La gestion conservatoire des eaux et des sols au Maroc : Essai de

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La gestion conservatoire des eaux et des sols au Maroc : Essai de
Actes des JSIRAUF, Hanoi, 6-9 novembre 2007
La gestion conservatoire des eaux et des sols au Maroc :
Essai de distribution spatiale
Abdellah LAOUINA
Chaire UNESCO-GN, FLSH, Université Mohammed V, Rabat, courriel : [email protected]
Abstract
The traditional water and soil conservation techniques play a very important role in the marginal rural
areas of Morocco. Their spatial distribution is not only related with agro-ecology, but also with socioeconomical aspects and a long history of migration and cultures. Namely, the WSC managements aim
to capture and improve the use of water under arid and semi-arid environments, while it tries more to
conserve the soil via the diversion of water and the decrease of the energy of runoff, in the humid
regions. We observe the non inclusion of traditional water and soil management systems into
watersheds’ management systems. Their “under valuation” nowadays, presents the danger of loss of
this traditional know–how. It’s why the overall aim of this paper is to contribute to a better forecast of
water and soil management, under the various ecological and social conditions of the rural areas in
Morocco and to understand the social, economical and cultural processes behind these traditional
techniques.
Key words: Morocco; Land husbandry; Traditional techniques; Soil and water conservation
Introduction
La gestion conservatoire des eaux et des sols ou GCES (Roose, 1994) et, plus
particulièrement les techniques et pratiques traditionnelles (Sabir & al., 2000 ; Roose & al.,
2002), occupent une place importante dans les systèmes agraires marocains, notamment dans
les régions marginales, de montagne ou de climat semi-aride. Ces pratiques locales sont
suffisamment variées dans l’espace pour mériter un effort de spatialisation, car de profondes
disparités régionales en terme de paquet technologique correspondent, à l’intérieur du
territoire national, à des unités homogènes, en terme de contexte, de caractéristiques, de
processus hydriques et écologiques, mais aussi en terme de conditions humaines, de
ressources et de potentialités de développement.
La spatialisation a un objectif principal, celui de présenter aux aménageurs, souvent réticents
à recommander l’utilisation de ces techniques, dites traditionnelles, une palette de procédés,
adaptés aux conditions locales, car fondés sur une lente acquisition de savoir-faire, parfois sur
plusieurs générations. Ces procédés sont par ailleurs en symbiose avec les conditions de
climat, de relief, de sols, de disponibilité de l’eau. Ils sont aussi fonction du genre de vie des
populations, de leur histoire, de leur système de production et de leur degré d’organisation.
Cette spatialisation a surtout un but pratique d’action. Il s’agit de se fonder sur les pratiques
en présence, pour proposer des formes d’inspiration pour les projets de gestion conservatoire
des terres. Il s’agit aussi d’en étudier les possibilités d’extension et de généralisation. Ceci
nécessite bien sûr que l’on parvienne à en proposer des possibilités de modernisation, grâce à
l’utilisation de tout ce qu’offre la recherche technologique, comme espoirs pour faciliter la
mise en place de ces pratiques et en diminuer la pénibilité et le coût en heures de travail.
Ainsi, il sera possible de convaincre que ces dispositifs de CES améliorés et les systèmes
agraires qui les ont engendrés peuvent être proposés comme alternatives, visant la
minimisation des processus de dégradation en cours. En plus, il y a une condition majeure,
c’est que ces propositions ne s’arrêtent pas à la lutte antiérosive et concernent aussi la fertilité
des sols, leur productivité et la disponibilité de l’eau.
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A la suite d’une évaluation de l’existant, dans les différentes régions et d’une étude
comparative, des «grappes» d’aménagements possibles pourront alors être proposées, comme
alternatives aux situations de dégradation existantes et comme moyen d’améliorer les
dispositifs en présence, en fonction du contexte agro-écologique et social. Les aménageurs
auront alors la possibilité d’opérer des choix de techniques, parmi les mieux adaptées en
fonction des capacités de mobilisation locale du travail communautaire.
En fonction du climat, l’objectif d’aménagement de GCES varie fortement :
- En zone humide, il faut à la fois se protéger contre l'eau en excès – générant soit du
ruissellement et de l’érosion hydrique, soit des glissements et des affaissements, en cas de
primauté de l’infiltration - mais aussi accroître le rendement et donc profiter de l'eau quand
les cultures en ont besoin. Dans ces milieux, les aménagements sont étendus et pourraient
intéresser la totalité des espaces en pente, hors-forêt. Pourtant, on constate leur absence de
nombreux secteurs, du fait de l’extension de la SAU et parce que l'on peut arriver à produire
sans aménagements, du fait de l’humidité, même si les rendements sont minimes et la menace
d’érosion très grande.
- En zone semi-aride, en dehors des zones de plaine, la culture en sec devient aléatoire ; il
faut donc capter l’eau de surface sur les versants non agricoles pour la stocker (nombreuses
banquettes, citernes, mares et canaux en terre «séguias») ou l’orienter vers des piémonts et
glacis à sols plus épais : là les techniques culturales sont particulièrement adaptées à
concentrer l’eau et les nutriments vers les souches des plantes cultivées (billonnage cloisonné,
planches, micro-barrages, cuvettes pour les arbres fruitiers).
- En zone aride, il faut se protéger contre les épisodes de crues dans les fonds de vallées et
disposer d'espaces plans irrigables (terrasses des fonds de vallée en plus de quelques rares
sites de sources). Les aménagements sont ainsi circonscrits à la SAU et même à sa partie
irriguée car, dans ces milieux, il est inconcevable de produire hors des ouvrages de CES.
Le croisement des facteurs physiques et sociaux donne plusieurs types de contextes au
Maroc :
ƒ Les aménagements diversifiés des montagnes du Rif, où la conservation du sol devient
primordiale, pour les sites les plus productifs, alors que le reste des versants est utilisé
sans dispositifs de protection ;
ƒ La GCES associée aux aménagements complexes des terrasses irriguées ou en sec du Haut
Atlas occidental et central, avec pour impératifs primordiaux, la constitution d’une surface
cultivable et la gestion des risques dans un environnement de haute montagne difficile ;
ƒ La GCES associée à l'aridoculture des montagnes et piémonts steppiques, type Anti-Atlas,
Souss, Maroc oriental ; dans ce contexte de rareté, l’avantage est à l’interception et à
l’infiltration de l’eau, c’est à dire créer les conditions pour cultiver et profiter au
maximum des eaux de pluie et de ruissellement ;
ƒ La GCES associée aux oasis de montagne, de piémont ou de plaine dans les zones arides ;
l’objectif est double, construire un espace plan et y conduire l’eau pour l’irrigation;
ƒ Les aménagements limités des régions pastorales, qu’elles soient steppiques ou
méditerranéennes, même lorsqu’elles ont été récemment reconverties à l’agriculture.
ƒ Les zones de grande agriculture à faible emprise et à faible diversité des aménagements de
GCES (Plaines atlantiques et subatlasiques).
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Fig. 1 : Les unités naturelles du Maroc septentrional, contexte de zonage agro-technologique
Les aménagements diversifiés des montagnes du Nord marocain
La conservation du sol est primordiale, pour les sites les plus productifs, alors que le reste des
versants est utilisé sans dispositifs de protection. Cette situation résulte de considérations
géologiques d’abord, vu la nature schisteuse ou marno-schisteuse de nombreux versants et
donc la difficulté de bâtir des aménagements avec de la pierre, alors que les talus entaillés
présentent souvent le risque de se transformer en cicatrices d’arrachement. Par ailleurs, le
système agraire s’est longtemps basé sur la complémentarité agro-sylvo-pastorale et
parvenait, grâce à la culture itinérante, à pallier aux risques liés à l’érosion. C’est pourquoi,
traditionnellement, dans le Rif, les aménagements sont restés limités aux sites proches des
douars et hameaux (terres «demna»). Plus loin, le comportement est moins conservateur. La
possibilité de pratiquer la culture en sec n’encourage pas à investir en efforts sur ces terrains.
Mais, actuellement, on observe de nombreux cas d’extension des aménagements hors des
terrains irrigués.
Dans le Rif occidental, la culture est pratiquée sur des terres qui résultent d'un défrichement
ancien pour une bonne partie du finage et récent pour les bordures, malgré le contrôle des
services forestiers. Sur les bordures, le paysage en mosaïque mêle des parcelles cultivées et
d'autres en matorral bas de cistes; ces marges ont connu des abandons périodiques sur 8 à 10
ans, de terres anciennement cultivées. La présence de plantes post-culturales dans ces
parcelles et de vieux ouvrages construits d'amélioration foncière, prouve l'ancienneté de
l'exploitation de ces terres et leur abandon momentané. Plus loin, sur les limites de la forêt, on
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trouve d'autres terres qui n'ont jamais été utilisées intensément ou qui ont été abandonnées
depuis tellement longtemps que toute trace de l'activité agricole y a disparu. Actuellement, ces
terrains considérés comme domaniaux, sont occasionnellement l'objet de défrichements furtifs
sur des parcelles de petite taille.
Les habitants pratiquent des cultures annuelles de faible productivité (céréales et
légumineuses). Le blé se place au premier plan en termes de surfaces cultivées et de
production. L'orge et les fèves viennent en second et troisième place et servent avant tout
comme aliments de bétail. Le maïs est aussi cultivé comme fourrage.
La faible quantité de fumure produite sur place ne suffit pas à amender les terres. C'est
pourquoi la tendance à utiliser des engrais chimiques est de plus en plus affirmée; la fumure
n'est plus utilisée que pour les parcelles irriguées et les plantations d’arbres.
Les techniques de conservation varient d'une parcelle à l'autre, en fonction de la pente, de la
taille de la parcelle et des possibilités matérielles du fellah, et notamment des animaux de trait
qu'il possède. L'araire est tiré par deux animaux (boeufs, mulets, ânes) et représente la
technique la plus usitée sur les champs de faible pente. Sur les terrains rocheux avec des blocs
parsemés, ainsi que sur les terrains en forte pente, l'araire devient difficilement utilisable; les
paysans recourent alors à d'autres moyens manuels, comme la pioche ou la sape. Mais en tout
cas, sur tout terrain, l'utilisation des pioches est obligatoire en association avec l'araire, dans le
but de déchausser certains blocs rocheux ou des végétaux qui entravent le chemin de
l'attelage.
L'arbre fruitier occupe une place importante et accompagne souvent les cultures annuelles et
les terres irriguées. Les plantations se répartissent dans tout le finage et ont tendance à couvrir
aussi bien les sols favorables que ceux qui présentent des conditions plus difficiles. La
majorité des arbres plantés est assez jeune. L'olivier est encore essentiellement greffé sur
oléastre; mais les oliviers plantés ont tendance à devenir de plus en plus répandus.
Les techniques de conservation du sol concernent aussi bien les terrains irrigués et les parties
du "bour" utilisées de manière permanente c'est-à-dire les sols anciennement défrichés et
progressivement améliorés. Les terrains récemment conquis sont plus rarement intéressés par
l'implantation de ces techniques, quoiqu’on remarque une certaine extension des cordons de
pierres dans ces terrains eux-mêmes. Par ailleurs on observe un parallélisme important entre
les concentrations de l'habitat et la localisation des techniques de GCES en grande densité.
Enfin, cette localisation est étroitement dépendante de la disponibilité de pierres et de
blocaille puisque sur versants purement schisteux, les techniques de conservation du sol
deviennent beaucoup plus rares.
Le Rif central semi-aride (vallée des Beni Boufrah) est caractérisé par des terres cultivables
limitées et de faibles réserves hydriques, dans un contexte de sécheresses récurrentes et de
phases de pluies violentes (Al Karkouri, 2003, 2006). La forte pression humaine au 20e siècle
et l'intensification de l'utilisation des ressources, par la mise en valeur de terrains marginaux
supplémentaires expliquent la recrudescence des phénomènes de dégradation. Par ailleurs, la
discipline communautaire s'est relâchée, après la colonisation espagnole, à l'avantage de
comportements plus individuels et moins conservateurs.
Un système de production polyvalent a été lentement développé, basé sur la diversification
des ressources et la complémentarité des terroirs. Le souci de sauvegarde est en tout cas
présent, attesté par les comportements d'entretien collectifs et par la gestion itinérante des
terrains (défrichement et utilisation sur quelques années, puis reconstitution végétale et de la
fertilité des sols, sur une plus longue période). L'appropriation des terres a été à la base du
développement de pratiques de conservation, avec le partage dans le sens des courbes de
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niveau, l'assolement, l'épierrage, la fertilisation, la construction de cordons de pierres et la
protection de terrasses derrières des rideaux de roseaux ou d'arbres. Le stockage de l'eau
complète cette panoplie de mesures, par la collecte d'eau de ruissellement.
Les aménagements complexes du Haut Atlas occidental et central
Dans cette région de haute montagne relativement arrosée et au relief très cloisonné, toutes les
catégories d'action, notamment des aménagements complexes de terrasses irriguées et en sec,
peuvent s'associer, du fait de la nature du climat caractérisé par des excès momentanés et des
périodes de déficit en eau et du fait de la densité humaine relativement forte. La paysannerie
doit affronter dans l'espace et dans le temps des situations très diverses. L'adaptation à ces
conditions a permis de générer des techniques et des pratiques multiples, permettant de
répondre à ces divers objectifs.
Dans ce massif, des populations berbérophones, habitant les vallées, ont aménagé des
terrasses d’irrigation dans le cadre de petits périmètres émiettés au gré des espaces favorables
à la culture et selon la disponibilité en eau. Les céréales prédominent, l’orge occupant la
première place. Mais, l’arboriculture progresse en de nombreux secteurs.
La conquête de nouvelles terres est bien réelle. Les défrichements les plus importants
concernent les moyennes montagnes. La mise en culture peut aussi concerner les pelouses
d’altitude (province d’Azilal). Par contre, en ce qui concerne les secteurs irrigués, les
extensions sont plus rares et impliquent l’introduction de moto-pompes pour relever le niveau
de l’eau et souvent des cultures à forte valeur ajoutée comme les rosacées des vallées
moyennes au Sud de Marrakech. Mais il existe aussi des cas locaux d’abandon des terroirs
éloignés. Certains versants en sec ne sont plus travaillés et, dans certains douars, des champs
retournent à la friche et peuvent représenter jusqu’au quart des terroirs auparavant cultivés.
Les dispositifs de GCES de la chaîne atlasique sont les plus impressionnants par leur taille, la
hauteur de la maçonnerie en pierre sèche et du dénivelé intéressé par le terrassement, ainsi
que par le caractère dynamique de l’entretien quotidien réalisé, notamment suite aux
événements climatiques et hydrologiques causant des destructions.
La GCES des montagnes et piémonts arides
Dans les régions arides, la conservation du sol, parfois même sa constitution, est importante;
mais elle n'est pratiquée que dans les sites où l'eau est disponible pour la production, grâce à
l’irrigation. L'espace intéressé est donc forcément étriqué. Par ailleurs, la diversité
technologique est moins grande, même si le travail fourni est aussi important. L’entretien
nécessaire est sans doute aussi plus élevé, car l'aménagement est vital, du fait de la modicité
des autres ressources. Dans ces régions à forte charge humaine et vieille civilisation agraire,
type Anti-Atlas, Souss et les montagnes du Maroc oriental et dans un contexte de rareté,
l’avantage est à l’interception et à l’infiltration de l’eau ; il s’agit de créer les conditions pour
cultiver et profiter au maximum des eaux de pluie. L’autre impératif est de disposer d’eau
potable et d’abreuvement; c’est ce qui explique la multiplicité des «matfias» ou citernes. Des
efforts exceptionnels ont été consentis dans ces terres complantées d’amandiers ou d’arganier.
Mais, aujourd’hui, la majorité des terrasses sont en voie d’abandon.
La GCES des oasis en bordure des zones sahariennes
Dans les milieux pré-sahariens, au débouché des vallées comme en plaine, l’objectif de la
GCES est de créer un espace plan, aménagé pour irriguer, sans souffrir de manière excessive
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des crues et des destructions qu’elles occasionnent ; les aménagements se concentrent à
proximité du lit d’oued, pour profiter de l’eau, mais avec une protection mécanique et
végétale contre les apports de l’oued.
Tous les terrains irrigués sont soigneusement aplanis et ne souffrent d’érosion que sur le
rebord sapé par l’oued. Un épais rideau de roseaux, de peupliers et de tamarix protége les
terrasses de l’oasis contre les eaux de crues. L'accroissement démographique explique les
coupes successives de la ceinture verte ce qui conduit l'oued à décaper les berges de sa
terrasse limoneuse ; par ailleurs, l'apparition de nouveaux espaces agricoles et l'introduction
de la moto-pompe ont créé de nouveaux paysages modernes spécialisés dans la production de
la pomme et des légumes. Ces cultures qui nécessitent beaucoup d'eau s'alimentent dans la
nappe phréatique au détriment des cultures habituelles de la palmeraie. Le petit paysan oasien
veille constamment à la maintenance de sa terre en lui injectant au moins deux fois par an du
fumier ; en plus, il pratique la jachère et l'assolement.
Plusieurs techniques de gestion de l’eau peuvent être inventoriées, certaines d’entre elles
possédant une réelle connotation de GCES alors que d’autres sont de simples pratiques
d’irrigation. Les espaces oasiens sont irrigués par les eaux des oueds, des khettaras, des puits
et des sources, mais restent des milieux très fragiles car soumis aux fluctuations des
ressources en eaux.
La GCES des parcours steppiques du Maroc oriental
Une bonne partie de l’élevage marocain est menée dans les parcours steppiques ou désertiques
où de petits ruminants pâturent selon un mode extensif traditionnel d’élevage de pays
naisseur. Cet élevage extensif a un avantage comparatif considérable dans les régions de
steppes, où l’amélioration de cette activité constitue la meilleure option possible
d’aménagement et de gestion des ressources. Globalement les surfaces cultivées sont limitées
et l’occupation humaine lâche. L’irrigation intervient très localement pour corriger cet état de
choses puisqu’elle concentre alors de fortes densités et une forte occupation du sol. La
dynamique actuelle consiste dans la réduction et le cloisonnement des parcours dans ces
espaces où cette activité représente à la fois la vocation principale et la tradition. L’équilibre
fragile de la steppe est menacé par l’extension des cultures, lorsque de larges surfaces ont été
soustraites à l’élevage et cloisonnent le parcours par des champs isolés défrichés, puis vite
délaissés, après épuisement des sols. Le surpâturage représente la seconde cause de
dégradation des terres, du fait de la réduction des déplacements et de la disparition des
anciennes complémentarités. La désertification représente ainsi la menace principale dans ces
terres de steppes.
Dans ces steppes arides, localement mises en culture récemment, nous assistons depuis
quelques années seulement, à la mise en place des seuils et des murettes pour retenir le sol et
l'eau. En fait, la mise en culture elle-même des dépressions et fonds de vallées repose sur la
gestion des eaux de ruissellement, récupérées sur les versants et les glacis et conduites en
épandage, plus ou moins contrôlé vers les fonds, pour alimenter les cultures; mais l’érosion
sur les versants et dans les dépressions peut aboutir à la destruction totale des sols et à la
désertification de ces milieux. Le recours aux techniques de conservation dans les piémonts
semi-arides vise justement à atténuer les formes vives d'érosion nouvellement apparues. D'un
autre côté, dans ces milieux où les précipitations sont faibles et irrégulières, les ouvrages de
GCES s'avèrent nécessaires pour emmagasiner suffisamment d’eau pluviale dans le sol pour
garantir une certaine production végétale.
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Conclusion
L'adaptation des habitants aux conditions difficiles a été à l'origine de l'application d'un
certain nombre de techniques de conservation du sol, de maintien de sa fertilité et de gestion
de l'eau dans une optique de protection contre le ruissellement violent et les processus
d'érosion et pour une utilisation rationnelle des eaux, dans un but d'amélioration de la
production. On les trouve aussi bien dans des régions d'installation ancienne que dans des
régions récemment mises en valeur, mais on observe néanmoins un parallélisme important
entre les concentrations de la population et de l'habitat et la localisation des techniques de
GCES en grande densité.
Les pratiques de GCES sont apparues spontanément dans différentes régions étudiées. Elles
étaient souvent commandées par le besoin de gérer des milieux difficiles; l'évolution actuelle
consiste souvent dans leur extension. Mais les cas d’abandon ne sont pas rares et s’expliquent
par des considérations économiques, notamment l’émigration (Anti-Atlas, NE du Maroc).
Le coût de mise en place des techniques traditionnelles de GCES est élevé, si on compte le
temps de travail nécessaire à leur édification ; pourtant, elles sont constamment entretenues et
étendues dans les régions de stabilité démographique relative. Jamais ces ouvrages n'auraient
été réalisés, si les paysans avaient essayé de comptabiliser les efforts investis. En réalité, des
terres récemment achetées sont épierrées et aménagées; ce comportement est en relation avec
le prix élevé de la terre, justifiant ainsi les pratiques de GCES et donc le travail investi.
Les perspectives d'évolution dans le futur sont très difficiles à imaginer du fait que le monde
rural connaît des mutations profondes. Nous assistons actuellement à une dégradation du
milieu naturel, peut-être sans précédent, notamment le tarissement de certaines sources. Or,
sans l'irrigation, condition fondamentale, pour une production intéressante et variée, beaucoup
de ces ouvrages impressionnants n'auraient pas de raison d'être. L'avenir des techniques
traditionnelles de GCES est donc en relation étroite avec l'équilibre des écosystèmes de l'unité
physique en question.
En plus, nous assistons actuellement à des mutations sociales profondes. Les jeunes qui ont
entamé des études, n'en ont pas forcément profité, puisque la plupart sont revenus au douar,
sans travail et aspirent à l’émigration. Chez cette catégorie de jeunes qui a perdu le savoirfaire, les techniques traditionnelles sont de plus en plus perçues comme archaïques et
dépassées. L'avenir de tout l'aménagement est donc posé avec acuité.
Les techniques traditionnelles peuvent être conservées et améliorées si les conditions
suivantes sont réunies:
- la nécessité de maintenir un certain équilibre des écosystèmes régissant le milieu naturel, en
empêcher l'apparition de processus destructeurs et déstabilisateurs;
- le désenclavement des campagnes, pour permettre la commercialisation des produits grâce à
la garantie d'échanges rapides et moins coûteux avec les centres urbains;
- l'amélioration des productions et des rendements par l'utilisation de semences sélectionnées,
l'apport de fertilisants, la généralisation de productions spécialisées à forte valeur ajoutée, ce
qui induit la nécessité d'informer et de former les paysans; actuellement, les paysans s'ouvrent
de plus en plus sur des cultures de rente (arbres fruitiers, pomme de terre); mais le problème
du manque des moyens de transport, des moyens de conditionnement, et l'instabilité des prix,
entravent pour le moment cette évolution bénéfique;
- le choix des techniques de conservation des eaux et du sol les plus appropriées et les plus
convenables en relation avec les données naturelles et les conditions socio-économiques des
populations et l'invention de méthodes de gestion du sol et de l'eau, inspirées des techniques
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traditionnelles, mais fortement améliorées et surtout facilitées (gain en temps de travail et en
efforts d'entretien).
L'adaptation et la résistance des techniques traditionnelles, opposées à de nombreux cas
d’échec de projets modernes, imposent de connaître ces techniques et les sociétés qui les ont
secrétées pour les utiliser au mieux en les intégrant aux choix majeurs et au processus de
réalisation de ces choix. L'amélioration de ces techniques, déjà connues et testées assure
l'intégration facile et rassurante du petit paysan, de son savoir-faire et de ses compétences
dans l'opération de développement. Mais de véritables recherches pour une meilleure
valorisation de ces techniques doivent être menées, proposant le coût le moins élevé possible,
des systèmes productifs spécialisés pour une bonne commercialisation et des rendements
élevés, grâce à des techniques de fertilisation adaptées et rationnelles, sur les deux plans de la
production et de l’environnement.
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