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PSYCHOPATHOLOGIE
L’échelle d’évaluation du risque suicidaire RSD possède-t-elle
une valeur prédictive ?
J.L. DUCHER (1), J.L. TERRA (2)
Is the suicidal risk assessment scale RSD of predictive value ?
Summary. Introduction. A part (60 % to 70 %) of those who are going to act out their suicide consult a doctor the month
before. Studies have shown the need to improve the practitioner’s capacity to diagnose depression. The assessment of
the suicidal risk is crucial. The search for suicidal risk factors helps to define the populations at risk. However, it doesn’t
provide information concerning the possibility of acting out in the short term. And how does one react when faced with
those who do not present any of the risk factors ? Psychometric instruments attempt to help the therapist in his/her reasoning. Suicidal risk assessment. Among them, the suicidal risk assessment scale RSD should be mentioned. Its objective
is to estimate the seriousness of the suicidal risk, with 11 levels. It is built around a possible will to commit suicide rather
than a single assessment of the frequency of suicidal ideas. Its construction in hierarchical order permits the progressive
assessment of the suicidal risk, in the form of a semi-structured interview. Hence, the suicidal risk assessment scale
RSD looks for the existence of death wishes (levels 1-2), of suicide ideations and its frequency (levels 3-4-5), and of a
passive desire to die (level 6). Level 7 shows the onset of a decision making process, except that the patient is still inhibited
by various important factors in his/her life. More often, the fear of inflicting immense suffering to his/her loved ones or for
religious beliefs, is found. From level 8, determination has made way to hesitation. An active death wish exists, and although
the plan remains undefined, the act is decided on. At level 9 the methods of application are developed and a plan is
established. The ultimate level exists when there is a start in the preparation of the act of suicide (level 10). This hierarchical
order has been confirmed by some epidemiological studies. Method. The inclusion of the suicidal risk assessment scale
RSD in a double-blind, placebo-controlled study, which tested the efficacy of fluvoxamine in reducing the risk of recurrence
of depression over 18 months, appears of particular interest. In this multicentre study, patients of both sexes were included,
aged between 18 and 70 years, presenting a major depressive episode with a MADRS equal to a minimum of 25, and
having had a minimum of two episodes of major depression within the last five years. Results. The resulting analysis
carried out on 103 patients showed a satisfactory concurrent validity between the suicidal risk assessment scale RSD
and the items « suicide » of the MADRS (ρ = 0.79 ; p = 0.0001) and the Hamilton Depression Scale (ρ = 0.70 ; p = 0.0001),
and fairly satisfactory concurrent validity with the depression degree assessed by the MADRS overall score (ρ = 0.40; p
= 0.0001). The short-term follow-up under treatment revealed enhanced sensitivity of the RSD versus the MADRS. The
improvement in suicidal risk, assessed by the RSD, was faster than the improvement in depression, which is interesting
from a clinical point of view. The medium-term follow-up tested the predictive validity of RSD and confirmed a greater
level of suicidal risk from a score of 7 on the RSD, with the death by suicide of 2 subjects among the 15 who exhibited
a score between 7 and 10 on the RSD on inclusion. On the other hand, no acting out, no attempted suicides, and no
suicides were noted in the group of 88 subjects whose RSD was lower or equal to 6 on inclusion (p = 0.02 using Fisher’s
exact test). Conclusion. Thus, the RSD appears of interest, from a clinical point of view, by providing a diagnostic, or a
scientific approach.
Key words : Assessment ; Attempted suicide ; Predictive validity ; Scale ; Suicidal risk ; Suicide.
(1) Clinique de l’Auzon, 63670 la Roche Blanche.
(2) CHS Le Vinatier, 95, boulevard Pinel, 69500 Bron.
Travail reçu le 3 novembre 2003 et accepté le 24 février 2005.
Tirés à part : J.L. Ducher (à l’adresse ci-dessus).
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L’Encéphale, 2006 ; 32 : 738-45, cahier 1
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 738-45, cahier 1
L’échelle d’évaluation du risque suicidaire RSD possède-t-elle une valeur prédictive ?
Résumé. La recherche de facteurs de risque suicidaire permet de définir des populations à risque. Elle ne donne pas
au clinicien d’informations sur l’éventualité imminente d’un
passage à l’acte. Des instruments psychométriques cherchent à aider le thérapeute dans cette démarche. Parmi ceuxci, on peut citer l’échelle d’évaluation du risque suicidaire
RSD. Son inclusion dans une étude de prévention des récidives dépressives à long terme montre une validité concourante satisfaisante de la RSD avec les items « suicide » de
la MADRS (ρ = 0,79 ; p = 0,0001) et de l’échelle Hamiltondépression (ρ = 0,70 ; p = 0,0001) et moins satisfaisante avec
le degré de dépression évalué par le score global de la
MADRS (ρ = 0,40 ; p = 0,0001). Le suivi à court terme sous
traitement démontre la sensibilité de la RSD qui s’améliore
plus rapidement que la MADRS. Ceci pose certaines questions par rapport à l’augmentation du risque suicidaire décrite
dans la littérature pour certains antidépresseurs. Le suivi à
moyen terme permet de tester la validité prédictive de la RSD.
Il confirme un niveau de risque suicidaire aggravé à partir d’un
score de 7, avec le décès par suicide de 2 patients parmi les
15 qui avaient lors de leur inclusion un score entre 7 et 10 à
la RSD. En revanche, aucun suicide, ni aucune tentative de
passage à l’acte n’ont été à déplorer, sur les 18 mois de suivi,
dans le groupe témoin des 88 patients pour lesquels la RSD
était inférieure ou égale à 6 à J0 (p = 0,02 au test exact de
Fisher).
Mots clés : Échelle ; Évaluation ; Risque suicidaire ; Suicide ; Tentative de suicide ; Validité prédictive.
INTRODUCTION
Le risque suicidaire peut-il être évalué ? Certains
auteurs pensent que seule la reconnaissance de facteurs
de risque suicidaire demeure possible. Mais celle-ci ne
permet pas de répondre à la question de l’éventualité d’un
passage à l’acte, à un moment précis, chez une personne
donnée, ayant ou non des facteurs de risque. D’où la
nécessité de développer des moyens d’aide au
diagnostic permettant de faciliter une telle approche.
L’inclusion de l’échelle d’évaluation du risque suicidaire
RSD (5) dans une étude de prévention des récidives
dépressives a permis d’étudier sa validité prédictive, ainsi
que sa validité concourante face à la MADRS.
DÉPRESSION ET RISQUE SUICIDAIRE
La conférence de consensus sur la crise suicidaire (6)
rappelle que 60 à 70 % des suicidants ont consulté un
médecin généraliste dans le mois précédant leur passage
à l’acte, 36 % dans la semaine avant, et que la mise en
place d’un programme spécifique sur l’île de Gotland
(Suède) a permis de diminuer le taux de suicide de 60 %
en deux ans. Aussi recommande-t-elle la mise en place
d’une expérience de formation sur ce modèle.
Mais si l’amélioration du dépistage et de la prise en charge
de la dépression est nécessaire, est-elle suffisante ?
Une enquête réalisée en France (13), auprès de
2 502 médecins généralistes et 667 psychiatres de ville,
portant sur leur dernier patient ayant fait un passage à
l’acte, montre que sur un an, les psychiatres se sont retrouvés confrontés en moyenne à plus de 4 tentatives de suicide et les médecins généralistes à 2,63. Seuls 11 % des
omnipraticiens et 5 % des psychiatres ne signalent pas de
passage à l’acte suicidaire dans leur clientèle durant cette
période. À l’inverse d’une idée souvent émise, lors du passage à l’acte, la relation entre le thérapeute et le patient
existe depuis longtemps : en moyenne 3 ans et demi pour
le spécialiste et près de 6 ans pour le médecin généraliste.
Tous les deux ont été consultés par leurs patients
durant le mois précédant dans 70 % des cas environ, voire
80 % lorsque le patient va décéder et est suivi par un spécialiste.
Dans près de 82 % des cas pour le généraliste et de
77 % pour le spécialiste, les praticiens estiment que la
consultation qui précède l’acte est en rapport direct avec
un état dépressif.
Ainsi, 8 fois sur 10, le diagnostic de dépression est
posé. En revanche, les intentions suicidaires de ces
patients qui ne vont pas tarder à passer à l’acte ne sont
repérées que dans 6 % des cas par le médecin généraliste
et 11,8 % par le psychiatre.
Cela montre bien l’intérêt d’améliorer la capacité des
médecins à porter le diagnostic de dépression, mais plus
encore celle d’apprécier le risque suicidaire. Certains
cependant appréhendent de renforcer le risque de passage à l’acte en abordant ces questions. La conférence
de consensus citée plus haut insiste sur la nécessité de
ne pas hésiter à questionner les patients sur leurs idées
de suicide : « cette attitude, loin de renforcer le risque suicidaire, ne peut que favoriser l’expression des troubles,
si l’entretien est fait dans un climat de confiance, avec tact
et sans émettre de jugement de valeur, en sorte que le
patient se sente reconnu dans sa souffrance ».
FACTEURS DE RISQUE SUICIDAIRE
Le problème majeur qui se pose au clinicien convaincu
de la nécessité de rechercher et d’évaluer le risque suicidaire d’un patient devient alors de savoir comment le faire.
Le plus souvent, il n’a pas été formé à cette démarche. Il
peut rechercher les facteurs de risque suicidaire classiques maintes fois cités. La conférence de consensus sur
le risque suicidaire propose de rechercher :
– les facteurs de risque dits primaires : présence de
troubles psychiatriques (leur association, même lorsqu’ils
sont subliminaires, augmente le risque), antécédents personnels ou familiaux de suicide, communication d’une
intention suicidaire, impulsivité (elle représente un trait qui
facilite le passage à l’acte) ;
– les facteurs secondaires : pertes parentales précoces, isolement social, chômage, difficultés financières et
professionnelles, événements de vie négatifs qui peuvent
être des facteurs prédisposants ou précipitants ;
– les facteurs tertiaires : sexe, âge, période de vulnérabilité.
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J.L. Ducher, J.L. Terra
À l’inverse, on peut également rechercher la présence
de facteurs de protection comme le support social…
Cette démarche permet de renforcer la vigilance du thérapeute face à un patient appartenant à une population à
risque.
DÉTERMINATION DE PLUSIEURS NIVEAUX
D’URGENCE SUICIDAIRE
Afin de mettre en place la prise en charge la plus adaptée, la question fondamentale reste toujours celle du risque actuel, que des facteurs de risque soient repérables
ou non. Pour cela, la conférence de consensus a défini
plusieurs niveaux d’urgence :
– faible : présence entre autres éléments, d’idées de
suicide, mais sans scénario suicidaire précis ;
– moyen : envisage clairement le suicide et un scénario suicidaire, mais son exécution est reportée ;
– élevé : la planification et le passage à l’acte sont prévus à court terme.
Elle rappelle par exemple que chez l’adolescent le risque de passage à l’acte est « évalué à 1 % en l’absence
d’idées suicidaires, à 14 % en cas d’idées occasionnelles
et à 41 % en cas d’idées fréquentes ». Ainsi se trouve confirmée la notion que le risque suicidaire est lié à l’intensité
des idées suicidaires.
Cependant, le rapport de la conférence de consensus
continue ainsi : « la sévérité de ces idées de suicide n’est
que faiblement corrélée avec le risque suicidaire ». Autrement dit, même si l’intensité des idées suicidaires joue un
rôle dans la propension au passage à l’acte, celui-ci reste
limité. « Elles donnent lieu à un plan pour la réalisation
d’une tentative chez environ un tiers des sujets. Parmi
ceux-ci, 70 % feront un passage à l’acte, alors que seulement 25 % de ceux qui n’ont pas de plan en feront ». Le
fait d’avoir imaginé l’acte renforce donc le risque de sa réalisation. Ainsi, on voit que la simple appréciation quantitative des idéations suicidaires ne peut être suffisante pour
apprécier le risque de passage à l’acte.
PRÉSENTATION DE L’ÉCHELLE D’ÉVALUATION
DU RISQUE SUICIDAIRE RSD
La hiérarchisation du risque suicidaire énoncée par la
conférence de consensus correspond à la structuration de
l’échelle d’évaluation du risque suicidaire RSD (5)
(tableau I). Sa particularité tient à sa démarche qui s’intéresse plus à la volonté du patient d’en finir avec la vie, donc
à son risque de passage à l’acte, qu’à une simple quantification de ses idéations suicidaires.
Elle comprend 11 items hiérarchisés recherchant l’existence d’idées de mort (degrés 1-2), de suicide avec leur
fréquence (degrés 3-5), d’un désir de mourir d’abord passif
(degré 6), puis actif, mais encore retenu par un lien à la vie.
Le degré 7 semble occuper en clinique une place centrale, car il ne traduit plus seulement le simple fait de penser
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L’Encéphale, 2006 ; 32 : 738-45, cahier 1
TABLEAU I. — Échelle d’évaluation du risque suicidaire
de Ducher, RSD (coter l’item le plus fort).
0
Pas d’idées de mort
1
2
3
Idées de mort
4
Idées de suicide
5
6
Désir passif de mourir
7
8
9
Volonté active de mourir
10 Début de passage à l’acte
Ne pense pas plus à la mort
qu’habituellement
Pense plus à la mort
qu’habituellement
Pense souvent à la mort
A quelques idées de
suicide
A assez souvent des idées
de suicide
Pense très souvent au
suicide et parfois ne
voudrait plus exister
Désire mourir ou plutôt être
mort
Désir de mort très fort, mais
retenu par quelque chose
(être cher…)
Veut mettre fin à ses jours
Sait comment il veut mettre
fin à ses jours
A déjà préparé son suicide
ou a commencé de passer
a l’acte
au suicide, mais bien l’apparition d’un processus décisionnel concernant un éventuel passage à l’acte du patient,
retardé pour l’instant par une rationalisation faisant appel
aux éléments les plus importants de sa vie. Le plus souvent, on retrouvera la peur de faire souffrir ses proches ou
le réconfort qu’ils lui apportent. Ce peut être aussi une
croyance religieuse… Cliniquement, ce degré peut être
dédoublé en deux niveaux (7a et 7b) en fonction de la qualité du lien. Un conflit grandissant avec l’entourage par
exemple risque de favoriser le passage au niveau 7b.
À partir du degré 8, l’hésitation a fait place à la détermination. Une volonté active de mourir existe, l’acte est
décidé, mais le projet non encore défini. Au degré 9, les
modalités d’application sont élaborées avec la construction d’un plan. Le niveau ultime existe dès qu’il y a au moins
un début de préparation du passage à l’acte (degré 10).
La construction de la RSD sur un mode hiérarchisé peut
permettre une évaluation progressive du risque suicidaire
sous la forme d’un entretien semi-structuré. Son mode de
lecture direct et immédiat, avec cotation seulement de
l’item le plus fort, autorise une passation dans un temps
court. Ceci représente souvent un impératif majeur dans
un service d’urgence ou simplement dans le cadre d’une
consultation médicale.
Diverses études ont montré entre autres résultats que
l’échelle d’évaluation du risque suicidaire RSD a une validité concourante satisfaisante avec l’échelle de désespoir
de Beck (2, 5), l’échelle d’idéation suicidaire de Beck (7),
moins avec l’échelle d’Hamilton-dépression (5, 7), le questionnaire des pensées automatiques d’Hollon et Kendall
(3), et peu satisfaisante avec l’échelle d’attitudes dysfonctionnelles de Weissman et Beck (4).
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L’échelle d’évaluation du risque suicidaire RSD possède-t-elle une valeur prédictive ?
ÉTUDE DE LA FLUVOXAMINE DANS LA PRÉVENTION
DES RÉCIDIVES DÉPRESSIVES
La validation d’un instrument psychométrique obéit à
des règles précises. Cependant, dans le cadre de l’évaluation du risque suicidaire, la démarche se trouve compliquée par l’impossibilité d’un point de vue éthique de
rester sans agir face à un patient considéré en réel
danger.
Dans cette optique, l’introduction de la RSD dans une
étude de prévention des récidives dépressives paraissait
tout à fait intéressante. Il s’agissait d’une étude multicentrique (15) s’adressant à des patients des deux sexes,
âgés entre 18 et 70 ans, présentant un épisode dépressif
majeur modéré ou sévère, sans symptômes psychotiques, avec un score d’inclusion minimal égal au moins à
25 à la MADRS. Seuls pouvaient être inclus des patients
ayant présenté au moins deux épisodes de dépression
majeure dans les cinq dernières années, séparés par un
intervalle asymptomatique d’un minimum de 6 mois.
Le but de cette étude était le suivi pendant un an, en
double aveugle, sous fluvoxamine ou placebo, de patients
répondeurs à l’issu de 6 semaines de traitement en ouvert
par fluvoxamine lors d’une récidive dépressive, qui avaient
maintenu leur réponse pendant une phase de consolidation de 18 semaines, afin de comparer le taux de récurrence et le délai de rechute.
Le schéma original de cette étude se développe ainsi
en trois phases (figure 1) :
– phase I : phase de traitement par fluvoxamine entre
100 et 300 mg (durée 6 semaines) ;
– phase II : phase de consolidation avec exclusion des
non-répondeurs et maintien sous traitement actif des
répondeurs (de J42 à 6 mois) ;
– phase III : phase de prévention avec un bras placebo
et un bras sous traitement actif par fluvoxamine à la posologie de 100 mg (de 6 à 18 mois).
N’entraient donc dans la phase de consolidation que
les patients répondeurs qui restaient sous traitement actif
jusqu’à la fin des 6 mois, avant de passer dans la phase
de prévention des récidives dépressives soit sous fluvoxamine, soit sous placebo.
OBJECTIFS DE L’ÉTUDE
L’objectif principal de cette étude était la comparaison
des taux de récurrence dépressive entre la population de
patients sous traitement actif et celle sous placebo, résultats déjà publiés par ailleurs (15).
Elle permet également d’étudier la validité concourante
de la RSD avec les items « suicide » de la MADRS et de
l’échelle Hamilton-dépression, et avec le degré de dépression évalué par le score global de la MADRS, avant mise
sous traitement.
Des données récentes suggèrent que certains antidépresseurs augmenteraient l’incidence des idées suicidaires ainsi que des gestes auto-agressifs, au moins chez
certaines populations. Ceci pose la question de savoir si
tous les antidépresseurs sont égaux face au risque suicidaire. Il s’agit là d’un enjeu de santé publique majeur.
Cette étude a été réalisée chez des patients présentant
un trouble dépressif particulièrement sévère, avec plusieurs EDM sur les cinq dernières années et un score
d’inclusion d’au moins 25 à la MADRS. Le suivi à court
terme chez cette population à risque important permet de
comparer l’évolution sous traitement du risque suicidaire
et de l’humeur dépressive, évalués respectivement par la
RSD et la MADRS.
De plus, cette étude de prévention des récidives
dépressives sur 18 mois réalise un suivi à long terme de
ces patients. Il devient donc possible de tester la validité
prédictive de la RSD et de vérifier l’existence d’un seuil
de risque suicidaire aggravé à partir du niveau 7.
MÉTHODOLOGIE
SCHÉMA DE L’ÉTUDE
Non-répondeurs
Sujets
FLUVOXAMINE
100-300 mg
L’analyse des données a porté sur 103 patients, inclus
par 20 centres, dans le cadre d’une étude en double aveugle, contrôlée contre placebo, de prévention des récidives
dépressives par fluvoxamine.
FLUVOXAMINE
100 mg
Répondeurs
Procédure
FLUVOXAMINE
100-300 mg
Placebo
J0
J42
PHASE I
Traitement
M6
PHASE II
Consolidation
M18
PHASE III
Prévention
FIG. 1. — Schéma de l’étude de la fluvoxamine dans la
prévention des récidives dépressives.
L’intensité de l’état dépressif a été appréciée par le
score total de la MADRS à chaque visite, c’est-à-dire à
J0, J7, J14, J28, J42, puis tous les mois jusqu’à M18. En
raison de ce suivi régulier, mais espacé et à long terme,
aucune indication ou contre-indication d’un quelconque
suivi psychothérapeutique n’était donnée.
L’échelle d’évaluation du risque suicidaire était passée
à J0, J7, J14, J42, de même que l’échelle de dépression
d’Hamilton, à l’exception de J7.
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J.L. Ducher, J.L. Terra
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 738-45, cahier 1
L’évolution sous traitement du risque suicidaire et de
l’humeur dépressive a été appréciée par le pourcentage
d’amélioration des scores à la RSD et à la MADRS entre
J0 et J42.
La validité prédictive de la RSD a été testée en comparant sur toute la durée de l’étude le nombre de passage
à l’acte entre un groupe pouvant être considéré « à risque
aggravé » et un groupe témoin. La détermination de ces
deux groupes s’est faite par rapport au niveau 7, car la
présence d’idées de suicide, voire d’un désir passif de
mort semble moins préoccupante que l’existence d’une
volonté déterminée de mettre fin à ses jours, même si
celle-ci reste encore retenue. Cette hypothèse a d’ailleurs
été confirmée lors d’une étude antérieure (7).
Le premier groupe comprend donc les patients dont le
score à l’inclusion reste entre 0 et 6, pour lesquels le risque
apparaît moindre. Il représentera le groupe témoin. Le
deuxième inclut les patients à risque suicidaire supposé
majoré qui s’inscrivent dans un processus décisionnel
actif face à la volonté de mourir, avec un score à la RSD
entre 7 et 10 avant la mise sous traitement.
Validité concourante
Elle a été évaluée sur les données obtenues à J0, c’està-dire auprès de patients dépressifs, non encore sous traitement. Elle s’avère satisfaisante entre la RSD et les items
« suicide » des échelles de dépression MADRS (rhô
= 0,80 ; p = 0,0001) et Hamilton (rhô = 0,71 ; p = 0,0001),
mais moins avec le score total de la MADRS (rhô = 0,40 ;
p = 0,0001) (tableau III).
TABLEAU III. — Coefficients de Spearman à J0 : RSD –
MADRS total – MADRS item 10 – HAM-D item 3.
Rhô
(p = 0,0001)
RSD
MADRS
Score total
MADRS
Item 10
HAM-D
Item 3
RSD
MADRS
Score total
MADRS
Item 10
HAM-D
Item 3
0,40
0,80
0,71
0,46
0,45
0,40
0,80
0,46
0,71
0,45
0,78
0,78
Analyses statistiques
La validité concourante entre la RSD et le score total
de la MADRS, entre la RSD et les items « suicide » de la
MADRS (item 10) et de l’échelle de dépression d’Hamilton
(item 3), a été en calculée avec le coefficient rhô de Spearman. L’existence de corrélations entre toutes ces
« échelles » a également été recherchée à J7, J14 et J42.
La validité prédictive a été étudiée en comparant le nombre de suicides et de tentatives de suicide, sur les 18 mois
de suivi, entre le groupe à risque suicidaire supposé aggravé
et le groupe témoin, au moyen du test exact de Fisher.
La différence d’évolution sous traitement entre la
dimension suicidaire et la dimension dépressive a été analysée par la comparaison chez 83 patients des deltas relatifs par rapport aux scores d’inclusion à la RSD et à la
MADRS à J7, J14 et J42, à l’aide du test du χ2 ; le seuil
de signification étant fixé à 5 %.
RÉSULTATS
Scores d’inclusion à la MADRS
Ils varient de 25 à 45 avec une moyenne de 31,19 (écart
type : 4,36). L’amélioration progressive des résultats sur
cette échelle durant la période « traitement » et un score
moyen de 9,29 à J42 (tableau II) attestent de l’efficacité
du traitement prescrit sur la dimension dépressive.
TABLEAU II. — Score à la MADRS au cours de la phase
« traitement » (J0-J42).
MADRS total
Moyenne
Écart-type
742
J0
J7
J14
J42
31,19
4,36
26,29
6,09
20,89
7,40
9,29
6,20
Il est intéressant de noter que cette particularité se
retrouve également avec les items « suicide » des échelles de dépression MADRS et Hamilton, nettement corrélés
entre eux et moins avec la MADRS (tableau III).
Évolution des coefficients de Spearman
entre ces différentes « échelles » de J0 à J42
Les tableaux IV, V et VI et les figures 2 et 3 permettent
de constater :
– entre la RSD et l’échelle MADRS : la corrélation
s’élève régulièrement avec l’administration du traitement
de 0,40 à 0,54 ;
– entre la RSD et l’item 10 de la MADRS : la corrélation
reste toujours importante, stable jusqu’à J14 (entre 0,80
et 0,78), mais fléchie à J42 (0,68) ;
– entre la RSD et l’item 3 de l’échelle Hamilton-dépression : la corrélation importante à J0 et J14 (0,71 - 076) diminue nettement à J42 (0,45) ;
– entre l’échelle MADRS et son item 10 ou l’item 3 de
l’échelle Hamilton-dépression : renforcement de la corrélation comme avec la RSD entre J0 et J14, puis infléchissement de celle-ci à J42 ;
TABLEAU IV. — Coefficients de Spearman à J0, J7, J14, J42 :
RSD/MADRS total, MADRS item 10, HAM-D item 3.
RSD (rhô)
(p = 0,0001)
MADRS
Score total
MADRS
Item 10
HAM-D
Item 3
J0
J7
J14
J42
0,40
0,48
0,51
0,54
0,80
0,78
0,79
0,68
0,71
0,76
0,45
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 738-45, cahier 1
L’échelle d’évaluation du risque suicidaire RSD possède-t-elle une valeur prédictive ?
TABLEAU V. — Coefficients de Spearman à J0, J7, J14, J42 :
MADRS total/RSD, MADRS item 10, HAM-D item 3.
MADRS total
(rhô)
(p = 0,0001)
RSD
MADRS
Item 10
HAM-D
Item 3
J0
J7
J14
J42
0,40
0,48
0,51
0,54
0,46
0,50
0,58
0,50
0,45
Évolution sous traitement du risque suicidaire
et de l’humeur dépressive
0,52
0,44
TABLEAU VI. — Coefficients de Spearman à J0, J7, J14, J42 :
MADRS item 10/HAM-D item 3.
MADRS item 10/
HAM-D item 3
(rhô)
(p = 0,0001)
J0
J7
0,78
J14
J42
0,75
0,64
– entre l’item 10 de la MADRS et l’item 3 de l’échelle
Hamilton-dépression : corrélation toujours importante
(0,78 à J0 ; 0,75 à J14), mais moins à J42 (0,64).
Le tableau VII révèle que sous traitement le pourcentage d’amélioration des scores à la RSD par rapport à J0
est supérieur à celui à la MADRS dès J7 (28 % contre
17 %) bien que de manière non significative. Ces différences deviennent significatives à p < 0,05 en faveur de
la RSD par rapport à la MADRS à J14 (53 % > 36 %) et
à J42 (84 % > 70 %).
TABLEAU VII. — Pourcentage d’amélioration à la RSD,
à la MADRS et à l’item 3 de l’échelle Hamilton-dépression
au cours de la phase « traitement » (J0-J42).
(n = 83)
RSD
MADRS
Score total
MADRS
Item 10
HAM-D
Item 3
J7
J14
J42
28 %
53 %
84 %
17 %
36 %
70 %
26 %
54 %
82 %
52 %
85 %
RSD/MADRS
RSD/MADRS item 10
RSD/HAMD item 3
1
Cœfficient de corrélation
0,9
La figure 4 montre que l’amélioration des scores, exprimée en pourcentage résiduel du score à l’inclusion, est
plus rapide pour la RSD que pour la MADRS jusqu’à J14,
l’évolution se faisant de manière quasi parallèle par la
suite.
0,8
0,7
0,6
0,5
0,4
0,3
100
0,2
0,1
RSD
MADRS
80
0
7
14
21
28
Durée de l’essai (jours)
35
42
FIG. 2. — Évolution des corrélations entre RSD/MADRS total,
MADRS item 10, HAM-D item 3 pendant la phase « traitement ».
% du score initial
0
60
40
20
MADRS/RSD
MADRS/MADRS item 10
MADRS/HAMD item 3
Cœfficient de corrélation
1
0,9
0,8
0
0
0,7
7
14
21
28
Durée de l’essai (jours)
35
42
FIG. 4. — Évolution des scores des échelles RSD et MADRS
exprimée en pourcentage résiduel du score J0.
0,6
0,5
0,4
0,3
Validité prédictive de la RSD
0,2
0,1
0
0
7
14
21
28
Durée de l’essai (jours)
35
42
FIG. 3. — Évolution des corrélations entre MADRS total/RSD,
MADRS item 10, HAM-D item 3 pendant la phase « traitement ».
Pour vérifier l’existence d’un seuil de dangerosité
aggravée à partir de 7 à la RSD, nous avons partagé notre
population en deux groupes. Le groupe témoin compte
88 patients qui avaient à J0 un score à la RSD inférieur
ou égal à 6. Le deuxième groupe inclut les 15 patients dont
la RSD était entre 7 et 10.
743
J.L. Ducher, J.L. Terra
Dans le groupe témoin, sur 88 patients, aucun suicide,
ni aucune tentative de suicide n’ont été à déplorer durant
les 18 mois de l’étude. Dans le groupe des 15 patients « à
risque aggravé », il y a eu deux passages à l’acte, l’un par
phlébotomie, l’autre par intoxication médicamenteuse
volontaire. Tous les deux ont entraîné le décès des
patients. Ces deux suicides ont été réalisés dans les cinq
premiers mois de l’étude, pendant la période de consolidation sous traitement actif, l’un au 150e jour de traitement,
l’autre au 65e. Il s’agit d’un homme de 35 ans et d’une
femme de 40 ans dont les scores à la RSD lors de l’inclusion étaient respectivement : RSD 10 et RSD 7.
La comparaison des taux de suicide entre les deux
échantillons est statistiquement significative au seuil α de
5 % en utilisant le test exact de Fisher (p au test exact de
Fisher = 0,02).
DISCUSSION
Les antécédents dépressifs récurrents et les scores
d’inclusion à la MADRS entre 25 et 45, avec une
moyenne supérieure à 31, attestent de la sévérité des
troubles dépressifs des 103 patients inclus dans cette
étude.
Les corrélations étudiées, avant la mise sous traitement, entre la RSD et les autres « échelles » montrent une
validité concourante satisfaisante avec les items
« suicide » de l’échelle Hamilton-dépression et de la
MADRS, et un peu moins satisfaisante avec le score global de la MADRS.
Le fait que les « échelles » mesurant la dimension
« suicide » possèdent des corrélations de 0,71 à 0,80
(p = 0,0001) entre elles, mais seulement de 0,40 à 0,46
(p = 0,0001) avec le score total de la MADRS, renforce
l’idée de l’existence d’une « dimension suicidaire », en
partie indépendante de la dépression, même si leur relation reste statistiquement significative et loin d’être négligeable. Ceci justifie encore davantage la nécessité de disposer de moyens d’évaluation indépendants de ceux de
la dépression.
Durant la phase « traitement », de J0 à J42, le score à
la MADRS passe de 31,19 à 9,29. Pendant cette même
période, la corrélation entre la RSD et l’échelle de dépression MADRS se renforce régulièrement (0,40 → 0,54). On
peut donc dire que la relation entre la RSD et la MADRS
s’élève au fur et à mesure que l’intensité dépressive diminue. A contrario, on peut émettre l’hypothèse que la
« dimension suicidaire » se différencie de la « dimension
dépressive » lorsque l’intensité de celle-ci augmente.
L’évolution des corrélations durant cette même période
entre la MADRS et son item « suicide » ou celui de
l’échelle Hamilton-dépression confirme cette donnée,
mais pas à J42.
Les corrélations à J0 entre la RSD et l’item 10 de la
MADRS ou l’item 3 de l’échelle Hamilton-dépression sont
suffisantes pour établir une très forte relation entre ces
« échelles », mais restent encore suffisamment limitées
744
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 738-45, cahier 1
pour montrer qu’elles n’explorent pas tout à fait la même
réalité. L’évolution sous traitement des coefficients de
Spearman confirme cette analyse. En effet, ce niveau de
corrélation élevé se maintient entre J0 et J14, mais en
revanche diminue à J42, en particulier entre la RSD et
l’item 3 de l’échelle Hamilton-dépression (0,71 → 0,45).
La corrélation des deux items « suicide » entre eux varie
de la même façon. En ce qui concerne la relation de ces
derniers avec la MADRS « total », on constate de J0 à J14
une élévation du coefficient de corrélation, puis une diminution à J42, à la différence de la RSD.
Comment expliquer ces variations ? Une hypothèse
reposant sur la différence conceptuelle de ces divers instruments d’évaluation peut être proposée. En effet, à l’origine, l’item 10 de la MADRS et l’item 3 de l’échelle Hamilton-dépression appartiennent à des échelles dont
l’objectif est l’évaluation de l’intensité de la dépression et
non du risque suicidaire lui-même. Dans ces conditions,
que le degré 3 de l’item 3 de l’échelle Hamilton-dépression
« Idées ou geste de suicide » englobe à lui seul une
grande partie de la dimension suicidaire ne pose pas de
problème, car il correspond bien à un niveau de gravité
de la dépression. Cela devient bien moins évident lorsqu’il
s’agit d’apprécier le risque suicidaire seul. En ce qui concerne l’item 10 de la MADRS, les difficultés sont d’un autre
ordre. Plusieurs propositions sont faites pour un même
degré. Ainsi, si l’on a coté 2, on ne sait pas si le patient
est simplement fatigué de la vie ou s’il a des idées de suicide passagères. Pour 4, peut-être voudrait-il être mort ou
a-t-il des idées de suicide de manière courante ; pour 6,
forme-t-il des projets de suicide explicites ou a-t-il déjà
commencé de préparer son acte ? Là encore, le problème
se pose de manière différente si on cherche à évaluer
l’intensité de la dépression ou du risque suicidaire.
On peut supposer que ces différences conceptuelles
s’effacent lorsqu’on se trouve face à un état dépressif
sévère, mais réapparaissent à des niveaux dépressifs
plus bas. Ceci pose alors un problème pour des troubles
dépressifs moins intenses ou pour le suivi des patients,
en clinique ou dans les études. Imaginons un patient présentant un épisode dépressif majeur qui exprime le souhait d’être mort et quelques jours plus tard des idées de
suicide passagères : il se sera amélioré à la RSD et à la
MADRS, et aggravé à l’échelle Hamilton-dépression… !
Aujourd’hui, la responsabilité de certains antidépresseurs est fortement mise en cause par rapport à une augmentation possible de l’incidence des idées suicidaires,
ainsi que des gestes auto-agressifs chez certaines populations. Cela devient un enjeu de santé publique. De plus
« il est généralement admis que le risque de passage à
l’acte suicidaire est plus important en début de traitement,
lorsque le ralentissement psychique et moteur s’améliore
alors que l’humeur est encore déprimée » (14), ce que
confirment d’autres auteurs : « les antidépresseurs peuvent améliorer l’inhibition psychomotrice avant que les
propensions suicidaires ne soient effacées, favorisant
ainsi le passage à l’acte, en début d’amélioration » (12).
Or, dans cette étude réalisée chez une population à risque important, ayant au moins deux antécédents d’épiso-
L’Encéphale, 2006 ; 32 : 738-45, cahier 1
L’échelle d’évaluation du risque suicidaire RSD possède-t-elle une valeur prédictive ?
des dépressifs majeurs sur les cinq dernières années, présentant un score d’inclusion d’au moins 25 à la MADRS
et de plus de 31 en moyenne dans les faits, on constate
que l’amélioration en pourcentage par rapport à J0 du
score à la RSD est plus rapide que celle à la MADRS, et
ceci dès la première semaine de traitement par fluvoxamine. Cela montre la sensibilité au changement de la RSD,
mais permet aussi de supposer que l’évolution sous traitement du risque suicidaire pourrait être plus rapidement
favorable que celle du trouble dépressif. L’hypothèse d’un
effet « psychothérapique » résultant de l’inclusion des
patients dans une étude peut être évoquée. Mais le biais
résultant de cette prise en charge se retrouve également
dans les études qui ont montré une aggravation du risque
de passage à l’acte lors de la mise sous traitement. On
peut donc supposer qu’il existe une certaine inégalité des
antidépresseurs face au risque suicidaire. Le concept de
la levée de l’inhibition pourrait n’être l’apanage que de certaines molécules. Face à l’enjeu de santé publique que
cela représente, de nouvelles recherches devront être
développées.
Cette étude réalisant un suivi sur 18 mois permet également de tester la valeur prédictive de la RSD et d’un
niveau de risque suicidaire aggravé à partir d’un score de
7, l’importance de celui-ci ayant déjà été validée de
manière empirique dans une étude antérieure (7). Dans
cette population présentant une certaine homogénéité par
rapport à la gravité de la maladie dépressive, tant du fait
de ses antécédents que de la sévérité de l’épisode actuel,
le décès, dans les cinq premiers mois de l’étude, de
2 patients sur les 15 pour lesquels le score d’inclusion à
la RSD était entre 7 et 10, contre aucun suicide, ni même
aucune tentative de passage à l’acte, pendant les 18 mois
de l’étude, pour le groupe témoin incluant les 88 patients
dépressifs ayant une RSD à J0 entre 0 et 6, est en faveur
de ces hypothèses. La RSD semble donc bien posséder
une valeur prédictive. D’autres études devront confirmer
ces données. Mais dans tous les cas un score élevé à la
RSD est certainement un facteur de risque suicidaire à
prendre en considération.
L’intérêt de ces données n’est pas seulement clinique,
mais concerne aussi la recherche. En effet, dans cette
étude où les patients recevaient de la fluvoxamine de
manière ouverte pendant six mois, on a cherché à déterminer un « profil répondeur », pour lequel une amélioration supérieure ou égale à 50 % du score de la MADRS
à J0 était demandée à au moins un bilan durant cette
période. Un seul item parmi la vingtaine recherchée s’est
révélé avoir une validité statistique. On a retrouvé dans le
sous-groupe des bons répondeurs un plus grand pourcentage de patients présentant des idées suicidaires à
l’inclusion que dans le groupe des mauvais répondeurs
(p = 0,04).
CONCLUSION
Cette étude permet de mieux comprendre certains rapports existant entre les dimensions « suicidaire » et
« dépressive ». Elle montre une validité concourante
satisfaisante entre l’échelle d’évaluation du risque suicidaire RSD et les items « suicide » des échelles de dépression Hamilton et MADRS, et moins satisfaisante avec le
score de la dépression évalué par la MADRS, affirmant
ainsi une certaine spécificité de la dimension « suicidaire » par rapport à la dimension « dépressive ». Cependant, l’évolution sous traitement amène à évoquer les différences conceptuelles de ces instruments d’évaluation.
Cette étude pose également la question de l’inégalité
probable des antidépresseurs face au risque suicidaire et
permet de tester la validité prédictive de la RSD grâce au
suivi d’une population présentant des troubles dépressifs
graves sur 18 mois. Le décès par suicide dans les cinq
premiers mois de l’étude de 13 % des patients appartenant au groupe défini « à risque suicidaire aggravé » (RSD
entre 7 et 10) et aucun passage à l’acte suicidaire dans
le groupe témoin, permet de dire qu’un score supérieur
ou égal à 7 à la RSD représente certainement un facteur
de risque suicidaire important.
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