurs-voyageurs du XIXe siècle, indiquait apparemment la position sociale des
femmes dans les régions visitées – est également un motif du récit de voyage hippie
de Vidal. Comme chez ses illustres prédécesseurs, l’intérêt qu’il témoigne pour le
tchador est inspiré tantôt par le stéréotype négatif de la misogynie des cultures
orientales, tantôt par le stéréotype positif de la beauté particulière des femmes
asiatiques que les voyageurs européens sont curieux d’entrevoir derrière l’écran
protecteur du tchador.
§42
En parcourant la Turquie en train, le narrateur note que l’aspect des gens du pays est
“folklorique et amusant” (LR 20). Son regard inconsciemment eurocentriste et
méprisant jauge les traditions vestimentaires à l’aune de sa propre culture. Ceci
également va à l’encontre de l’éthique hippie prônant l’ouverture d’esprit sur le plan
culturel, d’autant qu’il sait que les femmes turques sont tenues de respecter et
supporter cette tenue vestimentaire, qui leur est plus ou moins imposée. Il est autant
intrigué par les voiles des femmes qu’il est fasciné par l’attrait de leurs extrémités
visibles. Fidèle à son regard occidental, le narrateur insiste sur le fait qu’il s’agit d’une
mode peu attrayante, car les multiples couches de vêtements rendent les femmes
“boulottes” :
[…] les femmes portent – ou supportent – un amas d’habits, synthèse de la
tradition et du modernisme : toujours un pantalon, soit le collant noir, soit le
bouffant gracieux et coloré ; puis, par-dessus, une robe qui tombe à mi-mollet ;
plusieurs jaquettes de laine fine, les unes par-dessus les autres ; un foulard
autour du cou, un autre sur les cheveux, et parfois encore un sur le visage. Tous
ces vêtements leur donnent l’air assez boulotte [sic], mais quand je remarque
les chevilles et les poignets fins et délicats, je révise mon jugement et le garde
en suspens, au bénéfice du doute. (LR 20)
Le doute que le narrateur émet au sujet de l’attrait des femmes décrites indique en
même temps son attitude sceptique vis-à-vis de la coutume turque du voile.
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Béatrice Schuchardt
La route de Luc Vidal comme récit de voyage hippie
§43
Le narrateur raconte également un épisode lors duquel il offre du chocolat à un jeune
couple turc et s’attire le mécontentement du mari en adressant la parole directement
à l’épouse (LR 21). Il reproduit ainsi le stéréotype orientaliste par excellence: la
femme orientale jalousement surveillée par son mari, stéréotype que l’on trouve
également chez les auteurs du XIXe siècle comme Loti et Nerval sous forme des
motifs du harem et du tchador.
§44
Pour Luc aussi, le tchador est le signe distinctif d’une identité perçue comme
essentielle de l’Orient, identité religieuse avant tout. Sur la base de ce cliché, il
conclut que les femmes non voilées qu’il rencontre ne pouvaient être des femmes
musulmanes (LR 33). Aux yeux du hippie en voyage, le tchador et la soumission
supposée de la femme orientale au système islamique présumé misogyne-patriarcal
deviennent donc l’association métonymique46 d’une identité culturelle censée être
commune à tous les pays d’un Orient que les orientalistes supposent homogène sur le
plan culturel et religieux. Au cours de son voyage en Afghanistan, le narrateur se croit
ainsi obligé d’attirer l’attention sur le fait que les hommes avaient adopté les
vêtements européens – ce qui dénoterait une attitude apparemment progressiste –,
mais il souligne en même temps leur attitude conservatrice quant aux vêtements des
femmes :
Des femmes, par contre, on ne voit qu’un grand morceau de tissu plissé (…) qui
les recouvre intégralement avec à peine quelques trous en grillage devant les
yeux pour leur permettre d’y voir. (LR 35)
§45
L’on sent poindre la frustration voyeuriste du narrateur qui se sait regardé par une
femme, sans qu’il puisse la dévisager lui-même. Cette même frustration caractérise
les récits de voyage orientalistes du XIXe siècle47. La dichotomie entre l’Orient et
l’Occident au sujet du voile ou de son absence étant fortement ancrée dans la pensée
du narrateur, Luc est d’autant plus perplexe lorsque sur le campus universitaire de
Kaboul il ne croise pas de femmes voilées, ce qui ne manque pas d’ébranler sa vision
binaire des normes culturelles (LR 47).
Bilan : Le récit de voyage hippie et son public – un récit circulaire?
§46
Luc entreprend la recherche d’un univers inconnu, ce qui à la fin du voyage aboutira à
la découverte de soi et à une valorisation culturelle et religieuse personnelle. Par
ailleurs, c’est précisément un séjour dans l’Himalaya qui déclenche cette
redécouverte de sa propre personnalité par le biais de la foi chrétienne. Voilà bien
deux indices de la structure cyclique récurrente dans le genre du récit de voyage,
comme Ottmar Ette l’avait déjà observé. A l’avis d’Ette, bien qu’il recherche une
expérience d’altérité, le voyageur se trouve souvent ramené “à soi-même et à ses élans
intimes” et, partant, à sa propre culture lorsqu’il se trouve confronté “aux espaces
déserts où s’accomplit/se réalise l’expérience de la nature”48.
§47
Simultanément s’opère un double déplacement, initié surtout par l’expérience de
Dieu faite dans l’Himalaya. Il est dû tant à la remise en question de sa propre errance
comme forme d’existence vaine qu’à l’abandon de cette dernière à la fin du récit de
voyage. Abandon qui constitue en même temps un ‘retour’. Le récit suit donc une fois
de plus une structure cyclique. Après avoir tenté en vain de s’acclimater au milieu
bourgeois de sa famille strasbourgeoise, Luc part se réfugier dans une communauté
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Béatrice Schuchardt
La route de Luc Vidal comme récit de voyage hippie
chrétienne implantée à Loppiano, un bourg italien. Il abandonne donc la société
bourgeoise pour y replonger peu après : la communauté catholique de Loppiano
présente les bases morales et religieuses de la société française en même temps que la
structure égalitaire d’une commune régie par la culture hippie. La boucle est donc
(doublement) bouclée. Le cercle constitue ainsi une structure
narrative et
symbolique centrale : une route étant censée réaliser une connexion linéaire entre
deux ou plusieurs points, cette structure cyclique ajoute une autre dimension au titre
du livre.
§48
Le public cible du roman La route était probablement composé de jeunes sympathisants ayant envie de voyager et qui, comme Luc, s’identifiaient avec la communauté
des hippies. Le texte même ne permet pas de vérifier dans quelle mesure ces jeunes
ont eu conscience des apories illustrées dans cet article et des violations discursives
tant de l’idéologie d’un voyage hippie que du postulat d’une ouverture d’esprit
impartiale vis-à-vis de toutes les cultures. Comme le texte de Vidal recourt à des
stéréotypes culturels et à des intertextes répandus en Europe (de longue date, comme
nous venons de l’illustrer) et que les jeunes ayant bénéficié d’une éducation
bourgeoise dans la classe moyenne doivent au moins en avoir eu des notions
rudimentaires, nous pouvons supposer que le récit comporte un important potentiel
d’identification pour les lecteurs de par les expériences (limites) décrites et le
scepticisme vis-à-vis d’autres comportements et modes de vie. Seule une poignée de
jeunes lecteurs auront relevé les contradictions internes du roman, tandis que les
idéologèmes de la culture hippie qu’il reproduit (attitude anti-bourgeoise, critique
expresse du capitalisme et refus de la culture de voyage bourgeoise avec son
économie du temps) auront emporté l’adhésion d’un large public.
§49
Quoi qu’il en soit, la préface avec le titre “Au lecteur” qui a été ajoutée par les éditions
Nouvelle Cité se réfère à la stratégie de l’authenticité fictive déjà pratiquée dans le
roman du Siècle des Lumières :
Il est d’usage de lire au début d’un livre cette formule : “les personnes de ce
récit sont purement imaginaires [,] toute ressemblance avec des personnes
existantes ou ayant existé ne peut être que fortuite”. Il n’en va pas ainsi pour
l’histoire que Luc raconte.
§50
Par ce stratagème qui ne cesse d’affirmer la véracité de la fiction, on s’adresse
implicitement à un public qui désire puiser dans les expériences vécues d’un auteur
qui a voyagé, ou bien les comparer à ses propres expériences. On s’adresse donc à un
public ayant fait ou projetant de faire un voyage similaire à celui de l’auteur pour des
raisons similaires, notamment la frustration provoquée par la génération des parents,
leur culture et leur style de vie. Cet élément pourrait corroborer l’hypothèse selon
laquelle le livre serait destiné à d’autres hippies ou à ceux qui voyagent comme des
hippies. Le fait que le récit de Vidal soit paru en allemand aussi bien qu’en italien
(bien qu’il ne s’agisse que d’un petit tirage de 1 000 à 5 000 exemplaires) laisse
toutefois supposer qu’il s’adresse à un lectorat européen au sein de la culture hippie
et qu’il existe un intérêt international pour le récit de voyage hippie en tant que
genre.
§51
Admettons la validité de l’assertion susmentionnée de Benedict Anderson : l’autoreprésentation collective des communautés imaginaires se réalise par le biais des
médias populaires. Le récit de voyage hippie de Vidal illustre un phénomène similaire
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Béatrice Schuchardt
La route de Luc Vidal comme récit de voyage hippie
lorsqu’il parle de la communauté imaginaire des hippies européens dans le roman,
qui fait partie des médias populaires. Notre analyse exemplaire du sous-genre du
récit de voyage hippie laisse supposer que l’on parvenait à inciter le lectorat à
s’identifier au genre en recourant à des intertextes et visions culturels et historiques
répandus et à la reproduction d’idéologèmes centraux de ce mouvement de culture
juvénile. Cette identification passait outre aux ruptures discursives, car celles-ci
avaient constitué un élément fixe et inconscient de la propre pratique culturelle des
hippies et de la génération de leurs parents. Dans ce sens, le récit de Vidal constitue
un récit circulaire au sens propre du terme : on revient aux valeurs et au canon
éducatif de la génération des parents qu’on désirait abandonner pour toujours.
Béatrice Schuchardt
Université de Siegen (Allemagne)
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A ce sujet, Gilcher-Holtey attire expressément l’attention sur le fait que le mouvement des 68ards
“n’était pas un mouvement d’étudiants”. Quand bien même ses “responsables et mobilisés [...]
auraient été des étudiants et élèves pour la plupart”, le mouvement se distinguait par la “diversité des
groupes de responsables”. (“Mai 68 in Frankreich”, in Ingrid Gilcher-Holtey (éd.), 1968. Vom
Ereignis zum Mythos, Frankfurt a.M., Suhrkamp Verlag 2008, p. 19, ma traduction).
A propos du voyage comme découverte de soi voir aussi Olivier Rolin, Tigre en papier, Paris, 2002,
où le tour nocturne du protagoniste Martin sur le périphérique parisien l’incite à l’auto-analyse.
Rory MacLean, Magic Bus. On the Hippie Trail from Istanbul to India, London, Penguin Books,
2007, p. 205 sv.
Gilcher-Holtey (op. cit.) mentionne à ce sujet : “Le mouvement des 68ards [...] était antiautoritaire et
individualiste ; il était libertaire et socialiste ; démocratique, anti-institutionnel et antibureaucratique.”
Au sujet des US, Scott MacFarlane souligne la haute perméabilité du mouvement hippie en tant que
contre-culture américaine : “[…] people moved back and forth between the mainstream and the
counterculture as though the boundary was a membrane” (Scott MacFarlane, The Hippie Narrative.
A Literary Perspective on the Counterculture, North Carolina, Jefferson, 2007, p. 16).
Laurent Chollet, “Le LSD, les hippies et la Californie”, in: Philippe Artières/Michelle ZancariniFournel (éds.), 68. Une histoire collective 1962-1981, Paris, La Découverte, 2008, p. 84). Mentionner
l’année 1967 comme année de l’arrivée des idées du mouvement hippie signifie la situer relativement
tard. Il convient de dater le début de la propagation du mouvement en Europe un peu avant 1967 .
Au sujet du style vestimentaire des hippies, voir aussi Paul Willis, “Profane Culture”: Rocker,
Hippies – Subversive Stile in der Jugendkultur, Frankfurt a.M., Syndikat, 1981, p. 126 sv.
Laurent Chollet, “Le LSD, les hippies et la Californie”, art. cité, p. 83.
Et voici une autre définition du hippie : “The true hippie believes in works for truth, generosity,
peace, love, and tolerance. The messengers of sanity in a world filled with greed, intolerance, and
war.” (John Bassett McCleary, The Hippie Dictionary, Berkeley/California, Ten Speed Press, 2004,
p. 246 sv.)
MacFarlane souligne donc l’existence d’une méfiance intérieure basée sur un décalage social des
membres plus radicaux du mouvement par rapport aux ‘hippies tendance’ et cite à sujet Emmet
Grogan, un des leaders de la compagnie de théâtre guérilla “The Diggers” de San Francisco. Ce
dernier critique l’emploi abusif du mouvement hippie en tant que ‘terrain d’aventures’ d’une
jeunesse frustrée issue de la classe moyenne : “[…] here are these creepy longhaired punks who grew
up with meat at every meal and backyards to play and the kind of education which is prayed to God
for […]; you [the hippies] ‘re still the children of the ruling classes, whether you like it or not., […]
you’re just having an adventure – an adventure in poverty […]” (op. cit., p. 17 sv.)
Scott MacFarlane, ibid., p. 16.
Lewis Yablonsky, The Hippie Trip, New York, iUniverse, 1968, p. 290.
Benedict Anderson, Imagined Communities: Reflections on the Origin and Spread of Nationalism,
London, Verso, 1983.
Luc Vidal, La route – mon journal de hippy, Paris, Nouvelle Cité, 1974. Les références à cet ouvrage
se feront désormais par l’abréviation LR suivie du numéro de la page.
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Laurent Chollet, “La route du Népal: la grande migration hippie”, in: Philippe Artières/Michelle
Zancarini-Fournel (éds.), 68. Une histoire collective 1962-1981, Paris, LA Découverte, 2008, p. 504
Paul Willis, op. cit., p. 26.
Par contre, MacFarlane fait la différence – au moins en ce qui concerne les États-Unis – entre
l’époque hippie, qu’il appelle aussi counterculture (contre-culture), et l’époque beat puisqu’il
considère les deux comme des phénomènes successifs : “[…] the Beat movement had waned by the
early 1960’s and was not contemporaneous with the counterculture. […] Though Beat philosophy […]
highly influenced the counterculture, the counterculture supplanted the Beat movement” (Scott
MacFarlane, op. cit., p. 10). Bien que MacFarlane insiste d’une part sur le fait que “the Beat
movement and the hippie phenomenon shared the same archetype, […] a Dionysian, or Bacchanalian
mode of response” (ibid.), il souligne dans la même mesure que “the hippie outlook was more
utopian and collectivist than the Beat movement […] [insofar as the] counterculture was far more
pervasive, politicized, and diffuse […]. The Beats were at the cutting edge of fighting government
attempts at censorship, but the hippies were much more a direct focus of mainstream derision and
significant public opposition and persecution” (ibid., p. 13).
“La beat generation réhabilite l’esprit et la revendication de l’autonomie des tramps (vagabond,
chemineau, voire clochard volontaire) et des hobos (vagabonds plus ou moins resquilleurs) de la
Grande Dépression Américaine.” (Laurent Chollet, “La route du Népal”, art. cité, p. 501)
Selon la définition qu’en donne Le Nouveau Petit Robert, Montréal, 1993, p. 2353.
Voir Paul Willis, op. cit., p. 25, ma traduction.
Dans le contexte de son lexique hippie, Symolka définit les happenings comme des “actions
communes créatives” qui aboutissent souvent à un “chaos créatif” et présentent des dimensions
parfois “sexuelles” ou “politiques” (Michael G. Symolka, Hippie-Lexikon, Berlin, Schwarzkopf, 1999,
p. 147 ; ma traduction).
André Brugiroux, La terre n’est qu’un seul pays, Paris, Robert Laffont, 1975, <Vécu>, p. 15.
Voir Natascha Ueckmann, Frauen und Orientalismus. Reisetexte französischer Autorinnen des 19.
und 20. Jahrhunderts, Stuttgart, Metzler, 2001.
Paul Willis, op. cit., p. 123, ma traduction de la version allemande. Voir aussi Hans-Joachim Althaus,
Bürgerliche Wanderlust. Anmerkungen zur Entstehung eines Kultur- und Bewegungsmusters, in:
Wolfgang Albrecht & Hans-Joachim Kertscher (éds.), Wanderzwang – Wanderlust, Tübingen, Max
Niemeyer Verlag, 2001, p. 29.
Il est évident qu’on rencontre la 2CV comme voiture préférée pour l’auto-stop chez Brugiroux aussi
(op. cit., p. 14).
“Jack Kerouac’s On the Road […] follows a traditional narrative arc, and, though the lingo and
lifestyle are Bohemian, the world is rendered through a depiction of conventional realism” (Scott
MacFarlane, op. cit., p. 19).
Rory MacLean, op. cit., p. 247.
MacLean parle des “Intrepids” en employant le terme comme synonyme pour “the kids who adopted
the trail in the 1960s.” (ibid., p. 205 sv.). Par contre, Chollet attire l’attention sur l’influence décisive
du mouvement beat antérieur pour ce qui est du goût du voyage et des destinations des hippies : “Le
goût pour l’errance manifesté par les beatniks se transforme chez les hippies en passion pour les
voyages en long cours: ce sont les premiers qui ont ouvert la route de Goa et de Katmandou mais ce
sont les seconds qui l’empruntent massivement. […] En 1964, un hippie, attiré par la vente de
haschisch, franchit la frontière népalaise” (Laurent Chollet, “La route du Népal”, op. cit., p. 503 sv.).
Cf. MacLean aussi (op. cit., p. 6) qui qualifie la piste comme “critical cultural highway”.
Voir LR 51. Au sujet du col de Khyber cf. aussi MacLean : “Through it marched armies of Greek,
Buddhists and Mughals, carrying their banners high. The British followed them […].” (“Les armées
grecques, les bouddhistes et les musulmans en avaient foulé le sol en brandissant leurs bannières.
Les Anglais ont suivi leurs traces [...]”) (Rory MacLean, op. cit., p. 177).
Ces guides touristiques ont contribué de manière considérable au grand succès commercial des
maisons d’édition Routard (territoires francophones) et Lonely Planet (territoires anglophones)
fondées respectivement par Philippe Gloaguen et Tony Wheeler
Voir Julien Hage, “Sur les chemin du tiers monde en lutte: Partisans, révolution, Tricontinental
(1961-1973)”, in: Philippe Artières & Michelle Zancarini-Fournel (éds.), 68. Une histoire collective
1962-1981, Paris 2008, p. 87.
Yablonsky (op. cit., p. 307 sv.) avait déjà thématisé de telles contradictions au sujet du mouvement
hippie américain. Sur le credo hippie de la non-violence et les voies de fait quotidiens dans les
communes hippies américaines, voir aussi Robert Frank, “1968 – ein Mythos”, in Ingrid GilcherHoltey (éd.), 1968. Vom Ereignis zum Mythos, op. cit., p. 404) qui traite de la construction
rétrospective mnémonique d’un mai 68 pacifique.
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La route de Luc Vidal comme récit de voyage hippie
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Selon Lowe, la morale sexuelle rigoureuse de l’époque de l’industrialisation explique les tendances
escapistes qui dans les récits de voyage du XIXe siècle se traduisent avant tout par la conception de
l’Orient en tant qu’ ‘Autre féminité’ : “The projection of the oriental Other as female is a figuration of
19th-century social and political crises in sexual language and rhetoric – the crisis of authority in the
instability of monarchy, the crisis of class hierarchy in a bourgeois age, the crises of family, gender,
and social structure in an age of rapid industrialization, urbanization, emigration and immigration,
and social change” (Lisa Lowe, “The Orient as Woman in Flaubert’s Salammbô and Voyage en
Orient”, in: Comparative Literature Studies 23: 1, 1986, p. 45).
Luc note à ce sujet : “C’est vrai qu’une ville orientale qui se civilise à l’occidentale y perd tout son
pittoresque” (LR 30).
Chaque fois de nouveau, on a l’impression qu’un voyage en Orient est à même de ramener les
intéressés aux temps mythiques de l’Antiquité ou du Moyen Âge. Voir Jean-Claude Berchet (éd.), Le
voyage en Orient. Anthologie des voyageurs français dans le levant au XIXe siècle, Paris, Robert
Laffont, 2005, p. 559 et 569 [Gasparin] ; 454 et 460 [Lamartine] ; 858 sv. [Nerval].
Laurent Chollet, “La route du Népal”, art. cité, p. 504.
37
Jean-Claude Berchet (éd.), Le voyage en Orient, op. cit., p. 580.
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On trouve des descriptions illustrant la fascination exercée par le spectacle des somptueuses couleurs
des levers et couchers de soleil en Turquie et en Égypte chez Loti, Nerval, Lamartine, Gasparin,
Flaubert et autres (Jean-Claude Berchet (éd.), Le voyage en Orient, op. cit., p. 583 ; 876 ; 460 sv. ;
551, 559 ; 912, 915).
Christian Moser & Helmut J. Schneider, “Einleitung. Zur Kulturgeschichte des Spaziergangs”, in: Ch.
Moser & H.J. Schneider & Axel Gellhaus (éds.), Kopflandschaften – Landschaftsgänge: Kulturgeschichte und Poetik des Spaziergangs, Köln / Weimar, Böhlau Verlag 2007, p. 9.
Jean-Jacques Rousseau, Les Confessions, cité dans Moser & Schneider, op. cit., p. 7.
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Dans ce contexte, Moser & Schneider (op. cit., p. 9) aussi renvoient à l’analogie entre la marche et
l’écriture ou encore la marche et la lecture récurrente dans la littérature et la culture européennes.
Florian Henke, Topografien des Bewusstseins. Großstadtwahrnehmung, Erinnerung und
Imagination in der französischen Literatur seit Baudelaire, Freiburg 2005, p. 88 (ma traduction) ;
url: http://www.freidok.de/volltexte/2204/pdf/ Henke_Topografien_011412.pdf.
Rory MacLean, op. cit., p. 208 sv.
Jean-Claude Berchet (éd.), Le voyage en Orient, op. cit., p. 552.
Susanne Stemmler, Topografien des Blicks. Eine Phänomenologie literarischer Orientalismen des
19. Jahrhunderts, Bielefeld, Transcript Verlag, 2004, p. 49 sv.
Dans son étude (Women and Gender in Islam: Historical Roots of a Modern Debate, New Haven,
Yale University Press, 1992), Leila Ahmed a illustré que des constantes misogynes étaient présentes
dès le début dans le christianisme, le judaïsme et les rites religieux locaux des tribus arabes bien
avant l’islamisation déjà. Selon Ahmed, une des caractéristiques fondamentales de la conquête
islamique est le fait que les coutumes des territoires occupés ont été reprises dans une large mesure.
Susanne Stemmler, op. cit., p. 101 sv.
Ottmar Ette, Literatur in Bewegung, Weilerswist, Velbrück Verlag, 2001, p. 70 ; ma traduction.
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