Chapitre 3 : James Ghaeni, Nawaar

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Chapitre 3 : James Ghaeni, Nawaar
Auteur principal : Dr Miša Zgonec-Rožej
Consultant : John RWD Jones
Autres collaborateurs :
Chapitre 3 : James Ghaeni, Nawaar Hassan, Judy Taing, Aleksandra Bojović, Devon Whittle
Chapitre 4 : Matthew Cross, Michelle Butler, Isabel Carty
Chapitre 5 : Sabina Cehajić
Remerciements
L'International Bar Association (l'IBA) souhaite remercier le groupe d'experts, composé de Stuart
Alford, Michelle Butler, Brenda Hollis, Rupert Skilbeck et Jonkheer Michaïl Wladimiroff, qui ont
passé en revue les versions en avant-projet du présent manuel.
L'IBA souhaite en outre reconnaître la collaboration apportée par le comité des crimes de guerre
de l'IBA qui a fourni ses commentaires sur le manuel. Nous souhaitons remercier Amal Alamuddin,
Linda Carter, Joseph Erwin, Stefan Kirsch, Michael Lynn, Marco Marazzi, Mohammad Asad Rajput
et Avi Singh.
Les stagiaires de l'Institut des droits de l'homme de l'IBA méritent des remerciements particuliers
pour leur assistance extrêmement précieuse.
Soutenu par une subvention « Presidential/Grants Passive » de l'Open Society Institute
Les éléments contenus dans le présent manuel peuvent être librement cités ou réimprimés, sous
réserve d'en reconnaître le crédit à l'International Bar Association
Avant-propos
De Nuremberg à la Cour pénale internationale, le droit pénal international a connu une extraordinaire
évolution ces dernières années. La création de tribunaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie en 1993 et le
Rwanda en 1994 a marqué le début d'une ère nouvelle dans le combat contre l'impunité concernant les crimes
de génocide, de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Depuis qu'ils opèrent, ces tribunaux ont
prononcé des décisions phares qui ont contribué à définir la nature des crimes internationaux et les principes
de la responsabilité pénale.
L'établissement du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, des Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux
cambodgiens, du Tribunal spécial pour le Liban et de la Cour pénale internationale, la première institution
permanente de son genre, illustre non seulement que la justice pénale internationale n'est pas prête de
disparaître, mais que tout porte à croire qu'elle jouera un rôle de plus en plus important à l'avenir. La demande
croissante de justice pour les victimes des crimes les plus graves ne fait que renforcer la nécessité d'avoir
des juristes qui possèdent les compétences et le savoir nécessaires pour juger les auteurs présumés de crimes
d'atrocités massives dans le respect de procès équitables.
Depuis ses origines en 1995, l'Institut des droits de l’homme de l’International Bar Association (IBAHRI) a
joué un rôle actif à renforcer la capacité des juges et des avocats en offrant de la formation du plus haut niveau
en matière du droit des droits de l'homme et du droit pénal international. En accord avec sa mission visant à
promouvoir, protéger et appliquer les droits de l'homme dans le cadre d'un État de droit juste, IBAHRI œuvre
à sensibiliser les professions juridiques et le grand public. Bénéficiant du réseau solide de l'IBA, l'International
Bar Association, qui compte 30 000 avocats individuels et plus de 195 ordres d'avocats et barreaux, IBAHRI
réunit des experts afin de faciliter la formation des juges, procureurs et avocats de la défense à travers le
monde.
L'IBA a toujours exprimé son soutien aux tribunaux pénaux internationaux et a suivi de près leur travail.
La création en 2005 du programme lancé par l'IBA de surveillance et de sensibilisation de la Cour pénale
internationale à La Haye n'a fait que renforcer nos activités dans le domaine de la justice internationale.
L'élément de surveillance du programme s'attache à suivre et rapporter sur le travail et les procédures de
la Cour pénale internationale, alors que l'élément de sensibilisation s'attelle à travailler avec la profession
juridique en vue de disséminer les informations et de promouvoir les débats à propos de la Cour dans
différentes régions du monde entier.
Alors que la jurisprudence des tribunaux internationaux a enrichi le droit pénal international, elle l'a également
transformé pour en faire un domaine du droit qui est devenu de plus en plus complexe et technique. Les
professions juridiques engagées dans ces procédures doivent non seulement en saisir parfaitement les
principes élémentaires, mais il faut aussi qu'elles comprennent les implications concrètes des développements
les plus récents à être survenus. Aux lendemains de sa toute dernière expérience de formation de juristes
cambodgiens en juillet 2008, IBAHRI s'est rendu compte combien pourrait être utile un outil de formation à la
fois complet et large, qui pourrait servir dans le cadre de programmes de formation futurs et comme document
de référence pour les professions juridiques.
La rédaction du présent manuel a été rendue possible grâce à une subvention « Presidential/Grants Passive »
de l'Open Society Institute. L'auteur principal Dr Miša Zgonec-Rožej et le consultant John RWD Jones
sont parvenus à rédiger un texte rigoureux qui reste cependant accessible et apporte aux utilisateurs une
compréhension plus approfondie du sujet accompagnée d'exemples pratiques. Les premières versions du
Manuel du droit pénal international
i
manuel ont été passées en revue par un groupe d'experts ainsi que par plusieurs membres du comité des crimes
de guerre de l'IBA, qui ont eu la gentillesse d'y apporter leurs commentaires. Le droit pénal international est
un domaine en pleine croissance et en constante évolution, qui fait l'objet d'amples débats et de discussions
savantes. Nous invitons donc les lecteurs à contacter IBAHRI et à faire part des réactions qu'ils pourraient
avoir au sujet du présent manuel.
Après la Deuxième Guerre mondiale, le monde s'est engagé à ce que « plus jamais » de telles atrocités
ne se reproduisent. Et pourtant, comme l'ont illustré les cas de Srebrenica, du Rwanda, du Darfour et
de la République démocratique du Congo, parmi d'autres, l'histoire semble se répéter. Nous sommes
fermement convaincus que le meilleur moyen de briser ce cycle tragique consiste à tenir les auteurs de
crimes responsables de leurs actes. Dans le combat contre l'impunité, la connaissance prime avant tout,
particulièrement au sein des professions juridiques, dont le rôle est de défendre l'État de droit. Nous espérons
que le présent manuel contribuera à l'établissement d'une profession juridique bien informée, dont les
membres n'hésiteront pas à prendre la parole et des mesures pour veiller à ce que justice soit faite.
Juan E Méndez
Martin Šolc
Co-présidents de l'Institut des droits de l’homme de l’International Bar Association (IBAHRI)
Mai 2010
ii
Manuel du droit pénal international
Liste des abréviations
CETC
Chambres Extraordinaires au sein des Tribunaux Cambodgiens
CEDH
Convention Européenne des Droits de l'Homme
CtEDH Cour Européenne des Droits de l'Homme
CPI
Cour Pénale Internationale
PIDCP
Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques
CIJ
Cour Internationale de Justice
TPIR
Tribunal Pénal International pour le Rwanda
TPIY
Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie
CDI
Commission du Droit International
TMI
Tribunal Militaire International
TMIEO
Tribunal Militaire International pour l'Extrême-Orient
ECC
Entreprise Criminelle Commune
ONG
Organisation Non Gouvernementale
BCPD
Bureau du Conseil Public pour la Défense
TSSL
Tribunal Spécial pour la Sierra Leone
TSL Tribunal Spécial pour le Liban
ONU
Organisation des Nations Unies
UNCATConvention contre la torture et autres peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants
MINUK
Mission d'administration Intérimaire des Nations Unies au Kosovo
SVT
Section d’aide aux Victimes et aux Témoins
Manuel de droit pénal international
iii
TABLE DES MATIÈRES
Chapitre 1 - Droit pénal international :
Introduction générale
23
Objectifs d’apprentissage
23
Questions
23
Introduction
23
Qu’est-ce que le droit pénal international ?
24
Caractéristiques générales du droit pénal international
25
Qu’est-ce qu’un crime international ?
26
Sources du droit pénal international
29
29
Traités internationaux
Traités
29
Statuts des tribunaux internationaux
31
Règlement de procédure et de preuve
31
Droit international coutumier
32
Principes d’ordre général
33
Moyens subsidiaires
33
Décisions judiciaires
33
Jurisprudence d’autres tribunaux internationaux
35
Avis des savants
36
Champ d’application du droit pénal international
36
Droit international : Responsabilité d’un État
36
Droit pénal
37
Droit pénal transnational
37
Droit des droits de l’homme
38
Droit du recours à la force
39
Droit international humanitaire (Droit de la guerre
ou droit des conflits armés)
40
Justice transitionnelle
41
Définition
41
42
Exemple : les tribunaux Gacaca
Rôle de la profession juridique à traduire en justice les auteurs
de crimes internationaux
42
Observations finales
43
Exercices et études de cas
43
Chapitre 2 – Évolution historique
et la création des tribunaux internationaux
47
Objectifs d’apprentissage
47
Questions
47
Introduction
47
Les premiers temps (1919–1945)
48
Les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo (1945–1947)
50
Introduction
50
50
Le tribunal de Nuremberg : Le tribunal militaire international (TMI)
Le tribunal de Tokyo : Le tribunal militaire international pour
l’Extrême-Orient (TMIEO)
52
53
Observations finales
Les tribunaux pénaux internationaux ad hoc
55
Introduction
55
Le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY)
56
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR)
58
Contestations de la légalité de l’établissement du TPIY et du TPIR
59
Observations finales
60
La Cour pénale internationale (CPI)
61
Introduction
61
Le travail de la Commission du droit international (CDI)
61
Le statut de la CPI
62
Observations finales
64
Les tribunaux pénaux mixtes ou internationalisés
65
Introduction
65
Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL)
65
Les Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens (CETC)
67
Le Tribunal spécial pour le Liban (TSL)
69
Timor oriental : les Groupes des crimes graves
71
Le système judiciaire du Kosovo dans le cadre de la Mission
des Nations Unies au Kosovo (MINUK)
72
La Chambre pour les crimes de guerre en Bosnie-Herzégovine
73
La Chambre des crimes de guerre en Serbie
74
Le Haut Tribunal irakien
74
Le procès de Lockerbie
75
Substitutions possibles aux poursuites pénales
76
76
Les Commissions de la vérité
Amnisties
77
Observations finales
77
Exercices et études de cas
78
Chapitre 3 – Le droit matériel concernant
les crimes internationaux : Définitions
81
Objectifs d’apprentissage
81
Questions
81
Introduction
81
Les crimes de guerre
82
Introduction
82
83
Le droit international humanitaire
Qu’est-ce que le droit international humanitaire ?
83
Le droit humanitaire et les droits de l’homme
83
Sources du droit international humanitaire
84
Champ d’application du droit international humanitaire
87
Principes généraux du droit international humanitaire
88
Les règles les plus fondamentales du droit international humanitaire
89
90
Le développement de la notion de crimes de guerre
Première Guerre mondiale : le Traité de Versailles
90
Deuxième Guerre mondiale : les chartes de Nuremberg et de Tokyo
91
Les Conventions de Genève de 1949 et les protocoles additionnels
92
Les Tribunaux pénaux internationaux ad hoc
94
Le TPIY
94
Le TPIR
98
Le statut de la CPI
99
Autres tribunaux
105
105
Les éléments des crimes de guerre
Exigences d’ordre général ou chapeau
Le lien entre le crime et le conflit armé
106
106
Exigence du conflit armé
106
Lien avec le conflit armé
107
L’auteur du crime108
La victime et l’objet du crime109
La gravité du crime109
Les éléments moraux (Mens rea)110
Délits spécifiques (sous-jacents)
111
Infractions graves aux Conventions de Genève
112
Crime de guerre d’homicide intentionnel
112
Crime de guerre de torture
112
Crime de guerre de traitement inhumain
112
Crime de guerre d’expériences biologiques
112
Crime de guerre du fait de causer intentionnellement
de grandes souffrances
113
Crime de guerre de destruction et d’appropriation de biens
113
Crime de guerre de forcer à servir dans des forces hostiles
113
Crime de guerre de refus de procès équitable
113
Crime de guerre de déportation illégale ou de transfert illégal
113
Crime de guerre de détention illégale
113
Crime de guerre de prise d’otages
114
Autres violations graves applicables aux conflits
armés internationaux
114
Crime de guerre d’attaques sur des civils
114
Crime de guerre d’attaques sur des objets civils
114
Crime de guerre d’attaque contre le personnel ou le matériel
participant à une mission d’assistance humanitaire ou de
maintien de la paix
115
Crime de guerre des pertes en vies humaines, des blessures et des
dommages excessifs
115
Crime de guerre d’attaque de lieux non défendus
116
Crime de guerre de tuer ou blesser un individu hors de combat
116
Crime de guerre de l’utilisation indue du drapeau blanc
116
Crime de guerre de l’utilisation indue d’un drapeau, d’insignes ou de
l’uniforme de la partie ennemie
116
Crime de guerre de l’utilisation indue d’un drapeau, d’insignes ou de
l’uniforme des Nations Unies
117
Crime de guerre de l’utilisation indue des emblèmes
distinctifs des Conventions de Genève
117
Crime de guerre du transfert, directement ou indirectement, par la
puissance occupante d’une partie de sa propre population civile dans
le territoire qu’elle occupe, ou par la déportation ou le transfert de
tout ou partie de la population du territoire occupé au sein de ce
territoire ou à l’extérieur
118
Crime de guerre d’attaque contre des objets protégés
118
Crime de guerre de mutilation
118
Crime de guerre d’expériences médicales ou scientifiques
119
Crime de guerre du fait de tuer ou blesser par traîtrise
119
Crime de guerre de refus de quartier
119
Crime de guerre de destruction ou saisie des biens de l’ennemi
120
Crime de guerre du fait de priver des ressortissants de la puissance
hostile des droits ou actions
120
Crime de guerre du fait de forcer la participation à des opérations
militaires
120
Crime de guerre de pillage
120
Crime de guerre d’emploi de poison ou d’armes empoisonnées
121
Crime de guerre d’emploi de gaz, liquides, matières ou dispositifs
interdits
121
121
Crime de guerre d’emploi de balles interdites
Crime de guerre d’emploi d’armes, de projectiles ou matières
ou de méthodes de guerre figurant à l’annexe du Statut
121
Crime de guerre d’outrages à la dignité personnelle
122
Crime de guerre de viol
122
Crime de guerre d’esclavage sexuel
122
Crime de guerre de prostitution forcée
123
Crime de guerre de grossesse forcée
123
Crime de guerre de stérilisation forcée
123
Crime de guerre de violence sexuelle
124
Crime de guerre d’utilisation de personnes protégées
comme boucliers humains
124
Crime de guerre d’attaque contre des objets ou personnes
portant les emblèmes distinctifs des Conventions de Genève
124
Crime de guerre de famine comme méthode de guerre
124
Crime de guerre de l’utilisation, de la conscription ou de
l’enrôlement d’enfants
125
Article 8(2)(c) : Conflit armé non de caractère international,
Violations graves de l’Article commun 3
125
Crime de guerre d’homicide volontaire
125
Crime de guerre de mutilation
125
Crime de guerre de traitement cruel
125
Crime de guerre de torture
126
Crime de guerre d’outrages à la dignité personnelle
126
Crime de guerre de prises d’otages
126
Crime de guerre d’accusation ou d’exécution sans l’application
régulière de la loi
126
Article 8(2)(e) : Conflit armé non de caractère international,
Violations graves de l’Article commun 3
127
Crime de guerre d’attaques sur des civils
127
Crime de guerre d’attaque contre des objets ou personnes
portant les emblèmes distinctifs des Conventions de Genève
127
Crime de guerre d’attaque contre le personnel ou des objets
participant à une mission d’assistance humanitaire ou de
maintien de la paix
128
Crime de guerre d’attaque contre des objets protégés
128
Crime de guerre de pillage
128
Crime de guerre de viol
129
Crime de guerre d’esclavage sexuel
129
Crime de guerre de prostitution forcée
129
Crime de guerre de grossesse forcée
130
Crime de guerre de stérilisation forcée
130
Crime de guerre de violence sexuelle
130
Crime de guerre de l’utilisation, de la conscription ou de
l’enrôlement d’enfants
130
131
Crime de guerre de déplacement de populations civiles
Crime de guerre de tuer ou blesser par traîtrise
131
Crime de guerre de refus de quartier
131
Crime de guerre de mutilation
132
Crime de guerre d’expériences médicales ou scientifiques
132
Crime de guerre de destruction ou saisie des biens de l’ennemi
132
Les crimes contre l’humanité
133
Évolution historique
133
Les éléments des crimes contre l’humanité
137
Éléments contextuels ou chapeau
138
Existence d’une attaque
138
Généralisée ou systématique
139
Lancée contre toute population civile
140
Le lien entre la conduite de l’auteur du crime et l’attaque
141
L’élément moral (Mens rea)
142
Exigences supplémentaires
143
La connexion avec le conflit armé (TPIY)
143
Exigence de discrimination (TPIR et CETC)
144
Délits spécifiques (sous-jacents)
145
Homicide volontaire
145
Extermination
146
Réduction en esclavage
147
149
Déportation ou transfert forcé de population
Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté
physique en violation des dispositions fondamentales du droit
international
150
Torture
151
Infractions sexuelles
153
Viol
153
Esclavage sexuel et prostitution forcée
154
Grossesse forcée
156
Stérilisation forcée
156
Autre violence sexuelle de gravité comparable
156
Persécution
157
Disparition forcée
160
Apartheid
161
Autres actes inhumains
162
Génocide
164
Introduction
164
Évolution historique
164
Rapport aux crimes contre l’humanité
168
Le génocide dans les tribunaux pénaux internationaux
169
Droit international par rapport à droit national
174
Les éléments du génocide
174
Groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux
175
Élément contextuel (CPI)
179
Intention spécifique du génocide (Dolus Specialis)
181
182
Intention spécifique par rapport à intention normale
Preuve d’intention spécifique
186
187
Faut-il toujours prouver l’intention spécifique ?
Composants de l’intention spécifique dans la perpétration
d’un génocide
189
« Détruire »
189
« Tout ou partie »
190
« En l’état »
191
Délits spécifiques (sous-jacents)
192
Génocide en causant la mort
193
Génocide en causant des préjudices corporels ou mentaux graves
194
Génocide en infligeant délibérément des conditions de vie
calculées pour causer la destruction physique
195
Génocide en imposant des mesures destinées à
empêcher les naissances
196
196
Génocide par le transfert forcé d’enfants
Autres formes de participation à un génocide
197
Agression
198
198
Évolution historique du crime d’agression
Définition d’agression en vertu de la résolution
3314(XXIX) de l’Assemblée générale
201
Le rôle de la CDI à définir l’agression
202
Le rôle de la CPI à définir l’agression
202
Le crime d’agression et ius ad bellum
205
Éléments du crime d’agression
207
Éléments physiques
207
Auteurs du crime
207
208
Conduite : acte d’agression
Éléments moraux
209
209
Développement actuels dans le domaine du crime d’agression
Torture
211
Introduction
211
214
Convention contre la torture des Nations Unies de 1984 (UNCAT)
Éléments physiques (Actus Reus)
214
Un acte
215
Douleur ou souffrance aiguës
215
Exigence d’un agent public
216
Découlant, inhérente ou accessoires à des sanctions légales
217
Éléments moraux (Mens Rea)
218
Infligée intentionnellement
218
218
Dans un but spécifique
Défenses
219
219
Questions de compétences
Autres instruments pertinents
220
Conclusion
221
Le terrorisme en tant que crime international
221
Introduction
221
222
Instruments légaux internationaux en matière de terrorisme
Conventions internationales de lutte contre le terrorisme
222
Résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU
223
Efforts d’établir une convention globale portant
sur le terrorisme international
225
Le statut de la CPI
227
227
Éléments du terrorisme en tant que crime international
Le terrorisme en tant que crime international distinct
228
Éléments physiques (Actus reus)
228
Éléments moraux (Mens rea)
229
Le terrorisme en tant que crime de guerre
229
Le terrorisme en tant que crime contre l’humanité
234
Conclusion
234
Multiplicité des infractions
234
Observations finales
235
Exercices et études de cas
236
Chapitre 4 – Responsabilité pénale individuelle
239
Objectifs d’apprentissage
239
Questions
239
Introduction
239
Principes généraux du droit pénal
239
240
Le principe de la légalité
Nullum Crimen Sine Lege
243
Nulla Poena Sine Lege
244
Le principe de non-rétroactivité
244
Le principe de spécificité
244
L’interdiction d’analogie
245
Le principe du Favor Rei
246
Le principe non bis in idem (de double peine)
247
Formes de responsabilité pénale individuelle
251
Introduction
251
Formes de responsabilité poursuivie aux tribunaux internationaux
252
Formes de responsabilité par rapport à des crimes inchoatifs
255
Formes de responsabilité
256
Crimes inchoatifs
260
Tentative
261
Incitation directe et publique à commettre le génocide
261
Entente en vue de commettre le génocide
262
Perpétration directe et individuelle
264
Perpétration au travers d’un groupe
265
Entreprise criminelle commune (ECC)
266
Éléments physiques
267
Pluralité des personnes
267
Plan, projet ou dessein communs
268
Participation de l’accusé à l’ECC
269
Éléments moraux (Mens rea)
269
ECC I
269
ECC II
270
ECC III
273
Résumé des éléments
274
275
Entreprise criminelle commune et le statut de la CPI
Doctrines de la coperpétration
276
278
Ordonner, initier, encourager, aider et planifier
Planifier
279
Initier
280
Ordonner
280
280
Aider, encourager ou assister autrement
Éléments physiques (Actus Reus)
281
Éléments moraux (Mens Rea)
282
Complicité de génocide
283
Responsabilité du supérieur hiérarchique ou du commandant
283
Relation supérieur-subordonné
285
Élément moral : Savait ou avait des raisons de savoir
286
Élément physique : Défaut d’empêcher ou de punir
287
Responsabilité supérieure à la CPI
290
292
La résolution de responsabilités concomitantes
Motifs de contestation de la responsabilité pénale
293
Introduction
293
Contestations de compétence
294
Immunité
295
Introduction
295
Immunité fonctionnelle
295
Immunité personnelle
298
Minorité
302
Amnistie
303
305
Contestations de preuve
Alibi
305
Consentement
306
Erreur de fait ou de droit
309
Défenses
311
311
Maladie mentale ou défaut mental
Intoxication
313
Défense de soi, d’autrui et de certains biens
314
Contrainte (et nécessité)
316
Ordres supérieurs
320
Nécessité militaire
322
Tu Quoque et représailles
325
Observations finales
327
Exercices et études de cas
328
Chapitre 5 – Poursuites en justice devant des
tribunaux nationaux
333
Objectifs d’apprentissage
333
Questions
333
Introduction
333
Juridiction compétente
334
Formes de compétence
334
Les chefs « traditionnels » de compétence législative
335
Territorialité
335
Nationalité : active et passive
336
Nationalité active
336
Nationalité passive
336
337
Détermination de la nationalité
Le principe de protection
337
338
Compétence universelle
Exemples de compétence universelle
339
L’affaire Eichmann
339
L’affaire Pinochet
342
Le déclin de la compétence universelle ?
343
Problèmes pratiques des poursuites en justice fondées
sur la compétence universelle
345
346
Observations de conclusion
Impact du droit international sur la législation et les poursuites
en justice nationales
346
346
Impact du droit international sur la législation nationale
Obligations des traités internationaux de criminaliser
certaines conduites
346
L’influence du statut de la CPI
349
Un impact limité ?
352
Impact de la jurisprudence internationale sur le droit national
353
353
Impact du droit international sur les poursuites nationales
Obligations du droit des traités internationaux ou l’obligation
« Aut Dedere Aut Judicare »354
Tribunaux nationaux spécialement établis
355
Le principe de complémentarité de la CPI
355
Existe-t-il une obligation du droit international coutumier
de poursuivre en justice ?
356
Empêchements légaux à l’exercice de la juridiction nationale
356
Amnistie
356
Grâce
358
Immunités
359
Prescription
363
Le principe non bis in idem (de double peine)
365
Coopération de l’État en matière de poursuites nationales
366
Extradition
366
Double criminalité et double peine
368
Fins de non-recevoir d’extradition
369
Autres considérations concernant l’extradition
371
Entraide judiciaire
373
Application des peines
374
Reconnaissance des jugements pénaux étrangers
375
Transfert de détenus
375
Transmission de procédure
376
Observations de conclusion
376
Observations finales
376
Exercices et études de cas
377
Chapitre 6 – Poursuites devant les
tribunaux internationaux
379
Objectifs d’apprentissage
379
Questions
379
Introduction
379
Relation entre compétences internationales et compétences nationales
380
Primauté et complémentarité
380
Primauté
380
Complémentarité
384
386
Coopération en vertu du TPIY, du TPIR et de la CPI
Organisation des tribunaux internationaux
391
Juges (Chambres)
392
La présidence
396
Le Bureau du Procureur
396
Le greffe
399
La défense
402
Le rôle de amicus curiae devant les tribunaux internationaux
405
Procédure – Procès pénaux internationaux
407
407
Règlement de procédure et de preuve
Caractéristiques des systèmes fondés sur le principe du contradictoire et
des systèmes fondés sur le principe de l’inquisitoire
408
410
Principes généraux régissant les procédures internationales
Impartialité et indépendance des juges
411
Présomption d’innocence
412
Procès équitable, public et rapide
413
Égalité des armes
414
Droit à une audience publique
415
Célérité de la procédure
415
Droit d’assurer soi-même sa défense
416
Présence de l’accusé au procès
419
421
Stades de la procédure
Enquête et droits des suspects
421
Procédure préparatoire au procès
426
Mise en accusation
426
Préparation au procès
430
Procès et jugement
435
Règlement de preuve
437
Victimes et témoins
438
Protection des victimes et témoins
439
Participation des victimes à la procédure
441
Réparation ou compensations aux victimes
441
Condamnation
442
Pourvoi
446
Instance en révision
448
Application des peines
449
Libération anticipée, grâce ou commutation des peines et
Révision de la peine
451
Observations finales
452
Exercices et études de cas
452
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
Chapitre 1 – Droit pénal international :
Introduction générale
Objectifs d'apprentissage
S'assurer que les participants acquièrent des connaissances élémentaires de la notion des crimes internationaux
et du droit pénal international.
Faciliter la compréhension du champ d'application du droit pénal international, particulièrement au niveau de
sa relation avec les droits de l'homme et le droit pénal transnational.
Familiariser les participants à l'application du droit pénal international tant au niveau international que national,
et les sensibiliser à l'importance du rôle rempli par les professions juridiques à cet égard.
Questions
Quelle est votre raison d'assister à ce cours ?
Pourquoi le droit pénal international est-il important en général ?
Votre pays a-t-il participé à un conflit, que ce soit de caractère international ou interne ?
Pourquoi le droit pénal international est-il important dans le pays où vous exercez votre métier ?
Comment vous, en tant que juge, procureur et/ou avocat, voyez-vous votre rôle à promouvoir la
compréhension des crimes internationaux et la manière dont ils devraient être jugés dans le cadre de vos
fonctions professionnelles ?
A quels problèmes spécifiques êtes-vous confronté, le cas échéant, pour traduire en justice les auteurs de
crimes internationaux ?
Existe-t-il des substitutions possibles au droit pénal international ?
Introduction
Le droit pénal international relève d'un domaine relativement nouveau du droit. Il a vu le jour particulièrement
au cours du siècle dernier, à l'issue des deux Guerres mondiales et de l'holocauste, et des terribles souffrances
que ces conflits ont infligées. Aux lendemains de la Deuxième Guerre mondiale se tinrent les tribunaux
de Nuremberg et de Tokyo, et une multitude d'instruments juridiques internationaux virent le jour, plus
particulièrement la Convention sur le génocide et les Conventions de Genève de 1949, destinés à ce que les
crimes d'horreur perpétrés au cours de la première moitié du siècle ne se répètent pas, ou tout du moins, si des
crimes de la sorte venaient à être commis, qu'ils ne restent pas impunis.
Les 50 années qui ont suivi n'ont pourtant vu guère de développement normatif dans ce domaine,
principalement à cause de la Guerre froide qui régnait et bloquait le projet millénaire visant à créer une
cour pénale internationale permanente. Avec la fin de la Guerre froide et la désintégration des anciens pays
communistes, notamment de l'ancienne Yougoslavie avec ses guerres de dissolution, il est né comme un
consensus international autour de la nécessité de réprimer les crimes internationaux. L'établissement du
Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie (appelé ci-après le TPIY) en 1993 et du Tribunal Pénal
International pour le Rwanda (appelé ci-après le TPIR) en 1994 a donné un regain d'élan à l'idée de créer
Manuel du droit pénal international
23
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
une Cour pénale internationale, qui a fini par se concrétiser avec la ratification du Statut de Rome de la
Cour pénale internationale (appelé ci-après la CPI) en 1994. Dans le même temps, des tribunaux mixtes
internationaux et nationaux sur les crimes de guerre ont vu le jour, plus particulièrement pour rendre justice
aux lendemains de conflits en Sierra Leone, au Cambodge, dans le Timor oriental, au Kosovo et, plus
récemment, au Liban.
C'est à la suite de cela que le droit pénal international est sorti de l'ombre pour faire la une de l'actualité. Il
constitue un domaine du droit qui non seulement concerne la vie de tous, mais que chacun se doit de mieux
comprendre dans une certaine mesure.
L'objectif du présent manuel est donc de transmettre les connaissances élémentaires et les compétences
nécessaires à l'application du droit pénal international aux juges, procureurs et avocats - autant de professions
juridiques sans lesquelles il n'est pas véritablement possible d'appliquer le droit pénal international au niveau
national. A cette fin, le présent Chapitre va dresser un tour d'horizon général en vue de présenter les notions
élémentaires du droit pénal international, alors que les chapitres suivants comporteront des informations et des
analyses plus détaillées sur les concepts et institutions spécifiques qui sont concernés par l'administration du
droit pénal international.
Qu'est-ce que le droit pénal international ?
Le droit pénal international est un ensemble de règlements internationaux qui prescrivent les crimes
internationaux et réglementent les principes et procédures régissant l'investigation, la poursuite et la répression
de ces crimes. Le droit pénal international impose aux auteurs des crimes la responsabilité pénale individuelle
directe de crimes internationaux. Les États sont tenus sous l'obligation de poursuivre et de punir quelques-uns
au moins de ces crimes.
Rappelant qu'il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de
crimes internationaux. . .1
Les individus accusés de crimes internationaux étaient généralement jugés devant des tribunaux nationaux ;
plus récemment, des tribunaux pénaux internationaux ont été mis sur pied pour poursuivre les crimes
internationaux. Bien qu'il n'existe pas de procédure pénale internationale unique et unifiée, des règles de
procédure homogènes sont en train d'émerger de la pratique et de la jurisprudence des tribunaux pénaux
internationaux.
1
24
Préambule du Statut de Rome de la Cour pénale internationale (17 juillet 1998) Document ONU A/CONF.183/9, paragraphe (6) (appelé ci-après le Statut
de la CPI).
Manuel du droit pénal international
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
Par conséquent, le corpus de règles du droit pénal international peut être divisé en droit pénal matériel et
procédural .
Les règles relatives au droit pénal international matériel déterminent ce qui suit :2
• les actes qui relèvent de crimes internationaux ;
• les éléments subjectifs ou moraux des crimes internationaux ;
• les circonstances susceptibles d'excuser l'accusé de responsabilité pénale individuelle ;
• les conditions en vertu desquelles les États peuvent ou doivent, en vertu de règles internationales,
poursuivre des individus accusés de crimes internationaux.
Les règles relatives au droit pénal international procédural régulent les divers stades des procès
internationaux (enquêtes, poursuites, procès, renvoi, condamnation, exécution des décisions) et autres
questions apparentées, telles que la recevabilité des éléments de preuve et la protection des victimes et
témoins.
Caractéristiques générales du droit pénal international
Le droit pénal international est une branche relativement nouvelle du droit international qui ne cesse de se
développer. Bien que les « grands crimes internationaux » les plus importants, tels que les crimes de guerre,
les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes contre la paix se firent jour avant ou juste
après la Deuxième Guerre mondiale, il est possible d'arguer que ce n'est qu'après l'établissement des tribunaux
pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda que le droit pénal international, en temps que
corpus de lois, a évolué.
Le droit pénal international est en quelque sorte un mélange de droit international et de droit pénal national.
Le droit pénal international a en commun les mêmes sources que le droit international. Le droit pénal
international se base toutefois également sur des principes qui dérivent du droit pénal national Ces principes
proviennent principalement des deux grands systèmes juridiques qui existent dans le monde, à savoir la
« common law », c'est-à-dire un système contradictoire, et le droit civil, c'est-à-dire un système inquisitoire.
On parle parfois de deux différentes « traditions » légales, devant la multiplicité des systèmes de « common
law » et de droit civil qui existent.
Les États sont impliqués dans la perpétration de crimes internationaux lorsque les auteurs des crimes agissent
en tant qu'agents de l'État. L'agression sera en fait toujours un crime d'État, commis par des agents de l'État.
Dans ce cas-là, il est possible d'invoquer la responsabilité d'un État en cas de perpétration d'un acte illicite
sur le plan international. Cependant, le droit pénal international traite de la responsabilité des individus, qu'ils
agissent en tant qu'agents d'un État ou à titre privé.
Par le passé, les traités ou les règles coutumières, telles que les règles du droit international humanitaire,
se contentaient d'interdire une certaine conduite, comme par exemple le massacre de civils. Ces règles ne
déterminaient toutefois pas la nature criminelle des infractions de telles interdictions, ni les conditions pour
leur répression et leur châtiment au pénal. Le droit pénal international a évolué pour criminaliser certains des
actes interdits.3 Par exemple, certaines interdictions du droit international humanitaire ont été criminalisées pour
2
3
Antonio Cassese, International Criminal Law (1re éd Oxford University Press, Oxford 2003) 15.
Ibid 17.
Manuel du droit pénal international
25
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
devenir des crimes de guerre.
Pour l'heure, il n'existe aucun droit pénal uniforme d'envergure mondiale qui établisse la liste de tous les
crimes internationaux. Chaque cour ou tribunal international prévoit dans son Statut une liste de crimes
internationaux afin de pouvoir statuer sur sa compétence. Il n'existe pas non plus de tribunal véritablement
universel ; tous les tribunaux internationaux existants ne disposent que de compétences limitées.
Les tribunaux internationaux et nationaux se partagent l'application du droit pénal international. Dans
la pratique, les cours internationales jugent au pénal les procès d'individus responsables de crimes
internationaux lorsque, pour diverses raisons, notamment politiques, les cours pénales nationales ont failli à
traduire en justice des individus responsables de crimes internationaux ou n'ont pas pu le faire, ou n'y étaient
pas disposées. La CPI se fonde sur le principe de la complémentarité et, par conséquent, elle traite seulement
les affaires que les cours nationales ne souhaitent pas traiter ou ne sont pas en mesure de le faire (voir
Chapitres 5 et 6).
Les règles du droit pénal international restent à de nombreux égards encore rudimentaires et floues. En tant
que nouveau domaine du droit, qui découle du droit coutumier et de nouveaux traités comme les Conventions
de Genève de 1949 dont le principal dessein était d'établir un code pénal, il a fallu ces dernières années
que les juristes et les juges internationaux la façonnent pour en faire un corpus de lois et de procédures qui
soit utilisable. Néanmoins, les juristes qui découvrent le droit pénal international pour la première fois sont
souvent frappés de voir combien le droit pénal international semble être vague et souple par rapport au droit
national.
Caractéristiques générales du droit pénal international
• il s'agit d'un corpus de lois relativement nouveau ;
• c'est un mélange de droit international et de droit pénal national ;
• il traite de la question de la responsabilité pénale individuelle ;
• il criminalise des actes interdits en vertu du droit international ;
• il n'existe pas de codification uniforme du droit pénal international ;
• il n'existe pas de cour véritablement universelle ;
• il consiste en des règles rudimentaires, qui sont toujours en cours de formation.
Pour l'heure, les tribunaux pénaux internationaux et nationaux se partagent la compétence d'appliquer
le droit pénal international.
Qu'est-ce qu'un crime international ?
Il n'existe aucune définition universellement acceptée de ce qui constitue un crime international, pas plus que
des critères d'ordre général pour déterminer l'ampleur et la teneur d'un crime international. Il a néanmoins été
tenté à diverses reprises de définir les caractéristiques générales des crimes internationaux :
26
Manuel du droit pénal international
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
Caractéristiques générales des crimes internationaux
• les crimes qui violent ou menacent des valeurs ou intérêts fondamentaux protégés par le droit
international, et qui touchent l'ensemble de la communauté internationale ;
• les normes du droit pénal provenant d'un traité international ou du droit international coutumier, sans
que le droit national n'y pourvoie de son côté ;
• les normes pénales qui ont force exécutoire directe sur les individus, et par conséquent prévoient la
responsabilité pénale individuelle directe ;
• les crimes qui peuvent être poursuivis devant des tribunaux pénaux internationaux ou nationaux, en
conformité avec le principe de compétence universelle ;
• une disposition de traité ou une règle du droit international coutumier, établissant la responsabilité d'un
acte tel qu'un crime international, lie tous les États et individus (ou une grande majorité d'entre eux).4
Dans son Préambule, le statut de la CPI se réfère aux crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la
communauté internationale et reconnaît que les crimes d'une telle gravité menacent la paix, la sécurité et le
bien-être du monde.
Reconnaissant que des crimes d'une telle gravité menacent la paix, la sécurité et le bien-être du monde,
Affirmant que les crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale ne
sauraient rester impunis et que leur répression doit être effectivement assurée par des mesures prises
dans le cadre national et par le renforcement de la coopération internationale . . . 5
Conformément aux critères d'ordre général susvisés pour définir un crime international, les crimes suivants ont
été considérés comme étant des crimes véritables ou « grands crimes internationaux » :
• génocide ;
• crimes de guerre ;
• crimes contre l'humanité ; et
• crime d'agression (appelé aussi crimes contre la paix).6
4
5
6
M Cherif Bassiouni, ‘The Sources and Content of International Criminal Law : A Theoretical Framework’, in M Cherif Bassiouni (ed), I International
Criminal Law (Transnational Publishers Incorporated, New York 1999) 3, 98; Hans-Heinrich Jescheck, ‘International Crimes’, in 2 Encyclopaedia of
Public International Law (Rudolf Bernhardt (ed), North Holland Publishing Co, Amsterdam 1995)1119, 1120; Cassese (n2) 23; Robert Cryer et al, An
Introduction to International Criminal Law and Procedure (CUP, Cambridge 2007) 2; Ilias Bantekas and Susan Nash, International Criminal Law (3e
édition Routledge, Oxford 2007) 6.
CPI Statut (17 juillet 1998) Document ONU A/CONF.183/9, paragraphes (3)–(4).
D'après Cassese, la torture (qu'il faut distinguer de la torture comme l'une des catégories de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité) et certaines
formes extrêmes de terrorisme (comme des attentats graves internationaux perpétrés ou tolérés par un État) s'inscrivent elles aussi dans la définition (plus
étroite) des crimes internationaux. Cassese (n2) 24. Jescheck, en revanche, considère la piraterie comme figurant parmi ces crimes à la lumière des définitions
étroites (qui s'ajoutent aux « grands crimes »). Jescheck, ‘International Crimes’ (n4) 1122.
Manuel du droit pénal international
27
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
Les tribunaux internationaux, y compris le TPIY, le TPIR et la CPI, ont reçu compétence vis-à-vis de ces
crimes. C'est pour cette raison qu'on les appelle également les « grands crimes » ou encore les crimes
internationaux à strictement parler (strictu sensu). Dans un sens plus large, toutefois, d'autres crimes peuvent
aussi être considérés comme étant des crimes internationaux. Le dénominateur commun à ces crimes non
qualifiés de « grands » porte sur l'existence d'un traité international qui oblige les États à criminaliser certains
actes dans leurs lois nationales.7
Sans se prétendre exhaustive, la liste des crimes internationaux dans le sens le plus large, qu'on appelle aussi
les « crimes de traité », comporte les crimes suivants :
• piraterie ;8
• torture ;
• terrorisme ;
• esclavage ;
• trafic international de drogues illicites ;
• certains délits commis à bord d'avions et certains actes illicites à l'encontre de la sécurité du trafic aérien ;
• traite de femmes et d'enfants ;
• pêche excessive ;
• pollution des mers ;
• infractions à l'encontre de câbles et pipelines sous-marins ;
• infractions contre des personnes protégées par le droit international ;
• délits graves d'apartheid ;
• prise d'otages internationale ;
• infractions postales internationales ;
• circulation et trafic de matériaux obscènes ;
• falsification et contrefaçon.9
Lors des négociations portant sur la création de la CPI, des débats avaient eu lieu sur l'inclusion ou non des
attentats terroristes, des délits de trafic de drogues et des actes individuels de torture comme relevant de la
compétence de la CPI.10 Bien que les attentats terroristes et le trafic international de drogues illicites fussent
considérés comme étant des crimes extrêmement graves, la Cour n'a pas reçu compétence à leur égard devant
l'impossibilité avérée de parvenir à un accord sur la définition de ces deux crimes. Le statut de la CPI prévoit
cependant un mécanisme de révision qui permet une expansion future de la compétence de la cour.11
7
8
Cryer et al (n4 ) 2; Bantekas and Nash (n4 ) 6.
La piraterie était traditionnellement un crime en vertu du droit international coutumier, mais elle figure désormais dans la Convention des Nations Unies
sur le droit de la mer (10 décembre 1982) 1833 UNTS 3.
9
M Cherif Bassiouni, ‘The Sources and Content of International Criminal Law : A Theoretical Framework’, in I International Criminal Law (n4) 32, 33,
62–69 (M Cherif Bassiouni ed, 1999); Bantekas and Nash (n4); Jescheck (n4) 1122.
10
Acte final de la Conférence diplomatique des Nations Unies de plénipotentiaires sur la création d'une cour pénale internationale (17 juillet 1998),
Document ONU A/CONF.183/10, Res E.
11Ibid.
28
Manuel du droit pénal international
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
Les grands crimes internationaux et certains autres crimes internationaux graves, comme des actes de
terrorisme et de torture, seront analysés au Chapitre 3.
Sources du droit pénal international
Étant donné que le droit pénal international est une branche du droit public international, ses sources légales
et leur hiérarchie sont dérivées de l'Article 38 du Statut de la Cour Internationale de Justice (appelé ci-après
la CIJ).12 Bien que la classification des sources de cette disposition soit quelque peu inadéquate et caduque,
puisqu'elle manque de reconnaître l'importance des autres instruments qui servent de sources au droit pénal
international (comme par exemple les résolutions contraignantes du Conseil de Sécurité des Nations Unies
(appelées ci-après l'ONU) adoptées en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies), elle peut malgré
tout être utilisée comme point de départ et apporter des orientations utiles.
D'après le paragraphe 1 de l'Article 38 du Statut de la CIJ, les sources du droit international sont, par ordre :13
• les conventions internationales ;
• la coutume internationale, attestée par une pratique généralisée acceptée comme faisant
office de loi ;
• les principes généraux du droit reconnus par la communauté des nations ;14
• les décisions judiciaires et la doctrine des publicistes les plus qualifiés, comme moyen subsidiaire de
déterminer les règles de droit.
La prochaine section s'attache à présenter les caractéristiques essentielles des principales sources du droit
pénal international. Il convient cependant de relever dès le départ qu'en vertu du droit pénal international,
les décisions judiciaires s'avèrent d'une pertinence particulière pour comprendre la signification et le champ
d'application des règles du droit pénal international. Par ailleurs, les résolutions du Conseil de Sécurité de
l'ONU qui prévoyaient les statuts des tribunaux internationaux, comme par exemple les Statuts du TPIY et du
TPIR, représentent elles aussi des sources importantes du droit pénal international.
Traités internationaux
Traités
Le droit des traités constitue l'une des sources les plus importantes du droit pénal international. Un traité
international est un accord consensuel légalement contraignant entre deux ou plusieurs sujets du droit
international (conclu par exemple entre des États et des organisations internationales) qui en détermine les
droits et les devoirs. Il se conclut généralement sous forme écrite et peut être incorporé soit dans un instrument
unique, soit dans deux ou plusieurs instruments y relatifs.15 Les traités peuvent s'appeler différemment :
convention, charte, pacte, accord, entente ou protocole, il n'empêche que leurs effets juridiques restent les
mêmes. Au niveau international, le consentement d'un État de se soumettre à un traité s'exprime généralement
sous forme de ratification, d'acceptation, d'approbation ou d'accession et, dans des cas exceptionnels, par sa
seule signature.16
12
Statut de la Cour Internationale de Justice (26 juin 1945), 3 Bevans 1179, 59 Stat 1055 (appelé ci-après Statut de la CIJ).
13Ibid.
14
L'Article 38(1)(c) du Statut de la CIJ fait référence aux nations « civilisées », terme désormais déplacé qui devrait être remplacé par le terme
« communauté des nations ».
15
Article 2(1)(a) de la Convention de Vienne sur le droit des traités (23 mai 1969) 1155 UNTS 331; 8 ILM 679 (1969); 63 AJIL 875 (1969).
16
Ibid Articles 11 et 12.
Manuel du droit pénal international
29
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
Dès lors qu'un traité entre en vigueur et a force contraignante vis-à-vis des États parties, les États sont tenus
de porter à exécution l'obligation du traité de bonne foi.17 Une partie ne peut échapper à sa responsabilité en
vertu du droit international en invoquant les dispositions de ses lois internes pour justifier de son manquement
à exécuter un traité.18 Pour l'interprétation des traités internationaux, les règles de Convention de Vienne sur
le droit des traités de 1969 s'appliquent, tout particulièrement les Articles 31 à 33.19 La règle d'interprétation
générale prévoit que « un traité doit être interprété de bonne foi, suivant le sens ordinaire à attribuer aux
termes du traité dans leur contexte et à la lumière de son objet et de son but. » 20
Les traités internationaux qui codifient le droit international humanitaire servent de sources importantes au
droit pénal international. Le droit international humanitaire couvre aussi bien le droit de « La Haye » et le
droit de « Genève » applicable aux conflits armés. Le droit de La Haye détermine les droits et devoirs des
belligérants dans la conduite de leurs opérations, et limite le choix des méthodes et moyens de blesser l'ennemi
dans le cadre d'un conflit armé international. Il se fonde sur les Conventions de La Haye de 1899 et de 1907,
adoptées lors des Conférences de Paix de La Haye qui ont eu lieu en 1899 et 1907, et plus particulièrement sur
le règlement de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (appelé ci-après le Règlement
de La Haye de 1907).21
Le droit de Genève a pour objet de protéger les victimes de la guerre et vise à prévoir des mesures de
protection pour le personnel de forces armées mis hors de combat et les personnes ne participant pas aux
hostilités. Il se fonde sur les Conventions de Genève de 1864, 1906 et 1929.22 Ces conventions ont été suivies
des quatre Conventions de Genève de 1949 et des deux protocoles additionnels à ces conventions de 1977.23
Les quatre Conventions de Genève de 1949 régissent le statut des groupes de personnes qui jouissent d'une
protection spéciale pendant les conflits armés, à savoir les blessés et les malades sur terre, les blessés, les
malades et les naufragés en mer, les prisonniers de guerre, et les civils.
La Cour Internationale de Justice a jugé que le droit de La Haye et le droit de Genève « sont devenus à tel
point interconnectés qu'ils sont jugés avoir progressivement formé un seul et unique système complexe appelé
aujourd'hui droit international humanitaire.» 24 Les deux protocoles additionnels de 1977 « expriment et
attestent de l'unité et de la complexité de ce droit ».25 Les deux protocoles additionnels étayent les Conventions
de Genève de 1949 sans pour autant les abroger. Le droit de La Haye a été incorporé aux protocoles
additionnels de 1977, où il a été également plus amplement développé. Lorsqu'ils n'y sont pas incorporés, les
dispositions de La Haye restent en vigueur.26
17
Ibid Article 26.
18
Ibid Article 27.
19Ibid.
20
Ibid Article 31.
21
Licéité de la menace ou de l'utilisation d'armes nucléaires (Avis consultatif) [1996] Rap. CIJ 226, paragraphe (75). Convention de La Haye (IV)
respectant les droits et coutumes de la guerre sur terre et ses Annexes : Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre (18 octobre 1907),
36 Stat 2277, 1 Bevans 631. Pour d'autres documents, voir Dietrich Schindler and Jiří Toman, The Laws of Armed Conflicts : A Collection of Conventions,
Resolutions and other Documents (3e édition Nijhoff, Dordrecht 1988).
22
Convention pour l'amélioration du sort des blessés dans les armées en campagne (22 août 1862) ; Convention pour l'amélioration du sort des blessés et
malades dans les armées en campagne (6 juillet 1906) ; Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre (27 juillet 1929) ; toutes les
conventions figurent dans Schindler & Toman (n21) 279–283, 301–312, 339–366.
23
Convention pour l'amélioration du sort des blessés et malades dans les armées en campagne (12 août 1949) 75 UNTS 35 ; Convention de Genève pour
l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer (12 août 1949) 75 UNTS 81 ; Convention de Genève relative
au traitement des prisonniers de guerre (12 août 1949) 75 UNTS 135 ; Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de
guerre (12 août 1949) 75 UNTS 287 ; Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949, et relatif à la protection des victimes des conflits
armés internationaux (Protocole) (8 juin 1977) 1125 UNTS 3 ; Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949, et relatif à la protection
des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II) (8 juin 1977) 1125 UNTS 609.
24
Licéité de la menace ou de l'utilisation d'armes nucléaires (Avis consultatif) [1996] Rap. CIJ 226, paragraphe (75).
25Ibid.
26
Karl Josef Partsch, ‘Humanitarian Law and Armed Conflict’,
in 2 Encyclopaedia of Public International Law (Rudolf Bernhardt (ed), North Holland Publishing Co, Amsterdam 1995) 933, 935.
30
Manuel du droit pénal international
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
Il existe aussi d'autres traités internationaux qui servent de sources au droit pénal international, comme par
exemple la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948,27 la Convention de
La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé de 1954,28 la Convention contre la torture
et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984,29 la Convention internationale contre
la prise d'otages de 1979,30 et les traités internationaux sur le terrorisme (voir Chapitre 3).
Statuts des tribunaux internationaux
Les Statuts des tribunaux internationaux constituent une autre source importante du droit pénal international.
Par exemple, l'Accord de Londres du 8 août 1945 stipule le droit matériel et procédural du tribunal militaire
international de Nuremberg.31 Le Statut de Rome de la CPI, qui dresse la liste des crimes internationaux relevant du
domaine de compétence de la Cour, le principe général du droit pénal international et la procédure devant la Cour, a
lui aussi été adopté en tant que traité international.32
Les Statuts du TPIY et du TPIR ont été adoptés non pas par traité, mais par le Conseil de Sécurité de l'ONU dans
ses résolutions 872 (2003) pour le premier et 955 (2004) pour le deuxième.33 Par conséquent, au bout du compte,
l'établissement de ces deux tribunaux pénaux internationaux s'appuie sur un traité, à savoir la Charte des Nations
Unies, puisqu'ils ont tous deux été créés par des résolutions du Conseil de Sécurité de l'ONU agissant en vertu du
Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Conformément à l'Article 25 de la Charte des Nations Unies, ces
résolutions sont légalement contraignantes pour tous les membres de l'ONU.
Règlement de procédure et de preuve
Les étapes fondamentales des affaires pénales internationales sont généralement stipulées dans les Statuts
des tribunaux internationaux. Elles sont toutefois généralement plus amplement étayées dans le Règlement
de procédure et de preuve. Dans certains cas, comme par exemple ceux du TPIY et du TPIR, le règlement est
adopté par les juges des tribunaux.34 Les fondements de leur adoption sont les Statuts des tribunaux qui ont été
adoptés, comme on l'a vu, sous la forme de résolutions du Conseil de Sécurité de l'ONU conformément à la
Charte des Nations Unies qui, elle-même, relève d'un traité international.
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33
34
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (9 décembre 1948) 78 UNTS 227.
Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (14 mai 1954) 249 UNTS 240.
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (10 décembre 1984) 1465 UNTS 85.
Convention internationale contre la prise d'otages (17 décembre 1979) 1316 UNTS 205.
Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe et statut du tribunal militaire
international (8 août 1945) 82 UNTS 279 (Annexe).
Statut de la CPI (17 juillet 1998) Document ONU A/CONF.183/9.
Statut du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie, Résolution du CS 827, Document ONU S/RES/827 (25 mai 1993) (appelé ci-après statut du
TPIY) ; Statut du Tribunal Pénal International pour le Rwanda, Résolution du CS 955, Document ONU S/RES/955 (8 novembre 1994) (appelé ci-après Statut
du TPIR).
Ibid, Article 15 du Statut du TPIY ; Article 14 du Statut du TPIR. Les versions les plus récentes du Règlement de procédure et de preuve du TPIY et du
TPIR sont disponibles sur <http://www.icty.org> (TPIR) consulté le 30 novembre 2009.
Manuel du droit pénal international
31
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
Dans le cas de la CPI, l'Assemblée des États parties adopte le Règlement de procédure et de preuve à la
majorité des deux tiers.35 Dans les cas urgents où le Règlement ne prévoit pas une situation spécifique portée
devant le tribunal, les juges peuvent, à la majorité des deux tiers, établir un Règlement provisoire à appliquer
avant qu'il ne soit adopté, modifié ou rejeté lors de la prochaine session ordinaire ou extraordinaire de
l'Assemblée des États parties.36 Le fondement pour l'adoption du Règlement de la CPI est le Statut de la CPI,
qui est un traité international.
Droit international coutumier
Lorsque le droit des traités fait défaut à prévoir des règles sur une question donnée, et présente ainsi des
lacunes, il convient d'avoir recours au droit international coutumier et aux principes généraux du droit. Il
est possible aussi de se reporter au droit international coutumier en vue de clarifier la teneur et le champ
d'application des dispositions de traités.37 Des obligations du droit coutumier international contraignantes visà-vis des États existent lorsqu'il existe des preuves, à la fois :
• d'actes équivalant à une « pratique établie » des États ; et
• une « conviction que cette pratique est rendue obligatoire par l'existence d'un État de droit l'exigeant »
(opinio juris).38
Lorsqu'il décrète s'il existe ou non une règle de droit international coutumier, le juge devra donc évaluer
l'existence d'un élément objectif qui découle de la pratique générale, et d'un élément subjectif , à savoir que les
États sont convaincus de la nature légalement contraignante de cette pratique.39 Ces deux éléments, la pratique
et opinion juris, sont étroitement interconnectés. Il est cependant possible d'arguer que l'existence d'un élément
objectif n'est pas forcément nécessaire à la création d'une règle coutumière. 40
La tâche qui consiste à établir la teneur du droit coutumier peut être très ardue lorsque la norme du droit
coutumier n'est pas écrite. Elle peut être facilitée lorsque le droit international coutumier provient d'un
traité ou d'un autre instrument écrit, comme par exemple des résolutions de l'Assemblée Générale des
Nations Unies. Bien qu'elles ne soient pas légalement contraignantes à proprement parler, les résolutions
de l'Assemblée Générale peuvent être généralement acceptées comme reflétant la coutume. On trouve un
exemple d'une telle résolution au niveau de la définition de l'agression, à savoir au paragraphe 3(g), adopté par
la résolution de l'Assemblée Générale 3314 (XXIX) du 14 décembre 1974.
Les tribunaux, tant nationaux qu'internationaux, jouent un rôle important à reconnaître les règles du droit
international coutumier.41
Le droit international coutumier est légalement contraignant vis-à-vis de tous les États, hormis les États qui
se sont constamment opposés à la formation de la règle coutumière concernée tout au long du processus de sa
création. De telles objections ne sont cependant pas autorisées en ce qui concerne jus cogens , c'est-à-dire les
normes impératives du droit international. Il s'agit des normes qui sont acceptées et reconnues par la communauté
internationale des États dans son ensemble en tant que normes auxquelles aucune dérogation n'est permise et qui
35
Article 51(1) et (2) de la CPI (17 juillet 1998) Document ONU A/CONF.183/9. Règlement de procédure et de preuve de la CPI, CPI-ASP/1/3 (partie II-A)
(9 septembre 2002) (appelé ci-après le Règlement de procédure et de preuve de la CPI).
36
Article 51(3) de la CPI (17 juillet 1998) Document ONU A/CONF.183/9.
37
Affaire du Procureur c/Kupreškić et al (TPIY) Affaire No IT-95-16-T, Jugement de première instance (14 janvier 2000) paragraphe (591).
38 Plateau continental de la mer du Nord (République fédérale d'Allemagne/Pays-Bas et République fédérale d'Allemagne/Danemark) (Jugement) [1969]
Rap. CIJ 44.
39Ibid.
40Voir Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua et contre le Nicaragua (Nicaragua c/USA(Avis consultatif) [1986] Rap. CIJ 14, paragraphe (186).
Affaire du Procureur c/Kupreškić (TPIY) Affaire No IT-94-1-A, Décision de la Chambre d'appel portant sur la requête de la défense relative à l'appel
interlocutoire interjeté concernant la compétence (2 octobre 1995) paragraphe (99).
41Voir Affaire du Procureur c/Furundžija (TPIY) Affaire No IT-95-17/1-T, Jugement de première instance (10 décembre 1998) paragraphes (168)–(169).
32
Manuel du droit pénal international
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
ne peuvent être modifiées que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère.42
On a comme exemples de normes jus cogens les interdictions portant sur le génocide et la torture.
L'affaire Galić portée devant le TPIY présente un exemple intéressant d'un tribunal cherchant à établir si une
norme a atteint le statut de droit international coutumier. Dans son jugement du 5 décembre 2003, la chambre
de première instance a décidé que l'interdiction portant sur les actes de violence dont le but principal est de
répandre la terreur parmi la population civile, ainsi stipulée dans le protocole additionnel I des Conventions de
Genève de 1949, s'inscrivait dans le cadre du droit coutumier, et toute infraction à cette interdiction encourait
une responsabilité pénale individuelle.
Principes d’ordre général
Il est fait recours aux principes généraux lorsque les traités internationaux et le droit coutumier ne sont pas
suffisamment étayés pour qu'un tribunal puisse rendre une décision. Les principes généraux figurent à la fois
dans le droit international mais aussi dans les systèmes juridiques nationaux des États. Les principes généraux
du droit international sont des principes qui peuvent être déduits du système juridique international, comme
par exemple dans le cas de bona fides ou pacta sunt servanda. En ce qui concerne les principes découlant du
droit interne, seuls les principes qui sont en commun à tous les principaux systèmes juridiques sont qualifiés
comme étant des principes généralement acceptés, comme par exemple le principe de légalité.43 Bien qu'il ne
soit pas nécessaire pas que tous les systèmes juridiques reconnaissent ces principes, ceux-ci doivent cependant
être communs à la plupart des principaux systèmes juridiques.44
Le Statut de Rome de la CPI prévoit qu'il est possible d'appliquer en dernier recours les principes généraux
du droit dérivés des lois nationales de systèmes juridiques du monde. La Cour peut même y avoir recours
lorsque la première catégorie du droit (à savoir le Statut, les Éléments constitutifs de crimes et le Règlement
de procédure et de preuve) ou la seconde catégorie du droit (à savoir les traités applicables et les principes
et règles du droit international, y compris les principes établis du droit international des conflits armés) ne
prévoient pas de fondement pour prononcer une décision. Le paragraphe 1(c) de l'Article 21 du Statut de la
CPI stipule que la Cour applique
les principes généraux du droit dégagés par la Cour à partir des lois nationales représentant les différents systèmes juridiques du
monde, y compris, selon qu'il convient, les lois nationales des États sous la juridiction desquels tomberait normalement le crime,
si ces principes ne sont pas incompatibles avec (le) Statut ni avec le droit international et les règles et normes internationales
reconnues.45
Dans la pratique, les tribunaux internationaux n'appliquent les principes extraits des systèmes juridiques nationaux
que lorsqu'aucune autre source de droit international n'est disponible. Cependant, le TPIY et le TPIR, par exemple,
ont parfois été critiqués d'avoir recours à des principes émanant exclusivement de systèmes de la Common Law
ou du droit civil, négligeant par là-même d'autres systèmes juridiques, comme ceux du monde islamique et du
continent africain.46
Moyens subsidiaires
Décisions judiciaires
En règle générale, les décisions judiciaires constituent des moyens subsidiaires de déterminer des
règles internationales et par conséquent, elles ne constituent pas à proprement parler une source de droit
international. Il n'empêche cependant que dans le droit pénal international, les décisions judiciaires en
42
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45
46
Article 53 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, 1155 UNTS 331; 8 ILM 679 (1969); 63 AJIL 875 (1969).
Affaire du Procureur c/Furundžija (n41) paragraphes (177–178).
Bantekas and Nash (n4) 4.
Statut de la CPI (17 juillet 1998), Document ONU A/CONF.183/9.
Bantekas and Nash (n4) 5.
Manuel du droit pénal international
33
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
viennent souvent à jouer un rôle bien plus important. Elles aident à déterminer l'existence de règles du droit
coutumier et servent de moyen d'établir l'interprétation la plus appropriée à accorder à une règle de traité.47 Il
convient de souligner que l'on se fie non seulement à des jugements internationaux, mais aussi aux décisions
judiciaires prises par des tribunaux nationaux. Ainsi par exemple, le TPIY et le TPIR se sont reportés non
seulement aux jugements internationaux mais aussi à la jurisprudence interne.48
Le paragraphe 2 de l'Article 21 du Statut de la CPI dispose que la Cour peut appliquer des « principes et règles
de droit tels qu'elle les a interprétés dans ses décisions antérieures ».49 La Cour n'est par conséquent pas tenue
par ses décisions antérieures et n'a donc pas adopté la doctrine du précédent ou, stare decisis. En vertu de cette
doctrine, qui s'applique traditionnellement aux juridictions de Common Law, un tribunal doit obligatoirement
suivre les décisions judiciaires antérieures lorsque les mêmes points sont à nouveau soulevés dans le cadre de
litiges.50
Par l'élaboration de leur jurisprudence, le TPIY et le TPIR sont désormais guidés par la doctrine du précédent,
bien que leurs statuts ne la prévoient pas spécifiquement.51 La Chambre d'appel du TPIY dans l'affaire
Aleksovski a décidé que « dans l'intérêt de la sécurité et de la prévisibilité juridiques, la Chambre d'appel doit
suivre ses décisions antérieures, mais reste libre de s'en écarter si des raisons impérieuses lui paraissent le
commander dans l'intérêt de la justice ».52 Le TPIY applique donc une doctrine du précédent « souple » qui
s'apparente au précédent :53
107. La Chambre d'appel en conclut par conséquent qu'une interprétation correcte du Statut, à la lumière de son texte et de son
but, porte à conclure que, dans l'intérêt de la sécurité et de la prévisibilité juridiques, la Chambre d'appel doit suivre ses décisions
antérieures, mais reste libre de s'en écarter si des raisons impérieuses lui paraissent le commander dans l'intérêt de la justice.
…
109. Il est nécessaire d'insister que la règle normale consiste à suivre les décisions antérieures, et s'en écarter relève de l'exception.
La Chambre d'appel ne s'écartera d'une décision antérieure qu'après y avoir accordé la plus grande attention, tant en terme du
droit, y compris des autorités citées, que des faits.
…
111. Lorsque, pour trancher une question dont elle est saisie, la Chambre d'appel est confrontée à des décisions antérieures
contradictoires, elle est tenue de préciser laquelle elle va appliquer ou si des raisons impérieuses commandent qu'elle s'écarte des
deux décisions dans l'intérêt de la justice.54
Quant à la question de savoir si les décisions de la Chambre d'appel ont force contraignante sur les chambres
de première instance, la Chambre d'appel dans l'affaire Aleksovski a jugé qu'une « interprétation correcte
du Statut exige que le ratio decidendi de ses décisions ait force contraignante sur les chambres de première
instance» 55 Quant à la question de savoir si les décisions des chambres de première instance ne sont pas liées
par les décisions les unes des autres, la Chambre d'appel a jugé que
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Cassese (n2) 37.
Voir, par exemple, Affaire du Procureur c/Kupreškić (TPIY) Affaire No IT-94-1-A, Arrêt rendu en pourvoi (15 juillet 1999) paragraphes
(255)–(270).
Statut de la CPI (17 juillet 1998) Document ONU A/CONF.183/9.
Bryan A Gardner (ed) Black’s Law Dictionary, (West Group, St Paul, Minnesota 2000), 1137.
Voir Cryer et all (n4) 9.
Affaire du Procureur c/Aleksovski (TPIY) Affaire No IT-95-14/1-A, Arrêt rendu en pourvoi (24 mars 2000) paragraphe (107).
Pour en savoir plus John R W D Jones and Steven Powles, International Criminal Practice (3e édition Routledge, Oxford 2003) 139-141.
Affaire du Procureur c/Aleksovski (TPIY) (n52) paragraphes (107)–(111).
Ibid paragraphe (24).
Manuel du droit pénal international
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
la Chambre d'appel considère que les décisions des chambres de première instance, qui sont des instances dotées de compétence
de même rang, ne sont pas liées les unes des autres, bien qu'une chambre de première instance soit libre de suivre toute décision
d'une de ses homologues, dès lors qu'elle l'estime fondée.56
Jurisprudence d'autres tribunaux internationaux
Un autre point qui mérite d'être abordé porte sur la question de savoir si oui ou non, et dans quelle mesure, les
tribunaux pénaux internationaux sont liés par la jurisprudence d'autres tribunaux, comme par exemple celle
de la Cour Internationale de Justice. En ce qui concerne la relation entre la CIJ et le TPIY, la Chambre d'appel
dans l'arrêt Delalić et al a estimé que, malgré le statut d'organe judiciaire principal dans le cadre du système
de l'ONU auquel le TPIY appartient, il n'existe aucun lien hiérarchique entre les deux tribunaux.57 Le TPIY est
une instance autonome et, à ce titre, n'est pas lié par les décisions de la CIJ. Le même principe s'applique en ce
qui concerne d'autres tribunaux internationaux.
Il n'empêche que les tribunaux pénaux internationaux ont tenu compte des décisions d'autres tribunaux
internationaux lorsque celles-ci étaient pertinentes.58 , dans l'affaire Tadić, par exemple, la chambre de
première instance s'est reportée au jugement de la Cour européenne des droits de l'homme (appelée ci-après
CEDH) dans l'affaire Loizidou c/Turkey et la décision de la CIJ dans l'affaire du personnel diplomatique
et consulaire des États-Unis à Téhéran.59 Le Statut du Tribunal spécial pour la Sierra Leone codifie cette
approche à l'égard de la jurisprudence du TPIY et du TPIR, en prévoyant que « les juges de la Chambre
d'appel seront guidés par les décisions des Chambres d'appel des tribunaux internationaux pour l'exYougoslavie et le Rwanda. »60
La Chambre d'appel a déclaré par son jugement dans l'affaire Delalić et al que, bien qu'elle tiendrait compte
pour autant que possible des autres décisions des tribunaux internationaux pour veiller à la sécurité et la
prévisibilité juridiques, il est possible que, après examen attentif, elle en arrive à une conclusion différente.61 En
effet, dans la première affaire qu'il a entendue, Procureur c/Kupreškić, le TPIY s'est fameusement écarté d'une
décision antérieure de la CIJ, dans l'affaire du Nicaragua , quant aux critères légaux pour établir quand, dans le
cadre d'un conflit armé qui est prima facie interne, les forces armées peuvent être considérées comme agissant
pour le compte d'une puissance étrangères, et par là-même donnant une teneur internationale au conflit.62
La Chambre d'appel n'a pas trouvé que le critère de « contrôle effectif » formulé par la CIJ dans l'affaire du
Nicaragua était persuasif et, au lieu de cela, s'est prononcée en faveur d'un seuil de « contrôle global ».63
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Ibid paragraphe (114).
Affaire du Procureur c/Delalić et al (TPIY) Affaire No IT-96-21-A, Arrêt rendu en pourvoi (20 février 2001) paragraphe (24).
Ibid paragraphe (24).
Procureur c/Kupreški (TPIY) (n48), paragraphes (128, 133). Voir aussi Affaire du Procureur c/Aleksovski (n52) (TPIY) paragraphe (95), où la Chambre
d'appel s'est appuyée sur l'affaire Cossey entendue par la Cour européenne des droits de l'homme.
Article 20(3) du Statut du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, Pièce jointe au Rapport du Secrétaire Général sur la création d'un Tribunal spécial pour la
Sierra Leone, Document ONU S/2000/915, 2178 UNTS 138 (16 janvier 2002). Cependant, le juge Bankole Thompson du Tribunal spécial a déclaré que
« l'emploi de la formule "sera guidé par" à l'Article 20 du Statut ne signifie pas pour autant qu'il oblige à en faire l'émulation servile et inconditionnelle,
que ce soit au titre du précédent ou de la persuasion, des principes et doctrines énoncés par nos tribunaux homologues ». . . au contraire, le Tribunal
spécial est habilité à développer sa propre jurisprudence eu égard à certaines dynamiques socio-culturelles et juridiques, à la fois uniques et différentes,
qui prévalent sur le lieu du tribunal. » Affaire du Procureur c/Kallon (TSSL) Affaire No TSSL-2003-07-PT, Décision de la chambre de première instance
sur la requête du procureur pour des mesures de protection immédiates pour les témoins et victimes et pour l'absence de divulgation au public (23 mai
2003) paragraphe (12).
Affaire du Procureur c/Delalić et al
(TPIY) (n57) paragraphe (24).
Voir aussi les approches différentes initiales vis-à-vis de la définition du terme viol en vertu du TPIR et du TPIY, telles qu'elles sont reflétées dans l'affaire
du Procureur c/Akayesu (TPIR) Affaire No TPIR-96-4-T, Jugement de première instance (2 septembre 1998) paragraphes (597)–(598) qu'il convient
de comparer à l'affaire du Procureur c/Kunarac et al (TPIY) Affaire No IT-96-23-T et IT-96-23/1-T, Jugement de première instance (22 février 2001)
paragraphe (412).
La Chambre d'appel a soutenu que « afin d'attribuer les actes d'un groupe militaire ou paramilitaire à un État, il faut prouver que l'État exerce un contrôle
global sur le groupe, non seulement par l'équipement et le financement du groupe en question, mais aussi en se chargeant de la coordination de ses
activités militaires, ou en aidant au niveau de la planification générale de celles-ci. Ce n'est que dans ce cas-là que l'État peut être tenu comme étant
internationalement responsable de toutes fautes commises par le groupe. Il n'est cependant pas nécessaire qu'en sus, l'État envoie également, que ce soit au
chef ou aux membres du groupe, des consignes pour la perpétration d'actes spécifiques contraires au droit international. » Procureur c/Kupreškić (TPIY)
(n48) paragraphe (131) ; voir aussi paragraphes (115)–(130).
Manuel du droit pénal international
35
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
En conclusion, bien que les tribunaux internationaux ne soient pas formellement liés par la jurisprudence
d'autres tribunaux internationaux, ils peuvent s'y reporter lorsque les affaires relèvent de questions similaires.
Ils sont cependant libres de s'écarter de ces précédents lorsque bon leur semble, notamment s'il existe des
raisons impérieuses de le faire.
Avis des savants
Les avis des savants peuvent eux aussi servir de sources auxiliaires afin d'arrêter les règles de droit, mais
ils ne forment pas à proprement parler les sources du droit pénal international. Dans certains cas, les avis
peuvent contribuer à mieux comprendre le droit et sa mise en œuvre concrète.64 Il ne convient pas toutefois de
s'en remettre aux points de vue personnels de savants quant à ce que le droit devrait être : leurs avis ne sont
pertinents que s'ils portent sur le droit tel qu'il se présente en l'état.65 Il est par conséquent recommandé d'être
particulièrement vigilant avant de s'en remettre aux points de vue, déclarations et avis de savants, devant le
risque qu'ils ne soient pas un reflet correct de l'état du droit à interpréter et appliquer.66
Champ d’application du droit pénal international
Bien que le droit pénal international constitue une branche distincte du droit public international, il se rapporte
à d'autres domaines du droit international et du droit pénal national. Si l'on souhaite comprendre le champ
d'application et les limites du droit pénal international, il est nécessaire d'étudier la relation qu'il entretient
avec les règles du droit international qui régissent la responsabilité de l'État, le droit pénal national, les droits
de l'homme, le droit pénal transnational et le droit international humanitaire.
Droit international : Responsabilité d’un État
Le droit pénal international est une branche du droit public international, qui est un système de règles régissant
les droits et devoirs des États et d'autres sujets du droit international. Le droit pénal international impose
une responsabilité pénale uniquement à des individus, non pas à des États. Néanmoins, la majorité des actes
prescrits par le droit pénal international comme étant des crimes internationaux sont considérés par le droit
international comme étant des violations graves de la part des États.67 Si un agent d'un État (un individu
n'agissant pas à titre privé) commet un crime international, l'acte en question peut être attribuable à l'État,
auquel cas l'État en question peut lui aussi être tenu pour responsable sur le plan international.68
Il se peut que des crimes internationaux entraînent une double responsabilité : d'une part, la responsabilité
pénale d'un individu n'agissant pas à titre privé en vertu du droit pénal international et, d'autre part, la
responsabilité d'un État en vertu de règles du droit international y relatives qui incluent des règles interdisant
le crime de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. Il est possible d'invoquer les deux
responsabilités pour le même délit. Par exemple, la Bosnie-Herzégovine a intenté des poursuites à l'encontre
de la Serbie pour génocide devant la Cour Internationale de Justice, alors que dans le même temps, le TPIY
avait la compétence de poursuivre les individus responsables du crime de génocide.
68
Human Rights in the Administration of Justice : A Manual on Human Rights for Judges, Prosecutors and Lawyers <www.ibanet.org/images/downloads/
hri/Human_Rights_Training_Manual.pdf> consulté le 10 août 2009.
Cryer et al (n4) 9. Voir, par exemple, Affaire du Procureur c/Krstić (TPIY) Affaire No IT-98-33-A, Arrêt rendu en pourvoi (19 avril 2004) paragraphe (10);
Affaire du Procureur c/Stakić (TPIY) Affaire No IT-97-24-T, Jugement de première instance (31 juillet 2003) paragraphe (519).
Human Rights in the Administration of Justice (n64).
Antonio Cassese, ‘International Criminal Law’,
in Malcolm D Evans (ed), International Law (Ashgate, Farnham 2003) 721, 724.
Cryer et al (n4) 11.
36
Manuel du droit pénal international
64
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Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
Droit pénal
Le droit pénal définit les devoirs dont un individu est redevable envers la société et dont les infractions sont
soumises à une sanction pénale par un État. L'origine du droit pénal international dérive en partie du droit
pénal national et s'en inspire ; il est « en grande partie le résultat d'une transposition progressive sur le plan
international de règles et conduites légales propres au droit pénal national ou à des procès nationaux ».69 De
par l'absence d'un système uniforme de droit pénal, le droit pénal international combine des éléments à la
fois de la common law et du droit civil. Les tribunaux internationaux se sont souvent référés au droit pénal
national, et en ont emprunté des éléments, afin d'interpréter et d'élaborer les dispositions du droit pénal
international matériel et procédural.
Droit pénal transnational
Bien que le droit pénal international et le droit pénal transnational soient considérés comme étant énormément
interconnectés, il est possible, stricto sensu, de les séparer l'un de l'autre. Dans le sens large du terme, le droit
pénal international peut être considéré comme étant un terme ombrelle qui regroupe à la fois le droit pénal
international dans son sens étroit et le droit pénal transnational. Le droit pénal transnational couvre les crimes
d'envergure internationale, ces crimes que l'on appelle crimes de traités, auxquels il est fait référence plus
haut comme relevant de crimes internationaux dans le sens large du terme. Le droit pénal international, à
strictement parler, couvre ce qu'on appelle les « grands crimes » qui relèvent de la compétence des tribunaux
internationaux. Bien que les crimes de traité aient une origine sur le plan international, leur prescription pénale
est d'envergure nationale.70
Contrairement au droit pénal international, qui prévoit la responsabilité pénale individuelle pour les violations
des « grands crimes » même en l'absence d'une interdiction nationale, le droit pénal transnational ne crée
pas de responsabilité pénale individuelle en vertu du droit international. Le droit pénal transnational est
un « système indirect d'obligations entre États produisant des lois pénales nationales. Les conventions
de suppression imposent aux États parties des obligations afin qu'ils promulguent et appliquent des lois
concernant certaines infractions internes. . . Contrairement aux grands crimes, le pouvoir de sanctionner
provient du droit national et la responsabilité pénale individuelle s'entend entièrement en termes du droit
national. »71
Le droit pénal transnational englobe les dispositions qui déterminent le champ d'application du droit pénal
national lorsqu'un crime présente un aspect ou un autre de nature transnationale. Il prévoit également des
méthodes et procédures pour assurer l'entraide et la coopération entre États eu égard à des crimes comportant
un élément étranger. Dans ce cadre, il comporte les conventions sur l'extradition d'auteurs d'infractions par
un État en vue de les poursuivre dans autre État, ainsi que le transfert de détenus, afin de leur permettre de
purger leurs peines dans le pays dont ils sont les ressortissants. Plusieurs traités internationaux imposent aux
États l'obligation de criminaliser certaines activités pour les ériger en infractions pénales dans la législation
nationale et de poursuivre les auteurs d'infractions qui se trouvent sur leur territoire, ou de les extrader vers
des États qui les poursuivront (aut dedere aut judicare).72
69
70
71
72
Cassese (n67) 723–724.
Neil Boister, ‘Transnational Criminal Law’ (2003), 14 EJIL 953, 955.
Ibid à 962 (notes de bas de page omises).
Cryer et al (n4) 3–4; Dietrich Oehler, ‘Criminal Law International’, in 1 Encyclopaedia of Public International Law (Rudolf Bernhardt (ed), North
Holland Publishing Co, Amsterdam 1992) 877, 877–881.
Manuel du droit pénal international
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Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
Droit des droits de l'homme
Le droit pénal international a été grandement influencé par le droit des droits de l'homme. Ces deux domaines
partagent des fondements communs, puisque tous deux sont apparus en réponse aux activités et aux violations
flagrantes des droits de l'homme perpétrées pendant les deux Guerres mondiales. De même, les tribunaux
ad hoc ont été créés afin de mettre un terme aux violations massives des droits de l'homme par des États à
l'encontre de leurs propres citoyens ou d'autres au sein de leur territoire.73
La principale différence qui existe entre le droit des droits de l'homme et le droit pénal international porte sur
le fait que les interdictions visées dans le droit des droits de l'homme s'adressent principalement aux États,
alors que le droit pénal international impose la responsabilité aux individus. Il appartient à l'appréciation
des États de décider de la manière de mettre en œuvre leur obligation en vertu des droits de l'homme. Le cas
échéant, les États criminalisent au niveau national les activités interdites découlant de leurs obligations en
vertu des droits de l'homme.74 Bien qu'il s'agisse de domaines distincts du droit, le droit pénal international
et le droit des droits de l'homme se chevauchent dans une certaine mesure. « Pratiquement chaque crime
international relèverait d'une violation du droit des droits de l'homme, alors que l'inverse n'est pas vrai. »75
Les Statuts du TPIY et du TPIR ne font pas spécifiquement référence au droit international des droits de
l'homme, sauf en ce qui concerne les qualifications et l'expérience requises pour l'élection de juges.76 Dans le
Statut du TSSL, une disposition spécifique est prévue pour le traitement des auteurs d'infractions qui avaient
entre 15 et 18 ans au moment de l'infraction alléguée « en accord avec les critères internationaux des droits
de l'homme, et plus particulièrement avec les droits de l'enfant. »77 Cependant, le droit de l'accusé à un procès
équitable devant tous les tribunaux internationaux est déterminé par le droit international des droits de l'homme,
dont les dispositions pertinentes s'appuient sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques
(appelé ci-après PIRDCP).78 L'Accord conclu entre l'Organisation des Nations Unies et le Gouvernement royal
cambodgien concernant la poursuite, conformément au droit cambodgien, des auteurs des crimes commis
pendant la période du Kampuchea démocratique se rapporte explicitement aux Articles 14 et 15 du PIRDCP,
auquel le Cambodge est partie.79
Bien qu'ils ne soient pas officiellement liés par quelconques traités internationaux et régionaux portant sur
les droits de l'homme, les tribunaux internationaux ad hoc ont souvent fait référence au droit international
des droits de l'homme. Ils ont eu recours au droit international des droits de l'homme et aux décisions des
instances internationales appliquant le droit pour déterminer le contenu du droit pénal international matériel et
procédural.80 Dans l'affaire Kunarac et al, la chambre de première instance a expliqué que le TPIY a souvent
recours aux instruments et aux pratiques élaborés dans le domaine des droits de l'homme afin de déterminer le
contenu du droit international coutumier dans le domaine du droit humanitaire.81
Par exemple, dans l'affaire Furundžija, la chambre de première instance du TPIY a décidé que « bien qu'il
déclare illégale la torture dans le cadre de conflits armés, le droit international humanitaire ne prévoit pas
de définition de cette interdiction. »82 C'est pour cette raison que la chambre de première instance s'en est
73
74
75
76
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78
80
81
82
Cryer et al (n4) 9.
Cryer et al (n4) 9–11; Bantekas and Nash (n4) 18–19.
Cryer et al (n4) 10.
Article 13 du Statut du TPIY ; Article 12 du Statut du TPIR.
Article 7(1) du Statut du TSSL.
Voir, par exemple, l'Article 21 du Statut du TPIY ; l'Article 20 du Statut du TPIR ; l'Article 16 du Statut du TSL ; l'Article 17 du Statut du TSSL ; les
Articles 12–13.
Articles 12–13 de l'Accord conclu entre l'Organisation des Nations Unies et le Gouvernement royal cambodgien concernant la poursuite, conformément au
droit cambodgien, des auteurs des crimes commis pendant la période du Kampuchea démocratique 6 juin 2003, 2329 UNTS 117 (Annexe).
Cryer et al (n4) 10.
Procureur c/Kunarac et al (n62) paragraphe (467).
Procureur c/Furundžija (CIPD paragraphe 159)
38
Manuel du droit pénal international
79
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
remise au droit des droits de l'homme pour déterminer la définition de la torture en vertu du droit international
coutumier, et plus particulièrement en vertu de la Convention de l'Organisation des Nations Unies contre la
torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de 1984.83 La chambre de première
instance était du même point de vue que la chambre de première instance dans l'affaire Delalić, à savoir que la
définition visée à l'Article 1 de la Convention sur la torture « reflète le consensus qui est jugé être représentant
du droit international coutumier. »84 La chambre de première instance a cependant souligné qu'il faudrait
« identifier ou préciser certains éléments spécifiques qui relèvent de la torture, comme en juge le point de vue
spécifique du droit pénal international concernant les conflits armés. »85
Le TPIR s'est aidé de la jurisprudence des droits de l'homme sur l'incitation à la haine et la liberté d'expression
pour définir le crime d'incitation directe et publique au génocide. Dans l'affaire Nahimana et al, la chambre
de première instance s'est reportée à la définition de la liberté contre les discriminations et de la liberté
d'expression prévues dans le PIRDCP et la jurisprudence concernée de la Commission des droits de l'homme
des Nations Unies. La chambre de première instance s'est également reportée aux dispositions pertinentes de
la Convention internationale sur l'élimination de toutes formes de discriminations raciales et a analysé l'ample
jurisprudence qui existe à ce sujet dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales (appelée ci-après CESDHLF) sur l'équilibre adéquat à trouver entre le droit à la liberté
d'expression et le droit de restreindre une telle liberté.86
Le Statut de la CPI ne fait pas de référence explicite à l'applicabilité du droit international des droits de
l'homme. En revanche, comme on l'a vu plus haut, le Statut reconnaît que la Cour doit appliquer « les traités et
principes et règles applicables du droit international. »87 Le droit des droits de l'homme est codifié par divers
traités ; les traités largement ratifiés peuvent être considérés comme preuve de règles et principes du droit
international. »88 Par conséquent, il ne fait aucun doute que le droit des droits de l'homme constituera une
source importante du droit pour la CPI, ainsi qu'un fondement pour veiller à l'équité procédurale et aux droits
de l'accusé. Par ailleurs, par son propre Statut, la CPI est tenue d'appliquer et d'interpréter le droit de manière
« cohérente avec les droits de l'homme reconnus sur le plan international. »89
Droit du recours à la force
Il existe une distinction entre les règles du droit international qui régissent la légalité du recours à la force
par un État, ce qu'on appelle ius ad bellum, et les lois de la guerre qui s'appliquent une fois que la décision
du recours à la force a été prise et que les combats ont commencé, qu'on appelle ius in bello. Le droit
international interdit de mener une guerre d'agression.90 La Charte des Nations Unies promulgue l'interdiction
de la guerre à l'Article 4 (2), en prévoyant que
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87
88
89
90
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (10 décembre 1984) 1465 UNTS 85.
Procureur c/Furundžija (n41) paragraphes (160)–(161) ; Affaire du Procureur c/Delalić et al (TPIY) Affaire No IT-96-21-T, Jugement de première
instance (16 novembre 1998) paragraphe (459). Voir aussi Procureur c/Kunarac et al (n62) paragraphes (468), (472).
Procureur c/Furundžija (n41) paragraphe (162) ; Procureur c/Furundžija (TPIY) Affaire No IT-95-17/1-A, Arrêt rendu en pourvoi (21 juillet 2000)
paragraphe (111). Voir aussi Procureur c/Kunarac et al (n62) paragraphe (468), (472).
Affaire du Procureur c/Nahimana et a (TPIR) Affaire No TPIR-99-52-T, Jugement de première instance (3 décembre 2003) paragraphes (983)–(1010).
Article 21(1)(b) de la CPI (17 juillet 1998) Document ONU A/CONF.183/9.
Alain Pellet, ‘Applicable Law’ in Antonio Cassese, Paola Gaeta and John R W D Jones (eds), I The Rome Statute of the International Criminal Court : A
Commentary (OUP, Oxford 2002) 1051, 1067–1072, 1077–1082.
Article 21(3) de la CPI (17 juillet 1998) Document ONU A/CONF.183/9.
Le droit des États à recourir à la guerre a été pour la première fois limité par le Pacte de la Société des Nations en 1920. Les efforts visant à combler
les « lacunes » du pacte ont abouti au pacte Kellogg-Briand qui a été signé en 1928 (le Traité général de renonciation à la guerre). Ce traité, auquel
pratiquement tous les États du monde étaient parties, prévoyait la renonciation à la guerre comme instrument de politique nationale. Il existe toutefois
des controverses autour de la question de savoir si le pacte Kellogg-Briand de 1928 marque d'ores et déjà une acceptation généralisée de l'interdiction du
recours à la force dans le sens absolu où il est stipulé à l'Article 2(4) de la Charte des Nations Unies. Peter Malanczuk, Akehurst’s Modern Introduction to
International Law (7e édition révisée Routledge, Oxford 2002) 308-309.
Manuel du droit pénal international
39
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
[les] Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l'emploi de la
force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout État, soit de toute autre manière incompatible avec les
buts des Nations Unies.
Les États ne peuvent recourir à la force que dans l'exercice de leur droit inhérent à la légitime défense
individuelle ou collective (Article 51 de la Charte des Nations Unies), ou dans le cadre de sanctions militaires
autorisées par le Conseil de Sécurité (Articles 43 à 48 de la Charte des Nations Unies). Mener une guerre
d'agression ou avoir recours à la force en violation avec le droit international est jugé relever d'un crime
international d'agression, qu'on appelle également crime contre la paix. En plus de la responsabilité d'un
État en matière d'agression, la responsabilité pénale individuelle peut être invoquée en vertu du droit pénal
international, pour un crime d'agression (voir Chapitre 3).
Droit international humanitaire (Droit de la guerre ou droit des conflits armés)
Le terme moderne de « droit de la guerre » est maintenant remplacé par le terme « droit des conflits armés »
ou « droit international humanitaire ». La notion de « guerre » a été remplacée par le concept de « conflits
armés », qui est plus large que le concept traditionnel de « guerre ». En règle générale, il inclut les conflits
armés où les parties du conflit ne se sont pas déclaré la guerre et ne se reconnaissent pas comme étant en
guerre l'une contre l'autre.91 Un principe fondamental du droit de la guerre est qu'il s'applique à parts égales à
toutes les parties d'un conflit armé, qui que soit l'agresseur.
Le droit international humanitaire constitue une réaffirmation et une évolution des « droits de guerre »
traditionnels.92 Il englobe dorénavant les règles visées dans les Conventions de La Haye de 1899 et de
1907, régissant les méthodes et les moyens de guerre ainsi que les territoires occupés.93 Par ailleurs, le
droit international humanitaire comporte désormais des règles qui sont principalement dérivées des quatre
Conventions de Genève de 1949 et de leurs deux protocoles additionnels de 197794 conçus pour régir le
traitement la protection des individus.95
Le droit international humanitaire couvre la plupart des éléments qui, d'un point de vue traditionnel,
appartiennent au « droit de la guerre ». Les expressions « droit de la guerre », « droit des conflits armés »
et « droit international humanitaire » peuvent toutes trois être considérées comme étant équivalentes. Il
existe toutefois à strictement parler quelques parties du droit de la guerre qui sortent du champ du droit
international humanitaire, puisque leur finalité première n'est pas humanitaire. Ces parties portent sur le droit
de la neutralité, l'impact d'un état de guerre formel sur les relations diplomatiques et de traités des parties d'un
conflit, et les règles concernant la guerre économique.96
Il serait possible de décrire la relation qui existe entre le droit international humanitaire et le droit pénal
international comme étant deux cercles qui se chevauchent en partie. Tandis que le droit international
humanitaire est l'une des principales sources du droit pénal international, de grandes parties de celui-ci (par
exemple les règles concernant l'enregistrement des prisonniers de guerre) n'ont rien à voir avec le droit pénal
91D'après Encyclopaedia of International Law, le concept de conflits armés internationaux met en jeu : (i) l'emploi de la force de manière belliqueuse entre
État, qu'ils se reconnaissent être en guerre ou non ; (ii) toutes les mesures quasi-guerrières, qu'elles soient compatibles ou non avec l'Article 2(4) de la Charte
des Nations Unies ; et (iii) les guerres de libération nationale, telles qu'elles sont stipulées à l'Article 1(4) du Protocole I. Karl Josef Partsch, ‘Armed Conflict,
Fundamental Rules’, in 1 Encyclopaedia of Public International Law (Rudolf Bernhardt (ed), North Holland Publishing Co, Amsterdam 1992) 249, 251.
92
Christopher Greenwood, ‘Historical Development’, in Dieter Fleck (ed), The Handbook of Humanitarian Law in Armed Conflict (OUP, Oxford 1999) 8.
93
Les Conventions de La Haye de 1899 et de 1907 sont reproduites dans Schindler and Toman (n21).
94
Convention pour l'amélioration du sort des blessés et malades dans les armées en campagne (12 août 1949) 75 UNTS 35 ; Convention de Genève pour
l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer (12 août 1949) 75 UNTS 81 ; Convention de Genève relative
au traitement des prisonniers de guerre (12 août 1949) 75 UNTS 135 ; Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de
guerre (12 août 1949) 75 UNTS 287 ; Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949, et relatif à la protection des victimes des conflits
armés internationaux (Protocole) (8 juin 1977) 1125 UNTS 3 ; Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949, et relatif à la protection
des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II) (8 juin 1977) 1125 UNTS 609.
95
Greenwood, ‘Historical Development’ (n92) 9.
96
Ibid; Partsch, ‘Humanitarian Law and Armed Conflict’ (n26) 933.
40
Manuel du droit pénal international
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
international. A l'inverse, il existe des parties du droit pénal international (par exemple celles concernant le
trafic de drogues ou le terrorisme) qui n'ont rien à faire avec le droit international humanitaire (voir plus loin
le Chapitre 3). Il y a chevauchement lorsqu'une partie du droit international humanitaire a été criminalisée
comme relevant de crimes de guerre.
En tant que tel, le droit international humanitaire s'adresse aux États et aux belligérants. En revanche, le droit
pénal international s'adresse aux individus et criminalise des parties du droit international humanitaire, ainsi
que le génocide et d'autres crimes qui ne font pas partie intégrante du droit international humanitaire, avec les
sanctions associées du droit pénal et, plus précisément, l'emprisonnement.97
Justice transitionnelle
Définition
Le terme justice transitionnelle couvre l'ensemble complet des procédures et mécanismes associés aux
tentatives par les sociétés de venir à bout des legs de violations des droits de l'homme, d'atrocités massives,
ou d'autres formes de traumatisme social grave de grande envergure, comme des crimes de génocide ou de
guerre civile, afin d'assurer la responsabilisation, de servir la justice et de parvenir à la réconciliation. La
justice transitionnelle ne constitue pas une forme spéciale de justice, mais il s'agit d'une justice adaptée à des
sociétés qui se transforment au terme d'une période de violations généralisées des droits de l'homme. Ces
transformations peuvent survenir soudainement ou elles peuvent se dérouler au fil de plusieurs décennies.98
L'objectif de la justice transitionnelle est de s'attaquer aux divisions qui existent au sein d'une société, et
d'essayer de les guérir, lorsqu'elles sont survenues à la suite de violations des droits de l'homme ; elle s'attache
aussi à contribuer au processus de guérison des victimes et des témoins. La justice transitionnelle cherche
à accorder justice aux victimes, à déterminer la responsabilité légale des auteurs de crimes, et à établir des
registres historiques exacts. L'autre objectif de la justice transitionnelle vise à restaurer l'État de droit, à
réformer les institutions en vue de promouvoir la démocratisation et le respect des droits de l'homme et à
veiller à ce que les violations ne se répètent pas. Le but ultime de la justice transitionnelle est par conséquent
de promouvoir une paix stable et durable.99
La justice transitionnelle fait appel à des mécanismes judiciaires et extra-judiciaires, où il peut exister des
éléments de participation internationale. Ils incluent les poursuites individuelles prises sur le plan national ou
international, et la création de commissions de la vérité pour enquêter sur le passé afin de déterminer l'ampleur
et la nature complète des violations des droits de l'homme, comme par exemple la Commission de la vérité et
de la réconciliation d'Afrique du Sud. Il existe d'autres mécanismes, citons : les programmes de réparations,
qui s'efforcent de réparer les préjudices matériels et moraux de méfaits passés par des gestes matériels et
symboliques accordés aux victimes ; la justice à l'égard des femmes, pour veiller à garantir aux femmes
l'égalité d'accès en vue de réparer des violations en vertu des droits de l'homme et à remettre en question
l'impunité des hommes en cas d'actes de violence fondés sur le sexe ; la réforme d'institutions étatiques
abusives, comme par exemple des services de sécurité, de la police et de l'armée ; et l'établissement de lieu de
mémoire et de commémoration des victimes.100
97
98
99
100
Voir aussi Marco Sassòli, ‘Humanitarian Law and International Criminal Law’, in Antonio Cassese (ed), The Oxford Companion to International Criminal
Justice (OUP, Oxford 2009) 109, 109–120.
Voir les définitions sur <http://www.gsdrc.org/go/topic-guides/justice/transitional-justice> site consulté le 6 octobre 2009 ; <www.ictj.org/static/
TJApproaches/WhatisTJ/ICTJ_WhatisTJ_pa2008_.pdf> site consulté le 6 octobre 2009.
Sanam Naraghi Anderlini, Camille Pampell Conaway and Lisa Katos, ‘Transitional Justice and Reconciliation’, disponible sur
<www.huntalternatives.org/download/49_transitional_justice.pdf > site consulté le 6 octobre 2009.
Louis Bickford, ‘Transitional Justice’, in 3 The Encyclopedia of Genocide and Crimes Against Humanity (Dinah Shelton (ed), Thomson/Gale, Detroit,
Michigan 2004) 1045, 1045. Voir aussi <www.ictj.org/en/tj/> site consulté le 6 octobre 2009.
Manuel du droit pénal international
41
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
Exemple : Les tribunaux Gacaca
Les tribunaux qu'on appelle « Gacaca » sont un exemple du mécanisme de justice transitionnelle qui a été mis
en place aux lendemains du génocide au Rwanda. Après le conflit de 1994, le système juridique rwandais était
en ruines et incapable de poursuivre et de juger les quelque 120 000 suspects détenus. Dans un souci de rendre
justice plus rapidement, le Rwanda a introduit le système de tribunaux « Gacaca ».101 « Gacaca », qui signifie
« justice sur l'herbe », a évolué à partir des mécanismes traditionnels de résolution de conflit destinés à régler
des délits d'ordre mineur, comme par exemple des vols ou des litiges familiaux. Ils ont été constitués sous la
forme d'assemblées villageoises, présidés par des anciens, qui convoquaient toutes les parties pour réfléchir à
une solution102 Les principaux objectifs des tribunaux Gacaca étaient de faire la vérité sur ce qui s'était passé,
d'accélérer les procès, d'éradiquer la culture d'impunité et de parvenir à la réconciliation.103
Le système des tribunaux Gacaca coexiste et fonctionne parallèlement aux tribunaux nationaux rwandais. Les
tribunaux officiels jugent les individus classifiés comme relevant de la première catégorie d'auteurs d'infractions
en vertu du droit rwandais ; ils incluent les planificateurs, organisateurs, initiateurs, superviseurs du génocide ;
les chefs au niveau national, provincial ou du district au sein de partis politiques, de l'armée, des confessions
religieuses ou de la milice ; les meurtriers bien connus, tortionnaires et ceux qui ont commis des viols ou des
actes de torture sexuelle. Les tribunaux Gacaca jugent les individus qui relèvent des catégories moindres,
comme ceux accusés de massacres ou d'agressions graves (deuxième catégorie) et ceux qui ont commis des
infractions contre les biens (troisième catégorie).104 Les tribunaux Gacaca sont organisés selon trois niveaux,
chacun doté de compétences différentes qui peuvent imposer jusqu'à 30 ans de peines de prison.105
Rôle de la profession juridique à traduire en justice les auteurs de crimes
internationaux
Alors que le droit pénal international s'inscrit désormais dans le droit général, les juristes ont dû apprendre
à découvrir ce nouveau domaine du droit. L'affaire Pinochet au Royaume-Uni, par exemple, a servi
d'enseignement à toute une génération de juristes du Royaume-Uni sur l'interdiction de la torture dans le droit
pénal international. Aucun juriste ne peut se permettre d'ignorer ce corpus de lois qui ne cesse de grandir.
Les juristes de tous acabits vont être de plus en plus sollicités par l'application du droit pénal international : les
hommes politiques qui décident des lois à promulguer pour lutter contre l'impunité, les rédacteurs législatifs
qui se débattent avec les menus détails des dispositions légales, les procureurs et enquêteurs qui doivent
envisager s'ils doivent ou non traduire en justice les auteurs de crimes internationaux, les juges qui doivent
siéger aux jugements de crimes de la sorte et s'être familiarisés avec le large éventail de concepts et outils
légaux applicables, et les avocats de la défense qui cherchent à garantir un procès équitable pour leurs clients.
Tous ont un rôle à jouer.
Par ailleurs, le droit pénal international exerce de plus en plus des répercussions sur d'autres domaines du
droit, particulièrement en ce qui concerne le droit d'asile et d'immigration et le droit d'extradition.
101
102
103
104
105
42
Voir Loi organique No 40/2000 du 26 janvier 2001, instaurant des « juridictions Gacaca » et organisant les poursuites en justice pour les délits constituant
le crime de génocide ou des crimes contre l'humanité perpétrés entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994 ; Loi organique No 33/2001 du 22 juin
2001 modifiant et complétant la Loi organique No40/2000 du 26 janvier 2001. Ces lois ont été révisées par la Loi organique No 16/2004 du 19 juin 2004
et par la Loi organique No 28/2006 du 27 juin 2006. Toutes les lois peuvent être consultées sur <www.inkiko-gacaca.gov.rw/En/EnLaw.htm> site consulté
le 24 octobre 2009.
Cécile Aptel, ‘Gacaca’, in Antonio Cassese (ed), The Oxford Companion to International Criminal Justice (OUP, Oxford 2009) 329, 329.
Voir le site web officiel du ‘National Service of the Gacaca Jurisdiction’, disponible sur <www.inkiko-gacaca.gov.rw/En/EnObjectives.htm> site consulté
le 24 octobre 2009.
Article 51 de la Loi organique No 16/2004 du 19 juin 2004, disponible sur <www.inkiko-gacaca.gov.rw/En/EnLaw.htm> site consulté le 24 octobre 2009.
Article 72 de la Loi organique No 16/2004 du 19 juin 2004, disponible sur <www.inkiko-gacaca.gov.rw/En/EnLaw.htm> site consulté le 24 octobre 2009.
Manuel du droit pénal international
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
Dans le monde entier, il relève du droit et du devoir des juges, des procureurs et des juristes, qui ont le
rôle unique le plus important à jouer dans l'application du droit pénal international, d'aider à veiller au
développement progressif du droit pénal international et à son application à tout moment en accordant la plus
grande considération aux droits de l'accusé.
Ces thèmes vont être abordés au cours des chapitres à venir.
Observations finales
Le présent chapitre a introduit les principales caractéristiques du droit pénal international, en tant que branche
relativement nouvelle du droit public international, et a abordé les questions concernant la définition d'un
crime international. Il s'est également attaché à fournir les principales sources du droit pénal international.
Pour pouvoir comprendre la signification et le champ d'application du droit pénal international, qui est
considéré comme étant un mélange de droit international et de droit pénal, le présent Chapitre a expliqué les
liens qu'il entretient avec ces deux domaines du droit. Il a également souligné les domaines de chevauchement
entre le droit pénal international, d'une part, et le droit pénal transnational, le droit des droits de l'homme,
le droit de recours à la force et le droit international humanitaire d'autre part. Nous allons maintenant
nous intéresser à l'évolution historique du droit pénal international et à la création de tribunaux pénaux
internationaux.
Exercices et études de cas
Étude de cas
La Stanie était un pays fédéral composé de trois républiques : l'Astanie, la Bestanie et la Cestanie. Chaque
république avait des minorités originaires des autres publiques qui vivaient dans leurs zones territoriales
respectives, ce qui provoquait de fréquentes tensions entre la population majoritaire et les minorités. Ces
tensions ont culminé par un conflit armé qui s'est déclenché dans diverses régions de la Stanie. À la suite de
cela, la Stanie est devenue divisée et les trois républiques sont devenues les États indépendants de l'Astanie,
la Bestanie et la Cestanie. Les anciennes frontières des républiques sont devenues des frontières d'État entre
les nouveaux États. Après l'indépendance, une importante minorité de Bestaniens qui vivaient dans la région
orientale de l'Astanie s'est plainte du traitement discriminatoire dont ses membres faisaient l'objet de la part
des autorités astaniennes. Elle en appelait à une autonomie accrue et à la participation active au gouvernement
d'Astanie.
L'Astanie a toutefois refusé d'accéder aux requêtes de la minorité bestanienne. Elle arguait que cette
minorité était suffisamment représentée par les deux membres du parlement dont les sièges étaient réservés
en permanence à leur minorité. En conséquence de quoi, la minorité bestanienne a demandé à la Bestanie
d'intervenir pour son compte et d'essayer de convaincre l'Astanie d'accorder davantage de droits à la
minorité bestanienne. La Bestanie a commencé par avoir des négociations diplomatiques avec l'Astanie, qui
n'aboutirent cependant pas. Au cours de cette période, des membres de la minorité bestanienne ont établi leur
propre autorité gouvernementale, dans le but de faire sécession de l'Astanie et de rejoindre la Bestanie. Ils
ont également formé une armée rebelle qui a perpétré des attaques contre des bases militaires, des postes de
police et d'autres bâtiments appartenant aux autorités astaniennes qui se trouvaient dans la région orientale de
l'Astanie, peuplée principalement par les membres de la minorité bestanienne.
Au cours de ces attaques, les rebelles ont tué et blessé des centaines de civils astaniens. Les autorités astaniennes
ont réagi en lançant une attaque armée contre l'armée rebelle. Au cours de l'attaque, les forces armées astaniennes
Manuel du droit pénal international
43
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
ont détruit un certain nombre de villages occupés par les forces rebelles, notamment des maisons appartenant
à des civils bestaniens, des écoles et des églises. Le colonel Butel était commandant d'une unité dont la tâche
était de s'emparer des rebelles dans la plus grande ville de la partie orientale de l'Astanie, appelée Sidea. Il a
déclaré que le conflit ne prendrait jamais fin tant que le groupe ethnique bestanien ne serait pas anéanti dans son
intégralité. Par conséquent, ses soldats ont réuni l'ensemble des membres de la minorité bestanienne à Sidea et les
ont exécutés. Le commandant s'est également emparé d'une station radio, et a fait appel aux services d'un speaker
qui a appelé les civils astaniens à anéantir tous les membres de la minorité bestanienne.
En réponse au conflit, la Bestanie a envoyé ses troupes armées en Astanie afin d'aider les forces rebelles
bestaniennes et de protéger la minorité bestanienne. Les forces armées bestaniennes sont entrées en Astanie
dans le but de repousser toutes les forces armées de la partie orientale de l'Astanie où se trouvait la minorité
bestanienne. Les forces armées bestaniennes ont fait prisonniers un certain nombre de membres de l'armée
astanienne. Suite aux mauvais traitements qu'ils ont subis, beaucoup de soldats astaniens sont morts ou ont
été gravement blessés par des membres de l'armée bestanienne. Les forces armées bestaniennes ont aussi aidé
les rebelles à transférer et déporter quiconque qui n'était pas de l'ethnicité bestanienne de la partie orientale
de l'Astanie. Ceux d'origine astanienne ont été transférés vers d'autres parties de l'Astanie, et ceux d'origine
cestanienne ont été déportés dans la Cestanie voisine. L'Astanie, en réponse, a déclaré la guerre à la Bestanie.
Dans un village du nom de Selia situé à l'est de l'Astanie, la minorité bestanienne représentait la moitié de
la population du village. Tous les hommes bestaniens du village de Selia soutenaient les groupes rebelles
bestaniens. Une nuit, un groupe d'habitants du secteur bestanien de Selia, revêtus d'habits civils, sont entrés dans
la maison d'un vieil homme d'origine astanienne et ont kidnappé ses deux fils qui avaient tous deux la vingtaine.
Leurs corps ont été retrouvés deux jours plus tard dans un ruisseau non loin de là. L'examen post-mortem a
révélé qu'ils avaient subi plusieurs blessures mortelles. A la suite de cet incident, la police locale, d'origine
astanienne, a regroupé tous les hommes bestaniens du village de Selia et les fait marcher jusqu'à une maison
abandonnée en bordure du village. Ils les ont poussés à l'intérieur de la maison, ont verrouillé les portes et ont
mis feu à la maison. Seuls quelques hommes parvinrent à s'en échapper, les autres périrent dans l'incendie.
Les forces armées astaniennes ont lancé une attaque aérienne massive à l'encontre de toute une variété
d'endroits en Bestanie. Il se trouvait parmi eux des camps d'entraînement de l'armée rebelle bestanienne
et d'autres étaient des entrepôts d'armes. Ils ont lancé également une attaque de grande envergure sur la
capitale bestanienne, lors de laquelle on estime à près de 15 000 le nombre de civils à avoir été tués. Suite
aux attaques aériennes, les forces armées astaniennes ont lancé une offensive terrestre. Elles ont envahi la
Bestanie et ont fait le siège de la capitale, Bestanian City, en l'entourant pendant 100 jours et la privant de
denrées alimentaires et d'eau, et en terrorisant la population par des bombardements et des tirs de snipers
constants. Dans le courant de l'invasion, il s'est produit un usage généralisé d'armes chimiques. Celles-ci ont
été principalement dirigées à l'encontre des forces bestaniennes mais on estime que 8 000 civils environ ont
été tués ou blessés par des armes chimiques.
Au bout de 100 jours, les forces astaniennes se sont emparées de Bestanian City et y ont arrêté le commandement
militaire des forces bestaniennes. Tous les commandants militaires capturés ont été envoyés dans des camps de
prison en Astanie. Ils y ont retrouvé d'autres prisonniers qui avaient été capturés par les forces astaniennes après
que le gouvernement ait instauré un régime de terreur à l'encontre ceux qu'ils soupçonnaient de soutenir les forces
rebelles bestaniennes. Les agents de l'État astanien ont interrogé des milliers de suspects, dont beaucoup ont par
la suite disparu pour ne plus jamais être revus. Certains des gardiens avaient l'habitude de donner de donner des
coups de pied aux prisonniers de manière ponctuelle, de les sortir et de les asséner de coups. Les prisonniers
étaient incarcérés en étant entassés les uns sur les autres. L'eau était limitée et les prisonniers recevaient à manger
44
Manuel du droit pénal international
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
de la soupe principalement à base d'eau deux fois par jour. Beaucoup sont tombés malades mais le médecin ne
venait les voir que de temps en temps. Il arrivait aussi que les gardiens sortent des femmes détenues de leurs
cellules de prison, et certaines d'entre elles affirment avoir été violées ou fait l'objet d'abus sexuels.
De retour en Astanie, le gouvernement a renforcé ses opérations dans la partie orientale du pays. En raison de
l'élargissement des opérations militaires qui s'étendaient maintenant depuis l'est de l'Astanie jusqu'en Bestanie,
les attaques perpétrées par les forces astaniennes recevaient l'assistance de groupes locaux de milice spontanée.
Ils comptaient souvent parmi eux des « soldats » de moins de 18 ans, dont beaucoup avaient même moins de
15 ans. C'était un fait bien connu que les groupes de milice locale ciblaient ces enfants pour les recruter et que
d'importantes sommes d'argent étaient versées aux familles en échange de leur enrôlement. Certains de ces
garçons ont été forcés à prendre des drogues accoutumantes pour les rendre toxico-dépendants vis-à-vis des
commandants de ces unités. Les groupes de milice ont reçu le soutien financier du gouvernement astanien.
Dans un village de la partie orientale d'Astanie, à Kleptopia, un villageois astanien du nom de Bata est entré
dans la maison de son voisin d'origine bestanienne, Zeba, pendant son absence. Il a eu recours à l'usage de
la force pour y pénétrer et a détruit la serrure aux portes. Une fois entré, il s'est emparé d'un peu d'argent
qu'il a trouvé dans la chambre, et des denrées qu'il y avait dans la cuisine, puis est parti. Pendant ce tempslà, Zeba était en train de rendre visite à son cousin de Bestanie qui avait franchi la frontière astanienne en
vue de remettre à Zeba un paquet contenant des drogues illicites. La tâche de Zeba consistait alors à aller en
Cestanie pour remettre le paquet à quelqu'un d'autre qui devait au bout du compte le revendre à des trafiquants
de drogue du coin. Lorsque Zeba a essayé de franchir la frontière pour entre en Cestanie, l'officier de police
des douanes l'a arrêté. Lorsque l'officier de police des douanes a essayé de fouiller sa voiture, Zeba a sorti un
pistolet, a tiré sur l'agent et a pris la fuite.
Questions
Quels genres de crimes ont-ils été commis lors de ce conflit :
• par les forces de l'armée astanienne
• par les forces de l'armée bestanienne
• par l'armée rebelle bestanienne
• par Bata
• par Zeba.
Qui peut être tenu pour responsable des crimes commis pendant le conflit ?
Est-il important dans le cadre de poursuites pour crimes de guerre si une personne agit en qualité d'agent de
l'État (à titre officiel) ou à titre privé ?
La déclaration de guerre constitue-t-elle une justification légale au conflit armé ? Une déclaration de guerre
peut-elle empêcher des poursuites au titre du crime d'agression ?
Quel serait le tribunal compétent pour juger chacun des crimes susvisés ?
Lors de conflits armés, les tribunaux nationaux des États sont-ils compétents pour juger de criminels de
guerre ? Si oui, dans quelles conditions ?
Quelle est la nature du conflit ? Le droit pénal international s'applique-t-il exclusivement aux conflits
internationaux, ou couvre-t-il également les conflits internes ?
Manuel du droit pénal international
45
Chapitre 1 Droit pénal international : Introduction générale
46
Manuel du droit pénal international
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Chapitre 2 – Évolution historique et la création des
tribunaux internationaux
Objectifs d'apprentissage
Familiariser les participants avec le contexte historique du droit pénal international, les tentatives de traduire
en justice les criminels de guerre et de conduire avec succès des procès de crimes de guerre internationaux.
Donner des bases en vue de comprendre les accomplissements des premiers tribunaux militaires, les efforts de
créer des tribunaux pénaux ad hoc et les avancées envers la création de la cour pénale internationale permanente.
Questions
Dans quelle mesure votre pays a-t-il été impliqué ou atteint par les Deux Guerres mondiales ?
Votre pays a-t-il participé à d'autres conflits armés, quels qu'ils soient, de nature internationale ou interne ?
Qui a la compétence pour poursuivre et mener des procès pour les auteurs de crimes internationaux ?
Les accomplissements des premiers tribunaux internationaux militaires se sont-ils reflétés dans les systèmes
juridiques pénaux de votre pays ?
Votre pays a-t-il participé à la création de la CPI ?
Votre pays est-il partie du Statut de Rome de la CPI ?
Avez-vous l'occasion de travailler dans le cadre d'un tribunal international, mixte ou internationalisé ? Si oui,
quelle était votre fonction et quelles leçons avez-vous tiré de cette expérience ?
Introduction
L'idée de créer une cour pénale internationale pour traduire en justice les individus responsables de crimes
internationaux remonte à 1474, date du tout premier compte-rendu d'un procès véritablement international à
s'être tenu.
Toutefois, jusqu'à la création des tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo aux lendemains de la
Deuxième Guerre mondiale, les poursuites pour crimes de guerre se déroulaient généralement dans le cadre
de tribunaux nationaux et n'avaient guère d'effet, surtout lorsque les personnes responsables étaient toujours
au pouvoir ou face aux freins qui existaient de traduire en justice les auteurs de crimes. De surcroît, les procès
étaient rarement impartiaux. Après la Première Guerre mondiale, les efforts des puissances victorieuses visant
à traduire en justice les criminels de guerre devant un tribunal international sont restés sans suites.
Par conséquent, la création des tribunaux militaires de Nuremberg et de Tokyo marquait un jalon important.
Face à la très grande influence qu'ils ont exercée sur l'évolution du droit pénal international, ces deux tribunaux
militaires, et surtout le tribunal de Nuremberg, ont tracé la voie en vue de la création de tribunaux pénaux
internationaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda. Bien que l'idée de créer une cour pénale internationale
permanente ait plus d'un-demi siècle, il a fallu attendre 1998 pour que les efforts soutenus visant à sa création
avec la signature du Statut de la CPI aboutissent enfin.
Face aux urgences que présentent les situations d'après-conflit, de nouvelles formes de tribunaux pénaux ont vu
le jour pour traduire en justice les responsables des atrocités perpétrées. Des tribunaux appelés « mixtes » ou
Manuel du droit pénal international
47
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
« hybrides » ont été instaurés à la demande, ou avec l'appui, des gouvernements impliqués dans les conflits. Ces
tribunaux ont fréquemment été composés à la fois de juges nationaux et de juges internationaux, dont l'objectif
principal était d'organiser des procès en toute impartialité et exempts de préjugés nationaux. Certains de ces
tribunaux, appelés aussi tribunaux « internationalisés », continuent d'exister afin de contribuer au processus
de réconciliation. Bien qu'ils soient instaurés et maintenus avec le soutien international, leur structure reste
entièrement nationale.
Ce Chapitre va dresser une rapide présentation de l'histoire moderne des poursuites pénales internationales,
en commençant par les premières tentatives qui ont eu lieu entre 1919 et 1945, suivies des tribunaux de
Nuremberg et de Tokyo (1945–1947). Il se poursuivra avec la création de tribunaux pénaux internationaux
ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda et abordera la création de la CPI, et notamment le travail
de la Commission du droit international. Le présent Chapitre présentera les divers tribunaux mixtes ou
internationalisés qui existent, pour se conclure par les substitutions possibles qui existent aux poursuites
pénales, particulièrement sous la forme des Commissions de la vérité et des amnisties. Les aspects
institutionnels des tribunaux seront discutés au Chapitre suivant.
Les premiers temps (1919–1945)
Les premiers comptes rendus d'un procès véritablement international à se dérouler pour des crimes de guerre
portent sur celui de Peter von Hagenbach, qui fut nommé gouverneur de la ville de Breisach du Haut-Rhin par
Charles le Téméraire, duc de Bourgogne. Von Hagenbach fut jugé en 1474 pour les crimes commis pendant
l'occupation de Breisach, lorsqu'il infligea aux habitants de la ville un régime de violence, de terreur et de
brutalité. Au terme de l'occupation, von Hagenbach fut capturé et accusé de crimes de guerre. Pour son procès,
un tribunaux international ad hoc fut créé, composé de 28 juges de la coalition alliée d'États et de villes. Le
tribunal déclara von Hagenbach coupable et le condamna à être décapité.106
A la fin de la Première Guerre mondiale, il y eut plusieurs tentatives visant à punir les criminels de guerre, toutefois
aucune d'entre elles n'aboutit. Les puissances alliées établirent la « Commission sur la responsabilité des auteurs
de la guerre et sur les sanctions », chargée d'enquêter sur la responsabilité du démarrage de la guerre et sur les
violations du droit de la guerre, et de recommander des mesures visant la poursuite des auteurs de crimes de
guerre. Dans son rapport de mars 1919, la Commission statuait que les puissances centrales étaient responsables de
l'éclatement de la guerre et qu'il y avait eu violations des lois de la guerre et de l'humanité. La Commission suggérait
de créer un tribunal composé de juges originaires de tous les pays alliés en vue de juger les violations des lois et
coutumes de la guerre et des lois de l'humanité.107
106
107
48
Georg Schwarzenberger, 2 International Law as Applied by International Court and Tribunals, The Law of Armed Conflict (Stephen & Sons, London
1968) 463; Eduardo Greppi, ‘The Evolution of Individual Criminal Responsibility under International Law’ (1999) 81 Int’l Rev Red Cross 85, 531–553.
Disponible à <www.icrc.org/Web/Eng/siteeng0.nsf/html/57JQ2X> site consulté le 1er novembre 2008.
‘Report of the Commission to the Preliminary Peace Conference’ (1920) réimprimé dans 14 AJIL 95.
Manuel du droit pénal international
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Les traités de paix conclus après la Première Guerre mondiale entre les Puissances alliées et associées et les
pays de l'Axe signés en 1919 et 1920108 comportaient des dispositions concernant la responsabilité pénale
individuelle des crimes de guerre et prévoyaient la poursuite des criminels de guerre devant des tribunaux
internationaux. Toutefois, en raison de la non-application de ces dispositions, les principaux criminels de
guerre ne furent jamais traduits en justice. Par conséquent, aucun tribunal international ne fut jamais créé
dans le but de juger de crimes de guerre internationaux concernant les crimes de guerre commis pendant la
Première Guerre mondiale.
En vertu de l'Article 227 du Traité de Versailles du 28 juin 1919, les Puissances alliées et associées mettaient
en accusation publique Guillaume II von Hohenzollern, ancien empereur d'Allemagne, pour le délit suprême
d'atteinte au « fondement moral de la Communauté internationale et à l'inviolabilité des traités ». La même
disposition envisageait la création d'un tribunal spécial pour juger l'accusé, composé de cinq juges qui
devaient être désignés par les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l'Italie et le Japon. Toutefois, l'Article
227 ne fut jamais porté à exécution et le procès de l'empereur Guillaume II n'eut jamais lieu. Les Pays-Bas, où
Guillaume II s'était réfugié, refusèrent de le remettre pour qu'il soit jugé.
Suite à l'échec de créer les tribunaux pour juger les ressortissants allemands responsables des crimes de guerre
envisagés dans le Traité de Versailles, les Puissances alliées consentirent au procès des accusés allemands
devant la Cour suprême de justice siégeant à Leipzig. Sur les 894 Allemands accusés de crimes de guerre par
les Puissances alliées, seuls 12 furent véritablement jugés devant la cour suprême de Leipzig en vertu du droit
allemand, et la moitié d'entre eux furent acquittés. Bien que les procès de Leipzig s'avérèrent globalement
insatisfaisants, ils produisirent deux jugements utiles, à savoir les affaires du château de Llandovery et du
château de Douvres , concernant le torpillage de navires hospitaliers.109
De même, le Traité de Sèvres se conclut par deux tentatives infructueuses de la part des Alliés de traduire en
justice les « Jeunes turcs » responsables du génocide arménien de 1915. La Turquie refusa de ratifier le traité,
en conséquence de quoi, aucun procès international n'eut lieu. Le Traité de Sèvres fut remplacé par le Traité de
Lausanne de 1923. Ce dernier comportait une déclaration sur l'amnistie, qui accordait aux Turcs une amnistie
pour les crimes qu'ils avaient commis entre 1914 et 1922. Toutefois, il y eut bel et bien des procès qui eurent
lieu à Istanbul, conduits par les tribunaux turcs en vertu des lois nationales.110
En 1920, le Comité consultatif de juriste désigné par le Conseil de la Société des Nations, chargé de préparer le
projet de la Cour Internationale de Justice permanente, proposa de créer la Haute-Cour de Justice internationale.
La compétence de la cour serait élargie aux crimes constituant une infraction à l'ordre public international ou
contraires au droit universel des nations, qui lui sont rapportés par l'Assemblée ou par le Conseil de la Société des
Nations. L'Assemblée de la Société des Nations rejeta cette proposition la jugeant prématurée. Plus tard, le Projet
de Statut d'une cour pénale internationale fut adopté uniquement par des organisations non-gouvernementales et
des organismes universitaires.
Traités de paix de Versailles, de St Germain-en-Laye, de Neuilly-sur-Seine, du Trianon et de Sèvres. Lawrence Martin ; The Treaties of Peace, 19191923, (Carnegie Endowment for International Peace, New York 1924) disponible à <www.avalon.law.yale.edu/subject_menus/versailles_menu.asp> site
consulté le 30 novembre 2009.
109 Claude Mullins, The Leipzig Trials, An Account of the War Criminals’ Trials and a Study of German Mentality (HF & G Witherby, London 1921).
110Voir Vahakn N Dadrian, The History of the Armenian Genocide (Berghahn Books, Oxford 1995).
108
Manuel du droit pénal international
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Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo (1945–1947)
Introduction
Après la Deuxième Guerre mondiale, en réponse aux horreurs et aux atrocités commises par l'Allemagne nazie
en Europe et les Japonais en Asie, les Alliés organisèrent pour la première fois dans toute l'histoire des procès
des principaux criminels de guerre des pays de l'Axe devant des tribunaux internationaux militaires établis
à Nuremberg dans le premier cas et à Tokyo, dans le deuxième. Bien que les procès furent critiqués comme
relevant de la « justice du vainqueur », leur contribution au développement du droit pénal international est
indubitablement significative.
Le tribunal de Nuremberg : Le tribunal militaire international (TMI)
Au déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale, les Puissances alliées, mécontentes des tentatives
échouées de traduire en justice les crimes de guerre internationaux aux lendemains de la Première Guerre
mondiale, prirent l'engagement de poursuivre en justice et de punir les dirigeants politiques et militaires
allemands qui étaient responsables des atrocités commises pendant la guerre. Le 8 août 1945, les quatre grands
Alliés (le Royaume-Uni, la France, les États-Unis et l'Union soviétique) scellèrent l'Accord de Londres,
en vertu duquel ils décidèrent de créer un tribunal militaire international (appelé ci-après TMI) siégeant à
Nuremberg pour le procès des criminels de guerre nazis les plus notoires. La Charte annexée à l'Accord de
Londres (appelée ci-après la Charte de Nuremberg), prévoyait la constitution, la compétence et les fonctions
du TMI.111
Article 1 de l'Accord de Londres :
« Un Tribunal Militaire International sera établi, après consultation avec le Conseil de Contrôle en
Allemagne, pour juger les criminels de guerre dont les crimes sont sans localisation géographique
précise, qu'ils soient accusés individuellement, ou à titre de membres d'organisations ou de groupes, ou
à ce double titre. »
Le TMI était composé de quatre membres, chacun avec suppléant. Il était prévu que chacune des grandes
Puissances alliées (la France, l'Union soviétique, le Royaume-Uni et les États-Unis) désigne un membre et
un suppléant.112 La Charte excluait toute contestation de la compétence ou de la composition du TMI.113 Une
condamnation ou une peine ne pouvaient être prononcées que par un vote affirmatif d'au moins trois membres
du tribunal.114 Chaque signataire était tenu de designer l'un des quatre procureurs destinés à agir en tant que
comité en vue de désigner les grands criminels de guerre devant être jugés par le Tribunal et à en autoriser
les inculpations. Ils étaient également chargés de la rédaction et de la recommandation au tribunal pour son
autorisation de l'avant-projet de son règlement intérieur.115
A l'Article 6, la Charte de Nuremberg définissait la compétence du TMI en précisant les trois grandes
catégories de crimes dont les défenseurs étaient tenus comme personnellement responsables :
111
112
113
114
115
50
Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe et statut du tribunal militaire
international (8 août 1945) 82 UNTS 279 (Annexe).
Ibid Article 2.
Ibid Article 3.
Ibid Article 4.
Ibid Article 14.
Manuel du droit pénal international
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
(a) CRIMES CONTRE LA PAIX : à savoir, projeter, préparer, déclencher ou poursuivre une guerre
d'agression ou une guerre faite en violation de traités, accords et engagements internationaux, ou
participer à un plan concerté ou à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes
mentionnés ;
(b) CRIMES DE GUERRE : à savoir, les violations des lois ou coutumes de la guerre. Des violations de
la sorte incluent sans pour autant s'y limiter le meurtre, le mauvais traitement ou la déportation au travail
forcé ou à toute autre fin de population civile du territoire occupé ou dans celui-ci, le meurtre ou le
mauvais traitement de prisonniers de guerre ou de personnes en mer, le fait de tuer des otages, de piller
des biens publics ou privés, de détruire délibérément des villes ou village, ou de causer des dégâts non
justifiés par la nécessité militaire.
(c) CRIMES CONTRE L'HUMANITÉ : à savoir, l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage,
la déportation et tout acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la
guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux, ou religieux, lorsque ces actes ou
persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés,
ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce
crime.
En ce qui concerne la responsabilité pénale individuelle, la Charte prévoyait que les chefs, organisateurs,
initiateurs et complices participant à la formulation ou à l'exécution d'un plan concerté ou d'un complot de
l'un quelconque des crimes qui précèdent sont responsables de tous les actes exécutés par quelqu'une des
personnes dans l'exécution d'un plan de la sorte.116 Il est également stipulé clairement que la position officielle
des défenseurs, que ce soit en qualité de chefs de l'État ou d'officiels responsables au sein de départements
gouvernementaux, ne doit pas être considérée comme les exonérant de responsabilité ou atténuant leur
sanction.117
Le tribunal n'était pas lié par un règlement de preuve d'ordre technique, mais pouvait admettre n'importe
quelle preuve qui lui semblait de nature probante.118 La Charte de Nuremberg garantissait certains droits
fondamentaux du défenseur pour garantir un procès équitable.119 Elle prévoyait également le procès en
l'absence de l'accusé.120 Le tribunal avait un droit d'imposer à un défenseur, une fois accusé, toute peine qu'il
considérait juste, y compris la peine de mort.121 Les jugements étaient définitifs et non soumis à examen.122
La procédure prévoyait un mélange d'éléments extraits du système inquisitoire d'Europe continentale et
d'éléments provenant du système contradictoire anglo-américain, en vue d'établir une procédure internationale
acceptable pour les Signataires représentant les deux systèmes.123
Le TMI a opéré du 14 novembre 1945 au 1er octobre 1946. Au terme d'un procès qui a duré 284 jours, 19
des 24 chefs allemands inculpés ont été condamnés (deux ont été acquittés). Le tribunal a condamné à mort
par pendaison 12 des principaux criminels de guerre. La grande valeur du TMI pour la postérité était qu'il
établissait un précédent pour poursuivre les crimes internationaux :
116 Ibid Article 6.
117 Ibid Article 7.
118Ibid Article 19.
119Ibid Article 16.
120 Ibid Article 12.
121Ibid Article 27.
122Ibid Article 26.
123 Virginia Morris and Michael P Scharf, 1 The International Criminal Tribunal for Rwanda (Transnational Publishers, New York 1998) 6.
Manuel du droit pénal international
51
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
« Le pouvoir du précédent », a déclaré le juge Cardozo, « c'est le pouvoir du sentier battu ». L'un des
principaux obstacles du procès de Nuremberg était l'absence de sentier battu. Dès lors qu'il est rendu,
un jugement décale le pouvoir du précédent à l'appui de ces règles de droit. Après cela, plus personne
ne peut nier ou manquer de savoir que les principes sur lesquels les chefs nazis sont jugés comme
devant en perdre la vie constituent la loi et la loi avec sanction. »
(Mr Justice Jackson, dans son rapport au Président du 7 octobre 1946, sur le jugement du TMI à
Nuremberg.)
Dans le but d'établir un fondement légal uniforme en Allemagne pour la poursuite des criminels de guerre et
d'autres auteurs d'infractions similaires, autres que ceux jugés par le TMI, les Puissances alliées ont promulgué
la loi No 10 du Conseil de Contrôle.124 L'ordonnance prévoyait la poursuite et le châtiment sur le plan interne
de personnes coupables de crimes de guerre, de crimes contre la paix et de crimes contre l'humanité. En
conformité avec cette ordonnance, les quatre principaux Alliés, en tant qu'autorités occupantes, ont poursuivi
par le biais de leurs propres tribunaux d'occupation siégeant en Allemagne, dans leurs zones d'occupation
respectives, les crimes commis par des défenseurs de rang plus bas.125
Le tribunal de Tokyo : Le tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient (TMIEO)
Le 26 juillet 1945, les quatre grands Alliés ont produit la Déclaration de Postdam, annonçant leur intention
de poursuivre en justice les chefs japonais pour les mêmes crimes que ceux poursuivis à Nuremberg. Le 19
janvier 1946, le Commandant suprême des puissances alliées au Japon a proclamé, au titre d'ordonnance
exécutive, la Charte du tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient (appelé ci-après la Charte de
Tokyo).126 La Charte de Tokyo, qui prévoit la structure, la compétence et les fonctions du tribunal militaire
international pour l'Extrême-Orient (appelé ci-après TMIEO), a été modelée en grande partie sur la Charte
de Nuremberg. La principale différence portait sur la structure du tribunal et sur les accusations intentées à
l'encontre des défenseurs.
Le procès de Tokyo s'est déroulé du 3 mai 1946 au 12 novembre 1948. Toutefois, la Charte de Tokyo et le
jugement sont considérés comme ayant une force d'autorité moindre que le tribunal de Nuremberg en raison,
principalement, de la participation d'hommes politiques dans le processus de mise en accusation, de défauts au
niveau du procès et du préjugé des juges. Dans ce procès qui a duré près de deux ans et demi, 28 chefs militaires
et politiques japonais ont été jugés devant le tribunal. Sept d'entre eux ont été condamnés à mort, 16 à la prison à
vie, 2 sont morts de causes naturelles pendant le procès et deux ont reçu des peines à durée déterminée.
De nombreux procès ont eu lieu dans le Pacifique, entrepris par les Forces Alliées, notamment le RoyaumeUni, les États-Unis, l'Australie, la Chine et les Philippines. Ces procès s'appuyaient sur des dispositions
nationales de crimes de guerre, comme par exemple le mandat royal de 1946 du Royaume-Uni. Le procès le
plus célèbre est celui du général Yamashita par les États-Unis, qui invoquait le principe de la responsabilité du
commandement (voir ci-dessous le Chapitre 4).
124
125
126
52
Loi No 10 : Châtiment des personnes coupables de crimes de guerre, de crimes contre la paix et de crimes contre l'humanité, Conseil du Contrôle allié
pour l'Allemagne, (1946) No 3 Journal Officiel 50 (20 décembre 1945).
Aux États-Unis, des procès du secteur 12 se sont déroulés à Nuremberg, notamment les procès des médecins et juges nazis, et des membres du Hautcommandement allemand. Dans le secteur britannique de l'Allemagne, les procès ont été portés à exécution dans le cadre du Mandat royal de 1946. Des
poursuites en justice ont également eu lieu dans les secteurs français et soviétiques de l'Allemagne. Cryer et al (n4) 100.
Charte du tribunal militaire international pour l'Extrême Orient (19 janvier 1946), TIAS No 1589.
Voir aussi Neil Boister and Robert Cryer (eds), Document on the Tokyo International Military Tribunal : Charter, Indictment and Judgements (OUP,
Oxford 2008) 8..
Manuel du droit pénal international
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Observations finales
Le tribunal de Nuremberg et le tribunal de Tokyo n'étaient pas des tribunaux permanents. Il s'agissait de
tribunaux ad hoc, convoqués par les Alliés pour se charger d'un procès unique sur inculpation. Les juges des
tribunaux de Nuremberg et de Tokyo ont servi à plein temps lors du procès unique du « principal criminel
de guerre » pour lequel ils ont été constitués. Une fois le procès terminé, les tribunaux ont été dissouts. Les
criminels restants de l'Axe ont été jugés par d'autres cours, tribunaux et cours martiales d'envergure nationale
et internationale. Les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo étaient, en essence, des extensions de l'appareil de
l'État de chacune des Puissances Alliées, plutôt que des organisations indépendantes internationales.127
Critique des procès de Nuremberg et de Tokyo :
• imposition de la justice des vainqueurs
• manque d'indépendance des juges – partialité contre les accusés
• plaidoyer de « tu quoque » : bien que le(s) Etat(s) poursuivant(s) avait/avaient commis des actes
similaires, ceux n'ont pas été poursuivis en justice
• violation du principe de nullum crimen sine lege (crimes contre la paix et crimes contre l'humanité)
• des garanties de procédure régulière insuffisantes pour l'accusé - absence de procès équitable
Héritage/accomplissements des procès de Nuremberg et de Tokyo :
127
•
premier procès à se dérouler devant un organisme judiciaire international
•
contribution au registre historique de la Deuxième Guerre mondiale
•
établissement de responsabilité individuelle pour les crimes
•
établissement de la responsabilité d'un commandant
•
exclusion de la défense d'ordres supérieurs
•
exclusion de la défense d'acte d'État
•
contribution à la création de deux sortes de crimes :
a) les crimes contre l'humanité
b) les crimes contre la paix
•
garantie de certains droits fondamentaux à assurer des procès équitables
John R W D Jones, ‘Composition of the Court’, in Antonio Cassese, Paola Gaeta and John R W D Jones (eds), The Rome Statute of the International
Criminal Court : A Commentary (OUP, Oxford 2002) 235, 238.
Manuel du droit pénal international
53
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Les principes du droit international reconnus dans la Charte de Nuremberg et le jugement de Nuremberg
ont été affirmés par l'Assemblée Générale des Nations Unies dans sa résolution 95(I).128 En revanche, la
résolution ne fait que mentionner la Charte et le jugement de Tokyo mais ne les confirment pas. En 1947,
l'Assemblée Générale a exigé que la Commission du droit international formule les principes du droit
international reconnus dans la Charte et le jugement du Tribunal de Nuremberg.129 La Commission du
droit international a achevé la tâche qui lui avait été confiée en 1950, en produisant un avant-projet des
« principes de Nuremberg ».130 Bien que l'Assemblée Générale ne les ait jamais endossés sous la forme d'un
instrument juridique contraignant, les principes ont joué un rôle important dans le développement du droit
pénal international.
Principes de Nuremberg
Principe I
Tout auteur d'un acte qui constitue un crime de droit international est responsable de ce chef et passible
de châtiment.
Principe II
Le fait que le droit interne ne punit pas un acte qui constitue un crime de droit international ne dégage
pas la responsabilité en droit international de celui qui l'a commis.
Principe III
Le fait que l'auteur d'un acte qui constitue un crime de droit international a agi en qualité de chef d'État
ou de gouvernant ne dégage pas sa responsabilité en droit international.
Principe IV
Le fait d'avoir agi sur l'ordre de son gouvernement ou celui d'un supérieur hiérarchique ne dégage pas
la responsabilité de l'auteur en droit international, s'il a eu moralement la faculté de choisir.
Principe V
Toute personne accusée d'un crime de droit international a droit à un procès équitable, tant en ce qui
concerne les faits qu'en ce qui concerne le droit.
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129
130
54
Principes du droit international reconnus dans la charte du tribunal de Nuremberg et le jugement du tribunal (1950) Rés. AG 95(I), Document ONU
A/1316 (11 décembre 1950) ; 44 AJIL 126.
Rés. AG 177(II) (21 novembre 1947).
CDI, « Rapport de la Commission du droit international à l'Assemblée Générale » 5 UN GAOR Supp No 12, à 11, Document ONU A/1316 (1950),
réimprimée dans 2 Ybk Int’l Commn (1950) Document ONU A/CN.4/SER.A/1950/Add.1.
Manuel du droit pénal international
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Principe VI
Les crimes énumérés ci-après sont punis en tant que crimes de droit international :
a) Crimes contre la paix :
(i) Projeter, préparer, déclencher ou poursuivre une guerre d'agression ou une guerre faite en violation
de traités, accords et engagements internationaux ;
(ii)Participer à un plan concerté ou à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes
mentionnés à l'alinéa (i).
b) Les crimes de guerre :
Les violations des lois et coutumes de la guerre qui comprennent, sans y être limitées, les assassinats,
les mauvais traitements ou la déportation pour les travaux forcés, ou pour tout autre but, des
populations civiles dans les territoires occupés, l'assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers
de guerre ou des personnes en mer, l'exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés,
la destruction perverse des villes ou villages ou la dévastation que ne justifient pas les exigences
militaires.
c) Crimes contre l'humanité :
L'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation ou tout autre acte inhumain
commis contre toutes populations civiles, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux
ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions sont commis à la suite d'un crime contre la paix ou d'un
crime de guerre, ou en liaison avec ces crimes.
Principe VII
La complicité d'un crime contre la paix, d'un crime de guerre ou d'un crime contre l'humanité, tels
qu'ils sont définis dans le principe 6, est un crime de droit international.
Les tribunaux pénaux internationaux ad hoc
Introduction
Aux lendemains de la Guerre froide, le Conseil de Sécurité des Nations Unies a établi deux tribunaux pénaux
internationaux en réponse à des actes d'épuration ethnique et d'autres atrocités, qui survinrent au cours des
conflits dans l'ex-Yougoslavie et au Rwanda. À cette époque, les efforts visant à établir une cour pénale
internationale permanente étaient toujours en cours sans pour autant avoir abouti. Le Conseil de Sécurité a
décidé de créer deux tribunaux comme mesure adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations
Unies. Les deux tribunaux ont été établis hors du territoire du conflit, à savoir le TPIY a été établi à La Haye,
aux Pays-Bas, et le TPIR à Arusha, en Tanzanie.
Manuel du droit pénal international
55
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY)
En 1991, le démantèlement de la république fédérale sociale de Yougoslavie a entraîné l'éclatement de conflits
armés à l'échelle régionale. Ces conflits se sont traduits par des violations flagrantes et généralisées du droit
international humanitaire, comportant des massacres, des actes organisés à une échelle massive de détention,
de viols et d'autres violences sexuelles, et la pratique de l'épuration ethnique. Le Conseil de Sécurité, le
principal organe des Nations Unies chargé du maintien de la paix et de la sécurité sur le plan international,
a pris toute une série de mesures, qui ont culminé par la création du tribunal pénal international ad-hoc pour
l'ex-Yougoslavie.
En 1992, le Conseil de Sécurité a fait part de ses inquiétudes sur les comptes-rendus de la poursuite
de violations du droit international humanitaire dans l'ex-Yougoslavie. Il a jugé que les personnes qui
commettaient ou ordonnaient ces violations en étaient individuellement responsables et en a appelé à la
communauté internationale de coopérer à la collecte de preuves.131 Le Conseil de Sécurité a établi une
« Commission d'experts » pour enquêter sur les allégations de crimes internationaux sur le territoire de l'exYougoslavie. La Commission en a conclu que des crimes de guerre graves et des crimes contre l'humanité
avaient été commis dans l'ex-Yougoslavie et, conjointement à d'autres organismes internationaux, a
recommandé la création d'un tribunal ad hoc en vue de poursuivre et de châtier les individus responsables
des atrocités.132
En 1993, le Conseil de Sécurité, agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,
a statué que la situation dans l'ex-Yougoslavie constituait une menace à la paix et à la sécurité
internationales. Afin de mettre un terme aux crimes perpétrés et de prendre des mesures efficaces pour
traduire en justice les personnes responsables de ces crimes, le Conseil de Sécurité a décidé d'établir,
dans son principe, un tribunal international. Celui-ci serait compétent pour poursuivre les individus
responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'exYougoslavie depuis 1991. Le Conseil de Sécurité a demandé au Secrétaire Général des Nations Unies de
préparer un rapport sur la manière dont un tribunal international de la sorte serait établi et selon quels
fondements juridiques.133
Le Secrétaire Général des Nations Unies a recommandé à ce que le Conseil de Sécurité établisse un tribunal
par une décision en se fondant sur le Chapitre VII à titre de mesure de maintien ou de restauration de la paix
et de la sécurité internationales. L'idée de créer le tribunal par traité a été rejetée en raison du temps excessif
que cela prendrait et de la nécessité de mettre en œuvre de manière efficace et sans tarder la décision de créer
un tribunal. De surcroît, il n'y avait aucune garantie à ce que les États concernés la ratifieraient, notamment les
anciennes républiques yougoslaves. Le Secrétaire Général des Nations Unies a insisté que le tribunal soit un
organe de nature judiciaire, exécutant ses fonctions indépendamment de considérations politiques. Le tribunal
ne serait pas soumis à l'autorité ni au contrôle du Conseil de Sécurité.134 Le rapport du Secrétaire Général des
Nations Unies comportait en annexe un Projet de Statut du tribunal.
À la résolution 827 (1993), le Conseil de Sécurité a approuvé le rapport du Secrétaire Général des Nations
Unies et a établi un tribunal international ad hoc en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies,
à titre de mesure d'application afin de veiller à arrêter et à réparer effectivement les violations du droit
131
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56
Résolution du CS 764, Document ONU S/RES/764 (13 juillet 1992) ; Résolution du CS 771, Document ONU S/RES/771 (13 août 1992).
Résolution du CS 780, Document ONU S/RES/780 (6 octobre 1992). Voir le Rapport intérimaire de la Commission d'experts établie conformément à la
résolution du Conseil de Sécurité 780 (1992), paragraphes (27), (56), (58), (74). Document ONU S/25274 (1993), Annexe.
Résolution du CS 808, Document ONU S/RES/808 (22 février 1993).
Rapport du Secrétaire Général conformément au Paragraphe 2 de la résolution du Conseil de Sécurité 808 (1993), Document ONU S/25704 (3 mai 1993)
paragraphes (18)–(28).
Manuel du droit pénal international
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
international humanitaire.135 Une fois cette décision prise, tous les États se trouvaient dorénavant sous
l'obligation contraignante de prendre toutes les mesures qui s'imposaient pour la porter à exécution. Le
Conseil de Sécurité était d'avis qu'au vu des circonstances particulières de l'ex-Yougoslavie, l'établissement
par le Conseil du tribunal international à titre de mesure ad hoc et la poursuite des personnes responsables des
violations graves du droit international humanitaire contribueraient à la restauration et au maintien de la paix
et de la sécurité internationales.
Le Statut du TPIY a été adopté par la résolution du Conseil de Sécurité 827 (1993).136 En conformité avec
le Statut, le TPIY a compétence pour juger de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de crimes
de génocide commis sur le territoire de l'ex-Yougoslavie après le 1er janvier 1991, laissant par là-même la
question de la compétence temporelle à durée indéterminée. En ce qui concerne les droits de la guerre, la
jurisprudence du tribunal s'étend aux infractions graves des Conventions de Genève de 1949, qui s'appliquent
exclusivement dans le cas de conflits armés, et aux violations des lois ou coutumes de la guerre, qui
s'appliquent aux conflits armés aussi bien nationaux qu'internationaux. Le tribunal et les cours nationales
ont compétence concurrente pour poursuivre des individus pour des violations graves du droit international
humanitaire. Le tribunal a primauté sur les tribunaux nationaux et peut, à n'importe quel moment des
procédures, demander aux tribunaux nationaux de déférer leur compétence au tribunal.
Compétence du TPIY telle que définie dans son Statut
• Personnelle (ratione personae) : seulement des personnes physiques
• En la matière (ratione materiae) :
a) crimes de guerre :
(i) infractions graves des Conventions de Genève de 1949
(ii)violations des lois ou coutumes de la guerre.
b)génocide
c) crimes contre l'humanité
• Temporelle (ratione temporis) : crimes commis après janvier 1991 (à durée indéterminée)
• Territoriale (ratione loci) : le territoire de l'ex-Yougoslavie
• Relation par rapport aux tribunaux nationaux :
135
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a) compétence concurrente avec les tribunaux nationaux
b) primauté vis-à-vis des tribunaux nationaux
Résolution du CS 827, Document ONU S/RES/827 (25 mai 1993).
Statut du TPIY, Résolution du CS 827, Document ONU S/RES/827 (25 mai 1993).
Manuel du droit pénal international
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Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR)
En 1994, le Conseil de Sécurité a établi un autre tribunal pénal international ad hoc, cette fois-ci pour le
Rwanda. Tenant compte des massacres et tueries systématiques et généralisés de civils, des déplacements
internes et de l'exode gigantesque de réfugiés vers les pays voisins, qui entraînèrent une crise humanitaire de
proportions phénoménales, le Conseil de Sécurité a statué que la situation au Rwanda constituait une menace à
la paix et à la sécurité dans la région.137 On estime qu'entre 500 000 et 1 million de personnes, principalement
des civils Tutsi, ont été tués au cours des trois mois de génocide au Rwanda.138
Le Conseil de Sécurité a établi, ici encore, une « Commission d'experts » pour enquêter sur les allégations de
crimes internationaux sur le territoire du Rwanda, y compris des preuves d'éventuels crimes de génocide.139 La
Commission en a conclu qu'il y avait eu au Rwanda de graves infractions du droit international humanitaire
et des crimes de génocide et a recommandé que les individus responsables de ces atrocités soient traduits en
justice devant un tribunal pénal international à la fois indépendant et impartial.140
Après avoir reçu des rapports que des crimes de génocide et d'autres violations systématiques, généralisées
flagrantes du droit international humanitaire avaient été commis au Rwanda, le Conseil de Sécurité a décidé
d'instaurer un tribunal international.141 La compétence du tribunal s'étend à la poursuite des individus
responsables de crimes de génocide et d'autres violations graves du droit international humanitaire commis
sur le territoire du Rwanda et aux citoyens rwandais responsables du génocide et d'autres violations de la sorte
commis sur le territoire d'États voisins, au cours de la période allant du 1er janvier 1994 au 31 décembre 1994.
Le TPIR a son siège à Arusha, en Tanzanie.
Le Statut du TPIR a été modelé de près sur le Statut du TPIY et était joint à la résolution du Conseil de
Sécurité 955 (1994) créant le tribunal.142 Le Rwanda, qui était alors membre du Conseil de Sécurité, a
commencé par apporter son soutien à la création du tribunal, pour ensuite voter contre. Cela n'a cependant
pas empêché le Conseil de Sécurité de créer le tribunal à titre de mesure d'application en vertu du Chapitre
VII, qui veillait à mettre un terme aux violations et à les réparer, en vue de contribuer au processus de
réconciliation nationale et à la restauration et au maintien de la paix et de la sécurité.
Le TPIR poursuit les individus responsables de crimes de génocide et d'autres violations graves du droit
international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais responsables de
violations de la sorte commises sur le territoire d'États voisins, au cours de la période allant du 1er janvier
1994 au 31 décembre 1994. A l'instar du TPIY, la compétence du TPIR couvre les crimes de guerre, les crimes
contre l'humanité et les crimes de génocide. La définition de crimes contre l'humanité s'accompagne toutefois
de l'exigence supplémentaire de discrimination, et la compétence du TPIR vis-à-vis des crimes de guerre se
limite à ceux commis dans le cadre de conflits armés non internationaux. Le TPIR a primauté sur les tribunaux
nationaux, tout comme le TPIY.
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58
Résolution du CS 918, Document ONU S/RES/918 (17 mai 1994); Résolution du CS 929, Document ONU S/RES/929 (22 juin 1994).
Rapport sur la situation des droits de l'homme au Rwanda présenté par René Degni-Ségui, Rapporteur spécial de la Commission sur les droits de l'homme,
en vertu du Paragraphe 20 de la résolution de la Commission S-3/1 du 25 mai 1994, Document ONU E/CN.4/1995/7 (1994).
Résolution du CS 935, Document ONU S/RES/935 (vendredi 1 juillet 1994).
Document ONU S/1994/1125 (1 octobre 1994). Voir aussi le rapport final de la Commission Document ONU S/1994/1405 (9 décembre 1994).
Résolution du CS 955, Document ONU S/RES/955 (8 novembre 1994).
Statut du TPIR, Résolution du CS 955, Document ONU S/RES/955 (8 novembre 1994).
Manuel du droit pénal international
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Compétence du TPIR telle que définie dans son Statut
• Personnelle (ratione personae) : seulement des personnes physiques
• En la matière (ratione materiae) :
a) génocide (Article 2)
b) crimes contre l'humanité (Article 3)
c)crimes de guerre : violations de l'Article 3 commun aux Conventions de Genève et au Protocole
additionnel II de 1977
• Temporelle (ratione temporis) : crimes commis entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994
• Territoriale (ratione loci) :
a) crimes commis sur le territoire du Rwanda
b) crimes commis par des Rwandais dans des États voisins
• Relation par rapport aux tribunaux nationaux :
a) compétence concurrente avec les tribunaux nationaux
b) primauté vis-à-vis des tribunaux nationaux
En 2000, le Conseil de Sécurité a reconnu publiquement la responsabilité des Nations Unies en ce qui
concerne sa défaillance à réussir à arrêter le génocide de 1994, tout en faisant des recommandations sur
la manière de traiter d'atrocités ultérieures. Le Conseil de Sécurité a convenu qu'avant le génocide, les
Nations Unies avaient manqué de détermination à l'empêcher, et avaient manqué à intervenir une fois que les
massacres avaient commencé. Les principales raisons avancées à l'absence d'intervention de la communauté
internationale étaient le soi-disant manque de moyens à faire face à la situation et l'absence de volonté
politique d'arrêter les massacres.143
Contestations de la légalité de l'établissement du TPIY et du TPIR
Le TPIY et le TPIR sont les uniques tribunaux à avoir été créés par le Conseil de Sécurité et à agir en vertu
du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Par conséquent, la licéité des tribunaux et la légalité de
leur création furent remises en question par les premiers accusés qui ont été trainés devant les tribunaux. La
principale question soulevée était de savoir si le Conseil de Sécurité avait ou non la compétence de créer un
tribunal ad hoc à titre de mesure d'application en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies en
vue de restaurer et de maintenir la paix et la sécurité. Il a été argué que la création d'un tribunal ad hoc n'avait
jamais été une mesure envisagée par le Chapitre VII, notamment l'Article 41 de la Charte des Nations Unies
qui prévoit :
143
Document ONU S/1999/1257 (19 décembre 1999).
Manuel du droit pénal international
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Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Le Conseil de sécurité peut décider quelles mesures n'impliquant pas l'emploi de la force armée doivent être prises pour donner
effet à ses décisions, et peut inviter les Membres des Nations Unies à appliquer ces mesures. Celles-ci peuvent comprendre
l'interruption complète ou partielle des relations économiques et des communications ferroviaires, maritimes, aériennes, postales,
télégraphiques, radioélectriques et des autres moyens de communication, ainsi que la rupture des relations diplomatiques.
Le TPIY et le TPIR ont tous deux rejeté cet argument, le premier dans l'affaire Tadić et le deuxième dans
l'affaire Kanyabashi, en décrétant que ces tribunaux avaient été créés de manière légitime. Ils ont jugé que,
même si la création d'un tribunal pénal international n'est pas expressément mentionnée parmi les mesures
d'application prévues par le Chapitre VII, elle relève des pouvoirs du Conseil de Sécurité en vertu de l'Article
41 de la Charte des Nations Unies à titre de mesure éventuelle à prendre en réponse à une menace à la paix.
Les tribunaux ont statué que l'Article 41 de la Charte des Nations Unies n'est certainement pas exhaustif mais
indique des exemples de mesures possibles à prendre qui ne relèvent pas du recours à la force.144
Observations finales
D'ici la mi-octobre 2008, sur les 161 individus mis en accusation par le TPIY, des poursuites en justice ont
été conclues concernant 116 accusés ; 10 d'entre eux ont été acquittés, 57 ont été inculpés et condamnés, 13
ont été référés à des tribunaux nationaux dans l'ex-Yougoslavie (10 en Bosnie-Herzégovine, 2 en Croatie et
1 en Serbie), et pour 36 accusés, leurs inculpations ont été retirées ou l'accusé est décédé. 45 accusés font
actuellement l'objet de poursuites, dont deux restent toujours en liberté.145 D'ici avril 2007, le TPIR a prononcé
au total 27 jugements concernant 33 accusés. 11 procès sont en cours et 9 détenus attendent le début de leurs
procès. 18 accusés restent en liberté.146
Depuis que le TPIY et le TPIR ont été créés en tant qu'établissements ad hoc, ils ont préparé une stratégie
d'achèvement que le Conseil de Sécurité des Nations Unies a endossée ultérieurement par la résolution 1503
(2003). Le calendrier d'achèvement envisage l'achèvement de l'ensemble des enquêtes d'ici la fin 2004, de tous
les procès d'ici 2008 et de tout le travail d'ici 2010. Les tribunaux se concentrent sur les responsables de plus
haut rang et transfèrent les autres affaires aux compétences nationales. A cette fin, la Bosnie-Herzégovine, la
Croatie et la Serbie ont chacune pris des mesures significatives en vue d'intenter des poursuites effectives pour
traiter des crimes de guerre en créant des mécanismes spéciaux pour l'adjudication de crimes de guerre. Il reste
cependant toujours à voir si les tribunaux seront en mesure de respecter ces délais.
Les accomplissements du TPIY et du TPIR sont significatifs, le plus important d'entre eux étant d'engendrer
un changement radical, depuis une culture de l'impunité à une culture de la responsabilisation. La
jurisprudence des tribunaux ad hoc a contribué pour beaucoup à l'évolution du droit pénal international et au
renforcement de l'État de droit. Elle a également ouvert la voie à la création d'un nouveau corpus de règles,
à savoir la procédure pénale internationale. La jurisprudence des tribunaux a été largement été invoquée par
d'autres tribunaux mixtes et internationaux, ainsi que par des tribunaux pénaux nationaux. Il n'empêche que les
tribunaux ont aussi été critiqués, entre autre, pour leur cherté et leur lourdeur bureaucratique ainsi que pour la
longueur excessive des procès.
144
145
146
60
L'affaire du procureur c/Kupreškić (TPIY) Affaire No IT-94-1-A, décision de la Chambre d'appel portant sur la requête de la défense relative à l'appel
interlocutoire interjeté concernant la compétence (2 octobre 1995) paragraphes (33)–(36) ; Affaire du Procureur c/Kanyabashi (TPIR) Affaire No TPIR96-15-A, décision de la Chambre d'appel portant sur la requête de la défense relative à la compétence (18 juin 1997).
Chiffres clés des affaires du TPIY, mis à jour le 14 octobre 2008, disponibles sur <www.icty.org>, site consulté le 29 novembre 2009.
L'état des affaires peut être vérifié à <www.ictr.org>, site consulté le 29 novembre 2009.
Manuel du droit pénal international
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
La Cour pénale internationale (CPI)
Introduction
Aux lendemains des procès pour crimes de guerre de Nuremberg et de Tokyo, la communauté internationale
reconnut la nécessité de créer une cour pénale internationale permanente. En 1948, la Commission du droit
international (appelée ci-après la CDI) reçut la mission de travailler à ce projet. Le résultat du travail de
la CDI posa les fondements pour la formulation du Statut de la CPI (appelé ci-après Statut de la CPI).147
Dans le même temps, la communauté internationale tirait les leçons des deux tribunaux pénaux ad hoc dont
l'expérience aida à créer le Statut.
Le travail de la Commission du droit international (CDI)
Après les procès pour crimes de guerre de Nuremberg et de Tokyo, les Nations Unies entamèrent un
processus visant à la création d'une cour pénale internationale permanente. La proposition de créer une
cour pénale internationale permanente fut débattue lors des négociations sur la Convention sur le Génocide
de 1948. Au bout du compte, l'Article VI de la Convention sur le Génocide s'est contentée d'envisager la
création future d'un « tribunal pénal international » :148
Les personnes accusées de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III seront traduites devant les
tribunaux compétents de l'État sur le territoire duquel l'acte a été commis, ou devant la cour criminelle internationale qui sera
compétente à l'égard de celles des Parties contractantes qui en auront reconnu la juridiction.
Les efforts des Nations Unies en vue de la création d'un tribunal pénal international permanent portèrent, d'une
part, sur la codification des crimes internationaux, et d'autre part sur l'élaboration d'un Projet de Statut visant à
la création d'une cour internationale. Le principal organe qui a participé à la rédaction était la CDI, ce groupe
d'experts désignés par l'Assemblée Générale et chargé de la codification et de l'élaboration progressive du
droit international.149 En 1947, l'Assemblée Générale demanda à la CDI de préparer, en même temps que les
principes de Nuremberg, un projet de code des infractions contre la paix et la sécurité de l'humanité.150
Ce n'est cependant qu'en 1996 que la CDI a adopté la version définitive du code, avec ses 20 Articles en avantprojet constituant le Code des Crimes (le terme « infractions » étant remplacé par celui de « crimes ») contre
la paix et la sécurité de l'humanité.151 Ce retard est dû au désaccord portant sur la définition de ce qui constitue
une agression. Après avoir reçu la première version définitive du Projet de Code en 1954, l'Assemblée
Générale retarda son examen tant que cette question n'était pas étayée plus amplement.152 La CDI reprit son
travail sur le Projet de Code dès lors que l'Assemblée Générale adopta par consensus la définition du terme
agression en 1974.153 Il fallut cependant attendre 1981 pour que le processus se remette en route à la demande
de l'Assemblée Générale.154
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152
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154
Statut de la CPI (17 juillet 1998) Document ONU A/CONF.183/9.
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (9 décembre 1948) 78 UNTS 227.
Rés. AG 174(II) du 17 novembre 1947.
Rés. AG 177(II) (21 novembre 1947) ; Rés. AG 177(II) (21 novembre 1947) ; Rés. AG 488(V) (12 décembre 1950).
Commentaire sur le Projet de Code de la CDI, Document ONU A/51/10 (1996).
Rés. AG 897(IX) du 4 décembre 1954.
Rés. AG 3314(XXIX) du 14 décembre 1974.
Rés. AG 36/106 du 10 décembre 1981.
Manuel du droit pénal international
61
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
En 1950, l'Assemblée Générale créa le Comité spécial de la CDI sur la juridiction pénale internationale
consistant en les représentants des 17 États-membres des Nations Unies. Le comité avait pour mission
d'élaborer des propositions concrètes en vue de l'établissement d'une cour pénale internationale capable
d'administrer le Code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité, que la CDI était en train de rédiger
en parallèle à cela. La CDI produisit le premier Projet de Statut d'une CPI en 1951, qui fut révisé en 1953.155
Le Projet de Statut fut définitivement mis de côté en raison de l'absence de progrès concernant la définition du
terme agression et du Projet de Code.156
En 1989, alors que la Guerre froide touchait à sa fin, une fois de plus l'Assemblée Générale demanda à la
CDI de s'attaquer à la question de l'établissement d'une cour pénale internationale.157 Cette décision de la part
de l'Assemblée Générale de redonner vie à l'idée d'une cour pénale internationale s'inscrivait en réponse à
l'initiative prise par Trinité et Tobago d'établir une cour pénale spéciale en vue de traiter du problème du trafic
de drogues. En 1994, la CDI adopta la version définitive du Projet de Statut pour une CPI.158 Le projet portait
exclusivement sur les questions de procédure et d'organisation, laissant ainsi inchangées les définitions de
crimes et les principes juridiques associés du Code des Crimes adopté par la CDI en 1996.
La CDI recommanda à l'Assemblée Générale de convoquer une conférence internationale des plénipotentiaires
en vue d'étudier le Projet de Statut et de conclure une convention visant à l'établissement d'une cour pénale
internationale. C'est à la suite de cela que l'Assemblée Générale décida d'établir un comité ad hoc, ouvert à
tous les membres des Nations Unies, ayant le mandat de passer en revue toutes les questions matérielles et
administratives découlant du Projet de Statut et d'envisager, à la lumière de cet examen, les mesures à prendre
pour convoquer une Conférence diplomatique. Le comité s'est rassemblé à deux reprises en 1995 et a été
remplacé par le Comité préparatoire, établi par l'Assemblée Générale en 1995.
Ces deux instruments, tant le Projet de Statut de 1994 que le Projet de Code des Crimes de 1996, jouèrent un
rôle prépondérant dans l'élaboration du Statut de la CPI. Le Projet de Statut de 1994 constitua le document de
travail initial, d'abord pour le comité ad hoc et ensuite pour le Comité préparatoire entre les années 1995 et
1998. Quant au Code des Crimes de 1996, il n'a pas été incorporé à part entière dans le Projet de Statut mais le
Comité préparatoire s'en est servi de la manière appropriée.159
Le statut de la CPI
En 1995, l'Assemblée Générale décida de convoquer un Comité préparatoire, invitant les États membres des
Nations Unies, des organisations non gouvernementales et diverses organisations internationales à y participer.
Il avait pour objet de discuter plus amplement des principales questions matérielles et administratives
découlant du Projet de Statut préparé par la CDI. Le Comité préparatoire organisa plusieurs réunions entre
1996 et 1998 qui aboutirent à la rédaction d'un Projet de Statut. A l'issue de ce processus, rares furent les
dispositions du Projet de Statut d'origine de la CDI à être laissées intactes.
155
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157
158
159
62
CDI, ‘Report of the Committee on International Criminal Jurisdiction’ UN GAOR 7th Session Supp No 12, à 21, Document ONU A/2645 (1954).
United Nations, The Work of the International Law Commission 30 (5è éd. 1996).
Rés. AG 44/39 du 4 décembre 1989.
CDI, « Rapport de la Commission du droit international sur le travail de sa 46e session » (2 mai–22 juillet 1994) UN GAOR 49e Session Supp No 10,
Document ONU A/49/10 (1994).
Adriaan Bos, ‘From the International Law Commission to Rome Conference (1994-1998)’, in Antonio Cassese, Paola Gaeta and John R W D Jones (eds),
The Rome Statute of the International Criminal Court : A Commentary (OUP, Oxford 2002) 8. 35, 52.
Manuel du droit pénal international
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Le Projet de Statut du Comité préparatoire fut présenté à la Conférence diplomatique des plénipotentiaires
portant sur l'établissement d'une CPI, convoquée par l'Assemblée Générale le 15 juin 1998 à Rome. Les
questions les plus à controverse débattues lors de la conférence portèrent sur le rôle du Conseil de Sécurité,
sur la liste des grands crimes vis-à-vis desquels la cour aurait compétence inhérente et sur l'ampleur de sa
compétence vis-à-vis d'individus n'étant pas des ressortissants des États parties. Après être parvenus à un
compromis, le Statut a été adopté le 17 juillet 1998 par 120 voix pour, 21 abstentions et 7 voix contre.160
Outre le Statut, la Conférence diplomatique adopta un Acte final prévoyant l'établissement d'une Commission
préparatoire par l'Assemblée Générale des Nations Unies, dont la fonction était de rédiger un certain nombre
de documents cruciaux au fonctionnement de la CPI.161 La Commission était principalement chargée de
rédiger le Règlement de procédure et de preuve de la CPI162 et les Éléments constitutifs des crimes de la
CPI,163 mission que la Commission a accomplie dans les délais impartis du 30 juin 2000, date à laquelle ils ont
également été adoptés sur accord général entre les États. L'Assemblée des États parties a adopté officiellement
ces deux documents lors de la première session qui s'est tenue les 3 – 10 septembre 2002.164
Le Statut de la CPI est entré en vigueur le 1er juillet 2002, le premier jour du mois après le 60e anniversaire
de la date du dépôt du 60e instrument de ratification. Avant de pouvoir ratifier le Statut, la plupart des États
ont dû modifier leurs constitutions et lois nationales afin d'observer les obligations que le Statut leur impose.
Plus particulièrement, les États étaient tenus d'apporter leur coopération à la cour en termes d'enquête,
d'arrestation et de transfert des suspects. Or la constitution de nombreux États interdisait l'extradition de leurs
ressortissants, exigence qui est incompatible avec celles du Statut. Beaucoup d'États ont décidé d'aligner leur
droit pénal matériel sur le Statut.165
La CPI et une cour pénale permanente. Elle a compétence vis-à-vis des grands crimes en vertu du droit
international, à savoir les crimes de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, et elle aura
compétence vis-à-vis du crime d'agression dès lors qu'une disposition aura été adoptée à cet effet.166 La CPI
est une cour prospective, qui n'a compétence que vis-à-vis des crimes commis après l'entrée en vigueur de son
Statut, soit le 1er juillet 2002. Si un État devient Partie au Statut après l'entrée en vigueur de celui-ci, la Cour
ne peut exercer sa compétence qu'à l'égard des crimes commis après l'entrée en vigueur du Statut pour cet
État.167
La CPI exerce compétence eu égard aux ressortissants d'un État partie qui sont accusés de crimes, où que
les actes soient perpétrés, et vis-à-vis des crimes commis sur le territoire d'États parties, quelle que soit la
nationalité de l'auteur du crime.168 La CPI est complémentaire aux compétences pénales nationales. Des
poursuites devant la CPI peuvent être intentées sur renvoi d'un État partie du Statut de la CPI, sur renvoi par
le Conseil de Sécurité de l'ONU agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, ou par
l'ouverture d'une enquête par le procureur agissant de son propre chef (ex officio).169
160
161
162
163
164
165
166
167
168
169
Les États qui ont voté contre le Statut étaient les États-Unis, la Libye, Israël, l'Irak, la Chine, la Syrie et le Soudan.
Acte final de la Conférence diplomatique des Nations Unies de plénipotentiaires sur la création d'une cour pénale internationale (17 juillet 1998),
Document ONU A/CONF.183/10.
Règlement de procédure et de preuve de la CPI, CPI-ASP/1/3 (Partie II-A) (9 septembre 2002)
Éléments constitutifs des crimes de la CPI, CPI-ASP/1/3/(partie II-B) (9 septembre 2002) (appelé ci-après Éléments constitutifs des crimes de la CPI).
Les documents concernant l'adoption du Statut de Rome et l'établissement de la Cour pénale internationale sont disponibles à <www.untreaty.un.org/cod/
icc/index.html>, site consulté le 1er novembre 2008.
William A Schabas, An Introduction to the International Criminal Court (3e édition CUP, Cambridge 2007) 22–23.
Articles 5, 6, 7 et 8 du Statut de la CPI.
Article 11 du Statut de la CPI.
Article 12 du Statut de la CPI.
Article 13 du Statut de la CPI.
Manuel du droit pénal international
63
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Compétence de la CPI telle que définie dans son Statut
• Personnelle (ratione personae) : ressortissants des États parties, où que les actes aient été
perpétrés
• En la matière (ratione materiae)
a) crime de génocide
b) crimes contre l'humanité
c) crimes de guerre
d) agression (absence de définition)
• Temporelle (ratione temporis) : crimes commis après l'entrée en vigueur du Statut, à savoir depuis
le 1er juillet 2002
• Territoriale (ratione loci) : crimes commis sur le territoire des États parties, quelle que soit la
nationalité de l'auteur d'infractions
• Relation par rapport aux tribunaux nationaux : la CPI est complémentaire aux compétences
nationales
Observations finales
La CPI représente un point tournant dans le développement du droit pénal international, en tant que première
cour pénale internationale permanente. La Cour a connu un démarrage lent, et c'est bien compréhensible.
D'ici novembre 2008, seules trois situations avaient été déférées à la Cour par des États parties, au sujet
de situations se déroulant sur leurs propres territoires, à savoir la République démocratique du Congo, la
République centrafricaine et l'Ouganda. Une quatrième situation au Darfour, au Soudan, a été renvoyée à la
Cour par le Conseil de Sécurité de l'ONU, en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.170
Bien que le Statut autorise le procureur à entamer une enquête de son propre chef, celui-ci ne l'a pas
encore fait. Le procureur a cependant indiqué publiquement qu'il étudie les situations concernant la
Colombie, la Géorgie, l'Afghanistan, la Côte d’Ivoire et le Kenya. En tout, 11 poursuites contre des accusés
sont actuellement portées devant la Cour (4 en République démocratique du Congo, 1 en République
centrafricaine, 4 en Ouganda et 2 au Soudan). La Cour a cependant encore de nombreux défis à surmonter,
notamment l'opposition de la part des États-Unis à son égard.
170
64
Pour des informations récentes, se reporter au site web de la CPI, à <www.icc-cpi.int/>, site consulté le 1er novembre 2009.
Manuel du droit pénal international
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Les tribunaux pénaux mixtes ou internationalisés
Introduction
Suite aux récents conflits concernant de graves violations du droit pénal international, plusieurs États ont
décidé de ne pas juger les individus responsables d'atrocités devant leur tribunal national ou des tribunaux
internationaux, et de privilégier à la place le recours à une cour pénale, s'appuyant sur un mélange
de structures et de lois nationales et internationales. On les qualifie alors de tribunaux « mixtes » ou
« internationalisés ». Il existe une variété de tribunaux mixtes ou internationalisés, chacun étant doté de ses
caractéristiques propres et uniques. Les différences portent sur le contexte politique, les fondements juridiques
de leur établissement, leur structure et leur compétence. Tous les tribunaux mixtes et internationalisés ont
comme caractéristique commune l'existence d'un élément international, dont l'envergure et l'intensité peuvent
varier.
Les tribunaux mixtes ou internationalisés peuvent être divisés en plusieurs groupes. Le premier groupe se
compose des tribunaux établis par un accord entre les Nations Unies et le gouvernement de l'État où le conflit
s'est produit. Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (appelé ci-après TSSL) a été le premier tribunal mixte
à siéger dans le pays où les crimes ont été commis, avec le soutien du gouvernement du pays concerné. Il
s'agissait aussi du premier tribunal à réunir des juges internationaux et locaux, appliquant le droit international
et national. Le Tribunal spécial pour le Liban (appelé ci-après TSL) a été établi à l'origine en s'appuyant sur
un accord similaire conclu entre le Liban et les Nations Unies. Cependant, en raison de l'incapacité de la part
du parlement libanais à ratifier cet accord et à le rendre contraignant en vertu du droit international à titre de
traité, le Conseil de Sécurité de l'ONU est intervenu et a donné force contraignante aux conditions de l'accord,
sur une résolution adoptée en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Comme autre exemple
de tribunal mixte, il convient de citer celui des Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens
(appelées ci-après CETC), bien que contrairement au TSSL et au TSL, les CETC fassent partie du système
national de tribunaux et emploient une majorité de juges locaux et non pas internationaux.
Le deuxième groupe de tribunaux mixtes ou internationalisés sont les tribunaux établis par les administrations
internationales des Nations Unies, qui assument provisoirement l'autorité vis-à-vis de territoires pris dans
des conflits d'autodétermination, pour les aider devenir des États autonomes, comme par exemple au Timor
oriental et au Kosovo. La Chambre pour les crimes de guerre en Bosnie, établie par le Bureau du Haut
Représentant suite à l'Accord de Paix de Dayton, relève elle aussi de ce groupe.
Le troisième groupe concerne les tribunaux qui, bien que de nature nationale et établis par un Etat, ont bel et
bien reçu une forme ou une autre de soutien international, comme le Haut Tribunal irakien et la Chambre des
crimes de guerre en Serbie.
La présente section va également aborder la question du procès de Lockerbie, qui est un nouvel exemple
de traiter un incident particulier et unique sur le plan international. Et enfin, les substitutions possibles aux
poursuites pénales vont être brièvement abordées, et plus particulièrement les Commissions de vérité et les
amnisties.
Le Tribunal spécial pour la Sierra Leone (TSSL)
Pendant près d'une décennie après 1991, la Sierra Leone a fait l'objet d'une guerre civile déclenchée par un
groupe rebelle, le Front révolutionnaire uni (FUR) qui a pénétré en Sierra Leone depuis le Liberia voisin
en vue de renverser le régime en Sierra Leone. Après 1996, le conflit s'est poursuivi entre le gouvernement
Manuel du droit pénal international
65
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
démocratique nouvellement élu et les Forces de défense civile (FDC) contre le FUR, et plus tard, contre le
Conseil révolutionnaire des forces armées (CRFA) et le FUR. Le conflit s'est caractérisé par une violence
massive et généralisée, comportant toutes formes de violations flagrantes des droits de l'homme, de viols
collectifs et d'enlèvements de femmes, l'utilisation d'enfants soldats et la mutilation généralisée de civils
par l'amputation de divers membres. En 2000, les chefs du FUR et d'autres rebelles ont été arrêtés pour les
attaques qu'ils avaient lancées à la fois à l'encontre des forces gouvernementales et des populations civiles.
En 2000, le président de Sierra Leone a fait part d'un plan visant à demander au Conseil de Sécurité de l'ONU
d'établir un tribunal pour la Sierra Leone, soit par la création d'un tribunal spécial, soit en élargissant le mandat
du TPIR à son territoire.171 En réponse, le Conseil de Sécurité de l'ONU a adopté la résolution 1315 (2000)
demandant au Secrétaire Général des Nations Unies de conclure des négociations avec le Sierra Leone en
vue de créer une cour spéciale indépendante. Le Gouvernement sierra-léonais et le Secrétaire Général des
Nations Unies ont conclu un accord le 16 janvier 2002.172 Le Statut du TSSL était joint à l'accord.173 La Sierra
Leone a dû ratifier l'accord et en adopter la mise en œuvre de la législation avant que le tribunal ne devienne
fonctionnel et se mette au travail en juillet 2002.174
Le nouveau tribunal n'a donc pas été créé sur une résolution du Conseil de Sécurité, comme l'avait été le
TPIY et le TPIR, mais par un accord bilatéral entre les Nations Unies et le Gouvernement de la Sierra Leone.
Par conséquent, le tribunal n'est pas un organe subsidiaire du Conseil de Sécurité, mais un établissement
international distinct. Le tribunal a été décrit comme étant un tribunal sui generis basé sur traité, de
compétence et composition mixtes. D'après la législation d'application sierra-léonaise, le tribunal ne fait pas
partie intégrante du système juridique national. La majorité des juges sont des juges internationaux, désignés
par le Secrétaire Général des Nations Unies, et une minorité d'entre eux sont désignés par le Gouvernement de
Sierra Leone. Les Nations Unies désignent également le procureur et le greffe, et la Sierra Leone se charge de
désigner l'adjoint au procureur.175
A l'instar du TPIY et du TPIR, le TSSL et les tribunaux ont compétence concurrente, mais le TSSL a la
primauté sur les tribunaux nationaux.176 Le tribunal a compétence pour poursuivre les individus responsables
au premier chef de violations graves du droit international humanitaire et du droit sierra-léonais, commises sur
le territoire de la Sierra Leone depuis le 30 novembre 1996, date de signature de l'Accord de Paix d'Abidjan a
été conclu entre le Gouvernement de Sierra Leone et le FUR.177 Le tribunal est financé intégralement à partir
de contributions volontaires.
La compétence en la matière du tribunal couvre les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre commis
dans des conflits internes, à savoir les violations de l'Article 3 commun aux Conventions de Genève et au
protocole additionnel II de 1977. La compétence du tribunal s'étend à d'autres violations graves du droit
international humanitaire, comme par exemple la conscription ou l'enrôlement d'enfants dans les forces armées
et les crimes en vertu du droit sierra-léonais, notamment concernant l'abus de fillettes et la destruction aveugle
de biens. Le tribunal n'a toutefois pas compétence eu égard au crime de génocide.178
171
172
173
174
175
176
177
178
66
Richard Holbrooke, le représentant permanent des États-Unis à l'ONU à l'époque, s'est opposé à cette dernière proposition.
Accord entre les Nations Unies et le Gouvernement de la Sierra Leone sur la création d'un Tribunal spécial pour la Sierra Leone, Annexe au Rapport du
Secrétaire Général sur la création d'un Tribunal spécial pour la Sierra Leone, Document ONU S/2000/915, 2178 UNTS 138 (16 janvier 2002).
Statut du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, Pièce jointe au Rapport du Secrétaire Général sur la création d'un Tribunal spécial pour la Sierra Leone,
Document ONU S/2000/915, 2178 UNTS 138 (16 janvier 2002).
Il est possible de consulter l'accord, le Statut, l'Acte de ratification et d'autres documents pertinents sur le site web officiel du TSSL à <www.sc-sl.org>,
site consulté le 3 novembre 2009.
Articles 12, 13, 15 et 16 du Statut du TSSL.
Article 8 du Statut du TSSL.
Article 1 du Statut du TSSL.
Articles 2, 3, 4 et 5 du Statut du TSSL.
Manuel du droit pénal international
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Compétence du TSSL telle que définie dans son Statut
• Personnelle (ratione personae) : uniquement les personnes physiques responsables au premier
chef de violations graves du droit international humanitaire
• En la matière (ratione materiae) :
a) les crimes contre l'humanité
b) les crimes de guerre : violations de l'Article 3 commun aux Conventions de Genève et du
protocole additionnel II de 1977
c) les autres violations graves du droit international humanitaire
d) les crimes en vertu du droit sierra-léonais
• Temporelle (ratione temporis) : crimes commis depuis le 30 novembre 1996
• Territoriale (ratione loci) : crimes commis sur le territoire de la Sierra Leone
• Relation par rapport aux tribunaux nationaux :
a) compétence concurrente avec les tribunaux nationaux
b) primauté vis-à-vis des tribunaux nationaux
Le procureur du TSSL a prononcé 13 mises en accusation en 2003. Deux de celles-ci ont fini par être retirées
en décembre 2003 du fait du décès des accusés. Les procès de trois anciens chefs du Conseil révolutionnaire
des forces armées (CRFA) et de deux membres des Forces de défense civile (FDC) ont abouti, y compris leurs
renvois. Le procès de trois anciens chefs du Front uni révolutionnaire (FUR) est arrivé à terme et l'affaire a été
interjetée en appel.179 L'ancien président du Liberia, Charles Taylor, qui s'est rendu devant le TSSL en 2006,
est en train d'être jugé dans les locaux de la CPI à La Haye pour des raisons de sécurité.180 Le Tribunal s'attend
à avoir accompli sa mission d'ici 2011.
Les Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens (CETC)
En 1975, les khmers rouges ont pris le pouvoir au Cambodge, qui fut rebaptisé Kampuchea démocratique,
et ont dirigé le pays jusqu'en 1979, lorsque le régime a été renversé par les forces vietnamiennes. Les
khmers rouges ont alors perdu le pouvoir par la force et se sont retirés dans les régions rurales du pays,
où ils ont continué à contrôler le secteur à proximité de la frontière avec la Thaïlande, et d'où ils ont
poursuivi une résistance sous forme de guérilla. Au cours de leur règne sous la direction de Pol Pot, les
khmers rouges ont exécuté de manière systématique toutes les classes moyennes et professionnelles, ainsi
que d'autres ennemis perçus de la révolution. Ils ont également transféré les populations urbaines dans les
campagnes, où elles ont été condamnées au travail forcé. On estime que sur une population de 7 millions
de Cambodgiens, entre 1 et 1,5 millions d'entre eux ont trouvé la mort par exécution, la famine et le travail
forcé entre 1975 et 1979.
179
180
Des informations sur ces affaires sont disponibles à <www.sc-sl.org>, site consulté le 3 novembre 2008.
Résolution du CS 1688, Document ONU S/RES/1688 (16 juin 2006).
Manuel du droit pénal international
67
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
En 1997, le Gouvernement cambodgien a demandé aux Nations Unies de l'aider à traduire en justice des
membres des khmers rouges. Suite à cette demande, le Secrétaire Général des Nations Unies a établi un
groupe d'experts composé de trois membres, afin d'enquêter sur la situation au Cambodge et de faire des
recommandations en vue de responsabiliser les auteurs de crimes passés. Le groupe d'experts a recommandé
de créer un tribunal international ad hoc sous l'égide des Nations Unies, mais le Gouvernement cambodgien
a immédiatement rejeté l'idée d'exclure son système judiciaire du processus. En 2002, d'autres négociations
entre le Gouvernement cambodgien et les Nations Unies ont échoué et se sont soldées par le retrait du
Secrétaire Général des Nations Unies du processus en raison de l'absence d'indépendance, d'impartialité et
d'objectivité du tribunal cambodgien qui était envisagé.
En 2001, lors des négociations sur une éventuelle collaboration avec les Nations Unies, le Cambodge a passé
unilatéralement une loi sur l'établissement de Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens
pour la poursuite de crimes commis pendant la période du Kampuchea démocratique. En mai 2003, l'Assemblée
Générale des Nations Unies a adopté un accord entre les Nations Unies et le Cambodge, accord qui a été ratifié par
le Gouvernement cambodgien en 2004.181 L'accord était le résultat des négociations entamées par la résolution de
l'Assemblée Générale qui exhorté le Secrétaire Général à faire en sorte que les Nations Unies soient un participant
actif aux procès.182 Le droit contentieux cambodgien a également servi de base aux négociations portant sur les
Chambres nationales.
Les CETC sont régulées par la loi sur la Création de Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux
cambodgiens pour la poursuite de crimes commis pendant la période du Kampuchea démocratique183 Les
CETC font partie du système national du Cambodge et appliquent le droit interne. Les chambres sont de
composition mixte : dans chaque cas, les juges cambodgiens forment la majorité, et les juges internationaux le
reste. Les décisions sont prises à la majorité qualifiée. En raison de l'origine en droit civil de la procédure pénale
cambodgienne, les enquêtes sont effectuées par des co-juges d'instruction, un international et l'autre cambodgien.
De même, les poursuites sont conduites par des co-procureurs, un international et l'autre cambodgien. Tous les
juges et procureurs sont nommés par le Conseil Suprême cambodgien de la Magistrature.184
Les CETC sont compétentes pour juger les principaux dirigeants du Kampuchea démocratique et ceux
responsables au premier chef des crimes et violation du droit pénal cambodgien, du droit international
humanitaire et des coutumes y relatives, et des conventions internationales reconnues par le Cambodge. La
compétence temporelle est restreinte à la période comprise entre le 17 avril 1975 et le 6 janvier 1979. La
compétence en la matière concerne les crimes de génocide en vertu de la Convention sur le Génocide de
1948, les crimes contre l'humanité,185 les violations graves des Conventions de Genève et certains autres
crimes en vertu du droit cambodgien.186 Par ailleurs, les CETC ont compétence pour poursuivre les personnes
responsables de la destruction de biens culturels pendant des conflits armés, conformément à la Convention de
La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, et des crimes contre les personnes 1958
qui bénéficient de la protection internationale, en conformité avec la Convention de Vienne de 1961 portant
sur les relations diplomatiques.187
181
Le 13 mai 2003, l'Assemblée Générale a adopté une résolution 57/228, Rés. AG 57/228 B, Document ONU A/RES/57/228 B (22 mai 2003), avec l'Accord
conclu entre l'Organisation des Nations Unies et le Gouvernement royal cambodgien concernant la poursuite, conformément au droit cambodgien, des
auteurs des crimes commis pendant la période du Kampuchea démocratique (6 juin 2003) 2329 UNTS 117 (Annexe).
182 Rés. AG 57/228 A, Document ONU A/RES/57/228 B (18 décembre 2002).
183 Loi sur l'Etablissement des Chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens pour la poursuite de crimes commis pendant la période du
Kampuchea démocratique (2001) (Cambodge), et amendée par NS/RKM/1004/006 (27 octobre 2004) disponible à <www.ecc.gov.kh>, site consulté le 5
novembre 2008 (appelée ci-après Loi sur l'établissement des CETC).
184Ibid.
185 La définition des crimes contre l'humanité prévue à l'Article 5 de la Loi sur l'établissement des CETC suit de près celle visée dans le Statut du TPIR.
186 Articles 3–6 de la Loi sur l'établissement des CETC.
187 Article 7 et 8 de la Loi sur l'établissement des CETC.
68
Manuel du droit pénal international
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Compétence des Chambres extraordinaires du tribunal du Cambodge
• Personnelle (ratione personae) : uniquement les personnes physiques - les principaux dirigeants et
les personnes responsables au premier chef des crimes
• En la matière (ratione materiae) :
a) crimes nationaux : homicide, torture, persécution religieuse
b)génocide
c) crimes contre l'humanité
d) infractions graves des Conventions de Genève de 1949
e)de biens culturels pendant des conflits armés, conformément à la Convention de La Haye pour
la protection des biens culturels en cas de conflit armé
f)crimes contre les personnes qui bénéficient de la protection internationale, en conformité avec
la Convention de Vienne de 1961 portant sur les relations diplomatiques
• Temporelle (ratione temporis) : crimes commis entre le 17 avril 1975 et le 6 janvier 1979
• Territoriale (ratione loci) : aucune disposition explicite
D'après l'accord, le Gouvernement cambodgien n'est pas autorisé à demander des amnisties ou des grâces,
et c'est aux Chambres qu'il revient de décider l'étendue d'une grâce accordée préalablement. Il s'agit là d'une
disposition très importante car jusque-là, des amnisties avaient été accordées à des membres des khmers
rouges pour les inciter à s'abstenir de perpétrer des actes de violence à l'encontre de l'État.
Les CETC sont devenues entièrement opérationnelles en mai 2007 et le premier procès a débuté en 2009.
Le Tribunal spécial pour le Liban (TSL)
En réponse à l'assassinat de l'ancien Premier Ministre libanais Rafic Hariri et de 22 autres attentats à la bombe
à Beyrouth en février 2005, le Conseil de Sécurité a créé une Commission destinée à aider les autorités
libanaises dans leur enquête sur l'assassinat, et notamment les liens qui pourraient exister avec la Syrie
voisine.188 Au cours des mois qui suivirent, le mandat de la Commission a été élargi pour s'étendre à l'apport
d'une aide technique aux autorités libanaises dans l'enquête de 20 autres attentats qui ont eu lieu au Liban
depuis octobre 2004.
En décembre 2005, le Gouvernement libanais a demandé aux Nations Unies de créer un tribunal de nature
internationale en vue de juger toutes les personnes présumées responsables de l'assassinat d'Hariri et des
massacres s'y rapportant. A la suite de cela, le Conseil de Sécurité a demandé au Secrétaire Général des
Nations Unies de négocier un accord avec le Gouvernement libanais en vue de créer un tribunal de nature
internationale basé sur les plus hauts niveaux internationaux de justice pénale.189
188
189
Résolution du CS 1595, Document ONU S/RES/1595 (jeudi 7 avril 2005).
Résolution du CS 1664, Document ONU S/RES/1664 (mercredi 29 mars 2006).
Manuel du droit pénal international
69
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Les négociations entre les Nations Unies et le Gouvernement libanais ont abouti à un projet d'accord, qui
a été signé début 2007 par les Nations Unies et la République libanaise. Cet accord n'a cependant pas été
officiellement ratifié par le Parlement libanais du fait que, malgré le soutien au tribunal de la majorité des
députés, le président du Parlement ne les a jamais convoqués pour voter dessus. C'est en conséquence de cela
que le Premier Ministre libanais a demandé au Conseil de Sécurité de mettre en œuvre le tribunal de toute
urgence.
Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, le Conseil de Sécurité a adopté une
résolution 1757 (2007), dans laquelle il a décidé que les dispositions de l'accord sur l'établissement d'un
Tribunal spécial qui était annexe à la résolution,190 et le Statut du tribunal annexé à l'accord,191 entreraient en
vigueur le 10 juin 2007, à moins que le Gouvernement libanais n'informe les Nations Unies que les exigences
légales pour son entrée en vigueur n'avaient été observées avant cette date. Face à l'absence d'envoi de la part
du Gouvernement libanais d'un avis de ratification de l'accord avant la date butoir arrêtée par le Conseil de
Sécurité, l'accord et le Statut du Tribunal spécial sont entrés en vigueur le 10 juin 2007.192
La compétence du Tribunal Spécial porte sur la poursuite des personnes responsables de l'attaque du 14
février 2005 qui a entraîné la mort de l'ancien Premier Ministre libanais, Rafic Hariri, ainsi que la mort et les
blessures d'autres personnes, mais pourrait être élargie si le Tribunal venait à découvrir que d'autres attaques
perpétrées au Liban entre 1er octobre 2004 et le 12 décembre 2005 y sont liées, conformément aux principes
de la justice pénale, et sont d'une nature et d'une gravité similaire à l'attaque du 14 février 2005. Les crimes
qui se sont produits après le 12 décembre peuvent eux aussi être inclus comme relevant la compétence du
Tribunal, selon les mêmes critères, si le Gouvernement de la république libanaise et les Nations Unies en
décident ainsi, avec le consentement du Conseil de Sécurité.193
Le TSL et les tribunaux nationaux du Liban ont compétence concurrente et, dans les limites de sa
compétence, le Tribunal a la primauté sur les tribunaux nationaux du Liban.194 Le Liban est également
tenu dans l'obligation de coopérer avec le Tribunal dans l'enquête et la poursuite de crimes relevant de la
compétence du Tribunal.195
Le Tribunal spécial siège aux Pays-Bas et est devenu opérationnel le 1er mars 2009, date que le Secrétaire
Général des Nations Unies avait fixée pour son ouverture, et le lendemain de la clôture de la Commission
des Nations Unies qui avait aidé les enquêtes des autorités libanaises. Le Tribunal compte une majorité
de juges internationaux, un juge de mise en état international, un procureur international, un greffier et un
chef du bureau de la défense. Il regroupe une minorité de juges libanais et un adjoint au procureur qui est
libanais.
Le TSL a compétence eu égard aux actes de terrorisme, des crimes et délits contre la vie et l'intégrité physique
des personnes, des associations illicites et de la non-révélation de crimes et délits. Dans sa définition du
terrorisme et d'autres crimes relevant de la compétence du Tribunal, les juges appliqueront les dispositions
du droit pénal libanais.196 Les formes de responsabilité à la fois libanaises et internationales s'appliquent à ces
190
191
192
193
194
195
196
70
Accord entre les nations Unies et la République libanaise sur l'établissement d'un Tribunal spécial pour le Liban, Résolution du CS 1757, Document ONU
S/RES/1757 (30 mai 2007) (Annexe).
Statut du Tribunal spécial pour le Liban, Résolution du CS 1757, Document ONU S/RES/1757 (30 mai 2007) (Pièce jointe) (appelé ci-après Statut du
TSL).
Les documents concernant le TSL sont disponibles à <www.stl-tsl.org>, site web consulté le 30 novembre 2009.
Article 1 du Statut du TSL.
Article 4 du Statut du TSL.
Article 15 de l'Accord entre les Nations Unies et la République libanaise sur la création d'un Tribunal spécial pour le Liban, Résolution du CS 1757,
Document ONU S/RES/1757 (30 mai 2007) (Annexe).
Article 2 du Statut du TSL.
Manuel du droit pénal international
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
crimes, et les pratiques à la fois libanaises et internationales sont pertinentes à la prononciation des peines,
malgré l'exclusion de la peine de mort et des peines au travail forcé disponibles en vertu du droit libanais.197
Timor oriental : les Groupes des crimes graves
A son invasion par l'armée indonésienne en 1975, le Timor oriental était un territoire non autonome placé sous
le contrôle du Portugal, en train d'entamer un processus de décolonisation et d'autodétermination. L'Indonésie
a annexé le Timor oriental et l'a déclaré sa 27e Province le 17 juillet 1976. L'occupation indonésienne,
qui a duré près de 24 ans, s'est caractérisée par des actes de répression et de violence continues, perpétrés
principalement par des milices, c'est-à-dire des groupes armés composés principalement d'irréguliers esttimorais soutenus par des membres de l'armée indonésienne.
Lors d'un référendum en 1999, 78,5 % de la population du Timor oriental a voté en faveur de l'indépendance.
Suite a ce vote, les milices ont lancé une campagne brutale de violence généralisée, avec assassinats, viols,
disparitions, torture, déplacement de populations et destruction systématique de biens à la clé, qui ne s'est
terminée qu'après l'autorisation par l'Indonésie de l'intervention de forces autorisées par les Nations Unies.
L'Indonésie a également accepté de céder le contrôle du territoire aux Nations Unies. C'est ainsi que le
Conseil de Sécurité a établi l'Administration transitoire des Nations Unies au Timor oriental (appelée ci-après
ATNUTO), chargée de l'administration temporaire du Timor oriental.198
L'une des tâches de l'ATNUTO, qui exerçait l'autorité gouvernementale au Timor oriental, était de faire
respecter l'État de droit et d'établir un système judiciaire qui fonctionne. L'ATNUTO établit un système de
tribunaux pour le Timor oriental, en créant des tribunaux de district et une cour d'appel à Dili, ayant tous
compétence tant dans les affaires pénales que civiles.199 La compétence en matière de « crimes graves » a été
réservée au tribunal de district de Dili. Il a été décidé que les appels seraient entendus par un groupe établi
au sein de la cour d'appel à Dili.200 Peu de temps après, les Groupes des crimes graves du tribunal de district
de Dili, ayant compétence exclusive vis-à-vis de tels crimes, ont été créés, chacun consistant de deux juges
internationaux et d'un juge est-timorais.
Les « crimes graves », tels qu'ils relevaient de la compétence des Groupes des crimes graves, comportaient
les crimes de génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, ainsi que les crimes nationaux, à
savoir les assassinats, les délits sexuels et les actes de torture.201 La compétence s'étendait aux crimes commis
au Timor oriental, ou ailleurs s'ils étaient commis par ou contre un ressortissant est-timorais, au cours de
la période allant du 1er janvier au 25 octobre 1999.202 Les Groupes ont appliqué le règlement d'ATNUTO
stipulant les éléments et les définitions des crimes internationaux et des principes généraux du droit et des
peines.203 Les Groupes ont de surcroît appliqué le droit pénal national en vigueur au Timor oriental, et, le cas
échéant, les traités en vigueur et principes et normes reconnus du droit international, notamment les principes
établis du droit international des conflits armés.204
197
198
199
200
201
202
203
204
Article 2, 3 et 24 du Statut du TSL.
De plus amples informations sur l'ATNUTO figurent à <www.un.org/peace/etimor/etimor.htm>, site consulté le 5 novembre 2008.
Section 4 du Règlement de l'ATNUTO 2000/11, ATNUTO/REG/2000/11 (6 mars 2000) (amendé par le règlement d'ATNUTO 2001/18, ATNUTO/
REG/2001/18 (21 juillet 2001), et le règlement ATNUTO 2001/25, ATNUTO/REG/2001/25 (14 septembre 2001).
Section 4 du Règlement de l'ATNUTO 2000/11, ATNUTO/REG/2000/11 (6 mars 2000) (amendé par le règlement d'ATNUTO 2001/18, ATNUTO/
REG/2001/18 (21 juillet 2001), et le règlement ATNUTO 2001/25, ATNUTO/REG/2001/25 (14 septembre 2001) ; Section 1 du règlement ATNUTO
2000/15, UNTAET/REG/2000/15 (6 juin 2000).
Section 1 du règlement ATNUTO 2000/15, ATNUTO/REG/2000/15 (6 juin 2000).
Ibid Section 2.
Ibid Sections 4–9.
Ibid Section 3.
Manuel du droit pénal international
71
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Compétence des Groupes des crimes graves au Timor oriental
• Personnelle (ratione personae) : seulement des personnes physiques
• En la matière (ratione materiae) :
a) crime de génocide
b) crimes de guerre
c) crimes contre l'humanité
d) crimes nationaux
• Temporelle (ratione temporis) : crimes commis entre le 1er janvier et le lundi 25 octobre 1999
• Territoriale (ratione loci) : crimes commis sur le territoire du Timor oriental, ou ailleurs si
commis par ou contre un ressortissant est-timorais
En 2002, les Nations Unies ont cédé leur autorité aux nouvelles institutions démocratiques du Timor oriental,
établies après la tenue d'élections générales et présidentielles. Les Groupes des crimes graves ont continué à
fonctionner jusqu'en mai 2005, date à laquelle leurs opérations ont été suspendues. La poursuite des crimes
internationaux est désormais entre les mains de tribunaux ordinaires nationaux.
Le système judiciaire du Kosovo dans le cadre de la Mission des Nations Unies au Kosovo
(MINUK)
La compétence territoriale du TPIY couvre les crimes commis au Kosovo, puisque le Kosovo fait partie
du territoire de l'ex-Yougoslavie. Il n'empêche cependant que les tribunaux locaux du Kosovo doivent
également traiter d'un éventail de crimes plus large qui y ont été commis. La situation au Kosovo, qui était
jadis une région autonome au sein de la République fédérale socialiste de Yougoslavie, se caractérisait par des
tensions ethniques entre Albanais et Serbes du Kosovo. Ces tensions ont culminé pour éclater en un conflit
entre les forces du gouvernement l'Armée de libération du Kosovo. En 1999, l'OTAN a lancé une campagne
de bombardement à l'encontre de la République de Yougoslavie, en réponse à la campagne « d'épuration
ethnique » que les forces serbes menaient contre les Albanais du Kosovo.
Des atrocités graves ont été commises des deux bords lors du conflit au Kosovo. Le TPIY a traité quelquesunes des affaires les plus notoires concernant des crimes commis au Kosovo.205 Des poursuites locales ont
également été intentées sous les auspices de la Mission des Nations unies au Kosovo (appelée ci-après
MINUK), que le Conseil de Sécurité de l'ONU a établie à titre d'administration provisoire du territoire.206
MINUK a assumé l'autorité exécutive et législative au Kosovo, y compris l'administration de la justice. La
proposition initiale visant à l'établissement d'un Tribunal des crimes ethniques et de guerre du Kosovo n'a pas
abouti, en grande partie du fait d'un manque de ressources. Au lieu de cela, MINUK a introduit des juges et
procureurs internationaux dans les tribunaux locaux du Kosovo.
205
206
72
Voir, par exemple, Affaire du Procureur c/Slobodan Milošević (TPIY) Affaire No IT-02-54 ; Affaire du Procureur c/Milutinović et al (TPIY) Affaire No
IT-05-87, Jugement de première instance (26 février 2009).
Des informations sur MINUK sont disponibles à <www.unmikonline.org>, site consulté le 5 novembre 2009.
Manuel du droit pénal international
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
L'objectif de MINUK était de bâtir et d'établir un système judiciaire à la fois indépendant, impartial et multiethnique, par l'intervention des Nations Unies. Pour y parvenir, il lui a fallu reconstruire les institutions
judiciaires locales, établir un nouveau corpus de lois s'appuyant sur celui existant, désigner de nouveaux juges
investis d'un nouveau mandat, et agir dans les limites du cadre des normes et principes internationaux des
droits de l'homme de non-discrimination dans la poursuite locale de crimes de guerre et ethniques et d'autres
violations graves du droit international. Malgré tout, les tribunaux pénaux locaux nouvellement rétablis,
et employant des juges et procureurs nationaux nouvellement désignés, ne sont pas parvenus à réprimer la
perception de partialité qui existait et à traiter d'un nombre de crimes en constante augmentation.
Face à cela, MINUK a décidé de lancer un processus d'internationalisation, en introduisant des juges et procureurs
internationaux. La mission a désigné des juges internationaux pour qu'ils travaillent avec des juges locaux ; pour
cela, elle a mis en place une structure officielle dans le cadre de laquelle les juges locaux pouvaient examiner
et juger les affaires relevant de leur compétence, et référer au TPIY les affaires plus graves.207 Les juges ont
travaillé exclusivement sur les affaires criminelles, sur les affaires les plus sensibles portant sur des allégations de
crimes de guerre ou d'autres crimes graves et de violence inter-ethnique. Le fait de placer des juges et procureurs
internationaux au sein du système de justice du Kosovo n'a cependant pas permis de garantir pleinement la justice
aux accusés appartenant aux minorités et aux victimes ; en effet, il était fréquent que les juges et procureurs
internationaux soient écartés ou que leurs décisions soient annulées par les juges albanais du Kosovo.
MINUK a adopté le règlement 2000/64 qui permettait aux procureurs et défenseurs de déposer une requête
auprès du Département des Affaires judiciaires de MINUK en vue d'affecter à une affaire donnée un procureur
international et un juge d'instruction international, ou un collège du tribunal composé de trois juges dont au
moins deux sont des juges internationaux, lorsqu'il était jugé nécessaire de le faire pour garantir l'indépendance
et l'impartialité du judiciaire ou l'administration de la justice en bonne et due forme.208 Ces collèges de
magistrats sont les tribunaux nationaux et appliquent le droit interne; MINUK a introduit ultérieurement une
nouvelle législation, notamment un code pénal provisoire et un nouveau code de procédure provisoire.209
La Chambre pour les crimes de guerre en Bosnie-Herzégovine
Lors des conflits armés en Bosnie-Herzégovine entre 1992 et 1995, de graves violations des droits de l'homme
ont été perpétrées, et notamment des massacres collectifs, des viols, des actes de destruction généralisée et
le déplacement de populations. Le Conseil de Sécurité a créé le TPIY dans le but de traduire en justice les
personnes responsables des atrocités commises dans l'ex-Yougoslavie, notamment en Bosnie-Herzégovine. Le
tribunal s'est toutefois concentré sur un petit nombre des auteurs de crimes de guerre du plus haut rang et de
premier chef. Une Chambre des crimes de guerre du Tribunal d'État a été créée pouvoir assurer la poursuite
efficace des crimes de guerre en Bosnie.210
La Chambre des crimes de guerre, basée à Sarajevo, découle d'une initiative commune du TPIY et du Bureau
du Haut Représentant, dont la tâche est de superviser l'aspect civil de l'Accord de Paix de Dayton au nom de la
communauté internationale. Elle est officiellement entrée en fonction le 9 mars 2005. La Chambre remplit le
rôle de tribunal national auquel le TPIY peut référer des affaires à l'encontre d'auteurs de crimes de bas à mirang, mais qui traite également des affaires intentées localement.211 La Chambre opère au sein de la Division
207
208
Voir règlement MINUK 2000/6, UNMIK/REG/2000/6 (15 février 2000) ; règlement MINUK 2000/34, UNMIK/REG/2000/34 (27 mai 2000).
Règlement MINUK 2000/64, UNMIK/REG/2000/64 (15 décembre 15 2000) (amendé par le règlement MINUK 2001/34, UNMIK/REG/2001/34 (15
décembre 2001) ; Règlement MINUK 2005/50, UNMIK/REG/2005/50 (12 décembre 2005) ; Règlement MINUK 2006/60, UNMIK/REG/2006/60 (23
décembre 2006) ; Règlement MINUK 2007/21, UNMIK/REG/2007/21 (29 juin 2007).
209Voir
Règlement MINUK 2003/25, UNMIK/REG/2003/25 (6 juillet 2003) ; Règlement MINUK 2003/26, UNMIK/REG/2003/26 (6 juillet 2003).
210 La Chambre des crimes de guerre a été créée dans l'une des entités de Bosnie-Herzégovine, à savoir la Fédération de Bosnie-et-Herzégovine.
211 Loi sur le transfert des affaires du TPIY au bureau du procureur de la Bosnie-Herzégovine et l'utilisation des preuves recueillies par le TPIY dans les
poursuites portées devant les tribunaux de Bosnie-Herzégovine, Journal officiel de Bosnie-Herzégovine, No 61/04, disponible à <www.subbih.gov.
ba>, site consulté le 5 novembre 2009.
Manuel du droit pénal international
73
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
pénale du Tribunal d'État de Bosnie, aux côtés des Chambres de la criminalité organisée et de la criminalité
générale. Cette Chambre est principalement considérée comme institution nationale, bien qu'elle comporte un
élément international important.
Elle opère en vertu du droit national, composé d'un nouveau code pénal et d'un nouveau code de procédure
pénale introduits par le Bureau du Haut Représentant en 2003.212 Le code pénal définit le génocide, les crimes
contre l'humanité, les crimes de guerre et les principes généraux du droit pénal. La compétence de la Chambre
porte exclusivement sur les crimes de guerre les plus graves en Bosnie, les autres affaires étant traitées par les
tribunaux de district ou cantonaux. La Chambre est composée de juges et procureurs internationaux, d'avocats
de la défense et d'autres effectifs de soutien. Le bureau du procureur compte un service spécial pour les crimes
de guerre. Chaque collège se compose de deux juges internationaux et d'un juge local. Conformément à la
stratégie arrêtée en vue d'assurer la transition, les juges internationaux vont être amenés à se retirer et d'ici la
fin 2009, la Chambre ne comptera plus aucun juge international.
La Chambre des crimes de guerre en Serbie
En 2003, la Serbie a créé une Chambre des crimes de guerre spécialisée du Tribunal de district de Belgrade,
avec un Bureau du procureur des crimes de guerres, afin de poursuivre et d'enquêter les crimes contre
l'humanité et les autres violations graves du droit international humanitaire, ainsi défini dans le droit serbe.213
Bien que cette Chambre ait été créée avec l'aide internationale, principalement l'Organisation pour la
sécurité et la coopération en Europe, elle reste une institution nationale à part entière. La Chambre consiste
en deux collèges de trois juges chacun, chacun sélectionné au sein du Tribunal de district de Belgrade ou
détachés d'autres tribunaux, et de deux juges d'instruction. Le président du Tribunal de district de Belgrade
est également le président de la Chambre des crimes de guerre. La compétence de la Chambre s'étend aux
crimes commis n'importe où dans l'ex-Yougoslavie, quelle que soit la citoyenneté des auteurs de crimes
ou des victimes. Le TPIY a également référé quelques affaires à la Chambre, dans le cadre de sa stratégie
d'achèvement.
Le Haut Tribunal irakien
Le régime de Saddam Hussein en Irak, qui a duré plus de 35 ans, se caractérisait par des actes de violence
et d'agression farouches à l'encontre des communautés ethniques et religieuses du pays, avec notamment
la destruction de leurs villages, le transfert forcé de minorités ethniques, l'exécution et le massacre de
populations civiles par des bombardements et des armes chimiques. Simultanément à cela, l'Irak était en
guerre contre l'Iran et le Koweït, ce dernier faisant l'objet d'une occupation irakienne. Dans le cadre de ces
guerres, les forces irakiennes auraient violé le droit international humanitaire, particulièrement par l'utilisation
d'armes chimiques dans le cadre d'attaques menées sans discrimination et par l'exécution d'autres atrocités,
notamment des exécutions sommaires, des tortures, viols, disparitions forcées et appropriation de biens de
grande échelle.
En 2003, le régime de Saddam Hussein a été expulsé du pouvoir lorsque les États-Unis et les forces de la
Coalition ont envahi et occupé l'Irak suite à un conflit armé. L'Autorité provisoire de la coalition, autorisée par
le Conseil de Sécurité de l'ONU, a assumé l'administration de l'Irak.214 L'Autorité provisoire de la coalition a
212
213
214
74
Code pénal et code de procédure pénale de Bosnie-Herzégovine, Journal officiel de Bosnie-Herzégovine, No 03/03, disponible à <www.subbih.gov.ba>,
site consulté le 5 novembre 2009.
Loi sur l'organisation et la compétence des autorités gouvernementales dans les poursuites de crimes de guerre, Journal officiel de la République de Serbie,
No 67/2003.
Résolution du CS 1483, Document ONU S/RES/1483 (22 mai 2003) ; Règlement numéro 1 de l'Autorité provisoire de la coalition 1, CPA/REG/16 mai
2003/01 (16 mai 2003).
Manuel du droit pénal international
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
désigné 25 Irakiens à siéger au Conseil du gouvernement irakien.215 et a donné au Conseil l'autorité législative
de promulguer une loi établissant le tribunal pour les crimes les plus graves perpétrés par le régime de Saddam
Hussein depuis sa prise de pouvoir en 1968.216 Le 10 décembre 2003, le Conseil du gouvernement irakien a
approuvé le Statut donnant création au Tribunal spécial irakien.217
A la formation d'un nouveau gouvernement élu en Irak en 2005, l'Assemblée nationale de transition irakienne
a adopté un nouveau statut pour le tribunal, et l'a rebaptisé pour l'appeler la Haute Cour pénale irakienne,
appelée communément le Haut Tribunal irakien.218 La compétence du tribunal couvre certains crimes commis
par des ressortissants irakiens ou des résidents en Irak ou ailleurs entre le 16 juillet 1968, après le coup d'État
du Baath, et le 1er mai 2003, à la fin des hostilités majeures. La compétence en la matière couvre les crimes
de génocide, les crimes contre l'humanité,219 les crimes de guerre et certains crimes en vertu du droit irakien
relatifs à l'abus de pouvoir.220 Les définitions des trois premières catégories sont pratiquement identiques à
celles prévues au Statut de la CPI. Le tribunal a compétence concurrente et principale vis-à-vis des autres
tribunaux irakiens.221
Le tribunal fait partie intégrante du système judiciaire national et est considéré être un tribunal national.
Les juges et procureurs du Haut Tribunal irakien sont tous des ressortissants irakiens. Le tribunal renferme
cependant certains éléments internationaux. Le Statut autorise la désignation par une autorité nationale de
juges non irakiens.222 Des conseillers, observateurs et co-avocats de la défense internationaux sont également
autorisés à travailler au tribunal.223 Par ailleurs, les membres de la coalition se chargent d'en assurer le soutien
financier, la formation, la sécurité et les effectifs.224 Le premier procès, et le plus important, porté devant le
Tribunal a été celui de Saddam Hussein, qui a été condamné à mort pour crimes contre l'humanité et pendu le
30 décembre 2006.
Le procès de Lockerbie
Le 21 décembre 1988, le vol Pan Am No 103 a explosé au-dessus du village de Lockerbie en Écosse. Dans
l'explosion, les 259 passagers et l'équipage ont tous trouvé la mort, ainsi que 11 résidents de Lockerbie. A
la suite des enquêtes, les États-Unis et le Royaume-Uni ont demandé à la Libye de remettre les deux agents
libyens soupçonnés d'avoir causé l'explosion pour qu'ils puissent comparaître en jugement dans l'un des
deux pays. Ils ont également demandé à la Libye d'accepter la responsabilité de l'incident, de révéler toutes
les informations en sa possession et de verser des dédommagements appropriés. Suite au refus de la part de
la Libye de répondre aux requêtes des deux Gouvernements, le Conseil de Sécurité de l'ONU, agissant en
vertu du Chapitre VII, a demandé instamment à la Libye d'accéder à ces requêtes et a imposé des sanctions à
l'encontre de la Libye.225
En 1998, 10 ans après l'explosion, les États-Unis, le Royaume-Uni et la Libye sont parvenus à un compromis
envisageant un procès dans un pays neutre plutôt qu'en Écosse. Il était toutefois convenu que le procès
soit présenté devant un tribunal écossais, appliquant le droit écossais. Plus tard, les Pays-Bas ont accepté
215
216
217
218
219
220
221
222
223
224
225
Règlement numéro 6 de l'Autorité provisoire de la coalition, CPA/REG/13 juillet 2003/06 (13 juillet 2006).
Ordonnance Numéro 48 de l'Autorité provisoire de la coalition sur la délégation d'autorité concernant un Tribunal Spécial irakien, avec l'Annexe A
comportant le Statut du Tribunal spécial irakien, CPA/ORD/9 décembre 2003/48 (9 décembre 2003).
Statut du Tribunal spécial irakien, CPA/ORD/9 décembre 2003/48 (9 décembre 2003) (Annexe A).
Loi sur la Haute Cour pénale irakienne, Loi No 10 de 2005, Journal officiel de la République d'Irak No 4000 (18 octobre 2005).
Article 1(2) de la loi sur la Haute Cour pénale irakienne.
Ces crimes portent sur l'ingérence judiciaire, le gaspillage de ressources nationales et la poursuite de politiques qui relèvent d'une menace d'agression à
l'encontre d'un pays arabe. Article 1(2) et 14 de la loi sur la Haute Cour pénale irakienne.
Article 29 de la loi sur la Haute Cour pénale irakienne.
Article 4 de la loi sur la Haute Cour pénale irakienne.
Voir les Articles 7(-9 et 13 de la loi sur la Haute Cour pénale irakienne.
Robert Cryer et al, An Introduction to International Criminal Law and Procedure (CUP, Cambridge 2007) 2; Bantekas and Nash (n4) 161.
Résolution du CS 748, Document ONU S/RES/748 (31 mars 1992) ; Résolution du CS 883, Document ONU S/RES/883 (11 novembre 1993).
Manuel du droit pénal international
75
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
d'accueillir un procès sur son territoire.226 Le 5 avril 1999, la Libye a remis les accusés aux Pays-Bas. En
réponse, le Conseil de Sécurité de l'ONU a levé toutes les sanctions imposées à l'encontre de la Libye.227 Les
poursuites pénales se sont déroulées à Camp Zeist devant la Haute Cour de justice d'Écosse, composée de trois
juges écossais. Le 31 janvier 2001, la Haute Cour de justice a prononcé son jugement, par la condamnation
d'un des accusés et l'acquittement de l'autre.228
Le 14 mars 2002, le jugement a été confirmé par la Cour d'Appel de la Haute Cour, qui était composée de 5
juges écossais.229 En 2007, la Commission écossaise de réexamen des affaires pénales a autorisé Abdelbaset
Al Megrahi à interjeter appel une deuxième fois contre sa condamnation, en se fondant sur ses constatations
qu'une éventuelle erreur judiciaire aurait eu lieu. Cependant, avant le début de ces deuxièmes procédures en
appel, le 12 août 2009, Megrahi a retiré son appel. Le 20 août 2009, après avoir servi 8 ans et demi de sa peine
à perpétuité, le Gouvernement écossais a relâché Megrahi en invoquant des motifs d'ordre humanitaire en
raison de son état médical.230 Megrahi est rentré en Libye le jour-même.
Le procès Lockerbie relevait une fois encore d'une solution ad hoc destinée à lutter contre l'impunité et
à traduire en justice les personnes responsables de crimes d'intérêt international. Il convient toutefois de
souligner que la Haute Cour de justice d'Écosse n'a pas traité de crimes internationaux mais de crimes
nationaux, puisque les accusés étaient inculpés d'assassinat et que les magistrats ont appliqué le droit national
dans son examen de mise en accusation. Bien que le procès présenté devant la Haute Cour ne fût donc pas un
procès international, il a bel et bien été organisé à un niveau international.
Substitutions possibles aux poursuites pénales
Les Commissions de la vérité
En lieu et place de poursuites pénales devant des organes judiciaires, certains États ont choisi de traiter de
crimes commis en temps de guerre ou de troubles civils en ayant recours à des Commissions de la vérité et
de la réconciliation. La principale fonction de ces commissions vise à aider à l'application de la justice, à la
reconstruction et la réconciliation des sociétés, en enquêtant et enregistrant les atrocités et crimes commis dans
un pays donné, en établissant la responsabilité des auteurs de crimes, en offrant réparation aux victimes et en
avançant des propositions de réforme. Elles peuvent être utilisées comme unique forum pour envisager les
violations, ou elles peuvent s'inscrire en sus de poursuites pénales intentées devant des tribunaux nationaux
ou internationalisés, comme par exemple la Commission de la vérité et de la réconciliation en Sierra Leone.
L'établissement de telles commissions peut s'avérer particulièrement utile, notamment dans les cas où les
auteurs de crimes sont trop nombreux, et où il faudrait trop de temps et d'argent pour organiser des procès
pour l'ensemble des auteurs de crimes.
La Commission sud-africaine de la vérité et de la réconciliation est souvent considérée comme étant un
exemple de Commission de la vérité. Elle a été créée en 1993, suite à la promulgation de la loi sur la
promotion de l'unité et de la réconciliation nationales. Elle comportait trois comités, dont les membres étaient
des gens de grande réputation. Le Comité sur les violations des droits de l'homme a enquêté les violations
de droits de l'homme qui se sont produites entre 1960 et 1994. Le Comité sur l'amnistie était compétent pour
accorder des amnisties aux auteurs de crimes de motivation politique, à condition que l'auteur du crime ait
226
227
228
229
230
76
Accord entre le Gouvernement du et le Gouvernement du Royaume des Pays-Bas concernant un procès écossais aux Pays-Bas (1999) (18 septembre 1998)
38 ILM 926.
Résolution du CS 1192, Document ONU S/RES/1192 (27 août 1998).
L'Avocat de Sa Majesté c/Abdelbaset Ali Mohamed Al-Megrahi et Al Amin Khalifa Fhimah, Décision de la Haute Cour de justice à Camp Zeist (2001)
Affaire No 1475/1999, 40 ILM 611.
Al-Megrahi c/l'Avocat de Sa Majesté, Opinion en appel contre la condamnation, 14 mars 2002 (Appel No C104/01).
D'après les rapports médicaux, Megrahi était atteint d'un cancer de la prostate en phase terminale et il ne lui restait que 3 mois à vivre.
Manuel du droit pénal international
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
pleinement divulgué les faits concernés. Le Comité sur les réparations et la réhabilitation a envisagé les
requêtes de réparation et a formulé des propositions de politique sur la réhabilitation des survivants. Des
Commissions de la vérité ont été instaurées dans plusieurs pays, notamment au Salvador, au Chili, au Timor
oriental, au Liberia, en Argentine, en Sierra Leone et en Corée du Sud.
Amnisties
Une substitution controversée aux poursuites pénales suite à des situations de conflit porte sur l'octroi
d'amnisties. Arguant d'un souhait de promouvoir la réconciliation, il est arrivé que des États accordent des
amnisties par une loi qui empêche d'intenter des poursuites pénales à l'encontre des auteurs de crimes. L'octroi
d'amnisties, souvent par des Commissions de vérité, a été critiqué comme pratique favorisant l'impunité, en
permettant à ce que des crimes restent impunis. Bien qu'elles puissent être un outil efficace dans le cadre d'un
processus de réconciliation, il est généralement considéré que les amnisties ne devraient pas être utilisées dans
le cas de crimes internationaux graves, comme des crimes de génocide, de torture ou des violations graves du
droit international humanitaire, comme des infractions graves des Conventions de Genève de 1949.
La question des amnisties est abordée plus amplement aux Chapitres 4 et 5.
Observations finales
Au cours des 50 dernières années, le droit pénal international a progressivement évolué, particulièrement en ce
qui concerne la création de tribunaux pénaux.
Principaux objectifs des tribunaux pénaux internationaux
• combattre l'impunité et établir la responsabilisation ;
• traduire en justice les responsables au premier chef de crimes internationaux ;
• restaurer et maintenir la paix et la sécurité ;
• aider au processus de réconciliation et de construction de la paix ;
• conduire des procès indépendants et impartiaux, s'accompagnant de pleines garanties d'équité ;
• rendre justice aux victimes et leur donner la parole ;
• empêcher d'autres crimes ;
• servir de registre historique de consignation des événements et des crimes ;
• renforcer l'État de droit ;
• aider à la réforme et à l'établissement d'organes judiciaires nationaux.
Le legs laissé par le procès et le jugement de Nuremberg, notamment par la formulation des principes de
Nuremberg, a influé sur le développement du droit pénal international et de sa pratique, qui a abouti à la
création d'une cour pénale internationale permanente. Les deux tribunaux ad hoc établis par le Conseil de
Sécurité de l'ONU en vue d'offrir une réponse rapide et efficace aux conflits de nature internationale dans le
premier cas, et nationale dans le deuxième, se sont avérés des expériences relativement réussies, apportant une
jurisprudence fort utile tant à titre matériel que procédural. Le Statut du TPIY a servi de modèle au Statut du
Manuel du droit pénal international
77
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
TPIR, qui a son tour a servi de fondement au Statut du TSSL. D'autres tribunaux mixtes et internationalisés
ont repris les Statuts des tribunaux ad hoc, et plus tard de la CPI, ainsi que les principes généraux du droit
pénal international.
L'établissement de tribunaux mixtes dans des situations de post-conflit constitue un moyen efficace de traduire
en justice les responsables de crimes graves, tout particulièrement lorsque le pouvoir judiciaire en place est
dysfonctionnel, corrompu ou partial, et en l'absence de volonté politique ou de financement visant à créer
un tribunal international. L'utilisation du pouvoir judiciaire national, en le soumettant à la supervision et au
soutien de la communauté internationale, peut s'avérer bénéfique au développement du système judiciaire
national, tout en garantissant des procès qui se déroulent avec plus de célérité et à moindres coûts, et en
transférant le savoir et les compétences au pouvoir judiciaire et aux tribunaux locaux. Le fait de traiter des
atrocités passées sur les territoires où les crimes ont été perpétrés peut aider les victimes et les populations
locales à s'engager dans un processus de réconciliation et de construction de la paix.
« La justice est un ingrédient indispensable au processus de réconciliation nationale. Elle est
essentielle à la restauration de relations pacifiques et normales entre des populations qui ont dû vivre
sous un règne de terreur. Elle rompt le cycle de la violence, de la haine et des représailles en-dehors du
cadre judiciaire. C'est ainsi que la Paix et la Justice vont ensemble, main dans la main. »
(Mr Antonio Cassese, ancien président du Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie en
novembre 1995, à la conclusion de l'Accord de Paix de Dayton.)
Exercices et études de cas
Pourquoi avons-nous besoin de tribunaux internationaux et quels sont leur rôle et leur fonction ?
Quel est le legs laissé par les procès de la Deuxième Guerre mondiale ?
Quelle est l'importance de l'affirmation par l'Assemblée Générale des Nations Unies des principes de la Charte
et du jugement de Nuremberg ?
Quels sont les différents moyens possibles de créer un tribunal international et quelles sont les circonstances
qui justifient de chaque modalité ?
Pourquoi les tribunaux ad hoc de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda ont-ils été établis par des résolutions du
Conseil de Sécurité ?
Quel est le principal défi concernant l'établissement et la légalité du TPIY et du TPIR ?
Quelles sont les principales différences à exister entre le TPIY et le TPIR et quelle relation entretiennent-ils
vis-à-vis des tribunaux nationaux ?
Quelles sont les principales différences à exister entre des tribunaux ad hoc et la CPI ?
Quelle est la compétence de la CPI et sa relation avec les tribunaux nationaux ?
Quelles sont les principales caractéristiques des tribunaux « internationalisés » ?
78
Manuel du droit pénal international
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
Quelles formes de tribunaux « internationalisés » existe-t-il et quelles sont leurs caractéristiques ?
Un Etat ou une Commission de la vérité sont-ils autorisés à accorder des amnisties à des auteurs de crimes
graves ?
Quels sont les principaux objectifs des tribunaux pénaux internationaux ?
Étude de cas
Le conflit entre l'Astanie et la Bestanie se poursuit toujours. La communauté internationale est en train
d'envisager comment mettre fin au conflit et traduire en justice les auteurs de crimes internationaux. Les
deux États rejettent toute responsabilité des crimes commis pendant les conflits armés. Tous deux semblent
rechigner à transférer leurs ressortissants soupçonnés de participer à la perpétration de crimes de guerre pour
être poursuivis devant des tribunaux pénaux, qu'ils soient d'envergure nationale ou internationale. L'Astanie
est toutefois partie au Statut de la CPI. La Bestanie n'est pas partie au Statut bien que, avant l'éclatement du
conflit, elle ait fait part de son intention d'être liée par le Statut de la CPI.
En mai 1999, dans le cadre des efforts visant à apporter la paix en Astanie et Bestanie, le colonel Butel a reçu
une amnistie de poursuite de tous délits commis pendant le conflit.
Questions
Envisagez de quelle manière il serait possible de juger des crimes commis pendant le conflit. Qu'envisageriezvous : des poursuites nationales, la création d'un tribunal pénal international ad hoc ou celle d'un tribunal
international de nature hybride ? Veuillez étayer votre choix d'arguments.
La CPI a-t-elle compétence vis-à-vis des crimes commis pendant le conflit ? Si oui, quels sont les crimes qui
pourraient être poursuivis devant la CPI depuis la perspective de la compétence personnelle et territoriale ?
Si hypothétiquement, la Bestanie devenait partie du Statut de la CPI, cela changerait-il la compétence de la
CPI en ce qui concerne les crimes commis pendant le conflit ?
Est-il possible de contester l'amnistie accordée au colonel Butel ? Comment ?
Manuel du droit pénal international
79
Chapitre 2 Évolution historique et la création des tribunaux internationaux
80
Manuel du droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Chapitre 3 – Le droit matériel concernant les crimes
internationaux : Définitions
Objectifs d'apprentissage
Familiariser les participants avec le droit positif sur les crimes internationaux, en particulier les définitions des
termes crimes de guerre, crimes contre l'humanité, génocide, agression et autres crimes internationaux comme
la torture et le terrorisme.
Fournir des connaissances basiques sur les éléments physiques et psychologiques des crimes internationaux et
autres éléments devant être prouvés afin d'établir les responsabilités individuelles de ces crimes.
Questions
Avez-vous au cours de votre carrière de juge, procureur ou avocat été impliqué dans des poursuites criminelles
présupposant qu'un crime international ait été commis ?
Ces poursuites se sont-elles déroulées devant un tribunal international ou national ?
Quel droit positif s'appliquait-il aux poursuites criminelles ?
Si l'affaire a été jugée au niveau national, avez-vous eu recours à tout instrument juridique international ou
précédent de tribunaux internationaux définissant les crimes internationaux ?
Avez-vous rencontré des problèmes concernant le droit positif sur les crimes internationaux, j'entends des
lacunes ou imprécisions dans leurs définitions ?
Comment se sont terminées ces poursuites ?
Introduction
Il est plus facile de fournir une liste de crimes internationaux que de proposer une définition exhaustive. Les
crimes internationaux fondamentaux relèvent de l'agression, du génocide, de crimes contre l'humanité et de
crimes de guerre. Ce sont ces crimes qui donnent lieu à des poursuites (sauf exceptions) devant les tribunaux
internationaux mentionnés dans le chapitre précédent. En raison de sa nature politique, l'agression est de loin
le crime le plus controversé, et il donne donc bien moins souvent lieu à des poursuites que les autres crimes
internationaux.
S'il est relativement aisé de dresser une liste des divers crimes internationaux, il est plus difficile de les
définir. Afin de mieux comprendre ces termes, il est nécessaire de dresser la généalogie de l'évolution et de
l'élaboration de chacun de ces termes. Il nous faut donc prendre en compte les notions de droit humanitaire
international (jus in bello), jus ad bellum, de droit relatif aux droits de l'homme et de droit pénal international,
de comprendre leurs sources et d'observer comment ces types de droit sont tous mêlés.
Par exemple, pour illustrer ce recoupement, les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité peuvent se
recouper, car un massacre de civils durant un conflit armé constituerait les deux à la fois. Cependant, il existe
des différences importantes entre ces deux types de crimes. En particulier, contrairement aux crimes de guerre,
les crimes contre l'humanité peuvent également survenir en l'absence de conflit armé. D'autre part, un crime
contre l'humanité doit être commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, tandis qu'un crime
de guerre peut être unique et isolé. Les crimes contre l'humanité sont des actions le plus souvent dirigées
Manuel de droit pénal international
81
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
contre une population de civils, alors que les crimes de guerre touchent les comportements sur le champ de
bataille ou contre des objectifs militaires.231
Le génocide est une notion relativement récente. Le terme apparaît en 1945. Au début, le génocide est
considéré comme une catégorie des crimes contre l'humanité, c'est-à-dire un crime contre l'humanité commis
dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant
que tel. Il s'agit donc d'une forme grave de crime contre l'humanité. Dans la deuxième moitié de siècle
suivante, cependant, la définition de gé nocide en vient à prendre un sens propre à lui-même jusqu'à ce que
ses caractéristiques ne correspondent plus tout à fait à celles des crimes contre l'humanité. Ces deux types de
crimes demeurent cependant très proches.
Le présent chapitre traitera également de la torture et du terrorisme en tant que crimes internationaux. La
torture et le terrorisme ne sont pas actuellement considérés comme crimes fondamentaux et ils ne tombent pas
en soi sous le coup des tribunaux internationaux. Cependant, la torture et le terrorisme peuvent donner lieu à
des poursuites devant les tribunaux internationaux en tant que crime sous-jacent dans une affaire concernant
l'un des crimes fondamentaux (crimes contre l'humanité et crimes de guerre), même s'ils ne peuvent pas
donner lieu à des poursuites directement. Dans le présent chapitre, la torture et le terrorisme seront étudiés en
tant que crimes internationaux séparés.
Ce chapitre a donc pour objectif de définir et analyser les caractéristiques des crimes internationaux, en faisant
particulièrement attention à l'explication de ces crimes dans la législation et les précédents du TPIY, du TPIR,
du TSSL et de la CPI (notamment les Éléments des crimes de la CPI) et d'examiner certaines des problèmes
(complexes) posés par la poursuite en justice de ces crimes.
Les crimes de guerre
Introduction
Les crimes de guerre peuvent être définis comme des violations graves des lois et usages des conflits armés ou
du droit humanitaire international.232 En d'autres termes, les règles relatives au droit humanitaire international,
en partie en tout cas, font l'objet d'une pénalisation dans le droit des crimes de guerre. Etant donné ce lien
avec le droit humanitaire international, le présent chapitre commencera par présenter brièvement le droit
humanitaire international. On verra ensuite une chronologie de l'émergence et de l'évolution de la notion de
crimes de guerre. Pour finir, on traitera du droit relatif aux crimes de guerre, ainsi que les éléments liés à cette
notion et les infractions particulières qui y sont associées. Dans tout le chapitre, on soulignera la démarche
adoptée par la CPI.
231
232
82
Cryer et al (n4) 190.
Cryer et al (n4) 221 ; Antonio Cassese, International Criminal Law (2e éd. OUP, Oxford 2008) 81.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Le droit international humanitaire
Qu'est-ce que le droit international humanitaire ?
Comme on l'a vu au chapitre 1, le droit humanitaire international, également appelé droit de guerre ou droit
des conflits armés (jus in bello) est l'ensemble des lois qui vise pour des raisons humanitaires à limiter les
souffrances créées par la guerre et de soulager ses effets en protégeant et en aidant ses victimes autant que
possible. Le droit humanitaire international, cependant, ne dicte pas si un État peut recourir à l'usage de la
force, ni quand ( jus ad bellum). Par conséquent, la question de savoir si le recours à la force était justifié ou
légal n'a aucun rapport avec la mise en application du droit humanitaire international dans un conflit armé.
Qu'est-ce que le droit international humanitaire (DIH) ?
• Le DIH est un ensemble de règlements qui imposent des limites à l'usage d'armes et de méthodes de
guerre ;
• Le DIH protège les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités ;
• Le DIH vise à protéger la dignité humaine et à réduire les souffrances subies en temps de guerre.
Dans le passé, les combattants ont toujours été limités dans leur manière de conduire des conflits armés.
Par exemple, à travers des traités ou accords, la législation du territoire ou un édit religieux, ou d'anciens
moeurs et usages. Cependant, ces règles et usages ont beaucoup changé selon l'époque, car il n'y a jamais
eu un ensemble de règles universellement reconnu régissant les conflits armés. La codification universelle
du droit international humanitaire commence au XIXe siècle. Depuis, les États ont convenu d'une série
de règles pratiques, qui visent à doser les inquiétudes humanitaires d'un côté et les exigences militaires de
l'autre.
Le droit humanitaire et les droits de l'homme
Le droit humanitaire vise le même objectif que le droit lié aux droits de l'homme : protéger les droits
fondamentaux des personnes, en particulier les vies, la santé et la dignité de ces personnes. Le droit humanitaire
ne s'applique qu'aux situations de conflits armés, alors que les droits de l'homme protègent les personnes à
tout moment, en temps de guerre comme en temps de paix. Cependant, certains traités concernant les droits
de l'homme permettant aux gouvernements de déroger à certains droits en cas d'urgence publique. Aucune
dérogation n'est permise dans le droit international humanitaire, car celui-ci a été conçu pour des situations
d'urgence, à savoir les conflits armés.233
Dans son avis consultatif sur les Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans les territoires occupés
palestiniens, la Cour internationale de justice a statué que234
La Cour considère que la protection offerte par les conventions sur les droits de l'homme ne cesse pas d'exister en cas de conflit
armé, à l'exception des dispositions d'exonération du type trouvé dans l'Article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et
politiques. En ce qui concerne les relations entre le droit international humanitaire et le droit relatif aux droits de l'homme, il existe
trois situations possibles : certains droits et privilèges relèvent exclusivement du droit international humanitaire. D'autres relèvent
233
234
Comité International de la Croix-Rouge, Droit international humanitaire : Réponses à vos questions (Comité International de la Croix-Rouge, Genève
2004) 36.
Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans les territoires occupés palestiniens (avis consultatif) [2004] ICJ Rep 136, para (106).
Manuel de droit pénal international
83
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
seulement du droit relatif aux droits de l'homme. D'autres encore relèvent de ces deux branches du droit international. Afin de
répondre aux questions qui lui sont posées, la Cour devra prendre en compte ces deux branches du droit international, à savoir le
droit relatif aux droits de l'homme et, en tant que lex specialis, le droit international humanitaire.
Le droit humanitaire et les droits de l'homme se chevauchent donc. Ils sont tous deux appliqués durant
les périodes de conflits armés, bien que les droits de l'homme soient également valides en temps de paix.
Cependant, le droit humanitaire est un ensemble spécialisé du droit relatif aux droits de l'homme et il est donc
appliqué comme lex specialis. Il existe une différence importante entre ces deux branches du droit : le droit
international humanitaire présuppose un certain niveau de réciprocité, en ce qu'un traité de droit de la guerre
ne s'appliquent qu'aux États qui en sont signataires, tandis qu'un traité des droits de l'homme concerne tout
État couvert, quoi que fassent les autres États.235
Sources du droit international humanitaire
Le droit international humanitaire est défini par les accords entre les États (traités ou conventions), le droit
coutumier (pratiques considérées par les États comme étant de force obligatoire), et les principes généraux.
La première tentative de codifier les règles et usages en existence en temps de guerre a été faite par Francis
Lieber, un professeur de droit de l'Université de Columbia à New York. Cependant, ce Code, appelé « Lieber
Code » ou « Instructions de Lieber », n’avait pas le statut d'un traité à proprement parler, car il était réservé
à l'usage des soldats de l'Union combattant durant la Guerre de Sécession (1861–1865). Abraham Lincoln, le
Président des États-Unis, dissémine le texte révisé par un conseil des officiers, sous le titre « Instructions for
the Government of Armies of the United States in the Field », Ordre général No 100, daté du 24 avril 1863.
Bien que ces instructions ne soient applicables qu'à l'armée des États-Unis, elles correspondent largement aux
règles et usages en vigueur à l'époque.236
Un an plus tard, en 1864, le premier traité sur la protection des victimes des conflits militaires est rédigé et
signé à Genève, intitulé la Convention de Genève pour l'amélioration du sort des forces armées blessées en
campagne.237 Des avancées importantes dans l'évolution du droit international humanitaire sont faites durant
la Première et la Deuxième Conférences de la paix à La Haye en 1899 et 1907. Ces conférences produisent
l'un des codes les plus exhaustifs jamais rédigé, à savoir les Conventions de La Haye de 1899 et 1907,
respectivement, qui imposent des limitations sur les moyens et méthodes par lesquels les États belligérants
conduisent la guerre.238
La Convention de Genève de 1864 a été révisée et élargie par les Conventions de Genève de 1906 et 1929 et
par le Protocole de Genève de 1925.239 Suite aux atrocités survenues durant la Première et la Seconde Guerres
mondiales, les Conventions de Genève ont été mises à jour à travers quatre nouvelles Conventions en 1949
afin de fournir des protections supplémentaires :
235
236
237
238
239
84
Christopher Greenwood, « The Law of War (International Humanitarian Law) », in Malcolm D Evans (ed), International Law (Ashgate, Farnham 2003)
789, 790–791.
Dietrich Schindler et Jiří Toman, The Laws of Armed Conflicts : A Collection of Conventions, Resolutions and other Documents (3e éd. Nijhoff, Dordrecht
1988) 3–23.
Geneva Convention for the Amelioration of the Condition of the Wounded in Armies in the Field, (22 août 1862), réimprimé par Schindler and Toman
(n236) 279–283.
Les conventions de La Haye de 1899 et 1907 ont été réimprimées par Schindler and Toman (n236) 279–283, 301–312, 339–366.
Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et malades dans les armées en campagne (6 juillet 1906) ; Convention de Genève relative
tau traitement des prisonniers de guerre (27 juillet 1929) ; Protocole de Genève concernant la prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques
ou similaires et de moyens bactériologiques (17 juin 1925) ; conventions et protocole ont été réimprimés par Schindler and Toman (n236) 279–283,
301–312, 339–366.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
• Amélioration du sort des blessés et malades dans les forces armées en campagne
(Convention de Genève I) ;240
• Amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer (Convention de
Genève II) ;241
• Traitement des prisonniers de guerre (Convention de Genève III) ;242
• Protection des personnes civiles en temps de guerre (Convention de Genève IV).243
Les conventions de Genève sont encore mises à jour par le biais de deux protocoles en 1977, ce qui renforce la
protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole additionnel I),244 et des conflits armés non
internationaux (Protocole additionnel II).245
Pour résumer, le droit international humanitaire, également appelé droit de guerre ou droit des conflits armés,
peut être divisé en deux branches :
Les deux branches du droit international humanitaire
• « Droit de Genève » conçu pour protéger le personnel militaire ne participant plus aux conflits
(blessé, naufragé ou malade) et les personnes ne participant pas aux hostilités (civils, personnel
médical et religieux) ;
• « Droit de La Haye » établissant les droits et obligations des participants aux conflits concernant
leur conduite des opérations et limitant le choix de méthodes (tactiques militaires) et de moyens
(armes) utilisés dans le conflit.
Le droit de Genève est la législation comprenant les Conventions de Genève de 1864, 1906 et 1929, et les
textes leur succédant, les quatre Conventions de Genève de 1949. Les deux Protocoles additionnels de 1977
complètent les Conventions de 1949 sans les abroger.
Le droit de La Haye est la législation comprenant les Conventions de La Haye de 1899 et 1907, en particulier
la Convention de 1899 (II) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et la Convention de La Haye
de 1907 (IV) relative aux lois et coutumes de la guerre sur terre envers les règles an annexe du document.246
La plus grande partie du droit de La Haye a été intégrée dans les Protocoles additionnels de 1977, où elle est
discutée plus en détails. Si elles ne sont pas intégrées à ce texte, les dispositions du droit de La Haye sont
encore applicables.247
240
241
242
243
244
245
246
247
Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés et malades dans les forces armées en campagne (12 août 1949) 75 UNTS 35.
Convention de Genève sur l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer (12 août 1949) 75 UNTS 81.
Convention de Genève sur le traitement des prisonniers de guerre (12 août 1949) 75 UNTS 135.
Convention de Genève sur la protection des personnes civiles en temps de guerre (12 août 1949) 75 UNTS 287.
Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949, relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole
additionnel I) (8 juin 1977) 1125 UNTS 3.
Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949, relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole
additionnel II) (8 juin 1977) 1125 UNTS 609.
La Convention de La Haye (II) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et la Convention de La Haye de 1907 (IV) relative aux lois et
coutumes de la guerre sur terre ont toutes deux été réimprimées par Schindler and Toman (n236) 63–98.
Karl Josef Partsch, « Humanitarian Law and Armed Conflict », in 2 Encyclopaedia of Public International Law (Rudolf Bernhardt (ed), North Holland
Publishing Co, Amsterdam 1995) 933, 934–935 ; Comité international de la Croix-Rouge, Droit international humanitaire : Réponses à vos questions
(Comité international de la Croix-Rouge, Genève 2004) 5, disponible sur <www.icrc.org/web/eng/siteeng0.nsf/htmlall/p0703> accédé le 30 novembre
2009.
Manuel de droit pénal international
85
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Le droit de Genève et le droit de La Haye se chevauchent et ont donc fusionné avec le temps pour
former un système unique et complexe appelé le droit international humanitaire. Ces liens trouvent
leur expression dans les dispositions des Protocoles additionnels de 1977, qui mêlent les deux banches
du droit international humanitaire.
Les dispositions des Conventions de La Haye de 1899 et 1907 et beaucoup de celles des Conventions de
Genève de 1949 sont aujourd'hui reconnues comme relevant du droit coutumier et s'appliquent donc toujours,
que les participants aux conflits aient ou non ratifié ces conventions. Quant aux Protocoles additionnels de
1977, seules quelques dispositions sont reconnues comme faisant partie du droit coutumier.248
D'autres conventions et protocoles ont été adoptés afin de renforcer la protection offerte par le droit
international humanitaire et l'interdiction ou la règlementation de certaines armes :249
• La Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé ;250
• La Convention de 1972 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage d'armes
chimiques et bactériologiques (biologiques), ainsi que leur destruction ;251
• La Convention de 1980 sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques qui
peuvent être considérées comme produisant des effets traumatiques excessifs ou comme frappant sans
discrimination (ci-après appelée CCAC),252 et ses trois Protocoles ;253
• La Convention de 1993 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage d'armes
chimiques ainsi que leur destruction ;254
• Le Protocole de 1995 relatif aux armes à laser aveuglantes (Protocole IV de la CCAC de 1980) ;255
• Le Protocole sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi des mines, pièges et autres dispositifs, amendé le
3 mai 1996 (Protocole II (révisé) de la CCAC de 1980) ;256
• La Convention de 1997 sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage de mines
antipersonnel ainsi que leur destruction ;257
• Le statut de la CPI de 1998 ;258
248
249
250
251
252
253
254
255
256
257
258
86
Theodor Meron, Human Rights and Humanitarian Norms as Customary Law (OUP, Oxford 1989) 41–78.
Comité International de la Croix-Rouge, Droit international humanitaire : Réponses à vos questions (n247) 10–11.
La Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (14 mai 1954) 249 UNTS 240.
La Convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage d'armes chimiques et bactériologiques (biologiques), ainsi que leur
destruction (10 avril 1972) 1015 UNTS 163 ; 11 ILM 309 (1972).
La Convention sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi de certaines armes classiques qui peuvent être considérées comme produisant des effets
traumatiques excessifs ou comme frappant sans discrimination (10 oct. 1980) (ci-après appelée CCAC). 19 ILM 1823 (1980).
Protocole relatif aux éclats non localisables (10 oct. 1980) 1342 UNTS 168, 19 ILM 1529 (1980) ; Protocole sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi
des armes incendiaires (10 avril 1981) ; Protocole relatif aux restes explosifs de guerre (28 nov. 2003).
La Convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage d'armes chimiques ainsi que leur destruction (13 jan. 1993) 1974
UNTS 45; 32 ILM 800 (1993).
Le Protocole relatif aux armes à laser aveuglantes (13 oct. 1955) 35 ILM 1218 (1996).
Le Protocole sur l'interdiction ou la limitation de l'emploi des mines, pièges et autres dispositifs, amendé le 3 mai 1996 (5 mai 1996)
35 ILM 1209 (1996).
La Convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication et du stockage de mines antipersonnel ainsi que leur destruction (18 sep. 1997) 2056
UNTS 241; 36 ILM 1507 (1997).
Le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (17 juillet 1998) (ci-après appelé le Statut de la CPI). DOC ONU A/CONF.183/9.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
• Le Protocole de 1999 de la Convention de 1954 sur les biens culturels ;259
• Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant l'implication d'enfants dans
les conflits armés ;260
• Amendement de l'Article 1 de la CCAC.261
Champ d'application du droit international humanitaire
Le droit international humanitaire ne s'applique normalement qu'en cas de conflit armé. Le droit international
humanitaire, par conséquent, ne s'appliquent pas aux situations de troubles et tensions internes, telles que
les émeutes, actes de violence isolés ou sporadiques, ou autre actes de même nature. En ce qui concerne les
conflits armés, le droit international humanitaire fait la distinction entre les conflits armés internationaux et
non-internationaux (guerres civiles).
Conflits armés internationaux : combats entre les forces armées d'au moins deux États. Les guerres
d'indépendance nationale, définies dans l'Article 1 du Protocole I, sont classées comme des conflits
armés internationaux.
Conflits armés non-internationaux : combats sur un territoire entre les forces armées usuelles et des
groupes armés reconnaissables, ou entre des groupes armés entre eux. Pour être reconnu comme un
conflit armé non international, les combats doivent atteindre un certain niveau d'intensité et durer
pendant une durée précise.
Troubles internes : troubles graves de la paix internes provoqués par des actes de violence, mais qui
ne constituent pas un conflit armé (ex émeutes, luttes intestines ou contre les autorités).262
Le droit international humanitaire s'appliquant aux conflits armés internationaux n'est pas le même que celui qui
s'applique aux conflits armés non-internationaux. La définition des lois et principes qui s'appliquent à la situation
dépend donc de la classification du conflit. Les conflits armés internationaux sont soumis à de nombreuses règles,
notamment celles définies dans les quatre Conventions de Genève et le Protocole additionnel I. Une plage de
règles plus limitée s'applique aux conflits armés internes et elle est définie à l'Article 3 des quatre Conventions de
Genève (en commun) ainsi que dans le Protocole additionnel II. Il faut noter que les conditions d'application du
Protocole II sont plus strictes que celles de l'Article 3 commun.263
Le droit international humanitaire prend effet une fois que le conflit a commencé, et s'appliquera de
manière égale de chaque côté.
259
260
261
262
263
Le Protocole de la Convention de 1954 sur les biens culturels (14 mai 1954) 249 UNTS 358.
Protocole facultatif à la Convention relative aux droits de l'enfant, concernant l'implication d'enfants dans les conflits armés, Rés. GA 54/263, Annexe I,
doc ONU A/54/49 (25 mai 2000).
Amendements de l'Article 1 de la CCAC (21 déc. 2001).
Comité International de la Croix-Rouge, Droit international humanitaire : Réponses à vos questions (n247) 5.
Ibid, 16.
Manuel de droit pénal international
87
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Le droit international humanitaire prend effet une fois que le conflit a commencé. Le commencement d'un
conflit relève du fait. Une déclaration formelle de guerre n'est donc pas nécessaire pour lancer l'application du
droit international humanitaire, tant qu'un conflit armé existe de fait. De plus le droit international humanitaire
s'applique également à toutes les parties en conflit, quelles que soient les raisons du conflit et que la cause
soutenue par les parties soit juste ou non. Les règles du droit international humanitaire doivent être respectées
dans tous les cas et pour toutes les personnes protégées par ces règles, sans discrimination.
Principes généraux du droit international humanitaire
Les principes généraux peuvent être récapitulés ainsi :264
• Protection des non-combattants : Les non-combattants ne doivent pas être mis en danger. Cette
interdiction protège les civils et le personnel militaire hors de combat en raison de blessures, maladie,
naufrage, détention, ou parce qu'il s'est rendu ;
• Principe de distinction : les combattants doivent faire la différence entre les cibles militaires et civiles et
n'attaquer que les cibles militaires ;
• Principe de proportionnalité : les combattants doivent tenter d'éviter ou de minimiser les dommages
collatéraux civils, et n'ont pas le droit de procéder à des actes causant des dommages civils excessifs (par
exemple, dommages à long terme sur l'environnement) ;
• Principe d'humanité et de nécessités : certaines limites existent concernant les moyens et méthodes
de guerre et permettant de réduire ou d'éliminer les blessures ou souffrances inutiles(ex interdiction de
l'emploi des armes bactériologiques ou chimiques).
En 1899, Fyodor de Martens, fameux juriste et délégué russe à la Conférence de la paix de La Haye de 1899,
pose les principes fondamentaux suivants, pour les situations non couvertes par le droit humanitaire, conçues
pour combler les lacunes entre les dispositions expresses du droit des traités et les notions d'humanité de
base :265
Clause de Martens
« En attendant qu'un code plus complet des lois de la guerre puisse être édicté, les Hautes Parties
contractantes jugent opportun de constater que, dans les cas non compris dans les dispositions
réglementaires adoptées par elles, les populations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous
l'empire des principes du droit des gens, tels qu'ils résultent des usages établis entre nations civilisées,
des lois de l'humanité et des exigences de la conscience publique. »
Ce principe, considéré comme faisant partie du droit coutumier, apparaît à l'Article 1(2) du Protocole
additionnel I de 1977.
264
265
88
Cryer et al (n4) 223.
Le texte est inclus pour la première fois dans la Convention de La Haye (II) de 1899 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre puis dans la
version corrigée de la Convention de La Haye de 1907 (IV) relative aux lois et coutumes de la guerre sur terre. Voir le Préambule des conventions de La
Haye de 1899 et 1907 sur la guerre sur terre, réimprimées parSchindler and Toman (n236) 79.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Protocole additionnel de 1977, Article 1(2)
« Dans les cas non prévus par le présent Protocole ou par d'autres accords internationaux, les
personnes civiles et les combattants restent sous la sauvegarde et sous l'empire des principes du droit
des gens, tels qu'ils résultent des usages établis, des principes de l'humanité et des exigences de la
conscience publique. »
Les règles les plus fondamentales du droit international humanitaire
Les Conventions de Genève et les Protocoles additionnels reposent sur sept règles fondamentales :266
• Les personnes mises hors de combat et celles qui ne participent pas directement aux hostilités ont droit au
respect de leur vie et de leur intégrité physique et morale. Ces personnes seront, en toutes circonstances,
protégées et traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable.
• Il est interdit de tuer ou de blesser un adversaire qui se rend ou qui est hors de combat.
• Les blessés et les malades seront recueillis et soignés par la partie au conflit qui les aura en son pouvoir.
La protection couvre également le personnel sanitaire, les établissements, moyens de transport et matériel
sanitaires. L'emblème de la croix rouge ou du croissant rouge est le signe de cette protection et doit être
respecté.
• Les combattants capturés et les civils qui se trouvent sous l'autorité de la partie adverse ont droit au respect
de leur vie, de leur dignité, de leurs droits personnels et de leurs convictions. Ils seront protégés contre
tout acte de violence et de représailles. Ils auront le droit d'échanger des nouvelles avec leurs familles et de
recevoir des secours.
• Toute personne bénéficiera des garanties judiciaires fondamentales. Nul ne sera tenu pour responsable d'un
acte qu'il n'a pas commis. Nul ne sera soumis à la torture physique ou mentale, ni à des peines corporelles
ou traitements cruels ou dégradants.
• Les parties au conflit et les membres de leurs forces armées n'ont pas un droit illimité quant aux choix
des méthodes et des moyens de guerre. Il est interdit d'employer des armes ou des méthodes de guerre de
nature à causer des pertes inutiles ou des souffrances excessives.
• Les parties au conflit feront, en tout temps, la distinction entre la population civile et les combattants, de
façon à épargner la population et les biens civils. Ni la population civile en tant que telle, ni les personnes
civiles ne doivent être l'objet d'attaques. Les attaques ne seront dirigées que contre les objectifs militaires.
266
Comité International de la Croix-Rouge, Règles fondamentales des Conventions de Genève et de leurs Protocoles additionnels (2e éd.Comité International
de la Croix-Rouge, Genève1988).
Manuel de droit pénal international
89
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Le développement de la notion de crimes de guerre
Comme on l'a vu plus haut, un certain nombre de règles ont été mises au point dans le cadre du droit
international humanitaire concernant le comportement des participants aux conflits armés. Cependant, ceci ne
signifie pas que toute violation du droit international humanitaire représente un crime de guerre. Les crimes de
guerre ne concernent que la responsabilité pénale de violations graves du droit international humanitaire. Les
crimes de guerre représentent donc des règles secondaires qui pénalisent une partie des règles de base sur les
comportements interdits durant les conflits armés.267 La question est alors de savoir quelles violations relèvent
des crimes de guerre.
Un aperçu de la chronologie de la notion de crime de guerre permet de commencer à comprendre quelles
violations relèvent de la faute pénale. Ce chapitre offre donc une perspective sur les développements
principaux relatifs à la notion de crime de guerre, en soulignant les différentes tentatives de codification de
cette notion. Dans ce cadre, on présentera aussi une description des différents types d'actes ayant constitué
par le passé des crimes de guerre. Suivra ensuite une discussion des principaux éléments des crimes de guerre
selon le droit international.
Première Guerre mondiale : le Traité de Versailles
Les premières avancées de la notion de crime de guerre dans le cadre du droit international remontent à la
Première Guerre mondiale. Bien que cette guerre ait engendré d'innombrables atrocités de tous les côtés du
conflit, la pénalisation de ces atrocités fut limitée dans le cadre du Traité de Versailles aux actions des forces
allemandes et austro-hongroises et de leurs alliés. Ainsi, l'Article 228 du Traité de Versailles stipule que
le gouvernement allemand reconnaît aux puissances alliées et associées la liberté de traduire devant leurs
tribunaux militaires les « personnes accusées d'avoir commis des actes contraires aux lois et coutumes de la
guerre » :
Le Gouvernement allemand reconnaît aux puissances alliées et associées la liberté de traduire devant leurs tribunaux militaires les
personnes accusées d'avoir commis des actes contraires aux lois et coutumes de la guerre. Les peines prévues par les lois seront
appliquées aux personnes reconnues coupables. Cette disposition s'appliquera nonobstant toutes procédures ou poursuites devant
une juridiction de l'Allemagne ou de ses alliés.268
Les Forces alliées ont demandé la poursuite en justice de 900 membres de l'armée ennemie pour violation des lois et
coutumes de la guerre, mais seul un petit nombre d'entre eux a fini par être déclaré coupable (voir Chapitre 2).
Le Traité de Versailles marque la première tentative de pénaliser dans le cadre du droit international les
violations des lois et coutumes des conflits armés. La Convention de La Haye de 1907 (IV) relative aux lois et
coutumes de la guerre sur terre269 est à la base du droit international pour les infractions du Traité de Versailles.
De plus, l'Article 228 du Traité de Versailles a aussi joué un rôle important dans ses efforts pour faire
appliquer les lois et traités internationaux à la source de la responsabilité pénale de chacun, en particulier du
fait que les rédacteurs de la Convention de La Haye de 1907 n'ont sûrement pas envisagé que les dispositions
dépassent la responsabilité des États.
267
268
269
90
Michael Bothe, « War Crimes », inAntonio Cassese, Paola Gaeta and John R W D Jones (eds), The Rome Statute of the International Criminal Court : A
Commentary (OUP, Oxford 2002) 379, 381.
Voir Traité de Versailles (28 juin 1919) signé par les puissances allemandes et les Forces alliées au Palais de Versailles, Fondation Carnegie pour la paix
internationale, New York (1924) disponible sur <http://avalon.law.yale.edu/subject_menus/versailles_menu.asp> accédé le 1er novembre 2008.
Convention de La Haye (IV) relative aux lois et coutumes de la guerre sur terre et son annexe : Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur
terre (18 oct. 1907) 36 Stat 2277, 1 Bevans 631.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
L'un des points les plus controversés du Traité de Versailles, cependant, est qu'il ne donne pas de définition
précise des violations considérées comme criminelles. Il est donc difficile de savoir avec certitude quelles
violations des lois et coutumes de la guerre représentent en fait des actes criminels en vertu du Traité.
Toutefois, l'Article 228 du Traité de Versailles énonce clairement pour la première fois que certaines violations
des lois des conflits armés peuvent, dans le cadre du droit international, représenter des crimes de guerre et
engager la responsabilité de chacun.270
Deuxième Guerre mondiale : les chartes de Nuremberg et de Tokyo
La notion de crimes de guerre a été révisée suite à la Deuxième Guerre mondiale. Les rédacteurs des Chartes
du tribunal de Nuremberg du TMI et du tribunal de Tokyo du TMIEO, ont inclus les crimes de guerre dans
les crimes engageant la responsabilité individuelle de chacun. L'Article 6(b) de la Charte du tribunal de
Nuremberg définit les crimes de guerre comme suit :
Les crimes de guerre : c'est-à-dire les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être
limitées, l'assassinat, les mauvais traitements et la déportation pour des travaux forcés ou pour tout autre but, des populations
civiles dans les territoires occupés, l'assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer,
l'exécution des otages, le pillage des biens publics ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation
que ne justifient pas les exigences militaires.271
La Charte de Tokyo, elle, intègre les crimes de guerre à l'Article 5(b) :
Crimes contre les conventions de la guerre : à savoir les violations des lois et coutumes de la guerre ;272
Si ces deux chartes, tout comme le Traité de Versailles, se retiennent de fournir une définition précise des
violations des lois de la guerre, elles proposent par contre des exemples des actes interdits. Cependant,
même avec les exemples d'actes portant atteinte à ces lois contenus à l'Article 6 de la Charte du tribunal de
Nuremberg, on ne sait toujours pas exactement ce qui constitue un crime de guerre. Par exemple, bien que le
meurtre ne soit pas inclus dans les exemples d'actes interdits, il n'est pas clair dans la Charte de Nuremberg
dans quel cas le meurtre constituerait un crime de guerre. C'est-à-dire qu'on ne pourrait considérer que tout
meurtre intentionnel dans le cadre d'une guerre constitue une violation, en particulier comme certains meurtres
sont permis selon les lois et coutumes de la guerre. Les tribunaux militaires ont finalement été chargés
d'approfondir les dispositions sur les crimes de guerre des deux chartes.273
L'un des points les plus critiqués de l'Article 6 de la Charte de Nuremberg et de l'Article 5 de celle de Tokyo
est le fait qu'ils ne reflètent pas le droit international. En particulier, la principale pomme de discorde est le fait
que les Conventions de La Haye et de Genève ne régissent que les actions des gouvernements et ne prennent
pas en compte la responsabilité individuelle de chacun. En rejetant cette perspective, les tribunaux militaires
ont mentionné les règles fondamentales des lois de la guerre, notant que les dispositions des Conventions
de La Haye de 1907 représentaient une déclaration des lois et coutumes existantes de la guerre, et que les
violations de ces règles étaient normalement punies.274
270
271
272
273
274
Voir Yusef Aksar, Implementing International Humanitarian Law (Routledge, Oxford 2004) 72.
Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe et statut du tribunal international
militaire (8 août 1945) 82 UNTS 279 (Annexe).
Charte du tribunal international militaire pour l'Extrême Orient (19 jan. 1946), TIAS No 1589.
Bothe, « War Crimes » (n267) 383.
Voir le procès des otages (procès de Wilhelm List et autres, affaire VII) et le procès du Haut-commandement militaire de la Wehrmacht (procès de
Wilhelm von Leeb et autres, affaire XII), procès pour crimes de guerre avant les tribunaux militaires de Nuremberg en vertu de la loi No 20 du Conseil de
contrôle, Vol X, XII ; voir aussi Bothe, « War Crimes » (n267) 383.
Manuel de droit pénal international
91
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Le tribunal de Nuremberg énonce donc que les crimes de guerre définis à l'Article 6 de sa Charte fait partie
du droit coutumier et que les violations de cette disposition sont passibles de peines.275 Une fois de plus, cette
décision est très importante, étant donné que les règles de La Haye ne définissent pas explicitement que les
violations de leurs dispositions engagent une responsabilité criminelle. Les jugements prononcés à Nuremberg
et Tokyo renforcent l'opinion générale naissante de l'époque selon laquelle certains actes constituent une
violation des règles fondamentales des lois de la guerre, et que les personnes doivent pouvoir rendre compte
de leurs actes, bien que la définition d'un crime de guerre reste encore vague.276
Les Conventions de Genève de 1949 et les protocoles additionnels
Les atrocités commises durant la Deuxième Guerre mondiale ont inspiré le développement des Conventions
de Genève de 1949, de quatre autres conventions pour la protection des victimes des conflits armés. Chaque
Convention de Genève donne une définition de « personnes protégées », les personnes que cherchent
à protéger les dispositions de chaque Convention consécutive. Par exemple, les Conventions I, II et III
définissent les personnes protégées comme des membres des forces armées d'un participant au conflit
international armé, qui ne sont plus engagées dans les hostilités en raison de blessure ou d'une capture. Dans la
Convention IV, les personnes protégées sont définies comme les personnes aux mains d'une nation participant
au conflit et dont ils ne sont pas ressortissants.277
Les Conventions de Genève de 1949 représentent une avancée importante dans les tentatives effectuées pour
codifier la notion de crimes de guerre. Cependant, les Conventions de Genève n'utilisent pas le terme « crimes
de guerre », mais « infractions graves ». Seul l'Article 85(5) du Protocole additionnel I des Conventions
de Genève de 1977 stipule que ces « infractions graves » doivent être considérées comme des « crimes de
guerre ».278 Ensemble, ces quatre Conventions définissent les infractions graves à la Convention de Genève
comme comprenant tout acte suivant sur les biens ou personnes protégées :
l'homicide intentionnel, la torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques, le fait de causer
intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à l'intégrité physique ou à la santé, la déportation ou le
transfert illégaux, la détention illégale, le fait de contraindre une personne protégée à servir dans les forces armées de la Puissance
ennemie, ou celui de la priver de son droit d'être jugée régulièrement et impartialement selon les prescriptions de la présente
Convention, la prise d'otages, la destruction et l'appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et exécutées sur
une grande échelle de façon illicite et arbitraire.279
275
276
277
278
279
92
Voir le procès des otages (procès de Wilhelm List et autres, affaire VII) et le procès du Haut-commandement militaire de la Wehrmacht (procès de
Wilhelm von Leeb et autres, affaire XII), procès pour crimes de guerre avant les tribunaux militaires de Nuremberg en vertu de la loi No 10 du Conseil de
contrôle, Vol X, XI.
Voir Bothe, « War Crimes » (n267) 383.
Voir autres Articles 13, 24, 25, 26 (personnes protégées), 19, 33 à 35 (biens protégés) de la Convention de Genève pour l'l'amélioration du sort des blessés
et malades dans les forces armées en campagne (12 août 1949) 75 UNTS 35 ; Articles 13, 36, 37 (personnes protégées) et 22, 24, 25 et 27 (biens protégé)
de la Convention de Genève pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer (12 août 1949) 75 UNTS 81 ;
Article 4 de la Convention de Genève sur le traitement des prisonniers de guerre (12 août 1949) 75 UNTS 135 ; Articles 4 et 20 (personnes protégées) et
18, 19, 21, 22, 33, 53, 57, etc. (biens protégés) de la Convention de Genève sur la protection des personnes civiles en temps de guerre (12 août 1949) 75
UNTS 287.
Voir Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949, relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux (Protocole I)
(8 juin 1977) 1125 UNTS 3 ; Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non
internationaux (Protocole II) (8 juin 1977) 1125 UNTS 609.
Pour connaître les dispositions des Conventions de Genève définissant les infractions graves, voir Article 50 de la Convention de Genève pour
l'amélioration du sort des blessés et malades dans les forces armées en campagne (12 août 1949) 75 UNTS 35 ; Article 51 de la Convention de Genève
pour l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer (12 août 1949) 75 UNTS 81 ; Article 130 de la Convention
de Genève sur le traitement des prisonniers de guerre (12 août 1949) 75 UNTS 135 ; et Article 147 de la Convention de Genève sur la protection des
personnes civiles en temps de guerre (12 août 1949) 75 UNTS 287.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Les crimes de guerre sont donc les atrocités les plus graves subies par les civils et non combattants. L'Article
85 des Protocoles additionnels I de 1977 (sur les conflits armés internationaux) offre une plus grande précision
sur la notion de crimes de guerre, en y ajoutant une liste supplémentaire d'actes considérés comme des
infractions graves, par exemple :
• soumettre la population civile ou des personnes civiles à une attaque ;
• lancer une attaque sans discrimination atteignant la population civile ou des biens de caractère civil, en
sachant que cette attaque causera des pertes en vies humaines, des blessures aux personnes civiles ou des
dommages aux biens de caractère civil, qui sont excessifs au sens de l'article 57, paragraphe 2 (a) (iii) ;
• lancer une attaque contre des ouvrages ou installations contenant des forces dangereuses, en sachant que
cette attaque causera des pertes en vies humaines, des blessures aux personnes civiles ou des dommages
aux biens de caractère civil, qui sont excessifs au sens de l'article 57, paragraphe 2 (a) (iii) ;
• soumettre à une attaque des localités non défendues et des zones démilitarisées ;
• soumettre une personne à une attaque en la sachant hors de combat ;
• utiliser perfidement, en violation de l'article 37, le signe distinctif de la croix rouge, du croissant rouge ou du
lion et soleil rouges ou d'autres signes protecteurs reconnus par les Conventions ou par le présent Protocole.
L'Article 85 du Protocole additionnel I cependant à limité l'application de ces actes interdits, en exigeant que
les infractions soient commises délibérément et provoquent la mort ou des atteintes graves à la santé. Il est
important de noter que les infractions graves en vertu des Conventions de Genève et du Protocole additionnel
I de 1977 concernent principalement les infractions commises sur les civils ou non combattants, et semblent
limitées, dans le discours utilisé, aux conflits armés de nature internationale. Ainsi, ces dispositions sont dong
généralement considérées comme non applicables aux conflits non internationaux.280
La principale disposition de traité de droit international humanitaire relative aux conflits de nature non
internationale est l'Article 3 commun aux quatre Conventions de Genève de 1949 (« Article commun 3 »),
qui propose des normes de base reconnues comme s'appliquant même en cas de conflit non international. La
règlementation des conflits armés internes dans l'Article commun 3 est élargie par le Protocole additionnel II
de 1977.
L'Article 3 commun stipule que :
les personnes qui ne participent pas directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes
et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention, ou pour toute autre cause, seront, en toutes
circonstances, traitées avec humanité, sans aucune distinction de caractère défavorable basée sur la race, la couleur, la religion ou
la croyance, le sexe, la naissance ou la fortune, ou tout autre critère analogue.
L'Article 3 commun stipule ensuite qu'à cette fin, les actes suivants sont et demeurent interdits concernant les
conflits non internationaux :
• les atteintes portées à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses formes, les
mutilations, les traitements cruels, tortures et supplices ;
• les prises d’otages ;
280
Voir William A Schabas,An Introduction to the International Criminal Court (3e éd CUP, Cambridge 2007) 41.
Manuel de droit pénal international
93
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
• les atteintes à la dignité des personnes, notamment les traitements humiliants et dégradants ;
• les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable, rendu par un
tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme indispensables par les
peuples civilisés.
L'Article 3 commun est considéré comme un « traité miniature » ou une « mini-convention ». Les règles
de l'Article 3 commun sont considérées comme faisant partie du droit coutumier et représentent les normes
de conduite que doivent toujours suivre les belligérants.281 Il est important de noter que dans le passé, les
dispositions de l'Article 3 commun et du Protocole additionnel II ne mentionnaient pas les « infractions
graves ». Par conséquent, elles n'étaient perçues que comme les règles de base du droit international
humanitaire, et ne couvraient pas selon l'opinion générale la notion de responsabilité pénale individuelle.282
Cependant, cette perspective a commencé à changer, comme on va le voir plus loin.
Les Tribunaux pénaux internationaux ad hoc
Le TPIY
Certaines des avancées les plus importantes en termes de crimes de guerre sont survenues dans les 15
dernières années, avec l'arrivée des tribunaux pénaux internationaux ad hoc. Les Statuts du TPIY et du TPIR
comprennent des dispositions relatives aux crimes de guerre. En particulier, les Articles 2 et 3 du Statut du
TPIY donnent les stipulations suivantes :
Article 2 – Infractions graves aux Conventions de Genève de 1949
Le Tribunal international est habilité à poursuivre les personnes qui commettent ou donnent l’ordre
de commettre des infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir les
actes suivants dirigés contre des personnes ou des biens protégés aux termes des dispositions de la
Convention de Genève pertinente :
(a) l’homicide intentionnel ;
(b) la torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques ;
(c) le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves à
l’intégrité physique ou à la santé ;
(d) la destruction et l’appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et exécutées
sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire ;
(e) le fait de contraindre un prisonnier de guerre ou un civil à servir dans les forces armées de la
puissance ennemie ;
(f) le fait de priver un prisonnier de guerre ou un civil de son droit d’être jugé régulièrement et
impartialement ;
(g) l’expulsion ou le transfert illégal d’un civil ou sa détention illégale ;
(h) la prise de civils en otages.
281
282
94
Comité International de la Croix-Rouge, Droit international humanitaire : Réponses à vos questions (n247) 17.
Cryer et al (n4) 230.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Le Secrétaire général de l'ONU, dans son rapport sur le Statut du TPIY soumis en vertu de la résolution du
Conseil de sécurité no. 808 (1993), note le statut de droit coutumier de l'Article 2 du Statut du TPIY :
La partie du droit international humanitaire conventionnel qui est sans doute devenue partie du droit international coutumier est le
droit applicable aux conflits armés qui fait l'objet des instruments suivants : les Conventions de Genève du 12 août 1949 pour la
protection des victimes de la guerre. . . 283
Les éléments particuliers devant être atteints pour une condamnation pour infraction grave des Conventions
de Genève seront abordés ci-dessous. Il suffit pour l'instant de noter qu'un conflit international armé est
nécessaire pour que l'Article 2 du Statut du TPIY puisse s'appliquer, c'est-à-dire un conflit entre deux États ou
plus, et non une guerre civile.284
Article 3 – Violations des lois ou coutumes de la guerre
Le Tribunal international est compétent pour poursuivre les personnes qui commettent des violations
des lois ou coutumes de la guerre. Ces violations comprennent, sans y être limitées :
(a) l’emploi d’armes toxiques ou d’autres armes conçues pour causer des souffrances inutiles ;
(b) la destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation que ne justifient pas les
exigences militaires ;
(c) l’attaque ou le bombardement, par quelque moyen que ce soit, de villes, villages, habitations ou
bâtiments non défendus ;
(d) la saisie, la destruction ou l’endommagement délibéré d’édifices consacrés à la religion, à la
bienfaisance et à l’enseignement, aux arts et aux sciences, à des monuments historiques, à des
oeuvres d’art et à des oeuvres de caractère scientifique ;
(e) le pillage de biens publics ou privés.
À première vue, il semble que l'Article 3 concerne uniquement le droit de La Haye, en particulier la
Convention de La Haye de 1907 relative aux lois et coutumes de la guerre sur terre (IV) et les règlements de
son annexe : Cependant, le Conseil de sécurité, lorsqu'il a adopté le Statut TPIY, a indiqué que l'Article 3 du
Statut TPIY couvrirait l'Article 3 commun et le Protocole additionnel II de 1977, tous deux s'appliquant aux
conflits internes comme externes.285 La Chambre d'appel du TPIY a ensuite accepté le fait que l'Article 3 du
Statut TPIY couvre non seulement le droit de Lay Haye mais aussi le droit de Genève. La Chambre a aussi
stipulé que l'Article 3 du Statut TPIY était de nature résiduelle :286
87.…L'Article 3 peut être vu comme couvrant toutes les violations du droit international humanitaire autre que les « infractions
graves » des quatre Conventions de Genève tombant sous le coup de l'Article 2.
283
284
285
286
Rapport du Secrétaire général sur le Paragraphe 2 de la résolution du Conseil de sécurité 808 (1993), Doc ONU S/25704 (3 mai 1993) parag. (18)–(28).
Voir Prosecutor v Tadić (TPIY) Affaire No IT-94-1-A, « Appeals Chamber Decision on the Defence Motion for Interlocutory Appeal on Jurisdiction »
(2 octobre 1995) parag (84).
Doc ONU S/PV.3217 (25 mai 1993), 15. Voir également Prosecutor v Tadić(n284) parag (88).
Voir Prosecutor v Tadić (n284) parag. (87), (89), (91)–(92).
Manuel de droit pénal international
95
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
89.…L'Article 3 est une clause générale couvrant toutes les violations du droit humanitaire ne relevant pas de l'article 2 ou
couvertes par les articles 4 ou 5, plus spécifiquement : i) les violations des règles de La Haye sur les conflits internationaux ; ii)
les atteintes aux dispositions des conventions de Genève autres que celles classées comme « infractions graves » par lesdites
conventions ; iii) les violations de l'article 3 commun et autres règles coutumières relatives aux conflits internes ; iv) les violations
des accords liant les Parties au conflit, considérés comme relevant du droit des traités...
91. L'Article 3 confère donc aux Tribunal international la compétence sur toute infraction grave contraire au droit international
humanitaire non couverte par les Articles 2, 4 ou 5. L'Article 3 est une disposition fondamentale stipulant que toute « violation
grave du droit international humanitaire » doit faire l'objet de poursuites par le Tribunal international. En d'autres termes,
l'Article 3 fonctionne comme une clause résiduelle conçue pour qu'aucune violation grave du droit international humanitaire
ne puisse être retirée à la compétence du Tribunal international. L'Article 3 vise à rendre cette compétence inattaquable et
inéluctable.
92. Correctement interprété, l'Article 3 atteint pleinement l'objectif premier de l'établissement du Tribunal international, celui
de ne pas laisser impunie toute personne coupable de ces infractions graves, quel que soit le contexte dans lequel elles ont été
commises.
De plus la Chambre d'appel du TPIY a posé des conditions devant être remplies pour qu'une violation soit
soumise à l'Article 3 du Statut TPIY :287
Conditions d'application de l'Article 3
• L'infraction doit constituer une violation d'un règlement du droit international humanitaire ;
• Ce règlement doit être coutumier de nature, ou faire partie d'un traité en vigueur ;
• L'infraction doit être grave c'est-à-dire qu'elle doit constituer une violation d'un règlement
protégeant des valeurs importantes, et cette violation doit comprendre des conséquences graves
pour la victime ET
• La violation du règlement doit comprendre selon le droit coutumier ou traditionnel, une
responsabilité pénale individuelle de la personne violant le règlement.
Par conséquent, toutes les violations du droit pénal international ne sont pas des crimes de guerre, mais elles
peuvent mener à une responsabilité gouvernementale. En particulier, l'infraction doit être de nature grave et
avoir des conséquences graves pour la victime. Ainsi, un combattant qui vole un pain dans un village pourrait
être vu comme violant un principe de base des règles de La Haye de 1907,288 dans le sens où des biens privés
n'ont pas été respectés par l'armée ennemie. Cependant, cet acte ne constituerait pas une violation grave du
droit international humanitaire.289 Le Statut CPI reflète également ce critère, car seuls les violations graves des
interdictions données à l'Article 8 du Statut CPI constituent des crimes de guerre.
287
288
289
96
Ibid para (94).
Voir Article 46(1) de la Convention de La Haye (IV) relative aux lois et coutumes de la guerre sur terre et son annexe : Règlement concernant les lois et
coutumes de la guerre sur terre (18 oct. 1907) 36 Stat 2277, 1 Bevans 631.
Voir Prosecutor v Tadić (n284) parag (94).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
La Chambre d'appel du TPIY a donc procédé en relation à l'Article 3 du Statut TPIY à la conclusion
suivante :290
On conclut qu'il importe peu que les « infractions graves » soient survenues dans le cadre d'un
conflit armés international ou interne, tant que les critères définis plus haut sont respectés.
La Chambre d'appel du TPIY a alors examiné l'existence de règles internationales coutumières régissant
les conflits internes et la question de savoir si la violation de ces règles engageait la responsabilité pénale
individuelle. La Chambre d'appel du TPIY a mémorablement stipulé que la différence entre les conflits
internationaux et internes devenait de plus en plus vague, et que des règles juridiques internationales avaient
commencé à émerger pour régler les conflits armés internes.291 En particulier, la Chambre d'appel du TPIY a
stipulé que
la naissance des règles générales susmentionnées sur les conflits armés internes ne signifie pas forcément que les luttes internes
sont régies par le droit international à tous les niveaux. Deux restrictions doivent en particulier être notées : (i) seul un certain
nombre de règles et principes régissant les conflits armés internationaux a été élargi progressivement pour être appliqué aux
conflits internes, et (ii) cet élargissement n'est pas survenu sous forme d'un transfert automatique et entier de ces règles aux
conflits internes, mais on a gardé l'essentiel de ces règles, et non les règlementations précises qu'elles contiennent, pour les conflits
internes.292
Après avoir établi que les règles du droit coutumier ont grandi pour régir les conflits internes,293 la Chambre
d'appel du TPIY a stipulé que les violations graves des règles et principes coutumiers sur les conflits internes
couvraient la responsabilité individuelle en dépit du fait que par exemple, l'Article 3 commun ne contient
aucune référence explicite à la responsabilité pénale pour violation de ses dispositions. La Chambre d'appel du
TPIY est arrivé à cette conclusion après avoir étudié énormément de documents, notamment des précédents
nationaux, des manuels militaires, des législations nationales conçues pour mettre en place les Conventions de
Genève, et des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU.294
Le Statut du TPIR reflète également la perspective adoptée dans Tadić, notamment en reconnaissant que les
violations de l'Article commun 3 et du Protocole additionnel II de 1977 constituent des crimes passibles de
peines sous sa compétence. En dépit du côté innovante et de grande envergure de cette démarche, elle a été
acceptée pendant les négociations sur le Statut CPI ; la majorité des États ont soutenu l'inclusion dans le Statut
CPI de la catégorie de crimes de guerre commis durant les conflits armés internes. Par conséquent, l'Article 8
du Statut CPI – la disposition sur les crimes de guerre – comprend des infractions graves à l'Article 3 commun
ainsi qu'une liste réduite d'autres crimes fondamentaux dans les conflits internes.
290
291
292
293
294
Ibid para (94).
Ibid para (97).
Ibid para (126).
Ibid para (127).
Ibid parag. (128)–(134).
Manuel de droit pénal international
97
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
La Chambre d'appel du TPIY, dans sa décision sur l'affaire Tadić, n'a jamais traité la question de savoir si
les dispositions énumérées à l'Article 3 du Statut TPIY, qui constituent des exemples typiques du droit de La
Haye, étaient des infractions commises durant les conflits armés internes ou internationaux. Par conséquent,
elle n'a jamais stipulé si le droit de La Haye dans ces dispositions était applicable quelle que soit la nature du
conflit. Il est intéressant de noter que la grande majorité des accusations de crimes de guerre lancées par le
TPIY, notamment dans l'affaire Tadić, en vertu de l'Article 3 du Statut TPIY (c.-à-d. autres que les infractions
graves), concernent des infractions à l'Article 3 commun - une infraction absente de l'Article 3 du Statut
TPIY.295
Pour résumer, les quatre catégories suivantes des crimes de guerre semblent tomber sous le coup
de l'Article 3 :
• Violations du droit de La Haye ;
• Infractions non graves des Conventions de Genève de 1949 ;
• Infractions à l'Article 3 des Conventions de Genève ;
• Violations du droit coutumier.
Le TPIR
Contrairement à l'ancienne Yougoslavie, le conflit ayant eu lieu au Rwanda est largement reconnu comme un
conflit armé non international. Le Conseil de sécurité de l'ONU a participé au développement du droit sur les
crimes de guerre dans les conflits internes en adoptant un Statut pour le TPIR définissant les règles du droit
international humanitaire s'appliquant aux conflits non internationaux. Le Conseil de sécurité a conclu que les
règles s'appliquant aux conflits armés non internationaux sont l'Article 3 commun et le Protocole additionnel
II de 1977. De la même façon, l'Article 4 du Statut TPIR296 permet à ce Tribunal de lancer des poursuites pour
violation de ces deux dispositions.
Article 4 – Violations de l’Article 3 commun aux Conventions de Genève et du Protocole
additionnel II
Le Tribunal international pour le Rwanda est habilité à poursuivre les personnes qui commettent
ou donnent l’ordre de commettre des violations graves de l’Article 3 commun aux Conventions
de Genève du 12 août 1949 pour la protection des victimes en temps de guerre, et du Protocole
additionnel II auxdites Conventions du 8 juin 1977. Ces violations comprennent, sans s’y limiter :
(a) les atteintes portées à la vie, à la santé et au bien-être physique ou mental des personnes, en
particulier le meurtre, de même que les traitements cruels tels que la torture, les mutilations ou
toutes formes de peines corporelles ;
(b) les punitions collectives ;
(c) la prise d’otages ;
(d) les actes de terrorisme ;
295
296
98
John R W D Jones and Steven Powles, International Criminal Practice (3e éd OUP, Oxford 2003) 257.
Statut du tribunal pénal international pour le Rwanda (08 novembre 1994) (ci-après appelé le Statut TPIR).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
(e) les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants, le
viol, la contrainte à la prostitution et tout attentat à la pudeur ;
(f) le pillage ;
(g) les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable rendu
par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires reconnues comme
indispensables par les peuples civilisés ;
(h) la menace de commettre les actes précités.
Le statut de la CPI
L'Article 8 du Statut de la CPI297 marque la tentative la plus ambitieuse à ce jour pour codifier la notion
de crimes de guerre. Les rédacteurs du Statut CPI ont cherché dans le passé à refléter le droit international
coutumier, plutôt que de créer de nouvelles lois. Bien que l'Article 8 vise à refléter les sources existantes
du droit sur les crimes de guerre, de nombreuses dispositions d'instruments préalables ont été exclues en
raison de l'absence de consensus sur le statut du droit coutumier, par exemple l'interdiction de l'emploi des
armes chimiques ou bactériologiques.298 L'Article 8 représente également un développement progressif par
rapport aux codifications antérieures de cette notion, en particulier puisqu'il couvre les conflits armés non
internationaux, et définit les crimes beaucoup plus en détails que précédemment.299
L'Article 8 du Statut CPI définit environ 50 infractions et définit les crimes de guerre en faisant référence à
deux ensembles de règles fondamentales, les Conventions de Genève (paragraphe (2) (a) et (c)), à l'exception
des Protocoles additionnels, et le droit international humanitaire dans son ensemble (paragraphe (2) (b) et (e)),
y compris ses Protocoles additionnels. La liste est divisée de plus en fonctions du type de conflit, international
ou non international.300
Ainsi, la définition des crimes de guerre en vertu de l'Article 8 du Statut CPI comprend quatre listes :
• une liste des violations des Conventions de Genève de 1949 durant un conflit armé international (Article
8(2)(a)) ;
• une liste supplémentaire de 26 interdictions en vertu du droit international humanitaire dans son ensemble
relatif aux conflits armés internationaux (Article 8(2)(b)) ;
• une liste d'infractions graves à l'Article 3 commun aux Conventions de Genève durant un conflit armé non
international (Article 8(2)(c)) ;
• une liste de 12 interdictions supplémentaires en vertu du droit international humanitaire dans son ensemble
relatives aux conflits armés non internationaux (Article 8(2)(e)) ;
297
298
299
300
Statut de Rome de la Cour pénale internationale (17 juillet 1998) Doc ONU A/CONF.183/9.
Cryer et al (n4) 228–229.
Voir Schabas, An Introduction to the International Criminal Court (n280) 115.
Voir Bothe, « War Crimes » (n267) 386.
Manuel de droit pénal international
99
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Article 8 – Crimes de guerre
1 La Cour a compétence à l’égard des crimes de guerre, en particulier lorsque ces crimes s’inscrivent
dans le cadre d’un plan ou d’une politique ou lorsqu’ils font partie d’une série de crimes analogues
commis sur une grande échelle.
2 Aux fins du Statut, on entend par « crimes de guerre » :
(a)Les infractions graves aux Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir l’un quelconque
des actes ci-après lorsqu’ils visent des personnes ou des biens protégés par les dispositions des
Conventions de Genève :
(i)
L’homicide intentionnel ;
(ii)
La torture ou les traitements inhumains, y compris les expériences biologiques ;
(iii)Le fait de causer intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes
graves à l’intégrité physique ou à la santé ;
(iv)La destruction et l’appropriation de biens non justifiées par des nécessités militaires et
exécutées sur une grande échelle de façon illicite et arbitraire ;
(v)Le fait de contraindre un prisonnier de guerre ou un civil à servir dans les forces armées
de la puissance ennemie ;
(vi)Le fait de priver un prisonnier de guerre ou un civil de son droit d’être jugé
régulièrement et impartialement ;
(vii)
La déportation ou le transfert illégal ou la détention illégale ;
(viii)
La prise d’otages.
(b)Les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés internationaux
dans le cadre établi du droit international, à savoir, l’un quelconque des actes ci-après :
(i)Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que
telle ou contre des civils qui ne participent pas directement part aux hostilités ;
(ii)
Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des biens de caractère
civil, c’est-à-dire des biens qui ne sont pas des objectifs militaires ;
(iii)Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre le personnel, les installations,
le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre d’une mission d’aide
humanitaire ou de maintien de la paix conformément à la Charte des Nations Unies,
pour autant qu’ils aient droit à la protection que le droit international des conflits armés
garantit aux civils et aux biens de caractère civil ;
100
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
(iv)Le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu’elle causera incidemment
des pertes en vies humaines dans la population civile, des blessures aux personnes
civiles, des dommages aux biens de caractère civil ou des dommages étendus, durables
et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à
l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu ;
(v)Le fait d’attaquer ou de bombarder, par quelque moyen que ce soit, des villes, villages,
habitations ou bâtiments qui ne sont pas défendus et qui ne sont pas des objectifs
militaires ;
(vi)
Le fait de tuer ou de blesser un combattant qui, ayant déposé les armes ou n’ayant plus
de moyens de se défendre, s’est rendu à discrétion ;
(vii)Le fait d’utiliser indûment le pavillon parlementaire, le drapeau ou les insignes militaires
et l’uniforme de l’ennemi ou de l’Organisation des Nations Unies, ainsi que les signes
distinctifs prévus par les Conventions de Genève, et, ce faisant, de causer la perte de
vies humaines ou des blessures graves ;
(viii)Le transfert, direct ou indirect, par une puissance occupante d’une partie de sa
population civile, dans le territoire qu’elle occupe, ou la déportation ou le transfert à
l’intérieur ou hors du territoire occupé de la totalité ou d’une partie de la population de
ce territoire ;
(ix)Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la
religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments
historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés, à
condition qu’ils ne soient pas des objectifs militaires ;
(x)Le fait de soumettre des personnes d’une partie adverse tombées en son pouvoir à des
mutilations ou à des expériences médicales ou scientifiques quelles qu’elles soient qui
ne sont ni motivées par un traitement médical, dentaire ou hospitalier, ni effectuées dans
l’intérêt de ces personnes, et qui entraînent la mort de celles-ci ou mettent sérieusement
en danger leur santé ;
(xi)Le fait de tuer ou de blesser par traîtrise des individus appartenant à la nation ou à
l’armée ennemie ;
(xii)
Le fait de déclarer qu’il ne sera pas fait de quartier ;
(xiii)Le fait de détruire ou de saisir les biens de l’ennemi, sauf dans les cas où ces
destructions ou saisies seraient impérieusement commandées par les nécessités de la
guerre ;
(xiv)Le fait de déclarer éteints, suspendus ou non recevables en justice les droits et actions
des nationaux de la partie adverse ;
(xv)Le fait pour un belligérant de contraindre les nationaux de la partie adverse à prendre
part aux opérations de guerre dirigées contre leur pays, même s’ils étaient au service de
ce belligérant avant le commencement de la guerre ;
Manuel de droit pénal international
101
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
(xvi)
Le pillage d’une ville ou d’une localité, même prise d’assaut ;
(xvii)
Le fait d’employer du poison ou des armes empoisonnées ;
(xviii) Le fait d’employer des gaz asphyxiants, toxiques ou similaires, ainsi que tous liquides,
matières ou procédés analogues ;
(xix)Le fait d’utiliser des balles qui s’épanouissent ou s’aplatissent facilement dans le corps
humain, telles que des balles dont l’enveloppe dure ne recouvre pas entièrement le
centre ou est percée d’entailles ;
(xx)Le fait d’employer les armes, projectiles, matières et méthodes de guerre de nature à
causer des maux superflus ou des souffrances inutiles ou à frapper sans discrimination
en violation du droit international des conflits armés, à condition que ces armes,
projectiles, matières et méthodes de guerre fassent l’objet d’une interdiction générale et
qu’ils soient inscrits dans une annexe au présent Statut, par voie d’amendement adopté
selon les dispositions des articles 121 et 123 ;
(xxi)Les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et
dégradants ;
(xxii)Le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, telle que définie à
l’article 7, paragraphe 2, alinéa f, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence
sexuelle constituant une infraction grave aux Conventions de Genève ;
(xxiii)Le fait d’utiliser la présence d’un civil ou d’une autre personne protégée pour éviter que
certains points, zones ou forces militaires ne soient la cible d’opérations militaires ;
(xxiv)Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre les bâtiments, le matériel, les
unités et les moyens de transport sanitaires, et le personnel utilisant, conformément au
droit international, les signes distinctifs prévus par les Conventions de Genève ;
(xxv)Le fait d’affamer délibérément des civils comme méthode de guerre, en les privant de
biens indispensables à leur survie, y compris en empêchant intentionnellement l’envoi
des secours prévus par les Conventions de Genève ;
(xxvi)Le fait de procéder à la conscription ou à l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans
dans les forces armées nationales ou de les faire participer activement à des hostilités.
(c)En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international, les violations graves
de l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949, à savoir l’un
quelconque des actes ci-après commis à l’encontre de personnes qui ne participent pas
directement aux hostilités, y compris les membres de forces armées qui ont déposé les armes
et les personnes qui ont été mises hors de combat par maladie, blessure, détention ou par toute
autre cause :
(i)Les atteintes à la vie et à l’intégrité corporelle, notamment le meurtre sous toutes ses
formes, les mutilations, les traitements cruels et la torture ;
102
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
(ii)Les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et
dégradants ;
(iii)
La prise d’otages ;
(iv)Les condamnations prononcées et les exécutions effectuées sans un jugement préalable,
rendu par un tribunal régulièrement constitué, assorti des garanties judiciaires
généralement reconnues comme indispensables ;
(d)L’alinéa c) du paragraphe 2 s’applique aux conflits armés ne présentant pas un caractère
international et ne s’applique donc pas aux situations de troubles et tensions internes telles que
les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence ou les actes de nature similaire.
(e)Les autres violations graves des lois et coutumes applicables aux conflits armés ne présentant
pas un caractère international, dans le cadre établi du droit international, à savoir l’un
quelconque des actes ci-après :
(i)Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que
telle ou contre des civils qui ne participent pas directement part aux hostilités ;
(ii)Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre les bâtiments, le matériel, les
unités et les moyens de transport sanitaires, et le personnel utilisant, conformément au
droit international, les signes distinctifs prévus par les Conventions de Genève ;
(iii)Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre le personnel, les installations,
le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre d’une mission d’aide
humanitaire ou de maintien de la paix conformément à la Charte des Nations Unies,
pour autant qu’ils aient droit à la protection que le droit international des conflits armés
garantit aux civils et aux biens de caractère civil ;
(iv)Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la
religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments
historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés, à
condition qu’ils ne soient pas des objectifs militaires ;
(v)
Le pillage d’une ville ou d’une localité, même prise d’assaut ;
(vi)Le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, telle que définie à
l’article 7, paragraphe 2, alinéa f, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence
sexuelle constituant une infraction grave de l’article 3 commun aux quatre Conventions
de Genève ;
(vii)Le fait de procéder à la conscription ou à l’enrôlement d’enfants de moins de 15 ans
dans les forces armées ou dans des groupes armés ou de les faire participer activement à
des hostilités ;
(viii)Le fait d’ordonner le déplacement de la population civile pour des raisons ayant trait au
conflit, sauf dans les cas où la sécurité des civils ou des impératifs militaires l’exigent ;
Manuel de droit pénal international
103
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
(ix)
Le fait de tuer ou de blesser par traîtrise un adversaire combattant ;
(x)
Le fait de déclarer qu’il ne sera pas fait de quartier ;
(xi)Le fait de soumettre des personnes d’une autre partie au conflit tombées en son pouvoir
à des mutilations ou à des expériences médicales ou scientifiques quelles qu’elles soient
qui ne sont ni motivées par un traitement médical, dentaire ou hospitalier, ni effectuées
dans l’intérêt de ces personnes, et qui entraînent la mort de celles-ci ou mettent
sérieusement en danger leur santé ;
(xii)Le fait de détruire ou de saisir les biens de l’ennemi, sauf dans les cas où ces
destructions ou saisies sont impérieusement commandées par les nécessités du conflit ;
(f)L’alinéa (e) du paragraphe 2 s’applique aux conflits armés ne présentant pas un caractère
international et ne s’applique donc pas aux situations de troubles et tensions internes telles
que les émeutes, les actes isolés et sporadiques de violence ou les actes de nature similaire. Il
s’applique aux conflits armés qui opposent de manière prolongée sur le territoire d’un État les
autorités du gouvernement de cet État et des groupes armés organisés ou des groupes armés
organisés entre eux.
3. Rien dans le paragraphe 2, alinéas (c) et (e), n’affecte la responsabilité d’un gouvernement de
maintenir ou rétablir l’ordre public dans l’État ou de défendre l’unité et l’intégrité territoriale de
l’État par tous les moyens légitimes.
Comme on l'a vu, malgré son exhaustivité, la liste de la CPI des crimes de guerre n'inclut pas les crimes de guerre
en vertu du droit coutumier ou des traités, en particulier leurs dispositions relatives aux crimes de guerre lors de
conflits internes. Certains disent que « la moitié des dispositions des conflits internationaux ont été transférées
aux conflits internes dans le Statut de la CPI. Pour les autres dispositions, il n'existait pas de consensus selon
lequel elles étaient si fondamentales que le droit coutumier à ce moment-là en faisait mention dans les conflits
internes. »301 Il faut cependant noter que l'Article 10 du Statut de la CPI propose qu’ « aucune disposition du
présent chapitre ne doit être interprétée comme limitant ou affectant de quelque manière que ce soit les règles du
droit international existantes ». Les définitions des crimes de guerre en vertu du droit coutumier continuent donc
d'exister et de croître en parallèle à la liste du Statut de la CPI.
301
104
Cryer et al (n4) 229, 231.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Autres tribunaux
Comme le conflit en Sierra Leone est généralement considéré comme étant non international, l'Article 3 du
Statut du TSSL contient une disposition identique à celle de l'Article 4 du Statut du TPIR. Cependant, l'Article
4 du Statut du TSSL ajoute « d’autres violations graves du droit international humanitaire », à savoir :
• Attaques délibérées dirigées contre la population civile comme telle ou contre des civils qui ne participent
pas directement aux hostilités ;
• Attaques délibérées dirigées contre le personnel, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules
utilisés pour l’assistance humanitaire ou pour la mission de maintien de la paix conformément à la Charte
des Nations Unies, dès lors qu’ils ont droit à la protection dont les civils ou les objets civils bénéficient en
vertu du droit international des conflits armés ;
• Recrutement et enrôlement d’enfants âgés de moins de 15 ans dans des forces ou groupes armés en vue de
les faire participer activement aux hostilités.
La définition des crimes de guerre tombant sous la compétence de la Chambre spéciale pour les crimes graves au
Timor oriental et du Haut tribunal irakien est conforme à la définition proposée par le Statut de la CPI.302
Les CETC, par contre, ont la compétence nécessaire pour lancer des poursuites pour violations graves des
Conventions de Genève de 1949, définies dans les mêmes termes qu'à l'Article 2 du Statut du TPIY. Ceci
laisse supposer que le conflit au Cambodge est considéré au moins en partie comme international. De plus, la
CETC a la compétence nécessaire pour intenter des procès aux personnes soupçonnées d'être en grande partie
responsables de la destruction de biens culturels durant un conflit armé conformément à la Convention de La
Haye de 1954 sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé.
Les éléments des crimes de guerre
Comme on vient de le voir, le droit des crimes de guerre a évolué pour pénaliser un certain nombre d'actes
interdits en vertu du droit international humanitaire. Cependant, il est important de noter que le fait de
commettre ces actes en lui-même ne suffit pas à constituer un crime de guerre. On entend par là que pour
prouver qu'une personne est coupable d'un crime de guerre, il faut démontrer au tribunal ou à la cour que
certaines conditions sont remplies. Tentons donc de faire la différence entre :
• les exigences générales/courantes ou génériques nécessaires pour appeler une infraction un
crime de guerre, et
• les éléments physique (actus reus) et mental (mens rea) requis pour chaque type de crime spécifique ou dit
sous-jacent.
En général, pour définir les éléments des crimes de guerre, il faut user d'un examen rigoureux du Statut en question
(par ex TPIY, TPIR ou CPI) et se référer à la source première de la définition du crime dans le droit international
humanitaire (Conventions de Genève de 1949). Concernant cette démarche prise dans la CPI, il est important
également de se référer aux Éléments de crimes de la CPI, un document qui permet à la Cour de définir les crimes
tombant sous sa compétence. Ce document qui reflète les règles primordiales du droit international humanitaire, définit
les éléments psychologiques et physiques de chacun des actes interdits par l'Article 8.303
302
303
Section 6 du règlement UNTAET 2000/15, UNTAET/REG/2000/15 (6 juin 2000) ; Article 13 du droit sur le Haut tribunal pénal irakien.
Voir Article 8 des Éléments de crimes de la CPI, 14-44.
Manuel de droit pénal international
105
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Par exemple, les violations graves telles que l'homicide intentionnel de personnes protégées en vertu des
Conventions de Genève, constituent des crimes de guerre. Il est donc nécessaire de se référer aux dispositions
pertinentes de la Convention de Genève en question afin de déterminer le contexte dans lequel la violation
grave est survenue (ex conflit international armé), quels types d'interdictions elle couvre, et contre qui ou
quoi elle a été commise (biens ou personnes protégées). De ce point de vue, il devient clair que pour pouvoir
reconnaître quelqu'un coupable d'un crime de guerre en particulier, il faut montrer que le crime a été commis
contre une personne protégée (voir définition dans les Conventions de Genève) et dans le contexte d'un conflit
armé international.
Le TPIR et le TPIY ont défini dans leurs précédents les éléments des crimes tombant sous le coup de leurs
compétences respectives. Les éléments des crimes adoptés par la CPI définissent désormais de manière
exhaustive les éléments de tous les crimes du Statut de la CPI. Ce chapitre définira donc tout d'abord les
critères généraux communs à tous les crimes de guerre, comme l'existence d'un conflit armé et les liens
entre les crimes et le conflit armé, puis définira les éléments de la CPI relatifs aux infractions sous-jacentes
particulières.
Exigences d'ordre général ou chapeau
Le lien entre le crime et le conflit armé
L'élément essentiel pour tout crime de guerre est le lien entre l'acte criminel et le conflit armé, que celui-ci soit
international ou non. Le génocide et les crimes contre l'humanité sont différents des crimes de guerre en ce
qu'ils ne surviennent pas nécessairement en période de conflit armé. Ce critère reflète les démarches du TPIY
et du TPIR et de celles du Statut de la CPI. Ainsi le TPIY stipule dans l'affaire Tadić, que pour qu'un crime
tombe sous la compétence du tribunal, il faut établir un lien entre l'infraction supposée et le conflit armé qui
donne lieu à l'application potentielle du droit international humanitaire.304
Ce principe suppose deux critères :
• il doit y avoir un conflit armé et
• il doit y avoir un lien entre le crime et le conflit.
Exigence du conflit armé
La Chambre d'appel du TPIY, dans sa décision sur l'affaire Tadić, définit le conflit armé comme existant :
lorsqu'il y a recours à la force armée entre des États, des violences armées et prolongées entre des autorités gouvernementales et
des groupes armés, ou entre des groupes armés dans un même État. Le droit international humanitaire s'applique donc depuis le
commencement d'un conflit armé et s'étend jusqu'après la fin des hostilités et jusqu'à une conclusion générale pacifique, ou dans le
cas de conflits internes, une résolution pacifique. Jusqu'à ce moment, le droit international humanitaire continue de s'appliquer sur
tout le territoire des États en conflit, ou dans le cas de conflits internes, sur tout le territoire sous le contrôle d'une des parties, que
des combats réels aient lieu ou non sur ce territoire.305
En cas de conflit armé interne, il est nécessaire d'établir si le conflit tombe sous le coup de la définition d'un
conflit armé, par contraste aux simples émeutes, insurrections courtes et désorganisées, activités terroristes
ou autre situation de trouble interne non soumis au droit international humanitaire. Ainsi, la question est
304
305
106
Voir Prosecutor v Tadić, (TPIY) Affaire No IT-94-1-T, opinion et jugement de la chambre de première instance (7 mai 1997) para (572).
Voir Prosecutor v Tadić, (n284) parag (70).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
souvent déterminée à partir de (1) l'intensité des combats et (2) le niveau de puissance militaire des parties.306
Les crimes commis partout sur le territoire sous le contrôle d'une des parties au conflit, jusqu'à la résolution
pacifique du conflit, tombent sous la compétence du tribunal.307
Ceci étant éclairé, l'Article 8(2)(f) du Statut de la CPI adopte un test similaire au test conçu dans la décision
de l'affaire Tadić . Il définit un conflit armé interne comme un conflit armé qui a lieu sur le territoire d'un
État dans lequel il existe un conflit armé « prolongé entre les autorités du gouvernement de cet État et des
groupes armés organisés ou des groupes armés organisés entre eux ». L'Article 8(2)(d) du Statut de la CPI
explique que le Statut CPI ne s'applique pas aux conflits armés ne présentant pas un caractère international et
ne s’applique donc pas aux situations de troubles et tensions internes telles que les émeutes, les actes isolés
et sporadiques de violence ou les actes de nature similaire.308 D'autres facteurs, tels que la participation des
forces armées du gouvernement d'un côté ou l'exercice d'un contrôle territorial par les forces rebelles, ne sont
pas indispensables à la définition d'un conflit armé.309
La définition de l'intensité d'un conflit et l'organisation des parties sont des faits devant être déterminés à la
lumière des preuves et au cas par cas.310 Par exemple, pour évaluer l'intensité d'un conflit, les facteurs suivants
doivent être pris en compte : la gravité des attaques et s'il y a eu une augmentation des affrontements armés,
la propagation des affrontements sur le territoire et dans le temps, toute augmentation du nombre des forces
armées du gouvernement et la mobilisation et répartition des armes des deux côtés du conflit, ainsi que si
le conflit a attiré l'attention du Conseil de sécurité de l'ONU, et si une résolution a été rendue à ce sujet.311
Dans l'évaluation de l'organisation des parties au conflit, les facteurs suivants doivent être pris en compte :
l'existence de quartiers généraux, de zones d'opération désignées, et la capacité d'approvisionnement, de
transport et de distribution des armes.312
Lien avec le conflit armé
La Chambre de première instance du TPIY, dans l'affaire Tadić, stipule que « l'existence d'un conflit armé ou
l'occupation et l'application potentielle du droit international humanitaire sur le territoire ne suffit pas à créer
une compétence international sur chaque crime grave commis sur le territoire d'ex-Yougoslavie. Pour qu'un
crime tombe sous la compétence de la Cour internationale, il faut établir un lien suffisant entre l'infraction
supposée et le conflit armé qui donne lieu à l'application potentielle du droit international humanitaire. »313 Ce
critère doit exclure par exemple les crimes conjugaux.314
306
307
308
309
310
311
312
313
314
Voir Prosecutor v Tadić, (TPIY) Affaire No IT-94-1-T, opinion et jugement de la chambre de première instance (7 mai 1997) para (562).
Voir Prosecutor v Tadić (n284) parag (70). Prosecutor v Kunarac et al (TPIY) IT-96-23 et IT-96-23/1-A, décision d'appel (12 juin 2002) parag (57) ;
Prosecutor v Limaj et al (TPIY) Affaire No IT-03-66-T, jugement de première instance (30 novembre 2005) parag (84).
Voir aussi Article 8(2)(f) du Statut de la CPI.
Prosecutor v Limaj et al (n307) parag. (87).
Le Procureur contre Rutaganda (TPIY) Affaire No ICTR-96-3, Jugement de première instance (6 décembre 1999) parag (93) ; Procureur contre Limaj et
al (n307) parag. (90).
Ibid.
Ibid.
Prosecutor v Tadić, (n306) parag (572).
Ibid parag. (527)–(576).
Manuel de droit pénal international
107
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Dans ces circonstances, la Chambre d'appel, dans sa décision sur l'affaire Tadić, a établi que les crimes en
question étaient étroitement liés aux hostilités survenant dans d'autres parties du territoire contrôlées par les
parties au conflit. »315 D'un autre côté, il n'est pas nécessaire de prouver qu'un crime a été commis dans le
cadre d'hostilités dans une région contrôlée par l'une des partie, ou pour avancer ou profiter de la situation
créée par le conflit. De plus, il n'est pas nécessaire de montrer que l'acte criminel faisait partie de la politique
ou des pratiques de l'État officiellement approuvées ou tolérées par - ou dans l'intérêt de - l'une des parties au
conflit. En outre, il n'est pas nécessaire d'établir que le conflit armé avait lieu à la date et à l'endroit précis des
infractions, ni que le crime ait eu lieu durant les combats.316
La Chambre d'appel dans l'affaire Kunarac et al stipule que le conflit armé n'est pas forcément à la racine
du chef d'accusation, mais l'existence d'un conflit armé doit au moins avoir joué un rôle important dans la
capacité de l'auteur du crime à avoir commis celui-ci.317 Lorsque l'on tente de déterminer si ce lien existe, la
Chambre doit prendre en compte, entre autres, le fait que l'auteur est un combattant, si la victime est un non
combattant, si la victime est un membre de la partie opposée, si le crime peut avoir pu servir les objectifs de la
campagne militaire, et si le crime a été commis dans le cadre des devoirs officiels de l'auteur présumé.318
Les éléments des crimes de la CPI présupposent que la conduite est commise dans le cadre d'une attaque
armée, ou liée à celle-ci.319
L'auteur du crime
Les auteurs de crimes de guerre peuvent être des membres des forces armées ou des civils. Le lien avec un
conflit armé jouera un rôle particulièrement important lorsque l'infraction est commise par un civil. Ainsi,
un civil peut être coupable d'un crime de guerre contre d'autres civils, quand l'acte criminel a été commis en
association avec le conflit armé, et n'était donc pas de nature personnelle (ex crime conjugal). En l'absence
d'un tel lien, la violation ne constitue qu'un crime ordinaire soumis à la législation en vigueur sur le territoire
en question.320
Les éléments des crimes de la CPI identifient un autre critère pour les crimes de guerre, à savoir la connaissance de l'existence d'un conflit armé. Ainsi, l'auteur d'un crime peut être reconnu coupable d'un crime de
guerre s'il était conscient des circonstances établissant l'existence d'un conflit armé.321 Cependant, il n'existe
aucun critère d'évaluation juridique par l'auteur du crime concernant l'existence d'un conflit armé ou son
caractère international ou interne. Dans ce contexte, il n'existe aucun critère de connaissance par l'auteur du
crime des faits établissant le caractère international ou non international d'un conflit. L'auteur du crime n'est
requis de connaître que les circonstances de fait établissant l’existence d’un conflit armé implicite dans les
termes « a eu lieu dans le contexte de et était associé à ».322
315
316
317
318
319
320
321
322
108
Voir Prosecutor v Tadić, (n284) parag (70).
Voir Prosecutor v Tadić, (n306) parag (573).
Prosecutor v Kunarac et al(n307) parag. (58).
Ibid para (59).
Article 8 des Éléments de crimes de la CPI, 14.
Cassese (n232) 83.
Voir par ex. Article 8(2)(a)(i), Crime de guerre de l'homicide intentionnel, 14–15, où selon le parag(5) l'auteur du crime « avait connaissance des
circonstances de fait établissant l’existence d’un conflit armé ».
Voir Article 8 (n319) 14.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
La victime et l'objet du crime
Les définitions de nombreux crimes de guerre comprennent certains critères concernant la victime ou
l'objet du crime. Les graves violations des Conventions de Genève ne peuvent faire l'objet de poursuites
que lorsqu'elles sont commises contre des biens ou personnes considérées comme « protégées » par les
Conventions de Genève en vertu des règles strictes définies par ces Conventions.323 Ainsi, chacune des quatre
Conventions de Genève définit les conditions dans lesquelles une personne ou un bien est protégé par ses
dispositions :
• Articles 13, 24, 25 et 26 (personnes protégées) 19 et 33 à 35 (biens protégés) de la Convention
de Genève I ;
• Articles 13, 36 et 37 (personnes protégées) et 22, 24, 25 et 27 (biens protégés) de la Convention
de Genève II ;
• Article 4 de la Convention de Genève III sur les prisonniers de guerre ; et
• Articles 4 et 20 (personnes protégées) et 18, 19, 21, 22, 33, 53, 57, etc. (biens protégés) de la Convention
de Genève IV sur les civils.
L'Article 3 commun identifie personnes protégées comme des « personnes qui ne participent pas directement
aux hostilités, notamment les membres de forces armées qui ont déposé les armes et les personnes qui ont été
mises hors de combat par maladie, blessure, détention ou par toute autre cause ». D'autres violations graves
des lois et coutumes de la guerre identifient l'objet de l'attaque, par exemple la population civile, les biens
de caractère civil, le personnel utilisé pour l’assistance humanitaire, bâtiments consacrés à la religion ou à
l'éducation.324 Certaines violations graves des lois et coutumes de la guerre protègent les combattants en tant
que victimes de crimes.325
La gravité du crime
Comme on l'a vu, pas toutes les violations du droit international humanitaire ne représente un crime de guerre.
Les cours et tribunaux internationaux, comme le TPIY, le TPIR et la CPI, ne sont habilités à juger que les
violations « graves » du droit international humanitaire. Par exemple, l'Article 2 du Statut du TPIY limite la
compétence du tribunal aux « infractions graves » des Conventions de Genève. Quant aux « violations des lois
et coutumes de la guerre » de l'Article 3 du Statut, la Chambre d'appel du TPIY dans l'affaire Tadić a conclu
qu'elles couvraient les « infractions graves au droit international humanitaire » autres que les infractions
graves des Conventions de Genève tombant déjà sous le coup de l'Article 2 du Statut TPIY.326
Ainsi, la compétence de la CPI ne couvre pas toutes les violations du droit international humanitaire, mais
seulement les « infractions graves » aux Conventions de Genève de 1949, les violations graves de l'Article
3 commun et autres violations graves des lois et coutumes en vigueur sur les conflits armés internationaux
ou non internationaux. La différence principale entre le TPIY, le TPIR et la CPI est que le Statut de la CPI
propose des listes exhaustives des crimes qualifiés de « graves ».
De plus, l'Article 8(1) du Statut de la CPI stipule que la Cour « a compétence à l’égard des crimes de guerre,
en particulier lorsque ces crimes s’inscrivent dans le cadre d’un plan ou d’une politique ou lorsqu’ils font
partie d’une série de crimes analogues commis sur une grande échelle ». Ce critère, cependant, ne constitue
323
324
325
326
Voir Prosecutor v Tadić, (n284) parag (81).
Voir Article 8(2)(b) des Éléments de crimes de la CPI, 19.
Voir par ex Article 8(2)(b)(xi) des Éléments de crimes de la CPI, 26.
Voir Prosecutor v Tadić (n284) parag (90).
Manuel de droit pénal international
109
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
pas un élément supplémentaire d'un crime de guerre. Dans ce sens, il faut noter qu'un acte isolé et unique peut
constituer un crime de guerre, contrairement aux crimes contre l'humanité qui doivent être commis, même
seul, dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre une population civile. Néanmoins, il
constitue un critère guidant la CPI dans la définition de sa compétence.327
Les éléments moraux (Mens rea)
Afin de reconnaître quelqu'un coupable d'un crime de guerre, il ne suffit pas que son action ait mené à un
crime. Il faut également établir que l'auteur du crime avait l'élément de crime moral nécessaire, appelé mens
rea. L'Article 30 du Statut de la CPI expose les éléments mentaux requis communs à tous les crimes relevant
de sa compétence.
Article 30 – Elément psychologique
1. Sauf disposition contraire, nul n’est pénalement responsable et ne peut être puni à raison d’un
crime relevant de la compétence de la Cour que si l’élément matériel du crime est commis avec
intention et connaissance.
2. Il y a intention au sens du présent article lorsque :
(a) Relativement à un comportement, une personne entend adopter ce comportement ;
(b)Relativement à une conséquence, une personne entend causer cette conséquence ou est
consciente que celle-ci adviendra dans le cours normal des événements.
3. Il y a connaissance au sens du présent article, lorsqu’une personne est consciente qu’une
circonstance existe ou qu’une conséquence adviendra dans le cours normal des événements.
« Connaître » et « en connaissance de cause » s’interprètent en conséquence.
Ainsi, pour prouver qu'une personne est coupable d'un crime de guerre en vertu du Statut de la CPI, il faut
démontrer que l'acte interdit a été mené avec intention et connaissance. Selon l'Article 30(2) du Statut de la
CPI, il y a intention au sens lorsque :
• relativement à un comportement, une personne entend adopter ce comportement ;
• relativement à une conséquence, une personne entend causer cette conséquence ou est consciente que celleci adviendra dans le cours normal des événements.
La connaissance est définie par l'Article 30(3) du Statut CPI comme la conscience « qu’une circonstance
existe ou qu’une conséquence adviendra dans le cours normal des événements ».
Il faut noter cependant que l'Article 30 n'est pas le seul article du Statut de la CPI comprenant des dispositions
sur les éléments psychologiques requis. L'Article 30 du Statut de la CPI ne fait que souligner les critères
généraux et les notions de base de l'intention et de la connaissance. D'autres états psychologiques et variations
concernant le degré de responsabilité subjective se trouvent dans la définition spécifique des crimes ou
des principes généraux du droit pénal. En ce qui concerne les crimes de guerre, certaines des interdictions
mentionnées à l'Article 8 du Statut de la CPI comprennent également les éléments psychologiques requis du
327
110
Cryer et al (n4) 241.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
crime dans la disposition. Par exemple, l'Article 8(2)(b)(ii) stipule qu'une personne est coupable d’un crime
de guerre lorsqu'elle « dirige intentionnellement des attaques contre des biens de caractère civil ». De plus,
pour beaucoup de crimes de guerre, l'Article 8 du Statut de la CPI présuppose qu'ils sont commis' de façon
arbitraire’, « intentionnelle » ou même' par traîtrise ».328
En ce qui concerne la connaissance requise pour certains crimes de guerre, les Éléments des crimes de la CPI
proposent que le critère de connaissance ne concerne pas l'évaluation juridique des circonstances par l'auteur
du crime mais la conscience de fait. Par exemple, lorsque les crimes de guerre surviennent dans le contexte
de conflits armés internationaux ou internes, il doit être prouvé que l'auteur du crime était conscient des
circonstances de fait établissant l’existence d’un conflit armé.329 Il n'est pourtant pas nécessaire de prouver
que l'auteur du crime était conscient des circonstances constituent juridiquement un conflit armé ou si ce
conflit était de caractère international ou interne.330 Ce principe s'applique aussi à certains autres éléments
psychologiques requis relatifs aux crimes de guerre en vertu du Statut de la CPI.
Par exemple, l'Article 8(2)(a) stipule qu'un acte contre des personnes ou biens protégés constitue selon la
Convention de Genève un crime de guerre. Comme on l'a vu plus haut, les Conventions de Genève définissent
précisément la signification de « personnes protégées » sur lesquelles les violations s'appliquent. Dans le cas
de la Convention de Genève IV, sont inclues les personnes aux mains de la partie au conflit ou la Puissance
occupante, en ce qu'elles ne sont pas des ressortissants. Ainsi, il est nécessaire de prouver que l'auteur
du crime était conscient des circonstances de fait établissant leur statut protégé.331 En ce qui concerne la
nationalité, il n'est pas nécessaire de démontrer que l'auteur du crime avait connaissance de la nationalité de la
victime, mais simplement qu'il savait que la victime appartenait à la partie adverse du conflit.332
Les détails des éléments psychologiques et physiques requis pour les crimes particuliers mentionnés à l'Article
8 du Statut de la CPI et définis dans ses Éléments de crimes sont décrits ci-dessous.
Délits spécifiques (sous-jacents)
Les éléments de crimes de la CPI décrivent les éléments requis pour chaque acte mentionné à l'Article 8 du Statut
de la CPI. Afin de prouver qu'un crime de guerre a été commis, en plus des critères généraux communs à tous les
crimes de guerre décrits ci-dessus, l'un des actes particuliers mentionnés à l'Article 8 doit être commis. Le chapitre
suivant définit les éléments particuliers touchant chaque infraction sous-jacente sans répéter les éléments généraux
ou génériques communs à tous les crimes de guerre (voir plus haut).
328
329
330
331
332
Le terme « arbitraire » se trouve à l'Article 8(2)(a)(iv), « intentionnel » à l'Article 8(2)(a)(i), (iii) et (vi), et « par traîtrise » à l'Article 8(2)(b)(xi) et e(ix) du
Statut de la CPI. Voir aussi Albin Eser, « Mental Elements – Mistake of Fact and Mistake of Law », in Antonio Cassese, Paola Gaeta et John R W D Jones
(éd), I The Rome Statute of the International Criminal Court : A Commentary (OUP, Oxford 2002) 889, 898–899.
Voir Article 8 des Éléments de crimes de la CPI (Introduction), 14.
Voir Cassese, Gaeta et Jones (éd), Vol I et II (n328) 389.
Voir Article (8) (2) (a) (i) (n231) 14.
Ibid n33.
Manuel de droit pénal international
111
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Infractions graves aux Conventions de Genève
L'Article 8(2)(a) du Statut de la CPI expose les actes qui, en parallèle aux éléments requis relatifs aux crimes
de guerre (voir ci-dessus), doivent avoir été commis contre des personnes ou des biens protégés en vertu
des Conventions de Genève. Ce chapitre définit les actes précis relatifs à chaque crime, et ne reproduit donc
pas les éléments communs aux crimes de guerre en vertu des Conventions de Genève (commises contre des
personnes ou des biens protégés dans le cadre d'un conflit armé international).
Crime de guerre d'homicide intentionnel
L'élément pertinent de crime de guerre d'homicide intentionnel décrit à l'Article 8(2)(a)(i) du Statut de la CPI
est que l'auteur du crime a tué une ou plusieurs personnes.
Les Éléments des crimes de la CPI notent que le terme « tuer » est interchangeable avec l’expression « causer la
mort de ».
Crime de guerre de torture
Les éléments pertinents de crime de guerre de torture décrit à l'Article 8(2)(a)(ii) du Statut de la CPI sont les
suivants :
• L’auteur a infligé une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une ou plusieurs
personnes.
• L’auteur a infligé cette douleur ou ces souffrances afin, notamment, d’obtenir des renseignements ou
des aveux, de punir, d’intimider ou de contraindre ; ou pour tout autre motif fondé sur une forme de
discrimination, quelle qu’elle soit.
Crime de guerre de traitement inhumain
L'élément pertinent de crime de guerre de traitement inhumain décrit à l'Article 8(2)(a)(ii)-2 du Statut de la
CPI est que l’auteur a infligé à une ou plusieurs personnes une douleur ou des souffrances aiguës, physiques
ou mentales.
Crime de guerre d'expériences biologiques
Les éléments pertinents du crime de guerre d'expériences biologiques décrit à l'Article 8(2)(a)(ii)-3 du Statut
de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a soumis une ou plusieurs personnes à une expérience biologique particulière.
• Cette expérience a porté gravement atteinte à la santé ou à l’intégrité, physique ou mentale, de ladite ou
desdites personnes.
• L’expérience n’avait pas un but thérapeutique et n’était ni justifiée par des raisons médicales ni effectuée
dans l’intérêt de ladite ou desdites personnes.
112
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Crime de guerre du fait de causer intentionnellement de grandes souffrances
L'élément pertinent du crime de guerre du fait de causer intentionnellement de grandes souffrances décrit à
l'Article 8(2)(a)(iii) du Statut de la CPI est que l’auteur a causé de grandes douleurs ou souffrances, physiques
ou mentales, ou a porté gravement atteinte à l’intégrité physique ou à la santé d’une ou de plusieurs personnes.
Crime de guerre de destruction et d'appropriation de biens
Les éléments pertinents du crime de guerre de destruction et d'appropriation de biens décrit à l'Article 8(2)(a)
(iv) du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a détruit ou s’est approprié certains biens.
• La destruction ou l’appropriation n’était pas justifiée par des nécessités militaires.
• La destruction ou l’appropriation a été exécutée sur une grande échelle et de façon arbitraire.
Crime de guerre de forcer à servir dans des forces hostiles
L'élément pertinent du crime de forcer à servir dans des forces hostiles décrit à l'Article 8(2)(a)(v) du Statut
de la CPI est que l'auteur du crime a contraint une ou plusieurs personnes, par un acte ou sous la menace,
à prendre part à des opérations militaires contre le pays ou les forces du pays dont ces personnes étaient
ressortissantes ou à servir de toute autre manière dans les forces d’une puissance ennemie.
Crime de guerre de refus de procès équitable
L'élément pertinent du crime de refus de procès équitable décrit à l'Article 8(2)(a)(vi) du Statut de la CPI est
que l'auteur du crime dénié à une ou plusieurs personnes le droit d’être jugées régulièrement et impartialement
en leur refusant les garanties judiciaires définies, en particulier, dans les troisième et quatrième Conventions
de Genève de 1949.
Crime de guerre de déportation illégale ou de transfert illégal
L'élément pertinent du crime de guerre de déportation illégale ou de transfert illégal décrit à l'Article 8(2)(a)
(vii)-1 du Statut de la CPI est que l'auteur du crime a déporté ou transféré une ou plusieurs personnes dans un
autre État ou un autre lieu.
Crime de guerre de détention illégale
L'élément pertinent du crime de guerre de détention illégale décrit à l'Article 8(2)(a)(vii)-2 du Statut de la
CPI est que l'auteur du crime a détenu ou maintenu en détention une ou plusieurs personnes dans un lieu
déterminé.
Manuel de droit pénal international
113
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Crime de guerre de prise d'otages
Les éléments pertinents du crime de guerre de prises d'otages décrit à l'Article 8(2)(a)(vii) du Statut de la CPI
sont les suivants :
• L’auteur s’est emparé, a détenu ou autrement pris en otage une ou plusieurs personnes.
• L’auteur a menacé de tuer, blesser ou continuer à maintenir en détention ladite ou lesdites personnes.
• L’auteur avait l’intention de contraindre un État, une organisation internationale, une personne physique
ou morale ou un groupe de personnes à agir ou à s’abstenir d’agir en subordonnant expressément ou
implicitement la sécurité ou la mise en liberté de ladite ou desdites personnes à une telle action ou
abstention.
Autres violations graves applicables aux conflits armés internationaux
L'Article 8(2)(b) du Statut de la CPI offre une autre liste de crimes de guerre dans les conflits armés
internationaux. Pour les infractions mentionnées à l'Article 8(2)(b), il faut en plus des actes mentionnés et
commis que les éléments généraux requis relatifs aux crimes de guerre de nature internationale soient prouvés
(ils doivent avoir eu lieu dans le cadre d'un conflit international). Ainsi, les éléments communs relatifs aux
crimes de guerre en général ne sont pas répétés.
Crime de guerre d'attaques sur des civils
Les éléments pertinents du crime de guerre d'attaques sur des civils décrit à l'Article 8(2)(b)(i) du Statut de la
CPI sont les suivants :
• L’auteur a dirigé une attaque.
• L’objectif de l’attaque était une population civile en tant que telle ou des personnes civiles ne participant
pas directement aux hostilités.
• L’auteur entendait prendre pour cible de son attaque ladite population civile ou ces personnes civiles ne
participant pas directement aux hostilités.
Crime de guerre d'attaques sur des objets civils
Les éléments pertinents du crime de guerre d'attaques contre des biens de caractère civil décrit à l'Article 8(2)
(b)(ii) du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a dirigé une attaque.
• L’objectif de l’attaque était des biens de caractère civil, c’est-à-dire des biens qui ne sont pas des objectifs
militaires.
• L’auteur entendait prendre pour cible de son attaque des biens de caractère civil.
114
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Crime de guerre d'attaque contre le personnel ou le matériel participant à une mission
d'assistance humanitaire ou de maintien de la paix
Les éléments pertinents du crime de guerre d'attaque contre le personnel ou des biens employés dans le cadre
d’une mission d’aide humanitaire ou de maintien de la paix décrit à l'Article 8(2)(b)(iii) du Statut de la CPI
sont les suivants :
• L’auteur a dirigé une attaque.
• L’objectif de l’attaque était le personnel, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés
dans le cadre d’une mission d’aide humanitaire ou de maintien de la paix conformément à la Charte des
Nations Unies.
• L’auteur entendait prendre pour cible de son attaque lesdits personnel, installations, matériel, unités ou
véhicules.
• Lesdits personnel, installations, matériel, unités ou véhicules avaient droit à la protection que le droit
international des conflits armés garantit aux personnes civiles et aux biens de caractère civil.
• L’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant cette protection.
Crime de guerre des pertes en vies humaines, des blessures et des dommages excessifs
Les éléments pertinents du crime de guerre des pertes en vies humaines, des blessures et des dommages
excessifs décrit à l'Article 8(2)(b)(iv) du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a lancé une attaque.
• Cette attaque était telle qu’elle allait causer incidemment des pertes en vies humaines ou des blessures
parmi la population civile, des dommages aux biens de caractère civil ou des dommages étendus, durables
et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de
l’avantage militaire concret et direct attendu.
• L’auteur savait que l’attaque causerait incidemment des pertes en vies humaines ou des blessures parmi la
population civile, des dommages aux biens de caractère civil ou des dommages étendus, durables et graves
à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage
militaire concret et direct attendu.
Selon les Éléments des crimes, l’expression « l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu »
désigne un avantage militaire que l’auteur pouvait prévoir avant de lancer l’attaque Cet avantage peut ou non
avoir un rapport temporel ou géographique avec l’objet de l’attaque. Le fait que la commission de ce crime
peut entraîner, de façon licite, des blessures incidentes et des dommages collatéraux, ne justifie en aucune
façon quelque violation que ce soit du droit applicable dans les conflits armés. L’expression n’a pas trait à la
justification de la guerre ou aux règles du jus ad bellum. mais reflète l’exigence de proportionnalité inhérente à la
détermination du caractère licite de toute activité militaire entreprise dans le contexte d’un conflit armé.
Selon les Éléments des crimes, contrairement à la règle générale énoncée au paragraphe 4 de l’introduction
générale des présents Éléments de crimes, ce troisième élément (critère de connaissance) requiert que l’auteur
effectue le jugement de valeur ici décrit, à savoir que les dommages causés étaient clairement excessifs. Une
évaluation de ce jugement de valeur doit être fondée sur les informations requises accessibles pour l'auteur du
crime à l'époque.
Manuel de droit pénal international
115
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Crime de guerre d'attaque de lieux non défendus
Les éléments pertinents du crime de guerre d'attaques de lieux non défendus décrit à l'Article 8(2)(b)(v) du
Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a attaqué une ou plusieurs villes, villages, habitations ou bâtiments.
• Ces villes, villages, habitations ou bâtiments étaient ouverts à l’occupation sans opposer de résistance.
• Ces villes, villages, habitations ou bâtiments ne constituaient pas des objectifs militaires.
Selon les Éléments des crimes, la présence dans une localité de personnes spécialement protégées par les
Conventions de Genève de 1949 et de forces de police qui ne s’y trouvent qu’à seule fin de maintenir l’ordre
ne suffit pas pour faire de cette localité un objectif militaire.
Crime de guerre de tuer ou blesser un individu hors de combat
Les éléments pertinents du crime de guerre de tuer ou blesser une personne hors de combat décrits à l'Article
8(2)(b)(vi) du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a tué ou blessé une ou plusieurs personnes.
• Ladite ou lesdites personnes étaient hors de combat.
• L’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant cet état.
Crime de guerre de l'utilisation indue du drapeau blanc
Les éléments pertinents du crime de guerre de l'utilisation indue d’un pavillon parlementaire décrit à l'Article
8(2)(b)(vii)-1 du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a utilisé un pavillon parlementaire.
• L’auteur a procédé à cette utilisation pour feindre l’intention de négocier alors que telle n’était pas son
intention.
• L’auteur savait ou aurait dû savoir qu’une telle utilisation est interdite.
• Le comportement a causé la mort ou des blessures graves.
• L’auteur savait que son comportement pouvait provoquer la mort ou des blessures graves.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, le terme « interdite » dénote l’illégalité du comportement.
Crime de guerre de l'utilisation indue d'un drapeau, d'insignes ou de l'uniforme
de la partie ennemie
Les éléments pertinents du crime de guerre de l'utilisation indue du drapeau, des insignes ou de l’uniforme de
l’ennemi décrit à l'Article 8(2)(b)(vii)-2 du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a utilisé un drapeau, des insignes ou un uniforme de l’ennemi.
• L’auteur a procédé à cette utilisation, au cours d’une attaque, d’une façon interdite par le droit international
des conflits armés.
• L’auteur savait ou aurait dû savoir qu’une telle utilisation est interdite.
116
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
• Le comportement a causé la mort ou des blessures graves.
• L’auteur savait que son comportement pouvait causer la mort ou des blessures graves.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, le terme « interdite » dénote l’illégalité du comportement.
Crime de guerre de l'utilisation indue d'un drapeau, d'insignes ou de l'uniforme des Nations
Unies
Les éléments pertinents du crime de guerre de l'utilisation indue du drapeau, des insignes ou de l’uniforme des
Nations unies décrit à l'Article 8(2)(b)(vii)-3 du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a utilisé un drapeau, des insignes ou un uniforme des Nations Unies.
• L’auteur a procédé à cette utilisation au cours d’une attaque, d’une façon interdite par le droit international des
conflits armés.
• L’auteur savait qu’une telle utilisation est interdite.
• Le comportement a causé la mort ou des blessures graves.
• L’auteur savait que son comportement pouvait provoquer la mort ou des blessures graves.
Selon les Éléments des crime de la CPI, le critère « ou aurait dû savoir » qui apparaît dans la définition des
éléments des autres crimes énumérés sous la rubrique 8(2)(b)(vii) n’est pas applicable ici du fait de la variété
et du caractère réglementaire des interdictions pertinentes.
Crime de guerre de l'utilisation indue des emblèmes distinctifs des Conventions de Genève
Les éléments pertinents du crime de guerre de l'utilisation indue des signes distinctifs prévus par les
Conventions de Genève décrits à l'Article 8(2)(b)(vii)-4 du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a utilisé les signes distinctifs prévus par les Conventions de Genève.
• L’auteur a procédé à cette utilisation à des fins combattantes d’une façon interdite par le droit international
des conflits armés.
• L’auteur savait ou aurait dû savoir qu’une telle utilisation est interdite.
• Le comportement a causé la mort ou des blessures graves.
• L’auteur savait que son comportement pouvait provoquer la mort ou des blessures graves.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, le terme « fins combattantes » s’entend, dans les circonstances,
comme des fins liées directement aux hostilités et non d’activités médicales, religieuses ou analogues.
Manuel de droit pénal international
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chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Crime de guerre du transfert, directement ou indirectement, par la puissance occupante d'une
partie de sa propre population civile dans le territoire qu'elle occupe, ou par la déportation ou
le transfert de tout ou partie de la population du territoire occupé au sein de ce territoire ou à
l'extérieur
Les éléments pertinents de ce crime de guerre décrit à l'Article 8(2)(a)(viii) du Statut de la CPI sont les
suivants :
• L'auteur a transféré, directement ou indirectement, une partie de la population de la puissance occupante
dans le territoire qu’elle occupe ; ou
• A déporté ou transféré la totalité ou une partie de la population du territoire occupé à l’intérieur ou hors de
ce territoire.
Les Éléments des crimes de la CPI notent que le terme « transféré » doit être interprété conformément aux
dispositions pertinentes du droit international humanitaire.
Crime de guerre d'attaque contre des objets protégés
Les éléments pertinents du crime de guerre d'attaques contre des biens protégés décrit à l'Article 8(2)(b)(ix) du
Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a dirigé une attaque.
• L’objectif de l’attaque était un ou plusieurs bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à
la science ou à l’action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades ou
des blessés sont rassemblés, qui n’étaient pas des objectifs militaires.
• L’auteur entendait prendre pour cible de son attaque lesdits bâtiments consacrés à la religion, à
l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et
des lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés, qui n’étaient pas des objectifs militaires.
Selon les Éléments des crimes, la présence dans une localité de personnes spécialement protégées par les
Conventions de Genève de 1949 et de forces de police qui ne s’y trouvent qu’à seule fin de maintenir l’ordre
ne suffit pas pour faire de cette localité un objectif militaire.
Crime de guerre de mutilation
Les éléments pertinents de crime de guerre de mutilation décrit à l'Article 8(2)(b)(x)-1 du Statut de la CPI sont
les suivants :
• L’auteur a soumis une ou plusieurs personnes à une mutilation, en particulier en les défigurant de façon
définitive, en les rendant invalides de façon permanente ou en procédant à l’ablation définitive d’un de
leurs organes ou appendices.
• Le comportement a causé la mort ou gravement mis en danger la santé physique ou mentale de ladite ou
desdites personnes.
• Les actes n’étaient ni justifiés par un traitement médical, dentaire ou hospitalier de la ou des personnes
concernées ni accomplis dans son ou leur intérêt.
• Ladite ou lesdites personnes étaient sous le pouvoir d’une partie adverse.
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Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Selon les Éléments des crimes de la CPI, le consentement ne peut pas être invoqué comme moyen de défense
en ce qui concerne ce crime. Est interdite toute procédure médicale qui n’est pas dictée par l’état de santé de
l’intéressé et qui n’est pas conforme aux normes médicales généralement acceptées qui seraient appliquées dans
des conditions analogues médicales aux ressortissants de la partie procédant à l’opération qui ne seraient en
aucune façon privés de liberté. Cette note vaut également pour le même élément de l’article 8(2)(b)(x)-2.
Crime de guerre d'expériences médicales ou scientifiques
Les éléments pertinents du crime de guerre d'expériences médicales ou scientifiques décrit à l'Article 8(2)(b)
(x)-2 du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a soumis une ou plusieurs personnes à une expérience médicale ou scientifique.
• L’expérience a causé la mort ou gravement mis en danger la santé ou l’intégrité physique ou mentale de
ladite ou desdites personnes.
• Les actes n’étaient ni justifiés par un traitement médical, dentaire ou hospitalier de la ou des personnes
concernées ni accomplis dans leur intérêt.
• Ladite ou lesdites personnes étaient sous le pouvoir d’une partie adverse.
Crime de guerre du fait de tuer ou blesser par traîtrise
Les éléments pertinents du crime de guerre de tuer ou blesser par traîtrise décrit à l'Article 8(2)(b)(xi) du
Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a fait appel à la bonne foi d’une ou de plusieurs personnes ou leur a fait croire qu’elles avaient
le droit de recevoir ou l’obligation d’accorder la protection prévue par les règles du droit international
applicables dans les conflits armés.
• L’auteur avait l’intention de tromper cette bonne foi ou cette confiance.
• L’auteur a tué ou blessé ladite ou lesdites personnes.
• L’auteur a usé de la bonne foi ou de ce qu’il avait fait croire à ladite ou auxdites personnes pour les tuer ou les
blesser.
• Ladite ou lesdites personnes appartenaient à une partie adverse.
Crime de guerre de refus de quartier
Les éléments pertinents du crime de guerre de déni de quartier décrit à l'Article 8(2)(b)(xii) du Statut de la CPI
sont les suivants :
• L’auteur a déclaré qu’il n’y aurait pas de survivants ou ordonné qu’il n’y en ait pas.
• Cette déclaration ou cet ordre a été émis pour menacer un adversaire ou pour conduire les hostilités sur la
base qu’il n’y aurait pas de survivants.
• L’auteur était dans une position de commandement ou de contrôle effectif des forces qui lui étaient
subordonnées auxquelles la déclaration ou l’ordre s’adressait.
Manuel de droit pénal international
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chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Crime de guerre de destruction ou saisie des biens de l'ennemi
Les éléments pertinents du crime de guerre de destruction ou saisie des biens de l'ennemi décrit à l'Article 8(2)
(b)(xiii) du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a détruit ou saisi certains biens.
• Ces biens étaient la propriété de l’ennemi.
• Lesdits biens étaient protégés contre la destruction ou saisie par le droit international des conflits armés.
• L’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant le statut des biens.
• La destruction ou la saisie n’était pas justifiée par des nécessités militaires.
Crime de guerre du fait de priver des ressortissants de la puissance hostile
des droits ou actions
Les éléments pertinents du crime de guerre de déni de droits ou d’action à des ressortissants de la partie
adverse décrit à l'Article 8(2)(b)(xiv) du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a prononcé l’extinction, la suspension ou la non-recevabilité en justice de certains droits ou
recours.
• L’extinction, la suspension ou la décision de non-recevabilité visait les ressortissants d’une partie adverse.
• L’auteur entendait que cette extinction, suspension ou décision de non-recevabilité vise les ressortissants
d’une partie adverse.
Crime de guerre du fait de forcer la participation à des opérations militaires
Les éléments pertinents du crime de guerre du fait de contraindre à participer à des opérations militaires décrit
à l'Article 8(2)(b)(xv) du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a contraint une ou plusieurs personnes, par l’action ou par la menace, à prendre part aux
opérations militaires dirigées contre leur propre pays ou les forces de leur propre pays.
• Ladite ou lesdites personnes étaient des ressortissants d’une partie adverse.
• Le comportement a eu lieu dans le contexte de et était associé à un conflit armé international.
• L’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant l’existence d’un conflit armé.
Crime de guerre de pillage
Les éléments pertinents de crime de guerre de pillage décrit à l'Article 8(2)(b)(xvi) du Statut de la CPI sont les
suivants :
• L’auteur s’est approprié certains biens.
• L’auteur avait l’intention de spolier le propriétaire des biens et de se les approprier à des fins privées ou
personnelles.
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Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
• L’appropriation s’est faite sans le consentement du propriétaire.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, comme l’indiquent les termes « à des fins privées ou personnelles »,
les appropriations justifiées par les nécessités militaires ne constituent pas un crime de pillage.
Crime de guerre d'emploi de poison ou d'armes empoisonnées
Les éléments pertinents de crime de guerre d'emploi de poison ou d'armes empoisonnées décrit à l'Article 8(2)
(b)(xvii) du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a employé une substance toxique ou a fait usage d’une arme qui dégage une telle substance
lorsqu’elle est employée.
• La substance employée était de nature à causer la mort ou à porter gravement atteinte à la santé dans le
cours normal des événements du fait de ses propriétés toxiques.
Crime de guerre d'emploi de gaz, liquides, matières ou dispositifs interdits
Les éléments pertinents de crime de guerre d'emploi de gaz, liquides, matières ou procédés prohibés décrit à
l'Article 8(2)(b)(xviii) du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a employé un gaz, une substance ou un procédé analogue.
• Le gaz, la substance ou le procédé était de nature à causer la mort ou à porter gravement atteinte à la santé
dans le cours normal des événements du fait de ses propriétés asphyxiantes ou toxiques.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, rien dans cet élément ne doit être interprété comme limitant ou
portant préjudice en aucune manière aux normes de droit international existantes ou en cours d’élaboration
concernant la mise au point, la production, le stockage et l’emploi d’armes chimiques.
Crime de guerre d'emploi de balles interdites
Les éléments pertinents du crime de guerre d'emploi de balles prohibées décrit à l'Article 8(2)(b)(xix) du
Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a employé certaines balles.
• Les balles étaient telles que leur emploi constitue une violation du droit international des conflits armés
parce qu’elles éclatent ou s’aplatissent facilement dans le corps humain.
• L’auteur avait connaissance du fait que la nature de ces balles était telle que leur emploi aggraverait
inutilement les souffrances ou les blessures infligées.
Crime de guerre d'emploi d'armes, de projectiles ou matières ou de méthodes de guerre
figurant à l'annexe du Statut
En ce qui concerne ce crime, décrit à l'Article 8(2)(b)(xx) du Statut de la CPI, les Éléments des crimes notent
que « les éléments de ce crime seront élaborés une fois que la liste des armes, projectiles ou matériels ou
méthodes de combat visés aura été incluse en annexe au Statut ».
Manuel de droit pénal international
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chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Crime de guerre d'outrages à la dignité personnelle
Les éléments pertinents du crime de guerre d'atteintes à la dignité de la personne décrit à l'Article 8(2)(b)(xxi)
du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a soumis une ou plusieurs personnes à un traitement humiliant ou dégradant ou autrement porté
atteinte à leur dignité.
• L’humiliation ou la dégradation ou autre violation était d’une gravité suffisante pour être reconnue
généralement comme une atteinte à la dignité de la personne.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, le mot « personnes » vise également ici les personnes décédées.
Il est entendu qu’il n’est pas nécessaire que la victime ait personnellement été consciente de l’existence de
l’humiliation ou de la dégradation ou autre violation. Cet élément tient compte des aspects pertinents du
contexte culturel de la victime.
Crime de guerre de viol
Les éléments pertinents de crime de guerre de viol décrit à l'Article 8(2)(b)(xxii)-1 du Statut de la CPI sont les
suivants :
• L’auteur a pris possession du corps d’une personne de telle manière qu’il y a eu pénétration, même
superficielle, d’une partie du corps de la victime ou de l’auteur par un organe sexuel, ou de l’anus ou du
vagin de la victime par un objet ou toute autre partie du corps.
• L’acte a été commis par la force ou en usant à l’encontre de ladite ou desdites ou de tierces personnes de
la menace de la force ou de la coercition, telle que celle causée par la menace de violences, contrainte,
détention, pressions psychologiques, abus de pouvoir, ou bien à la faveur d’un environnement coercitif, ou
encore en profitant de l’incapacité de ladite personne de donner son libre consentement.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, l'expression « prendre possession » se veut suffisamment large pour
être dénuée de connotation sexospécifique.
De plus, ils font remarquer qu'il « est entendu qu’une personne peut être incapable de donner son libre
consentement si elle souffre d’une incapacité innée, acquise ou liée à l’âge ».
Crime de guerre d'esclavage sexuel
Les éléments pertinents de crime de guerre d'esclavage sexuel décrit à l'Article 8(2)(b)(xxii)-2 du Statut de la
CPI sont les suivants :
• L’auteur a exercé l’un quelconque ou la totalité des pouvoirs découlant du droit de propriété sur une ou
plusieurs personnes, par exemple en achetant, vendant, prêtant ou troquant ladite ou lesdites personnes, ou
en leur imposant une privation similaire de liberté.
• L’auteur a contraint ladite ou lesdites personnes à accomplir un ou plusieurs actes de nature sexuelle.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, vu la nature complexe de ce crime, il est entendu que sa perpétration
pourrait impliquer plusieurs auteurs ayant une intention criminelle commune.
122
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
De plus, « il est entendu qu’une telle privation de liberté peut, dans certaines circonstances, inclure des
travaux forcés ou d’autres moyens de réduire une personne à l’état de servitude, tel qu’il est défini dans
la Convention supplémentaire de 1956 relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des
institutions et pratiques analogues à l’esclavage. Il est aussi entendu que le comportement décrit dans cet
élément inclut la traite d’êtres humains, en particulier de femmes et d’enfants. »
Crime de guerre de prostitution forcée
Les éléments pertinents de crime de guerre de prostitution forcée décrit à l'Article 8(2)(b)(xxii)-3 du Statut de
la CPI sont les suivants :
• L’auteur a amené une ou plusieurs personnes à accomplir un ou plusieurs actes de nature sexuelle par
la force, ou en usant à l’encontre de ladite ou desdites ou de tierces personnes de la menace de la force
ou de la coercition, telle que celle causée par la menace de violences, contrainte, détention, pressions
psychologiques, abus de pouvoir, ou bien à la faveur d’un environnement coercitif, ou encore en profitant
de l’incapacité desdites personnes de donner leur libre consentement.
• L’auteur ou une autre personne a obtenu ou espérait obtenir un avantage pécuniaire ou autre en échange des
actes de nature sexuelle ou en relation avec ceux-ci.
• Le comportement a eu lieu dans le contexte de et était associé à un conflit armé international.
• L’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant l’existence d’un conflit armé.
Crime de guerre de grossesse forcée
L'élément pertinent du crime de guerre de grossesse forcée décrit à l'Article 8(2)(a)(vii)-4 du Statut de la
CPI est que l'auteur du crime a détenu une ou plusieurs femmes mises enceintes de force, dans l’intention
de modifier la composition ethnique d’une population ou de commettre d’autres violations graves du droit
international.
Crime de guerre de stérilisation forcée
Les éléments pertinents de crime de guerre de stérilisation forcée décrit à l'Article 8(2)(b)(xxii)-5 du Statut de
la CPI sont les suivants :
• L’auteur a privé une ou plusieurs personnes de la capacité biologique de se reproduire.
• Les actes n’étaient ni justifiés par un traitement médical ou hospitalier de la ou les personnes concernées ni
accomplis avec son ou leur libre consentement.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, cela ne vise pas les mesures de régulation des naissances qui ont un
effet non permanent dans la pratique.
De plus, « il est entendu que le terme « libre consentement » ne comprend pas le consentement obtenu par la
tromperie ».
Manuel de droit pénal international
123
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Crime de guerre de violence sexuelle
Les éléments pertinents de crime de guerre de violences sexuelles décrit à l'Article 8(2)(b)(xxii)-6 du Statut de
la CPI sont les suivants :
• L’auteur a commis un acte de nature sexuelle sur une ou plusieurs personnes ou a contraint ladite ou
lesdites personnes à accomplir un tel acte par la force ou en usant à l’encontre de ladite ou desdites ou
de tierces personnes de la menace de la force ou de la coercition, telle que celle causée par la menace
de violences, contrainte, détention, pressions psychologiques, abus de pouvoir, ou bien à la faveur d’un
environnement coercitif, ou encore en profitant de l’incapacité desdites personnes de donner leur libre
consentement.
• Les actes étaient d’une gravité comparable à celle d’une infraction grave aux Conventions de Genève.
L’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant la gravité du comportement.
Crime de guerre d'utilisation de personnes protégées comme boucliers humains
Les éléments pertinents du crime de guerre d'utilisation de boucliers humains décrit à l'Article 8(2)(b)(xxiii)
du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a déplacé une ou plusieurs personnes civiles ou autres personnes protégées par le droit
international des conflits armés ou a tiré parti de l’endroit où elles se trouvaient.
• L’auteur entendait mettre un objectif militaire à l’abri d’attaques ou couvrir, favoriser ou gêner des
opérations militaires.
• Le comportement a eu lieu dans le contexte de et était associé à un conflit armé international.
• L’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant l’existence d’un conflit armé.
Crime de guerre d'attaque contre des objets ou personnes portant les emblèmes distinctifs
des Conventions de Genève
Les éléments pertinents du crime de guerre d'attaque contre des biens ou des personnes utilisant les signes
distinctifs prévus par les Conventions de Genève décrit à l'Article 8(2)(b)(xxiv) du Statut de la CPI sont les
suivants :
• L’auteur a attaqué une ou plusieurs personnes, un ou plusieurs bâtiments, unités ou moyens de transport
sanitaires ou autres biens utilisant, conformément au droit international, des signes distinctifs ou autres
moyens d’identification indiquant qu’ils sont protégés par les Conventions de Genève.
• L’auteur entendait prendre pour cible ces personnes, bâtiments, unités ou moyens de transport, ou autres
biens utilisant lesdits signes distinctifs.
Crime de guerre de famine comme méthode de guerre
Les éléments pertinents de crime de guerre du fait d’affamer des civils comme méthode de guerre décrit à
l'Article 8(2)(b)(xxv) du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a privé des civils de biens indispensables à leur survie.
• L’auteur entendait affamer des civils comme méthode de guerre.
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Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Crime de guerre de l'utilisation, de la conscription ou de l'enrôlement d'enfants
Les éléments pertinents du crime de guerre de l'utilisation, de la conscription ou de l'enrôlement d'enfants
décrit à l'Article 8(2)(b)(xxvi) du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a procédé à la conscription, à l’enrôlement d’une ou plusieurs personnes dans les forces armées
nationales ou les a fait participer activement aux hostilités.
• Ladite ou lesdites personnes étaient âgées de moins de 15 ans.
• L’auteur savait ou aurait dû savoir que ladite ou lesdites personnes étaient âgées de moins de 15 ans.
Article 8(2)(c) : Conflit armé non de caractère international, violations graves de
l'Article commun 3
L'Article 8(2)(c) du Statut de la CPI définit des actes particuliers constituant des crimes dans les conflits
armés non internationaux. Pour les infractions mentionnées dans cette catégorie, il faut, en plus de l'acte
particulier commis, des éléments généraux requis relatifs aux crimes de guerre survenant lors de conflits non
internationaux (actes commis contre des non combattants dans le cadre d'un conflit armé non international).
Ainsi, les éléments communs relatifs aux crimes de guerre en général ne sont pas répétés.
Crime de guerre d'homicide volontaire
L'élément pertinent de crime de guerre de meurtre décrit à l'Article 8(2)(c)(i)-1 du Statut de la CPI est que
l'auteur du crime a tué une ou plusieurs personnes.
Crime de guerre de mutilation
Les éléments pertinents de crime de guerre de mutilation décrit à l'Article 8(2)(c)(i)-2 du Statut de la CPI sont
les suivants :
• L’auteur a soumis une ou plusieurs personnes à une mutilation, en particulier en les défigurant de façon
définitive, en les rendant invalides de façon permanente ou en procédant à l’ablation définitive d’un de
leurs organes ou appendices.
• Les actes n’étaient motivés ni par un traitement médical, dentaire ou hospitalier de la ou les personnes
concernées ni accomplis dans son ou leur intérêt.
Crime de guerre de traitement cruel
L'élément pertinent de crime de guerre de traitement cruel décrit à l'Article 8(2)(c)(i)-3 du Statut de
la CPI est que l’auteur a infligé à une ou plusieurs personnes une douleur ou des souffrances aiguës,
physiques ou mentales.
Manuel de droit pénal international
125
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Crime de guerre de torture
Les éléments pertinents de crime de guerre de torture décrit à l'Article 8(2)(c)(i)-4 du Statut de la CPI sont les
suivants :
• L’auteur a infligé une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une ou plusieurs
personnes.
• L’auteur a infligé cette douleur ou ces souffrances afin, notamment, d’obtenir des renseignements ou
des aveux, de punir, d’intimider ou de contraindre ; ou pour tout autre motif fondé sur une forme de
discrimination, quelle qu’elle soit.
Crime de guerre d'outrages à la dignité personnelle
Les éléments pertinents du crime de guerre d'atteintes à la dignité de la personne décrit à l'Article 8(2)(c)(ii)
du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a soumis une ou plusieurs personnes à un traitement humiliant ou dégradant ou autrement porté
atteinte à leur dignité.
• L’humiliation ou la dégradation ou autre violation était d’une gravité suffisante pour être reconnue
généralement comme une atteinte à la dignité de la personne.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, le mot « personnes » vise également ici les personnes décédées.
Il est entendu qu’il n’est pas nécessaire que la victime ait personnellement été consciente de l’existence de
l’humiliation ou de la dégradation ou autre violation. Cet élément tient compte des aspects pertinents du
contexte culturel de la victime.
Crime de guerre de prises d'otages
Les éléments pertinents du crime de guerre de prises d'otages décrit à l'Article 8(2)(c)(vii) du Statut de la CPI
sont les suivants :
• L’auteur s’est emparé, a détenu ou autrement pris en otage une ou plusieurs personnes.
• L’auteur a menacé de tuer, blesser ou continuer à maintenir en détention ladite ou lesdites personnes.
• L’auteur avait l’intention de contraindre un État, une organisation internationale, une personne physique
ou morale ou un groupe de personnes à agir ou à s’abstenir d’agir en subordonnant expressément ou
implicitement la sécurité ou la mise en liberté de ladite ou desdites personnes à une telle action ou
abstention.
Crime de guerre d'accusation ou d'exécution sans l'application régulière de la loi
Les éléments pertinents du crime de guerre de condamnations ou exécutions en dehors de toute procédure
régulière décrit à l'Article 8(2)(c)(iv) du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a prononcé une condamnation ou fait exécuter une ou plusieurs personnes.
• Il n’y a pas eu de jugement préalable rendu par un tribunal, ou le tribunal qui a rendu le jugement
n’était pas « régulièrement constitué », en ce sens qu’il n’offrait pas les garanties essentielles en matière
d’indépendance et d’impartialité, ou le tribunal n’a pas assorti son jugement des garanties judiciaires
généralement reconnues comme indispensables en droit international.
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Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
• L’auteur savait qu’il n’y avait pas eu de jugement préalable ou qu’il y avait eu déni des garanties
pertinentes et que ces éléments étaient essentiels ou indispensables à un jugement régulier.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, « les éléments énoncés dans le présent document le sont sans égard
aux différentes formes de responsabilité pénale individuelle visées aux articles 25 et 28 du Statut ».
De plus, « en ce qui concerne les deux derniers éléments, la Cour devra examiner si, à la lumière de toutes les
circonstances pertinentes, l’effet cumulatif des facteurs concernant les garanties équivaut à un déni du droit
des personnes visées d’être jugées régulièrement. »
Article 8(2)(e) : Conflit armé non de caractère international, violations graves de
l'Article commun 3
L'Article 8(2)(e) du Statut de la CPI définit d'autres actes particuliers liés aux conflits armés non
internationaux. Comme pour les infractions mentionnées à l'Article 8(2)(c), il faut, en plus de l'acte
particulier commis, des éléments généraux requis relatifs aux crimes de guerre survenant lors de conflits non
internationaux (actes commis contre des non combattants dans le cadre d'un conflit armé non international).
Ainsi, les éléments communs relatifs aux crimes de guerre en général ne sont pas répétés.
Crime de guerre d'attaques sur des civils
Les éléments pertinents du crime de guerre d'attaques sur des civils décrit à l'Article 8(2)(e)(i) du Statut de la
CPI sont les suivants :
• L’auteur a dirigé une attaque.
• L’objectif de l’attaque était une population civile en tant que telle ou des personnes civiles ne participant
pas directement aux hostilités.
• L’auteur entendait prendre pour cible de son attaque ladite population civile ou ces personnes civiles ne
participant pas directement aux hostilités.
Crime de guerre d'attaque contre des objets ou personnes portant les emblèmes distinctifs
des Conventions de Genève
Les éléments pertinents du crime de guerre d'attaque contre des biens ou des personnes utilisant les signes
distinctifs prévus par les Conventions de Genève décrit à l'Article 8(2)(e)(ii) du Statut de la CPI sont les
suivants :
• L’auteur a attaqué une ou plusieurs personnes, un ou plusieurs bâtiments, unités ou moyens de transport
sanitaires ou autres biens utilisant, conformément au droit international, des signes distinctifs ou autres
moyens d’identification indiquant qu’ils sont protégés par les Conventions de Genève.
• L’auteur entendait prendre pour cible ces personnes, bâtiments, unités ou moyens de transport, ou autres
biens utilisant lesdits signes distinctifs.
Manuel de droit pénal international
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chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Crime de guerre d'attaque contre le personnel ou des objets participant à une mission
d'assistance humanitaire ou de maintien de la paix
Les éléments pertinents du crime de guerre d'attaque contre le personnel ou des biens employés dans le cadre
d’une mission d’aide humanitaire ou de maintien de la paix décrit à l'Article 8(2)(e)(iii) du Statut de la CPI
sont les suivants :
• L’auteur a dirigé une attaque.
• L’objectif de l’attaque était le personnel, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés
dans le cadre d’une mission d’aide humanitaire ou de maintien de la paix conformément à la Charte des
Nations Unies.
• L’auteur entendait prendre pour cible de son attaque lesdits personnel, installations, matériel, unités ou
véhicules.
• Lesdits personnel, installations, matériel, unités ou véhicules avaient droit à la protection que le droit
international des conflits armés garantit aux personnes civiles et aux biens de caractère civil.
• L’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant cette protection.
Crime de guerre d'attaque contre des objets protégés
Les éléments pertinents du crime de guerre d'attaques contre des biens protégés décrit à l'Article 8(2)(e)(iv) du
Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a dirigé une attaque.
• L’objectif de l’attaque était un ou plusieurs bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à
la science ou à l’action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades ou
des blessés sont rassemblés, qui n’étaient pas des objectifs militaires.
• L’auteur entendait prendre pour cible de son attaque lesdits bâtiments consacrés à la religion, à
l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des
lieux où des malades ou des blessés sont rassemblés, qui n’étaient pas des objectifs militaires.
Selon les Éléments des crimes, la présence dans une localité de personnes spécialement protégées par les
Conventions de Genève de 1949 et de forces de police qui ne s’y trouvent qu’à seule fin de maintenir l’ordre
ne suffit pas pour faire de cette localité un objectif militaire.
Crime de guerre de pillage
Les éléments pertinents de crime de guerre de pillage décrit à l'Article 8(2)(e)(v) du Statut de la CPI sont les
suivants :
• L’auteur s’est approprié certains biens.
• L’auteur avait l’intention de spolier le propriétaire des biens et de se les approprier à des fins privées ou
personnelles.
• L’appropriation s’est faite sans le consentement du propriétaire.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, comme l’indiquent les termes « à des fins privées ou personnelles »,
les appropriations justifiées par les nécessités militaires ne constituent pas un crime de pillage.
128
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Crime de guerre de viol
Les éléments pertinents de crime de guerre de viol décrit à l'Article 8(2)(e)(vi)-1 du Statut de la CPI sont les
suivants :
• L’auteur a pris possession du corps d’une personne de telle manière qu’il y a eu pénétration, même
superficielle, d’une partie du corps de la victime ou de l’auteur par un organe sexuel, ou de l’anus ou du
vagin de la victime par un objet ou toute autre partie du corps.
• L’acte a été commis par la force ou en usant à l’encontre de ladite ou desdites ou de tierces personnes de
la menace de la force ou de la coercition, telle que celle causée par la menace de violences, contrainte,
détention, pressions psychologiques, abus de pouvoir, ou bien à la faveur d’un environnement coercitif, ou
encore en profitant de l’incapacité de ladite personne de donner son libre consentement.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, l'expression « prendre possession » se veut suffisamment large pour
être dénuée de connotation sexospécifique.
De plus, ils font remarquer qu'il « est entendu qu’une personne peut être incapable de donner son libre
consentement si elle souffre d’une incapacité innée, acquise ou liée à l’âge ». Cette note vaut également pour
les mêmes éléments de l’article 8(2)(e)(vi)-3, 5 et 6.
Crime de guerre d'esclavage sexuel
Les éléments pertinents de crime de guerre d'esclavage sexuel décrit à l'Article 8(2)(e)(vi) du Statut de la CPI
sont les suivants :
• L’auteur a exercé l’un quelconque ou la totalité des pouvoirs découlant du droit de propriété sur une ou
plusieurs personnes, par exemple en achetant, vendant, prêtant ou troquant ladite ou lesdites personnes, ou
en leur imposant une privation similaire de liberté.
• L’auteur a contraint ladite ou lesdites personnes à accomplir un ou plusieurs actes de nature sexuelle.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, vu la nature complexe de ce crime, il est entendu que sa perpétration
pourrait impliquer plusieurs auteurs ayant une intention criminelle commune.
De plus, « il est entendu qu’une telle privation de liberté peut, dans certaines circonstances, inclure des
travaux forcés ou d’autres moyens de réduire une personne à l’état de servitude, tel qu’il est défini dans
la Convention supplémentaire de 1956 relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des
institutions et pratiques analogues à l’esclavage. Il est aussi entendu que le comportement décrit dans cet
élément inclut la traite d’êtres humains, en particulier de femmes et d’enfants. »
Crime de guerre de prostitution forcée
Les éléments pertinents de crime de guerre de prostitution forcée décrit à l'Article 8(2)(e)(vi)-3 du Statut de la
CPI sont les suivants :
• L’auteur a amené une ou plusieurs personnes à accomplir un ou plusieurs actes de nature sexuelle par
la force, ou en usant à l’encontre de ladite ou desdites ou de tierces personnes de la menace de la force
ou de la coercition, telle que celle causée par la menace de violences, contrainte, détention, pressions
Manuel de droit pénal international
129
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
psychologiques, abus de pouvoir, ou bien à la faveur d’un environnement coercitif, ou encore en profitant
de l’incapacité desdites personnes de donner leur libre consentement.
• L’auteur ou une autre personne a obtenu ou espérait obtenir un avantage pécuniaire ou autre en échange des
actes de nature sexuelle ou en relation avec ceux-ci.
Crime de guerre de grossesse forcée
Les éléments pertinents de crime de guerre de grossesse forcée décrit à l'Article 8(2)(e)(vi)-4 du Statut de la
CPI sont les suivants :
• L’auteur a détenu une femme ou plusieurs femmes rendues enceintes de force, dans l’intention de modifier la
composition ethnique d’une population ou de commettre d’autres violations graves du droit international.
Crime de guerre de stérilisation forcée
Les éléments pertinents de crime de guerre de stérilisation forcée décrit à l'Article 8(2)(e)(vi)-5 du Statut de la
CPI sont les suivants :
• L’auteur a privé une ou plusieurs personnes de la capacité biologique de se reproduire.
• Les actes n’étaient ni justifiés par un traitement médical ou hospitalier de la ou les personnes concernées ni
accomplis avec son ou leur libre consentement.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, cela ne vise pas les mesures de régulation des naissances qui ont
un effet non permanent dans la pratique. De plus, « il est entendu que le terme « libre consentement » ne
comprend pas le consentement obtenu par la tromperie ».
Crime de guerre de violence sexuelle
Les éléments pertinents de crime de guerre de violences sexuelles décrit à l'Article 8(2)(e)(vi)-6 du Statut de la
CPI sont les suivants :
• L’auteur a commis un acte de nature sexuelle sur une ou plusieurs personnes ou a contraint ladite ou
lesdites personnes à accomplir un tel acte par la force ou en usant à l’encontre de ladite ou desdites ou
de tierces personnes de la menace de la force ou de la coercition, telle que celle causée par la menace
de violences, contrainte, détention, pressions psychologiques, abus de pouvoir, ou bien à la faveur d’un
environnement coercitif, ou encore en profitant de l’incapacité desdites personnes de donner leur libre
consentement.
• Les actes étaient d’une gravité comparable à celle d’une infraction grave à l'Article 3 commun des quatre
Conventions de Genève.
• L’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant la gravité du comportement.
Crime de guerre de l'utilisation, de la conscription ou de l'enrôlement d'enfants
Les éléments pertinents du crime de guerre de l'utilisation, de la conscription ou de l'enrôlement d'enfants
décrit à l'Article 8(2)(e)(vii) du Statut de la CPI sont les suivants :
130
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
• L’auteur a procédé à la conscription ou à l’enrôlement d’une ou plusieurs personnes dans une force ou un
groupe armé ou les a fait participer activement aux hostilités.
• Ladite ou lesdites personnes étaient âgées de moins de 15 ans.
• L’auteur savait ou aurait dû savoir que ladite ou lesdites personnes étaient âgées de moins de 15 ans.
Crime de guerre de déplacement de populations civiles
Les éléments pertinents du crime de guerre de déplacement de civils décrit à l'Article 8(2)(e)(viii) du Statut de
la CPI sont les suivants :
• L’auteur a donné l’ordre de déplacer une population civile.
• L’ordre n’était justifié ni par la sécurité des personnes civiles concernées ni par des nécessités militaires.
• L’auteur occupait une fonction lui permettant de faire effectuer ce déplacement en en donnant l’ordre.
Crime de guerre de tuer ou blesser par traîtrise
Les éléments pertinents du crime de guerre de tuer ou blesser par traîtrise décrit à l'Article 8(2)(e)(ix) du Statut
de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a fait appel à la bonne foi d’un ou de plusieurs adversaires combattants ou leur a fait croire
qu’ils avaient le droit de recevoir ou l’obligation d’accorder la protection prévue par les règles du droit
international applicables dans les conflits armés.
• L’auteur avait l’intention de tromper cette bonne foi ou cette confiance.
• L’auteur a tué ou blessé ladite ou lesdites personnes.
• L’auteur a usé de la bonne foi ou de ce qu’il avait fait croire à ladite ou auxdites personnes pour les tuer ou les
blesser.
• Ladite ou lesdites personnes appartenaient à une partie adverse.
Crime de guerre de refus de quartier
Les éléments pertinents du crime de guerre de déni de quartier décrit à l'Article 8(2)(e)(x) du Statut de la CPI
sont les suivants :
• L’auteur a déclaré qu’il n’y aurait pas de survivants ou ordonné qu’il n’y en ait pas.
• Cette déclaration ou cet ordre a été émis pour menacer un adversaire ou pour conduire les hostilités sur la
base qu’il n’y aurait pas de survivants.
• L’auteur était dans une position de commandement ou de contrôle effectif des forces qui lui étaient
subordonnées auxquelles la déclaration ou l’ordre s’adressait.
Manuel de droit pénal international
131
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Crime de guerre de mutilation
Les éléments pertinents de crime de guerre de mutilation décrit à l'Article 8(2)(e)(xi)-1 du Statut de la CPI
sont les suivants :
• L’auteur a soumis une ou plusieurs personnes à une mutilation, en particulier en les défigurant de façon
définitive, en les rendant invalides de façon permanente ou en procédant à l’ablation définitive d’un de
leurs organes ou appendices.
• Le comportement a causé la mort ou gravement mis en danger la santé physique ou mentale de ladite ou
desdites personnes.
• Les actes n’étaient ni justifiés par un traitement médical, dentaire ou hospitalier de la ou des personnes
concernées ni accomplis dans son ou leur intérêt.
• Ladite ou lesdites personnes étaient sous le pouvoir d’une autre partie au conflit.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, le consentement ne peut pas être invoqué comme moyen de défense
en ce qui concerne ce crime. Est interdite toute procédure médicale qui n’est pas dictée par l’état de santé de
l’intéressé et qui n’est pas conforme aux normes médicales généralement acceptées qui seraient appliquées
dans des conditions analogues médicales aux ressortissants de la partie procédant à l’opération qui ne seraient
en aucune façon privés de liberté. Cette note vaut également pour le même élément de l’article 8(2)(e)(xi)-2.
Crime de guerre d'expériences médicales ou scientifiques
Les éléments pertinents du crime de guerre d'expériences médicales ou scientifiques décrit à l'Article 8(2)(e)
(xi)-2 du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a soumis une ou plusieurs personnes à une expérience médicale ou scientifique.
• L’expérience a causé la mort ou gravement mis en danger la santé ou l’intégrité physique ou mentale de
ladite ou desdites personnes.
• Les actes n’étaient ni justifiés par un traitement médical, dentaire ou hospitalier de la ou des personnes
concernées ni accomplis dans leur intérêt.
• Ladite ou lesdites personnes étaient sous le pouvoir d’une autre partie au conflit.
Crime de guerre de destruction ou saisie des biens de l'ennemi
Les éléments pertinents du crime de guerre de destruction ou saisie des biens de l'ennemi décrit à l'Article 8(2)
(e)(xii) du Statut de la CPI sont les suivants :
• L’auteur a détruit ou saisi certains biens.
• Ces biens étaient la propriété de l’adversaire.
• Lesdits biens étaient protégés contre la destruction ou saisie par le droit international des conflits armés.
• L’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant le statut des biens.
• La destruction ou la saisie n’était pas requise par des nécessités militaires.
132
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Les crimes contre l'humanité
Évolution historique
La notion contemporaine de crimes si atroces qu'ils sont contraires aux règles usuelles d'humanité et de
civilisation a commencé à apparaître dans le discours international au début du XXe siècle. Les Conventions
de La Haye de 1899 et 1907 stipulent que même en temps de guerre, les habitants et combattants demeurent
sous la protection des « principes de l'humanité » et des « exigences de la conscience publique ». 333 Suite aux
massacres par les Turcs de la population arménienne, les gouvernements français, britannique et russe rédigent la
Déclaration du 28 mai 1915, qui déclarent les autorités turques « responsables » de ses « crimes contre l'humanité
et la civilisation ». Cette déclaration ne donne cependant pas suite à des actions concrètes.334
Le rapport de 1919 de la Commission des responsabilités des auteurs de la guerre et sanctions rédigé par des
représentants de plusieurs États et présenté durant la Conférence de la paix de Paris mentionnait également les
« infractions aux . . . principes de l'humanité ».335 Cependant, bien que la notion de crimes contre l'humanité
soit reconnue bien avant Nuremberg, elle n'a fait l'objet de poursuites en tant qu'infraction criminelle
individuelle que suite à la Deuxième Guerre mondiale. L'Article 6(c) de la Charte du tribunal de Nuremberg
définit pour la première fois les crimes contre l'humanité, comme suit :336
Les crimes contre l'humanité : meurtre, extermination, réduction en esclavage, expulsion et autre traitements inhumains commis
contre toute population civile, avant ou pendant la guerre ; persécutions pour des motifs d'ordre politique, racial ou religieux dans
l'exécution de tout crime, ou lié à tout crime tombant sous la compétence de ce tribunal, que ce soit ou non en violation du droit
national du pays où cet acte est commis.
L'Article 5(c) de la Charte du tribunal de Tokyo définit les crimes contre l'humanité dans des termes identiques
à l'Article 6(c) de la Charte de Nuremberg.337
Cependant le Tribunal de Nuremberg ne traita pas les crimes contre l'humanité comme un crime autonome,
car l'Article 6(c) de la Charte de Nuremberg exige que les crimes contre l'humanité soient commis en relation
avec un autre crime tombant sous la compétence de ce tribunal – c'est-à-dire des crimes de guerre ou des
crimes contre la paix.
333
334
335
336
337
Voir la Clause de Martens dans le préambule de la Convention de La Haye de 1899 (II) concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre et la
Convention de La Haye de 1907 (IV) relative aux lois et coutumes de la guerre sur terre, réimprimées parSchindler and Toman (n236) 63–98.
Voir Vahakn Dadrian, The History of the Armenian Genocide : Ethnic Conflict from the Balkans to Anatolia to the Caucasus (Berghahn Books, Oxford
1995).
« Rapport de la Commission préliminaire à la Conférence de paix de Paris » (1920) réimprimé par 14AJIL 95 (1920).
Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe et statut du tribunal international
militaire (8 août 1945) 82 UNTS 279 (Annexe).
Charte du tribunal international militaire pour l'Extrême Orient (19 jan. 1946), TIAS No 1589. Voir Bernard Victor Aloysius Röling (éd), The Tokyo Trial
and Beyond : Reflections of a Peacemonger (Polity Press, Cambridge 1993).
Manuel de droit pénal international
133
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Il faut noter que l'Article II(1)(c) de la loi No 10 du Conseil de contrôle, qui donne une définition des crimes
contre l'humanité, ne lie plus la notion de crimes contre l'humanité avec un conflit armé et ne présuppose plus
que les crimes contre l'humanité sont commis dans l'exécution de crimes de guerre, ou lié à des crimes de
guerre ou des crimes contre la paix :
Crimes contre l'humanité : atrocités et délits comprenant, sans que cette énumération soit limitative, l’assassinat, l’extermination,
l’asservissement, la déportation, l’emprisonnement, la torture, le viol ou tout autre acte inhumain commis contre toute population
civile et persécutions pour des motifs d’ordre politique, racial ou religieux, que lesdits crimes aient constitué ou non une violation
de la loi nationale dans le pays où ils ont été perpétrés.
Les crimes contre l'humanité ont vraiment pris une place à part dans la définition de la responsabilité pénale
avec la rédaction de l'Article 5 du Statut du TPIY et ses suites juridiques.338
Statut TPIY
Article 5 – Crimes contre l'humanité
Le Tribunal international est habilité à juger les personnes présumées responsables des crimes suivants
lorsqu’ils ont été commis au cours d’un conflit armé, de caractère international ou interne, et dirigés
contre une population civile quelle qu’elle soit :
(a) Assassinat ;
(b) Extermination ;
(c) Réduction en esclavage ;
(d) Expulsion ;
(e) Emprisonnement ;
(f) Torture ;
(g) Viol ;
(h) Persécutions pour des raisons politiques, raciales ou religieuses ;
(i) Autres actes inhumains.
Bien que le Statut du TPIY limite les crimes contre l'humanité aux crimes « commis au cours d’un conflit
armé, de caractère international ou interne », retenant donc un lien aux conflits armés, ces crimes contre
l'humanité sont néanmoins devenus indépendants sous la forme d'une catégorie pénale distincte.
La définition de crimes contre l'humanité dans le Statut du TPIR suit celui du Statut du TPIY, mais avec les
modifications suivantes :339
338
339
134
Statut du Tribunal pénal international pour l'ancienne Yougoslavie, annexé à la résolution SC 827, ONU SCOR, 48e séance, 3217e réunion, Doc ONU S/
RES/927 (1993) (ci-après appelé Statut du TPIY).
Statut TPIR, en annexe à la Résolution SC 955, SCOR ONU, 49e séance, 3453e réunion, Doc ONU S/RES/955 (1994).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
• Il ne doit pas forcément y avoir un conflit armé.
• L'attaque doit être « généralisée ou systématique ».
• Les crimes sous-jacents doivent être commis pour des motifs discriminatoires.
Statut TPIR
Article 3 – Crimes contre l'humanité
Le Tribunal international pour le Rwanda est habilité à juger les personnes présumées responsables
des crimes suivants lorsqu'ils ont été commis dans le cadre d'une attaque généralisée et systématique
dirigée contre une population civile quelle qu'elle soit, en raison de son appartenance nationale,
politique, ethnique, raciale ou religieuse :
a) Assassinat ;
b) Extermination ;
c) Réduction en esclavage ;
d) Expulsion ;
e) Emprisonnement ;
f) Torture ;
g) Viol ;
h) Persécutions pour des raisons politiques, raciales ou religieuses ;
i) Autres actes inhumains.
La définition des crimes contre l'humanité dans l'Article 2 du TSSL suit étroitement l'Article 3 du TPIR, mais
ce dernier ne mentionne pas le fait que l'attaque doit être commise « pour des raisons nationales, politiques,
raciales ou religieuses ». La Loi sur l'établissement du CETC suit de près la définition du Statut du TPIR, en
dépit du fait que l'Accord entre l'ONU et le gouvernement cambodgien stipule que le CETC doit traiter des
« crimes contre l'humanité comme ils sont définis dans le Statut de la CPI de 1998 ».340
La définition la plus récente et peut-être la plus complète des crimes contre l'humanité apparaît à l'Article 7 du
Statut de la CPI :
340
Article 9 de l'accord entre l'ONU et le Gouvernement royal cambodgien concernant la poursuite, conformément au droit cambodgien, des auteurs des
crimes commis pendant la période du Kampuchea démocratique (6 juin 2003) 2329 UNTS 117 (Annexe).
Manuel de droit pénal international
135
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Article 7(1) du Statut de la CPI :
1.Aux fins du présent Statut, on entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes
ci-après lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée
contre toute population civile et en connaissance de cette attaque :
(a) Meurtre ;
(b) Extermination ;
(c) Réduction en esclavage ;
(d) Déportation ou transfert forcé de population ;
(e) Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des
dispositions fondamentales du droit international ;
(f) Torture ;
(g) Le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou
toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable ;
(h)Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique,
racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction
d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en
corrélation avec tout acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence
de la Cour ;
(i) Disparitions forcées de personnes ;
(j) Crime d’apartheid ;
(k)Autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes
souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale.
Le Statut de la CPI élargit la liste des actes en ajoutant le transfert forcé de population, l'esclavage sexuel, la
prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée, les violences sexuelles, la disparition forcée et le
crime d'apartheid. Le Statut de la CPI ne comprend pas de critère de conflit armé ou de motif discriminatoire.
L'Article 7(2) du Statut de la CPI comprend également d'autres définitions afin de tenter de clarifier les
éléments d'infractions particulières.
Le présente Chapitre tentera principalement de discuter des crimes contre l'humanité en vertu de l'Article 7 du
Statut de la CPI, en faisant référence aux précédents juridiques pour permettre d'interpréter cette disposition.
136
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Les éléments des crimes contre l'humanité
Article 7(1) du Statut de la CPI :
On entend par crime contre l’humanité l’un quelconque des actes ci-après lorsqu’il est commis dans
le cadre d’une attaque généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en toute
connaissance de cette attaque
La définition du terme « crimes contre l'humanité » peut être divisée en deux parties distinctes :
• Les critères généraux, désignés comme contextuels ou génériques et
• les éléments physique (actus reus) et mental mens rea associés à chaque type d'infraction spécifique ou dite
sous-jacente.
Les éléments contextuels ou génériques constituent des critères généraux devant être respectés pour qu'un
acte ou une infraction sous-jacente soit considérée comme un crime contre l'humanité. Généralement parlant,
ils fournissent le contexte dans lequel le comportement doit avoir lieu pour être qualifié de crime contre
l'humanité. C'est pour cette raison que ces critères communs à toutes les infractions citées sont appelés
contextuels ou génériques. Le Statut de la CPI propose les critères généraux suivants :
Critères généraux des crimes contre l'humanité (Statut de la CPI).
• Il doit y avoir eu une attaque ;
• Cette attaque doit être généralisée ou systématique ;
• Cette attaque doit être dirigée contre une population civile ;
• Le comportement de l'auteur du crime devait faire partie d'une attaque généralisée ou systématique ;
• L'auteur du crime avait connaissance du lien existant entre ses actes et l'attaque généralisée ou
systématique.
Comme on l'a vu, les Statuts des tribunaux ad hoc et de certains tribunaux internationaux proposent des
critères supplémentaires devant être présents pour qu'un acte spécifique ou une infraction sous-jacente soit
considérée comme un crime contre l'humanité. En particulier, l'Article 5 du Statut du TPIY contient un
critère supplémentaire selon lequel les infractions doivent être commises durant un conflit armé interne ou
international. De plus, le Statut du TPIR et la Loi sur l'établissement du CETC, contrairement aux Statuts du
TPIY ou de la CPI, présuppose que l'attaque est fondée sur des motifs discriminatoires.341
Les éléments physique et psychologique des infractions spécifiques ou sous-jacentes sont définis à l'Article
7(2) du Statut de la CPI et approfondis dans les Éléments des crimes de la CPI. Quant aux éléments
psychologiques des infractions, l'Article 30 du Statut de la CPI stipule qu'à moins qu'un mens rea particulier
soit donné,342 tous les actes doivent être commis avec intention et connaissance. Une personne fait preuve
341
342
Article 3 du Statut de la CPI ; 5 de la Loi sur l'établissement du CETC.
Voir discussion ci-après dans « Les actes sous-jacents ».
Manuel de droit pénal international
137
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
d'une intention par rapport à un acte lorsqu'elle entend procéder à cet acte. Une personne fait preuve d'une
intention par rapport à une conséquence lorsqu'elle est consciente que celle-ci adviendra dans le cours normal
des événements.343 La connaissance signifie qu’une personne est consciente qu’une circonstance existe ou
qu’une conséquence adviendra dans le cours normal des événements.344
Dans ce qui suit, les éléments contextuels ou génériques vont être présentés. Ensuite, les éléments de chaque
crime spécifique ou sous-jacent seront définis.
Éléments contextuels ou chapeau
Existence d'une attaque
Article 7(2)(a) du Statut de la CPI
Par « attaque lancée contre une population civile », on entend le comportement qui consiste en la
commission multiple d’actes visés au paragraphe 1 à l’encontre d’une population civile quelconque,
en application ou dans la poursuite de la politique d’un État ou d’une organisation ayant pour but une
telle attaque.
La notions d'attaque n'est pas utilisée dans le même sens que dans les lois sur les crimes de guerre. L'attaque
ne fait pas forcément partie d'un conflit armé et ne comprend pas forcément l'usage de forces armées. Une
attaque représente plutôt tout mauvais traitement de la population civile.345 Une attaque consiste parfois en des
actes non violents, comme l'institution d'un régime d'apartheid ou l'exercice de pression sur la population pour
qu'elle agisse d'une manière ou d'une autre.346
L'expression « attaque lancée contre une population civile » est définie à l'Article 7(2)(a) du Statut de la
CPI comme un « comportement qui consiste en la perpétration multiple d’actes [visés au paragraphe 7(1)] à
l’encontre d’une population civile quelconque, en application ou dans la poursuite de la politique d’un État
ou d’une organisation ayant pour but une telle attaque ».347 La référence à la « multiple perpétration d'actes »
à l'Article 7(2)(a) indique qu'une attaque peut consister en une perpétration répétée du même acte, ou de la
perpétration de différents actes, comme le meurtre, le viol et la déportation.348
Les Éléments des crimes de la CPI expliquent sur les « actes ne doivent pas nécessairement constituer une
attaque militaire ». De plus, il est entendu que pour qu’il y ait « politique ayant pour but une telle attaque »,
il faut que l’État ou l’organisation favorise ou encourage activement une telle attaque contre une population
civile.349 On peut donc conclure que des actes aléatoires d'individus ne constituent pas des crimes contre
l'humanité, mais il faut qu'un gouvernement ou organisation dirige, lance ou encourage les crimes pour que
ceux-ci constituent des crimes contre l'humanité.
343
344
345
346
347
348
349
138
Article 30(2) du Statut de la CPI.
Article 30(3) du Statut de la CPI.
Prosecutor v Kunarac et al (n307) parag. (86).
Le Procureur contre Akayesu (TPIR) Affaire No ICTR-96-4-T, jugement de première instance (2 septembre 1998) parag (582) ; Le Procureur contre
Rutaganda (TPIR) (n310) parag (70) ; Procureur contre Musema (TPIR) Affaire No ICTR-96-13-T, jugement de première instance (27 janvier 2000)
parag (205).
Article 7(2)(a) du Statut de la CPI.
Procureur contre Kayishema & Ruzindana (TPIR) Affaire No ICTR-95-1-T, jugement de première instance (21 mai 1999) parag (122).
Article 7 des Éléments des crimes de la CPI (Introduction) 5, parag (3).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Les Éléments des crimes expliquent de plus qu'une politique sélectionnant la population civile comme
cible d'une attaque doit être mise en place par le gouvernement ou l'organisation pour répondre aux critères
donnés. Dans des circonstances exceptionnelles, cette politique peut être mise en place par l'absence délibérée
d'action, visant sciemment à encourager cette attaque. L'existence d'une telle politique ne peut pas être déduite
simplement d'une absence de réaction de la part d'un gouvernement.350
Selon les précédents juridiques du TPIY, lorsque les critères de politique générale pour les crimes contre
l'humanité ont été examinés, cette politique n'est pas forcément approuvée par l'État ou l'une de ses autorités.
La référence à une « organisation » couvre les puissantes organisations non publiques, comme les grands
gangs criminels ou milices.351 La politique générale ne vient pas forcément du sommet de la hiérarchie
gouvernementale ou de l'organisation, et n'est pas forcément formalisée ou officialisée.352 Elle n'est pas
toujours expressément ou précisément formulée. On peut déceler une politique générale même dans des cas où
l'État ou l'organisation la nie véhément.353
Cependant, un ensemble homogène de précédents du TPIY semble rejeter l'idée qu'un critère de politique
générale existe pour décider d’un crime contre l'humanité.354 La Chambre d'appel dans l'affaire Kunarac a
décidé que ni l'attaque ni les actes des accusés n'avaient besoin d'être soutenus par aucune forme de plan ou
politique générale. Bien que l'existence d'un plan ou d'une politique générale puisse être pertinente et utile
pour prouver qu'une attaque était bien dirigée contre une population civile généralisée ou systématique,
« l'existence d'une plant ou d'une politique . . . ne constitue pas un élément légal du crime ».355
Généralisée ou systématique
L'attaque dirigée contre une population civile doit être généralisée ou systématique pour constituer un crime
contre l'humanité.356 Bien que le Statut du TPIY, contrairement aux Statuts du TPIR et de la CPI, ne contienne
aucun critère explicite selon lequel les crimes contre l'humanité doivent être « généralisés ou systématiques »,
le Secrétaire général des Nations unies, dans son rapport sur le Statut du TPIY, stipule que :357
On entend par crime contre l’humanité un acte inhumain de nature très grave, tels que l'homicide intentionnel, la torture ou le
viol, lorsqu’il est commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique contre toute population civile pour des motifs
d'ordre national, politique, ethnique, racial ou religieux.
Le TPIY a donc fini par reconnaître ceci dans ses critères de crimes contre l'humanité. A travers ses
précédents, le TPIY a adopté une partie de la définition ci-dessus, en y intégrant le critère de l'attaque
« généralisée ou systématique », mais pas celui de l'intention discriminatoire.
La raison de l'introduction de ce critère d'attaque généralisée ou systématique sert à faire la distinction entre
les crimes contre l'humanité et les crimes isolés ou sans rapport contre des individus.358 Cet élément fait donc
passer les crimes qui tomberaient normalement sous la compétence d'organismes juridiques nationaux, comme
le meurtre, au niveau des crimes concernant la communauté internationale dans son ensemble, comme le
meurtre constituant un crime contre l'humanité. Un individu peut être coupable de crimes contre l'humanité s'il
commet un ou plusieurs actes inhumains dans ce contexte élargi.359
350
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357
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359
Article 7 (n349) 5, parag (3) n6.
Procureur contre Blaškić (TPIY) Affaire No IT-95-14-T, jugement de première instance (31 juillet 2003) parag (205).
Procureur contre Blaškić (n351) parag (202)–(205).
Procureur contre Kupreškić et al (TPIY) Affaire No IT-95-16-T, jugement de première instance (14 janvier 2000) parag (551)–(555).
Cryer et al (n4) 197–198.
Procureur contre Kunarac et al (n307) parag. (98) ;voir également Procureur contre Blaškić (n351) parag (203)–(204).
Procureur contre Blaškić (TPIY) Affaire No IT-95-14-A, jugement d'appel (29 juillet 2004) parag (101).
Rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité contenant le Statut du TPIY, S/25704, parag. (48) (souligné).
Procureur contre Tadić (TPIY) Affaire No IT-94-1-T, jugement d'appel (15 juillet 1999) parag (248).
Cryer et al (n4) 187.
Manuel de droit pénal international
139
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
L'attaque doit être généralisée ou systématique, mais pas forcément les deux.360 Ceci ne signifie pas que les
accusés eux-mêmes doivent avoir agi de manière généralisée ou systématique, mais que l'attaque, et non les
actes particuliers des accusés, l'étaient.361 Dans la jurisprudence établie du TPIY, le terme « généralisée »
qualifie la nature étendue de l'attaque et le nombre des personnes visées.362 Le TPIR semble avoir adopté
des critères plus stricts, car il définit « généralisée » comme une « action de masse, fréquente, de grande
amplitude, effectuée collectivement et délibérément et dirigée contre un multitude de victimes ».363
Dans la jurisprudence établie du TPIY, le terme « systématique » qualifie la nature organisée des actes de
violence et le caractère improbable du fait qu'ils aient pu se produire simultanément par hasard.364 Les motifs
usuels, dans le sens d'une répétition non fortuite et régulière d'un acte criminel similaire, représentent un
exemple courant de ce caractère systématique.365 Le TPIR cependant, a défini le terme « systématique »
comme « suivant un motifs usuel savamment organisé et fondé sur une politique générale commune utilisant
des ressources publiques ou privées importantes. Aucun critère particulier dans cette politique ne doit
forcément être adopté formellement comme politique d'État. Cependant, il doit exister un certain plan ou une
certaine politique générale prédéfinie. »366
Lancée contre toute population civile
Le terme « population civile » doit recevoir une définition élargie. Il couvre non seulement la population en
générale mais aussi les membres des forces armées s'étant rendues à l'ennemi ou rendues hors de combat du fait
d'une maladie, blessure, détention ou par toute autre cause.367 En temps de paix, la population civile couvre toutes
les personnes à l'exception de celles ayant le devoir de maintenir l'ordre public ou les moyens légitimes d'utiliser
la force.368 On peut donc conclure que les victimes des crimes contre l'humanité doivent être des non combattants,
un terme couvrant selon le droit de Genève les prisonniers de guerre et le personnel militaire blessé, malade ou
naufragé.369
La population civile doit être « de nature principalement civile » car « la présence de certains non civils en
leur sein ne change pas le caractère de la population ».370 La présence de personnel militaire au sein d'une
population civile intentionnellement visée en change pas son caractère civil.371 L'essence des crimes contre
l'humanité repose sur le fait que la population est intentionnellement visée précisément en raison de son
caractère civil. La présence d'autres groupes ou individus étant ou non visés eux aussi n'a pas d'importance.
360
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140
Procureur contre Tadić (TPIY) Affaire No IT-94-1-T, jugement de première instance (07 mai 1997) parag (646)–(647).
Procureur contre Kunarac et al (n307) parag. (96); Procureur contre Blaškić (n351) parag (101).
Procureur contre Kunarac et al (n307) parag. (94) ; Procureur contre Blaškić (n351) parag (101).
Le Procureur contre Akayesu (n346) parag (580).
Procureur contre Kunarac et al (n307) parag. (94) ; Procureur contre Blaškić (n351) parag (101); Procureur contre Tadić (TPIY) Affaire No IT-94-1-T,
jugement de première instance (31 mai 2003) parag (648).
Procureur contre Kunarac et al (n307) parag. (96); Procureur contre Blaškić (n351) parag (101).
Le Procureur contre Akayesu (n346) parag (580).
Procureur contre Tadić (n360) parag. (626), (641)–(644) ; Procureur contre Tadić (TPIY) Affaire No IT-94-1-A, jugement d'appel (15 juillet 1999) parag.
(636)–(643) ; Procureur contre Blaškić (n351) parag. (208), (210)–(214) ; Procureur contre Akayesu (n346) parag (582).
Procureur contre Kayishema & Ruzindana (n348) parag (127).
Jones and Powles (n295) 257 ; Procureur contre Blaškić (n351) parag (214) ; Procureur contre Tadić (n360) parag. (626), (641)–(644) ; Procureur contre
Tadić (n367) parag (636)–(643).
Procureur contre Tadić (n360) parag (638).
Ibid para (638) ; Procureur contre Kayishema & Ruzindana (n348) para (128) ; Procureur contre Rutaganda (n310) parag. (70) ; Procureur contre
Kupreškićet al (n353) parag (549) ; Procureur contre Musema (TPIR) Affaire No ITCR-96-13-A, jugement de première instance (27 janvier 2000) parag
(207) ; Procureur contre Blaškić (n351) parag (211), (214).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
L'utilisation de l'expression « toute population civile » indique clairement que les crimes contre l'humanité
peuvent être dirigés contre une population civile de toute nationalité que ce soit ainsi que des civils
apatrides.372 Le droit des crimes de guerre protège donc non seulement les ressortissants de la nation ennemie,
mais couvre aussi les crimes commis contre les propres ressortissants d'un pays. Ceci diffère des interdictions
des crimes de guerre qui ne protègent pas les civils de la même nationalité que l'auteur du crime, les
ressortissants des États alliés et les personnes apatrides. La nationalité de la victime n'a donc aucune incidence
dans l'évaluation des crimes contre l'humanité.
Enfin, il n'est pas nécessaire de viser toute une population pour commettre un crime de guerre. Le TPIY
déclare que la référence à une « population » vise à « couvrir les crimes de nature collective et excluent donc
les actes uniques ou isolés qui, bien que constituant peut-être des crimes de guerre ou des infractions à la
législation pénale nationale, ne sont pas au même niveau que les crimes contre l'humanité ».373
Le lien entre la conduite de l'auteur du crime et l'attaque
L'acte de l'accusé ou l'infraction dite sous-jacente doit faire partie d'une attaque généralisée ou systématique.
La Chambre d'appel du TPIY dans l'affaire Tadić déclare que de « pour déclarer coupable un accusé de
crimes contre l'humanité, il faut avoir démontré que les crimes étaient liés à l'attaque sur une population
civile « durant un conflit armé) et que l'accusé avait connaissance du fait que ses crimes y étaient liés ».374 En
d'autres termes, « les actes de l'accusé doivent faire partie intégrante d'un nombre de crimes généralisés ou
systématiques dirigés contre une population civile, et les accusés doivent avoir eu connaissance du fait que
ses crimes en faisaient partie ».375 Cependant, « un lien entre les acte de l'accusé et le conflit armé n'est pas
nécessaire ».376
Il n'est pas nécessaire de démontrer que les actes de l'accusé ont été commis dans le cadre d'une attaque
pour considérer ces actes comme faisant partie de l'attaque. Une infraction commise avant ou après l'attaque
principale contre la population civile ou loin d'elle peut parfois, si elle y est suffisamment liée, en former
partie.377 Comme on l'a vu, dans certaines situations, un seul acte peut constituer un crime contre l'humanité
lorsqu'il survient dans le cadre de l'attaque. L'infraction ne doit cependant pas être un acte isolé. Une infraction
peut être considérée comme un « acte isolé » lorsqu'elle est si détachée de l'attaque que lorsque l'on examine
le contexte et les circonstances dans lesquelles elle a été commise, on ne peut raisonnablement affirmer qu'elle
en faisait partie.378
L'accusé n'est pas forcément à la source de l'attaque, impliqué dans la formation d'une politique générale ou
affilié à tout État ou organisation, et ne partage peut-être même pas les objectifs idéologiques sous-tendant
l'attaque.379 Comme on l'a expliqué, la CPI comprend un critère de politique générale, à savoir que l'attaque
doit avoir été commise suite à une politique générale décidée par un gouvernement ou une organisation dans
ce but. Ce critère s'applique cependant aux actes formant une attaque en général. Il n'est donc pas essentiel
pour démontrer que l'acte de l'accusé ou l'infraction particulière (sous-jacente) était d'une quelconque manière
dirigé/e, lancé/e ou encouragé/e par lui.380
372
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378
379
380
Procureur contre Tadić (n360) parag (635).
Ibid para (644).
Procureur contre Tadić (n367) parag. (271)
Ibid parag (248) (note de bas de page omise).
Ibid parag (251).
Procureur contre Kunarac et al (n307) parag. (100).
Ibid ; Procureur contre Kupreškić et al (n353) parag (550).
Cryer et al (n4) 199.
Ibid.
Manuel de droit pénal international
141
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
L'élément moral (Mens rea)
L'élément supplémentaire qui fait passer une infraction nationale à une infraction internationale est la
connaissance par l'auteur du crime du contexte dans lequel cette infraction survient.381 En d'autres termes,
l'auteur du crime doit être conscient des circonstances faisant de cette infraction un crime contre l'humanité.
Tout d'abord, l'accusé doit connaître l'existence de l'attaque généralisée ou systématique sur la population
civile. Deuxièmement, il doit savoir que ses actes font partie de cette attaque. Il doit en tout cas avoir pris le
risque en connaissance de cause que ses actes faisaient partie de cette attaque. Ce critère cependant ne couvre
pas la connaissance des détails de l'attaque.382
L'élément psychologique ne se rapporte pas au motif de l'accusé mais uniquement à sa connaissance du
contexte. Les motifs de l'accusé pour avoir pris part à l'attaque n'ont pas d'importance et un crime contre
l'humanité peut être commis pour des raisons purement personnelles. De plus, l'accusé ne doit pas forcément
partager les mêmes objectifs que d'autres derrière l'attaque. Le fait que l'accusé entendait ou on que ses actes
soient dirigés contre la population visée ou seulement contre sa victime n'a aucune importance. C'est l'attaque
et non les actes de l'accusé qui est dirigée contre la population visée, et pour répondre aux critères donnés,
l'accusé doit seulement savoir que ses actes en faisaient partie.383
Les Éléments des crimes de la CPI définissent l'élément psychologique comme répondant aux critères
suivants :
L’auteur savait que ce comportement faisait partie d’une attaque généralisée ou systématique dirigée
contre une population civile ou entendait qu’il en fasse partie.
Les Éléments des crimes de la CPI expliquent de plus que le critère de connaissance d'une attaque généralisée
ou systématique contre une population civile ne doit pas être interprétée comme devoir démontrer que
l'auteur avait connaissance de toutes les caractéristiques de l'attaque ou des détails précis du plan ou de la
politique générale du gouvernement ou de l'organisation responsable. Dans le cas d’une attaque généralisée ou
systématique contre une population civile, la clause d'intention indique que cet élément psychologique répond
aux critères si l'auteur avait l'intention de procéder à cette attaque.384
381
382
383
384
142
Procureur contre Tadić (n360) parag (656).
Procureur contre Kunarac et al (n307) parag. (99), (102); Procureur contre Blaškić (n356) parag (124)–(125).
Procureur contre Kunarac et al (n307) parag. (103).
Voir Article 7 (n349) 5, parag (2).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Exigences supplémentaires
La connexion avec le conflit armé (TPIY)
Les crimes contre l'humanité peuvent être commis soit durant un conflit armé, soit en temps de paix. Bien que
l'Article 5 du Statut du TPIY présuppose que les crimes contre l'humanité sont commis durant un conflit armé,
le critère sert à définir la compétence du TPIY et ne fait pas partie de la définition de cette infraction. Les Statuts
suivants du TPIR, de la CPI, du TSSL et des Chambres spéciales pour les crimes graves ne présupposent pas de
liens entre les crimes contre l'humanité et les conflits armés. On peut donc conclure sans risque qu'aujourd'hui, un
lien avec un conflit armé ne constitue plus un critère exigé par le droit coutumier international. En effet, le TPIY
lui-même stipule que le critère décrit dans son Statut est une dérivation du droit coutumier.
En particulier, la Chambre de première instance dans l'affaire Tadić a affirmé que le critère de conflit armé
est semblable à celui de l'Article 6(c) de la Charte de Nuremberg, qui limite la compétences des tribunaux de
Nuremberg aux crimes contre l'humanité commis « avant ou après la guerre », bien que dans le cas des procès
de Nuremberg, la compétence des tribunaux était de plus limitée par le critère exigeant que les crimes contre
l'humanité soient commis « dans l'exécution de crimes de guerre, ou lié à des crimes de guerre ou des crimes
contre la paix ».385 La Chambre de première instance dans l'affaire Tadić a également affirmé que l'inclusion du
critère d'un conflit armé, dérivait néanmoins du développement de la doctrine suivant la Charte du tribunal de
Nuremberg, en commençant par la Loi No 10 du Conseil de contrôle, qui ne lie plus la notion de crimes contre
l'humanité aux conflits armés.386
La Chambre de première instance mentionne la décision de la Chambre d'appel dans l'affaire Tadić qui stipule :
Il est aujourd'hui une règle stable du droit international coutumier que les crimes contre l'humanité ne présupposent plus de liens
avec les conflits armés internationaux. En effet, comme le souligne le Procureur, le droit international coutumier n'oblige parfois
plus du tout à établir un lien entre les crimes contre l'humanité et un conflit, de quelque nature que ce soit. Ainsi, en définissant les
crimes contre l'humanité comme commis durant un conflit armé interne ou international, le Conseil de sécurité a peut-être décrit le
crime à l'Article 5 de manière plus stricte que nécessaire dans le droit coutumier international.387
De la même manière, en ce qui concerne les crimes contre l'humanité dans les Statuts du TPIY, l'existence d'un
conflit armé doit être prouvé, ainsi qu'un lien entre l'acte ou l'omission des poursuites et le conflit armé.388
En cas de conflit armé, une certaine confusion peut survenir entre les comportements acceptables en vertu
des lois de la guerre et ceux prohibés comme crimes contre l'humanité. Imaginons par exemple un village
dans lequel une base militaire a été installée. Il reste dans ce village quelques familles de civils d'une ethnicité
ayant été la cible d'une attaque généralisée. Le village est attaqué et des soldats comme des civils sont tués.
Conformément au droit international humanitaire, le village peut être une cible militaire légitime si le gain
militaire est proportionnel aux pertes civiles souffertes. Que ce comportement soit acceptable en vertu du droit
international dépend de l'intention de l'attaquant.
385
386
387
388
Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe et statut du tribunal international
militaire (n271).
Procureur contre Tadić (n360) parag (627).
Procureur contre Tadić (n284) parag (141).
Procureur contre Tadić (n360) parag (627).
Manuel de droit pénal international
143
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Une Chambre de première instance du TPIY fait remarquer que « si on peut démontrer que l'auteur des
actes de violence avait l'intention première d'infliger des blessures sur une population civile, il peut être
déclaré coupable d'un crime contre l'humanité, même si l'attaque a causé des pertes de vie militaires comme
civiles ».389 Ainsi, si l'attaquant avait pour intention d'éliminer une cible militaire et que la perte de vies de
civils n'était qu'une conséquence nécessaire et proportionnelle, alors aucun crime n'a été commis. Cependant,
si les civils étaient la cible de l'attaque, et que des soldats ont été tués par la même occasion, alors l'attaque
peut constituer un crime contre l'humanité. L'homicide sur un seul civil dans un endroit grouillant d'activité
militaire peut donc constituer un crime contre l'humanité, car ce civil était la cible de l'attaque (si les autres
conditions des crimes contre l'humanité sont remplies).
Exigence de discrimination (TPIR et CETC)
L'Article 3 du Statut du TPIR ajoute un élément supplémentaire, celui des « motifs discriminatoires », selon
lequel les crimes contre l'humanité sont commis pour des motifs d'ordre « national, ethnique, racial ou
religieux ». Cependant, la Chambre d'appel du TPIY dans l'affaire Tadić a conclu que « le droit international
coutumier, développé progressivement à travers des instruments internationaux et précédents nationaux
pour former des règles générales, ne présuppose pas une intention de discrimination ou de persécution pour
tout crime contre l'humanité ».390 « Une telle intention est indispensable au point de vue juridique dans
l'infraction concernant ces crimes pour lesquels elle est exigée, c'est-à-dire en vertu de l'Article 5(h) [du
Statut du TPIY] concernant divers types de persécution. »391
La Chambre d'appel dans l'affaire Akayesu a confirmé cette interprétation et a stipulé que « sauf dans le cas de
persécution, une intention discriminatoire n'est pas essentielle selon le droit international humanitaire comme
partie intégrante légale de tout crime contre l'humanité » Elle a aussi affirmé que « bien qu'elle ne soit pas un
critère du crime en soi, tous les crimes contre l'humanité peuvent en réalité être commis dans le contexte d'une
attaque discriminatoire contre une population civile. »392 L'élément supplémentaire inclus dans le Statut du
TPIR est expliqué par la Chambre d'appel comme une intention par le Conseil de sécurité de l'ONU de limiter
la compétence du TPIR sur les crimes contre l'humanité uniquement aux cas dans lesquels ils ont été commis
pour des raisons discriminatoires.393
Le critère exigeant une intention discriminatoire est aussi inclus dans la Loi sur l'établissement du CETC.394
D'autres Statuts, comme ceux de la CPI et du TSSL, ne comprennent pas de clauses sur la discrimination. On
peut donc conclure sans risque que bien que les crimes contre l'humanité aient été dans le passé normalement
associés à la persécution ethnique ou religieuse, l'intention fondée sur la discrimination ou la persécution
n'est pas un élément nécessaire, sauf pour les crimes contre l'humanité tombant sous la compétence du TPIR.
Un motif fondé sur la persécution ou la discrimination n'importe que lorsqu'il fait partie du mens rea pour
l'infraction sous-jacente, par exemple lorsque cette infraction relève de la persécution en vertu de l'Article 7(1)
(h) du Statut de la CPI.
389
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392
393
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144
Procureur contre Blaškić (n351) parag (209) n401.
Procureur contre Tadić (n367) parag. (292)
Ibid parag (305).
Procureur contre Akayesu (TPIR) Affaire No ICTR-96-4-A, jugement d'appel (01 juin 2001) parag (464) (note de bas de page omise).
Ibid parag (464).
Article 5 de la Loi sur l'établissement du CETC.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Délits spécifiques (sous-jacents)
Les crimes contre l'humanité consistent en l'un quelconque des actes spécifiés, commis dans les circonstances
susmentionnées. Il est important de noter que ces actes peuvent être commis soit par une action soit par
omission.395 L'accusé doit avoir commis au moins l'une des infractions énumérées à l'Article 7(1) du Statut de
la CPI.396 Même un seul acte isolé contre une seule victime peut constituer un crime contre l'humanité s'il est
commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique,397 ou s'il a un effet généralisé.398
Les actes énumérés à l'Article 7(1) du Statut de la CPI sont parfois appelés « infractions sous-jacentes ».
Beaucoup de ces infractions, comme le meurtre ou le viol, ont leurs équivalents dans le droit national. Dans le
contexte des crimes contre l'humanité cependant, ces infractions prennent une dimension internationale et non
la définition qu'elles avaient dans le droit national de l'État dans lequel elles ont été commises ou de l'État dont
l'accusé est ressortissant. Par exemple, un acte de nature sexuelle peut être un viol selon l'Article 7(1), même
si dans le cadre du droit national il n'était pas illégal car la victime n'a pas activement résisté.
Le chapitre suivant analyse les éléments constitutifs particuliers touchant chaque infraction spécifique ou
sous-jacente sans répéter les éléments généraux ou génériques communs à tous les crimes contre l'humanité
traités plus haut. Il faut noter que les éléments des crimes de la CPI énumèrent tous les éléments des crimes
particuliers contre l'humanité, de nature générale et spécifique. Dans le présent chapitre, cependant, nous ne
traiterons que des crimes de nature spécifique.
Homicide volontaire
L'homicide volontaire ou meurtre, dans le contexte des crimes contre l'humanité, peut être défini comme
« l'homicide intentionnel et illicite d'un être humain ».399
Quant aux éléments physiques, il faut prouver que :
• la victime est morte ;
• le décès de la victime a été provoqué par une omission ou un acte illicite de la part de l'auteur du crime.400
L'élément psychologique répond aux exigences si l'auteur du crime :
• entendait tuer la victime ou
• entendait infliger une atteinte grave à l'intégrité physique ou une blessure grave avec le plus grand
désintérêt pour la vie humaine.401
Le Statut de la CPI ne donne pas de définition pour le meurtre à l'Article 7(1)(a). Cependant, les Éléments des
crimes de la CPI fournissent l'élément suivant en plus des éléments contextuels ou génériques : « L’auteur a
tué [ou causé la mort de] une ou plusieurs personnes. »
395
396
397
398
399
400
401
Procureur contre Kambanda (TPIR) Affaire No 97-23-S, jugement et condamnation de première instance (04 septembre 1998) parag (39)–(40).
Les éléments constitutifs de ces infractions seront traités plus bas dans le paragraphe « Les actes sous-jacents ».
Procureur contre Tadić (n360) parag (649) ;Procureur contre Kupreškić et al (n353) parag (550).
Procureur contre Blaškić (n351) parag (206).
Article 7(1)(a) des Éléments de crimes de la CPI, 5 ;Procureur contre Akayesu (n346) parag (589)
Procureur contre Akayesu (n346) parag (589).
Procureur contre Kupreškić et al (n353) parag (560) ; Procureur contre Akayesu (n346) parag (589).
Manuel de droit pénal international
145
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Il faut noter que l'élément physique du meurtre comme crime contre l'humanité et l'homicide volontaire comme
crime de guerre est le même, mais que les deux crimes diffèrent en termes de leurs éléments contextuels ou
génériques.
Extermination
Article 7(2)(b) du Statut de la CPI
Par « extermination », on entend notamment le fait d’imposer intentionnellement des conditions de
vie, telles que la privation d’accès à la nourriture et aux médicaments, calculées pour entraîner la
destruction d’une partie de la population.
Les Éléments des crimes du Statut de la CPI fournissent deux éléments-clé pour définir le terme d'extermination.402
Tout d'abord, l'auteur du crime, en se conduisant de manière à « imposer intentionnellement des conditions de vie,
telles que la privation d’accès à la nourriture et aux médicaments, calculées pour entraîner la destruction d’une
partie de la population » doit avoir tué directement ou indirectement une ou plusieurs personnes.403 Deuxièmement,
ses actes constituaient un massacre de membres d’une population civile ou en faisaient partie.404 Les termes « en
faisaient partie » comprendraient l’acte initial dans un massacre.
Les Chambres d'appel du TPIY et du TPIR ont défini le actus reus d'extermination comme « l'acte de tuer sur
une grande échelle ». L’actus reus comprend également l'acte de « soumettre un grand nombre de gens, ou
systématiquement soumettre un certain nombre de gens à des conditions de vie qui mènent inévitablement à
la mort ». Le mens rea de l'extermination est défini comme « l'intention de la part de l'accusé, par ses actes ou
omissions, de tuer sur une grande échelle, ou de soumettre un grand nombre de gens à des conditions de vie
qui mèneront à leur mort ».405
Le nombre de personnes tuées par un individu n'a pas d'importance. L'accusé peut être coupable d'extermination
même s'il a causé la mort d'une seule personne, à condition qu'il ait eu connaissance du fait que ses actes faisaient
partie d'un massacre. Un massacre existe lorsque les meurtres le constituant se produisent de manière rapprochée
dans le temps et l'espace.406 Ainsi, dans l'affaire Akayesu l'accusé a été déclaré coupable d'extermination pour
le meurtre de 16 personnes, car il savait que ces meurtres étaient liés les uns aux autres.407 Par contre, dans
l'affaire Vasiljević l'accusé a été déclaré non coupable d'extermination après avoir tué sept personnes, car il avait
l'intention de tuer ces sept personnes mais ne savait pas que ses actes faisaient partie d'un mouvement systématique
d'extermination.408
La notion de « massacre » n'est pas clairement définie, mais le TPIY et le TPIR ont indiqué que l'extermination
couvre un « grand nombre » de décès.409 La Chambre d'appel du TPIY dans l'affaire Ntakirutimana stipule
que « les expressions 'de grande ampleur » ou « un grand nombre » ne supposent cependant pas un nombre
402
403
404
405
406
407
408
409
146
Article 7(1)(b) des Éléments de crimes de la CPI, 6.
Article 7(2)(b) du Statut de la CPI.
Article 7(1)(b) (n402).
Procureur contre Stakić (TPIY) Affaire No IT-97-24-A, Jugement d'appel (22 mars 2006) parag (259) ; Procureur contre Ntakirutimana (TPIR) Affaires
No ITCR-96-10-A et ICTR-96-17-A,n jugement d'appel (13 décembre 2004) parag (516), (522).
Procureur contre Kayishema & Ruzindana (n348) parag (147).
Procureur contre Akayesu (n346) parag (735)–(743).
Procureur contre Vasiljević (TPIY) Affaire No IT-98-32, jugement de première instance (29 novembre 2002) parag (232).
Procureur contre Ntakirutimana (TPIR) Affaires No ITCR-96-10-T et ICTR-96-17-T, jugement de première instance (21 février 2003) parag
(813) ;Procureur contre Vasiljević (TPIY) Affaire No IT-98-32-T, jugement de première instance (29 novembre 2002) parag (222).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
minimum ».410 Le TPIY confirme cette prise de position dans l'affaire Krajišnik dans laquelle la Chambre de
première instance a jugé comme extermination des incidents ayant causé de 17 à 154 morts.411
La Chambre de première instance du TPIY, dans l'affaire Krstić stipule qu'il faut prouver « qu'une population
en particulier a été visée et que ses membres ont été tués ou autrement soumis à des conditions de vie visant
à la destruction d'une proportion significative de la population ».412 Il n'est cependant pas nécessaire que les
victimes soient visées pour des motifs d'ordre national, ethnique, racial ou religieux.413 Le TPIY est donc
d'avis qu'aucun élément discriminatoire ne devrait être requis pour qualifier un acte d'extermination. L'élément
discriminatoire supplémentaire n'apparaît pas non plus dans le Statut de la CPI.
La différence principale entre le meurtre et l'extermination réside dans le fait que l'extermination présuppose
un élément de massacre non requis pour le meurtre.414 En bref, l'extermination est définie comme l'acte de tuer
sur une grande échelle. Cependant, l'extermination est différente du génocide en ce qu'elle ne présuppose pas
une intention de détruire un groupe protégé.415
Réduction en esclavage
Article 7(2)(c) du Statut de la CPI
Par « réduction en esclavage », on entend le fait d’exercer sur une personne l’un quelconque ou
l’ensemble des pouvoirs liés au droit de propriété, y compris dans le cadre de la traite des être
humains, en particulier des femmes et des enfants.
Les Éléments des crimes du Statut de la CPI définissent la réduction en esclavage comme « l'exercice de
l’un quelconque ou la totalité des pouvoirs découlant du droit de propriété sur une ou plusieurs personnes,
par exemple en achetant, vendant, prêtant ou troquant ladite ou lesdites personnes, ou en leur imposant une
privation similaire de liberté ».416 Une telle privation de liberté « peut, dans certaines circonstances, inclure
des travaux forcés ou d’autres moyens de réduire une personne à l’état de servitude, tel qu’il est défini dans
la Convention supplémentaire de 1956 relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des
institutions et pratiques analogues à l’esclavage ».417
Les pratiques analogues à l’esclavage en vertu de la Convention supplémentaire de 1956 relative à l’abolition
de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l’esclavage comprennent
la servitude pour dette, le servage ou toute situation dans laquelle une femme est donnée en mariage sans son
consentement moyennant une somme d'argent, où elle peut être transférée par son époux à une autre personne
du vivant de son époux ou à son décès.418
410
411
412
413
414
415
416
417
418
Procureur contre Ntakirutimana (n405) parag (516) (note de bas de page omise).Procureur contre Stakić (n405), parag (260) ; Procureur contre Krajišnik
(TPIY) Affaire No IT-00-29-T, jugement de première instance (14 janvier 2000) parag (716).
Procureur contre Krajišnik (n410) parag (716), (720).
Procureur contre Krstić (TPIY) Affaire No IT-98-33-T, jugement de première instance (31 août 2001) parag (503).
Ibid parag (499). Si le TPIR stipule le contraire dans l'affaire Akayesu, c'est en raison des critères particuliers de discrimination pour des motifs d'ordre
national, politique, ethnique, racial ou religieux dans le cadre de la disposition sur les crimes contre l'humanité dans ce Statut : Procureur contre Akayesu
(n346) parag (583).
Procureur contre Ntakirutimana (n409), parag (813).
Procureur contre Akayesu (n346) parag (591).
Article 7(1)(c) des Éléments des crimes de la CPI, 6.
Ibid.
Article 1 de la Convention supplémentaire relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à
l’esclavage (7 septembre 1956) 226 UNTS 3.
Manuel de droit pénal international
147
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Le TPIY a développé une définition de la réduction en esclavage dans sa décision de première instance sur
l'affaire Fo ča.419 Elle stipule que la « réduction en esclavage comme crime contre l'humanité consiste en
l'exercice de l'un quelconque ou de tous les pouvoirs liés au droit de possession d'une personne. » Le mens rea
de la réduction en esclavage présuppose l'« exercice intentionnel d'un pouvoir lié au droit de possession. »420
Les détails de la définition de la réduction en esclavage sont définis dans le paragraphe suivant de la décision :
« Conformément à la présente définition, l'esclavage est indiqué par des éléments de contrôle et de possession : limites sur
l'autonomie d'une personne, son libre choix ou sa liberté de mouvement, ou contrôle de ceux-ci, et souvent, des gains financiers
pour l'auteur du crime. Le consentement ou libre choix de la victime est nul. Celui-ci est rendu impossible ou sans importance par
l'utilisation par exemple de la force, de menaces ou autre forme de coercition ; la peur de violences, la tromperie ou les fausses
promesses ; l'abus de pouvoir ; la position vulnérable de la victime ; la détention ou captivité ; les pressions psychologiques ou
les conditions socioéconomiques. D'autres signes pointant vers la réduction en esclavage comprennent l'exploitation, le travail
forcé ou obligatoire, souvent sans rémunération, et souvent, bien que pas toujours, des souffrances physiques, sexe et prostitution
et traite d'êtres humains. Quant au travail forcé ou obligatoire, le droit international et notamment certaines dispositions de la
Convention de Genève IV et des Protocoles additionnels affirment clairement que pas toutes les formes de travail effectué par des
personnes protégées comme les civils durant les conflits armés ne sont prohibées. Cependant, des conditions strictes sont définies
pour ce travail. L'acquisition ou le transfert d'une personne en échange d'une compensation financière ou autre n'est pas un critère
obligatoire de la réduction en esclavage. Ceci étant, ils constituent un exemple parfait de l'exercice du droit de possession sur une
personne. La durée de l'exercice supposé de pouvoirs liés au droit de possession est un autre facteur à prendre en compte lorsque
l'on tente de définir si une personne a été réduite en esclavage. Cependant, son importance dépend selon les cas de l'existence
d'autres indications de réduction en esclavage. La détention de quelqu'un en captivité sans plus d'indications ne constituerait pas
forcément, selon les cas une réduction en esclavage. 421
Il est également important de noter qu'il n'est pas nécessaire de prouver l'existence d'avantages pécuniers pour
l'accusé ni de mauvais traitements envers la victime.422
Selon la Chambre d'appel du TPIY dans l'affaire Kunarac et al, l'absence de consentement ne doit pas
forcément être prouvé comme élément du crime. Cependant, ce consentement peut être pertinent du point de
vue des preuves par rapport à la question de savoir si le Procureur a établi l'élément du crime lié à l'exercice
par l'accusé de tout pouvoir lié au droit de possession. Des circonstances empêchant l'expression d'un
consentement peuvent suffire à supposer l'absence d'un tel consentement.423
En ce qui concerne le mens rea, la Chambre d'appel du TPIY dans l'affaire Kunarac et al stipule qu'« il
n'est pas nécessaire de prouver que l'accusé entendait détenir les victimes sous un contrôle constant pendant
une période de temps prolongée afin de les soumettre à des actes de nature sexuelle ».424 Les Éléments ne
définissent pas de mens rea particulier requis pour la définition de réduction en esclavage, au-delà du critère
générique selon lequel « l’auteur savait que ce comportement faisait partie d’une attaque généralisée ou
systématique dirigée contre une population civile ou entendait qu’il en fasse partie »
419
420
421
422
423
424
148
Procureur contre Kunarac et al (TPIY) Affaires No IT-96-23-T et IT-96-23/1-T, jugement de première instance (22 février 2001) parag (539)-(542).
Ibid parag. (539)–(540). Voir également Procureur contre Kunarac et al (n307) parag (119)–(122).
Procureur contre Kunarac et al (n419), parag (542). Voir également Procureur contre Kunarac et al (TPIY) Affaires No IT-96-23 et IT-96-23/1A,
jugement d'appel (24 juin 2002) parag (119).
Procureur contre Kunarac et al (n307) parag (123).
Ibid parag (120).
Ibid parag (122).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Déportation ou transfert forcé de population
Article 7(2)(d) du Statut de la CPI
Par « déportation ou transfert forcé de population », on entend le fait de déplacer de force des
personnes, en les expulsant ou par d’autres moyens coercitifs, de la région où elles se trouvent
légalement, sans motifs admis en droit international.
Les Éléments des crimes de la CPI soulignent les éléments suivants de la déportation ou du transfert forcé de
population : 425
1. L’auteur a déporté ou transféré de force, sans motif admis en droit international, une ou plusieurs personnes
dans un autre État ou un autre lieu, en les expulsant ou par d’autres moyens coercitifs.
2. Les personnes concernées étaient légalement présentes dans la région d’où elles ont été ainsi déportées ou
déplacées.
3. L’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant la légalité de cette présence.
Les Éléments des crimes de la CPI expliquent que le terme « de force » ne se limite pas à la force physique
mais peut comprendre un acte commis en usant à l’encontre de ladite ou desdites ou de tierces personnes de la
menace de la force ou de la coercition, telle que celle causée par la menace de violences, contrainte, détention,
pressions psychologiques, abus de pouvoir, ou bien à la faveur d’un climat coercitif.426 L’expression « déporté
ou transféré de force » est interchangeable avec « déplacé de force ».427
En vertu de la jurisprudence du TPIY, la déportation et le transfert forcé forment à eux deux l'infraction sousjacente de « déplacement forcé ». L'actus reus du déplacement forcé est le déplacement des personnes en les
expulsant de force ou par d’autres moyens coercitifs de la région où elles se trouvent légalement, sans motifs
admis en droit international. Le mens rea du déplacement de force est le fait qu'il est effectué dans l'intention
d'expulser ces personnes. Le mens rea de l'infraction ne présuppose pas forcément que l'auteur du crime
entende déplacer la personne de l'autre côté de la frontière de manière permanente.428
La différence entre la déportation et le transfert forcé réside sur le fait que la déportation représente le
déplacement forcé de personnes au-delà des frontières nationales reconnues au niveau international. Par
contraste, le transfert forcé est le déplacement forcé depuis une partie du pays vers une autre au sein des
frontières nationales.429 L'actus reus de la déportation est donc le transfert forcé à travers une frontière
nationale de jure vers un autre pays, ou dans certains cas, une frontière de facto, tandis que l'actus reus du
transfert forcé est le déplacement interne.430
425
426
427
428
429
430
Article 7(1)(d) des Éléments des crimes de la CPI, 7.
Article 7(2)(d) du Statut de la CPI.
Article 7(1)(d) des Éléments des crimes de la CPI, 7, fns 12 and 13.
Procureur contre Stakić (n405), parag (278) ; Procureur contre Krstić (n412), parag (519)–(532).
Procureur contre Stakić (n405), parag (278).
Ibid parag (278), (289) ; Procureur contre Krstić (n412), parag (521).
Manuel de droit pénal international
149
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
La Chambre d'appel dans l'affaire Stakić stipule que « le droit coutumier international reconnaît également
que le déplacement depuis un « territoire occupé », comme défini dans l'Article 49 de la Convention de
Genève IV et reconnu par de nombreuses résolutions du Conseil de Sécurité suffit également pour prouver
la déportation ». De plus, « la question de savoir si une frontière de facto en particulier suffit aux critères du
crime de déportation doit être examinée au cas par cas en vertu du droit coutumier international ».431
La déportation et le transfert forcé surviennent lorsque le déplacement de la population civile est illicite.
L'Article 49 de la Convention de Genève IV et l'Article 17 du Protocole II permettent une évacuation totale
ou partielle de la population en cas de risques pour la population ou d'impératifs militaires. L'Article 49
stipule cependant que les personnes ainsi évacuées doivent être retransférées chez elles dès que les hostilités
dans la région ont cessé. Ainsi, si le déplacement de la population civile a lieu pour ces raisons et que la
population est retransférée chez elle après la fin des hostilités, les infractions de déportation ou de transfert
forcé n'ont pas lieu.432
Dans ces circonstances, la Chambre de première instance du TPIY dans l'affaire Stakić stipule que « bien que
le déplacement pour raisons humanitaires soit justifiable dans certains cas . . . il n'est pas justifiable lorsque la
crise humanitaire ayant causé le déplacement est elle-même le résultat des activités illicites de l'accusé ».433
Il est donc essentiel pour prouver la déportation et le transfert forcé que le déplacement ait lieu sous la
contrainte. L'élément essentiel pour établir la contrainte est le fait que le déplacement de nature involontaire et
que les personnes n'aient pas eu le choix.434 C'est l'absence de « choix réel » qui en fait un acte de déplacement
illicite.435 Dans ces circonstances, la Chambre d'appel du TPIY dans l'affaire Krnojelac stipule qu’ « il est
impossible de conclure à un libre choix à partir du fait qu'un consentement a été exprimé, étant donné que les
circonstances peuvent enlever toute valeur à ce consentement ».436
Selon la jurisprudence du TPIY, on peut conclure à une absence de choix réel à partir, entre autres, d'actes
de menace ou d'intimidation destinés à enlever à la population civile l'exercice de son libre choix, comme
le bombardement de biens civils, la mise à feu de biens civils, ou le fait de commettre – ou de menacer de
commettre – d'autres crimes « destinés à terrifier la population pour la faire fuir de la région sans espoir de
retour possible ».437
Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique en violation des
dispositions fondamentales du droit international
Les Éléments des crimes de la CPI fournissent les éléments suivants pour cette infraction :438
1. L’auteur a emprisonné une ou plusieurs personnes ou autrement soumis ladite ou lesdites personnes à une
privation grave de leur liberté physique.
2. La gravité du comportement était telle qu’il constituait une violation de règles fondamentales du droit
international.
431
432
433
434
435
436
437
438
150
Procureur contre Stakić (n405) parag (300) (notes de bas de page omises).
Procureur contre Krstić (n412), parag (524)–(527).
Procureur contre Stakić (n405), parag (287).
Procureur contre Krstić (n412), parag (528) ;Prosecutor v Brđanin (TPIY) Affaire No IT-99-36-T, jugement de première instance (1er septembre 2004)
parag (543) ;Procureur contre Krnojelac (TPIY) Affaire No IT-97-25-T, jugement de première instance (15 mars 2002) parag (475) ; Procureur contre
Krnojelac (TPIY) Affaire No IT-97-25-A, jugement d'appel (17 septembre 2003) parag (233) ; Procureur contre Stakić (n405) parag (279).
Procureur contre Krnojelac (n434) parag (229) ; Procureur contre Stakić (n405), parag (279).
Procureur contre Krnojelac (n434) parag (229).
Procureur contre Simić (TPIY) Affaire No IT-95-9-T, jugement de première instance (17 octobre 2003) parag (126) ;Procureur contre Krstić (n412),
parag (126).
Article 7(1)(e) des Éléments des crimes de la CPI, 7.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
3. L’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant la gravité de son comportement.
De la même façon, la décision en première instance du TPIY dans l'affaire Kordić & Čerkez définit
l'emprisonnement comme « emprisonnement arbitraire, c'est-à-dire une privation de liberté de l'individu sans
suivre les procédures juridiques prévues, dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée
contre une population civile ». Ainsi, une Chambre examinant une accusation d'« emprisonnement » devra
déterminer « la légalité de l'emprisonnement ainsi que les protections en place touchant l'emprisonnement
ultérieur de la personne ou du groupe de personnes en question, avant de décider si oui ou non cet
emprisonnement a eu lieu dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une
population civile ».439
A partir de la définition susmentionnée, l'emprisonnement de civils est illicite dans les cas suivants :440
• Les civils ont été détenus en violation de l'Article 42 de la Convention de Genève IV. C'est-à-dire qu'ils ont
été détenus sans motif valable selon lequel la sécurité de la Puissance le détenant l'exige absolument.
• Les protections en place requises à l'Article 43 de la Convention de Genève IV ne sont pas respectées
concernant les civils détenus, même lorsque leur détention a au départ été justifiée.
• Il survient dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre une population civile.
L'Article 7(1)(e) du Statut de la CPI traite de « l'emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté
physique en violation des dispositions fondamentales du droit international ». Cette disposition interdit
l'emprisonnement uniquement dans les cas où il est contraire au droit international et fait la distinction
entre l'emprisonnement licite et illicite. L'Article 7(1)(e) du Statut de la CPI élargit la définition du terme
« emprisonnement » pour y inclure les « autres formes de privation grave de liberté physique ».441
Torture
Article 7(2)(e) du Statut de la CPI
Par « torture », on entend le fait d’infliger intentionnellement une douleur ou des souffrances aiguës,
physiques ou mentales, à une personne se trouvant sous sa garde ou sous son contrôle ; l’acception
de ce terme ne s’étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légales,
inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.
Les Éléments des crimes de la CPI fournissent les éléments suivants permettant de qualifier la torture de crime
contre l'humanité :442
1. L’auteur a infligé une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, à une ou plusieurs
personnes.
2. Ladite ou lesdites personnes étaient sous la garde ou sous le contrôle de l’auteur.
3. Les douleurs ou souffrances ne résultaient pas uniquement de sanctions légales et n’étaient pas inhérentes à
de telles sanctions ni occasionnées par elles.
439
440
441
442
Procureur contre Kordić & Čerkez (TPIY) Affaire No IT-95-14/2, jugement de première instance (26 février 2001) parag (302).
Ibid, parag (303) (note de bas de page omise).
Cherif Bassiouni, Crimes Against Humanity in International Criminal Law (2e éd, Kluwer Law International, The Hague 1999) 362–363.
Article 7(1)(f) des Éléments des crimes de la CPI, 8.
Manuel de droit pénal international
151
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
La torture est prohibée à la fois dans le droit traditionnel et coutumier international et constitue une norme de
jus cogens.443 L'Article 1 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains
ou dégradants de 1984 définit ainsi la torture :
tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales, sont intentionnellement infligées à une
personne aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte
qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou
d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme de discrimination quelle
qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre
personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite.444
Le TPIY, dans sa décision en première instance sur l'affaire Fo ča définit la torture comme un crime contre
l'humanité. Il conclut en affirmant que « la définition de la torture dans le droit international humanitaire ne
comprend pas les mêmes éléments que la définition de la torture généralement appliquée dans les droits de
l'homme ». En particulier, la Chambre de première instance stipule que « la présence d'un agent de la fonction
publique ou toute autre personne agissant à titre officiel dans le processus de torture n'est pas nécessaire pour
pouvoir considérer cette infraction comme de la torture en vertu du droit international humanitaire ».445
Suite à cela, la Chambre de première instance dans l'affaire Fo ča a stipulé que dans le domaine du droit
international humanitaire, les éléments du crime de torture sont les suivants en vertu du droit international
coutumier :
1. Le fait d'infliger activement ou par omission une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou mentales.
2. Cet acte ou cette omission doit être intentionnelle.
3. Cet acte ou cette omission doit viser à obtenir des renseignements ou des aveux, ou à punir, intimider
ou faire pression sur une victime ou un tiers, ou à user de discrimination pour quelque raison que ce soit
envers la victime ou un tiers.446
La Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants présuppose
conformément à sa définition de la torture, que les actes de torture sont commis dans un but particulier,
comme d'obtenir des renseignements ou des aveux, de punir la victime pour un acte qu'elle ou qu'un tiers a
commis ou est soupçonné d'avoir commis, d'intimider ou de faire pression sur la victime ou un tiers, ou pour
toute raison discriminatoire de quelque sorte que ce soit.447 Le Statut de la CPI n'exige aucun but ou objectif
de ce type. Bizarrement, cependant, les Éléments des crimes ont choisi d'adopter le critère de « but » ou
« objectif » en termes de torture comme crime de guerre mais pas comme crime contre l'humanité.
Le Statut de la CPI ne mentionne pas la participation par des fonctionnaires dans les critères de la torture.
Cependant, il ajoute un critère supplémentaire : la victime doit être sous la garde ou sous le contrôle de
l’auteur du crime.448 Dans les définitions précédentes, cette omission est importante et signifie que la
participation par des fonctionnaires publics n'est pas un critère obligatoire. Les Éléments des crimes de la
CPI ne décrivent pas non plus de critère selon lesquels les actes de torture doivent être commis dans un but
particulier.449
443
444
445
446
447
448
449
152
Procureur contre Delalić et al (Čelebići) Affaire No IT-96-21-T, jugement de première instance (16 novembre 1998) parag (454).
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (10 décembre 1984) 1465 UNTS 85.
Procureur contre Kunarac et al (TPIY), jugement de première instance (n419), parag (496) ; Procureur contre Kunarac et al (TPIY), jugement d'appel
(n307), parag (148).
Procureur contre Kunarac et al (TPIY), jugement de première instance (n419), parag (497) ; Procureur contre Kunarac et al (TPIY), jugement d'appel
(n307), parag (142).
Article 1 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (10 décembre 1984) 1465 UNTS 85.
Article 7(1)(f) des Éléments des crimes de la CPI, 8.
Ibid.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Infractions sexuelles
Article 7(1)(g) du Statut de la CPI
Viol, esclavage sexuel, prostitution forcée, grossesse forcée, stérilisation forcée ou toute autre forme
de violence sexuelle de gravité comparable.
Viol
Les Éléments des crimes de la CPI fournissent les éléments suivants du viol :450
1. L’auteur a pris possession du corps d’une personne de telle manière qu’il y a eu pénétration, même
superficielle, d’une partie du corps de la victime ou de l’auteur par un organe sexuel, ou de l’anus ou du
vagin de la victime par un objet ou toute autre partie du corps.
2. L’acte a été commis par la force ou en usant à l’encontre de ladite ou desdites ou de tierces personnes de
la menace de la force ou de la coercition, telle que celle causée par la menace de violences, contrainte,
détention, pressions psychologiques, abus de pouvoir, ou bien à la faveur d’un environnement coercitif, ou
encore en profitant de l’incapacité de ladite personne de donner son libre consentement.
Il faut noter que l'expression « prendre possession » se veut suffisamment large pour être dénuée de
connotation sexospécifique. De plus, il « est entendu qu’une personne peut être incapable de donner son libre
consentement si elle souffre d’une incapacité innée, acquise ou liée à l’âge ».451 La définition de la CPI semble
donc être plus large que celles rédigées par le TPIY et le TPIR.
Dans le jugement de première instance de l'affaire Akayesu, la Chambre du TPIR définit le viol comme une
« intrusion physique de nature sexuelle, commise sur une personne dans des circonstances coercitives ». Dans
le même paragraphe, la Chambre définit les violences sexuelles comme le viol comme « tout acte de nature
sexuelle, commis sur une personne dans des circonstances coercitives ». Les violences sexuelles ne sont pas
limitées à une intrusion physique du corps humain et peuvent comprendre des actes qui ne relèvent pas de la
pénétration ou même du contact physique ».452
Plus tard, la Chambre de première instance dans l'affaire Furundžija propose une définition plus clinique du
viol (hors contexte des crimes contre l'humanité) :
450
451
452
Article 7(1)(g) des Éléments des crimes de la CPI, 8.
Ibid 8, n15–16.
Procureur contre Akayesu (n346) parag (687)–(688).
Manuel de droit pénal international
153
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
(i) La pénétration sexuelle, même très peu profonde :
(a)du vagin ou de l'anus de la victime par le pénis de l'auteur du crime ou tout autre objet utilisé
par ce dernier, ou
(b) de la bouche de la victime par le pénis de l'auteur du crime.
(ii) par des moyens coercitifs, la force ou la menace contre la victime ou un tiers.453
La Chambre de première instance du TPIY, dans l'affaire Musema a préféré la démarche Akayesu à la
démarche Furundžija car elle « converge avec la démarche conceptuelle définie dans la décision de l'affaire
Akayesu pour la définition du viol, qui reconnaît que le caractère essentiel du viol n'est pas le détail des
organes corporels et objets impliqués, mais l'agression exprimée de manière sexuelle dans des conditions
coercitives ».454
La Chambre de première instance du TPIY, dans l'affaire Fo ča réexamine la définition du viol en grand détail
et conclut, à partir de son examen de la législation et des précédents nationaux, que le point essentiel en termes
d'absence de consentement est la violation grave de l'autonomie sexuelle que représente le viol, plutôt que les
rapports sexuels « par des moyens coercitifs, la force ou la menace contre la victime ou un tiers », l'élément
souligné par la Chambre de première instance de l'affaire Furundžija.455 La Chambre de première instance de
l'affaire Fo ča définit donc le viol comme suit :
L'actus reus du crime de viol en droit international est formé par : la pénétration sexuelle, même très peu profonde : (a) du vagin
ou de l'anus de la victime par le pénis de l'auteur du crime ou tout autre objet utilisé par l'auteur du crime, ou (b) de la bouche
de la victime par le pénis de l'auteur du crime, lorsque cette pénétration sexuelle survient sans le consentement de la victime. Le
consentement dans cet objectif doit être donné volontairement, résulter du libre choix de la victime, évalué dans le contexte des
circonstances environnantes. Le mens rea est l'intention de procéder à cette pénétration sexuelle, en ayant connaissance que cela
se fait sans le consentement de la victime.456
La définition plus détaillée donnée dans les affaires Furundžija et Fo ča est sans doute la définition à choisir
plutôt que celle de l'affaire Akayesu/Musema car la première définition respecte davantage le principe de la
légalité en définissant clairement les éléments de l'infraction, permettant aux citoyens de savoir à l'avance
quel comportement est prohibé et d'adapter leur conduite en fonction. En effet, la CPI semble avoir adopté la
démarche Furundžija/Fo ča en donnant une définition détaillée et clinique.457
Esclavage sexuel et prostitution forcée
Le crime d'esclavage sexuel conformément au Statut de la CPI n'a d'équivalent dans aucun autre statut pénal
international.
Les Éléments des crimes de la CPI fournissent les éléments de l'esclavage sexuel suivants :458
453
454
455
456
457
458
154
Procureur contre Furundžija (TPIY) Affaire No IT-95-17/1-T, jugement de première instance (10 décembre 1998) parag (185).
Procureur contre Musema (n371) parag (226)–(229).
Procureur contre Kunarac et al (n419), parag (436)–(459).
Ibid parag (460).
Jones and Powles (n295) 209.
Article 7(1)(g)-2 des Éléments des crimes de la CPI, 9.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
1. L’auteur a exercé l’un quelconque ou l’ensemble des pouvoirs associés au droit de propriété sur une ou
plusieurs personnes, par exemple en achetant, vendant, prêtant ou troquant ladite ou lesdites personnes
concernées, ou en leur imposant une privation similaire de liberté.
2. L’auteur a contraint ladite ou lesdites personnes à accomplir un ou plusieurs actes de nature sexuelle.
Il est entendu qu’une telle privation de liberté peut, dans certaines circonstances, inclure des travaux forcés
ou d’autres moyens de réduire une personne à l’état de servitude, tel qu’il est défini dans la Convention
supplémentaire de 1956 relative à l’abolition de l’esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et
pratiques analogues à l’esclavage. Il est aussi entendu que le comportement décrit dans cet élément inclut la
traite d’êtres humains, en particulier de femmes et d’enfants.459
Bien que l'esclavage sexuel soit classé comme une infraction distincte, il est considéré comme une forme
d'esclavage particulière. Le premier élément des Éléments des crimes de la CPI est donc identique à la réduction en
esclavage. L'esclavage sexuel couvre également les situations dans lesquelles les femmes et filles sont forcées à se
marier, l'esclavage domestique ou autre travail forcé impliquant finalement une activité sexuelle, notamment le viol
par les ravisseurs.460
Vu la nature complexe de ce crime, il est entendu que sa perpétration pourrait impliquer plusieurs auteurs
ayant une intention criminelle commune.461
Les Éléments des crimes de la CPI fournissent les éléments suivants de la prostitution forcée :462
1. L’auteur a amené une ou plusieurs personnes à accomplir un ou plusieurs actes de nature sexuelle par
la force, ou en usant à l’encontre de ladite ou desdites ou de tierces personnes de la menace de la force
ou de la coercition, telle que celle causée par la menace de violences, contrainte, détention, pressions
psychologiques, abus de pouvoir, ou bien à la faveur d’un environnement coercitif, ou encore en profitant
de l’incapacité desdites personnes de donner leur libre consentement.
2. L’auteur ou une autre personne a obtenu ou espérait obtenir un avantage pécuniaire ou autre en échange des
actes de nature sexuelle ou en relation avec ceux-ci.
La prostitution forcée se distingue de l'esclavage sexuel par l'avantage pécuniaire que l'accusé ou autre
personne a obtenu ou souhaitait obtenir en échange des actes de nature sexuelle ou en relation avec ceux-ci.463
La prostitution forcée comprend les situations qui ne relèvent pas de l'esclavage ou réduction en esclavage,
mais dans lesquelles une personne est contrainte d'effectuer des actes sexuels afin d'obtenir quelque chose
nécessaire à sa survie ou pour éviter d'autres atteintes à son intégrité physique ou mentale. Ces situations ne
sont pas toujours couvertes par la définition du viol, par exemple lorsqu'elles ne répondent pas au critère des
moyens coercitifs ou de la force ou menace de force.464
Contrairement au crime de viol, l'esclavage sexuel constitue une infraction soutenue, alors que la prostitution
forcée peut être soit une infraction soutenue soit un acte isolé. Les infractions soutenues couvrent parfois
également les crimes de viol et autres formes de violences sexuelles. Afin de prouver que l'esclavage sexuel ou
la prostitution forcée est soutenue, il faut démontrer la présence de viol.465
459
460
461
462
463
464
465
Article 7(1)(g)-2 des Éléments des crimes de la CPI, 9, n18.
Machteld Boot, « Article 7(1)(g) Rape… or any other form of sexual violence of comparable gravity », in Otto Triffterer (éd), Commentary on the Rome
Statute of the International Criminal Court (Nomos, Baden Baden, 1999) 139, 143.
Article 7(1)(g)-2 des Éléments des crimes de la CPI, 9, n17.
Article 7(1)(g)-3 des Éléments des crimes de la CPI, 9.
Ibid.
Machteld Boot (n460) 143.
Ibid, 144.
Manuel de droit pénal international
155
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Grossesse forcée
Article 7(2)(f) du Statut de la CPI
Par « grossesse forcée », on entend la détention illégale d’une femme mise enceinte de force, dans
l’intention de modifier la composition ethnique d’une population ou de commettre d’autres violations
graves du droit international. Cette définition ne peut en aucune manière s’interpréter comme ayant
une incidence sur les lois nationales relatives à la grossesse.
Les Éléments des crimes de la CPI définissent les éléments de la grossesse forcée comme suit :466
1. L’auteur a détenu une femme ou plusieurs femmes rendues enceintes de force, dans l’intention de modifier la
composition ethnique d’une population ou de commettre d’autres violations graves du droit international.
Les infractions graves au droit international font par exemple référence aux expériences biologiques. La raison
de l'ajout d'une clause selon laquelle la définition de la grossesse forcée ne doit en aucun cas être interprétée
comme modifiant la législation nationale liée aux grossesses permet de s'assurer que le texte ne limite pas la
capacité des États à statuer sur l'avortement et le contrôle des naissances.
Stérilisation forcée
Les Éléments des crimes de la CPI définissent les éléments de la stérilisation forcée comme suit :467
1. L’auteur a privé une ou plusieurs personnes de la capacité biologique de se reproduire.
2. Les actes n’étaient ni justifiés par un traitement médical ou hospitalier de la ou les personnes concernées ni
accomplis avec son ou leur libre consentement.
La stérilisation forcée prive les personnes de la capacité biologique de se reproduire. Elle ne couvre pas les mesures
de contraception provisoire ayant un effet non permanent dans la pratique.468 La stérilisation n'est ni justifiée par un
traitement médical ou hospitalier ni accomplis avec le libre consentement de la victime en toute connaissance de
cause.469 Le terme « libre consentement » ne comprend pas le consentement obtenu par la tromperie.470
Autre violence sexuelle de gravité comparable
Selon les Éléments des crimes de la CPI, cette disposition fourre-tout couvre les éléments suivants :471
1. L’auteur a commis un acte de nature sexuelle sur une ou plusieurs personnes ou a contraint ladite ou
lesdites personnes à accomplir un tel acte par la force ou en usant à l’encontre de ladite ou desdites ou
de tierces personnes de la menace de la force ou de la coercition, telle que celle causée par la menace
de violences, contrainte, détention, pressions psychologiques, abus de pouvoir, ou bien à la faveur d’un
environnement coercitif, ou encore en profitant de l’incapacité desdites personnes de donner leur libre
consentement.
466
467
468
469
470
471
156
Article 7(1)(g)-4 des Éléments des crimes de la CPI, 10.
Article 7(1)(g)-5 des Éléments des crimes de la CPI, 10.
Article 7(1)(g)-5 des Éléments des crimes de la CPI, 10, n19.
Article 7(1)(g)-5 des Éléments des crimes de la CPI, 10.
Article 7(1)(g)-5 des Éléments des crimes de la CPI, 10, n20.
Article 7(1)(g)-6 des Éléments des crimes de la CPI, 10-11.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
2. Ces actes étaient d’une gravité comparable aux autres infractions de l'Article 7 paragraphe 1(g) du Statut.
Le premier élément couvre les actes commis contre la victime ainsi que ceux forçant la victime à procéder à
un acte de nature sexuelle. Il couvre les actes de nature sexuelle qui « portent gravement atteinte à l'intégrité
physique ou mentale d'une personne . . . de manière dégradante et humiliante pour la dignité de la victime ».472
Les violences sexuelles ne sont pas limitées à une pénétration, une intrusion ou un contact physique, et
peuvent donc comprendre la nudité forcée. Par exemple, le TPIR stipule dans son jugement de l'affaire
Akayesu que forcer une femme à se déshabiller et à faire de la gymnastique nue devant une foule constituait
une violence sexuelle grave.473
Persécution
La persécution comme crime contre l'humanité est un crime intégrant tout un ensemble d'infractions
sous-jacentes.
Article 7(1)(h) du Statut de la CPI
Persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial,
national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste au sens du paragraphe 3, ou en fonction d’autres
critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international, en corrélation avec tout
acte visé dans le présent paragraphe ou tout crime relevant de la compétence de la Cour.
Article 7(2)(g) du Statut de la CPI
Par « persécution », on entend le déni intentionnel et grave de droits fondamentaux en violation du
droit international, pour des motifs liés à l’identité du groupe ou de la collectivité qui en fait l’objet.
Les Éléments des crimes de la CPI définissent les éléments de la persécution comme suit : 474
1. L’auteur a gravement porté atteinte, en violation du droit international, aux droits fondamentaux d’une ou
plusieurs personnes.
2. L’auteur a pris pour cible la ou les personnes en raison de leur appartenance à un groupe ou à une
collectivité identifiable ou a ciblé le groupe ou la collectivité en tant que tel.
3. Un tel ciblage était fondé sur des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou
sexiste au sens du paragraphe 3 de l’article 7 du Statut, ou à d’autres critères universellement reconnus
comme inadmissibles en droit international.
4. Le comportement était commis en corrélation avec tout acte visé à l’article 7, paragraphe 2, du Statut ou
avec tout crime relevant de la compétence de la Cour.
472
473
474
…
Procureur contre Furundžija (n453), parag (186).
Procureur contre Akayesu (n346) para (688).
Article 7(1)(h) des Éléments des crimes de la CPI, 11.
Manuel de droit pénal international
157
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
6. L’auteur savait que ce comportement faisait partie d’une campagne généralisée ou systématique dirigée
contre une population civile ou entendait qu’il en fasse partie.
Le TPIY définit la persécution comme un acte ou une omission discriminatoire de fait, qui nie ou empêche un
droit fondamental décrit dans le droit international coutumier ou des traités (actus reus) et qui a été commis de
manière délibérée dans une intention discriminatoire pour l'un des motifs mentionnés, notamment de nature
ethnique, religieuse ou politique (mens rea).475 En ce qui concerne les droits des personnes, la persécution
touche non seulement les droits liés à l'intégrité physique et mentale, mais aussi les droits de propriété,
économiques et judiciaires.476 Cependant, pas toutes les atteintes aux droits fondamentaux des personnes ne
suffisent à qualifier cette persécution comme crime contre l'humanité.
L'atteinte (déni ou violation) des droits doit être si flagrante qu'elle a la même gravité que d'autres crimes
contre l'humanité mentionnés dans le Statut du TPIY.477 Lorsque l'on examine le critère de gravité afin de
définir si certains actes constituent une persécution, ces actes ne doivent pas être étudiés séparément mais au
sein de leur contexte et en prenant en compte leur effet cumulatif. Séparés ou ensemble, ces actes doivent
constituer une persécution, mais il n'est pas nécessaire que chaque acte sous-jacent supposé soit considéré
comme une infraction du droit international.478
En ce qui concerne le critère de gravité, la définition de la CPI présuppose une privation grave de droits
fondamentaux. Cependant, le Statut de la CPI contient un critère supplémentaire, absent des Statuts du
TPIY et du TPIR, à savoir le déni des droits fondamentaux (a) « en corrélation avec » tout autre acte
sous-jacent des crimes contre l'humanité ou (b) tout autre crime relevant de la compétence de la Cour.479
Ce critère a été ajouté car plusieurs États craignaient que toute pratique discriminatoire serait cataloguée
comme « persécution ».480 Ce critère a été critiqué pour être « plus restrictif que nécessaire selon le droit
international coutumier ».481
Le mens rea des persécutions est « l'intention spécifique de causer des blessures chez une personne car elle
appartient à une communauté ou un groupe particulier ». La Chambre d'appel dans l'affaire Blaškić explique
qu'afin de répondre au critère de l'élément psychologique permettant de qualifier la persécution comme crime
contre l'humanité, il n'est pas nécessaire d'établir l'intention de persécution de l'auteur du crime au-delà d'une
intention discriminatoire. Par exemple, l'auteur n'a pas forcément d'intention particulière de mettre en oeuvre
un plan ou une politique générale particulière, comme l'élimination de personnes visées de la société ou de
l'humanité.482
L'élément fondamental du crime de persécution est le fait qu'il doit être commis pour des motifs
discriminatoires. Une intention discriminatoire existe donc lorsqu'une personne est visée pour des motifs
d'ordre politique, racial ou religieux, c'est-à-dire pour son appartenance à un certain groupe de victimes
visé par l'auteur du crime. Si les Statuts du TPIY et du TPIR font simplement référence aux motifs d'ordre
politique, racial et religieux, la CPI élargit cette liste de critères de discrimination aux motifs d’ordre national,
ethnique, culturel, sexiste et autres universellement reconnus comme inadmissibles en droit international.483
475
476
477
478
479
480
481
482
483
158
Procureur contre Krnojelac (n434) parag (185).
Procureur contre Blaškić (n351) parag (233) ; Procureur contre Kupreškić et al (n353) parag (610)–(614) ; Procureur contre Tadić (n360), parag (704),
(708)–(710).
Procureur contre Kupreškić et al (n353) parag (621) ; Procureur contre Krnojelac (n434) parag (199), (221).
Procureur contre Kupreškić et al (n353) parag (615(e)), (622) ; Procureur contre Krnojelac (TPIY) Affaire No IT-97-25-T, jugement de première instance
(15 mars 2002) parag (434).
Article 7(1)(h) du Statut de la CPI.
Cryer et al (n4) 199.
Procureur contre Kordić& Čerkez (n439), parag (197).
Procureur contre Blaškić (n356) parag (165) ; Procureur contre Kupreškić et al (n353) parag (625).
Article 7(1)(h) du Statut de la CPI.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
En ce qui concerne l'élément selon lequel l'acte doit être commis « en corrélation avec » tout acte visé à
l’article 7, paragraphe 2, du Statut ou avec tout crime relevant de la compétence de la Cour, les Éléments des
crimes de la CPI expliquent qu'il « est entendu qu’aucun élément psychologique additionnel n’est nécessaire
ici, hormis celui qui est inhérent à l’élément 6 ».484 Par conséquent, le critère est simplement objectif et aucun
élément psychologique n'est requis.
L'intention de discrimination est non seulement nécessaire à l'existence de la persécution mais aussi du
génocide. Cependant, le génocide présuppose une intention discriminatoire particulière, celle de détruire
un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Par conséquent, si l'auteur du crime choisit une victime
appartenant à une communauté particulière dans les deux cas, la différence réside dans le fait que l'auteur du
crime de persécution ne chercher pas forcément à détruire la communauté en tant que telle.485
En ce qui concerne les actes relevant d'autres crimes contre l'humanité, ils constituent une persécution s'il
y a intention discriminatoire. Les actes relevant de crimes de guerre constituent eux aussi une persécution
s'ils répondent aux critères des éléments contextuels des crimes contre l'humanité et de l'élément d'intention
discriminatoire requis.
Exemples d'actes de persécution prouvés :
• Déportation, transfert forcé et déplacement forcé486
• Destruction de biens immobiliers, notamment des bâtiments religieux487
• Attaques visant des civils et attaques aveugles sur des villes et villages488
• Détention de civils ayant été tués, utilisés comme boucliers humains, battus, soumis à un surencombrement
du lieu de vie, mauvais traitements physiques ou psychologiques, intimidation, traitement inhumain et
privation d'eau ou de nourriture489
• Traitements humiliants et dégradants490
• Toute agression sexuelle à l'exception du viol, y compris les abus sexuels graves infligés sur l'intégrité
d'une personne par des moyens coercitifs, des menaces physiques ou des efforts d'intimidation de manière
humiliante ou dégradante pour la dignité de la personne491
• Refus de droits fondamentaux tels que le droit au travail, la liberté de mouvement, le recours à la justice et
les soins médicaux adaptés492
484
485
486
487
488
489
490
491
492
Article 7(1)(h) des Éléments des crimes de la CPI, n22.
Procureur contre Jelisić (TPIY) Affaire No IT-95-10-T, jugement de première instance (14 décembre 1999) parag (79).
Procureur contre Blaškić (n356) parag (153) ; Procureur contre Brđanin (n434) parag (1025).
Procureur contre Blaškić (n356) parag (149) ; Procureur contre Brđanin (n434) parag (1023).
Procureur contre Blaškić (n356) parag (159).
Procureur contre Blaškić Ibid para (155) ; Procureur contre Brđanin (n434) parag (1005).
Procureur contre Brđanin (n434) parag (1014).
Ibid parag (1012).
Ibid parag (1049).
Manuel de droit pénal international
159
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
• Travail forcé, autre que les travaux exigés lors d'une détention licite et ordinaire, qui ne sont pas considérés
comme forcés. Missions obligeant des civils à participer à des opérations militaires ou exposant des civils à
des situations dangereuses ou humiliantes relevant des traitements inhumains et cruels.493
Disparition forcée
Le Statut de la CPI décrit un crime contre l'humanité appelé disparition forcée. Sa définition dans le Statut de la CPI
repose sur la Convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées de
l'ONU de 1992 et la Convention interaméricaine sur la disparition forcée des personnes de 1994.
Article 7(2)(i) du Statut de la CPI
Par « disparitions forcées de personnes », on entend les cas où des personnes sont arrêtées, détenues
ou enlevées par un État ou une organisation politique ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment
de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que ces personnes sont privées de
liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent, dans l’intention de les
soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée.
Les Éléments des crimes de la CPI définissent les éléments de la disparition forcée comme suit :494
1. L'auteur :
(a) A arrêté, détenu ou enlevé une ou plusieurs personnes ou
(b)A refusé de reconnaître que cette ou ces personnes avaient été arrêtées, détenues ou enlevées, ou de
révéler le sort qui leur a été réservé ou l’endroit où elles se trouvent.
2. (a)L’arrestation, la détention ou l’enlèvement ont été suivis ou accompagnés d’un refus d’admettre que
cette ou ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où
elles se trouvent, ou
(b) Ce refus était précédé ou accompagné de cette privation de liberté.
3. L’auteur savait que :
(a)L’arrestation, la détention ou l’enlèvement serait suivi, dans le cours normal des événements, d’un
refus d’admettre que cette ou ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est
réservé ou l’endroit où elles se trouvent, ou que
(b) Ce refus était précédé ou accompagné de cette privation de liberté.
4. L’arrestation, la détention ou l’enlèvement a été exécuté par ou avec l’autorisation, l’appui ou l’assentiment
d’un État ou d’une organisation politique.
5. Le refus d’admettre que cette ou ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est
réservé ou l’endroit où elles se trouvent a été opposé par cet État ou cette organisation politique ou avec
son autorisation ou son appui.
493
494
160
Procureur contre Simić et al (n437), parag (996) ; Procureur contre Krnojelac (n434) parag (200).
Article 7(1)(i) des Éléments des crimes de la CPI, 11-12.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
6. L’auteur avait l’intention de soustraire ladite ou lesdites personnes à la protection de la loi pendant une
période prolongée.
Pour conclure, la disparition forcée en vertu du Statut de la CPI comprend trois éléments-clé : tout d'abord,
l'arrestation, la détention ou l'enlèvement d'une personne par un État ou une organisation politique ou avec
l’autorisation, l’appui ou l’assentiment de cet État ou de cette organisation, qui refuse ensuite d’admettre que
ces personnes sont privées de liberté ou de révéler le sort qui leur est réservé ou l’endroit où elles se trouvent,
dans l’intention de les soustraire à la protection de la loi pendant une période prolongée.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, vu la nature complexe de ce crime, il est entendu que sa perpétration
impliquera normalement plusieurs auteurs ayant une intention criminelle commune.495 Le terme « détenu »
couvre les auteurs ayant maintenu une détention existante.496 Il est entendu que, dans certaines circonstances,
l’arrestation ou la détention peuvent avoir été légales.497
Les éléments de mens rea présupposent que l'auteur savait que la privation de liberté serait suivie, dans le
cours normal des événements, d’un refus d’admettre cette privation de liberté ou de révéler le sort réservé
aux personnes arrêtées, détenues ou enlevées, ou l’endroit où elles se trouvent.498 Il est entendu que, dans
le cas d’un auteur qui a maintenu une détention existante, ces éléments seraient satisfaits si l’auteur savait
qu’un tel refus avait déjà été opposé.499 L'auteur sinon doit être conscient que ce refus était précédé ou
accompagné de cette privation de liberté.500
De plus, le crime de disparition forcée présuppose une intention spécifique, celle de soustraire une personne à
la protection de la loi pendant une période prolongée.501 La disparition forcée peut comprendre d'autre crimes,
comme l'homicide, la torture ou l'emprisonnement arbitraire. Cependant, ce crime a pour centre l'incertitude
sur le sort de la victime, à savoir si la personne concernée est vivante ou non.502
Apartheid
L'apartheid a été reconnu comme un crime contre l'humanité dans des textes de loi tels que la Convention
sur l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre de 1968503 et la Convention
internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid de 1973 (ci-après appelée Convention sur
l'apartheid).504
495
496
497
498
499
500
501
502
503
504
Ibid 11, n23.
Ibid 11, n25.
Ibid 11, n26.
Ibid 12.
Ibid 11, n28.
Ibid 12.
Ibid 12.
Cryer et al (n4) 218.
Article 1(b) de la Convention sur l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre, GA Res 2391 (XXIII), Annexe, Doc ONU
A/7218 (26 nov 1968) ; 754 UNTS 73 ; 18 ILM 68.
Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (30 novembre 1973) 1015 UNTS 243.
Manuel de droit pénal international
161
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Article 7(2)(h) du Statut de la CPI
Par « crime d’apartheid », on entend des actes inhumains analogues à ceux que vise le paragraphe
1, commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination
d’un groupe racial sur tout autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de
maintenir ce régime.
Les Éléments des crimes de la CPI définissent les éléments du crime d'apartheid comme suit :505
1. L’auteur a commis un acte inhumain contre une ou plusieurs personnes.
2 Cet acte était un des actes visés à l’article 7, paragraphe 1, du Statut ou était un acte d’un caractère
similaire à l’un quelconque de ces actes.
3. L’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant les caractéristiques de l’acte.
4. Le comportement s’inscrivait dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression et de domination
systématiques par un groupe racial à l’encontre d’un ou de plusieurs autres groupes raciaux.
5. L’auteur avait, par son comportement, l’intention de maintenir ce régime.
L'apartheid consiste donc en l'un quelconque des actes inhumains mentionnés à l'Article 7(1) du Statut de la
CPI. De plus, d'autres actes de nature semblable à ceux de l'Article 7(1) du Statut de la CPI, commis dans le
cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe racial sur tout
autre groupe racial ou tous autres groupes raciaux et dans l’intention de maintenir ce régime, peuvent aussi
relever de l'apartheid. Selon les Éléments des crimes de la CPI, le terme « caractère » ou caractéristique se
réfère à la nature et la gravité de l’acte. Ces actes doivent donc être de nature et de gravité semblables aux
autres actes inhumains mentionnés à l'Article 7(1) du Statut de la CPI.
Comme le Statut de la CPI suit de près la définition de l'apartheid de la Convention sur l'apartheid, il peut
servir de guide pour reconnaître les actes « analogues ». L'Article II de cette Convention cite les actes tels
que la privation du droit à la vie et à la liberté de la personne, l'imposition de conditions de vie visant à la
destruction éventuelle d'un groupe racial, l'imposition de mesures visant à empêcher la participation de
membres d'un groupe à la vie politique, socioéconomique et culturelle, l'imposition de mesures conçues pour
créer des divisions raciales dans la population et l'exploitation ou les travaux forcés.
Autres actes inhumains
Cette disposition fourre-tout existe depuis la création de l'Article 6(c) de la Charte du tribunal de Nuremberg
pour éviter les lacunes juridiques potentielles. La Chambre de première instance du TPIY, dans l'affaire Blaškić
explique que la clause résiduelle générale sur les « autres actes inhumains » a été inclue dans le Statut du TPIY
car il est impossible d'anticiper l'imagination des futurs auteurs de crimes épouvantables ou les formes que
peuvent prendre ces crimes. De manière paradoxale, plus l'on tente de rédiger une liste détaillée et spécifique de
tous les crimes contre l'humanité, plus la notion devient restreinte.506 C'est pourquoi une clause globale a du être
créée.
505
506
162
Article 7(1)(j) des Éléments des crimes de la CPI, 12-13.
Procureur contre Blaškić (n351) parag (237).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Les Éléments des crimes de la CPI définissent les éléments des autres actes inhumains comme suit :507
1. L’auteur a, par un acte inhumain, infligé de grandes souffrances ou porté gravement atteinte à l’intégrité
corporelle ou à la santé physique ou mentale de ses victimes.
2. Cet acte avait un caractère similaire à l’un quelconque des actes visés à l’article 7, paragraphe 1, du Statut.
3. L’auteur avait connaissance des circonstances de fait établissant les caractéristiques de l’acte.
Selon la jurisprudence du TPIY et du TPIR, les autres actes inhumains comprennent les crimes contre
l'humanité qui ne sont pas définis ailleurs mais sont de gravité comparable. Le TPIY et le TPIR ont donc
définit les éléments des actes inhumains comme suit :508
• Un acte ou une omission, de gravité équivalente aux autres actes mentionnés dans les crimes contre l'humanité, a
eu lieu.
• Cet acte ou cette omission a causé des souffrances physiques ou psychologiques graves ou a formé une
attaque grave contre la dignité humaine.
• Cet acte ou cette omission a été commise intentionnellement par l'accusé ou par une ou des personnes dont
les actes ou omissions relèvent de la responsabilité pénale de l'accusé.
Afin de juger de la gravité d'un acte ou d'une omission, il faut prendre en compte toutes les circonstances
factuelles de l'affaire. Parmi ces circonstances possibles, on trouve la nature de l'acte ou de l'omission, le
contexte dans lequel il s'est produit, les circonstances personnelles de la victime, telles que son âge, son
sexe et son état de santé, et les effets physiques, mentaux et psychologiques de l'acte ou de l'omission sur la
victime.509
L'intention de commettre des actes inhumaines est un critère qui exige que l'auteur du crime, au moment de
l'acte ou de l'omission, avait l'intention d'infliger de graves souffrances physiques ou psychologiques ou de
commettre une attaque grave contre la dignité humaine de la victime, ou dans les cas où son acte ou omission
risquait de causer de telles souffrances ou atteintes à la dignité. 510
Selon les Éléments des crimes de la CPI, l'auteur doit avoir connaissance des circonstances de fait établissant
la nature et la gravité de ses actes, mais il ne doit pas forcément considérer ses actes comme inhumains.511
Par rapport au Statut de la CPI, les Statuts du TPIY et du TPIR proposent des listes plus limitées d'actes
prohibés constituant des crimes contre l'humanité. Par exemple, ces Statuts ne couvrent pas expressément
la disparition forcée, les violences sexuelles, la prostitution forcée ou le transfert forcé de population.512
Cependant, la jurisprudence du TPIY montre que chacun de ces crimes tombent dans la catégorie « autres
actes inhumains ». Parmi les autres actes ayant été qualifiés d'actes inhumains, on trouve la mutilation, le
fait d'infliger des coups et blessures graves, les atteintes physiques et psychologiques graves, les traitements
inhumains ou dégradants à l'exception de la torture, l'imposition de conditions de vie inhumaines dans des
camps de concentration et la nudité forcée.513
507
508
509
510
511
512
513
Article 7(1)(k) des Éléments des crimes de la CPI, 13.
Procureur contre Galić (TPIY) Affaire No IT-98-29-T, opinion et jugement de première instance (5 décembre 2003) parag (152) ;Procureur contre
Kayishema & Ruzindana (n348) parag (149), (150)–(151), (154) ; Procureur contre Akayesu (n346) parag (585) ;Procureur contre Krnojelac (n434)
parag (130).
Procureur contre Galić (n508), parag (153) ;Procureur contre Krnojelac (n434) parag (131).
Procureur contre Galić (n508), parag (154) ;Procureur contre Krnojelac (n434) parag (132).
Article 7(1)(k) des Éléments des crimes de la CPI, 13.
Procureur contre Akayesu (n346) parag (688) ; Procureur contre Stakić (n405), parag (317) ; Procureur contre Kupreškić et al (n353) parag (566).
Procureur contre Akayesu (n346) parag (685)–(697) ; Procureur contre Tadić (n360) parag (730) ;Procureur contre Blaškić (n351) (3 mars 2000)
parag. (239)-(240) ; Procureur contre Kvočka et al (TPIY) Affaire No IT-98-30/1, jugement de première instance (2 novembre 2001) parag (206)–
(209) ; Procureur contre Delalic et al (Čelebići) (n443), parag (554)–(558) ; Procureur contre Kupreškić et al (n353) parag (566) ; Procureur contre Krstić
(n412), parag (523) ; Procureur contre Simić et al (n437), parag (78).
Manuel de droit pénal international
163
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Génocide
Introduction
Des atrocités massives ont eu lieu tout au long de l'histoire mais l'utilisation du terme « génocide », d'un
point de vue légal, est un développement relativement récent. Si le terme s'est imposé dans les médias et
la politique, il est essentiel de noter que le concept est relativement récent, car il n'est entré sur la scène
internationale qu'en 1944. Il existe un débat considérable autour de sa définition et les implications de la
déclaration d'une atrocité comme génocide, un mot qui est censé « connoter une pratique si horrible et
irréparable que le seul fait de prononcer le mot galvanise tous ceux qui l'entendent ».514 L'histoire a montré que
la création d'une classification de génocide ne signifie pas que les gouvernements et les tribunaux l'appliquent,
bien au contraire. Les interprétations incohérentes de la définition du génocide, et sa nature controversée, ont
directement limité la capacité de la communauté internationale à poursuivre et punir le crime de génocide, un
acte qui « figure au sommet de la pyramide » de la criminalité.515
Évolution historique
En 1944, Raphael Lemkin, un avocat polonais, a créé le terme « génocide », dans son ouvrage Axis Rule in
Occupied Europe, pour décrire le plan délibéré des nazis et de leurs satellites visant à détruire des groupes
entiers, principalement les juifs et les tziganes, mais aussi d'autres groupes ethniques, et créer un mot qui ne
pourrait être associé qu'avec le crime le plus grave. Lemkin créa le terme en combinant le mot « genos » du
grec ancien, signifiant « race, nation, ou tribu » avec le suffixe latin cide venant du mot caedere, qui signifie
« tuer ».516 Lemkin a défini le génocide comme :
Un plan coordonné de différentes actions visant à la destruction des bases essentielles de la vie de groupes nationaux, dans le
but d'annihiler ces groupes eux-mêmes. L'objectif d'un tel plan serait la désintégration des institutions politiques et sociales de la
culture, de la langue, des sentiments nationaux, de la religion et de l'existence économique de groupes nationaux et la destruction
de la sécurité personnelle, de la liberté, de la santé, de la dignité et même de la vie des individus appartenant à ces groupes. Le
génocide est dirigé contre le groupe national comme entité et les actions impliquées sont dirigées contre les individus, non en tant
qu'individus, mais en tant que membres du groupe national.517
Le génocide n'est cependant pas un phénomène limité à ce siècle, mais tristement, un fait récurrent dans
l'histoire de l'humanité. Des groupes ont régulièrement été décimés par l'action violente d'autres groupes. Si
l'Holocauste des juifs et des tziganes perpétré par les nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale est sans
doute l'exemple de génocide le plus infâme et le plus abominable du 20ème siècle, il existe de nombreux
autres exemples dans l'histoire moderne : l'extermination des aborigènes tasmaniens et australiens au 19ème
siècle, le déplacement forcé et l'élimination des indiens d'Amérique aux États-Unis, le Vernichtungsbefehl
allemand, ou ordre d'extermination et l'annihilation subséquente des Héréros en 1904, l'extermination turque
des Arméniens en 1915 et les massacres contemporains des Tutsis au Rwanda en 1994 et des Musulmans de
Bosnie en 1992-1995.518
514
515
516
517
518
164
Samantha Power, A Problem from Hell: America and the Age of Genocide (Basic Books, New York 2002) 43.
William A Schabas, Genocide in International Law (CUP, Cambridge 2000) 9.
Ibid 25; Jones and Powles (n295) 143.
Raphaël Lemkin, Axis Rule in Occupied Europe: Laws of Occupation – Analysis of Government – Proposals for Redress (Carnegie Endowment for
International Peace, Washington 1944) 79.
Jones and Powles (n295) 143–144.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Malgré le fait que le terme soit né de l'observation de l'Holocauste de Lemkim, le terme et le concept
de génocide n'ont pas été utilisés dans le jugement des nazis au Tribunal de Nuremberg.519 Le Statut de
Nuremberg n'a pas inclus un crime de génocide dans la compétence du Tribunal de Nuremberg car le crime
a été créé ex post facto.520 Donc, juger les crimes de l'Holocauste comme génocide serait une violation du
principe nullum crimen sine lege , qui établit que « Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui
ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international au moment où elles ont été
commises. »521 Par conséquent, pour poursuivre et juger les nazis, le Tribunal de Nuremberg devait relier les
actes commis avec des crimes relevant déjà de la compétence du Tribunal.522 En particulier, le Tribunal de
Nuremberg a décrit certains crimes nazis contre l'humanité comme des actes de génocide.523
Le génocide a été établi comme un crime spécifique internationalement reconnu le 11 décembre 1946 par la
résolution 96(1) de l'Assemblée générale de l'ONU. Cette résolution n'a cependant pas adopté le principe de
compétence universelle sur le génocide qui permettrait sa poursuite même par des États sans lien direct avec
le crime par le territoire ou la nationalité. D'un autre côté, cette résolution a réussi à éliminer la limitation
du crime de génocide aux situations de conflit armé. Le génocide constituerait donc un crime même s'il est
commis en temps de paix. Il est intéressant de souligner que la définition de génocide dans la résolution a
inclus les groupes politiques, qui ont par la suite été omis dans la Convention sur le génocide de 1948.
96(I). Le crime de génocide
Le génocide est le refus du droit à l'existence à des groupes humains entiers, de même que l'homicide
est le refus du droit à l'existence à un individu ; un tel refus bouleverse la conscience humaine,
inflige de grandes pertes à l'humanité, qui se trouve ainsi privée des apports culturels ou autres de ces
groupes, et est contraire à la loi morale ainsi qu'à l'esprit et aux fins des Nations Unies.
On a vu perpétrer des crimes de génocide qui ont entièrement ou partiellement détruit des groupements
raciaux, religieux, politiques ou autres.
La répression du crime de génocide est une affaire d'intérêt international.
519
520
521
522
523
Cryer et al (n4) 166–167.
Prosecutor v Kambanda (n395) para (14).
Pacte international relatif aux droits civils et politiques (16 Déc 1966) 999 UNTS 171.
Article 6(c) de l’Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l’Axe, et établissant la
Charte du Tribunal militaire international (8 août 1945) 82 UNTS 279 (Annexe).
Voir le jugement du 30 septembre et du 1er octobre 1946. Jones and Powles (n295) 114.
Manuel de droit pénal international
165
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
L'Assemblée générale, en conséquence,
Affirme que le génocide est un crime de droit des gens que le monde civilisé condamne, et pour lequel
les auteurs principaux et leurs complices, qu'ils soient des personnes privées, des fonctionnaires ou des
hommes d'État, doivent être punis, qu'ils agissent pour des raisons raciales, religieuses, politiques ou
pour d'autres motifs ;
Invite les États Membres à prendre les mesures législatives nécessaires pour prévenir et réprimer ce
crime ;
Recommande d'organiser la collaboration internationale des États en vue de prendre rapidement des
mesures préventives contre le crime de génocide et d'en faciliter la répression, et, à cette fin ;
Charge le Conseil économique et social d'entreprendre les études nécessaires en vue de rédiger un
projet de Convention sur le crime de génocide, qui sera soumis à l'Assemblée générale lors de sa
prochaine session ordinaire.
Cinquante-cinquième séance plénière,
le 11 décembre 1946.
La résolution 96(1) de l'Assemblée générale de l'ONU a chargé l'ONU de préparer une convention sur
le génocide, et ce processus a été terminé deux ans plus tard, en décembre 1948. Le sixième comité de
l'Assemblée générale de l'ONU a créé la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
en 1948 (ci-après Convention sur le génocide), qui est entrée en vigueur le 12 janvier 1951.524 La définition du
génocide, figurant dans l'article II de la Convention sur le génocide,525 est devenue la définition standard.
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948)
Article II
Dans la présente Convention, le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après, commis dans
l'intention de détruire, ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
(a) Meurtre de membres du groupe ;
(b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
(c)Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction
physique totale ou partielle ;
524
525
166
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (9 Déc 1948) 78 UNTS 227.
Ibid Article II.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
(d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
(e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
Article III
Seront punis les actes suivants :
(a) Le génocide ;
(b) L'entente en vue de commettre le génocide ;
(c) L'incitation directe et publique à commettre le génocide ;
(d) La tentative de génocide ;
(e) La complicité dans le génocide.
La Convention sur le génocide a adopté la demande de Lemkin qu'il est important « de ne pas négliger le fait
que le génocide est un problème non seulement de la guerre mais aussi de la paix ».526 Dans l'article I de la
Convention sur le génocide, les parties contractantes ont été d'accord avec Lemkin que le genocide « qu'il soit
commis en temps de paix ou en temps de guerre, est un crime du droit des gens, qu'elles s'engagent à prévenir
et à punir ». 527 Ce point souligne le fait que le génocide peut aussi se produire en dehors des conflits armés.528
La Convention sur le génocide s'étend donc au meurtre et à l'extermination en masse d'une population civile
par son propre gouvernement, que ceci soit commis en temps de guerre ou de paix.529
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (1948)
Article I
Les Parties contractantes confirment que le génocide, qu'il soit commis en temps de paix ou en temps
de guerre, est un crime du droit des gens, qu'elles s'engagent à prévenir et à punir.
Cependant, en raison du contexte historique de l'adoption de la Convention sur le génocide, et de la justification
de son adoption, d'autres exemples de crimes de masse brutaux, tels que les purges politiques en URSS, en
Chine, au Cambodge ou en Amérique latine, ne sont pas qualifiés de génocide, car les groupes politiques et
économiques sont exclus de la portée de la Convention sur le génocide, de même que le génocide culturel qui
désigne la destruction de la langue et de la culture d'un groupe.530 La Convention sur le génocide s'est donc
limitée à la destruction physique de « groupes relativement stables » auxquels les personnes appartiennent
souvent par leur naissance. Cependant, les quatre classes de groupes protégés ne sont pas définis dans la
Convention sur le génocide, et les critères de leur définition ne sont pas fournis.531
526
527
528
529
530
531
Lemkin (n517) 93.
Article I de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (9 Déc 1948) 78 UNTS 227.
Cryer et al (n4) 167.
Jones and Powles (n295) 144.
Ibid 145.
Cassese (n232) 130–131.
Manuel de droit pénal international
167
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
En 1951, la CIJ a annoncé que les interdictions de la Convention faisaient partie du droit coutumier
international.532 Dans son avis consultatif sur les Réserves à la convention pour la prévention et la répression
du crime de génocide, la CIJ a établi que les principes sous-jacents de la Convention sont reconnus par les
nations civilisées comme liant les États même en l'absence de toute obligation conventionnelle. L'intention
était que la Convention soit de portée universelle.533 Les règles coutumières sur le génocide forment partie du
jus cogens – un ensemble de normes impératives auxquelles aucune dérogation n'est permise.534
Article VI de la Convention sur le génocide535
Les personnes accusées de génocide ou de l'un quelconque des autres actes énumérés à l'article III
seront traduites devant les tribunaux compétents de l'État sur le territoire duquel l'acte a été commis,
ou devant la cour criminelle internationale qui sera compétente à l'égard de celles des Parties
contractantes qui en auront reconnu la compétence.
En plus de la poursuite nationale des tribunaux nationaux de l'État dans lequel l'acte de génocide a été commis,
l’article VI de la convention sur le génocide envisage la création d'un tribunal international qui pourrait juger
le génocide. Ceci s'est produit pour la première fois dans les tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie (TPIY)
et le Rwanda (TPIR) en 1993 et 1994, respectivement.536 La première condamnation internationale pour
génocide n'a été prononcée que le 2 septembre 1998, lorsque Jean-Paul Akayesu a été reconnu coupable de
génocide par le TPIR.537 Les autres jugements importants incluent ceux des cas de Kayishema et Ruzindana
devant le TPIR et les cas de Krstić et Jelisić devant le TPIY.538
Rapport aux crimes contre l’humanité
La définition des crimes contre l'humanité ressemble beaucoup à la définition du génocide. Les deux
catégories de crimes sont très proches et ont la même origine. Le génocide a tout d'abord été envisagé comme
une sous-catégorie des crimes contre l'humanité. Dans ce contexte, le génocide peut être considéré comme
la forme la plus grave de crime contre l'humanité. Les massacres à grande échelle de groupes ethniques
et religieux ont été les premiers à être criminalisés comme sous-classe de la catégorie de crimes contre
l'humanité. Cependant, après l'adoption de la Convention sur le génocide de 1948, le génocide est devenu une
catégorie séparée de crimes per se, avec ses propres actus reus et mens rea’.539
532
533
534
535
536
537
538
539
168
Cryer et al (n4) 167.
Réserves à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Avis consultatif) [1951] ICJ Rep 15.
Antonio Cassese, « Genocide », dans Antonio Cassese (ed), The Oxford Companion to International Criminal Justice (OUP, Oxford 2009) 332, 332–333.
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (9 Déc 1948) 78 UNTS 227.
Cryer et al (n4) 167.
Le Procureur contre Akayesu (n346).
Le Procureur contre Kayishema & Ruzindana (n348) ; Le Procureur contre Krstić (n412) ; Le Procureur contre Jelisić (n485).
Cassese (n232) 144.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
En ce qui concerne les éléments physiques du génocide et des crimes contre l'humanité, les deux crimes
forment des cercles se chevauchant. Par exemple, tuer les membres d'un groupe ethnique ou religieux ou
causer un préjudice corporel ou mental grave à des membres d'un groupe racial ou religieux peut entrer dans
les deux catégories. Cependant, les crimes contre l'humanité ont une portée plus large car ils comprennent des
actes qui ne rentrent pas dans la définition du génocide. Par exemple, l'emprisonnement et la torture, en tant
que tels, ne tombent pas sous le coup du génocide sauf s'ils correspondant à des actes infligeant à des membres
d'un groupe des conditions de vie calculées pour entraîner la destruction physique du groupe. D'autre part, du
moins selon certains commentateurs, certains actes de génocide ne sont pas des crimes contre l'humanité, par
exemple tuer des militaires prisonniers appartenant à un groupe religieux ou racial particulier sur la base de
leur appartenance à ce groupe.540
Le plus grand facteur de différenciation entre les deux catégories de crimes est l'élément psychologique, c'està-dire l'intention. Dans les crimes contre l'humanité, l'auteur doit avoir l'intention de commettre le crime sousjacent et la connaissance de la pratique répandue et systématique constituant le contexte général du crime.
Pour le génocide, l'auteur doit avoir commis les actes avec l'intention spécifique (dolus specialis) de détruire,
totalement ou partiellement, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en plus de posséder l'intention
de commettre le crime sous-jacent. L'intention de commettre l'offense sous-jacente peut-être partagée par les
deux catégories dans le cas de la même offense sous-jacente. Par exemple, dans le cas d'un meurtre, l'intention
de tuer est requise par les deux catégories. Cependant, le génocide exige de plus l'intention de détruire un
groupe.541 Le génocide et la persécution comme crime contre l'humanité ont l'un comme l'autre une intention
de discrimination contre des membres d'un groupe particulier. Cependant, le génocide exige une intention
particulière de détruire un groupe, en totalité ou en partie.542
Une autre différence entre les deux crimes est que le crime de génocide n'est basé sur aucune exigence
d'échelle.543 D'autre part, un crime contre l'humanité est un acte « commis dans le cadre d’une attaque
généralisée ou systématique lancée contre toute population civile et en connaissance de cette attaque ».544 Les
éléments requis pour les crimes contre l'humanité incluent donc « une situation existant objectivement avec
un échelle et une gravité importantes où les civils courent un risque. Par contraste, la gravité d'un génocide
est marqué principalement non pas par un élément circonstanciel objectif mais par le mens rea subjectif,
l'intention de détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que tel ».545 Ainsi qu'il a été
noté ci-dessus, ceci indique un éloignement de la notion de génocide de ses origines comme crime contre
l'humanité aggravé.
Le génocide dans les tribunaux pénaux internationaux
Les dispositions du TPIY et du TPIR concernant le génocide sont extraits verbatim des Articles II et III de la
Convention sur le génocide.546
540
541
542
543
544
545
546
Ibid 145.
Ibid 45.
Ibid Le Procureur contre Jelisić (n485), para (79).
Cryer et al (n4) 168.
Article 7 du Statut de la CPI.
Cryer et al (n4) 168.
Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (9 Déc 1948) 78 UNTS 227.
Manuel de droit pénal international
169
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Article 4 du Statut du TPIY/Article 2 du Statut du TPIR
Génocide
1.Le Tribunal international est compétent pour poursuivre les personnes ayant commis le génocide,
tel qu’il est défini au paragraphe 2 du présent article, ou l’un quelconque des actes énumérés au
paragraphe 3 du présent article.
2.Le génocide s’entend de l’un quelconque des actes ci-après, commis dans l’intention de détruire,
en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
(a) meurtre de membres du groupe ;
(b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
(c)soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa
destruction physique totale ou partielle ;
(d) mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
(e) transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
3. Seront punis les actes suivants :
(a) le génocide ;
(b) l'entente en vue de commettre le génocide ;
(c) l'incitation directe et publique à commettre le génocide ;
(d) la tentative de génocide ;
(e) la complicité dans le génocide.
Le Statut de la CPI reproduit l'Article II de la Convention sur le génocide dans son Article 6. Cependant, les
auteurs du Statut de la CPI ont décidé de ne pas inclure les termes de l'Article III de la Convention sur le
génocide, qui expose cinq formes différentes d'actes de génocide punissables (voir le Chapitre 4). Les formes
de participation qui entraînent une responsabilité pénale individuelle pour génocide sont les mêmes que celles
définies pour tous les autres crimes en vertu du Statut de la CPI et énumérées à l'Article 25 de son Statut. Il
faut cependant noter que l'Article 25 du Statut de la CPI omet en tant que crime l'entente en vue de commettre
un génocide.
Article 6
Génocide
Aux fins du présent Statut, on entend par crime de génocide l’un quelconque des actes ci-après
commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou
religieux, comme tel :
170
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
(a) Meurtre de membres du groupe ;
(b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
(c)Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction
physique totale ou partielle ;
(d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
(e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.
Article 25
Responsabilité pénale individuelle
1. La Cour est compétente à l’égard des personnes physiques en vertu du présent Statut.
2.Quiconque commet un crime relevant de la compétence de la Cour est individuellement
responsable et peut être puni conformément au présent Statut.
3.Aux termes du présent Statut, une personne est pénalement responsable et peut être punie pour un
crime relevant de la compétence de la Cour si :
(a)Elle commet un tel crime, que ce soit individuellement, conjointement avec une autre personne
ou par l’intermédiaire d’une autre personne, que cette autre personne soit ou non pénalement
responsable ;
(b)Elle ordonne, sollicite ou encourage la commission d’un tel crime, Elle ordonne, sollicite ou
encourage la commission d’un tel crime ;
(c)En vue de faciliter la commission d’un tel crime, elle apporte son aide, son concours ou toute
autre forme d’assistance à la commission ou à la tentative de commission de ce crime, y
compris en fournissant les moyens de cette commission ;
(d)Elle contribue de toute autre manière à la commission ou à la tentative de commission
d’un tel crime par un groupe de personnes agissant de concert. Cette contribution doit être
intentionnelle et, selon le cas :
(i)Viser à faciliter l’activité criminelle ou le dessein criminel du groupe, si cette activité ou
ce dessein comporte l’exécution d’un crime relevant de la compétence de la Cour ; ou
(ii) Être faite en pleine connaissance de l’intention du groupe de commettre ce crime.
(e)S’agissant du crime de génocide, elle incite directement et publiquement autrui à le
commettre ;
Manuel de droit pénal international
171
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
(f)Elle tente de commettre un tel crime par des actes qui, par leur caractère substantiel,
constituent un commencement d’exécution mais sans que le crime soit accompli en raison
de circonstances indépendantes de sa volonté. Toutefois, la personne qui abandonne l’effort
tendant à commettre le crime ou en empêche de quelque autre façon l’achèvement ne peut être
punie en vertu du présent Statut pour sa tentative si elle a complètement et volontairement
renoncé au dessein criminel.
4.Aucune disposition du présent Statut relative à la responsabilité pénale des individus n’affecte
la responsabilité des États en droit international.
Le Statut de la CPI fait aussi référence au génocide dans son Article 33, qui traite des ordres hiérarchiques.
L'Article 33(2) expose que les ordres de commettre un génocide sont « manifestement illégaux ». Les ordres
hiérarchiques ne peuvent donc pas constituer une défense pour ce crime.
Article 33
Ordre hiérarchique et ordre de la loi
1.Le fait qu’un crime relevant de la compétence de la Cour a été commis sur ordre d’un
gouvernement ou d’un supérieur, militaire ou civil, n’exonère pas la personne qui l’a commis de sa
responsabilité pénale, à moins que :
(a)Cette personne n’ait eu l’obligation légale d’obéir aux ordres du gouvernement ou
du supérieur en question ;
(b) Cette personne n’ait pas su que l’ordre était illégal ; et
(c) L’ordre n’ait pas été manifestement illégal.
2.Aux fins du présent article, l’ordre de commettre un génocide ou un crime contre l’humanité
est manifestement illégal.
Le CETC a aussi inclus la définition du génocide de la Convention sur le génocide dans son droit applicable.547
547
172
L'Article 9 de l'accord entre l'ONU et le Gouvernement royal cambodgien concernant la poursuite, conformément au droit cambodgien, des auteurs des
crimes commis pendant la période du Kampuchea démocratique (6 juin 2003) 2329 UNTS 117 (Annexe).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Loi sur l'établissement des chambres extraordinaires
Article 4
Les chambres extraordinaires sont compétentes pour juger les suspects qui ont commis des crimes de
génocide, tels que définis dans la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de
génocide, entre le 17 avril 1975 et le 6 janvier 1979.
Aux fins du présent Statut, on entend par crime de génocide l’un quelconque des actes ci-après
commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou
religieux, comme tel :
• le meurtre de membres du groupe,
• les atteintes graves à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe,
• la soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner
sa destruction physique totale ou partielle,
• les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe,
• les transferts forcés d'enfants du groupe à un autre.
Les actes suivants sont passibles des mêmes peines :
• la tentative de commettre un génocide,
• l'entente visant à commettre des actes de génocide,
• la participation à des actes de génocide.
Cependant, pour les actes punissables, le CETC n'a pas inclus « l'incitation directe et publique à commettre
le génocide » de l'Article III(c) et la « complicité dans le génocide » de l'Article III(e) de la Convention sur le
génocide dans son droit applicable et changé la formulation de l'Article III(a) de la Convention sur le génocide
pour dire « participation à des actes de génocide », au lieu de faire simplement référence au « génocide ».548
Les chambres spéciales pour les crimes graves au Timor oriental sont compétentes pour juger le génocide. Le
règlement 2000/15 de l'UTNAT sur l'établissement des chambres spéciales avec une compétence exclusive
pour les crimes graves a reproduit l'Article II de la Convention sur le génocide dans sa section 4. Le règlement
suit le Statut de la CPI en ce qu'il ne reproduit pas l'Article II de la Convention sur le génocide pour la
détermination des formes de participation mais plutôt l'Article 25 du Statut de la CPI dans sa section 14,
Responsabilité pénale internationale.549
Même si la définition du génocide, exposée dans la Convention sur le génocide, a par la suite été reproduite
essentiellement sous la même forme dans les Statuts des cours et des tribunaux internationaux, son
interprétation est toujours très contestée et a fait l'objet de nombreux débats. L'émergence de tribunaux
hybrides et leur acceptation de la définition de la Convention sur le génocide, tels que le CETC et les
Chambres spéciales pour les crimes graves au Timor oriental, ont intégré plus avant le terme dans le droit
international et national. Mais l'inclusion d'un tel terme ne mandate pas la communauté internationale ou les
548
549
Article 4 de la Loi sur l'établissement du CETC.
Section 4 du Règlement de l'UTNATO 2000/15, UNTAET/REG/2000/15 (6 juin 2000).
Manuel de droit pénal international
173
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
États individuels d'y répondre. C'est là que naît la question de la souveraineté d'un État et des responsabilités
mondiales, où le droit national et international se rejoint ou diverge.
Droit international par rapport à droit national
Lemkin affirmait que le génocide entraînerait des troubles internationaux et demandait que sa répression soit
basée « non seulement sur le droit international et le droit constitutionnel mais aussi sur le droit pénal des
différents pays ».550 L'Article V de la Convention sur le génocide exige que les parties contractantes s'engagent
à adopter, conformément à leurs Constitutions respectives, la législation nécessaire pour donner effet aux
dispositions de la présente Convention, et en particulier de fournir des peines réelles pour les personnes
reconnues coupables de génocide ou d'autres actes énumérés à l'Article III.551
Même si elle est exposée assez clairement, l'intégration réelle des dispositions de la Convention sur le
génocide dans le droit national n'est pas une tâche aisée. Les États peuvent à leur entière discrétion utiliser
leurs propres interprétations de la définition de façon nationale, et ceci signifie aussi que plusieurs définitions
du génocide peuvent exister pour des États différents. Les États sont en droit d'utiliser des définitions plus
larges du génocide par exemple en adoptant une définition plus large des groupes protégés dans leurs lois
nationales. Cependant, les États ne sont pas tenus d'accepter les définitions individuelles établies par d'autres
États.552 D'autre part, de nombreux États ont intégré, soit verbatim soit plus généralement, les dispositions de
la Convention sur le génocide dans leur droit national.553
Il y a eu plusieurs procès nationaux pour génocide. Le cas le plus célèbre après la Deuxième Guerre mondiale
a été le procès d'Adolf Eichmann en Israël pour « crimes contre le peuple juif ». En vertu de la loi israélienne,
ce crime contenait tous les éléments de la définition du génocide dans l'Article II de la Convention sur le
génocide.554 Après l'établissement du TPIR et du TPIY, certains tribunaux nationaux ont commencé à engager
des poursuites pénales contre des personnes accusées de crimes graves dans l'ex-Yougoslavie. Les tribunaux
allemands se sont par exemple prononcés sur certains cas de génocide.555 Un autre procès national pour
génocide est le cas du Procureur spécial contre Col Mengistu Hailamariam et al qui a eu lieu devant la Haute
Cour d'Éthiopie.556 Les procès pour génocide national, crimes contre l'humanité et crimes de guerre sont
évoqués plus en détails au Chapitre 5.
Les éléments du génocide
Le crime de génocide est composé d'éléments matériaux (actus reus) et d'éléments psychologiques (mens rea)
qui peuvent être divisés entre :
550
551
552
553
554
555
556
174
Lemkin (n17) 93.
Article V de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (9 Déc 1948) 78 UNTS 227.
Cryer et al (n4) 170.
Schabas (n515) 351.
Schabas (n280) 93 ; Cassese (n232) 131.
Cassese (n232) 132 ; Kai Ambos and Steffen Wirth, « Genocide and War Crimes in the former Yugoslavia Before German Criminal Courts », dans
H Fischer, C Kress and S R Lüder (eds), International and National Prosecution of Crimes Under International Law (Berlin Verlag Arno Spitz, Berlin
2001) 783–797.
Tiba Firew Kebede, « The Mengistu, Genocide Trial in Ethiopia », (2007) 5 J Int’l Crim Justice 513, 514.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
• L'élément physique commun : les victimes doivent appartenir à un groupe national, ethnique, racial ou
religieux :
• Un élément contextuel supplémentaire en ce qui concerne la CPI : la conduite a pris place dans le contexte
d'un type manifeste de conduite similaire dirigée contre ce groupe ou était une conduite qui pouvait ellemême entraîner la destruction du groupe ;
• L'élément psychologique commun : intention spécifique du crime de génocide. L'auteur a essayé de
détruire, en totalité ou en partie, le groupe national, ethnique, racial ou religieux, en tant que tel ;
• Les éléments physique (actus reus) et psychologique (mens rea) requis pour chaque type de crime
spécifique ou dit sous-jacent.
Groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux
Tous les groupes ne sont pas protégés par la Convention sur le génocide. La liste de personnes protégées
est limitée aux groupes « nationaux, ethniques, raciaux ou religieux » et cette liste est exhaustive. Pendant
les négociations sur la Convention sur le génocide, il y a eu de nombreux débats sur la spécificité de cette
liste et beaucoup ont avancé que d'autres groupes devaient être inclus également, par exemple les groupes
sociaux ou politiques. La définition sans doute étroite des groupes protégés a par la suite été critiquée
et diverses définitions ont été proposées en vue d'élargir l'éventail des groupes protégés.557 Par exemple,
pendant les négociations à la CPI, certains délégués ont proposé d'inclure des groupes sociaux et politiques
afin de combler toute lacune dans la définition. Cependant, une fois de plus, les tentatives d'étendre la
portée des groupes protégés ont rencontré une forte résistance et la définition est restée la même dans le
Statut de la CPI.558
Dans le cas du Cambodge et des atrocités massives commises par Pol Pot et le régime Khmer rouge entre
1975 et 1979, il a été affirmé que ces actes ne constituaient pas un crime de génocide car les victimes n'entrent
pas dans la catégorie de groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux.559 D'autre part, un argument
différent est que le groupe national Khmer a été persécuté, ce qui qualifie ensuite les victimes comme victimes
du génocide en vertu de la définition de la résolution 96(1) de l'Assemblée générale.560 Un autre argument
est que les Khmers rouges sont commis un génocide contre des « parties » substantielles de la communauté
bouddhiste Khmer majoritaire et des minorités ethniques tels que les Vietnamiens, les Chinois et les
Musulmans cham. »561 Les CECT ont compétence sur le génocide.562
Alors que la liste des groupes reste confinée aux classifications nationales, ethniques, raciales ou religieuses,
il existe toujours une incertitude sur la façon de déterminer l'appartenance à un groupe et sur qui doit effectuer
ces déterminations. Il n'existe aucune définition reconnue internationalement d'aucun des termes utilisés par la
Convention sur le génocide. Même les Éléments des crimes de la CPI n'essaient pas de clarifier la signification
de ces termes. La jurisprudence la plus développée sur la question des groupes est venue du TPIR, confronté
dès le départ avec le problème de savoir s'il fallait classifier les Tutsis comme groupe national, ethnique, racial
ou religieux, et de quelle façon. De plus, la jurisprudence du TPIY a contribué à clarifier la définition des
termes en question.
557
558
559
560
561
562
Cryer et al (n4) 166–167.
Payam Akhavan, « The Crime of Genocide in ICTR Jurisprudence », (2005) 3 J Intl Crim Justice 989, 999.
Ben Kiernan, « The Cambodian Genocide and Imperial Culture, in 90 Years of Denial », Aztag Daily 20–21 (Avril 2005).
Schabas (n515) 118.
Ben Kiernan, « The Cambodian Genocide and Imperial Culture, in 90 Years of Denial », (n559).
Article 4 de la Loi sur l'établissement du CETC.
Manuel de droit pénal international
175
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Dans Akayesu La Chambre de première instance a tenté un examen objectif de l'existence d'un groupe
ethnique. La Chambre de première instance a dû conclure que, strictement parlant, les Tutsis n'entraient dans
aucun des groupes protégés par la définition du génocide. La Chambre de première instance a donc adopté une
interprétation large de l'objet de la Convention sur le génocide afin de juger qu'un génocide avait été commis
au Rwanda. La Chambre a jugé que « d'autres groupes relativement stables en dehors des quatre catégories
spécifiées » pouvaient aussi entrer dans le domaine d'application du crime de génocide sans dénaturer l'esprit
de la Convention sur le génocide.563
511. En lisant les travaux préparatoires da la Convention sur le génocide, il apparaît que le crime de génocide était apparemment
perçu comme ciblant uniquement les groupes « stables », constitués de façon permanente auxquels un individu appartient par
la naissance, avec l'exclusion de groupes plus « mobiles » auquel un individu appartient par un engagement individuel, tels
que les groupes politiques et économiques. Un critère commun pour les quatre types de groupes protégés par la Convention
sur le génocide est que l'appartenance à de tels groupes semble ne pas pouvoir être remise en cause par leurs membres, qui y
appartiennent automatiquement, de naissance, de façon continue et souvent irrémédiable.
516. De plus, la Chambre a examiné la question de savoir si les groupes protégés par la Convention sur le génocide, repris dans
l'Article 2 du Statut, devaient être limités uniquement aux quatre groupes expressément mentionnés et s'ils ne devaient pas aussi
inclure tout groupe stable et permanent comme les quatre groupes mentionnés. En d'autres termes, la question qui se pose est s'il
serait impossible de punir la destruction physique d'un groupe en tant que tel en vertu de la Convention sur le génocide, si ledit
groupe, bien qu'il soit stable et qu'un individu y appartienne de par sa naissance, ne respecte pas la définition de l'un des quatre
groupes expressément protégés par la Convention sur le génocide. Selon la Chambre, il est particulièrement important de respecter
l'intention des auteurs de la Convention sur le génocide, qui selon les travaux préparatoires, était manifestement d'assurer la
protection de tout groupe stable et permanent.
Inversement, dans Krstić, la Chambre de première instance a reconnu que la liste est exhaustive mais que les
quatre groupes n'avaient pas de significations distinctes et différentes dans la Convention sur le génocide :564
555. Les groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux ne sont pas clairement définis dans la Convention ou ailleurs. Par
contraste, les travaux préparatoires sur la Convention et les travaux menés par des organismes internationaux en relation avec la
protection des minorités montrent que les concepts de groupes protégés et de minorités nationales se chevauchent partiellement
et sont parfois synonymes. Les actes européens sur les droits de l'homme utilisent le terme « minorités nationales », tandis que
les actes universaux font plus souvent référence aux « minorités ethniques, religieuses ou linguistiques » ; les deux expressions
semblent embrasser les mêmes objectifs. Dans une étude menée pour la Sous-commission sur la prévention de la discrimination
et la protection des minorités en 1979, F. Capotorti a commenté que « la Sous-commission sur la prévention de la discrimination
et la protection des minorités a décidé, en 1950, de remplacer le mot « racial » par le mot « ethnique » dans toutes les références
aux groupes de minorité décrits par leur origine ethnique ». La Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de
discrimination raciale définit la discrimination raciale comme « toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur
la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique ». Les travaux préparatoires sur la Convention sur le génocide
reflètent également que le terme « ethnique » a été ajouté ultérieurement afin de mieux définir le type de groupes protégé par la
Convention et assurer que le terme « national » ne soit pas compris comme incluant des groupes purement politiques.
563
564
176
Le Procureur contre Akayesu (n346) paras (511), (516) (note de bas de page omises) ; Jones and Powles (n295) 167.
Le Procureur contre Krstić (n412) paras (555)–(556) (notes de bas de page omises). Voir également Schabas (n515) 109–114.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
556. Les travaux préparatoires de la Convention montrent que l'établissement d'une telle liste visait plus à décrire un phénomène
unique, correspondant plus ou moins à ce qui était reconnu, avant la Deuxième guerre mondiale, comme des « minorités nationales »,
qu'à se référer à plusieurs prototypes distincts de groupes humains. Essayer de différencier chacun des groupes nommés sur la base de
critères scientifiquement objectifs ne correspondrait donc pas à l'objet et à l'objectif de la Convention.
La Chambre de première instance pour Akayesu a estimé que les Tutsis correspondaient à la définition d'un
groupe protégé par la Convention sur le génocide car ils étaient classifiés comme groupe « ethnique » de
« façon stable ». Comme base supplémentaire de sa décision de considérer que les Tutsis composaient un
groupe stable et permanent, la Chambre de première instance pour Akayesu a dû adopter une approche
partiellement subjective, qui reposait sur ses conceptions personnelles de l'ethnicité :565
702. À la lumière des éléments portés à sa connaissance durant le procès, la Chambre considère que les Tutsi constituaient, au
Rwanda en 1994, un groupe dénommé « ethnique » dans les classifications officielles. Ainsi, les cartes d'identité rwandaises
comportaient à l'époque la mention « ubwoko » en Kinyarwanda ou « ethnie » en français, à laquelle correspondait, selon les
cas, les mentions « Hutu » ou « Tutsi » par exemple. De plus, la Chambre a constaté que chacun des témoins rwandais qui s'est
présenté devant elle il toujours spontanément et sans hésitation répondu aux questions du Procureur s’enquerront sur son identité
ethnique. Aussi, la Chambre estime que les Tutsi constituaient bien, à l'époque des faits allégués, un groupe stable et permanent et
identifie par tous comme tel.
Cependant, dans le cas Kayishema et Ruzindana , la Chambre de première instance a adopté une approche
plus flexible, au moins en ce qui concerne les groupes ethniques, en tenant compte d'éléments subjectifs tels
que la perception des membres du groupe, ou d'autres, y compris les auteurs des crimes :
Un groupe national, ethnique, racial ou religieux
98. Doit exister l'intention de « détruire un groupe national, ethnique, racial ou religieux, en tant que tel ». Les actes doivent
donc être dirigés vers un groupe spécifique sur ces bases discriminatoires. Un groupe ethnique est un groupe dont les membres
partagent une langue et une culture communes ; ou un groupe qui se distingue lui-même en tant que tel (auto-identification) ; ou
un groupe identifié en tant que tel par d'autres, y compris les auteurs des crimes (identification par d'autres). Un groupe racial est
basé sur des traits physiques héréditaires souvent identifiés avec la géographie. Un groupe religieux inclut une dénomination ou un
mode de culte d'un groupe partageant des croyance communes.566
Face au choix entre le test des « groupes stables » et l'approche plus « subjective », la Chambre de première
instance pour Kayishema et Ruzindana a eu une attitude équivoque, mais une analyse plus approfondie montre
sa préférence pour la dernière approche. Dans le jugement de Rutaganda , la Chambre a considéré que « dans
le but d'appliquer la Convention sur le génocide, l'appartenance à un groupe est, par essence, un concept
subjectif plutôt qu'objectif ». Il a cependant accepté qu'un test subjectif n'est pas suffisant en soi, car « la
Convention a vraisemblablement été conçue pour protéger des groupes relativement stables et permanents ».567
En raison de l'absence de définitions généralement acceptées de ces groupes, chacun doit être évalué « à la
lumière d'un contexte politique, social et culturel particulier ».568
565
566
567
568
Le Procureur contre Akayesu (n346) para (702) ; Jones and Powles (n295) 168.
Le Procureur contre Kayishema & Ruzindana (n348) para (98).
Procureur contre Rutaganda (TPIR) Cas No 96-3-T, Jugement et sentence (6 décembre 1999) paras (55)–(57).
Ibid ; Voir également Procureur contre Jelisić (n485) para (80) ; Jones and Powles (n295) 168.
Manuel de droit pénal international
177
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
L'approche subjective a par la suite été adoptée par la jurisprudence du TPIR et du TPIY. Par exemple, dans le
jugement Jelisić , la Chambre a appliqué un test subjectif, axé principalement sur les perceptions des auteurs,
pour déterminer si les victimes des actes des accusés « appartenaient à un groupe » protégé par la Convention
sur le génocide :569
69. L'Article 4 du Statut protège les victimes appartenant à un groupe national, ethnique, racial ou religieux et exclut les membres
de groupes politiques. Les travaux préparatoires de la Convention démontre qu'un souhait a été exprimé pour limiter le domaine
d'application de la Convention pour protéger des groupes « stables » objectivement définis et auxquels les individus appartiennent
indépendamment de leurs désirs propres.
70. Si la détermination objective d'un groupe religieux reste possible, la tentative de définition d'un groupe national, ethnique ou
racial aujourd'hui en utilisant des critères objectifs et scientifiquement irréprochables serait un exercice périlleux dont le résultat
ne correspondrait pas forcément à la perception des personnes concernées par cette catégorisation. Il est donc plus approprié
d'évaluer le statut d'un groupe national, ethnique ou racial du point de vue des personnes qui souhaitent isoler ce groupe du
reste de la communauté. La Chambre de première instance choisit par conséquent d'évaluer l'appartenance à un groupe national,
ethnique ou racial en utilisant un critère subjectif. C'est la stigmatisation d'un groupe en tant qu'unité nationale, ethnique ou raciale
distincte par la communauté qui lui permet d'être déterminée, qu'une population ciblée constitue un groupe national, ethnique
ou racial aux yeux des auteurs présumés. Cette position correspond à celle adoptée par la Chambre de première instance dans sa
révision de l'acte d'accusation conformément à l'Article 61 déposé dans le cas Nikolić .
De même, tout en reconnaissant les aspects objectifs et subjectifs de la question, le procès Bagilishema a
conclu que la perception des auteurs doit déterminer l'appartenance au groupe. La Chambre a déclaré que
les « auteurs de génocide peuvent définir le groupe visé d'une façon qui ne correspond pas tout à fait à l'idée
que l'on se fait généralement du groupe ou à celle que s'en font d'autres couches de la société. Cela étant, la
Chambre est d'avis, que si, au vu des éléments de preuve présentés, la victime est regardée par l'auteur du
crime comme membre d'un groupe protégé, la Chambre devrait la considérer comme membre d'un groupe
protégé, aux fins du crime de génocide ».570
Cependant l'identification d'un groupe ne peut pas être entièrement subjective et le groupe doit avoir en
premier lieu une forme objective d'existence sinon la Convention sur le génocide pourrait être utilisée pour
protéger des groupes nationaux, ethniques, raciaux ou religieux entièrement fictifs.571 Par conséquent, dans
certains cas, les tribunaux ont adopté une approche qui combine à la fois l'approche subjective et l'approche
objective. L'approche combinée a été adoptée, par exemple, par la Chambre dans le procès Semanza , qui a
soutenu que la question de savoir si un groupe est un groupe protégé doit « s'apprécier au cas par cas sur la
base des caractéristiques objectives du contexte social ou historique considéré et des perceptions subjectives
des auteurs présumés des infractions. »572
569
570
571
572
178
Jones and Powles (n295) 169.. Procureur contre Jelisić (n485) paras (69)–(70).
Le Procureur contre Bagilishema (TPIY) Cas No ICTR-95-1A-T, Jugement (14 janvier 2000) para (65).
Cryer et al (n4) 173.
Le Procureur contre Semanza (TPIR) Cas No 97-20-T, Jugement et sentence (15 mai 2003) paras (317) ; Procureur contre Rutaganda (n567) paras (55)–
(58) ; Le Procureur contre Brđanin (n434) paras (683)–(684).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
De plus, la Chambre de première instance pour Jelisić a effectué une distinction entre la stigmatisation d'un
groupe en vertu de critères « positifs » ou « négatifs ». En appliquant des critères « positifs, les auteurs du
crime distinguent le groupe en vertu de ce qu'ils considèrent être les caractéristiques nationales, raciales,
religieuses ou ethniques particulières du groupe. En appliquant des critères « négatifs », les auteurs du crime
identifient les membres du groupe comme n'appartenant pas au groupe auquel les auteurs du crime pensent
eux appartenir, par exemple le groupe des « non-Serbes ». Il est maintenant bien établi qu'un groupe ne peut
pas être défini purement par des critères négatifs, c'est-à-dire en identifiant des personnes ne partageant pas les
caractéristiques de groupe des auteurs du crime.573 La raison est que le crime exige l'intention de détruire un
ensemble de personnes qui ont une identité de groupe particulière.
Élément contextuel (CPI)
Une question qui n'a pas été clairement résolue dans la jurisprudence des tribunaux est s'il faut considérer
comme génocide l'action d'un individu isolé avec l'intention de détruire un groupe en l'absence de tout plan
ou contexte plus large. Même si la définition de génocide ne « contient pas d'exigence formelle que les actes
punissables soient commis dans le cadre d'une attaque à grande échelle ou systématique, ou dans le cadre
d'un plan général ou organisé de détruire le groupe », il semble, cependant, que ce « soit une caractéristique
implicite du crime de génocide ».574
Cependant, dans Jelisić, la Chambre a déclaré que les meurtres commis par un seul auteur pouvaient constituer
un génocide.
Une telle hypothèse est théoriquement possible. Les meurtres commis par l’accusé suffisent à établir l’élément matériel du crime
de génocide et il est a priori possible de concevoir que l’accusé nourrissait le projet d’exterminer un groupe dans son ensemble,
sans que cette intention soit soutenue par un minimum d’organisation à laquelle participent d’autres individus. À cet égard, les
travaux préparatoires de la Convention de 1948 font apparaître que la préméditation, après avoir été mentionnée au stade du projet
élaboré par le comité ad hoc, n’a pas été retenue comme élément constitutif du crime de génocide aux motifs, d’une part qu’elle
apparaissait superflue étant donnée l’intention spéciale déjà requise dans le texte, d’autre part, qu’une telle précision ne ferait
qu’alourdir la charge de la preuve. Il découle de cette omission que les rédacteurs de la Convention n’ont pas considéré l’existence
d’une organisation ou d’un système mis au service de l’objectif génocidaire comme un élément constitutif du crime. Ce faisant, ils
n’ont pas écarté l’hypothèse d’un individu qui chercherait à lui seul à détruire un groupe en tant que tel.575
Cette vision a été largement critiquée. Les critiques de cette vision avancent qu' « inclure dans le domaine
du génocide un crime isolé, commis en l'absence de toute attaque ou contexte de génocide, même si cela
est légalement possible, risque de trop étendre le concept de génocide, et d'effacer les profonds stigmates et
la puissance de mobilisation du terme ».576 La Chambre pour Krstić a confirmé qu'il assumait que plusieurs
protagonistes étaient impliqués dans le crime de génocide :
573
574
575
576
Le Procureur contre Stakić (ICTR) Cas No IT-97-24-T, Jugement (31 juillet 2003) para (512) ; Le Procureur contre Stakić (n405) para (19).
Schabas (n280) 94–95.
Le Procureur contre Jelisić (TPIY) Case No IT-95-10-5, Jugement (14 décembre 1999) para (100) (notes de bas de page omises).
Cryer et al (n4) 168.
Manuel de droit pénal international
179
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
En préliminaire, la Chambre souligne le besoin de distinguer entre l'intention individuelle de l'accusé et l'intention impliquée
dans la conception et la perpétration du crime. La gravité et l'échelle du crime de génocide impliquent normalement que plusieurs
protagonistes participent à sa perpétration. Bien que les motifs de chaque participant puissent différer, l'objectif de l'entreprise
criminelle reste le même. Dans les cas de participation commune, l'intention de détruire, en totalité ou en partie, un groupe en tant
que tel, doit être discernable dans l'acte criminel lui-même, Il est ensuite nécessaire d'établir si l'accusé poursuivi pour génocide
partageait l'intention qu'un génocide soit perpétré.577
Cette vue a aussi été partagée par la Chambre du TPIR dans Kayishema et Ruzindana qui a déclaré que
La Chambre est également d'avis que quand bien même l'existence d'un plan précis visant à détruire le groupe ne constituerait
pas en soi un élément du génocide, il semble, cependant, qu'il soit virtuellement impossible de perpétrer le crime de génocide
en l'absence d'un tel plan ou d'une telle organisation. Morris et Scharf notent qu' « il est virtuellement impossible qu'un crime de
génocide soit commis sans une certaine implication directe ou indirecte de la part de l'État étant donné l'ampleur du crime’. Ils ont
suggéré qu' »il est nécessaire pour un individu d'avoir connaissance de tous les détails du plan ou de la politique de génocide ». La
Chambre est d'accord avec cette vue.578
Dans Jelisić, la Chambre d'appel du TPIY a confirmé que « l'existence d'un plan ou d'une politique n'est pas
un élément juridique constitutif du crime ». Cependant la Chambre d'appel a soutenu que « lorsqu'il s'agit
d'établir une intention spécifique, l'existence d'un plan ou politique peut, dans la plupart des cas, avoir son
importance. Les éléments de preuve peuvent ne pas exclure ou peuvent même établir cette existence, laquelle
peut à son tour, aider à prouver le crime ».579
La nature collective du génocide peut être examinée dans le contexte du critère d'intention spéciale. Selon
cette vue, il doit exister un plan organisé et à grande échelle d'exterminer un groupe et l'auteur du crime
doit agir avec la connaissance que la perpétration de l'acte individuel ferait avancer, ou risquerait de faire
avancer, la réalisation du plan. En d'autres termes, le critère d'intention spéciale serait satisfait si l'accusé a
participé à la réalisation d'un plan pour exterminer un group en commettant l'une des infractions sous-jacentes
avec l'intention et la connaissance que la perpétration de ces actes ferait avancer la réalisation du plan de
génocide.580
L'élément essentiel de l'intention spéciale du crime de génocide est normalement prouvé par inférence des
actes matériels perpétrés. Il sera donc plus facile d'inférer une intention de génocide s'il y a eu une destruction
à grande échelle de membres d'un groupe. S'il n'y a que quelques victimes, l'inférence peut ne pas être si
claire. Dans cette dernière situation, l'accusation peut ne pas pouvoir se baser sur la quantité de victimes afin
de prouver l'intention de génocide et devoir se baser sur d'autres preuves.581
Alternativement, cette question peut être couverte en ajoutant un autre élément à l' actus reus, désigné comme
« l'élément contextuel ». L'élément contextuel a été adopté par les Éléments des crimes de la CPI et il exige
que la conduite pour laquelle l'accusé est jugé ait lieu dans le contexte d'un « ensemble manifeste de conduite
similaire » ou est en lui-même capable de détruire le groupe ou une partie du groupe.582
577
578
579
580
581
582
180
Procureur contre Krstić (n412) para (549).
Le Procureur contre Kayishema & Ruzindana (n348) para (94) (note de bas de page omise).
Le Procureur contre Jelisić (TPIY) Cas No IT-95-10-A, Jugement d'appel (5 juillet 2001) para (48) ; Procureur contre Krstić (TPIY) Cas No IT-98-33-A,
Jugement d'appel (19 avril 2004) para (225) ;
John R W D Jones, « Whose Intent is it Anyway ?’, dans Lal Chand Vohrah et al (eds), Man’s Inhumanity to Man : Essays in Honour of Antonio Cassese
(Kluwer Law International, The Hague 2003) 469 ; Voir également Jones and Powles (n295) 156–162.
Schabas (n515) 234.
Cryer et al (n4) 169.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
La conduite a pris place dans le contexte d'un type manifeste de conduite similaire dirigée contre ce
groupe ou était une conduite qui pouvait elle-même entraîner la destruction du groupe.
Dans l'introduction à l'Article 6, Génocide, les Éléments des crimes de la CPI fournissent l'explication
suivante des termes apparaissant dans « l'élément contextuel » :583
Introduction
En ce qui concerne le dernier élément de chaque crime :
•
L’expression « dans le cadre d’ » devrait comprendre les actes initiaux d’une série en train de se faire jour ;
•
Le terme « manifeste » est une qualification objective ;
•Bien que l’article 30 exige normalement un élément psychologique, et compte tenu du fait que la connaissance des
circonstances sera généralement envisagée lorsqu’il faudra prouver l’intention de commettre un génocide, l’exigence
appropriée éventuelle d’un élément psychologique en ce qui concerne cette circonstance devra être considérée par la Cour
dans chaque cas d’espèce.
La première partie de l'élément envisage donc une situation où un individu accusé agit dans un contexte plus
large dans lequel d'autres individus commettent aussi des actes de génocide contre le groupe visé. La deuxième
branche envisage une situation où la conduite pourrait en elle-même réaliser ladite destruction. Cette alternative
comprend des situations où un groupe est particulièrement petit ou si l'accusé a accès à de puissants moyens de
destruction, tels que des armes nucléaires ou biologiques, qui pourraient être utilisées aux fins de génocide. Ceci
peut aussi être pertinent pour la poursuite de chefs et d'instigateurs.584
Intention spécifique du génocide (Dolus Specialis)
Le génocide est considéré comme le « crime des crimes ».585 en raison de l'élément mental (mens rea) d'intention
spéciale, du dolus specialis ou intention criminelle aggravée.586 Les infractions spécifiques ou sous-jacentes dans
l'Article II de la Convention sur le génocide ne constituent pas des crimes internationaux à eux seuls, mais exigent
l'intention spécifique, qui est « l'intention de détruire ou tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou
religieux, comme tel ». C'est ce qui différencie et élève le génocide par rapport aux autres crimes internationaux.
Pour prouver la condition préalable d'intention spécifique, il est nécessaire de montrer que l'auteur du crime a
clairement visé le résultat, en indiquant une relation psychologique entre le résultat physique et l'état mental de
l'auteur du crime.587
583
584
585
586
587
Article 6 des Éléments de crimes de la CPI (Introduction), 2.
Cryer et al (n231) 177–178.
Prosecutor v Kambanda (n395) para (16).
Cassese (n232) 137.
Payam Akhavan, « The Crime of Genocide in ICTR Jurisprudence’ (n558) 989, 992.
Manuel de droit pénal international
181
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Dans Akayesu, le premier jugement international impliquant une accusation de génocide, le TPIR a expliqué le
concept comme suit :588
518. Le dol spécial est un concept du droit criminel bien connu dans les systèmes de tradition romano-continentale. II est requis
comme élément constitutif de certaines infractions et exige que l'auteur de l'infraction est eu nettement l’intention de provoquer le
résultat incriminé. En ce sens, le dol spécial est constitutif d'une infraction intentionnelle, infraction caractérisée par une relation
psychologique entre le résultat matériel et l’intelligence de l'auteur.
…
521. Concrètement, pour que l'un quelconque des actes incriminés au paragraphe (2) de l'article 2 du Statut soit constitutif de
génocide, il doit avoir été commis à l'encontre d'un ou de plusieurs individus, parce que cet ou ces individus étaient membres d'un
groupe spécifique et en raison même de leur appartenance à ce groupe. Aussi, la victime de l'acte est choisie non pas en fonction
de son identité individuelle, mais bien en raison de son appartenance nationale, ethnique, raciale ou religieuse. La victime de l'acte
est donc un membre du groupe, choisi en tant que tel, ce qui signifie finalement que la victime du crime de génocide est le groupe
lui-même et non pas seulement l'individu.
Intention spécifique par rapport à intention normale
Il est tout d'abord essentiel de noter la différence entre intention « normale » (dolus generalis) et l'intention
spécifique (dolus specialis). En vertu de l'intention normale, qui est exposée à l'Article 30 du Statut de la
CPI, une personne peut être tenue pénalement responsable d'un crime relevant de la compétence de la Cour
si cette personne entend adopter la conduite prohibée. Relativement à une conséquence, une personne entend
causer cette conséquence ou est consciente que celle-ci adviendra dans le cours normal des événements.589
L'intention normale est moins rigide que l'intention spécifique car elle exige uniquement une connaissance du
comportement et du cours général des événements, non l'intention claire de commettre un génocide. Pour cette
raison, l'exigence d'intention de l'Article 30 ne sera pas applicable dans la CPI aux cas de génocide mais il
s'appliquera à d'autres formes de responsabilité en liaison avec le génocide.590
Un accusé a toujours la possibilité d'affirmer qu'il n'avait pas l'intention spécifique requise pour les crimes
présumés. Par exemple, dans le cas de Krstić devant le TPIY, la défense a prétendu que « les meurtres de
Srebrenica ne visaient pas à détruire le groupe en tant que tel mais à supprimer une menace militaire et
ceci était prouvé par le fait que des hommes en âge de porter des armes avaient été visés. »591 Malgré cet
argument, la Chambre a jugé que les événements de Srebrenica en juillet 1995 constituaient un génocide,
en soutenant que « Les forces des Serbes de Bosnie ne pouvaient ignorer, au moment où elles ont décidé de
tuer tous les hommes, que cette destruction sélective aurait un effet durable sur le groupe entier. » Elle a de
plus estimé que :
Au surplus, les forces des Serbes de Bosnie avaient nécessairement conscience de l’effet catastrophique qu’aurait la disparition
de deux ou trois générations d’hommes sur la survie d’une société traditionnellement patriarcale, effet que la Chambre de
première instance a déjà analysé. Au moment où elles ont décidé de tuer tous les hommes en âge de porter les armes, les forces
des Serbes de Bosnie savaient déjà que ces meurtres, conjugués au transfert forcé des femmes, des enfants et des personnes âgées
entraîneraient inévitablement la disparition physique de la population musulmane de Bosnie à Srebrenica. La destruction, par les
forces serbes de Bosnie, des maisons des Musulmans à Srebrenica et Potočari et de la principale mosquée de Srebrenica1337 peu
après l’attaque est une autre preuve de leur volonté de s’en prendre aux Musulmans de Srebrenica, en tant que groupe.592
588
589
590
591
592
182
Le Procureur contre Akayesu (n346) paras (518), (521) (note de bas de page omise) ;
Article 30(2) du Statut de la CPI.
Cryer et al (n4) 182.
Ibid.
Le Procureur contre Krstić (n412) para (595).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Par conséquent, la Chambre a jugé que dans ces circonstances, les massacres des hommes ont été menés avec
l'intention de détruire les Musulmans de Bosnie de Srebrenica. En jugeant que les Musulmans de Bosnie de
Srebrenica étaient une « partie substantielle » du groupe musulman bosniaque, la Chambre a conclu que le
meurtre des hommes en âge de porter des armes de Srebrenica constituaient un génocide au sens de l'Article 4
du statut du TPIY.593
Le Procureur contre Radislav Krstić 594
(TPIY) Cas No IT-98-33
Radislav Krstić (né le 15 février 1948) était Chef d’état-major et ensuite Commandant du Corps de la
Drina de l’armée des Serbes de Bosnie (la «VRS») en juillet 1995, lorsque les forces des Serbes de
Bosnie ont pris l'enclave musulmane de Bosnie de Srebrenica en Bosnie-Herzégovine. Il a été accusé
de crimes commis en relation avec la prise de l'enclave, y compris l'exécution d'environ 7 000 hommes
et garçons.
En 1993, le Conseil de sécurité de l'ONU a décrété Srebrenica « zone sécurisée » ave interdiction
pour les forces serbes de l'attaquer. Suite à la prise de la ville par les forces serbes de Bosnie, des
milliers de civils à Srebrenica se sont précipités vers le complexe de l'ONU situé dans le village de
Potočari en recherchant une protection dans le complexe. Au soir du 11 juillet 1995, environ 20 000 à
25 000 réfugiés musulmans de Bosnie étaient rassemblées à Potočari. Au même moment, un groupe
de résidents principalement masculins de Srebrenica (entre 10 000 et 15 000 hommes) ont formé une
colonne et essayé une percée vers le territoire contrôlé par le gouvernement à Tuzla. Le 12 juillet
1995, les forces serbes de Bosnie ont attaqué la colonne, capturant un grand nombre d'hommes,
beaucoup d'entre eux étant transférés vers Bratunac et faits prisonniers. Seule la tête de la colonne
réussit finalement à percer jusqu'au territoire contrôlé par le gouvernement. Les 12 et 13 juillet 1995,
les forces serbes de Bosnie ont transféré les 25 000 femmes, enfants et personnes âgées musulmans de
Bosnie en dehors de Potočari en les envoyant par bus vers le territoire contrôlé par le gouvernement.
Les hommes à Potočari qui n'avaient pas rejoint la colonne ont été séparés du groupe et transportés
vers divers sites de détention dans la municipalité voisine de Bratunac. Entre le 13 et le 18 juillet 1995,
les forces serbes de Bosnie ont effectué une série d'exécutions massives des prisonniers masculins
musulmans de Bosnie, tuant environ 7 000 d'entre eux.
593
594
Ibid paras (595)–(598), (634).
Le Procureur contre Krstić (n412) ; Le Procureur contre Krstić (n579)
Manuel de droit pénal international
183
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Krstić a été accusé sur la base de la responsabilité pénale individuelle en vertu de l'Article 7(1) du
Statut du TPIY (a planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de toute autre manière aidé et
encouragé) ainsi que de responsabilité pénale supérieure en vertu de l'Article 7(3) du Statut du TPIY.595
•
génocide et complicité dans le génocide ;
•
extermination ; meurtre ; persécutions pour des raisons politiques, raciales ou religieuses
déportation ; et autres actes inhumains (transfert forcé) en tant que crimes contre l'humanité ;
•
meurtre, une violation des lois et coutumes de la guerre.
La Chambre a jugé que Krstić a participé à deux entreprises criminelles séparées mais reliées (voir le
Chapitre 4):
(i)l'entreprise criminelle commune initiale mise en place à Potočari les 12 et 13 juillet 1995,
dont l'objectif était de supprimer de façon permanente la population musulmane de Bosnie de
Srebrenica ; et
(ii) l'entreprise criminelle commune avec intention de commettre le crime de transfert forcé des
civils musulmans de Bosnie hors de Srebrenica.596
Krstić a été jugé comme étant un participant clé dans le transfert forcé, travaillant en étroite
coopération avec les autres officiels militaires de l'État-Major de la VRS et du Corps de la Drina.597
Bien que la Chambre n'ait pas été capable de conclure que les meurtres, viols, sévices et autres
violences commis contre les réfugiés à Potočari formaient partie de l'objectif de l'entreprise criminelle
commune, ils étaient des conséquences naturelles et prévisibles de la campagne de nettoyage ethnique.
La Chambre a jugé que Krstić ne pouvait pas ignorer que pareils crimes ne pourraient être évités
étant donné les circonstances. Ces crimes répondent donc aux exigences de la troisième catégorie
d'entreprise criminelle commune. Krstić a donc été reconnu coupable d'actes inhumains (transfert de
force) et de persécution (meurtre, traitement cruel et inhumain, actes terrorisants, destruction de biens
personnels et transfert de force) et de crimes contre l'humanité.598
À partir du 13 juillet 1995, l'objectif original de l'entreprise criminelle commune de nettoyer
ethniquement la zone de Srebrenica a évolué pour inclure le plan de tuer tous les hommes musulmans
de Bosnie de Srebrenica en âge de porter les armes. La Chambre a conclu que la campagne visant
à tuer tous les hommes en âge de porter les armes a été menée pour garantir que la population
musulmane de Bosnie serait éradiquée de façon permanente de Srebrenica et constituait donc un
génocide. À la désignation de Krstićpar le Général Mladić comme Commandant du Corps de Drina
au soir du 13 juillet 1995, tout le Corps l'a reconnu comme Commandant, même si sa position n'a pas
été formalisée jusqu'au 15 juillet 1995.599 La Chambre a jugé que Krstić avait participé à l'entreprise
criminelle commune de tuer les hommes musulmans de Bosnie en âge de porter les armes de
Srebrenica. Même si ce plan génocidaire a été jugé comme ayant comme origine le Général Mladić
595
596
597
598
599
184
Procureur contre Krstić (ICTY) Cas No IT-98-33-PT, Acte d'accusation modifié (27 octobre 1999).
Le Procureur contre Krstić (n412) paras (614)–(615).
Ibid para (612).
Ibid paras (617)–(618).
Ibid paras (330)–(331), (461).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
et les autres officiers VRS, la Chambre a conclu, qu'au point auquel Krstić a appris les exécutions
répandues et systématiques et a clairement participé à leur perpétuation, il a partagé l'intention
génocidaire de tuer les hommes.600
Dans son rôle comme Chef d'état major et comme Commandant du Corps de la Drina, la Chambre a
jugé que Krstić doit avoir eu connaissance de la conduite de l'opération militaire de la VRS appelée
« Krivaja 95 » qui visait à réduire la « zone sécurisée » de Srebrenica à son noyau urbain et a été une
étape vers l'objectif plus large de la VRS de plonger la population musulmane de Bosnie dans une
crise humanitaire pour finalement éliminer l'enclave.601 De plus, Krstić a commandé les bus pour le
transfert de force des individus musulmans de Bosnie de Potočari.602 Même s'il n'y avait pas de preuves
que Krstić était personnellement présent dans l'un des sites d'exécution, la Chambre a jugé que Krstić
doit avoir eu connaissance du plan visant à exécuter tous les hommes bosniaques de Srebrenica en
âge de porter les armes capturés dans la zone de l'ancienne enclave et de l'implication des unités
subordonnées du corps de la Drina dans les exécutions de masse.603 À partir du 16 juillet 1995, Krstić
a été informé par la chaîne de commandement de questions liées aux exécutions et supervisait et
contrôlait les activités de ses officiers subordonnés qui participaient aux exécutions.604 Bien qu'il ait été
conscient que des hommes sous son commandement avaient participé aux exécutions de Musulmans
bosniaques entre le 14 et le 19 juillet 1995, Krstić n'en a pas puni un seul.605
La Chambre a conclu que Krstić était responsable de tuer et de causer une atteinte grave à l’intégrité
mentale ou physique comme co-participant à une entreprise génocidaire. Si l'objectif de l'entreprise
criminelle commune à laquelle Krstić était le meurtre des hommes musulmans de Srebrenica en âge
de porter les armes, les terribles souffrances physiques et morales endurées par les quelques survivants
étaient clairement une conséquence naturelle et prévisible de ladite entreprise et Krstić était forcément
conscient de cette possibilité et il est donc également responsable de ces crimes.606 La Chambre a jugé
qu'étant donné que Krstić était un participant essentiel dans les meurtres génocidaires il doit donc
être considéré comme un auteur principal de génocide en vertu de l'Article 7(1) et 4(3)(a) du Statut
du TPIY.607 La Chambre a également jugé Krstić responsable des crimes d'extermination, de meurtre
et de persécution en tant que crimes contre l'humanité et de violation des lois ou coutumes de la
guerre.608 Bien que la Chambre ait jugé Krstić responsable des meurtres sur la base de la responsabilité
supérieure, elle a décidé de ne pas le déclarer coupable en vertu de l'Article 7(3) du Statut du TPIY
car elle a estimé que la responsabilité de Krstićpour la participation de ses troupes dans les meurtres
étaient suffisamment exprimée dans une déclaration de culpabilité en fonction de l'Article 7(1).609
600
601
602
603
604
605
606
607
608
609
Ibid paras (631)–(633).
Ibid paras (121), (429).
Ibid paras (347), (464).
Ibid paras (471)–(473).
Ibid paras (404), (475).
Ibid paras (418), (477).
Ibid paras (635)–(636).
Ibid paras (644)–(645).
Ibid para (653).
Ibid paras (647)–(652).
Manuel de droit pénal international
185
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
En appliquant les règles du cumul des déclarations de culpabilité, la Chambre a passé des déclarations
de culpabilité pour les crimes commis à Potočari de meurtre, persécution par le meurtre, fait de
terroriser la population civile, destruction des biens personnels et traitement cruel et inhumain. En
ce qui concerne les meurtres de Musulmans bosniaques, la Chambre a déclaré l'accusé coupable de
meurtre et de génocide. Sur la base de ces déclarations de culpabilité, la Chambre a condamné Krstić à
46 ans d'emprisonnement.610
Le Procureur et la Défense ont fait appel du jugement de la Chambre. La Chambre d'appel a infirmé
plusieurs résultats factuels de la Chambre liés à l'utilisation des unités du Corps de la Drina dans les
exécutions. La Chambre d'appels a aussi infirmé la conclusion de la Chambre selon laquelle Krstić
possédait l'intention spécifique requise de commettre le génocide611 La Chambre d'appel a jugé que
les preuves pouvaient seulement établir que Krstić avait connaissance de l’intention génocidaire qui
animait certains membres de l’état-major principal de la VRS, et qu’il n’a néanmoins rien fait pour
empêcher l’utilisation des membres et des moyens du Corps de la Drina pour faciliter ces massacres.612
La Chambre d'appel a jugé que Krstić était pénalement coupable de complicité (aiding and abetting)
dans l'entreprise criminelle commune, et non pas coupable comme coauteur principal.613 En ce qui
concerne les déclarations de culpabilité cumulées, la Chambre d'appel a jugé que l'extermination et la
persécution pouvaient être cumulées avec le génocide.614 En relation avec les exécutions d'hommes
musulmans bosniaques, la Chambre d'appel a donc déclaré Krtić coupable de complicité dans les
crimes de génocide, meurtre, extermination et persécution.615 La Chambre d'appel a cependant
confirmé la condamnation de Krstić comme co-auteur de meurtre et de persécution en relation avec les
crimes de Potočari.
La Chambre d'appel a réduit la sentence de Krstićà 35 ans d'emprisonnement.616
Preuve d'intention spécifique
Les manifestations explicites d'intention génocidaire étant rarement disponibles, les tribunaux ont inféré
l'intention spécifique des preuves indirectes comprenant les actions et les paroles des auteurs.617 Dans la
décision sur la règle 61 concernant Karadžić et Mladić la Chambre d'appel a fait les observations suivantes :618
L'intention spécifique au crime de génocide n'a pas à être clairement exprimée. . . elle peut être inférée d'un certain nombre
d'éléments, tels la doctrine générale du projet politique inspirant les actes susceptibles de relever de la définition de l'Article 4 ou
la répétition d'actes de destruction discriminatoires. L'intention peut également se déduire de la perpétration d'actes portant atteinte
au fondement du groupe, ou à ce que les auteurs des actes considèrent comme tels, actes qui ne relèveraient pas nécessairement en
eux-mêmes de l'énumération du paragraphe 2 de l'Article 4, mais qui sont commis dans le cadre de la même ligne de conduite.
610
611
612
613
614
615
616
617
618
Ibid paras (677), (686)–(688), (727).
Prosecutor v Krstić (n567) paras (64)–(133) ;
Ibid paras (134)–(135).
Ibid paras (135)–(144).
Ibid paras (219)–(229).
Ibid para (144).
Ibid au 87 (disposition).
Cryer et al (n4) 183 ; Le Procureur contre Gacumbitsi (TPIR) Cas No ITCR-2001-64-A, Jugement d'appel (7 juillet 2006) paras (40)–(41).
Le Procureur contre Karadžić et Mladić (TPIY) Cas No IT-95-5-R61, Révision de l'acte d'accusation en vertu de la Règle 61 des Règles de procédure et de
preuves (11 juillet 1996) para (94).
186
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Par conséquent, en l'absence de preuves explicites directes, l'intention spécifique peut être déduite des
circonstances qui peuvent inclure le contexte général dans lequel les crimes se produisent, la perpétration
d'autres actes punissables systématiquement dirigés contre le même groupe, l'échelle des atrocités commises,
le fait de viser systématiquement des victimes en raison de leur appartenance à un groupe particulier ou la
répétition d'actes de destruction et de discrimination.619
Les autres actes punissables dirigés contre le groupe visé depuis lesquels l'intention peut être inférée ont
inclus le transfert de masse forcé ou les agressions sexuelles sur les membres de ce groupe. Des facteurs
supplémentaires pouvant être pertinents pour inférer l'intention incluent la doctrine politique générale qui a
donné naissance aux actes, l'utilisation de langage péjoratif envers les membres du groupe ciblé et les armes
employées.620
Faut-il toujours prouver l'intention spécifique ?
Dans les cas de poursuite pour génocide, l'exigence d'intention spécifique devient encore plus problématique
lorsque l'accusation est faite sur la base de la responsabilité supérieure ou du commandement. Selon de mode
de responsabilité, un supérieur peut être tenu responsable pour un crime commis par un subordonné s’il savait
ou avait des raisons de savoir que le subordonné s’apprêtait à commettre cet acte ou l’avait fait et que le
supérieur n’a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher que ledit acte ne soit commis ou
en punir les auteurs.621 En vertu de la responsabilité supérieure ou du commandement, le supérieur peut être
pénalement responsable non seulement s'il connaissait mais aussi lorsqu'il « aurait dû connaître » les crimes.622
Étant donné que le crime de génocide exige que l'accusation établisse l'intention spécifique (dolus specialis)
il est douteux de savoir s'il existe une possibilité pour l'application du principe de responsabilité supérieure ou
du commandement. La Chambre d'appel du TPIY a jugé qu'une responsabilité pénale supérieure est une forme
de responsabilité pénale qui n'exige pas de preuve de l'intention de commettre un crime chez le supérieur
avant d'entraîner une responsabilité pénale.623 Il est par conséquent nécessaire de distinguer entre le mens rea
requis pour le crime perpétré par le subordonné et celui requis pour le supérieur. Afin d'être tenu responsable
de génocide sur la base de la responsabilité supérieure, il doit être prouvé que le supérieur savait ou avait des
motifs de savoir que ses subordonnés étaient sur le point de commettre ou avait commis un génocide et que les
subordonnés possédaient l'intention spécifique requise.624
La Chambre d'appel du TPIY a jugé qu'en plus de la responsabilité de commandement, la complicité et la
« troisième catégorie » d'entreprise criminelle commune sont aussi des formes de responsabilité pénale qui
n'exigent pas de preuve de l'intention de l'accusé de commettre un crime.625 En conséquence, un accusé peut
être pénalement responsable comme complice du crime de génocide si l'accusé a conscience de l'acte criminel
et que l'acte criminel a été commis avec une intention génocidaire de la part de son auteur physique, et qu'avec
cette connaissance l'accusé a apporté une contribution substantielle à la réalisation de ce crime par le principal
auteur. Donc, afin d'être condamné pour complicité de génocide, il n'est pas nécessaire de prouver que l'accusé
619
620
621
622
623
624
625
Le Procureur contre Jelisić (n579), para (47) ; Le Procureur contre Rutaganda (TPIR) Cas No ITCR-96-3-A, Jugement d'appel (26 mai 2003) para (525) ;
Le Procureur contre Kayishema & Ruzindana (n348) paras (533)–(535).
Le Procureur contre Akayesu (n346) paras (523)–(524) ; Le Procureur contre Krstić (n579) para (31) ; Le Procureur contre Kayishema & Ruzindana
(n348) para (93).
Article 7(3) du Statut du TPIY ; Article 6(3) du Statut du TPIR ; Article 28 du Statut de la CPI.
Schabas (n515) 362.
Le Procureur contre Brđanin (TPIY) Cas No IT-99-36-A, Décision sur l'appel interlocutoire (19 mars 2004) para (7) ;
Le Procureur contre Brđanin (n434) paras (720)–(721).
Le Procureur contre Brđanin (n623) paras (6)–(7).
Manuel de droit pénal international
187
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
a partagé l'intention spécifique de commettre un génocide de l'auteur physique, mais seulement que l'accusé
connaissait l'intention de l'auteur principal.626
De même, un accusé peut être reconnu coupable de génocide par le biais de la « troisième catégorie »
d'entreprise criminelle commune (« ECC ») même si l'intention spécifique de l'accusé n'a pas été prouvée.627
Ce mode de responsabilité tient un accusé responsable d'un crime en dehors de l'objectif commun de l'ECC
si, dans les circonstances, il était prévisible qu'un tel crime serait perpétré par l'un ou l'autre des membres du
groupe et que l'accusé a sciemment pris ce risque (dolus eventualis).628 Spécifiquement, un accusé peut être
déclaré responsable de génocide en vertu de ce mode de responsabilité s'il était raisonnablement prévisible
d'après l'objectif commun de l'ECC qu'un acte spécifié à l'Article 4 du Statut du TPIY/Article 2 du Statut du
TPIR était commis avec une intention génocidaire et si l'accusé avait conscience de cette possibilité lorsqu'il
ou elle a participé à l'ECC.629
Dans le cas Krstić , la Chambre (description ci-dessus), a jugé l'accusé coupable de génocide par le biais de sa
participation à une entreprise criminelle commune, dont l'objectif était de nettoyer ethniquement Srebrenica.
Même si ce plan génocidaire a été jugé comme ayant comme origine le Général Mladić et les autres officier de
la VRS, la Chambre a conclu, qu'au point auquel Krstić a appris les exécutions répandues et systématiques et a
clairement participé à leur perpétuation, il a partagé l'intention génocidaire.630 Cependant, la Chambre d'appel
a infirmé le jugement de la Chambre de première instance, en estimant que Krstić ne partageait pas l'intention
spécifique de génocide, même s'il avait conscience de l'intention génocidaire des membres de l'État-major de
la VRS.631
133. Finalement, la Chambre de première instance a fait référence aux preuves d'un témoin de la défense qui a eu le 13 juillet
1995 une conversation sur la colonie musulmane bosniaque avec Krstić, qui a exprimé l'opinion que la VRS (armée serbe
bosniaque) devrait permettre à la colonne de passer afin que la situation puisse se « terminer comme elle devrait ». La Chambre
de première instance s'est appuyée sur cette preuve comme indication de la connaissance de la part de Radislav Krstić que des
tentatives étaient faites pour capturer les hommes de la colonne. Cette preuve, cependant, indique que Krstić n'avait pas d'intention
génocidaire. Sa propre intention particulière était dirigée vers un déplacement de force. D'autres membres de l'État-major de
la VRS avaient la même intention d'effectuer un déplacement de force mais considérait ce déplacement comme une étape dans
l'accomplissement de leur objectif génocidaire. Il serait cependant trompeur, cependant, de lier l'intention spécifique de Krstić
d'effectuer un déplacement de force avec la même intention possédée par les autres membres du personnel de l'État-major, pour
lesquels le déplacement forcé était un moyen de faire avancer le plan génocidaire.
134. Comme il a été établi, les moyens de preuve produits permettent seulement d’établir que Radislav Krstićć avait connaissance
de l’intention génocidaire qui animait certains membres de l’état-major principal de la VRS, et qu’il n’a néanmoins rien fait pour
empêcher l’utilisation des membres et des moyens du Corps de la Drina pour perpétrer ces massacres. La connaissance qu’il
avait de cette intention génocidaire ne permet pas à elle seule de conclure qu’il en était animé. Le génocide est l’un des crimes
les plus odieux qui soient, et sa gravité a pour corollaire l’exigence stricte d’une intention spécifique. Un accusé ne peut être
déclaré coupable de génocide que si cette intention est clairement établie. La Chambre de première instance n’a, à l’évidence, pas
suffisamment démontré que Radislav Krstićć était animé d’une intention génocidaire. Krstić n’est donc pas coupable de génocide
en tant qu’auteur principal.
626
627
628
629
630
631
188
Le Procureur contre Krstić (n579) para (140) ; Le Procureur contre Blagojević et Jokić (TPIY) Cas No IT-02-60-A, Jugement d'appel (15 juillet 1999)
paras (119)–(124). See Voir aussi also Le Procureur contre Krnojelac (n434) para (52) ; Le Procureur contre Brđanin (n623), paras (8)–(10).
Le Procureur contre Brđanin (n623) paras (5)–(9).
Le Procureur contre Brđanin (TPIY) Cas No IT-99-36-A, Jugement d'appel (3 avril 2007) para (365) ;
Le Procureur contre Brđanin (n623) para (6).
Le Procureur contre Krstić (n412) paras (631)–(633).
Le Procureur contre Krstić (n579) paras (133)–(134).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
La Chambre d'appel a conclu que la forme de responsabilité qui exprimait le mieux la participation de
Krstić était la complicité de génocide.632 Il n'y avait pas de preuves que Krstić avait ordonné l'un des
meurtres ni qu'il y avait directement participé. Tout ce que les preuves ont pu établir est qu'il savait que
ces meurtres se produisaient et qu'il avait permis à l'État-major d'utiliser le personnel et les ressources sous
son commandement pour faciliter ces crimes. Dans ces circonstances, la Chambre d'appel a déclaré Krstić
responsable de meurtres, extermination et persécution en tant que complice et non en tant que co-auteur
principal dans le contexte de l'entreprise criminelle commune.633
Pour une discussion supplémentaire sur l'intentions spécifique dans le contexte de la responsabilité supérieure,
la complicité et l'ECC, voir le Chapitre 4.
Composants de l'intention spécifique dans la perpétration d'un génocide
« Détruire »
En ce sens, « détruire » désigne une destruction physique ou biologique, mais les actes prohibés peuvent ne
pas entraîner la mort des individus.634 Le TPIY a déterminé que le fait de ne pas fournir aux prisonniers du
camp de détention la nourriture approprié, les soins médicaux suffisants et de les soumettre à de mauvaises
conditions pourrait constituer une violation de l'Article II(c) de la Convention sur le génocide à savoir la
« Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique
totale ou partielle ».635 Mais dans la perpétration de ces actes, l'intention spéciale de détruire le groupe, en
totalité ou en partie, doit être évidente.
Les autres formes de destruction, telles que l'assimilation sociale d'un groupe à un autre ou des attaques contre
des caractéristiques culturelles qui donnent à un groupe sa propre identité, peuvent constituer un génocide
seulement si elles sont liées à une destruction physique ou biologique.636 Une attaque contre les caractéristiques
culturelles ou sociologiques d'un groupe humain afin d'annihiler les éléments qui donnent à ce groupe sa propre
identité distincte du reste de la communauté ne tomberait pas en elle-même sous la définition du génocide.637
Lorsque l'exécution des hommes d'un groupe a des implications procréatives graves pour la communauté,
la condamnant potentiellement à l'extinction, ceci constitue une destruction physique. Si les auteurs avaient
conscience de ces conséquences lorsqu'ils ont commis les meurtres, ils avaient alors l'intention de détruire
requise.638
La Chambre pour Blagojević a estimé que le terme « détruire » dans la définition du génocide peut recouvrir
le transfert forcé d'une population. En particulier, la Chambre de première instance a estimé « que le transfert
forcé peut conduire à la destruction matérielle du groupe, dans la mesure où celui-ci cesse d’exister en tant
que groupe ou, du moins, en l’état ». Elle a de plus souligné que « le raisonnement qu’elle a suivi et les
conclusions qu’elle a tirées ne doivent pas s’interpréter comme un plaidoyer en faveur de la reconnaissance du
génocide culturel, mais comme une tentative de préciser le sens de la destruction physique ou biologique ».639
632
633
634
635
636
637
638
639
Ibid para (137).
Le Procureur contre Krstić (n579) para (144).
Cryer et al (n4) 179 ; Le Procureur contre Kayishema & Ruzindana (n348) para (95).
Schabas (n515) 244.
Cryer et al (n4) 179.
Le Procureur contre Krstić (n412) para (580) ; Le Procureur contre Krstić (n567) paras (25)–(26).
Le Procureur contre Krstić (n567) paras (28)–(29).
Le Procureur contre Blagojević et Jokić (TPIY) Cas No IT-02-60-T, Jugement (17 janvier 2005) paras (665)–(666).
Manuel de droit pénal international
189
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
La Chambre pour Blagojević s'est ainsi apparemment démarquée de la décision pour Krstić selon laquelle le
génocide est limitée aux actes recherchant la destruction physique ou biologique de la totalité ou d'une partie
du groupe.640 Dans l'affaire Bosnie-Herzégovine contre la Serbie et Montenegro , concernant l’application de
la Convention sur le génocide, la CPI a adopté la décision dans le jugement de Blagojević .641
« Tout ou partie »
Cette partie de l'intention spéciale soulève une question sur la façon plus ou moins large de considérer le
groupe protégé et sur ce qui constitue une partie de ce groupe. La question est donc de déterminer ce qui
constitue la totalité ou une partie d'un groupe.
Il n'y a pas de méthode clairement définie pour déterminer ce qu'est la « totalité » et ce qui constituerait une
« partie » substantielle de cette totalité. La « totalité » peut être interprétée comme la population d'un village,
d'un État, d'une région ou de toute la communauté mondiale. En général, la « pertinence de cette considération
augmente proportionnellement avec la position de l'auteur dans la hiérarchie de l'autorité : plus sa sphère de
contrôle est limitée, plus est limitée la zone géographique ou la population totale qui peut être incluse pour
déterminer le seuil d'échelle approprié ».642
Dans l'affaire Kayishema et Ruzindana , la Chambre de première instance du TPIR a estimé que le terme « en
partie » impli(que) un nombre raisonnablement significatif, par rapport à la totalité du groupe ou sinon une
section significative d'un groupe dans sa totalité ou autrement une section significative d'un groupe telle que sa
direction. Par conséquent tant l'échelle proportionnelle que le nombre total sont pertinents ».643
La difficulté de différencier entre la totalité et une partie substantielle du groupe ciblé est souligné dans
l'affaire Krstić . La Chambre de première instance et la Chambre d'appel dans cette affaire ont conclu que le
groupe pertinent était le groupe de Musulmans bosniaques et que « les Musulmans bosniaques de Srebrenica
ou les Musulmans bosniaques de Bosnie orientale constituent une partie du groupe protégé ».644 La Chambre
d'Appel a confirmé cette approche en déclarant que645
12. souligne que le raisonnement qu’elle a suivi et les conclusions qu’elle a tirées ne doivent pas s’interpréter comme un plaidoyer
en faveur de la reconnaissance du génocide culturel, mais comme une tentative de préciser le sens de la destruction physique
ou biologique. Un certain nombre de facteurs peuvent entrer en ligne de compte pour déterminer si la partie du groupe visée est
suffisamment importante pour que cette condition soit remplie. S’il faut tenir compte au premier chef de l’importance numérique
du groupe visé, on ne saurait s’arrêter là. Le nombre de personnes visées doit être considéré dans l’absolu mais aussi par rapport à
la taille du groupe dans son ensemble. Il peut être utile de tenir compte non seulement de l’importance numérique de la fraction du
groupe visée mais aussi de sa place au sein du groupe tout entier. Si une portion donnée du groupe est représentative de l’ensemble du
groupe, ou essentielle à sa survie, on peut en conclure qu’elle est substantielle au sens de l’article 4 du Statut.
640
641
642
643
644
645
190
Le Procureur contre Krstić (412) para (580) ; Le Procureur contre Krstić (n567) paras (25)–(26) ;
Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosn & Herz contre Serb & Mont), 2007 CPI para (294) (26 fév).
Akhavan (n587) 989, 998.
Le Procureur contre Kayishema & Ruzindana (n348) para (96).
Le Procureur contre Krstić (n412) para (560).
Le Procureur contre Krstić (n579) paras (12)–(14) (notes de bas de page omises).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
13. Les exemples historiques de génocide montrent aussi qu’il convient de prendre en considération la zone dans laquelle
les auteurs du crime exercent leur activité et leur contrôle, ainsi que leur pouvoir d’action. Le dessein de l’Allemagne nazie
d’éliminer les Juifs s’est probablement limité à l’Europe ; même à son apogée, ce projet ne s’est vraisemblablement pas mué
en une entreprise à l’échelle de la planète. De même, les génocidaires rwandais n’ont pas sérieusement envisagé d’éliminer la
population tutsie au-delà des frontières du pays. L’intention de détruire dont l’auteur du génocide est animé sera toujours limitée
par les possibilités qui s’offrent à lui. Si cet élément ne suffit pas à lui seul à indiquer si le groupe visé est ou non substantiel, il
peut, combiné à d’autres, se révéler utile à l’analyse.
14. Pareilles considérations ne sont bien entendu ni exhaustives ni déterminantes. Il s’agit uniquement de lignes directrices utiles.
L’applicabilité de ces éléments, de même que leur valeur, est fonction des circonstances de l’espèce.
La description de « en totalité ou en partie » d'un groupe est vitale en ce qu'elle aide à montrer si une intention
spéciale était impliquée dans l'exécution du crime. Plus l'échelle est grande, plus il est indisputable qu'il
existait un plan clair d'effectuer un génocide. Par exemple, au Rwanda, « il y a peu d’ambigüité pour savoir si
cette exigence est requise « en raison de »l'échelle accablante de la campagne d'extermination anti-Tutsi ».646
Il faut noter que le terme « en totalité ou en partie » fait référence à l'ampleur visée de la destruction et non à sa
réalisation effective.647 Cependant, la destruction de facto du groupe en totalité ou en partie peut constituer une
preuve de l’intention spécifique et peut aussi servir à distinguer le crime des infractions non réalisées notamment
la tentative de crime.648
« En l’état »
Le terme « comme tel » a été ajouté à la définition du génocide comme compromis, en l'absence d'un accord
concernant l'inclusion du motif comme élément constitutif du crime. Si la phrase peut être interprétée comme
introduisant des considérations de motif, la plupart des auteurs l'ont considérée comme simplement renforçant
le fait que les individus sont sélectionnés comme victimes en raison de leur appartenance à un groupe.649
Les concepts d'intention et de mobile ne sont pas équivalents et doivent être différenciés. Si les individus
commettent des crimes intentionnellement, ils peuvent le faire pour divers mobiles.650 Le mobile personnel du
génocidaire peut, par exemple, être la perspective d’un profit économique personnel, d’avantages politiques
ou d’une certaine forme de pouvoir. L’existence d’un mobile personnel n’empêche pas que l’auteur soit
également animé de l’intention spécifique de perpétrer un génocide.651 Le fait qu'un accusé ait pris « plaisir » à
tuer ne diminue en rien son intention de perpétrer ces meurtres, car ceci est une question de motivation.652 De
même, la preuve qu'un accusé agissait en quête d'un objectif personnel tel que la vengeance, l'enrichissement
ou pour l'élémination d'un concurrent commercial, peut expliquer sa motivation mais n'empêche pas une
déclaration l’élimination spécifique.653
646
647
648
649
650
651
652
653
Akhavan (n587) 989, 998.
Le Procureur contre Brđanin (n434) para (700).
Ibid para (697).
Jones and Powles (n295) 155.
Schabas (n280) 97.
Le Procureur contre Jelisić (n485) para (49).
Ibid para (71).
Le Procureur contre Kayishema & Ruzindana (TPIR) Cas No ITCR-95-1-A, Jugement d'appel (1 juin 2001) para (161) ;
Manuel de droit pénal international
191
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Ainsi la Chambre d'appel dans Niyitegeka a estimé que :
L’expression « comme tel » constitue cependant un important élément du génocide, le « crime des crimes ». Les auteurs de
la Convention sur le génocide l’y ont délibérément insérée afin de concilier les deux approches divergentes sur la question de
savoir si les éléments constitutifs du crime de génocide devaient comporter ou non un élément supplémentaire fondé sur le
mobile. L’expression « comme tel » a pour effet utile d’établir une distinction nette entre le massacre et les crimes dont l’auteur
vise un groupe précis en raison de sa nationalité, de sa race, de son appartenance ethnique ou de sa religion. En d’autres termes,
l’expression « comme tel » apporte un éclairage sur l’intention spécifique requise. Elle ne fait nullement obstacle à ce que l’auteur
soit déclaré coupable de génocide lorsqu’il était également animé d’autres mobiles qui, sur le plan juridique, ne présentent
aucun intérêt dans ce contexte. C’est donc à juste titre que la Chambre de première instance a interprété cette expression comme
signifiant que les actes proscrits doivent avoir été commis contre les victimes en raison de leur appartenance au groupe protégé, et
non tout simplement pour ce motif.654
Même si l'existence de mobiles personnels ne peut pas être soulevée comme défense contre le génocide,
étant donné que de tels mobiles excluent le mens rea, elle peut néanmoins être avancée comme circonstance
atténuante lors de la sentence, le cas échéant.655 Cependant un plaidoyer exposant qu'une personne a commis
un génocide par exemple pour des mobiles d'enrichissement personnel, peut ne pas être la circonstance
atténuante la plus méritante.
Délits spécifiques (sous-jacents)
Au-delà de l'exigence obligatoire d'intention spécifique et des autres éléments communs, chaque infraction
sous-jacente a aussi son propre élément physique (actus reus) et mental (mens rea. En ce qui concerne le mens
rea, l'Article 30 du Statut de la CPI expose les éléments mentaux requis communs à tous les crimes relevant de
sa compétence en exigeant que l'acte prohibé soit réalisé avec intention et connaissance. Pour une discussion
supplémentaire du mens rea voir la section « Crimes de guerre : Éléments mentaux (Mens Rea)’, ci-dessus.
Article 30 du Statut de la CPI.
Élément mental
1.Sauf disposition contraire, nul n’est pénalement responsable et ne peut être puni à raison d’un
crime relevant de la compétence de la Cour que si l’élément matériel du crime est commis avec
intention et connaissance.
2. Il y a intention au sens du présent article lorsque :
(a) Relativement à un comportement, une personne entend adopter ce comportement ;
(b)Relativement à une conséquence, une personne entend causer cette conséquence ou est
consciente que celle-ci adviendra dans le cours normal des événements.
3.Il y a connaissance, au sens du présent article, lorsqu’une personne est consciente qu’une
circonstance existe ou qu’une conséquence adviendra dans le cours normal des événements.
« Connaître » et « en connaissance de cause » s’interprètent en conséquence.
654
655
192
Le Procureur contre Niyitegeka (TPIR) Cas No ITCR-96-14-A, Jugement d'appel (9 juillet 2004) para (53 (notes de bas de page omises).
Schabas (n515) 255–256.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Il peut se poser la question de savoir si le génocide serait commis si un acte prohibé, telle que le meurtre, était
commis contre un seul membre d'un groupe protégé, avec l'hypothèse que l'auteur ait agi avec le mens rea.
Dans Akayesu, la Chambre a estimé qu'il peut y avoir génocide même si l'un des actes prohibés est commis
« contre un seul » membre d'un groupe.656 Cette interprétation ne semble cependant pas cohérente avec la
définition du génocide fournie dans les Statuts des cours et tribunaux internationaux et les Conventions sur le
génocide qui parle plutôt de « membres d'un groupe ».657 Cette interprétation ne semble pas non plus cohérente
avec l'origine du génocide comme crime contre l'humanité aggravé, impliquant des atrocités de masse ou la
notion qu'il s'agit du « crime des crimes ».
Génocide en causant la mort
Les Éléments des crimes de la CPI fournissent les éléments suivants du génocide par meurtre :658
1. L’auteur a tué une ou plusieurs personnes.
2. Cette personne ou ces personnes appartenaient à un groupe national, ethnique, racial ou religieux
particulier.
3. L’auteur avait l’intention de détruire, en tout ou en partie, ce groupe national, ethnique, racial ou religieux,
comme tel.
4. Le comportement s’est inscrit dans le cadre d’une série manifeste de comportements analogues dirigés
contre ce groupe, ou pouvait en lui-même produire une telle destruction.
Selon les Éléments des crimes de la CPI, le terme « tué » est interchangeable avec l’expression « causé la
mort de ».659
Au sens de la Convention sur le génocide, « meurtre » doit être interprété comme « homicide commis avec
l'intention de causer la mort ».660 Dans Brđanin, la Chambre de première instance a estimé que l'infraction de
tuer les membres d'un groupe a les mêmes éléments que le meurtre intentionnel en tant que violation grave des
Conventions de Genève, le meurtre comme crime de guerre et le meurtre comme crime contre l'humanité. La
seule exigence supplémentaire pour que le meurtre des membres d'un groupe constitue un génocide est que le
meurtre doit être de membres d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux visé.661
Les éléments essentiels du « meurtre » sont :
• la victime est morte ;
• la mort est le résultat d'un acte ou d'une omission illégale de la part de l'accusé ou d'un personne ou de
personnes dont les actes ou omission relèvent de la responsabilité pénale de l'accusé.
• l'acte a été commis, ou l'omission a été effectuée, par l'accusé, ou une personne ou des personnes dont les
actes ou omissions relèvent de la responsabilité pénale de l'accusé, avec l’intention de tuer ou d'infliger
une atteinte grave à l'intégrité physique ou une blessure grave, avec la connaissance raisonnable que de tels
actes ou omissions risquait de causer la mort.662
656
657
658
659
660
661
662
Le Procureur contre Akayesu (n346) para (521).
Voir aussi Cassese (n534) 333.
Article 6(a) des Éléments des crimes de la CPI, 2 (note de bas de page omise).
Ibid 2, n2.
Le Procureur contre Bagilishema (n570) para (57).
Le Procureur contre Brđanin (n434) paras (381), (689).
Ibid paras (381)–(382).
Manuel de droit pénal international
193
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Le principe mens rea pour le meurtre et le meurtre intentionnel ne requiert pas la préméditation. Tant le dolus
direct et un dolus eventualis sont suffisants pour établir le crime de meurtre. Le seuil de dolus eventualis
implique le concept de témérité mais pas celui de la négligence ou de la négligence grave. Pour satisfaire le mens
rea pour meurtre et meurtre intentionnel, il doit être établi que l'accusé avait l'intention de tuer ou d'infliger une
atteinte grave à l'intégrité physique ou une blessure grave avec la connaissance raisonnable que ceci risquait de
causer la mort. Le mens rea peut être inféré soit directement soit de façon circonstancielle d'après les preuves de
l'affaire.663
Génocide en causant des préjudices corporels ou mentaux graves
Les Éléments des crimes fournissent les éléments suivants de génocide par atteinte grave à l’intégrité physique
ou mentale :664
1. L’auteur a porté gravement atteinte à l’intégrité physique ou mentale d’une personne ou de plusieurs
personnes.
2. Cette personne ou ces personnes appartenaient à un groupe national, ethnique, racial ou religieux
particulier.
3. L’auteur avait l’intention de détruire, en tout ou en partie, ce groupe national, ethnique, racial ou religieux,
comme tel.
4. Le comportement s’est inscrit dans le cadre d’une série manifeste de comportements analogues dirigés
contre ce groupe, ou pouvait en lui-même produire une telle destruction.
Les Éléments des crimes de la CPI expliquent que cette conduite peut inclure, mais n'est pas nécessairement
limitée à, des actes de torture, le viol, les violences sexuelles ou un traitement inhumain et dégradant.665
Selon le TPIR, « l'atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale » inclut, sans que cela soit limitatif, la
torture, le traitement inhumain et dégradant et la persécution. Le TPIR a cependant inclus dans l'affaire
Akayesu , les violences sexuelles et le viol dans le génocide :
En effet, les viols et violences sexuelles constituent indubitablement des atteintes graves à l'intégrité physique et mentale des
victimes et sont même, selon la Chambre, l'un des pires moyens d'atteinte à l'intégrité de la victime, puisque cette dernière est
doublement attaquée : dans son intégrité physique er dans son intégrité mentale. Au vu de l'ensemble des éléments de preuve
qui lui ont été présentés, la Chambre est convaincue que les actes de viols et de violences sexuelles décrits ci-dessus étaient
exclusivement dirigés contre les femmes tutsies, qui ont été très nombreuses à être soumises publiquement aux pires humiliations,
mutilées et violées, souvent à plusieurs reprises, souvent en public, dans les locaux du Bureau Communal ou dans d'autres
endroits publics, et souvent par plus d'un assaillant. Ces viols ont eu pour effet d'anéantir physiquement et psychologiquement
les femmes Tutsies, leur famille et leur communauté. La violence sexuelle faisait partie intégrante du processus de destruction
particulièrement dirigé contre les femmes Tutsies et ayant contribué de manière spécifique à leur anéantissement et à celui du
groupe tutsi considéré comme tel.666
Le TPIR a également estimé qu'une atteinte grave implique plus qu'une diminution légère des facultés
mentales ou physiques mais qu'elle n'a pas à représenter une atteinte permanente ou irrémédiable.667
663
664
665
666
667
194
Ibid para (386) ; Prosecutor v Stakić (n573) paras (587), (747).
Article 6(b) des Éléments des crimes de la CPI, 2 (note de bas de page omise).
Ibid 2, n3.
Le Procureur contre Akayesu (n346) para (731).
Le Procureur contre Bagilishema (n570) para (59) ; Le Procureur contre Rutaganda (n567) para (51).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Génocide en infligeant délibérément des conditions de vie calculées pour causer
la destruction physique
Les Éléments des crimes de la CPI fournissent les éléments de génocide suivants par soumission intentionnelle
à des conditions d’existence devant entraîner la destruction physique668
1. L’auteur a soumis une ou plusieurs personnes à certaines conditions d’existence.
2. Cette personne ou ces personnes appartenaient à un groupe national, ethnique, racial ou religieux
particulier.
3. L’auteur avait l’intention de détruire, en tout ou en partie, ce groupe national, ethnique, racial ou religieux,
comme tel.
4. Les conditions d’existence devaient entraîner la destruction physique totale ou partielle de ce groupe.
5. Le comportement s’est inscrit dans le cadre d’une série manifeste de comportements analogues dirigés
contre ce groupe, ou pouvait en lui-même produire une telle destruction.
Le terme « conditions d'existence » peut inclure, sans que cela soit nécessairement limitatif, une privation
délibérée des ressources indispensables pour la survie, telles que la nourriture ou les services médicaux, ou
une expulsion systématique du logement.669
L'infraction de « soumission intentionnelle à des conditions d’existence devant entraîner la destruction
physique » fait référence à des moyens de destruction par lesquels l’auteur ne cherche pas nécessairement à
tuer immédiatement les membres du groupe, mais, à terme, vise leur destruction physique, par exemple « la
soumission d'un groupe de personnes à un régime alimentaire de subsistance, l'expulsion systématique des
logements, la réduction des services médicaux nécessaires en deçà du minimum ».670
Dans le jugement Kayishema et Ruzindana, la Chambre a estimé que les conditions de vie visées pouvaient
inclure « le viol, la privation de nourriture, la réduction des services sanitaires en-dessous du minimum requis
et la détention des membres du groupe pendant une durée excessive dans des locaux dont la surface - ne
répond pas au minimum requis, dès lors que ces mesures sont de nature à entraîner la destruction du groupe,
en tout ou en partie ».671 Dans Brđanin, la Chambre de première instance a inclus « la création de conditions
entraînant une mort lente, comme la privation de logement et de vêtements adéquats, le manque d’hygiène ou
l’épuisement par des travaux ou des efforts physiques excessifs ».672
Le procès d'Adolf Eichmann devant le Tribunal de district de Jérusalem a clarifié que l'infraction de soumission
intentionnelle à des conditions d'existence devant entraîner la destruction du groupe n'exigent pas la preuve du
résultat. Devant le Tribunal de district, l'accusation contre Eichmann de soumission à des conditions d'existence
destructrices aux peuple juif pouvaient uniquement s'appliquer aux victimes juives qui avaient survécu à
l'Holocauste car celles qui avaient été tuées faisaient déjà l'objet de l'accusation de destruction physique.673
Il faut noter que le nettoyage ethnique signifiant l'expulsion forcée de personnes d'un territoire ne suffit pas un
constituer une conduite génocidaire.674
668
669
670
671
672
673
674
Article 6(c) des Éléments des crimes de la CPI, 3 (note de bas de page omise).
Ibid 2, n4.
Le Procureur contre Akayesu (n346) paras (505)–(506).
Le Procureur contre Kayishema & Ruzindana (n348) para (116).
Le Procureur contre Brđanin (n434) para (691).
Procureur-Général du Gouvernement Israël contre Adolf Eichmann (Cas No 40/61) Dist Ct Jer (12 Dec 1961) 36 ILR 5 (1968) para (196) ;
Schabas (n515) 192.
Cassese (n534) 333.
Manuel de droit pénal international
195
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Génocide en imposant des mesures destinées à empêcher les naissances
Les Éléments des crimes de la CPI fournissent les éléments suivants de génocide par imposition de mesures
visant à entraver les naissances :675
1. L’auteur a imposé certaines mesures à une ou plusieurs personnes.
2. Cette personne ou ces personnes appartenaient à un groupe national, ethnique, racial ou religieux
particulier.
3. L’auteur avait l’intention de détruire, en tout ou en partie, ce groupe national, ethnique, racial ou religieux,
comme tel.
4. Les mesures imposées visaient à entraver les naissances au sein du groupe.
5. Le comportement s’est inscrit dans le cadre d’une série manifeste de comportements analogues dirigés
contre ce groupe, ou pouvait en lui-même produire une telle destruction.
Cette qualification émane des stérilisations forcées pendant l'Holocauste et des abus sexuels et reproductifs
pendant le génocide rwandais.676 Ceci peut être qualifié non seulement d'offense physique mais aussi être
considéré comme un abus mental. Dans Akayesu, la Chambre de première instance du TPIR a déclaré que les
mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe comprennent :677
la mutilation sexuelle, Ia pratique de la stérilisation, l'utilisation forcée de moycns contraceptifs, la séparation des sexes,
l'interdiction des mariages. Dans le contexte de sociétés patriarcales, où l'appartenance au groupe est dictée par l’identité du père,
un exemple de mesure visant à entraver les naissances au sein d'un groupe est celle du cas où, durant un viol, une femme dudit
groupe est délibérément ensemencée par un homme d'un autre groupe, dans l'intention de l'amener à donner naissance à un enfant,
qui n'appartiendra alors pas au groupe de sa mère.
De plus, la Chambre note que les mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe peuvent être d'ordre physique, mais
aussi d'ordre mental. À titre d'exemple, le viol peut être une mesure visant à entraver les naissances lorsque la personne violée refuse
subséquemment de procréer, de même que les membres d'un groupe peuvent être amenés par menaces ou traumatismes infligés à ne
plus procréer.
Génocide par le transfert forcé d’enfants
Les Éléments des crimes de la CPI fournissent les éléments suivants de génocide par transfert forcé
d'enfants :678
1. L’auteur a transféré de force une ou plusieurs personnes.
2. Cette personne ou ces personnes appartenaient à un groupe national, ethnique, racial ou religieux
particulier.
3. L’auteur avait l’intention de détruire, en tout ou en partie, ce groupe national, ethnique, racial ou religieux,
comme tel.
4. Le transfert a été effectué de ce groupe à un autre groupe.
675
676
677
678
196
Article 6(d) des Éléments de crimes de la CPI, 3.
Cryer et al (n4) 176.
Le Procureur contre Akayesu (n346) paras (507)–(508). Voir également Le Procureur contre Kayishema & Ruzindana (n348) para (116) ; Le Procureur
contre Rutaganda (TPIY) Cas No ICTR-96-3-T, Jugement (6 décembre 1999) para (53).
Article 6(e) des Éléments des crimes de la CPI, 4 (note de bas de page omise).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
5. La personne ou les personnes étaient âgées de moins de 18 ans.
6. L’auteur savait ou aurait dû savoir que la personne ou les personnes étaient âgées de moins de 18 ans.
7. Le comportement s’est inscrit dans le cadre d’une série manifeste de comportements analogues dirigés
contre ce groupe, ou pouvait en lui-même produire une telle destruction.
Le terme « de force » ne se limite pas à la force physique et peut comprendre un acte commis en usant à
l’encontre de ladite ou desdites ou de tierces personnes de la menace de la force ou de la coercition, telle que
celle causée par la menace de violences, contrainte, détention, pressions psychologiques, abus de pouvoir, ou
bien à la faveur d’un climat coercitif.679
Un exemple de ce type d'infraction est l'assimilation forcée des enfants aborigènes dans une société nonaborigène.680 Ceci peut être considéré comme une forme de génocide culturel, mais la Convention sur le
génocide n'a voulu rendre explicite une disposition de cet ordre.
Selon le TPIR, cette infraction s'appliquerait non seulement au transfert forcé des enfants par l'auteur du
génocide mais aussi aux « menaces ou traumatismes infligés qui aboutiraient à forcer le transfert d'enfants
d'un groupe à un autre ».681
Il faut noter que, comme question d'interprétation pure, il n'est pas nécessaire que le transfert des enfants soit
effectué avec l'intention de détruire les enfants effectivement transférés. Un tel transfert constituerait un acte
de génocide si l'intention était de détruire le groupe auquel appartenaient les enfants (au moins en partie),
même si l'intention était de sauver ces enfants de la destruction en les transférant.682
Autres formes de participation à un génocide
Comme résultat de la transposition de l'Article III de la Convention sur le génocide directement dans la
définition du génocide dans les Statuts du TPIR et du TPIY, les deux Statuts incriminent quatre formes de
participation au génocide :
• l'entente en vue de commettre le génocide ;
• l'incitation directe et publique à commettre le génocide ;
• la tentative de génocide ;
• la complicité dans le génocide.
Il faut noter que (i) l'entente en vue de commettre le génocide, (ii) l'incitation directe et publique à commettre
le génocide, et (iii) la tentative de génocide sont des infractions inchoatives plutôt que des formes de
responsabilité, tandis que la complicité dans le génocide est une forme de responsabilité. Les crimes inchoatifs
sont discutés ensemble avec diverses formes de responsabilité pour génocide et autres crimes au Chapitre 4,
traitant de la responsabilité pénale individuelle.
679
680
681
682
Éléments des crimes de la CPI, Article 6(e), 4, n5.
Cryer et al (n4) 177.
Le Procureur contre Akayesu (n346) para (509).
Jones and Powles (n295) 153.
Manuel de droit pénal international
197
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Le Statut de la CPI, d'autre part, règlemente les autres formes de génocide dans son article général sur la
responsabilité pénale individuelle, l'Article 25 du Statut de la CPI, qui s'applique à tous les crimes relevant
de sa compétence. Cet Article ne comprend pas l'entente en vue de commettre le génocide, il inclut la
responsabilité pour l'incitation directe et publique dans les cas de génocide.683 L'entente en vue de commettre
le génocide a été omise comme forme de responsabilité en raison de la résistance des pays de droit civil, pour
lesquels la notion d'entente est étrangère. Cette lacune peut cependant être comblée par la disposition du Statut
sur la contribution à un objectif commun.684
Agression
Évolution historique du crime d’agression
Le premier procès international pour agression a eu lieu après la Deuxième Guerre mondiale devant le TMI de
Nuremberg.685 L'agression internationale a d'abord été criminalisée sous le nom de « crimes contre la paix »
dans l'Article 6(a) de la Charte de Nuremberg :
CRIMES CONTRE LA PAIX : c'est-à-dire la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre d'agression,
ou d'une guerre en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un
complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui précèdent.686
L'Article 5(a) de la Charte du TMIEO de Tokyo incluait une définition comparable des crimes contre la
paix :
la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre d'agression déclarée ou non, ou d'une guerre
en violation des traités, assurances ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour
l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui précèdent.687
La Charte de Tokyo, contrairement à la Charte de Nuremberg, définissait les crimes contre la paix en faisant
référence à « une guerre d'agression déclarée ou non ». La Commission sur les crimes de guerre de l'ONU
a conclu que les différences dans la définition contenue dans les deux chartes étaient « purement verbales
et n'affectaient pas la substance de la loi gouvernant la compétence du Tribunal de l'Extrême-Orient sur les
crimes contre la paix en comparaison avec la Charte de Nuremberg ».688 Une disposition similaire était aussi
incluse dans l'Article II(1)(a) de la Loi Nº10 du Conseil de contrôle, qui a défini les crimes contre la paix de la
façon suivante :
683
684
685
686
687
688
198
Ibidat 179.
Cryer et al (n4) 185.
Ibid au 262 ; Si le procès devant le TMI de Nuremberg était le premier à juger réellement l'agression, ce n'était pas la première tentative de la communauté
internationale pour établir un tribunal spécial afin de poursuivre les personnes responsables de guerre en violation des traités. Ainsi que le décrit le
Chapitre 2, le précédent le plus proche est constitué par l'établissement d'un tribunal spécial pour juger le Kaiser Guillaume qui était censé être jugé pour
« offense suprême contre la morale internationale et l'autorité sacrée des traités ». Le Kaiser Guillaume se réfugia finalement aux Pays-Bas, qui refusèrent
de l'extrader pour qu'il soit jugé. Voir l'Article 227 du Traité de Paix de Versailles (28 juin 1919) signé par l'Allemagne et les puissances alliées au Château
de Versailles, Carnegie Endowment for International Peace, New York (1924), disponible sur <http://avalon.law.yale.edu/subject_menus/versailles_menu.
asp>consulté le 1er novembre 2008. Voir aussi la Commission sur les responsabilités des auteurs de la guerre et l'application des sanctions, réimprimé
dans 14 AJIL 95, 116–117 (1920), qui traite de la responsabilité individuelle et du cas du Kaiser Guillaume.
Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe et statut du tribunal international
militaire (8 août 1945) 82 UNTS 279 (Annexe).
Charte du Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient (19 Jan 1946), TIAS No 1589.
Révision historique des développements concernant l'agression, Commission préparatoire pour la Cour pénale internationale, Groupe de travail sur le
crime d'agression, 18-19 avril 2002, UN Doc No PCNICC/2002/WGCA/L1 (24 Jan 2002) para (269).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Le déclenchement d'invasions d'autre pays et les guerres d'agression en violation des lois et des traités internationaux, y compris
mais sans que cela soit limitatif la planification, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guere d'agression, ou une
guerre en violation des traités, accords ou assurances internationaux, ou la participation à un plan commun ou l'entente pour
l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui précèdent.689
Si la criminalisation de l'agression dans la Charte de Nuremberg a ouvert la voie pour des dispositions
équivalentes dans la Charte de Tokyo et la Loi Nº10 du Conseil de contrôle, les résultats du Tribunal de
Nuremberg n'ont pas été facilement obtenus. Par exemple, les accusés ont objecté que la Charte de Nuremberg
créait une nouvelle loi et que le TMI appliquait la loi ex post facto, violant ainsi le principe de nullum crimen
sine lege.690 Les accusés ont principalement fait objection aux chefs d'accusation un et deux. Le premier chef
d'accusation accuse les « défenseurs de conspiration ou d'avoir un plan commun pour commettre des crimes
contre la paix » et le deuxième chef d'accusation accuse « les défenseurs de commettre des crimes spécifiques
contre la paix en planifiant, préparant, déclenchant et poursuivant des guerres d'agression contre plusieurs
autres États ».691 Le principal défi pour l'accusation a donc été d'établir la légitimité du crime d'agression.692 Le
Tribunal de Nuremberg a rejeté les demandes de la défense concernant la rétroactivité,693 en soutenant que la
guerre d'agression était un crime en vertu de la loi internationale depuis le pacte Kellogg-Briand de 1928 :694
Selon le Tribunal, la renonciation solennelle à la guerre comme instrument de politique nationale implique nécessairement la
proposition qu'une telle guerre est illégale en vertu du droit international ; et que ceux qui planifient et engagent une telle guerre,
avec ses conséquences inévitables et terribles, commettent un crime en le faisant. La guerre comme solution des controverses
internationales entreprise comme un instrument de politique nationale inclut certainement une guerre d'agression et une telle
guerre est donc mise hors-la-loi par le Pacte.695
Le Tribunal de Nuremberg a de plus déclaré qu'engager une guerre d'agression était « le crime international
suprême différent seulement des autres crimes de guerre en ce qu'il contient en lui-même le mal accumulé
de l'ensemble ».696 Après le jugement de Nuremberg, les procureurs des Tribunaux établis en vertu de la Loi
nº 10 du Conseil de contrôle ont continué à poursuivre les accusés pour crimes contre la paix dans l'Allemagne
occupé.697 Quatre de 12 procès menés de 1946 à 1949 ont traité d'accusations de crimes contre la paix.698 Les
Tribunaux qui ont succédé au Tribunal de Nuremberg se sont considérés liés par la jurisprudence du TMI sur
les crimes contre la paix et construit sur la base fournie par la Charte et le jugement de Nuremberg.699
689
690
691
692
693
694
695
696
697
698
699
Loi No 10 : Châtiment des personnes coupables de crimes de guerre, crimes contre la paix et contre l'Humanité, Conseil de contrôle allié pour
l'Allemagne, (1946) No 3
Cryer et al (n4) 263.
« Jugement du 1er octobre 1946, Jugement et sentence du Tribunal militaire international », 41 AJIL 172–333, 186 (1947).
Noah Weisbord, « Prosecuting Aggression », (2008) 49 Harv Intl LJ 161, 164.
Ibid.
Cryer et al (n4) 263. Cependant, Cryer explique que le Pacte Kellogg-Briand « ne visait pas à donner naissance à la responsabilité pénale individuelle ».
Cryer et al (n4) 93–94 ; Voir aussi Yoram Dinstein, War, Aggression and Self-Defence (4th ed CUP, Cambridge 2005) 120, qui évoque plus avant le Pacte
Kellogg-Briand.
« Jugement du 1er octobre 1946, Jugement et sentence du Tribunal militaire international » (n691) 172, 218.
Ibid at 186.
Weisbord (n692) 161–214, 165.
En particulier, le procès IG Farben , le procès Krupp , le procès du Haut-commandement, le procès des Ministères. La France a de plus établi le Tribunal
Général du Gouvernement militaire pour la Zone française d'occupation en Allemagne et poursuivi les crimes contre la paix dans le procès Roechling.
Révision historique des développements concernant l'agression, Commission préparatoire pour la Cour pénale internationale, Groupe de travail sur le
crime d'agression, 18–19 Avril 2002, UN Doc No PCNICC/2002/WGCA/L1 (24 Jan 2002) paras (119)-(120).
Ibid para (121).
Manuel de droit pénal international
199
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Le Tribunal de Tokyo a aussi poursuivi des crimes contre la paix. Les procureurs du Tribunal de Tokyo ont
inculpé 28 personnes, 52 des 55 chefs d'accusation étant liés aux crimes contre la paix.700 De façon importante, le
Tribunal de Tokyo a rejeté les arguments des défenseurs selon lesquels la guerre d'agression était un acte d'État
pour lequel il n'y avait pas de responsabilité individuelle en vertu du droit international et que les dispositions
de la Charte étaient une loi ex post facto et par conséquent illégale.701 Le Tribunal de Tokyo a de plus soutenu
l'opinion du Tribunal de Nuremberg lorsqu'il a conclu que « la guerre d'agression était un crime du droit
international bien avant la date de la Déclaration de Postdam ».702
Il est important de noter que le crime d'agression n'était pas universellement considéré comme faisant partie du
droit international coutumier avant son inclusion dans l'article 6(a) de la Charte de Nuremberg.703 Cependant,
après que le jugement de Nuremberg a jugé l'article 6(a) comme fondateur du droit international moderne,704
cela a fourni un précédent, qui a éventuellement fait que le crime d'agression est devenu indiscutablement un
élément du droit international coutumier.705 La description de l'agression dans le projet de la CDI « Principes de
Nuremberg » a reflété la description de l'agression de la Charte de Nuremberg. Le projet sur les principes et le
code d'infractions de la CDI n'ont cependant jamais été adoptés par l'Assemblée générale (voir le Chapitre 1).
Des tentatives séparées ont aussi été faires par les États pour développer une définition de l'agression. Par
exemple, en 1950, une tentative a été faite pendant les négociations de San Francisco sur la rédaction de
la Charte de l'ONU. Pendant cette même année, l'URSS a soumis une proposition pour une définition de
l'agression. Le 17 novembre 1950, l'Assemblée générale de l'ONU a adopté la résolution 378(B)(V) qui
renvoyait la proposition à la CDI, afin que la CDI puisse formuler une définition de l'agression.706 Cependant
la CDI n'a jamais obtenu un accord sur la définition de l'agression.707 le Rapporteur spécial déclarant que la
notion d'agression « par son essence même, n'est pas susceptible d'être définie ».708
Le 20 décembre 1952, l'Assemblée générale a reconnu la « complexité » de définir l'agression et décidé
d'établir un comité spécial, composé de 15 États.709 pour rédiger des définitions de l'agression ou des
déclarations sur la notion de l'agression.710 Cependant, ce Comité spécial et les trois Comités spéciaux
suivants, créés en 1954,711 1957712 et 1967713 n'ont jamais adopté une définition de l'agression, en partie en
raison de négociations prolongées « rendues difficiles par les tensions de la Guerre froide pendant laquelle
elles étaient menées ».714
700
701
702
703
704
705
706
707
708
709
710
711
712
713
714
200
Ibid para (271).
Ibid para (288).
Ibid ; Jugement du Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient (4–12 novembre 1948) 25–26 ; Cependant, tout en soutenant les principes
du jugement de Nuremberg , le jugement de Tokyo a fait l'objet de critiques, en raison des trois jugements dissidents significatifs des Juges Bernard,
Pal et Roling. Voir aussi Cryer et al (n4) 263 et Gerry Simpson, Law, War & Crime (Polity Press, Cambridge 2008) 144–150, pour une discussion
supplémentaire sur ce sujet.
Dinstein (n694) 120.
Ibid at 119–121 ; Yoram Dinstein et Mala Tabory, War Crimes in International Law (Martinus Nijhoff Publishers, Boston 1996) 2.
Cryer et al (n4) 263 ; Ian Brownlie, International Law and the Use of Force by States (Clarendon Press, Oxford 1991)191–94.
GA Res 378B (V), UN GAOR, 5ème session (17 Nov 1950).
Elizabeth Wilmshurst, « Definition of Aggression », disponible sur <http://untreaty.un.org/cod/avl/ha/da/da.html> consulté le 30 novembre 2009.
Second Report of the ILA on a Draft Code of Offences against the Peace and Security of Mankind, UN Doc A/CN.4/44, para 165 (1951), reprinted in
[1951] 2 Ybk Int’l L Com.
Benjamin B Ferencz, « The United Nations Consensus Definition of Aggression : Sieve or Substance ? » (1975) 10 J Intl L & Econ 701, 708.
GA Res 688 (VII), UN Doc A/2361 (20 Dec 1952).
GA Res 895 (XI), UN Doc A/2890 (4 Dec 1954).
GA Res 1181 (XII), UN Doc A/3805 (29 Nov 1957).
GA Res 2330 (XXII), UN Doc A/6988 (18 Dec 1967).
Elizabeth Wilmshurst, « Definition of Aggression » (n707) ; Cryer et al (n4) 364.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Environ 22 ans après l'établissement du premier Comité spécial, l'Assemblée générale a finalement adopté
une définition de l'agression le 14 décembre 1974 par le biais de la résolution 3314(XXIX).715 L'adoption de
la définition a été décrite comme un moment historique.716 Même si la définition a été régulièrement citée
pendant la Guerre Froide, elle n'a jamais été utilisée pour poursuivre un accusé dans un procès pénal et n'a
jamais été citée par le Conseil de sécurité de l'ONU.717
Définition d’agression en vertu de la résolution 3314(XXIX) de l’Assemblée générale
En vertu de la résolution 3314(XXIX) de l'Assemblée générale, l'agression est définie comme :718
Résolution 3314(XXIX) de l'Assemblée générale de l'ONU
Article 1
L'agression est l'emploi de la force armée par un État contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou
l'indépendance politique d'un autre État, ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des
Nations Unies, ainsi qu'il ressort de la présente Définition.
L'article 1 de cette définition est très large et se base principalement sur l'article 2(4) de la Charte de l'ONU.
L'Article 3 de la définition fournit une liste d'actes spécifiques qui peuvent être qualifiés d'actes d'agression.
Cependant, cette liste n'est pas exhaustive, car le Conseil de sécurité de l'ONU peut déterminer des actes
d'agression supplémentaires. L'Article 5(2) établit une différence entre « une guerre d'agression », qui est un
crime contre la paix internationale et « l'agression » qui donne naissance à une responsabilité internationale.
Tout acte d'agression ne peut donc pas être considéré comme un crime contre la paix. En établissant une
différence entre la guerre d'agression et des actes d'agression, les rédacteurs de cette définition ont clairement
indiqué que seule une guerre d'agression constitue un crime contre la paix en raison de l'élément d'intention,
tandis que les actes d'agression qui ne constituent pas une guerre entraîne uniquement la responsabilité de
l'État.719 Les divers articles de cette définition illustrent les compromis faits par les États afin d'atteindre un
consensus.720
Si la définition de l'Assemblée générale est considérée comme la plus récente et la plus largement acceptée,721
elle a aussi été critiquée comme étant vague et trop centré sur l'État, en ce qu'elle rend difficile de poursuivre
des individus pour des actes d'agression. De plus, cette définition laisse aussi la détermination de l'agression
à une décision du Conseil de sécurité de l'ONU. Par conséquent, certains États, qui refusent d'accepter des
restrictions légales à leur souveraineté, affirment que la définition était seulement conçue comme un guide
pour le Conseil de sécurité de l'ONU, et non à servir de base pour des poursuites.722 Alors que la définition
de l'agression était à l'origine conçue pour faire partie d'un code international universellement contraignant,
l'accord sur cette définition et sa signification ont été plus ou moins ignorés. Il est important de noter que la
résolution 3314(XXIX) de l'Assemblée générale est une recommandation formellement non contraignante
pour Conseil de sécurité de l'ONU, qui n'a pas d'autorité législative. Cependant, même si les résolutions de
715
716
717
718
719
720
721
722
GA Res 3314 (XXIX), UN Doc A/RES/3314 (14 déc 1974).
Ferencz (n709) 701, 708.
Weisbord (n692) 168.
GA Res 3314 (XXIX) (n715).
Dinstein (n694) 125.
Wilmshurst (n707).
Dinstein (n694) 126.
Weisbord (n692) 168.
Manuel de droit pénal international
201
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
l'Assemblée générale sont non contraignantes, elles restent significatives en ce qu'elles peuvent montrer les
tendances en évolution et les progrès du droit coutumier. Par exemple, ainsi qu'il sera expliqué ci-dessous,
le Groupe de travail spécial sur le crime d'agression s'est basé sur la résolution 3314(XXIX) pour rédiger sa
propre définition de l'agression.
Le rôle de la CDI à définir l’agression
Le 10 décembre 1981, l'Assemblée générale a ravivé le mandat précédent de la CDI en demandant que la CDI
reprenne le travail sur la rédaction du Code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité.723 En 1996,
la CDI a adopté un Code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité.724 qui contenait l'Article 16 sur
le crime d'agression :
Tout individu qui, en qualité de dirigeant ou d’organisateur, prend une part active dans, ou ordonne, la
planification, la préparation, le déclenchement ou la conduite d’une agression commise par un État, est
responsable de crime d’agression.725
Il est intéressant de noter que le commentaire de la CDI sur l'Article 16 identifie la Charte et le jugement de
Nuremberg comme sources principales d'autorité pour la responsabilité pénale individuelle émanant des actes
d'agression,726 mais qu'il néglige de mentionner la définition de l'Assemblée générale de l'ONU de 1974 discutée
ci-dessus.727 Ce commentaire explique aussi que la CDI n'ait pas abordé la question de la définition d'une
agression par un État car cette définition dépassait la portée du Code.728 Les gouvernements n'ont pas mis en
place le Code de la CDI car leur attention s'est ensuite tournée vers la négociation du Statut de la CPI.729
Le rôle de la CPI à définir l’agression
Le crime d'agression, qui a été décrit comme le « crime international suprême »,730 a été totalement exclus de la
compétence du TPIY, du TPIR et des divers tribunaux hybrides. Aucune de ces institutions n'a par conséquent inculpé
ou poursuivi un accusé pour des crimes contre la paix et le crime d'agression. Le Statut de la CPI a été le premier
Statut, depuis la rédaction des Statuts des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, à inclure le crime d'agression dans la
compétence de la cour.
723
724
725
726
727
728
729
730
202
UN GAOR 36/106, 36ème session, UN Doc A/36/51 (1981).
Cryer et al (n4) 265.
ILC, « Rapport de la Commission du droit international sur le travail de la 48 ème session » (6 mai–26 juillet 1996) UN Doc A/51/10.
Ibid.
Weisbord (n692) 170.
ILC, « Rapport de la Commission du droit international sur le travail de la 48 ème session » (6 mai–26 juillet 1996) UN Doc A/51/10.
Cryer et al (n4) 265.
« Jugement du 1er octobre 1946, Jugement et sentence du Tribunal militaire international » (n691) 172, 218.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
En 1994, la CDI avait produit un projet de Statut731 et les négociations internationales à la CDI avaient
commencé sur la base de ce projet. En vertu de l'article 20(b) du projet de Statut, la CDI indiquait le
crime d'agression comme relevant de la compétence de la CPI.732 L'inclusion de la part de la CDi de l'acte
d'agression dans le projet de Statut était controversée, car les opinions étaient divisées afin de décider s'il
fallait inclure le crime d'agression, comment définir le crime d'agression si le rôle du Conseil de sécurité
de l'ONU devait être inclus dans le Statut.733 En ce qui concerne la définition du crime d'agression, certains
États voulaient se baser sur la définition de l'Assemblée générale de 1974.734 Cependant d'autres États ont
soutenu que cette définition n'était pas adaptée car la liste d'actes d'agression figurant dans cette définition
avait seulement valeur d'illustration et n'avait jamais été conçue pour servir de base à des poursuites pénales.735
Diverses propositions pour la définition de l'agression ont été soulevées pendant la Conférence de Rome car
de nombreux pays en voie de développement, des membres du groupe arabe et des pays industrialisés tels que
le Canada, l'Allemagne et le Japon insistaient pour avoir une définition de l'agression incluse dans le Statut de
la CPI,736 alors que les États-Unis et le Royaume-Uni étaient opposés à son inclusion.737 Cependant, pendant
la conférence, aucune définition de l'agression n'a été retenue et le rôle du Conseil de sécurité de l'ONU n'a
jamais été défini.738 Pendant les dernières heures de la conférence, un compromis a été obtenu, car le crime
d'agression a été inclus dans la compétence de la CPI en vertu de l'Article 5(1)(d).739 L'Article 5 du Statut de la
CPI expose ce qui suit :
Article 5
Crimes relevant de la compétence de la Cour
1.La compétence de la Cour est limitée aux crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la
communauté internationale. En vertu du présent Statut, la Cour a compétence à l’égard des crimes
suivants :
(a) Le crime de génocide ;
(b) Les crimes contre l'humanité ;
(c) Les crimes de guerre ;
(d) Le crime d'agression.
Cependant, contrairement aux autres crimes relevant de la compétence de la CPI, le crime d'agression n'était
pas défini dans le Statut de la CPI. L'Article 5(2) du Statut de la CPI explique que la définition sera décidée
dans le futur :
731
732
733
734
735
736
737
738
739
CDI, « Rapport de la Commission du droit international sur le travail de sa 46ème session » (2 mai–22 juillet 1994) UN GAOR 49ème session Supp No
10, Document ONU A/49/10 (1994).
Ibid 38.
Cryer et al (n4) 265.
GA Res 3314 (XXIX), UN Doc A/RES/3314 (14 déc 1974).
Cryer et al (n4) 265–266.
Adam Roberts et Richard Guelff (eds), Documents on the Laws of War (3rd ed OUP, Oxford 2008) 668.
Weisbord (n692) 170.
Cryer et al (n4) 266.
Weisbord (n692) 171.
Manuel de droit pénal international
203
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
(2)La Cour exercera sa compétence à l’égard du crime d’agression quand une disposition aura été
adoptée conformément aux articles 121 et 123, qui définira ce crime et fixera les conditions de
l’exercice de la compétence de la Cour à son égard. Cette disposition devra être compatible avec les
dispositions pertinentes de la Charte des Nations Unies.
Par conséquent, la CPI n'est pas en mesure d'inculper ou de poursuivre un accusé pour le crime d'agression
jusqu'à ce que les États parties au Statut aient adopté une définition de l’agression et aient modifié le Statut en
conséquence. Les articles 121 et 123 du Statut de la CPI exposent la procédure d'amendement et de révision
pour le Statut de la CPI. L'article 121 stipule que les amendements du Statut ne peuvent pas se produire avant
un délai de sept après l'entrée en vigueur du statut. Un amendement à l'Article 5 du Statut de la CPI, y compris
en ce qui concerne le crime d'agression, entre en vigueur uniquement à l'égard des États Parties qui l'ont
accepté un an après le dépôt de leurs instruments de ratification. La CPI n'exerce pas sa compétence à l'égard
d'un crime faisant l'objet de ce nouvel amendement pour un État Partie qui n'a pas accepté l'amendement.
L'Article 123 détaille la procédure de révision du Statut et explique que sept ans après l'entrée en vigueur
du présent Statut, le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies convoquera une conférence de
révision pour examiner tout amendement au Statut. De plus, à tout moment après les sept premières années, à
la demande d'un État Partie, le Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies, avec l'approbation de la
majorité des États Parties, peut convoquer une conférence de révision.
Trouver un accord sur une définition de l'agression et les conditions dans lesquelles la CPI exercera sa
compétence s'est révélé difficile. À l'origine, la Conférence de Rome a délégué la tâche de formuler une
définition à une commission préparatoire.740 Puis, en septembre 2002, l'Assemblée des États parties à la
Cour, qui est l'organisme de supervision et de législation de la CPI, composée d'un représentant de chaque
État partie, a établi un groupe de travail spécial sur le crime d'agression. Em et prem comni consentur aut mo
tempor am, cuscil mos sus aut officiis aut experum volores tempores et aut alitate moluptat quam, utemped
que lam resto optur, simusantur at eos est ut utemodit, quunt eature se cuptatur ?
740
204
Ibid.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Le crime d'agression et ius ad bellum
Contrairement aux crimes de guerre, crimes contre l'humanité et génocide, qui correspondent au ius in
bello, le crime d'agression s'est développé à partir des principes gouvernant le recours entre les États,
appelés ius ad bellum. L'ius ad bellum est la loi relative à l'utilisation de la force et définit les motifs
légitimes pour lesquels un État peut engager une guerre. L'ius in bello, qui est basé sur le concept de
proportionnalité et autres principes humanitaires visant à réduire une souffrance inutile, est la loi qui
réglemente les effets de la guerre en réglementant les pratiques par lesquelles les guerres sont livrées (voir
Chapitre 1).
La théorie juridique moderne du ius ad bellum s'est développée après la Première guerre mondiale. Après
la destruction et la dévastation de cette guerre, la communauté internationale s'est réunie pour analyser la
criminalité de la guerre. Si l'Assemblée de la Ligue des Nations a travaillé à l'interdiction de l'utilisation de
la force comme outil de politique étrangère,741 elle a en réalité peu fait pour développer les restrictions de
l'utilisation de la force.742 Cependant, la signature du Pacte Kellogg-Briand en 1928,743 fut considéré comme
un « événement bien plus significatif ».744 en ce qui concerne l'interdiction de l'utilisation illégale de la force.
Les dispositions principales du Pacte Kellogg-Briand sont les Articles I et II :745
Pacte Kellogg-Briand
Article I
Les Hautes Parties contractantes déclarent solennellement au nom de leurs peuples respectifs qu’elles
condamnent le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux, et y renoncent en
tant qu’instrument de la politique nationale dans leurs relations mutuelles.
Article II
Les Hautes Parties contractantes reconnaissent que le règlement ou la solution de tous les différends
ou conflits, de quelque nature ou de quelque origine qu’ils puissent être, qui pourront surgir entre elles,
ne devra jamais être recherché que par des moyens pacifiques.
De façon significative, le Pacte Kellogg-Briand, qui reste un traité de droit international contraignant, a
été considéré comme un facteur à prendre en compte dans les affaires internationales746 et le Pacte a été
fréquemment soulevé pendant les débats de la Ligue des Nations.747 En condamnant le recours à la guerre
comme extension de la politique étrangère, le Pacte Kellogg-Briand a laissé un héritage significatif, comme
l'illustre son utilisation par le Tribunal de Nuremberg comme base juridique pour la criminalisation des
741
742
743
744
745
746
747
Keith A Petty, ‘Sixty Years in the Making : The Definition of Aggression for the International Criminal Court’, (2008) 31 Hastings Intl & Comp L Rev
533–534.
Richard L Griffiths, ‘International Law, the Crime of Aggression and the Ius Ad Bellum’, (2002) Intl Crim L Rev 301, 304.
Traité entre les États-Unis et les autres puissances de renonciation à la guerre comme instrument de politique nationale (27 août 1928) 46 Stat 2343, 94
LNTS 57.
Griffiths (n742) 304.
Traité entre les États-Unis et les autres puissances de renonciation à la guerre comme instrument de politique nationale (27 août 1928) 46 Stat 2343, 94
LNTS 57.
Voir Griffiths (n742) pour des exemples de la façon dont le Pacte Kellogg-Briand a été pris en compte dans les affaires internationales. Il déclare : « Un
exemple s'est produit en 1929, lorsque, suite aux hostilités entre la Chine et l'URSS, les États-unis ont envoyé des notes aux deux pays leur rappelant leurs
obligations en vertu du Traité ».
Ibid 304–305.
Manuel de droit pénal international
205
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
crimes contre la paix. De plus, les principes du Pacte ont été par la suite intégrés dans l'Article 2(4) de la
Charte de l'ONU,748 qui interdit l'utilisation de la force :
Article 2(4) de la Charte de l'ONU
Les Membres de l'Organisation s'abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la
menace ou à l'emploi de la force, soit contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique de tout
État, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies.
L'Article 2(4) de la Charte de l'ONU a été considéré comme un principe juridique fondamental régissant
l'utilisation de la force et un élément du droit international coutumier.749 Cependant, l'Article 2(4) ne fournit
pas une interdiction complète de l'utilisation de la force par les États, car l'utilisation de la force est jugée
admissible dans certains cas. L'Article 51 de la Charte de l'ONU expose :
Article 51 de la Charte de l'ONU
Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense,
individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l'objet d'une agression
armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et
la sécurité internationales. Les mesures prises par des Membres dans l'exercice de ce droit de légitime
défense sont immédiatement portées à la connaissance du Conseil de sécurité et n'affectent en rien le
pouvoir et le devoir qu'a le Conseil, en vertu de la présente Charte, d'agir à tout moment de la manière
qu'il juge nécessaire pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.
L'Article 51 de la Charte de l'ONU indique clairement que l'utilisation de la force est permise lorsqu'un État
agit en légitime défense. En plus de l'exception de légitime défense, l'utilisation de la force est aussi permise
lorsque le Conseil de sécurité de l'ONU agit en vertu de ses pouvoirs du Chapitre VII.750 L'Article 39 du
Chapitre VII de la Charte de l'ONU expose ce qui suit :
Article 39 de la Charte de l'ONU
Le Conseil de sécurité constate l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix
ou d'un acte d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront prises
conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales.
748
749
750
206
Petty (n741) 31.
Nicaragua c/ USA (n40) paras (188)–(190).
Articles 39-51 de la Charte de l'ONU.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
La signification de l'Article 39 est qu'il accorde au Conseil de sécurité de l'ONU le pouvoir de déterminer
l'existence de toute menace contre la paix, la rupture de la paix ou tout acte d'agression. En réponse à une
menace contre la paix ou à un acte d'agression, le Conseil de sécurité de l'ONU peut autoriser l'utilisation de
la force, soit par des missions de maintien de la paix de l'ONU ou par des coalitions de forces des États afin de
restaurer la paix et la sécurité internationales.
Même si le Conseil de sécurité de l'ONU a la responsabilité de déterminer un acte d'agression afin de
maintenir ou restaurer la paix et la sécurité internationales, il est important de noter que ceci n'est pas
considéré comme une responsabilité exclusive. La Charte de l'ONU indique clairement que l'Assemblée
générale a aussi la responsabilité de la paix et de la sécurité internationales.751 L'Assemblée générale,
conformément à la Charte de l'ONU « peut discuter toutes questions se rattachant au maintien de la paix et
de la sécurité internationales dont elle aura été saisie par l'une quelconque des Membres des Nations Unies,
ou par le Conseil de sécurité, ou par un État qui n'est pas Membre de l'Organisation » et elle peut aussi
« attirer l'attention du Conseil de sécurité sur les situations qui semblent devoir mettre en danger la paix et la
sécurité internationales ».752 De plus, « l'Assemblée générale peut recommander les mesures propres à assurer
l'ajustement pacifique de toute situation, quelle qu'en soit l'origine, qui lui semble de nature à nuire au bien
général ou à compromettre les relations amicales entre nations »753 tant que le Conseil de sécurité de l'ONU
ne traite pas la même affaire, sauf si le Conseil de sécurité a demandé à l'Assemblée générale de faire des
recommandations.754
En plus de souligner les exceptions de la légitime défense et du Chapitre VII de la Charte de l'ONU en
ce qui concerne l'utilisation de la force, il est aussi important de mentionner la question de l'intervention
humanitaire. Les opinions divergent quant à savoir si l'utilisation de la force, sans l'autorisation du chapitre
VII, est permise pour prévenir un désastre humanitaire.755
Éléments du crime d'agression
Éléments physiques
Auteurs du crime
Il est vital de déterminer qui doit être tenu responsable du crime d'agression car il est impératif de punir
les individus qui sont responsables d'engager une guerre d'agression. Cependant, les critères utilisés pour
identifier les auteurs de l'agression doivent être assez spécifiques pour assurer que les individus appropriés
sont traduits devant la justice. Le crime d'agression est considéré comme un « crime de commandement ».756
L'Article 16 du projet de Code des crimes contre la paix et la sécurité de l'humanité de la CDI fait référence
à « Tout individu qui, en qualité de dirigeant ou d'organisateur, prend une part active dans, ou ordonne, la
planification, la préparation, le déclenchement ou la conduite d'une agression ».757
La jurisprudence illustre également que les crimes d'agression sont des crimes de commandement.
Par exemple, dans le jugement États-Unis d'Amérique contre Wilhem von Leeb et al (Affaire du
Haut-commandement , qui a été jugé par le Tribunal militaire établi en vertu de la loi Nº 10 du Conseil de
751
752
753
754
755
756
757
Certaines dépenses des Nations Unies (Article 17, paragraphe 2, de la Charte), Opinion consultative, 1962 ICJ 163 (20 July).
Article 10 de la Charte de l'ONU.
Article 14 de la Charte de l'ONU.
Article 12 de la Charte de l'ONU.
Cryer et al (n231) 270.
Ibid 271 ; Mauro Politi and Giuseppe Nesi (eds), The International Criminal Court and the Crime of Aggression (Ashgate, Aldershot 2004) 168.
CDI, « Rapport de la Commission du droit international sur le travail de sa 48ème session » (6 mai-26 juillet 1996) Doc ONU A/51/10.
Manuel de droit pénal international
207
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
contrôle, 14 officiers ayant occupé des postes élevés dans l'armée allemande ont été accusés, entre autres,
de crimes contre la paix (premier chef d'accusation).758 Le Tribunal a évalué si ces individus opéraient
à une « niveau politique » assez élevé pour encourir une responsabilité pénale. Le tribunal a noté que la
politique nationale était faite par des individus et que ceux qui faisaient une politique nationale criminelle
encouraient une responsabilité pénale contrairement à ceux qui opéraient sous le niveau politique en
réalisant les politiques criminelles.759 Le Tribunal a également jugé que les hauts responsables politiques ne
sont pas les seuls individus qui peuvent être jugés responsables d'agression mais plutôt qu'une différence
devait être faite entre les officiers de rand élevé et les soldats de base.760 Tous les accusés furent finalement
acquittés car ils ont été estimés comme n'opérant pas à un niveau politique assez élevé.761
Il est important de noter que le seuil de niveau politique n'est pas limité aux individus au sein du
gouvernement ou de l'armée, car des individus en dehors de ce domaine peuvent opérer à un niveau politique
assez élevé pour être jugé responsable du crime d'agression.762 Par exemple, dans le jugement États-Unis
d'Amérique contre Carl Krauch et al (Affaire IG Farben , les industriels étaient accusés de crimes contre la
paix. Dans cette affaire, 24 industriels de haut niveau qui étaient des officiers de haut rand d' IG Farben ont
été accusés d'avoir participé, planifié, préparé, déclenché et poursuivi des guerres d'agression et des invasions
d'autres pays.763 Le Tribunal a considéré si les accusés opéraient à un niveau politique assez élevé pour
être déclaré pénalement responsable de l'agression. Le Tribunal a noté que l'affaire impliquait des hommes
d'industrie qui n'étaient pas des responsables politiques mais qu'ils soutenaient néanmoins leur gouvernement
pendant le réarmement et la guerre d'agression.764 Les accusés n'étaient pas des responsables gouvernementaux
ou militaires de haut niveau et ont participé en tant que suiveurs plutôt que comme dirigeants.765 Le Tribunal a
acquitté les accusés du crime d'agression car aucun des accusés n'opérait à un niveau politique assez élevé. Les
accusés suivaient simplement leurs dirigeants et contribuaient à l'effort de guerre ; ils n'ont pas effectivement
planifié ni dirigé la nation vers une guerre d'agression.766
Conduite : acte d'agression
L'acte collectif sous-jacent pour le crime d'agression est qu'un État a commis un acte contre un autre
État.767 Par conséquent, les entités non-étatiques, telles que les organisations terroristes, les groupes
révolutionnaires et les mercenaires individuels non soutenus par l'État, ne peuvent pas être déclarés
responsables du crime d'agression.768 En vertu du droit coutumier international, seule une guerre d'agression
entraîne une responsabilité pénale individuelle et des menaces d'agression ne sont pas suffisantes pour
déclarer une personne responsable d'agression.769
758
759
760
761
762
763
764
765
766
767
768
769
208
Révision historique des développements concernant l'agression, Commission préparatoire pour la Cour pénale internationale, Groupe de travail sur le
crime d'agression, 18-19 avril 2002, Doc ONU No PCNICC/2002/WGCA/L1 (24 Jan 2002) para (149).
Ibid para (158).
Ibid para (159).
Ibid para (165).
Cryer et al (n4) 272.
Révision historique des développements concernant l'agression, Commission préparatoire pour la Cour pénale internationale, Groupe de travail sur le
crime d'agression, 18-19 avril 2002, Doc ONU No PCNICC/2002/WGCA/L1 (24 Jan 2002) para (128).
Ibid para (135).
Ibid para (137).
Ibid para (138).
Cryer et al (n4) 272.
Mathias Schuster, ‘The Rome Statute and the Crime of Aggression : A Gordian Knot in Search of a Sword’ (2003) 14 Crim LF 23.
Cryer et al (n4) 273.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
De plus, une relation doit exister entre les actions du chef individuel accusé d'agression et l'acte d'agression
de l'État.770 Au Tribunal de Nuremberg, l'accusation a pu établir ce lien en prouvant que l'accusé était impliqué
dans la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre d'agression, étant donné
que l'Article 6(a) de la Charte de Nuremberg établit que la responsabilité pénale individuelle pour le crime
d'agression résulte de la direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une guerre d'agression. . .
ou la participation à un plan concerté ou à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes
qui précèdent.771
éléments moraux
Il est pratiquement incontesté que l'exigence de mens rea pour le crime d'agression est l'intention
criminelle.772 Un individu satisfait l'exigence de mens rea pour le crime d'agression s'il est conscient de
l'intention collective de déclencher une guerre d'agression et de continuer à participer à cette action.773 Par
exemple, dans le jugement Roechling, le Tribunal général du Gouvernement militaire de la zone française
d'occupation en Allemagne a jugé l'accusé non coupable de préparer une guerre d'agression car il n'y avait pas
assez de preuves pour prouver qu'il possédait « l'intention nécessaire de mener une invasion ou une guerre
d'agression ».774
Développement actuels dans le domaine du crime d'agression
Ainsi qu'il est mentionné ci-dessus, les États contractants du Statut de la CPI n'ont pas réussi à s'accorder sur
une définition de l'agression lors de la Conférence de Rome et ont repoussé la définition de l'agression à une
date ultérieure. Par conséquent, alors que le crime d'agression figure comme l'un des crimes les plus graves
dans le Statut de la CPI, cette disposition est inopérante jusqu'à ce que les États s'accordent sur une définition
de l'agression et les conditions dans lesquelles la CPI exercera sa compétence sur ce crime. Même si les
développements sur la question de l'agression ont été lents au fil des ans, le Groupe de travail spécial sur le
crime d'agression a récemment fait des progrès et a conclu son travail et produit des projets d'amendements au
Statut de la CPI sur le crime d'agression, tenant sa septième et dernière session à New-York du 9 au 13 février
2009.775
Le projet de propositions du Groupe de travail spécial inclut une suggestion de définition du crime d'agression,
qui reprend en grande partie la définition de l'agression contenue dans la résolution 3314(XXIX) de
l'Assemblée générale et une suggestion de délimitation de la compétence de la CPI sur ce crime. Cependant,
le projet de propositions doit être présenté aux États membres lors d'une conférence de révision pour le Statut
de la CPI en 2010 à Kampala, Ouganda, avant que le Statut ne puisse être amendé. Le projet de définition du
Groupe de travail spécial est le suivant :776
770
771
772
773
774
775
776
Ibid, 274.
Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe et statut du tribunal international
militaire (8 août 1945) 82 UNTS 279 (Annexe).
Schuster (n768) 24.
Cryer et al (n4) 274.
Révision historique des développements concernant l'agression, Commission préparatoire pour la Cour pénale internationale, Groupe de travail sur le
crime d'agression, 18-19 avril 2002, Doc ONU No PCNICC/2002/WGCA/L1 (24 Jan 2002) para (264).
Assemblée des États Parties, Rapport du Groupe de travail spécial sur le crime d'agression, Doc ONU ICC-ASP/7/SWGCA/2 (20 fév 2009) para (46).
Ibid Annexe 1, Appendice, para (2).
Manuel de droit pénal international
209
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Article 8bis
Crime d'agression
1.Aux fins du présent Statut, le « crime d'agression » s'entend du fait, pour une personne qui
est effectivement en mesure de contrôler ou de diriger l’action politique ou militaire d'un
État de planifier, de préparer, de déclencher ou de commettre un acte d'agression qui, par ses
caractéristiques, sa gravité et son ampleur, constitue une violation manifeste de la Charte des
Nations Unies.
2.Aux fins du paragraphe 1, « l'acte d'agression » s'entend de l'emploi de la force armée par un
État contre la souveraineté, l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un autre État,
ou de toute autre manière incompatible avec la Charte des Nations Unies. L'un quelconque des
actes ci-après, qu'il y ait eu ou non déclaration de guerre, réunit, conformément à la résolution
3314 (XXIX) de l'Assemblée générale, en date du 14 décembre 1974, les conditions d'un acte
d'agression :
(a)L'invasion ou l'attaque du territoire d'un État par les forces armées d'un autre État, ou toute
occupation militaire, même temporaire, résultant d'une telle invasion ou d'une telle attaque, ou
toute annexion par l'emploi de la force du territoire ou d'une partie du territoire d'un autre État ;
(b)Le bombardement, par les forces armées d'un État, du territoire d'un autre État, ou l'emploi de
toutes armes par un État contre le territoire d'un autre État ;
(c) Le blocus des ports ou des côtes d'un État par les forces armées d'un autre État ;
(d)L'attaque par les forces armées d'un État contre les forces armées terrestres, navales ou
aériennes, ou la marine ou l'aviation civiles d'un autre État ;
(e)L'utilisation des forces armées d'un État qui sont stationnées sur le territoire d'un autre État
avec l'accord de l'État d'accueil, contrairement aux conditions prévues dans l'accord ou toute
prolongation de leur présence sur le territoire en question au-delà de la terminaison de l'accord ;
(f)Le fait pour un État d'admettre que son territoire, qu'il a mis à la disposition d'une autre État,
soit utilisé par ce dernier pour perpétrer un acte d'agression contre un État tiers ;
(g)L'envoi par un État ou en son nom de bandes ou de groupes armés, de forces irrégulières ou de
mercenaires, qui se livrent à des actes de force armée contre un autre État d'une gravité telle
qu'ils équivalent aux actes énumérés ci-dessus, ou le fait de s'engager de manière substantielle
dans une telle action.
Cependant, le projet de définition n'inclut pas les actes de terrorisme, effectués par des auteurs non-étatiques,
dans les actes d'agression.
210
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
De plus, le groupe de travail spécial a également traité la question de la définition de l'auteur du crime
d'agression, en expliquant qu'un auteur est une personne qui est dans une position d'exercer effectivement le
contrôle sur l'action politique ou militaire d'un État.777
Même si des progrès sur le projet de définition de l'agression ont été obtenus lors de la session finale du
Groupe de travail spécial, il faut souligner que les États parties n'ont toujours pas atteint un consensus en
ce qui concerne le rôle que joue le Conseil de sécurité de l'ONU pour déterminer des actes d'agression. Le
manque de progrès à cet égard est dû en partie à l'insistance des cinq membres permanents du Conseil de
sécurité de l'ONU sur le fait que le Conseil de sécurité a le droit exclusif de déterminer les actes d'agression.
L'objectif de la prochaine réunion informelle inter-sessionnelle sur le crime d'agression est de résoudre ce
problème et de déterminer le rôle du Conseil de sécurité de l'ONU.
Torture
Introduction
La torture est sans aucun doute un crime interdit par le droit international. Après examen du traité pertinent et
du droit international coutumier en 1998, le TPIY s'est ainsi prononcé :
L’existence de cet ensemble de règles générales et conventionnelles portant prohibition de la torture montre que la communauté
internationale, consciente de l’importance qu’il y a à bannir ce phénomène abominable, a décidé d'en supprimer toute
manifestation en agissant tant à l’échelon interétatique qu’à celui des individus. Il n’a été laissé aucune échappatoire juridique.778
L'interdiction de la torture en vertu du droit international est absolue. Le droit à ne pas être torturé est un droit
qui n'admet aucune dérogation.779 L'interdiction de la torture est jus cogens et les États risquent d'êtres tenus
responsables au niveau international si leurs agents commettent des actes de torture.780 Cette interdiction
s'applique aussi en cas d'urgence ou de guerre sans aucune exception ni justification.781
La torture
777
778
779
780
781
•
Interdiction absolue de la torture
•
L'interdiction de la torture constitue une norme jus cogens
•
L'interdiction de la torture s'applique en temps de paix et de conflit armé
Ibid Annexe 1, Appendice, para (4).
Le Procureur contre Furundžija (n453) para (146).
UNCHR « Commentaire général 24 » (4 novembre 1994) UN Doc CCPR/C/21/Rev.1/Add.6, para (10).
Le Procureur contre Furundžija (n453) para (153).
Article 2(2) de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (10 décembre 1984) 1465 UNTS 85.
Manuel de droit pénal international
211
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
En vertu du droit international, la torture est interdite par les Conventions de Genève de 1949 et les deux
protocoles additionnels de 1977.782 La torture peut constituer un crime contre l'humanité en vertu de l'Article
7(1)(f) du Statut de la CPI, de l'Article 5(f) du Statut du TPIY et de l'Article 3(f) du Statut du TPIR. La torture
est aussi un crime de guerre en vertu de l'Article 8(2)(a)(ii) du Statut de la CPI, de l'Article 2(b) du Statut du
TPIY et de l'Article 4(a) du Statut du TPIR.
En temps de guerre ou de conflit armé international, le personnel militaire peut être tenu responsable du
crime de guerre de torture s'il torture un membre du personnel miliaire ennemi ou des civils. Les particuliers
n'agissant pas dans une capacité officielle peuvent aussi être tenus responsables s'ils torturent un membre du
personnel militaire ennemi ou des personnes protégées qui sont de la même nationalité que l'ennemi ou sont
sous le contrôle de l'ennemi. Pour être qualifiée de crime de guerre, la torture doit être liée à un conflit armé.783
La torture commise en temps de conflit armé interne ou international ou en temps de paix peut constituer un
crime contre l'humanité, si elle fait partie d'une pratique étendue ou systématique ou d'une attaque sur une
population, ce qui est une exigence pour tous les crimes contre l'humanité. L'auteur de la torture doit aussi
savoir que ses actes formaient partie de l'attaque étendue ou systématique. Les officiels non-militaires et nonétatiques peuvent aussi être tenus responsables de ce crime.784
En plus de ces régimes juridiques, le droit pénal international interdit aussi la torture en tant que « crime
distinct ». La torture existe donc en tant que crime en soi et non seulement comme crime contre l'humanité et
comme crime de guerre.785 La torture comme crime distinct est punissable quel que soit le moment et le lieu
où elle est commise, la responsabilité pouvant être attribuée à l'individu qui a commis le crime. L'interdiction
de la torture faisant partie du droit international coutumier, tous les États sont compétents pour poursuivre les
auteurs d'actes de torture. L'élément nécessaire de torture en tant que crime distinct est que les souffrances
« sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre officiel ou à son
instigation ou avec son consentement exprès ou tacite ».786
Il existe trois catégories de torture comme crime international
782
783
784
785
786
212
•
La torture en tant que crime de guerre
•
La torture en tant que crime contre l'humanité
•
La torture en tant que « crime distinct »
Parmi les quatre Conventions de Genève de 1949, voir, par exemple, les Articles 3, 12 et 50 de la Convention de Genève pour l'amélioration du sort
des blessés et des malades dans les forces armées en campagne (12 août 1949) 75 UNTS 35 ; Articles 3, 12 et 51 de la Convention de Genève pour
l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer (12 août 1949) 75 UNTS 81 ; Articles 3, 17, 87 et 130 de la
Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre (12 août 1949) 75 UNTS 135 ; Articles 27, 32 et 147 de la Convention de Genève
relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (12 août 1949) 75 UNTS 287 ; Article 75 du Protocole additionnel aux Conventions de
Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, (Protocole I) (8 juin 1977) 1125 UNTS 3 ; et Article 4 du
Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II)
(8 juin 1977) 1125 UNTS 609.
Voir Cassese (n232) 149.
Ibid à 149–150.
Ibid, 149.
Article 1 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (10 décembre 1984) 1465 UNTS 85.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Le droit international des droits de l'homme reconnaît également le droit à ne pas être torturé.787 Ce droit n'est
pas dérogeable.788 La définition de la torture en vertu du droit international des droits de l'homme m'exige
pas l'implication d'un officiel public ou d'un agent de l'État, ni un conflit armé ou une attaque étendue ou
systématique.789 Il s'agit donc pour de nombreux aspects d'une définition plus large que tout autre régime
juridique. Cependant, une violation des droits de l'homme ne constitue par en soi un crime international. Il
s'agit plutôt d'une violation de l'obligation du traité pertinent par l'État impliqué.
Il existe de nombreux traités, tant international que régional, qui interdisent l'utilisation de la torture,790 mais
peu fournissent une définition de la torture. Comme noté précédemment, de nombreux traités des droits de
l'homme interdisent l'utilisation de la torture, en tant que violations des droits de l'homme. D'autres textes de
droit humanitaire international et de droit pénal international traitent la torture comme crime de guerre ou comme
crime contre l'humanité. Ces documents sont utiles pour définir la nature de la norme coutumière. Cependant,
la codification la plus complète de la définition de la torture se trouve dans l'Article 1(1) de la Convention de
l'Organisation des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants de
1984 (ci-après UNCAT).791
Le droit humanitaire international, s'il interdit la torture pendant un conflit armé, ne fournit pas de définition de
l'interdiction.792 En l'absence d'une définition expresse de la torture en vertu du droit humanitaire international,
le TPIY s'est tourné vers le droit des droits de l'homme, à savoir la définition de la torture fournie dans
l'Article 1 de l'UNCAT.793 Le TPIY a conclu que la définition de l'UNCAT « traduit par conséquent un
consensus que la Chambre de première instance juge représentatif du droit coutumier international ».794
Comme l'estime la Chambre de première instance dans Furundžija
[l]a large convergence des . . instruments internationaux susmentionnés et de la jurisprudence internationale montre que les
principaux éléments contenus dans la définition donnée à l’article premier de la Convention des Nations Unies contre la torture sont
désormais généralement acceptés.795
la Chambre de première instance a toutefois estimé que si la définition de l'Article 1 de l'UNCAT « s'applique
à toute forme de torture, que ce soit en temps de paix ou de conflit armé, il convient d’identifier ou de préciser
certains éléments particuliers concernant la torture envisagée du point de vue du droit pénal international se
rapportant aux conflits armés ».796 Dans Kunarac et al, la Chambre de première instance a identifié les trois
éléments suivants qui demeurent controversés : i) la liste des buts pour lesquels la torture est infligée ; ii) la
relation avec un conflit armé ; iii) le fait de savoir s’il faut ou non que l’acte soit infligé par un agent public ou
une autre personne agissant à titre officiel, à leur instigation ou avec leur consentement exprès ou tacite.797
787
788
789
790
791
792
793
794
795
796
797
Voir, par exemple, l'Article 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, GA Res 217A (III), 71, UN Doc A/810 (10 déc 1948) ; Article 7 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, (16 déc 1966) 999 UNTS 171 ; Article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et
des libertés fondamentales, (4 nov 1950) 213 UNTS 222, 312 ETS 5 ; Article 5 de la Convention américaine des droits de l'homme
(22 nov 1969) OAS Treaty Series No 36 ; 1144 UNTS 123, 9 ILM 99 (1969) ; Article 5 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples
(26 juin 1981) OAU Doc CAB/LEG/67/3 Rev 5, 1520 UNTS 217, 21 ILM 58 (1982).
UNCHR « Commentaire général 24 » (4 novembre 1994) UN Doc CCPR/C/21/Rev.1/Add.6, para (10).
HLR contre la France (App No 24573/94) ECHR 1997-III 745.
Voir, par exemple, l'Article 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, GA Res 217A (III), 71, UN Doc A/810 (10 déc1948) ; Article 7 du Pacte
international relatif aux droits civils et politiques, (16 déc 1966) 999 UNTS 171 ; Article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des
libertés fondamentales, (4 nov 1950) 213 UNTS 222, 312 ETS 5 ; Article 5 de la Convention américaine des droits de l'homme
(22 nov 1969) OAS Treaty Series No 36 ; 1144 UNTS 123, 9 ILM 99 (1969) ; Article 5 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples
(26 juin 1981) OAU Doc CAB/LEG/67/3 Rev 5, 1520 UNTS 217, 21 ILM 58 (1982).
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (10 décembre 1984) 1465 UNTS 85.
Le Procureur contre Furundžija (n453) para (159).
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (10 décembre 1984) 1465 UNTS 85.
Le Procureur contre Furundžija (n453) paras (160)–(161) ; Le Procureur contre Delalić et al (n443) para (459). Voir également Le Procureur contre
Kunarac et al (n419) paras (468), (472).
Le Procureur contre Furundžija (n453) para (161).
Ibid para (162) ; Le Procureur contre Furundžija (TPIY) Affaire No IT-95-17/1-A, Arrêt rendu en pourvoi (21 juillet 2000) paragraphe (111). Voir
également Le Procureur contre Kunarac et al (n419) para (468).
Le Procureur contre Kunarac et al (n419) para (484).
Manuel de droit pénal international
213
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
En commençant par la définition de l'UNCAT, cette section exposera les éléments de définition de la torture en
tant que crime distinct dans le droit international coutumier avant de brièvement souligner les différences dans
la définition de la torture en vertu d'autres régimes de droit international et régional.
Convention contre la torture des Nations Unies de 1984 (UNCAT)
L'UNCAT est le traité international le plus largement ratifié qui définit la torture. Il reflète la Déclaration sur
le torture de l'Assemblée générale de 1975, qui a été adoptée par consensus général, avec des modifications
mineures.798 Les principaux éléments sur la torture qu'il contient ont été estimés par le TPIY comme étant
généralement acceptés par la communauté internationale et faisant partie du droit international coutumier.799
L'Article 1(1) de l'UNCAT établit que :
Article 1(1) de l'UNCAT
Aux fins de la présente Convention, le terme « torture » désigne tout acte par lequel une douleur ou
des souffrances aiguës, physiques ou morales, sont intentionnellement infligées à une personne aux
fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir
d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou
de faire pression sur elle ou d'intimider ou de faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre
motif fondé sur une forme de discrimination quelle qu'elle soit, lorsqu'une telle douleur ou de telles
souffrances sont infligées par un agent de la fonction publique ou toute autre personne agissant à titre
officiel ou à son instigation ou avec son consentement exprès ou tacite. Ce terme ne s'étend pas à la
douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes, inhérentes à ces sanctions ou
occasionnées par elles.
Cette définition de la torture peut être divisée entre ses éléments physiques (actus reus) et moraux (mens rea).
Les deux doivent être satisfaits pour qu'un acte s'élève au niveau de torture.
Eléments physiques (Actus Reus)
Les éléments physiques du crime de torture dans l'UNCAT exigent :800
• un acte ;
• par lequel une douleur ou des souffrances aiguës, physiques ou morales sont infligées à une personne ;
• cette douleur ou ces souffrances doivent être infligées par un responsable officiel ou avec le consentement ou
l'approbation d'une responsable officiel ou de toute autre personne agissant dans une capacité officielle ; et
• ce terme ne s'étend pas à la douleur ou aux souffrances résultant uniquement de sanctions légitimes,
inhérentes à ces sanctions ou occasionnées par elles.
798
799
800
214
Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, GA Res 3452
(XXX), UN Doc A/10034 (9 déc 1975).
Le Procureur contre Delalić et al (n443) paras (455)–(474) ; Le Procureur contre Kunarac et al (n419) paras (483)–(497).
Voir également Le Procureur contre Furundžija (n796) para (111), qui prévoit les éléments de torture dans une situation de conflit armé. Il expose les
mêmes éléments que la définition fournie dans l'UNCAT, excepté qu'il exige que l'acte ou omission constituant la torture soit lié à une situation de conflit
armé.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Lorsque les quatre éléments sont satisfaits, les éléments physiques du crime de torture seront satisfaits.
Un acte
Pendant la négociation de l'UNCAT, il y eut un certain débat afin de savoir dans quelle mesure des actes d'omission
peuvent satisfaire l'exigence qu'un « acte » doit causer la douleur ou les souffrances graves en vertu de l'UNCAT. Etant
donné le but et l'objectif de l'UNCAT, d'interdire une conduite qui cause une douleur et des souffrances graves dans
un but interdit, il est généralement admis que les omissions peuvent entraîner une condamnation pour torture. De plus,
la pratique des États, dans l'application de l'UNCAT dans la législation nationale, indique une propension à ce que les
omissions soient inclues comme « actes » en vertu de l'UNCAT, même si ce n'est pas universellement le cas.801
La question de savoir sir les omissions sont incluses dans la définition de la torture en tant que crime
distinct n'a pas encore été décidée par une cour ou un tribunal international, même si en relation avec la
torture en tant que crime en vertu du droit humanitaire international, le TPIY a jugé que non seulement les
actes, mais aussi les omissions, qui entraînent une douleur ou des souffrances graves, physiques ou morales,
peuvent être qualifiés de torture, fournissant une indication forte que tant les actes que les actes d'omission
peuvent constituer des actes de torture lors de la considération d'un crime distinct.802
Douleur ou souffrance aiguës
Pour constituer un acte de torture, l'acte doit infliger une douleur ou des souffrances aigües, qu'elles soient
physiques ou morales, sur la victime. La torture peut ainsi constituer des attaques physiques sur le corps, telles
que des coups, des chocs électriques ou la privation de nourriture, ou des souffrances purement psychologiques,
par exemple obliger une personne à regarder une exécution ou la menacer de sévices.803 La nature aigüe de la
douleur ou des souffrances est centrale dans l'acte de torture, et le fait de ne pas être classifié comme traitement
cruel, inhumain ou dégradant, une contravention moindre du droit pénal international. C'est la caractéristique la
plus distinctive du crime de torture.804
La torture se situe clairement à l'extrémité du spectre des actes entraînant la douleur. Une hiérarchie des
mauvais traitements a été élaborée dans un cas de la Commission européenne des droits de l'homme, le cas
grec .805 Dans ce cas, la Commission a jugé que la torture était une forme aggravée de traitement inhumain, qui
est lui-même basé sur un traitement dégradant. Cette hiérarchie a été reprise par des cas ultérieurs de la CEDH
et s'appuie sur l'Article 16 de l'UNCAT. L'Article 16 de l'UNCAT exige que les États parties s'engagent à
interdire « d'autres actes constitutifs de peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui ne sont pas
des actes de torture » indiquant clairement une hiérarchie des mauvais traitements dans le droit international.
Evaluer si la douleur ou les souffrances représentent « une douleur ou des souffrances aigües » est une tâche
délicate qui est habituellement laissée à la discrétion du juge. Il n'y a pas de test unique qui expose clairement
comment entreprendre cette analyse, il est cependant clair que si la gravité de l'atteinte est déterminée par un
test objectif, les souffrances morales ou physiques exigent une évaluation subjective de facteurs tels que l'âge,
la santé et le sexe.806 Il faut donc considérer l'effet réel que l'acte a sur la victime et donc des listes de conduite
interdite seraient inutiles et ne pourraient pas être définitives.
801
802
803
804
805
806
Voir les rapports des États parties à l'UNCAT, disponibles sur <www2.ohchr.org/english/bodies/cat/> consulté le 30 novembre 2009.
Le Procureur contre Furundžija (n453) para (162) ; Le Procureur contre Furundžija (n796) para (111).
Danemark, Norvège, Suède et Pays-Bas contre la Grèce (le cas grec) (1969) Annuaire de la Convention européenne sur les droits de l'homme 1
(EComHR).
Irlande contre Royaume-Uni (App No 5310/71) (1978) CEDH Série A, No 25.
Danemark, Norvège, Suède et Pays-Bas contre la Grèce (le cas grec) (n803).
Irlande contre Royaume-Uni (n804) ; Le Procureur contre Kvo čka et al (n513), para (143).
Manuel de droit pénal international
215
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Pour déterminer la gravité de l'atteinte, la cour peut chercher des preuves de violences sexuelles, de privation
prolongée de sommeil, de nourriture, d'hygiène ou d'assistance médicale et des menaces de torture, viol ou le
meurtre de parents et la mutilation de parties du corps.807 Ces actes doivent être considérés en relation avec
la nature de la victime torturée. Des actes qui peuvent ne pas atteindre le niveau de torture s'ils sont commis
contre un homme adulte peuvent infliger une douleur ou des souffrances aigües à un enfant.
S'il n'est pas possible de définir exactement ce qui répondrait ou non au critère de douleur ou souffrances
graves, il est possible d'obtenir des indications sur les tendances judiciaires à partir de la jurisprudence. Par
exemple, la CEDH a estimé en 1978 que maintenir en position debout, imposer une cagoule, l'exposition
au bruit, la privation de sommeil et la privation de nourriture et de sommeil représentaient des traitements
inhumains et dégradants et non des actes de torture.808 Il est cependant peu probable que la même évaluation
serait faite aujourd'hui.809
Le TPIY a estimé que les violences sexuelles entraînent nécessairement des douleurs ou des souffrances
aigües, tant physiques que morales, et que les souffrances résultant du viol ont le niveau du gravité requis pour
constituer des actes de torture.810 L'emprisonnement cellulaire peut aussi être considéré comme une torture,
mais il faut démontrer qu'il a « causé à la victime une douleur ou des souffrances aigües »811 et n'est donc pas
particulièrement révélateur du standard appliqué par les juges. L'application de ces exemples dans un cas futur
dépendra de la nature du traitement et également, de façon importante, de la nature de la victime.
Exigence d’un agent public
L'exigence « d'agent public » de la définition de l'UNCAT réduit le domaine du crime distinct de torture, en
excluant la torture commise par des acteurs non étatiques tels que des guerrilleros, des paramilitaires, des
terroristes et des criminels communs, si cela se produit sans l'approbation ou le consentement de l'État. Ceci
car la torture en tant que crime distinct est punissable en vertu du droit international même s'il s'agit d'un acte
isolé, en dehors de toute guerre ou conflit, et pour séparer le crime international de torture du crime national
de torture, par exemple par des sadiques.
L'exigence que l'acte de torture soit infligé avec le consentement ou l'approbation d'un agent public est ce qui
sépare le crime distinct de torture de la torture commise comme crime de guerre, crime contre l'humanité ou
violation des droits de l'homme. Elle exige que la torture ne soit pas commise par un individu isolé infligeant
la torture sans la connaissance ni le consentement de l'État. Pour que l'acte constitue un crime international,
un organe public ou étatique doit être impliqué dans l'acte de torture, sanctionner la torture ou permettre sa
poursuite.
807
808
809
810
811
216
Le Procureur contre Kvočka et al (n513) para (144).
Irlande contre Royaume-Uni (n804) (disposition).
Voir Selmouni contre la France (App No 25803/94) CEDH 1999-V.
Le Procureur contre Delalić et al (n443) para (489).
Le Procureur contre Krnojelac (n434) para (183).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Cependant, pour la CEDH et le PIDCP, il n'y a pas d'exigence d'implication des organes ou agents étatiques.812
La CEDH a estimé dans HLM contre la France que
[e]n raison du caractère intangible du droit garanti, la Cour n'exclut pas la possibilité que l'Article 3 de la Convention (art 3)
puisse s'appliquer aussi lorsque le danger émane de personnes ou de groupes de personnes qui ne sont pas des agents publics. Il
faut cependant montrer que le risque est réel et que les autorités de l'État d'accueil ne sont pas capables d'éliminer le risque en
fournissant une protection appropriée.813
S'il peut être tentant d'utiliser cette définition du droit international des droits de l'homme pour le droit pénal
international, ceci serait en contradiction directe avec le langage de l'UNCAT.814
De plus, l'exigence d'agent public est aussi ce qui sépare le crime distinct de torture en vertu du droit
international coutumier de la torture comme crime en vertu du droit humanitaire international. Les
Conventions de Genève de 1949 ne contiennent aucune exigence relative au fait que la torture soit commise
par un agent de l'État, et le Statut de la CPI et du TPIY non plus.815 Cette différence a été aussi confirmée par
la Cour d'appel du TPIY dans Kunarac et al, à savoir que « le droit international coutumier n'exige pas que le
crime soit commis par un agent de la fonction publique lorsque la responsabilité pénale d'un individu est mise
en cause en dehors du cadre fixé par la Convention relative à la torture ».816
Comme l'estime la Chambre de première instance dans Kunarac et al, dans le domaine du droit humanitaire
international, les éléments physiques du crime de torture, en vertu du droit international coutumier, peuvent être
décrits comme « le fait d'infliger, par un acte ou une omission une douleur ou des souffrances aigües, qu'elles
soient physique ou morales ».817
Découlant, inhérente ou accessoires à des sanctions légales
L'UNCAT contient une exception pour la douleur ou les souffrances « résultant de sanctions légitimes,
inhérentes ou accessoires à ces sanctions ». Ceci confère une vaste exemption pour de nombreux actes qui
constitueraient des actes de torture et avait le potentiel de nuire au traité lui-même. Il y a actuellement peu
d'indications sur les limites que cette exception pose sur les actes de torture, car aucun gouvernement n'a eu
de techniques sanctionnées légalement attaquées comme actes de torture. Il faut noter que les ambigüités
inhérentes à cette exception ont été débattues lorsque l'UNCAT a été adoptée et que sa mise en place dans les
législations nationales varie énormément. Il est de plus important de garder à l'esprit les objets et objectifs de
l'UNCAT et les principes généraux de l'interprétation du traité qui exige une interprétation de bonne foi de
cette exception, afin que ceci ne nuise pas au fonctionnement du traité dans son ensemble.818
812
813
814
815
816
817
818
Voir, par exemple, l'Article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (4 nov 1950) 213 UNTS 222, 312 ETS
5 ; Article 7 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (16 déc 1966) 999 UNTS 171 ; Comité des droits de l'homme des Nations Unies,
Commentaire général No 7 : la torture et les peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Art 7) (30 mai 1982) para (2), disponible sur
<www2.ohchr.org/english/bodies/hrc/comments.htm> consulté le 25 octobre 2009.
HLR contre la France (n789).
Article 1(1) de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (10 décembre 1984) 1465 UNTS 85.
Articles 3 et 5 du Statut du TPIY ; Article 7(2)(e) du Statut de la CPI.
Le Procureur contre Kunarac et al (n307) para (148) ; voir aussi paras (145)–(147).
Le Procureur contre Kunarac et al (n419) para (497).
Article 31 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (23 mai 1969) 1155 UNTS 331 ; 8 ILM 679 (1969) ; 63 AJIL 875 (1969).
Manuel de droit pénal international
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chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Éléments moraux (Mens rea)
Les éléments moraux du crime de torture dans l'UNCAT sont :
• la douleur ou les souffrances doivent être intentionnellement infligées ;
• aux fins notamment d'obtenir des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle a commis ou
est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou pour tout autre motif fondé
sur une forme de discrimination. Ceci s'applique à la victime de torture directe et aux tierces personnes.
Ces deux éléments doivent être satisfaits pour que les éléments moraux de la torture soient satisfaits.
Le TPIY a reconnu ces deux éléments comme constituant les éléments moraux de la torture en vertu du droit
humanitaire international, à savoir que « [l]'acte ou omission doit être intentionnel » et « doit avoir pour but
d'obtenir des renseignements ou des aveux, ou de punir, d'intimider ou de contraindre la victime ou un tiers,
ou d'opérer une discrimination pour quelque motif que ce soit ».819
Infligée intentionnellement
Le critère « d'intentionnalité » découle du texte de l'Article 1(1) de l'UNCAT. Ceci signifie que l'intention
criminelle est toujours requise pour la torture en tant que crime international,820 et par conséquent d'autres
formes de mens rea telles que la témérité ou la négligence coupable ne suffiront pas.821
Dans le droit international des droits de l'homme, la CEDH a substantiellement facilité la charge sur la victime
de prouver « intentionnellement », en exigeant que le gouvernement accusé fournisse une explication des
atteintes subies pendant la détention. Dans l'affaire de Selmouni contre la France 822 la CEDH a estimé que les
preuves physiques de l'atteinte pendant la détention par l'État suffisait à soulever une présomption d'intention.
La torture exige donc que l'auteur effectue intentionnellement un acte conçu pour causer une douleur ou
des souffrances aigües à la victime, ou effectue un acte qui aurait raisonnablement pu être prévu comme
causant une telle douleur ou de telles souffrances. Ceci risque vraisemblablement d'exclure la douleur ou les
souffrances causées accidentellement ou par une conduite simplement négligente. La jurisprudence suggère
que l'intention peut être relativement facilement inférée par la conduite et la preuve de l'atteinte.
Dans un but spécifique
La torture doit aussi être infligée dans un but spécifique. La douleur et les souffrances causées doivent être un
moyen pour une fin, une façon pour l'auteur de la torture d'obtenir un objectif interdit. Les objectifs indiqués
dans l'UNCAT ne sont pas exhaustifs, mais tout autre objectif doit être de nature similaire à ceux indiqués.
Le critère d'objectif spécifique limite l'application du crime de torture de façon à ce que la torture pour raisons
purement sadiques ou pour humilier la victime ne soient pas susceptibles de répondre à la définition en vertu
du droit international coutumier. Ceci permet de distinguer plus avant entre le crime international de torture et
le crime « ordinaire » ou purement national, qui doit être poursuivi dans la juridiction nationale.
819
820
821
822
218
Le Procureur contre Kunarac et al (n419) para (497). Voir également Le Procureur contre Akayesu (n346) para (594).
Raquel Marti de Mejia contre le Pérou, Affaire 10.970 Rapport de la Cour inter-américaine des droits de l'homme No 5/96, OEA/Ser.L/V/II.91 doc. 7,
157, para (185) (1996).
Voir également Le Procureur contre Furundžija (n453) para (162) ; Le Procureur contre Kunarac et al (n419) para (497).
Selmouni contre la France (n809).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Les objectifs punissables qui sont indiqués à l'Article 1 de l'UNCAT sont :
• obtenir des informations ou des aveux ;
• punir ou intimider une personne ;
• de faire pression sur la victime ou une tierce personne pour faire ou omettre de faire quelque chose ; ou
• une forme de discrimination quelle qu'elle soit, contre la victime ou une tierce personne.
Il faut noter que cette liste n'est pas exhaustive, comme l'indiquent les termes « aux fins notamment » qui
précèdent la liste ci-dessus. Les Cours peuvent donc étendre cette liste en ajoutant des objectifs tels que
ceux indiqués.
La Chambre de première instance du TPIY, dans Furundžija a étendu les objectifs pertinents à
« l'humiliation » intentionnelle de la victime, sur la base de l'esprit général du droit humanitaire international
pour protéger la dignité humaine et sur la base que le concept d'humiliation était proche de la notion
« d'intimidation » contenue dans l'UNCAT.823 Cependant la proposition que « l'humiliation » soit considérée
comme un acte de torture a été rejetée par la Chambre de première instance du TPIY dans Krnojelac comme
n'ayant pas encore atteint le « statut coutumier ».824 L'humiliation intentionnelle est peut-être mieux caractérisé
en tant que crimes « d'outrage à la dignité personnelle » et/ou « traitement inhumain et dégradant » plutôt que
comme torture.
Il faut aussi noter qu'en vertu du Statut de la CPI, aucun objectif spécifique n'est requis pour que la torture
constitue un crime contre l'humanité.
Défenses
La torture n'étant jamais admissible ni justifiable quelles que soient les circonstances, aucune circonstance ne
peut être invoquée pour justifier son utilisation.825 La torture ne présente donc aucun moyen de défense pour
ceux qui la commettent hormis celui de démontrer que les éléments n'ont pas été satisfaits.
Questions de compétences
En vertu de l'UNCAT, les États parties sont requises, en vertu de l'Article 4, de légiférer pour faire de la torture
un crime.826 Ils sont également tenus de poursuivre les auteurs présumés de torture ou de les extrader vers un
État qui a la compétence adéquate aux fins des poursuites.827 En vertu du droit international coutumier, les
États sont tenus d'interdire les actes de torture et d'éviter que les individus soient placés dans une position où
ils risquent d'être torturés.828 Les États sont aussi tenus d'assurer aux individus dans leur territoire la possibilité
de se plaindre aux « autorités compétentes » en cas de tortures présumées.829
Le Comité de l'ONU contre la torture a aussi été créé en 1988 pour contrôler la mise en place et l'adhésion des
États parties à l'UNCAT. Le Comité se réunit deux fois par an et révise la pratique des États sur la base des
rapports soumis par les États parties. Il donne ensuite des recommandations aux États relatives au respect de
leurs obligations en vertu de l'UNCAT. De plus, si un État partie a déclaré le Comité compétent pour recevoir
823
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828
829
Le Procureur contre Furundžija (n453) para (162).
Le Procureur contre Krnojelac (n434) para (186). Voir également Le Procureur contre Kunarac et al (n419) para (485).
Article 2 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (10 décembre 1984) 1465 UNTS 85.
Ibid Article 4.
Ibid Article 7.
Le Procureur contre Furundžija (n453) para (156).
Article 13 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (10 décembre 1984) 1465 UNTS 85.
Manuel de droit pénal international
219
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
des communications des individus, le Comité peut recevoir des plaintes des individus sous réserve que l'auteur
révèle son identité, que le Comité ait considéré que la communication n'abuse pas du droit de soumettre des
communications, que la communication soit compatible avec les dispositions de l'UNCAT, que le problème
n'ait pas été examiné par une enquête internationale ou un organisme de règlement et que le plaignant
individuel ait épuisé tous les recours nationaux.830
La torture en soi, qui est un crime distinct, différent de la torture en tant que crime contre l'humanité ou en tant
que crime de guerre, ne relève de la compétence d'aucun des cours et tribunaux internationaux, sans doute en
raison du fait que ces tribunaux sont principalement axés sur des crimes commis pendant un conflit armé ou
d'une nature étendue ou systématique.
Les États eux-mêmes ont eux même hésité à poursuivre les auteurs de torture commettant des crimes en
dehors de leur territoire en tant que crime distinct international, malgré leur capacité à le faire en vertu du
droit international, même si évidemment beaucoup d'entre eux ont mis en place des dispositions relatives
à la torture dans leur législation pénale pour protéger leurs propres résidents. L'exception à ceci est la
jurisprudence sur les instruments relatifs aux droits de l'homme qui traitent la torture en tant que violation
des droits de l'homme par l'État. La différence entre la responsabilité étatique et individuelle en vertu du droit
international doit être rappelée à cet égard.
Autres instruments pertinents
Les autres instruments internationaux relatifs à la torture incluent :
• Les Conventions de Genève de 1949 et les deux protocoles additionnels de 1977 :831 ceux-ci interdisent
l'utilisation de la torture pendant un conflit armé. Ainsi qu'il a été noté ci-dessus, ces instruments de droit
humanitaire international n'ont pas d'exigence de participation d'un agent public.
• La Déclaration de l'Assemblée générale sur la torture de 1975 :832 ceci a été adopté par consensus et
contient une définition de la torture très similaire à celle contenue dans l'UNCAT.
• La Convention interaméricaine sur la torture de 1985 :833 ceci contient une définition de la torture plus
large que l'UNCAT, il n'exige pas un seuil « aigu » pour la douleur ou les souffrances infligées. Aucune
douleur physique ou angoisse mentale n'est requise si l'objectif de l'auteur de la torture est « d'oblitérer
la personnalité de la victime ou de diminuer ses capacités physiques ou morales ».834 De plus, la liste
des objectifs fournis dans la définition de la torture inclut « tous les autres objectifs », laissant la liste
d'objectifs applicables beaucoup plus large qu'avec l'UNCAT.
830
831
832
833
834
220
Ibid Article 21.
Parmi les quatre Conventions de Genève de 1949, voir, par exemple, les Articles 3, 12 et 50 de la Convention de Genève pour l'amélioration du sort
des blessés et des malades dans les forces armées en campagne (12 août 1949) 75 UNTS 35 ; Articles 3, 12 et 51 de la Convention de Genève pour
l'amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer (12 août 1949) 75 UNTS 81 ; Articles 3, 17, 87 et 130 de la
Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre (12 août 1949) 75 UNTS 135 ; Articles 27, 32 et 147 de la Convention de Genève
relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre (12 août 1949) 75 UNTS 287 ; Article 75 du Protocole additionnel aux Conventions de
Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés internationaux, (Protocole I) (8 juin 1977) 1125 UNTS 3 ; et Article 4 du
Protocole additionnel aux Conventions de Genève du 12 août 1949 relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux (Protocole II)
(8 juin 1977) 1125 UNTS 609.
Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Res AG 3452
(XXX), Doc ONU A/10034 (9 déc 1975).
Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture (9 déc 1985) Traité OEA, série No 67.
Ibid Article 2.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
• La CEDH :835 L'Article 3 de cet instrument a été jugé comme n'exigeant pas l'implication des organes ou
agents de l'État pour répondre à la définition de la torture.836
• Le PIDCP :837 le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a jugé que l'Article 7 du PIDCP n'exige
pas l'implication des organes ou agents de l'État pour répondre à la définition de la torture.838
Conclusion
En plus de constituer une violation des droits de l'homme en vertu de plusieurs traités sur les droits de
l'homme, la torture peut être conceptualisée comme trois violations du droit pénal international. Premièrement,
la torture peut être un crime contre l'humanité lorsqu'elle est commise dans le cadre d'une conduite criminelle
étendue ou à grande échelle, en temps de paix ou de guerre. Deuxièmement, la torture peut être un crime
de guerre si elle est commise en relation avec un conflit armé. Troisièmement, la torture peut être un crime
distinct pour lequel un individu peut être tenu responsable à tout moment dans tout pays en vertu du droit
international coutumier.
En tant que crime distinct, la torture s'applique à une catégorie étroite d'actions qui satisfont les éléments
physiques et moraux exposés ci-dessus. Même si les critères peuvent sembler assez difficiles à satisfaire ils
sont en place en raison de l'application étendue que possède le crime distinct de torture en tant que norme
coutumière du droit international et pour le différencier de la torture lorsqu'elle est commise dans les deux
autres catégories de violations internationales ou en tant que crime national.
La torture dans le contexte de poursuites nationales sur la base de la compétence universelle est discutée au
Chapitre 5.
Le terrorisme en tant que crime international
Introduction
Le terrorisme international s'est montré jusqu'à présent particulièrement difficile à réglementer en raison
du manque de définition juridique couramment acceptée du phénomène.839 La communauté internationale
tente depuis des décennies d'atteindre un consensus sur le fait de savoir si le crime de terrorisme existe dans
le droit international et dans l'affirmative, quels seraient les éléments constitutifs du crime.840 La principale
question controversée est de savoir si les « guerriers de la liberté » engagés dans des mouvements de libération
nationaux peuvent être classifiés comme terroristes.841 En conséquence, aucun instrument légalement
contraignant exposant une définition complète n'a été établi jusqu'à présent.
Un consensus pourrait sans doute être atteint pour une définition généralement acceptable. Certains
experts avancent même qu'un large consensus sur une définition généralement acceptable a évolué
dans la communauté internationale et constitue une règle coutumière sur les éléments physiques et
835
836
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838
839
840
841
Article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (4 nov. 1950) 213 UNTS 222, 312 ETS 5.
HLR contre la France (n789) para (40).
Pacte international relatif aux droits civils et politiques (16 Déc 1966) 999 UNTS 171.
UNCHR « Commentaire général Nº 20 » dans « Remplace le commentaire Nº7 relatif à l'interdiction de la torture et des peines ou traitements cruels (Art
7) (10 mars 1992) para (2) » disponible sur <www2.ohchr.org/english/bodies/hrc/comments.htm> consulté le 30 novembre 2009.
Voir M Cherif Bassiouni, ‘Legal Control of International Terrorism : a Policy-Oriented Assessment’ (2002) 43 Harv Intl LJ 83–104 ; Antonio Cassese,
‘The Multifaceted Criminal Notion of Terrorism in International Law’ (2006) 4 J Intl Crim Just 933–958 ; Hans-Peter Gasser, ‘Acts of Terror,
« Terrorism » and International Humanitarian Law’ (2002) 84 Intl Rev Red Cross 547–570 ; Gilbert Guillame, ‘Terrorism and International Law’ (2004)
53 ICLQ 537–548 ; Marco Sassòli, ‘Terrorism and War’ (2006) 4 J Intl Crim Just 959–981 ; Jean-Marc Sorel, ‘Some Questions about the Definition of
Terrorism and the Fight against its Financing’ (2003) 14 Eur J Intl L 365–378.
Guido Acquaviva, ‘Terrorism’, dans Antonio Cassese (ed), The Oxford Companion to International Criminal Justice (OUP, Oxford 2009) 533, 533.
Voir de plus Cassese (n232) 162–163 n1.
Manuel de droit pénal international
221
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
moraux du crime de terrorisme international en temps de paix.842 Cependant, des désaccords demeurent
quant à l'existence et à l'étendue d'une exception à une telle définition, c'est-à-dire s'il faut exclure de
la définition des actes qui, même s'ils correspondent à la définition du terrorisme, sont légitimés en
droit car ils sont commis par des « guerriers de la liberté » engagés dans des guerres de libération.843
Instruments légaux internationaux en matière de terrorisme
Conventions internationales de lutte contre le terrorisme
Les désaccords sur les éléments constitutifs du terrorisme ont limité sa réglementation internationale à 16
instruments universaux contre le terrorisme international comprenant 13 conventions thématiques et trois
amendements.844 Ces instruments ont été élaborés dans le cadre du système de l'ONU relatif aux activités
terroristes spécifiques. Ils criminalisent des actes spécifiques en tant que crimes terroristes plutôt que d'essayer
de criminaliser le terrorisme dans son intégralité. Ils obligent les États parties à intégrer le régime dans leur
droit national en criminalisant les crimes spécifiques et en prévoyant des peines.845 Les États sont de plus tenus
d'extrader l'auteur de l'infraction ou de le poursuivre (aut dedere aut judicare) et de se fournir mutuellement
une assistance légale pour l'extradition et les poursuites criminelles.846
La compétence des États parties pour ces conventions internationales sur le terrorisme varie selon chaque
convention. La plupart de ces conventions basent la compétence sur le territoire où l'infraction a été commise
ou sur la nationalité de son auteur.847 D'autres conventions permettent que la compétence soit établie selon
la nationalité de la victime.848 Par exemple, la Convention internationale pour la répression des attentats
terroristes à l'explosif de 1997 oblige les États parties à exercer sa compétence sur une infraction commise sur
son territoire, sur ses navires ou avions ou par ses ressortissants.849 Un État partie est cependant aussi autorisé
à exercer sa compétence sur une infraction lorsqu'elle est commise contre un ressortissant ou contre une
installation étatique ou gouvernementale de cet État à l'étranger, par des personnes apatrides qui résident sur le
territoire de cet État ou si l'infraction est commise afin de contraindre l'État à effectuer un acte quel qu'il soit,
ou à s'abstenir de le faire. 850
842 843
844
850
Ibid, 163.
Ibid.
Ces 13 conventions sont : Convention relative aux infractions et à certains autres actes survenant à bord des aéronefs (14 sept 1963) 704 UNTS 219 ;
Convention pour la répression de la capture illicite d'aéronefs (16 déc 1970) 860 UNTS 105 ; Convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre
la sécurité de l'aviation civile (23 sept 1971) 974 UNTS 177 ; Convention sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant
d'une protection internationale, y compris les agents diplomatiques (14 déc 1973) 1035 UNTS 167 ; Convention internationale contre la prise d'otages
(17 déc 1979) 1316 UNTS 205 ; Convention sur la protection physique des matières nucléaires (3 mars 1980) 1456 UNTS 101 ; Convention pour la
répression d'actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime (10 mars 1988) 1678 UNTS 221 ; Protocole à la Convention du 10 mars 1988 pour
la répression d'actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental (3 oct 1988) 1678 UNTS 304 ; Protocole pour la
répression des actes illicites de violence dans les aéroports servant à l'aviation civile internationale, complémentaire à la Convention du 23 septembre
1971 (24 fév 1988) 27 ILM 627 ; Convention sur le marquage des explosifs plastiques et en feuilles aux fins de détection (1er mars 1991) 30 ILM 721 ;
Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif, GA Res 52/164, UN Doc A/RES/52/164 (15 déc 1997) ; Convention
internationale pour la répression du financement du terrorisme, GA Res 54/109, UN Doc A/RES/54/109 (9 déc 1999) ; Convention internationale pour
la répression des actes de terrorisme nucléaire, GA Res 59/290, UN Doc A/RES/59/290 (13 avril 2005). Les trois amendements adoptés en 2005 sont :
Amendements à la Convention sur la protection physique des matières nucléaires ; Protocole à la Convention pour la répression d'actes illicites contre la
sécurité de la navigation maritime (14 oct 2005) ; et Protocole au Protocole à la Convention du 10 mars 1988 pour la répression d'actes illicites contre la
sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental.
Par exemple, l'Article 4 de la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif, expose que les États parties doivent
« qualifier d'infraction pénale au regard de son droit interne les infractions visées à l'Article 2 de la présente Convention » et « réprimer lesdites infractions
par des peines prenant dûment en compte leur gravité ». Rés. AG 52/164, Document ONU A/RES/52/164 (15 déc 1997).
Le principe aut dedere aut judicare est incarné dans l'Article 8 de la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif, Rés.
AG 52/164, Document ONU A/RES/52/164 (15 déc 1997).
Voir par exemple, l'Article 3(1) de la Convention sur la prévention et la répression des infractions contre les personnes jouissant d'une protection
internationale, y compris les agents diplomatiques (14 Dec 1973) 1035 UNTS 167 ; Article 6 de la Convention internationale pour la répression des
attentats terroristes à l'explosif, Rés. AG 52/164, Doc ONU A/RES/52/164 (15 déc 1997).
Ibid.
L'Article 6(1) de la Convention internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif, Rés. AG 52/164, Document ONU A/RES/52/164 (15
déc 1997).
Ibid Article 6(2).
222
Manuel de droit pénal international
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chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
La réglementation du terrorisme international par ces conventions internationales sur le terrorisme s'étend
non seulement aux infractions définies par ces conventions, telles que les prises d'otage, le financement du
terrorisme, les attentats à l'explosif, les détournements d'avion, les autres infractions contre le transport aérien
et autres. La réglementation est de plus limitée aux actes de terrorisme international ; les actes de terrorisme
qui ne sont pas de caractère international , c'est-à-dire des actes commis dans un seul État si leur auteur est
un ressortissant de cet État, si les victimes sont des ressortissants de cet État, et si l'auteur est trouvé sur le
territoire de cet État, ne sont pas considérés comme étant des actes de terrorisme international aux fins de ces
conventions.851
Résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU
Le Conseil de sécurité de l'ONU traite des questions de terrorisme depuis le début des années 1990. En
réponse à des actes spécifiques de terrorisme, le Conseil de sécurité de l'ONU a déterminé que la suppression
du terrorisme international était essentielle pour le maintien de la paix et de la sécurités internationales. Le
Conseil de sécurité a imposé des sanctions contre la Libye et le Soudan pour ne pas répondre à sa demande de
livrer à la justice des personnes accusées d'actes terroristes spécifiques. Il a été demandé à la Libye de livrer
deux individus (des agents de l'État présumés) accusés d'être responsables de l'explosion du vol Pan American
103 au dessus de la ville écossaise de Lockerbie en 1988 (voir également le Procès Lockerbie au Chapitre
2).852 Il a été demandé au Soudan de livrer trois personnes accusées de tentative d'assassinat sur le Président
égyptien en 1995 à Addis Abeba en Éthiopie.853
De même, suite aux explosions de bombes terroristes devant les Ambassades des États-Unis au Kenya et en
Tanzanie en 1998, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 1267 (1999) dans lequel il imposait en vertu
du Chapitre VII des sanctions contre les Talibans pour leur non respect de sa demande d'arrêter de fournir un
refuge et un entraînement aux terroristes internationaux et à leurs organisations, et que toutes les fractions
afghanes coopèrent avec leurs efforts de traduire les terroristes inculpés devant la justice.854 Les sanctions
incluaient le gel des fonds et autres ressources financières, y compris les fonds dérivés ou générés par des
biens possédés ou contrôlés directement ou indirectement par les Talibans. Le Conseil de sécurité a également
demandé aux Talibans de livrer Osama ben Laden aux autorités dans un pays où il avait été inculpé. Aux fins
de surveiller l'application des sanctions le Conseil de sécurité a établi un Comité composé de tous les membres
du Conseil de sécurité.855
Le régime des sanctions a été modifié et renforcé par les résolutions suivantes afin que les mesures de sanctions
s'appliquent désormais aux individus, groupes, entreprises et entités désignés associés à Al-Qaïda, Osama ben
Laden et/ou les Talibans.856 Les États sont tenus de mettre en place trois mesures de sanction, à savoir ; (a) geler
les fonds et autres actifs financiers ou ressources économiques de ces individus, groupes, entreprises et entités ; (b)
prévenir l'entrée ou le transit sur leur territoire de ces individus ; et (c) prévenir la fourniture, la vente ou le transfert,
direct ou indirect, à ces individus, groupes, entreprises et entités d'armement et autres matériels de tout type incluant
851
852
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854
855
856
Voir, par exemple, l'Article 13 de la Convention internationale contre la prise d'otages (17 déc 1979) 1316 UNTS 205 ; Article 3 de la Convention
internationale pour la répression des attentats terroristes à l'explosif, Rés AG 52/164, Doc ONU A/RES/52/164 (15 déc 1997) ; Article 3 de la Convention
internationale pour la répression du financement du terrorisme, Rés Ag 54/109, Doc ONU A/RES/54/109 (9 déc 1999) ; Article 3 de la Convention
internationale pour la répression des actes de terrorisme nucléaire, Rés AG 59/290, Doc ONU A/RES/59/290 (13 avril 2005) ; Article 3 de la Convention
pour la répression de la capture illicite d'aéronefs (16 déc 1970) 860 UNTS 105.
Résolution du CS 731, Doc ONU S/RES/731 (21 jan 1992) ; Résolution du CS 748, Doc ONU S/RES/748 (31 mars 1992).
Résolution du CS 1044, Doc ONU S/RES/1044 (31 jan 1996) ; Résolution du CS 1054, Doc ONU S/RES/1054 (26 avril 1996).
Résolution du CS 1214, Document ONU S/RES/1214 (8 déc 1998).
Résolution du CS 1267, Document ONU S/RES/1267 (15 oct 1999).
Res CS 1333, UN S/RES/1333 (19 déc 2000) ; Res CS 1390, Doc ONU S/RES/1390 (16 jan 2002) ; Res CS 1455, Doc ONU S/RES/1455
(17 jan 2003) ; Res CS 1526, Doc ONU S/RES/1526 (30 jan 2004) ; Res CS 1617, Doc ONU S/RES/1617 (29 juillet 2005) ; Res CS 1735, Doc ONU S/
RES/1735 (22 déc 2006) ; Res CS 1822, Doc ONU S/RES/1822 (30 juin 2008).
Manuel de droit pénal international
223
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
les armes et les munitions, les véhicules militaires, etc.857 Le Comité des sanctions, également connu sous le nom de
« Comité des sanctions contre Al-Qaïda et les Talibans » maintient une liste régulièrement mise à jour des individus,
groupes, entreprises et entités désignés (la Liste consolidée) qui sert de base pour l'application des sanctions.858
Dans la dernière résolution adoptée dans le cadre du régime de sanctions contre Al-Qaïda et les Talibans, la
résolution 1822 du Conseil de sécurité de l'ONU (2008), le Conseil de sécurité a réaffirmé que
le terrorisme, sous toutes ses formes et manifestations, constitue l’une des menaces les plus sérieuses contre la paix et la sécurité et que
tous les actes de terrorisme, quels qu’ils soient, sont criminels et injustifiables, quels qu’en soient les motivations, l’époque et les auteurs,
et condamnant une fois de plus catégoriquement le réseau Al-Qaïda, Oussama ben Laden, les Talibans et autres personnes, groupes,
entreprises et entités qui leur sont associés pour les multiples actes de terrorisme qu'ils ne cessent de perpétrer dans le but de provoquer la
mort de civils innocents et d’autres victimes, de détruire des biens et de porter gravement atteinte à la stabilité, . .859
Suite aux attaques terroristes contre les États-Unis du 11 septembre, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté une
résolution 1373 (2001) en vertu du Chapitre VII de la Charte de l'ONU qui oblige les États à prendre une série de
mesures pour prévenir les activités terroristes et criminaliser les diverses formes d'actions terroristes.860 Les États sont
en particulier tenus de criminaliser le financement du terrorisme, de geler tous les fonds liés aux personnes impliquées
dans des actes de terrorisme, de refuser toute forme de soutien financier aux groupes terroristes, de supprimer la
fourniture de refuges, sustentation ou soutien aux terroristes, de criminaliser l'assistance active et passive au terrorisme
dans le droit national et de traduire les contrevenants devant la justice. Les États sont de plus obligés de prendre des
mesures pour aider et promouvoir la coopération entre les pays y compris l'adhésion aux instruments internationaux de
lutte contre le terrorisme.
La résolution 1373 (2001) établit un Comité anti-terrorisme composé de tous les membres du Conseil de
sécurité de l'ONU pour superviser sa mise en place. Les États sont requis de rapporter régulièrement au
Comité les mesures qu'ils ont prises pour appliquer la résolution. En estimant que tout acte de terrorisme
international constitue une menace contre la paix et la sécurité internationales, le Conseil de sécurité a adopté
une définition générale de la menace contre la paix et la sécurité qui n'est plus nécessairement liée à une
situation spécifique. Il faut noter que les obligations imposées par le Conseil de sécurité dans la résolution
1373 (2001) ne sont pas des sanctions mais des mesures qui ressemblent à une « législation modèle ».861
857
858
859
860
861
224
Résolution du CS 1822, Document ONU S/RES/1822 (30 juin 2008) para (1).
Voir également les Directives régissant la conduite des travaux du Comité (9 décembre 2008), disponibles sur <www.un.org/sc/committees/1267/
pdf/1267_guidelines.pdf> consulté le 20 novembre 2009.
Res CS 1822, Doc ONU S/RES/1822 (30 juin 2008).
Res CS 1373, Doc ONU S/RES/1373 (28 sept 2001).
Il a été avancé qu'en adoptant la résolution 1373 (2001) le Conseil de sécurité a agi comme un « législateur mondial ». Certaines des obligations imposées
par le Conseil de sécurité dans la résolution 1373 (2001) ressemblent aux obligations réglementées par les Conventions internationales pour la répression
du financement du terrorisme de 1999. Les mesures contenues dans la résolution ne sont pas liées à une situation spécifique de menace pour la paix et
la sécurité et la menace pour la paix et la sécurité causée par le terrorisme international est définie en termes généraux. Les obligations imposées par
le Conseil de sécurité aux États sont abstraites, générales et illimitées dans le temps. Pour ces motifs, il est possible d'avancer qu'elles remplissent les
caractéristiques de normes « législatives ». Une « législation modèle » similaire a été imposée par la résolution 1540 (2004) du Conseil de sécurité,
adoptée en vertu du Chapitre VII, qui oblige les États à s'abstenir de soutenir, par tout moyen, les acteurs non étatiques, y compris les terroristes, pour
développer, acheter, fabriquer, posséder, transporter, transférer ou utiliser des armes nucléaires, chimiques ou biologiques et leurs systèmes de livraison.
Les États sont tenus d'adopter et de mettre en place des lois appropriées et efficaces qui interdisent à tout acteur non étatique de fabriquer, acheter,
posséder, développer, transporter, transférer ou utiliser des armes nucléaires, chimiques ou biologiques et leurs systèmes de livraison, en particulier à
des fins terroristes, et de prendre et d'appliquer des mesures pour établir des contrôles nationaux pour empêcher la prolifération des armes nucléaires,
chimiques ou biologiques et leurs systèmes de livraison. Contrairement au Comité anti-terroriste, le Comité 1540, qui supervise l'application de la
résolution 1540, a été établi pour une période de deux ans. Res CS 1540, Doc ONU S/RES/1540 (28 avril 2004). Son mandat a par la suite été prolongé
pour deux années supplémentaires (Res CS 1673, UN S/RES/1673 (27 avril 2006)) et ensuite pour une période de trois ans jusqu'à 2011 (Res CS 1810,
UN S/RES/1810 (25 April 2008)).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Dans une résolution supplémentaire 1566 (2004), le Conseil de sécurité a réaffirmé que le terrorisme sous
toutes ses formes et manifestations constituaient l'une des menaces les plus graves pour la paix et la sécurité.862
Agissant en vertu du Chapitre VII, le Conseil de sécurité a appelé les États à prendre des mesures contre les
individus, groupes et entités se livrant à des activités terroristes autres que celles déjà soumises au régime
de sanctions pour Al-Qaïda et les Talibans en vertu de la résolution 1267 (1999) du Conseil de sécurité. La
résolution 1566 (2004) a établi un groupe de travail composé de tous les membres du Conseil de sécurité
pour recommander des mesures pratiques contre ces individus et ces groupes, comprenant des procédures
plus efficaces considérées comme appropriées pour les traduire devant la justice par la biais de poursuites ou
d'extradition, de gel de leurs actifs, etc. La partie opérationnelle de la résolution 1566 (2004) adoptée en vertu
du Chapitre VII fait référence à certains actes qui ne sont jamais justifiables :
les actes criminels, notamment ceux dirigés contre des civils dans l’intention de causer la mort ou des blessures graves ou la prise
d’otages dans le but de semer la terreur parmi la population, un groupe de personnes ou chez des particuliers, d’intimider une
population ou de contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir un acte ou à s’abstenir de le faire,
qui sont visés et érigés en infractions dans les conventions et protocoles internationaux relatifs au terrorisme, ne sauraient en
aucune circonstance être justifiés par des motifs de nature politique, philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou
similaire.863
Il serait excessif d'affirmer que la résolution 1566 (2004) contient une définition contraignante du terrorisme
international, mais la définition ci-dessus offre une orientation pour déterminer quels actes sont considérés
comme des actes terroristes. Dans la résolution 1566 (2004), le Conseil de sécurité a obligé les États à prévenir
de tels actes et s'ils ne sont pas prévenus, à s'assurer que de tels actes soient punis par des pénalités correspondant
à leur gravité.864
Efforts d’établir une convention globale portant sur le terrorisme international
En 1937, la Convention générale pour la prévention et la répression du terrorisme a été rédigée au sein de la
Ligue des Nations mais elle n'a pas obtenu la ratification suffisante pour entrer en vigueur. Cette convention
définissait les actes de terrorisme comme des « faits criminels dirigés contre un État et dont le but ou la nature
est de provoquer la terreur chez des personnalités déterminées, des groupes de personnes ou dans le public »
et dressait une liste des actes devant être criminalisés par les États parties, comprenant ceux entraînant la mort,
des blessures graves ou la perte de liberté pour les Chefs d'État et les agents publics, les dommages aux biens
publics d'un autre État et le risque pour la vie des membres du public.865
Ainsi qu'il a été mentionné ci-dessus, différentes conventions thématiques ont été adoptées depuis lors,
chacune d'entre elles interdisant des actes terroristes spécifiques. La Convention internationale pour la
répression du financement du terrorisme de 1999 a ajouté des actes spécifiquement énumérés « tout autre acte
destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux
hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider
une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à
s'abstenir d'accomplir un acte quelconque ».866
862
863
864
865
866
Résolution du CS 1566, Document ONU S/RES/1566 (8 oct 2004).
Ibid para (3).
Ibid.
Ligue des Nations Doc C546(1).M.383(1).1937.V ; Voir également Ben Saul, ‘The Legal Response of the League of Nations to Terrorism’ (2006)
4 J Int’l Crim Just 78.
Article 2(b) de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, Rés. AG 54/109, Doc ONU A/RES/54/109 (9 déc 1999).
Manuel de droit pénal international
225
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Les efforts visant à éliminer le terrorisme international ont produit des résultats au niveau régional (et sous-régional)
par l'adoption de nombreuses conventions régionales sur le terrorisme international.867 Ces conventions régionales
adoptent une approche nettement différente de la réglementation du terrorisme de celle des conventions
internationales sur le terrorisme. Plutôt que de criminaliser des actes spécifiques, ces conventions régionales sont
plus générales dans leur approche et la majorité d'entre elles réglementent le terrorisme par le biais d'une définition
complète.868 Un exemple de définition légale complète du terrorisme est donné ci-après :
Terrorisme : acte de violence ou de menace de violence quels qu'en soient les mobiles ou objectifs, pour exécuter individuellement
ou collectivement un plan criminel dans le but de terroriser les populations, de leur nuire, de mettre en danger leur vie, leur
honneur, leurs libertés, leur sécurité ou leurs droits, de mettre en péril l'environnement, les services et biens publics ou privés, de
les occuper, ou de s'en emparer, de mettre en danger une des ressources nationales ou des facilités internationales ou de menacer la
stabilité, l'intégrité territoriale, l’unité politique ou la souveraineté des États indépendants.869
Malgré le succès au niveau régional pour développer une définition complète du terrorisme, la communauté
internationale n'y est pas encore parvenue. L'Assemblée générale a adopté par consensus une Déclaration sur
les mesures visant à éliminer le terrorisme international, qui appellent les États, entre autres, à s'abstenir de
soutenir les activités terroristes, à prendre des mesures efficaces pour éliminer le terrorisme international et à
renforcer la coopération dans ce domaine. Cette déclaration expose que
[l]es actes criminels qui, à des fins politiques, sont conçus ou calculés pour provoquer la terreur dans le public, un groupe de
personnes ou chez des particuliers sont injustifiables en toutes circonstances et quels que soient les motifs de nature politique,
philosophique, idéologique, raciale, ethnique, religieuse ou autre que l’on puisse invoquer pour les justifier.870
Les États membres de l'ONU sont actuellement en train de négocier un projet de convention complète sur le
terrorisme international. L'Assemblée générale a chargé son comité ad hoc de la tâche d'élaborer le projet de
convention complète sur le terrorisme international, et de considérer la possibilité d'organiser une conférence
de haut niveau sous les auspices de l'ONU.871 Cette convention viendrait en complément du cadre actuel des
instruments internationaux contre le terrorisme et développeraient les principes clés déjà présents dans les
conventions anti-terroristes récentes :
• l'importance de la criminalisation des crimes terroristes, les rendant punissables par la loi et exigeant la
poursuite et l'extradition des auteurs ;
• la nécessité d'éliminer la législation qui établit des exceptions à cette criminalisation pour des motifs
politiques, philosophiques, idéologiques, raciaux, ethniques, religieux ou similaires ;
• un appel fort aux États membres pour prévenir les actes terroristes ; et
867
868
869
870
871
226
La liste des conventions régionales sur le terrorisme international est disponible sur <www.unodc.org/tldb/en/regional_instruments.html> consulté le 20
novembre 2009.
Les conventions régionales suivantes contiennent des définitions complètes du terrorisme : Convention arabe sur la suppression du terrorisme de 1998
(Ligue des États arabes) ; Convention de l'Organisation de la conférence islamique sur la lutte contre le terrorisme international
(1er juillet 1999) ; Convention de l'OUA sur la prévention et la lutte contre le terrorisme (Organisation de l'union africaine) (14 juillet 1999) ; Traité sur la
coopération à la lutte contre le terrorisme entre États membres de la Communauté des États indépendants (4 juin 1999).
Article 1(2) Convention de l'Organisation de la conférence islamique sur la lutte contre le terrorisme international
(1er juillet 1999).
Res AG 49/60, Doc ONU A/RES/49/60 (17 fév 1995) ; Res AG 51/210, Doc ONU A/RES/51/210 (16 jan 1997).
Rés AG 63/129, Doc ONU A/RES/63/129 (11 déc 2008).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
• l'insistance sur le besoin de coopération entre les États membres pour coopérer, échanger des informations
et se fournir les plus grandes mesures d'assistance en liaison avec la prévention, l'investigation et la
poursuite des actes terroristes.872
Le statut de la CPI
En raison de l'absence d'une définition internationalement acceptable du terrorisme, la communauté
internationale n'a pas été en mesure d'inclure le terrorisme dans la compétence de la CPI.873 D'autres facteurs
qui empêchaient la compétence de la CPI sur le crime distinct de terrorisme étaient liés à certaines inquiétudes
quant au fait que certains actes de terrorisme ne seraient pas assez graves pour garantir des poursuites par la
CPI et la crainte que l'inclusion du terrorisme dans le Statut ne politise le tribunal.874
Cependant, la résolution E passée pendant la Conférence de Rome de 1998 a reconnu que « les actes
terroristes, quels qu'en soient les auteurs, où qu'ils soient commis et quelles qu'en soient les formes, les
méthodes et les motivations, sont des crimes graves qui concernent la communauté internationale ».875 Cette
résolution exprime aussi le regret qu'aucune définition généralement acceptable du crime de terrorisme n'ai
pu être accordée pour être incluse dans la compétence de la CPI. Cette résolution a donc recommandé qu'une
Conférence de révision, devant se tenir en 2010 à Kampala, en Ouganda, en vertu de l'Article 123 du Statut de
la CPI, examine le crime de terrorisme afin d'arriver à une définition acceptable et à son inclusion sur la liste
des crimes relevant de la compétence du Statut de la CPI.876
Même si le crime de terrorisme, en raison du manque de définition, n'a pas été inclus dans la liste des crimes
au sein du Statut de la CPI, ceci ne signifie pas que la compétence de la CPI est totalement exclue dans tous
les cas. Des actes de terrorisme international peuvent également constituer des crimes de guerre, ou des crimes
contre l'humanité, sur lesquels la CPI pourrait exercer sa compétence.
Éléments du terrorisme en tant que crime international
Avec une seule exception possible, aucune cour ou tribunal international n'a de compétence sur le crime
de terrorisme en tant que tel, c'est-à-dire en tant que « crime distinct ». Cette exception est le TSL, dont la
compétence couvre les actes de terrorisme. Pour définir le terrorisme, les juges du TSL doivent cependant
appliquer les dispositions du code pénal libanais.877 Les conventions internationales sur le terrorisme comptent
sur les États pour appliquer nationalement leurs dispositions et en général la plupart des poursuites pour
crimes internationaux ont été effectuées au niveau national.
Un exemple de procès national qui impliquait le terrorisme international a été le procès Lockerbie. Deux
ressortissants libyens ont été tenus responsables pour l'explosion du vol Pan Am 103 en 1988 au dessus de
Lockerbie en Ecosse. Le procès était national mais il a été organisé au niveau international. Les accusés ont
été jugés devant un tribunal écossais appliquant la loi écossaise dans un lieu neutre, à savoir Camp Zeist aux
Pays-Bas. Les accusés n'ont cependant pas été accusés d'avoir commis un acte de terrorisme mais ont été jugés
pour meurtre (voir plus de détails au Chapitre 2).
872
873
874
875
876
877
Voir <www.un.org/terrorism/instruments.shtml> consulté le 15 novembre 2009.
Antonio Cassese, ‘Terrorism as an International Crime’, dans Andrea Bianchi (ed), Enforcing International Law Norms Against Terrorism
(Hart, Oxford 2004) 218.
Christian Much, ‘International Criminal Court (ICC) and Terrorism as an International Crime’ (2006) 14 J Intl L & Practice 121.
Acte final de la Conférence diplomatique des Nations Unies de plénipotentiaires sur la création d'une cour pénale internationale (17 juillet 1998),
Document ONU A/CONF.183/10, Res E.
Ibid.
Article 2 du Statut pour le Tribunal spécial pour le Liban (ci-après Statut du TSL).
Manuel de droit pénal international
227
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Un acte terroriste peut être néanmoins un crime international s'il tombe dans l'une des catégories établies de
crimes contre l'humanité ou de crimes de guerre. Il a cependant été avancé que les instruments internationaux
et régionaux sur le terrorisme mentionnés ci-dessus, avec les lois et les jurisprudences nationales, indiquent
la formation d'un consensus sur une définition du terrorisme comme crime en soi, également désigné comme
terrorisme en tant que « crime distinct ».878
Le terrorisme en tant que crime international distinct
Les éléments de la définition généralement acceptée du terrorisme comme « crime distinct » peuvent être
décrits de la façon suivante :879
Eléments du terrorisme (en temps de paix)
• le terrorisme est constitué par des actes normalement criminalisés en vertu de tout système pénal
national, ou par l'assistance à la réalisation de tels actes si ils sont effectués en temps de paix ;
• ces actes doivent viser à semer la terreur parmi la population ou à contraindre un État ou une
organisation internationale à effectuer une action ;
• ces actes doivent être politiquement ou idéologiquement motivés (c'est-à-dire qu'ils ne sont pas
basés sur la poursuite d'intérêts privés).
Sur la base de la définition ci-dessus, les éléments physiques et moraux suivants peuvent être identifiés.
Eléments physiques (Actus reus)
L'acte terroriste consiste en une conduite qui est une infraction en elle-même, ce qui signifie qu'il est déjà
criminalisé en vertu de tout droit pénal national. Les exemples d'infractions sous-jacentes incluent : le meurtre,
le massacre, les blessures graves, le kidnapping, l'explosion de bombe, le détournement, les dommages graves
au bien, y compris les transports publics et l'environnement, etc.880 Dans certaines circonstances, la conduite
peut être en elle-même légale, par exemple le financement d'une entreprise. Cette conduite devient criminelle
si elle présente la liaison requise avec le terrorisme, par exemple si l'organisation financée est de nature
terroriste.881 De plus, la conduite doit être de nature transnationale ; si elle est limitée au territoire d'un État
sans éléments étrangers, elle relèverait exclusivement de la compétence nationale de cet État.882
878
879
880
881
882
228
L'expression terrorisme en tant que « crime distinct » a été utilisée par Antonio Cassese : Cassese (n232) 164-165.
Cassese (n232) 165.
Ibid 166 ; Cryer et al (n4) 239.
Cassese (n232) 166.
Ibid.
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Éléments moraux (Mens rea)
Le terrorisme, comme le génocide et la persécution en tant que crime contre l'humanité, entre dans la catégorie
des crimes avec intention spécifique. Deux éléments moraux sont donc requis pour le terrorisme :
• élément moral (mens rea) de l'infraction sous-jacente (par exemple, intention de tuer ou de causer une
blessure grave) ;
• intention spécifiques (dolus specialis).
En ce qui concerne l'intention spécifique dans le cas du terrorisme, plusieurs instruments internationaux,
conventions régionales et lois nationales spécifient une intention ou un objectif pour lequel les actes criminels
sont commis : semer la terreur parmi la population ou intimider la population ; persuader ou obliger un
gouvernement ou une organisation internationale à agir ou à s'abstenir d'effectuer tout acte ; déstabiliser ou
détruire les structures politiques, constitutionnelles, économiques ou sociales d'un pays ou d'une organisation
internationale ; créer une insurrection générale dans un État ; etc.883 En résumé, l'intention spécifique peut être
décrite comme celle de « contraindre une autorité publique ou privée importante à effectuer, ou à s'abstenir
d'effectuer, une action ».884
Le terrorisme en tant que crime de guerre
Les actes de terrorisme peuvent constituer des crimes de guerre s'ils sont commis en temps de conflit armé
international ou non international. En d'autres termes, afin que les actes de terrorisme constituent des crimes de
guerre, ils doivent avoir lieu dans le contexte d'un conflit armé international ou interne. Le droit humanitaire
international ne fournit pas de définition du terrorisme mais interdit la plupart des actes commis pendant un conflit
armé qui seraient généralement considérés comme « terroristes » s'ils étaient commis par temps de paix. Le droit
humanitaire international, mentionne cependant spécifiquement et en fait interdit les « mesures de terrorisme » ou
les « actes de terrorisme ».
L'obligation de distinguer entre les civils et les combattants et l'interdiction des attaques sur les civils ou des
attaques sans discrimination, est au coeur du droit humanitaire international. De plus, le droit humanitaire
international prévoit une interdiction expresse de tous les actes visant à semer la terreur parmi les populations
civiles. L'article 51(2) du Protocole additionnel I et l'article 13(2) du Protocole additionnel II des Conventions
de Genève prévoient que « [n]i la population civile en tant que telle ni les personnes civiles ne doivent être
l'objet d'attaques ». Sont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la
terreur parmi la population civile ».885
De plus, l'Article 33(1) de la quatrième convention de Genève prévoit qu'« [a]ucune personne protégée ne peut
être punie pour une infraction qu'elle n'a pas commise personnellement. Les peines collectives, de même que
toute mesure d'intimidation ou de terrorisme, sont interdites ». L'Article 4(2)(d) du Protocole additionnel II
interdit les « actes de terrorisme » contre les personnes qui ne participent pas ou plus aux hostilités. L'objectif
principal est de souligner que ni les individus, ni la population civile, ne peut être soumise à des peines
collectives, qui, entre autres choses, induisent évidemment un état de terreur.
883
884
885
Voir, par exemple, la résolution 1566 (2004) du Conseil de sécurité de l'ONU, Res CS 1566, Doc ONU S/RES/1566 (8 oct 2004) ; Article 2(b) de la
Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, Rés AG 54/109, Doc ONU A/RES/54/109 (9 déc 1999) ; Article 1(2) de la
Convention de l'Organisation de la conférence islamique sur la lutte contre le terrorisme international (1er juillet 1999) ; Décision-cadre du Conseil de
l'UE sur la lutte contre le terrorisme, JO 2002 No L 164/3 ; Article 1(3) de la Convention de l'OUA sur la prévention et la lutte contre le terrorisme de 1999
(14 juillet 1999) ; Article 83.01(1) (B) du Code pénal canadien.
Cette définition de l'intention spécifique a été formulée par Antonio Cassese : Cassese (n232) 168.
Voir aussi <www.icrc.org> consulté le 20 novembre 2009.
Manuel de droit pénal international
229
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Le droit humanitaire international interdit aussi les actes suivants, qui pourraient être considérées comme
des attaques terroristes :886
• les attaques sur les civils et les biens de caractère civil (Articles 51(2) et 52 du Protocole additionnel I ; et
Article 13 du Protocole additionnel II) ;
• les attaques sans discrimination (Article 51(4) du Protocole additionnel I) ;
• les attaques contre les lieux de culte (Article 53 du Protocole additionneI I ; et Article 16 du Protocole
additionnel II) ;
• les attaques ouvrages d'art ou installations contenant des forces dangereuses (Article 56 du Protocole
additionneI I ; et Article 15 du Protocole additionnel II) ;
• la prise d'otages (Article 75 du Protocole additionnel I ; Article 3 commun aux quatre Conventions de
Genève ; et Article 4(2b) du Protocole additionnel II) ;
• le meurtre de personnes ne participant pas ou plus aux hostilités (Article 75 du Protocole additionnel I ;
Article 3 commun aux quatre Conventions de Genève ; et Article 4(2b) du Protocole additionnel II) ;
Le TPIY, le TPIR et le TSSL ont compétence sur le terrorisme en tant que crime de guerre. L'Article 4(d) du
Statut du TPIR et l'Article 3(d) du Statut du TSSL accordent au TPIR et au TSSL, respectivement, compétence
pour poursuivre les personnes qui ont commis ou ordonné de commettre des violations sérieuses à l'Article
3 commun aux Conventions de Genève pour la Protection des victimes de guerre de 1949 et du Protocole
additionnel II de 1977. Ces violations incluent des « actes de terrorisme » et des « menaces de commettre des
actes de terrorisme ». Le terrorisme en tant que crime de guerre tombe dans le champ d'application de l'Article
3 du Statut du TPIY, qui prévoit la compétence sur les violations des lois ou des coutumes de la guerre.
Le cas le plus important de poursuites internationales pour actes de terrorisme est le cas Galić devant le TPIY.
Ce cas est le premier exemple d'un tribunal international prononçant le crime de « terreur contre la population
civile » comme crime de guerre, en particulier en violation des lois ou coutumes de la guerre en vertu de
l'Article 3 du Statut du TPIY.
Le Procureur contre Stanislav Gali 887
(TPIY) Affaire No IT-98-29
En 1992 et 1995, Stanislav Galić était un commandant du Sarajevo Romanija Corps (‘SRK’) de
l'armée serbe de Bosnie, basé autour de Sarajevo en Bosnie-Herzégovine. En novembre 1992, il a été
promu au rang de Major Général. Pour tout le personnel militaire présent à Sarajevo, Galić était le
commandant de jure du SRK, ses supérieurs étant le Chef d'état-major de l'Armée de la République
serbe (« VRS »), Ratko Mladić, et le commandant suprême de la VRS, Radovan Karadžić.888
886
887
888
230
Ibid.
Le Procureur contre Galić (n508) ; Le Procureur contre Galić (TPIY) Affaire No IT-98-29-A, Arrêt (30 novembre 2006).
Le Procureur contre Galić (TPIY) Affaire No IT-98-29-A, Arrêt (30 novembre 2006) parag (2).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Galić a été inculpé en 1999 pour avoir mené :889
• une campagne de bombardements et d'attaques par des tireurs embusqués contre des zones civiles
de Sarajevo entre le 10 septembre 1992 et le 10 août 1994, répandant ainsi la terreur parmi la
population civile (Chef d'accusation Nº 1) ;
• une compagne prolongée et coordonnée d'attaques de tireurs embusqués contre la population civile
de Sarajevo, tuant et blessant de nombreux civils de tout âge et des deux sexes (Chefs d'accusation
2 à 4) ;
• une campagne coordonnée et prolongée de tirs d'artillerie et de bombardements au mortier contre
les zones civiles de Sarajevo et sa population civile, faisant des milliers de tués et de blessés parmi
les civils(Chefs d'accusation 5 à 7).
Le 5 décembre 2003, la Chambre de première instance, à la majorité, a jugé Galić coupable de :890
• actes de violence, dont l'objectif principal était de semer la terreur parmi la population civile, une
violation des lois ou des coutumes de la guerre (crimes de guerre), ainsi que l'expose l'Article 51
du Protocole additionnel I aux Conventions de Genève de 1949 (Chef d'accusation 1) ;
• le meurtre en tant que crime contre l'humanité par attaque de tireur embusqué (Chef d'accusation
2) :
• actes inhumains autres que le meurtre en tant que crimes contre l'humanité par le biais de tirs
embusqués (Chef d'accusation 3) ;
• le meurtre en tant que crime contre l'humanité par bombardement (Chef d'accusation 5) ;
• actes inhumains autres que le meurtre en tant que crimes contre l'humanité par le biais de
bombardements (Chef d'accusation 6).
En conséquence de la déclaration de culpabilité pour le chef d'accusation 1, la Chambre de première
instance a rejeté les chefs d'accusation 4 et 7 (attaques sur les civils exposées à l'Article 51 du
Protocole additionnel I et Article 13 du Protocole additionnel II des Conventions de Genève de 1949
en tant que violations des lois et coutumes de la guerre) car ils ne pouvaient être cumulés (voir cidessous la « Multiplicité des infractions »).891
Galić a été condamné à une seule peine d'emprisonnement de 20 ans. Le juge Nieto-Navia a annexé
une opinion dissidente, dans lequel il exprimait son désaccord avec de nombreux résultats factuels et
avec la décision à la majorité selon laquelle le TPIY avait compétence sur le crime de terreur.892
Tant le Procureur que Galić ont fait appel du jugement. Galić a déposé de multiples motifs de
contestation contre le jugement, tandis que le Procureur a fait appel de la sentence uniquement. Dans
son jugement du 30 novembre 2006, la Chambre d'appel a rejeté l'appel de Galićet autorisé, à la
majorité, 893 l'appel du Procureur et a augmenté la sentence de Galićà l'emprisonnement à vie.894
889
890
891
892
893
894
Ibid para (3).
Le Procureur contre Galić (n508) para (769).
Ibid.
Ibid Opinion individuelle et dissidente du Juge Nieto-Navia.
l'opinion partiellement dissidente du Juge Pocar, et l'opinion dissidente du Juge Meron ; Le Procureur contre Galić (n888), Opinion partiellement
dissidente du Juge Pocar, 186–188, et opinion individuelle et partiellement dissidente du Juge Meron, 203–210.
Le Procureur contre Galić (n888) 185 (disposition).
Manuel de droit pénal international
231
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Comme indiqué dans le résumé ci-dessus, Galić a été inculpé en vertu du Chef d'accusation 1 pour violations
des lois ou coutumes de la guerre, spécifiquement pour « répandre illégalement la terreur parmi la population
civile, prohibition inscrite à l'article 51 du Protocole additionnel I et à l'article 13 du Protocole additionnel II
aux Conventions de Genève de 1949 », sanctionnées par l'article 3 du Statut du Tribunal.895 Les paragraphes
introduisant le Chef d'accusation 1 allèguent que Galić, en tant que commandant du SRK, « a mené une
campagne prolongée de bombardements et de tirs [isolés] contre des zones civiles de Sarajevo et contre la
population civile, répandant la terreur en son sein et lui infligeant des souffrances morales ».896
La Chambre d'appel dans l'affaire Galić a premièrement délimité le crime de terreur comme violation des lois
ou coutumes de la guerre en vertu de l'Article 3 du Statut du TPIY. La Chambre d'appel a estimé qu'au chef
1 de l'Acte d’accusation, Stanislav Galić est poursuivi, sur la base de l'article 3 du Statut, de l'article 51 2) du
Protocole additionnel I et de l'article 13 2) du Protocole additionnel II « pour actes ou menaces de violence dont
le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile. Ce crime suppose l'intention de répandre la
terreur pendant un conflit armé lorsqu'il est commis par des combattants ».897
La Chambre d’appel a ensuite estimé que l’interdiction de terroriser la population civile édictée par l’article
51 (2) du Protocole additionnel I et l’article 13 (2) du Protocole additionnel II faisait déjà partie intégrante
du droit international coutumier lors de son insertion dans ces traités.898 En ce qui concerne la criminalisation
de l'interdiction, la Chambre d’appel conclut à la majorité des juges, qu’à l’époque des faits, la violation de
l’interdiction de terroriser la population civile édictée par l’article 51 (2) du Protocole additionnel I et l’article 13
(2) du Protocole additionnel II engageait en droit international coutumier la responsabilité pénale individuelle de
son auteur depuis au moins l’époque des faits.899
La Chambre d'appel a de plus défini les éléments physiques (actus reus) et moraux (mens rea) du crime en
question. La Chambre d'appel a décrit les éléments physiques de la façon suivante :
[L]e crime d'actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile peut
comprendre des attaques ou des menaces d'attaque contre la population civile. Les actes ou menaces de violence constitutifs d’un
crime de terrorisation ne se ramènent toutefois pas aux attaques — ou menaces d’attaques — dirigées directement contre des
civils, mais peuvent prendre la forme d’attaques — ou menaces d’attaques — indiscriminées ou disproportionnées. Les actes ou
menaces de violence à l’endroit de la population civile peuvent être de différentes nature ; ce qui importe . . c’est que ces actes ou
menaces de violence soient commis avec l’intention spécifique de répandre la terreur parmi la population civile. De plus, on ne
peut pas parler d'actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile pour un
attentat à l'explosif qui n'a rien à voir avec une attaque militaire en cours. Il en va différemment en revanche lorsque les attaques
visent « à maintenir les habitants dans un état de terreur constant ». Ces traumatismes et troubles psychologiques graves font
partie des actes ou menaces de violence.
La Chambre d'appel conclut que « la terrorisation effective des populations civiles n'est pas un élément
constitutif du crime ».900 Dans Dragomir Milošević, la Chambre d'appel a précisé que causer la mort ou des
atteintes graves au corps ou à la santé représente un seul des modes possible de réalisation du crime de terreur,
et que ceci n'est pas un élément de l'infraction en soi. Ce qui est requis, cependant, afin que l'infraction relève
de la compétence du TPIY, est que les victimes aient souffert des conséquences graves résultant des actes ou
895
896
897
898
899
900
232
Le Procureur contre Galić (n508) para (64).
Ibid para (65).
Le Procureur contre Galić (n888) para (69) (note de bas de page omise).
Ibid paras (86)–(90).
Ibid paras (86), (91)–(98). Juge Schomburg en désaccord, Voir l'opinion individuelle et partiellement dissidente du Juge Schomburg, 213–219.
Ibid paras (103)–(104).
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
menaces de violence, ces conséquences graves incluant, sans que cela soit limitatif, la mort ou les atteintes
graves au corps ou à la santé.901
Le mens rea du crime d'actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la
population civile comprend l'intention spécifique de répandre la terreur parmi la population civile.902 Un simple
dolus eventualis ou la témérité doivent donc être exclus.903 Si répandre la terreur doit être le principal objectif
des actes ou menaces de violence, il n'est pas nécessairement le seul.904 Cette intention peut être déduite des
caractéristiques des actes ou menaces de violence, c'est-à-dire de « leur nature, leurs modalités, leur chronologie
et leur durée ».905 Cependant, ceci ne constitue par une liste des considérations obligatoires mais une indication de
certains facteurs qui peuvent être pris en compte selon les circonstances du cas.906
Le TSSL a adopté le raisonnement de la Chambre d'appel de Galić et sa définition du terrorisme en cas de
conflit armé dans « l'affaire CDF » impliquant deux dirigeants des Forces de défense civile du Sierra Leone
(« CDF »).907 Les deux accusés, Moinina Fofana et Allieu Kondewa, étaient inculpés, entre autres, d'actes de
terrorisme et de peines collectives en tant que violations de l'Article 3 commun aux Conventions de Genève
et au Protocole additionnel II, interdit en vertu de l'article 3 du Statut du TSSL. La Chambre de première
instance a cependant acquitté les deux accusés de ce crime car il n'était pas prouvé au delà de tout doute
raisonnable que les accusés possédaient le mens rea requis pour établir la responsabilité pénale.908
Le TSSL s'est également prononcé sur les actes de terrorisme en tant que crime de guerre dans « l'affaire
RUF » impliquant trois anciens chefs du Front révolutionnaire uni (« RUF »), Hassan Sesay, Morris Kallon, et
Augustine Gbao, qui ont été inculpés pour 18 chefs d'accusation de crimes contre l'humanité, crimes de guerre
et autres violations du droit humanitaire international.909 La Chambre de première instance du TSSL a suivi
les raisonnements de la Chambre d'appel dans « l'affaire CDF » et sur la base de l'article 3 du Statut du TSSL
a condamné les trois accusés d'actes de terrorisme en violation de l'article 3 commun aux Conventions de
Genève et au Protocole additionnel II.910
La Chambre d'appel du TSSL a de plus établi que des actes de terrorisme peuvent être constitués de menaces
de violence « indépendamment du fait de savoir si ces actes ou menaces de violence satisfont les éléments de
tout autre infraction criminelle ».911 Cependant, tous les actes ou menaces de violence ne seront pas suffisants.
Le crime d'actes de terrorisme peut être prouvé par tout acte ou menace de violence « capable de répandre
une peur extrême parmi les populations civiles ».912 Par exemple, les actes d'incendier sont des actes ou des
menaces qui sont potentiellement capables de répandre la terreur même s'ils ne satisfont pas aux éléments du
pillage. Il convient de juger au cas par car si un acte ou une menace de violence est à même de répandre la
terreur en fonction du contexte particulier.913
901
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913
Le Procureur contre Slobodan Milošević (TPIY) Affaire No IT-98-29/1-A, Arrêt rendu en pourvoi (12 novembre 2009) paragraphe (33). Dragomir
Milošević était le général commandant le corps Sarajevo-Romanija de l'armée de la Republika Srpska qui a repris le poste de Stanislav Galić. Comme
Galić, Dragomir Milošević a été inculpé par le TPIY pour avoir mené une campagne d'attaques par tirs embusqués et bombardements sur la ville de
Sarajevo dont l'objectif principal était de semer la terreur parmi la population civile pendant la période d'août 1994 à novembre 1995.
Le Procureur contre Galić (n888) para (104).
Le Procureur contre Galić (n508) para (136).
Le Procureur contre Galić (n888) para (104) ; Le Procureur contre Slobodan Milošević (n901) para (37).
Le Procureur contre Galić (n888) para (104).
Le Procureur contre Slobodan Milošević (n901) para (37).
Le procureur contre Fofana & Kondewa (TSSL) Affaire No SCSL-03-14-A, Arrêt (28 mai 2008) para (350).
Le procureur contre Fofana & Kondewa (TSSL) Affaire No SCSL-03-14-T, Jugement (2 août 2007) paras (731), (743), (779)–(789), (879) ; confirmé en
appel, Affaire No SCSL-03-14-A, Arrêt (28 mai 2008) para (379).
Le Procureur contre Sesay, Kallon et Gbao (TSSL) Affaire No SCSL-04-15-A, Arrêt (26 octobre 2009) para (14).
Le Procureur contre Sesay, Kallon et Gbao (TSSL) Affaire No SCSL-04-15-PT, Acte d'accusation consolidé amendé et corrigé (2 août 2006) para (44).
Le procureur contre Fofana & Kondewa (TSSL) Affaire No SCSL-03-14-A, Arrêt (28 mai 2008) para (352), (359).
Ibid para (359).
Ibid para (352).
Manuel de droit pénal international
233
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Le terrorisme en tant que crime contre l'humanité
Les actes terroristes ne sont pas inclus en tant que crimes contre l'humanité dans les Statuts des tribunaux
internationaux ad hoc ou la CPI. Cependant, les actes de terrorisme peuvent représenter des crimes contre l'humanité
(par exemple, le meurtre ou la torture en tant que crime contre l'humanité) s'ils répondent aux critères pour cette
catégorie de crimes. Les actes terroristes doivent en particulier faire partie d'une attaque étendue et systématique
dirigée contre une population civile. De plus, les auteurs d'un tel acte doivent avoir conscience que leurs actes font
partie d'une attaque étendue ou systématique (voir ci-dessus la section sur les Crimes contre l'humanité).914
Dans l'affaire Galić devant le TPIY, l'accusé a été inculpé et condamné pour crimes contre l'humanité de
meurtre et actes inhumains sur la base des mêmes faits que le crime de guerre de terreur.915
Conclusion
Le droit pénal international en matière de terrorisme international est toujours en cours d'élaboration et de
consolidation. Même s'il n'existe pas actuellement de définition légale complète du terrorisme, les actes de
terrorisme peuvent être qualifiés de crimes internationaux entraînant la responsabilité pénale individuelle
s'ils répondent aux critères de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité. Aucune cour ou tribunal
international n'a eu pour l'instant compétence sur le terrorisme en tant que « crime distinct ». Néanmoins cette
catégorie de terrorisme semble être en évolution et pourrait relever de la compétence de la CPI dans le futur.
Trois catégories de torture comme crime international
• Le terrorisme en tant que crime de guerre ;
• Le terrorisme en tant que crime contre l'humanité ;
• Le terrorisme en tant que « crime distinct ».
Multiplicité des infractions
Il arrive souvent que la conduite d'un auteur réponde aux définitions de plusieurs crimes. Selon les éléments
et les circonstances des crimes, des meurtres peuvent par exemple être simultanément poursuivis en tant que
génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre. La question est de savoir si le cumul de qualifications
pour les mêmes infractions est acceptable, et dans l'affirmative, dans quelles conditions et avec quelles
conséquences légales.
La jurisprudence du TPIY et du TPIR établit généralement que le cumul de qualifications pour plusieurs
crimes sur la base de la même conduite est acceptable. « Le cumul de qualifications est autorisé parce que,
avant la présentation de l'ensemble des moyens de preuve, on ne peut déterminer avec certitude laquelle des
accusations portées contre l'accusé sera prouvée ».916 Sur la base du même raisonnement, la Chambre d'appel a
affirmé l'admissibilité générale des qualifications alternatives.917
914
915
916
917
234
Article 5 du Statut du TPIY ; Article 3bdu Statut du TPIR ; Article 7 du Statut de la CPI.
Voir le Procureur contre Galić (n508) paras (595)–(602).
Le Procureur contre Delalić et al (TPIY) Affaire No IT-96-21-A, Arrêt (20 février 2001) para (400).
Le Procureur contre Naletilić et Martinović (TPIY) Affaire No IT-98-34-A, Arrêt (15 juillet 1999) paras (102)–(270)
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
En ce qui concerne la pratique du cumul de déclarations de culpabilité, la Chambre d'appel du TPIY a estimé
dans Čelebići qu'un accusé ne peut être déclaré coupable de plus d'un crime pour la même conduite que si l'un
des crimes est lex specialis.918 Ceci signifie que des déclarations de culpabilité multiples passées sur la base de
différentes dispositions statutaires, mais à raison d'un même fait, ne sont acceptables que si chaque disposition
statutaire impliquée a un élément nettement distinct qui fait défaut dans l'autre. Un élément est nettement
distinct s’il exige la preuve d’un fait que n’exigent pas les autres.919 Lorsque ce critère n’est pas rempli, seule
la déclaration de culpabilité passé sur la base de la disposition la plus spécifique sera passée car elle implique
la moins spécifique.920
Le TPIR a appliqué le même critère dans Musema où la Chambre d'appel a estimé qu'en relation avec le
génocide et l'extermination en tant que crime contre l'humanité, le cumul des déclarations de culpabilités
était acceptable. En particulier, le génocide exige la preuve d'une intention de détruire, en totalité ou en
partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ce qui n'est pas requis par l'extermination, tandis
que l'extermination en tant que crime contre l'humanité exige une preuve que le crime a été commis dans le
cadre d'une attaque étendue et systématique contre la population civile, ce qui n'est pas requis dans le cas du
génocide.921
Lorsque l'accusé est déclaré coupable de plusieurs crimes sur la base de la même conduite, la peine imposée
doit rendre compte « du comportement criminel dans son ensemble et de toute la culpabilité de l'auteur ».922
Le Statut de la CPI ne contient aucune disposition spécifique sur la question de la multiplicité des infractions
même si elle envisage la possibilité qu'une personne doit déclarée coupable de plus d'un crime. En particulier,
l'article 78(3) du Statut de la CPI prévoit que « lorsqu'une personne est reconnue coupable de plusieurs
crimes, la Cour prononce une peine pour chaque crime et une peine unique indiquant la durée totale
d'emprisonnement ».923
Observations finales
Il existe un large consensus dans la communauté internationale sur les crimes qui présentent le plus grand
problème international et qui sont appelés « crimes les plus graves » : l'agression, le génocide, les crimes
contre l'humanité et les crimes de guerre. Hormis les « crimes les plus graves », il existe d'autres crimes
internationaux tels que la torture et le terrorisme.
Ainsi que le montre la discussion précédente de ce chapitre, il existe un large éventail de problèmes associés
avec les définitions et les éléments des crimes internationaux. Avec la création du TPIY et du TPIR, il y a eu
une multiplication de la jurisprudence sur ce sujet, qui a contribué à fournir des définitions de divers crimes
et ce processus a été consolidé par la rédaction du Statut de la CPI. Ces crimes continueront à être définis et
raffinés par la CPI et les tribunaux internationaux actuels, ainsi que par les tribunaux nationaux, conformément
à l'évolution des normes d'une conduite caractérisée par l'humanité et dans l'esprit du développement
progressif du droit international.
918
919
920
921
922
923
Gerhard Werle, ‘General Principles of International Criminal Law’, dans Antonio Cassese (ed), The Oxford Companion to International Criminal Justice
(OUP, Oxford 2009).
Le Procureur contre Delalić et al (TPIY) (n916) paras (412) ; Le Procureur contre Akayesu (n346) para (468).
Le Procureur contre Delalić et al (n916) para (413).
Le Procureur contre Musema (n371) paras (363), (366)–(367). Voir d'autres exemples dans Gabrielle McIntyre, ‘Cumulative Convictions’, dans Antonio
Cassese (ed), The Oxford Companion to International Criminal Justice (OUP, Oxford 2009).
Le Procureur contre Delalić et al (n916) para (430).
Article 78(3) du Statut de la CPI.
Manuel de droit pénal international
235
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Exercices et études de cas
Les crimes de guerre
• Quelle est la relation entre le droit humanitaire international et le droit pénal international ?
• Quelles sont les sources du droit humanitaire international ?
• Comment un conflit armé international est-il prouvé ?
• Le droit humanitaire international n'offre-t-il une protection que pendant les conflits armés ?
• Des troubles internes peuvent-ils être qualifiés de conflit interne ? Comment définissez-vous un conflit
international en droit humanitaire international ?
• Hormis les violations graves de la Convention de Genève de 1949, d'autre violations du droit humanitaire
international constituent-elles des crimes de guerre en vertu du Statut de la CPI ?
• Quel est le seuil pour qu'une violation du droit humanitaire international puisse être qualifié de crime de
guerre relevant de la compétence de la CPI ?
• Quels sont les éléments qui doivent être prouvés pour une condamnation pour crime de guerre ?
• Quels sont les éléments communs à tous les crimes de guerre ?
• Un civil peut-il être déclaré coupable d'un crime de guerre ?
• Quels sont les groupes protégés par le droit humanitaire international ?
• Pouvez-vous citer cinq infractions sous-jacentes qui peuvent constituer des crimes de guerre ?
Les crimes contre l'humanité
• Quelle est la distinction entre un crime de guerre et un crime contre l'humanité ?
• Une infraction doit-elle être liée à un conflit armé afin de constituer un crime contre l'humanité ?
• Qui est visé par les crimes contre l'humanité ? Une infraction contre le personnel militaire peut-elle
constituer un crime contre l'humanité et dans l'affirmative, dans quelles conditions ?
• Quels sont les éléments qui doivent être prouvés pour une condamnation pour crime contre l'humanité ?
• Une infraction sous-jacente doit-elle être commise pour des motifs discriminatoires afin d'être qualifiée de
crime contre l'humanité ?
• Pouvez-vous citer cinq infractions sous-jacentes qui peuvent constituer des crimes contre l'humanité ?
236
Manuel de droit pénal international
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
Le génocide
• Quel type d'intention doit être prouvée afin qu'une personne soit condamnée pour génocide ?
• Quels sont les groupes protégés par la Convention sur le génocide ? Un autre groupe peut-il bénéficier de la
même protection que celle fournie par la Convention sur le génocide ?
• Quelles sont les conditions pour que la victime soit considérée comme membre du groupe protégé ?
Comment pouvons-nous prouver qu'un groupe constitue, par exemple, un groupe ethnique qui diffère de
l'ethnicité des auteurs du crime ?
• Chaque auteur doit-il avoir une intention spécifique de détruire ou est-il suffisant, soit pour tous, ou au
moins pour les non dirigeants, qu'ils aient connaissance d'un plan collectif et qu'ils prévoient que leur
conduite le favorisera ?
• Quelle est une distinction entre une intention spécifique et une intention normale ?
• Le motif est-il pertinent ?
• Le plan de destruction d'un groupe doit-il être prouvé pour la condamnation pour génocide ?
• Quelle est la « totalité » ou la « partie » d'un groupe ?
• Quelle est la signification de « détruire » aux fins de l'intention spécifique ?
• Quelle sorte de preuve suffira pour prouver l'intention spécifique pour détruire un groupe en totalité ou en
partie, dans le cas d'un auteur de haut niveau tel qu'un responsable militaire ou politique haut placé ?
• Une échelle de destruction peut-elle être prouvée réellement ?
• Le commandant doit-il avoir une intention spécifique afin d'être condamné pour génocide pour les actes
constituant un génocide commis par ses subordonnés ?
• Tout type de participation peut-il constituer un génocide ? Quels sont les actes spécifiques (sous-jacents)
qui peuvent entraîner un génocide et quels sont leurs éléments ?
L'agression
• Le crime d'agression a-t-il été déjà poursuivi devant une cour ou un tribunal international ?
• Dans quel instrument la guerre a-t-elle été interdite pour la première fois ?
• L'utilisation de la force en vertu de l'article 2(4) de la Charte de l'ONU est-elle absolument interdite ?
• La compétence de la CPI s'étend-elle au crime d'agression ?
• Pensez-vous que la détermination par le Conseil de sécurité de l'ONU de l'existence d'un acte d'agression
doit être une condition préalable pour déclencher des poursuites pour le crime d'agression ?
Manuel de droit pénal international
237
chapitre 3 Le droit matériel concernant les crimes internationaux : Définitions
La torture
• La torture est-elle un crime international ?
• La torture peut-elle être justifiée par certaines circonstances, telles que la prévention d'actes terroristes ou
autres crimes abominables ?
• Quels sont les éléments physiques et moraux de la torture en vertu de l'UNCAT ?
Le terrorisme
• Le terrorisme est-il un crime international ?
• Existe-t-il une définition généralement acceptée du terrorisme ?
• Quelle est la question controversée qui reste à discuter dans le contexte du terrorisme ?
• Comment définiriez-vous les éléments physiques et moraux du terrorisme ?
Étude de cas
Veuillez vous référer aux allégations factuelles concernant le conflit entre l'Astanie et la Bestanie fournies au
Chapitre 1 avant de répondre aux questions ci-dessous.
Questions
• Sur la base des faits, vous devez décider s'il existe des motifs suffisants pour inculper de crimes internationaux
les acteurs impliqués dans ce conflit. Veuillez considérer les accusations appropriées en ce qui concerne les
infractions commises pendant le conflit, telles que crimes de guerre, crimes contre l'humanité, génocide. S'il
existe plus d'une option, veuillez indiquer les alternatives possibles.
• Vous travaillez comme assistant juridique pour l'accusation et le Procureur général vous demande de
fournir des conseils juridiques sur les questions suivantes :
• Que faut-il prouver pour chacune des accusations suggérées dans la réponse à la question précédente ?
• Quelles sont les preuves pertinentes pour ces accusations qui soutiennent actuellement ces accusations ?
• Quelles preuves supplémentaires pertinentes pour ces accusations le Procureur doit-il rechercher, pour
l'accusation et pour la défense ?
238
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Chapitre 4 – Responsabilité pénale individuelle
Objectifs d'apprentissage
Familiariser les participants avec les principes généraux de la légalité et non bis in idem qui régissent la
responsabilité pénale individuelle.
Fournir des connaissances basiques sur les différentes formes de responsabilité pour lesquelles les individus et
les membres d'un groupe peuvent être poursuivis pour des crimes internationaux.
Définir les éléments de chaque forme de responsabilité dont les poursuites ont besoin d'établir afin de prouver
la responsabilité pénale individuelle desdits crimes.
Donner un aperçu des motifs de contestation ou d'atténuation de la responsabilité pénale.
Questions
Avez-vous, dans l'exercice de vos fonctions en tant que juge, procureur ou avocat, déjà été impliqué dans
la détermination des formes de responsabilité qui doivent être appliquées aux procédures alléguant que des
crimes internationaux ont été commis ?
Quelles formes de responsabilité étaient appliquées et comment ces formes ont-elles été choisies ?
Avez-vous rencontré des problèmes concernant l'application de ces formes de responsabilité aux individus
présumés avoir commis les crimes, c.-à-d. des lacunes ou imprécisions dans leur application ?
Comment se sont terminées ces poursuites ?
Introduction
Bien que non sans controverses, les violations substantielles du droit pénal international sont désormais
raisonnablement bien établies et possèdent un long pédigrée historique. Nous ne pouvons pas en dire autant
des doctrines de responsabilité individuelle, qui ont uniquement été fortement prises en considération au cours
des 15 dernières années. Étant donné qu'elles sont en grande partie le produit de la légifération judiciaire,
plutôt que le consentement exprès de l'État, elles continuent de compromettre un domaine de droit susceptible
d'être un défi légal. Le présent Chapitre présente les principales doctrines utilisées par les juridictions
internationales dominantes afin d'analyser l'attribution de la responsabilité pour les crimes internationaux et de
les situer dans le contexte des garanties fondamentales de procès équitable.
Principes généraux du droit pénal
Le droit entourant la responsabilité pénale fait partie d'un corpus de lois plus grand connu comme les
« principes généraux » du droit pénal. Il peut être argué que ces principes généraux représentent le cœur du
droit pénal international et ses principales garanties d'efficacité et d'équité.924
En raison de la nature même du droit international, ni le contenu ni l'origine précise de la majorité des normes
du droit international n'est complètement clair : beaucoup sont ouverts à l'interprétation et à l'argumentation.
924
Voir Le procureur contre Tadić (TPIY) Affaire No IT-94-1-T, « Décision sur la requête d'appel pour l'appel interlocutoire sur la juridiction » (2 octobre 1995)
para (45).
Manuel de droit pénal international
239
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Étant donné que les crimes substantiels considérés par les juridictions pénales internationales sont souvent les
produits du droit international, ils peuvent également être ouverts aux mêmes critiques.
Parmi leurs autres fonctions, les principes généraux du droit pénal sont la mesure que les juristes utilisent
pour tester une application de norme substantielle dans un cas particulier. Deux principes fondamentaux - le
principe de la légalité et le principe non bis in idem – sont essentiels à cet égard. Ils sont traités plus en détail
ci-dessous.
Il faut également noter que les principes généraux du droit pénal informent beaucoup sur le droit procédural
appliqué par les juridictions internationales. À des fins pratiques, il est essentiel de se reporter au Règlement
de procédure et de preuve en vigueur dans un tribunal en particulier. Cependant, en les comparant, certains
thèmes généraux ont tendance à ressortir. Ces thèmes, qui reflètent les principes du droit pénal, offrent un
aperçu potentiel d'un droit général de procédure pénale internationale.
Le principe de la légalité
Le principe de la légalité est un concept fondamental qui formule les critères de l'application légitime du
droit pénal. Souvent décrit en faisant référence à la maxime latine « nullum crimen, nulla poena sine lege »
(« aucun crime, aucune sanction sans droit »), le cœur du principe se trouve dans l'idée qu'une personne peut
uniquement être responsable du point de vue pénal et punie si, au moment où elle commet un certain acte,
l'acte était considéré comme une infraction pénale par l'ordre juridique compétent.925 Depuis le tout début
du droit pénal international, le principe a représenté une force essentielle dans le cadre de litiges et a été
expressément identifié et appliqué comme une contrepartie dominante dans l'utilisation des doctrines stipulant
différentes formes de responsabilité pénale individuelle.926
Tous les instruments internationaux importants protégeant les droits civils et politiques en général incluent une
disposition donnant effet au principe de la légalité :
Article 7(2) de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples :
Personne ne peut être condamné pour un acte ou une omission qui ne constituait pas un délit légalement punissable au moment où
il a été commis. Aucune peine ne peut être infligée pour un délit pour lequel aucune disposition n'a été faite au moment où il a été
commis. La sanction est personnelle et peut être uniquement imposée sur l'auteur de l'infraction.927
Article 9 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme (ci-après CADH) liberté des lois ex post
facto :
Personne ne doit être condamné pour tout(e) acte ou omission qui ne constituait pas une infraction pénale, conformément au droit
applicable, au moment où il a été commis. Une sanction plus lourde ne doit pas être imposée sur celle qui était applicable au
moment où l'infraction pénale a été commise. Si, après avoir commis l'infraction, le droit stipule l'imposition d'une sanction moins
lourde, la personne coupable doit en bénéficier.928
925
926
927
928
240
Antonio Cassese, « Nullum Crimen Sine Lege » dans Antonio Cassese (éd), The Oxford Companion to International Criminal Justice (OUP, Oxford
2009) 438.
Le Procureur contre Bagilishema (TPIR) Affaire No ICTR-95-1A-A, Jugement d'appel (3 juillet 2002) para (34) ; Le procureur contre Milutinović et
al (TPIY) Affaire No IT-99-37-AR72, Décision concernant la requête de Dragoljub Ojdanićcontestant la juridiction – Entreprise criminelle commune
(21 mai 2003) para (21) ; Le procureur contre Fofana et Kondewa (TSSL) Affaire No SCSL-04-14-T, Jugement de première instance (2 août 2007) para
(202).
Charte africaine des droits de l'homme et des peuples (26 juin 1981) OUA Doc CAB/LEG/67/3 Rév. 5, 1520 UNTS 217, 21 ILM 58 (1982).
Convention américaine relative aux droits de l'homme (22 nov. 1969), Traité OEA, série No 36 ; 1144 UNTS 123, 9 ILM 99 (1969).
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Article 7(1) de la CEDH – aucune sanction sans droit :
Nul ne sera condamné pour toute infraction criminelle sur le compte des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte
délictueux conformément au droit national ou international au moment où elles ont été commises. Une sanction plus lourde ne
doit pas être imposée sur celle qui était applicable au moment où l'infraction pénale a été commise. . .929
Article 15(1) du PIDCP :
Nul ne sera condamné pour toute infraction criminelle sur le compte des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte
délictueux conformément au droit national ou international au moment où elles ont été commises. Une sanction plus lourde ne doit
pas être imposée sur celle qui était applicable au moment où l'infraction pénale a été commise. Si, après avoir commis l'infraction, le
droit stipule d'imposer une sanction moins lourde, l'auteur de l'infraction doit en bénéficier. . .930
Les juridictions de droit civil, qui adoptent fréquemment une approche particulièrement stricte dans ce
contexte, interprètent souvent le principe de la légalité comme l'imposition de quatre exigences strictes : lex
praevia, lex certa, lex stricta, lex scripta (le droit doit avoir précédé l'infraction, le droit doit être sûr, le droit
doit être interprété strictement, le droit doit avoir existé sous forme écrite).931 Dans les juridictions de droit
commun, où la légifération du juge prévaut ou est au moins fermement ancrée dans le système judiciaire, il
existe une tendance à adopter une approche qualifiée de ces principes.932 Cependant, les traditions du droit
civil et du droit commun convergent vers le point essentiel : « le principe sous-jacent est qu'aucune [personne]
ne doit être tenue responsable du point de vue pénal pour avoir eu une conduite pour laquelle [elle] ne pouvait
pas raisonnablement comprendre qu'elle était interdite. ».933
La CEDH, qui est informée des notions du droit civil et du droit commun, a interprété le principe de la
manière suivante :
L'[A]rticle 7 para 1. . de la Convention ne se restreint pas à l'interdiction de l'application rétroactive du droit pénal au désavantage
d'un accusé. Il incarne également, de manière plus générale, le principe que seul le droit peut définir un crime et prescrire une
sanction (nullum crimen, nulla poena sine lege) et le principe que le droit pénal ne doit pas être considérablement interprété au
détriment d'un accusé, par exemple par analogie, il découle du fait qu'une infraction doit être clairement définie dans le droit. Cette
condition est satisfaite lorsque l'individu peut savoir de la formulation de la disposition applicable et, si besoin est, avec l'aide de
l'interprétation de celle-ci par les tribunaux, quels actes et omissions [le] rendront responsable.934
Dans le principe de légalité, nous pouvons discerner les garanties fondamentales suivantes :
• le principe de nullum crimen ;
• le principe de nulla poena ;
• le principe de non-rétroactivité ;
• le principe de spécificité ;
• l'interdiction d'analogie ; et
• le principe favor rei.
929
930
931
932
933
934
Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (4 nov. 1950) 213 UNTS 222, 312 ETS 5.
Pacte international relatif aux droits civils et politiques (16 Déc 1966) 999 UNTS 171.
Kai Ambos, « Remarks on the General Part of International Criminal Law » (2006) 4 J Int’l Crim Just 660, 669–671.
Antonio Cassese, « Nullum Crimen Sine Lege » (n925) 438, 438.
Les États-Unis contre Harriss (1954) 347 US 612, 617.
Kokkinakis contre la Grèce (App No 14307/88) (1994) 17 RDHE 397, (2003) 260-A CEDH série A, para (52).
Manuel de droit pénal international
241
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Les principes de non-rétroactivité, de spécificité, l'interdiction d'analogie et l'interprétation en faveur de
l'accusé sont souvent considérés comme provenant du, ou comme des sous-catégories du, principe nullum
crimen, nulla poena sine lege qui est, à son tour, utilisé comme un terme général.935 Le rôle de chaque garantie
dans la jurisprudence des différents tribunaux pénaux internationaux est défini ci-dessous.
Il est toutefois important d'émettre des réserves. En pratique, ni les garanties identifiées par la CEDH ni les
quatre garanties plus familiarisées avec le droit civil ne doivent être appliquées mécaniquement. Les tribunaux
internationaux ad hoc ainsi que les autres tribunaux pénaux internationaux et hybrides établis ultérieurement
ne sont susceptibles continuer à interpréter les différents aspects du principe de légalité intentionnellement.
L'objectif fondamental du principe est la disposition d'« avertissement formel » : s'assurer qu'un individu peut
raisonnablement prévoir les conséquences légales de leurs actions et ainsi fournir une protection fondamentale
contre les poursuites arbitraires et l'emprisonnement.936 Par conséquent, le fait qu'une disposition légale puisse
apparaître comme ayant violé la lettre de l'une de ces garanties (elle n'existait pas auparavant sous forme
écrite, par exemple, ou son application dans un ensemble particulier de circonstances factuelles n'a pas été
clairement prévue) peut ne pas être considéré comme important par un tribunal s'il est néanmoins satisfait que
l'objectif fondamental (donner un avertissement formel) a été atteint.
La CPI, contrairement aux autres tribunaux, expose le principe de la légalité dans son Statut :
Article 22
Nullum crimen sine lege
1. Une personne ne doit pas responsable du point de vue pénal conformément au présent Statut sauf
si la conduite en question constitue, au moment des faits, un crime dans la juridiction de la Cour.
2.La définition d'un crime doit être strictement interprétée et ne doit pas être étendue par analogie.
En cas d'ambiguïté, la définition doit être interprétée en facteur de la personne faisant l'objet de
l'enquête, poursuivie ou condamnée.
3.Le présent article ne doit pas affecter la caractérisation de toute conduite comme étant pénale
conformément au droit international, indépendamment du présent Statut.
Article 23
Nulla poena sine lege
Une personne condamnée par la Cour peut être punie uniquement conformément au présent Statut.
935
936
242
Voir, ex, Cassese (n925) 438, 439.
Machteld Boot, « Genocide, Crimes Against Humanity, War Crimes : Nullum Crimen Sine Lege and the Subject Matter Jurisdiction of the International
Criminal Court » (Intersentia, Anvers 2002) 176, 611, 616.
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Article 24
Non-rétroactivité ratione personae
1.Aucune personne ne doit être responsable du point de vue pénal conformément au présent Statut
pour une conduite précédant l'entrée en vigueur du Statut.
2.En cas de modification du droit applicable à un cas donné avant un jugement définitif, le droit plus
favorable à la personne faisant l'objet de l'enquête, poursuivie ou condamnée s'applique.
Contrairement aux apparences, les présentes dispositions ne mènent pas nécessairement à la conclusion que
l'approche de la CPI quant à la légalité sera en fait plus stricte que celle appliquée par les autres tribunaux
internationaux.937 Il faut noter que les principales phrases sont rédigées uniquement pour couvrir les
définitions des infractions substantielles plutôt que les formes de responsabilité. Par exemple, l'Article 22(1)
stipule que la responsabilité pénale est basée sur le fait que la conduite de l'accusé constituait déjà un crime
dans la juridiction de la CPI au moment des faits. Cependant, il n'indique pas expressément que la manière
dont l'accusé participe à cette conduite (en vigueur, leur forme de responsabilité) doit également avoir été
expressément interdite par le droit de la CPI au moment des faits. De la même manière, l'Article 22(2) exige
seulement l'interprétation stricte de « la définition d'un crime », qui vise vraisemblablement les éléments des
infractions substantielles. Certaines décisions précoces de la CPI semblent refléter cette étroite interprétation
de la portée de l'Article 22.938 En outre, malgré la tentative « d’intégralité » du Statut de la CPI, il semble
également improbable que les juges de la CPI désavouent une voix « d'interprétation » et « d'élaboration »
pour eux-mêmes.939 En tant que tel, l'étendue de tout écart pratique entre l'approche de la légalité adoptée par
les juges de la CPI et les tribunaux ad hoc reste à observer.
Nullum Crimen Sine Lege
La proposition de base du principe de légalité est que les individus peuvent uniquement être tenus
responsables du point de vue pénal conformément au droit. Une question essentielle, par conséquent, est le
statut de toute norme qui est avancée dans un cas particulier : est-elle conforme à celle des sources acceptées
du droit public international ? En cas de doute sur ce point, il est important d'insister sur la question au cours
du litige mais, en pratique, ce sera une perspective de réussite rarement réaliste renfermant un argument
pour une des formes de responsabilité décrites dans le présent Chapitre. Étant donné que nous verrons par la
responsabilité de l'Entreprise criminelle commune (ECC), que les défis répétés dans ces lignes ne portent pas
leurs fruits. La plus grande spécificité du Statut de la CPI sert également à limiter l'utilité de cet argument de
base pour beaucoup des affaires qui seront entendues ici.
937
938
939
Ibid 395.
Dans l'affaire Lubanga , la Chambre préliminaire a déclaré que « conformément au principe de légalité, les termes enrôlant et ayant recours aux enfants
de moins de quinze ans pour participer activement à des hostilités sont définis suffisamment en détail dans les articles 8(2)(b)(xxvi) et 8(2)(e)(vii), 22 à
24 et 77 du Statut de la CPI et les Éléments de crimes, qui sont entrés en vigueur le 1er juillet 2002, comme impliquant la responsabilité pénale et sont
punissables comme des infractions pénales ». Le procureur contre Thomas Lubanga Dyilo, CPI, ICC-01/04-01/06, Décision sur la confirmation des chefs
d'accusation (29 janvier 2007) para (302), voir également paras (294), (297) et (301).
Jared Wessel, « Judicial policy-making at the International Criminal Court : an institutional guide to analyzing international adjudication » (2005)
44 Colum J Transnat’l L 377, 450–451.
Manuel de droit pénal international
243
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Nulla Poena Sine Lege
Strictement, le principe nulla poena sine lege exige uniquement que la sanction soit prononcée conformément
au droit. En pratique, cependant, il peut également être compris d'inclure une exigence que l'accusé ne soit
pas pénalisé dans une étendue plus importante que celle compatible avec le droit au moment où il a commis
le crime pour lequel il a été condamné ainsi peut-être que le principe lex mitior donnant droit à l'accusé de
bénéficier de l'application rétroactive d'un droit pénal moins strict.940 La garantie est très importante pour le
droit complexe de la condamnation mais peu importante pour l'attribution de la responsabilité pénale.
Le principe de non-rétroactivité
Le principe de non-rétroactivité exige que le droit applicable ait existé avant le moment auquel l'acte proscrit a
été commis. Il est possible d'arguer que cela a causé plus de difficulté dans le contexte de poursuites nationales
de crimes internationaux que pour les poursuites internationales. Dans de nombreux pays, la législation
stipulant la responsabilité pénale des individus pour des actes illégaux commis pendant la Deuxième Guerre
mondiale a été seulement introduite beaucoup plus tard, rendant la législation rétroactive, au moins du point
de vue étroit du droit interne. En réponse efficace à cet argument, il a été affirmé que les crimes étaient déjà
illégaux conformément au droit international au moment des faits et que les Statuts se servaient simplement
d'une fin instrumentale pour établir la juridiction sur ces questions. La théorie derrière cette approche, qui
souligne la capacité de l'accusé à apprécier le fait que le droit réglemente un type de conduite particulier
plutôt que les moyens techniques par lesquels le droit peut s'appliquer, peut également être perçue comme
influençant considérablement la jurisprudence internationale.
Étant donné que presque toute la législation des tribunaux ad hoc sur le point de la rétroactivité a été basée
sur la discussion du droit coutumier, la date précise à laquelle elle est censée avoir été cristallisée est presque
impossible à déterminer avec précision. Bien que les juges soient toujours conscients du principe in dubio
pro reo (c.-à-d. que le doute doit être levé en faveur de l'accusé), la nature confuse du droit international à cet
égard a souvent tendance à rendre le travail de la défense difficile. Cela dit, le principe de non-rétroactivité
peut être utilisé de manière efficace conjointement avec l'interdiction d'analogie. Comme une Chambre de
première instance du TPIY l'a souligné, en aucun cas « la cour ne créera de nouvelles infractions pénales après
l'acte reproché à un accusé que ce soit en donnant une définition d'un crime qui n'en avait pas jusqu'à présent,
en le rendant passible de poursuites et punissable ou en criminalisant un acte qui n'était jusqu'à présent pas
considéré comme pénal ».941
Le principe de spécificité
L'une des idées fondamentales incarnées dans le principe de la légalité est la notion générale que le droit doit
être « sûr ».942 Cependant, comme tout juriste sait, l'absolue certitude quant à l'application du droit est souvent
une aspiration lointaine :
940
941
942
244
Le procureur contre Deronjić, (TPIY) Affaire No IT-02-61-A, Jugement d'appel suite à une condamnation (20 juillet 2005) paras (93)–(99) ; Le procureur
contre Dragan Nikolić, (TPIY) IT-94-2-A, Jugement d'un appel suite à une condamnation (4 février 2005) paras (77)–(86).
Le procureur contre Vasiljević (TPIY) Affaire No IT-98-32-T, Jugement de première instance (29 novembre 2002) para (196).
Mohamed Shahabuddeen, « Does the principle of legality stand in the way of progressive development of the law ? » (2004) 2 J Int’l Crim Just 1007,
1008.
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
la précision absolue dans le droit existe rarement, voire pas du tout. La question est de savoir si [il existe] une norme intelligible
conformément à laquelle l'ordre judiciaire doit faire son travail. La tâche consistant à interpréter la manière dont cette norme
s'applique dans des cas particuliers pourrait toujours être caractérisée comme ayant un élément discrétionnaire étant donné que la
norme ne peut jamais indiquer tous les cas dans lesquels elle s'applique.943
La CEDH en est venue à la même conclusion. Elle a reconnu que, à la lumière du « besoin d'éviter la rigidité
excessive et de suivre les circonstances changeantes, . . de nombreuses lois sont inévitablement formulées
en termes qui, dans une étendue plus ou moins large, sont vagues ».944 En tant que tel, le degré de spécificité
nécessaire dépend « d'un degré considérable sur le contenu de l'instrument en question, le domaine qu'il
est censé couvrir et le nombre et le statut de ceux à qui il s'adresse ».945 Une loi doit être formulée avec
suffisamment de précision pour permettre aux personnes concernées de prévoir, à un degré qui est raisonnable
dans les circonstances, les conséquences qu'une action donnée peut entraîner.946
Dans ce contexte, il devient clair qu'en discutant de si une norme légale particulière doit être annulée en raison de
son manque de précision, la question essentielle n'est pas « est-elle complètement spécifique au sujet de son étendue
et de son application ? » mais plutôt « est-elle assez spécifique aux fins particulières auxquelles elle cherche à
s'appliquer ? ».
Aux fins du droit pénal international, une norme doit posséder une « clarté suffisante » de manière à ce que
« sa nature générale, son caractère pénal et sa gravité approximative ».947 aient été prévisibles pour l'accusé.
L'objectif clair est de s'assurer que l'accusé ait reçu un avertissement formel quant au caractère illégal de sa
conduite. Cependant, comme il est également reconnu que ce principe n'autorise pas l'illégitimité des formes
de droit non écrites, la notion de ce qui constitue l'avertissement formel doit être évaluée dans les limites
de « la spécificité du droit international coutumier et permettre la clarification progressive des règles du
droit pénal ».948 Ainsi, comme noté ci-dessus, il existe une forte suggestion que l'accusé a seulement besoin
d'être averti dans un sens général que sa conduite est susceptible d'encourir une responsabilité pénale. Dans
ce contexte, la nature atroce des crimes impliqués a souvent mené les chambres à se fier à « l'avertissement
moral » plutôt qu'à l'avertissement légal technique.949 De manière quelque peu surprenante, cette approche est
plus ou moins cohérente avec l'attitude adoptée par les instances telles que la CEDH.950
L'interdiction d'analogie
En étroite relation avec le principe de spécificité, l'interdiction d'analogie exige la définition d'un crime
comme étant étroitement interprétée et non étendue au moyen d'une interprétation infondée. Toutefois, cela
ne signifie pas que les infractions pénales doivent être définies de manière exhaustive et statique. ab initio. Le
raisonnement de la CEDH est le suivant :
Une disposition légale, bien que rédigée de manière claire, dans tout régime juridique, y compris le droit pénal, peut contenir un
élément inévitable d'interprétation jurisprudentielle. Il y aura toujours un besoin d'élucidation des points douteux et d'adaptation
aux circonstances changeantes. En effet, au Royaume-Uni, comme dans les autres États de la Convention, le développement
progressif du droit pénal au moyen de la légifération judiciaire est une partie bien ancrée et nécessaire de la tradition légale.
Article 7. . de la Convention ne peut pas être lu comme déclarant illégale la clarification progressive des règles de la responsabilité
943
944
945
946
947
948
949
950
Irwin Toy Ltd contre le Québec (procureur général) [1989] 1 SCR 927.
Cantoni contre la France (App No 17862/91) (1996) CEDH 1996-V 15 novembre 1996, para (31).
Groppera Radio AG et autres contre la Suisse (App No 10890/84) (1990) 173 CEDH Série A, para (68).
Tolstoy Miloslavsky contre le Royaume-Uni (App No 18139/91) (1995) 316-B CEDH Série A, para (37).
Le procureur contre Vasiljević (n941) para (201).
Ibid para (193). Voir également Le procureur contre Milutinović et al (n926) paras (39), (41) ; Le procureur contre Delalić et al (TPIY) Affaire
No IT-96-21-T, Jugement de première instance (16 novembre 1998) paras (403), (405).
Le procureur contre Milutinović et al (n926) para (42) ; Le procureur contre Furundžija (TPIY) Affaire No IT-95-17/1-T, Jugement de première instance
(10 décembre 1998) para (184).
SW contre le Royaume-Uni (App No 20166/92) (1995) 335-B CEDH Série A, para (44).
Manuel de droit pénal international
245
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
pénale au moyen de l'interprétation jurisprudentielle au cas par cas, à condition que le développement qui en résulte soit cohérent
avec l'essence de l'infraction et ne pouvait pas être raisonnablement prévu.951
Les tribunaux ad hoc ont adopté ce raisonnement, soutenant que le principe de la légalité n'exclut pas l'évolution
des éléments d'un crime au moyen d'un processus d'interprétation et de clarification.952 Par conséquent, l'interdiction
d'analogie est moins un problème de noir et de blanc comme le terme le suggère en premier et plus une question de
sagesse. Ainsi, l'approche des juges des tribunaux ad hoc était d'examiner si les circonstances particulières entraient
raisonnablement dans le champ d'application de la loi plutôt que de rechercher les précédents spécifiques qui
illustrent qu'un acte particulier a été établi comme pénal.953
Pour toutes ces raisons, lorsque l'on considère la jurisprudence sur le principe de la légalité dans le droit
pénal international, elle semble être « l'essence même »954 de la norme applicable qui régit les questions de
légitimité. À condition que l'accusé soit conscient de cette essence – qui peut sembler être très souvent satisfait
par la nature fondamentale des outrages moraux commis – le principe de la légalité est souvent considéré
comme satisfait.
Le principe du Favor Rei
Le principe du favor rei ou « l'interprétation en faveur de l'accusé » est étroitement lié à l'interdiction
d'analogie. En cas de conflit entre les interprétations d'une règle, il exige une interprétation en faveur de
l'accusé.955 Il est incarné dans l'Article 22(2) du Statut de la CPI stipulant que « en cas d'ambiguïté, la
définition doit être interprétée en faveur de la personne faisant l'objet de l'enquête, poursuivie ou condamnée ».
Ce principe a été confirmé par les tribunaux ad hoc : la Chambre de première instance du TPIR, par exemple,
a confirmé le principe pour l'affaire Akayesu concernant l'interprétation du terme « homicide » dans les
Conventions sur le génocide et le Statut du TPIR ;956 et la Chambre de première instance du TPIY a réaffirmé
le principe pour l'affaire Krstić concernant la définition d'« extermination ».957
Ce principe est également appliqué dans l'appréciation des moyens de preuve : une norme connue comme in
dubio pro reo (en cas de doute, il faut favoriser l'accusé).958
951
952
953
954
955
956
957
958
246
Ibid para (36).
Le procureur contre Aleksovski (TPIY) Affaire No IT-95-14/1-A, Jugement d'appel (24 mars 2000) para (127).
Le procureur contre Stakić (TPIY) Affaire No IT-97-24-A, Jugement d'appel (22 mars 2006) par le Juge Shahabuddeen, paras (35)–(36), (39) ; Le
procureur contre Karemera et al (TPIR) Affaire No ICTR-98-44-AR72.5, Décision sur les appels juridictionnels – Entreprise criminelle commune
(12 avril 2006) para (15) ; Le procureur contre Karemera et al (TPIR) Affaire No ICTR-98-44-T, Décision sur les requêtes préliminaires de la défense
de Joseph Nzirorera, Edouard Karemera, André Rwamakuba et Mathieu Ngirumpatse contestant la compétence en relation avec l'Entreprise criminelle
commune (11 mai 2004) paras (15), (37), (43)–(44) ; Le procureur contre Hadžihasanović et Kubura (TPIY) Affaire No IT-01-47-AR72, Décision sur
l'appel interlocutoire contestant la compétence en relation avec la responsabilité du commandant (16 juillet 2003) para (12).
Mohamed Shahabuddeen, « Does the principle of legality stand in the way of progressive development of the law ? » (n942) (1007), (1017).
Cassese (n925) 438, 440.
Le procureur contre Akayesu (TPIR) Affaire No ICTR-96-4-T, Jugement de première instance (2 septembre 1998) paras (500)–(501). La Chambre
de première instance a soutenu au para (501) que « étant donné la présomption de l'accusé, et conformément aux principes généraux du droit pénal,
la Chambre soutient que la version la plus favorable pour l'accusé doit être confirmée et trouve que l'Article 2(2)(a) du Statut doit être interprété
conformément à la définition du meurtre donnée dans le Code pénal du Rwanda, conformément à laquelle le « meurtre » est un homicide commis avec
l'intention de causer la mort »
La Chambre de première instance a noté que la définition de la CPI de l'extermination (qui stipule qu'il serait suffisant que les actes pénaux soient
« calculés pour amener à la destruction d'une partie de la population ») a été adoptée après le moment où les infractions de l'affaire Krstić ont été
commises. La Chambre de première instance a soutenu que « conformément au principe selon lequel il existe une différence plausible d'interprétation ou
d'application, la position qui favorise le plus l'accusé doit être adoptée, la Chambre détermine que, aux fins de la présente affaire, la définition doit être lue
comme signifiant la destruction d'une partie numériquement considérable de la population concernée ». Le procureur contre Krstić (TPIY) Affaire No IT98-33-T, Jugement de première instance (2 août 2001) para (502).
Cassese (n925) 438, 440. Voir, ex, Le procureur contre Stakić (TPIY) Affaire No IT-97-24-T, Jugement de première instance (31 juillet 2003) para (416).
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Le principe non bis in idem (de double peine)
Le principe non bis in idem (également connu comme la règle contre la double peine ou le principe autrefois
acquit/autrefois convict ) est une autre protection fondamentale conformément au droit international. Comme
le principe de légalité, il s'agit d'un droit de l'homme international et d'une garantie procédurale essentielle
d'équité en droit pénal. Comme avec le principe de la légalité, il varie également considérablement dans son
application dans les systèmes judiciaires nationaux.
Le principe non bis in idem stipule que personne ne doit être jugé ou puni plus d'une fois pour le même crime.
Il a de nombreuses raisons pour ce principe. La première est l'équité des défenseurs. Cela est assuré grâce à
la connaissance qu'une fois qu'un jugement est rendu, il est définitif. Il n'existera aucune menace ou anxiété
d'une nouvelle poursuite.959 La finalité des jugements assure également « la stabilité dans les relations légales
internationales en empêchant la poursuite interminable de criminels internationaux entre les juridictions ».960
Une autre raison est l'intérêt d'enquêtes et de préparations complètes des affaires par les autorités qui
poursuivent.961 Sauf si la finalité d'un jugement est sûre, les autorités qui poursuivent peuvent devenir
négligentes dans leur travail, étant donné qu'elles savent qu'elles auront une deuxième ou une troisième chance
de faire un meilleur travail.
Le principe de double peine est ancré dans les principaux traités sur les droits de l'homme, par exemple dans
l'Article 14(7) du PIDCP, Article 4 du Protocole 7 de la CEDH et l'Article 8(4) de la CADH.
Article 14(7) du PIDCP
Aucune personne ne doit être tenue responsable d'être jugée ou punie à nouveau pour une infraction pour
laquelle elle a déjà été condamnée ou acquittée conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque
pays.
Article 4 du Protocole 7 de la CEDH
1.Aucune personne ne doit être tenue responsable d'être jugée ou punie à nouveau dans le cadre de
procédures pénales dans la juridiction du même État pour une infraction pour laquelle elle a déjà
été acquittée ou condamnée conformément à la loi et à la procédure pénale de cet État.
2.Les dispositions du paragraphe précédent ne doit pas empêcher la réouverture d'une affaire
conformément à la loi et à la procédure pénale de l'État concerné, s'il existe une preuve de faits
nouveaux ou récemment découverts ou s'il y a eu un vice fondamental dans les procédures
précédentes, qui pouvait affecter le résultat de l'affaire.
3.Aucune dérogation du présent Article ne doit être faite conformément à l'Article 15 de la
Convention.
959
960
961
Gerard Conway, « Ne Bis in Idem in International Law » (2003) 3 Int’l Crim L Rev 217, 223.
Ibid.
Cryer et al (n4) 67.
Manuel de droit pénal international
247
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Le principe non bis in idem est particulièrement important dans le contexte international. Lorsqu'il constitue une
protection importante contre les poursuites arbitraires et calomnieuses en droit national (qui est généralement
un ordre juridique « vertical »), sa signification peut même être plus étendue dans les systèmes « horizontaux »
- comme l'ordre juridique international - où les différentes instances peuvent exercer la juridiction dans un
cas particulier mais ne sont pas nécessairement liées pour déférer les résultats l'une à l'autre. Les questions
deviennent potentiellement plus compliquées en raison de la « primauté » de certaines juridictions (telles que le
TPIY et le TPIR) sur toutes les autres, ce qui créé une relation verticale entre les tribunaux internationaux et les
autres juridictions.
L'effet d'une poursuite internationale antérieure sur une poursuite nationale ultérieure est parfois qualifié
comme étant « vers le bas » non bis in idem. L'inverse, l'effet d'une poursuite nationale antérieure sur une
poursuite internationale ultérieure, peut ensuite être qualifié comme étant « vers le haut » non bis in idem.. Le
principe non bis in idem « vers le haut » et « vers le bas » peuvent imposer des contraintes sur les poursuites
ultérieures.
Le forme particulière de non bis in idem qui s'applique varie en fonction de la juridiction internationale
concernée. Il est par conséquent important de se reporter au Statut applicable dans chaque cas particulier
pour déterminer les aspects du principe non bis in idem. Le TPIY, le TPIR et le TSSL ont des dispositions
substantiellement identiques.962 Elles exigent que :
1.Aucune personne ne doit être jugée devant un tribunal national pour des actes constituant des
violations graves du droit international humanitaire conformément au présent Statut, pour lesquels
elle a déjà été jugée par le Tribunal international.
2.Une personne qui a été jugée par un tribunal national pour des actes constituant des violations
graves du droit international humanitaire peut être ultérieurement jugée par le Tribunal
international uniquement si :
(a) l'acte pour lequel elle a été jugée a été caractérisé comme un crime ordinaire ; ou
(b)les procédures du tribunal national n'ont pas été impartiales ou indépendantes, n'avaient pas
l'intention de protéger l'accusé de la responsabilité pénale internationale ou l'affaire n'a pas été
poursuivie de manière diligente.
3En considérant la sanction imposée à une personne condamnée pour un crime conformément au
présent Statut, le Tribunal international doit prendre en compte l'étendue dans laquelle toute sanction
imposée par un tribunal national sur la même personne pour le même acte a déjà été prononcée.
L'Article 5 du Statut du TSL définit le principe non bis in idem dans les mêmes termes.
Les présentes dispositions, par conséquent, traitent du principe non bis in idem comme une règle générale
et une exception. La règle générale est incarnée dans l'interdiction des tribunaux nationaux de poursuivre
une personne en relation avec des actes pour lesquels elle a déjà été jugée devant les tribunaux. L'exception
consiste en la disposition selon laquelle une personne qui a déjà été jugée par les tribunaux nationaux peut être
ultérieurement jugée devant les tribunaux pour les mêmes actes dans certaines circonstances spécifiques :
962
248
Article 10 du Statut du TPIY ; Article 9 du Statut du TPIR ; Article 9 du Statut du TSSL. Cf le procureur contre Tadić (TPIY) Affaire No IT-94-1-T,
Décision sur la requête de la défense relative au principe de Non-bis-in-idem (14 novembre 1995) paras (19)–(20).
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
• quand, dans le premier ensemble de procédures, l'acte pour lequel l'accusé a été jugé a été caractérisé
comme un crime ordinaire ;
• les procédures n'étaient pas impartiales ou indépendantes ;
• les procédures ont été conçues pour protéger l'accusé de la responsabilité pénale internationale ;
• l'affaire n'a pas été poursuivie de manière diligente.
Les décisions des tribunaux nationaux sont uniquement « définitives » aux fins des tribunaux s'ils n'ont pas
uniquement poursuivi la conduite concernée mais l'ont fait pour un crime « international ». Un exemple
courant donnée de la nature limité du principe non bis in idem « vers le haut » est une situation dans laquelle
un accusé a été jugé dans un tribunal national pour le crime « ordinaire » de meurtre pour un homicide qui
pouvait être qualifié de crime « international » de génocide, de crime contre l'humanité ou d'un crime de guerre.
Conformément aux Statuts du TPIY, du TPIR et du TSSL, l'accusé pouvait être jugé à nouveau pour la même
conduite dans le tribunal international pour le crime international. Le principe non bis in idem « vers le haut »
est, par conséquent, limité à une poursuite nationale antérieure en particulier pour génocide, crimes contre
l'humanité ou crimes de guerre. Si l'accusé a été poursuivi dans un tribunal national uniquement pour un crime
« ordinaire », il pouvait faire l'objet d'une deuxième poursuite pour la même conduite sous-jacente dans le
tribunal international. En revanche, conformément aux Statuts de ces tribunaux, une poursuite dans un tribunal
national pour meurtre après une poursuite dans le tribunal international pour génocide, crime contre l'humanité
ou crime de guerre et basée sur la même conduite serait exclue. Le principe non bis in idem « vers le bas » est,
par conséquent, plus large dans son étendue, interdisant les poursuites nationales pour tout crime basées sur le(s)
même(s) acte(s) que des poursuites dans le tribunal international.
En ce qui concerne le principe non bis in idem « vers le bas », la Règle 13 du Règlement de procédure et de
preuve du TPIY et du TPIR stipule que lorsque le Président reçoit des informations fiables pour montrer que
des poursuites pénales ont été intentées contre une personne devant un tribunal de tout État pour un crime pour
lequel cette personne a déjà été jugée par le Tribunal, une Chambre de première instance doit prononcer une
ordonnance motivée demandant que le tribunal cesse définitivement ses procédures. Si ce tribunal ne le fait
pas, le Président peut faire remonter la question au Conseil de sécurité de l'ONU.
Le régime sous le Statut de la CPI est assez différent. L'Article 20 stipule que :963
Article 20 du Statut de la CPI.
1.Sauf disposition contraire dans le présent Statut, aucune personne ne doit être jugée devant la Cour
concernant la conduite qui a formé la base des crimes pour lesquels la personne a été condamnée
ou acquittée par la Cour.
2.Aucune personne ne doit être jugée par un autre tribunal pour un crime visé à l'Article 5 [génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et potentiellement agressions] pour lequel cette
personne a déjà été condamnée ou acquittée par la Cour.
963
Article 20 du Statut de la CPI.
Manuel de droit pénal international
249
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
3.Aucune personne qui a été jugée par un autre tribunal pour la conduite également interdite
conformément à l'Article 6, 7 ou 8 [génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre] ne doit
être jugée par la Cour concernant la même conduite, sauf si les procédures de l'autre tribunal :
(a)avaient pour but de protéger la personne concernée de la responsabilité pénale pour les crimes
dans la juridiction de la Cour ; ou
(b)n'ont pas été autrement menées de manière indépendante ou impartiale conformément aux
normes de procès équitable reconnues par le droit international et ont été menées d'une manière
qui, dans les circonstances, était incohérente avec une intention de traduire la personne
concernée en justice.
Bien que nous n'ayons pas encore les interprétations des présentes dispositions de la CPI, il est plus que
probable que, contrairement aux tribunaux ad hoc, l'effet du principe non bis in idem « vers le bas » soit plus
étroit que l'effet du principe non bis in idem « vers le haut » conformément au Statut de la CPI. Une poursuite
dans la CPI est uniquement « définitive » aux fins du principe non bis in idem pour un « crime » couvert par
l'Article 5 (génocide, crimes contre l'humanité ou crimes de guerre). Il est possible d'arguer que cela signifie
qu'une poursuite ultérieure dans un tribunal national pour un crime « ordinaire », tel qu'un meurtre, n'est pas
exclue même si la CPI a déjà poursuivi l'accusé sur la base de la même conduite sous-jacente.964
Cependant, en permettant seulement de rejuger les affaires où la « conduite » concernée n'a pas été poursuivie
de manière équitable ou appropriée (quelque soit le type de chefs d'accusation), il semble probable qu'une
poursuite dans la CPI serait exclue s'il y a déjà eu auparavant une poursuite nationale, même pour un crime
« ordinaire », si cette poursuite a été basée sur la même conduite sous-jacente, sauf si la poursuite nationale
était un procès simulé ou a été menée de manière inappropriée. Un exemple commun de procès probablement
simulé est une poursuite nationale pour uniquement la voie de fait lorsque le crime pouvait être qualifié de
génocide. Dans ce cas, il est probable que la CPI considérerait qu'elle a le droit de juger l'accusé.965
Par conséquent, il est possible de conclure que le Statut de la CPI ne permet pas à la Cour de rejuger une
conduite avec une sélection d'infractions qu'elle considère comme plus « appropriée » à la nature du crime.966
En tant que tel, la CPI doit permettre des procédures nationales à un degré de déférence plus élevé. Ceci est
complètement cohérent avec l'engagement général de la CPI quant à la « complémentarité » de la juridiction
plutôt que la « primauté ».
En cas de rejugement, les Statuts du TPIY, du TPIR et du TSSL stipulent que le tribunal « doit prendre
en compte l'étendue dans laquelle toute sanction imposée par un tribunal national sur la même personne
pour le même acte a déjà été prononcée ».967 Le Statut de la CPI, cependant, n'a pas adopté le principe de
réduction obligatoire de sentence, mais stipule à la place dans l'Article 78(2) que lorsque la sentence est
prononcée, la Cour peut réduire tout temps autrement passé en détention en relation avec la conduite sousjacente au crime.
967
Christine Van den Wyngaert et Tom Ongena, « Ne bis in idem Principle, Including the Issue of Amnesty » dans Antonio Cassese, Paola Gaeta et John R W
D Jones (éds) I The Rome Statute of the International Criminal Court : A Commentary (OUP, Oxford 2002) 705, 723.
Ibid 725–726.
Toutefois, il peut y avoir une opposition lorsque l'infraction poursuivie est si inappropriée à la gravité de la conduite d'origine que les dispositions relatives
au « procès simulé » sont engagées. Ibid 726.
Article 10(3) du Statut du TPIY ; Article 9(3) du Statut du TPIR ; Article 9 du Statut du TSSL.
250
Manuel de droit pénal international
964
965
966
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Formes de responsabilité pénale individuelle
Introduction
Les différentes formes de responsabilité reconnues par les juridictions internationales dominantes
sont exposées ci-dessous. Comme dans les juridictions nationales, le droit pénal international ne tient
pas simplement pour responsable la personne qui « appuie sur la gâchette » (ou « commet le crime »
directement) ; il est également possible d'imposer la responsabilité sur les individus qui « utilisent » ou
poussent les autres à commettre les crimes, qui commettent les crimes dans le cadre d'un groupe ou qui aident
délibérément les autres à le faire. En effet, étant donné que le droit pénal international s'intéresse souvent aux
crimes les plus graves, et à ceux qui se produisent à grande échelle, ces « autres » formes de responsabilité
peuvent en fait être les plus importantes. Un homme politique senior, par exemple, commettra rarement
physiquement les crimes, mais peut être responsable de milliers d'autres personnes qui le commettent - il est
clair qu'il ne doit pas échapper à la responsabilité simplement parce qu'il ne s'est pas « sali les mains ».
Un degré général de familiarité avec toutes les formes de responsabilité applicables dans la juridiction
compétente est essentiel pour tous les juristes travaillant dans ce domaine. Cela a été la pratique générale des
tribunaux ad hoc pour le Ministère public de plaider pour un large éventail de formes de responsabilité dans
la mise en accusation. Jusqu'à présent, les poursuites de la CPI ont été plus étroitement concentrées, mais cela
peut être plus un résultat de circonstance qu'une décision stratégique délibérée.
Les formes de responsabilité qui existent dans les tribunaux ad hoc sont similaires, mais pas identiques à
celles exposées dans la Statut de la CPI. Cependant, il serait une erreur de penser que la CPI représente un
paradigme juridique entièrement nouveau : bien que les idées des tribunaux ad hoc ne puissent pas s'appliquer
mécaniquement à la CPI, elles peuvent toujours influencer la manière dont le Statut de la CPI est interprété.
Les différentes sources de droit doivent également être notées. Le Statut de la CPI, comme traité international,
est une source de droit faisant autorité concernant la conduite commise après son entrée en vigueur. En clair,
il tente de codifier toutes les questions pertinentes, substantielles et procédurales et lie seulement ces États qui
ont exprimé leur consentement au moyen de la ratification. Le statut des tribunaux ad hoc est, cependant, très
différent. La méthode par laquelle ils ont été créés varie,968 mais ils ont tous été établis après que la conduite
qu'ils cherchaient à juger ait eu lieu (bien que la juridiction temporelle du TPIY soit ouverte afin qu'elle puisse
englober les crimes tels que le génocide en Srebrenica en 1995 ou les événements au Kosovo en 1999, qui ont
eu lieu après son établissement). En tant que tel, il n'était pas possible de prendre la position selon laquelle
leurs Statuts créaient le droit auquel ils s'appliquent : cela violerait clairement le principe de la légalité. À la
place, les tribunaux ad hoc appliquent, par conséquent, le droit international coutumier qui existait au moment
où la conduite concernée a eu lieu. La référence dans les Statuts des tribunaux ad hoc aux crimes substantiels
ou formes de responsabilité substantielles établit uniquement la juridiction des tribunaux sur la conduite
entrant dans les présents concepts juridiques : elle ne prétend pas fournir de nouvelles définitions des crimes.
Comme le Secrétaire général des Nations Unies l'a observé dans son rapport sur le Statut du TPIY :969
Il faut souligner que, en attribuant au Tribunal international la tâche de poursuivre les personnes responsables des violations graves
du droit international humanitaire, le Conseil de sécurité ne créerait pas ou ne prétendrait pas « légiférer » ce droit. Le Tribunal
international aurait plutôt la tâche d'appliquer le droit international humanitaire existant.
968
969
Par exemple, les Statuts du TPIY et du TPIR ont été créés en liant des résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU tandis que le Statut du TSSL a été établi
par un accord international entre le Secrétaire général des Nations Unies et le Gouvernement de Sierra Leone.
Rapport du Secrétaire général sur le Paragraphe 2 de la résolution du Conseil de sécurité 808 (1993), Doc ONU S/25704 (3 mai 1993) para (29).
Manuel de droit pénal international
251
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Le Secrétaire général des Nations Unies a également soutenu que « l'application du principe nullum crimen
sine lege nécessite que le tribunal international applique les règles du droit international humanitaire qui vont
au-delà de tout doute dans le cadre du droit coutumier de manière à ce que le problème de conformité de
certains, mais pas de tous les, États aux conventions spécifiques ne survienne pas ».970
Formes de responsabilité poursuivie aux tribunaux internationaux
Les différentes formes de responsabilité reconnues dans le Statut du TPIY sont stipulées dans les Articles 7(1)
et 7(3) :
Article 7(1) et 7(3) du Statut du TPIY
Responsabilité pénale individuelle
1.Une personne qui a prévu, initié, ordonné, commis ou autrement été complice dans la planification, la préparation ou l'exécution d'un crime visé dans les articles 2 à 5 du présent Statut doivent
être individuellement responsables du crime.
...
3.Le fait que l'un des actes visés dans les articles 2 à 5 du présent Statut a été commis par un
subordonné ne dégage pas son supérieur de la responsabilité pénale s'il savait ou avait des raisons
de savoir que le subordonné était sur le point de commettre lesdits actes ou les avait commis et
que le supérieur n'avait pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher les dits
actes ou punir les auteurs du crime.
L'Article 4(3) du Statut du TPIY stipule les formes punissables de participation au génocide :
Article 4(3) du Statut du TPIY
Génocide
Seront punis les actes suivants :
(a) le génocide ;
(b) l'entente en vue de commettre le génocide ;
(c) l'incitation directe et publique à commettre le génocide ;
(d) la tentative de génocide ;
(e) la complicité dans le génocide.
970
252
Ibid para (34).
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Il doit être clarifié que, sauf pour la complicité dans un génocide qui est une forme de responsabilité, les autres
formes punissables de participation au génocide exposées dans l'Article 4(3) du Statut du TPIY, l'incitation
directe et publique, l'entente et la tentative sont elles-mêmes des crimes. Ils sont des crimes prétendus
inchoatifs ou incomplets qui sont punissables même si aucun acte de génocide ne découle de ceux-ci (voir
les définitions ci-dessous).971 La raison d'inclure l'Article 4(3) dans le Statut du TPIY a été expliquée de la
manière suivante :972
[b]y en intégrant l'Article 4(3) dans le Statut, les rédacteurs du Statut se sont assurés que le Tribunal avait juridiction sur toutes les
formes de participation au génocide interdites conformément au droit international coutumier. La conséquence de cette approche,
cependant, est que certaines formes de responsabilité pénale individuelle dans l'Article 4(3) chevauchent celles de l'Article 7(1).
La Chambre d'appel dans l'affaire Krstić a rejeté l'argument selon lequel l'Article 4(3) était lex specialis en
relation avec l'Article 7(1). À la place, la Chambre d'appel a soutenu que les formes de responsabilité stipulées
dans l'Article 7(1) doivent être lues dans l'Article 4(3) du Statut du TPIY.973
Le Statut du TPIR contient les même dispositions que les Articles 2(3), 6(1) et 6(3), comme le TSSL dans
les Articles 6(1) et 6(3) (sauf pour celles relatives au génocide, sur lesquelles il n'a pas de juridiction). La
responsabilité pénale individuelle des crimes conformément au droit du Sierra Leone poursuivie devant le
TSSL est déterminée conformément au droit national.974
En comparaison avec les tribunaux ad hoc, le Statut de la CPI stipule les différentes formes de responsabilité
pénale individuelle plus en détail.
Article 25 du Statut de la CPI
Responsabilité pénale individuelle
1. La Cour est compétente à l'égard des personnes physiques en vertu du présent Statut.
2.Quiconque commet un crime relevant de la compétence de la Cour est individuellement
responsable et peut être puni conformément au présent Statut.
3.Aux termes du présent Statut, une personne est pénalement responsable et peut être punie pour un
crime relevant de la compétence de la Cour si :
971
972
973
974
(a)Elle commet un tel crime, que ce soit individuellement, conjointement avec une autre personne
ou par l'intermédiaire d'une autre personne, que cette autre personne soit ou non pénalement
responsable ;
(b)Elle ordonne, sollicite ou encourage la perpétration d'un tel crime, Elle ordonne, sollicite ou
encourage la perpétration d'un tel crime ;
William A Schabas, Genocide in International Law, The Crime of Crimes 307 (2ème éd CUP, Cambridge 2009) 307 ; Le procureur contre Nahimana et al
(TPIR) Affaire No ICTR-99-52-A, Jugement d'appel (28 novembre 2007) para (678).
Le procureur contre Krstić (n957) para (640) (note de bas de page omise) ; Le procureur contre Krstić (TPIY) Affaire No IT-98-33-A, Jugement d'appel
(19 avril 2004) paras (138)–(139) ; Le procureur contre Brđanin (TPIY) Affaire No IT-99-36-T, Jugement de première instance (1er septembre 2004)
para (726).
Le procureur contre Krstić (n972) paras (138)–(139).
Article 6(5) du Statut du TSSL.
Manuel de droit pénal international
253
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
(c)En vue de faciliter la perpétration d'un tel crime, elle apporte son aide, son concours ou toute
autre forme d'assistance à la perpétration ou à la tentative de perpétration de ce crime, y
compris en fournissant les moyens de sa perpétration ;
(d)Elle contribue de toute autre manière à la perpétration ou à la tentative de perpétration d'un tel
crime par un groupe de personnes agissant de concert Cette contribution doit être intentionnelle
et selon le cas :
(i)Viser à faciliter l'activité criminelle ou le dessein criminel du groupe, si cette activité ou ce
dessein comporte l'exécution d'un crime relevant de la compétence de la Cour ; ou
(ii)Être faite en pleine connaissance de l'intention du groupe de commettre ce crime ;
(e)S'agissant du crime de génocide, elle incite directement et publiquement autrui à le
commettre ;
(f)Elle tente de commettre un tel crime par des actes qui, par leur caractère substantiel,
constituent un commencement d'exécution au moyen d'une étape substantielle, mais sans que
le crime soit accompli en raison de circonstances indépendantes de sa volonté. Toutefois, la
personne qui abandonne l'effort tendant à commettre le crime ou en empêche de quelque autre
façon l'achèvement ne peut être punie en vertu du présent Statut pour sa tentative si elle a
complètement et volontairement renoncé au dessein criminel.
4.Aucune disposition du présent Statut relative à la responsabilité pénale des individus n'affecte la
responsabilité des États en droit international.
Article 28 du Statut de la CPI
Responsabilité des commandants et des autres supérieurs
En plus des autres motifs de responsabilité pénale conformément au présent Statut pour les crimes
dans la juridiction de la Cour :
(a)Un commandant militaire ou une personne agissant en réalité comme un commandant militaire est
pénalement responsable des crimes dans la juridiction de la Cour commis par les forces sous son
contrôle effectif ou son autorité effective, le cas échéant, suite à son défaut d'exercer le contrôle
correctement sur lesdites forces, lorsque :
254
(i)Ce commandant militaire ou la personne savait ou, en raison des circonstances à ce moment,
devait savoir que les forces commettaient ou étaient sur le point de commettre lesdits
crimes ; et
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
(ii)Ce commandant militaire ou la personne n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et
raisonnables en son pouvoir pour empêcher ou réprimer leur perpétration ou n'a pas soumis la
question aux autorités compétentes pour enquête et poursuite.
(b)Concernant les relations supérieur et subordonné non décrites dans le paragraphe (a), un supérieur
est pénalement responsable des crimes dans la juridiction de la Cour commis par les subordonnés
sous son autorité et son contrôle effectifs, suite à son défaut d'exercer le contrôle correctement sur
lesdits subordonnés, lorsque :
(i)Le supérieur savait, ou a consciemment ignoré les informations qui indiquaient clairement, que
les subordonnés commettaient ou étaient sur le point de commettre lesdits crimes ;
(ii)Les crimes concernaient les activités qui étaient sous la responsabilité et le contrôle effectifs du
supérieur ; et
(iii)Le supérieur n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables en son pouvoir
pour empêcher ou réprimer leur perpétration ou n'a pas soumis la question aux autorités
compétentes pour enquête et poursuite.
Formes de responsabilité par rapport à des crimes inchoatifs
En considérant les formes de responsabilité individuelle conformément au droit pénal international, il est
essentiel d'apprécier la distinction entre les formes de responsabilité et les crimes inchoatifs.
A La forme de responsabilité est une doctrine légale par laquelle la conduite intentionnelle d'un accusé le rend
pénalement responsable d'un acte illégal plus important commis par les autres parties.
Le développement du concept de forme de responsabilité émanait d'une préoccupation d'assurer la juste
attribution de la responsabilité pénale « en haut » de la chaîne de causalité, au-delà de l'« incendiaire à
gages ». La condamnation par une forme de responsabilité permet à l'accusé d'être condamné pour le même
crime que l'auteur du crime physique direct. L'appréciation de la peine doit ensuite prendre toutes les
circonstances de l'individu en compte, y compris son rôle dans toute entité collective.975
Par exemple, une personne peut être condamnée pour meurtre pour complicité si elle a délibérément fourni
au meurtrier une arme à feu. Bien qu'elle n'ait pas perpétré le crime elle-même, elle est néanmoins considérée
comme ayant une responsabilité pour l'infraction sous-jacente.
Un crime inchoatif pénalise la perpétration de certains actes capables de constituer une étape dans la
perpétration d'un autre crime.976 Un crime inchoatif ne nécessite pas que l'infraction substantielle soit
commise. Les infractions inchoatives sont des tentatives, des incitations et des ententes.
Étant donné que les crimes inchoatifs ne nécessitent pas que le crime substantiel soit commis, ils sont un
concept juridique beaucoup plus simple. Pour cette raison, ils sont bien adaptés aux fins réglementaires mais,
975
976
Robert D Sloane, « The expressive capacity of international punishment : the limits of the national law analogy and the potential of international criminal
law » (2007) 43 Stanford J Int’l L 39, 89.
Le procureur contre Nahimana et al (TPIR) Affaire No ICTR-99-52-A, Jugement d'appel (28 novembre 2007) para (720). Voir également B A Gardner
(éd) Black’s Law Dictionary (9ème éd. West Group, St Paul, Minnesota 2000), 1186, qui définit « infraction inchoative » comme « une étape vers la
perpétration d'un autre crime, l'étape étant elle-même assez grave pour mériter une sanction ».
Manuel de droit pénal international
255
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
en pratique, peuvent avoir tendance à dissocier la responsabilité de l'accusé de la réalité des conséquences de
ses actes. En tant que tel, ils peuvent être moins adaptés aux crimes graves. Les infractions inchoatives sont
rarement utilisées en droit pénal international, à l'exception de l'entente en vue de commettre le génocide et de
l'incitation directe et publique à commettre le génocide ; largement poursuivies devant le TPIR.
Un exemple classique de crime inchoatif est l'entente. Cela devient un crime pour deux ou plusieurs personnes
qui conviennent d'une conduite qui entraînera nécessairement la perpétration d'une infraction pénale avec
l'intention que l'infraction ciblée se produise (ex. : entente en vue de commettre le génocide). Ce n'est pas
nécessairement pour le crime convenu à perpétrer et, sauf si le crime convenu est perpétré, les défenseurs
doivent uniquement être accusés d'entente et non d'infraction substantielle. Toutefois, si le crime convenu
est perpétré, l'accusé peut être condamné pour le crime commis et le crime inchoatif d'entente en vue de
commettre l'infraction ciblée.977
Formes de responsabilité
Dans une décision précoce importante, la Chambre d'appel du TPIY a soutenu que « personne ne peut être
tenu pénalement responsable des actes ou transactions dans lesquel(le)s il ne s'est pas personnellement engagé
ou de quelque manière que ce soit n'a pas participé ».978 Plus récemment, il a souligné que « chaque type
de conduites représenterait une contribution assez importante pour le crime [pour établir] la responsabilité
pénale ».979 Ces deux déclarations reflètent le principe de culpabilité personnelle, qui nécessite la
démonstration d'un lien significatif entre la conduite personnelle de l'accusé et l'infraction pénale de laquelle il
est accusé. Les formes de responsabilité démontrent ce lien et sont légitimes dans la mesure où elles reflètent
de manière significative la culpabilité d'un individu.
Différentes formes de responsabilité comportent divers éléments physiques et mentaux. La nature à grande
échelle des crimes internationaux implique que l'attribution de la responsabilité individuelle exige souvent
de prouver non seulement la conduite de l'accusé mais aussi celle des autres personnes. Par conséquent,
le Ministère public doit invariablement prouver les éléments fondamentaux suivants afin d'assurer une
condamnation.980 Ils sont exposés dans le diagramme suivant :
977
978
979
980
Il faut, cependant, noter que les Chambres de première instance du TPIR ont différé quant à savoir si une condamnation peut être entrée pour l'entente
en vue de commettre le génocide et la perpétration du crime même. Dans l'affaire Musema, la Chambre de première instance a soutenu que les
condamnations cumulées ne pouvaient pas être soutenues (Le procureur contre Musema (TPIR) Affaire No ICTR-99-52-T, Jugement de première instance
(27 janvier 2000) paras (196)–(198). Dans les autres affaires devant le TPIR, par exemple, dans l'affaire Niyitegeka et Nahimana et al, l'accusé a été
reconnu coupable des deux infractions, le génocide et l'entente en vue de commettre le génocide. Le procureur contre Niyitegeka (TPIR) Affaire No ICTR96-14-T, Jugement de première instance (16 mai 2003) paras (429), (480), (483), (502) ; Le procureur contre Nahimana et al (TPIR) Affaire No ICTR-9952-T, Jugement de première instance (3 décembre 2003) paras (1043)–(1055). La Chambre d'appel n'a pas encore résolu la controverse. Voir Le procureur
contre Nahimana et al (TPIR) Affaire No ICTR-99-52-A, Jugement d'appel (28 novembre 2007) para (1023).
Le procureur contre Tadić (TPIY) Affaire No IT-94-1-A, Jugement d'appel (15 juillet 1999) para (186).
Le procureur contre Brđanin (TPIY) Affaire No IT-99-36-A, Jugement d'appel (3 avril 2007) para (427).
Pour en savoir plus Le procureur contre Milutinović et al (TPIY) Affaire No IT-05-87-T, Jugement de première instance (26 février 2009) paras (65)–(67).
256
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Tous les éléments chapeau du (des) crime(s) prouvé(s)
+
Éléments (mens rea et actus reus) d'infraction(s) sous-jacente(s) commise(s) mais pas
nécessairement par l'accusé
+
Exigences spécifiques de l'infraction sous-jacente (le cas échéant)
+
Actus reus (élément physique) de la forme de responsabilité concernée
+
Mens rea (élément moral) de la forme de responsabilité concernée
Comme nous l'avons vu au Chapitre 3, l'infraction sous-jacente peut être comparée à un crime conformément
au droit pénal national, comme le meurtre. Chaque infraction sous-jacente comporte ses propres mens rea
et actus reus ; cependant, certains d'entre eux nécessitent des exigences spécifiques, comme une intention
discriminatoire. Les éléments chapeau ou les soi-disant exigences générales du crime, comme une attaque
généralisée ou systématique contre la population civile, sont spécifiques à chaque crime particulier, comme
un crime contre l'humanité. En d'autres termes, ces éléments généraux qualifient une infraction sous-jacente,
comme le meurtre, de crime international, comme le meurtre comme crime contre l'humanité. En outre,
l'accusé peut être responsable d'un crime sur la base de l'une des formes de responsabilité, chacune comportant
les deux éléments mens rea et actus reus.981
Comme le diagramme ci-dessus l'indique, les deux premiers éléments n'ont souvent rien à voir avec l'accusé ;
ils donnent le contexte nécessaire pour l'infraction de l'accusé mais sont insuffisants pour le rentre coupable.
Cette situation survient lorsque l'accusé n'est pas l'auteur d'un crime physique. Par exemple, l'auteur du crime
peut être un commandant d'une unité qui fait partie des forces de l'armée d'un État particulier. Si les membres
de l'unité du commandant torturent et violent des civils pendant une attaque généralisée et systématique
commise par les forces de l'armée contre une population civile d'une certaine région de l'État, ce sont
seulement les deux derniers éléments, les actus reus et mens rea d'une forme de responsabilité particulière, qui
détermineront si l'accusé encourt la responsabilité des crimes commis. Chaque forme de responsabilité établit
des tests spécifiques pour ces deux éléments. Par conséquent, lorsque nous nous faisons référence à actus
reus ou mens rea dans le présent Chapitre (sauf indication contraire), nous faisons référence aux éléments qui
définissent la forme de responsabilité.
Il peut être utile de mettre en relation ces éléments avec un autre exemple pratique. Pour une personne
condamnée pour complicité de meurtre comme un crime contre l'humanité, les éléments suivants devraient
être prouvés :
981
Pour en savoir plus Le procureur contre Milutinović et al (n980) paras (65)–(67).
Manuel de droit pénal international
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chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Existence d'une attaque généralisée ou systématique contre la population civile
(élément chapeau du crime contre l'humanité).
Commis par les Personnes X et Y.
+
Une ou plusieurs personnes ont tué intentionnellement
(les éléments physiques et mentaux de l'infraction sous-jacente).
Commis par la Personne Z.
+
L'accusé à fourni à la Personne Z les armes et les munitions
((actus reus de complicité : l'aide de l'accusé doit avoir un effet « substantiel » sur la perpétration
d'un crime).
+
L'accusé savait que la Personne Z avait l'intention de tuer
((mens rea de complicité : l'accusé doit savoir qu'il participait à un crime particulier et doit être conscient
des éléments essentiels du crime, y compris l'état mental de l'auteur du crime).
La manière précise dont le Ministère public doit prouver les éléments actus reus et mens rea varie en fonction
de la forme de responsabilité particulière. Cependant, il est toujours nécessaire de prouver les éléments actus
reus et mens rea, et toute tentative de diluer ces exigences sera d'une légitimité douteuse.
Concernant actus reus, les actes de l'accusé doivent, sauf dans le cas de la responsabilité du supérieur,982
contribuer à, ou avoir un effet sur, la perpétration du crime. Par conséquent, cette participation doit avoir « un
effet direct et substantiel sur la perpétration de l'acte illégal ».983
En ce qui concerne le mens rea, excepté dans le cas de la responsabilité du supérieur, l'accusé doit au moins
savoir (ou être conscient de la probabilité substantielle) que ses actes contribueront à la conséquence pénale.
Cette exigence a été, à l'origine, exprimée dans la mesure minimale que :
Le correspondant . . mens rea est indiqué par l'exigence que l'acte de participation est commis en sachant qu'il aidera à . . la
perpétration de l'acte pénal. Par conséquent, il doit exister une « conscience de l'acte de participation associée à une décision
consciente de participer ». . .984
982
983
984
258
L'exception est la responsabilité du supérieur, qui - au moins dans le droit des tribunaux ad hoc – ne comporte pas d'exigence en matière de causalité ;
à la place, il est possible d'arguer que le défaut du supérieur d'agir de manière appropriée équivaut à une « adoption » de la conséquence pénale qui est
suffisante pour satisfaire le principe de culpabilité Il ne s'agit peut-être pas d'une coïncidence, cependant, si la CPI a introduit une exigence expresse de
causalité dans sa disposition sur la responsabilité du supérieur. Voir ci-dessous.
Le procureur contre Delalić et al (n948) para (326) (note de bas de page omise). Voir également Le procureur contre Aleksovski (TPIY) Affaire No IT-9514/1-T, Jugement de première instance (25 juin 1999) para (61) ; Le procureur contre Tadić (TPIY) Affaire No IT-94-1-T, Jugement de première instance
(7 mai 1997) paras (674), (688) ; Le procureur contre Akayesu (n956) paras (477)–(479).
Le procureur contre Delalić et al (n948) para (326) (note de bas de page omise).
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Il est possible d'arguer que l'état minimal mens rea est mieux exprimé en référence à la norme de droit civil
standard que le dolus eventualis qui est utilisé pour décrire « une forme d'intention inférieure, c.-à-d., un
degré de défaut approchant de la négligence ».985 Il peut également être expliqué dans les termes généraux
suivants :986
Le [D]olus eventualis est présent lorsqu'une personne, qui va faire quelque chose qui causera un événement, est entièrement
consciente du résultat possible comme effet secondaire audit comportement, mais décide néanmoins de garder la conduite,
reconnaissant et approuvant le résultat comme un coût potentiel de la réalisation de l'objectif visé. L'approbation d'un
résultat malfaisant, bien que non directement poursuivi par l'acteur (« effet secondaire »), est l'attitude subjective qui étaye la
condamnation pénale.
Par exemple, la Chambre d'appel du TPIY a soutenu qu'une norme de mens rea qui est inférieure à l'intention
directe peut s'appliquer en relation avec « le fait d'ordonner » conformément à l'Article 7(1) du Statut. Par
conséquent, une personne qui ordonne un acte ou une omission a l'élément mens rea nécessaire conformément
à l'Article 7(1) du Statute conformément au fait d'ordonner si cette personne ordonne un acte ou une omission
en ayant « conscience de la probabilité substantielle qu'un crime sera commis ». La Chambre d'appel a
également expliqué que le fait d'ordonner en ayant ladite conscience doit être considéré comme « l'acceptation
de ce crime ».987
En pratique, la CPI introduit également une norme minimale commune pour l'élément mental de la
responsabilité pénale. Techniquement, il s'agit d'une norme par défaut et, par conséquent, des dispositions
expresses contraires peuvent prévaloir sur celle-ci. Ces exceptions sont, cependant, rares. La disposition –
Article 30 du Statut de la CPI – indique ce qui suit :
Sauf disposition contraire, nul nest pénalement responsable et ne peut être puni à raison dun crime relevant de la compétence de la
Cour que si lélément matériel du crime est commis avec intention et connaissance.988
La signification précise de « l'intention et de la connaissance » reste ambiguë : les commentateurs autoritaires
ne sont pas d'accord quant à savoir si ces termes incluent ou excluent une norme dolus eventualis .989 Bien
que certaines décisions aient été prudentes pour éviter la question,990 une Chambre préliminaire de la CPI n'a
trouvé aucune difficulté à lire le concept de dolus eventualis dans l'Article 30 du Statut de la CPI.991
Un commentaire final doit être fait sur la question d'intention spécifique. En principe, toute forme de
responsabilité peut s'appliquer à tout crime et toute infraction sous-jacente,992 et toutes les exigences d'une
forme particulière n'altèrent pas ou ne remplacent pas formellement les éléments de l'infraction sous-jacente.993
Cependant, il existe un degré de tension entre ces deux concepts. Les crimes d'intention spécifique, comme
le génocide, nécessitent que l'auteur du crime n'agisse pas seulement intentionnellement mais qu'il souhaite
un résultat particulier. La question a, par conséquent, été posée quant à savoir comment les individus peuvent
être correctement condamnés pour lesdits crimes au moyen de formes de responsabilité qui nécessitent
985
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992
993
Alberto di Martino, « Dolus Eventualis » dans Antonio Cassese (éd), The Oxford Companion to International Criminal Justice (OUP, Oxford 2009) 302.
Ibid.
Le procureur contre Kordić & Čerkez (TPIY) Affaire No IT-95-14/2-A, Jugement d'appel (17 décembre 2004) paras (29)–(32) ; Le procureur contre
Blaškić (TPIY) Affaire No IT-95-14-A, Jugement d'appel (29 juillet 2004) para (42).
Article 30 du Statut de la CPI.
Cryer et al (n4) 320 ; Gerhard Werle and Florian Jessberger, « Unless otherwise provided » : Article 30 du Statut de la CPI et les éléments mentaux des
crimes conformément au droit pénal international (2005) 3 J Int’l Crim Just 35, 42, 53 ; Albin Eser, « Individual criminal responsibility » dans Antonio
Cassese et al I The Rome Statute of the International Criminal Court : A Commentary (n964) 881 ; Elies van Sliedregt, The Criminal Responsibility of
Individuals for Violations of International Humanitarian Law (TMC Asser Press, Cambridge/The Hague 2003) 51–52.
Le procureur contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui (CPI) Affaire No ICC-01/04-01/07, Décision sur la confirmation des chefs d'accusation
(30 septembre 2008) para (531).
Le procureur contre Thomas Lubanga Dyilo (CPI) Affaire No ICC-01/04-01/06, Décision sur la confirmation des chefs d'accusation (29 janvier 2007)
paras (351)–(355).
Le procureur contre Kajelijeli (TPIY) Affaire No ICTR-98-44A-T, Jugement de première instance (1er décembre 2003) para (756).
Le procureur contre Stakić (n958) para (437), (442).
Manuel de droit pénal international
259
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
une norme mens rea inférieure à l'intention directe. Cela a déjà été discuté au Chapitre 3, dans le contexte
de la responsabilité pour le génocide, et est brièvement considéré dans le contexte des autres formes de
responsabilité ci-dessous.
Crimes inchoatifs
Pour les raisons exprimées ci-dessus, les crimes inchoatifs doivent être perçus comme l'exception, plutôt
que la règle, dans l'attribution de la responsabilité en droit pénal international. Cela dit, un nombre limité
d'infractions inchoatives est bien établi en droit pénal international et elles sont donc brièvement décrites ici.
Elles incluent :
• la tentative de commettre un crime interdit par le droit international (CPI uniquement, excepté pour la
tentative de génocide qui est une infraction conformément aux Statuts du TPIY et du TPIR) ;
• l'incitation directe et publique à commettre le génocide ; et
• l'entente en vue de commettre le génocide.
Les dispositions applicables sur le génocide dans les Statuts des tribunaux ad hoc font référence à la
responsabilité pénale pour tentative, incitation, entente et complicité mais (inutilement) ne clarifient pas
si celles-ci doivent être considérées comme formes de responsabilité ou infractions inchoatives.994 La
jurisprudence des tribunaux a également été confuse sur ce point. Le meilleur avis est que l'incitation
directe et publique à commettre le génocide995 et l'entente en vue de commettre le génocide996 sont des
infractions inchoatives ; et que la complicité dans le génocide est une forme de responsabilité.997
Les tribunaux ad hoc ont été entièrement silencieux sur la question de la tentative, et les poursuites concernant
ces lignes n'ont pas eu lieu. Il est difficile de prévoir la manière dont la disposition sur la tentative de génocide
pourrait être interprétée.
Confusément, le Statut de la CPI fait référence à l'incitation directe et publique à commettre le génocide998 et
à la tentative de génocide dans une disposition999 qui est autrement concernée exclusivement par les formes
de responsabilité. Néanmoins, ces infractions (bien que non vérifiées) ne doivent probablement pas être
considérées comme des crimes inchoatifs.1000 Le Statut de la CPI ne fait aucune référence à la notion d'entente
en vue de commettre le génocide, mais le Ministère public pourrait essayer d'introduire ladite infraction
au moyen de l'Article 21 du Statut.1001 Il est possible d'arguer que ladite infraction existe dans le droit
international coutumier.1002
Les éléments de ces infractions inchoatives peuvent être résumés de la manière suivante.
994
995
996
Voir généralement, Article 4 du Statut du TPIY ; Article 2 du Statut du TPIR.
Le procureur contre Nahimana et al (n977) para (678)–(679).
Le procureur contre Kajelijeli (n992) para (788) ; Le procureur contre Musema (TPIR) Affaire No ICTR-96-13-T, Jugement de première instance (27 janvier
2000) paras (184)–(198).
997 Le procureur contre Blagojević et Jokić (TPIY) Affaire No IT-02-60-T, Jugement de première instance (17 janvier 2005) paras (776)–(782).
998 Article 25(3)(e) du Statut de la CPI.
999 Article 25(3)(f) du Statut de la CPI : Une personne est pénalement responsable et doit être punie pour un crime dans la juridiction de la CPI si cette
personne « tente de commettre ledit crime en effectuant une action qui commence son exécution au moyen d'une étape substantielle, mais le crime n'a
pas lieu en raison de circonstances indépendantes des intentions de la personne. Toutefois, une personne qui abandonne l'effort de commettre le crime ou
empêche autrement la perpétration du crime ne doit pas être punie...si cette personne a abandonné entièrement et volontairement l'objectif pénal ».
1000 Voir, ex, Gerhard Werle, Principles of International Criminal Law (TMC Asser Press, Cambridge/The Hague 2005) 166, 168.
1001 Voir Le procureur contre Al-Bashir (CPI) Affaire No ICC-02/05-01/09, Décision sur l'application du Ministère public pour un mandat d'arrêt à l'encontre
d'Omar Hassan Ahmad Al Bashir (4 mars 2009) para (44).
1002 Harmen van der Wilt, « Joint criminal enterprise : possibilities and limitations » (2007) 5 J Int’l Crim Just 91, 95 ; Antonio Cassese, « Genocide » dans
Cassese et al (n964) 335, 347 ; Le procureur contre Seromba (TPIR) Affaire No ICTR-2001-66-A, Jugement d'appel (12 mars 2008) para (218), OUP,
Oxford.
260
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Tentative
L'infraction de tentative, comme matière du droit pénal international, a seulement été codifiée dans
l'Article 25(3)(f) du Statut de la CPI. Les Statuts du TPIY et du TPIR ne font aucune référence aux tentatives,
à part sanctionner en particulier « la tentative de génocide ».1003 L'Article 25(3)(f) du Statut de la CPI stipule la
responsabilité pénale, concernant un crime dans la juridiction de la CPI, d'une personne qui :
Tente de commettre ledit crime en effectuant une action qui commence son exécution au moyen d'une
étape substantielle, mais le crime n'a pas lieu en raison de circonstances indépendantes des intentions
de la personne. Cependant, une personne qui abandonne l'effort de commettre le crime ou empêche
autrement la perpétration du crime ne doit pas être punie, conformément au présent Statut, pour la
tentative de commettre ce crime si cette personne a abandonné entièrement et volontairement l'objectif
pénal.
La tentative (telle que poursuivie par la CPI) nécessite qu'une personne suive « étape substantielle » qui
« commence » un crime conformément au Statut. L'étape doit être plus que simplement « préparatoire » à
la perpétration de l'infraction, mais le crime n'a pas besoin d'avoir lieu en réalité. La personne doit avoir
agi délibérément, avec l'intention qu'un crime particulier ait lieu. Il s'agit d'une défense si la tentative est
complètement et volontairement abandonnée.1004
Incitation directe et publique à commettre le génocide
L'incitation directe et publique à commettre le génocide consiste en le fait d'encourager directement et
publiquement une personne à commettre le génocide. Le crime peut être commis au moyen de discours, cris
ou menaces exprimés dans des lieux publics ou lors de rassemblements publics, ou au moyen de la vente ou
dissémination, offre de vente ou affichage d'un document écrit ou imprimé dans des lieux publics ou lors de
rassemblements publics, ou au moyen d'affichage public de pancartes ou affiches, ou par tout autre moyen de
communication audiovisuelle.1005 Les termes exprès n'ont pas besoin d'être utilisés stipulant qu'il est prouvé
que le discours a constitué une incitation directe et publique dans le contexte particulier. L'orateur doit avoir
eu l'intention spéciale de génocide et avoir eu l'intention de l'encourager.1006
L'incitation directe et publique doit être distinguée de l'instigation, qui est une forme de responsabilité. Un
accusé encourra la responsabilité pénale pour l'instigation si l'instigation a en fait substantiellement contribué
à la perpétration d'un crime, alors que l'incitation directe et publique à commettre le génocide est un crime
en soi et il n'est pas nécessaire de démontrer qu'elle a en fait substantiellement contribué à la perpétration des
actes de génocide. Ce dernier est, par conséquent, punissable même si aucun acte de génocide n'a découlé de
celui-ci.1007
1003
1004
1005
1006
1007
L'Article 4(3) du Statut du TPIY et l'Article 2(3) correspondant du Statut du TPIR.
Voir Albin Eser, « Individual Criminal Responsibility » (n989) 767, 809–818.
Le procureur contre Akayesu (n956) para (559).
Ibid para (560).
Le procureur contre Karemera et al (TPIR) Affaire No ICTR-98-44-AR73(C), Décision sur les requêtes de révision, Chambre d'appel (1 décembre 2006)
para (678).
Manuel de droit pénal international
261
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Il existe également une différence entre l'incitation à la haine en général et l'incitation directe et publique à
commettre le génocide. Cette dernière suppose que l'incitation est un appel direct à commettre le génocide
et elle doit être plus qu'une simple suggestion vague ou indirecte. Dans la plupart des cas, l'incitation directe
et publique à commettre le génocide peut être précédée ou accompagnée de l'incitation à la haine, mais seule
l'incitation directe et publique à commettre le génocide est punissable conformément aux Statuts du TPIY et
du TPIR.1008
Entente en vue de commettre le génocide
L'entente en vue de commettre le génocide nécessite de prouver que deux personnes ou plus ont convenu
de commettre le crime de génocide.1009 Il est inutile de montrer que le crime a été en réalité commis. Les
conspirateurs doivent avoir eu l'intention spéciale de génocide.
Enfin, il faut également noter (malgré certaines suggestions contraires1010) que la responsabilité au moyen
d'une « entreprise criminelle commune »,1011 ou le fait de « planifier » ou d'« ordonner »,1012 n'est pas imposée
sur la base d'une théorie d'infraction inchoative. En relation avec chacune de ces formes de responsabilité, il
est indiscutable qu'un accusé ne puisse pas être condamné, sauf si l'acte pénal qu'il a planifié a en fait eu lieu et
que l'accusé y a contribué en suivant les lignes exprimées ci-dessus.
L'affaire des médias1013
Le procureur contre Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze
TPIR, Affaire No ICTR-99-52-A
« Le procès des médias » au Tribunal pénal international pour le Rwanda a pris en considération le
rôle joué par les médias pendant le génocide du Rwanda de 1994 et si tout individu pouvait être tenu
pénalement responsable du contenu des émissions radio et/ou de la presse écrite.
Les trois défenseurs, Ferdinand Nahimana, Jean-Bosco Barayagwiza et Hassan Ngeze, ont été
jugés conjointement. Nahimana et Barayagwiza étaient tous deux membres du comité directeur de
« RTLM SA », la société fondatrice de la station de radio Radio Télévision Libre des Mille Collines
(« RTLM ») au Rwanda. Ngeze était le propriétaire, fondateur et rédacteur en chef du journal
Kangura.
1008 Ibid para (692).
1009 Le procureur contre Ntagerura et al (TPIY) Affaire No ICTR-99-46-A, Jugement d'appel (7 juillet 2006) para (92).
1010 Voir Gerhard Werle, Principles of International Criminal Law (n1000) 316. En ce qui concerne le fait d'ordonner, voir Von Falkenhorst, British Military
Court (Brunswick) (2 août 1946) (1949) 11 Law Reports of Trials of War Criminals 18, 24.
1011 L'« entreprise criminelle commune » n'est pas analogue à l'infraction inchoative générale d'« entente » (dont l'existence en droit international reste
contestée) : Le procureur contre Milutinović et al (n926) par Judge Hunt, para (23) ; George Fletcher, « The Hamdan case and conspiracy as a war crime »
(2006) 4 J Int’l Crim Just 442, 445–446 ; Guénaël Mettraux, International Crimes and the Ad Hoc Tribunals (OUP, Oxford 253, 291) 2005 ; George
Fletcher, Rethinking Criminal Law (OUP, Oxford 2000) 647.
1012 Le procureur contre Nahimana et al (n977) para (479) ; Le procureur contre Kordić & Čerkez (n987) paras (26), (28) ; le procureur contre Haradinaj et al
(TPIY) Affaire No IT-04-84-T, Jugement de première instance (3 avril 2008) para (141) ; Le procureur contre Brđanin (n972) para (267).
1013 Résumé préparé par Joanna Evans sur la base de Gillian Higgins et Joanna Evans, « Nahimana and Others (Media case) » dans Antonio Cassese (éd) The
Oxford Companion to International Criminal Justice (OUP, Oxford 2009) 833–836.
262
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Les trois accusés ont été accusés de responsabilité pénale individuelle conformément à l'Article 6(1)
du Statut du TPIR sur le compte du génocide, de l'entente en vue de commettre le génocide, de
l'incitation directe et publique à commettre le génocide, de la complicité de génocide et des crimes
contre l'humanité (persécution, extermination). Barayagwiza et Ngeze ont également été accusés de
responsabilité de supérieur conformément à l'Article 6(3) du Statut du TPIR en relation avec tous
les chefs d'accusation pour entente en vue de commettre le génocide. Nahimana a été accusé de
responsabilité de supérieur uniquement en relation des chefs d'accusation de l'incitation directe et
publique à commettre le génocide et le crime contre l'humanité de persécution. Ngeze a été également
accusé de meurtre comme crime contre l'humanité.
Ce résumé se concentre sur les chefs d'accusation d'incitation directe et publique à commettre le
génocide et d'entente en vue de commettre le génocide.
Incitation directe et publique à commettre le génocide
La Chambre de première instance a déterminé que les trois accusés étaient coupables d'incitation directe
et publique à commettre le génocide. Il est considéré que le crime d'incitation est une infraction inchoative
qui continue dans le temps jusqu'à la perpétration des actes prévus et, en tant que tel, la Chambre en prenant
sa décision a pu prendre en considération les actes avant la compétence temporelle du TPIR. La Chambre
d'appel, cependant, a soutenu que cette approche était incorrecte et que l'infraction d'incitation directe et
publique est effectuée dès que les termes en question sont exprimés, diffusés ou publiés.
La Chambre d'appel a également soutenu que des programmes RTLM diffusés après le 6 avril 1994 et
certains articles de Kangura publiés en 1994 équivalaient à l'incitation directe et publique à commettre
le génocide. La Chambre d'appel a également déterminé que Nahimana était un supérieur du personnel
de RTLM qui avait la capacité matérielle d'empêcher ou de punir la diffusion des paroles pénales du
personnel, même après le 6 avril 1994. Elle a également soutenu qu'il savait ou avait des raisons de
savoir que ses subordonnés étaient sur le point de diffuser ou avaient déjà diffusé des paroles incitant
au meurtre du Tutsi et qu'il n'avait pas pris les mesures raisonnables et nécessaires pour empêcher
ou punir cette incitation par le personnel de RTLM en 1994 à tuer le Tutsi. La condamnation contre
Nahimana pour incitation directe et publique à commettre le génocide conformément à l'Article 6(3)
a été, par conséquent, confirmée. Cependant, celle de Barayagwiza a été infirmée sur la base qu'il a
uniquement exercé le contrôle effectif sur les journalistes et les employés de RTLM avant le 6 avril
1994 à un moment lorsque la Chambre d'appel a soutenu que les diffusions concernées n'équivalaient
pas à l'incitation directe et publique à commettre le génocide. Par conséquent, la condamnation de
Barayagwiza conformément à l'Article 6(3) du Statut a été infirmée.
La Chambre d'appel a confirmé la condamnation de Ngeze pour incitation directe et publique à
commettre le génocide sur la base qu'il a écrit deux ou trois des articles publiés en 1994.
Manuel de droit pénal international
263
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Entente en vue de commettre le génocide
La Chambre de première instance a condamné les trois défenseurs pour entente en vue de commettre
le génocide conformément à l'Article 6(1). Elle a déduit que l'entente pouvait consister en des
individus agissant dans une capacité institutionnelle ainsi que ou même indépendamment de
leurs liens personnels les uns envers les autres. Elle a également soutenu que les trois défenseurs
avaient consciemment interagi les uns avec les autres, utilisant les institutions qu'ils contrôlaient
pour promouvoir leur agenda commun de cibler la population tutsie pour destruction. En outre, en
vue de la nature inchoative de l'infraction, la Chambre de première instance a considéré que les
actes d'entente avant 1994 qui entraînaient la perpétration du génocide en 1994 entraient dans la
compétence temporelle du Tribunal. La Chambre d'appel a, cependant, considéré que l'inférence
que les requérants se sont entendus les uns avec les autres en vue de commettre le génocide ou
que l'action coordonnée des institutions concernées équivalait à une entente pénale qui n'était pas
la seule inférence raisonnable qui pouvait être tirée de la preuve présentée. Par conséquent, les
condamnations de la Chambre de première instance pour entente en vue de commettre le génocide
ont été infirmées.
Nahimana a été condamné à 30 ans d'emprisonnement, Barayagwiza à 32 ans d'emprisonnement et
Ngeze à 35 ans d'emprisonnement.
Perpétration directe et individuelle
Le TPIY et le TPIR considèrent une personne comme ayant « commis » une infraction « lorsqu'elle perpètre
physiquement l'acte pénal concerné ou engendre une omission coupable en violation d'une règle du droit
pénal ».1014 Les termes tels que « commettre » et « perpétrer » sont interchangeables. La nature « physique »
de l'acte de l'accusé n'est pas non plus une exigence absolue : la référence est un terme d'art pour connoter
l'implication « directe » et « personnelle » (c.-à-d., individuelle).1015 Dans ce contexte, il est possible pour un
individu de perpétrer un crime conformément au droit international par omission, à condition que l'accusé était
sous une obligation juridique positive d'agir au moment des faits.1016 Il n'a pas été clairement établi quels types
d'obligations peuvent permettre la condamnation et s'ils doivent émaner de tout corpus de lois particulier.
Comme exemple hypothétique, l'obligation du droit international humanitaire de protéger les prisonniers de
guerre pourrait permettre la poursuite d'un gardien pour meurtre par omission lorsqu'il n'a pas empêché une
foule de civils de tuer le prisonnier de guerre.1017
1014 Le procureur contre Kunarac et al (TPIY) Affaire No IT-96-23-T/IT-96-23/1-T, Jugement de première instance (22 février 2001) para (390) (note de bas de page
omise). Voir aussi Le Procureur contre Kayishema et Ruzindana (TPIR) Affaire No ICTR-95-1-A, Jugement d'appel (1er juin 2001) para (187) ; Le procureur
contre Tadić (n978) para (572).
1015 Le procureur contre Gacumbitsi (TPIY) Affaire No ICTR-2001-64-A, Jugement d'appel (7 juillet 2006) para (60) ; Le procureur contre Limaj et al (TPIY)
Affaire No IT-03-66-T, Jugement de première instance (30 novembre 2005) para (509).
1016 Le procureur contre Brđanin (n979) para (274) ; Le procureur contre Galić (TPIY) Affaire No IT-98-29-A, Jugement d'appel (30 novembre 2006) para
(175) ; Le procureur contre Ntagerura et al (n1009) para (334).
1017 Voir, ex, Le procureur contre Mrkšić et al (TPIY) Affaire No IT-95-13/1-A, Jugement d'appel (5 mai 2009) paras (73)–(74).
264
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
En général, le Ministère public doit établir les éléments suivants au-delà du doute raisonnable :
• la conduite délibérée de l'accusé a fait partie « intégrante »1018 de l'élément actus reus du fait
incriminé ;
• l'accusé « avait l'intention » de commettre l'infraction ou a agi tout en connaissant la probabilité
substantielle que ses actions entraîneraient la réussit de cette infraction ;1019 et
• l'accusé avait toute intention spécifique nécessaire.
Le TSSL a expressément déclaré qu'il suivait le droit du TPIY/TPIR dans ce contexte.1020 La position à la
CPI est également susceptible d'être largement similaire, bien que l'étendue précise de la norme mentale
applicable dépende manifestement de l'interprétation donnée à l'Article 30 du Statut de la CPI (voir ci-dessus).
Il faut noter que le Statut de la CPI ne fait aucune référence à la possibilité d'omissions formant la base de
l'infraction. Les Chambres de la CPI peuvent bien suivre l'approche du TPIY/TPIR à cet égard, important le
droit international coutumier applicable au moyen de l'Article 21 pour combler cette lacune.1021
Perpétration au travers d'un groupe
Les cours et tribunaux pénaux internationaux et hybrides ont adopté différentes définitions techniques de
ces formes de responsabilité qui recouvrent la perpétration d'une infraction au moyen de l'activité de groupe.
La complexité qui provient de cette variété est regrettable. Le même concept fondamental (responsabilité
individuelle pour les crimes commis par l'action concertée de plus d'une personne) est principalement reflété
par les formes de responsabilité suivantes :
• Entreprise criminelle commune (ECC) ;
• Coperpétration (également appelée « perpétration conjointe ») ;
• Perpétration indirecte (également appelée « perpétration par moyens ») ;
• Coperpétration indirecte.
La responsabilité pénale égale de tous les membres du groupe est un principe fondamental de cette catégorie
générale de responsabilité,1022 bien que la condamnation puisse (et doit) être individualisée pour prendre en
compte les circonstances personnelles.
1018 Dans le contexte du génocide, la « perpétration directe et physique » n'a pas besoin de signifier le meurtre physique ; d'autres actes peuvent constituer la
participation directe dans l'élément actus reus des crimes. Par exemple, la Chambre d'appel du TPIR a déterminé que Gacumbitsi, qui était physiquement
présent sur les lieux pour superviser et diriger le massacre de la Paroisse de Nyarubuye et qui a participé activement à celui-ci en séparant les réfugiés
tutsis afin qu'ils puissent être tués, « commettait » un génocide et n'« ordonnait », ne « planifiait » ou n'« incitait » pas simplement le génocide. Elle a
confirmé la décision de la Chambre de première instance que l'action de Gacumbitsi de personnellement diriger les réfugiés tutsis et hutus à séparer
équivalait à faire partie intégrante du génocide était donné que cela a permis ces meurtres. Le procureur contre Gacumbitsi (n1015) paras (60)–(61) ; Le
procureur contre Seromba (n1002) para (161).
1019 Procureur contre Limaj et al (n1015) para (509).
1020 Le procureur contre Fofana et Kondewa (n926) para (205) ; Le procureur contre Brima et al (TSSL) Affaire No SCSL-04-16-T, Jugement de première
instance (20 juin 2007) paras (762)–(763).
1021 Voir Le procureur contre Al-Bashir (n1001) para (44).
1022 Le procureur contre Vasiljević (TPIY) Affaire No IT-98-32-A, Jugement d'appel (25 février 2004) para (111) ; Le procureur contre Blagojević et Jokić
(n997) para (702) ; Le procureur contre Stakić (n958) para (435).
Manuel de droit pénal international
265
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Entreprise criminelle commune (ECC)
La forme de responsabilité la plus courante pour la perpétration par le biais d'un groupe est la responsabilité
pour « entreprise criminelle commune » (ECC).1023 Tout d'abord expressément définie comme une doctrine
du droit international dans une décision importante du TPIY,1024 l'ECC a été extraordinairement controversée.
La légitimité de base de son application a fait face à des défis importants au TPIY à quatre reprises.1025
Néanmoins, sur la même période, de nombreux autres tribunaux ont adopté la doctrine,1026 et plus encore lui
ont accordé une considération active.1027
La controverse de la doctrine de l'ECC a deux explications principales. Premièrement, le concept n'était
pas expressément inclus dans le Statut du TPIY, et le terme a été dérivé au moyen de l'interprétation
jurisprudentielle du terme « perpétration » dans l'Article 7(1) du Statut du TPIY.1028 Cela a mené à se
préoccuper du pouvoir du tribunal d'« étendre » sa juridiction et de la culpabilité relative de ceux condamnés
conformément à la doctrine. Deuxièmement, simplement en tant que forme de responsabilité plus compliquée
que les autres, la base et l'étendue de la doctrine en droit international coutumier ont été ouvertes au défi. En
principe, beaucoup de ces questions ont été résolues dans la jurisprudence du TPIY pendant un certain temps.
En pratique, étant donné la complexité de l'ECC (et la large gamme de conduite sur laquelle la responsabilité
pour ECC peut être basée), la doctrine continuera à subir le développement et à rester controversée.
La responsabilité pour ECC soutient qu'un accusé responsable comme auteur du crime pour la totalité de la
conduite qui peut être attribuée à un groupe exécutant un plan, dessein ou objectif criminel commun qu'il
partage. L'accusé n'a pas besoin d'exécuter personnellement tous les ou l'un des éléments du (des) crime(s)
ou infraction(s) sous-jacente(s). Bien que la contribution de l'accusé n'ait pas besoin d'être nécessaire ou
substantielle, elle doit au moins être une contribution significative aux crimes pour lesquels l'accusé est
déclaré responsable.
L'ECC est couramment décrite dans trois catégories, caractérisée par les différentes approches de l'élément
mens rea. Ce sont les suivantes :
• L'ECC « basique » (ECC I), conformément à laquelle tous les membres, agissant conformément à un
objectif commun, ont la même intention de commettre un crime ou une infraction sous-jacente, et le crime
ou l'infraction sous-jacente est commis(e) par l'un ou plusieurs d'entre eux ou par les autres personnes
agissant dans leur injonction.1029
• L'ECC « systémique » (ECC II), qui est caractérisée par l'existence d'un système criminel organisé, comme
dans l'affaire des camps de détention dans lesquels les prisonniers sont maltraités conformément à un objectif
commun.1030
1023 De différentes manières, elle a également été décrite comme responsabilité pour « plan criminel commun, un objectif criminel commun, un dessein
ou un objectif commun, un dessein criminel commun, un objectif commun, un dessein commun. . . un dessein concerté commun. . . une entreprise
criminelle, une entreprise commune et une entreprise criminelle commune ». Elle peut également être librement décrite comme agissant « de concert ».
Tous ces termes font référence à la responsabilité pour ECC.. Le procureur contre Brđanin et Talić (TPIY) Affaire No IT-99-36-T, Décision sur la forme
d'application d'accusation et de poursuite modifiée à modifier (26 juin 2001) para (24) ; Le procureur contre Vasiljević (n941) para (63).
1024 Le procureur contre Tadić (n978) para (190 et seq).
1025 Le procureur contre Krajišnik (TPIY) Affaire No IT-00-39-A, Jugement d'appel (17 mars 2009) ; Le procureur contre Brđanin (n979) ; Le procureur
contre Milutinović et al (n926) ; Le procureur contre Tadić (n978).
1026 Le procureur contre Ntakirutimana et Ntakirutimana (TPIY) Affaire No ICTR-96-10-A/ICTR-96-17-A, Jugement d'appel (13 décembre 2004) para (468) ;
Le procureur contre Fofana et Kondewa (n926) para (208) ; Le procureur contre Perreira, Chambre spéciale pour les crimes graves (Timor oriental)
34/3003, Jugement de première instance (27 avril 2005) 19–20 ; Le procureur contre de Deus, Chambre spéciale pour les crimes graves (Timor oriental)
2a/2004, Jugement de première instance (12 avril 2005) 13.
1027 Voir, ex, CETC, Bureau des co-juges d'instruction, Doc No D.97, Ordre d'application au CETC de la forme de responsabilité connue comme Entreprise
criminelle commune (16 septembre 2008).
1028 Le procureur contre Tadić (n978) para (226).
1029 Le procureur contre Tadić (n978) paras (196), (220) ; Le procureur contre Brđanin (n979) para (365) ; Le procureur contre Milutinović et al (n980)
para (96).
1030 Le procureur contre Tadić (n978) paras (202)–(203), (220) ; Le procureur contre Krnojelac (TPIY) Affaire No IT-97-25-A, Jugement d'appel
(17 septembre 2003) para (89) ; Le procureur contre Milutinović et al (n980) para (96).
266
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
• L'ECC « étendue » (ECC III) couvre les crimes qui sortent du plan commun, mais qui sont néanmoins une
conséquence naturelle et prévisible de l'effet de cet objectif commun. Par exemple, l'intention partagée par
un groupe de retirer par la force les membres d'une appartenance ethnique de leur ville, village ou région
avec la conséquence que, en faisant cela, une ou plusieurs victimes sont tuées par balle.1031
Chaque catégorie est considérée plus en détail ci-dessous.
Comme toutes les formes de responsabilité, toutes les catégories d'ECC sont applicables à tous les crimes
et infractions sous-jacentes, y compris les crimes ou infractions sous-jacentes nécessitant une intention
spécifique, telle que la persécution comme crime contre l'humanité.1032
Éléments physiques
Toutes les formes d'ECC partagent les mêmes éléments physiques, d'abord exposés par la Chambre d'appel du
TPIY dans Tadić. La signification de chacun de ces points a été élaborée dans la jurisprudence, comme discuté
ci-dessous.
Éléments physiques
(a) pluralité des personnes ;
(b)existence d'un plan, dessein ou objectif criminel commun qui équivaut à ou implique la
perpétration d'un crime stipulé dans le Statut ;
(c)participation de l'accusé au plan, dessein ou objectif criminel commun impliquant la perpétration
de l'un des crimes stipulés dans le Statut.
Pluralité des personnes
La signification de base de la « pluralité » suppose qu'une ECC peut survenir si plus d'une personne est engagée
dans une entreprise criminelle. Il n'est pas nécessaire d'identifier en particulier tous les membres par leur nom,
indiquant que l'identité de la pluralité même est établie.1033 Les individus qui commettent personnellement
les actes criminels (auteurs du crime physiques) ne doivent pas nécessairement être des membres de l'ECC
partageant l'objectif criminel commun, mais, si non, il doit être démontré que (a) le crime ou l'infraction sousjacente peut être imputé(e) à un membre de l'entreprise criminelle commune (pas nécessairement l'accusé)
et (b) que ce membre, lorsqu'il utilise un auteur du crime principal, a agi conformément au plan commun.1034
La pluralité n'a pas besoin d'être organisée en une structure militaire, politique, administrative ou toute autre
structure officielle.1035
1031 Le procureur contre Tadić (n978) para (204) ; Le procureur contre Kvočka et al (TPIY) Affaire No IT-98-30/1-A, Jugement d'appel (28 février 2005)
para (83).
1032 Le procureur contre Kvočka et al (n1031) para (240) ; Le procureur contre Krnojelac (n1030) para (111).
1033 Le procureur contre Krajišnik (n1025) para (156) ; Le procureur contre Krnojelac (n1030) para (116).
1034 Le procureur contre Brđanin (n979) paras (413), (418), (430).
1035 Le procureur contre Tadić (n978) para (227)(i).
Manuel de droit pénal international
267
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Plan, projet ou dessein communs
Le plan, dessein ou objectif commun est librement défini en tant que « compréhension ou arrangement
équivalent à un accord »1036 de commettre un ou plusieurs crimes particuliers et/ou infractions sousjacentes, il équivaut alors essentiellement à un concept objectif . Il n'y a aucun besoin d'accord exprès,1037
ou pour les parties concernées de reconnaître subjectivement qu'il existe un plan commun comme tel.1038
L'objectif commun n'a pas besoin d'être arrangé ou formulé au préalable ; il peut se matérialiser de manière
improvisée.1039 Il n'existe aucune exigence de compréhension ou d'accord supplémentaire de commettre un
crime particulier entre l'accusé et l'auteur du crime principal.1040 En ce qui concerne l'ECC II, le système de
maltraitance est le plan, dessein ou objectif commun même.1041
En pratique, le plan commun est généralement établi par l'inférence judiciaire.1042 Ceci doit, bien sûr, être réalisé
selon la norme pénale :1043 c.-à-d., prouvé au-delà du doute raisonnable. Un indicateur utile d'un plan, dessein
ou objectif commun peut être l'action coordonnée des parties concernées.1044 Le tribunal ne s'est pas, cependant,
basé sur des exemples isolés de conduite apparemment facilitatrice.1045 L'exigence d'objectif commun nécessite
la preuve que « l'objectif criminel n'est pas simplement le même mais également commun à toutes les personnes
agissant ensemble dans une entreprise criminelle commune »..1046
Cette approche est mieux illustrée par un exemple.
Dans le contexte d'une attaque plus large sur la population civile du pays, trois personnes (le maire, le chef
de police et le patron de la société de bus) acceptent de retirer tous les gens roux de leur ville. Ils ne laissent
aucune preuve de cet accord. Cependant, au cours de la semaine suivante, tous les roux de la ville sont
arrêtés par les officiers de police locaux. En choisissant qui arrêter, les officiers de police sont aperçus en
train de consulter des listes marquées « Roux ». Toutes les personnes arrêtées sont emmenées sur la place de
la ville, où tous les bus de la ville attendent. Les roux sont déportés dans un pays voisins. Un tribunal pénal
international condamne plus tard le maire, le chef de police et le patron de la société de bus pour déportation
comme crime contre l'humanité, au moyen d'une théorie d'ECC. Le tribunal a déduit l'existence du plan
commun à partir des faits que a) les officiers de police ont reçu l'ordre d'arrêter les roux ; b) le bureau du maire
leur a remis une liste des cibles ; c) la société de bus a interrompu tous les services normaux afin de transporter
les roux ailleurs. Le tribunal a acquitté une quatrième personne, qui a dressé une liste des roux à des fins de
recensement, étant donné qu'il n'a pas considéré sa participation au plan commun comme prouvée au-delà du
doute raisonnable, même si elle a indirectement fourni la base pour identifier les victimes.
1036 Le procureur contre Simić et al (TPIY) Affaire No IT-95-9-T, Jugement de première instance (17 octobre 2003) para (158) ; Le procureur contre Stakić
(n958) para (435).
1037 Le procureur contre Brđanin (n979) paras (417)–(419) ; Le procureur contre Mrkšić et al (TPIY) Affaire No IT-95-13/1-T, Jugement de première instance
(27 septembre 2007) para (545).
1038 Le procureur contre Vasiljević (n1022) para (109).
1039 Le procureur contre Brđanin (n979) para (418) ; Le procureur contre Tadić (n978) para (227)(ii) ; Le procureur contre Vasiljević (n1022) para (100).
1040 Le procureur contre Brđanin (n979) para (418).
1041 Le procureur contre Kvočka et al (TPIY) Affaire No IT-98-30/1-T, Jugement (2 novembre 2001) para (320) ; TPIY IT-98-30/1-A, Jugement d'appel
(28 février 2005) para (183).
1042 Le procureur contre Tadić (n978) para (227)(ii).
1043 Le procureur contre Furundžija (TPIY) Affaire No IT-95-17/1-A, Jugement d'appel (21 juillet 2000) para (120).
1044 Le procureur contre Haradinaj et al (n1012) para (139) ; Le procureur contre Krajišnik (TPIY) Affaire No IT-00-39-T, Jugement de première instance
(27 septembre 2006) para (884) ; Le procureur contre Brđanin (n972) para (351).
1045 Le procureur contre Brđanin (n972) para (352).
1046 Le procureur contre Stakić (n953) para (69) ; Le procureur contre Brđanin (n979) para (430).
268
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Participation de l'accusé à l'ECC
Pour que la responsabilité pour ECC survienne, l'accusé doit avoir participé à au moins un aspect du plan,
dessein ou objectif commun impliqué dans la perpétration d'un crime ou d'une infraction sous-jacente
stipulé(e) dans le Statut.1047 L'importance de l'élément participatif dans l'ECC ne doit pas être sous-estimée :
sans preuve que l'accusé a participé au plan criminel, l'ECC s'approcherait de la responsabilité pour l'infraction
inchoative d'entente.1048 Tous les types de conduite n'équivaudraient pas à une contribution assez considérable
au crime pour que cela créé une responsabilité pénale pour l'accusé concernant le crime en question.1049 Bien
que la contribution n'a pas besoin d'être nécessaire ou substantielle,1050 elle doit être au moins une contribution
suffisante aux crimes pour lesquels l'accusé est déclaré responsable.1051 Il doit également être établi que le
crime communément prévu (ou, pour des condamnations conformément à la troisième catégorie d'ECC, le
crime prévisible) n'a en fait pas eu lieu.1052 Il n'est pas nécessaire de démontrer que l'accusé a commis un crime
spécifique ou une infraction sous-jacente lui-même ;1053 cependant, l'accusé doit avoir participé à faire avancer
l'objectif commun au centre de l'ECC.1054 Cela ne limite pas la manière dont l'accusé peut contribuer, qui
s'étend de la participation physique dans tout élément du crime à l'aide et à l'encouragement à l'affliction de
conditions particulières de vie sur la population ciblée.1055
Éléments moraux (Mens rea)
ECC I
L'élément moral de la première catégorie d'ECC, souvent appelé « ECC basique » ou « ECC I », nécessite
que l'accusé ait participé volontairement à au moins un aspect de l'objectif commun et que l'accusé a participé
avec les autres membres de l'ECC à l'intention de commettre le crime ou l'infraction sous-jacente envisagée
dans le plan commun.1056 Le Ministère public, cependant, n'a pas besoin de prouver, comme élément de la
première catégorie d'ECC, que chaque personne présumée avoir été membre de l'ECC a partagé l'intention de
commettre le crime ou l'infraction sous-jacente qui est l'objet de l'ECC.1057
Lorsque l'objet criminel consiste en un crime nécessitant une intention spécifique, le Ministère public doit
prouver non seulement que l'accusé a partagé avec les autres l'intention générale de commettre l'infraction
sous-jacente, par exemple l'intention de tuer pour « meurtre » comme infraction sous-jacente de la persécution
comme crime contre l'humanité ou « tuer les membres du groupe » comme infraction sous-jacente du
génocide, mais également qu'il a partagé avec les autres membres de l'ECC l'intention spécifique exigée
du crime ou de l'infraction sous-jacente.1058 Par conséquent, lorsque le plan commun implique le génocide,
l'accusé doit également avoir l'intention spécifique de détruire (tout ou partie) du groupe en tant que tel.
Lorsque le plan commun implique le meurtre comme infraction sous-jacente de la persécution, le Ministère
public peut également prouver que l'accusé a partagé avec les autres l'intention de faire une discrimination
contre un groupe protégé.1059
1047
1048
1049
1050
1051
1052
1053
1054
1055
1056
1057
1058
1059
Le procureur contre Vasiljević (n1022) paras (100, 119) ; Le procureur contre Milutinović et al (n980) para (103).
Le procureur contre Milutinović et al (n926) para (26).
Le procureur contre Brđanin (n979) para (427).
Le procureur contre Kvočka et al (n1031) para (97)–(98).
Le procureur contre Brđanin (n979) para (430) ; Le procureur contre Krajišnik (n1025) para (215).
Le procureur contre Brđanin (n979) para (430).
Le procureur contre Tadić (n978) para (227)(ii).
Le procureur contre Brđanin (n979) para (427).
Le procureur contre Vasiljević (n1022) para (100) ; Le procureur contre Krnojelac (n1030) para (81) ; Le procureur contre Ntakirutimana et Ntakirutimana
(n1026) para (466).
Le procureur contre Brđanin (n979) paras (365), (429) ; Le procureur contre Stakić (n953) para (65) ; Le procureur contre Kvočka et al (n1031) para (82) ;
Le procureur contre Ntakirutimana et Ntakirutimana (n1026) paras (463), (467) ; Le procureur contre Tadić (n978) para (196).
Le procureur contre Milutinović et al (n980) para (108).
Le procureur contre Kvočka et al (n1031) paras (110), (240) ; Le procureur contre Krnojelac (n1030) para (111) ; Le procureur contre Milutinović et al
(n980) para (109).
Le procureur contre Kvočka et al (n1031) para (110).
Manuel de droit pénal international
269
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
ECC II
La deuxième forme d'ECC (« ECC systémique », « ECC de camp de concentration » ou « ECC II ») est,
dans de nombreux cas, étroitement liée à l'ECC I. Elle impose la même exigence d'intention, mais offre
une manière unique de la prouver dans les circonstances spéciales d'un établissement de détention ou autre
« système organisé mis en place pour réaliser un objectif criminel commun ».1060 Elle exige la preuve de la
connaissance personnelle de l'objectif commun du système ainsi que l'intention de faire avancer le système.1061
Le procureur contre Miroslav Kvo ka, Milojica Kos, Mla o Radi, Zoran Žigi et Dragoljub
Prca (« Camps d'Omarska, de Keraterm et de Trnopolje »)
Affaire No IT-98-30/1
L'affaire concerne les événements qui ont eu lieu dans les trois camps établis dans les villages
d'Omarska et de Trnopolje et dans l'usine de Keraterm, dans la municipalité de Prijedor, dans le nordouest de la Bosnie-Herzégovine. Ces camps ont été établis peu de temps après que les forces serbes
aient pris le contrôle de la ville de Prijedor le 30 avril 1992. L'objectif numéro un des camps était de
détenir les individus qui étaient suspectés de sympathiser avec l'opposition à la prise de la ville. La
Chambre de première instance a déterminé que le camp d'Omarska fonctionnait comme une entreprise
criminelle commune : les atrocités commises dans ce camp consistaient en un large mélange de crimes
graves commis intentionnellement afin de persécuter et de soumettre les non-Serbes détenus dans le
camp.1062
Miroslav Kvočka était un officier de police professionnel rattaché au département du poste de police
d'Omarska au moment où le camp d'Omarska a été établi. La Chambre de première instance a déterminé
qu'il a participé au fonctionnement du camp comme l'équivalent en termes de fonction du commandant
adjoint du service des gardiens et qu'il a un certain degré d'autorité sur les gardiens. Il s'est avéré être un
co-auteur du crime de l'entreprise criminelle commune du camp d'Omarska en raison de son autorité et de
son influence qu'il a exercé sur le service des gardiens et les tentatives limitées qu'il a fait pour empêcher
les crimes et réduire la souffrance des détenus ainsi que le rôle significatif qu'il a joué pour assurer le
fonctionnement du camp tout en sachant qu'il s'agissait d'une entreprise criminelle.1063
Milojica Kos, serveur de profession, a été mobilisé pour exercer en tant qu'officier de réserve. La
Chambre de première instance a déterminé qu'il était chef d'équipe des gardiens du camp d'Omarska
depuis fin mai jusque début août 1992. La Chambre de première instance a déterminé qu'en raison
de sa participation substantielle à l'entretien et au fonctionnement du camp, il a délibérément
et intentionnellement contribué à l'avancement de l'entreprise criminelle commune du camp
d'Omarska.1064
1060 Le procureur contre Stakić (n953) para (65) ; Le procureur contre Kvočka et al (n1031) para (182) ; Le procureur contre Ntakirutimana et Ntakirutimana
(n1026) para (464).
1061 Le procureur contre Brđanin (n979) para (365) ; Le procureur contre Stakić (n953) para (65) ; Le procureur contre Kvočka et al (n1031) paras (82), (198),
(237) ; Le procureur contre Ntakirutimana et Ntakirutimana (n1026) para (234).
1062 Le procureur contre Kvočka et al (n1031) para (2), faisant référence au Jugement (2 novembre 2001), paras (2), (15)–(21), (319)–(320).
1063 Ibid para (3), faisant référence au Jugement de première instance (2 novembre 2001) paras (332), (372), (414).
1064 (n4) para (485), faisant référence au Jugement de première instance (2 novembre 2001), paras (2), (475)–(476), (499)–(500).
270
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Dragoljub Prcać était un officier de police à la retraite et un spécialiste en criminologie qui a été
mobilisé pour exercer au poste de police d'Omarska le 29 avril 1992. La Chambre de première
instance a déterminé qu'il était une aide administrative du commandant du camp d'Omarska pendant
plus de trois semaines et que, en tant que tel, il était capable de se déplacer librement dans le camp.
En conséquence de son poste, il s'est avéré avoir une certaine influence sur les gardiens. Cependant,
il restait impassible lorsque des crimes étaient commis en sa présence et, bien que non responsable
du comportement des gardiens ou des interrogateurs, il était toujours responsable de la gestion du
mouvement des détenus dans le camp. Selon la Chambre de première instance, sa participation au
camp, en ayant pleinement conscience de qui s'y passait, était significative et ses actes et omissions ont
substantiellement contribué à aider et faciliter l'entreprise criminelle commune du camp.1065
Mlađo Radić était un officier de police professionnel, rattaché au poste de police d'Omarska. La
Chambre de première instance a déterminé que de fin mai à fin août 1992, il était chef d'équipe des
gardiens au camp d'Omarska et, en tant que tel, il s'est avéré avoir été en position d'avoir une autorité
substantielle sur les gardiens de son équipe. Il s'est servi de son autorité de manière sélective pour
empêcher les crimes et a ignoré la grande majorité des crimes commis dans son équipe. La Chambre
de première instance a noté que les gardiens de son équipe étaient particulièrement brutaux et que
Radić a personnellement commis des violences sexuelles sur des détenues femmes. La Chambre de
première instance a déterminé que Krstić a joué un rôle substantiel dans le fonctionnement du camp
d'Omarska et qu'il était un co-auteur du crime quant à l'entreprise criminelle commune.1066
Zoran Žigić était un chauffeur de taxi civil qui a été mobilisé pour exercer en tant qu'officier de police
de réserve. Il a travaillé pendant une courte période au camp de Keraterm, a livré des fournitures et
avait également le droit d'entrer dans les camps d'Omarska et de Trnopolje. En ce qui concerne le
camp d'Omarska, la Chambre de première instance a déterminé que Žigić entrait régulièrement dans
le camp, en particulier pour abuser des détenus. Sa participation significative aux crimes du camp
d'Omarska, associée à sa conscience de leur nature persécutoire et la ferveur et l'agressivité avec
laquelle il y a participé, a mené la Chambre de première instance à conclure qu'il était un co-auteur
de crime quant à l'entreprise criminelle commune du camp d'Omarska. La Chambre de première
instance a déterminé qu'il avait commis des persécutions, la torture et le meurtre au camp de Keraterm
et que ces crimes faisaient partie d'une attaque généralisée ou systématique contre les non-Serbes,
constituant des crimes contre l'humanité. Il est également entré dans le camp de Trnopolje et a abusé
des détenus.1067
Ce qui était en jeu dans cette affaire était la deuxième forme d'entreprise criminelle commune, la
forme « systémique », caractérisée par l'existence d'un système criminel organisé, en particulier dans
le cas des camps de concentration ou de détention. Cette forme d'entreprise criminelle commune
nécessite la connaissance personnelle du système organisé et l'intention de faire avancer l'objectif
criminel commun de ce système. La Chambre de première instance n'a pas déterminé que les accusés
étaient impliqués dans la conception des camps ou dans la décision de les ouvrir. Cependant, la
Chambre de première instance a déterminé qu'ils étaient parfaitement conscients du système de
persécution en place dans les camps et qu'ils participaient à celui-ci et étaient pleinement conscients de
ce qu'ils faisaient.
1065 Ibid para (5), faisant référence au Jugement de première instance (2 novembre 2001), paras (425), (459), (460)–(463), (468)–(469).
1066 Ibid para (6), faisant référence au Jugement de première instance (2 novembre 2001) paras (512), (517), (526), (575).
1067 Ibid para (7), faisant référence au Jugement de première instance (2 novembre 2001), paras (4), (610), (614), (672), (676), (682), (684), (688).
Manuel de droit pénal international
271
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Kvočka, Kos, Prcaćet Radić ont été jugés individuellement responsables conformément à
l'Article 7(1) et coupables en tant que co-auteurs de crime des persécutions conformément à
l'Article 5 du Statut du TPIY ainsi que du meurtre et de la torture conformément à l'Article 3
du Statut du TPIY. La Chambre de première instance a déterminé qu'ils n'encouraient pas de
responsabilité de supérieur pour ne pas avoir empêché ou puni les crimes commis par leurs
subordonnés, conformément à l'Article 7(3) du Statut du TPIY. Kvočka a été condamné à sept ans
d'emprisonnement, Kos à six ans d'emprisonnement, Prcać à cinq ans d'emprisonnement et Radić
à vingt ans d'emprisonnement.1068 Les autres chefs d'accusation contre les accusés ont été déclarés
irrecevables.
Žigić a été jugé coupable conformément à l'Article 7(1) de persécution pour les crimes commis dans le
camp d'Omarska en général, et contre des individus précis en particulier, ainsi que des crimes commis
par lui dans le camp de Keraterm contre des individus précis. Il a été jugé coupable de meurtre pour
les crimes commis dans le camp d'Omarska en général et contre un individu précis. En ce qui concerne
le camp de Keraterm, il a été jugé coupable de meurtre sur des individus précis. Il a été jugé coupable
de torture pour les crimes commis dans le camp d'Omarska en général et contre des individus précis, et
pour les crimes commis dans le camp de Keraterm contre des individus précis. Il a été jugé coupable
de traitement cruel concernant les crimes commis contre un individu précis dans le camp d'Omarska et
contre un individu précis dans le camp de Trnopolje. La Chambre de première instance l'a condamné à
25 ans d'emprisonnement.1069
La Chambre d'appel, tout en reconnaissant qu'une personne n'a pas besoin d'avoir une fonction
officielle dans le camp ou d'appartenir au personnel du camp pour être tenue responsable comme
participant à l'entreprise criminelle commune, a soutenu qu'une contribution significative à l'effet
global du camp est nécessaire pour établir la responsabilité conformément à la doctrine de l'entreprise
criminelle commune. Les incidents, auxquels Žigić a participé, malgré leur qualité de crimes graves,
ont seulement formé des mosaïques dans l'image générale de violence et d'oppression. Sur la base
de la preuve, la Chambre d'appel a conclu que la preuve ne confirmait pas la décision de la Chambre
de première instance selon laquelle il n'avait pas participé à l'entreprise criminelle commune et, par
conséquent, a annulé sa condamnation pour les crimes commis dans ce camp « en général ».1070
La Chambre d'appel a confirmé les peines de tous les accusés.1071
1068
1069
1070
1071
272
Ibid paras (3)–(6).
Ibid paras (8)–(9).
Ibid paras (598)–(599).
Ibid (243)–(244).
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
ECC III
La troisième forme d'ECC (appelée « ECC étendue » ou « ECC III ») nécessite d'abord la preuve que
l'accusé était membre d'une ECC I ou d'une ECC II. Par conséquent, il doit être prouvé que l'accusé avait
l'intention de participer à l'ECC et qu'il avait l'intention de faire avancer ses objectifs criminels.1072 L'accusé
peut être responsable des crimes ou infractions sous-jacentes commis(es) par les autres participants à l'ECC
même si ces crimes sortaient de l'objectif commun de l'ECC s'il est prouvé que ces autres crimes étaient
« raisonnablement prévisibles » pour l'accusé1073 et que l'accusé a sciemment pris ce risque, même sans avoir
l'intention directe de commettre les autres crimes lui-même.1074
La Chambre d'appel a également utilisé d'autres termes pour décrire cette exigence comme le fait que l'accusé
doit être conscient que le crime était « conséquence naturelle et prévisible » de cet objectif commun1075 ou
qu'un crime « était une conséquence probable de l'entreprise criminelle commune »1076ou qu'un crime était
simplement une conséquence potentielle plutôt que substantiellement susceptible de se produire.1077 Bien que
la jurisprudence soit assez floue sur ce point, le « risque » doit être interprété comme un « état d'esprit dans
lequel une personne, bien qu'elle n'avait pas l'intention d'entraîner un certain résultat, était consciente que les
actions du groupe étaient plus susceptibles d'entraîner ce résultat »dolus eventualis).1078
De la même manière, un individu peut être condamné pour un crime d'intention spécifique au moyen de
l'ECC III, tel qu'un génocide ou une persécution comme crime contre l'humanité, même lorsque son intention
spécifique n'a pas été prouvée.1079 Dans l'affaire Brđanin,1080 la Chambre d'appel a soutenu que l'ECC III n'est
pas différente des autres formes de responsabilité pénale qui ne nécessitent pas de preuve de pleine intention
de commettre un crime avant que la responsabilité ne puisse être attachée, comme la responsabilité pour avoir
été complice et avoir commandé.1081 La Chambre d'appel a donné l'exemple suivant : 1082
1072 Ibid para (83) ; Le procureur contre Tadić (n978) para (220).
1073 Le procureur contre Brđanin (TPIY) Affaire No IT-99-36-A, Décision sur l'appel interlocutoire (19 mars 2004) para (5) ; Le procureur contre Milutinović
et al (n111) para (96).
1074 Le procureur contre Brđanin (n979) para (365) ; Le procureur contre Stakić (n953) para (65) ; Le procureur contre Kvočka et al (n1031) paras (83), (86) ;
Le procureur contre Ntakirutimana et Ntakirutimana (n1026) paras (465), (467) ; Le procureur contre Milutinović et al (n980) para (111).
1075 Le procureur contre Tadić (n978) para (204).
1076 Le procureur contre Milutinović et al (n980) para (111).
1077 Le procureur contre Blaškić (n987) para (33) ; Le procureur contre Milutinović et al (n980) para (111).
1078 Le procureur contre Tadić (n978) para (220). Voir aussi Le procureur contre Krstić (n972) para (234) ; Le procureur contre Stakić (n958) para (436).
1079 Le procureur contre Milutinović et al (n980) para (110) ; Le procureur contre Brđanin (n1073) paras (5)–(9).
1080 Dans l'affaire Brđanin, la Chambre de première instance a déclaré irrecevable un chef d'accusation de la mise en accusation au motif que l'intention
spécifique exigé pour une condamnation pour génocide était incompatible avec les normes inférieures mens rea d'une entreprise criminelle commune
de troisième catégorie. Selon la Chambre de première instance, l'élément mens rea nécessitait de prouver la responsabilité sous une troisième catégorie
d'entreprise criminelle commune en dessous du seuil qui doit être satisfaite pour une condamnation pour génocide conformément à l'Article 4(3)(a) du
Statut du Tribunal. Le procureur contre Brđanin (TPIY) Affaire No IT-99-36-T, Décision sur la requête d'acquittement conformément à la Règle 98bis
(28 novembre 2003) paras (55)–(57). La Chambre d'appel a soutenu que la Chambre de première instance avait fait erreur en regroupant l'exigence
mens rea du crime de génocide avec l'exigence de l'élément moral de la forme de responsabilité par lesquelles la responsabilité criminelle est présumée
attachée à l'accusé et, par conséquent, a infirmé la décision de la Chambre de première instance d'acquitter l'accusé pour ce chef d'accusation. Le
procureur contre Brđanin (n1073) para (10). Voir aussi Le procureur contre Slobodan Milošević, Affaire No IT-02-54-T, Décision sur la requête de
jugement d'acquittement, Chambre de première instance (16 juin 2004) para (291).
1081 Le procureur contre Brđanin (n1073) para (7). Voir aussi Le procureur contre Krnojelac (n1030) para (52).
1082 Le procureur contre Brđanin (TPIY) Affaire No IT-99-36-A, Décision de la chambre d'appel sur l'appel interlocutoire (19 mars 2004) para (6).
Manuel de droit pénal international
273
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
un accusé qui participe à une entreprise criminelle commune pour commettre le crime de transfert forcé partage l'intention des
co-auteurs de crime directs de commettre ce crime. Cependant, si le Ministère public peut établir que l'auteur du crime direct a en
réalité commis un crime différent, et que l'accusé était conscient que le crime différent était une conséquence naturelle et prévisible
de l'accord pour le transfert forcé, l'accusé peut être condamné pour ce crime différent. Lorsque ce crime différent est le crime de
génocide, le Ministère public devra établir qu'il était raisonnablement prévisible pour l'accusé qu'un acte stipulé dans l'Article 4(2)
serait commis et qu'il serait commis avec une intention génocidaire.
Par conséquent, l'ECC III s'applique au génocide s'il était raisonnablement prévisible à partir de l'objectif
de l'ECC qu'un acte, stipulé dans l'Article 4 du Statut du TPIY ou dans l'Article 2 du Statut du TPIR, serait
commis avec l'intention génocidaire et que le défenseur était conscient de cette possibilité lorsqu'il a participé
à l'ECC1083 (voir Chapitre 3). La même chose s'applique aux autres crimes d'intention spécifique, tel que la
persécution comme crime contre l'humanité.
Résumé des éléments
Il est possible de résumer les éléments des trois formes de responsabilité de l'ECC dans les tribunaux ad hoc
de la manière suivante.
L'ECC I nécessite la preuve au-delà d'un doute raisonnable que l'accusé :
• a partagé un plan, dessein ou objectif commun avec une ou plusieurs autres personnes, ce qui équivaut à ou
implique la perpétration d'un crime et d'une infraction sous-jacente ;
• a contribué de manière significative à la réalisation de la conduite criminelle envisagée dans le plan,
dessein ou objectif partagé ;
• a volontairement participé à au moins un aspect du plan, dessein ou objectif commun ;
• a eu l'intention de commettre le crime et les infractions sous-jacentes ; et
• avait toute intention spécifique nécessaire.
L'ECC II nécessite également la preuve au-delà d'un doute raisonnable que l'accusé :
• a contribué de manière significative à un système organisé ayant pour intention de réaliser un objectif
criminel (comme un « camp de concentration ») ;
• connaissait l'objectif criminel du système ;
• avait l'intention de faire avancer cet objectif ; et
• avait toute intention spécifique nécessaire.
1083 Ibid.
274
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
L'ECC III nécessite la preuve au-delà d'un doute raisonnable que l'accusé :
• était membre de l'ECC I ou de l'ECC II et avait l'intention de participer à l'ECC et faire avancer ses
objectifs criminels ;
• était conscient du risque que ces autres crimes pourraient être perpétrés (et, dans le cas de l'intention
spécifique, que le crime serait commis avec l'intention spécifique) ; et
• a sciemment pris ce risque.
Entreprise criminelle commune et le statut de la CPI
Il n'est pas entièrement certain que la responsabilité de l'ECC restera couramment utilisée en droit
international au-delà de la vie des tribunaux ad hoc actuels. Comme exposé ci-dessous, les décisions précoces
de la CPI a prévalu sur une base de responsabilité technique différente pour les crimes perpétrés au moyen
d'un groupe.1084 Cela ne doit pas être pris pour signifier, cependant, que la CPI manque de compétence
pour poursuivre les crimes au moyen d'une théorie d'ECC. L'Article 25(3)(d) du Statut de la CPI permet
l'imposition de la responsabilité sur toute personne qui :
De quelque manière que ce soit contribue à la perpétration ou tentative de perpétration dudit crime par
un groupe de personnes agissant avec un objectif commun. Ladite participation doit être intentionnelle
et doit :
(i)Viser à faciliter l'activité criminelle ou le dessein criminel du groupe, lorsque ladite activité ou
ledit objectif implique la perpétration de crimes dans la juridiction de la Cour ; ou
(ii) Être faite en pleine connaissance de l'intention du groupe de commettre ce crime ;
Cette disposition n'a pas encore reçue de considération judiciaire mais elle est manifestement modelée sur
l'ECC (bien que ce soit différent). Comme l'ECC devant les tribunaux ad hoc, le modèle de la CPI comporte
trois éléments physiques : une pluralité de personnes, un objectif commun qui implique la perpétration d'un
crime dans la juridiction de la CPI et la contribution de l'accusé à la perpétration dudit crime.1085 Cependant,
de nombreux aspects nécessitent d'être clarifiés davantage, en particulier la norme de participation (qui fait
uniquement référence à la contribution de « toute » autre manière) et l'étendue dans laquelle les éléments
moraux légaux pourraient être compatibles avec l'ECC III. Dans ce contexte, la référence à la jurisprudence
des tribunaux ad hoc par la CPI pourrait être souhaitable à certains égards mais n'est pas certaine. L'inclusion
du terme « contribue à la perpétration » peut suggérer que les poursuites sous ce chef à la CPI seront
considérées comme moins graves que celles sous les autres doctrines de coperpétration.1086
1084 Le procureur contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui (n990) para (483) ; Le procureur contre Thomas Lubanga Dyilo (n991) para (337).
1085 Voir aussi Gideon Boas et al, International Criminal Law Practitioner Library : Forms of Responsibility in International Criminal Law (CUP, Cambridge
2007) (126)–(128)
1086 Le procureur contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui (n990) para (483).
Manuel de droit pénal international
275
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Doctrines de la coperpétration
La disposition du Statut de la CPI qui traite des autres formes de coperpétration est, de son côté, beaucoup
moins compliquée que la loi sur l'ECC détaillée ci-dessus. Elle déclare simplement dans l'Article 25(3)(a) :
Conformément au présent Statut, une personne doit être pénalement responsable et punie pour un
crime dans la juridiction de la Cour si cette personne :
(a)Commet un tel crime, que ce soit individuellement, conjointement avec une autre personne ou par
l'intermédiaire d'une autre personne, que cette autre personne soit ou non pénalement responsable ;
En plus de la perpétration directe et individuelle, ce texte divulgue expressément deux formes de
responsabilité librement connues comme « coperpétration » (« conjointement avec une autre personne ») et
« perpétration par moyens » ou « perpétration indirecte » (« par l'intermédiaire d'une autre personne »).1087
Ces formes de responsabilité ont été abordées dans la décision du TPIY concernant l'affaire Stakić de la
Chambre de première instance.1088 La Chambre d'appel dans l'affaire Stakića, cependant, soutenu que la forme
de responsabilité que la Chambre de première instance a qualifié de « coperpétration » dans cette affaire était
nouvelle pour la jurisprudence de ce Tribunal et « n'a pas d'appui dans le droit international coutumier ».1089
La « perpétration indirecte » nécessite l'utilisation par l'accusé d'un agent pour commettre le crime. Dans les
origines de cette doctrine dans le droit national, l'agent devait généralement être « innocent » (par exemple, en
raison de son statut de mineur ou soumis à la contrainte, etc.). Cependant, cela ne devait pas nécessairement
être le cas : le Statut de la CPI reconnaît la responsabilité pour les actes même des agents non innocents
(responsabilité pour « l'auteur du crime derrière l'auteur du crime ») lorsque l'accusé exerce ledit pouvoir comme
étant capable de garantir la conformité à leur volonté, quelque soit celle de l'agent. Cela peut souvent être
accompli au moyen d'un contrôle sur une organisation, comme un service militaire ou une force de police.1090
La responsabilité sous-jacente théorique pour la « coperpétration » est différente de l'ECC. Comme la
Chambre de première instance du TPIY l'a soutenu dans l'affaire Stakić :1091
Concernant la coperpétration, il suffit qu'il y ait un accord explicite ou un consentement implicite d'atteindre un objectif commun
au moyen d'une coopération et d'un contrôle commun coordonnés sur la conduite criminelle. Pour ce type de coperpétration, il est
habituel, mais pas obligatoire, qu'un auteur de crime possède les compétences ou l'autorité que l'autre auteur de crime n'a pas. Il
peut être décrit comme des actes partagés qui, lorsqu'ils sont regroupés, atteignent l'objet partagé en se basant sur le même degré
de contrôle sur l'exécution des actes communs.
Alors que la responsabilité de l'ECC est caractérisée par l'intention partagée des personnes impliquées, la
doctrine de coperpétration souligne le « contrôle commun » sur le crime.1092 En tant que tel, l'élément actus
reus se trouve au cœur de cette forme de responsabilité.
1087 Le procureur contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui (n990) para (488) ; Le procureur contre Thomas Lubanga Dyilo (n991) para (332).
1088 Le procureur contre Stakić (n958) paras (438)–(442). Voir aussi Le procureur contre Simić et al (TPIY) Affaire No IT-95-9-A, Jugement d'appel
(28 novembre 2006) par le juge Schomburg, paras (12)–(14) ; Le procureur contre Gacumbitsi (n1015) par le juge Schomburg, paras (16)–(22).
1089 Le procureur contre Stakić (n953) para (58)–(62). Voir aussi Le procureur contre Simić et al (TPIY) Affaire No IT-95-9-A, Jugement d'appel (28 novembre
2006) par le juge Shahabuddeen, para (32) ; Le procureur contre Gacumbitsi (n1015), par le juge Shahabuddeen, paras (47)–(48) ; Le procureur contre
Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui (n990) para (508).
1090 En général, voir Le procureur contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui (n990) paras (495)–(510). Pour les exigences spécifiques de ladite
organisation, voir paras (512)–(514), (516)–(518).
1091 Le procureur contre Stakić (n958) para (440).
1092 Le procureur contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui (n990) para (521).
276
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
La Chambre préliminaire de la CPI ont défini la « coperpétration » dans les termes suivants :1093
La coperprétation est basée sur le contrôle commun sur le crime. Elle implique la répartition des tâches essentielles entre deux
ou plusieurs personnes, agissant d'une manière concertée, en vue de commettre ce crime. La réalisation de la (des) tâche(s)
essentielle(s) peut être effectuée par les co-auteurs du crime physiquement ou par l'intermédiaire d'une autre personne.
Le test pour la « coperpétration » pourrait, par conséquent, être exprimé de la manière suivante (en se basant
sur les décisions des Chambres préliminaires de la CPI) :
Éléments physiques :
• L'existence d'un accord ou d'un plan commun entre deux ou plusieurs personnes, explicite ou implicite, qui
inclut la perpétration d'un crime ;1094
• La contribution essentielle coordonnée par chaque co-auteur du crime entraînant la réalisation des éléments
physiques du crime ;1095
Éléments moraux :
• L'accusé doit remplir les éléments subjectifs du crime duquel il est accusé, y compris tout(e) élément requis
dolus specialis ou intention ultérieure pour le type de crime impliqué ;1096
• Les accusés doivent être mutuellement conscients que la mise en œuvre de leur plan commun entraînera la
réalisation des éléments physiques du crime ;1097
• Les accusés doivent entreprendre lesdites activités avec l'intention spécifique d'entraîner les éléments
physiques du crime ou doivent être conscients que la réalisation des éléments physiques sera une
conséquence de leurs actes dans le cours normal des événements ;1098
• Dans le cas d'une coperpétration d'un crime par l'intermédiaire d'une autre personne, un élément moral
supplémentaire nécessite que les accusés étaient conscients des circonstances de fait leur permettant
d'exercer le contrôle sur le crime par le biais d'une autre personne.1099
En fonction de l'interprétation de l'Article 30 du Statut de la CPI, il est possible que la coperpétration, comme
l'ECC III, puisse avoir une forme étendue dans laquelle les infractions raisonnablement prévisibles à partir
du plan commun et qui, en réalité, réussissent, peut également entrer dans le champ d'application de la
responsabilité (dolus eventualis).1100 Cette question n'a pas encore reçue de considération judiciaire.1101
1093 Le procureur contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui (n990) para (521) ; Le procureur contre Thomas Lubanga Dyilo (n991) para (342) ; Le
procureur contre Stakić (n958) para (440).
1094 Le procureur contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui (n990) para (522)–(523) ; Le procureur contre Thomas Lubanga Dyilo (n991) paras
(343)–(345).
1095 Le procureur contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui (n990) para (524)–(526) ; Le procureur contre Thomas Lubanga Dyilo (n991) paras
(346)–(348).
1096 Le procureur contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui (n990) para (527) ; Le procureur contre Thomas Lubanga Dyilo (n991) para (349).
1097 Le procureur contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui (n990) para (533) ; Le procureur contre Thomas Lubanga Dyilo (n991) para (361). Voir
aussi Le procureur contre Stakić (n958) para (496).
1098 Le procureur contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui (n990) para (533) ; Le procureur contre Thomas Lubanga Dyilo (n991) para (361).
1099 La personne doit être consciente du caractère de leurs organisations, de leur autorité dans l'organisation et des circonstances de fait permettant une
conformité presque automatique à leurs ordres. Le procureur contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui (n990) paras (534), (538) ; Le procureur
contre Thomas Lubanga Dyilo (n991) para (366).
1100 Kai Hamdorf, « The concept of a joint criminal enterprise and domestic modes of liability for parties to a crime : a comparison of German and English
law » (2007) 5 J Int’l Crim Just 208, 216.
1101 Le procureur contre Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui (n990) para (531).
Manuel de droit pénal international
277
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
La « coperpétration » et la « perpétration par moyens » peuvent également être combinées dans une autre
forme de responsabilité appelée « coperprétation indirecte », qui est caractérisée par l'utilisation par l'accusé
d'agents pour effectuer la tâche essentielle qui leur est attribuée dans le plan criminel commun.1102 Comme
la coperpétration simple, il est essentiel que les accusés ait exercé le « contrôle commun » sur la conduite
criminelle et, par conséquent, que leur contribution était une condition sine qua non pour sa réussite.
Ordonner, initier, encourager, aider et planifier
Les tribunaux ad hoc et la CPI stipulent la responsabilité des personnes qui « ordonnent », « planifient » (sauf
le Statut de la CPI), « encouragent » ou « aident » la conduite criminelle d'un tiers.
L'Article 7(1) du Statut du TPIY et l'Article 6(1) du Statut du TPIR stipulent :
Une personne qui a planifié, initié, ordonné. . . la planification, la préparation ou l'exécution d'un crime
visé dans les Articles 2 à 5 du présent Statut doit être individuellement responsable du crime.
L'Article 25(3)(b) du Statut de la CPI déclare de la même manière que :
3.Aux termes du présent Statut, une personne est pénalement responsable et peut être punie pour un
crime relevant de la compétence de la Cour si cette personne. . .
(b)Ordonne, sollicite ou encourage la perpétration d'un tel crime, qui en fait a lieu ou est tenté ;
Bien qu'une variété de termes soit utilisée pour refléter les formes de responsabilité sous ce chef, ils
distinguent les éléments physiques et moraux communs.1103 Dans tous les cas,1104 les accusés exercent
leur influence pour entraîner la décision de l'auteur du crime de commettre un crime. Alors qu'il n'est pas
nécessaire de prouver que le crime n'aurait pas été perpétré sans l'implication de l'accusé, il est suffisant
de démontrer que l'instigation était un facteur « contribuant substantiellement » à la conduite d'une autre
personne commettant le crime.1105
1102 Voir, ex, ibid para (575).
1103 Gideon Boas et al, Forms of responsibility in international criminal law (CUP, Cambridge 2007) 344.
1104 Différents commentateurs ont indiqué la similitude entre ces formes de responsabilité : Eser (n989) 767, 795 ; Elies van Sliedregt, The Criminal
Responsibility of Individuals for Violations of International Humanitarian Law (n989) 77.
1105 Le procureur contre Kordić & Čerkez (n987) para (27) ; Le procureur contre Orić (TPIY) Affaire No IT-03-68-T, Jugement de première instance (30 juin
2006) para (274). Voir également Andrew Simester et Robert Sullivan, Criminal Law : Theory and Doctrine (2ème éd. Hart, Oxford 2003) 202–203.
278
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Dans l'affaire Orić, la Chambre de première instance du TPIY a distingué la responsabilité sous ce chef de celle
de la complicité :
Tant que l'auteur du crime principal n'est pas définitivement déterminé à commettre le crime, tout acte visant à demander,
convaincre, encourage ou moralement assurer qu'il commette le crime peut constituer l'instigation et même qualifier d'ordre si une
relation [appropriée] existe. Dès que l'auteur du crime principal est déjà prêt à commettre le crime, mais a toujours besoin d'un, ou
apprécie un, soutien moral pour le commettre ou d'une aide pour commettre le crime, toute contribution rendant la planification, la
préparation ou l'exécution du crime possible ou au moins plus facile peut constituer la complicité.1106
Les formes de responsabilité sous ce chef partagent également le même élément moral, bien que le test précis
diffère dans une certaine mesure entre les tribunaux ad hoc et la CPI. Le Ministère public doit prouver que les
accusés avaient l'intention de commettre le crime suite à leur plan, ordre ou instigation, ou étaient conscients
de la « probabilité substantielle » que le crime serait commis dans le cadre de l'exécution de leur plan, ordre
ou instigation (c.-à-d. qu'ils ont accepté le crime ou l'infraction sous-jacente).1107 À la CPI, le test pratique pour
l'élément moral attend l'interprétation jurisprudentielle de l'Article 30, mais il est clair que la même approche
doit s'appliquer pour la responsabilité pour l'ordre, l'encouragement ou l'aide.1108
Il est possible de résumer les éléments de chaque forme de responsabilité sous ce chef de la manière suivante :
Planifier
La responsabilité pour la planification aux tribunaux ad hoc nécessite la preuve au-delà d'un doute raisonnable que
l'accusé :
• a conçu délibérément (seul ou avec d'autres personnes) la conduite criminelle (acte ou omission) à suivre
par un tiers et que cette infraction pénale a été commise, totalement ou partiellement, dans le cadre de ce
plan ;1109
• a contribué de manière substantielle à la conduite criminelle de par sa planification ;
• avait l'intention de commettre le crime ou l'infraction sous-jacente dans le cadre de l'exécution de ce
plan ou était conscient de la « probabilité substantielle » que le crime ou l'infraction sous-jacente serait
commis(e) dans le cadre de l'exécution de ce plan (c.-à-d. qu'il a accepté de commettre le crime ou
l'infraction sous-jacente).1110
Il faut noter que la planification n'est pas indiquée comme une catégorie de responsabilité différente à la CPI.
Selon les circonstances, l'acte de planification pouvait être poursuivi sous une variété de formes de responsabilité.
Le procureur contre Orić (n1105) para (281) (note de bas de page omise).
Le procureur contre Kordić & Čerkez (n987) paras (29)–(32) ; Le procureur contre Blaškić (n987) paras (41)–(42).
Eser (n989) 767, 797–798.
Le procureur contre Kordić & Čerkez (n987) para (26) ; Le procureur contre Galić (TPIY) Affaire No IT-98-29-T, Jugement de première instance
(5 décembre 2003) para (168) ; Le Procureur contre Akayesu (n956) para (480). Voir aussi Le procureur contre Brđanin (n972) paras (268), (357)–(358).
1110 Le procureur contre Kordić & Čerkez (n987) para (31).
1106
1107
1108
1109
Manuel de droit pénal international
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chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Initier
La responsabilité pour l'instigation aux tribunaux ad hoc nécessite la preuve au-delà d'un doute raisonnable
que l'accusé :
• a invité (au moyen d'un acte ou d'une omission) une autre personne à commettre une infraction pénale,1111
et que l'infraction était en fait commise suite à ladite invitation ;
• a contribué de manière substantielle à la conduite d'une autre personne commettant le crime ou l'infraction
sous-jacente ;
• avait l'intention de commettre le crime ou l'infraction sous-jacente suite à ladite invitation ou était conscient
de la « probabilité substantielle » que le crime ou l'infraction sous-jacente serait commis(e) dans le cadre de
l'exécution de cette instigation (c.-à-d. qu'il a accepté de commettre le crime ou l'infraction sous-jacente).1112
Ordonner
La responsabilité pour l'ordre aux tribunaux ad hoc nécessite la preuve au-delà d'un doute raisonnable que
l'accusé :
• a eu une position d'autorité, qui peut être de nature informelle et/ou temporaire, qui contraindrait une autre
personne à commettre un crime ou une infraction sous-jacente suite à l'ordre de l'accusé ;1113
• a délibérément utilisé sa position d'autorité pour instruire/ordonner à une autre personne de commettre une
infraction pénale et cette infraction a en réalité été commise ;1114
• a contribué de manière substantielle à la perpétration d'un crime ou d'une infraction sous-jacente par son
ordre/don d'ordre ; et
• avait l'intention de commettre le crime ou l'infraction sous-jacente dans le cadre de l'exécution de cet
ordre ou était conscient de la « probabilité substantielle » que le crime ou l'infraction sous-jacente serait
commis(e) dans le cadre de l'exécution de cet ordre (c.-à-d. qu'il a accepté de commettre le crime ou
l'infraction sous-jacente).1115
Aider, encourager ou assister autrement
Sous ce chef, le Statut du TPIY stipule la responsabilité de ces personnes qui « ont autrement été complices
dans la planification, la perpétration ou l'exécution d'un crime ».1116 La jurisprudence cohérente des tribunaux
ad hoc a démontré que l'élément actus reus pour la complicité consiste en l'aide pratique, l'encouragement
ou le soutien moral de la perpétration d'un crime ou d'une infraction sous-jacente spécifique, par exemple, le
1111 Ibid para (27).
1112 Ibid para (32).
1113 Le procureur contre Semanza (TPIR) Affaire No ICTR-97-20-A, Jugement d'appel (20 mars 2005) paras (361), (363) ; Le procureur contre Kordić &
Čerkez (n987) para (28). Malgré la similitude des concepts, il faut noter que la relation hiérarchique nécessaire pour « ordonner » la responsabilité n'est
pas la même que la relation supérieur-subordonné nécessaire pour la responsabilité du supérieur et ne nécessite pas la preuve du contrôle effectif : Le
procureur contre Seromba (n1002) para (202) ; Le procureur contre Kamuhanda (TPIR) Affaire No ICTR-99-54A-A, Jugement d'appel (19 septembre
2005) para (75) ; Le procureur contre Gacumbitsi (TPIR) Affaire No ICTR-2001-64-T, Jugement de première instance (17 juin 2004) para (282).
1114 La Chambre d'appel dans l'affaire Galić a clarifié que cet ordre nécessite un acte positif ; il ne peut pas être commis par omission. Cependant, la forme de
responsabilité de l'ordre peut être prouvée, comme toute autre forme de responsabilité, par une preuve indirecte ou directe, en prenant en compte la preuve
des actes ou omissions de l'accusé. Le procureur contre Galić (n1109) paras (176)–(177).
1115 Le procureur contre Blaškić (n987) para (42).
1116 Article 7 du Statut du TPIY.
280
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
meurtre, l'extermination, le viol, la torture, la destruction sans motif des biens civils, etc.1117 En d'autres termes,
cette forme de responsabilité s'étend à « tous les actes d'aide qui mènent à l'encouragement ou au soutien de la
perpétration d'une infraction ».1118
L'Article 23(3)(c) du Statut de la CPI stipule la responsabilité pour « la complicité » auxquels s'ajoute la
phrase fourre-tout « ou aide autrement » :
Afin de faciliter la perpétration dudit crime, d'aider, de se rendre complice ou d'aider autrement à sa
perpétration ou sa tentative de perpétration, y compris le fait de donner les moyens pour le commettre.
Éléments physiques (Actus Reus)
L'élément physique pour la complicité, devant les tribunaux ad hoc et la CPI, est extrêmement large : presque
tout type de conduite peut répondre à cette norme, à condition qu'elle soit « en particulier dirigée » vers le
crime ou l'infraction sous-jacente concerné(e) (de manière à ce que l'aide fournie ne soit pas simplement
une coïncidence).1119 L'accusé ne doit pas manifester « une initiative, un pouvoir ou une discrétion
indépendant(e) ».1120 Conformément au droit des tribunaux ad hoc, le Ministère public doit montrer que
l'acte d'aide avait un « effet substantiel » sur la perpétration d'un crime ou d'une infraction sous-jacente.1121
Actuellement, aucune exigence en question n'est claire dans le droit de la CPI.
Le Ministère public, cependant, n'a pas besoin de prouver que le crime ou l'infraction sous-jacente
n'aurait pas été perpétré(e), mais la contribution de l'accusé.1122 L'élément actus reus de la complicité
d'un crime peut se produire avant, pendant ou après que le crime principal ait été perpétré, et l'endroit
où l'élément actus reus a lieu peut être éloigné de celui du crime principal.1123 L'accusé ne peut pas
être tenu responsable pour complicité si un crime ou une infraction sous-jacente n'est en fait jamais
commis(e) avec son aide, encouragement ou soutien moral.1124 En règle générale, les auteurs du crime
ou de l'infraction sous-jacente n'ont pas besoin de connaître l'aide de l'accusé dans la perpétration du
crime.1125
Aucune preuve d'un plan ou accord entre le complice et l'auteur du crime physique ou intermédiaire n'est
exigée.1126 Cependant, lorsque l'accusé est présumé avoir agir en connaissant l'aide après la perpétration
du crime fondamental, la jurisprudence des tribunaux ad hoc permet seulement à l'accusé d'être condamné
lorsqu'un accord préalable entre l'accusé et l'auteur du crime est prouvé, de manière à ce que ce dernier ait
réellement contribué à la conduite.1127
1117 Le procureur contre Blaškić (n987) para (45) ; Le procureur contre Vasiljević (n1022) para (102)(i). Le procureur contre Blagojević et Jokić (TPIY)
Affaire No IT-02-60-A, Jugement d'appel (9 mai 2007) para (127) ; Procureur contre Simić et al (TPIY) Affaire No IT-95-9-A, Jugement d'appel
(28 novembre 2006) para (85).
1118 Le procureur contre Delalić et al (n948) para (327).
1119 Le procureur contre Blagojević et Jokić (n1117) para (189) ; Le procureur contre Vasiljević (n1022) para (102)(i) ; Le procureur contre Aleksovski (n952)
para (163)(ii) ; Le procureur contre Fofana et Kondewa (n926) para (209).
1120 Le procureur contre Blagojević et Jokić (n1117) para (195).
1121 Le procureur contre Blaškić (n987) paras (45)–(46) ; Le procureur contre Vasiljević (n1022) para (2102)(i) ; Le procureur contre Blagojević et Jokić
(n1117) para (127) ; Le procureur contre Brđanin (n979) para (277).
1122 Le procureur contre Blaškić (n987) para (48) ; Le procureur contre Mrkšić et al (n1017) para (81).
1123 Le procureur contre Blaškić (n987) para (48) ; Le procureur contre Mrkšić et al (n1017) para (81).
1124 Le procureur contre Aleksovski (n952) para (165).
1125 Le procureur contre Brđanin (n979) para (349) ; Le procureur contre Tadić (n978) para (229)(ii) ; Le procureur contre Simić et al (n1036) para (161).
1126 Le procureur contre Brđanin (n979) para (263) ; Le procureur contre Tadić (n978) para (229)(ii).
1127 Le procureur contre Haradinaj et al (n1012) para (145) ; Le procureur contre Blagojević et Jokić (n997) para (731).
Manuel de droit pénal international
281
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
La Chambre d'appel du TPIY et du TPIR a confirmé que l'élément actus reus de la complicité peut être
perpétré au moyen d'une omission.1128 Les éléments de base de la forme de responsabilité de la complicité par
omission sont les mêmes que pour la complicité par un acte positif.1129 La responsabilité pour la complicité par
« omission » peut survenir lorsque l'accusé était dans « une obligation juridique d'agir ».1130 « L'élément actus
reus pour la complicité par omission sera, par conséquent, rempli lorsqu'il est établi que le défaut de se décharger
d'une obligation juridique a aidé, encouragé ou apporté un soutien moral pour la perpétration du crime et a eu
un effet substantiel sur la réalisation de ce crime. »1131 Le Ministère public doit prouver que l'accusé « avait la
capacité d'agir mais ne l'a pas fait ».1132
Éléments moraux (mens rea)
Devant les tribunaux ad hoc, il est bien établi que le complice devait « savoir » que ses actes aideraient
à la perpétration d'un crime ou d'une infraction sous-jacente1133 et devait être conscient des « éléments
essentiels » du crime ou de l'infraction sous-jacente finalement commis(e), y compris toute intention
spécifique de l'auteur du crime physique.1134 L'accusé n'a pas besoin de connaître les identités des
auteurs du crime,1135 ni de partager la propre intention des auteurs du crime de commettre le crime ou
l'infraction sous-jacente.1136
Par exemple, en relation avec le crime de persécution, une infraction avec une intention spécifique, le
complice doit être conscient non seulement du crime dont il facilite la perpétration mais également de
l'intention discriminatoire des auteurs de ce crime. Le complice n'a pas besoin de partager l'intention de
l'auteur du crime physique pour commettre le crime ou l'infraction sous-jacente, mais il doit être conscient
du contexte discriminatoire dans lequel le crime est commis et savoir que son soutien ou encouragement a
un effet substantiel sur sa perpétration.1137 De la même manière, concernant le génocide, l'accusé peut être
condamné pour complicité dans le génocide s'il est conscient de l'intention spécifique de l'auteur du crime
principal mais n'a pas besoin de partager cette intention1138 (voir Chapitre 3).
La question peut se poser de savoir si l'accusé doit prévoir le crime spécifique qui est finalement commis.
La Chambre d'appel du TPIY a soutenu que « alors qu'il n'est pas nécessaire que le complice connaisse le
crime précis qui était prévu et qui a en fait été commis, s'il est conscient que l'un des nombreux crimes sera
probablement commis et que l'un de ces crimes est commis, il a l'intention de faciliter la perpétration de ce
crime et est coupable en tant que complice ».1139
La norme mens rea pour la complicité conformément au droit de la CPI semble légèrement plus stricte que
celle des tribunaux ad hoc, exigeant que l'accusé s'est avéré avoir agi « en vue de » faciliter la perpétration du
crime.
1128 Le procureur contre Mrkšić et al (n1017) para (134) ; Le procureur contre Orić (TPIY) Affaire No IT-03-68-A, Jugement d'appel (3 juillet 2008) para
(43) ; Le procureur contre Ntagerura et al (n1009) paras (334), (370) ; Le procureur contre Nahimana et al (n977) para (482) ; Le procureur contre
Blaškić (n987) para (47).
1129 Le procureur contre Mrkšić et al (n1017) paras (81), (49), (146) ; Le procureur contre Orić (n1128) para (43).
1130 La Chambre d'appel dans l'affaire Orić a rappelé que « l'omission même peut mener à la responsabilité pénale individuelle conformément à l'Article 7(1)
du Statut lorsqu'il existe une obligation juridique d'agir ». Le procureur contre Orić (n1128) para (43).
1131 Le procureur contre Mrkšić et al (n1017) para (49) ; Le procureur contre Orić (n1128) para (43) ; Le procureur contre Nahimana et al (n977) para (482).
1132 Le procureur contre Mrkšić et al (n1017) para (82).
1133 Le procureur contre Blaškić (n987) para (49) ; Le procureur contre Blagojević et Jokić (n1117) paras (127), (219)–(221) ; Le procureur contre Brđanin
(n979) para (484).
1134 Le procureur contre Orić (n1128) para (43) ; Le procureur contre Seromba (n1002) paras (56), (65) ; Le procureur contre Blagojević et Jokić (n1117)
para (127).
1135 Le procureur contre Brđanin (n979) para (355).
1136 Le procureur contre Simić et al (n1117) para (86) ; Le procureur contre Blagojević et Jokić (n1117) para (221).
1137 Le procureur contre Simić et al (n1117) para (86) ; Le procureur contre Krnojelac (n1030) para (52).
1138 Le procureur contre Krstić (n972) para (140) ; Le procureur contre Blagojević et Jokić (n1117) paras (120)–(123).
1139 Le procureur contre Mrkšić et al (n1017) para (159) ; Le procureur contre Blagojević et Jokić (n1117) para (222) ; Le procureur contre Simić et al (n1117)
para (86) ; Le procureur contre Blaškić (n987) para (50). Voir aussi Le procureur contre Brima et al (TSSL) Affaire No SCSL-2004-16-A, Jugement d'appel
(22 février 2008) para (243).
282
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Complicité de génocide
La complicité est une forme de responsabilité qui est stipulée dans les Statuts du TPIY et du TPIR seulement
en ce qui concerne le génocide.1140
Selon la jurisprudence des tribunaux ad hoc, la complicité dans le génocide inclut « le fait d'être complice »
du génocide.1141 Par conséquent, elle partage les mêmes éléments que la complicité en général. La complicité
dans le génocide fait référence à tous les actes d'aide ou d'encouragement qui ont substantiellement contribué
à, ou ont eu un effet substantiel sur, la perpétration du crime de génocide par l'auteur du crime principal.1142
Comme discuté ci-dessus, le complice doit avoir connaissance de l'élément mens reas de l'auteur du crime,
mais n'a pas besoin d'avoir l'intention spécifique de commettre le génocide.1143
Cependant, la Chambre d'appel du TPIY dans l'affaire Krstić a soutenu que la complicité « peut inclure la
conduite plus large que la complicité ».1144 Dans ce cas, le Ministère public aurait besoin de prouver que le
complice avait l'« intention spécifique » de détruire, totalement ou partiellement, un groupe protégé.1145 Dans
l'affaire Ntakirutimana, la Chambre d'appel du TPIR a adopté l'avis pris dans l'affaire Krstić et a soutenu ce
qui suit :1146
dans l'affaire Krstić , la Chambre d'appel a dérivé la complicité en tant que forme de responsabilité de l'Article 7(1) du Statut
du TPIY, mais a également considéré que cette complicité constituait une forme de complicité, suggérant que la complicité
conformément à l'Article 2 du Statut du TPIY et de l'Article 4 du Statut du TPIY engloberait également le fait d'être complice,
en se basant sur le même élément mens rea, alors que les autres formes de complicité peuvent nécessiter la preuve de l'intention
spécifique.
La réponse à la question de savoir pourquoi l'exigence mens rea doit être différente d'une forme de complicité
et pas d'une autre reste en suspens dans la jurisprudence des tribunaux ad hoc.1147
Responsabilité du supérieur hiérarchique ou du commandant
La responsabilité du supérieur est une forme de responsabilité distincte en droit pénal international étant donné
qu'elle adopte une approche très différente de la nature du lien requis entre la conduite de l'accusé et celle des
auteurs du crime directs des infractions pénales. Associée à la responsabilité pour perpétration au moyen d'un
groupe ou de l'ECC, elle est l'une des formes de responsabilité les plus techniquement compliquées et continue
à susciter de nombreux litiges. Parmi toutes les formes de responsabilité, elle semble également susceptible de
provoquer une controverse précoce à la CPI.
Manifestement, un supérieur peut être tenu responsable (comme quelqu'un d'autre) pour la participation
à un acte qui viole le droit international. En tant que tel, sa contribution personnelle à un crime ou à une
infraction sous-jacente peut engager sa responsabilité conformément aux principes de responsabilité
ordinaires introduits ci-dessus. Cependant, il a également été établi que certains supérieurs éligibles peuvent
être tenus responsables des infractions commises par leurs subordonnés, même si le supérieur n'a pas du
tout personnellement contribué à l'activité criminelle. Cette forme de responsabilité spéciale est justifiée
comme un procédé visant à reconnaître et appliquer les responsabilités particulières assumées par un individu
1140
1141
1142
1143
1144
Article 4(3)(e) du Statut du TPIY, Article 2(3)(e) du Statut du TPIR.
Le procureur contre Krstić (n972) para (139) ; Le procureur contre Brđanin (n972) para (729) ; Le procureur contre Semanza (n1113) para (395).
Le procureur contre Brđanin (n972) para (729) ; Le procureur contre Semanza (n1113) para (395).
Le procureur contre Brđanin (n972) para (730) ; Le procureur contre Semanza (n1113) para (395).
Le procureur contre Krstić (n972) para (139) ; Le procureur contre Krnojelac (n1030) para (70) ; Le procureur contre Semanza (n1113) para (394) ; Le
procureur contre Brđanin (n972) para (394).
1145 Le procureur contre Krstić (n972) para (142).
1146 Le procureur contre Ntakirutimana et Ntakirutimana (n1026) para (500). Voir aussi Le procureur contre Krajišnik (n1044) para (8).
1147 Voir William A Schabas, Genocide in International Law : The Crimes of Crimes (n971) 353.
Manuel de droit pénal international
283
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
présumé avoir commandé les actions des autres. C'est dans ce dernier sens que les termes de « responsabilité
du supérieur » ou « responsabilité du commandant » ont acquis une signification juridique indépendante. Le
terme « responsabilité du supérieur » doit être préféré, étant donné qu'il souligne que la responsabilité sous ce
chef n'est plus confinée aux membres de l'armée.
Par rapport aux autres formes de responsabilité, la responsabilité du supérieur a une histoire relativement
longue, intimement associée au conflit armé. Les répercussions de la doctrine moderne peuvent être identifiées
dans le sillage de la Première guerre mondiale,1148 la Deuxième Guerre mondiale1149 et la guerre du Vietnam.1150
Dans ses implications pour le rôle des commandants militaires, le premier Protocole additionnel aux
Conventions de Genève de 1977 comporte des idées étroitement liées. Le concept de base est simple et peut
être résumé de la manière suivante :
La responsabilité du supérieur reflète une responsabilité individuelle de son défaut d'empêcher ou de
punir la conduite criminelle de ses subordonnés.
Il faut souligner que la responsabilité du supérieur n'est pas une forme de responsabilité indirecte (qui impose
la responsabilité sur l'accusé en raison d'une violation de l'obligation commise entièrement par une autre
personne). Bien que les charges contre le supérieur soient déterminées par la conduite de ses subordonnés,
sa responsabilité est basée sur son propre défaut de culpabilité. Cela mène toujours à une position assez
étrange, cependant, qu'exactement la même violation d'obligation par le supérieur pouvait de la même manière
entraîner la responsabilité d'une « simple » infraction contre la propriété comme pour le génocide - le « crime
des crimes ».
L'Article 7(3) du Statut du TPIY et l'Article 6(3) du Statut du TPIR stipulent que :
Le fait que l'un des actes visés dans les articles 2 à 5 [articles 2 à 4 au TPIR] du présent Statut a été
commis par un subordonné ne dégage pas son supérieur de la responsabilité pénale s'il savait ou avait
des raisons de savoir que le subordonné était sur le point de commettre lesdits actes ou qu'il les avait
commis et que le supérieur n'a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher lesdits
actes ou punir les auteurs du crime.
Le TSSL et les CETC ont substantiellement les mêmes dispositions.1151 L'Article 29 de la Loi sur
l'établissement des CETC ajoute explicitement la condition que « le supérieur avait une commande et un
contrôle ou une autorité effectifs sur le subordonné ».
Trois éléments doivent être satisfaits concernant la responsabilité du commandant/supérieur :
• Il doit exister une relation « supérieur-subordonné » entre l'accusé et la personne qui a commis le crime ;
• L'accusé savait ou avait des raisons de savoir que son subordonné commettait ou était sur le point de
commettre un crime (élément moral) ;
1148 Commission sur la responsabilité des auteurs de la guerre et sur le renforcement des peines, « Report presented to the Preliminary Peace Conference »
(1920) 14 Am J Int’l L 95, 121.
1149 Voir, ex, Trial of General Tanaka Hisakasu and Five Others (1948) 6 Law Reports of Trials of War Criminals 66, 78–79 ; Trial of Franz Holstein and
Twenty-Five Others (1949) 8 Law Reports of Trials of War Criminals 22, 26, 32 ; Trial of Lieutenant-General Baba Masao (1949) 11 Law Reports of
Trials of War Criminals 56, 58–60 ; Trial of Takashi Sakai (1949) 3 Law Reports of Trials of War Criminals, 1–2 ; Trial of SS Brigadeführer Kurt Meyer
(1948) 4 Law Reports of Trials of War Criminals 97, 99, 107–109.
1150 US v Medina (1971), non déclaré, cité dans Leslie Green, Fifteenth Waldemar A Solf Lecture in International Law – « Superior orders and command
responsibility » (2003) 175 Military L Rev 309, 356–357.
1151 Voir Article 6(3) du Statut du TSSL et Article 29 de la Loi sur l'établissement des CETC.
284
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
• L'accusé n'a pas pris les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher le subordonné de commettre le
crime et/ou punir le subordonné pour le crime (élément physique).
Si ces éléments sont satisfaits, il n'est, en réalité, pas nécessaire que les subordonnés « commettent » les actes
criminels dans leur intégralité : un supérieur peut être responsable de la participation d'un subordonné à une
activité criminelle au moyen de l'une des formes de responsabilité décrites dans le présent Chapitre.1152 La
responsabilité pénale d'un supérieur pour les crimes ou infractions sous-jacentes commis(es) par les subordonnés
inclut également leur perpétration par omission.1153
Relation supérieur-subordonné
Le Ministère public doit prouver que l'accusé était la partie « supérieur » dans une relation supérieursubordonné avec les auteurs des infractions pénales.1154
Ni la nature formelle de la relation entre les parties,1155 ni leurs opinions subjectives sur celle-ci n'est
strictement pertinent pour l'appréciation du tribunal de cette branche de test. À la place, un test objectif est
appliqué : si le supérieur a en réalité manifesté le « contrôle effectif »1156 sur le subordonné sur les faits de
l'affaire en particulier.1157 L'autorité de droit peut établir une base solide pour l'inférence judiciaire de contrôle
effectif, mais elle n'est pas absolue.1158 Les titres ou chaînes formel(le)s de commande peuvent être pertinent(e)
s, mais le Tribunal regarde ce que c'est, pas ce que cela devrait être.1159
Un supérieur est considéré comme ayant un contrôle effectif s'il a la capacité matérielle d'empêcher ou de
punir la perpétration des infractions par les subordonnés.1160 En pratique, le supérieur doit en général être
capable au moins d'inciter à la conformité à ses instructions, souvent sous la menace de pouvoirs d'application
(formelle ou informelle)1161 plutôt que d'exercer une simple « influence ».1162
L'existence potentielle des relations supérieur-subordonné ne se limite pas uniquement au contexte des
organisations militaires ou paramilitaires.1163 En principe, tout civil peut être en position d'exercer les pouvoirs
(et de supporter la responsabilité) d'un supérieur, bien que les moyens et les méthodes par lesquels il travaille
peut différer en fonction des principes militaires traditionnels. En pratique, prouver le statut d'un supérieur
civil peut être ambitieux pour le Ministère public. Néanmoins, si les trois éléments requis sont satisfaits, il n'y
a aucun obstacle à la responsabilité d'un civil sous ce chef.1164
1152 Le procureur contre Blagojević et Jokić (n1117) paras (280)–(282) ; Le procureur contre Orić (n1128) para (47).
1153 Le procureur contre Orić (n1128) paras (21), (43).
1154 Le procureur contre Halilović (TPIY) Affaire No IT-01-48-A, Jugement d'appel (16 octobre 2007) para (59) ; Le procureur contre Kordić & Čerkez (n987)
para (827).
1155 Le procureur contre Halilović (n1154) paras (59), (210) ; Le procureur contre Bagilishema (n926) paras (50), (61).
1156 Le procureur contre Brima et al (n1139) para (257) ; Le procureur contre Halilović (n1154) para (59) ; Le procureur contre Bagilishema (n926) paras
(50), (60), (61).
1157 Le procureur contre Hadžihasanović et Kubura (TPIY) Affaire No IT-01-47-T, Jugement de première instance (15 mars 2006) para (84).
1158 Le procureur contre Hadžihasanović et Kubura (TPIY) Affaire No IT-01-47-A, Jugement d'appel (22 avril 2008) para (21) ; Le procureur contre Kvočka et
al (n1031) paras (144), (382).
1159 Voir Le procureur contre Orić (n1128) paras (91)–(92).
1160 Le procureur contre Brima et al (n1139) paras (257), (289) ; Le procureur contre Halilović (n1154) paras (59), (175).
1161 Le procureur contre Blaškić (n987) para (69) ; Le procureur contre Hadžihasanović et Kubura (n1157) paras (86)–(88).
1162 Le procureur contre Brima et al (n1139) para (289) ; Le procureur contre Delalić et al (TPIY) Affaire No IT-96-21-A, Jugement d'appel (20 février 2001)
paras (257)–(266), (300).
1163 Le procureur contre Brima et al (n1139) para (257) ; Le procureur contre Bagilishema (n926) para (51) ; Le procureur contre Aleksovski (n952) para (76).
1164 Le procureur contre Bagilishema (n926) paras (50), (55) ; Le procureur contre Orić (n1105) para (320) ; Le procureur contre Brđanin (n972) paras
(281)–(283).
Manuel de droit pénal international
285
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Élément mental : savait ou avait des raisons de savoir
Deux alternatives mens rea sont suffisantes pour déterminer la responsabilité :
• la connaissance réelle ou
• la connaissance imputée (« raisons de savoir »).1165
Les supérieurs peuvent être responsables des actes de leurs subordonnés lorsqu'ils ont une connaissance réelle
du fait des crimes passés ou imminents, ou lorsqu'ils possèdent des informations qui inciteraient une personne
raisonnable à enquêter davantage sur le sujet. Le Ministère public doit prouver l'un de ces états au-delà du
doute raisonnable : la responsabilité du supérieur n'est pas une responsabilité stricte,1166 et la connaissance du
supérieur ne peut pas être présumée simplement en vertu de sa position de commande.1167
Propre à la notion que l'accusé doit savoir ou avoir des raisons de savoir la perpétration du crime duquel il
est accusé est une exigence qu'il sait ou a des raisons de savoir que tous les éléments de ce crime ont été, sont
ou sont sur le point d'être satisfaits par ses subordonnés. Par conséquent, concernant les crimes d'intention
spécifique, comme la persécution, l'accusé doit savoir ou avoir des raisons de savoir que les subordonnés
concernés avaient une intention discriminatoire.1168 De la même manière, un supérieur peut être tenu
responsable de génocide s'il : (a) savait ou avait des raisons de savoir que ses subordonnés étaient sur le point
de commettre ou avaient commis le génocide ; et (b) que les subordonnés possédaient l'intention spécifique
requise1169 (voir Chapitre 3).
Il est particulièrement important de mettre le Ministère public sur la preuve stricte sur la base de laquelle il
considère l'accusé comme ayant une connaissance imputée. Les conclusions judiciaires à cet égard nécessitent
une « appréciation soigneusement équilibrée »1170 des faits de l'affaire en particulier.1171 Il a été établi qu'il
était suffisant que le supérieur était en possession d'informations qui l'alerteraient du fait de crimes passés ou
imminents ou le mettraient en garde. Le Ministère public ne doit pas prouver que l'accusé était en fait informé
du contenu des informations : il suffit que lesdites informations étaient « disponiblee ».1172 La responsabilité
du supérieur, cependant, n'équivaut pas à la responsabilité pénale pour simple négligence, qui est une norme
objective de ce que la personne devait savoir.1173
Différentes références ont été faites à l'effet que la doctrine sur la responsabilité du supérieur ne permet pas
à l'accusé d'être « intentionnellement aveugle » quant aux crimes commis ou susceptibles d'être commis
par les subordonnés, et cela peut avoir contribué à la confusion précoce quant à l'étendue de l'obligation du
supérieur de s'informer. En fait, l'interdiction sur l'aveuglement intentionnel doit être entièrement compatible
avec la lecture ordinaire de la norme « savait ou avait des raisons de savoir ». Pour que l'aveuglement soit
vraiment intentionnel, l'accusé doit déjà posséder la connaissance suffisante pour déclencher une approche de
connaissance imputée.
1165 Le procureur contre Halilović (n1154) para (59) ; Le procureur contre Orić (n1128) para (18).
1166 Le procureur contre Delalić et al (n1162) para (239).
1167 Le procureur contre Mrkšić et al (n1037) para (563) ; Le procureur contre Orić (n1105) para (319) ; Le procureur contre Hadžihasanović et Kubura
(n1157) para (94).
1168 Le procureur contre Krnojelac (n1030) paras (155), (187) ; Le procureur contre Milutinović et al (n980) para (119).
1169 Le procureur contre Brđanin (n972) para (721) ; Le procureur contre Brđanin (TPIY) Affaire No IT-99-36-A, Décision sur l'appel interlocutoire (19 mars
2004) para (7).
1170 Le procureur contre Strugar (TPIY) Affaire No IT-01-42-T, Jugement de première instance (31 janvier 2005) para (417).
1171 Le procureur contre Krnojelac (n1030) para (156) ; Le procureur contre Delalić et al (n1162) para (239).
1172 Le procureur contre Delalić et al (n1162) paras (238)–(239) ; Le procureur contre Mrkšić et al (n1037) para (564) ; Le procureur contre Orić
(n1105) para (322).
1173 Le procureur contre Blaškić (n987) para (63) ; Le procureur contre Bagilishema (n926) para (35).
286
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Le Ministère public doit prouver que les informations en la possession du supérieur démontraient au moins un
risque présent et réel que les crimes avaient été, ou étaient sur le point d'être, commis par les subordonnés.1174
Les informations n'ont pas besoin d'être absolues,1175 mais doivent mettre en garde quant à l'infraction
particulière de laquelle l'accusé est accusé. Ainsi, lorsqu'un supérieur est accusé de torture, « il est suffisant
qu'un accusé ait des informations suffisantes sur les sévices. . . Il doit également avoir des informations – bien
que générales – qui l'alerte du risque de sévices infligés pour l'une des fins [interdites] ».1176 En d'autres termes,
« bien que toutes les informations puissent être de nature générale, elles doivent être suffisamment spécifiques
pour nécessiter plus de clarification ».1177 Dans certains cas, la connaissance de la perpétration préalable des
crimes par les subordonnés identifiés peut être une indication suffisante de futurs crimes1178 – mais, dans tous
les cas, cela déclenche l'obligation du supérieur de prendre des mesures pour punir les crimes commis, ce qui
assure également une fonction préventive.
Élément physique : défaut d'empêcher ou de punir
Dans le contexte des deux autres branches du test, le Ministère public doit prouver que le supérieur n'a pas pris
les mesures nécessaires1179 et raisonnables pour empêcher les faits incriminés ou punir les auteurs du crime.1180
Bien que ces obligations soient légalement distinctes,1181 elles sont généralement caractérisées dans des termes
similaires. Contrairement aux autres formes de responsabilité discutées ci-dessus, il n'y a aucune exigence que
les actions du supérieur soient causalement liées à la survenance de la conséquence pénale.1182
Les mesures « nécessaires » sont les mesures appropriées pour que le supérieur se décharge de son obligation
(montrant qu'il a vraiment essayé d'empêcher ou de punir) et les mesures « raisonnables » sont celles qui
entrent raisonnablement dans les pouvoirs matériels du supérieur.1183 En général, la détermination de ce
qui constitue les mesures « nécessaires et raisonnables » n'est pas une question de droit substantiel mais de
preuve.1184 Il s'agit d'une règle incontestable, cependant, que les supérieurs ne peuvent pas « choisir » de quelle
obligation se décharger : il ne sera manifestement jamais raisonnable pour un supérieur de choisir de ne pas
empêcher la perpétration d'un crime mais de le punir par la suite.1185 La mesure dans laquelle la réponse du
supérieur est « raisonnable » est dictée en partie par le moment auquel il acquis la connaissance requise, les
méthodes et les moyens à sa disposition et le mal que la mesure est destinée à soigner.1186
1174 Le procureur contre Brđanin (n972) para (278). Voir aussi Le procureur contre Delalić et al (n1162) para (238) ; Le procureur contre Halilović (n1154)
paras (65), (68).
1175 Le procureur contre Mrkšić et al (n1037) para (564) ; Le procureur contre Hadžihasanović et Kubura (n1157) para (97).
1176 Le procureur contre Krnojelac (n1030) paras (155), (166), (171).
1177 Le procureur contre Orić (n1105) para (322) (notes de bas de page omises).
1178 Le procureur contre Hadžihasanović et Kubura (n1158) paras (30)–(31).
1179 La majeure partie de la discussion judiciaire explore la signification des mesures « raisonnables » dans une situation particulière. Les mesures sont
« nécessaires » si elles sont « appropriées pour que le supérieur se décharge de son obligation, faisant preuve d'un véritable effort ». Le procureur contre
Milutinović et al (n980) para (122)
1180 Le procureur contre Halilović (n1154) para (59).
1181 Le procureur contre Blaškić (n987) para (83) ; Le procureur contre Mrkšić et al (n1037) para (566).
1182 Le procureur contre Hadžihasanović et Kubura (n1158) para (38), (40) ; Le procureur contre Kordić & Čerkez (n987) para (832).
1183 Le procureur contre Orić (n1128) para (177).
1184 Le procureur contre Orić (n1128) para (177) ; Le procureur contre Hadžihasanović et Kubura (n1158) paras (33), (151) ; Le procureur contre Halilović
(n1154) paras (63)–(64) ; Le procureur contre Blaškić (n987) para (72).
1185 Le procureur contre Mrkšić et al (n1037) para (566) ; Le procureur contre Orić (n1105) para (326) ; Le procureur contre Hadžihasanović et Kubura
(n1157) para (126).
1186 Le procureur contre Orić (n1105) para (329) ; Le procureur contre Hadžihasanović et Kubura (n1157) para (155).
Manuel de droit pénal international
287
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
L'argument sur la nature raisonnable (ou autrement) des mesures adoptées par l'accusé se concentre
généralement sur l'aspect pratique. Le supérieur ne doit pas faire l'impossible1187 mais doit utiliser « tous les
moyens » possibles1188 – et pas simplement ceux dans ses pouvoirs de droit .1189 Une fois qu'un supérieur
sait ou a des raisons de savoir qu'un crime a été commis, il sera presque toujours raisonnable pour lui de
commencer une enquête dans la mesure où il en est capable et/ou de soumettre un rapport aux autorités
compétentes pour prendre une mesure corrective directe.1190 Lorsqu'un supérieur ne le fait pas, des
interférences défavorables peuvent être tirées. Le fait de se baser sur des « ordres non assurés » (c.-à-d., des
actes entrepris par le supérieur sans aucune intention de les appliquer, dans la mesure où il en est capable)
n'est pas une défense valide.
Le procureur contre Naser Ori 1191
TPIY, Affaire No IT-03-68
Naser Orić (né le 3 mars 1967) était le commandant de guerre de Srebrenica, une ville dans l'est de la
Bosnie, lorsqu'elle était assiégée par les forces serbes en 1992–1993. Il était accusé de deux ensembles
d'infractions :1192
•crimes contre la propriété (pillage et destruction sans motif de propriété) présumés commis
pendant les attaques sur les villages serbes autour de Srebrenica en 1992–1993 ; et
•crimes contre les détenus serbes (meurtre de quatre individus et traitement cruel de cinq individus)
commis dans deux centres de détention de Srebrenica entre septembre 1992 et mars 1993.
Les infractions présumées commises pendant la période pendant laquelle la ville de Srebrenica était sous
l'attaque constante des forces serbes suite à la campagne de « nettoyage ethnique » dans l'est de la Bosnie
en avril-juin 1992.
Orić était présumé être le commandant du Personnel de défense territoriale municipale de Srebrenica
pendant la période concernée et, dans l'exercice de ses fonctions, a été inculpé sur la base de la
responsabilité du commandant pour les faits incriminés dans la mise en accusation. En ce qui concerne
les crimes contre la propriété présumés dans la mise en accusation, il a également été inculpé sur la
base d'avoir été le complice présumé et/ou d'avoir incité les crimes présumés.1193
Le procès a commandé le 6 octobre 2004. À la fin de la poursuite, la Chambre de première instance,
dans sa décision conformément à la Règle 98 bis, a acquitté Orić pour tous les chefs d'accusation du
pillage sur la base que les attaques sur les villages serves étaient menées afin d'obtenir de la nourriture,
des médicaments et autres biens essentiels pour survivre et que, par conséquent, les actes étaient
excusés sur les motifs de nécessité.1194
1187 Le procureur contre Orić (n1105) para (329) ; Le procureur contre Hadžihasanović et Kubura (n1157) para (122).
1188 Le procureur contre Blaškić (n987) para (72), (417) ; Le procureur contre Mrkšić et al (n1037) para (568).
1189 Le procureur contre Mrkšić et al (n1017) para (94) ; Le procureur contre Mrkšić et al (n1037) para (565) ; Le procureur contre Orić (n1172) paras (329),
(331) ; Le procureur contre Hadžihasanović et Kubura (n1157) paras (122), (170) ; Le procureur contre Limaj et al (n1015) para (526).
1190 Le procureur contre Halilović (n1154) para (182) ; Le procureur contre Mrkšić et al (n1037) para (568) ; Le procureur contre Orić (n1172) para (336) ; Le
procureur contre Limaj et al (n1015) para (529).
1191 Le procureur contre Orić (TPIY) Affaire No IT-03-68-T, Jugement de première instance (30 juin 2006), Affaire No IT-03-68-A, Jugement d'appel
(3 juillet 2008).
1192 Le procureur contre Orić (n1105) paras (1)–(10).
1193 Le procureur contre Orić (TPIY) Affaire No IT-03-68-PT, Troisième mise en accusation modifiée (30 juin 2005).
1194 Le procureur contre Orić (TPIY) Affaire No IT-03-68-T, Décision orale rendue par la Chambre de première instance conformément à la Règle 98bis
(8 juin 2005).
288
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
À la fin du procès, dans son Jugement du 30 juin 2006, la Chambre de première instance a acquitté
Orić pour tous les chefs d'accusation des crimes contre la propriété, à savoir la destruction sans motif,
sur la base qu'Orić ne possédait pas le contrôle effectif sur les groupes de combattants autours de
Srebrenica, qui agissaient de manière largement indépendante de toute autorité supérieure. Il semblait
également que la majeure partie de la destruction des maisons et propriétés serbes était effectuée par
des milliers de civils désespérés sur qui Orić n'avait aucun contrôle effectif. La Chambre de première
instance, cependant a condamné Orić en tant que supérieur de ne pas avoir empêché les morts et le
traitement des maladies des détenus serbes, sur la base qu'Orić, à partir de novembre 1992, avait
le contrôle effectif sur la police militaire que, à son tour, la Chambre a déterminé qu'elle gérait les
installations de détention et était, par conséquent, responsable des détenus serbes.1195
Cependant, en reconnaissant l'atténuation substantielle, la Chambre de première instance a condamné
Orić à deux ans d'emprisonnement – la peine minimale à ce jour par un tribunal pénal international. En
condamnant Orić, la Chambre de première instance a fait référence à la « responsabilité très limitée »
d'Orićet à sa « responsabilité pénale limitée exclusivement ». Les circonstances prévalant à Srebrenica
et celles en particulier à Orić étaient considérées comme « essentielles » pour établir la peine de deux
ans. La Chambre a ordonné qu'Orić soit immédiatement relâché étant donné qu'il avait déjà été en
détention plus de trois ans au moment où le jugement a été rendu.1196
Le jugement est intéressant étant donné qu'il a été soutenu, pour la première fois dans un jugement de
première instance du Tribunal, que les auteurs directs d'un crime pour lequel le supérieur est accusé de
responsabilité conformément à l'Article 7(3) n'ont pas besoin d'être des subordonnés de ce supérieur. Par
conséquent, la Chambre a jugé Orić responsable des actes des « visiteurs opportunistes » principalement
inconnus qui se sont introduits dans les installations de détention afin de maltraiter les détenus serbes. Dans
ce contexte, la Chambre a également soutenu que non seulement les actes mais également la culpabilité par
omission des subordonnés entrent dans la compétence du crime sous-jacent.
Le jugement de première instance est également intéressant concernant l'application de la chambre de
la norme « raisons de savoir » pour la responsabilité du commandant. La Chambre ne pouvait trouver
aucune preuve qu'Orić avait obtenu des informations sur l'état des détenus serbes pour lesquels il a été
jugé responsable de meurtre et de traitement cruel, mais a attribué la responsabilité à Orić sur la base
de la connaissance imputée du fait qu'il était conscient du risque qu'il y ait maltraitance des détenus.
En appel, dans son jugement daté du 3 juillet 2008, la Chambre d'appel a acquitté Orić pour tous les chefs
d'accusation, infirmant les condamnations de la Chambre de première instance. La Chambre d'appel a
déterminé que la Chambre de première instance avait fait une erreur en déterminant qu'Orić savait ou
avait des raisons de savoir que ses subordonnés étaient sur le point de commettre ou avaient commis
les crimes dans les centres de détention. D'abord, la Chambre de première instance avait uniquement
identifié un subordonné coupable de la Police militaire, Atif Krdžić, cependant, la base sur laquelle la
Chambre de première instance avait déterminé que Krdžić était pénalement responsable restait floue.
Ladite conclusion aurait été nécessaire pour déterminer la culpabilité d'Orić. Ensuite, la Chambre de
première instance n'avait pas fait de conclusion sur le fait de savoir si Orić savait ou avait des raisons de
savoir que Krdžić était sur le point de s'engager ou était engagé dans l'activité criminelle. Cela constituait
également une erreur de droit.1197
1195 Le procureur contre Orić (n1105).
1196 Ibid au (240)–(254).
1197 Le procureur contre Orić (n1128).
Manuel de droit pénal international
289
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
La Chambre d'appel a, par conséquent, autorisé l'appel de la défense et a infirmé les condamnations
d'Orić.
Responsabilité supérieure à la CPI
La disposition applicable du Statut de la CPI (qui est plus ou moins suivie dans le Statut du TSL) est beaucoup
plus détaillée que celle appliquée par les autres tribunaux. Elle présente un nouveau modèle en deux parties
de responsabilité du supérieur, qui varie dans sa définition en fonction de la nature de l'autorité exercée par
l'accusé. L'Article 28 du Statut de la CPI expose ce qui suit :
Article 28 du Statut de la CPI
Responsabilité des commandants et des autres supérieurs
En plus des autres motifs de responsabilité pénale conformément au présent Statut pour les crimes
dans la juridiction de la Cour :
(a)Un commandant militaire ou une personne agissant en réalité comme un commandant militaire est
pénalement responsable des crimes dans la juridiction de la Cour commis par les forces sous son
contrôle effectif ou son autorité effective, le cas échéant, suite à son défaut d'exercer le contrôle
correctement sur lesdites forces, lorsque :
(i)Ce commandant militaire ou la personne savait ou, en raison des circonstances à ce moment,
devait savoir que les forces commettaient ou étaient sur le point de commettre lesdits
crimes ; et
(ii)Ce commandant militaire ou la personne n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et
raisonnables en son pouvoir pour empêcher ou réprimer leur perpétration ou n'a pas soumis la
question aux autorités compétentes pour enquête et poursuite.
(b)Concernant les relations supérieur et subordonné non décrites dans le paragraphe (a), un supérieur
est pénalement responsable des crimes dans la juridiction de la Cour commis par les subordonnés
sous son autorité et son contrôle effectifs, suite à son défaut d'exercer le contrôle correctement sur
lesdits subordonnés, lorsque :
290
(i)Le supérieur savait, ou a consciemment ignoré les informations qui indiquaient clairement,
que ses subordonnés commettaient ou étaient sur le point de commettre lesdits crimes ;
(ii)Les crimes concernaient les activités qui étaient sous la responsabilité et le contrôle du
supérieur ; et
(iii)Le supérieur n'a pas pris toutes les mesures nécessaires et raisonnables en son pouvoir
pour empêcher et réprimer leur perpétration ou n'a pas soumis la question aux autorités
compétentes pour enquête et poursuite.
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
À partir de cette disposition, il est clair que le droit de responsabilité du supérieur devant la CPI diffère de
celui applicable devant les tribunaux ad hoc et leurs suiveurs dans trois aspects fondamentaux :
• la distinction entre les supérieurs militaires et non militaires ;
• l'élément moral commun ; et
• la causalité.
Chacun sera traité séparément. En ce qui concerne les autres aspects de la doctrine (tels que la signification du
contrôle effectif, de la connaissance réelle et de la nature des « mesures nécessaires et raisonnables »), il n'y a
aucune raison que la CPI s'éloigne substantiellement des principes exposés ci-dessus.1198
Dans la mesure où l'introduction de différentes dispositions pour les supérieurs militaires et non militaires est
un changement en grande partie superficiel, cela s'avère utile. L'Article 28(b)(ii) souligne le besoin particulier
d'attention dans l'appréciation des pouvoirs réels des supérieurs civils qui est déjà reflété dans la jurisprudence
des tribunaux ad hoc.1199 Comme discuté ci-dessous, la distinction entre les deux catégories a été utilisée pour
introduire une norme inférieure pour l'élément mens rea des supérieurs militaires, ce qui peut être souhaitable ou
non. L'effet, cependant, est qu'une nouvelle ligne de litige prospérera indubitablement concernant la distinction
entre les « supérieurs non militaires » (qui bénéficient d'une norme mens rea supérieure conformément à
l'Article 28(b)) et les personnes qui ne sont pas membres de l'armée mais « agissent de manière effective
comme. . . des commandants militaires » (qui sont soumises à une norme mens rea inférieure conformément à
l'Article 28(a)). Il est difficile de prévoir comment cela va se déployer. La Cour peut bien être préoccupée pour
empêcher les groupes armés avec des normes disciplinaires moins strictes que les armées traditionnelles de
bénéficier de l'affirmation de leur statut « non militaire » dans un procès pénal - mais, si le test de ces personnes
agissant de manière effective comme des commandants militaires est relativement bas, il faut se demander si les
poursuites continueront conformément à l'Article 28(b) sans aucune fréquence du tout.
Le Ministère public doit prouver que les supérieurs non militaires « connaissaient ou ont ignoré consciemment
les informations qui indiquaient clairement » que les subordonnés étaient ou seraient impliqués dans l'activité
criminelle concernée. Cela est substantiellement le même test que « savait ou avait des raisons de savoir » dans
l'application générale devant les tribunaux ad hoc. Cependant, en ce qui concerne les supérieurs militaires, cela
est suffisant si le Ministère public prouve uniquement qu'ils « connaissaient, ou en raison des circonstances du
moment, auraient dû connaître » les activités criminelles des subordonnés. L'utilisation de l'expression « auraient
dû savoir » rouvre la porte à une norme morale inférieure, plaçant le supérieur militaire sous un certain type
d'obligation positive de rester informé (en d'autres termes, être un « bon » commandant), une approche rejetée
par le TPIY. Cela reste une bonne cause de doute quant à la désirabilité d'une telle approche subjective. Même
pour les membres de l'armée, les circonstances du conflit armé signifient qu'il existe toujours un risque que les
actes criminels se produisent,1200 et nous ne pouvons pas attendre raisonnablement des supérieurs qu'ils exécutent
leurs responsabilités opérationnelles tout en « recherchant » également la preuve des crimes des subordonnés.
Ils doivent, évidemment, réagir de manière appropriée – mais l'Article 28 peut permettre l'imposition de la
responsabilité pénale pour le défaut d'être suffisamment proactif. Sinon, la CPI peut souligne l'effet de modifier
la clause « en raison des circonstances du moment ». Cette approche renverrait la norme plus ou moins à
la connaissance imputée, soulignant que les circonstances signifiaient que les accusés « devaient avoir »
subjectivement su.1201
1198 Van Sliedregt (n989) 143.
1199 Le Procureur contre Bagilishema (n926) para (52) ; Le procureur contre Kordić & Čerkez (n987) para (840) ; Le procureur contre Akayesu (n956) para
(491).
1200 Guénaël Mettraux, International Crimes and the Ad Hoc Tribunals (n1011) 305–306
1201 Voir Greg Vetter, « Command responsibility of non-military superiors in the International Criminal Court » (CPI) (2000) 25 Yale J Int’l L 89, 122 ; Ilias
Bantekas, « The contemporary law of superior responsibility » (1999) 93 Am J Int’l L 573, 589.
Manuel de droit pénal international
291
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
La reconnaissance formelle d'une exigence de causalité pour la responsabilité du supérieur est peut-être
l'innovation la plus radicale dans l'Article 28. Dans le cas des supérieurs militaires et non militaires, la
responsabilité résidera uniquement lorsque les crimes sont commis « suite à son défaut d'exercer le contrôle
correctement ». Cette disposition était manifestement prévue pour relever le défi lancé par la responsabilité du
supérieur quant au principe de culpabilité - mais vient en dépit de l'introduction (potentiellement importante)
de nouvelles ambiguïtés théoriques. Au niveau le plus basique, la manière (en l'absence d'un accord préalable)
dont le défaut d'un supérieur de punir un crime après sa perpétration peut représenter un maillon important
dans la chaîne de la causalité menant à celle-ci ?
La meilleure interprétation est probablement que l'exigence causale représente un élément contextuel
supplémentaire (c.-à-d., le quatrième) dans le test (anciennement) de l'attaque sur trois fronts de la
responsabilité supérieure discutée ci-dessus.1202 Le test devant la CPI peut, par conséquent, ressembler à ce qui
suit :
• L'accusé était le supérieur dans la relation « supérieur-subordonné » ;
• L'accusé n'a pas exercé le contrôle correctement sur ses subordonnés ;
• L'accusé savait ou avait des raisons de savoir qu'un ou plusieurs subordonnés avaient commis, ou étaient
sur le point de commettre, les crimes conformément au droit international (élément moral) ;
• L'accusé n'a pas pris les mesures raisonnables pour empêcher les crimes anticipés de ses subordonnés ou
pour punir les auteurs du crime (élément physique).
L'élément actus reus reste le même, mais est désormais basé sur la preuve d'un défaut général du supérieur
de contrôler ses subordonnés. En d'autres termes, il introduit une exigence seuil que le supérieur n'était pas
un « bon » supérieur : dans le contexte militaire, par exemple, cela pourrait se manifester dans un défaut
de fournir une formation efficace aux subordonnés ou d'assurer la discipline et l'obéissance de l'unité à
commander. Les tribunaux ad hoc ont reconnu des défauts « généraux » similaires de cette nature comme
une circonstance potentiellement importante dans l'appréciation des faits si un supérieur a pris des mesures
« spécifiques » pour empêcher les crimes anticipés des subordonnés.1203 Les juges de la CPI devront élucider la
manière dont reconnaître l' indice équivalent du contrôle exercé correctement par les supérieurs non militaires.
En pratique, lorsque le Ministère public ne peut pas discerner un défaut général d'exercer le contrôle, ce chef
de responsabilité échouera sans doute. Dans les cas de « défaut d'empêcher », l'obstacle supplémentaire sera
facile à surmonter (en effet, il peut être plus ou moins inclus dans la preuve de l'élément actus reus). Dans les
cas de « défaut de punir », cependant, il peut être légèrement plus difficile d'obtenir une condamnation que si
c'était devant les tribunaux ad hoc.
La résolution de responsabilités concomitantes
Au vu de la tendance du Ministère public, notée ci-dessus, de présumer différentes formes de responsabilité
dans les mises en accusation, les tribunaux ad hoc ont dû développer des règles pour résoudre les situations
où les faits semblent confirmer la responsabilité pour la même conduite sous de nombreux chefs. Bien que ces
règles aient été principalement articulées (mais pas exclusivement) au TPIY, nous devons supposer qu'elles
lient de manière égale le TPIY et le TPIR.
1202 Voir en général Otto Triffterer, « Causality, a Separate Element of the Doctrine of Superior Responsibility as Expressed in Article 28 Rome Statute ? »
(2002) 15 Leiden J Int’l L 179, 192, 197–205.
1203 Le procureur contre Mrkšić et al (n1037) para (567) ; Le procureur contre Orić (n1105) para (144) ; Le procureur contre Hadžihasanović et Kubura
(n1157) para (144) ; Le procureur contre Halilović (n1154) paras (87)–(88).
292
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
• Lorsque le Ministère public détermine les éléments de la responsabilité de l'accusé pour la « perpétration »
(seul ou au moyen d'une ECC) et tout autre chef de responsabilité conformément à l'Article 7(1) du Statut
du TPIY, la Chambre peut uniquement condamner l'accusé sur une théorie et doit choisir la plus appropriée
aux faits présentés. Si la Chambre décide de condamner l'accusé pour la « perpétration » de l'infraction,
tout autre chef de responsabilité prouvé à partir de la même sous-section peut être pris en compte dans la
condamnation comme circonstances aggravantes.1204
• Lorsque le Ministère public détermine les éléments de la responsabilité de l'accusé conformément à
l'Article 7(1) et à l'Article 7(3) du Statut du TPIY, la Chambre doit présenter une condamnation sur
la base de la forme de responsabilité prouvée conformément à l'Article 7(1) uniquement et prendre la
responsabilité de l'Article 7(3) en compte dans la condamnation.1205
• Lorsque le Ministère public détermine seulement les différentes responsabilités conformément à
l'Article 7(1) et à l'Article 7(3) au moyen d'une théorie de « responsabilité par omission », cependant,
il a récemment été suggéré qu'une condamnation devrait être présentée à la place conformément à
l'Article 7(3).1206 Cette approche doit cependant être prise en compte en appel.
La CPI n'a pas encore développé de règles similaires et, dans la mesure où les chefs d'accusation des
présentes affaires indiquent uniquement des formes de responsabilité limitées, il peut être improbable
qu'elle le fasse à l'avenir. Dans le cas où elle ne s'est pas retrouvée dans la même position que les tribunaux
ad hoc à cet égard, il est prévu qu'elle raisonne de la même manière.
Motifs de contestation de la responsabilité pénale
Introduction
La présente section considère les trois motifs principaux pour contester la responsabilité pénale : défenses,
contestations de compétence et contestations de preuve.
Une défense est une réponse à une accusation criminelle qui, si elle est prouvée, donnerait droit au défenseur
à un acquittement ou à une réduction de peine. De manière générale, les défenses reconnaissent que des actes
constituant le crime présumé ont été commis mais, afin d'exclure le défenseur de la responsabilité pénale,
offre :
• une justification : un refus que l'acte était injuste, transformant ce qui serai autrement une action illégale en
une action légale (ex. : légitime défense) ; ou
• une excuse : un refus de responsabilité du défenseur pour l'acte illégal (ex. : incapacité mentale).
La distinction conceptuelle entre la justification et l'excuse a peu d'importance pratique : les deux sont des
formes de défense valides.1207
1204 Le procureur contre Milutinović et al (n980) para (77) ; Le Procureur contre Brđanin (n972) para (268) ; Le procureur contre Stakić (n958) para (443).
1205 Le procureur contre Kajelijeli (TPIR) Affaire No ICTR-98-44A-A, Jugement d'appel (23 mai 2005)para 81 ; Le procureur contre Blaškić (n987) para
(91)–(92).
1206 Le procureur contre Milutinović et al (n980) para (79).
1207 Antonio Cassese, « Justifications and Excuses in International Criminal Law » dans Cassese et al (n964) 951, 951–953.
Manuel de droit pénal international
293
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
En plus de soulever une défense, les deux autres moyens principaux de contester une poursuite sont de
contester la juridiction du tribunal d'une certaine manière et/ou de contester la preuve du Ministère public
des éléments du crime indiqués dans la mise en accusation. Il faut noter que la contestation de preuve des
éléments est souvent décrite comme une « défense » mais qu'elle prend plus précisément en compte une
absence de preuve. Dans cette section, le terme « défense » sera utilisé pour faire référence à une justification
ou une excuse comme décrite ci-dessus et une « contestation de preuve » fera référence au refus d'un élément
du crime.
En outre, il est dans certains cas possible de se fier aux violations par le Ministère public du droit procédural
pour contester un procès, mais cela constituera rarement une « défense » absolue.
Les trois motifs principaux de contestation de la responsabilité pénale peuvent être résumés de la manière
suivante :
• Contestations de compétence : une attaque sur le droit du tribunal de juger l'accusé pour la conduite
particulière ;
• Contestations de preuve : une attaque sur l'affaire du Ministère public, normalement en soulevant un doute
raisonnable et/ou en proposant une théorie alternative des événements ;
• Défenses : une réponse à l'affaire du Ministère public, reconnaissant le crime mais offrant une justification
ou une excuse pour éviter la responsabilité.
Contestations de compétence
Il existe de nombreuses manières de contester la compétence d'un tribunal international. Cette forme de
contestation n'est pas strictement une défense étant donné qu'elle ne prend pas du tout en compte la question
de la responsabilité : à la place, il s'agit simplement d'un plaidoyer qu'un tribunal particulier n'est pas
compétent pour entendre une affaire particulière.1208 Une contestation réussie de la compétence d'un tribunal
n'équivaudrait normalement pas à un acquittement aux fins du principe non bis in idem.
Les exemples courants incluent :
• la contestation de l'exercice de la compétence du tribunal sur un événement particulier ;
• la contestation de l'exercice de la compétence du tribunal sur une infraction particulière ;
• la contestation de l'exercice de la compétence du tribunal sur une personne particulière.
Les contestations de compétence sur un événement sont souvent basées sur les limites de l'instrument cohérent
d'un tribunal particulier. Il peut s'agir de limites en termes de géographie, de temps ou d'autres questions.
Comme discuté dans le Chapitre 2, le TPIY peut uniquement exercer sa compétence sur les violations graves
du droit international humanitaire commises « sur le territoire de l'ancienne Yougoslavie depuis 1991 » ;1209
les CETC peuvent uniquement exercer leur compétence sur les infractions commises dans la période du
17 avril 1975 au 6 janvier 1979 ;1210 et la CPI peut uniquement exercer sa compétence sur les crimes commis
après l'entrée en vigueur de son Statut pour l'État concerné et conformément à ses dispositions sur la
complémentarité ;1211 et ainsi de suite.
1208
1209
1210
1211
294
Cryer et al (n4) 291–292.
Article 1 du Statut du TPIY.
Articles 1–8 de la Loi sur l'établissement des CETC.
Articles 11–14 du Statut de la CPI.
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Une contestation de compétence sur une infraction particulière est généralement basée sur l'argument que cela
n'entre pas dans la compétence de la cour ou du tribunal en particulier, par ex., le Statut du TSSL ne stipule
pas la compétence sur le génocide, ou que le fait incriminé n'est pas vraiment de droit – en d'autres termes, il
viole le principe de la légalité. Nous avons déjà discuté de ce concept dans le présent Chapitre.
La troisième forme de contestation soutient qu'un tribunal particulier ne peut pas exercer de compétence sur
une personne particulière. Cela est souvent soutenu sur la base que l'accusé entre dans une catégorie protégée,
en vertu de sa profession ou de son statut. Deux de ces arguments, immunité et minorité, seront discutés cidessous. En outre, une brève considération sera donnée aux amnisties.
Immunité
Introduction
En raison de l'égalité souveraine des États conformément au droit international, les représentants de l'État
bénéficient traditionnellement de l'immunité de la juridiction étrangère.1212 L'immunité, le cas échéant, interdit
toutes les sortes de mesures, y compris l'extradition et la reddition, et pas uniquement le procès actuel.1213
L'immunité entre largement dans deux catégories :
• immunité fonctionnelle (Immunité ratione materiae ou immunité « en la matière ») qui protège l'exercice
des « affaires officielles » pour l'État ; et
• immunité personnelle (Immunité ratione personae ou immunité « procédurale »), qui protège la personne
de certains individus essentiels à l'administration de l'État (comme le Chef d'État et le Ministre des Affaires
étrangères).
La justification derrière l'attribution de l'immunité est que les représentants de l'État doivent être libres de la
poursuite possible et ainsi de l'interférence des autres États afin d'exercer de manière efficace leurs fonctions
officielles et de représenter leur État dans les relations internationales. Il faut souligner que l'immunité
fonctionne comme un obstacle procédural à la juridiction étrangère pour recevoir une affaire et les autorités
compétentes de l'État de nationalité du représentant peut y renoncer. Cela s'explique par le fait que l'immunité
est un droit de l'État plutôt qu'un droit de l'individu.
Dans le présent Chapitre, les immunités des individus dans le contexte de la poursuite pénale pour des crimes
internationaux sont discutées en se concentrant sur les cours et tribunaux internationaux. Les questions
concernant les immunités dans le contexte de la poursuite nationale pour les crimes internationaux recevront
de la considération dans le Chapitre 5. Cependant, les définitions générales de chaque catégorie d'immunités
seront discutées dans le présent Chapitre.
Immunité fonctionnelle
L'immunité fonctionnelle est l'immunité contre la poursuite qui se rattache uniquement aux actes officiels des
représentants de l'État et est déterminée par la nature des actes en question plutôt que par la fonction de la
personne les exécutant. Par conséquent, une fois que le mandat du représentant se termine, l'immunité en la
matière continue de s'appliquer à tous les actes qui ont été exécutés dans le cadre de ses fonctions officielles.
L'immunité fonctionnelle protège les individus uniquement dans la mesure où leurs actions sont vraiment
« officielles » et, par conséquent, ne les protège pas de la poursuite pour des infractions pénales « privées ».
1212 Voir en général Dapo Akande, « International Law Immunities and the International Criminal Court » (2004) 98 Am J Int’l L 407.
1213 Steffen Wirth, « Immunities, Related Problems, and Article 98 of the Rome Statute » (2001) 12 Crim LF 429, 430.
Manuel de droit pénal international
295
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Immunités fonctionnelles
•
le sujet ayant droit aux immunités est un représentant de l'État ;
•
elles s'étendent à l'acte exécuté dans l'exercice des fonctions d'un représentant de l'État ;
•
elles ne s'étendent pas aux actes privés d'un représentant de l'État ;
•
elles ne prennent pas fin lorsque le représentant de l'État quitte sa fonction officielle.
Depuis la Deuxième Guerre mondiale, une règle international coutumière s'est développée, rendant
l'immunité en la matière inapplicable aux crimes internationaux, à savoir le génocide, les crimes contre
l'humanité, les crimes de guerre et, plus récemment, la torture.1214 Article 7 de la Charte du tribunal de
Nuremberg (la Charte de Toky inclut une disposition parallèle1215) stipule que :1216
Article 7 de la Charte de Nuremberg
La position officielle des défenseurs, que ce soit en qualité de chefs de l'État ou d'officiels responsables
au sein de départements gouvernementaux, ne doit pas être considérée comme les exonérant de
responsabilité ou atténuant leur sanction.
Étant donné que les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo ont jugé et condamnée les principaux chefs nazis et
japonais, il est clair que cette règle a été observée de manière cohérence.
Des dispositions similaires ont été intégrées dans la plupart des instruments internationaux traitant de la
poursuite et de la sanction des crimes internationaux les plus graves, la Loi No 10 du Conseil de contrôle de
1945, 1217 Article IV de la Convention sur le génocide de 19481218 Principe III des Principes de Nuremberg de
1950,1219 et Article III de la Convention sur l'apartheid de 1973.1220 Plus récemment, les Statuts des tribunaux
ad hoc, le TSSL et la CPI incluent tous une disposition excluant l'invocation de l'immunité fonctionnelle
comme défense :
1214 Micaela Frulli, « Immunities of Persons from Jurisdiction » dans Antonio Cassese (éd) The Oxford Companion to International Criminal Justice (OUP,
Oxford 2009) 368, 368.
1215 Article 6 de la Charte du tribunal international militaire pour l'Extrême Orient (19 janvier 1946), TIAS No 1589.
1216 Accord concernant la poursuite et le châtiment des grands criminels de guerre des Puissances européennes de l'Axe et statut du tribunal international
militaire (8 août 1945) 82 UNTS 280 (Annexe).
1217 Loi No 10 : Châtiment des personnes coupables de crimes de guerre, de crimes contre la paix et de crimes contre l'humanité, Conseil du Contrôle allié
pour l'Allemagne, (1946) No 3 Journal Officiel 50 (20 décembre 1945).
1218 Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (9 décembre 1948) 78 UNTS 227.
1219 Principes de droit international reconnus dans la Charte du Tribunal de Nuremberg et le jugement du tribunal, GA Res 95(I) (11 décembre 1950) Doc
ONU A/1316 ; (1950) 44 Am J Int’l L 126.
1220 Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (30 novembre 1973) 1015 UNTS 243.
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Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Article 7(2)/6(2) du Statut du TPIY/TPIR, Article 6(2) du Statut du TSSL
La fonction officielle de toute personne accusée, qu'elle soit Chef de l'État ou du Gouvernement ou un
représentant officiel du Gouvernement, ne doit pas dégager ladite personne de la responsabilité pénale
ni réduire sa sanction.
Article 27(1) du Statut de la CPI
Le présent Statut doit s'appliquer de manière égale à toutes les personnes sans distinction en se basant
sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle en tant que Chef d'État ou du Gouvernement,
membre d'un Gouvernement ou parlement, représentant élu ou représentant du Gouvernement ne doit
en aucun cas dégager une personne de la responsabilité pénale conformément au présent Statut ni
constituer un motif de réduction de peine.
Cette disposition fait référence aux immunités en la matière, indépendamment de si elles sont stipulées en
droit international ou national. Par conséquent, elle exclut la disponibilité de la doctrine de droit international
de l'immunité fonctionnelle et de la législation nationale, protégeant les représentants de l'État avec l'immunité
pour les actes officiels en cas de crimes au sein de la juridiction de la CPI.1221
En outre, la jurisprudence nationale et internationale a confirmé la nature coutumière de la règle annulant les
immunités fonctionnelles concernant les crimes internationaux. Par exemple, dans les procédures d'extradition
au Royaume-Uni, dans l'affaire Pinochet case, le tribunal a refusé l'immunité pour les actes de torture à
Pinochet qui était un ancien Chef d'État (voir plus loin le Chapitre 5). La Chambre de première instance du
TPIY, dans l'affaire Furundžija , par exemple, a soutenu que :
Les règles de traité et coutumières visées ci-dessus imposent des obligations aux États et aux autres entités dans un conflit
armé, mais les adressent avant tout aux actes des individus, en particulier aux représentants de l'État ou, plus généralement, aux
représentants d'une partie au conflit ou aux autres individus agissant à l'instigation ou avec le consentement ou l'assentiment
d'une partie au conflit. Les règles coutumières et les dispositions de traités applicables au moment du conflit armé interdisent tout
acte de torture. Les personnes participant à la torture sont personnellement responsables au niveau pénal desdits actes. Comme
le Tribunal militaire international de Nuremberg le formule en termes généraux : « Les crimes contre le droit international sont
commis par des hommes, pas par des entités abstraites, et c'est seulement en punissant les individus qui commettent ces crimes
que les dispositions du droit international peuvent être renforcés. » Les individus sont personnellement responsables, quelque soit
leur fonction officielle, même s'ils sont Chefs d'État ou ministres du Gouvernement : L'Article 7(2) du Statut et l'Article 6(2) du
Statut du Tribunal pénal international pour le Rwanda. . . sont indiscutablement les fondateurs du droit international coutumier.1222
1221 Paola Gaeta, « Official Capacity and Immunities » dans Cassese et al (n964) 975, 978.
1222 Le procureur contre Furundžija (n949) para (140) (notes de bas de page omises).
Manuel de droit pénal international
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chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Par conséquent, il peut être conclu que, concernant les immunités fonctionnelles, une règle coutumière a
évolué jusqu'à l'effet que les représentants de l'État, y compris ceux au niveau le plus élevé, n'ont pas droit
aux immunités fonctionnelles s'ils sont accusés de crimes internationaux, tels que les crimes de guerre ou
les crimes contre l'humanité. Cette règle s'applique non seulement aux procédures pénales internationales
mais également aux procédures pénales nationales (voir Chapitre 5).1223
Immunité personnelle
L'immunité personnelle est une immunité totale contre toute poursuite, indépendamment de si un acte est
effectué dans le cadre des fonctions officielles ou dans une capacité personnelle directement liée à la personne
en vertu de sa fonction et pendant la durée de son mandat. Ainsi, l'immunité personnelle est absolue mais dure
uniquement pendant la durée du mandat de la personne.
Les immunités personnelles sont attribuées à des catégories spécifiques d'individus exerçant des fonctions
de représentant importantes. Elles appartiennent au statut particulier du titulaire, par exemple, Chefs d'État,
Chefs du Gouvernement et Ministres des Affaires étrangères ainsi qu'aux diplomates et autres représentants
en mission spéciale dans l'État étranger afin de leur permettre d'exercer leurs obligations officielles sur
le territoire d'un État étranger.1224 Il est possible d'arguer que des membres seniors du gouvernement, par
exemple, les ministres de la Défense ou les ministres de l'Intérieur, peuvent jouir d'immunités personnelles
étant donné qu'ils exercent des fonctions comparables en représentant leurs États dans les relations
internationales. Cependant, une pratique et une jurisprudence insuffisantes de l'État ont émergé concernant
d'autres catégories de représentants de l'État pour garantir leur énumération.1225
Immunités personnelles
•
immunités absolues ;
•
protègent les représentants de l'État les plus haut placés, comme les Chefs d'État ;
•
couvrent tous les actes effectués par les représentants de l'État ;
•
se terminent à la fin du mandant d'un représentant de l'État.
L'immunité personnelle pour les représentants de l'État en exercice a été affirmée dans de nombreuses affaires
devant les tribunaux nationaux, même concernant les crimes internationaux. La pratique cohérente indique
qu'il est impossible de déroger aux règles sur les immunités personnelles au niveau national (voir plus loin
le Chapitre 5).1226 Cependant, les cours et les tribunaux internationaux peuvent inculper et accuser les hauts
représentants de l'État, comme les Chefs d'État, suspectés de crimes dans leur juridiction même s'ils sont
toujours en exercice.1227
1223
1224
1225
1226
1227
298
Paola Gaeta, « Official Capacity and Immunities » dans Cassese et al (n964) 975, 982.
Ibid 976.
Voir également Micaela Frulli, « Immunities of Persons from Jurisdiction » (n1214) 368, 369.
Ibid.
Ibid.
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
La CIJ dans l'affaire de Mandat d'arrêt a conclu être incapable d'identifier une exception conformément au
droit international coutumier à la règle que les représentants de l'État jouissent d'une immunité contre les
poursuites devant les tribunaux nationaux pour les crimes internationaux, comme les crimes de guerre ou
les crimes contre l'humanité.1228 Cependant, la CIJ a souligné que cela n'impliquait pas que les représentants
de l'État jouissaient d'une impunité concernant tout crime qu'ils pourraient avoir commis. La CIJ a ensuite
expliqué que les représentants de l'État pouvaient être jugés par les tribunaux pénaux internationaux, le cas
échéant :
les immunités dont ils jouissent conformément au droit international. . . ne représentent pas un obstacle aux poursuites pénales
dans certains cas. . . Un Ministre des Affaires étrangères en exercice ou ancien peut être soumis aux procédures pénales devant
certains tribunaux pénaux internationaux, où ils ont juridiction. Les exemples incluent le Tribunal pénal international pour
l'ex-Yougoslavie et le Tribunal pénal international pour le Rwanda, établi conformément aux résolutions du Conseil de sécurité
conformément au Chapitre VII de la Charte des Nations Unies et le futur Tribunal pénal international créé par la Convention de
Rome de 1998. Le Statut de ce dernier stipule, dans l'Article 27, paragraphe 2, que « les immunités ou les règles procédurales
spéciales qui peuvent s'attacher à la capacité officielle d'une personne, conformément au droit national ou international, ne doivent
pas empêcher le Tribunal d'exercer sa juridiction sur ladite personne ».1229
Une explication de cette opinion est que les États consentent à avoir une immunité devant les cours et les
tribunaux internationaux. Les États peuvent donner leur consentement directement en ratifiant un traité, par
exemple, le Statut de la CPI. Il faut noter, cependant, qu'étant donné que seules les parties à un traité sont
liées par ses dispositions, un traité établissant un tribunal international ne peut pas supprimer les immunités
concernant les représentants des États qui ne sont pas des parties au traité.1230
En ce qui concerne les tribunaux ad hoc, leurs Statuts stipulent la dérogation de la règle du droit international
coutumier en accordant des immunités personnelles. Toutefois, cette dérogation n'est pas stipulée de manière
explicite dans les Statuts ; elle est implicite dans l'obligation de tous les États membres de l'ONU de coopérer
avec les tribunaux. Ceci s'explique par le fait que les Statuts du TPIY et du TPIR ont été adopté la forme d'une
résolution du Conseil de sécurité liant tous les États membres de l'ONU. En vertu de l'Article 103 de la Charte de
l'ONU, l'obligation de coopérer avec les tribunaux prévaut sur les obligations coutumières et du traité concernant
les immunités personnelles. Les États sont, par conséquent, obligés de se conformer aux requêtes de reddition des
personnes, même si la requête entre en conflit avec une obligation de respecter les immunités. Les États acceptent
la décision du Conseil de sécurité de supprimer l'immunité directement, en ratifiant la Charte de l'ONU et en
acceptant leurs obligations de leur adhésion à l'organisation.1231 Par conséquent, bien que, par exemple, les États
impliqués dans le conflit de l'ex-Yougoslavie n'ont pas accepté la suppression des immunités concernant leurs
représentants, ils ont été dans l'obligation de se conformer aux résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU.1232
En pratique, les Chefs d'État en exercice ont été inculpés devant les tribunaux ad hoc ainsi que les tribunaux
mixtes. Le TPIY a inculpé deux Chefs d'État en exercice, Slobodan Milošević (Président de la République
fédéral de Yougoslavie) et Milan Milutinović (Président de la Serbie). Les deux défenseurs ont quitté leurs
fonctions au moment où le TPIY était capable d'exercer sa juridiction de manière efficace, à savoir avant que
les défenseurs ne soient entrés en garde. Étant donné que le TPIY et le TPIR ont été créés par les résolutions
liantes du Conseil de sécurité de l'ONU (agissant conformément au Chapitre VII de la Charte de l'ONU), tous
1228 Mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo contre la Belgique), Jugement, Rapports de la CIJ 2002, para 58 (14 février 2002).
1229 Mandat d'arrêt du 11 avril 2000 (République démocratique du Congo contre la Belgique), Jugement, Rapports de la CIJ 2002, para 61 (14 février 2002),
41 Int’l Legal Materials 536.
1230 Dapo Akande, « International Law Immunities and the International Criminal Court » (2004) 98 Am J Int’l L 407, 417.
1231 Ibid.
1232 La République fédérale de Yougoslavie n'a pas été reconnue comme membre de l'ONU. Cependant, elle était une partie aux Accords de Dayton, qui
imposaient une obligation de coopérer avec le TPIY. Voir l'Article IX des Accords de paix de Dayton (21 novembre 1995).
Manuel de droit pénal international
299
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
les membres de l'ONU sont dans l'obligation de se conformer à leurs demandes. En tant que tel, il n'était pas
question que les réclamations d'immunité soient ineffectives en contestant la compétence des tribunaux. En 1998,
le TPIR a condamné l'ex-Premier ministre, Jean Kambanda, à l'emprisonnement à vie pour génocide et crimes
contre l'humanité.1233
Le TSSL a inculpé Charles Taylor, lorsqu'il était président du Liberia ; il était l'ancien président lorsqu'il s'est
rendu devant le TSSL. Contrairement au TPIY et au TPIR, le TSSL a été créé au moyen d'un accord entre le
Gouvernement de Sierra Leone et le Secrétaire général des Nations Unies. Charles Taylor a contesté l'exercice
de la compétence sur lui par le TSSL. M. Taylor a suggéré que, étant donné qu'il était le président du Liberia
lorsqu'il a été inculpé par le Tribunal, il jouissait de l'immunité personnelle contre la juridiction du Tribunal. Il
a argué que l'absence d'une résolution de soutien du Chapitre VII par le Conseil de sécurité de l'ONU signifiait
que le TSSL était effectivement un tribunal national et, par conséquent, les autres membres de la communauté
internationale n'étaient pas liés pour coopérer avec celui-ci ni renoncer à l'immunité. La Chambre d'appel du
TSSL a déclaré irrecevable la requête et a soutenu que (a) le Tribunal est un tribunal pénal international ;1234
et (b) l'immunité de Chef d'État ne s'applique pas en ce qui concerne les crimes sur lesquels statuent les
tribunaux internationaux.1235 En ce qui concerne la première conclusion, la Chambre d'appel a soutenu que
« l'Accord entre l'ONU et la Sierra Leone est, par conséquent, un accord entre tous les membres de l'ONU et
de la Sierra Leone. Ce fait de l'Accord une expression de volonté de la communauté internationale ».1236 Bien
que la conclusion de la Chambre puisse être considérée comme une sorte d'extension des faits, la décision est
cohérente avec le principe général selon lequel la renonciation aux immunités découle du consentement de
l'État, qu'il soit explicite ou implicite.
En théorie, les questions doivent être plus simples devant la CPI, lorsque la ratification du Statut de la CPI
représente un consentement explicite de l'État à la renonciation à l'immunité. L'Article 27(2) du Statut
de la CPI supprime clairement les immunités personnelles lorsque des crimes internationaux sont en jeu
et, par conséquent, stipule une dérogation importante du droit international coutumier sur les immunités
personnelles :1237
Article 27(2) du Statut de la CPI
Les immunités ou les règles procédurales spéciales qui peuvent s'attacher à la capacité officielle d'une
personne, que ce soit conformément au droit national ou international, ne doivent pas empêcher le
Tribunal d'exercer sa juridiction sur ladite personne.
Le champ d'application de l'Article 27(2), cependant, peut uniquement être déterminé en considérant
l'Article 98 du Statut de la CPI qui traite également les immunités personnelles. L'Article 98 du Statut de la
CPI fait partie des règles régissant la question de la coopération avec la CPI et stipule ce qui suit :
1233 Le procureur contre Kambanda (TPIR) Affaire No ICTR-97-23-T, Jugement de première instance (4 septembre 1998) Affaire No ICTR-97-23-A,
Jugement d'appel (19 octobre 2000).
1234 Le procureur contre Charles Ghankay Taylor (TSSL) Affaire No SCSL-2003-01-I, Décision sur l'immunité contre la juridiction (31 mai 2004) paras
(40)–(42).
1235 Ibidparas (50)–(51).
1236 Ibidpara (38) (note de bas de page omise).
1237 Paola Gaeta, « Official Capacity and Immunities » dans Cassese et al (n964) 975, 1000.
300
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Article 98 du Statut de la CPI
Coopération relative à la renonciation à l'immunité et au consentement de reddition
1.Le Tribunal ne peut pas traiter une requête de reddition ou d'assistance qui exigerait de l'État
demandé d'agir de manière incohérente avec ses obligations conformément au droit international
en relation avec l'immunité diplomatique ou de l'État d'une personne ou propriété d'un État tiers,
sauf si le Tribunal peut d'abord obtenir la coopération de cet État tiers pour la renonciation à
l'immunité.
2.Le Tribunal ne peut pas traiter une requête de reddition qui exigerait de l'État demandé d'agir
de manière incohérente avec ses obligations conformément aux accords internationaux
conformément auxquels le consentement d'un État expéditeur est exigé pour que la personne
de cet État renonce à son droit devant le Tribunal, sauf si le Tribunal peut d'abord obtenir la
coopération de l'État expéditeur pour donner le consentement pour la reddition.
L'Article 98(1) du Statut de la CPI se limite apparemment au champ d'application de l'Article 27(2).
L'Article 98(1) dit clairement que la CPI ne peut pas contraindre un État partie de faire renoncer un
représentant d'un État, qui n'est pas une partie au Statut en violation de ses obligations conformément au
droit international, aux immunités vis-à-vis de l'État concerné qui n'est pas une partie. Le Tribunal peut traiter
une requête de reddition dudit représentant uniquement après avoir obtenu une renonciation aux immunités
de l'État concerné qui n'est pas une partie. Si c'est le cas, l'État demandé est légalement dans l'obligation de
se conformer à la requête du Tribunal. Par contre, la renonciation à l'immunité n'est pas nécessaire si l'État
demandé n'est pas lié, dans la mesure où les immunités sont concernées, envers l'État partie au Statut.1238
l'Article 27 du Statut de la CPI a un impact important sur les législations nationales concernant les immunités
des États parties. Lire en conjonction avec l'Article 88 du Statut de la CPI, qui exige des États de s'assurer
qu'il y a des procédures disponibles conformément à leur droit national pour toutes les formes de coopération
indiquées dans le Statut (y compris les requêtes de transfert des personnes accusées devant la CPI), l'Article 27
oblige les États à modifier leur législation nationale en vue de supprimer les immunités concernant la
perpétration de crimes internationaux entrant dans la juridiction de la CPI.1239
La CPI a d'abord été confrontée à la question de l'immunité concernant un État (le Soudan) qui n'est pas une
partie au Statut de la CPI mais était, à la place, visé par le Conseil de sécurité de l'ONU pour enquête. En
accordant l'application d'une mise en accusation du président Al Bashir du Soudan, une Chambre préliminaire
de la CPI a traité la question de l'immunité. Elle a d'abord expliqué que, dans la mesure où la situation du
Darfour n'avait pas été référé au Tribunal par le Conseil de sécurité, l'affaire entre dans la juridiction du
Tribunal malgré le fait qu'il fait référence à la responsabilité pénale présumée d'un ressortissant d'un État
qui n'est pas une partie au Statut, pour les crimes qui ont été présumés commis sur le territoire d'un État qui
n'est pas une partie au Statut.1240 Sous réserve d'un défi substantiel de sa juridiction à la requête du président
Al Bashir, la Chambre préliminaire a déclaré irrecevable la question de l'immunité en une seule phrase :
« la fonction actuelle d'Omar Al Bashir comme Chef d'un État qui n'est pas une partie au Statut, n'a aucun
1238 Ibid (992)–(994).
1239 Ibid (996)–(1001).
1240 Le procureur contre Omar Hassan Ahmad Al Bashir (CPI) Affaire No ICC-02/05-01/09-1, Décision sur l'application de la poursuite pour un mandat
d'arrêt à l'encontre d'Omar Hassan Ahmad Al Bashir, Version rédigée publique (4 mars 2009) para (40).
Manuel de droit pénal international
301
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
effet sur la juridiction du Tribunal concernant la présente affaire. »1241 La Chambre préliminaire est arrivée à
cette conclusion en considérant l'un des objectifs fondamentaux du Statut, à savoir mettre fin à l'impunité, et
l'Article 27 du Statut de la CPI, qui stipule l'indisponibilité des immunités personnelles et fonctionnelles et le
fait que, en référant la situation du Darfour au Tribunal, le Conseil de sécurité de l'ONU « a également accepté
que l'enquête dans ladite situation, ainsi que toute poursuite découlant de celle-ci, ait lieu conformément au
cadre légal stipulé dans le Statut, les Éléments des crimes et les Règles dans leur ensemble ».1242
Minorité
La mesure dans laquelle les mineurs légaux peuvent faire face à des accusations conformément au droit pénal
international général n'est pas tout à faire claire. La CPI adopte une approche claire, déclarant complètement
dans l'Article 26 du Statut de la CPI que :
Article 26 du Statut de la CPI
Le Tribunal n'a aucune juridiction sur toute personne âgée de moins de 18 ans au moment de la
perpétration présumée d'un crime.
Le seul autre tribunal qui fait expressément référence à un âge minimal pour l'exercice de la juridiction est le
TSSL, qui stipule à l'Article 7(1) de son Statut que :
Article 7(1) du Statut du TSSL
Le Tribunal spécial n'a aucune juridiction sur toute personne âgée de moins de 15 ans au moment de la
perpétration présumée d'un crime. Si toute personne qui avait, au moment de la perpétration présumée
du crime, entre 15 et 18 ans se rend devant le Tribunal, elle doit être traitée avec dignité, en prenant en
compte son jeune âge et le souhait de promouvoir sa réhabilitation dans et la prise d'un rôle constructif
dans la société et conformément aux critères internationaux des droits de l'homme, en particulier les
droits de l'enfant.
En ce qui concerne les autres tribunaux internationaux, il doit être supposé qu'ils appliqueraient également un
âge minimal pour l'exercice de la juridiction si cela devenait pertinent. Cependant, il existe une faible base
pour estimer l'âge auquel il serait approprié d'introduire le seuil. Il serait possible d'argumenter par analogie
avec le TSSL ou la CPI ou en faisant référence à l'approche générale adoptée par le droit international
humanitaire aux mineurs au combat.
1241 Ibid para (41).
1242 Ibid paras (42)–(45).
302
Manuel de droit pénal international
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Amnistie
Une amnistie peut être définie comme un acte souverain de pardon pour les infractions passées.1243 En d'autres
termes, l'amnistie est l'immunité en droit contre les conséquences juridiques pénales (ou civiles) pour des
infractions commises dans le passé, dans un contexte politique.1244 Il faut distinguer les amnisties des grâces
qui sont des actes de pardon pour des infractions spécifiques qui ont déjà été condamnées. Les amnisties
sont le plus souvent accordées au moyen du droit national ou d'un décret du Gouvernement (voir plus loin
le Chapitre 5) mais elles peuvent également être incluses dans un accord de paix entre les États ou parmi les
factions internes à la fin d'une guerre civile.1245
La justification derrière la disposition des lois sur l'amnistie est introduite selon les idées de transition, de
paix, de réconciliation, de pardon et de vérité.1246 Il est possible d'arguer que suite aux périodes de turbulence,
comme le conflit armé, le trouble civil ou la révolution, le meilleur moyen, et aussi le moyen plus rapide, de
restaurer une paix durable n'est pas de punir les auteurs de crime pour les crimes qu'ils ont commis. À la place
de la sanction, la restauration de la paix ou d'une société tendant vers la démocratie ou les droits de l'homme
peut être plus souhaitable. Par conséquent, afin de parvenir à cette stabilité ou nouvelle société, les amnisties
peuvent être accordées dans le cadre du processus de négociation entre les forces opposées.
En ce qui concerne le droit humanitaire, il est possible de trouver une référence explicite aux amnisties dans
l'Article 6(5) du Protocole additionnel II qui stipule ce qui suit :
À la fin des hostilités, les autorités au pouvoir doivent entreprendre d'accorder l'amnistie la plus large
possible aux personnes qui ont participé au conflit armé, ou celles privées de leur liberté pour des
motifs liés au conflit armé, qu'elles soient internées ou détenues.
Cependant, les amnisties nationales n'empêche pas les poursuites devant les cours et les tribunaux pénaux
internationaux. Ce problèmes est particulièrement important concernant les tribunaux internationalisés ou
mixtes. La question de ne pas autoriser l'amnistie pour des crimes internationaux graves était évidente lors des
négociations entre l'ONU et la Sierra Leone pour l'établissement du TSSL. Par conséquent, le Statut du TSSL
inclut une disposition spéciale traitant des amnisties :
Article 10 du Statut du TSSL
Une amnistie accordée à toute personne entrant dans la juridiction du Tribunal spécial concernant les
crimes visés dans les articles 2 à 4 du présent Statut n'est pas un obstacle aux poursuites.
De la même manière, l'Accord entre l'ONU et le Cambodge sur l'établissement des CETC stipule dans
l'Article 11(1) ce qui suit :
1243
1244
1245
1246
Micaela Frulli, « Amnesty’ in Antonio Cassese (éd) The Oxford Companion to International Criminal Justice (OUP, Oxford 2009) 243, 243.
Andreas O’Shea, Amnesty for Crime in International Law and Practice (Kluwer Law International, The Hague 2002) 1.
Micaela Frulli, « Amnesty » (n1243) 243, 243.
Andreas O’Shea, Amnesty for Crime in International Law and Practice (n1244) 23.
Manuel de droit pénal international
303
chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Article 11(1) de l'Accord du CETC
Le Gouvernement royal du Cambodge ne doit pas demander une amnistie ou grâce pour toute
personne qui peut faire l'objet d'une enquête ou être condamnée pour les crimes visés dans le présent
Contrat.
Le TSSL s'est prononcé sur l'interdiction des amnisties pour les crimes internationaux dans deux affaires,
à savoir Kallon et Kondewa. Dans ces deux affaires, le TSSL était préoccupé par le fait de savoir si les
amnisties, qui ont été accordées aux personnes appartenant aux fractions en conflit dans le droit civil par
l'Accord de paix de Lomé de 1999 dans le cadre de l'armistice en Sierra Leone, excluaient les poursuites des
auteurs de crime présumés devant le Tribunal. Dans l'affaire Kallon , la Chambre d'appel a soutenu :
L'attribution de l'amnistie ou de la grâce est sans aucun doute un exercice du pouvoir souverain qui, essentiellement, est
étroitement lié, dans la mesure où le crime est concerné, à la juridiction pénale de l'État exerçant ledit pouvoir souverain. Lorsque
la juridiction est universelle, un État ne peut pas priver un autre État de sa compétence de poursuivre l'auteur de l'infraction en
accordant une amnistie. C'est pour cette raison qu'il est irréaliste de considérer comme l'attribution universellement efficace de
l'amnistie par un État d'inscrire les crimes internationaux dans lesquels il existe une compétence universelle. Un État ne peut pas
faire oublier et pardonner un crime, comme un crime contre le droit international, que les autres États ont le droit d'empêcher de
tomber dans l'oubli.1247
La Chambre d'appel du TSSL a continué en expliquant :
La soumission par le Ministère public, qu'il y existe une « norme internationale cristallisante selon un gouvernement ne peut pas
accorder une amnistie pour des crimes graves conformément au droit international », est largement soutenue par les documents
présentés à ce Tribunal. . . Il est accepté que ladite norme se développe conformément au droit international.1248
De la même manière, le juge Robertson, dans son Opinion individuelle dans l'affaire Kondewa a soutenu :
Par conséquent, on peut dire que cette pratique d'état change pour se conformer à l'opinion cohérente selon laquelle les amnisties
couvertures sont, au moins « en général », interdites en droit international pour les crimes internationaux.1249
Si une règle générale, qui interdit les crimes internationaux spécifiques, atteint le statut d'une norme
impérative du droit international (jus cogens), ladite règle peut être considérée comme imposant, entre autres,
l'obligation d'accorder une amnistie en relation avec le crime qu'elle interdit. Une Chambre de première
instance du TPIY, dans l'affaire Furundžija, a expliqué clairement cette opinion concernant la torture en tant
que crime de guerre :
Le fait que la torture est interdite par une norme impérative du droit international a d'autres effets aux niveaux inter-État et
individuel. Au niveau inter-État, elle sert délégitimer toute loi législative, administrative ou juridique autorisant la torture.
Il serait insensé d'arguer, d'un côté que, pour le compte de la valeur jus cogens de l'interdiction contre la torture, les traités
ou règles coutumières stipulant la torture seraient nul(le)s ab initioet, par conséquent, insouciant qu'un État dise prendre des
mesures nationales autorisant ou tolérant la torture ou déchargeant ses auteurs de crime au moyen d'une loi sur l'amnistie. Si
une telle situation devait se produire, les mesures nationales, violant le principe général et toute disposition applicable du traité,
produiraient les effets légaux discutés ci-dessus et, en outre, ne recevraient pas de reconnaissance légale internationale. . . Ce qui
est même plus important est que les auteurs de torture agissant selon ou bénéficiant de ces mesures nationales peuvent néanmoins
1247 Le procureur contre Kallon (TSSL) Affaire No SCSL-2004-15-AR72(E), Décision sur la contestation de compétence : Amnistie de l'Accord de Lomé
(13 mars 2004) para (67) (note de bas de page omise).
1248 Ibid para (82).
1249 Le procureur contre Kondewa (TSSL) Affaire No SCSL-2004-14-AR72(E), Décision sur le manque de compétence/l'abus de processus : Amnistie
accordée par l'Accord de Lomé (25 mai 2004) para (48).
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chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
être tenus pénalement responsables de torture, que ce soit dans un État étranger ou dans leur propre État sous un régime
ultérieur.1250
De ce qui précède, il peut être conclu qu'un État ne peut pas adopter une loi nationale accordant des amnisties
aux auteurs de torture. Si ladite amnistie a été accordée, les autres États seraient dans l'obligation de ne pas
reconnaître ladite loi.
En ce qui concerne la CPI, le préambule affirme « que les crimes les plus graves concernant la communauté
internationale dans son ensemble ne doivent pas rester impunis ». En outre, les États parties sont « déterminés
pour mettre fin à l'impunité pour les auteurs de ces crimes ». Les États parties rappellent également « qu'il
y a l'obligation de chaque État d'exercer sa compétence pénale sur les personnes responsables des crimes
internationaux ».1251 Bien que le préambule ne crée pas d'obligations légales, le Statut de la CPI suggère que
les amnisties nationales ne lient pas la CPI et son procureur. Conformément au principe de complémentarité,
un défaut de poursuivre les crimes commis par les ressortissants des, ou sur le territoire des, États parties au
Statut de la CPI suite à une amnistie pourrait mener à ce que la CPI exerce ses pouvoirs pour poursuivre les
auteurs de crime même.1252
Contestations de preuve
Le Ministère public doit, évidemment, être dans l'obligation de prouver chaque élément de l'affaire « au-delà
d'un doute raisonnable ». Cette norme, bien que dérivée du droit commun, est très similaire à celle appliquée
dans les juridictions de droit civil, qui est parfois exprimée comme le besoin de satisfaire l’intime conviction
du juge).1253 En tant que tel, le rôle principal de la Défense consiste souvent à souligner l'existence de « trous »
dans l'affaire du Ministère public, et les doutes doivent, par conséquent, s'ensuivent.
La Défense peut également soulever les problèmes spécifiques qui ne font pas partie de l'affaire du Ministère public
mais qui créent le doute quant au « véritable » cours des événements. Ces problèmes peuvent être dirigés pour
« attaquer » un ou plusieurs éléments de l'affaire du Ministère public. Trois exemples sont exposés ci-dessous : alibi,
consentement et erreur de fait ou de droit.
Alibi
Un alibi est une affirmation par un accusé qu'il n'était pas en position de commettre un crime duquel il est accusé
étant donné qu'il se trouvait à un autre endroit lorsque le crime présumé a été commis. Bien que qualifié de
« défense », un alibi exige simplement que l'accusé présente la preuve qu'il était à un endroit différent au moment
important pour l'affaire du Ministère public. Comme la Chambre d'appel du TPIY l'a rappelé :
Il s'agit d'un mauvais usage courant du terme pour décrire un alibi comme « défense ». Si un défenseur soulève un alibi, il refuse
simplement qu'il a été dans une position de commettre le crime duquel il est accusé. Il ne s'agit pas du tout d'une défense dans son
sens premier. En soulevant ce problème, le défenseur ne fait qu'exiger que le Ministère public élimine la possibilité raisonnable
que l'alibi soit vrai.1254
1250
1251
1252
1253
1254
Le procureur contre Furundžija (n949) para (155).
Préambule du Statut de la CPI, paras (4)–(6).
Cryer et al (n4) 131–132.
Ibid para (356).
Le procureur contre Delalić et al (n1162) para (581) ; Le procureur contre Kunarac et al (n1014) para (463).
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chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Une fois que l'alibi a été présenté, la Défense n'est plus dans l'obligation de prouver sa véracité.1255 Par
contre, le Ministère public est dans l'obligation « d'éliminer toute possibilité raisonnable que la preuve
d'alibi est vraie ».1256 Par conséquent, une fois qu'un alibi est signalé, le Ministère public doit réfuter
l'alibi et établir la culpabilité de l'accusé au-delà du doute raisonnable et la charge ne doit passer à
l'accusé pour prouver l'alibi.1257 Les tribunaux ad hoc et la CPI exigent que l'avocat informe le Ministère
public, dans les délais, de l'intention de soulever un alibi, conformément au Règlement de procédure et
de preuve du tribunal en particulier.
Étant donné que les crimes internationaux ont lieu sur une longue période, la « défense » de l'alibi n'est pas
souvent invoquée pour ces crimes. Pour des raisons évidentes, les « défenses » d'alibi ne s'appliquent pas
strictement aux formes de responsabilité qui ne nécessitent pas la présence de l'accusé sur la scène du crime,
comme la responsabilité pour ECC ou du commandant.
Consentement
Le viol et les autres infractions sexuelles sont définis par l'absence de consentement de la victime.1258 En tant
que tel, soulever le problème de consentement est simplement une contestation de la preuve dans l'affaire dub
Ministère public. Dans l'affaire Kunarac , la Chambre de première instance a soutenu que :
La référence dans [Règle 96] au consentement en tant que « défense » n'est pas entièrement cohérente avec les compréhensions
légales traditionnelles du concept de consentement dans le viol. Lorsque le consentement est un aspect de la définition du viol
dans les juridictions nationales, il est généralement compris. . . comme étant l'absence de consentement qui est un élément
du crime. L'utilisation du terme « défense » qui, dans son sens technique, porte une implication du passage de la charge de
preuve à l'accusé, est incohérente avec cette compréhension. La Chambre de première instance ne comprend pas la référence au
consentement comme une « défense » dans la Règle 96 à utiliser dans ce sens technique. La référence dans la Règle 67(A)(ii)(a) à
la « défense d'alibi » est un autre exemple de l'utilisation du terme « défense » dans un sens non technique.1259
La Règle 96 du Règlement de procédure et de preuve du TPIY stipule que :
Règle 96
Preuve dans les cas d'agressions sexuelles
Dans les cas d'agressions sexuelles :
(i) aucune corroboration du témoignage de la victime ne doit être exigée ;
(ii) le consentement ne doit pas être autorisé comme une défense si la victime
(a)a été soumis à ou menacée avec ou avait des raisons de craindre la violence, la contrainte, la détention ou la pression psychologique ou
1255 Voir, par exemple, Le procureur contre Kvočka et al (n1041) para (638).
1256 Le procureur contre Vasiljević (n941) para (15) (note de bas de page omise).
1257 Voirplus loin Le procureur contre Kajelijeli (n1205) para (234) ; Le Procureur contre Niyitegeka (TPIR) Affaire No ITCR-96-14-A, Jugement d'appel
(9 juillet 2004) para (60) ; Le Procureur contre Kayishema et Ruzindana (n1014) para (107)
1258 Le procureur contre Furundžija (n949) paras (180), (185)–(186).
1259 Le procureur contre Kunarac et al (n1014) para (463).
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(b)croyait raisonnablement que si la victime ne se soumettait pas, une autre personne pourrait
être soumise, menacée ou avoir peur ;
(iii)avant que la preuve du consentement de la victime ne soit admise, l'accusé doit satisfaire la
Chambre de première instance par caméra que la preuve est pertinente et crédible ;
(iv) la conduite sexuelle antérieure de la victime ne doit pas être admise comme preuve.
La Règle 96 du Règlement de procédure et de preuve du TPIR est substantiellement identique. La Règle 96 du
Règlement de procédure et de preuve du TSSL présente une nouvelle formule :
Règle 96 : Règlement de preuve dans les cas d'agressions sexuelles
En cas de violence sexuelle, le Tribunal doit être guidé par et, le cas échéant, appliquer les principes
suivants :
(i)Le consentement ne peut pas être inféré en raison de tout terme ou de toute conduite d'une
victime où la force, la menace de force, la contrainte ou la prise d'avantage d'un environnement
coercitif ébranle la capacité de la victime à donner son consentement volontaire et libre ;
(ii)Le consentement ne peut pas être inféré en raison de tout terme ou de toute conduite d'une
victime où la victime est dans l'incapacité de donner son consentement libre ;
(iii)Le consentement ne peut pas être inféré en raison du silence de, ou de l'absence de résistance,
d'une victime quant à la violence sexuelle présumée ;
(iv)La crédibilité, le caractère ou la prédisposition à la disponibilité sexuelle d'une victime ou
d'un témoin ne peut pas être inféré en raison de la nature sexuelle de la conduite antérieure ou
ultérieure d'une victime ou d'un témoin.
Cette approche est reproduite dans la Règle 70 du Règlement de procédure et de preuve de la CPI.
Par conséquent, nous pouvons voir si les tribunaux adoptent une lecture étroite de l'idée de consentement
comme une défense pour les crimes sexuels, et le Ministère public a uniquement besoin de se décharger de sa
charge de preuve dans ce contexte. Le régime applicable au TSSL et à la CPI est très légèrement préférable
étant donné qu'il se limite au règlement par lequel la possibilité de consentement peut être soulevée de
manière légitime.
La Chambre de première instance, dans l'affaire Kunarac, a estimé que :
Il est évident. . . que les termes contrainte, force ou menace de force ne sont pas interprétés étroitement et que la contrainte en
particulier inclurait plus la conduite qui nie le consentement. . .1260
1260 Le procureur contre Kunarac et al (n1014) para (459).
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chapitre 4 Responsabilité pénale individuelle
Il y a une certaine suggestion que la situation de conflit armé soit un contexte coercitif par nature,1261 bien qu'il
ne puisse pas être entièrement correct de dire que toute forme d'activité sexuelle dans une région en guerre
constitue une infraction sexuelle.1262 À la place, la Chambre de première instance doit examiner l'importance de
toutes les circonstances. Il a certainement été établi que « toutes forme de captivité nuit au consentement ».1263
Le consentement est également une « défense » à certains autres crimes, notamment la déportation/le transfert
forcé, la réduction en esclavage et la main-d'œuvre illégale des Prisonniers de guerre. Comme avec les infractions
sexuelles, le Ministère public doit prouver l'absence de consentement au-delà du doute raisonnable. L'absence
de règlement de preuve spécial en relation avec ces crimes a entraîné que les Chambres prennent en compte la
signification du consentement de manière plus complète qu'il était donné dans le contexte des infractions sexuelles.
Il est suggéré que ces mêmes considérations s'appliquent de manière utile à tous les crimes basés sur la contrainte.
Le TPIY a indiqué de manière cohérente qu'il examinera le problème de volonté sur une base objective ,
regardant « au-delà des formalités à toutes les circonstances entourant le déplacement de la personne pour
établir l'intention libre de cette personne ».1264 Dans l'affaire Krnojelac, la Chambre de première instance a
décrit le test pour savoir si la personne déplacée avait un choix réel ,1265 une approche qui a été largement
adoptée.1266 Les expressions de consentement subjectives ne sont certainement pas entièrement décisives,
même lorsqu'elles sont apparemment sincères, comme la Chambre d'appel l'a noté :
Le témoignage montre que les prisonniers étaient heureux au sujet des échanges, ce qui leur a donné de l'espoir et leur a donné
parfaitement envie d'être libérés, et que certains des détenus sont même allés jusqu'à demander d'être échangés. . . Il est impossible de
conclure à un libre choix à partir du fait qu'un consentement a été exprimé, étant donné que les circonstances peuvent enlever toute
valeur à ce consentement.1267
La Chambre d'appel a adopté une approche similaire quant à certaines expressions de consentement apparentes
par les victimes d'infractions sexuelles.1268 Cela n'équivaut pas à refuser l'élément requis mens rea de viol (que
l'accusé savait que la victime n'était pas consentante) mais illustre plutôt la manière dont les tribunaux analysent
la mesure dans laquelle l'accusé aurait librement cru au consentement. Dans les cas où cette analyse devient
tendue, l'accusé peut également être capable de se fier au principe de l'« erreur de fait » (voir ci-dessous).
L'idée de « contrainte » a été interprétée largement pour inclure, de manière assez vague, les auteurs du crime
« tirant profit des circonstances coercitives ».1269 Non seulement la contrainte inclut la force physique mais
également la « menace de force ou de contrainte, comme celle causée par la peur de violence, de contrainte, de
détention, de pression psychologique ou d'abus de pouvoir ».1270 Une Chambre de première instance a discerné
de la même manière une « interdiction générale de la contrainte physique et morale couvrant la pression qui
est directe ou indirecte, évidente ou cachée ».1271 La perception qu'un individu était vulnérable peut déclencher
une attention particulière de la Chambre de première instance dans l'examen de l'importance des circonstances
environnantes.1272
1261 Le procureur contre Kvočka et al (n1041) para (178) ; Le procureur contre Akayesu (n956) para (688).
1262 Dans une version précédente, cela était clairement l'effet de la Règle 96. La Règle a été rapidement modifiée.
1263 Le procureur contre Kvočka et al (n1041) para (178) ; Le procureur contre Furundžija (n949) para (271). Voir aussi Le procureur contre Krnojelac
(n1030) para (233).
1264 Le procureur contre Simić et al (n1036) para (126).
1265 Le procureur contre Krnojelac (n1030) para (475) (souligné).
1266 Le procureur contre Blagojević et Jokić (n1117) para (109) ; Le procureur contre Simić et al (n1117) para (184) ; Le procureur c

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