1992 barcelone postérité 1960 rome fraternité 1968 mexico exploits

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1992 barcelone postérité 1960 rome fraternité 1968 mexico exploits
LE TEMPS
VENDREDI 5 AOÛT 2016
6 Sport
1960
ROME
FRATERNITÉ
1968
MEXICO
EXPLOITS
1984
LOS ANGELES
RENTABILITÉ
AMBIANCE La dolce vita gagne le village
olympique, illustrée par la romance de la
sprinteuse américaine Wilma Rudolph et
de l’Italien Livio Berruti. Insouciants et
fraternels, les Jeux de Rome sont les plus
fidèles à l’esprit de Coubertin
SPORT A 2200 mètres d’altitude, les
spécialistes de l’athlétisme s’attendaient
au pire. On a vu au contraire le meilleur,
avec de très nombreux records du monde,
dont quelques-uns ont durablement
marqué les esprits
ÉCONOMIE Seule ville candidate pour
l’édition de 1984, Los Angeles organise les
premiers Jeux entièrement financés par
des privés. Ils sont à ce jour les seuls à
avoir dégagé un bénéfice. Les Jeux qui ont
sauvé les Jeux
On touche là à l’irrationnel mais tous les témoignages concordent:
les Jeux de Rome furent uniques par l’esprit qui flotta sur la Ville
éternelle et les 5338 athlètes présents du 25 août au 11 septembre 1960.
Y a-t-il une raison? Faut-il une raison à un moment de grâce? Jamais
la jeunesse du monde entier n’a fraternisé avec autant de spontanéité
et de sincérité. L’époque est pourtant à la Guerre froide, à la décolonisation… Mais 1960, c’est aussi l’année de la sortie de La dolce vita,
le film de Fellini.
Le village olympique est situé dans une boucle du Tibre. Des petits
immeubles sur pilotis recréent une cité radieuse. La canicule pousse
les athlètes à se retrouver à l’ombre, sous les bâtiments, pour une
sieste, une partie de ping-pong, une discussion et plus si affinités. Le soir, on joue du jazz, on danse.
La cérémonie d’ouverture est traversée d’un instant
magique: après les discours et les coups de canon, des
milliers de pigeons s’envolent dans le ciel tandis que les
cloches de Rome se mettent à sonner. Alors, écrit Robert
Parienté dans La Fabuleuse Histoire des Jeux olympiques,
«le stade tout entier, la ville de Rome tout entière frissonnent de bonheur sous cette délicate dentelle sonore;
froissement des ailes grises, carillons aériens de toutes
les cloches vaticanes. Un moment très rare est suspendu
dans l’air, moment sans prix, hors du temps.»
A Rome, même les athlètes sont beaux. Cassius Clay, champion olympique de boxe, qui ne s’appelle pas encore Mohamed Ali,
a la perfection d’un marbre du Foro Italico. L’Ethiopien Abebe Bikila,
qui remonte pieds nus la via Appia en vainqueur du marathon, a la
noblesse d’un négus. La sprinteuse américaine Wilma Rudolph, «la
gazelle noire», enlève trois médailles d’or et le cœur de l’Italien Livio
Berruti. Souvenirs éternels.
A Mexico, plusieurs éléments concourent à la réalisation de performances physiques exceptionnelles dans les épreuves d’athlétisme de
courte intensité: l’altitude (2200 m), une plus faible densité de l’air
(inférieure de près d’un quart à celle mesurée au niveau de la mer),
un climat chaud et sec, un vent favorable soufflant souvent au maximum de la limite autorisée (2 mètres par seconde) ainsi qu’un nouveau
revêtement sur la piste, le Tartan, qui s’imposera très vite partout.
En sprint, tous les records du monde masculin sont battus. Jim Hines
est le premier homme sous les 10 secondes au 100 m (9’’95), Tommie
Smith le premier sous les 20 secondes au 200 m (19’’83), Lee Evans le
premier sous les 44 secondes au 400 m (43’’86). Des records qui
tiendront respectivement 15 ans, 11 ans et 20 ans. Mais le record
des records, c’est celui du saut en longueur, qu’un outsider
de 22 ans «explose» dès son premier essai. Bob Beamon
réussit 8,90 m, il améliore de 55 cm une marque qui n’évoluait que centimètre par centimètre depuis 10 ans. Son
bond est tellement hors norme qu’il échappe au réglage
de l’instrument de mesure électronique. Il faut ressortir le décamètre à ruban pour le mesurer. Puis le traduire en pieds et en pouces pour qu’enfin Beamon saisisse la portée de son exploit.
Les performances de Mexico 1968 ont également une
portée symbolique. L’Américain Dick Fosbury devient champion olympique du saut en hauteur avec une technique inédite,
d’abord moquée, aujourd’hui unanimement adoptée, de saut «dorsal» et non plus «ventral». Les médaillés d’or et d’argent du 200 m,
Tommie Smith et John Carlos, brandissent un poing ganté de noir
sur le podium en soutien au mouvement pour les droits civiques des
Noirs américains aux Etats-Unis. En finale du 100 m, les huit finalistes
sont pour la première fois tous des athlètes de couleur. C’est, depuis,
la norme.
Le plus grand exploit olympique est sans doute d’avoir réussi à faire
croire que l’organisation des Jeux était une bonne affaire financière.
Eté comme hiver, les bilans comptables viennent démentir les promesses les plus optimistes. Londres 2012 et Pékin 2008 ont coûté trois
fois plus que prévu, Athènes 2004 dix fois. Les JO de Munich en 1972
ont laissé un trou de 687 millions de dollars, les contribuables canadiens mettront trente ans à payer ceux de Montréal en 1976.
En 1978, Téhéran retire sa candidature à l’organisation des Jeux de
la XXIIIe Olympiade en 1984. Seule en lice, Los Angeles décroche la
timbale sans le moindre vote. Quelques mois plus tard, la Cité des
anges téléphone à Lausanne: le maire Tom Bradley souhaite savoir
comment le CIO accueillerait une candidature privée. Ça ne
s’est jamais fait mais la directrice, Monique Berlioux, donne
son aval sans en référer au président. Lorsque Lord Killanin l’apprend, il organise un démenti mais la Française
insiste. Los Angeles confie donc l’organisation au patron
d’une agence de voyages, Peter Ueberroth.
D’emblée, Ueberrroth déclare vouloir réaliser des
bénéfices. Il se fixe une ligne claire: pas de subventions,
pas de dépenses inconsidérées, un budget serré (500 millions de dollars). On recycle les installations des Jeux de
1932, on transforme les campus universitaires en villages
olympiques. Les organisateurs n’ont pas peur d’éparpiller
les sites, ni de faire appel à des sponsors privés (McDonald’s
paye la piscine), ni d’exiger 225 millions de dollars pour les droits
exclusifs de retransmission télévisée. Une cérémonie d’ouverture
hollywoodienne fait passer la pilule de ces Jeux low cost qui laisseront
un bénéfice de 150 millions de dollars. Ueberroth est désigné «homme
de l’année» par le magazine Time, le CIO copie bien vite ses méthodes
de marketing en créant le Programme olympique et 6 villes se disputent
deux ans plus tard l’organisation des Jeux de 1992.
8,95M
LE RECORD DE BEAMON
À LA LONGUEUR
TIENDRA 23 ANS
LOS
ANGELES FAIT
BASCULER LES JEUX
«MODERNES» DANS
LA MODERNITÉ
ÉCONOMIQUE
GETTY IMAGES / GUSTAU NACARINO REUTERS
SOUS
LES BÂTIMENTS,
LES ATHLÈTES DONNENT
VIE À LA CITÉ RADIEUSE
DE LE CORBUSIER
1992
BARCELONE
POSTÉRITÉ
URBANISME Qui se souvient du Barcelone
d’avant 1992? Les Jeux ont redessiné la
ville en l’ouvrant sur la mer et le monde.
Forts de cette réussite éclatante, les
Catalans ont acquis une confiance en eux
qui ne les a plus quittés depuis
Les habitants de Barcelone qui se plaignent d’être envahis l’été par
les touristes devraient se souvenir de l’époque où leur ville était
«morose, sombre et complexée vis-à-vis de Madrid», rappelle
Sébastien Farré, de la Maison de l’histoire à Genève, spécialiste
de l’histoire contemporaine de l’Espagne.
Les Jeux, «offerts» à Barcelone par le président catalan
du CIO Juan Antonio Samaranch, devaient d’abord permettre de moderniser la ville, qui avait débordé de façon
anarchique depuis le plan en damier conçu en 1859 par
l’architecte Cerda. Quatre pôles olympiques sont ainsi
décidés en périphérie et reliés par un anneau routier
en partie souterrain. Le réseau ferroviaire est réorganisé,
l’aéroport agrandi et relié à la ville par un train.
Les transformations les plus spectaculaires bouleversent
le littoral. On y détruit un quartier d’ouvriers et de pêcheurs
(Poblenou) et une zone industrielle pour ériger le village olympique et la zone nautique. Barcelone y gagne un nouveau quartier
résidentiel de 2000 logements, un parc de 50 hectares, un Palais des
congrès, deux tours de 44 étages et un nouveau port de plaisance avec
743 anneaux. De nouveaux bâtiments emblématiques composent une
skyline identifiable dans le monde entier, le bord de mer redevient
une zone attrayante.
Barcelone a gagné son pari d’une modernisation efficace au service
de la qualité de vie. Dans l’imaginaire collectif, la ville dépasse pour
la première fois Madrid et s’ouvre sur le monde. «Les Jeux olympiques
de 1992 ont totalement transformé la ville», constatait en 2012 le maire
Xavier Trias lors d’un forum sur le sport mondial. Son adjointe aux
Sports Maite Fandos ajoutait: «Quand vous vous rendez compte que
vous pouvez organiser une édition des Jeux olympiques – et ceux de
Barcelone furent les meilleurs de notre point de vue! – cela renforce
l’estime que vous avez de vous-même.»
«LES JEUX ONT
TOTALEMENT
TRANSFORMÉ LA VILLE»
DÉCLARE LE MAIRE
EN 2012
JEUX
IDÉAUX
COMPILATION « The best Games ever», avait coutume
de dire – à chaque cérémonie de clôture – Juan Antonio
Samaranch. Mais les JO parfaits n’existent que si l’on
additionne le meilleur de cinq éditions marquantes
1936
BERLIN
LA BEAUTÉ
DU DIABLE
IMAGE Difficile d’inclure dans ce «Best of»
les Jeux de Berlin en 1936, totalement
instrumentalisés par la propagande nazie.
Force est de constater cependant que le
IIIe Reich a poussé le sens de la mise en
scène à un niveau de perfection jamais égalé
depuis. On lui doit notamment le cérémonial
de la flamme olympique. La cinéaste
officielle, Leni Riefenstahl, définit dans Les
Dieux du stade, les codes de la captation
d’images sportives.
2012
LONDRES
EXPOSITION
PATRIMOINE Hampton Court, Hyde Park,
The Mall, l’Observatoire de Greenwich, le
palais de Buckingham, Trafalgar Square:
jamais les Jeux n’ont eu de stades aussi
prestigieux qu’à Londres. Un choix
délibéré, à vocation publicitaire
Rome en 1960 avec la gymnastique aux thermes antiques de Caracalla,
ou Athènes en 2004 avec le tir à l’arc au stade Panathénaïque avaient
déjà joué la carte des monuments historiques comme sites des
compétitions olympiques. En 2012, Londres (qui accueille les
Jeux olympiques pour la troisième fois après 1908 et 1948)
systématise le procédé et orchestre la mise en scène de
son patrimoine. Chaque plan doit refléter la richesse
culturelle et historique de la ville.
Le cavalier jurassien Steve Guerdat devient donc champion olympique dans le parc classé au patrimoine mondial de l’Unesco de Greenwich, les triathlètes courent
dans Hyde Park, les nageurs longue distance plongent
dans The Serpentine, le contre-la-montre cycliste se termine au pied de Hampton Court, le 50 km marche devant
les grilles de Buckingham. La réussite la plus spectaculaire
est le stade de beach-volley planté sur l’esplanade des Horse
Guards, un saisissant mélange des genres. Durant quinze jours, le
programme olympique devient un dépliant touristique diffusé en
mondovision. C’est évidemment le but recherché par les organisateurs,
qui avaient été frappés par la photo devenue iconique d’une plongeuse
chinoise à Barcelone, la Sagrada Familia en toile de fond.
Pas si conservateurs, les Anglais bouleversent le parcours du marathon. Plutôt que de le faire se terminer au Stade olympique, ce qui
oblige à faire passer les coureurs par le peu reluisant East End, ils
imaginent un tracé digne d’un bus à impériale: Buckingham Palace,
la cathédrale Saint-Paul, House of Parliament, Big Ben, The Mall, etc.
Les organisateurs des Jeux de Londres en 1908 n’avaient pas ce genre
de soucis: la famille royale décréta que la course devait partir de la
pelouse du château de Windsor pour se conclure devant la loge royale
d’Edouard VII au White City Stadium. On mesura la distance: 42,195
kilomètres. Fixés pour toujours.
DURANT
15 JOURS, LES
ÉPREUVES DEVIENNENT
UN DÉPLIANT
TOURISTIQUE POUR
LONDRES