shipwreck summer L`été du naufrage
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shipwreck summer L`été du naufrage
rail tales histoires sur rails By | Par Robert Lévesque station to station with legendary figures de gare en gare, avec des personnages immortels Émile Nelligan Shipwreck Summer L’été du naufrage A year before he wrote Le Vaisseau d’or (The Golden Ship), in which he described a ship falling victim to an “appalling shipwreck [that] plunged her keel aslant/to the Gulf’s depths, that unrelenting tomb”—a metaphor for his own sinking—Émile Nelligan was summering in Cacouna, when news of a real shipwreck shocked him and his fellow vacationers. At five in the morning on July 4, 1898, La Bourgogne went down 60 miles from Sable Island, carrying 600 souls to the bottom of the Atlantic. It was said that the captain took his own life, on the bridge, as the ship sank... The tragedy caused much grief in the Lower St. Lawrence. Was the Montreal-born poet, aged 19, stricken? On August 9, 1899, he was taken to Saint-BenoîtJoseph-Labre asylum in Longue-Pointe, with all his secrets and fears for baggage. Never again would he visit the resort in Cacouna where, since 1886, he had spent languid, melancholy summers with his mother and little sisters. In those days Cacouna was a most fashionable spa town (dubbed “Canada’s Saratoga” by Arthur Buies), where women from the cities of North America, still clad in their long dresses and stylish hats, took the waters. Men in shirtsleeves wore their top hats as they went boating with the children, attired in their Sunday best. A gilded past memorialized in the photos of Jules Livernois. All summer long, English was the language of Cacouna. 60 destinations Un an avant qu’il écrive Le Vaisseau d’or, qu’il imagine que « le naufrage horrible inclina sa carène/Aux profondeurs du gouffre, immuable cercueil », métaphore de son propre effondrement, Émile Nelligan, en vacances à Cacouna, avait été témoin, avec les estivants, d’un réel naufrage, celui de La Bourgogne le 4 juillet 1898; à cinq heures du matin, à 60 milles de l’île au Sable, 600 personnes périrent dans les flots de l’Atlantique. Le capitaine, disait-on, s’était suicidé sur la passerelle au moment de couler… Le bouleversement fut grand dans le Bas-du-Fleuve. À 19 ans, le poète montréalais en fut-il troublé ? Le 9 août 1899, conduit à l’asile Saint-Benoît-Joseph-Labre, à Longue-Pointe, Nelligan emporta avec lui ses secrets, ses peurs, et il ne retournerait plus à la villégiature de Cacouna où, depuis 1886, avec sa mère et ses deux sœurs cadettes, il passa des étés mélancoliques et beaux. Cacouna était alors la station balnéaire à la mode (Arthur Buies l’appelait « le Saratoga canadien »), les femmes venues des villes canadiennes et américaines s’y baignaient en robes longues, chapeaux sur la tête; les hommes, en manches de chemise, gardaient le haut-de-forme en montant dans les barques avec les enfants endimanchés. Ce passé dont on garde des images grâce aux photos de Jules Livernois. La langue anglaise régnait l’été à Cacouna. Les Nelligan, juillet venu, prenaient le chemin de fer du Grand Tronc pour se rendre au « pays du porc-épic » Did Émile Nelligan like train stations? Was he, like Proust, drawn to railway signals? Émile Nelligan aimait-il les gares ? Comme Proust, avait-il un attrait pour les indicateurs de chemins de fer ? When July dawned, the Nelligans would board a Grand Trunk train to reach “porcupine country” (Kakoua-Nak, in the local native language). Since 1860, a spur line belonging to the small railway (absorbed by CN in 1918) had connected Lévis to Trois-Pistoles. In 1880 they built a station on Rue de l’Église, in the heart of the village (the station was closed in 1960 and demolished in 1963). Émile’s father, a postal inspector in the Gaspé, would join Émile, his mother, and his sisters. For many years they stayed on the second floor of the Cacouna House, where Émile’s window overlooked a tall stand of maples. In 1896, they rented a cottage, Peek-a-Boo Villa, from a farmer. The summer of the shipwreck, 1898, was the last warm season of freedom for the poet of the Camélias and the Cercueils… Did Émile like train stations? Was he, like Proust, drawn to railway signals? No one knows. Was it because his strict father had worked for the Grand Trunk that he stayed away from the world of trains? The Montreal– Cacouna runs were his only train trips. Once, with two friends from college, he went to Montreal’s Bonaventure Station to catch a train to New York, to go to the opera. But they didn’t have enough money for the fare... Did he find happiness at Peek-a-Boo Villa? His biographer, Paul Wyczynski, writes of “several pleasant memories,” like walking along the gravelly beaches at the foot of the cliffs or a night of Italian opera at St. Lawrence Hall. He made friends with a farmer’s son, Ulric Michaud, with whom he’d pitch hay by day; by night, he and a friend from Montreal, Denys Lanctôt, would immerse themselves in literary talk. Hay and sunshine, poetry and darkness... During his long institutional winter (1899 to 1941), did he forget one of the most singular characters from those Cacouna summers, the rich American spinster locals called “The Hairy One” who, every afternoon, accompanied by her chauffeur, would walk her 18 dogs through the village streets? Every male in the pack had a bowtie, every bitch a garish bow. After their walk, servants fed all the animals, the meat placed on plates engraved with their names... (en langue amérindienne, Kakoua-Nak signifie l’endroit où demeure le porc-épic). Depuis 1860, un tronçon de cette compagnie ferroviaire (qui sera intégrée au CN en 1918) filait de Lévis à Trois-Pistoles. En 1880, on avait construit une gare rue de l’Église, en plein village (on la ferma en 1960, elle fut démolie en 1963). Avec sa mère et ses sœurs, Émile y retrouvait son père qui, inspecteur des Postes en Gaspésie, venait les rejoindre. Longtemps, ils logèrent à l’étage du Cacouna House (la fenêtre d’Émile donnant sur de grands érables) et, depuis 1896, ils louaient d’un cultivateur une maison appelée « Peeka-boo Villa ». 1899, l’été du naufrage, le dernier vécu en liberté par le poète des Camélias et des Cercueils… Émile aimait-il les gares ? Comme Proust, avait-il un attrait pour les indicateurs de chemins de fer ? On n’en sait rien. Est-ce parce que son père, sévère, avait été employé du Grand Tronc qu’il fit l’impasse sur l’univers ferroviaire ? Montréal-Cacouna furent ses seuls allersretours en train. Une fois, avec deux amis collégiens, il se rendit à la gare Bonaventure pour aller assister à un opéra à New York, mais, dans leurs poches, pas assez de sous… À la « Peek-a-boo Villa », connut-il le bonheur ? Son biographe Paul Wyczynski parle de « plusieurs événements agréables », la marche sur la grève au bas des falaises, une soirée d’opéra italien au St-Lawrence Hall… Il s’était fait un ami du fils d’un cultivateur, Ulric Michaud, avec qui le jour il faisait les foins, puis, avec un ami de Montréal, Denys Lanctôt, il s’enivrait le soir de discussions littéraires. Foin ensoleillé, poésie enténébrée… Oublia-t-il dans son hiver clinique (de 1899 à 1941) l’un des personnages les plus particuliers des étés de Cacouna, cette riche célibataire américaine que les villageois surnommaient « la Poilue » et qui, tous les aprèsmidi, accompagnée de son chauffeur, promenait ses 18 chiens dans les rues du village ? Chaque chien avait un nœud papillon, chaque chienne une cocarde bariolée. Après la promenade, des serviteurs nourrissaient chaque bête, déposant la viande dans des plats gravés à leurs noms… destinations 61