lire l`interview

Transcription

lire l`interview
Revues
Lexbase Hebdo édition fiscale n˚564 du 27 mars 2014
[Taxe sur la valeur ajoutée (TVA)] Questions à...
Taxis versus VTC : à qui profite le taux réduit de TVA ? —
Questions à Philippe Bozzacchi, Avocat, Conseil en droit
fiscal
N° Lexbase : N1484BUI
par Sophie Cazaillet, Rédactrice en chef de Lexbase Hebdo — édition
fiscale
Réf. : CJUE, aff. C-454/12 et C-455/12 (N° Lexbase : A9412MEC)
Les taxis ont déclaré la guerre aux véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC). Après plusieurs journées
d'action, et la suspension par le Conseil d'Etat du décret prévoyant un délai de quinze minutes entre la
sollicitation d'un VTC et le début de la course (CE référé, 5 février 2014, n˚ 374 524, 374 554 N° Lexbase :
A5800MD8), une nouvelle donnée vient bousculer les attentes des chauffeurs de taxi. Si l'arrêt rendu par
la Cour de justice de l'Union européenne le 24 février 2014 (CJUE, aff. C-454/12 et C-455/12 N° Lexbase :
A9412MEC) ne concerne pas la France, mais l'Allemagne, la problématique soulevée par le juge européen
n'aurait pas tardé à connaître des débats dans notre pays. La question posée était la suivante : le taux
réduit applicable aux taxis allemands peut-il être étendu aux VTC ? En France, le b du quater de l'article
279 du CGI (N° Lexbase : L0784IWX) prévoit que le taux intermédiaire de la TVA s'applique aux transports
de voyageurs quel que soit le mode de transport utilisé. Est-ce à dire que le taux intermédiaire de 10 %
s'applique aux VTC ?
Pour appréhender cette facette du conflit opposant taxis et VTC, Lexbase Hebdo — édition fiscale a interrogé
Philippe Bozzacchi, Avocat, Conseil en droit fiscal.
p. 1
Lexbook généré le 31 mars 2014.
Lexbook - Revues
Lexbase : Dans son arrêt du 27 février 2014, la Cour de justice de l'Union européenne a fixé les critères
permettant de différencier les prestations des taxis et celles des véhicules de tourisme avec chauffeur.
Pouvez-vous reprendre ces critères ?
Philippe Bozzacchi : Dans l'arrêt rapporté, la Cour de justice de l'Union européenne apporte, en effet, des précisions sur les conditions d'application de la Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006, relative au
système commun de la TVA (N° Lexbase : L7664HTZ), qui prévoit que les Etats membres peuvent appliquer le taux
réduit de la TVA pour "le transport des personnes et des bagages qui les accompagnent".
En l'espèce, l'Allemagne, qui a fait usage de cette faculté, prévoit un taux d'imposition réduit de 7 % pour le transport
de personnes par taxi, à condition que ce transport s'effectue au sein d'une commune ou bien que le trajet n'excède
pas 50 kilomètres.
Ne pouvant pas bénéficier de cette mesure, deux entreprises allemandes de location de voitures avec chauffeur ont
saisi, en Allemagne, la Cour fédérale des finances, estimant que leurs prestations de transport urbain ne devaient
pas, à la différence de celles des taxis, être soumises au taux normal de la TVA (16 %, pour les années 2003 à
2006, et 19 %, pour l'année 2007).
Les prestations en cause portaient notamment sur le transport de patients dans le cadre d'un contrat conclu entre
une caisse de maladie et l'association des entreprises de taxis et de location de voitures, qui s'appliquait indistinctement aux entreprises de taxis et aux entreprises de location de voitures avec chauffeur et dont le tarif de transport,
fixé contractuellement, s'appliquait de la même manière aux deux types d'entreprises.
Dans le cadre de cette saisine de la Cour de justice de l'Union européenne, la Cour fédérale des finances a fait
valoir que le transport en taxi et le transport en voiture de location avec chauffeur, qui requièrent, en Allemagne,
une autorisation, sont soumis à des exigences légales différentes.
En effet, la Cour fédérale des finances a exposé que les entreprises de voitures avec chauffeur ne peuvent répondre
qu'à des demandes de transport, qui sont parvenues au siège de l'entreprise ou au domicile de l'entrepreneur, alors
que les entreprises de taxis sont autorisées à répondre à la demande, ce qui suppose que les véhicules soient
présents à des emplacements précis ou bien disponibles sur appel.
De plus, la Cour fédérale des finances a également exposé que des différences existent quant à l'acceptation, à
la transmission et à l'exécution des demandes de transport, ainsi qu'en ce qui concerne la publicité et la mise à
disposition de la voiture, le signe et les caractéristiques réservés aux taxis ne pouvant pas être utilisés sur des
voitures de location avec chauffeur.
Dans ce contexte, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que le droit communautaire ne s'oppose
pas à ce que le transport urbain effectué en taxi ou en voiture de location avec chauffeur soit soumis à des
taux de TVA distincts, dès lors que deux conditions sont cumulativement remplies.
En premier lieu, en raison des différentes exigences légales, auxquelles sont soumis ces deux types de transport,
le transport en taxi doit constituer un aspect concret et spécifique de la catégorie de services en cause (transport
des personnes et des bagages qui les accompagnent).
Sur cette première condition, la Cour de justice de l'Union européenne précise que les prestations fournies par
les entreprises de taxis peuvent être qualifiées de distinctes, lorsque ces entreprises doivent, à la différence des
entreprises de location de voitures avec chauffeur, assumer une obligation de permanence, qui leur interdit de
refuser un transport dans l'attente d'une course plus rentable ou de tirer profit de situations, dans lesquelles elles
pourraient demander un tarif de transport différent du tarif officiel.
Au regard de ces circonstances, la Cour de justice de l'Union européenne considère que l'activité de transport urbain
de personnes en taxi pourrait être considérée comme une activité distincte des autres prestations de la catégorie
en cause (transport des personnes et des bagages qui les accompagnent) et constituer ainsi un aspect concret et
spécifique de cette catégorie.
En second lieu, les différences issues des différentes exigences légales doivent avoir une influence déterminante
sur la décision de l'usager moyen de recourir à l'un ou à l'autre de ces types de transport.
Sur cette seconde condition, la Cour de justice de l'Union européenne relève que l'usager moyen est susceptible
de différencier entre les deux types de transport en question, pour autant que ceux-ci sont soumis à des exigences
légales différentes. Chacun des types de transport en cause est de nature à répondre à des besoins distincts et,
p. 2
Lexbook généré le 31 mars 2014.
Lexbook - Revues
partant, d'avoir une influence déterminante sur le choix de l'un ou de l'autre par l'usager.
En fonction de ces deux conditions, la Cour de justice de l'Union européenne a, au cas particulier, jugé que le
droit communautaire s'oppose à ce que le transport urbain effectué en taxi ou en voiture de location avec chauffeur
soit soumis à des taux de TVA distincts, lorsque, en vertu d'une convention particulière, qui s'applique indistinctement aux entreprises de taxis et aux entreprises de location de voitures avec chauffeur, d'une part, le transport de
personnes en taxi ne constitue pas un aspect concret et spécifique du transport des personnes, et, d'autre part,
cette activité réalisée dans le cadre d'une convention est considérée comme semblable du point de vue de l'usager
moyen, à l'activité de transport urbain de personnes en voiture de location avec chauffeur.
Selon la Cour de justice de l'Union européenne, l'application d'un taux distinct de TVA est exclue si le tarif de
transport est fixé dans une telle convention, s'il s'applique de la même manière aux taxis et aux voitures de location
avec chauffeur, si la convention ne donne lieu à aucune obligation de transport et de service autre que celle existant
déjà en vertu du contrat (à savoir l'exécution effective du transport) et si les entreprises de taxis ne sont ainsi pas
soumises, dans le cadre de la convention, aux exigences légales qui s'imposent à elles en dehors de celle-ci.
Autrement dit, lorsque les prestations de transport de personnes et des bagages qui les accompagnent, réalisées
par les entreprises de taxis et celles effectuées par les entreprises de location de voitures avec chauffeur sont, par
nature, identiques pour l'usager moyen, elles ne peuvent pas, au regard du taux de TVA applicable, être traitées
différemment, si ces deux types d'entreprises ne sont pas, sur un plan légal, soumises à des obligations différentes.
Lexbase : La question était d'importance en Allemagne, puisque les transports de personnes par taxis et
par VTC sont traités différemment au regard de la TVA. Qu'en est-il en France ?
Philippe Bozzacchi : Conformément à l'article 279-b-quater du CGI, les prestations de transports de voyageurs
relèvent, en France, du taux intermédiaire de TVA de 10 %, ce taux s'appliquant quel que soit le mode de transport
utilisé (route, rail, fleuve, mer ou air).
Les transports de personnes réalisés par les exploitants de taxis relevant du taux intermédiaire de 10 %, l'administration des finances publiques considère que les locations, avec chauffeur, de véhicules conçus pour le transport
des personnes bénéficient de ce taux, lorsqu'elles s'analysent en de véritables contrats de transport. Cette qualification résultant des termes du contrat, notamment en ce qui concerne l'assurance et la responsabilité du propriétaire
du véhicule, lesdites locations relèvent, dans le cas contraire, du taux normal de 20 %.
Selon l'administration fiscale, les prestations de transport dites "de grande remise", qui consistent à fournir au
client un véhicule haut de gamme de cinq à neuf places au plus avec chauffeur, relèvent du taux intermédiaire
de 10 % lorsque la tarification est directement liée à la distance parcourue ou lorsque la destination finale est
déterminée à l'avance (formules "transferts hôtels / gares / aéroports" ou "déplacements facturés au kilomètre"). En
revanche, relèvent du taux de normal de 20 %, les formules facturées à l'heure, pour lesquelles le tarif est totalement
indépendant de la distance parcourue, voire de l'existence ou non d'un déplacement (formules "à disposition",
assorties d'un kilométrage illimité).
A la différence de l'Allemagne, la France soumet, à la date d'aujourd'hui, les prestations de transports des personnes au taux intermédiaire de TVA de 10 %, sans limiter lesdites prestations en cause à une zone géographique
particulière ou à kilométrage maximum et surtout sans imposer une distinction particulière selon les entreprises
(taxis ou locations de voitures avec chauffeur), qui réalisent lesdites prestations.
Exception faite des conditions géographiques et de kilométrages fixées en Allemagne, il y avait bien localement
un débat sur le point de savoir, si, à prestation de transport équivalente, les entreprises de taxis et les entreprises
de locations de voitures avec chauffeur pouvaient être traitées, au regard du taux de TVA applicable, de façon
différente.
En d'autres termes, la question de l'entreprise qui réalise la prestation de transport des personnes n'était pas, avant
l'arrêt précité du 27 février 2014 de la Cour de justice de l'Union européenne, d'actualité en France.
Lexbase : Au regard des critères établis par la Cour de justice de l'Union européenne, pensez-vous que les
VTC et les taxis doivent être traités de manière identique en France ?
Philippe Bozzacchi : Cette question est délicate notamment au regard de son caractère politique.
En fonction des critères posés par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt précité du 27 février
2014, la France pourrait être, à court terme ou à moyen terme, amenée à faire, en matière de TVA, une distinction
Lexbook - Revues
Lexbook généré le 31 mars 2014.
p. 3
entre les entreprises de taxis et les entreprises de locations de voitures avec chauffeur.
Si les prestations de transport des personnes effectuées par les entreprises de taxis et celles réalisées par les
entreprises de locations de voitures avec chauffeur, si elles sont totalement identiques et si les entreprises en
cause sont soumises, sur un plan légal, aux mêmes obligations pour lesdites prestations, doivent, au regard de la
TVA, être soumises de façon identique, la Cour de justice de l'Union européenne pose, dans les autres hypothèses,
deux conditions, qui risquent d'être très difficiles à mettre en œuvre en France, notamment au regard du fait que la
première condition peut être "objective", alors que la seconde condition peut être "subjective".
En effet, sur la première condition, qui peut être considérée comme "objective", la Cour de justice considère
que l'activité d'un taxi peut, au regard notamment de son obligation de permanence, de son obligation tarifaire et
de son obligation de principe de ne pas pouvoir refuser une course, être différente de l'activité d'une entreprise, qui
loue une voiture avec chauffeur, qui n'est pas astreinte aux mêmes contraintes.
En fonction de ces éléments, la France pourrait, en effet, traiter, de façon différente, les entreprises de taxis et les
entreprises de locations de voitures avec chauffeur.
Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que, si la France prend une telle décision, des difficultés pratiques vont très
vite apparaître.
En effet, dans une telle hypothèse, les entreprises de taxis pourraient continuer d'être soumises à la TVA au taux
intermédiaire de 10 %, alors que les entreprises de locations de voitures avec chauffeur pourraient être soumises,
pour les prestations identiques à celles des entreprises de taxis, à la TVA au taux intermédiaire de 10 %, et soumises,
pour les autres prestations, à la TVA au taux normal de 20 %.
En revanche, sur la seconde condition, qui peut être considérée comme "subjective", le juge de l'Union considère que l'activité d'un taxi et celle d'une entreprise qui loue une voiture avec chauffeur, qui sont, par essence,
différentes, répondent à des besoins distincts. Partant de ce constat, ces différences doivent, selon la Cour, avoir
une influence déterminante sur la décision de l'usager moyen de faire appel à un taxi ou à une entreprise, qui loue
une voiture avec chauffeur.
En fonction de ces éléments, je dois vous avouer que je ne vois pas bien ce que pourrait recouvrir la décision de
l'usager "moyen" de faire appel à un taxi ou à une entreprise, qui loue une voiture avec chauffeur, en fonction du
fait que ces deux entreprises ne répondent pas aux mêmes besoins.
Que l'usager soit considéré ou non comme un usager "moyen", il ne faut pas perdre de vue que ledit usager cherche,
auprès d'un prestataire, la réalisation uniquement d'une prestation de transport, sans, par principe, se poser, dans
la majorité des cas, la question du point de savoir si un taxi ou une entreprise qui loue une voiture avec chauffeur,
répondent ou non aux mêmes besoins.
Lexbase : Selon vous, la France pourrait-elle prendre des mesures visant à appliquer le taux de droit commun de TVA aux VTC sans violer le droit communautaire ?
Philippe Bozzacchi : En fonction de la réponse apportée à votre précédente question, il est clair que la France
pourrait effectivement prendre des mesures permettant de traiter, pour certaines prestations, les entreprises de taxis
et les entreprises de locations de voitures avec chauffeur de façon différente, sous réserve toutefois de respecter
les deux conditions posées par la Cour de justice de l'Union européenne, qui ne sont, comme exposé précédemment, pas évidentes à mettre en œuvre et qui pourraient, en fonction des mesures prises, donner lieu à de futurs
contentieux.
p. 4
Lexbook généré le 31 mars 2014.
Lexbook - Revues