Musique à la télévision : état des lieux et attentes des acteurs

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Musique à la télévision : état des lieux et attentes des acteurs
MUSIQUE À LA TÉLÉVISION : ÉTATS DES LIEUX
ET ATTENTES DES ACTEURS DU MARCHÉ
Par Florian BREJON
Étudiant de l’IREDIC à l’Université Paul Cézanne Aix-Marseille III
Le 6 janvier dernier, Véronique Cayla a remis son rapport sur les relations entre
les télédiffuseurs et la filière musicale à Renaud Donnedieu de Vabres, ministre
de la culture et de la communication. Elle a animé pendant le premier semestre
2004 un groupe de travail qui a réuni des professionnels de la filière musicale et
de l’audiovisuel afin de se concerter sur un certain nombre de thèmes. Ainsi, ont
été évoqués la diffusion de la musique sur les chaînes de télévision (service
public et chaînes privées), la promotion de la diversité musicale dans les
programmes, la clarification des relations entre les télédiffuseurs et les
producteurs et la transparence des pratiques commerciales, l’accès à la diffusion
dans le respect des règles du droit de la concurrence, enfin l’aide au financement
des DVD musicaux.
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Les télédiffuseurs (totalité des chaînes hertziennes publiques et privées ainsi
que certains services câblo-satellitaires), la filière musicale (sociétés civiles et
syndicats représentant les auteurs, artistes interprètes, éditeurs et producteurs) et
les administrations concernées ont débattu, exposé leurs points de vue respectifs
sur la situation actuelle et proposé leurs solutions.
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Dans un contexte marqué par une crise profonde du disque en France
,
l’examen du rôle que jouent les chaînes de télévision en la matière semble
intéressant. Cela implique une étude précise quant à la façon dont la musique est
exposée à la télévision d’une part, et quant aux conséquences des phénomènes
de concentration entre activités de télédiffusion et de production musicale
d’autre part.
En premier lieu, le problème de la diversité de l’offre musicale à la télévision
fait l’objet de nombreuses inquiétudes, de la part du monde de la musique
principalement mais pas uniquement. C’est pourquoi, le ministre de la Culture et
de la Communication demande en octobre 2002 au Conseil Supérieur de
l’Audiovisuel (CSA) la réalisation d’une étude en la matière. Cela aboutit, fin
2002-début 2003, à l’étude sur « les relations entre TF1 et Métropole Télévision
et la production phonographique ». Par la suite, en 2003, le ministre va solliciter
Véronique Cayla afin que la diversité musicale à la télévision soit étudiée
spécifiquement. Dans sa lettre de mission, le ministre rappelle son attachement à
la « promotion de la qualité et de la diversité de l’offre musicale » et établit deux
objectifs de diagnostic et d’élaboration de propositions quant à l’exposition de la
musique à la télévision ainsi qu’à l’évolution des relations entre les
télédiffuseurs et les maisons de disques. Outre l’état des lieux à réaliser, le
ministre précise que le groupe de travail doit, à court terme, favoriser la
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Le marché français du disque a clos l’année 2004 par une baisse de 14,3% en valeur (chiffre
d’affaires) et de 10,2% en volume (unités), soit une baisse en valeur de 27% sur les deux
dernières années.
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conclusion d’un accord interprofessionnel entre les différents protagonistes afin
que soit assurée la promotion de la diversité musicale à la télévision.
Le rapport n’a pas pour objet de faire un simple état des lieux de la présence de
la musique à la télévision assorti de préconisations car cela a déjà été réalisé
dans d’autres études, notamment depuis 2000. Il s’agit dans un premier temps de
parvenir à un « diagnostic partagé » entre les représentants de la filière musicale
et des télédiffuseurs, et à partir de cela, de mettre en place dans un second temps
un accord interprofessionnel cadre.
La mise en place de ce groupe de travail a été d’autant plus souhaitée que le
contexte de l’hiver 2003-2004 a été difficile pour la production phonographique
qui a subi (et continue d’ailleurs à subir), entre autres, l’augmentation de la
piraterie, la baisse des ventes, la baisse des investissements publicitaires, les
mouvements de concentration et la réduction du nombre de labels et de contrats
d’artistes.
La présente étude exposera d’abord l’état des lieux relatif à l’exposition de la
musique à la télévision française ainsi que les problèmes qui en découlent (§1).
Dans un second temps, les attentes des télédiffuseurs et de la filière musicale
seront présentées (§2).
§1. ÉTAT DES LIEUX DE L’EXPOSITION DE LA
MUSIQUE À LA TÉLÉVISION
Cette première partie présentera l’exposition de la musique à la télévision à
travers son aspect quantitatif par l’étude de la Lettre du CSA n°179 (A), tandis
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que son aspect qualitatif fera principalement référence au rapport de Véronique
Cayla (A).
A. APPROCHE QUANTITATIVE
La Lettre du CSA de décembre 2004, publiée le 7 janvier 2005, s’intéresse à la
musique à la télévision et à la radio. Nous ne nous intéresserons dans le présent
paragraphe qu’à la dimension télévisuelle de ce dossier d’actualité.
L’étude couvre les années 2002 et 2003. Certains principes d’analyse méritent
d’être précisés. L’offre musicale des chaînes prise en compte concerne : les
concerts, les spectacles musicaux, les spectacles lyriques (retransmissions et
adaptations), les spectacles chorégraphiques (retransmissions et adaptations), les
émissions de variétés et de divertissements à composante musicale, les
magazines et les documentaires musicaux. Les divertissements à caractère
musical, relevant de genres télévisuels différents, n’ont pas été pris en compte.
Cependant, au sein du jeu Star Academy (TF1) ont été prises en considération
les premières parties de soirée du samedi donnant lieu à interprétation d’artistes
en plateau sur le modèle des émissions de variétés traditionnelles. Le même
raisonnement a abouti à la prise en compte dans l’offre musicale du jeu À la
recherche de la nouvelle star (M6).
Concernant la catégorie « musique classique, jazz », le lyrique (récitals et
opéras), les musiques traditionnelles et les musiques du monde sont inclus en
plus du jazz et de la musique classique.
Concernant la catégorie « musiques actuelles », on a englobé le rock, le rap, la
techno, la dance, etc. , mais aussi les variétés, françaises et internationales.
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Il convient enfin de préciser que les rubriques culturelles de certaines
émissions couvrant également l’actualité musicale ou les interventions d’artistes
dans des émissions non musicales n’ont pas été comptabilisées dans l’analyse.
De façon générale, le premier constat que l’on peut dresser est qu’il existe une
grande diversité des genres de programmes télévisés relatifs à la musique, tous
répertoires confondus, avec des concerts, spectacles musicaux, vidéomusiques
(ou vidéo-clips), divertissements musicaux ou à composante musicale,
documentaires et magazines, spectacles lyriques et chorégraphiques. Ensuite, on
peut s’apercevoir que dans un contexte marqué par un encadrement
conventionnel et réglementaire précis de l’offre musicale des principales chaînes
hertziennes nationales, les chaînes privées se sont servies de l’engouement pour
la télé réalité pour en faire des émissions de divertissement de première partie de
soirée, et ce depuis 2001. Les artistes qui font l’objet de ce type d’émission sont
souvent suivis par les familles et jouent donc le rôle d’artistes fédérateurs que
recherchent les chaînes. En revanche, les chaînes publiques ne rentrent pas dans
cette politique de programmation et privilégient une offre musicale différente, et
sur d’autres créneaux horaires.
Quant au câble et au satellite, les chaînes conventionnées consacrées à la
musique sont au nombre de onze en 2002 et représentent 17% de l’ensemble des
services du câble et du satellite conventionnés ayant fait l’objet d’un bilan de
leur activité par le CSA. Le positionnement de ce nombre non négligeable de
chaînes participe beaucoup à la diversité musicale à la télévision. Seule la
thématique cinématographique est plus représentée au sein du paysage
audiovisuel de complément.
Ainsi, l’offre musicale à la télévision représente entre 2002 et 2003 7,6 % de
l’ensemble des programmes diffusés par les chaînes. Ce chiffre marque une
certaine stabilité de l’exposition de la musique qui ne rend pas compte de
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certaines tendances constatées et qu’il convient de préciser, à savoir les
différences existantes entre l’offre des chaînes privées et celle des chaînes
publiques, ou entre l’offre de musique interprétée et celle de magazines et de
documentaires.
L’offre musicale a quantitativement augmenté sur les chaînes du service
public, mais précisons que la forte hausse de France 2 masque une baisse pour
chacune des autres chaînes du groupe France Télévisions. Quant aux chaînes
privées, leur offre musicale baisse en volume horaire en raison d’une forte
diminution de M6, malgré la croissance de l’offre de TF1.
Si on s’intéresse au contenu de l’offre, celle des chaînes privées diminue en
matière de musiques « classique, jazz, traditionnelle » en raison exclusivement
d’une diminution nette de l’offre de jazz sur M6. La diminution du volume
horaire des musiques actuelles est principalement due à une baisse sur M6
(moins de concerts et de vidéo-clips diffusés). Canal+ a pour sa part encore
réduit son offre de concerts entre 2002 et 2003 et a cessé de diffuser des vidéoclips. Toutefois, les magazines et les documentaires musicaux ont augmenté en
volume horaire, en raison d’un quasi doublement de l’offre par TF1.
Le service public a quant à lui quantitativement mieux exposé l’ensemble des
courants musicaux considérés en 2003 qu’en 2002, surtout les musiques
actuelles. Globalement, ARTE a amélioré son offre de musiques « classique,
jazz, traditionnelle » alors que France 2 a augmenté son offre de musiques
actuelles. Par contre, France 3 voit son offre de musiques actuelles divisée par
deux, étant donné qu’en 2002 la chaîne avait proposé de nombreux programmes
en hommage à des artistes décédés. Les documentaires et magazines musicaux
sur le service public ont également été moins nombreux en 2003, sauf sur
France 2. En la matière, ARTE a proposé beaucoup moins de soirées Théma
consacrées à la diffusion de documentaires musicaux.
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Si on se focalise sur l’exposition des genres musicaux, on s’aperçoit qu’il
existe une importante différence entre les musiques actuelles et les musiques
« classique, jazz et traditionnelle ». Pour ce qui est de la seconde catégorie, seule
ARTE lui ouvre son antenne « diurne », les autres chaînes se bornant à la
diffuser la nuit ou au petit matin. Cela s’explique par le fait qu’il s’agit pour ces
chaînes d’une « programmation contrainte » qui doit beaucoup au respect des
obligations réglementaires et qui recueille une faible audience, sans comparaison
avec celle des émissions musicales diffusées en première partie de soirée.
Malgré tout, ces genres musicaux souvent plus anciens ne sont pas à négliger car
ils sont l’objet d’une forte fréquentation des salles de spectacle.
Évidemment, la situation est différente pour les musiques actuelles qui sont
diffusées à des plages horaires beaucoup plus étendues dans la journée, surtout
la plage stratégique de la première partie de soirée lors de laquelle le public est
le plus disponible. En général, la diffusion correspond à une volonté de
promotion d’une activité discographique ou d’une tournée, et, plus rarement, à
des concerts autour d’artistes fédérateurs. Il convient de préciser que cela
concerne les musiques actuelles dites « grand public », et non des genres inclus
dans cette catégorie mais plus spécialisés comme la techno ou la musique electro
par exemple. Il est dommage que les chaînes hertziennes ne prennent pas plus de
risque, notamment en deuxième partie de soirée ou la contrainte de l’audience
est plus faible. Concernant les émissions de divertissements de première partie
de soirée, on a assisté depuis 2000 à un renouveau. Jusqu’en 1990, les émissions
de variétés étaient incontournables sur les chaînes hertziennes puis à partir de
cette date, elles ont vécu une véritable traversée du désert pour des raisons
diverses comme l’effet de quotas dont elles étaient exclues, l’arrivée des reality
shows ou la segmentation des goûts du public après l’ouverture de la bande FM
en 1981. À partir de 2001, le développement de la télé réalité à dominante
musicale et l’engouement qu’elle a suscité auprès du public avec des émissions
comme Popstars (M6) et surtout Star Academy (TF1), ou plus récemment A la
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recherche de la Nouvelle Star (M6), ont permis de renouveler les
divertissements musicaux de première partie de soirée. Cela s’est encore vérifié
avec la multiplication des émissions « nostalgie » proposant des jeux et des
palmarès depuis peu.
Dès lors, il est intéressant de constater le paradoxe qui s’est opéré sur l’année
2003. En effet, cette année s’est traduite à la fois par le début de la crise
rencontrée par l’industrie du disque, ainsi que par une embellie en matière
d’exposition des musiques actuelles en télévision. La crise du disque n’a donc,
semble-t-il, pas fait sentir ses effets sur l’offre musicale télévisuelle. Toutefois,
cette analyse oublie de prendre en compte l’aspect qualitatif de cette offre. Nous
allons voir que la situation n’est pas si rose qu’elle en a l’air.
B. APPROCHE QUALITATIVE
La question de savoir en quelle quantité la musique est exposée à la télévision
est, certes, importante. Toutefois, la situation est faussée si la façon dont elle est
exposée est insatisfaisante. Dès lors, il s’agit de se poser les questions
suivantes : tous les genres sont-ils représentés ? À quels créneaux horaires ?
Dans quel contexte ?
Il convient donc à présent d’examiner l’exposition de la musique à la télévision
à travers sa dimension qualitative. Le rapport Cayla est très instructif en la
matière.
Comme nous l’avons déjà vu précédemment, depuis trois ans s’est opéré un
retour en force des émissions de variétés de première partie de soirée qui traduit
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un engouement particulier pour la chanson française. Cela étant dit, deux
concepts se sont développés lors de ces émissions : la télé réalité musicale et les
palmarès en tout genre teintés nostalgie. L’embellie n’est donc pas si importante
puisque même si ces émissions musicales sont en nombre, leur manque
d’originalité, les unes par rapport aux autres, laisse présager à terme une certaine
lassitude des téléspectateurs. Également, la filière musicale en conclut une
uniformisation de l’offre et un manque de participation de ces émissions au
renouvellement de la création musicale. Cela s’explique par l’existence de
contraintes d’audience pesant sur les chaînes, en première partie de soirée
surtout. Il existe ainsi une réticence quant à la diffusion de nouveauté, celle-ci
marquant la fuite du public sur les courbes d’audience. Les chaînes préfèrent
logiquement voir de jeunes artistes interpréter des reprises de titres connus par le
public au préalable, plutôt que de les voir jouer leurs propres répertoires.
Concernant la multiplication de classements en tout genre, cela crée un enjeu
retenant le téléspectateur devant son écran.
La télé réalité musicale est la grande nouveauté de ces dernières années et son
succès a eu un impact important tant sur l’offre musicale à la télévision que sur
le marché de la production et de la vente de disques. Elle a fait l’objet de vifs
débats entre les diffuseurs et les protagonistes de la filière musicale. Le concept
n’est globalement pas remis en question, alors que beaucoup imaginent le
contraire. Ce sont plutôt ses conséquences qui sont le centre des critiques. De
leur côté, les diffuseurs se réjouissent du succès de ces émissions qui ont
redonné du souffle à une offre de variétés françaises en crise les années
précédentes. Ils retrouvent des programmes porteurs et fédérateurs en termes
d’audience, mais estiment également que ce phénomène a favorisé un certain
renouveau du marché de la chanson française. Cela s’est traduit par
l’augmentation des ventes de singles, ou la récente attirance pour les écoles de
chant.Sur le fond, ils rappellent que la sélection de talents anonymes par le
public a toujours existé et que seuls les artistes qui parviendront à trouver un
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public indépendant de celui de la chaîne sur laquelle ils ont été découverts
perdureront. En matière de partenariats conclus par les chaînes à l’occasion de
ces émissions, les diffuseurs indiquent qu’ils font jouer la concurrence pour le
choix du producteur phonographique, avec une procédure d’appel d’offres au
préalable (sauf pour l’émission La Nouvelle Star car avant même l’achat des
droits par M6 existait déjà un contrat liant BMG et Fremantle). Aussi, les
contrats d’exclusivité des maisons de disques avec les artistes sont à durée
limitée (par exemple 18 mois pour un contrat entre Universal et un artiste
estampillé Star Academy).
Au sein de la filière musicale, certains acquiescent quant aux effets positifs
existants, mais d’autres craignent et dénoncent des effets pervers. Sont visés,
d’une part, le phénomène d’éviction (des écrans et des « bacs ») au détriment
des artistes cherchant à percer par les voies traditionnelles et des producteurs
indépendants, la place trop importante occupée dans la programmation des
chaînes par les émissions et les artistes de la télé réalité. D’autre part, on
dénonce la faible contribution au renouvellement de la création et le formatage
imposé des genres et des artistes, la modification des circuits traditionnels de
lancement d’un artiste au profit de la télévision mais aux dépens des
producteurs, et l’image faussée donnée de la carrière. Enfin, la durée du contrat
entre le diffuseur et le producteur phonographique est jugée excessive, tout
comme le blocage par le producteur des droits sur les artistes et sur un trop
grand nombre d’entre eux.
Face à cela, les diffuseurs nient le phénomène d’éviction en se basant sur le fait
que la part de la musique issue des émissions de télé réalité reste marginale par
rapport à la taille du marché du disque dans son ensemble. Ils nient aussi
l’éventualité d’un « formatage » étant donné la différence de personnalités des
artistes lauréats d’une promotion à l’autre. Enfin, les émissions de télé réalité ne
constituent qu’une voie supplémentaire et en aucun cas ne remettent en cause les
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circuits traditionnels. Tout le monde s’accorde cependant à dire qu’un
phénomène de réaction face à la télé réalité existe, bénéficiant à des artistes
« contre-exemples » qui sont à la fois auteurs, compositeurs et interprètes.
Par ailleurs, les diffuseurs comme les représentants de la filière musicale
s’accordent à dire que l’exposition musicale est meilleure tant quantitativement
que qualitativement. Les seconds cités souhaitent toutefois une évolution dans le
choix des horaires de certains genres, une plus grande diversité et une meilleure
exposition des nouveaux talents. Ils insistent également sur le fait que la
diversité musicale ne doit pas seulement passer par des retransmissions mais
aussi par des magazines et des documentaires.
Les chaînes du groupe France Télévisions font l’objet d’attentes plus
particulières en la matière, autour du débat entre une priorité soit pour des
émissions spécialisées dans la musique, soit pour la présence de musique dans
une grande diversité d’émissions. France Télévisions estime que les émissions
trop spécialisées ont tendance à constituer une sorte de « ghetto » inapproprié
pour accomplir sa mission de service public, à savoir toucher un public le plus
large possible. Quoi qu’il en soit, la filière musicale dans son ensemble souhaite
la création d’un magazine ouvert à tous les genres musicaux.
Même si les chaînes hertziennes sont logiquement l’objet de plus d’attention,
vu l’influence qu’elles ont sur le public, cela n’empêche pas la filière musicale
de porter un regard sur le câble et le satellite pour en critiquer les chaînes dont
l’impact est jugé encore insuffisant.
L’exposition des nouveaux talents est aussi un problème clé pour la filière
musicale. Une meilleure exposition des nouveaux talents permettrait de
diversifier l’offre musicale, de soutenir un renouvellement de la création ainsi
que le marché de la production, indépendante notamment. Les diffuseurs
estiment que la situation existe déjà sur leurs chaînes, ce dont on peut se
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permettre de douter. Les chaînes hertziennes pourraient prendre plus de risque,
par exemple en deuxième partie de soirée à la contrainte d’audience moindre.
Mais ces chaînes ont trop peur de « segmenter » le public par ce biais, elles
préfèrent diffuser des artistes fédérateurs c’est-à-dire formatés et se ressemblant
tous. La définition même de nouveaux talents est obscure, la seule existante est
celle fixée pour les « quotas radio »2. L’utilisation de cette définition réduirait
encore l’offre de nouveaux talents des chaînes. De façon générale, la filière
musicale souhaite que soient mieux étudiées les relations entre la scène, la
production et la médiatisation. La scène, c’est-à-dire les concerts et les festivals,
doit rester le lieu essentiel d’émergence des nouveaux artistes.
Dès lors, les artistes révélés par les émissions de télé réalité sont-ils de
nouveaux talents ? Il n’existe pas de véritable réponse. Les diffuseurs estiment
que c’est au public de trancher. Quoi qu’il en soit, la filière musicale subit la
modification de la chaîne habituelle des responsabilités dans le lancement d’une
carrière. En effet, les producteurs deviennent dépendants des télévisions, et les
jeunes artistes professionnels travaillant selon les méthodes traditionnelles sont
évincés de l’accès à la télévision. Toutefois, même certains diffuseurs
s’inquiètent car les producteurs n’investissent plus suffisamment dans la
production de nouveaux artistes ni dans la réalisation de clips alors que le
marché du disque est en crise.
Si on s’intéresse de plus près aux musiques un peu moins populaires comme le
jazz ou le classique, on s’aperçoit que leur diffusion n’est pas négligeable, à
l’instar de ce qui a été constaté dans la première partie. Cependant, le groupe de
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Selon le communiqué n° 320 du CSA, publié en janvier 1996, « un nouveau talent est un
artiste qui n’a pas obtenu deux albums disques d’or distincts précédant son nouvel
enregistrement ». Cette définition a posé problème car avant 1974, le label « disque d’or »
n’existait pas et donc d’anciens artistes pouvaient être considérés comme de nouveaux talents.
Ainsi, selon la Lettre du CSA n° 134 du 24 octobre 2000, un nouveau talent correspond à
« tout artiste qui n’a pas obtenu, précédant son nouvel enregistrement, deux albums disques
d’or et qui a publié son premier à partir de 1974 ».
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travail de travail dirigé par Véronique Cayla constate deux bémols. D’abord, les
horaires de diffusion (essentiellement la nuit) et ensuite la faible part faîte aux
compositeurs contemporains français alors même que leur travail est salué à
l’étranger du fait de son caractère vivant et dynamique. La chaîne ARTE n’est
cependant pas visée par ces critiques. La chaîne Mezzo, quant à elle, n’a ni
l’impact ni les moyens de pallier à la faible exposition de ces genres de
musiques sur les chaînes hertziennes. La télévision publique, de qui l’on attend
beaucoup en la matière, essaie de faire le nécessaire, notamment dans le cadre
de l’offre régionale. De plus, elle insiste sur le fait que l’audience nocturne des
chaînes hertziennes est tout de même significative. On retrouve cependant le
souhait de la création d’un magazine ouvert à tous les genres qui pourrait parfois
traiter le classique ou le jazz. Finalement, la question du renouvellement du
mode de traitement de ces répertoires est centrale, il s’agit de les rendre plus
attractifs par la mise en place de programmes courts par exemple.
Les phénomènes de concentration aussi font partie des préoccupations de la
filière musicale. En effet, les télévisions ont de plus en plus tendance à exercer
elles-mêmes les activités de production et d’édition musicales, ou à plus grande
échelle encore, un même groupe peut rassembler les activités de production
phonographique, télévision et radio. Il en résulte des effets pervers : distorsions
de concurrence sur le marché au bénéfice des filiales des chaînes, dépendance
des producteurs et éditeurs à l’égard des diffuseurs puissants. Cela se vérifie
particulièrement à l’occasion des émissions de télé réalité. Les diffuseurs
revendiquent alors leur liberté d’entreprendre dans le cadre de leur politique de
diversification et disent respecter les principes et règles du droit de la
concurrence.
L’étude des politiques conduites par les chaînes traduit une certaine diversité.
Ainsi, MCM se contente d’une fonction d’édition de service de télévision.
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France Télévision Distribution a une activité très limitée dans le domaine
musical en concluant un ou deux accords de co-exploitation par an avec des
producteurs phonographiques. TF1 se concentre sur deux activités : d’une part
l’édition graphique via Une Musique, principalement pour des musiques de
certains téléfilms coproduits par la chaîne ; des accords de co-exploitation via
TF1 Entreprises portant sur Star Academy et sur quatre ou cinq opérations par
an. M6 Interactions connaît les deux mêmes activités, l’édition graphique étant
d’importance moindre. Par conséquent, les voies d’accès à la télévision se
rétrécissent. La puissance grandissante de ce « mass media » qu’est la télévision
rend l’accès au marché toujours plus difficile et coûteux pour les producteurs
indépendants qui se retrouvent paradoxalement dans une situation de
dépendance.
De façon incidente, des problèmes surviennent relativement à deux autres
domaines : la publicité télévisée pour la filière phonographique, et la production
de contenu musicaux.
En premier lieu, la publicité télévisée pour l’édition phonographique aurait,
pour certains, grandement contribué à la concentration du secteur. Quoi qu’il en
soit, on a pu constater en 2003 une baisse de 20% des investissements de la
filière musicale dans la publicité à la télévision, situation-corollaire de la baisse
des ventes de disques en général. L’accès à cette forme publicitaire est l’apanage
des majors car cela est trop coûteux pour les indépendants. Également, l’absence
de publicité à la télévision peut s’inscrire dans une stratégie pour certains
indépendants. Concernant les chaînes, celles du câble et du satellite souffrent
d’un véritable sous-investissement en matière de publicité, alors même qu’elles
jouent un rôle fondamental dans la diversité musicale. Cela s’explique par la
recherche d’efficacité immédiate des annonceurs. Quant aux chaînes du service
public, la limitation du temps de publicité à huit minutes par heure entraîne une
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réelle pénurie d’espace, un souci moins évident sur les chaînes privées.
Rappelons par ailleurs que les diffuseurs font bénéficier à la filière musicale de
remises importantes en matière de tarifs publicitaires, soit des abattements du
brut au net variant entre 30% et 70% selon les chaînes et le moment de l’achat.
En matière d’accords conclus avec les régies publicitaires, les accords de
rendement font l’objet de débats. Ils sont dénoncés par les représentants des
auteurs et compositeurs comme constituant une dérive inacceptable car faisant
prévaloir des critères commerciaux sur les critères artistiques. L’Union des
Producteurs Phonographiques Indépendants (UPFI) n’y est cependant pas
hostile car cela peut permettre aux producteurs indépendants d’avoir accès à la
publicité télévisée à moindre coût. Toutefois il ne faudrait pas que ce type
d’accord devienne une condition nécessaire pour pouvoir passer à l’antenne. Or,
l’implication de M6 Intéractions dans l’édition phonographique n’est pas sans
provoquer des craintes en la matière. Cependant, le recours à ce type d’accord
est en recul. TF1 en conclut de moins en moins (2 ou 3 par an en plus ce ceux
liés à l’émission Star Academy) afin d’assainir le marché de la vente d’espace,
tout comme M6. France Télévisions a exceptionnellement (France Télévisions
Distribution est peu présent dans l’édition phonographique) conclut deux
contrats de co-exploitation accompagnés d’accords au rendement dans le
domaine publicitaire en 2003 (le premier avec EMI pour Norah Jones, le second
avec Naïve pour Carla Bruni).
En second lieu, il existe le problème de la production de contenus musicaux,
c’est-à-dire les captations de spectacles, les vidéomusiques (ou clips), et enfin
les DVD. Les captations de spectacle ont été multipliées par cinq en six ans,
cette progression impressionnante est principalement le fruit des chaînes
régionales et thématiques. Ce chiffre ne doit cependant pas masquer les
difficultés rencontrées surtout par la musique classique pour trouver des
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diffuseurs ayant les moyens financiers d’y consacrer des productions, ou des
producteurs capables de monter des productions internationales.
Le clip connaît un réel déclin depuis quelques années. Pourtant, c’est un outil
de promotion essentiel pour l’artiste. Les chaînes musicales y consacrent une
bonne partie de leur programmation, ce qui en fait aussi une œuvre
audiovisuelle. Cette nature double du clip pose problème en matière de détention
des droits et de financement, c’est-à-dire de partage des rôles entre le producteur
phonographique et le producteur audiovisuel. Par contre, ceux-ci s’accordent
pour constater un « formatage » des clips, résultant du souhait des diffuseurs
(M6 surtout). En définitive, alors que les clips étaient des œuvres de création au
départ, ils sont devenus des produits de commande sur lesquels toute prise de
risque est interdite. D’ailleurs, moins de 50 % des clips de producteurs
indépendants parviendraient à être diffusés.
La production de DVD devient aussi essentielle pour les maisons de disques.
On retrouve le dualisme en matière de financement et de détention de droits
entre le producteur audiovisuel et le producteur phonographique. Des
partenariats semblent en l’occurrence être pertinents.
Après avoir étudié l’exposition de la musique à la télévision et les problèmes
qu’elle soulève, il s’agit d’étudier dans une seconde partie les attentes des
protagonistes ainsi que les solutions envisageables et envisagées.
§2.ATTENTES ET SOLUTIONS
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L’objectif de la mise en place du groupe de travail de Véronique Cayla a été
non seulement de faire un état des lieux de la présence musicale à la télévision
mais aussi de trouver les solutions aux problèmes qui existent. Dès lors, les
attentes de la filière musicale et les positions des télédiffuseurs seront
successivement exposées.
A. LES ATTENTES DE LA FILIÈRE MUSICALE
Les attentes de la filière musicale sont de trois ordres. Elles concernent d’abord
l’exposition de la musique, ensuite la régulation du cumul des activités de
télédiffuseur et de producteur-éditeur de musique, et enfin le financement des
programmes musicaux.
En premier lieu, concernant l’exposition de la musique, la filière musicale a des
revendications relatives au rôle des chaînes hertziennes, à la mission des chaînes
publiques, la place des nouveaux talents ainsi que celle des répertoires
spécialisés.
L’impact des chaînes hertziennes fait que ces dernières focalisent toutes les
attentes du secteur musical en matière d’exposition de la musique. Les chaînes
thématiques du câble et du satellite sont plutôt jugées satisfaisantes d’une part,
et de toute façon, leur impact plus limité fait qu’elles sont moins l’objet
d’attentes, d’autre part. Concernant plus particulièrement les chaînes privées, il
est attendu à ce qu’elles continuent de la même façon globalement, en
améliorant la diversité, en changeant certains horaires, et en exposant toujours
plus de nouveaux talents. On attend aussi à ce que Canal+ renoue avec la
musique. Les attentes sont plus fortes concernant France Télévisions, mais elle
sont à peu près les mêmes que pour les chaînes privées, complétées par le
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souhait de création de nouvelles émissions et d’un engagement accru de France
3, en particulier sur les antennes régionales.
L’amélioration de la place faîte aux nouveaux talents est centrale. Il est
indispensable, pour le renouvellement de la création musicale, que les artistes en
démarrage bénéficient d’une présence plus importante à la télévision, à des
heures d’écoutes diversifiées et significatives durant lesquelles ils doivent
pouvoir interpréter leurs propres répertoires.
L’exposition des répertoires spécialisés comme le classique ou le jazz est
estimée insatisfaisante par la filière musicale. Celle-ci demande la mise en place
d’une nouvelle politique, surtout pour le service public. Cela passe par une offre
à des horaires accessibles, la mise en valeur des grands évènements, la prise en
compte de la création contemporaine, et la création d’une chaîne de musique
classique de service public sur la télévision numérique terrestre (TNT), entre
autres.
Une meilleure exposition de la musique passe aussi par une évolution en
matière de publicité consistant à faciliter l’accès aux espaces pour les
producteurs indépendants notamment. Pour cela, la mise en place d’un tarif
surpréférentiel fondé sur des éléments qualitatifs semble une piste de réflexion
intéressante.
En deuxième lieu, il existe des attentes quant à la régulation du cumul des
activités de télédiffuseur et de producteur-éditeur de musique. Les protagonistes
partent d’un constat selon lequel, d’une part, l’utilisation de l’image d’artistes
par les télévisions comme élément de leur propre image s’amplifie et ne se
concentre que sur quelques artistes. D’autre part, plusieurs diffuseurs privés sont
devenus des opérateurs significatifs du marché de la musique. En conséquence,
la diversité de l’offre est menacée. Ensuite, le caractère loyal de la concurrence
provenant des filiales d’édition et de production des chaînes de télévision est
18
mis en doute en l’absence de transparence des différents accords conclus. Enfin
la bonne information du public quant aux choix de programmation des chaînes
n’est pas assurée.
Cela dit, un retour en arrière nécessiterait d’importantes mesures législatives.
Pour assurer la diversité des contenus et le pluralisme des opérateurs dans la
programmation musicale, la filière a tendance à préférer la mise en place
d’instruments de régulation du marché et souhaite ainsi la conclusion d’un
accord interprofessionnel. Cet accord doit d’abord limiter dans la
programmation musicale d’une chaîne la part consacrée aux artistes liés à cette
même chaîne. Ensuite, des critères quantitatifs (dans le cadre d’une déclinaison
précise selon les horaires, genres, répertoires, chaînes) sont nécessaires pour une
régulation efficace du marché et pour assurer la diversité de l’offre. Ont
également été évoquées des propositions visant à assurer l’égalité de traitement
entre tous les acteurs de la filière musicale comme l’interdiction du pay per play
ou l’interdiction de subordonner la programmation d’un artiste à la conclusion
d’un partenariat, ou encore la limitation des accords de rendement. Toutefois, en
cas d’échec de ce type d’accord, la solution législative ou réglementaire doit être
gardée à l’esprit, comme l’a prouvé l’amendement créant les quotas radio.
En matière de transparence, la filière musicale propose la mise en place d’un
comité de suivi, l’obligation pour les chaînes de déclarer toute une série de
données (bilans mensuels de diffusion, part consacrée aux différentes catégories
d’artistes, etc.), et l’obligation de signaler à l’antenne lors de la diffusion d’un
programme les éventuels accords de partenariat dont celui-ci a été l’objet.
En troisième et dernier lieu, l’amélioration du financement des programmes
musicaux est nécessaire à celle de l’exposition de la musique à la télévision, afin
que la qualité et l’innovation réapparaissent de façon plus consistante. Pour cela,
deux évolutions fondamentales doivent intervenir. D’abord, les programmes
19
musicaux doivent être correctement valorisés et leur financement ne doit pas
reposer sur les producteurs musicaux au motif que ces programmes constituent
un outil de promotion du disque. Par ailleurs, il revient aux diffuseurs et aussi
aux pouvoirs publics de considérer la musique au même titre que les autres
programmes telles que les fictions télévisées et cinématographiques. Les
principes, règles et moyens relatifs au soutien du financement des programmes
musicaux doivent donc être adaptés en conséquence. Plus concrètement, on
demande le doublement de la part du compte de soutien aux industries de
programmes (COSIP) attribuée à l’audiovisuel musical, l’accès direct des
producteurs phonographiques et éditeurs de musique aux aides du COSIP, et
l’élargissement de la définition d’œuvre audiovisuelle éligible aux aides du
COSIP à certaines émissions de variétés.
Face à cet ensemble de revendications de la filière musicale, il convient de
préciser la position des diffuseurs.
B. LA POSITION DES DIFFUSEURS
Ayant pris note des revendications et attentes de la filière musicale dans leur
ensemble, les diffuseurs ont réagi et présenté leurs visions des choses.
D’abord, certaines chaînes insistent sur le fait que l’arrivée imminente de la
TNT va leur permettre d’améliorer leur offre musicale. En effet, à partir de la fin
mars 2005, les chaînes France 5 et ARTE vont bénéficier d’une diffusion 24
heures sur 24, ce qui entraînera sur leurs antennes respectives une augmentation
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du volume horaire des programmes musicaux. Festival, nouvelle chaîne du
secteur public, sera aussi disponible sur la TNT. L’industrie musicale s’est
rapidement mobilisée afin que la musique soit la plus présente possible sur
l’offre de TNT. Il en résulte deux chaînes purement musicales, W9 (nouvelle
appellation de la chaîne M6 Music) et NRJ TV. Précisons par ailleurs que toutes
les chaînes citées précédemment font partie de l’offre gratuite de TNT, et donc
leur impact sur le public est potentiellement important. Outre la TNT, la
multiplication des nouveaux modes de réception comme l’ordinateur ou le
téléphone portable vont marquer, à terme, une évolution dans la façon de
consommer la télévision qui peut servir la diversité musicale.
Le groupe France Télévisions avance le fait que l'exposition de la musique par
des chaînes généralistes n'est pas un exercice facile, comme en témoignent des
résultats d'audience mitigés. Or, si on se penche sur la politique conduite, cela
ne l’a pas empêché de réellement intensifier l’exposition et de la diversité
musicales depuis deux ans. La politique régionale de France 3 est essentielle en
la matière puisqu’à travers le plan « Horizon 2008 », la chaîne doit doubler le
volume horaire de programmes régionaux. Dans ce cadre, la diffusion
d’évènements musicaux constitue une part importante de l’augmentation de
l’offre culturelle sur les 13 antennes régionales. La musique classique y est
d’ailleurs déjà bien exposée (samedi et dimanche après-midi, mercredi en
deuxième partie de soirée), et ces antennes régionales concluent des partenariats
avec les collectivités locales pour les captations de spectacle.
La chaîne TV5, qui est présente dans plus de 150 pays et 200 millions de
foyers souhaitent développer son rôle d’exposant et de promoteur de la musique
des artistes français. Pour cela, elle s’apprête notamment à conclure un accord
avec la filière musicale afin de faire de son site Internet un portail de
téléchargement payant et sécurisé de titres francophones.
21
Les chaînes publiques, à l’inverse des chaînes privées, ne se sentent pas
concernées par les remarques de l’industrie musicale en matière de
concentration.
Parmi les chaînes hertziennes privées, deux se trouvent dans une situation
moins confortable face aux attentes de la filière musicale : TF1 et M6. Ces deux
chaînes jugent ces attentes de la filière musicale empruntes de suspicion à leur
égard et excessives. TF1 parle même d’irrecevabilité des mesures proposées,
étant donné leur inefficacité. Quant à M6, elle rappelle qu’elle est une chaîne
généraliste avec un cahier des charges spécifiques en matière de musique article
363 et article 374 de la convention de M6 avec le CSA) qui en fait la chaîne
hertzienne qui expose le plus de musique en Europe. Ainsi, elle refuse toute
obligation quantitative supplémentaire, mais se dit prête à discuter d’une
meilleure exposition de nouvelles catégories d’artistes. Concernant M6
Interactions, elle exclut tout « quotas ». Elle indique enfin qu’afin de prévenir
tous problèmes résultant de la concentration des différents métiers au sein de
son groupe d’appartenance, une nouvelle clause a été rajoutée à sa convention
avec la CSA.
3
« La société consacre 30 % de sa programmation annuelle à des émissions musicales. Une
part majoritaire de la musique diffusée au cours de ces émissions est d’expression française.
La société s’engage à conduire une politique favorable à la diversité des producteurs
musicaux. À cette fin, la société déclare, dans le volume horaire annuel de diffusion des
émissions musicales, des divertissements à composante musicale et des vidéomusiques, la
part des titres édités ou produits par des sociétés contrôlées par son actionnaire principal ou la
société qui le contrôle.
Elle développe la présence d’émissions musicales et d’émissions de divertissement à
composante musicale aux heurs de forte audience.
Elle propose une programmation ouverte aux différents genres musicaux, notamment à ceux
destinés aux plus jeunes.
Elle promeut les nouveaux talents de la chanson française ».
4
« La société coproduit et diffuse annuellement 150 vidéomusiques consacrées à des artistes
francophones, dont 30 à des nouveaux talents.
La société consacre chaque année à la production d’émissions musicales et d’émissions de
divertissement à composante musicale un montant fixé à 21,343 millions d’euros. Ce montant
pourra être réévalué après deux exercices ».
22
TF1 et M6 sont toutefois favorables au dialogue interprofessionnel relatif à
l’observation des programmes et des pratiques employées, afin que la
transparence et une meilleure connaissance réciproque soient assurées.
Pour sa part, Canal+ s’est engagée à augmenter son offre musicale et cela s’est
vérifié avec l’émission célébrant les vingt ans de la chaîne qui a fait une belle
place à la musique, même si ce type d’émission ne s’inscrit pas dans la durée.
Toutefois, le nouveau magazine quotidien de 6 minutes (L’album de la semaine)
marque la volonté de Canal+ de présenter de nouveaux artistes. Une émissionévénement trimestrielle consacrée à la création musicale française et aux
nouveaux talents est également en projet, mais vu ses enjeux et son coût, la
chaîne cryptée souhaite qu’une évolution des textes lui permette de prendre en
compte son investissement dans le cadre de ses obligations relatives à la
production d’œuvres audiovisuelles. Précisons enfin qu’il n’existe aucun lien
privilégié entre Canal+ et les artistes Universal, bien qu’ils fassent partie du
même groupe.
Concernant la production de contenus musicaux et plus particulièrement les
vidéomusiques, l’ensemble des diffuseurs s’accordent à dire que leur coût de
diffusion est excessif et insuffisamment modulé selon les clips, les chaînes et les
horaires de diffusion considérés. Dès lors, les chaînes ne sont pas incitées à en
diffuser davantage. Les producteurs phonographiques ne semblent cependant
pas prêts à ouvrir des négociations tarifaires.
CONCLUSION
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Afin de garantir une bonne évolution de la représentation de la musique en
télévision, il semble nécessaire de mettre en place une autorégulation du marché
prenant en compte les intérêts à la fois des diffuseurs et de la filière musicale.
Cela passe par l’établissement d’accords interprofessionnels.
Pour que les discussions se poursuivent et aboutissent, le groupe de travail de
Véronique Cayla préconise de procéder en deux temps. Dans un premier temps,
il s’agit de conclure un accord-cadre interprofessionnel posant les principes
fondamentaux d’une régulation de la musique à la télévision et prévoyant la
mise en place d’accords bilatéraux. Dans un second temps, des accords
bilatéraux entre chaque télédiffuseur et la filière musicale devront être conclus.
Prenant en compte les positions des différents protagonistes, l’accord-cadre
devrait comporter un certain nombre de « principes ».
En premier lieu, les programmes musicaux doivent être reconnus comme étant
un genre télévisuel déterminant pour la culture et la création française comme
européenne. Comme le cinéma ou la production audiovisuelle, la musique doit
faire l’objet de mesures spécifiques étant donné les liens existants entre elle et
les enjeux artistiques et culturels. Cela doit se traduire par des engagements en
matière d’exposition de la musique de la part des chaînes de télévision, en
particulier les chaînes publiques et les chaînes musicales. Il en découle la
nécessité d’une augmentation des soutiens financiers.
En deuxième lieu, l’accord-cadre doit reconnaître les principes de liberté
éditoriale et de liberté d’entreprendre des diffuseurs. Ces principes, cumulés à
des engagements de la part des diffuseurs en matière de diversité musicale, sont
la clé d’une autorégulation qui éviterait ainsi une intervention législative ou
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réglementaire. L’autorégulation passe ainsi par la responsabilité des acteurs du
marché.
En troisième lieu, la mise en place d’un observatoire de la diversité musicale et
des concentrations semble intéressante. Cela permettrait de connaître et de
suivre la programmation musicale des chaînes et, dans le respect du secret des
affaires, les accords conclus entre les chaînes, leurs filiales ou d’autres sociétés
du groupe et les producteurs et éditeurs de musique. Il conviendrait évidemment
d’abord de définir un certain nombre de critères pour ensuite les faire respecter
de façon à supprimer un maximum de subjectivité. L’Observatoire de la Cité de
la musique semble le mieux placé pour exercer cette mission, ce qu’il fait
d’ailleurs déjà dans le secteur radiophonique notamment.
En quatrième lieu, l’accord-cadre doit expliciter l’objectif d’amélioration de
l’offre et de la diversité musicale. La lutte contre l’uniformisation de l’offre
passe par une évolution plus qualitative que quantitative. Les nouveaux talents,
les créateurs contemporains et les répertoires spécialisés, doivent être plus
visibles à la télévision. Les programmations des chaînes doivent être plus
ambitieuses. La TNT est un tournant pouvant faire évoluer les choses dans le
bon sens en la matière.
En cinquième et dernier lieu, l’accord-cadre devrait consacrer la régulation des
politiques de concentration et de la place faite dans la programmation de la
chaîne des artistes de cette même chaîne. Encore une fois, la fin est ici de
garantir une réelle diversité dans les politiques d’exposition et de partenariats
des diffuseurs pour que le pluralisme et l’indépendance des opérateurs de la
filière musicale soient préservés. Il est intéressant de voir que dans le domaine
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de la production audiovisuelle et cinématographique, la part de production
« liée » à la chaîne est limitée. Dès lors, on pourrait appliquer l’esprit de cette
disposition en matière musicale, en limitant la place faite aux artistes liés à la
chaîne au sein de sa propre programmation par exemple.
Une fois cet accord-cadre établi, les accords bilatéraux viendront préciser les
mesures concrètes spécifiques à chaque diffuseur, adaptées à sa nature et à sa
ligne éditoriale.
La crise que traverse actuellement le marché de la musique rend l’ouverture des
négociations urgente. Pourtant, jusqu’à mars dernier, aucun des interlocuteurs
n’avaient effectué le moindre pas vers l’autre. C’est pourquoi Renaud
Donnedieu de Vabres a décidé de nommer un médiateur pour dynamiser le
dialogue entre producteurs et diffuseurs. Pierre-François Racine, actuel président
de la cour administrative d’appel de Paris et ancien directeur général de la
Commission nationale de la communication et des libertés (CNCL) a ainsi été
sollicité et a déjà rencontré des responsables de chaînes ainsi que les
professionnels de la musique. Aucun accord écrit n’a cependant été conclu à
l’heure actuelle.
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