Une famille de Forains en Flandre Témoignage de Thérèse et Pierre

Transcription

Une famille de Forains en Flandre Témoignage de Thérèse et Pierre
Une famille de Forains en Flandre
Témoignage de
Thérèse et Pierre Mekerke
Important
Si vous avez des souvenirs, des anecdotes ou si vous possédez des documents concernant
les manèges Mekerke, n’hésitez pas à contacter Madame Thérèse Caron-Mekerke ; 1 rue
Alfred de Musset 62219 Longuenesse, 03 21 88 27 21 ou [email protected]
Les Mekerke-Mahieux étaient forains et pourtant il est difficile de trouver des familles plus
ancrées à leur territoire.
Le plus ancien Mekerke, retrouvé est décédé de la peste en 1636, à l'âge de 60 ans au lieu dit «
Booste en Houtte » à Watten (non loin de l'abbaye pense-t'on). Depuis les descendants n'ont quasiment
pas bougé puisqu'ils ont vécu à Millam ou Wulverdinghe. Pour les Mahieux on remonte à 1694 à
Wulverdinghe ; eux ne se sont pas non plus éloignés de leur clocher puisqu'ils n'allèrent guère que
jusqu'à Volckerinckhove et très récemment à Rubrouck. Il faut préciser que c'était des gens de la
terre, ce qui n'incite guère aux déplacements. On ne sait ce qui poussa René Mekerke (1841-1920) à
quitter son métier de laboureur pour devenir forain ni à quelle date exactement il fit ce choix, seul le
hasard des actes d'état civil permet de savoir qu'il était déjà forain avant 1890.
Au milieu du XX""° siècle les manèges « à chevaux de bois » apparaissent et se multiplient, ils
animeront bientôt toutes les ducasses de village. Il fallait un apport financier non négligeable pour
acquérir ces petites oeuvres d'art, ce que les anciens forains, davantage saltimbanques, n'avaient
probablement pas.
Ainsi l'esprit, d'aventure aidant, de nouvelles vocations naîtront créant de nouvelles lignées de
forains. René Mekerke (Aimé, René, Fortuné pour l'état civil) acheta donc un manège avec son
épouse Eugénie (Mathilde Eugénie) Delobbel native, comme lui, de Millam. On ne sait rien de la
carrière de ce premier forain mais le métier ne devait pas être trop mauvais puisque trois de ses six
enfants vivants lui emboîtèrent le pas. Deux garçons Nestor (1874-1955) et Emile (1879-1964) furent
forains durant toute leur carrière. Ils épousèrent d'ailleurs deux soeurs Marie-Louise et Romanie
Duriez, qui elles-mêmes avaient deux frères forains. Ces Duriez constituaient une première génération
de forains dont les descendants actuels, toujours forains, en sont la cinquième génération. Une fille
Mekerke, Félicie, avait elle aussi le virus, au point qu'elle décida son mari à devenir lui aussi «
marchand forain ». Les trois frères et soeurs furent également fidèles à leur commune d'origine puisque
deux d'entre eux vécurent toute leur vie à Millam. Nestor quant à lui vécut d'abord en limite de
Wulverdinghe où, lorsqu'il n'était pas aux ducasses, il tenait un café. Il s'établit ensuite à Watten
également limitrophe de Millam. Vers les années 1910, une troisième génération de Mekerke embrassa
elle aussi la profession de forains. Ils seront quatre à exercer ce métier, mais ce s e r o n t l e s
d e r n i e r s , à l'exception d'une fille. Paulette Bayart, petite-fille de Félicie, à l'image de sa
g r a n d - m è r e , p e r s u a d a son mari de devenir forain.
Thérèse et Pierre Mekerke / Généalogie et Histoire du Dunkerquois / GHDk
Page 1
Le manège Mekerke installé à Nieurlet en 1926.
Thérèse Mekerke et ses frères Fernand et Pierre, petits enfants d'Emile connurent durant leur
enfance la vie de forain.
Leur père André (1909-1997) avait repris le manège familial. Il s'agissait encore du manège
que leur ancêtre René avait acheté lorsqu'il s'était lancé dans le métier. André avait en fait le manège
mais aussi des balançoires et même une friterie.
André avait épousé Laure Mahieux une fille née à Volckerinckhove mais dont le père, boulanger,
s'était établi à Rubrouck, elle était tout à fait étrangère au milieu forain mais affirme encore aujourd'hui à
plus de 90 ans que cette période foraine fut la plus belle de sa vie.
On commençait à travailler tôt en 1922, André Mekerke à 13 ans rentre dans la vie active. Sans
doute n'est il pas encore assez vigoureux pour être utile dans le monde forain, aussi travaille t'il
pendant quatre ans aux tissages Vandesmet à Watten.
A 17 ans il devient « industriel forain » mais il ne l'est à vrai dire que le temps des ducasses, de
mai à septembre. Une ducasse dure trois jours du dimanche au mardi, ce sont les trois jours de la
semaine où les manèges tournent. Ils sont mis en route, après la messe, puisque chaque jour de ducasse
commence par la messe et comme le dimanche il y a deux ou trois messes, c'est après la grand messe
seulement que la fête commence et elle s'arrête le soir à 8 h, mais aussi un peu le temps du repas du
midi. C'était donc peu d'heures de fonctionnement dans la semaine mais des heures intenses car la
foule était nombreuse même dans les plus petites communes. Aucun villageois n'aurait manqué la
ducasse mais on invitait aussi à cette occasion la famille des alentours et une foule nombreuse venait
des villages voisins. Ces heures étaient harassantes, il fallait être partout, faire la chasse aux
resquilleurs (avec un martinet !), la musique, les cris étaient abrutissants.
Thérèse et Pierre Mekerke / Généalogie et Histoire du Dunkerquois / GHDk
Page 2
Le mercredi la ducasse était terminée et une autre tâche attendait les forains ; il fallait songer à
déménager. Là, c'était affaire de muscles et de souplesse. Le manège était en bois massif « chaque
pièce pesait au moins 50 kg et la bâche était une lourde toile ».
C'était un manège de chevaux de bois ; 23 chevaux dont 12 qui montaient et descendaient et 11
fixes ainsi que 4 gondoles. Le manège était de taille respectable car en son centre on plaçait un lourd
cheval de trait qui en tournant actionnait le manège. Il devait être solide également car, à cette
époque, c'était beaucoup, voire une majorité d'adultes qui montaient sur les manèges et celui-ci
pouvait accueillir une quarantaine de personnes ! Le démontage d'un tel manège demandait
beaucoup d'habitude et de précision car il était à la fois lourd et fragile, l'intérieur était orné de
panneaux peints de scènes romantiques et de miroirs.
Un grand orgue de barbarie, un « orgue Gasparini », posé en fronton donnait la musique de la
foire sur toute la place.
L’orgue Gasparini de la famille Mekerke
Thérèse et Pierre Mekerke / Généalogie et Histoire du Dunkerquois / GHDk
Page 3
Les balançoires bien que plus rapidement démontées, étaient, elles aussi, composées
d'éléments robustes car elles étaient faites pour supporter des adultes à l'exception d'une petite nacelle
à chaque extrémité réservée aux enfants.
Pierre Mekerke dans la nacelle des balançoires pour enfants,
en arrière-plan la roulotte familiale.
La friterie enfin était un véritable petit chapiteau car si vers l'extérieur on vendait des frites à
l'intérieur les clients pouvaient les consommer tranquillement, assis à des tables.
Pour un tel déménagement la famille Mekerke n'était pas assez nombreuse, alors elle avait un
aide quasi permanent, un habitant de Nieurlet que tout le monde connaissait sous le nom de « Cadet ». On
embauchait aussi pour quelques heures et quelques pièces, des costauds du village où se trouvaient
alors les manèges. Enfin les cousins venaient volontiers donner un coup de main. Ceux-ci avaient un
tir et vendaient du nougat et le démontage de leurs stands était bien sûr plus facile. Un oncle surnommé
Petche Kraem venait également à la rescousse. Le démontage terminé c'est une véritable petite
caravane qui se mettait en marche, venait d'abord la roulotte, logis des Mekerke puis les remorques
supportant tous les éléments des stands et manège, bien rangés. Le tout était tiré par le cheval, moteur
du manège. On le voit le cheval était indispensable, si par malheur il tombait malade durant une
ducasse, il fallait lui trouver rapidement un remplaçant pour que la fête puisse continuer. C'est un
cheval du village qui prenait alors le relais « à Rubrouck, c'est le brasseur qui a prêté son cheval ».
Thérèse et Pierre Mekerke / Généalogie et Histoire du Dunkerquois / GHDk
Page 4
La friture du Nord d’André Mekerke
Paul Mekerke (cousin de Pierre) et son épouse Blanche Roux
devant leur stand de tir et de vente de nougat.
Thérèse et Pierre Mekerke / Généalogie et Histoire du Dunkerquois / GHDk
Page 5
Heureusement le trajet d'une ducasse à l'autre n'était généralement pas bien grand car les
Mekerke tournaient dans un secteur relativement réduit. De mémoire de Laure Mahieux ils allaient
aux ducasses de Rubrouck, Lederzeele, Zegerscappel, Bollezeele, Wulverdinghe, Watten, Millam,
Esquelbecq, Wormhout, Nieurlet, Saint Momelin, Buysscheure ainsi qu'à Bourbourg,Loon Plage ,
Neuve Eglise, Vieille Eglise, Saint Folquin et enfin Cassel ainsi qu'à la neuvaine de Saint Gohard à
Arnèke.
Quand par chance, ils restaient au raccroc de la ducasse, le dimanche suivant, les Mekerke
économisaient alors un démontage et un remontage.
Le remontage n'était pas non plus une mince affaire, il fallait deux longues journées pour
l'effectuer correctement.
La première chose à faire en arrivant dans un village était de se présenter à la mairie, même si
l'arrivée était prévue et si les Mekerke étaient connus. I1 fallait ensuite trouver un voisin chez qui ils
puissent s'approvisionner en eau, car bien sûr la famille vivait toute une semaine au village. Leur
demeure était une roulotte : « elle était grande », du moins au regard des enfants et avait tout le nécessaire
pour y vivre. Un feu à charbon permettait d'y faire la cuisine. Au fond une cloison coulissante cachait
les lits mezzanines ; en haut dormaient les parents et en dessous, tête bêche, les enfants. La roulotte était
installée au plus près des manèges pour être toujours à pied d'oeuvre et ça n'était pas pour déplaire
aux enfants Mekerke, « on s'endormait au son de l'orgue » se rappelle avec joie Pierre, « c'était toujours
la fête ».
Pourtant être enfant de forains entraînait quelques désagréments. « Chaque matin de ducasse il,
fallait se lever tôt pour astiquer le manège de fond en comble ». La nuit le manège était fermé d'une
bâche qui formait un rideau mais il n'était pas rare le matin de découvrir que des amoureux y avaient
passés quelques bons moments. Ceci pour l'anecdote mais nettoyer vigoureusement toutes les barres en
laiton n'était pas anecdotique. Les chaussures bien cirées des villageois avaient aussi laissé plein de
traînées noires dans tout le manège et surtout sur les chevaux blancs. Il n'était pas toujours aisé de les
faire disparaître, pourtant il fallait à tout prix que le manège soit impeccable lors de sa remise en route.
Un autre inconvénient pour les enfants mais surtout pour les parents c'était l'école. On y allait
peu, il n'y avait pas classe les jours de ducasse et surtout les enfants changeaient d'école chaque semaine.
Les enfants, en réalité, ne ressentaient pas cela comme un inconvénient au contraire, car ils étaient
chaque fois les vedettes de l'école. Les parents veillaient pourtant à ce que ce statut de forain ne
devienne pas rapidement un inconvénient. Ils mettaient un point d'honneur à ce que les enfants se
tiennent correctement et aient toujours une tenue impeccable pour qu'ils ne soient pas traités de
« baraquins ». Bien que connus et parlant flamand comme les gens des villages, les Mekerke n'en
demeuraient pas moins des étrangers et parfois les portes commençaient par se fermer avant que les
gens ne se lient.
La saison terminée la petite caravane retournait à Millam où la famille Mekerke avait sa demeure
à l'entrée du village ainsi qu'un hangar où étaient entreposés roulotte et manèges durant la mauvaise
saison. Le père de famille en profitait alors pour réviser et réparer si nécessaire chaque pièce.
André et surtout son père Emile, étaient de bons bricoleurs surtout pour travailler le bois (tout le
manège était en bois) et cela avec des outils très simples. Emile avait fabriqué lui-même la roulotte de la
famille, elle aussi tout en bois. Il fallait aussi repeindre le matériel et donner des retouches aux
tableaux ou aux frises. Cela cependant n'occupait pas tout l'hiver et surtout ne faisait pas rentrer
d'argent. Alors il fallait trouver des travaux saisonniers. André a noté consciencieusement tous ses
emplois, durant des années de début octobre à fin décembre ; il a travaillé à la sucrerie de Pont d'Ardres
à la Bistade (ce qui explique qu'ils faisaient des ducasses dans les environs). La distance de Millam était
grande aussi la famille logeait encore durant trois mois dans la roulotte près de la sucrerie. Le reste de
l'hiver, André teillait du lin chez lui à l'aide d'une grande roue manuelle.
Thérèse et Pierre Mekerke / Généalogie et Histoire du Dunkerquois / GHDk
Page 6
Les balançoires d’Emile à Loon Plage
Le rythme s'est cependant interrompu durant la guerre de 1939-1945. En septembre 1939 André,
qui avait accompli son service militaire dix ans auparavant, fut remobilisé. Par chance, il ne fut pas
retenu prisonnier de guerre et put regagner son domicile un an plus tard, en octobre 1940. il n'était
pourtant pas question durant les années de guerres de faire tourner les manèges dans les ducasses,
alors ceux-ci restèrent dans le hangar jusqu'en mai 1945. André durant ce temps fut teilleur de lin à
son compte.
Dès juin 1945 les manèges reprirent la route. Après ces années de guerre les gens étaient avides
d'amusement et les manèges tournaient à plein régime.
Le cheval était remplacé par un gros tracteur et un moteur actionnait le manège. L'argent coulait
et André n'avait plus besoin d'aller travailler à l'extérieur durant l'hiver, il s'occupait de ses manèges et
le moteur faisait tourner la roue à teiller le lin. « On a gagné de l'argent » nous dit son fils Pierre. « mais
il fut très mal placé, on avait notamment des emprunts russes. Les intérêts de notre argent étaient dépensés
dans l'achat du ticket aller retour du bus qui conduisait mon père à la banque à Saint Omer !»
1950 fut l'année importante pour les Mekerke. Cinq enfants étaient nés qu'André aimait
beaucoup. La vie de forain n'était pas idéale pour les enfants, il aurait mieux valu les mettre en pension
mais était-ce la bonne solution ? Cela aurait par ailleurs coûté cher et il aurait bientôt fallu songer à
moderniser le matériel forain. Alors André et Laure prirent la décision douloureuse de cesser le métier,
la saison 1950 finie, ils vendirent tout le matériel aux Duvet, des collègues de Watten. « Le tout fut vendu
pour une bouchée de pain, alors qu'un seul des chevaux de bois vaudrait une fortune aujourd'hui ».
André partit alors travailler comme ouvrier teilleur dans un teillage à Wulverdinghe durant une
quinzaine d'années puis finit sa carrière aux chantiers de France à Dunkerque. Il garda cependant
toute sa vie la nostalgie de cette vie de forain au point de ne plus jamais être allé à une foire ou une
ducasse. Il ne voulut pas savoir ce que son manège était devenu, sans doute a-t-il brûlé. Quant aux
enfants qui étaient pourtant encore bien petits quand les manèges s'arrêtèrent, ils collectionnent les
souvenirs, les photos, les maquettes de manèges et les disques d'orgue de barbarie.
Thérèse et Pierre Mekerke / Généalogie et Histoire du Dunkerquois / GHDk
Page 7
Documentation
Revue Yser Houck N° 61
Thérèse et Pierre Mekerke / Généalogie et Histoire du Dunkerquois / GHDk
Page 8