Des « barbares » inassimilables

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Des « barbares » inassimilables
Des « barbares » inassimilables
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Contrairement à des clichés répandus, l'intégration des
Belges, des Italiens et des Polonais, aujourd'hui considérés
comme proches culturellement des Français, s'opère dans
la douleur. Relégués dans certains quartiers, accusés par
les ouvriers français de prendre leur travail, ces immigrés
sont fréquemment visés par des violences xénophobes dès
la fin du XIXème siècle. Les Belges, majoritaires dans la
population de Roubaix vers 1880, sont traités de « pots de
beurre » et de « vermines ». De Liévin à Tourcoing,
sévissent des émeutes anti-Belges dans les années 1890.
Parallèlement, le comportement religieux très ostentatoire
des premiers arrivants italiens les éloigne des prolétaires
français touchés par la déchristianisation.
À Marseille, les dockers transalpins, qui se lancent à
2002
l'assaut des navires à décharger aux cris de Per Gesù e per
la Madonna, sont surnommés péjorativement « christos », avant d'être gratifiés, dans
l'entre-deux-guerres, des aimables surnoms de « macaronis » et de « ritals ». Les
émeutes anti-italiennes se multiplient : à Marseille en 1881, elles font trois morts,
lorsque la foule organise la chasse aux Italiens, accusés d'avoir sifflé les soldats
français qui défilaient après avoir imposé le protectoratà la Tunisie ; à Lyon en 1894,
après l'assassinat du président Sadi Carnot par Jeronimo Santo Caserio, anarchiste
italien. Entre-temps, un véritable pogrom anti-italien s'est produit Aigues-Mortes, en
1893, alors que les ouvriers français des Salins du Midi, furieux de la concurrence
transalpine, se lancent dans une terrible chasse à l'homme dont le bilan officiel fait
état de huit morts.
Dans l'entre-deux-guerres, les thèmes de l'invasion et de l'inassimilabilité, les
références aux « barbares » se répandent. En dépit des discours officiels sur la
« Pologne amie », les ouvriers polonais des cités minières, bons catholiques, sont
traités de « polaks », voire d'Allemands quand ils parlent cette langue.
Tout se passe comme si les derniers arrivés se heurtaient à une xénophobie virulente
au moment où la vague précédente d'immigration se fond définitivement dans le
terroir national. Les Belges ne font plus problème lorsque déferlent Italiens et
Polonais, qui eux-mêmes se seront assimilés au moment de l'arrivée massive des
Maghrébins, à partir des années 50. L'étude des vagues de xénophobie, toujours
liées à une crise économique ou politique et non au dépassement d'un
quelconque seuil de tolérance, révèle la permanence d'un stéréotype propre à
l'étranger. A la fin du XIXème siècle, les immigrés belges sont considérés dans le
Nord comme bagarreurs et dotés d'une sexualité exacerbée, tout comme, plus tard,
les italiens, les Arabes et les Noirs d'Afrique. Les vices et vertus attribués aux
étrangers sont d'ailleurs éminemment variables. Le « Sidi » (Nord-Africain) de l'entredeux-guerres est intelligent, aimable et patriote (il a servi dans l'armée française en
1914-1918), alors qu'à la même époque, le Chinois est réputé sournois.
(pages 72-73)

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