L`avenir du français - Production des enseignants et des chercheurs
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L`avenir du français - Production des enseignants et des chercheurs
L’avenir du français L’avenir du français, ouvrage collectif dirigé par Jacques Maurais, Pierre Dumont, Jean-Marie Klinkenberg, Bruno Maurer et Patrick Chardenet, EAC-AUF, Paris, 2007, 282 p., ISBN978-2914610-47-6. Les relations entre les grandes langues du monde, les rapports de force où elles entrent, sont en rapide évolution en ce début du 21e siècle. Le sort du français ne saurait échapper à cette instabilité, les facteurs de ces évolutions étant multiples au plan mondial. Dans un contexte global de rapide réduction de la diversité à tous les niveaux, le défi auquel fait face la francophonie linguistique pour se maintenir dans ses espaces est de taille. Et comment la Francophonie politique peut-elle contribuer à relever ce défi ? Telles sont les grandes questions posées par l’ouvrage collectif qui vient de sortir : L’avenir du français, rédigé par une quarantaine d’auteurs sous la direction de Jacques MAURAIS, Pierre DUMONT, Jean-Marie KLINKENBERG, Bruno MAURER et Patrick CHARDENET, impulsé par le réseau de chercheurs Sociolinguistique et dynamique des langues de l’Agence Universitaire de la Francophonie. Il vise explicitement à « évaluer les impacts à long terme de la mondialisation, de l’élargissement de l’Europe, des nouvelles technologies de l’information et des changements démographiques sur la place du français dans le monde » (Introduction). Il rassemble des synthèses produites par des linguistes, mais aussi par des spécialistes d’autres disciplines : démographes, économistes, géographes, juristes, politologues, acteurs institutionnels notamment. La question est cernée de plusieurs points de vue complémentaires : histoire de la langue française, distribution géographique, politique, et fonctionnelle du français dans le monde, le français dans les activités économiques et scientifiques, dans les nouvelles technologies de la communication, enseignement du français, modernisation de la langue ; on y trouve un riche éventail de vues prospectives, par zones géographiques ou aires linguistiques et du point de vue même de diverses aires linguistiques et culturelles, qui constitue peut-être le volet le plus original de l’ouvrage. L’ensemble est ponctué de tableaux, graphiques, cartes, et d’encarts, complémentaires des textes nécessairement concis. Le lecteur peut arpenter d’abord un très riche état des lieux à multiples niveaux : 21 contributions analysent positions et fonctionnement du français à travers le monde dans les sphères politiques et les organisations internationales, les médias de diffusion et de communication, les situations de travail, la science, la culture, la jeunesse. Suivent deux parties plus brèves consacrées aux actions sur la langue : 4 contributions sur l’enseignement du français, 3 sur la modernisation de la langue française. Enfin une quatrième partie très nourrie, prospective, sur les perspectives d’avenir, forte de 19 contributions, clôt l’ouvrage. Le premier volet, État des lieux, fait la part belle aux études sur le statut du français. Il s’ouvre par un historique exposant d’abord l’expansion initiale de la langue française, les différents mécanismes en jeu et les situations sociolinguistiques auxquelles elle a donné lieu, le mythe de la « langue universelle » et son déclin, puis l’expansion de l’anglais et le repositionnement du français comme promoteur de la diversité des langues et des cultures. La réflexion est poursuivie par un examen des positions de la langue française et l’évaluation des actions menées pour les renforcer sur différents fronts : actions sur les langues des états francophones, pouvoir économique de l’espace francophone, diplomatie et droit international, notamment. Concernant l’enseignement, les actions au plan éducatif sont abordées pour les champs du français langue commune en pays francophones, et du français langue seconde ou étrangère, sur divers terrains géographiques et socio-économiques. Il en ressort des grandes tendances convergentes à encourager : favoriser les programmes scolaires bilingues, l’enseignement en français de disciplines diverses à tout niveau, les programmes d’intercompréhension par familles de langues, et surtout s’assurer que la formation des maîtres soit à la hauteur de ces exigences, de même que la réactivité de l’appui francophone aux demandes concernant le français. La modernisation de la langue française est envisagée via le bilan d’aménagements récents de la langue courante (féminisation des noms de fonction, orthographe), qui apportent des enseignements pour la réussite d’aménagements futurs, via les actions sur les langues spécialisées et la mise à disposition de corpus balisés français sur Internet. Il en ressort qu’il est temps de promouvoir de nouvelles représentations du français, comme langue d’une mondialisation combattant les inégalités de développement et favorisant la diversité culturelle, comme langue ouverte à forte vitalité et polycentrée, comme langue de la réussite socioéconomique. Le volet Prospectives, par son caractère novateur et sa prise de risque, mérite une visite attentive. Les contributions offrent des estimations du dynamisme interne et externe escompté de la langue française globalement et par aire géographique : atouts et freins sont soupesés. Face aux freins connus émanant principalement de la globalisation et de la suprématie mondiale de l’anglais, les atouts sont conçus en termes de langue d’ouverture et de solidarité, de promotion de la diversité linguistique, d’accès au marché moderne qualifié du travail, ainsi que de langue de la bonne gouvernance et du respect de la dignité de la personne. À l’horizon 2050, l’avenir démographique de la francophonie passera largement par l’Afrique – si du moins l’éducation pour tous progresse comme escompté par l’UNESCO, avec la solidarité des pays du nord. En Europe, la place internationale du français dépend notamment de la capacité à convaincre de la nécessité d’une réelle promotion du plurilinguisme et du partenariat linguistique en adoptant également une politique en cohérence avec ces principes au plan intérieur. En Amérique du nord, le français, doté d’une vitalité importante au Canada grâce au Québec (population native et immigration), s’affaiblit face à l’anglais dans les autres provinces canadiennes et face à l’espagnol à la Louisiane. En Amérique du sud, les dynamiques économiques entraînent des remaniements rapides de la situation des langues au profit de la « langue voisine » (espagnol–portugais brésilien) ou de l’anglais, la diminution de présence du français étant maximale dans les pays andins, mais ses atouts (diversité d’intégration sociale, proximité néo-latine et capacité médiatrice avec l’Europe) pourraient lui refaire une place dans les remaniements en cours. Cependant l’hispanophonie orchestrée par l’Espagne a le vent en poupe dans les relations internationales, en Europe comme en Amérique, dans une certaine rivalité avec la francophonie, alors qu’une coopération francophonie-hispanophonie serait à encourager. Vu d’Afrique subsaharienne, si la notion de partage a du sens, c’est par les succès de la francophonie — y compris politiques — pour les combats sociétaux d’urgence que davantage d’Africains peuvent aller vers la langue française. En Asie, la zone la moins francophone du monde, c’est le secteur didactique qui pourrait assurer un avenir du français, en mettant l’accent sur les programmes bilingues scolaires ou universitaires et l’enseignement de disciplines linguistiques en français. Enfin, la francophonie est jaugée du point de vue de quelques autres grandes aires linguistiques (hispanophonie, arabophonie, anglophonie, lusophonie, russophonie), qui renvoient aux positions francophones un regard critique utile. L’un des grands mérites de cet ouvrage collectif est de rassembler les voix d’auteurs émanant d’une quinzaine de pays de quatre continents et de manifester une pluralité de points de vue. On gardera pour d’autres occasions la réflexion sur un certain nombre de débats qui se dessinent entre auteurs, ou qu’on aurait envie de soulever. Ainsi, faut-il orienter davantage la recherche didactique vers la psycholinguistique dans les pays pauvres alors que l’écart se creuse avec les pays favorisés, semble se demander une contribution. Faudrait-il une science réduite pour les pays en situation d’urgence, est-on tenté de répondre en première approche. Il est sûr que la richesse des apports rassemblés ici s’accompagne d’une diversité de points de vue non moins intéressante, même si l’équipe éditoriale, privilégiant la cohérence d’ensemble, a plutôt souhaité adoucir les contours de certaines différences. On n’a pas fini de revenir à cet ouvrage, qui constitue une référence solide pour la réflexion sur le français de demain. Colette Noyau Université de Paris-X-Nanterre http://colette.noyau.free.fr