DOS PASSOS John (1896 – 1970) Né le 14 janvier 1896

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DOS PASSOS John (1896 – 1970) Né le 14 janvier 1896
DOS PASSOS John (1896 – 1970)
Né le 14 janvier 1896 à Chicago, mort le 28 septembre 1970 à Baltimore, États-Unis.
John Dos Passos est une figure majeure de la littérature américaine du XXème siècle, avec E.
Hemingway et e.e. cummings, particulièrement à travers ses écrits réalisés entre 1918 et 1936.
Ecrivain prolifique qui au cours de sa carrière a produit quarante- deux romans, plusieurs essais,
poèmes et pièces de théâtre il était également peintre.
Ses œuvres ont toujours été marquées par ses engagements politiques successifs.
Fils naturel d'un père d'origine portugaise, un avocat d'affaires aisé, et d'une Américaine de
Virginia, il a fait ses études dans des établissements réputés, dont des années universitaires à
Harvard, et voyagé en Europe du Sud pour approfondir ses connaissances littéraires et artistiques.
Il était, donc, un intellectuel, europhile et polyglotte.
Sa rencontre avec la première guerre mondiale s'est produite en mai 1917, lorsqu'il s'est porté
volontaire comme ambulancier après l'entrée en guerre des États Unis. Il a été affecté
successivement au front de l'est en France, à Paris et en Italie.
La prise de contrôle par la Croix Rouge de l'organisation au sein de laquelle il s'est engagé
initialement a conduit à son évincement pour sédition - la censure ayant lu ses courriers envoyés
aux Etats Unis fort critiques de la guerre et décrivant sans fioritures son expérience.
Celle-ci lui a fourni du matériel considérable pour deux de ses principaux romans Three Soldiers
et 1919 (deuxième tome de sa trilogie USA) mais aussi pour ce premier roman One man's
initiation – 1917 - (L’initiation d'un homme, 1917 ).
Ces romans font partie de ce qui est communément admis comme la période faste de sa carrière
littéraire qui culmine avec sa trilogie 'USA' dans les années 1930. Cette créativité littéraire est
alimentée par son engagement politique à gauche à cette époque – il se décrivait comme «
révolutionnaire social ».
Par la suite il a amorcé un revirement - le menant jusqu’à' à collaborer avec la Commission du
Sénateur McCarthy dans les années 1940 et à soutenir le Sénateur B. Goldwater lors de l'élection
présidentielle de 1964 - et qui s'accompagne, de l'avis général, d'une baisse dans la qualité
littéraire de ses œuvres.
2) Le témoignage :
One man's initiation - 1917 publié par George H Doran Company, New York 1922* {version
numérique par Samizdat, GB}
Ce premier livre de John Dos Passos est une œuvre courte s'apparentant à une nouvelle.
Il est autobiographique où le principal personnage, Martin Howe, est John Dos Passos lui-même.
Un deuxième personnage, Tom Randolph, équipier de Martin et volontaire américain comme lui,
permet d'échanger des points de vue sur la guerre, leur expérience partagée.
Cependant, en termes littéraires ce n'est pas un récit linéaire avec une trame mais plutôt un
journal, ou carnet de bord, où est racontée une succession de scènes et de situations qu'il a
vécues, notamment le long du front et à Paris.
Le terme 'vécu' est important car il ne s'agit pas de reportage au sens journalistique, mais d'un
cheminement qui se nourrit d'observations, d'analyses et de réactions aux situations de guerre y
compris les plus insolites et les plus dures.
Une première mouture était déjà élaborée à l'été 1918 et le livre a effectivement été publié pour la
première fois en 1920, donc très tôt après les événements qu'il décrit et qui ont constitué un dur
parcours initiatique à la vie et à la mort pour un jeune homme de 21 ans.
Ainsi nous sommes face à un témoignage immédiat, et de jeunesse, qui certes évite les distorsions
du temps qui altèrent la mémoire, mais ne bénéfice pas du recul nécessaire à une maturation des
sentiments.
*Edition française : L'Initiation d'un homme, 1917 (Folio) Gallimard 1997
3) L’analyse :
Si « One man's initiation – 1917 » constitue le parcours initiatique de John Dos Passos vers la vie
et la contestation politique et sociale, c'est également le parcours sacrificiel des soldats envoyés
au front, qu'il s'agisse du sacrifice suprême, d'une vie désormais dénaturée par l'handicap ou tout
simple la déshumanisation résultant du traumatisme des tranchées et du combat.
C'est une vue à la fois détachée et impliquée du confit de par la fonction d'ambulancier qui lui
confère à la fois un rôle d'observateur et d'acteur, renforcé par sa maîtrise de la langue française
qui l'autorise d'échanger avec tout le monde.
Le livre dépeint la guerre après 21/2 - 3 ans de confit et la décrit à travers trois strates qui forment
une sorte de triptyque : le front, l'arrière des lignes, le reste du pays, voire la vision à partir des
Etats-Unis, point de départ du roman.
Cette approche lui permet l'opposition entre scènes d'horreur (tranchées, blessés) et celles de
douceur (jardins, campagne), voire avec celles de la vie ordinaire (restaurants, femmes) ; cette
opposition servant à souligner l'absurdité et l'injustice de la guerre.
Ces scènes mobilisent tous les sens : toucher, odorat, vue, goût, ouïe.
Deux thèmes émaillent ce témoignage : les attitudes envers la guerre, envers l'ennemi, envers les
autres et les effets du confit sur les hommes, notamment les combattants.
Ces thèmes sont développés au fur et à mesure du cheminement du protagoniste Martin Howe
vers le front et ses allers retours subséquent : il part de quelque chose d'abstrait vers une réalité
insupportable.
Au départ de New York quatre attitudes, dont trois présentes tout au long du livre, sont décrites.
Les femmes prenant congés de leur(s) homme(s) sont dans la gaieté d'un simple départ en
voyage, comme pour des vacances – des mouchoirs, de jolies robes garnissent le quai – c'est une
apparition fugace.
L'attitude de Martin est celle du scepticisme et du doute – il ne croit guère à la doctrine officielle
wilsonienne qui veut « préserver la démocratie dans le monde » (« mak(e) the world safe for
democracy ...we shall fght for the things which we have always carried nearest our hearts--for
democracy... »1). Il va à la guerre par curiosité.
Celle de la jeune américaine sur le bateau, et qui s'est portée volontaire, est une réaction à la
propagande officielle matée de la haine des Allemands (« des chiens à exterminer ») – haine dont
le fondement est spécieux car basé sur du ouï-dire et qui sera répandue parmi les civils et les
troupes.
Quant aux soldats américains ils sont pris entre la peur du gaz et de l'inconnu et une certaine
euphorie à l'idée d'en découdre et de vaincre les Allemands ; militaires disciplinés, ils semblent
inconscients des effets de 21/2 ans de confits et de massacres, ils sont dans l'abnégation ou la
résignation.
L'escale à Bordeaux ne sert qu'à témoigner de l'accueil chaleureux que la population réserve aux
soldats Américains – la guerre est encore bien loin.
Finalement, c'est à Paris que la guerre fait stricto sensu son entrée en scène au restaurant avec le
blessé qui a perdu nez, bouche et mâchoire.
La curiosité du protagoniste est confrontée à un premier choc et se trouve tempérée par la peur et
l'effroi, même si lui, comme bien d'autres, ne s'attendait pas à ce que la guerre fût ce qui était
officiellement annoncé.
L'approche du front apporte les premières destructions matériels (la gare d'Epernay), à comparer
aux mutilations du soldat à Paris et le premier contact avec les brigades d'infanterie partant au
front sous la pluie et dans la boue – des soldats réduits à des automates gris charriant leur
équipement et dont les seuls restes de leur humanité sont leur visage rose.
L'arrivée de Martin Howe sur les lignes arrières constitue un passage central du livre ; il révèle
plusieurs facettes de la guerre.
1
W. Wilson - War message to Congress - 2 avril 1917.
En premier lieu, il permet de découvrir l'avis des civils vivant dans cette zone, en l’occurrence
ceux d'un instituteur et d'une vieille femme. Un jardin et des verres de vin partagés sont le fond
du décor où on lève son verre pour les alliés et contre le Boche, bien entendu.
Cette scène conviviale est le fauteuil d’orchestre pour le spectacle qui se déroule sur la route
dehors où passent des défilés de camions remplis de soldats allant consciemment à leur mort.
Cette résignation des troupes trouve son écho chez les Français, qui ne peuvent que compatir – ils
savent que les soldats ne reviennent pas – mais c'est pour la bonne cause, la France, tout comme
ils n'en veulent pas trop aux troupes pour la rapine de fruits, compte tenu du sort qui les attend.
Cependant, pour Martin ce sont des charrettes transportant vers l’échafaud des condamnés à mort.
Mais cette résignation n'est pas absolue, et les soldats manifestent une certaine résistance par la
beuverie et en lançant des slogans comme « à bas la guerre » ; de plus, l'année précédente il y
avait eu des mutineries.
Le thème de la résistance à la guerre sera repris plus tard avec l'aspirant Merrier et ses soldats,
mais cette fois sur un plan politique.
La scène décrit aussi l'attitude d'un officier, qui passant saluer les spectateurs et prendre un verre,
qualifie la morale de ses troupes de « parfaite », ce qui est manifestement fort éloignée de la
vérité.
Pour cet officier, c'est un honneur de mener l'attaque programmée, honneur que ses hommes ne
partagent pas nécessairement.
Enfin, ce passage introduit le rôle des gendarmes, instruments de la répression contre les
militaires et qui ont réussi à faire l'unanimité contre eux et sont haïs plus que les Allemands.
L'arrivée de Martin au front avec les premiers tirs d'artillerie met en lumière l'attitude de la troupe
envers les hauts officiers qualifiés d' « embusqués » – car installés loin derrière les lignes et donc
peu exposés au danger (sauf pour certains celui de l'artillerie).
C'est aussi une observation de ségrégation sociale, ces officiers qui peuvent éviter de faire
l'expérience des conditions épouvantables des tranchées que Martin découvre car disposant du
choix de leur affectation, la plus éloignée du front possible.
De ce fait l'Allemand, l'ennemi, semble plus proche, non seulement en termes de distance
physique (quelques centaines de mètres) mais surtout du point de vue psychologique ; les troupes
des deux côtés subissent la même chose.
Et quand plus tard est rencontré un groupe de prisonniers allemands, l'odeur sordide émanant de
ceux-ci n'est finalement que le refus de leur propre odeur.
Cette communauté d'expériences renforce l'absurdité et l'injustice de la guerre et de la haine de
l'ennemi pour le contestataire qu'est M. Howe.
La guerre est aussi l'ennui profond qui s'instaure dans les tranchées en l'attente d'engager des
actions et qui même réussit à faire disparaître l'ennemi ; les hommes essaient de s'extraire de cet
ennui en jouant aux cartes qui peut-être vont conjurer leur sort de mort certaine.
Le contrepoint de la guerre c'est la permission à Paris, qui se décline en permissivité et abandon
aux plaisirs pour échapper, ne serait-ce que provisoirement, de la rude épreuve du front. C'est
aussi l'occasion de découvrir à quel point les hommes se déshumanisent et perdent leurs repères.
Ainsi, un officier Britannique raconte, à répétition, comment un jeune prisonnier allemand blessé
s'est fait assassiné par un soldat qui a placé une grenade sous son oreiller sous prétexte d'ajuster
celui-ci.
Plus tard Martin décrira la profanation d'un crucifix – la couronne d'épines ayant été remplacée
par du fil barbelé, comme celui qui s'étendait sur les zones de bataille - et qui finit par se faire
abattre par le coup de pied d'un soldat épuisé.
Les Témoins du XXe siècle – Centre de Recherches Interdisciplinaires en Sciences humaines et
Sociales de Montpellier p. 5
Dans ces gestes se devine la perte de la foi, la notion d'abandon.
De retour sur le front, Martin fait la connaissance de l'aspirant Merrier ce qui permet d'aborder à
nouveau la question de la résignation.
Les troupes qui montent à l’assaut sont comparées au bétail allant à l'abattoir. Mais pour Merrier
la résignation est trop simple – produire de la résignation auprès des gens est facile, ce qui permet
de les manipuler.
Ce retour sur le front est l'occasion d'une expérience directe des combats et de la déferlante de
destruction du confit.
Celle-ci se caractérise par une déshumanisation qui rend les hommes esclaves, esclaves de la
machine de guerre mais aussi de l'alcool pour pouvoir affronter la mort, la leur et celle de leurs
victimes.
Elle transforme leur physique en mutilations ou en ramassis de restes humains entassés dans des
sacs, enterrés en rangs serrés dans la boue.
Elle provoque un vieillissement accéléré des survivants et la fin de leur utilité sociale car « à la
maison » on a appris à se passer des services du mobilisé.
Elle réduit les morts en suppôts de l'économie car ils deviennent des pourvoyeurs de bottes qui
peuvent servir à d'autres (vivants) voire pour fabriquer des lacets.
Elle détruit la beauté, qu'il s'agisse de celle créatrice de l'homme à travers la réduction en
poussière d'une belle abbaye gothique ou de la dévastation de la nature (des mulets éventrés, la
forêt rasée et les campagnes déterrées).
C'est aussi un confit qui fait surgir des opportunismes et des égoïsmes des hommes – les
manœuvres des uns pour se faire décorer de la croix de guerre, les refus des autres de céder le
passage aux ambulances remplies de blessées mettant leur survie précaire à risque.
C'est la destruction absolue de tout, un amoncèlement de déchets matériels et humains.
Mais, cette vision apocalyptique n'est, toutefois, pas désespérée.
En effet, ces situations extrêmes sont aussi l'occasion de faire acte de solidarité avec des inconnus
blessés ou mourants ; de se sentir proche de l'ennemi que l'on regrette jusqu'à la honte d'avoir
poignardé avec sa baïonnette, car in fine ce soldat allemand était un homme ordinaire avec
femme et enfants comme son tueur, ou du soldat allemand prisonnier devenu brancardier et avec
qui la communication est impossible du fait de la langue en se demandant s'il partageait les même
sentiments de révolte et de haine contre la guerre.
Surgit aussi une réaction potentiellement salvatrice, comme témoignent les derniers échanges
avec l'aspirant Merrier et ses hommes ; échanges qui, par ailleurs, montrent que les positions
radicales de Martin Howe et de Tom Randolph sont minoritaires parmi les Américains.
Du mal, qu'est la guerre, peut ressortir un monde meilleur, plus juste où sera abolie la rapacité qui
a conduit au confit, où les gens ne seront pas manipulés par les puissances politiques et
économiques.
Cependant, malgré les convictions exprimées aucune action de révolte contre la guerre ne sera
engagée, ce qui réduit les discussions politiques à de simples rêves. Elles sont un échappatoire,
car le vrai espoir c'est pour après la guerre, une fois qu'elle sera terminée.
La mort de Merrier et de ses compagnons clôt ce récit qui offre au lecteur des images et des
réflexions pessimistes sur la grande guerre.
Le livre témoigne de la solitude des troupes car seules dans les conditions atroces du front, même
l'arrière offre de la respiration (air frais), de la détente (des verres partagés), voire de la beauté
(arbres au clair de lune).
Actant leur isolation physique, car coupées du reste du pays, et aussi la césure sociale entre
officiers et combattants, il met à jour le décalage entre les hommes politiques qui conduisent et
organisent le confit et les soldats qui combattent dans une grande lucidité mais sans espoir.
Il décrit les multiples facettes de la déshumanisation et de la perte de dignité de l'homme qui
résulte du confit pour les opposer à l'avènement d'un monde meilleur qui naîtra peut-être de ses
cendres.
Jeremy LEES (Université Paul-Valéry Montpellier III)