Michel Sardou, une vie en chantant

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Michel Sardou, une vie en chantant
© City Editions 2010
Photo de couverture : © Marianne Rosenstiehl/Sygma/Corbis
ISBN : 978-2-35288-585-6
Code Hachette : 50 8333 2
Rayon : Biographies / Document
Catalogues et manuscrits : www.city-editions.com
Conformément au Code de la Propriété Intellectuelle, il est interdit de
reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage, et ce, par
quelque moyen que ce soit, sans l’autorisation préalable de l’éditeur.
Dépôt légal : deuxième semestre 2010
Imprimé en France
Trajectoire.................................................. 5
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Une lignée.................................................. 7
Au grand air...............................................15
Les yéyés..................................................24
Simple soldat, gendarme ou général..........32
Populaire !.................................................44
L’ivrogne et le bon sauvage.......................53
Un jeune homme de 2000 ans....................63
La mort capitale.........................................72
Tir à vue....................................................84
Une équipée sauvage................................95
Le temps de la crise................................. 103
Un mariage irlandais................................ 111
Sur grand écran........................................ 122
Où l’on croise Barbara, Lénine et Sylvie Vartan............................ 128
Le chemin de Dakar… et des écoliers...... 138
Musulmanes............................................. 147
Le privilège de Sardou............................. 156
La polémique du Bac G............................ 164
Orphelin.................................................. 173
Un divorce et un mariage.................................. 182
Au théâtre ce soir............................................. 189
Dévaler les rivières de l’enfance...................................................... 196
De père en fils.................................................. 206
Les femmes toujours......................................... 217
Une brève chronologie personnelle................... 227
Discographie.................................................... 228
Les films, téléfilms et pièces de théâtre......................................... 236
Trajectoire
C
ombien de temps depuis le premier 45 tours de
Michel Sardou ? Combien d’années depuis son
premier scandale (« Les Ricains ») ? Plus de 40 ans.
Quarante longues années au cours desquelles Michel
Sardou n’a cessé de chatouiller là où ça démange, de
gratter des plaies que l’on aurait aimé voir refermées…
Quarante ans… Et Sardou ? Toujours debout.
Michel Sardou est une énigme, un personnage qui
n’a probablement pas d’équivalent en France ni dans
le monde. Tantôt gueulard, franchouillard, mettant en
musique les pires propos de bistrot, tantôt poète, tendre,
nostalgique, souvent politique au sens noble du terme,
l’homme est partout et nulle part à la fois. Insaisissable.
Une anguille, Sardou ? Pas vraiment. Alors, quoi, un
opportuniste, un retourneur de veste qui a élevé cette
pratique au rang d’art ? Non plus.
Lorsqu’on l’écoute chanter ou s’exprimer, l’homme
paraît toujours animé de sincérité, il « vit » ses chansons.
Il les « joue ». Car Michel Sardou est peut-être avant tout
un comédien, un caméléon qui change de rôle toutes les
trois minutes. Tour à tour affreux colonialiste, communiste déçu, minable poivrot ou féministe macho (nous
analyserons cet intéressant paradoxe), il « interprète »
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Michel Sardou
ses chansons comme s’il sortait de l’Actors Studio. Il va
sans doute puiser en lui des sentiments personnels qu’il
met au service de ses chansons, mais elles ne sont pas
lui, en tout cas, pas totalement.
L’homme nourrit un autre paradoxe. Honni par toute
une classe de la population française, qui le voit comme un
chantre d’une droite souvent dure, il n’en reste pas moins
que, ceux qui le brocardent, le critiquent, lancent sur lui des
quolibets, gardent malgré tout en tête certains de ses refrains,
certaines de ses chansons. Sardou nous a tous accompagnés, et, même lorsque l’on s’en défend, une tendresse particulière affleure dès que retentissent les premières notes de
quelques-uns de ses inoubliables morceaux. Alors, Sardou,
un chanteur que l’on aime détester, un anarchiste de droite,
un je-m’en-foutiste qui choisit son bord en se levant chaque
matin comme il choisit sa chemise ?
Un chanteur de variété, tout simplement, un homme
qui n’a pas honte d’être un chanteur populaire, un type
que l’on connaît depuis qu’il a 20 ans et que le temps
a fait changer, imperceptiblement. De ses premières
bravades à ses dernières ballades, Michel Sardou a un
parcours, un vrai, une trajectoire que peu de gens se sont
finalement donné la peine de scruter. Il est plus facile de
rester arc-bouté sur un stéréotype, une image figée. C’est
cet homme complexe, parfois difficile à suivre, souvent
contradictoire parce qu’il « change de vérité » à mesure
que les années passent, que nous allons tenter de décrire
ici. Nous essaierons de rendre justice au chanteur et à
l’homme, sans gommer ses erreurs, ses défauts, parce
que c’est un homme comme les autres et que ne pas l’encenser ni le béatifier, c’est aussi lui rendre hommage.
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Une lignée
B
ien entendu, on pourrait commencer le récit de
sa vie par un simple « Michel Sardou est né à
Paris le 26 janvier 1947 », on pourrait même se laisser
aller à raconter que c’était un beau bébé, joufflu et sans
doute un poil braillard, histoire de donner à penser que
son caractère d’ours mal léché était présent à l’aube de
son premier jour. Mais on aurait tort de commencer
ainsi. Parce que les Sardou, c’est avant tout une lignée,
un arbre généalogique pittoresque que l’on ne peut éviter
d’évoquer sans risquer de passer totalement à côté de ce
qui a fabriqué l’homme à la célèbre moue.
Avant Michel Sardou, il y a eu Fernand, le père,
comédien, chanteur, amuseur public, Jackie, la mère,
danseuse, actrice, à la gouaille entre mille reconnaissable, et puis il y a une grand-mère aussi, ex-danseuse
légère, vieille dame indigne au caractère aussi trempé
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Michel Sardou
que son gosier, qu’elle arrosait, hélas, avec bien trop de
régularité. Michel est né au milieu de tout ce petit monde
bigarré, aux colères homériques, vivant de la scène, des
saltimbanques, dont la belle humeur et les coups de
gueule aussi inattendus que puissants ont plus sûrement
forgé la belle personnalité du chanteur que n’importe
quelle pension suisse.
Fernand Sardou, né en gare d’Avignon un 18 septembre
1910 d’un père comique de music-hall, Valentin, et d’une
mère danseuse, « bonne amie » de Valentin, que la
troupe du Concert Mayol (au sein de laquelle sévissait un
certain Raimu) surnommait élégamment Sardounette.
Les deux tourtereaux s’étaient rencontrés quelque
temps plus tôt, sur les planches. Fernand est un enfant de
la balle dont le père a tout fait pour lui mettre des bâtons
dans les roues.
La scène, il avait ça dans le sang, depuis toujours.
Alors, à force d’insister et contre l’avis de son père, le
jeune homme est devenu comédien, un amuseur qui file
d’opérettes en music-halls, toujours avec un égal bonheur
et une belle faconde. C’est justement sur ces planches
qu’il va rencontrer Jackie, une jolie jeune fille de 17
ans, dont la mère, danseuse légère, répond au sémillant
surnom de Bagatelle.
La jeune femme a suivi sa mère en tournée et se
retrouve tout naturellement sur les planches pour remplacer au pied levé une artiste victime d’une (heureuse) rage
de dents. C’est là, au cours du spectacle intitulé élégamment En plein pastis, que Jackie « repère » Fernand.
L’homme a une belle prestance, beaucoup d’humour, et
il aime les femmes… Il se laisse séduire par la jeune
danseuse qui, en plus d’être jolie, possède un bagout
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Une lignée
à nul autre pareil. Fernand est beaucoup plus âgé que
Jackie, mais la future madame Sardou s’en moque éperdument. Leur rencontre a tout de la « divine surprise ».
Pourtant, les choses ne sont pas simples : à la fin des
représentations de En plein pastis, les deux tourtereaux
doivent se quitter. Chacun reprend sa route pour aller
fouler d’autres planches, rencontrer d’autres publics.
La vie de saltimbanque ne laisse que peu de place
aux amours stables. Mais, durant leurs pérégrinations
respectives, le destin, appelons-le ainsi, va faire en sorte
qu’ils se croisent, une fois, deux fois, trois fois, bref,
jusqu’à ce que Fernand et Jackie se rendent à l’évidence :
ils sont faits l’un pour l’autre. Aussi, les deux amoureux,
après s’être perdus de vue, puis retrouvés, puis perdus
de vue à nouveau comme dans le plus traditionnel des
films de Claude Lelouch, finissent par se retrouver pour
de bon et ne plus se quitter.
Pourtant, Fernand est un grand séducteur, un homme
à femmes qui n’avait pas particulièrement l’intention de
se laisser mettre en cage. Mais Jackie, forte personnalité, gouailleuse et pleine de joie de vivre, parvient à lui
passer la bague au doigt, un 7 juillet 1945, à la mairie
du XVIIIe arrondissement de Paris. Cela n’empêchera
d’ailleurs pas Fernand de garder « une certaine liberté »
tout au long de sa vie. Mais Jackie a une forme de tolérance qui se traduit tantôt par un haussement d’épaules,
tantôt par de la vaisselle cassée dans un grand fracas
et des hurlements jupitériens. Malgré tout, elle semblait
accepter cet état de fait :
— Elle laissait faire tant que ça se limitait au spectacle loin de Paris1, se souviendra Michel.
1. Michel Sardou, Et qu’on n’en parle plus, 2009, XO éditions.
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Michel Sardou
Quoi qu’il en soit, en cette année 1945, la belle Jackie,
qui s’est quelque peu arrondie, est à présent chanteuse
dans un des cabarets de la capitale au nom évocateur de
Liberty’s, comme un hommage aux soldats américains
venus sur notre territoire pour terrasser l’hydre nazie et
libérer l’Europe.
Fernand, pour sa part, a retrouvé une vieille connaissance, « la môme » Piaf, rencontrée quelques années
plus tôt, dans une autre vie, alors qu’il accompagnait son
père qui se produisait au Maroc, dans une salle délabrée
pompeusement appelée l’Alhambra. On lui propose de
passer en vedette américaine de son nouveau tour de
chant joliment intitulé : Aujourd’hui peut-être… Fernand
y remporte un franc succès. Chaque soir, la salle applaudit à tout rompre le séduisant Méridional.
Fernand et Jackie ne cessent donc de travailler dans
cette France d’après-guerre qui veut oublier les horreurs
du passé récent, oublier les heures noires et les errements. Les deux époux vivent pleinement cette vie de
saltimbanque qu’ils aiment plus que tout. De cabarets en
tournées, de music-halls en opérettes, ils sont tous les
deux boulimiques de travail. Ils n’aiment rien tant que
la rumeur de la salle avant le lever de rideau, l’odeur
des coulisses, la tension qui précède l’entrée en scène et
la récompense ultime que représentent des applaudissements qui montent d’une salle comblée.
Nous sommes en 1946. Voici un an que les deux
amuseurs sont mariés et heureux, et, en toute bonne
logique, c’est à ce moment que Jackie annonce sa grossesse à son époux. Fernand est heureux, Jackie aussi,
mais ils n’ont pas le temps de s’attarder là-dessus. On
se prépare vaguement à l’arrivée du petit (Fernand n’en10
Une lignée
visage pas un instant qu’il puisse s’agir d’une fille), et
on repart sillonner la France. Le public attend, le public
réclame, et les Sardou n’ont pas l’intention de priver le
pays de leur inextinguible soif de rire et d’amusement.
Ils continuent donc de parcourir l’Hexagone, de brûler
les planches et de régaler le public de leur bonne humeur
communicative.
Le ventre de Jackie s’arrondit à mesure que les mois
passent, le petit bonhomme qui s’y trouve doit être bien
secoué. Alors que certains parents font écouter la musique
de Mozart au futur bébé, ce sont plutôt les tonnerres
d’applaudissements qui accompagnent le développement
du prochain Sardou, un fils, forcément. Chez les Sardou,
on fait des mâles de père en fils.
Mais l’agitation ne perturbe pas le moins du monde
le bébé ni la maman, qui accouchera donc, le 26 janvier
1947, d’un petit Michel en pleine santé. L’enfant est beau,
comme tous les enfants, mais vite, vite, il faut se remettre
en chemin, le spectacle n’attend pas, the show must go
on ! Aussi, on repart illico jouer une nouvelle comédie
intitulée : On a volé une étoile. Le bébé pousse dans
cette frénésie, dans ce bouillonnement. Michel grandit
gentiment. Et il réclame de l’attention. Alors, Jackie met
peu à peu une parenthèse à sa carrière et s’occupe de la
maison. Fernand, lui, continue à sillonner les routes, à
courir le cachet dans une belle humeur.
Cependant, très vite, les planches appellent à nouveau
Jackie. Comment a-t-elle pu penser un seul instant qu’elle
allait pouvoir s’arrêter de travailler ? Le petit Michel est
confié à Bagatelle, la mère de Jackie, et on redémarre. Il
faut dire que les Sardou croulent sous les contrats, alors,
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Michel Sardou
pourquoi se priver du bonheur de jouer ? Fernand est
engagé au théâtre du Châtelet pour jouer une opérette
qui restera un classique du genre : Méditerranée. Il
partagera l’affiche avec un certain Tino Rossi, énorme
vedette et chanteur de charme qui ravit la France entière
de sa voix roucoulante et un brin mielleuse.
Jackie, pour sa part, joue Baratin sur la scène de
l’Européen, un cabaret très à la mode de la place Clichy.
Bref, les Sardou ont une belle vie de bohème qu’ils n’entendent pas sacrifier, fût-ce au nom d’un présumé devoir
parental. Et après tout, pourquoi les en blâmer ? Le petit
Michel voit peu ses parents, c’est vrai, mais il a face à lui
un couple heureux, aimant et épanoui. Que demander de
plus à un père et une mère ?
Les moments que la petite famille passe ensemble
dans l’appartement de la rue Caulaincourt sont des
instants de bonheur, de rire et de joie. Les premières
années du petit Michel se déroulent ainsi, entre des
parents plutôt absents et une grand-mère indigne, dont la
future vedette gardera un souvenir ému et tendre. Il faut
dire que Bagatelle est un véritable numéro.
Ancienne danseuse dans la troupe des « Petites
Femmes de Paris », ayant eu son heure de gloire un soir
au Casino de Paris, dans une interprétation très déshabillée de Cupidon, Bagatelle avait le goût des hommes
– qu’elle remplaçait très régulièrement. Pour elle, les
choses étaient simples : l’amour, oui ; le couple, non. Pas
question de s’attacher à un homme.
On imagine une femme au farouche désir d’indépendance. Cependant, à force de passer d’homme en homme,
l’inévitable arriva. Elle finit par tomber enceinte d’un
passager, « un sale con », selon ses propres mots. Pas de
doute : Jackie avait de qui tenir. Bagatelle ne voyait pas
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Une lignée
d’un bon œil l’arrivée d’un bébé. Elle refusait de s’attacher à un homme, alors à un enfant… Un boulet que l’on
traîne toute sa vie. Aussi, lorsqu’elle tomba enceinte, elle
fit tout pour faire passer le bébé.
Mais il faut croire que Jackie tenait absolument à
venir participer au spectacle ininterrompu de la vie. Elle
vint au monde quand même, malgré les litres de vinaigre
ingérés pendant la grossesse.
C’est donc à cette femme pittoresque et un peu alcoolique, qui n’aurait sans doute pas déparé dans une chanson réaliste ou un roman d’Émile Zola, que Michel fut
confié. Il en parle encore aujourd’hui avec un sourire :
— Elle sucrait ma soupe et salait mon dessert ; si
j’avais l’audace de le lui faire remarquer, elle claquait
la porte et s’en allait cuver dans une chambre qui ne lui
était pas réservée1…
Une sacrée bonne femme qui n’hésitait pas à crier
« Mort aux vaches » quand le besoin s’en faisait ressentir.
Michel Sardou la dépeint avec une tendresse non feinte :
— C’était une ancienne danseuse du Casino de Paris.
Elle était devenue chaisière à La Trinité. Toutes les chaisières de La Trinité étaient des anciennes danseuses,
soit des Folies Bergère, soit du Moulin Rouge…, des
anciennes danseuses nues. Et une fois par an, elles
faisaient un gueuleton et elles se déchiraient la tête
ensemble.
Lorsque l’on entend Michel Sardou évoquer sa grandmère, on ne peut qu’imaginer qu’elle a sans doute eu
une influence sur lui et sur son caractère si particulier.
Il ne fallait pas qu’on l’emmerde, Bagatelle, c’était tout
1. Michel Sardou, Et qu’on n’en parle plus, 2009, XO éditions.
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Michel Sardou
ce qu’elle demandait. Un genre de philosophie de vie.
Peut-être pourrait-on dire la même chose de son petitfils. Michel lui rend hommage :
— Le peu de chose qu’elle m’a confié sur sa vie m’a
plu. J’aime les existences désordonnées. La sienne n’aura
été qu’une longue suite d’échecs joyeux1. Fait aussi étrange que révélateur, lorsque, 60 ans plus
tard, Michel entamera l’écriture de ses mémoires, c’est
l’évocation de Bagatelle qui viendra en tout premier lieu
sous sa plume. C’est dire l’importance consciente ou
inconsciente que cette femme revêt à ses yeux.
Mais les années passent, filent, dans le tourbillon de
la vie et du spectacle, qui ne sont qu’une et même chose
chez les Sardou. Michel a bientôt six ans. Il lui faut entrer
à l’école, avoir une vie plus stable, plus saine, pensent
Jackie et Fernand. Aussi, il est décidé que Michel partira
pour la campagne, en Lorraine, et sera pris en charge
par une ancienne habilleuse en retraite, Marie-Jeanne
Rousselet.
1. Michel Sardou, op. cit.
2
Au grand air
F
évrier 1953, direction Kœur-la-Petite, un bled
perdu au fin fond de nulle part. Enfin, disons plutôt
au fin fond de la Meuse, ce qui, pour Michel, revient à
peu près au même. La garde du fiston est devenue trop
problématique, trop compliquée pour des parents qui
sont sans cesse sur les routes et dont les horaires, même
lorsqu’ils travaillent à Paris, sont assez peu compatibles
avec ceux d’un enfant de six ans. Aussi, il est décidé que
Michel ira grandir à l’air sain de la campagne, sous le
regard affectueux de la bonne Marie-Jeanne.
Les Sardou, qui sont d’indécrottables urbains, ont
dû supposer que ce qu’ils aimaient par-dessus tout, les
bruits de la ville, les pavés mouillés, les néons qui s’y
reflètent jusqu’au bout de la nuit, tout cela ne pouvait être
bon pour un enfant. Qui sait, peut-être ont-ils peur que le
petit tourne « artiste » un jour ou l’autre, qu’il soit attiré
par la vie que mènent ses parents. Or, comme tous bons
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Michel Sardou
parents, Fernand et Jackie rêvent d’un avenir plus convenable pour le fiston.
Michel passera quelques années à Kœur-la-Petite, en
compagnie de la bonne Marie-Jeanne, costumière en
retraite, repartie chez elle pour cultiver son potager et se
lever avec les poules, plutôt que de se coucher au chant
du coq comme elle le faisait à Paris. Ces années d’enfance représentent une éternité pour Michel.
Pourtant, il n’en conservera pas un mauvais souvenir,
malgré les kilomètres qui le séparent de ses géniteurs,
toujours aussi agités.
Pas grand-chose à en dire de ces années qui s’écoulent
avec lenteur, au rythme des saisons et des apprentissages.
Michel y fait son école primaire. Il y apprend ce que tout
enfant apprend : lire, écrire, compter. Il y assimile aussi
des connaissances qu’un poulbot du XVIIIe arrondissement a peu de chance d’assimiler durant l’enfance : les
choses de la campagne. Michel est un des rares enfants nés
en plein Pigalle à savoir étêter une volaille ou saigner un
cochon. Peut-être a-t-il oublié depuis. Mais peu importe,
ça aussi ça forge un caractère. Ni enfer lorrain ni paradis terrestre, Kœur-la-Petite et la bonne Marie-Jeanne
laisseront un souvenir plutôt agréable à Michel qui, bien
des années plus tard, alors que l’enfance est lointaine
et qu’il se retourne sur son passé (très vite, surtout ne
pas le laisser vous envahir ; le passé, ça vous bouffe et
ça vous empêche d’avancer), Michel, devenu l’immense
vedette que l’on sait, consacrera une très jolie chanson
en hommage à cette mère d’adoption, maman à temps
partiel qui a veillé sur les moments clés de cette partie de
l’enfance qui mène à la préadolescence, qui forge déjà un
peu l’homme ou la femme que l’on deviendra. Michel,
16
Au grand air
avec une belle tendresse et une grande émotion, écrira
donc un hymne à la douceur de Marie-Jeanne intitulé
« Marie ma belle » :
Une petite femme de rien du tout/Qui m’appelait son
cœur/Et portait mon bonheur/Autour du cou.
Pendant ce temps, les parents de Michel, suite à de
légers problèmes de santé de Fernand, décident de quitter les rues grouillantes, populeuses du XVIIIe arrondissement. On imagine que c’est la mort dans l’âme pour
ces deux-là qu’ils quittent le cœur battant de la capitale,
les rues sinueuses, les enseignes lumineuses, les trottoirs
humides où se côtoient les flics, les putes, les touristes en
goguette, les poulbots et les vieux Parigots.
Ce coin de Paris, où la vie semble ne jamais prendre
de repos, cet îlot de nuit, niché en plein XVIIIe arrondissement, où l’on s’amuse, où l’on se déchire, où l’on se
sent vraiment vivant. Les noctambules que sont Jackie
et Fernand, amoureux de la fête et du spectacle, se résignent pourtant à partir. Le couple de saltimbanques
dégotte une jolie maison sur les bords de la Seine, dans
les Yvelines, à Montesson-Laborde.
Là, à quelque 15 kilomètres de la capitale, dans un
village très, très calme, trop, trop calme sans doute, mais
« faut ce qu’il faut », dirait Jackie, les Sardou emménagent dans une belle maison entourée de verdure.
Bon, il faut enquiller les kilomètres tous les soirs
pour aller jouer, le béton, la pollution et les néons sont
furieusement absents, pour être vert, c’est vert, et pour
être calme, aussi, mais c’est bien de cela que les deux
comédiens ont besoin pour le moment. Et puis, une petite
barque amarrée non loin de la maison sert de compensation. Fernand pourra emmener Michel se balader sur
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Michel Sardou
le fleuve. C’est déjà ça. Un genre de complicité, un peu
compliquée, va naître de ces sorties sur la Seine. Le père
et le fils ne sont pas les personnes au monde qui s’ouvrent
le plus facilement. On ne se parle pas vraiment, on ne se
dit pas les choses. Sans doute ces deux-là trouveraientils aujourd’hui un peu ridicule ce culte de la communication entre parents et enfants, ce besoin effréné de
« dire », avec la peur que le moindre des gestes non
expliqué finisse décortiqué 20 ans plus tard sur le divan
de velours d’un psychanalyste qui s’en fout éperdument.
Non, une belle tendresse lie le père et le fils, mais sur
laquelle on ne pose que peu de mots. Michel quitte donc
Koeur-la-Petite de temps à autre pour venir rejoindre ses
parents sur les rives de la Seine. La barque, c’est bien,
mais bon… La campagne, il connaît, c’est même son
quotidien. Aussi, Michel n’est ni étonné ni franchement
malheureux quand ses parents, à l’initiative de Jackie,
décident de quitter la verdure pour retourner vivre
au-dessus des pavés parisiens. Les Yvelines, c’est un peu
la Suisse de la région parisienne. C’est joli, c’est tranquille, les gens sont bien polis, mais on se lasse vite.
Et puis, les inondations qui, en janvier 1955, font
déborder la Seine, envahissant de boue toute la maison,
donnent un bon prétexte au couple pour quitter les lieux
fissa. La petite famille se décide donc à retourner dans
la capitale, rue Pierre-Haret, toujours le XVIIIe arrondissement, qui est comme une deuxième patrie pour les
Sardou. En fait, on ne les imagine pas un seul instant
vivre dans un autre arrondissement de la capitale.
À croire que, pour eux, Paris commence rue Lepic et
se termine rue Caulaincourt.
Les voilà donc installés entre la place Blanche et la
place de Clichy. On commence par mettre Michel en
18
Au grand air
pension, histoire de ne pas trop se compliquer la vie. Mais
le petit y est malheureux comme les pierres. La pension,
c’est rarement drôle, et nombreux sont les enfants qui en
conservent un très mauvais souvenir. Moins nombreux
sont ceux qui parviennent à le faire savoir avec autant
de brio. Michel, en se souvenant de cette dure période,
chantera : En ce temps-là/Monsieur le surveillant des
classes secondaires/Était un peu efféminé/En ce tempslà/Je lisais le Grand Meaulnes/Et après les lumières/Je
me faisais plaisir.
Le regard triste de Michel fait céder les parents.
D’accord, on le retire de la pension. On rapatrie le petit
et on l’inscrit à l’école primaire de la rue de Bruxelles.
Après tout, la communale, ça n’est pas si mal.
Là, Michel lie connaissance avec les mômes du quartier, les têtes rouges, les petits caïds, qui se retrouvent
au square de Vintimille une fois l’école terminée pour
aller se caillasser la figure avec les bandes opposées de
La Trinité ou juste pour fumer des gitanes maïs piquées
au père de l’un ou de l’autre.
Michel s’adapte très bien à ce milieu, qui finalement
lui sied mieux que n’importe quelle pension privée. Il
s’adapte tant et si bien qu’il finit par faire même partie
des meneurs, des garnements qui rendent chèvre le
pauvre gardien du square. On dirait une image d’Épinal. Pigalle dans les années 1950, tout simplement. Du
Doisneau avec un peu de crasse sous les ongles, des
bosses, des égratignures et quelques bons moments de
rigolade. Michel se sent bien dans cette ambiance.
Et puis, c’est l’occasion pour le futur chanteur de
retrouver sa chère Bagatelle, chez qui il se rend dès qu’il
en a l’occasion. La complicité entre le petit garçon et la
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Michel Sardou
grand-mère va se forger à ce moment-là. Bagatelle lui
fera même découvrir Édith Piaf. Ça marque.
Les années passent, et les parents de Michel finissent par se dire qu’il y a malgré tout un petit problème.
Fernand et Jackie veulent tout de même que « le môme »
ait des résultats à l’école. En cela, ils sont des parents
comme les autres. Et, dans ce domaine, il faut avouer
que Michel brille plus sur le champ de bataille du square
Vintimille que sur les bancs de la communale. On ne
sait pas s’ils rêvent d’avoir un fils ingénieur, médecin ou
diplomate (on a un peu de mal à l’imaginer), mais ils
tiennent à ce que l’éducation du petit soit bonne.
Et ils ont conscience que ce n’est pas en rejouant La
Guerre des boutons planqué derrière les bancs du square
Vintimille que le petit va s’ouvrir une carrière. Ou alors
une carrière militaire, à la rigueur, puisque Michel réinvente l’art de la guerre sur les champs de bataille de
Pigalle et Montmartre, mais les Sardou ne sont pas très
bien disposés à l’égard de la grande muette.
Alors, une fois passé par l’obligatoire communion
solennelle, le petit diable au visage d’ange est envoyé
en pension. Plus simple. Là, au moins, on s’occupera de
lui, et ses parents ne peuvent de toute façon pas assumer comme il le faudrait l’éducation du marmot qui
commence à devenir un adolescent. Michel est donc
envoyé, contre son gré évidemment, dans une école
estampillée « fils à papa » dans les Yvelines. Une bonne
école, bien privée, comme il faut, où se trouve déjà le fils
de Fred Mella, leader des Compagnons de la chanson.
C’est lui qui a d’ailleurs donné le tuyau à Fernand.
Direction Jouy-en-Josas pour Michel. Le collège
suisse Saint-Joseph du Montcel. Tout est contenu dans
20
Au grand air
le nom de l’institution… On ne peut pas dire que Michel
ait exactement la gueule de l’emploi, ses parents encore
moins.
Le petit bonhomme des rues de Pigalle n’a pas vraiment l’air d’un fils de famille, et ses parents ne ressemblent pas exactement à de grands banquiers.
D’ailleurs, Fernand et Jackie s’en aperçoivent dès leur
arrivée. Le père de Michel, dans son autobiographie,
raconte le choc culturel qu’a provoqué leur arrivée au
collège lorsque lui et sa femme sont venus déposer leur
gamin :
— Le parc était rempli de voitures, rempli de monde,
enfants, parents d’enfants, mais quels enfants ! Et
quels parents ! Et je vous jure que l’arrivée de pépère
et mémère dans leur Dauphine, avec leur panière, au
milieu des Rolls, des Bentley, des Jaguar, des Chrysler,
a été un spectacle. Nous avions l’impression de jouer La
Strada dans le décor de L’Année dernière à Marienbad.
Nous réalisions tout à coup ce que devait être l’établissement où nous avions inscrit Michel qui, lui, avait fait
ses débuts dans la société des trottoirs de la rue Blanche
entre la place Vintimille et La Trinité. « Fais attention,
lui dit ma femme. Tiens-toi bien. Car j’ai l’impression
que nous sommes les plus cons de la pension. » Pour justifier le fait d’avoir malgré tout inscrit Michel
dans ce collège, Fernand Sardou écrira encore dans ses
mémoires :
— Nous n’étions pas mécontents que l’éducation de
notre enfant soit enfin reprise en main par des spécialistes, parce que, sur ce plan-là, nous n’étions pas les
parents rêvés. Dès son plus jeune âge, Michel connaissait toutes les finesses d’un vocabulaire familial qui ne
devait rien à l’Académie française. 21
Michel Sardou
Mais, après tout, le gamin a su s’adapter à toutes les
situations et il a la peau dure ; alors, pourquoi en irait-il
autrement cette fois-ci ?
Et Michel s’adaptera, mais à sa façon. Il a déjà cet
air buté et un brin rebelle qui le différencie de ses petits
camarades. Il apprécie moyennement d’être réveillé
à l’aube, de marcher au pas et de se fader le lever des
couleurs tous les matins. Ce n’est pas la caserne, certes,
mais ça en a tout de même un vague arrière-goût. Il faut
donc trouver des parades, être plus malin que le système,
se faire roublard. Pas trop dur pour le petit Michel.
Éducation de poulbot, parents comédiens, pas fortiches
pour l’autorité, la contrainte n’est pas son truc et, surtout,
il n’y a pas été beaucoup confronté.
La peur de l’autorité ? Connais pas ! Aussi, rapidement, le fils Sardou ne va pas se gêner pour faire le mur
quand il le désire, et surtout pas se priver de le raconter le lendemain à ses petits camarades, trop bien élevés
pour faire pareil, même si, au fond de leurs yeux, Michel
voit bien qu’ils en crèveraient d’envie…
Michel, devenu Sardou, confiera plus tard dans son
autobiographie :
— J’avais passé mon adolescence en pension. Si
bonnes qu’elles fussent, comme celle de Montcel à Jouyen-Josas, où les profs jouaient leurs cours à la perfection,
elles n’en demeuraient pas moins des établissements très
réglementés avec une hiérarchie pesante. Une règle de
vie qui, à la longue, m’a fait péter un câble1. Le passage à Montcel a sans doute forgé Michel, mais
probablement pas dans le sens voulu par l’institution. Le
1. Michel Sardou, Et qu’on n’en parle plus, 2009, XO éditions.
22
Au grand air
fils de Fernand et Jackie a vécu jusque-là avec relativement peu d’entraves ; des parents qui, s’ils font de leur
mieux pour apporter de l’amour à leur enfant, sont trop
occupés pour lui faire la leçon. Des gens trop libres sans
doute pour donner au gamin des limites strictes.
Aussi, c’est sans doute à Montcel, dans le collège
suisse, que Michel forge sa personnalité au fur et à
mesure que les années passent. C’est là qu’il découvre
que la liberté n’est pas donnée, que personne, jamais, ne
viendra vous offrir l’indépendance.
Non, ces deux choses se gagnent, se prennent, se
volent si besoin. Mais cela a un prix que Michel est tout
prêt à payer.
Mieux vaut ne pas savoir où l’on va que de suivre un
chemin tout tracé, balisé, au bout d’une invisible laisse.
3
Les yéyés
H
eureusement, au cours des vacances, et durant
certains week-ends, Michel rejoint ses parents.
Il erre dans les coulisses des nombreuses salles où ses
géniteurs se produisent. Il hume l’odeur du spectacle,
s’imprègne de la rumeur du public, reluque les danseuses
avec la lubricité des adolescents rongés par la puberté.
En 1960, Jackie et Fernand jouent ensemble à l’ABC
dans une opérette intitulée L’Impasse de la fidélité.
L’inénarrable Patachou fait partie de la distribution
et partage tous les soirs les applaudissements avec les
parents de Michel. C’est là que le jeune homme fera
la connaissance d’un garçon de son âge qui, lui aussi,
traîne son désœuvrement et ses regards indiscrets dans
la coulisse.
Il s’agit de Pierre Billon, le fils de Patachou. Les
deux jeunes gens deviendront des amis très proches, ils
entretiendront un lien puissant pendant de nombreuses
24
Les yéyés
années, avant que la vie ne vienne à bout de leur belle
amitié, mais cela se produira beaucoup plus tard.
En cette même année 1960, alors que Michel a 13
ans, les Sardou décident d’ouvrir un cabaret. Ils sont un
peu las de courir partout, tout le temps. Ils ont envie de
se poser, d’être plus tranquilles et d’avoir quelque chose
qui leur appartienne.
Aussi, ils cherchent un lieu et finissent par dénicher
leur bonheur rue Lepic, en plein cœur de Montmartre.
L’établissement s’appelle Le Belzébuth, mais il est bien
vite débaptisé. On dira tout simplement « Chez Fernand
Sardou ».
Dans la fumée et les rires, Michel y passera beaucoup
de temps. Jackie et Fernand espèrent avec cette acquisition pouvoir souffler un peu. Or, c’est tout le contraire
qui va se produire.
Le cabaret ne rapportera pas assez pour qu’ils puissent refuser de nouveaux engagements. En revanche, ils
ne peuvent pas non plus faire l’économie de leur présence
au cabaret. Double journée pour les Sardou, et Fernand,
dont le cœur est fragile, n’est pas vraiment à la fête.
Et puis il y a les vacances, les vraies, celles de l’été
au cours desquelles ses parents l’emmènent dans un
petit village de l’île de Ré. Là, le grand air, les bonnes
bouffes en famille, un peu de liberté comblent l’adolescent. Une respiration, un genre de perm pour le garçon
qui se retrouve, qui n’a plus à supporter le fardeau et les
horaires du collège de Montcel.
Un petit mois d’août et puis s’en retourne dans la cage
dorée pour fils de grosses légumes. Et la vie s’écoule au
rythme des coups de gueule et des colères rentrées.
25
Michel Sardou
À l’été 1963 se produit un événement de ceux qui
marquent un adolescent. Fernand invite son fils à le
rejoindre en Camargue où il tourne, sous la direction de
Noël Howard, un navet intitulé D’ou viens-tu Johnny ?
L’idole des jeunes, qui partage l’affiche du film avec
Sylvie Vartan, y incarne, ô surprise, un jeune chanteur
de rock qui a maille à partir avec des trafiquants de
drogue. Le film est construit uniquement autour de la
nouvelle idole des jeunes, Johnny Hallyday, et c’est son
seul et unique intérêt, si tant est qu’on aime Johnny.
Ça tombe bien, c’est le cas de Michel, qui est donc fou
de joie de pouvoir approcher le jeune chanteur, à peine
plus âgé que lui. Michel a quatre ans de moins que son
idole, mais cela fait toute la différence à cet âge-là. Et
Johnny est une énorme vedette.
La rencontre sera relativement brève et, au final, ne
change pas la face du monde. Michel chante une chanson de sa composition à Johnny, « Le dernier métro ».
Johnny écoute poliment et lui fait cadeau d’une chemise.
Rien de bien extraordinaire, mais tout de même, à 15
ans, ce genre de chose marque vraiment. Les deux jeunes
gens, devenus adultes, se retrouveront sur de nombreux
plateaux, d’égal à égal. Surtout, ils deviendront de vrais
amis. Mais pour l’heure, il faut rentrer à Montcel, repasser par la case gosses de riches. Michel s’est tout de
même fait quelques bons copains dans cette institution
réglée comme un coucou suisse. Jean-Michel Ribes est
de ceux-là. L’auteur, comédien et directeur de théâtre,
garde un bon souvenir de son camarade « en révolte »,
un « Robin des bois du collège ».
Si la rencontre avec Johnny ne marquera pas exactement le tournant de la vie de Michel, un autre événe26
Les yéyés
ment va se produire et il aura des conséquences bien plus
importantes. En effet, on imagine mal le bonhomme
voir sa vie bouleversée après quelques minutes passées
auprès de l’idole de toute une jeunesse.
Difficile de l’envisager en groupie frétillante et intimidée qui voit sa vie basculer par le simple fait d’avoir
approché Jean-Philippe Smet. En revanche, ce qui va
suivre est sans doute un tournant beaucoup plus crucial.
On a compris son désir de liberté, sa haine viscérale de
la contrainte. Michel passe la première partie de son bac,
qu’il obtient sans les honneurs, se contentant du strict
minimum et continuant ses sorties nocturnes, autant
pour son plaisir personnel que pour celui de ses camarades. Mais Michel a un plan secret qui exclut totalement le bac, Montcel et l’éducation collet monté que l’on
cherche à lui inculquer.
Depuis quelque temps déjà, il met secrètement de côté
de l’argent. Son but ? Il est simple et fou, mais comment
pourrait-il en être autrement ? Partir ! Loin ! Et faire
fortune, sans devoir rien à personne. Se forger, tout seul,
sans l’aide de qui que ce soit. Mais pour cela, il faut de
l’argent, et il est pressé. L’attente est sans aucun doute
insupportable pour l’adolescent. Rongeant son frein, il
finit par s’ouvrir à l’un de ses camarades, Isambert.
Ce dernier, fasciné par le projet fou de son copain,
décide de l’aider. Le camarade ne fait ni une ni deux
et lui propose de partir avec lui, et, pour ce faire, de
cambrioler le coffre de son père. La décision est prise,
les deux garçons s’introduisent donc dans la maison du
père d’Isambert et y dérobent une forte somme d’argent.
Avant de partir, Michel, honnête et naïf, rédige un courrier à l’attention du père de son copain. Il lui assure que
la somme « empruntée » sera remboursée au centime
27
Michel Sardou
près, et avec les intérêts, une fois que les deux jeunes
gens auront fait fortune.
Une fois leur forfait perpétré, les adolescents vont
fêter à Pigalle, puis, dès l’aube, prennent la direction
de l’aéroport. Là, au comptoir d’Air France, ils regardent les destinations lointaines. Ils sont pressés. Un vol
pour Rio est annoncé dans les heures à venir. Ce sera le
Brésil ! Michel prend sa gueule de gentil jeune homme
bien élevé et s’accoude au comptoir pour demander deux
billets pour Rio de Janeiro. En première, s’il vous plaît.
Dans le même temps, et c’est l’avantage des
institutions comme le Montcel, l’absence des deux
jeunes gens a été remarquée. On est allé voir dans leurs
chambres : leurs armoires sont vides, les oiseaux se sont
envolés. Aussitôt, le directeur de l’établissement prévient
les familles et la gendarmerie.
Et les fugueurs se font gentiment cueillir à Orly par la
Police de l’air et des frontières.
C’est là, à l’aéroport, que Fernand vient chercher son
fils. Sans doute très en colère, mais peut-être aussi un
peu admiratif du culot montré par le garçon, le père se
débrouille avec la police. Il n’y aura pas de poursuites.
Mais pour Michel et Fernand, une chose apparaît clairement : impossible de retourner à Montcel.
La fugue était un cri d’alarme, une façon un peu folle,
voire totalement délirante, de faire comprendre à ses
parents, une bonne fois pour toutes, que l’école suisse
n’est pas exactement sa tranche de gruyère. Alors quoi ?
Qu’est-ce qu’il va faire, le petit ? se demande Fernand.
Eh bien, tout simplement travailler. Au souhait clairement affirmé du jeune homme, le père répond dans un
mouvement d’humeur :
28
Les yéyés
— Tu veux faire l’andouille ? Eh bien, tu la feras pour
de bon ! Et le plus simple est de le prendre au cabaret. Il ajoute
donc :
— Puisque tu ne supportes plus les contraintes d’une
éducation scolaire, tu débuteras au cabaret demain soir.
Ne saute pas de joie, tu seras mal payé1.
Voici donc Michel, libéré du carcan des études, devenu
serveur et chanteur occasionnel dans l’affaire familiale.
Il sillonne entre les tables, prend les commandes, fait
le service, puis monte sur la scène et chante quelques
standards. Ce n’est peut-être pas la vie rêvée pour un
jeune garçon d’à peine 18 ans, mais c’est un monde
qu’il connaît, au contact duquel il a grandi, du moins en
partie. Fini les fils à papa, fini les levers des couleurs et
la marche au pas, Michel entre dans le monde du spectacle par une porte étroite et basse. Mais, finalement, peu
lui importe, ce qui compte, c’est que la vie commence
enfin pour lui.
Il confiera plus tard dans ses mémoires avoir passé
son enfance à attendre de devenir adulte. Et, comme
pour la liberté, l’âge adulte ne s’attend pas, il se gagne.
Aussi, c’est ce que fait Michel : il s’arrache à l’enfance
à la force du poignet, avec la morgue et l’inconscience
d’un gamin. Mais le môme Michel n’a pas l’intention de
s’arrêter là. S’émanciper de l’école est une chose, s’émanciper de ses parents en est une autre. Mais cela lui est
absolument indispensable. Le désir d’indépendance, les
rêves qu’il a faits n’incluaient pas forcément un retour
chez papa et maman, dans ce non-cocon familial qu’il a
connu par intermittence. Un soir, il se rend au Châtelet
1. Michel Sardou, Et qu’on n’en parle plus, 2009, XO éditions.
29
Michel Sardou
pour voir jouer son père dans Méditerranée ; là, il tombe
en arrêt devant une jolie danseuse, Françoise. C’est le
déclic. Coup de foudre réel ou provoqué par un désir de
liberté ? On laissera à papa Freud le soin de trancher.
Et finalement, cela n’a que très peu d’importance. Ce
qui compte, ce sont bien les conséquences de ses actes,
pas forcément les raisons pour lesquelles il les accomplit. Quoi qu’il en soit, en cette année 1965, Michel, fort
de son âge canonique (18 ans), décide d’épouser la jolie
danseuse.
— Ne plus avoir à rendre compte, ne plus avoir à
demander, ne plus être dépendant, ne plus être un enfant.
[…] En me mariant, je m’émancipais. Il ajoute dans un entretien :
— Quand j’étais petit, j’attendais d’être plus grand
pour partir. […] C’est pour ça que j’ai accéléré les choses,
que je me suis marié très vite : pour pouvoir partir. Non
pas que j’étais malheureux chez moi, ce n’était pas le cas,
mais j’avais besoin de m’en aller. Comme pour enfoncer le clou, il ajoutera :
— Moi, je sais que, tout petit, je me suis toujours
emmerdé d’être petit, je me suis toujours ennuyé d’être
dépendant, ça a toujours été un fardeau.
Françoise Pettré a quatre ans de plus que lui. Elle
accepte le mariage sans l’ombre d’une hésitation. « Pour
moi la vie va commencer1 » chantait l’idole des jeunes.
C’est exactement ce que doit se dire le fils Sardou à ce
moment clé de son existence.
Michel épouse donc Françoise à l’église Saint-Pierre
de Montmartre. On reste dans des zones géographiques
connues. De plus, cette église est réputée pour être celle
1. Chanson interprétée par Johnny Hallyday et écrite par Jean-Jacques Debout en 1963.
30
Les yéyés
des artistes, elle se trouve à quelques pas seulement du
Sacré-Cœur. Un petit tour devant le curé, et tout le monde
prend la direction du cabaret « Chez Fernand Sardou ».
Logique.
L’assemblée est quelque peu hétéroclite et reflète bien
l’état d’esprit de la famille. Des artistes, des bohèmes,
des copains du quartier de Montmartre, mais aussi des
gens bon chic bon genre du côté de Françoise qui, pour
sa part, est plutôt issue d’une « bonne famille », comme
on dit. La fête est animée, on rit, on danse et on se quitte
en se tapant dans le dos. Michel jubile.
La vie commence. Françoise et lui s’installent dans
une petite chambre de bonne.
Ce n’est pas le paradis, mais ça a un vrai goût de
liberté.
4
Simple soldat,
gendarme ou général
L
e cabaret des parents de Michel bat sérieusement
de l’aile. Au point que l’associé de Fernand, pas
fou, retire promptement ses billes. Et Fernand n’a d’autre
choix que de fermer l’établissement. Mouise, ennuis,
huissiers, tout le toutim. Les Sardou sont dans une
mauvaise passe. Heureusement, ils ne cessent jamais
de travailler, le public est toujours au rendez-vous, et ils
peuvent petit à petit reprendre pied.
De son côté, Michel doit se débrouiller tout seul maintenant qu’il a décidé de faire le grand. Pourtant, il ne sait
pas faire grand-chose, le gamin.
À part chanter, un peu. Pas toujours très juste, mais
avec une belle voix et une présence sur scène assez
remarquable. Alors, Michel va courir le cachet. Cinq
32
Simple soldat, gendarme ou général
sacs la soirée, cinquante francs. C’est pas lerche, aurait
pu dire sa mère. Mais Michel s’en fout. Il est libre. Enfin.
Françoise assure les arrières.
Michel, dans la journée, apprend la comédie. C’est ce
qui l’attire vraiment. Un atavisme familial, évidemment.
Michel n’imagine pas un seul instant que c’est dans la
chanson qu’il fera carrière. Il n’y pense pas, ce n’est
pas vraiment son truc. Lui, ce qui le tente, c’est jouer la
comédie. Il s’est donc inscrit à plusieurs cours.
Chez Raymond Girard, parce qu’il a la réputation
d’être l’un des meilleurs professeurs de théâtre sur la
place de Paris. L’homme est professeur au Conservatoire
d’art dramatique de Paris, une référence absolue. Mais
Michel va aussi suivre des cours chez Yves Furet, où il
travaille âprement le répertoire comique classique. Il ira
aussi chez Georges Chamarat. Bref, il multiplie les cours
pour apprendre le métier. Le soir, il traîne ses guêtres
dans les cabarets de Montmartre, Chez Patachou ou
encore Chez ma cousine en compagnie de son copain
Pierre Billon.
Au cours de ses pérégrinations, Michel fait la connaissance de deux jeunes gens qui ont à peu près son âge. Des
apprentis artistes, comme lui, pétris de rêves lointains de
musique et de célébrité. Il s’agit de Patrice Laffont, fils
du célèbre éditeur Robert Laffont, et d’un certain Michel
Fugain.
Avec eux, Michel écrit des chansons, avec le vague
espoir de les faire chanter un jour… par quelqu’un d’autre.
Mais ce n’est pas ce qui compte le plus à leurs yeux. Ce
qui intéresse ces jeunes gens se borne au simple plaisir
d’être ensemble et de composer. Seulement, évidem33
Michel Sardou
ment, un jour ou l’autre, l’envie de savoir ce que valent
ces chansonnettes est plus fort que tout.
Décision est prise d’aller auditionner chez Eddie
Barclay, magnat de la chanson française que l’on ne
présente plus tant il EST le showbiz de ces débuts d’années 1960. Les trois jeunes hommes se regardent un peu
en chiens de faïence. Qui va y aller ? Patrice se dégonfle,
Fugain aussi. Sardou, dans un haussement d’épaules, se
plie à la volonté (ou plutôt au manque de volonté) de ses
copains. Il ira. Le but n’est pas de signer un contrat ;
Michel n’est pas fou. Non, ce qu’il veut avant tout, c’est
montrer à Barclay ce que lui et ses amis font dans leur
coin. Michel se rend donc dans la maison de disques.
Il raconte :
— Tout le monde se dégonflait pour aller chanter, alors
j’y ai été. J’ai auditionné chez Barclay, et j’ai chanté mes
chansons. Pas pour les interpréter, mais pour montrer du
matériel aux éditeurs. Et on m’a fait un contrat pour que
je chante ! À peine croyable. En effet, Régis Talar, codirecteur
artistique des éditions Marine, une branche de la maison
Barclay, trouve du charisme au jeune homme à l’air un
poil renfrogné. Talar a signé quelque temps auparavant un jeune homme à la voix d’ange nommé Jacques
Revaux. Sardou, ça n’a rien à voir, se dit-il, mais ça vaut
le coup d’essayer. Pourtant, il affirmera plus tard :
— J’étais fait pour tout, sauf pour être chanteur. Je
ne voulais pas être chanteur. Moi j’écrivais des textes,
des poèmes, des choses comme ça… Fugain faisait la
musique, et il y avait de jeunes acteurs, de futurs metteurs
en scène. Nous faisions des chansons pour le plaisir. Un
jour, on a dit : on va les montrer nos chansons ! Michel enregistre donc un 45 tours quatre titres,
34
Simple soldat, gendarme ou général
comme c’était l’usage à l’époque, qui sort à la fin de
l’année 1965. Autant le dire tout de suite, le disque est
un véritable four, une gentille catastrophe sur le plan
commercial. Les paroles sont de Sardou, les musiques,
de Fugain, mais au milieu des années 1960, ça n’a rien
d’une distribution de rêve. Les deux jeunes gens sont
parfaitement inconnus, et on est très loin d’imaginer
la carrière qui les attend. Quatre titres donc : « Je n’ai
jamais su dire », « Les arlequins », « Il pleut sur ma
vie ». « Le madras », quatrième titre du 45 tours, est
coécrit avec Patrice Laffont. On ne peut pas dire que
l’échec commercial du disque soit réellement injustifié.
Les garçons apprennent le métier. Et à cette époque, on
laisse le temps aux artistes de prendre leurs marques et
d’éclore. « Le madras » est peut-être la meilleure chanson du disque. Rien de très révolutionnaire tout de même.
Les mots ne sont pas toujours très ajustés à la musique ;
Sardou a encore du boulot devant lui.
Malgré tout, Michel est engagé pour faire un lever
de rideau à Bobino. Il chantera quelques chansons avant
de laisser François Deguelt entrer en scène. Pas si mal
pour le gamin, alors que le succès est encore loin d’être
au rendez-vous. Et en parlant de rendez-vous, il en est
un que Michel a « oublié », c’est celui que lui avait fixé
l’armée. C’est qu’il a l’âge d’aller se faire suer dans une
caserne, le môme Sardou ; l’âge, mais pas l’envie. En
réalité, Michel n’a jamais reçu sa convocation pour aller
faire le mariolle sous les drapeaux. Comment s’est-elle
égarée ? Mystère. Et Michel ne s’en est pas vraiment
préoccupé. Si on l’a oublié, tant mieux. Sauf que, bien
entendu, ce genre de miracle n’arrive jamais.
Il faut passer par l’uniforme, personne n’y coupe.
Michel avait bien fait ses trois jours et était bon pour le
35
Michel Sardou
service. Pas enchanté de la nouvelle, d’autant qu’il avait
vaguement essayé de se faire réformer – sans grande
conviction ni ingéniosité particulière, il faut bien l’admettre. Sauf que, un an et demi plus tard, la maréchaussée vient sonner à sa porte.
Et là, c’est une tout autre affaire. Michel ne s’est pas
présenté à sa convocation. Il est donc considéré comme
insoumis. Le gendarme tente de lui faire entendre raison.
Il lui propose de partir effectuer son service immédiatement.
Dans le cas contraire, il sera considéré comme déserteur. Évidemment, Michel envoie paître le pandore.
Déserteur, finalement, ça lui convient plutôt comme
statut. Insoumis aussi, remarquez.
Aussi, un soir, alors que Michel est en scène à Bobino,
la prévôté vient le cueillir. Qu’il le veuille ou non, il
devra passer par la case service militaire. Le drapeau
l’appelle et plus question qu’il fasse la sourde oreille.
Lorsqu’il quitte la scène, Michel est emmené, menotté
comme il se doit, dans un fourgon. Direction le train et
le camp disciplinaire. Les récalcitrants ont un régime de
faveur… Pour arranger le tout, Michel trouve le moyen
de casser la figure au premier sous-off à qui il prend l’envie saugrenue de se moquer de son métier d’« artiste ».
Le déserteur passe du fourgon à la caserne, de la caserne
au trou. Finalement, c’est peut-être le terme d’insoumis
qui convient le mieux…
On se doute évidemment que c’est de cette expérience que Michel s’est inspiré pour son fameux « Rire
du sergent ». Il faut dire que répondre « artiste » à la
question de la profession, dans un environnement militaire, cela relève presque de la provocation. On ne peut
pas dire que les militaires aient une sensibilité artistique
36
Simple soldat, gendarme ou général
très affirmée. D’ailleurs, à propos de cette pièce, Michel
Sardou dira :
— Cette chanson-là ressemble à celles de mon grandpère. Il était comique troupier. […] Les chansons dites
drôles sont les plus dures à faire. Je m’en suis éloigné,
conscient que je n’avais pas le talent. Sans doute Michel juge-t-il un peu sévèrement son
« Rire du sergent ». Et il devrait tout de même reconnaître que certaines de ses chansons, sans être forcément
hilarantes, sont parfois très drôles.
Heureusement pour lui, la grande muette, forte de
ses valeurs traditionnelles, prend en compte le fait que
Michel est marié. Aussi, après avoir fait ce que l’on
nomme pudiquement les classes, mais qui consiste en
réalité à crapahuter dans la boue sous les ordres d’un
gradé qui vous agonit de mots tendres et de noms d’oiseaux exotiques, Michel, affecté à une caserne non loin
de Paris, est autorisé à rentrer chez lui pratiquement tous
les soirs. Il lui arrive même de pouvoir continuer à se
produire dans les galas. La boule à zéro ne lui donne pas
vraiment des allures de sex-symbol, mais à tout le moins
il s’en tire comme il peut. Michel raconte notamment
avoir obtenu une permission spéciale de trois jours du
ministre aux Armées de l’époque, Pierre Messmer, pour
participer au festival de la Rose d’or à Antibes.
Le souvenir en est encore cuisant. Arborant la coupe
réglementaire, planté derrière un micro fleuri, Michel
entonne « Le visage de l’année ».
Un ridicule accompli qui le fait rire aujourd’hui, mais
qui a dû être une belle humiliation sur le moment.
Heureusement, l’armée, ça ne dure pas toujours,
même si, quand on s’y trouve, prévaut le sentiment que ça
37
Michel Sardou
ne s’achèvera jamais. Michel peut reprendre les chemins
des studios et des salles de spectacles ; la France lui dit
merci et le renvoie à ses occupations.
En 1966, après de nouvelles tentatives infructueuses
va se produire un déclic. Son quatrième 45 tours
comporte un titre devenu aujourd’hui mythique et qui va
bousculer un peu le landerneau ronronnant de la chanson française. « Les Ricains » : Si les Ricains n’étaient
pas là/Vous seriez tous en Germany/À parler de je ne
sais quoi/À saluer je ne sais qui.
Un pavé dans la mare. La France du général de Gaulle
vient alors de quitter l’OTAN dans un désir d’émancipation et d’indépendance vis-à-vis du grand frère américain. Vingt ans après la guerre, le pays veut se réaffirmer
sur la scène internationale, et l’indépendance vis-à-vis
des États-Unis apparaît alors comme la solution la plus
simple pour reprendre une place dans le concert des
nations.
De plus, la guerre au Vietnam fait rage et les Français
critiquent ouvertement l’attitude des Américains dans la
péninsule indochinoise. Charles de Gaulle lui-même a
tenu le désormais célébrissime discours de Phnom Penh
où il affirme :
La France considère que les combats qui ravagent
l’Indochine n’apportent, par eux-mêmes et eux non plus,
aucune issue. Suivant elle [sic], s’il est invraisemblable
que l’appareil guerrier américain vienne à être anéanti
sur place, il n’y a, d’autre part, aucune chance pour que
les peuples de l’Asie se soumettent à la loi de l’étranger
venu de l’autre Pacifique, quelles que puissent être ses
intentions et si puissantes que soient ses armes. Bref,
38
Simple soldat, gendarme ou général
pour longue et dure que doive être l’épreuve, la France
tient pour certain qu’elle n’aura pas de solution militaire1.
Alors, évidemment, un gamin de 20 ans qui fait la
leçon, ça fait désordre. La chanson sera déconseillée à
la radio, une forme de censure molle qui, certes, n’est
pas l’interdiction dont a pu se targuer Brassens pour
quelques-uns de ses brûlots, mais qui, en quelque sorte,
handicape un peu la carrière des « Ricains ».
Cependant, Sardou fait du bruit, pas mal de bruit.
La gauche est contre, puisque dans ces années 1960 elle
est passablement antiaméricaine, la droite est contre
également, puisqu’il s’agit très clairement d’une critique
ouverte à l’égard de la politique du président français.
Sardou réussit donc à se mettre tout le monde à dos.
Il n’hésitera pas à en rajouter, à verser un peu plus
d’huile sur le feu. Parlant du Vietnam, il a ces mots au
cours d’une interview :
— Les Français l’on fait aussi cette guerre, et si on
a balancé moins de napalm, c’est qu’on avait moins de
pognon. Plus tard, revenant sur sa toute première polémique,
il dira :
— L’antiaméricanisme systématique de l’époque était
ridicule. Aussi ridicule que le serait, que l’est, l’antisoviétisme primaire. Michel Sardou se fâche donc avec tout le monde,
sauf le public, qui fait plutôt un bon accueil à ce gamin
montrant du doigt l’attitude du gouvernement.
Pourtant, on aurait pu comprendre que le public
lui aussi boude le morceau, notamment à cause de ce
1. Discours prononcé le 1er septembre 1966.
39
Michel Sardou
« VOUS seriez tous en Germany », qui paraît exclure le
chanteur et par là même accuser de passivité les gens qui
ont vécu la guerre.
Quoi qu’il en soit, Michel se fait remarquer, et c’est
ce qui compte. De plus, il met en place le style Sardou,
mélange de poésie, de sentiments forts et contrastés,
et de poil à gratter. Le jeune homme à l’air buté, voire
revêche, commence à peaufiner son image. On sait qu’il
ne s’arrêtera pas là…
Succès relatif pour « Les Ricains » donc, de quoi
enregistrer un nouveau disque tout de même. Dès le
début de l’année 1967, Michel sort un nouveau 45 tours.
Les chansons sont plus travaillées. Le jeune homme a
fait équipe avec Jacques Revaux et offre au public des
chansons qui commencent vraiment à avoir de la gueule.
On pense notamment à « Petit », une chanson sur un
mode plus intimiste, tout en retenue.
Ces chansons où l’auteur ne donne qu’une partie
des clés, où le public doit se faire sa propre histoire, la
bâtir, avec ses propres souvenirs d’enfance, ses propres
angoisses infantiles :
N’écoute pas les grands parler/Va-t’en jouer dans le
jardin/Il y fait meilleur ce matin/Petit/N’écoute pas ta
mère pleurer/Tant pis si elle a du chagrin/Va-t’en courir
dans le jardin/Écoute le vent quand il va tomber/Il te
dira où il va se coucher/Il te dira pourquoi il se met en
colère/Il te dira pourquoi j’ai fait pleurer ta mère/Et tant
pis si tu ne comprends pas très bien/Tu reverras le vent
demain.
Une autre chanson reprend la même formule,
aérienne, indéfinissable, « Tu as changé » : On m’avait
parlé d’incendie/On m’avait dit : « Tout est brûlé »/
40
Simple soldat, gendarme ou général
Tout a repoussé par ici/Il n’y a que toi d’abîmée/ Tu as
changé/Tu as changé/On m’avait parlé de la pluie/On
m’avait dit : « Tout est noyé »/Tout a refleuri par ici/Il
n’y a que toi de fanée.
Encore une fois, c’est au public de se construire son
histoire, de remplir les non-dits ; c’est une méthode que
Michel Sardou emploiera bien souvent au cours de sa
très longue carrière.
Cependant, malgré la qualité poétique de ses chansons, le public ne suit toujours pas, ou alors pas vraiment. Sardou est dans le paysage, mais ne parvient pas à
s’imposer réellement.
Il enregistrera sept 45 tours avec la maison Barclay
qui, malgré le succès d’estime dont bénéficiera « Nous
n’aurons pas d’enfant », autre chanson signée Revaux et
Sardou, signifie à Michel qu’il peut aller voir ailleurs s’il
en a envie.
Et même s’il n’en a pas envie d’ailleurs. Les versions
divergent sur la façon dont Eddie Barclay aurait donné
son congé à Sardou. Michel en garde tout de même une
rancœur légère :
— Quand Barclay m’a viré, il a fait la plus grande
connerie de sa vie. Évidemment, mes disques n’étaient
pas bons, évidemment, ça démarrait lentement… Mais
enfin, c’était son métier, il aurait dû se dire qu’il y avait
peut-être quelques chansons intéressantes, des textes…
Il faut savoir être patient quelquefois1.
Pourtant, une chose reste certaine : le roi du showbiz
a manqué de flair sur ce coup-là. Pourquoi n’avoir pas
laissé le jeune chanteur continuer ? Le célèbre producteur
était à l’époque surtout féru d’adaptations de la variété
1. Michel Sardou, Et qu’on n’en parle plus, 2009, XO éditions.
41
Michel Sardou
anglo-américaine, et peut-être ne voyait-il pas d’avenir à
un jeune qui n’était ni Brel ni Joe Dassin. Michel avouera
d’ailleurs plus tard :
— Au début, je faisais du sous-Brel.
Michel Sardou, à l’époque, se situe dans un entredeux un peu flou, difficile à définir et à comprendre.
— C’était l’époque des adaptations américaines, et
les médias ne marchaient qu’à ça. Toujours le même
problème : la mode n’était pas aux chanteurs-compositeurs, ni à la chanson française. Fallait twister, fallait
rock and roller. Alors, j’existais dans un coin, j’attendais
mon heure, dans ma chambre de bonne. Ça a duré trois
ans. Et puis un jour, un vague directeur m’a appelé dans
son bureau et m’a dit un truc formidable: « Vous n’êtes
absolument pas fait pour chanter. Écrivez des chansons
si vous voulez, mais la scène, le spectacle, c’est pas pour
vous. » Cela prête à rire avec le recul.
On pourrait se dire qu’après tout, ce genre d’erreur
est humaine. Pourtant, dès ses tout premiers pas dans la
chanson, il ne faut pas être grand clerc pour s’apercevoir
que le jeune homme a un truc.
Il suffit de voir Michel Sardou chanter « Le madras »
pour comprendre que ce jeune homme possède un talent
que les autres n’ont pas.
Certes, il surjoue un peu, comme tout débutant, mais
quelque chose se dégage indéniablement. On pense à
Nougaro. La chanson n’y est pas pour rien puisqu’elle
ressemble en tous points à un morceau du grand
Toulousain, mais cependant une force et un charisme se
dégagent très nettement de ce jeune homme. Comment
une maison de disques aussi importante, régie par de
grands professionnels, est-elle passée à côté de cette
évidence ?
42
Simple soldat, gendarme ou général
Exit Barclay donc, dont on suppose qu’il s’en est
mordu les doigts. Manque de clairvoyance coupable.
Tant pis pour lui. Mais Sardou est évidemment piqué au
vif. On lui a dit qu’il n’était pas fait pour chanter, qu’il
ne donnerait rien de bon en tant qu’interprète, jamais.
Alors, réaction logique de l’homme à la tête de mule, il
monte un label chez Phillips avec Revaux et Talar. Fin
1968, nouveau 45 tours, deux titres cette fois-ci : c’est
le nouveau format adopté par la plupart des maisons
de production. « America, America » et « Monsieur le
Président de France ».
Trente mille exemplaires vendus. Pas encore la gloire,
mais ça commence à frémir. On repère petit à petit le
chanteur au regard noir et perçant. Mais il ne va pas se
contenter de cela.
Bientôt, Michel, sur un coup, un seul, va devenir une
vedette.
5
Populaire !
L
a carrière de Michel prend un essor mesuré. S’il
gravit peu à peu les paliers, on ne peut pas dire
que l’ascension soit impressionnante. Or, Michel a besoin
d’un succès. Voilà plusieurs années à présent qu’il fait ce
métier, et il ne peut se contenter de végéter d’échecs en
succès d’estime. On discute autour de lui, on cherche à
trouver la formule. Un jour, Vline Buggy, parolière sur
« America, America », lâche à Michel quelque chose
comme : il faut que tu admettes que tu es un chanteur
populaire. Là, Michel s’emporte ou, du moins, il fait grise
mine. Non pas que l’appellation soit honteuse, loin de là,
il ira même jusqu’à la revendiquer, mais elle le catégorise, le colle dans une case, et, on l’a compris, les cases,
Michel n’aime pas. Ça sent la taule, l’enfermement, la fin
de la liberté en somme. Pourtant, ce mot de populaire le
fait réfléchir. Sur le ton de la blague, le mot est repris,
tourne dans les bouches, s’accole à d’autres et l’évidence
44
Populaire !
apparaît. S’il est une chose qui est réellement populaire,
et pas dans le sens péjoratif du terme, il s’agit bien des
bals. Ainsi naissent « Les bals populaires », une chanson
que Sardou n’aimait pas trop.
— Comme j’étais à la rue, je n’avais pas le choix. Elle a sans doute à ses yeux quelque chose d’un peu
racoleur. Elle flatte le public, le caresse dans le sens
du poil, et Michel n’est pas exactement un adepte de la
brosse à reluire… Pourtant, c’est bien cette chanson qui
va le faire décoller…
Dans les bals populaires/L’ouvrier parisien/La
casquette en arrière/Tourne tourne tourne bien/Dans
les bals populaires/Les « Raquel » du sam’di/Du bleu
sur les paupières/Tournent tournent tournent aussi…
Bon, il faut bien reconnaître que ce n’est pas du très
grand art. L’ouvrier avec sa casquette, le petit coup à
boire, tous les clichés populos y passent, sans le moindre
recul, sans même un léger détournement. Mais la chanson plaît.
Elle plaît même beaucoup. Elle a la couleur des javas
d’antan, l’époque où revendiquer une culture ouvrière
avait un vrai sens sous-jacent, cela parlait en filigrane de
lutte des classes, de dignité, de solidarité. Mais elle n’en
a que la couleur.
La chanson sort à une époque où ces choses sont
en cours de muséification, où l’on fonce droit dans une
société individuelle et spectaculaire. Finalement, c’est
plus une chanson nostalgique qu’autre chose. Mais, au
final, seul le résultat compte. Michel remporte un disque
d’or et le prix de l’académie Charles-Cros.
De plus, il décroche une tournée où il accompagne
Alain Barrière, l’homme qui murmurait aux oreilles des
impôts, et encaisse un bon gros chèque de la SACEM.
45
Michel Sardou
Ça commence à sentir bon. Il gardera de cette collaboration avec Vline Buggy un très bon souvenir. — C’est elle et personne d’autre qui m’a appris à
écrire. À ne pas m’évader dans la fausse poésie. À faire
efficace. Grâce au succès, la frustration que ressent
Michel – d’avoir démarré sur une chanson dont il ne
retire pas grande gloire – s’atténue un peu. D’autant que,
sur scène, le public sera bien obligé d’écouter ce que le
jeune homme a en magasin. En plus de sa tournée, Michel
fait un Olympia, en première partie d’Enrico Macias, en
février 1970. Le chanteur des « Filles de mon pays », reconverti depuis en has been présidentiel place de la Concorde,
a senti quelque chose chez le jeune homme, une force et
une présence. Aussi, il décide de lui donner sa chance. Du
4 au 22 février, Michel se produit sur la scène mythique du
boulevard des Capucines et y remporte un vif succès. On
découvre enfin le bonhomme, le public en redemande. À
tel point que Bruno Coquatrix, alors directeur de la célèbre
salle de concert parisienne, lui fait illico signer un contrat
pour un nouveau passage, au mois d’octobre suivant.
Michel sera la vedette américaine de Jacques Martin.
Là, pendant 13 soirées, entre le 12 et le 25 octobre,
Michel va littéralement casser la baraque. Il a 30 petites
minutes pour convaincre le public, et il y parvient sans
peine. Il enchaîne ses chansons connues ou méconnues
devant un public qui découvre un jeune homme dont la
présence scénique est indéniable. Difficile pourtant de
parler de Sardou comme d’une bête de scène. Il n’a pas
grand-chose à voir avec un Johnny Hallyday, qui est déjà
l’immense vedette que l’on sait à l’époque. Mais Sardou
a la rage, la rage de bien faire, la rage de convaincre,
de montrer ce qu’il a au fond des tripes. Et le public en
46
Populaire !
redemande. Aussi, dès le mois de novembre de l’année
suivante, Michel est à nouveau sur la scène de l’Olympia, qui finit par devenir comme une deuxième maison
pour lui.
Plus rien ne semble pouvoir arrêter une machine
lancée à toute allure et qui pourtant n’a toujours pas
atteint sa vertigineuse vitesse de croisière. Michel
parcourt les routes de France, en long, en large et en
travers, il vend des centaines de milliers de disques. À
l’orée de ses 25 ans, le jeune homme est riche, célèbre et
papa d’une petite Sandrine, née en 1970. Bref, c’est une
véritable consécration pour quelqu’un qui n’a qu’un petit
quart de siècle d’existence. Les succès sont toujours au
rendez-vous dans des genres très divers. Il sort le très,
très populiste « J’habite en France », qui surfe de façon
un peu éhontée sur la vague des « Bals populaires » :
Si les Français se plaignent parfois/C’est pas d’la
gueule de bois. C’est en France qu’il y a Paris/Mais
la France c’est aussi un pays/Où y a quand même pas
cinquante millions d’abrutis.
On flatte à nouveau, ici, la gauloiserie franchouillarde.
Pas de quoi pavoiser, mais le résultat est là : succès. Mais
Michel Sardou souffle le chaud et le froid : il peut verser
dans des choses relativement peu reluisantes, et vous
sortir, comme ça, dans la foulée un « Rire du sergent »
ou encore un « Surveillant général ».
Et là, on en reste comme deux ronds de flan. Et le
public suit, preuve qu’il s’est attaché au chanteur et
qu’il a compris qu’il avait autre chose à servir que de la
gaudriole légère, quoique bien ficelée.
La carrière de Michel Sardou est donc en orbite. Et
même si elle a peut-être à son goût mis un peu de temps
47
Michel Sardou
à démarrer, le jeune homme donne tout de même l’impression d’avoir brûlé les étapes. De quoi faire quelques
envieux. D’autant que Michel n’arrête plus. Presse, télévision, il est absolument partout. Il conquiert un public
toujours plus vaste en écrivant des chansons souvent
sombres, ciselées, qui ont de l’épaisseur. Il prend à brasle-corps certains sujets, délaissés par la variété traditionnelle qui a tendance à se complaire dans les chansons d’amour, pour aller voir ce qui se passe du côté de
l’Histoire par exemple. Il a sans doute dérouté un peu
son public en interprétant « Danton », où il prend fait et
cause pour une figure de proue de la Révolution française, qui n’a pourtant pas toujours eu bonne presse (et
pas sans raison). La chanson dit :
L’œuvre de la Révolution française citoyens/Quand
tout ira très bien, tiens/En 1973/Quand tout ira très bien/
Quand le peuple devenu sage/Aura bâti son paysage/
Et fait de la France un jardin/L’œuvre de la Révolution
française/Dans les années 73.
On sent comme une pointe d’ironie…
Danton, c’est également un album qui sort en 1972.
Michel Sardou y est représenté sur la pochette devant
un mur de brique, les yeux bandés, comme prêt à être
fusillé. Le « système » Sardou se met peu à peu en place.
Prendre des positions fortes, osées, allant souvent à l’encontre d’un certain « politiquement correct », même si
en ces débuts des années 1970 le concept n’existe pas
vraiment ; mais il est des opinions ancrées et majoritaires qui en font largement office. Il entame une forme
de chanson de contestation d’un genre nouveau. La
chanson contestataire de droite. Jusque-là, les chanteurs
dont les textes étaient politiquement engagés étaient de
gauche ou plutôt de gauche. Pour Michel, une chose est
48
Populaire !
certaine, c’est qu’il n’a rien d’un gauchiste. Le qualifier
d’homme de droite est cependant réducteur. Sardou, à
l’orée de l’immense carrière que nous connaissons tous,
est déjà un homme au caractère trempé qui n’aime rien
tant que SA liberté individuelle. Peut-être le qualificatif
le plus approprié pour le décrire serait « anar de droite ».
La liste est longue de ces hommes connus qui ont pris
cette position. Parmi eux, des auteurs comme Blondin ou
Audiard (auquel Sardou rendra hommage de nombreuses
années plus tard). Il n’existe pas de mouvement en France
rassemblant ces hommes, pour la raison simple que leur
individualisme exacerbé les fait regarder d’un œil tout
en suspicion ce qui s’apparente de près ou de loin à un
mouvement politique. Sans compter qu’ils sont tous mus
par des sentiments et des motivations propres qui ne laissent pas la place à un quelconque rassemblement.
Peut-être pourrait-on, de façon un peu audacieuse, les
rapprocher des libertariens américains. Ces individus qui
prônent tout simplement un pouvoir moins grand de l’État
et qui expliquent que, ce qu’ils veulent, c’est qu’on leur
foute la paix et qu’on les laisse gérer leur existence comme
ils l’entendent. Des adeptes du « moins d’impôts », mais
aussi du « moins de lois », se pensant capables de régir
eux-mêmes leur quotidien au sein de leurs communautés.
Bien entendu, avec les États-Unis, cela passe également
par une défense farouche du droit à posséder des armes,
car chacun doit pouvoir se défendre soi-même.
Michel Sardou ne va sans doute pas aussi loin, même
si une chanson comme « Je suis pour » pourrait faire
penser (à tort) qu’il n’en est pas loin.
Cet état d’esprit, Michel va le conserver tout au long
de sa carrière, avec les malentendus qui en sont la rançon.
Des années plus tard, il déclarera :
49
Michel Sardou
— J’ai une part de responsabilité dans ce malentendu.
J’ai débuté dans les années 1970, c’étaient des années
très manichéennes. On était dans un camp ou dans
l’autre. En défendant certains sujets, je savais très bien
que je tendais le bâton pour me faire battre, j’étais pas
dupe. D’un autre côté, ça m’a aussi servi. C’était un peu
trop caricatural, un peu trop exagéré. Le type de droite,
dur, machiste, ce sont des mots. Je ne suis pas comme ça
du tout. J’aime bien être à contre-courant. À force d’être
à contre-courant, on ne sait pas trop. On me compare à
Bayrou, pas du tout. Bayrou ne s’est jamais mouillé, moi
au moins je me suis mouillé. Je ne suis pas centriste,
mais je ne suis pas de droite non plus. Et je ne suis pas
tout à fait de gauche. Je suis libre. Il est cependant intéressant de noter que Sardou va
coécrire de nombreuses (et très belles chansons) avec
Pierre Delanoë, lui, véritable homme de droite et gaulliste convaincu.
Mais revenons à 1972 et à cet album qui contient
également deux splendides chansons : « Monsieur le
président de France » (déjà parue en 45 tours) et « Le
surveillant général ».
Sur la première, Michel Sardou enfonce un peu plus
le clou des « Ricains », mais il joue plus sur la corde de
l’émotion que sur celle de la dénonciation, et cela passe
(un peu) mieux :
Monsieur le Président de France/Je vous écris du
Michigan/Au nom d’un homme qui pour Avranches/N’a
traversé qu’un océan/Dites à ceux qui brûlent mon
drapeau/Qu’en souvenir de ces années/Ce sont les
derniers des salauds/Monsieur le Président de France/
Je vous écris du Michigan/Pour vous dire que tout
50
Populaire !
près d’Avranches/Une croix blanche porte mon nom/
Rappelez-le de temps en temps.
« Le surveillant général » joue sur un tout autre
registre. C’est une évocation de l’adolescence et de ses
désirs coupables, troublés, où la sexualité se construit sur
le fantasme. L’ambiance de la chanson est tendue, épaisse,
le personnage malsain du « Surveillant des classes secondaires » rôde comme une entrave à la liberté. La chanson
reflète sans doute la façon dont, jusqu’aux années 1960,
la sexualité des adolescents était recouverte d’une chape
de plomb par une éducation parentale trop stricte.
Cette année-là/Je n’oublierai jamais le regard de
vipère/Que m’avait lancé ce vieux rat/Cette année-là/
J’avais posé les yeux sur la croupe incendiaire/De ma
professeur de droit/Elle avait mis le feu en moi.
La chanson nous fait toucher du doigt le poids subi
par les jeunes gens, la parole étouffée. « Le surveillant
général » offre, finalement, et a posteriori, des éléments
qui permettent de comprendre en partie l’explosion de la
jeunesse en mai 1968.
Quoi qu’il en soit, au vu du succès grandissant du jeune
homme, c’est presque en toute bonne logique que Michel
se retrouve seul en scène à l’Olympia pour un show de
deux heures. C’est LA consécration. Seuls quelques très
grands artistes ont eu ce privilège, cette audace et cette
charge. Car il faut bien admettre que cela représente un
risque, un poids. Si c’est un échec brutal, vous êtes le seul
à en faire les frais, ce qui paraît bien normal.
Du 16 janvier au 4 février 1973, Michel occupe donc,
à seulement 26 ans, la maison Coquatrix. Tournant d’une
carrière pour Sardou qui attaque la série de récitals avec
51
Michel Sardou
la conscience très nette de faire quelque chose d’énorme
qui pourrait lui rapporter la gloire ou le reléguer dans les
tréfonds du classement des vedettes. S’il échoue, c’est la
ringardise prématurée qui lui pend au nez. Mais Michel
affronte. Il sait ce qu’il a à perdre, mais il sait également
ce qu’il pourrait y gagner. Si cet Olympia marche, c’est
un boulevard semé de roses qui s’ouvre devant lui. Il
confiera à la presse :
— Je prends un risque énorme. Si ça marche, c’est
formidable : je passe à la catégorie supérieure. Mais si je
me casse la figure, ça va être dur de remonter la pente :
je ne me vois pas revenir l’an prochain à l’Olympia en
seconde partie.
Bien entendu, Michel n’échoue pas. Le show est
minutieusement préparé, il se donne comme jamais et
parvient à convaincre le public qu’il faudra compter avec
lui dans les mois et les années à venir.
Michel interprète 25 chansons, a fait appel à 20 musiciens, des choristes, tout est réglé au millimètre. Le public
ne s’y trompe pas et l’acclame tous les soirs. Michel reste
sobre, arborant ce costume noir qui peu à peu devient sa
marque de fabrique. Il est tendu avant d’entrer en scène,
mais donne tous les soirs un spectacle égal, réussi, pour
ne pas dire habité. Bien sûr, la critique sera moins tendre
avec lui ; l’homme est un peu difficile à caser, ne cesse
de souffler le chaud et le froid dans ses chansons, bref,
il dérange. Impossible d’être pour Sardou, mais difficile
d’être totalement contre si l’on n’est pas de trop mauvaise
foi (ce que n’est jamais la critique, bien entendu).
6
L’ivrogne
et le bon sauvage
À
l’été 1973, Michel entame une tournée estivale.
Il n’a pas sorti de chanson vraiment populaire
depuis quelque temps, s’étant sans doute quelque peu
égaré dans des textes plus obscurs ou politiques. Mais
une chanson va tout changer. Une chanson qui va courir
sur des décennies, ravissant le cœur des enfants de 7 à
77 ans. Cette chanson, bien entendu, c’est « La maladie
d’amour ». Peut-être l’une des plus belles réussites de
Michel Sardou.
Elle fait chanter les hommes et s’agrandir le monde/
Elle fait parfois souffrir tout le long d’une vie/Elle fait
pleurer les femmes, elle fait crier dans l’ombre/Mais le
plus douloureux, c’est quand on en guérit.
Des paroles aux accents universels, d’une poésie
simple, faite de jolis sentiments qui parlent à chacun, une
53
Michel Sardou
orchestration superbe, puissante, à la fois nostalgique et
qui emporte comme un torrent au moment du refrain,
des violons qui blessent nos cœurs d’une douce langueur,
bref, une totale réussite. Et le public ne s’y trompe pas,
il est largement au rendez-vous. « La maladie d’amour »
va être le véritable tube de l’été 1973. Plus d’un million
de disques vendus. Les affaires marchaient déjà très bien
pour Michel, mais là, il atteint des sommets.
La gloire était déjà là, elle est à présent complétée par
son corollaire : la fortune. Michel a engrangé pas loin
de deux millions de francs sur cet unique titre, qui reste
neuf semaines en tête du hit-parade RTL.
Dans la foulée, Michel crée son propre label musical,
histoire de profiter à plein des revenus de son travail. Il
l’appelle « Eagle Records », en référence à un tatouage
qu’il s’est fait lors d’un voyage à Los Angeles. Un voyage
qu’il avait entrepris avec ses amis Pierre Billon et Tao
By, son ami pianiste.
Les trois hommes se feront tatouer sur le bras l’aigle
symbole des États-Unis avec le prénom des deux autres.
L’amitié pousse parfois à certains excès… Et l’histoire
ne dit pas si les trois hommes étaient totalement sobres
lorsqu’ils ont marqué ce serment sur leur peau. Quoi
qu’il en soit, l’amitié entre eux est encore au beau fixe
lorsque Michel baptise son label.
L’argent, Michel, pas fou, l’investit dans du solide,
de la pierre, et pas n’importe laquelle. Il devient l’heureux propriétaire d’un appartement à Megève et d’une
demeure dans le bois de Saint-Cucufa, qui, malgré son
nom, est largement couru des personnes fortunées. Et,
à présent, Michel fait partie de ces gens. L’argent coule
donc à flots. Un sujet qui n’a jamais été vraiment tabou
54
L’ivrogne et le bon sauvage
pour le chanteur. Lorsqu’on lui demande si ça ne le gêne
pas d’en parler, il répond :
— Au contraire. On n’en parle jamais, c’est ridicule.
Les artistes ne devraient avoir aucune espèce de honte à
gagner de l’argent parce que la grande différence avec
les autres métiers, c’est que nous on n’est pas payés quoi
qu’il arrive. Comme tous ceux qui reçoivent leurs deux
millions, leurs huit mille balles ou leurs cinq mille balles
par mois, même s’ils sont très cons, même s’ils sont totalement incompétents, même s’ils ne fichent rien et même
s’ils ne sont pas là ! Nous, on est payés si les gens le
veulent bien, s’ils viennent.
Pour justifier les belles sommes qu’il gagne, Michel
Sardou affirme :
— L’argent, c’est une question de choix. On choisit la
liberté ou la sécurité. À dix-sept ans, je pouvais choisir la
sécurité, entrer comme fonctionnaire quelque part, j’aurais eu ma retraite tranquille, mon plafond… J’ai attendu
sept ans pour gagner ma vie. Au début, soixante sacs par
mois, je n’avais pas la sécurité sociale, je n’avais rien. J’ai
joué, j’ai gagné. Je ne sais pas pourquoi en France on a
honte de réussir. Si encore j’avais fait du trafic immobilier, escroqué des mecs, piqué mon pognon ou si j’avais
mis des gonzesses sur le trottoir, bon ! Mais je me suis
mis moi sur le tapin. La rue, je me la suis arpentée tout
seul. Non, mon fric je n’ai vraiment pas l’impression de
l’avoir volé. L’année 1973 apporte donc à Michel un succès retentissant, mais elle lui offre aussi une bien belle polémique – à la fois justifiée et injustifiée, comme c’est
presque toujours le cas. Michel Sardou s’en fera une
véritable spécialité. Il aime la controverse ou, en tout
55
Michel Sardou
cas, la provoque facilement. Parce qu’il n’a pas peur
d’affronter la crudité de certaines situations, qu’il ose
parfois montrer la face noire des hommes, de façon très
vive, souvent même brutale. Ce sera le cas avec « Les
villes de grande solitude », typique des provocations et
des malentendus que peuvent engendrer certaines chansons interprétées par l’artiste. Le texte met en scène un
ivrogne, accoudé à un bar, un minable à la vie grise et
morne, un citoyen comme les autres :
Dans les villes de grande solitude/Moi le passant bien
protégé/Par deux mille ans de servitude/Et quelques
clous sur la chaussée.
En quatre vers, Sardou met en place une atmosphère,
celle de la résignation et de la lâcheté, de l’homme qui se
cache derrière le religieux (deux mille ans de servitude)
et la loi (quelques clous sur la chaussée). Un homme occidental qui pourrait ressembler aux tristes personnages
de Michel Houellebecq dans ses meilleurs textes. Mais
cet homme, lorsqu’il a bu plus que d’habitude, lui vient :
L’envie d’éclater une banque/De me crucifier le
caissier/D’emporter tout l’or qui me manque/Et de
disparaître en fumée.
Ou encore :
J’ai envie de violer des femmes/De les forcer à m’admirer/Envie de boire toutes leurs larmes/Et de disparaître en fumée.
Ce sont évidemment ces derniers vers qui vont créer
la polémique. Sardou ferait-il l’apologie du viol ? C’est en
tout cas ce que pense une bonne partie de la critique qui
ne se prive pas de tirer à boulets rouges sur le chanteur.
Pourtant, il est difficile d’imaginer un seul instant que
l’homme puisse tenir ces propos en se les appropriant. Le
problème reste l’identification du texte avec l’interprète.
56
L’ivrogne et le bon sauvage
Ici, Sardou dénonce les pensées secrètes d’un personnage minable, veule, et renvoie à une condition humaine
parfaitement écœurante.
L’ivrogne, à la fin de la chanson, alors que les effets
de l’alcool se sont estompés, a peur d’avoir cassé des
vitres, fait des choses qui pourraient contrevenir aux
règles, puis il se ressaisit en disant, et c’est là-dessus que
le texte se termine : C’est vrai que je ne casse rien.
S’il est question d’une chose dans cette chanson, c’est
bien de veulerie, de désirs inavoués, de pulsions meurtrières dont on sait depuis les premiers travaux de ce bon
Dr Freud qu’elles sont inhérentes à la condition humaine.
La chanson a quelque chose de parfaitement révoltant,
mais elle dénonce bien plus qu’elle ne justifie. Et ce type
de malentendu va se reproduire de nombreuses fois dans
la carrière de Sardou. Il cherche les noises, c’est vrai, sans
doute un esprit bagarreur, mais les procès qui lui seront
faits seront injustes la plupart du temps. Michel Sardou
est un interprète comme il en existe peu. Il est sur scène
comme un acteur qui entre dans la peau d’un personnage. Il semble convaincu de ce qu’il dit, pour la bonne
et simple raison qu’il joue à la perfection. N’oublions pas
que le premier amour de Michel Sardou est le théâtre. Il
est impossible de saisir quelque chose du chanteur si l’on
occulte le comédien. Il lui faudra donc encore une fois
se défendre des accusations portées contre lui, estimant
qu’il fait l’apologie du viol. À cela, il répond :
— C’est un pauvre mec qui parle. C’est un pauvre con
et il finit comme un raté. Ce qu’il est au bout du compte.
Mais pour moi, ce n’est qu’un rôle. Comme un acteur
qui, dans un film, joue un gangster ou un curé. Les déclarations de Michel n’y feront rien. On continue de le brocarder. Il finit par lâcher, très agacé :
57
Michel Sardou
— Je n’ai jamais violé personne ! D’accord, je dis
« je », mais je raconte des histoires, je joue des personnages, c’est du cinéma ! Il racontera plus tard une anecdote assez amusante
et représentative du climat de tension provoqué par la
chanson :
— Un après-midi, j’étais dans un taxi et j’ai vu passer
une centaine de militantes du MLF. Elles portaient des
pancartes, sur lesquelles je figurais entouré de croix
gammées. Elles scandaient : « On ne sera pas violées par
Sardou. » Elles m’ont fait peur. Sur l’album qui paraît en cette année 1973 figurent
d’autres très bons morceaux. Parmi les chansons écrites
en compagnie de Pierre Delanoë – avec qui Michel Sardou
aura des relations à la fois incroyablement productives,
mais également extrêmement orageuses –, l’on trouve
aussi le fameux « Zombi Dupont ». Quelles oreilles n’ont
pas sifflé, qui n’a pas tressailli en entendant :
Oh là là qu’il a dit le sauvage/Vous pas toucher à
moi/Moi très heureux comme ça.
Le texte paraît porter en lui un message raciste
évident, le bon sauvage qui :
Vit dans un taudis/Et complètement à poil mérite
d’être civilisé. Zombi apprend tout de nous, même le
PMU, puis lorsque la patrie l’appelle, Zombi refuse de se
battre et rentre chez lui.
On voit bien ici que la façon dont la chanson a été
reçue par la presse est un contresens complet.
Ce que Sardou dénonce ici, c’est bien notre désir
« civilisateur » d’Occidentaux qui voulons remplacer
par la nôtre une culture que nous ne comprenons pas et
que nous refusons de considérer comme telle. (Quand
58
L’ivrogne et le bon sauvage
l’UNESCO a dit cet homme est un scandale/Il faut qu’il
soit inscrit à l’école communale.) Et tout ça pour quoi ?
Pour qu’il soit mis dans des cases (tamponné, vacciné),
pour en faire un homme normal, c’est-à-dire occidental.
Zombi a tout appris/Zombi a tout gobé/Y compris les
souliers/La radio, la télé/Le journal du matin/Le quatrecent-vingt-et-un.
Bref, notre culture ou ce que nous en faisons peutelle vraiment se targuer d’une quelconque supériorité ?
Certes, ce n’est pas du Lévi-Strauss et, dans le fond, la
réflexion de Sardou s’arrête à un « foutez-leur la paix »
tonitruant, mais cela n’a rien à voir avec un message
raciste. Ce serait même plutôt le contraire.
Une autre chanson va faire grand bruit dans l’album,
mais celle-ci ne suscite pas de polémique, ou alors très
peu. Il s’agit des « Vieux mariés » qui, si elle n’est pas
à la hauteur de « La maladie d’amour », s’en rapproche
furieusement. C’est une période de grâce pour Michel
Sardou. La chanson est bouleversante, tout en retenue,
une histoire simple que le grand Aznavour lui-même
n’aurait sans doute pas reniée.
Une chanson qui a une histoire particulière que
racontait volontiers Pierre Delanoë. L’histoire remonte
à 1963 et au succès de la chanson « Les vieux », écrite
par Jacques Brel. Delanoë détestait cette chanson, qu’il
trouvait tendancieuse. Il raconte même avoir engueulé
Brel, selon ses propres termes.
Aussi, Delanoë prend la décision d’écrire une chanson
anti-Brel, ou plutôt de faire un texte positif totalement
à contre-pied de la position prise par Jacques Brel qui,
rappelons-le, réduit la vieillesse à l’attente de la mort.
Le texte est magnifique et d’une finesse incomparable, mais il donne en effet une vision peu reluisante du
59
Michel Sardou
troisième âge. C’était d’ailleurs une obsession chez Brel,
et on retrouvera ce thème dans son dernier album, Les
Marquises, notamment dans la chanson « Mourir ». Mais
là n’est pas le sujet. Pierre Delanoë désire donc écrire un
texte qui aille à l’encontre de ce que dit Brel, un texte
qui contienne de l’espoir. Il propose le thème à Gilbert
Bécaud, qui l’envoie sur les roses. Dix ans plus tard, le
parolier et directeur des programmes sur Europe 1 (un
paradoxe sur lequel on n’a pas fini de gloser) se retrouve
à Megève avec Jacques Revaux et Michel Sardou pour
une séance d’écriture. Après le repas, Delanoë n’a pas
spécialement envie d’écrire, il est plutôt enclin à aller
faire une petite sieste (on imagine que les trois larrons ne
se sont pas contentés d’une salade et d’un quart Vittel).
Devant les protestations de Michel qui, lui, aimerait
travailler, Pierre Delanoë lui dit : « Je vais te donner une
idée, et si elle t’intéresse, tu vas la développer. »
Il raconte alors à Michel l’histoire d’un vieux couple
dont le dernier enfant vient de quitter la maison, et qui se
met à faire des projets d’avenir. Lorsque Delanoë revient
de sa sieste, la chanson est écrite.
On vient de marier le dernier/Tous nos enfants sont
désormais heureux sans nous/Ce soir il me vient une
idée/Si l’on pensait un peu à nous/Un peu à nous. On
s’est toujours beaucoup aimés/Mais sans un jour pour
vraiment s’occuper de nous/Alors il me vient une idée/Si
l’on partait comme deux vieux fous/Comme deux vieux
fous.
Lorsque Michel enregistre la chanson, elle tire littéralement des larmes aux personnes présentes dans la salle
de mixage. Delanoë pleure, il voulait une chanson antiBrel, il découvre bien plus que cela : une émotion douce,
empreinte de nostalgie et d’espoir, de sentiments mêlés.
60
L’ivrogne et le bon sauvage
Dans ce même album, Michel enregistre également
« La marche en avant », écrite toujours avec Pierre
Delanoë, un texte clairement antimilitariste raillant les
généraux qui envoient des hommes à la mort depuis
leurs bureaux. On a envie de citer Jean-Paul Sartre dans
Le Diable et le Bon Dieu : Quand les riches se font la
guerre, se sont les pauvres qui meurent1.
Nouveau succès, mérité pour Michel. Pour finir sur cet
album, qui décidément regorge de merveilleuses chansons, citons « Le curé », une chanson d’amour un peu
particulière, puisqu’elle prône le mariage des prêtres et,
au-delà, le bonheur de partager sa vie avec une femme.
La chanson est un peu controversée, bien évidemment,
mais rien de terrible, rien en tout cas comparé à ce que le
chanteur devra affronter dans les années à venir.
Succès mérité, donc, pour Michel Sardou, dont la
popularité ne cesse de croître et de s’affirmer. Il est reçu
chez Guy Lux qui, à l’époque, fait les beaux jours de la
variété à la télévision, puis, c’est au tour des Carpentier,
Gilbert et Maritie qui mettent en place un Top à Michel
Sardou : il est entouré de ses amis Johnny Hallyday,
Michel Delpech, Mireille Mathieu, voire Fernand Sardou
qui participe également. Mettre au point et tourner l’émission est un plaisir pour tout le monde ; le spectacle est
vivant et extrêmement distrayant. Michel y interprète,
seul, « Le curé », « Un enfant », « La maladie d’amour »,
« Les gens du show-business ».
Du côté personnel, la vie de Michel change également. Il est en pleine tourmente amoureuse. Toujours
1. Drame en trois actes, présenté la première fois à Paris en 1951.
61
Michel Sardou
marié à Françoise, il tombe amoureux fou de Babette.
Depuis quelques années déjà, le couple ne fonctionne
plus très bien. Michel et Françoise s’éloignent l’un de
l’autre de façon inéluctable. La vie du chanteur, et surtout
sa soudaine notoriété accompagnée d’un énorme afflux
d’argent, tout cela a contribué à détruire le couple qu’ils
formaient.
Fait curieux et pour le moins embarrassant, les deux
femmes tombent enceintes à quelques mois d’intervalle.
Aussi, en décembre 1973, Françoise donne naissance
à Cynthia, puis Babette accouche de Romain. Une
période passablement perturbante pour tout le monde.
Michel quittera Françoise, qui partira élever ses enfants
dans le Midi, et il s’installe avec Babette. Michel a sans
doute épousé Françoise trop tôt, peut-être pas pour les
meilleures raisons du monde. Sa liberté passait par le
mariage. Il lui rendra hommage en 2009 dans son autobiographie, disant qu’elle méritait sans doute mieux que
cela. Si l’année 1973 se termine sur la naissance d’une
fille qu’il n’élèvera pas et qui le lui reprochera, l’année 1974 s’ouvre sur la naissance de Romain et… de
nouvelles collaborations.
7
Un jeune homme
de 2000 ans
N
ous sommes en 1974, Michel vit un amour sans
partage avec Babette qui lui a donné un fils. Le
couple déménage et s’installe dans un hôtel particulier de
trois étages avec terrasse sur le toit, rien de moins. « Les
vieux mariés » obtient un succès incroyable, et Michel
prépare un Musicorama à l’Olympia où il se produit entre
le 7 et le 11 janvier. Tout va pour le mieux dans le meilleur
des showbiz. Michel partagera la scène avec Pierre Billon
et Carlos. Pour le public, ce Musicorama enregistré pour
Europe 1 est signe qu’un artiste d’envergure est en train
de se révéler. Les succès de Michel courent dans toutes
les têtes, et il semble parti pour durer. Chacun sent bien
que Sardou n’a rien d’un éphémère. Et il a une qualité :
il sait s’entourer. Rappelons qu’il travaille avec Revaux
et Delanoë, et, en cette année 1974, il commence une
63
Michel Sardou
collaboration avec Claude Lemesle, auteur de nombreux
succès, notamment pour Joe Dassin.
La rencontre entre les deux hommes s’est faite en boîte
de nuit. Ils se croisent régulièrement au Saint-Hilaire,
rue de Rennes, où l’un et l’autre ont leurs habitudes. Un
soir, Michel aborde Lemesle en lui disant qu’il part à
Vence avec Jacques Revaux pour écrire, et lui propose
de les accompagner. Lemesle accepte et de cette collaboration vont naître deux chansons : « J’ai 2000 ans » et
« Je veux l’épouser un soir ». Deux chansons très différentes, et sans doute un peu lointaines de ce que Sardou
a produit jusqu’alors. « J’ai 2000 ans » est une chanson
mystérieuse, à la fois fantastique et épique, une histoire
curieuse et bougrement romanesque :
Je n’ai pas l’âge de mes artères/Mon front sans ride
est un abus/Quand je suis sorti de ma mère/J’avais déjà
beaucoup vécu/Et pour mon âme aux tempes grises/
Mathusalem est un gamin/Je vais prier dans des églises/
Que j’ai connues temples romains/Faut pas se fier aux
apparences/J’ai l’air de sortir de l’enfance/Sur mes
papiers, j’ai vingt-cinq ans/Ce sont des faux : j’ai 2000
ans/J’ai prié toutes les idoles/Du roi des Juifs au veau
païen/J’ai prêché la bonne parole/Et je me suis lavé les
mains/J’ai fait la guerre dans tous les camps/J’ai soutenu
tous les drapeaux/J’ai bu la paix à tous les sangs/Je suis
un lâche et un héros.
Des paroles héroïques, soutenues par une musique
un brin grandiloquente, mais qui fonctionne plutôt bien
sur le public. Elle porte une énergie magnifique et est
construite comme un roman fantastique.
En revanche, « Je veux l’épouser pour un soir » est
pour sa part parfaitement oubliable. Voire un peu révoltante. D’ailleurs, Lemesle lui-même confiera plus tard :
64
Un jeune homme de 2000 ans
— Ce n’est pas l’une des chansons que je préfère,
d’ailleurs je crois que lui non plus.
La chanson se voulait un clin d’œil aux groupies
qui entourent Michel et qui, chaque soir, se pressent à
ses concerts. Et après tout, pourquoi ne pas leur rendre
hommage. Seulement la chanson est ratée, peut-être
même un peu insultante pour les jeunes femmes qui
suivent Michel :
Je veux l’épouser pour un soir/Mettre le feu à sa
mémoire/L’épuiser d’amour et disparaître dans la nuit/
Comme un voleur, comme un bandit/Je veux l’épouser
pour un soir/Et l’oublier un peu plus tard/Je voudrais
aimer une enfant/Une fiancée de hasard/Que je croiserais en passant/Dans un gala de quelque part/Je voudrais
aimer une enfant/Qui, dans sa robe des dimanches/Me
défierait du premier rang/Avec les yeux de l’insolence.
Vous avez dit machiste ? Lemesle s’en défend, sans
que l’on comprenne bien comment il fait.
— « Je veux l’épouser un soir » n’est pas une chanson
machiste. Bien sûr, dans le langage, Michel est parfois
excessif, mais bon… On ne peut pas dire qu’il soit macho.
Bon, si Claude Lemesle le dit… Michel Sardou
donnera pourtant la preuve qu’il « avalise la domination masculine ». (Évitons le mot de « macho » puisque
Lemesle nous dit qu’il ne l’est pas.) Bizarrement, la chanson sera largement suivie par le public féminin qui y voit
la confirmation de l’extrême virilité du chanteur. De là à
penser que ses fans, elles aussi, « avalisent la domination
masculine », il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons
pas, car il nous mènerait trop loin. De plus, l’orchestration est d’un mielleux qui confine à la guimauve ; bref,
ce n’est pas la meilleure chanson que Sardou ait écrite,
peut-être même sur le fond est-ce une des pires.
65
Michel Sardou
Curieusement, elle ne déclenche pas la polémique,
personne ne trouve rien à redire. Si la critique dénote une
« certaine perversité », nous sommes loin de ce que le
jeune chanteur a connu et connaîtra à nouveau. Pourtant,
on peut imaginer que les ligues féministes ont dû frémir
en entendant les paroles de cette chanson.
Elle ne dénigre pas la femme/fan, elle en fait tout
simplement un objet sexuel, la réduit à cela. Comme si
les admiratrices de Michel Sardou n’attendaient ou ne
voulaient que ça. Comme si leur rêve secret se résumait
à une étreinte sans lendemain avec le chanteur.
Heureusement, les duettistes se remettent en selle
et pendant l’automne se retrouvent à Megève pour une
nouvelle séance d’écriture. Là, les deux hommes vont
écrire un véritable chef-d’œuvre, une chanson poétique,
crue, troublante. La musique sera écrite par Jacques
Revaux après les paroles, et cela donnera l’inoubliable
« Fille aux yeux clairs ».
Je n’imaginais pas les cheveux de ma mère/Autrement
que gris-blanc/Avant d’avoir connu cette fille aux yeux
clairs/Qu’elle était à vingt ans/Je n’aurais jamais cru
que ma mère/Ait su faire un enfant/Si je n’avais pas vu
cette blonde aux yeux clairs/Cette fille aux seins blancs/
Et j’avais oublié qu’avant d’être ma mère/Elle avait mis
trente ans/Et qu’elle s’était donnée et qu’elle avait souffert/Sous le joug d’un amant/Je n’aurais jamais cru que
ma mère/Ait pu faire l’amour/Si je n’avais pas vu cette
blonde aux yeux clairs/Cette fille aux seins lourds.
Dans son autobiographie, Michel inventera un dialogue très amusant avec sa mère Jackie. Elle lui parle de SA
chanson, il lui répond qu’il ne pensait pas à elle lorsqu’il
l’a écrite. Michel Sardou ne croit pas à la psychanalyse ;
66
Un jeune homme de 2000 ans
tant mieux. Parce qu’il faut bien admettre que le Dr
Freud se serait régalé. Il décrit sa chanson tout simplement comme la mise en mots du choc que peut recevoir
un fils lorsqu’il découvre ou qu’il réalise que sa mère a
pu avoir une sexualité.
Quelque chose de troublant et de dérangeant. On
suppose peut-être à tort que Michel Sardou n’a pas lu les
livres de Gilles Deleuze. Il a en tout cas, dans cette chanson, une approche qui ressemble à ce qu’a pu défendre le
philosophe concernant l’œdipe.
Mais ne nous égarons pas. Peut-être ne faut-il pas
surinterpréter certains textes et les laisser à leur magie.
La chanson est parfaitement atemporelle et interroge
l’adolescent (surtout) ou l’adolescente qui sommeille en
chacun de nous.
À cette même période, Michel est vu très souvent aux
côtés de Mireille Darc. Elle vit avec Alain Delon, que
Michel connaît depuis déjà un bail. La rumeur est là.
Mireille Darc et Sardou vivent-ils une idylle ? Michel
répétera à l’envi qu’il fréquente la belle actrice parce qu’il
lui écrit des chansons. On pense notamment à « Requin
chagrin », qui n’a rien d’un chef-d’œuvre.
Et puis il revendique une amitié sincère avec la jeune
femme, allant jusqu’à affirmer qu’il la considère comme
une petite sœur. Soit. En tout cas, Michel a, avec le
compagnon de Mireille, un beau projet.
Les deux hommes aiment les chevaux de course et
décident de monter une écurie.
Mais d’autres projets animent également Michel
Sardou. L’homme a, rappelons-le, un lourd atavisme,
celui de la comédie. Cela fait partie de son ADN ; il a
67
Michel Sardou
voulu être comédien, puis s’est égaré dans la chanson
avant d’y trouver sa voie. Reste cependant chez lui un
vrai désir de jouer, une frustration sans doute. Aussi, il
découvre un point de jonction idéal pour ses deux amours,
la chanson et le théâtre. Il décide de monter une comédie
musicale ayant pour objet la vie du Cid Campeador.
Non pas la pièce de Corneille, mais bien la vie épique
du vrai Rodrigue. Michel espère monter le spectacle à
Mogador, si possible à la rentrée 1975. On imagine bien
ce que cela aurait pu donner. On pense à l’homme de la
Mancha ou encore au Napoléon de Serge Lama.
Mais, alors que Sardou est dans une véritable logique
de réussite, ce projet échoue. Au final, peu importe,
Michel volera vers d’autres victoires.
Ainsi, pour terminer en beauté une année 1974 plutôt
bien remplie, Sardou va refaire un Olympia. Un Olympia
parfaitement mégalo, totalement à la hauteur du monstre
sacré qu’il est en train de devenir : deux mois dans la
salle mythique. Du 26 décembre au 9 février, puis du 3
au 23 mars.
C’est purement dantesque, même s’il a décidé d’abandonner le récital donné seul en scène et confie à son ami
Carlos le soin d’une première partie qui devrait détendre
et dérider le public. Michel a décidé de donner à son
public un spectacle vraiment surprenant ; il souhaite que
tous les soirs les gens viennent le voir en s’attendant à
quelque chose et repartent avec autre chose dans leur
besace. Aussi, il met le paquet. C’est du grand spectacle.
Il fait notamment battre le tambour par une batterie de
soldats napoléoniens qui défilent dans la salle pendant
qu’il interprète « La marche en avant ». Et tout est à l’avenant. Michel triomphe, part au Québec pour une série de
68
Un jeune homme de 2000 ans
concerts, puis revient en France pour une tournée. Il est
sur les routes en permanence et semble ne jamais devoir
s’arrêter, si ce n’est de temps à autre pour assouvir une
autre passion, celle des chevaux. Michel achète Duc de
Vrie, un beau cheval qu’il confie à un maître afin qu’il
l’entraîne. Il achètera également d’autres bêtes, mais,
faute de temps, il ne pourra totalement assouvir cette
passion, qu’il finira par abandonner.
L’année 1974 marque un nouveau succès pour le
tandem Sardou/Delanoë. Alors que le parolier/programmateur va retrouver Michel Polnareff à Los Angeles, il
découvre le Queen Mary, le majestueux paquebot anglais
qui mouille à quai, et qui a été transformé en hôtel pour
une clientèle fortunée.
Le spectacle lamentable de ce magnifique navire
ayant cessé de voguer l’écœure purement et simplement.
Le majestueux paquebot, ce roi des mers asservi par les
aléas de l’économie. Pas rentable, le Queen Mary. Et
alors ? Le prestige a-t-il un prix ? La grandeur peut-elle
s’encombrer de misérables histoires d’argent ? Pierre
Delanoë possède cette fibre qu’ont certains gaullistes ;
l’honneur d’un navire, c’est comme l’honneur d’une
patrie : il est insupportable de le voir bafouer. Le Queen
Mary croupissant à quai, c’est une image de la grandeur
défunte de l’Empire britannique. Lorsqu’il rentre en
France, Pierre Delanoë apprend que le paquebot France,
un des plus prestigieux fleurons de notre pays avec le
Concorde, va être mis en vente. Le France va-t-il finir
sa vie de manière aussi pathétique que son homologue
anglais ? La fibre patriotique du parolier s’émeut, l’inspiration lui vient, la grandiloquence romantique aussi.
Il écrit les paroles du « France » :
69
Michel Sardou
Quand je pense à la vieille anglaise/Qu’on appelait le
Queen Mary/Échouée si loin de ses falaises/Sur un quai
de Californie/Quand je pense à la vieille anglaise/J’envie
les épaves englouties/Longs courriers qui cherchaient
un rêve/Et n’ont pas revu leur pays.
La « vieille anglaise »… Pierre Delanoë met immédiatement l’auditeur dans l’ambiance patriotique de la
chanson. Il appuie sur la vieille rivalité entre les deux
plus grandes nations d’Europe. La trouvaille est parfaite.
La chanson dénonce la décadence de la vieille Europe, sa
perte d’influence au profit d’un nouveau monde vulgaire
et entièrement acquis au dieu Dollar.
Lorsqu’il montre le texte de la chanson à Michel
Sardou, celui-ci est, bien entendu, totalement conquis.
Une chose cependant pèche à l’oreille du chanteur. Le
refrain dit : Je suis le France, pas la France/La France
elle m’a laissé tomber. Or, quelque chose cloche. Il
manque à ces vers un aspect définitif, le début du refrain
n’est pas à la hauteur du reste de la chanson. Michel se
saisit du texte et n’en change que quelques mots, mais
qui feront toute la différence. Le premier vers du refrain
devient : Ne m’appelez plus jamais France. Delanoë, qui
connaît la chanson, si l’on peut dire, sent à la seconde
même l’énorme différence que cela fait. Il dira d’ailleurs :
— C’est certainement ce passage qui est responsable
de l’effet considérable sur l’auditoire. Et il est vrai que l’effet sur le public est proprement
ahurissant. En à peine six semaines, un million d’exemplaires sont écoulés.
La chanson arrive sans doute à point nommé et correspond à quelque chose dans le cœur des Français. Le pays
aborde la crise économique, le premier choc pétrolier a
considérablement ébranlé la nation tout entière. La peur
70
Un jeune homme de 2000 ans
du chômage commence à gagner tout un chacun, la
France semble avoir perdu son lustre, son éclat, la fonction de phare des nations qu’elle s’est attribuée depuis la
Révolution. La politique n’offre rien d’autre, déjà, que la
gestion du pays, pas de perspective grandiose, pas d’avenir radieux. L’économie a commencé son lent processus
de dévoration du politique.
Alors, les Français se reconnaissent dans la chute du
France, elle leur parle directement de déclin, de grandeur passée, de sentiments nobles. « Le France » est
donc un raz-de-marée, sans mauvais jeu de mots. Fort
de cette immense réussite, Michel Sardou va se remettre
au travail et, à la suite du « France », s’engager dans
l’écriture de textes liés de plus en plus à l’actualité, à la
société française.
Mais cela va lui apporter nombre d’inimitiés. L’année
1976 sera une annus horribilis pour Michel.
8
La mort capitale
J
— e n’avais aucune idée des réactions que nos
chansons allaient susciter. Absolument aucune.
Je ne savais pas que les gens étaient aussi cons ! Ces mots sont de Pierre Delanoë. Il faut dire que, en
ce début d’année 1976, les choses vont mal pour Michel.
Et pour cause, sans doute. Il enregistre un album sur
lequel se trouvent réunies trois chansons qui vont faire
passablement polémique : « Je suis pour », « J’accuse » et
« Le temps des colonies ». Par ailleurs, une perte irremplaçable, celle de son père, va venir assombrir encore un
peu plus le tableau.
Janvier 1976, Jackie Sardou est en tournée, elle joue
Knock, et Fernand, de son côté, répète L’Auberge du
Cheval-Blanc qu’il jouera à Toulon au Théâtre National.
Fernand est fatigué. Babette, la femme de Michel, s’en
aperçoit, ce 31 janvier, alors qu’elle regarde son beau72
La mort capitale
père faire le gugusse avec bonheur à l’émission Midi
Première, animée par l’inoubliable Danièle Gilbert.
Elle en fait la réflexion à Michel qui est d’accord, mais
ne s’inquiète pas outre mesure. Son père est immortel,
comme tous les pères… Il a retroussé son pantalon, a
mis ses pieds dans une bassine et là, au milieu de la rue,
entonne pour les téléspectateurs et un public assemblé
dans la rue son fameux « Aujourd’hui peut-être ». Une
jolie chanson, drôle, aux accents nostalgiques.
Devant ma maison y a un pin terrible/Dont la grosse
branche pourrait bien tomber/Pour mon pauvre toit
quelle belle cible/Cette branche-là je vais la couper/
Aujourd’hui peut-être/Ou alors demain.
Fernand se moque gentiment des gens du Midi, accablés par le soleil, et n’aimant rien tant que goûter l’instant, sans rien faire.
Mais Fernand est blême, il n’a pas cette décontraction
habituelle, cette nonchalance avec laquelle il interprète
habituellement son succès. Il semble las. Mais il s’acquitte comme il peut de sa tâche avec cœur, comme il l’a
toujours fait. Il ne sait pas que c’est la dernière fois qu’il
se produit devant un public.
Ce soir du 31 janvier 1976, Michel est avec quelques
amis. Une gentille partie de poker, histoire de passer un
moment de détente en bonne compagnie, boire quelques
verres et oublier un peu le rythme effréné qu’il s’impose
depuis maintenant des années.
C’est alors que le téléphone sonne. Un ami de Michel
décroche, puis lui tend le combiné d’une voix blanche :
« Michel, c’est pour toi. »
C’est un gendarme qui lui apprend que son père vient
de décéder d’une attaque. Michel est à Paris, son père, à
Toulon. Il lui faut quitter la soirée, la partie de poker en
73
Michel Sardou
catastrophe. Abasourdi, il va rejoindre Babette, hébété.
Il racontera plus tard :
— Un creux silencieux au milieu du cœur. Une
aspiration vers le bas. Dans ma tête bourdonnaient des
abeilles1…
Il lui faut alors avertir Jackie, sa mère, la femme qui
partage la vie de Fernand depuis plus de 30 ans. Elle est
à Genève, en tournée. Michel Sardou raconte la scène
dans son autobiographie :
— Allo, maman ? J’ai une mauvaise nouvelle. Papa
est mort.
Je l’entends hurler, puis s’écrouler sur son lit en
pleurs. Près d’elle se trouvait une amie qui prit le téléphone.
— Vous auriez dû me le dire à moi d’abord, je l’aurais avertie autrement.
— Et qu’est-ce que tu lui aurais dit, connasse ? Qu’il
allait bien2 ? Du Sardou tout craché. On affronte les mots comme
on affronte la vie, sans détour, sans voile, et avec le
moins d’hypocrisie possible.
Michel descend donc à Toulon où il est rapidement
conduit à la morgue. La mort ayant emporté Fernand
dans un lieu public, la procédure est normale quoique
terrifiante. Il sera même question de pratiquer une
autopsie puisque, là aussi, c’est la règle. Mais Michel s’y
opposera de toutes ses forces, à tel point qu’il parviendra
à faire plier le commissaire. Michel apprend alors que
c’est une embolie qui a foudroyé son père. Fernand n’a
pas souffert. Lui qui avait si peur de la mort ne l’a pas
vue venir, mais c’est une maigre consolation. Fernand
1. Michel Sardou, Et qu’on n’en parle plus, 2009, XO éditions.
2. Michel Sardou, op. cit.
74
La mort capitale
sera inhumé le 4 février à l’église Saint-Pierre de Neuilly.
Michel chantera ce soir-là, en hommage à son père. Lui
qui n’est pourtant pas du genre à montrer ses failles
lâchera à Paris Match :
— Je faisais un poker avec Johnny ce 31 janvier 1976
quand on m’a téléphoné la nouvelle. Devant mes amis
j’ai joué les durs, mais seul dans ma voiture, j’ai pleuré
comme un bébé. Plus tard devant son corps reposé, son
visage serein, j’ai eu soudain la conviction que la vie ne
s’arrêtait pas là.
Michel Sardou n’aura de cesse de rappeler la mémoire
de son père, comme s’il avait quelque chose à rattraper.
Comme s’il avait « raté » son charmant géniteur. C’est
sans doute le sentiment que doit éprouver toute personne
perdant un parent. Aussi, il se rappelle Fernand avec
beaucoup de tendresse :
— J’ai toujours eu l’impression qu’on grandissait
ensemble, qu’on avait le même âge. Quand j’avais trois
ans, il avait trois ans, quand j’ai eu dix ans, il a eu dix
ans… En grandissant, on s’est non pas séparés, mais on
a mené une vie parallèle. […] Quand il signait des autographes, je me glissais contre lui, dans ses jambes, pour
qu’on sache bien que j’étais son fils ! Chaque fois que je
signe une pochette de disque ou une photo, je pense à
ça… C’était un père formidable, un homme très doux,
plein d’humour, amusant, indulgent. Bien sûr, il me
trouvait un peu trop violent et, de temps en temps, il me
disait « essaie d’y aller moins fort », mais c’est tout. Il ne
s’est jamais mêlé de mes affaires, je ne me suis jamais
mêlé des siennes.
Michel Sardou avoue même avoir envié un peu la
carrière de son père :
— Je crois que j’aurais préféré son succès, plus
75
Michel Sardou
calme, plus humain, plus vivant. Il faisait une tournée et
puis il se hasardait dans un Pirandello avant d’attaquer
une opérette marseillaise. Il touchait à tout. Moi, je suis
prisonnier de mon personnage et de mon nom. En tout cas, il paraît évident que Michel avait une
affection immodérée pour son père et qu’il vit toujours
avec le sentiment qu’ils auraient peut-être pu être plus
proches :
— Avec lui, ça s’est passé après. C’est finalement
le jour de sa disparition que j’ai compris combien il
m’était indispensable, et moi qui ne lui racontais pas mes
histoires quand il était vivant, maintenant je lui parle
tout le temps. Et la présence du père se poursuit dans le temps :
— Quand j’entre en scène, nous sommes deux, il est
à côté de moi et il est aussi dans le public. C’est toujours
un peu pour lui que je chante, que j’ai toujours chanté.
Michel, ne se laisse cependant pas abattre. Toujours
boulimique de travail et d’expériences nouvelles, il se
lance, début 1976, dans la presse magazine. Claude
François a tenté l’aventure quelques années plus tôt en
créant, avec succès, le magazine Podium. Michel rêve
de faire pareil, voire de damer le pion à Cloclo dont il
se sent rival, même s’il est difficile de comprendre pourquoi, tant un monde sépare les deux chanteurs. Aussi,
au mois de janvier est mis en vente le premier numéro
de MS Magazine. L’aventure sera de courte durée. Le
titre de Michel Sardou ne survit que cinq petits mois, et
le dernier numéro sort en mai dans l’indifférence générale. Difficile de se positionner dans un univers où la
concurrence est extrêmement dure. Michel n’y perd pas
sa chemise, mais peu s’en faut. Deux millions et demi de
76
La mort capitale
francs ont été investis dans cette affaire un peu hasardeuse. Peu importe. Michel Sardou aime prendre des
risques et il sait pertinemment que cela signifie perdre
de temps en temps.
Si le lancement de MS Magazine se solde par un échec,
ce n’est qu’un petit incident de parcours qui, au final,
n’entache en rien l’image du chanteur. Sardou n’est pas
patron de presse après tout, et, contrairement à Claude
François, il n’est pas non plus un homme d’affaires. Exit
MS Magazine, pas de regrets, ni de remords.
Au mois de février, l’affaire Patrick Henry défraie la
chronique. L’homme a enlevé un garçon de huit ans, le
petit Philippe Bertrand, puis a demandé une rançon. Il a
ensuite assassiné l’enfant avant d’être arrêté le 17 février
1976. La France a retenu son souffle pendant plusieurs
jours, puis a assisté à l’horreur, à l’innommable. Le
meurtre d’un enfant est insupportable au-delà de tout
autre. Effondré et plein d’une incommensurable colère,
le père du petit passe à la télévision. La France entière
veut la tête du meurtrier.
À cette époque, la peine de mort est toujours en
vigueur dans le pays, mais il existe un débat autour de
son abolition. Tous les autres pays d’Europe en ont fini
avec le meurtre d’État, et la France, patrie des droits de
l’homme, a pris un retard considérable.
Rappelons qu’il faudra attendre 1981 et le courage de
François Mitterrand pour que la peine de mort soit enfin
abolie, contre l’avis majoritaire dans le pays. Rappelons
également que Patrick Henry ne sera pas condamné à la
peine de mort grâce à la plaidoirie de Robert Badinter qui
assure sa défense. Cette plaidoirie est considérée comme
77
Michel Sardou
le début de la fin pour la peine capitale en France. Elle
fera date et marquera durablement les esprits. Badinter
ne défend pas Henry, il fait purement et simplement le
procès de la peine capitale.
Se tournant vers les jurés, il leur assène qu’ils vont
« couper un homme vivant en deux ». Puis, avançant
dans sa plaidoirie, il déclare : Si vous votez la mort, vous
resterez seuls avec votre verdict, pour toujours. Et vos
enfants sauront que vous avez condamné un jour un
jeune homme, et vous verrez leur regard.
C’est dans ce contexte de débat, d’émotion et d’effervescence que Michel Sardou, sur un simple coup de tête,
écrit « Je suis pour ». Les paroles de la chanson sont
on ne peut plus explicites. Il arrive à Sardou de naviguer entre deux eaux, de ne pas affirmer tout à fait. Ici,
c’est un véritable cri du cœur. Michel est papa de jeunes
enfants, sa réaction est épidermique. Elle le serait sans
doute chez chacun de nous. Mais nous ne bénéficions pas
de l’extraordinaire tribune dont dispose Sardou :
Tu as volé mon enfant/Versé le sang de mon sang/
Aucun Dieu ne m’apaisera/J’aurai ta peau… Tu périras/
Tu as tué l’enfant d’un amour/Je veux ta mort/Je suis
pour/Les bons jurés qui s’accommodent/Des règles
prévues par le code/Ne pourront jamais t’écouter/Pas
même un Christ à tes côtés/Les philosophes, les imbéciles/Parc’que ton père était débile/Te pardonneront
mais pas moi/J’aurai ta tête en haut d’un mât.
Le reste de la chanson est à l’avenant. Brutal, sans
fioriture, sans style non plus. Rien d’autre qu’un cri.
Mais un cri dont l’écho est surmultiplié par la popularité du chanteur. Comme souvent lorsqu’il s’agit d’une
impulsion, d’un mouvement non réfléchi, la chanson
est mauvaise, en plus d’être néfaste. Simplifier le débat
78
La mort capitale
à ces quelques phrases crues, c’est faire de la démagogie. Exciter la France à l’heure où se pose la question
de l’abolition est une erreur que Michel Sardou va lourdement payer. En effet, le soutien qu’il va recevoir vient
de l’extrême droite ; pour le reste, les médias et la classe
politique condamnent la chanson.
Sardou dira qu’il ne s’agissait de rien d’autre qu’une
impulsion, un cri du cœur, et que c’est seulement son
opinion qu’il révèle, que la politique ne l’intéresse pas
vraiment. Il dira tout ça et bien d’autres choses. Cette
chanson reste sans doute une tache dans son parcours.
Indéfendable parce qu’irresponsable.
Cette chanson, il l’a écrite seul. Peut-être aurait-elle
été plus nuancée, plus explicative si elle avait été faite
en collaboration. Quoi qu’il en soit, Sardou, qui a déjà la
réputation d’un homme de droite, se fait des ennemis. Et
il n’en a pas fini.
En effet, Michel se lance dans l’écriture d’une autre
chanson qui ne tardera pas à lui attirer les foudres de la
presse, de la gauche.
Moi monsieur j’ai fait la colo/Dakar Conakry
Bamako/Moi monsieur j’ai eu la belle vie/Au temps béni
des colonies/Les guerriers m’appelaient Grand Chef/
Au temps glorieux de l’AOF/J’avais des ficelles au képi/
Au temps béni des colonies/On pense encore à toi oh
Bwana/Dis-nous ce que t’as pas on en a/Y a pas d’café
pas de coton pas d’essence/En France mais des idées
ça, on en a/Nous, on pense/On pense encore à toi oh
Bwana/Dis-nous ce que t’as pas nous on en a/Pour moi
monsieur rien n’égalait/Les tirailleurs sénégalais/Qui
mouraient tous pour la patrie/Au temps béni des colonies/Autrefois à Colomb-Béchar/J’avais plein de servi79
Michel Sardou
teurs noirs/Et quatre filles dans mon lit/Au temps béni
des colonies.
Évidemment, si on lit les paroles au premier degré,
cela peut donner froid dans le dos. Le colon satisfait qui
se remémore avec plaisir l’époque où il était tout-puissant chez les « sauvages ».
C’est malheureusement ainsi que la chanson va être
accueillie. Pourtant, la musique, l’interprétation donnent
des indications parfaitement inverses. Sardou, lorsqu’il
la chante, arbore un sourire railleur, il prend très clairement de la distance avec son personnage. Et puis, il y a
ce « Moi monsieur » au début de la chanson qui donne
une couleur instantanément moqueuse. Imaginons un
instant Jacques Brel interprétant la chanson. Quelle en
aurait été la réception ? On aurait saisi l’intention et
Brel n’aurait en aucun cas été traité d’affreux colonialiste. Pourtant, les chansons où Brel se met dans la peau
d’un personnage peu reluisant sont nombreuses. Pensons
à « La Statue » ou encore aux « Bourgeois ». Pas un
instant ne viendrait à l’idée que les chansons sont autre
chose que des dénonciations de la guerre et de l’embourgeoisement. Songeons un instant à la chanson de Boris
Vian : « Le petit commerce ».
De la même façon, l’immense Vian se met dans la
peau d’un salaud, mais jamais, au grand jamais, il ne
nous viendrait à l’esprit que l’auteur fait l’apologie de la
guerre et des armes. On ne prête qu’aux riches… Sardou
est proprement fustigé pour avoir écrit cette chanson. Il
est traité de raciste, de fasciste. La levée de boucliers est
telle qu’il se voit contraint de retirer sa chanson après un
unique passage radio. Pourtant, lorsqu’elle sortira vraiment, au début de l’année suivante, elle sera un succès.
À croire que le public est plus avisé que la critique, en
80
La mort capitale
tout cas moins prompt à juger, ou plus capable de saisir
la nuance. D’ailleurs, s’exprimant au sujet de la critique,
quelques années plus tard, Michel Sardou dira :
— Il ne faut pas tenir compte des critiques. Ils te
font mal, ils t’énervent, ils t’emmerdent. Mais tu bois un
coup et tu oublies ! En plus de vingt ans, j’ai traversé
des dizaines de courants musicaux. À chaque fois j’étais
attendu au tournant. Les critiques m’ont mis à mort une
bonne vingtaine de fois. Le plus drôle, c’est qu’ils ont
joyeusement disparu les uns après les autres… Ceux qui
écrivent des ignominies ne sont pas plus de cinquante au
maximum. Mais comme ils impriment, comme ils diffusent leurs opinions, alors qu’on ne leur demande rien,
évidemment, ils font du bruit. Puis il ajoute : — Le vrai public il vient, il me suit. Il ne s’y trompe
pas. Ces propos un peu définitifs sur la critique seront
tenus quelques années plus tard, mais ils valent, malheureusement pour Michel Sardou, à toutes les périodes de
sa carrière.
Autre raison possible pour laquelle le public suivrait :
la France serait profondément raciste et colonialiste. Ce
qui serait une explication peu satisfaisante pour ne pas
dire peu plausible. Nous ne sommes qu’au printemps
1976, et Michel Sardou est déjà harcelé de toutes parts.
Les lettres d’insultes pleuvent, les réactions des politiques se font entendre, haut et fort, un moyen facile de
communiquer pour cette classe, qui aime s’indigner à
peu de frais. Michel Sardou aura une formule, disons,
rapide pour qualifier le malentendu :
— C’est une chanson farouchement anticolonialiste !
Les mecs sont cons ou quoi ? 81
Michel Sardou
Harcelé, mais tête de mule, il va écrire une troisième
chanson, toujours avec Delanoë, qui elle aussi viendra
alimenter la vindicte : « J’accuse ». Rien de moins.
Sardou se met sous l’égide d’Émile Zola. Mais la chanson est d’une virulence rare.
J’accuse les hommes, un par un et en groupe/J’accuse
les hommes de cracher dans leur soupe/D’assassiner la
poule aux œufs d’argent/De ne prévoir que le bout de
leur temps/J’accuse les hommes de salir les torrents/
D’empoisonner le sable des enfants/De névroser l’âme
des pauvres gens/De nécroser le fond des océans.
La charge est lourde. On trouve en vrac dans ce texte
une dénonciation de la pollution, mais surtout de la
lâcheté et de la bêtise :
J’accuse les hommes de crimes sans pardon/Au nom
d’un homme ou d’une religion/J’accuse les hommes de
se croire sans limites/J’accuse les hommes d’être des
hypocrites/Qui jouent les durs pour enfoncer du beurre/
Et s’agenouillent aussitôt qu’ils ont peur/J’accuse les
hommes de se croire des surhommes/Alors qu’ils sont
bêtes à croquer la pomme.
Mais c’est sans doute le dernier couplet, de loin le
plus vindicatif, le plus hargneux, qui clôt la chanson sur
une haine définitive et qui semble irrévocable :
J’accuse les hommes je veux qu’on les condamne/
Au maximum, qu’on arrache leur âme/Et qu’on la jette
aux rats et aux cochons/Pour voir comment eux ils
s’en serviront/J’accuse les hommes, en un mot comme
en cent/J’accuse les hommes d’être bêtes et méchants/
Bêtes à marcher au pas des régiments/De n’être pas des
hommes tout simplement.
« J’accuse » est un texte porteur d’une immense
colère, une colère qui explose dans un bouquet final
82
La mort capitale
particulièrement virulent. Et cela ne sera pas pardonné
à Michel Sardou. L’homme, en parlant de « J’accuse »,
affirme :
— Il fallait avoir assez d’estomac pour le faire ; et ça
m’a laissé une image d’homme de fer. Image que pourtant Michel réfutera tout au long de sa
carrière en disant notamment :
— Je suis un grand timide, je suis un pudique, bref,
un vrai sentimental. Mes chansons ne sont pas des
messages, mais si l’on me connaît bien, on peut lire entre
les lignes les petites déclarations ou les SOS. Je ne suis
pas l’être triste et dépourvu de réactions affectives que la
presse s’est amusée à faire de moi. Comme pour enfoncer le clou, il ajoutera :
— Je fais un métier d’exhibitionniste, ce côté-là ne
me plaît pas du tout. Mais, comme je le fais depuis longtemps, je me suis fait une carapace. On a l’impression
que je suis très fort, que je n’ai peur de rien, que je suis
courageux. Mais ça, c’est uniquement quand il y a les
phares. Ces trois chansons vont valoir au chanteur des
critiques de plus en plus fortes. L’homme est à présent
catalogué d’extrême droite, et des comités anti-Sardou
vont peu à peu se créer dans le pays et ailleurs.
9
Tir à vue
C
’est en Belgique que tout commence. Au mois
de février 1977. Michel Sardou doit chanter à
Bruxelles. Depuis quelque temps déjà, lors de sa dernière
tournée hexagonale, une atmosphère tendue entoure ses
concerts. Devant les salles de spectacles, des personnes
se rassemblent pour crier leur hostilité à ce « facho de
Sardou ». Quelques bousculades avec le service d’ordre,
quelques insultes échangées, reprenant ici ou là la rhétorique soixante-huitarde.
Quelques agités qui voient dans le bonhomme l’incarnation d’une France de droite, assise sur des certitudes de bistrot, des discours à l’emporte-pièce, des idées
néfastes et toutes faites. Il faut admettre que Sardou sait
parfois caresser dans le sens du poil un chauvinisme
bien français. Pensez à « Ils ont le pétrole », qu’il n’écrira
que deux ans plus tard et qui n’est pas le titre le plus
reluisant de sa carrière. Il sait également faire sonner
84
Tir à vue
comme des vérités quelques idées reçues, et enfoncer des
portes ouvertes avec fracas. Tout cela est vrai. L’homme
produit du très bon, du moins bon et du médiocre. Il est
comme le bordeaux : certaines années sont meilleures
que d’autres. C’est un fait ; pourtant, il est difficile d’expliquer le déferlement de haine qui va s’abattre sur lui
pendant plusieurs mois.
L’événement originel, le big bang de toute cette
affaire, a donc lieu dans la capitale de la Belgique.
Un comité anti-Sardou s’est formé et a officiellement
demandé au maire de la ville de ne pas autoriser le spectacle. La raison communiquée au bourgmestre ne laisse
planer aucune ambiguïté : Les chansons de Sardou sont
une insulte à la classe ouvrière et au progrès social :
racisme, colonialisme, apologie de la peine de mort…
Bien entendu, le spectacle est autorisé. Michel Sardou
est un chanteur de variété, rien de plus.
Pourtant, devant la salle, les esprits s’échauffent.
Un rassemblement s’est formé, les insultes fusent, les
menaces de mort également. Le chanteur ne s’est pas
inquiété jusqu’à présent. Il est du genre à hausser les
épaules et à laisser dire. Une attitude finalement plus
respectueuse de la liberté d’expression que celle de
ses détracteurs. Cependant, un événement particulièrement alarmant va considérablement inquiéter Michel
et son entourage. Lors d’une inspection de la salle par
les services techniques, on découvre deux pains d’explosifs reliés à un système de mise à feu pouvant être
activé depuis l’extérieur. Le public est abasourdi par la
nouvelle. Il faut dire que la chose est à peine croyable.
Sardou est un chanteur, pas un dictateur sanguinaire,
pas un nazi, seulement un artiste qui provoque quelquefois. Cependant, le concert a lieu et, bénéficiant d’une
85
Michel Sardou
incroyable publicité, il se joue même à guichets fermés
sous très haute surveillance policière.
La presse, pour une fois, prend la défense de Michel
Sardou. Ces manifestants qui pensent défendre la cause
démocratique agissent de la pire des manières. Ils jouent
l’intimidation, cherchent à empêcher le chanteur de
faire son métier, de s’exprimer. Mais l’épisode bruxellois n’est pas un cas isolé. Quelques jours plus tard, lors
d’un concert à Toulouse, des affrontements violents ont
lieu entre manifestants et forces de l’ordre. On lance un
cocktail Molotov contre le chapiteau qui doit accueillir
le récital du chanteur.
— Ce qui m’emmerde, dira Michel Sardou, c’est qu’on
m’empêche de chanter. C’est très grave. À Toulouse,
c’était la première fois que je voyais des charges de flics
pour un gala de variétés. C’est quand même excessif. […]
Ça m’a empoisonné la vie, oui ! Quand tu viens encadré
de flics, que tu rentres dans ta loge avec des CRS, tu
rigoles pas beaucoup. Sans compter que moi, je suis pas
très flic. Je suis très « pote » avec eux. Mais j’avais peur
qu’il y ait un incident grave, une réaction de l’autre côté.
À partir de cet instant, c’est l’embrasement. À chacun
de ses concerts, Michel est harcelé, il n’a plus de répit.
Nîmes, Aix-en-Provence, Montpellier. À Nîmes, municipalité communiste, Michel est défendu par le service
d’ordre de Jean-Marie Le Pen, ce qui, bien entendu, n’arrange pas vraiment son image de facho.
Au mois de mars, à Besançon, les choses empirent
encore. Une ou deux centaines de manifestants, casqués
et portant des manches de pioche affrontent la police aux
abords du Palais des Congrès. Les CRS sont contraints
d’utiliser les gaz lacrymogènes pour disperser la foule.
Les affiches ont été lacérées ; sur certaines d’entre elles,
86
Tir à vue
les manifestants ont eu le bon goût de dessiner une petite
moustache et une mèche. Bref, Sardou est purement et
simplement comparé à Hitler. Certains excès et amalgames sont parfois insupportables… Pire, un forcené
attente à la vie du chanteur. Michel Sardou reviendra
plus tard sur cet événement :
— C’était à Besançon, à l’époque où il y avait des
fanatiques. J’allais à un gala au Palais des Sports avec
ma caisse. Ma femme était là. J’avais à peine mis le pied
par terre que j’entendis « pan ! » J’ai vu la glace de la
voiture exploser, et je n’ai pas eu le temps de faire quoi
que ce soit. On parle toujours de réflexes dans ces cas-là,
mais moi, je n’ai même pas bougé. Je ne savais pas ce
qui m’arrivait. J’ai décollé de ma voiture, et je me suis
retrouvé dans ma loge : c’était terminé. Le type était dans
l’immeuble d’en face. Les flics ont eu beau chercher, il
était parti depuis longtemps.
Après ce dramatique épisode, Michel Sardou renonce
à chanter. Il annule toute une série de concerts qu’il avait
prévu de donner à travers la France.
Et même malgré cela, à Reims, un défilé contre le
fasciste Sardou a lieu à la date prévue du concert. Michel
est au bout du rouleau. Il décide de se retirer à Megève
quelque temps afin de reprendre un peu ses esprits et
attendre que les choses se tassent.
D’autres chanteurs vont prendre sa défense, et pas des
chanteurs de droite. Yves Montand déclare :
— Je veux dire aux jeunes que je veux bien admettre
leurs sarcasmes, leur ironie, leur cynisme, voire les
insultes pour notre vieille génération. Mais où je ne
céderai pas, c’est lorsque l’aveuglement des jeunes les
pousse à faire des choses ou à commettre des actes qui,
parce que précisément ils sont la jeunesse, devraient les
87
Michel Sardou
révolter. Ce contre quoi je m’élève violemment, c’est le
principe qui consiste, au nom de la liberté d’expression,
à empêcher quelqu’un de s’exprimer. Je suis indigné de
la façon qui consiste à traiter Sardou de fasciste et à se
conduire soi-même comme des petits fachos.
Jean Ferrat lui-même, à qui l’on ne peut prêter aucun
sentiment de sympathie pour les idées politiques défendues par Sardou, dira :
— Je suis très choqué par l’attitude des gauchistes.
Serge Reggiani à son tour s’exprimera :
— C’est une atteinte évidente à une certaine liberté.
Laissons le mot de la fin à Maxime Le Forestier, dont
la formule semble résumer toutes les autres :
— Sardou interdit, je serais obligé de le défendre.
Le Forestier est très clair : il ne partage pas les idées
de Michel Sardou, mais son devoir est de contribuer à
faire en sorte qu’il puisse les exprimer.
Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Largement relayée
par la presse, cette ire collective va continuer d’alimenter
la controverse. La presse de droite y voit, de manière
assez légitime, une atteinte au droit d’expression, un
refus de l’autre.
On distingue également la volonté d’une certaine
gauche de se trouver un ennemi facile, évident, qui cristallise un malaise beaucoup plus insaisissable.
Et c’est sans doute ce qui s’est passé en réalité. En
1977, neuf ans après la révolte étudiante et ouvrière de
1968, la France n’avance pas, elle semble figée.
Les années Pompidou, puis Giscard n’offrent rien
à la jeunesse qu’un avenir bourgeois, très éloigné des
idéaux et du souffle qui ont animé le joli mois de mai.
Une certaine frange de la France, héritière de 1968,
fait le constat de son échec. Rien n’a changé, ou si peu.
88
Tir à vue
Cette France-là étouffe. En attaquant Sardou, c’est un
symbole qui est visé, bien entendu. C’est une évidence
d’écrire cela. Symbole de richesse, de réussite dans le
monde voulu par les gouvernants, symbole du fait qu’il
n’existerait pas d’alternative à ce système. (There is no
alternative, dira cette chère Margaret Thatcher).
Si la colère peut paraître juste, ou du moins compréhensible, la manière dont elle s’exprime est injustifiable.
La violence collective contre un seul homme s’apparente
à de la lâcheté, à une incapacité à s’attaquer à un système.
Michel Sardou est un bouc émissaire sur lequel se déversent colère et frustration.
On imagine sans mal un Michel Sardou très abattu
par ces événements. Comment faire ? Et surtout, que
faire devant toute cette haine ? Rien, si ce n’est attendre.
Ce n’est que le 17 mai que Sardou se décide enfin à sortir
de son silence. La vague est passée. Aussi, il donne une
interview au Matin de Paris pour revenir sur ces événements :
— À Toulouse, c’était particulièrement dur. Au
départ, en Belgique, j’ai rigolé, j’ai pris ça comme un
incident. Après, j’ai commencé à moins rire. On ne peut
pas dire que j’ai eu peur, car finalement, je n’ai jamais
été en contact avec mes opposants. J’ai essayé de m’expliquer. C’était idiot, car il y avait un a priori. J’aurais
pu chanter « Mon cul sur la commode » ou « Les vieux
mariés », de toute façon, ils m’avaient catalogué : j’avais
une énorme croix gammée dans le dos. Alors j’ai été un
peu inquiet. Je ne comprenais pas parce que, finalement,
ce n’est que de la chanson. Du spectacle. Ces gens-là ont
du mal à admettre que lorsque l’on interprète comme moi
quinze, dix-huit chansons sur scène, chaque soir, on n’est
pas forcément sincère, on joue des personnages. Comme
89
Michel Sardou
un acteur va jouer un curé, un pédéraste, un aubergiste,
moi je joue un vieux marié, un bateau, un prince. Ce sont
des rôles que je me distribue.
La défense est efficace, mais sans doute pas totalement juste. Difficile de croire que Sardou, lorsqu’il interprète « Je suis pour », n’y met pas toute sa conviction.
S’il n’avait pas été un tant soit peu convaincu de ce qu’il
avance, jamais il n’aurait chanté un tel texte, écrit de sa
main qui plus est.
D’ailleurs, il en parle également dans son entretien au
Matin de Paris :
— Je ne suis pas un fan de Guillotin, ni un gars vociférant : « Il faut couper la tronche à tous ces mecs-là », pas
du tout. Je suis d’accord avec Badinter, c’est pas dissuasif,
c’est pas un frein. Je parle seulement des meurtres d’enfants, et là, je ne trouve pas d’excuses. Ce qui me révolte, ce
sont les remises de peine. Parce que si tu tues mon fils, tu
vas prendre, disons, perpète. Très bien. La seule chose qui
risque de t’arriver, c’est de te faire enfiler dans les douches.
Et puis tu vas sortir au bout de vingt-cinq ans pour bonne
conduite. À ce moment-là, mon fils aurait eu trente ans, et
ça, je ne le supporte pas. Je ne suis pas systématiquement
pour la tête sur le billot, je n’en ai rien à foutre, je réagis
seulement en tant que père d’un enfant tué. Ma peine de
mort à moi, c’est le refus de la remise de peine.
Dans un autre entretien, Michel Sardou fait plus précisément référence à la chanson et admet qu’il est allé un
peu trop loin, même si cela ne justifie en rien l’attitude
des comités anti-Sardou :
— Avec cette chanson, je sais, j’ai dépassé la ligne
rouge. J’ai envoyé le bouchon un peu trop loin. Il fallait
que je l’écrive. Il fallait que je la chante. J’ai trois gosses
et, un jour, j’ai réalisé qu’on pouvait s’en prendre à eux.
90
Tir à vue
Et si l’on m’en tuait un, moi, l’assassin, j’irais le chercher
jusqu’en prison pour le tuer de mes propres mains. Mais
la chanson a été prise comme une chanson engagée dans
le débat pour ou contre la peine de mort. Or, je voulais
juste, au départ, écrire une chanson d’acteur. L’histoire
d’un homme qui dit : « Si tu tues mon fils, c’est moi qui
ferai justice ! » J’avais bâti la chanson comme un scénario de polar. Et puis, en raison de l’actualité, elle a pris
une ampleur considérable.
Cela dit, peu importe finalement ce que pense Michel
Sardou de la peine de mort. D’ailleurs, plus avant dans
l’entretien qu’il donne au Matin de Paris, Michel Sardou
brouillera encore un peu plus les pistes concernant ses
opinions politiques :
— Finalement, rien ne me convient politiquement. Je
me sens cocu. J’ai voté Giscard en 1974 parce qu’on me
faisait voir la gauche avec le couteau entre les dents. J’ai été
marron. Maintenant, j’ai voté à gauche aux municipales.
Pas pour le PC, mais contre Giscard. Il y a en moi des
contradictions, comme chez beaucoup de Français, et je les
mets dans les chansons. […] J’ai le cul entre deux chaises.
D’un côté, tout ce qui est Chirac et compagnie, ils tiennent
le pays depuis que je suis né. […] D’un autre côté, je ne suis
pas communiste non plus. Ils me foutent un peu la trouille,
parce qu’ils sont un peu irresponsables dans certaines de
leurs opinions. Alors la seule ouverture qui me reste, c’est
un socialisme humain, intelligent, ouvert, plus jeune.
Ses contradictions, finalement, Michel Sardou les
assume :
— J’ai des chansons très contradictoires. J’ai des
sujets qui peuvent, à la limite, être complètement opposés dans mon tour de chant.
91
Michel Sardou
Mais il justifie ces opinions si différentes qui s’expriment dans ses chansons.
Il explique ce phénomène par la multiplicité de
masques qu’il revêt :
— À partir du moment où je mets le masque, où je
rentre sur scène, j’assume complètement ce que je dis.
J’assume, cela ne veut pas dire que j’adhère totalement.
Je joue mon rôle, c’est mon travail d’interprète. J’assume,
mais je ne suis pas esclave de mon texte. Je n’ai jamais
confondu la scène avec une tribune. Il ajoute :
— Ce rôle, je le joue aussi en écrivant. Je choisis un
thème, je me choisis un rôle que j’aimerais jouer, et j’essaie d’écrire le texte que j’aurai plaisir à jouer sur scène.
[…] C’est déjà un jeu dès le début.
Plus loin il dit :
— Je ne sais pas l’image que je peux donner. Moi,
j’essaie tellement d’en avoir une multitude à travers
mes chansons que ça me désole toujours qu’on ne m’en
attribue qu’une seule. Parce que, finalement, au fond, à
chaque fois, j’essaie de faire un scénario différent. Alors,
si on veut me réduire à un seul dénominateur, ça m’emmerde.
Quelles que soient les opinions de Michel Sardou,
aussi contradictoires, incohérentes (penseraient certains)
soient-elles, la chose primordiale entre toutes est la
question de la liberté d’expression. La presse d’extrême
gauche lancera d’ailleurs, un peu tard sans doute, un
débat sur cette épineuse question. Museler la parole, c’est
se comporter comme un dictateur. Cela est-il acceptable
pour la gauche ? Non, bien sûr, et certains éditorialistes
feront leur mea culpa.
92
Tir à vue
L’affaire finira par s’apaiser, fort heureusement pour
Michel. Dernier cahot avant inventaire, un livre paraît
qui prétend analyser le phénomène des comités « antiSardou ». Le livre s’intitule « sobrement » Faut-il brûler
Sardou ? Certains auteurs ont le sens de la mesure… Pas
grand-chose à se mettre sous la dent. Les deux auteurs,
universitaires tout ce qu’il y a de plus sérieux, cherchent
des explications. Le livre est modérément anti-Sardou.
Les auteurs déduisent de ces événements que la jeunesse
française vit un profond mal-être. Une perte de repères.
Ou comment écrire un livre pour ne rien dire… Bon,
passons à autre chose…
Finalement, c’est Michel Sardou qui aura le dernier
mot. Quelques années plus tard, revenant sur ces événements, il dira :
— Je défends MA position, égoïste, totalement individualiste. Que ce ne soit pas la vôtre, c’est votre droit,
et je ne vous l’impose pas. Quand la loi (abolissant la
peine de mort) est passée, je ne suis pas descendu dans la
rue pour crier « C’est une enculerie », non, je suis plutôt
beau joueur, la loi de la majorité, c’est la loi. Il n’empêche
que si on touche à un de mes gosses, je ferai justice moimême… Et la loi me condamnera à trente ans de prison.
Le printemps 1977 se montre plus clément pour
Michel Sardou qui enregistre une nouvelle émission avec
Maritie et Gilbert Carpentier. Là, un regain de gaieté,
de joie de vivre semble s’exprimer. Entouré de Sheila,
Enrico Macias, Claude François ou encore Serge Lama,
le chanteur se laisse aller à un peu de légèreté. Michel
sourit, retrouve le plaisir de chanter en bonne compagnie. Puis, à l’été, sa chanson « Dix ans plus tôt » est un
93
Michel Sardou
immense succès. Le public, lui, est resté fidèle contre
vents et marées. Sardou est un paradoxe sur pattes. Aussi
populaire qu’il est décrié. Aussi attachant qu’il est énervant. Mais cela lui plaît, sans aucun doute.
Officiellement divorcé de Françoise depuis 1976,
Michel épouse Babette le 14 octobre 1977 à la mairie de
Neuilly-sur-Seine. La presse et les photographes s’agglutinent pour assister au mariage. Il faut dire que la liste
des vedettes du showbiz venues assister à la cérémonie
est longue et prestigieuse. Alain Delon, Mireille Darc,
Johnny Hallyday, Serge Lama, Joe Dassin, Jacques
Revaux, toutes les têtes d’affiche de ces dernières années
sont réunies. Comme un bonheur, dit-on, ne vient jamais
seul, Babette est à nouveau enceinte. Un enfant à naître
à l’été suivant.
L’orage est passé pour Michel, et l’avenir paraît se
dégager.
10
Une équipée sauvage
L
assé des chansons combattantes ou provocatrices,
du moins provisoirement, Michel Sardou décide
de ne prendre aucun risque pour son prochain 45 tours.
Il enregistrera « Comme d’habitude », composée par son
copain Revaux, chantée en France par Claude François
et déjà devenue un tube international.
Ici, plus question de politique. On connaît la chanson. Et surtout son immense carrière et ses prestigieux interprètes : Frank Sinatra, Nina Simone et bien
d’autres. Parallèlement, Michel enregistre « La java de
Broadway ». Pas de message non plus dans ce texte,
seulement un hymne à la fête :
Quand on fait la java, le sam’di à Broadway/Ça
swingue comme à Meudon/On s’défonce, on y va : pas
besoin d’beaujolais/Quand on a du bourbon/C’est peutêtre pas la vraie de vraie/La java de Broadway/Oui mais
c’est elle qui plaît/Quand on est fin bourrés, on se tire
95
Michel Sardou
des bordées/Sur la 42e/On rigole et on danse comme à
Saint-Paul-de-Vence/Jusqu’à la 50e.
Bref, rien que de très consensuel, pas forcément non
plus un texte particulièrement ciselé, mais tout cela fonctionne, et la chanson swingue vraiment bien. Le public
réserve un très bon accueil à ces pièces plus légères, qui
font un peu oublier l’agitation de l’hiver.
L’année 1977 touche à sa fin, la difficile période est
à présent derrière lui. Et, comme souvent avec Sardou,
il va ressurgir avec un succès qui va traverser le temps.
Une chanson écrite par Pierre Delanoë, encore lui, d’une
simplicité quasi enfantine, mais qui peut-être, grâce à
cela, va rester dans toutes les têtes.
Quand j’étais petit garçon/Je repassais mes leçons/
En chantant/Et bien des années plus tard/Je chassais
mes idées noires/En chantant/C’est beaucoup moins
inquiétant/De parler du mauvais temps/En chantant/Et
c’est tellement plus mignon/De se faire traiter de con/En
chanson/La vie c’est plus marrant/C’est moins désespérant/En chantant.
Une fois qu’elle s’est insinuée dans une oreille, la
chanson ne quitte plus l’auditeur. C’est sans doute sa
simplicité qui confine au dépouillement qui en a fait ce
qu’elle est. Michel Sardou raconte :
— Pierre n’osait pas me la lire. Il la trouvait trop
simple. Il ne supposait pas qu’elle pût me plaire. Et
comment ! J’avais besoin d’une vraie chanson populaire,
facile à entendre et simple à retenir. Les chansons de
combat commençaient à me fatiguer. Pourtant, « En chantant » est à la fois entêtante et
porteuse de cette mélancolie douce-amère qui fait les
plus belles chansons du répertoire de la variété française.
Elle est une ode à la chanson, à ce qu’elle provoque chez
96
Une équipée sauvage
ceux qui en écoutent. Les chansons ne résolvent rien, ne
nous simplifient pas la vie, mais elles l’allègent considérablement. Elles font passer les mauvais moments plus
facilement, elles accompagnent les instants de joie et les
accentuent. Et elles fabriquent du souvenir. « En chantant » est un hymne à la simplicité de la musique, que le
public reçoit avec émotion.
Fort de ce nouveau départ, Michel reprend la route. Si
des rabat-joie lui ont « salopé » sa tournée précédente, il
n’en sera pas de même pour la prochaine. Il s’envole pour
Beyrouth afin d’y donner une série de concerts.
Le pays est en pleine guerre. Sardou et ses musiciens
sont accueillis par un officiel du gouvernement libanais
qui se réjouit de « recevoir un phalangiste ».
On imagine ce qui a pu passer par la tête de Michel
Sardou à ce moment-là… Les concerts se déroulent bien.
On ne déplore qu’une chose, l’impossibilité de mettre le
nez dehors après le couvre-feu…
Michel enchaîne ensuite avec une tournée hexagonale, bien plus simple et festive. Elle sera suivie par
une tournée en Allemagne de l’Ouest (n’oublions pas
qu’à l’époque le mur est encore là et bien là). Le public
allemand reçoit Sardou avec beaucoup d’enthousiasme.
Le chanteur se produit tous les soirs devant des salles
combles. Pourtant, il chante son répertoire en français,
contrairement à de nombreuses vedettes de variété de
l’époque qui, concession faite au marché, adaptent et
chantent dans la langue du pays qu’ils visitent.
Le 1er juin, Davy, le deuxième fils de Michel et
Babette, voit le jour. L’enfant est prématuré, doit subir
l’épreuve de la couveuse, difficile pour le bébé, insoute97
Michel Sardou
nable pour les parents. Mais rien de bien grave au final.
Plus de peur que de mal ; les parents soufflent.
Comme pour célébrer cette nouvelle naissance,
Michel fait un voyage dans le Colorado avec son ami
Johnny. En réalité, depuis qu’il a vu le film Délivrance,
Johnny ne rêve que d’une chose, c’est de descendre une
rivière sauvage américaine. Aussi, il embarque Michel
avec lui ; leur ami Claude-Pierre Bloch est également
de « l’équipée sauvage ». Mais le voyage est un fiasco.
L’aventure n’est pas exactement au coin de la rivière, et le
parcours est plus que balisé. Pour commencer, c’est une
nuée de photographes qui gâchent un peu le paysage. En
effet, si les paparazzis laissent plutôt Michel tranquille,
ils sont toujours collés aux basques de Johnny, afin de
rapporter des images de tous ses faits et gestes. Johnny
s’y est fait, il ne les voit même plus… Cela dit, l’aventure
sous les flashs semble moins crédible. Mais peu importe.
Johnny, ravi, va faire des emplettes et habille son ami
de pied en cap. Michel a l’air d’un cow-boy d’opérette,
mais il se plie de bonne grâce aux désirs (lubies ?) de son
camarade. Chapeau, bottes, couteau, Michel ressemble
à John Wayne (pas réellement, selon ses propres dires).
Puis les trois hommes engagent des guides chargés de
les faire dévaler la rivière. Ils n’oublient pas au passage
de prendre avec eux l’indispensable accessoire de tout
cow-boy qui se respecte : un tonneau de whisky.
Les Français du Far West embarquent sur un raft.
Après quelques minutes et un petit rapide qui les secoue
à peine, les hommes entament le tonneau de whisky. Il
faut bien passer le temps. Au premier arrêt, l’équipage
monte son bivouac, mange des saucisses, auxquelles
les produits sophistiqués chargés de produire du feu
donnent un goût de naphtaline, puis continuent à boire
98
Une équipée sauvage
au tonneau. La première soirée est bien arrosée. Au point
que Claude-Pierre Bloch, pris d’une soudaine envie très
pressante, va se soulager un peu plus loin. Tout à son
affaire, et surtout à son ivresse, il ne s’aperçoit pas qu’il
est en train de se soulager sur le sac de couchage du
reporter qui les accompagne…
Le voyage était prévu pour durer huit jours. Après trois
jours d’ennui sur une rivière où rien ne se passe d’excitant,
la fine équipe décide d’arrêter les frais. Les cow-boys de
carton-pâte demandent alors au guide de les larguer le
plus rapidement possible. Le guide leur explique que le
prochain coin à peu près civilisé se trouve à huit heures
de fleuve… Impossible pour les trois hommes de se fader
encore toutes ces heures d’ennui sur une rivière qui bouge
à peine plus qu’une mare aux canards. Johnny et Michel
sont plutôt des hommes d’action, alors faire du cabotage
pendant encore des plombes, non, merci. Ils protestent
et demandent au guide de trouver une solution, et vite !
Le guide leur indique alors une cabane appartenant à un
garde forestier. Il largue donc les trois Français dans la
plus épaisse des cambrousses, au milieu de nulle part.
Peu importe, Michel, Claude et Johnny sont contents de
retrouver la terre ferme. Ils se débrouilleront… Ils pénètrent dans la cabane du garde forestier, absent à cette
période de l’année, puis s’endorment. Ils n’ont pas pris
de vivres avec eux. En revanche, l’histoire ne dit pas ce
qu’est devenu le tonneau de whisky…
Quoi qu’il en soit, les hommes sont réveillés au petit
matin par d’énormes 4 X 4. Des gens du coin venus pour
le week-end faire un barbecue en forêt. On imagine aisément leur tête lorsqu’ils ont vu ces trois Français crottés,
déguisés en cow-boys, sortir de la cabane. Après moult
explications, les trois amis parviennent tout de même à
99
Michel Sardou
clarifier leur situation. Ils finissent par convaincre l’un des
rednecks de les accompagner à l’aérogare la plus proche.
Un aéro-club en réalité. Direction Vegas. C’est sans doute
la destination qu’ils auraient dû prendre dès le départ.
Arrivés dans Sin City, Johnny et Michel font sensation.
Ils n’ont pu ni se laver ni se changer. Michel raconte :
— Imaginez deux types en maillot de bain, coiffés
comme des autruches, portant des bottes Cooper à talon
fendu, un t-shirt qui ne voulait plus rien dire, et la peau
recouverte d’un demi-centimètre d’argile. Ajoutez à
cela les sacs-poubelles sur l’épaule, et nous sortions tout
droit non pas de Délivrance, mais de La Nuit des morts
vivants1.
Michel résumera ce voyage en quelques mots un peu
lapidaires :
— On vous annonce l’aventure avec un grand A –
nous, on imaginait le côté sportif, dur, dangereux – et
c’est une promenade ! Un peu tape-cul, d’accord, mais
vraiment ma mère aurait pu la faire avec moi.
Michel rentre en France après son « aventure » américaine avec Johnny. Un peu penaud, un peu humilié sans
doute. L’Amérique n’est vraiment plus ce qu’elle était.
Le mythe des pionniers du Far West s’est évanoui en
quelques jours. Michel gardera un souvenir railleur de
cette escapade sur les terres du nouveau continent et,
beau joueur n’hésitera pas à la raconter dans les moindres
détails malgré le ridicule achevé de l’expédition.
C’est à présent l’heure de reprendre la route pour entamer une nouvelle tournée estivale. Elle sera plus calme
que la précédente. Pas de manifestants, pas de cocktail
1. Michel Sardou, Et qu’on n’en parle plus, 2009, XO éditions.
100
Une équipée sauvage
Molotov, les jeunes gauchistes sont passés à autre chose,
et c’est tant mieux pour tout le monde. Michel joue
devant un public acquis, et aucun incident notable n’est
à déplorer. Il fait parfois venir son fils aîné, Romain, âgé
de quatre ans, juste pour le plaisir de partager avec lui
les moments qu’il a pu, lui, vivre avec son propre père. Et
puis, l’été s’achevant, il est temps de penser à la rentrée.
Michel veut du grand spectacle, peut-être une forme de
revanche sur les événements de l’année précédente.
De plus, ses chansons ont pris une certaine ampleur,
possèdent une ambition nouvelle qui ne cadre plus vraiment avec le décor intimiste de l’Olympia, la mythique,
mais petite scène du boulevard des Capucines.
Aussi, Michel Sardou a décidé de changer d’échelle.
Il prépare un spectacle dantesque spécialement conçu
pour la scène du Palais des Sports.
C’est Bernard Lion qui s’occupera de la mise en
scène. Il a déjà travaillé aux grands shows de Johnny ;
l’homme n’en est donc pas à son coup d’essai. Vingt
musiciens tout de blanc vêtus, cinq choristes, des fumigènes qui sortent de partout, Michel Sardou fait dans le
show « à l’américaine », comme on dit (souvent abusivement). Il s’installe dans la salle de la porte Maillot pour
un mois à dater du 28 octobre 1978. Le chanteur passe
un palier, un cran au-dessus. Et il fait un carton. Tous les
soirs, le Palais des Sports est comble. Il y a même plus
de spectateurs que la salle ne devrait normalement en
contenir. Non pas que les organisateurs aient décidé de
faire fi des consignes de sécurité, mais un trafic d’invitations est mis en place par les musiciens, qui font volontiers venir les jeunes femmes en formulant la demande.
C’est de bonne guerre. Et puis, difficile pour Michel de
se plaindre d’avoir, tous les soirs, une brochette d’ad101
Michel Sardou
miratrices agglutinées sur les marches devant la scène.
Michel Sardou n’est pas insensible au charme féminin et
aux vivats de ses admiratrices.
Le tour de chant est réglé au cordeau. Il entre sur
scène vêtu d’un costume à paillettes du meilleur goût –
n’oublions pas que les années 1970 touchent à leur fin et
que ce type d’accoutrement est encore très en vogue –
et il interprète son répertoire, sobrement, avec sa voix
à la fois puissante et chaleureuse. Peu de sourires sur
son visage. Sardou is Sardou. À un moment cependant,
son visage s’éclaire lorsqu’il rend un bel hommage à son
défunt père en interprétant « Aujourd’hui peut-être »,
la dernière chanson que Fernand ait chantée devant un
public. Le triomphe de Michel Sardou lui fait prendre
conscience qu’il a définitivement changé de dimension.
Il sait à présent qu’il peut se permettre à peu près n’importe quoi en matière de spectacle, de mise en scène, de
lumières. Toutes les extravagances, toutes les excentricités scéniques lui sont permises.
Il pourra même se laisser aller, disons-le, à un brin de
mégalomanie. Un pas a été franchi. Michel est à présent
l’égal de Johnny.
Sans l’avoir cherché, non, il n’est pas un envieux, pas
du genre à lorgner dans l’assiette du voisin. Il est tout
simplement heureux de cette popularité.
11
Le temps de la crise
A
près une fin d’année 1978 particulièrement
exténuante, il est temps pour Michel de songer
à enregistrer de nouveau. Cette fois-ci, Pierre Delanoë
n’est plus dans les parages. Il faut dire que les deux
hommes, de caractères assez opposés, passent leur temps
à s’engueuler avant de se rabibocher. Deux très fortes
personnalités qui collaborent, cela finit toujours par faire
des étincelles, quand ce n’est pas une explosion. Mais
cette collaboration orageuse a donné des résultats plus
que probants. Lorsque Sardou parle de Pierre Delanoë,
on ne sait d’ailleurs pas ce que l’on doit en penser :
— Avec Delanoë on s’engueulait tout le temps.
C’est un vieux con. Gaulliste bon teint, là-dessus nous
sommes en désaccord parfait, et réac complet. Il est
tranchant, sans nuances, pour lui c’est simple : il y a les
bons d’un côté, et les méchants de l’autre, terminé. […]
C’est un vieux con, mais un vieux con de génie. Malgré
103
Michel Sardou
le nombre de textes qu’il a écrits, bons ou mauvais, et
pour des gens totalement différents, il arrive toujours à
se renouveler, à trouver un biais. […] Il a un talent fou et
c’est un personnage aussi. Pour moi, Pierre est le Gaulois.
Grande gueule, gueulard, têtu, obstiné, de mauvaise foi,
vivant, quoi ! Exactement ce que j’aime !
L’album que Michel va enregistrer en cette année 1979
n’obtiendra pas l’écho des précédents. Et pour cause :
aucune chanson n’est vraiment notable, rien qui reste
gravé dans l’oreille collective. L’opus est réalisé avec la
complicité des éternels Pierre Billon et Jacques Revaux.
C’est du travail propre, soigné, mais qui manque d’âme.
Tout au plus pourrait-on retenir la chanson « Quand je
serai vieux » :
Quand je serai vieux/Je serai teigneux comme un
chien/Et méchant, exigeant, emmerdant/Je casserai ma
canne sur les chevelus/Les barbus, les chanteurs et les
musiciens/Des vauriens/Mais chaque fois que j’en aurai
le temps/Entre un calva et un petit blanc/Je raconterai
qu’il y a cinquante ans/C’était autre chose d’avoir vingt
ans/Qu’on n’était pas comme ces blancs-becs/Malades
au dix-huitième cul sec/Quand je serai vieux/Je serai,
sous mes cheveux blancs/Égoïste, anarchiste, emmerdant/Je montrerai mes fesses à la gendarmerie/Aux
barbus, aux maires, aux élus du pays/Des brebis.
Cette chanson rappelle bien entendu l’indigne grandmère de Michel, la truculente Bagatelle. Pensait-il à elle
lorsqu’il l’a écrite ? C’est plus que probable, au moins
inconsciemment. Il suffit de voir comment Michel décrit
la mort de sa chère grand-mère dans son autobiographie :
— Elle est morte sur un banc du commissariat de
La Trinité. Elle s’est fait embarquer, non sans mal – il
fallut des renforts et le panier – après avoir injurié un flic
104
Le temps de la crise
en criant « Mort aux vaches ! », tout en lui montrant son
cul au beau milieu de la circulation1.
Le parallèle avec la chanson est on ne peut plus clair.
Ce texte est un hommage. Michel, dans le fond, aimerait, arrivé à un grand âge, être aussi mal embouché que
l’était Bagatelle. Hormis ce joli clin d’œil à la mère de
Jackie, pas grand-chose de plus à retenir de l’album.
On peut noter au passage cependant qu’il profite de la
crise et du choc pétrolier qui a lieu la même année pour
se lancer dans une nouvelle chanson exaltant le bonheur
d’être français. Toujours le même canevas populiste :
« Ah ! ce qu’on est bien en France quand même. » La
chanson s’appelle « Ils ont le pétrole » :
Ils ont le pétrole/Mais ils n’ont que ça/On a le bon vin/
On a le bon pain/Et cetera/Ils ont le pétrole/Mais c’est
tout/On a les cailloux/On a les bijoux/On a les binious…
L’album compte aussi un morceau qui tente la provocation légère et qui passe un peu à côté de sa cible.
« Méfiez-vous des fourmis » a beau tenter de jouer sur
le déclin de la France, la volonté de Michel Sardou de
mordre moins fort est perceptible. Et, du coup, la chanson n’obtient pas l’effet escompté :
Sur cette planète où je vis/Mon pays n’a plus d’ennemi/Mon pays n’est plus un pays/De jour en jour on
rétrécit/On rétrécit on rétrécit/Méfions-nous des fourmis/Traitez-moi de ce que vous voudrez/Facho… nazi…
phalo… pédé/Et plus je tendrai l’autre joue/Les héros ne
sont plus parmi nous.
Petit album pour Michel Sardou, donc. Pas mauvais,
n’allons pas jusque-là, mais pas non plus ahurissant.
1. Michel Sardou, Et qu’on n’en parle plus, 2009, XO éditions.
105
Michel Sardou
Produire un album par an complique considérablement
la donne. Comment être bon tout le temps ? D’ailleurs,
lorsqu’il repart en tournée, qu’il joue en province, le
show de Michel laisse une part importante à ses grands
succès. Bien entendu, la raison première est sans aucun
doute que c’est ce que lui demande le public, mais on ne
peut s’empêcher de penser que, s’il avait été plus sûr de
sa production de l’année, elle aurait pris une place plus
grande dans ses galas.
Michel est encore et toujours sur la route, à satisfaire son public, mais une telle frénésie de travail a un
coût. Aussi, dès le printemps, une importante fatigue
commence à s’installer. L’adrénaline de la scène, renouvelée chaque soir, les longues heures de route, les excès
qui inévitablement accompagnent les tournées, tout
cela contribue à affaiblir considérablement le chanteur.
Michel, à cette époque, n’est pas tout à fait un adepte de
l’eau plate et de la salade verte.
Aussi, le 24 mars, après avoir enchaîné 43 dates, il est
victime de son épuisement lors d’un concert à Condat et
se voit contraint d’annuler les derniers galas de la tournée. Ce qu’il lui faut à présent, c’est du repos, beaucoup
de repos, un régime et des horaires fixes. Sardou, qui a
enregistré « Quand je serai vieux » quelque temps auparavant, ne pensait pas que cela arriverait aussi vite…
Les albums qui suivent n’ont pas non plus le succès
espéré. Michel semble s’être assoupi. La période des
« comités anti-Sardou » a peut-être éteint une flamme. À
tout le moins, elle l’a mis sous le boisseau. Les chansons
ne sont plus aussi percutantes. Elles connaissent, certes,
un certain succès et entrent toujours dans les hit-parades
106
Le temps de la crise
des meilleures ventes, mais la position de chouchou
des Français lui échappe. Il s’en fout, n’en doutons pas.
Michel Sardou n’a pas spécialement envie d’être le chouchou de qui que ce soit. Et puis, dans un sondage effectué par France Soir en novembre 1979 sur les chanteurs
préférés des Français, il arrive quatrième derrière Brel,
Lama et Brassens. Pas de quoi rougir.
Sardou est un peu au creux de la vague, même si l’on
ne peut réellement parler de traversée du désert. Et puis,
il s’occupe, tente une nouvelle aventure avec son copain
Pierre Billon. Les deux hommes décident de sponsoriser
une écurie de quatre motos pour le Bol d’or sur le circuit
du Castellet.
Les deux hommes partagent un même amour pour
les deux roues de belle cylindrée. Seulement, on ne s’improvise pas plus directeur d’écurie que patron de presse.
Une seule des quatre motos finira la compétition, en treizième position. C’est honorable, mais pas fantastique.
La carrière de Sardou et Billon en patrons d’écurie
s’arrête là. Une belle expérience pour le chanteur, une de
plus. Michel restera dévoré par le virus des sports mécaniques, et il tentera plus tard d’autres aventures. Pour
l’heure, il reprend les chemins des studios de télévision,
puis, c’est le retour sur scène.
Un come-back effectué trop tôt sans doute. En effet,
après quelques récitals, Michel s’effondre lors d’un gala
à Orléans, en plein spectacle. Cela semblait inévitable
aux musiciens de Sardou qui voient bien que, depuis le
début de la tournée, Michel n’est pas dans son assiette.
Il tente de donner le change comme il peut, mais il est
physiquement très éprouvé.
La fatigue accumulée s’est abattue sur lui d’un seul
coup. L’un de ses musiciens raconte :
107
Michel Sardou
— Michel n’est pas bien, il n’en parle pas, mais on le
sent. Un soir, il s’appuie contre moi et termine la chanson son bras sur mon épaule. Je sens tout son poids, il ne
tient plus sur ses jambes. Vocalement, ça passe, mais ce
n’est pas terrible. Michel est dans une période difficile, il
ne chantera plus pendant des mois.
Son état de santé est très préoccupant. Il se voit
contraint de passer toute une batterie d’examens et,
lorsque le diagnostic tombe, tout s’écroule. Michel aurait
un cancer du sang, un mal incurable qui ne lui laisserait
que quelques mois à vivre. Impossible ! Michel Sardou
va voir d’autres médecins qui ne sont guère plus optimistes.
Inacceptable ! Michel continue de consulter, à croire
qu’il ne finira par accorder son crédit qu’au médecin qui
lui diagnostiquera une maladie bénigne.
Il n’a pas peur de la mort. C’est du moins ce qu’il
dit aujourd’hui, à bientôt 64 ans. C’était sans doute déjà
vrai il y a 30 ans. Tout dans son comportement, de son
impavidité à son courage physique, donne à penser qu’il
est le type d’homme à affronter la fin. Sereinement, ou
en la combattant, mais pas en se laissant submerger par
des sentiments de faiblesse.
Pas son genre, à Michel. Cependant, on peut penser
qu’à seulement 34 ans, avec 4 enfants, Michel tient à la
vie. Il veut voir ses enfants grandir. Il vit dans un bonheur
qui ne peut pas s’arrêter là, si tôt.
Heureusement, sur les conseils d’un ami, il va consulter à l’hôpital de Villejuif. Là, de nouveaux examens sont
effectués. Et puis la chape de plomb se soulève. Michel
souffre d’une grave hépatite. Si la maladie est sévère, il
n’est pas condamné.
108
Le temps de la crise
Il va vivre. Et se remettre à chanter. Mais laissons
Michel Sardou raconter lui-même son expérience :
— Ce fut une expérience assez bizarre ; j’ai eu un
malaise. J’ai pensé que c’était un problème cardiaque.
Ce n’était pas ça. À la suite de cet épisode j’ai été très
malade, une maladie bizarre, que personne ne pouvait
diagnostiquer. Ce n’est pas rassurant de voir des toubibs
à droite et à gauche, arrivant tous à la même conclusion :
« On ne sait pas du tout ce que vous avez. » J’ai subi des
tas d’analyses. Un jour, un médecin m’a fait comprendre
sans me le dire clairement que j’avais un cancer du sang.
Je suis sorti de là avec une enclume sur l’estomac. Je suis
rentré me coucher. J’étais mal, ruiné. Ça m’a complètement déprimé pendant quarante-huit heures.
« Avant que cette histoire ne me tombe dessus, je le
disais : si un jour on m’annonce que je meurs demain, je
vais partir en tournée, me saouler la gueule, vendre mes
tableaux, épater mes amis et je ne sais quoi encore… En
fait, je n’ai rien fait de tout cela ; je me suis mis au pieu,
j’ai pris un bouquin, et j’ai attendu que ça passe. Au bout
de deux jours, comme je me sentais toujours aussi mal,
on a refait des analyses, à l’hôpital américain. Le médecin m’a dit : “C’est mal barré !” J’ai vécu avec ça pendant
six mois. Je suis reparti en tournée, j’ai travaillé pour
oublier au maximum. Heureusement, un autre toubib est
venu me voir et m’a annoncé : “Ne t’inquiète pas, moi
je te dis que ça n’est pas un cancer.” On m’a emmené
à Villejuif pour une petite remise en forme, et là, on a
conclu que ce n’était pas un cancer, Dieu merci ! C’était
en fait une sorte d’hépatite. J’ai fait une énorme dépression, mentalement et physiquement. Cette expérience
m’a foutu en l’air pendant un an ! »
109
Michel Sardou
Michel s’est surpris lui-même sur sa façon de vivre ce
terrible événement. Il ajoute :
— J’ai pensé que j’allais d’un seul coup devenir fou
furieux, ou rédiger testament sur testament, ou me piquer.
Mais non ! J’ai continué, sans héroïsme d’ailleurs. Je n’ai
pas été aussi digne que je l’aurais espéré.
12
Un mariage irlandais
1981
. La France change. Un vent nouveau
souffle sur le pays qui verra, le 10 mai,
l’élection de François Mitterrand à la présidence de la
République. Michel Sardou, après le terrible épisode de
son prétendu cancer, se produit au Palais des Congrès
au mois de février. L’homme s’est apaisé. La perspective
d’une mort prochaine a changé son état d’esprit. Il dit :
— Ça m’a changé. Depuis, je suis plus calme, moins
productif. Il faut comprendre que ce médecin ne me
donnait plus que six mois à vivre. À l’époque, ça m’a
miné. Maintenant je me marre.
Calmé, certes, moins provocateur sans doute, mais
toujours aussi perfectionniste, Michel offre un spectacle
encore une fois parfaitement rodé, préparé au millimètre
près, ne laissant aucune place à l’improvisation. Il doit ça
au public, faire en sorte que les spectateurs soient égaux
devant le spectacle. Qu’il leur donne la même chose, leur
111
Michel Sardou
offre la même intensité, le même show, quel que soit le
soir. Une forme d’éthique. Les moyens déployés pour le
spectacle sont encore une fois très importants. Le travail
sur les lumières est impressionnant. Michel utilise de
nouveaux projecteurs motorisés qui font largement leur
effet. Le public assiste à du très grand spectacle, un son
et lumière équilibré par la prestation toujours très sobre
du chanteur sur la scène.
Michel Sardou est remis en selle par cette excellente
prestation, et la satisfaction qu’il en retire lui donne
une énergie nouvelle. L’année 1981 va être une sorte de
renaissance sur le plan artistique pour le chanteur.
Nous l’avons vu : si l’inspiration ne l’avait pas totalement quitté durant les mois précédents, sa muse s’était
pour le moins faite quelque peu discrète, avec pour résultat un essoufflement de sa popularité et de son succès. Si
son dernier opus s’est plutôt bien écoulé, on est loin du
raz-de-marée qu’a pu provoquer « Le France » pour ne
prendre que ce simple exemple.
Pour ce nouvel album, Michel va enregistrer une
première chanson très belle et assez personnelle intitulée « Je viens du Sud ». Les thèmes intimistes, en
demi-teinte, ne lui ont pas réussi récemment, les chansons paraissaient un peu fades, manquaient de gueule,
d’ambition. Avec « Je viens du Sud », Michel retrouve la
verve poétique qui lui avait manqué ces derniers temps.
La chanson est mélancolique, mais possède une vraie
âme et ouvre une légère brèche dans la carapace du
bonhomme :
J’ai dans la voix, certains soirs/Quelque chose qui
crie/Mélange d’un chant barbare/Et d’un ciel d’Italie/
112
Un mariage irlandais
Des colères monumentales/Que les vents m’ont soufflées/Des discours interminables/Après le déjeuner.
Michel évoque clairement ses origines, il les revendique. Et puis il y a ce dernier couplet en forme d’hommage à son père :
Une maison tout en pierres/Que la mer a rongée/
Au-dessus d’un cimetière/Où mon père est couché.
Sardou entrouvre son cœur à son public, et cela fonctionne à merveille. Cette chanson très réussie, autant
sur le plan du texte que de la musique, instille une belle
nostalgie. La nostalgie, Michel avoue l’avoir en lui, mais
il ne sait pas vraiment à quoi la rattacher :
— J’ai une nostalgie vague et générale, mais… je ne
sais pas ce que je regrette. Il faudra un jour que je fasse
un voyage intérieur pour en savoir plus. S’il réfléchit à la question, il ébauche un début d’élément de réponse, par élimination :
— Je ne peux pas dire que je regrette mes tendres
années dans la Provence paternelle, parce que j’ai vécu à
Paris, je suis né sur le bitume. Mes racines ne sont donc
pas méridionales. Je ne peux pas parler de l’enfance ni de
l’adolescence, parce que je n’en ai pas eu. J’étais à peine
sorti de l’enfance quand je me suis marié. Je suis entré
dans la vie active tout de suite. Michel est-il alors nostalgique de sa jeunesse ?
— Une période assez belle. J’en garde des souvenirs
formidables. Maintenant, j’ai plus d’emmerdements. Difficile, donc, de comprendre réellement d’où lui
vient sa nostalgie, mais, visiblement, les années d’insouciance lui manquent un peu.
Ce n’est cependant pas « Je viens du Sud » qui va
remettre définitivement Sardou au premier plan.
113
Michel Sardou
La chanson démarre par le bruit du vent qui souffle.
Il ouvre sur des premières notes à la limite de la dissonance, puis, enfin, la voix de Michel Sardou retentit, les
premiers mots sont scandés avec une certaine rudesse,
annonçant le rythme martial qui va suivre.
Terre brûlée au vent/Des landes de pierre/Autour
des lacs/C’est pour les vivants/Un peu d’enfer/Le
Connemara.
« Les lacs du Connemara ». Une magnifique évocation
de l’Irlande qui joue habilement sur plusieurs registres :
la géographie, les paysages splendides et désolés de cette
partie de l’Eire sont décrits avec la puissance d’un grand
poème romantique, puis l’histoire, la grande, celle qui
nous parle d’un pays encore déchiré par son passé lointain ou plus proche. La chanson évoque Oliver Cromwell,
le lord protecteur anglais, devenu bourreau des Irlandais
qui, au XVIIe siècle, a réprimé dans le sang une révolte
nationale. D’ailleurs, le choix du toponyme, Connemara,
n’est sans doute pas innocent.
Cromwell déportait les Irlandais rebelles dans cette
région du pays, et on lui doit cette formule devenue
fameuse : « Au Connemara ou en enfer ! »
Mais il est aussi question de la partition de ce pays
déchiré, coupé en deux par la volonté de la couronne
d’Angleterre, une partition qui existe encore aujourd’hui
et qui est une véritable tache sur la carte de l’Europe. En
effet, dans un élan d’optimisme, Sardou chante :
L’on y croit encore/Que le jour viendra/Il est tout
près/Où les Irlandais/Feront la paix/Autour de la croix.
Bel optimisme en vérité ; malheureusement, 30 ans
plus tard, l’Irlande, si elle n’en est pas toujours au même
point, garde cette terrible blessure encore ouverte. Et
puis, parce que l’Irlande, ce n’est pas que de l’histoire et
114
Un mariage irlandais
de la géographie, ce sont également des hommes et des
femmes attachants, qui ont souffert, mais ont toujours
gardé la tête haute, un couplet de la chanson évoque un
mariage pittoresque entre deux petites gens du comté du
Connemara.
« Les lacs du Connemara » aurait pu être une chanson fourre-tout, un fiasco. Elle est un pur chef-d’œuvre
de la variété française. Et cela tient à l’équilibre parfait
entre les éléments qu’elle évoque, mais également à une
orchestration particulièrement énergique, frisant parfois
l’emphase, mais s’accordant très bien avec les sentiments mêlés que la chanson instille chez la personne qui
l’écoute.
Le texte parvient à donner une image assez juste de
cette âme irlandaise, si proche de l’âme russe dans son
mélange de joie et d’acceptation de la fatalité. Bref, cette
nouvelle collaboration avec Delanoë marque peut-être,
c’est du moins le modeste avis de l’auteur de ces lignes,
l’apogée de la carrière de Michel Sardou. « Les lacs du
Connemara » est le « Ne me quitte pas » de Sardou,
le point culminant, la chanson qui restera sans aucun
doute. D’autres textes ont traversé les années, mais nous
avons encore un souvenir plus ou moins précis de leur
contexte, nous les comprenons parce que nous pouvons
les remettre dans leur époque, nous savons ce qu’ils
signifient. « Les lacs du Connemara » n’a pas besoin de
cela. C’est un texte hors du temps, un moment de grâce
suspendu à jamais.
Pourtant, l’écriture du texte ne s’est pas faite sans mal.
Delanoë apporte à Michel Sardou le récit d’un Irlandais
qui émigre en Amérique du Nord. L’histoire ne plaît pas
à Michel. Delanoë dira même :
— Lorsque j’ai apporté la chanson à Sardou, il me l’a
115
Michel Sardou
crachée à la gueule. Il avait raison, je suis parti sur de
nouvelles bases. Michel, pour sa part, raconte :
— Une vraie bagarre. Il fallait quelque chose de
surréaliste, un mélange symbolique. Et Delanoë est un
Parnassien ! Pour lui un mot est un mot, un chat est un
chat ! La musique a précédé l’écriture du texte cette fois-ci.
Le rapport entre les deux est très délicat, l’équilibre est
primordial pour tenir une bonne chanson. Michel Sardou
dira à ce propos :
— Une fois que la musique commence à exister, je
vois tout de suite ce qu’on peut mettre en texte. Mais
l’alchimie ne prend pas toujours. En général, la musique
est bonne et le texte est nul, ou le texte fait perdre à la
musique son efficacité. Quand la musique est forte, très
souvent elle est anéantie par un texte trop lourd. Tout est
à refaire. Ce ne sera pas le cas avec « Les lacs du Connemara ».
Jacques Revaux s’est attelé à la tâche. Un air martial lui
trotte dans la tête. Il joue les quelques notes sur un piano,
puis il développe. Il ne fait pas de maquette. Il entre en
studio vers 20 heures un soir. Son compère Bernard
Estardy prend une boîte à rythmes, Revaux, un micro,
et chante pour marquer le tempo un peu complexe de
ce qu’il a en tête. Vers 21 heures, c’est au tour du piano
d’être enregistré, ajouté au reste, puis vient ensuite la
basse, aux alentours de minuit.
Revaux et Estardy sentent qu’ils tiennent quelque
chose. Ils décident de faire enregistrer la musique par
le London Symphonic Orchestra. L’idée est folle, totalement mégalo, mais les deux hommes se disent : après
tout, pourquoi pas ? Il arrive que l’audace et la folie des
116
Un mariage irlandais
grandeurs payent. Et ici, ce sera le cas. Les deux hommes
se rendent au mythique studio d’Abbey Road, au nom
immortalisé par les Beatles. L’enregistrement est une
belle pagaille. Cent vingt musiciens jouant avec hautparleurs sur une bande rapidement bricolée en studio par
les deux compères. Lorsque Revaux et Estardy rentrent
de Londres, ils s’aperçoivent que la bande est quasiment
inutilisable. Le son est exécrable, grésille et dégouline de
partout. Il leur faut alors tout recommencer. Ils reprennent donc la bande et l’agrémentent de synthétiseurs, de
clarinettes afin de masquer le désastre.
Mais les deux musiciens ne sont pas au bout de
leurs peines. En effet, là où ils pensaient avoir gommé
les imperfections demeure encore le son de la boîte à
rythmes, très présent, obsédant. Estardy raconte :
— Ce morceau devenait une poubelle, n’importe qui
l’aurait abandonné ! Mais on s’en est sortis. À force de volonté, Revaux et Estardy parviennent
à sortir une musique comportant de belles envolées, un
élan, une puissance. Le souffle du vent qui accompagne
la chanson et donne une couleur particulière à la mélodie n’est rien d’autre qu’un effet cherchant à masquer les
imperfections de la bande. Une belle trouvaille. On sait
la réception dont a bénéficié la chanson. Michel Sardou
trouve un souffle nouveau grâce aux terres désolées de
l’Irlande occidentale.
S’il enregistre une chanson aux accents atemporels,
qui évoque au fond une forme d’universalité, malgré son
particularisme, Michel reprend le collier et s’attelle avec
son ami Pierre Billon à une chanson plus en phase avec
l’air du temps. Il ne s’agit pas d’un thème directement
tiré de l’actualité, mais d’une description de l’époque.
117
Michel Sardou
Un texte particulièrement osé puisque Michel Sardou,
avec cette image de macho qui le poursuit, s’imagine
dans la peau d’une femme moderne, une femme des
années 1980.
Être un PDG en bas noirs/Sexy comme autrefois les
stars/Être un général d’infanterie/Rouler des patins aux
conscrits/Enceinte jusqu’au fond des yeux/Qu’on a envie
d’app’ler monsieur/Être un flic ou pompier d’service/Et
donner le sein à mon fils.
La vision des femmes par Sardou est parfaitement
dans l’époque. Le cinéma montre des femmes qui sont de
« vrais mecs », qui revendiquent l’ambition masculine,
le carriérisme, finalement une manière de machisme
inversé. Pas certain que le féminisme y ait beaucoup
gagné. Les développements de la pensée féministe ont
heureusement progressé depuis, et les penseuses « transgenres » comme Judith Butler ou Beatriz Preciado ont
beaucoup fait évoluer tout cela. En fait, le succès de cette
chanson, car elle est un immense succès populaire, tient
sans doute justement au fait que c’est une vision extrêmement machiste que défend Sardou.
Une ode à la virilité, fût-elle incarnée par le sexe
dit faible. Le rythme soutenu de la musique, le ton très
volontaire, presque agressif, employé par Michel en
témoignent. Pourtant, il se défendra de faire, dans ses
chansons, l’apologie de la virilité :
— Je n’ai jamais prôné la virilité qui, pour moi, n’est
pas un critère de force. Les hommes purs et durs m’inquiètent énormément. Je n’ai aucune confiance dans un
type sans défaut. Ce qui me fascine, c’est l’humour, l’intelligence, l’analyse, c’est-à-dire exactement le contraire. Si Michel Sardou le dit… La chanson va bizarrement
traverser les décennies. Bizarrement, non parce qu’elle
118
Un mariage irlandais
est mauvaise, bien au contraire, elle est plutôt réussie,
efficace, mais elle est très ancrée dans une époque, dans
un style qui s’est finalement assez vite ringardisé. Dès
le début des années 1990, les années 1980 passent pour
ridicules. Cependant, « Être une femme » a conservé
toute sa popularité. C’est même l’un des plus gros hits des
karaokés. Son rythme sans doute, sa scansion, entraînent
le public, bien au-delà du message, si tant est qu’il y ait
un message.
« Être une femme » marque la fin d’une collaboration, mais également, semble-t-il, d’une amitié. Michel
Sardou et Pierre Billon se brouillent. L’ami de toujours,
l’homme rencontré à l’adolescence dans les coulisses des
music-halls que fréquentaient leurs parents, l’homme
avec qui Michel a fait les quatre cents coups sort de la
vie du chanteur. « La vie sépare ceux qui s’aiment », dit
la chanson1.
Lorsque, le 10 mai 1981, François Mitterrand est élu
président de la République française, Michel Sardou
est en concert. Lui, l’homme catalogué à droite, attend
impatiemment les résultats de l’élection. Tout le monde
est nerveux. Parmi les musiciens, les opinions politiques
sont très partagées. En coulisse, Claude Pierre-Bloch
écoute la radio et fait signe à Michel sur la scène que pour
le moment les résultats ne sont pas tombés. Puis, au cours
du spectacle, Michel se tourne vers Claude, toujours en
coulisse, qui parvient à lui faire comprendre que c’est
bien François Mitterrand qui a remporté la victoire à la
magistrature suprême. Et, contre toute attente, Michel
exulte. Pas socialiste pour deux sous pourtant, Sardou,
1. « Les feuilles mortes », de Jacques Prévert.
119
Michel Sardou
mais une véritable fascination pour le personnage de
François Mitterrand. D’ailleurs, lorsqu’il parle du défunt
président, Michel Sardou dit :
— Mitterrand n’était ni de droite ni de gauche.
Mitterrand était Mitterrand.
C’est donc plus le personnage que ses idées politiques
qui intéressent Michel. Il n’est sans doute pas le seul dans
ce cas-là. Le charisme de François Mitterrand a attiré
bon nombre de personnes de tous bords politiques.
À l’été, Michel est comme (presque) toujours en
tournée. Il défend ses dernières chansons en province.
Les radios ne se lassent pas de jouer « Les lacs du
Connemara » et « Être une femme », aussi Michel va
présenter ses œuvres à un public très en demande.
Si les conditions sont généralement bonnes et les
salles, prêtes à l’accueillir, il arrive parfois que ce ne soit
pas le cas, et que les organisateurs donnent l’impression
d’avoir totalement improvisé. Lors de son passage dans
la bonne ville de Foix, en Ariège, Michel découvre à son
arrivée un chapiteau monté n’importe comment et qui
semble ouvert à tous les vents ; les installations électriques sont obsolètes, voire dangereuses.
On imagine le mouvement d’humeur qu’a dû esquisser le chanteur quand il a découvert le désastre.
Lorsque les techniciens commencent à monter le
matériel, toute l’installation saute. Une véritable catastrophe. Heureusement, le staff technique de Michel
est très aguerri et composé d’hommes astucieux qui
parviennent à rattraper le coup. Peu à peu, la salle est
installée. Michel se retire dans sa loge. En fait, une caravane parquée à côté du chapiteau. L’ambiance est d’un
minable absolu. Mais que faire d’autre que de s’acquit120
Un mariage irlandais
ter de sa tâche. Soudain, un visiteur pour le moins inattendu frappe à la porte de sa « loge ». Michel se lève, va
ouvrir et se retrouve face au sourire jovial de… Gérard
Depardieu. L’acteur est en train de tourner Le Retour de
Martin Guerre dans la région.
Lorsqu’il a appris que Michel donnait un gala, il s’est
précipité pour venir lui faire une petite visite de courtoisie. Les deux hommes s’apprécient beaucoup, ils ont
des caractères finalement assez proches, même si Gérard
est bien plus extraverti que Michel. Après les salutations
d’usage, Depardieu et Michel Sardou décident d’aller
ailleurs boire un verre. À la question : « Et ton gala ? »
Michel hausse les épaules. Les conditions lamentables
du concert de ce soir ne l’enthousiasment pas particulièrement.
Moins en tout cas que la perspective d’aller déguster
quelques bonnes bouteilles avec l’ami Gérard. Les deux
hommes quittent le lieu du spectacle, on ne les reverra
pas de la soirée, et le gala devra être annulé… Michel
n’a pas l’habitude d’agir ainsi – en tout cas pas comme
Claude François qui était capable d’annuler un spectacle sous prétexte qu’on n’avait pas pensé à sa brosse à
cheveux. Mais là, la tentation était trop forte…
Heureusement, Gérard Depardieu n’est pas toujours
dans les parages lorsque Michel donne un concert.
13
Sur grand écran
M
ichel Sardou a atteint les sommets en matière
de chanson. Il fait partie des chanteurs préférés des Français, il peut à peu près tout se permettre (ou
en tout cas s’est à peu près tout permis) sans prendre le
risque de tomber dans l’oubli. Il est extrêmement présent
dans les médias en ce début des années 1980. On le verra
notamment à la première d’une émission de variétés qui
fera date : il s’agit de Champs-Élysées, un show présenté
tous les samedis soir par Michel Drucker et qui est aux
années 1980 ce que les émissions de Maritie et Gilbert
Carpentier étaient aux années 1970 : un divertissement
populaire de qualité, réunissant chaque fois la crème de
la chanson française et internationale suivie par la France
entière. Animé par le présentateur préféré des Français,
Champs-Élysées fera une très longue carrière, marquant
de son empreinte le paysage audiovisuel de la décennie.
Mais Michel Sardou, arrivé aussi haut qu’il était possible,
122
Sur grand écran
garde en lui une frustration légère. Il est heureux d’être
un chanteur reconnu, adulé, mais il a toujours voulu
jouer la comédie. Il est persuadé qu’être bon sur scène
amène à être bon derrière une caméra :
— Que ce soit Mitchell, Souchon ou moi, on a tous une
personnalité différente, mais un charisme certain. Et ça,
c’est très important au cinéma. On n’a pas l’œil vide, quoi.
Mais personne ne s’est jusqu’à présent donné la peine
de venir chercher le chanteur. Tout le monde sait pourtant son désir de jouer. Heureusement, en 1982, Marcel
Jullian, le scénariste du Corniaud, La Grande Vadrouille
ou encore La Folie des grandeurs, fait appel à lui pour
L’Été de nos quinze ans. Michel est bien entendu ravi de
se lancer dans cette aventure. Il accepte le rôle :
— Je cherchais quelque chose de simple, de petit, je
ne voulais pas avoir la responsabilité d’un film important. Et puis Marcel Jullian, que j’aime beaucoup, a su
me présenter la chose d’une façon marrante. Il m’a appelé
en me disant : « Ça t’apprendra à ouvrir ta g... et à dire
que tu veux faire du cinéma. Tu vas débuter dans mon
film. » Et ce qui m’a amusé, c’est le fait qu’il me propose
d’être un papa, d’être plus vieux que mon âge, d’avoir un
fils de quinze ans. Le tournage aura lieu en Normandie au mois de
juin. Pour un premier film, Michel Sardou ne fait pas
trop le difficile. Il faut reconnaître que l’histoire est un
peu cousue de fil blanc : François, un petit garçon de
cinq ans dont le père, Bernard (Michel Sardou), tient un
restaurant à Deauville, fait une fugue en compagnie de
Malène Dupuis, la fille d’une célèbre cantatrice. Les deux
enfants se réfugient dans le commissariat de la ville où
leurs parents angoissés les retrouvent avec soulagement.
Dix ans plus tard, François, devenu adolescent, atterrit
123
Michel Sardou
par hasard en parachute dans la propriété des parents de
Malène. Les deux jeunes gens se retrouvent le temps d’un
bal, puis se séparent lorsque les parents de Malène décident brusquement de partir pour la Camargue. François
décide alors d’accompagner son père et son épouse
pour retrouver la jeune fille. Tandis que Bernard organise une corrida en l’honneur de Malène, cette dernière
manque de se noyer dans le Rhône avant d’être sauvée
in extremis par Luc, un élégant jeune homme, qui aura
une aventure avec sa propre tante. François et Malène se
retrouveront à Paris, où la jeune fille accordera enfin un
premier baiser à son soupirant…
Bluette inutilement alambiquée, le film sera un échec
commercial complet. Comment le scénariste de certains
des plus grands films comiques français a-t-il pu se lancer
dans une aventure aussi clairement vouée à l’échec ?
Comment a-t-il pu accoucher d’un scénario aussi pathétiquement faible ? Un élément de réponse existe peut-être.
Le coscénariste du film, qui est également le producteur
et la personne qui a apporté l’idée de départ se nomme…
Marcel Dassault. Michel Sardou aurait-il mieux fait de
s’abstenir ? Rien n’est moins sûr. Il s’est fait plaisir. Jouer
la comédie reste un rêve. Et, au final, l’échec absolu du
film lui importe relativement peu ; il apprend. Cependant,
lorsqu’on lui demande si ses ambitions au cinéma sont
aussi grandes que pour la chanson, il répond :
— À partir du moment où je commence quelque
chose, j’essaie de fixer la barre le plus haut possible,
sinon, je ne le fais pas. Parce que si c’est uniquement
pour faire un passage et dire : « Excusez-moi, je fais ça
en passant », ce n’est pas intéressant, et ce n’est pas mon
genre. Non, je le fais parce que j’ai envie que ça marche.
J’ai envie de tourner d’autres films, et si possible, de
124
Sur grand écran
marcher très fort. Et pourquoi pas aussi fort que dans la
chanson. C’est l’avenir qui nous donnera les réponses,
mais je le fais en espérant sérieusement qu’il y aura par
la suite des personnages et des rôles importants. Il se souvient d’une expérience vraiment agréable. Il
a de plus été traité avec beaucoup d’égards :
— Ce qu’il y a de fou, c’est que le producteur, Marcel
Dassault, me traitait comme une star. Il m’a fait livrer
des dizaines de costumes alors que je ne porte qu’un
tablier dans le film. Parlant de Marcel Jullian, Michel Sardou se fait
presque poétique :
— Il écrit avec sa caméra, il oublie de dire moteur. Il
n’a pas de visée, il a un cœur. Et, revenant sur cette expérience, il avoue avoir beaucoup appris. La caméra de cinéma n’a rien à voir avec
celle de la télévision :
— Au cinéma on n’a pas le droit de regarder alors
qu’à la télé on est toujours plus ou moins pris de face. Et
puis, j’ai pris des tics : j’ai l’habitude de chanter dans
une certaine position. En fait, devant une caméra de télévision un chanteur n’est pas dirigé, il n’est pas mis en
scène. Il chante sa chanson, il est bon ou il est mauvais.
Au cinéma, on vous demande un regard, un certain geste,
une attitude, un étonnement, un rire. C’est très précis,
très différent. Michel a de toute façon d’autres chats à fouetter. Dès
le mois d’octobre, il prépare une nouvelle tournée pour
novembre et décembre. Auparavant, il fait baptiser ses
deux garçons, Romain et Davy, à l’église Saint-Thomasd’Aquin. C’est Mireille Darc et Alain Delon qui tiendront Romain sur les fonts baptismaux. Puis vient une
125
Michel Sardou
prépromotion pour la tournée avec un Grand Échiquier
consacré au chanteur. Michel est entouré de nombre de
ses amis et d’une quantité impressionnante de musiciens.
L’émission voit défiler Bernard Blier, Jacques Audiard,
Claude Lelouch. C’est un who’s who du showbiz qui se
retrouve sur le plateau de Jacques Chancel. Puis il est
temps de reprendre la route.
Après les succès de l’année 1981, Michel doit à présent
se remettre à l’écriture et retrouver les chemins des
studios. Rester une vedette nécessite d’être présent de
façon continue sur les ondes et dans les salles de concert.
En ce début de la décennie 1980, la musique occidentale
commence à se tourner peu à peu vers l’Afrique, préfigurant déjà ce qui deviendra la world music, mais elle le
fait de façon plutôt légère encore. Cependant, les thèmes
du continent noir deviennent de plus en plus à la mode,
sont de plus en plus présents. Johnny Clegg, artiste sudafricain, fait un carton avec son Scatterlings of Africa.
De son côté, Paul Simon lance son album Graceland et
en vend des millions à travers le monde. Les chansons
« Homeless » ou encore « Diamonds on the Soles of Her
Shoes » sont plébiscitées par le public. La France est elle
aussi prise par cette frénésie africaine. Rose Laurens
sort son (unique) tube « Africa » :
Je suis amoureuse d’une terre sauvage/Un sorcier
vaudou m’a peint le visage/Son gris-gris me suit au son des
tam-tam/Parfum de magie sur ma peau blanche de femme.
On ne peut pas dire que cet engouement nouveau pour
l’Afrique sorte beaucoup des clichés mille fois rebattus
du bon sauvage, des esprits et de la superstition… Quoi
qu’il en soit, cela fonctionne. Michel Sardou possède un
don pour humer la tendance, il est imprégné du monde
126
Sur grand écran
qui l’entoure et sent les grands thèmes qui se profilent à
l’horizon. Sans doute ne le fait-il d’ailleurs pas avec le
souci spécifique de plaire au public, mais, toujours en
éveil, il s’intéresse à ce qui émerge. Aussi, il « s’empare »
de l’Afrique et compose une chanson « géographique »,
moins caricaturale que celle de Rose Laurens.
Sur les étangs de Malawi/La nuit résonne comme un
signal/C’est pour une fille de Nairobi/Qu’un tambour joue
au Sénégal/Et de Saint-Louis à Yaoundé/Des lacs salés au
vieux Kenya/C’est tout un peuple qui va danser/Comme
s’il allait mourir de joie/Afrique adieu/Tes masques de
bois/N’ont plus dans leurs yeux/L’éclair d’autrefois.
Un peuple qui va danser comme s’il allait mourir de
joie… C’est certes réducteur, très cliché, mais le reste de
la chanson rend plutôt un bel hommage aux beautés de
l’Afrique, à sa nature. L’accueil du public est chaleureux.
La chanson trouve sa place au milieu des autres titres
dédiés au vaste continent. L’album contenant la très belle
« Afrique adieu » marche gentiment. Mais aucune autre
chanson n’est vraiment à la hauteur.
Et Michel Sardou de continuer sa route, où il lui
arrive parfois de croiser Johnny Hallyday. Il suffit que
les hommes se produisent dans deux villes pas trop
distantes l’une de l’autre pour qu’ils décident de se retrouver après le spectacle. Accompagnés de leurs équipes,
les deux hommes partent alors dans des soirées de fête
sans limites. Leurs récitals du jour suivant en pâtissent
quelque peu généralement, au grand dam des organisateurs des tournées… On appelle ça la vie d’artiste…
14
Où l’on croise Barbara,
Lénine et Sylvie Vartan
J
anvier 1983, ou comment l’on repart pour un tour.
Michel s’installe dans sa nouvelle maison, le Palais
des Congrès, pour une quarantaine de représentations.
Depuis qu’il a abandonné l’Olympia pour se consacrer
à des scènes permettant des shows plus spectaculaires,
Michel a littéralement campé dans la salle de la porte
Maillot. Et chaque nouvelle année, un nouveau spectacle. Plus de lumières, plus de nouveautés, une scène
mouvante, des innovations comme s’il en pleuvait. Et le
public semble ne pas se lasser de ces grands shows à
l’américaine qui pourtant peu à peu éloignent le chanteur de sa prestation. Nous n’en sommes pas encore là
en 1983 ; d’autres salles, d’autres délires de gigantismes
restent encore à venir. Le Palais Omnisports de Paris
Bercy n’existe pas encore, la soif d’emphase reste limi128
Où l’on croise Barbara, Lénine et Sylvie Vartan
tée aux possibilités qu’offre le lieu. Or, si le Palais des
Congrès est une salle extrêmement moderne, elle ne
permet pas les extravagances qu’abritera le POPB.
Le soir de la première, Michel fête ses 36 ans. C’est
encore presque un jeune homme, et pourtant il a déjà 15
ans de carrière derrière lui. Il a acquis l’expérience, et
la fougue reste intacte. Ce soir-là, à la fin du spectacle,
un énorme gâteau un peu kitsch en forme de Palais des
Congrès (on vous a dit kitsch !) l’attend, ainsi qu’une
cinquantaine de personnes parmi lesquelles se trouvent
les habitués Alain Delon, Mireille Darc ou encore Serge
Lama. L’immense Barbara, la femme en noir, est là
également. Elle viendra assister au spectacle pratiquement tous les soirs.
C’est une étrange amitié qui lie les deux artistes.
Barbara est une amie de la famille, mais c’est avant tout
une grande admiratrice de Michel. Sa manière d’aborder
la chanson est pourtant bien différente. Barbara, ce sont
des thèmes presque proustiens, susurrés d’une petite voix
haut perchée. La sobriété même. On ne comprend pas
totalement son admiration pour Michel. Mais la grande
Barbara restera toujours un mystère insondable. Et c’est
ce qui fait d’elle une artiste unique dans le paysage de la
chanson française. La dame en noir vient donc, presque
chaque soir, apporter une fleur pour que Michel la mette
à sa boutonnière. Elle se place ensuite quelque part en
coulisse et n’observe pas : elle écoute par le mouchard.
Elle prodigue des conseils au jeune chanteur qu’elle
couve d’un regard maternel. L’un des musiciens de
Michel Sardou raconte même qu’un soir, le chanteur,
sans doute un peu lassé de passer au scanner à chaque
fin de concert, l’envoie à sa place recueillir les critiques
et les conseils de la dame en noir. René Coll raconte :
129
Michel Sardou
— Un soir, Michel me fait appeler dans sa loge et me
présente Barbara : « Tu vas rester avec elle, me dit-il.
Vous allez dîner ensemble, moi je ne peux pas, je suis en
retard. Elle va te dire des tas de choses, écoute-la bien. »
Et Barbara, passionnée, me fait part de ses remarques
à propos du spectacle de Michel. Pendant deux heures,
un peu piégé, j’écoute ses suggestions exprimées en
toute simplicité. Le lendemain, Michel me dit : « Alors,
Barbara ? » Je lui fais part de toutes ses remarques.
Michel sourit. Bien entendu, il ne tient compte de rien.
Toujours à propos de Barbara, Michel Sardou aime
raconter une jolie anecdote qui le fait encore sourire : la
grande dame venait donc chaque soir dans sa loge, mais,
lorsque, après le spectacle, les invités et les amis venaient
féliciter le chanteur pour sa prestation, elle se refusait
à les rencontrer. Aussi, elle s’enfermait dans le placard
à costumes, assise sur une chaise, et restait là à écouter. Timidité, coquetterie ou bizarrerie ? Peu importe.
Le fait est qu’un soir Michel l’oublie. Or, elle insistait
pour que Michel ferme systématiquement le placard afin
qu’aucun invité ne puisse découvrir sa présence. Voilà
Barbara coincée au milieu des costumes de scène, dans
la loge de Michel qui ne s’aperçoit de son oubli coupable
qu’en arrivant à sa voiture. Il doit alors faire demi-tour et
expliquer longuement à un vigile particulièrement incrédule que Barbara, oui, la chanteuse, est enfermée dans
un placard, seule, dans le Palais des Congrès…
Les prochaines chansons que Michel va enregistrer
n’auront pas de réel écho. Il se rend à Los Angeles où il
enregistre trois morceaux en duo avec Sylvie Vartan. « Les
Balkans et la Provence », dont les paroles ont été écrites
par Sylvie Vartan elle-même, jouent sur l’idée du rappro130
Où l’on croise Barbara, Lénine et Sylvie Vartan
chement des origines des deux chanteurs. Les Balkans
pour Sylvie qui est bulgare, la Provence pour Michel, bien
entendu. Mais la chanson est une absolue guimauve, digne
des pires badinages de Stone et Charden. On attend mieux
et plus des deux stars que des vers comme :
Et si la mer Noire/Venait baigner les côtes de France/
Les Balkans seraient en Provence/Alors le Mistral/Au
Danube donnerait l’accent/Et la Provence serait aux
Balkans.
La chanson donne dans la facilité la plus totale et
manque, c’est le moins qu’on puisse dire, de l’épaisseur
nécessaire au succès. Les deux derniers titres sont signés
par un trio pourtant habituellement redoutable : Sardou,
Revaux, Delanoë.
Mais l’inspiration n’est pas là non plus. « La première
fois qu’on s’aimera » ne fait guère mieux que le pont
bancal entre les Balkans et le sud de la France :
La première fois qu’on s’aimera/Tu te rappelles ?/
Celui de nous deux qui rira/Perdra son ciel/Au fond de
la nuit la plus longue/Pour effacer le temps perdu/On
s’aimera comme si l’amour n’existait plus.
La troisième et dernière chanson, intitulée
« L’Atlantique », ressemble à s’y méprendre aux niaiseries que pourront chanter plus tard Roch Voisine ou
David et Jonathan :
Il est midi à Paris et toi tu dors encore/A Cold Canyon
Water LA/Il est midi à LA/Et toi tu entres en scène/Sur
les bords de la Seine, Paris/Nous vivons des deux côtés
d’un monde/À dix heures d’écart entre hier et demain/
Deux degrés, vingt minutes et quatorze secondes/C’est
l’histoire du méridien.
Les chansons sont classées au hit-parade RTL, mais,
et cela semble logique, le public boude un peu. Il s’attend
131
Michel Sardou
à beaucoup mieux. « Les bénéfices, ça se divise, la réclusion, ça s’additionne », dit Jean Gabin dans Le cave se
rebiffe. On pourrait reprendre la formule : la notoriété, ça
se divise, le ridicule, ça s’additionne. Le fait que les deux
chanteurs soient d’immenses vedettes ne multiplie par
leurs ventes par deux. Et, en l’espèce, on le comprend.
Tout le monde peut avoir un moment de faiblesse
et, en l’occurrence, Michel Sardou est déjà passé par
là. L’inspiration n’est pas toujours au rendez-vous. La
machine tourne un peu à vide, mais il faut produire, il
faut alimenter la machine à sons et à images.
Les radios, qui tournent jour et nuit et se sont multipliées depuis la libéralisation des ondes en 1981, ont
besoin de toujours plus de musique. Alors, on fabrique,
quitte à ce que cela ne signifie rien. Et puis, peut-être
le trio que forment Sardou, Revaux et Delanoë est-il en
train de s’épuiser quelque peu. Les trois compères ont
peut-être besoin de sang neuf. C’est alors que Jacques
Revaux fait appel au compositeur Jean-Pierre Bourtayre
qui a énormément travaillé avec Claude François et dont
il a signé de nombreuses musiques. Les quatre hommes
décident d’aller passer quelque temps dans la résidence
de Jacques Revaux, près de Chambord.
C’est là que va prendre forme un nouvel album, où
Sardou retrouve la veine combattante qu’il avait quelque
peu mise de côté durant les années précédentes.
Nous sommes en 1983. Le nouveau pouvoir a deux
ans et déjà Napoléon pointe sous Mitterrand. La France
est déçue. L’immense espoir qu’avait suscité l’arrivée
au pouvoir d’un gouvernement socialiste est en train de
s’écrouler, miné par une crise économique sans précédent, directement issue des deux chocs pétroliers des
années 1970. Le chômage est au plus haut, les grandes
132
Où l’on croise Barbara, Lénine et Sylvie Vartan
industries ferment, les investisseurs effrayés par les
nouveaux maîtres du pays vont voir ailleurs si leurs capitaux seront mieux soignés, ou en tout cas moins taxés.
Bref, c’est une France morose qui a peur pour son avenir,
avenir qu’elle voit noir, bouché. L’air du temps est à une
forme de peur résignée.
Rigolez pas mes camarades/La débandade/C’est
pour demain.
Voilà ce qu’écrivent Sardou et Delanoë dans une
chanson qui parle du mécontentement grandissant de la
foule. Rappelons que Pierre Delanoë, homme de droite
convaincu, figé dans un gaullisme d’un autre âge, a vu
l’arrivée des socialistes au pouvoir comme une catastrophe absolue. La peur de voir les chars soviétiques
entrer dans Paris a probablement hanté ses nuits. D’où
sans doute cette chanson qui sonne comme un avertissement, un appel, une urgence :
Il y a dans les années qui viennent/Comme un retour
au vent d’histoire/Un vieux partisan dans la plaine/
Croissant de lune et drapeau noir/Le vent ne sait plus où
il souffle/Ça tourbillonne ça rend colère.
La chanson sera prise par les partisans de la droite
française comme un texte appelant à un renouveau, un
regain de combativité. Comme si Michel Sardou battait
le rappel des troupes. Pourtant, le texte, et c’est là toute
sont habileté, pour ne pas dire son paradoxe, fait appel
à de nombreux termes révolutionnaires, de gauche par
excellence.
Le vent d’histoire a clairement une connotation purement marxiste, le partisan est une figure de la révolution russe ou de la résistance communiste au nazisme,
le drapeau noir nous parle d’anarchie… On peut encore
citer les barricades, la lanterne (qui rappelle évidemment
133
Michel Sardou
le Ça ira de la Révolution française, dont la gauche est
encore entièrement dépositaire à cette époque). Bref,
Sardou et Delanoë parviennent à écrire une chanson
de gauche, en utilisant en tout cas la rhétorique, pour
fustiger la gauche. Étrange paradoxe, donc. Mais « La
débandade » n’est pas la chanson la plus surprenante. Un
autre texte, sans doute encore plus puissant, encore plus
réussi, vient compléter cette « Débandade ». Il s’agit de
« Vladimir Ilitch ». Une chanson en hommage à Vladimir
Ilitch Oulianov, dit Lénine, figure de proue de la révolution bolchevique de 1917. Sardou chante Lénine ! Sur des
paroles de Delanoë ! Ils sont plus d’un à en être tombés
de leur chaise. La chanson a d’ailleurs une histoire
assez étonnante, puisque l’idée viendrait, semble-t-il, du
nouveau venu dans la bande, Jean-Pierre Bourtayre. Le
compositeur raconte que, lors d’un dîner avec Revaux,
Sardou et Delanoë, dans la maison de Chambord, il leur
parle d’un documentaire vu à la télévision sur le soulèvement de Prague au printemps 1968. L’idée fait son
chemin, et bientôt les quatre hommes accouchent d’une
chanson. C’est en tout cas la version de Bourtayre :
— Ce jour-là, j’apporte l’idée de la chanson sans
m’en rendre compte. On parle de tout et de rien et, à un
moment donné, je leur fais part d’une chose qui m’avait
frappé dans un reportage à la télévision, à propos de la
révolution de Prague. J’avais raconté ce que j’avais vu,
à la fin du film, un graffiti écrit en tchèque. La traduction était : « Lénine, relève-toi, ils sont devenus fous ! »
Et j’avais trouvé ça magnifique. Ce pays qui avait été
« russe » voyait d’un seul coup ses frères arriver avec des
tanks et leur tirer dessus. Et un Tchèque avait écrit ces
mots sur un mur. Quand Michel et Pierre les ont découverts, ils ont dit : « Holà, on en fait une chanson ! » Je
134
Où l’on croise Barbara, Lénine et Sylvie Vartan
n’avais pas pensé une seconde qu’on pouvait écrire une
chanson avec ça… Et quelle chanson… Elle parle d’espoirs déçus, d’un
idéal magnifique perdu dans les labyrinthes de la paranoïa et de la bureaucratie :
Où sont passés les chemins de l’espoir ?/Dans quelle
nuit au fond de quel brouillard ?/Rien n’a changé : les
damnés de la Terre/N’ont pas trouvé la sortie de l’enfer/
Toi qui avais rêvé l’égalité des hommes/Tu dois tomber
de haut dans ton éternité/Devant tous ces vieillards en
superbe uniforme/Et ses maisons du peuple dans des
quartiers privés.
La chanson est à rapprocher de « La Débandade »,
cela semble évident. Mais, là encore, si l’on met les
deux textes bout à bout, on pourrait penser qu’il s’agit
de chansons écrites par de jeunes trotskistes qui ne se
reconnaissent pas dans l’échec de la gauche française ou
dans les dérives de la révolution russe.
La chose est vraiment surprenante. Cependant,
aucune des deux chansons ne tranche véritablement,
pas d’affirmation réelle, chacun y trouve ce qu’il veut y
trouver, et c’est sans doute la raison de leur succès. Une
troisième pièce constitue le dernier pilier de l’album que
Michel Sardou sortira sous le nom de Vladimir Ilitch. Il
s’agit de « L’an mil ». Un texte aux forts accents épiques
et apocalyptiques qui va clairement chercher sa source
dans l’imaginaire du peintre Jérôme Bosch. Michel
Sardou écrit ce petit bijou d’intelligence avec Pierre
Barret. De toute façon, Michel n’aime pas écrire seul :
— Si j’ai choisi d’écrire à deux, c’est uniquement par
fainéantise.
Pourtant, écrire à deux l’oblige à batailler. Justement,
sur « L’an mil », il raconte :
135
Michel Sardou
— Barret n’approuva jamais ces « milliers de races
humaines ». Des milliers d’hommes, oui, des races
différentes, oui, mais une seule race humaine. J’eus beau
invoquer la rime intérieure et la sonorité, il me reprocha
de ne pas avoir fait l’effort de trouver le mot juste. Plus tard, il reviendra sur ce besoin d’écrire en collaboration :
— Dès qu’une chanson devient technique, j’ai besoin
d’aide. Quand j’écris en liberté, en six, en huit, en neuf
ou en douze pieds, tout va bien. Par contre, quand il faut
une combinaison plus complexe pour que ça colle à la
musique, je ne sais plus le faire. Et parfois, il faut changer ma coupe pour que la musique soit plus forte. C’est là
que les techniciens comme Delanoë sont utiles.
Le texte de « L’an mil » est plein d’emphase, l’orchestration est à l’avenant, puissante et grandiloquente. On
suppose que, lorsqu’ils l’écrivent, les auteurs pensent
déjà à la scène et au décor qu’ils pourront planter. « L’an
mil » a des airs de superproduction hollywoodienne.
Mais là encore, c’est un texte alarmant, crépusculaire :
Des cathédrales crevant le ciel comme des épées/
Des forêts noires que des sorcières ont envoûtées/Des
chevaux fous et des milliers de races humaines/Lancés
sur nous, du plus profond de la Bohême/Des crucifix
dressés pour garder les campagnes/Des abbayes posées
au sommet des montagnes/Des rois enfants conduits par
des femmes inhumaines/Des rois méchants, soufflant la
fureur et la haine.
La couleur que donnent ces trois chansons à l’album
reflète sans doute l’époque. Qui, comme nous l’avons
dit précédemment, est à l’inquiétude et à la grisaille.
L’Europe entière est en pleine déconfiture économique,
Margaret Thatcher et Ronald Reagan ont réussi à impo136
Où l’on croise Barbara, Lénine et Sylvie Vartan
ser leur vision du politique, un monde gouverné par et
pour la finance, laissant sur le côté les masses, la maind’œuvre devenant une variable comme une autre. Très
visiblement, un monde, celui de l’ère industrielle, est
en train de mourir, et avec lui toute une culture. Cette
révolution se fait dans la douleur pour des centaines de
milliers de personnes à travers le monde occidental.
C’est sans aucun doute cette couleur du temps que
donne à voir l’album. Mais Michel Sardou, contrairement à ce qu’il a pu faire précédemment, ne s’attaque pas
directement aux problèmes, il prend de la hauteur, donne
une vue d’ensemble qui fait froid dans le dos.
Si l’on n’imagine pas que l’homme ait « pensé » son
album en amont pour en faire ce qu’il est devenu, le
constat d’une société qui semble courir à sa perte, qui
a perdu ses idéaux et a une peur panique de l’avenir, on
voit ici cependant l’incroyable intuition du bonhomme.
Sardou est une éponge (même si le terme a quelque chose
d’un peu ingrat) qui « sent » le monde et qui, avec plus
ou moins de bonheur, le restitue dans ses chansons.
Et il est souvent en phase avec ce que peut ressentir
son public, il touche juste.
15
Le chemin de Dakar…
et des écoliers
L
’album Vladimir Ilitch marque l’année 1983 et
trouvera un écho dans les années à venir. La
chanson-titre comptera parmi celles de Michel Sardou
qui traverseront les années. On frissonne encore près de
30 ans plus tard en entendant évoquer les « wagons blindés » dans lesquels a voyagé Vladimir Ilitch Oulianov.
Michel Sardou est à présent attiré par une nouvelle
aventure. Lui, le boulimique de sensations fortes et
d’émotions, s’est pris de passion pour la course automobile. Aucune commune mesure avec la descente du
Colorado qu’il avait entreprise en compagnie de Johnny
Hallyday.
Là, c’est du sérieux. Michel s’engage dans le rallye
Paris-Dakar créé quelques années plus tôt par Thierry
138
Le chemin de Dakar… et des écoliers
Sabine. La première édition de la course eut lieu en 1979,
deux ans après que son inventeur se fut perdu dans le
désert (lors de la course Abidjan-Nice, où il courait à
moto). Thierry Sabine décida que c’était un bon endroit
pour organiser un rallye. Quelques années plus tard, la
course était devenue une institution. Le rallye ParisDakar est une course dangereuse. En effet, les conditions
de navigation dans le désert sont parfois difficiles lorsque
l’harmattan, ce vent venu de l’est du Sahara, se lève, les
traces sur la piste s’effacent et les repères disparaissent.
Il n’est rien de plus facile que de s’égarer. Pourtant, de
nombreux amateurs sont présents sur la ligne de départ
aux côtés des grandes écuries.
En ce début des années 1980, le « Dakar » apparaît
comme l’aventure ultime offerte à l’homme occidental.
Quoi de plus excitant pour quelqu’un comme Michel
Sardou ? Il s’aligne sur une Lada aux côtés d’un pilote
d’expérience, Jean-Pierre Jabouille. Michel sera son copilote. Le tracé du rallye fait rêver : Algérie, Niger, Burkina
Faso, Sierra Leone, Côte d’Ivoire, Guinée et finalement
Sénégal. Et un immense désert de dunes à traverser. Le
rêve, tout simplement. Jabouille et Sardou prennent un
excellent départ et font une très belle course. Lors des
premières étapes, leur place au classement général est
plus qu’honorable.
Mais, lors de la septième étape, qui relie Dirkou à
Agadez au Niger, 617 kilomètres de spéciale, la voiture
de Sardou et Jabouille casse. Ennui mécanique, véhicule
totalement irréparable. Les deux hommes doivent en
rester là, mais Michel en gardera malgré tout un souvenir émerveillé.
Les bivouacs dans le désert africain, la camaraderie
entre tous ces hommes, l’adrénaline qui court dans les
139
Michel Sardou
veines à chaque virage, à chaque perte de repère. Bref,
c’est une expérience si puissante que Michel décide qu’il
lui faudra recommencer. Il s’alignera à nouveau l’année
suivante.
De retour à Paris, Michel Sardou se voit proposer par
Gérard Jourd’hui la présentation de la fameuse émission
La Dernière Séance habituellement animée par notre
Monsieur Eddy national.
Eddy Mitchell étant indisponible pour raison de tournage (en effet, il enchaîne À mort l’arbitre avec JeanPierre Mocky, puis Attention une femme peut en cacher
une autre de Georges Lautner), ce sera donc Michel
Sardou qui prendra la relève. Un bonheur pour ce féru de
cinéma. Il s’en tirera très honorablement avant de rendre
son fauteuil rouge à son propriétaire légitime.
À la fin du printemps 1984, Michel Sardou sort un
nouvel album intitulé Délire d’amour. Une chanson va,
encore une fois, défrayer la chronique et lui attirer de
nouveau l’inimitié de la gauche, sans doute trop heureuse
de retrouver le chanteur dans la peau de l’ennemi.
La grande loi sur l’enseignement public qui va inspirer Michel Sardou, mais surtout provoquer d’énormes
manifestations dans toute la France, faisait partie des 110
propositions établies par François Mitterrand dans son
programme pour la campagne présidentielle.
Le projet de loi, nommé loi Savary, du nom du
ministre ayant pour tâche de la mettre en place, est assez
complexe.
Elle cherche à définir un service public unifié et laïc
de l’Éducation nationale. L’une des mesures phares de ce
140
Le chemin de Dakar… et des écoliers
projet de loi consistait à intégrer dans la fonction publique
les enseignants de l’école privée. Les tenants de l’école
dite « libre » y voient une perte de leur indépendance et
une tentative de mainmise de l’État sur leurs affaires.
Le projet de loi est adopté en janvier 1984. Un mouvement de contestation sans précédent va alors se manifester.
C’est, pour une droite française totalement KO depuis
la présidentielle, l’occasion de se rassembler pour mener
un combat qu’elle pense juste.
Les débats sont incroyablement passionnés, la France
entière est préoccupée par le sort de son école, et les
visions très antagonistes au cœur même de la France sur
ce que doit être l’enseignement réactivent des clivages
forts droite/gauche.
Une manifestation rassemblant les opposants à la loi
est fixée pour la date du 24 juin 1984. La veille, Michel
Sardou est l’invité de Michel Drucker. Il doit y chanter sa
dernière création, intitulée « Les deux écoles ».
Sardou s’avance sur la scène. Jean, chemise blanche,
veste bleu ciel, un air de décontraction. Puis il commence
à chanter avec une douceur inhabituelle :
J’ai eu l’instituteur qui, dans les rois de France/N’a
vu que des tyrans aux règnes désastreux/Et celui qui
faisait du vieil Anatole France/Un suppôt de Satan parce
qu’il était sans Dieu/J’ai fait les deux écoles et j’ai tout
oublié/La nuit des carmagnoles, la fin des Assemblées/
Les dieux de l’Acropole et les saints baptisés/J’étais des
deux écoles et ça n’a rien changé.
Sardou, la veille d’une manifestation qui promet
d’être un gigantesque événement, chante un plaidoyer
pour le respect mutuel. La chanson ne prend pas parti.
141
Michel Sardou
Il renvoie les deux systèmes dos à dos. La chanson ne
demande finalement qu’une chose, c’est que le système
ne change pas et que l’on garde le statu quo :
Cette sacrée République qui dit oui, qui dit non/
Fille aînée de l’Église et de la Convention/Elle serait
bien heureuse que ses maîtres la laissent/Libre de faire
l’amour et d’aller à la messe.
Bien entendu, décider de ne pas défendre un côté
plutôt que l’autre c’est, en creux et en douceur, s’opposer au projet de loi du gouvernement Mitterrand. Michel
Sardou sera d’ailleurs du nombre des manifestants le
lendemain, aux côtés des ténors de la droite : Simone
Veil, Jacques Chirac, Pierre Chaban-Delmas et même
l’ancien président Valéry Giscard d’Estaing.
Deux millions d’opposants à la loi se pressent dans la
rue, selon les organisateurs, 500 000 selon la police. On
a bien affaire à un mouvement de contestation de grande
ampleur.
Au point que, le 14 juillet suivant, François Mitterrand
annoncera lui-même à la télévision le retrait du projet de
loi. Alain Savary, le ministre de l’Éducation, et Pierre
Mauroy, le Premier ministre, apprennent cette décision
présidentielle par la télévision. Ils présenteront leur
démission dès le lendemain. Laurent Fabius, moins à
gauche que Pierre Mauroy, prendra alors la tête d’un
nouveau gouvernement.
« Les deux écoles » n’ont pas fait chuter Alain Savary,
c’est tout à fait clair. Cependant, interpréter cette chanson à une heure de grande écoute, dans une des émissions les plus populaires du paysage audiovisuel, n’a-t-il
pas eu un impact sur le nombre de personnes descendues
dans la rue le lendemain ?
142
Le chemin de Dakar… et des écoliers
Michel Sardou hausserait sans doute les épaules
en émettant un grognement inaudible devant une telle
supposition. Pourtant, sa popularité est telle à cette
époque qu’on ne peut imaginer que, du moins dans l’inconscient collectif, il n’a pas joué un rôle, fût-il mineur.
On lui reprochera sa position d’ailleurs. Il s’exprimera à
ce sujet dans la presse en disant :
— Je suis pour toutes les libertés. Écoutez bien les
paroles que je viens de faire avec Delanoë, je ne prends
aucun parti. Je ne suis ni pour ni contre l’une ou l’autre
des « deux écoles », je veux être propriétaire de mes
gosses, je veux pouvoir choisir de les mettre chez les
frères – ce qui ne sera certainement pas le cas, les curés
m’emmerdent profondément – ou à l’école communale –
ce qui est le cas où ils sont très heureux. Qu’est-ce que
c’est que ce bordel, cet État dans ma vie privée ? Que
l’État ne se mêle pas de ce que je fais, de ce que je baise,
de ce que je mange, de ce que j’enfante, de ce que je
reconnais. Que l’État s’occupe de l’État, point final.
Le dernier opus de Michel Sardou comporte également une chanson qui vient comme un écho ou plutôt
comme une parfaite contradiction avec la chanson « Être
une femme », immense succès déjà évoqué.
Michel Sardou et Pierre Delanoë commettent un
nouveau texte évoquant la féminité, mais cette fois-ci
sur un mode ouvertement machiste. « Une femme ma
fille » évoque assez lourdement la position de la femme
par rapport à l’homme ; elle se doit d’être son refuge, sa
douceur, son soutien.
Si tu peux supporter l’idée qu’il est plus fort/Pas
dans les joies du cœur mais dans les jeux du corps/Pour
te désaltérer à la même fontaine/Si tu peux rapprocher
143
Michel Sardou
ton âme de la sienne/Si tu sais te servir de ta beauté ma
belle/Et pour lui faire plaisir t’encombrer de dentelles/
Si le goût de tes nuits a celui des baisers… Etc. La
chanson se terminant par : Tu seras une femme, ma
fille, en hommage à Rudyard Kipling et à son célébrissime poème : Tu seras un homme, mon fils. Difficile de
comprendre ce qu’ont voulu faire là les deux paroliers.
Contrebalancer l’image de la femme donnée dans « Être
une femme » ? Écrire une chanson plus conforme à leur
vision de la féminité ? Le mystère reste entier, mais la
chanson alimente comme il se doit les accusations de
machisme portées à l’encontre de Michel Sardou. Il tente
d’expliciter sa position :
— J’ai toujours aimé et considéré les femmes. Mais
pas uniquement pour les filer dans un pieu et en prendre
du plaisir. Jamais de la vie ! Ni uniquement comme des
matrices, des machines à mettre des enfants au monde,
bien sûr que non ! Je trouve le système arabe choquant et
lamentable : une femme a autant le droit qu’un homme
d’ouvrir sa gueule, de donner son opinion et de voter.
J’estime seulement qu’il y a des domaines qui appartiennent par tradition aux hommes et où les femmes n’ont
pas intérêt à mettre les pieds. Parce que ce n’est pas leur
raison d’être, c’est tout. Il n’y a, pour moi, ni supériorité
ni séparation : un homme et une femme, c’est le complément parfait, absolument indispensable l’un à l’autre. Il n’est pas tout à fait certain qu’avec ce genre de
déclaration Michel Sardou ait vraiment convaincu les
féministes. On imagine qu’il s’en fout d’ailleurs.
1984 sonne également la fin de l’orageuse collaboration entre Michel et Pierre Delanoë. Après de nombreuses
brouilles, d’aussi nombreuses réconciliations, de fantas144
Le chemin de Dakar… et des écoliers
tiques chansons et de merveilleux navets, les deux
hommes arrivent au bout de leur parcours commun. La
dernière chanson qu’ils écriront ensemble s’appellera :
« Dans ma mémoire elle était bleue ».
Une nouvelle chanson à caractère géographique, mais
qui manque de consistance, un texte fourre-tout qui rate
ses évocations des merveilles exotiques.
Un romantisme à la petite semaine qui manque d’ampleur, de souffle.
Dans ma mémoire/La croix sur la baie de Rio/Les
nuits gitanes de Bilbao/Ce roman noir/Écrit à deux/Dans
ma mémoire/Il était bleu/L’oiseau sacré l’oiseau géant/
Qui passait dans mon ciel d’enfant/Dans ma mémoire il
était bleu.
La musique ne vient pas au secours des paroles, elle
est « en dessous », manque de l’éclat indispensable pour
soutenir un texte de ce type.
À partir du mois d’octobre, Michel entame une
nouvelle tournée-marathon qui le conduira à travers la
France pendant presque deux mois. Spectacle toujours
gigantesque, éprouvant pour lui et ses musiciens.
Musiciens avec lesquels Michel joue depuis maintenant
huit ans.
Sardou, à cette occasion, décide de se séparer d’eux :
il est temps de passer à autre chose, pour lui comme pour
les gens qui l’accompagnent.
Une trop longue collaboration finit par donner des
automatismes, permet d’avoir des spectacles parfaits sur
le plan de la technique, mais, les années passant, la fraîcheur s’émousse.
Et puis Michel Sardou a une idée qui lui trotte dans la
tête depuis quelque temps…
145
Michel Sardou
Fin de la tournée le 29 novembre. Michel se prépare
pour son deuxième rallye Paris-Dakar, qui sera également le dernier. Il fait de nouveau équipe avec Jean-Pierre
Jabouille. Départ sur les chapeaux de roue, mais, tout
comme l’année précédente, les deux pilotes ne peuvent
arriver au bout de l’aventure.
Une petite déception qui n’entache en rien son bonheur
d’avoir de nouveau vécu la merveilleuse aventure du
désert. Le Ténéré lui inspirera d’ailleurs une chanson qui
deviendra un immense succès…
16
Musulmanes
L
’album Délire d’amour marche bien, très bien
même, en ce début d’année 1985. La chanson « Io
Domenico » se hisse en tête du hit-parade de RTL au
mois de mars. Michel, pour sa part, est encore une fois
sur scène, toujours au Palais des Congrès. Le public a de
nouveau droit à un très grand et très beau spectacle. De
magnifiques tableaux accompagnent chacune des chansons. Michel, toujours aussi boulimique de scène, occupe
la salle de la porte Maillot du 6 février au 28 mars. Il a
changé de musiciens et également de style un peu. Il entre
sur scène, toujours très sobre, mais portant un spencer
(très en vogue en ce milieu des années 1980) agrémenté
de galons dorés. À l’époque, c’est du meilleur goût…
Dix-sept des chansons qu’il interprète sur scène ont
été coécrites avec Pierre Delanoë. Ses plus beaux succès
jusqu’à présent sont marqués par cet homme avec qui il a
toujours entretenu une relation compliquée.
147
Michel Sardou
Un peu plus tard, le 20 mai, Michel Sardou est élevé
au rang de Chevalier des Arts et des Lettres. Une jolie
décoration à mettre sur son veston. On aurait pu supposer l’homme peu sensible à ce type d’honneurs, mais
il est vrai que c’est une forme de reconnaissance. Arts
et Lettres… Pour un chanteur de variété, un chanteur
populaire, bien loin du milieu intellectuel, cela a peutêtre un léger goût de revanche.
Autre expérience pour Michel : l’animation d’une
émission de radio sur RMC, tous les matins à partir de la
rentrée 1985. Ce qui ne l’empêche pas de maintenir le cap
et de reprendre le chemin des studios pour enregistrer un
nouvel album : Sardou, tout simplement. Un morceau
coécrit avec Jean-Loup Dabadie va nettement sortir du
lot. « Chanteur de jazz » remporte tous les suffrages.
J’ai marché Madison la Cinquième et Central Park/
Le ciel crachait des bouffées de havane/Les bateaux de
l’Hudson formaient sur l’eau comme un arc/Ils remorquaient comme une barque Manhattan/Des voiturestéléphones aux vitres aveuglées/Passaient dans la fumée
des chicanes/Un orchestre mendiait sous les sabots d’un
cheval/Du vieux héros général Sheridan.
Une belle évocation de l’Amérique, au rythme enlevé
et dont le titre n’est pas sans rappeler « La boîte de jazz »,
l’immense succès de Michel Jonasz, sorti quelque temps
auparavant. Michel Sardou et sa capacité à saisir l’air du
temps… L’année 1985 se termine sur une suite ininterrompue d’apparitions télévisuelles pour promouvoir le
dernier opus. Puis s’ouvre une nouvelle année et, par
conséquent, une nouvelle tournée. Michel s’attelle aux
répétitions dès les premiers jours de 1986 pour préparer
au mieux sa série de 50 concerts entre la fin février et la
148
Musulmanes
fin mars. En tout, quatre mois de travail acharné pour
donner au public un spectacle renouvelé chaque fois. Les
rythmes des tournées sont incroyablement soutenus. Une
journée de repos toutes les quatre ou cinq dates, autant
dire pas de repos réel. Michel encaisse, mais ces longues
semaines sur la route sont particulièrement éprouvantes.
Puis, la tournée terminée, il faut reprendre la plume,
arranger, enregistrer. En cette année 1986, alors que
s’est définitivement coupé le lien qui l’unissait à Pierre
Delanoë, Michel doit écrire seul, un peu, puis avec Didier
Barbelivien. Une collaboration qui perdurera d’ailleurs
dans le temps et qui marquera une forme de déclin dans
la carrière de Michel Sardou.
Didier Barbelivien étant à Bertrand Delanoë ce que
Maurice Carême est à Victor Hugo.
Mais l’heure du déclin n’a pas encore sonné. Michel
Sardou a retiré de belles sensations et de grandes
émotions de sa rencontre avec le désert du Ténéré. Ces
voyages au cœur des dunes écrasées de soleil l’ont largement inspiré. Il prépare la chanson qui sera l’apex de sa
carrière. Il s’agit de « Musulmanes » :
Le ciel est si bas sur les dunes/Que l’on croirait
toucher la lune/Rien qu’en levant les bras/Comme un
incendie sous la terre/Les aurores ont brûlé les pierres/
Blanchi les toits de Ghardaïa/Voilées pour ne pas être
vues/Cernées d’un silence absolu/Vierges de pierre au
corps de Diane/Les femmes ont pour leur lassitude/Des
jardins clos de solitude/Le long sanglot des musulmanes.
Des paroles inspirées qui possèdent la puissance des
meilleurs textes écrits avec Pierre Delanoë. On pense
aux « Lacs du Connemara ». Avec intensité et profondeur, Michel Sardou chante sur fond de youyous la gran149
Michel Sardou
deur et la rudesse de la vie du désert. Le contexte politique de la France amène le public à se demander si le
morceau répond à l’actualité. Rappelons que la capitale a
été durement touchée par des attentats islamistes, et que
la tension est à son comble. À cela, Michel répond :
— Je n’ai pas du tout pensé à l’actualité en faisant ça.
J’ai choisi le côté éternel. L’actualité, par exemple les péripéties entre la France et le Liban, c’est éphémère ; alors
que la femme musulmane a un côté éternel. J’appelle ça
des chansons de voyage, des chansons géographiques.
Ça n’a pas d’âge. Ça ne bouge pas. En fait, une chanson
réussie, c’est une chanson qui n’a pas d’âge.
La chanson fera la carrière que l’on sait… Michel
Sardou sera gratifié d’une Victoire de la musique en
1987, et un superbe clip réalisé par Philippe Bensoussan
viendra magistralement parachever cette réussite totale.
Comme un bonheur ne vient jamais seul, Michel
Sardou se voit offrir un nouveau rôle pour le grand écran.
Sans doute plus conforme à sa personnalité ou tout du
moins à ce qui s’en dégage. Il jouera le rôle principal
d’un film policier intitulé Cross, où il partagera l’affiche
avec Roland Giraud et Marie-Anne Chazel.
Thomas Crosky, alias Cross (Michel Sardou), est un
flic solitaire, plutôt cow-boy, mal aimé de ses collègues
de la criminelle. De plus, il n’est pas également apprécié
de sa femme Catherine (Marie-Anne Chazel), qui s’est
séparée de lui. Après s’être débarrassé de deux kidnappeurs, Cross reçoit pour mission de surveiller Eli Cantor
(Roland Giraud) : l’homme, venu séjourner à Paris, est
un tueur à gages mondain très connu des services de
police. Mais cette nouvelle mission ennuie Cross.
150
Musulmanes
Au même moment, Simon Lenhardt (Patrick
Bauchau), un dangereux criminel condamné après avoir
été arrêté par Cross, s’évade de l’hôpital psychiatrique en
compagnie de quatre tueurs psychopathes.
Le soir, chez lui, un message l’attend sur son répondeur. Simon est chez sa belle-mère et a pris en otages
Catherine, l’épouse de Cross, Leslie (Andrea Ferraz), sa
petite fille, ainsi que la belle-sœur du policier. Le dangereux criminel lui propose un marché : la vie de sa fille
contre un camion plein d’armes, avant le jour. Lâché par
son collègue, Cross a recours à Eli Cantor qui accepte de
le débarrasser des cinq types. Mais, dans la maison, ils
ne trouvent que la mère de Catherine. Les cinq malfrats
sont dans l’hôtel où avait eu lieu l’arrestation de Simon.
Dans l’immense établissement aujourd’hui en ruine,
Cross et Eli tâtonnent. Au quatrième étage, la tension
monte entre les adultes, mais Leslie n’est pas impressionnée. Eli remplit le cinquième de son contrat avec habileté, mais non sans bruit. Alertés, Simon et trois de ses
acolytes partent à la recherche de Cross. Dans les longs
couloirs à angle droit de l’hôtel plongé dans l’obscurité,
les hommes se guettent tandis que Catherine, après avoir
tué leur seul gardien, s’échappe avec sa fille. Eli, malgré
sa maestria, est très grièvement blessé, et Simon, après un
dernier duel avec Cross, se suicide. Dans le petit matin,
alors que surgit la police, sortent de l’hôtel Catherine et
Leslie, suivies de Cross.
Michel se rend donc à Estoril, au Portugal, pour
tourner avec Philippe Setbon, dont c’est le premier
long-métrage en tant que réalisateur. L’ambiance sur le
tournage est plutôt bonne. Techniciens et acteurs sont
heureux de travailler avec Michel qui s’avère un déli151
Michel Sardou
cieux compagnon, tout à fait à l’aise sur un plateau de
tournage. C’est une belle expérience pour le chanteur,
même si le film est plutôt très moyen et n’a d’ailleurs pas
tellement de succès. On compte environ 50 000 spectateurs en région parisienne pour la courte carrière de
ce polar un peu téléphoné. Mais la prestation de Michel
Sardou est assez remarquée. Il s’en tire plutôt bien même
s’il affirme :
— Je ne me sentais pas concerné. Et surtout, je ne
sentais pas le public. Il ajoute, comme pour se dédouaner :
— C’était un polar un peu étriqué. J’aurais dû être plus
vigilant. Mais à être trop difficile, on ne fait jamais rien.
[…] Si j’avais attendu qu’un type comme Orson Welles
vienne me chercher, je n’aurais pas joué avant vingt ans !
Michel Sardou n’hésitera pas au passage à égratigner la production et la réalisation, voire le scénario. En
parlant de son camarade Roland Giraud, il dit :
— Il jouait à contre-emploi total, dans le rôle d’un
tueur à gages, méchant et dur. Forcément, quand on a été
mis face à face, tout le monde s’est marré ! Donc on a
modifié les personnages. Le producteur en prend également pour son grade :
— C’était un épicier, un homme pour qui je n’ai aucun
respect. Il n’est même pas venu sur le tournage. Il ne s’en
est même pas soucié, ce qui me tue ! Et en plus, ce grand
con ne m’a toujours pas payé ! Michel Sardou a certes apprécié jouer la comédie,
mais il aurait vraiment préféré que les décideurs se
comportent autrement.
Il dénonce notamment l’attitude qui consistait à
mettre Sardou en tête d’affiche et à considérer que cela
suffirait à faire venir le public :
152
Musulmanes
— J’ai porté à bout de bras l’affiche d’un film parce
que les gens ont cru faire une bonne affaire en s’imaginant que le public du Palais des Congrès allait venir au
cinéma. Ce n’est pas vrai, ils n’en ont rien à foutre ! Et pour finir, c’est au tour du réalisateur lui-même de
se faire écharper :
— Nous n’étions pas dirigés. Cross était son premier
film, et il était son premier spectateur. Il regardait la
machine tourner, presque ébahi d’en être le metteur en
scène. Du coup, Michel juge un peu sévèrement sa prestation, mais il l’explique justement par le fait que le metteur
en scène ne donnait aucune directive :
— Au bout d’un moment, on te file un blouson, tu as
un revolver… Et tu joues la scène tout seul. Tu mets le
revolver dans ton pantalon, tu enfiles un blouson noir. Et
finalement, livré à toi-même, tu reproduis inconsciemment tous les clichés des films que tu as vus avant…
Un peu de l’inspecteur Harry, un peu de Belmondo, de
Delon, un zeste de Bogart. Et puis ça y est, tu n’es plus
personne ! Il aurait fallu un metteur en scène qui me
dise : « C’est un type qui a des problèmes de tel ordre, il
a peur du noir, ou il a peur des chats… »
Michel en vient même à se demander si le rôle était
vraiment pour lui :
— J’ai pas la taille d’un héros, moi. Je ne fais pas
1,95 m ! Pour donner un coup de poing dans la gueule
de quelqu’un, il faut vraiment beaucoup d’élan pour que
je sois crédible ! Je ne suis pas Belmondo, je n’ai pas la
même allure… Je ne suis pas crédible avec un flingue.
Il regrette d’avoir été si exposé :
— Faire d’abord un second rôle, je trouve que c’est
la voix normale. J’aurais préféré être dans un bon coup,
153
Michel Sardou
entouré de bons acteurs et n’avoir qu’une scène. Avec des
comédiens chevronnés en face, je peux tenir la réplique,
peut-être.
Michel assiste à la projection de presse du film dans
la souffrance :
— Quand j’y suis allé, je n’avais pas encore vu le film
monté. J’étais dans une salle où il y avait des journalistes
très froids. On n’a pas échangé un mot. Je me suis assis,
et pendant tout le film, je n’ai pas arrêté de me sentir
poignardé. Il apprend à ses dépens ce que ressentent les acteurs
de cinéma. Le fait que l’on n’ait que peu de prise sur
le résultat, et qu’une fois la pellicule imprimée, il n’y a
plus de retour en arrière possible. Il en concevra un vif
déplaisir :
— Tu vois, la chanson, c’est immédiat. Si c’est raté,
c’est raté. Tu peux corriger, rattraper le coup le lendemain. Le cinéma, c’est filmé pour la vie. Je ne savais
pas que les acteurs ressentaient ça. Nous, quand on fait
un bide, on n’attend pas la critique pour le savoir, on le
ressent immédiatement.
Lorsque Cross sort dans les salles de cinéma, Michel
Sardou est déjà ailleurs, à faire autre chose. En l’occurrence, il est en plein Palais des Congrès qu’il occupe cette
année du 9 janvier au 1er mars. Il fête donc ses 40 ans sur
scène. Et ses, déjà, 20 ans de carrière. Exceptionnelle
longévité. Est-ce la maturité ? Est-ce l’air du temps encore
une fois ? Quoi qu’il en soit, Michel donne au public une
prestation beaucoup plus animée qu’à l’accoutumée.
Look décontracté, baskets blanches, jean, chemise, gilet
bariolé, le chanteur se laisse aller, il est plus extraverti
154
Musulmanes
sur scène qu’il ne l’a jamais été. IL SOURIT ! Voire, à
certains moments, il rigole franchement. Il installe une
complicité, une proximité inhabituelle avec le public.
Un public qui ne sait pas qu’il est en train de faire ses
adieux à cette scène qui l’accueille tous les ans depuis
si longtemps. Les appétits de gigantisme du chanteur
ont trouvé un nouvel eldorado : le Palais Omnisports de
Paris Bercy.
Inaugurée en 1984, cette salle permet toutes les extravagances, et il y a déjà un moment que Michel lorgne
sur la possibilité de bâtir un spectacle dantesque dans un
lieu pareil.
Dix-huit mille places, des moyens techniques hors
du commun, Bercy est un rêve pour tout musicien.
Cependant, la préparation d’un tel spectacle ne se fait
pas à la légère.
Michel ne foulera la scène du POPB qu’en 1989.
17
Le privilège de Sardou
S
ardou à Bercy ! Du 11 au 29 janvier 1989, à guichets
fermés. Puis à nouveau à partir du 8 février afin
de satisfaire l’immense demande. La salle est intimidante. Habiter totalement un tel espace, le « posséder »
réellement est extrêmement compliqué. Mais Sardou sait
faire face. Il satisfera la demande et trouve dans la salle
de la porte de Bercy une nouvelle demeure, plus vaste,
qu’il va occuper pendant des années.
Michel Sardou est le chanteur qui a rempli le plus
de fois le Palais Omnisports. Quatre-vingt-huit concerts,
pas moins, et chaque fois à guichets fermés ou presque.
Incroyable performance. On sait que d’autres ont eu plus
de difficultés.
Jacques Higelin, par exemple, avait occupé la salle
pendant un mois en 1985, mais n’était pas parvenu,
malgré un beau travail scénique, à remplir et à remporter
l’adhésion du public.
156
Le privilège de Sardou
Michel Sardou surprend le public en jouant avec une
formation plutôt réduite, jusqu’au grand final. En effet,
l’année 1989 est celle du bicentenaire de la Révolution
française, et Michel ne peut en aucun cas passer à côté. Il
met en scène un tableau de 10 minutes pour clore le spectacle en apothéose. Il interprète « Un jour, la liberté »,
qui n’est pas ce que l’on appellerait un chef-d’œuvre. Elle
avait de bonnes intentions/La Révolution. Sur la question, Michel Sardou aurait pu trouver mieux. Pourtant,
le sujet intéresse réellement le chanteur :
— Je ne suis pas du tout antirévolutionnaire. J’aime
beaucoup cette période. Effectivement, on a changé le
monde. Il voit également les limites de 1789 :
— Il ne faut pas oublier qu’entre 1789 et 1816, il n’y
avait pas un seul Français heureux dans tout le pays.
En fait, Michel Sardou distingue deux périodes et les
dissocie totalement :
— Moi, la Révolution, je la partage en deux périodes.
La première se termine le 4 août. Les privilèges sont
abolis. Les droits de l’homme sont proclamés. Tout ce
qui se passe ensuite, c’est une affaire de rivalité personnelle entre des hommes avides de pouvoir. Bref, Michel Sardou a une vraie vision de cette période
historique ; il aurait pu, par conséquent, donner au public
un morceau à la hauteur de son intérêt. Mais peu importe,
ce qui saisit le public, ce sont les 100 comédiens dirigés
par Robert Hossein qui envahissent la scène à la toute fin
du spectacle. Ces 10 minutes sont un show à elles seules.
Sardou reste en scène alors que les musiciens s’en vont.
Une bande est lancée, et Sardou chante avec derrière
lui cette centaine de figurants. Un spectacle inoubliable
pour le public qui a eu la chance d’y assister.
157
Michel Sardou
Une fois la série de concerts au POPB achevée, Michel
repart en tournée, puis se voit proposer par Véronique
Colucci, la veuve du regretté Coluche, mort en 1986
dans un terrible accident de moto, de participer à la toute
première tournée des Enfoirés.
Michel Sardou et Coluche étaient devenus copains
quelques années plus tôt dans des circonstances plutôt
amusantes :
— Coluche me cassait du sucre sur la gueule. Tous
les matins j’étais sa tête de Turc. Un jour, j’en ai eu plein
le dos, je lui ai dit : « J’arrive ! Tu me diras ce que tu
me reproches en face. » Nous nous sommes retrouvés en
tête à tête, mais au lieu de tomber dans le règlement de
compte absurde, nous nous sommes marrés. Il m’a dit :
« Au fond, je n’ai rien contre toi », et moi non plus je
n’avais rien contre lui. Ce jour-là, nous sommes devenus
copains. Les Restos du Cœur existent depuis bientôt cinq ans
et ils ont besoin de continuer à attirer l’attention sur
eux. En voyant un concert caritatif aux États-Unis qui
rassemble Sting, Bruce Springsteen, Peter Gabriel et
quelques autres pointures de la musique internationale,
Véronique Colucci, assistée de Claude Wild, décide de
tenter l’expérience en France. Elle contacte tout ce que
la France compte de vedettes et, toutes, ou à peu près,
répondent présentes. Il s’agit de faire une tournée de sept
dates dans toute la France dont tous les bénéfices reviendront à l’association de Coluche.
Michel s’embarque donc dans l’aventure aux côtés
d’Eddy Mitchell, Jean-Jacques Goldman, Véronique
Sanson ou encore Johnny Hallyday. C’est l’occasion de
joindre l’utile à l’agréable. Concerts sans pression, inventivité, blagues et décontraction au programme, ce sont
158
Le privilège de Sardou
presque des vacances. Michel Sardou va interpréter seul
sur scène trois chansons, mais également un duo avec
Jean-Jacques Goldman et un autre avec Eddy Mitchell.
Les deux hommes reprennent ensemble « Sur la route de
Memphis » et jubilent de se retrouver tous les deux sur
la même scène.
Après les expériences, plutôt malheureuses, de L’Été
de nos quinze ans, puis de Cross, Michel reprend tout de
même le chemin des plateaux de cinéma, cette fois-ci
pour une franche comédie… un poil machiste. Quelques
années plus tôt, il se plaignait qu’on ne lui donne pas sa
chance dans un rôle comique. Il confiait :
— J’adorerais être cocu, trompé et drôle ! Et m’en
foutre dans un film. L’intéressant n’est pas d’être cocu et
de souffrir, c’est d’être cocu et de s’en foutre. Mais Michel Sardou est conscient qu’il souffre de son
image :
— J’ai une espèce d’image définitive et indélébile, et
personne ne m’imagine dans un rôle comique. Mais les choses changent. Michel participe à une
franche comédie populaire. Il s’agit de Promotion canapé
écrit et réalisé par Didier Kaminka, qui sort sur les écrans
à l’automne 1990. L’argument du film est plutôt mince,
mais assez amusant. Deux jeunes postières, récemment
nommées à Paris, découvrent que le plus sûr moyen de
gravir les échelons dans l’administration des Postes est
d’avoir des relations coupables avec les bonnes personnes,
celles qui, au sein de la hiérarchie, sont susceptibles de
vous procurer de l’avancement. Michel y incarne un de
ces hommes qui profitent de leur pouvoir pour s’attirer
les faveurs de leurs subordonnées. Cependant, il joue
le rôle avec une certaine retenue, ne verse pas dans la
159
Michel Sardou
caricature, qui est pourtant l’objet du film. Il parvient à
faire passer une certaine finesse dans son personnage et
à le rendre séduisant malgré ses penchants pour le moins
coupables et pervers.
La distribution de cette gentille comédie est assez
impressionnante. Outre Michel Sardou, on trouve
Patrick Chesnais, Claude Rich, Jean-Pierre Castaldi,
Martin Lamotte, Zabou ou encore Grace de Capitani.
Tous les éléments sont réunis pour que le film reçoive
un bon accueil. Et, pour une fois dans la courte carrière
cinématographique de Michel Sardou, ce sera le cas. Le
film marche très bien en salle et bénéficiera plus tard de
multiples diffusions à la télévision.
Quelques semaines seulement après la sortie du film,
Michel présente son nouvel opus intitulé Marie-Jeanne.
Didier Kaminka, avec qui Michel vient justement de
tourner Promotion canapé, réalisera d’ailleurs le clip de
la chanson qui donne son titre à l’album.
On y voit défiler, en plus de très jolies créatures légèrement vêtues, toute une brochette de copains de Michel
venus y faire une petite apparition : Eddy Mitchell, Pierre
Richard, Thierry Lhermitte, Mireille Darc et quelques
autres. La chanson, cosignée avec Didier Barbelivien
sur une musique très rock composée par Revaux, Sardou
et Bourtayre, raconte les illusions perdues de quelques
femmes :
Marie-Jeanne/Qui disait toujours je m’en fous/Je s’rai
la femme d’un homme riche/Un point c’est tout/MarieJeanne s’est mariée avec un oiseau/Court sur pattes
pas un cheveu sous le chapeau/Trois enfants dont deux
sont complètement idiots/Des beaux-parents qu’elle a
toujours sur le dos.
160
Le privilège de Sardou
Encore un texte quelque peu caricatural, mais très
enlevé et au final assez drôle. On pense (même si le
registre est assez différent) à la femme libérée chantée
par les éphémères Cookie Dingler. « Marie-Jeanne »
sera d’ailleurs la chanson phare de l’album, passera sur
toutes les radios et fera une belle carrière.
Mais ce qu’il faut sans doute retenir de cet album est
probablement une chanson très inattendue pour quelqu’un
comme Michel Sardou dont l’image de machiste et forcément un peu homophobe est très ancrée dans l’esprit du
public. Lui qui n’hésite pas à dire « tantes » pour parler
des homosexuels (il écrit dans son autobiographie qu’il
est « pour le mariage des tantes », amusant paradoxe
entre une véritable ouverture d’esprit et un vocabulaire
anachronique et politiquement incorrect) intègre à son
nouvel album une chanson intitulée « Le privilège ».
D’abord je vais lui dire : « Maman/Je n’veux plus
dormir en pension. »/Et puis je glisserai lentement/Sur
les ravages de la passion/Est-ce une maladie ordinaire/
Un garçon qui aime un garçon ?
Pourtant, on se souvient d’un Sardou moins bien
disposé à l’égard des homosexuels, n’hésitant pas à se
moquer d’eux dans des chansons comme « Le rire du
sergent », « Le surveillant général » ou encore « Chanteur
de jazz ».
Quoi qu’il en soit, Michel Sardou interprète avec une
belle sensibilité un jeune homme qui a décidé d’annoncer son homosexualité à ses parents. Sujet délicat, voire
carrément casse-gueule pour un parangon de virilité tel
que Michel Sardou. Pourtant, le chanteur y met toute son
âme et parvient à émouvoir. On sent une belle fragilité,
la fébrilité de ce jeune homme qui assume pleinement
son orientation sexuelle (D’ailleurs je n’ai pas honte de
161
Michel Sardou
moi/C’est crever l’abcès qui me ronge/Et finir en paix
avec moi) et dont le seul problème est la façon dont ses
parents vont recevoir la nouvelle (Qu’est-ce qu’ils vont
dire à la maison ?). Michel Sardou parvient à démontrer
qu’il est un formidable interprète, un véritable acteur,
tout en retenue. Un merveilleux menteur. Il dira à propos
de ce surprenant texte dans son répertoire :
— Ça faisait longtemps que j’y pensais, mais je voulais
que ce soit tendre et joli. Ce n’est pas une chanson sur
l’homosexualité… Je me contente de décrire un moment
que je considère à la fois beau, pathétique et important.
Mais je n’ai pas fait d’enquête auprès des homosexuels
pour savoir comment ils en avaient parlé à leur maman !
J’ai inventé ma version d’un aveu, peut-être me suis-je
trompé… Il ajoute dans un autre entretien :
— J’ai essayé de chercher les termes que j’aurais
employés, moi. […] J’ai mis très longtemps à écrire cette
chanson. Difficile de trouver les mots justes. La chanson sera sans doute quelque peu éclipsée par
celle du groupe espagnol Mecano qui sort, à la fin 1990,
« Une femme avec une femme », traitant de son côté de
l’homosexualité féminine. Le sujet est abordé de manière
plus frontale par les jeunes Ibériques, mais l’homosexualité des femmes est plus « acceptée » dans l’inconscient
collectif, aussi curieux que cela puisse paraître.
Sardou, qui s’est déjà brouillé avec Pierre Delanoë, se
fâche à présent avec son compositeur de toujours, Jacques
Revaux. Les deux musiciens travaillent ensemble depuis
de nombreuses années, et Revaux a signé ou cosigné
presque toutes les musiques de Michel depuis bien longtemps. Une divergence de points de vue sur les options
162
Le privilège de Sardou
que doit prendre le chanteur serait à l’origine de cette
rupture. Revaux raconte :
— Je suis parti le 28 octobre 1990 à l’issue d’un
disque très difficile : j’ai eu la sensation que les chansons
ne correspondaient plus au contexte dans lequel Michel
devait s’insérer. Je ne prétends pas que j’ai eu raison, mais
j’avais dit que j’arrêtais, alors je l’ai fait. Ça devenait de
plus en plus difficile. Et puis il y avait une évolution.
Que Michel ne veuille plus faire « Les bals populaires »,
il avait mille fois raison, c’est évident, mais que sous
prétexte de ne pas faire la chanson dans un certain style,
on passe subitement à des morceaux qui, selon moi, sont
moins percutants, moins compris de la part du public...,
je n’adhère pas et je ne signe pas. Il y a certains titres où
j’ai collaboré que je n’ai pas signés. Exit l’ami Revaux. Les deux hommes ne se fâchent
pas vraiment, mais il leur semble absolument évident
qu’ils arrivent au bout de leur collaboration, qu’il n’y
a pas de retour en arrière possible. Leurs visions des
choses se sont trop éloignées. Michel Sardou va avoir
besoin d’une nouvelle équipe. Mais chaque chose en son
temps. Un nouveau Bercy l’attend.
18
La polémique du Bac G
M
ichel Sardou va occuper la scène du Palais
Omnisports de Bercy pendant trois semaines,
du 11 janvier au 6 février 1991. Les places sont vendues
des mois à l’avance, il n’a pas à s’en faire de ce côté-là.
Contrairement à toutes ses dernières apparitions sur
scène, il décide de donner au public un spectacle moins
grandiloquent, plus sobre.
Et il fait cadeau à ses admirateurs d’un tour de chant
qui reprend une grande quantité de ses succès passés, ce
qui ravit littéralement les gens venus l’applaudir. « La
maladie d’amour », « En chantant », « Le France », « Les
lacs du Connemara », c’est un voyage à travers les années
de succès qu’offre le chanteur.
On mesure la quantité de très belles chansons qu’il a
pu produire tout au long de sa carrière. C’est peut-être
également pour lui l’occasion d’un regard en arrière à
présent qu’il a perdu deux des principaux responsables
164
La polémique du Bac G
de ces immenses réussites, à savoir Jacques Revaux et
Pierre Delanoë.
Une fois terminée sa série de concerts à Bercy, Michel
repart en province pour régaler le public du spectacle
dont les Parisiens ont eu la primeur.
Puis il faut enregistrer un nouvel album puisque c’est
le rythme insensé que Michel Sardou s’est fixé et auquel
il se tient contre vents et marées. Il doit travailler d’autant
plus cette fois-ci qu’il est contraint de participer à l’élaboration des musiques. Il travaille donc avec Bourtayre
et Barbelivien pour écrire ce nouvel opus dont un titre
va une nouvelle fois provoquer une levée de boucliers.
Le Bac G, sorti le 6 avril 1992, n’est pas ce que Michel
Sardou a produit de meilleur. On relèvera tout au plus
deux chansons. La première, « Le grand réveil » :
Incapable de bouger son corps/Sentir sa mémoire
s’en aller/Sa terreur fut son dernier effort/Et il n’a jamais
plus parlé/Il est assis, il est couché/Des heures à fixer
le soleil/Et quand les nuits sont étoilées/Son cerveau
entend les abeilles…
Un joli texte humain, s’attachant à la misère humaine.
D’ailleurs, lorsqu’on lui demande de désigner la chanson qu’il préfère sur l’album, il n’hésite pas, c’est bien
celle-là :
— C’est un sujet difficile, j’avais envie de parler des
malheureux, des sans-abri. J’ai essayé de le faire le plus
simplement du monde. On retiendra également une chanson hommage au
grand Michel Audiard intitulée « Le cinéma d’Audiard ».
Une chanson qui souffre cependant d’un manque évident
de pertinence et d’acidité, qui joue un peu facilement sur
le mode nostalgique, mais qui ne parvient jamais à être à
la hauteur de son sujet :
165
Michel Sardou
Le cinéma d’Audiard/Un dialogue au comptoir/De
l’amitié qui passe/Comme les trains banlieusards/De la
gare Montparnasse.
Difficile d’évoquer le magnifique dialoguiste avec des
choses aussi plates. La chanson aurait mérité d’être aussi
percutante que les mémorables saillies de l’auteur. « Les
cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît1. »
Ou encore : « Les bénéfices, ça se divise, la réclusion, ça
s’additionne2 » et tant d’autres répliques à la fois justes
et hilarantes. La gentille mollesse de Didier Barbelivien
est sans doute pour quelque chose dans ce ratage léger
qui pourtant rencontrera son public. Cependant, ce n’est
pas cette chansonnette passablement consensuelle qui va
tout à coup rappeler au public que Sardou reste Sardou.
C’est bien « Le bac G » qui va alimenter la polémique pendant de longues semaines. Dans les années
1990 (comme dans les années 2000 et 2010) l’Éducation
nationale est en crise. La question du bac général et de
ses débouchés se pose chaque année de façon de plus
en plus crue. Le bac G, pour ceux qui l’ont connu, était
une filière à mi-chemin entre le baccalauréat professionnel et les filières « nobles ». Elle était censée former à
la gestion et au secrétariat. Cette section était effectivement la hantise des lycéens qui savaient que, s’engager dans cette voie, c’était s’enferrer dans une impasse.
Les sections G voyaient arriver des quantités de jeunes
lycéens à qui l’on n’avait pas laissé le choix. La chose
était connue de tous. Mais, comme souvent, le voile de la
pudeur et de l’hypocrisie recouvrait cette réalité.
1. Les Tontons flingueurs, 1963.
2. Le cave se rebiffe, 1961.
166
La polémique du Bac G
Et voilà que Michel Sardou met les pieds dans le plat
en chantant :
Vous passiez un bac G/Un bac à bon marché/Dans
un lycée poubelle/L’ouverture habituelle/Des horizons
bouchés/Votre question était faut-il désespérer ?
Lycée poubelle, bac à bon marché, on peut dire que
Sardou ne mâche pas ses mots. Une raison simple : il a
écrit la chanson tout seul. S’il possède ici ou là quelques
petites imperfections, le texte a le mérite d’être direct,
personne n’étant venu édulcorer les mots du chanteur.
La levée de boucliers est immédiate. Les enseignants
protestent devant l’appellation, il est vrai particulièrement dégradante, de lycée poubelle. Ensuite, c’est au
tour du secrétaire d’État à l’enseignement secondaire,
Jacques Guyard, de s’en prendre aux paroles de la chanson. Ce dernier va, par aveuglement ou par cynisme, allez
savoir, jusqu’à qualifier le bac G de bon bac, offrant une
formation complète aux jeunes gens désireux de s’orienter vers le secrétariat ou la comptabilité. À quel moment
ne voit-il pas le flot de lycéens qui se déverse dans ces
sections sans aucun désir d’apprendre le secrétariat ou
la comptabilité ? Lionel Jospin lui-même, alors ministre
de l’Éducation nationale, réagit assez violemment. Il est
amusant de noter que Michel Sardou, dans un entretien
donné à la presse deux ans plus tôt disait :
— Mes opinions m’appartiennent en propre. Je ne me
sers pas de la scène comme d’un tremplin, je ne suis pas
porteur d’idées. Mon métier ne consiste pas à aller chercher des beignes ou à pratiquer la provocation. Je pense
qu’à la longue, les gens ont compris que je ne faisais que
des chansons. Non des campagnes. Je ne fais pas partie
d’un clan. Je suis un chanteur populaire, ce dont je reste
très fier. 167
Michel Sardou
Visiblement non. Deux ans plus tard, lorsque paraît
« Le bac G », les gens n’ont toujours pas compris.
Volontairement ou pas, Michel Sardou est parvenu à
faire beaucoup de bruit, à soulever un débat resté étouffé
jusqu’alors. Le roi est nu, et c’est Sardou qui le montre
du doigt. « Le bac G » sera l’une des dernières grandes
chansons polémiques du chanteur. Lui qui prend plaisir à
se servir de l’actualité pour aborder des thèmes sensibles,
ou carrément provoquer, va voir peu à peu son mordant
s’émousser. Sans vouloir charger une barque déjà bien
lourde, il est difficile de ne pas faire le lien entre l’arrivée
de Didier Barbelivien auprès de Michel et son lent assouplissement – pour ne pas dire assoupissement.
Barbelivien a une écriture à la technique quelque
peu approximative, manque de vocabulaire, de culture,
d’épaisseur. D’ailleurs, il suffit d’écouter Michel Sardou
lui-même parler de sa collaboration avec le parolier
pour comprendre que ce sont les luttes, les débats et les
contradictions qui faisaient de ses chansons des textes
vivants, puissants, susceptibles d’éveiller les passions.
— Avec « Barbo », l’énumération est reine. Sauf
exception, il n’a jamais d’histoire. La chanson se construit
en marchant. Nous défilons tout ce qui nous passe par la
tête à partir d’un titre.
Didier Barbelivien lui-même raconte cette façon de
travailler, sans doute un peu paresseuse :
— On trouve des idées en discutant. On commence
par ne rien écrire. On se raconte la chanson. Au sujet d’un texte qu’ils ont écrit ensemble, « Elle
pleure son homme », Didier Barbelivien lève le voile sur
leur méthode de travail :
— On décrivait l’enterrement. On imaginait cette
femme entrer dans le cimetière. Sa façon de s’habiller,
168
La polémique du Bac G
son âge, si elle avait ou non des enfants. Tout ce qui n’est
pas dit dans la chanson. Barbelivien n’est donc pas Delanoë, mais Michel
Sardou trouve une certaine sérénité à travailler avec lui.
Il suffit de l’entendre décrire la confection de certaines
chansons.
— Il compose une rythmique de base pour sa coupe
provisoire – j’en compose une autre pour la mienne –
et nous nous efforçons d’arriver ensemble à la fin. […]
Nous sommes les seuls en France à faire deux chansons
dans une seule et ne sachant ni l’un ni l’autre de quoi
nous allons parler. Nous travaillons chacun chez soi. Il
m’envoie une cassette sur laquelle il a posé une voix.
Quand j’entends tinter, à l’intro, deux glaçons dans son
verre de whisky, c’est qu’il n’est pas mécontent de son
œuvre.
Michel Sardou et Didier Barbelivien ont donc une
façon plus détendue de travailler. Cependant, il ne faut
pas croire que Michel abandonne ses grands principes
d’écriture :
— Tant que je n’ai pas ce que je veux, il faut recommencer. J’attache beaucoup d’importance au mariage des
sons et des mots, je veux que ça sonne. Parfois, il faut
jouer sur des ouvertes, ailleurs sur des masculines. C’est
un travail d’horloger. Je ne veux pas qu’on dise : c’est
la musique qui porte le texte ou c’est le texte qui porte
la musique. Il faut que les deux se confondent, qu’on ne
sache plus ce qui retient quoi.
À la même époque, Michel fait un grand nombre
d’allers-retours aux États-Unis avec Babette. Les deux
époux aiment la Floride et s’y rendent très régulièrement. Michel est déjà très riche et il envisage de s’ins169
Michel Sardou
taller pour un temps dans cette Amérique qui a fait
rêver toute cette génération du baby-boom dont il est
lui-même issu. Aussi, après plusieurs séjours à Miami
dans une jolie maison louée sur Di Lido Island, le couple
décide de devenir propriétaire. Michel achète à l’acteur
Don Johnson une bicoque avec un ponton donnant sur
le Governor Channel. C’est une maison basse avec un
étage en coin, un jardin et une piscine.
Un endroit charmant, mais pas en très bon état, et
Michel se voit contraint d’engager des travaux. Il fait
appel à un architecte local à qui il explique vaguement
qu’il est un chanteur français. Évidemment, l’architecte
n’a pas la moindre idée de qui peut bien être Michel
Sardou et s’intéresse à la France comme à sa première
chaussette. Michel et Moshe (c’est le prénom de l’architecte) se mettent d’accord sur les travaux de rénovation à
effectuer. Les deux hommes se quittent, affaire conclue.
Puis Moshe part en vacances, direction la Guadeloupe.
Dans l’avion, il fait la connaissance d’un couple de
Français. En devisant avec eux, il mentionne le nom de
Michel Sardou. Les deux Français expliquent alors à
Moshe que Sardou est en France l’équivalent d’un Sinatra
aux États-Unis. Moshe, abasourdi par la nouvelle, à
peine arrivé sur le sol guadeloupéen, décide d’annuler
son séjour et de faire immédiatement demi-tour. Il est
hors de question que le Sinatra français n’ait pas une
maison à la hauteur de son rang. Il revoit ses plans et
présente à Michel des croquis purement pharaoniques.
L’investissement sera, lui aussi, pharaonique.
Babette a beau faire quantité de voyages en Floride
pour tenter de dissuader l’architecte, celui-ci n’en démord
pas. Michel Sardou ne peut se contenter d’une simple
bicoque. Les négociations sont âpres, mais Moshe tient
170
La polémique du Bac G
bon. Il s’engage même à prendre sur sa commission pour
que le prix de revient des travaux soit un peu moins
élevé. La maison reviendra tout de même beaucoup plus
cher que prévu. Aussi, lorsque Babette et Michel s’installent en Floride, ce n’est pas dans une charmante petite
maison, mais dans une superbe villa cossue, une villa de
star. Michel, qui a eu envie d’étrangler Moshe mille fois,
ne regrettera pas finalement cet investissement puisqu’il
parviendra à revendre la maison à un très bon prix.
Cette même année, José Giovanni, écrivain (auteur
notamment du livre dont sera tiré le très beau Les
Grandes Gueules avec Bourvil et Ventura) et réalisateur de films comme Deux Hommes dans la ville, un
beau plaidoyer contre la peine de mort à laquelle il a
été lui-même condamné, dans une vie précédente, José
Giovanni donc, décide de faire appel à Michel Sardou
pour jouer le premier rôle dans un téléfilm qu’il doit
réaliser et qui s’intitulera L’Irlandaise.
Régis Cassini (Michel Sardou), homme d’affaires à
succès et tireur d’élite à ses heures, a réussi dans tous les
domaines : amour, travail, amitié… Un soir, son passé
d’ex-terroriste le rattrape et Régis doit alors payer sa
dette. Sa mission : veiller sur la jeune Irène McCoy, fille
d’une Irlandaise tuée pour la défense de l’IRA.
Régis Cassini livrera donc un combat sans merci pour
arracher Irène aux mains de ses kidnappeurs et sauver la
jeune Irlandaise.
Michel Sardou aime bien l’histoire et accepte volontiers le rôle, d’autant que tourner avec le réalisateur de
La Scoumoune ou des Égouts du paradis est un véritable
honneur. Il s’acquitte encore une fois très honorablement
de sa tâche, et il est très apprécié de ses camarades. L’un
171
Michel Sardou
des acteurs se souvient de quelqu’un de très humble,
ayant un profond respect pour le métier d’acteur. Sardou
frappe par sa disponibilité avec les gens, sa décontraction et sa gentillesse. Les acteurs sont également surpris
de voir, entre chaque scène tournée en extérieur, les
quantités de fans qui viennent aborder le chanteur. Ils
sont également stupéfaits par son calme devant tous ces
gens qui se pressent autour de lui. Jamais un mouvement
d’humeur, jamais un mot déplacé. Sardou est une vraie
star, au sens le plus noble du terme.
Lorsque s’achève le mois de tournage, Michel invite
toute l’équipe à une soirée de fête dont certains se souviendront longtemps et d’autres sont incapables de se souvenir. Sans doute sa façon à lui de prolonger encore un peu
le plaisir du tournage. Ainsi s’achève 1992 pour Michel
Sardou. À l’aube de ses 46 ans, c’est un homme comblé
qui se rend à l’Élysée pour recevoir la Légion d’honneur
des mains du président de la République lui-même. Nous
sommes quelques mois avant les élections législatives qui
verront élire, selon René Rémond, « l’Assemblée la plus
à droite qu’ait connue la France depuis plus d’un siècle,
plus que la Chambre bleu horizon élue en 1919 après
la guerre et même que l’Assemblée sortie des urnes en
juin 1968 ». Et Michel Sardou a bien entendu donné son
soutien à Jacques Chirac et au RPR peu de temps avant
de se rendre à l’Élysée et de rencontrer Mitterrand…
Évidemment, cela n’enlève en rien le respect que Michel
a pour le président qui, dans son discours, célébrera le
talent du chanteur, mettant soigneusement de côté les
aspects polémiques de sa personnalité.
19
Orphelin
1993
, 1994, Bercy, tournées, un album (assez
anecdotique) intitulé Selon que vous
serez, etc., etc. et dont on retiendra la nouvelle tentative
de provocation de Michel Sardou dans la chanson-titre.
Je pense au jeune homme imprudent/Qui prend entre
six mois et deux ans/Pour un désordre assez minable/Et
ceux que la Loi n’atteint pas/On a devant soi la Justice/
Et l’apparence de la Justice/La nuance est indéfinissable/Ce qui est pris ne se rend pas/Selon que vous serez
puissant ou misérable/Etc., etc.
La révolte de Sardou manque de conviction. D’ailleurs,
quand on l’interroge sur ce texte, il ne se lance pas le
moins du monde dans de grands discours, il est même
un peu en contradiction avec sa chanson, c’est dire la
conviction qui l’anime :
— Une fois, suite à un excès de vitesse au volant,
j’étais en retard, j’ai donné deux places de concert aux
173
Michel Sardou
policiers. Peut-on parler de corruption ? Je ne crois pas,
plutôt un échange de sympathie.
Les crocs de Sardou ne sont pas assez aiguisés, l’aspect très frontal que l’on trouvait encore dans « Le bac
G » est perdu, le chanteur se cachant derrière La Fontaine
de façon quelque peu malhabile. Il justifie cette tendance
à être de moins en moins provocateur :
— Il faut sans doute davantage miser sur la musique
et moins sur les textes. Pourquoi ? À cause des malentendus qui n’ont cessé
d’empoisonner (et d’alimenter) sa carrière :
— Je n’ai jamais été engagé où que ce soit, ni soutenu
qui que ce soit, le moindre mec, la moindre idée politique.
La droite musclée ne m’a jamais aimé. Elle m’a toujours
traîné dans la merde. Beaucoup plus que les journaux
normaux. Tu ne verras jamais un type du Front national
monter au créneau et dire : « Sardou, c’est la France. » Il est temps pour Michel de se reprendre en main,
peut-être de revenir un peu en arrière pour rassurer
son public (qui ne le laisse cependant pas tomber ; ses
albums, même lorsqu’ils sont moins bons, continuent de
très bien se vendre).
En 1995, Michel Sardou décide de s’éloigner du
gigantisme qui a largement marqué ses apparitions sur
scène tout au long de la dernière décennie. Comme un
retour au cocon, il prépare un nouveau spectacle pour
la salle qui l’a vu naître, puis qui l’a consacré alors qu’il
n’était qu’un tout jeune homme : l’Olympia. Et le public
ne s’y trompe pas, qui vient en masse écouter le chanteur
dans un cadre plus intime. On s’arrache les places. Très
vite, la série de concerts affiche complet. Michel Sardou
174
Orphelin
refuse de laisser son public en plan ; il faut répondre
à la demande. Aussi, Michel, qui a tout d’abord prévu
d’occuper la salle du boulevard des Capucines entre le
10 janvier et le 26 mars, se voit contraint de prolonger. Il
reprend du 11 au 30 avril.
Mais il y restera finalement jusqu’au 10 juin. Cent
treize représentations. Cinq mois ! Michel bat ainsi un
record de longévité sur la scène de l’Olympia. Record
détenu précédemment par… Fernand Sardou.
Sardou reste une idole pour les Français. Ce sont donc
cinq longs mois que Michel va passer là. Et, contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’homme y trouve un
réel bonheur. Pourtant, chanter tous les soirs les mêmes
chansons sur la même scène est très loin d’être une
sinécure. Mais le soir de la dernière, il affirmera à JeanMichel Boris qui dirige la salle : « Jean-Michel, je tiens
à te dire que j’ai passé cinq mois ici et que je n’y ai pas
trouvé le moindre ennui. »
À la presse il révélera :
— Si on m’avait dit un jour que je referais l’Olympia vingt ans après ! À vingt-huit ans, je ne pensais pas
aller très loin… Me retrouver dans cette salle où j’allais enfant, c’est comme retrouver une vieille maison où
rien n’a bougé. Les pièces semblent juste un peu plus
petites. Après les grands shows de Bercy, j’avais envie de
renouer avec l’ambiance d’un vrai music-hall, de chanter
plus près du public, mais j’avoue, je n’ai pas pensé tout de
suite à l’Olympia. L’idée a fait son chemin peu à peu et
ce qui n’était au début qu’une série de récitals est devenu
un marathon de plusieurs mois.
Le plaisir de retrouver le public de manière plus intime
est immense pour Sardou. Il existe une véritable interaction entre lui et les spectateurs, interaction impossible
175
Michel Sardou
dans une très grande salle comme Bercy. Michel Sardou
raconte au magazine Le Point :
— Un public actif, les gens m’engueulent parfois, ils
me veulent plus près d’eux. À Bercy, il peut y avoir cent
cinquante mètres entre eux et moi. Ils veulent entendre
les vieilles chansons, chacun la sienne, qui correspondent à un souvenir personnel.
Michel interprétera 24 morceaux dont 8 inédits sur
scène, trouvant ainsi un bel équilibre entre promotion
des dernières chansons et succès attendus par le public.
Début 1996, Michel Sardou perd un vieil ami, Gil
Paquet, qui a été son attaché de presse. Il est en Floride
lorsqu’il apprend la nouvelle et rentre précipitamment
en France pour assister aux obsèques. Il aura des mots
émouvants lorsqu’il s’agira à son tour de lui lancer un
dernier adieu. Mais la roue tourne et la vie continue.
Un nouveau projet vient enthousiasmer le chanteur.
Il va monter sur scène. Cette fois-ci, cependant, il n’est
plus question de musique, mais de théâtre.
C’est Pierre Mondy qui sera à la mise en scène de
cette comédie de boulevard tirée de la pièce anglaise
Present Laughter de Noël Coward. Adaptée par Laurent
Chalumeau, la pièce s’appellera Bagatelle(s) et les représentations auront lieu au théâtre de Paris. L’adaptation
de cette pièce de 1939 s’avère très difficile. C’est Michel
Sardou qui a fait le choix de la jouer, mais Coward est un
auteur très anglais, son humour cynique est compliqué à
transcrire pour la scène française. L’argument de la pièce
originale met en scène un acteur qui s’apprête à remonter sur les planches après une longue absence. Laurent
Chalumeau pratique alors une intéressante mise en
176
Orphelin
abîme. Il fait du personnage qu’incarnera Michel Sardou
un chanteur très populaire qui fait ses débuts au théâtre.
Laurent Chalumeau s’inspire beaucoup de la vedette
pour bâtir son personnage. Bien que très amusante, l’idée
paraît cependant un peu racoleuse.
Le public ne viendra donc pas voir un comédien,
mais Michel Sardou lui-même pratiquant une forme de
second degré. Sans doute, pour ne pas déplaire au public
que l’on attend nombreux, les aspects les plus mordants
de la pièce de Noël Coward sont écartés.
Le tout est un peu lisse au final, mais Michel et ses
compagnons de scène, Natacha Amal, Philippe Khorsand
et Frédéric Diefenthal, s’amusent énormément. Michel
s’implique totalement dans ce nouveau défi. Il apprend
son texte au rasoir et le connaît dès les premières répétitions. Les autres comédiens, sans être réellement
méfiants, attendent tout de même de voir ce que Michel
va donner sur scène. Son statut de star les pousse à s’interroger. Auront-ils affaire à une insupportable diva ?
L’un des comédiens de la troupe, Laurent Spielvogel,
exprime l’agréable surprise qu’a été de découvrir l’acteur
Michel Sardou :
— Avant les répétitions, j’imaginais un artiste qui
allait se la jouer, et être « Michel Sardou » ! À l’inverse,
tout se passe comme dans un rêve, avec une espèce de
complicité. Michel ne se considère pas comme une star ; il a en
fait conscience d’être un débutant. Certes, il a baigné
dans le joyeux milieu des salles de spectacles depuis
sa plus tendre enfance, mais il n’a jamais eu l’occasion, comme en cette année 1996, de rester plusieurs
semaines à l’affiche en tenant le premier rôle dans une
comédie. Lui qui est plutôt solitaire et conserve toujours
177
Michel Sardou
une légère distance avec ses musiciens s’intègre totalement à l’équipe. Il faut dire que les enjeux sont différents. Ici, les autres comédiens sont des partenaires ; au
cours de ses concerts, les musiciens qui l’accompagnent
sont plutôt des employés qu’il est susceptible de devoir
virer un jour ou l’autre, ce qui explique la barrière mise
par le chanteur. Laurent Spielvogel continue son éloge
du comédien Michel Sardou :
— Côté coulisses, je découvre quelqu’un qui ne
correspond pas à son image publique. Au début, il est
un peu raide, un peu vert. Au fil des représentations il
se détend. Pourtant il ne donne pas l’impression d’avoir
le trac. C’est difficile de jouer un personnage qui vous
ressemble, le rôle est assez compliqué à interpréter.
Le public accourt… et revient. En effet, contrairement
aux autres pièces de boulevard, les spectateurs viennent
voir la pièce plusieurs fois. Les autres comédiens n’ont
jamais vu une chose pareille. Tous les soirs, la salle est
debout et inonde la scène de fleurs et de peluches, comme
à un concert. Puis, peu à peu, le public vient moins
nombreux, et l’on décide au bout de quelques semaines
d’arrêter les représentations.
Sans être vraiment un triomphe, Bagatelle(s) est un
joli succès et reste tout de même six mois à l’affiche.
La critique a été un peu sévère et la pièce n’est pas un
chef-d’œuvre. Mais cela reste un splendide moment pour
Michel Sardou qui rêvait depuis longtemps d’une expérience de ce genre. Il ne s’arrêtera d’ailleurs pas là.
Une année 1996 passée au théâtre, il est temps
pour Michel de repartir sur des projets musicaux. 1997
marque le retour en grâce de Jacques Revaux. Les deux
178
Orphelin
hommes n’ont plus travaillé ensemble depuis bientôt six
ans. L’album qui sortira de cette collaboration aura pour
titre Salut. Jean-Loup Dabadie interviendra sur plusieurs
des chansons qui composent l’album, notamment sur
« Salut » et sur « Pleure pas Lola ». Michel Sardou
confesse une vraie sympathie et une réelle admiration
pour Jean-Loup Dabadie :
— Pour les chansons à fort débit, personne n’est
au-dessus de Jean-Loup. C’est un brillant bavard. […]
Il m’a appris à écrire tous les jours, même si ça ne vient
pas. Il appelle ça « faire des balles ». Le nouvel opus est assez tendre et sensible. Il parle
de solitude avec « Une femme s’élance », des premiers
signes de la vieillesse avec « Pleure pas Lola » (Michel
aborde la cinquantaine), la manière dont les sentiments
évoluent au sein du couple avec cette chanson au titre
très explicite : « T’es mon amie t’es pas ma femme ».
Un petit coup de gueule tout de même, sur un thème que
reprendra Florent Pagny quelques années plus tard :
Ils ont pris mes stylos/Mon bureau mes papiers/
Retrouvé dans mon dos/Mes factures impayées/Ils ont
pris ma bagnole/Mon appart ma télé/Ils m’ont dit t’es
casserole/T’en as pour des années.
Petite anecdote croustillante : les chœurs de la chanson sont assurés par Eddy Mitchell et Johnny Hallyday,
l’évadé fiscal le plus célèbre de France… Comme quoi,
certaines personnes ont de la constance dans leurs attitudes…
Puis l’album se referme sur la chanson « Salut ».
Michel Sardou s’adresse directement à son public en lui
disant :
Ça fait déjà longtemps qu’on se connaît/Même si c’est
vrai je n’vous parle jamais/Je n’sais pas faire le premier
179
Michel Sardou
pas/Mais vous savez déjà tout ça/Je n’suis pas l’homme
de mes chansons voilà/Et puis je n’suis pas non plus
c’que j’écris/Que cela vous déçoive ou non tant pis/Le
seul moment où tout est vrai/Le seul moment où tout est
dit/C’est quand le spectacle est fini.
Michel Sardou se dévoile. C’est suffisamment rare
pour être souligné. Après 30 ans de carrière, il rend
hommage à tous ces admirateurs qui le suivent depuis si
longtemps. Ce morceau est en quelque sorte l’équivalent
de la magnifique chanson de Barbara « Ma plus belle
histoire d’amour c’est vous ». D’ailleurs, Michel Sardou
y fait clairement référence dans l’un des vers : Vous savez
mes fidélités/Ma seule histoire d’amour, c’est nous.
Michel ressort également une chanson qui lui a déjà
assuré un franc succès : « Être une femme ». Pour être
tout à fait honnête, il n’est d’ailleurs pas pour grandchose là-dedans. En réalité, sa maison de disques décide
de faire un remix, version dance pour les boîtes de nuit.
Sort alors un maxi 45 tours très réussi que l’on entendra
beaucoup sur les dancefloors de province.
Le temps est venu de reprendre d’assaut le Palais
Omnisports de Bercy. Ce sera chose faite dès le mois
de janvier 1998. Michel fait installer une scène centrale.
Les musiciens se trouvent en contrebas. Le public de tous
âges vient applaudir ce jeune homme de 50 ans ayant 30
longues années de carrière derrière lui.
Bercy est suivi, comme toujours, par une tournée
en province. Sardou retrouve son public, mais c’est
un homme apaisé, plus mûr qu’ils ont en face d’eux.
Quelqu’un de plus tendre.
180
Orphelin
C’est au cours de cette tournée, le 2 avril exactement,
que Michel reçoit un coup de fil de sa fille Cynthia. Elle
lui annonce la mort de Jackie. Michel est à présent orphelin. Il n’y a pas d’âge pour le devenir.
Cette femme drôle, gouailleuse, pétulante, colérique
et aimante n’est plus. Elle est allée rejoindre son Fernand.
Ils auront à présent l’éternité pour s’engueuler et se
réconcilier. Michel ne renonce cependant pas à chanter.
Tout au plus, ses chansons prendront une autre tournure,
une épaisseur différente. Il dédiera « Une fille aux yeux
clairs » à sa mère lors du concert qui suivra. Un moment
d’émotion intense et de communion avec un public qui le
soutient de toute son âme.
Le 6 avril une messe est dite en mémoire de Jackie
Sardou en l’église Saint-Pierre de Neuilly. Spécialement
pour l’occasion, Michel fait venir l’abbé Rey, le prêtre
qui a marié ses parents. Ce jour-là, comme si sa mère lui
envoyait un signe, il retrouve Anne-Marie Périer, la fille
de François Périer qu’il a bien connu quelques années
auparavant. Un nouvel amour va naître.
Mais nous n’en sommes pas encore là. Pour l’heure,
Michel s’envole en direction du Québec où il ne s’est pas
produit depuis 25 ans. Nouveau challenge pour le chanteur qui n’est jamais en reste.
20
Un divorce et un mariage
C
’est par la volonté d’un producteur québécois,
Martin Gélinas, que Michel va traverser l’Atlantique et partir à la rencontre du public de la Belle
Province.
Michel Sardou va se produire au Colisée de la ville de
Québec, puis le lendemain à Montréal au Centre Molson.
Le public québécois ne connaît pas bien les dernières
chansons de Michel, mais les anciens succès sont encore
très populaires. Bien entendu, les textes provocateurs
n’ont pas ici le même impact qu’en France, mais Michel
reste un artiste respecté.
Et puis, on se doute qu’une chanson comme « Le
France » résonne d’une façon toute particulière aux
oreilles des Québécois.
Afin d’assurer le succès des dates du chanteur, succès
qui, contrairement à la France, n’est pas ici totalement
certain, une grosse promotion est assurée avant son arri182
Un divorce et un mariage
vée, avec notamment une très importante conférence de
presse en duplex depuis Paris.
Preuve que le statut de star de Michel n’est pas totalement acquis au Québec, une petite anecdote que raconte
Martin Gélinas :
— Sur le spectacle, on a invité Lara Fabian à chanter
en duo « Je vais t’aimer ». La répétition se déroule à
Montréal au Centre Molson, avec des employés syndiqués. Lorsque les techniciens sont sous union syndicale,
le dépassement du temps imparti coûte excessivement
cher en heures supplémentaires. Précisément, Michel
est sur scène et on arrive au moment où il faudrait tout
arrêter. Il part alors avec Lara Fabian dans un élan vocal
extraordinaire. J’arrive au plateau et je dis à Jean-Claude
Camus : « Il faut stopper la répétition tout de suite, parce
que je ne peux pas payer d’extra… » Camus me regarde
et me répond : « Mais ça ne va pas ?… Je ne vends pas
des tapis ! Michel et Lara travaillent, ce n’est sûrement
pas moi qui vais leur dire de cesser ! » À cette seconde,
le stress me gagne, je me lance et commence à gravir
l’escalier accédant au-devant de la scène. Un technicien
de Michel m’intercepte et me dit : « Qu’est-ce que tu
fais ? Tu ne montes pas sur le plateau ! » Dans le feu
de l’action, je pousse le garçon qui à nouveau tente de
calmer mon ardeur. Je me dirige vers Michel Sardou,
je sens mes genoux claquer, je sais que je ne vais rien
arranger et qu’il ne va pas apprécier ma démarche. Ça
ne fait rien, je ne peux plus reculer : il m’est impossible
de payer les sommes considérables du « dépassement »,
je dois le lui dire. À l’instant où il entonne le refrain, je
mets ma main sur son épaule : « Désolé Michel, vous
voyez, ici, c’est syndiqué, ça va me coûter trop cher, il
183
Michel Sardou
faut arrêter la répétition… » […] Alors, tout simplement,
Michel me répond : « Mais, Martin, c’est d’accord. Il
n’y a pas de problème, je crois que nous avons terminé,
n’est-ce pas Lara ? Allez, on te dégage la scène. »
Pas bégueule, Sardou. Il a parfaitement conscience
qu’ici, au Québec, il ne peut pas avoir les mêmes exigences
qu’en France. C’est sans doute la force de l’homme. Il
sait son statut de vedette, mais il sait également le relativiser. Il ne se comportera pas de la même manière sur
une scène parisienne que sur les planches d’un théâtre ou
un plateau de cinéma.
Quelque temps plus tard, Michel traverse à nouveau
l’Atlantique. Cette fois-ci en compagnie de Babette. Leur
couple vit ses dernières heures, mais les deux « vieux
mariés » font bonne figure. En effet, ils vont applaudir
leur fils cadet, Davy, qui se produit dans un théâtre newyorkais. Il joue dans une pièce de Strindberg intitulée
The Creditors. Le cœur battant la chamade, taraudés
par un trac incroyable, les deux parents s’installent dans
un coin de la salle pour voir leur fils faire ses premiers
pas sur les planches. Un beau moment d’émotion pour
Michel et Babette. Le dernier sans doute.
Le couple repart. Chacun de son côté. Michel est
très occupé. Il a décidé de passer son brevet de pilote.
Après 22 ans de vie commune, leur mariage est en pleine
déconfiture. Plus rien ne va entre eux. Et Michel n’a pas
toujours été un modèle de fidélité. Et puis, il y a AnneMarie… venue à l’enterrement de Jackie. À la fin des
années 1970, alors que Davy venait tout juste de naître,
ils se rencontrent dans une boîte de nuit à Deauville. La
belle avait traversé toute la salle pour aller se présenter
184
Un divorce et un mariage
à Michel. Elle lui avait dit être la sœur de Pierre Billon
(sachant que l’ami de Michel n’a jamais eu de sœur,
sachant également que Michel en était parfaitement
conscient). La rencontre est très belle. Anne-Marie et
Michel passent la soirée ensemble jusqu’au petit matin.
Puis ils se quittent sur un baiser.
Ils se revoient régulièrement, d’abord professionnellement. Anne-Marie est directrice du magazine Elle et
donc Michel est amené à la côtoyer à chaque événement
ou sortie d’album. Puis, peu à peu, ils se voient en privé. Il
arrive de temps à autre qu’Anne-Marie vienne rejoindre
Michel lors d’un de ses galas en province. Puis, le temps
passant, leurs rencontres s’espacent. Ils ont tous deux
une « vie » à côté. Difficile de concilier ces escapades
avec une vie de famille équilibrée. D’autant plus que les
deux amis de cœur sont connus, voire très connus. Mais
Michel aura pendant de nombreuses années le sentiment
d’être passé à côté de quelque chose. Aussi, 20 ans après
leur première rencontre, alors que son mariage se délite
et qu’il retrouve Anne-Marie à l’enterrement de sa mère,
il se dit que, peut-être, il a une deuxième chance. Deux
êtres qui se sont ratés ont rarement une deuxième chance.
Aussi, pour Michel, il faut la saisir. Il raconte :
Elle était à New York. […] Pour elle il était quatre
heures du matin.
— Écoute-moi, je vais te poser deux questions. […] À
la première tu réponds tout de suite : est-ce que je te fais
encore de l’effet ?
— Tu vas bien ?
— Je vais très bien, réponds.
— Euh, oui.
— Pour la seconde, tu te lèves, tu descends dans
Central Park et tu comptes les écureuils. À cette heure185
Michel Sardou
ci il y en a plein. Tu prends l’air et tu me rappelles.
D’accord ?
— Vas-y.
— Veux-tu devenir ma femme1 ? La réponse d’Anne-Marie ne viendra pas tout de suite.
Elle descend bien compter les écureuils à Central Park,
mais elle ne rappelle pas immédiatement. Elle ne reprend
son téléphone que six heures plus tard pour dire à Michel
qu’elle ne rentrera à Paris que dans trois jours et qu’il
serait bien qu’ils se voient pour discuter un peu sérieusement de sa proposition. La réponse à la question ? « Un
oui sous réserve », d’après ce que raconte Michel luimême. Lorsqu’Anne-Marie revient en France, Michel
l’emmène dîner dans un merveilleux restaurant italien
et lui repose la question. « Alors, veux-tu m’épouser ? »
Mais Anne-Marie se lance dans une série de questions,
un véritable interrogatoire.
Elle veut s’assurer que Michel ne fait pas un caprice et
savoir s’il est bien conscient des implications de ce qu’il
lui demande. Il tente de la rassurer, mais elle décide de
réserver encore sa réponse définitive. Michel doit partir
pour la Corse pendant l’été afin d’apprendre une pièce,
Comédie privée, qu’il doit jouer à la rentrée ; il est décidé
qu’elle ira le rejoindre et qu’il aura sa réponse. Michel
quitte donc Paris pour l’île de Beauté.
N’ayant pas envie d’y aller seul, il embarque avec lui
un ami qui devra filer à l’anglaise dès qu’Anne-Marie
aura décidé de pointer son nez. Ainsi, la veille de son
arrivée, l’ami s’éclipse, laissant Michel dans l’état de
tension qu’on imagine.
1. Michel Sardou, Et qu’on n’en parle plus, 2009, XO éditions.
186
Un divorce et un mariage
Lorsqu’Anne-Marie atterrit en Corse, elle a, bien
entendu, sa réponse en tête. Cependant, elle a décidé
de faire durer un peu le suspense. La maison qu’a louée
Michel possède deux chambres. Anne-Marie s’installe
donc dans celle qui est inoccupée, laissant Michel pour
le moins perplexe quant à l’issue du séjour.
Elle prétend avoir besoin de s’acclimater, sans que
Michel comprenne bien de quoi il s’agit. Les deux futurs
tourtereaux vont faire quelques courses, dînent, puis
chacun va se coucher. Au milieu de la nuit, Anne Marie
vient rejoindre Michel dans sa chambre, offrant un beau
soulagement à son chanteur de futur mari.
Elle repart deux jours plus tard en affirmant à Michel
qu’il peut d’ores et déjà planifier leur mariage.
Sans doute heureux et troublé, Michel Sardou doit
cependant penser à cette nouvelle pièce qu’il jouera à
la rentrée. Les répétitions commencent fin août. Michel
aura Marie-Anne Chazel pour partenaire. La pièce est
l’adaptation d’une comédie américaine de Neil Simon.
Cette fois-ci, c’est Jean-Loup Dabadie qui sera en charge
de transposer le texte pour le public français. Michel
n’est pas, au début, tout à fait convaincu par la pièce.
Pourtant, elle avait été écrite au départ pour des acteurs
d’exception : Shirley MacLaine et Jack Lemmon. Afin
de remporter l’adhésion du chanteur, Jean-Loup Dabadie
l’emmène à Londres où la pièce fait un véritable triomphe.
Richard Dreyfus en est la tête d’affiche. C’est un spectacle fantastique. Mordant, cynique, hilarant, fin. Michel
est conquis et accepte de se lancer dans cette nouvelle
aventure. Il jouera la pièce au Théâtre du Gymnase de
septembre à mars. Encore une belle expérience pour lui.
Et sans doute beaucoup plus concluante que la précé187
Michel Sardou
dente. Aux côtés de Michel et de Marie-Anne Chazel,
on trouve également Laurence Badie, Serge Ridoux et
Nicole Gueden.
Bien que très occupé par le théâtre, Michel a cependant d’autres projets en tête. Tout d’abord, se remettre à
écrire. Et c’est ce qu’il fait, avec un camarade venu d’un
autre temps : Michel Fugain. Le copain qui l’accompagnait à la guitare lors de son audition chez Barclay a fait
une belle carrière lui aussi. Trente ans après, les deux
hommes se retrouvent. Une belle histoire en somme.
Pourtant, ce n’est pas cette histoire-là qui va le plus
occuper l’esprit de Michel Sardou en cette rentrée 1999.
En effet, le 11 octobre, Michel et Anne-Marie doivent
s’unir devant monsieur le maire de Neuilly-sur-Seine, un
certain Nicolas Sarkozy…
21
Au théâtre ce soir
L
es deux tourtereaux ont décidé de célébrer leur
union un lundi, jour de relâche au théâtre. La liste
des invités est évidemment très impressionnante. Johnny,
Clavier, Barbelivien, France Gall, Dutronc, Françoise
Hardy et tant d’autres. De quoi alimenter en photos un
magazine people pour une année entière. Et puis il y a
la foule des inconnus, des admirateurs qui, lorsque les
futurs mariés apparaissent sur le perron de la mairie de
Neuilly-sur-Seine, entonne une émouvante « Maladie
d’amour ». L’ambitieux maire de Neuilly les accueille
avec leurs témoins. Pour Michel, ce sera Eddy Mitchell,
Johnny Hallyday et Maryse Gildas. L’ambiance est des
plus folles, c’est une fête merveilleusement réussie, d’autant qu’un beau soleil est au rendez-vous.
Tout ce beau monde se retrouve après la cérémonie
dans l’atelier d’Azzedine Alaïa, couturier très en vogue
depuis les années 1980, qui leur a prêté son magnifique
189
Michel Sardou
lieu pour l’occasion. Michel est habillé de façon élégante
et sobre, costume sombre et cravate rouge, tandis
qu’Anne-Marie arbore une merveilleuse robe de mousseline. Le président Chirac lui-même viendra faire une
courte apparition. C’est un nouveau départ pour Michel
Sardou.
Anecdote amusante : une semaine plus tard, c’est au
tour de Romain, le fils aîné de Michel, de se marier. Il
épouse une jeune Italienne au doux prénom de Francesca.
Les jeunes époux passeront eux aussi devant le maire de
Neuilly et futur président de la République.
Alors que tout semble aller pour le mieux dans le
meilleur des mondes, la fin de l’année va s’avérer particulièrement funeste. Sa fille, Cynthia, l’appelle une nuit. Le
pire coup de fil qu’un père puisse recevoir. Cynthia a été
victime d’un viol. Encore dans le brouillard du sommeil,
Michel ne réfléchit pas un instant et part immédiatement
la rejoindre. Sans doute l’horreur et la colère ont-ils
brouillé son esprit. Michel fonce en voiture à travers la
nuit et c’est l’accident. Il se brise la mâchoire. Il ira tout
de même voir sa fille sans qu’on ait eu le temps de lui
prodiguer les premiers soins. Le reste leur appartient.
Nous sommes en décembre 1999. La tempête a soufflé sur la France, dévastant les forêts et arrachant les
toits. Mais la tempête qui a touché la famille Sardou est
bien plus terrible et dévastatrice…
Michel décide de ne pas arrêter de travailler, comme
toujours lorsqu’il est confronté à des situations douloureuses. Pour lui, la scène, le public sont les meilleurs
moyens de tenir le coup lorsque le sort est trop cruel.
Travailler, c’est remplir le vide, ne pas se confronter aux
190
Au théâtre ce soir
moments de solitude, de réflexion où les choses vous
reviennent en mémoire, où une suite ininterrompue de
« et si » vient sans cesse s’insinuer dans votre cerveau.
Travailler, c’est finalement ne penser à rien, fuir.
Michel, après avoir soigné sa mâchoire, remonte sur
les planches dès le mois de janvier. Une nouvelle opportunité s’offre à lui. Une chose à laquelle il n’avait sans
doute pas pensé jusqu’alors. Les propriétaires du théâtre
de la Porte Saint-Martin ont décidé de prendre leur
retraite et cherchent un repreneur pour leur salle, idéalement située sur les grands boulevards. Lorsque Michel
apprend la nouvelle, il fait aussitôt une offre.
Offre immédiatement acceptée par les époux
Reignier qui ont pourtant d’autres repreneurs en vue.
Mais ils estiment que Michel Sardou, enfant de la balle,
issu d’une famille de saltimbanques magnifiques, saura
redonner vie à cette jolie salle des grands boulevards.
Ainsi Michel se retrouve-t-il à la tête d’un théâtre. Pour
quoi faire ? Sans doute finira-t-il par se poser la question.
Dans le même temps, il s’attelle à la tâche avec son
ami Michel Fugain pour écrire de nouvelles chansons.
L’album sort au mois de septembre. Un premier single,
un CD deux titres, est cependant lancé dès la fin du
mois de mai ; il s’agit de « L’avenir c’est toujours pour
demain » et « Cette chanson-là ».
Cette dernière est un joli morceau où les cuivres
rappellent au loin la musique de cirque, une chanson
douce-amère qui parle peut-être des amours ratées, qui
revient sur un passé que l’on n’a jamais réglé :
Cette chanson-là, tu ne l’entendras pas tout de suite/
Mais sois certaine qu’elle te rattrapera/Quel que soit
191
Michel Sardou
l’endroit de ta fuite, tu la prendras pour toi/Cette chanson, cette chanson, cette chanson-là.
Dès le début du mois de septembre, il se lance dans la
promotion de son nouvel album. Il est le premier invité de
la nouvelle émission d’information sur TF1 le dimanche
en fin d’après-midi, 7 à 8. Une émission qui ne fait que
montrer la dérive de la chaîne, mêlant people, faits divers
et politique. On est bien loin du regard clair et de la
voix ferme d’Anne Sinclair dans 7/7. Mais peu importe,
Michel se prête volontiers à l’exercice. Les années l’ont
rendu plus sage. D’autres émissions suivront. Il sera chez
Jean-Pierre Foucault, Michel Drucker et bien d’autres
encore pour porter ce nouvel opus.
L’album qu’il défend s’intitule Français. La chansontitre est une véritable curiosité. Impossible de comprendre
ce que dit réellement Sardou. La chanson peut être interprétée de toutes les façons possibles. Raciste, antiraciste,
nationaliste ou simplement patriotique ? Aucune clé ne
permet de saisir ce que Sardou cherche à nous dire au
fond, si ce n’est qu’il « aime tous les Français ».
Dans cette évocation du peuple de l’Hexagone, qui
montre peut-être simplement que ce sont les contradictions des Français qui font d’eux un peuple aimable, deux
vers sont particulièrement obscurs :
Parce qu’ils sont italiens quand ils voient brûler Rome/
Et se font musulmans au nom des droits de l’homme…
Empathie formidable des Français ou bêtise crasse ?
Et cette référence à la religion musulmane est pour le
moins curieuse. Michel Sardou place de toute évidence
la France sous l’égide des fameux « 2000 ans de chrétienté ». Que vient faire là la religion musulmane ? Le
192
Au théâtre ce soir
chanteur la montre clairement comme importée, ce qui
n’a rien de faux ou de choquant, mais quel rapport avec
les droits de l’homme ? Cherche-t-il à nous dire que les
Français acceptent la religion musulmane parce qu’ils
sont formidablement bons et tolérants ? Quid alors des
Français qui suivent les préceptes de l’Islam ? La chanson ne provoquera pas de réaction particulière. Mais,
cela dit, bien malin celui qui serait capable de se forger
une opinion sur le sens profond de ce texte…
D’autres chansons valent cependant le détour.
Rendons hommage à Didier Barbelivien, dont on a dit
beaucoup de mal dans ces lignes, qui écrit une chanson
plutôt réussie intitulée « La bataille ». Une belle évocation de la Seconde Guerre mondiale. Même si l’on a le
sentiment que le parolier n’a pas quitté son dictionnaire
de rimes pendant tout le temps de l’écriture (toutes les
rimes sont en « ail »), le texte parvient à évoquer les
combats avec une certaine justesse, une belle émotion.
Sardou, aidé de Fugain, se fait plus intime et offre
également une tendre évocation de son amour avec
Anne-Marie, c’est du moins ce que l’on comprend en
écoutant la chanson :
Nous avons eu dans la vie/Des éclairs de vraie magie/
Estuaires où les bateaux chavirent/Au jeu du meilleur et
du pire/Nous avons été parfaits…/Faire l’amour comme
on l’a fait/C’était l’avoir fait pour toujours/Mais ça ne
dure jamais toujours…
Nous avons été si loin/Qu’au-delà on savait bien/
Qu’on s’en allait vers un délire/Unissant s’aimer et
mourir.
Michel Sardou a très nettement évolué avec l’âge. On
a le sentiment qu’au fur et à mesure des années, comme
193
Michel Sardou
la plupart des hommes, il s’est assagi. A moins envie
de provoquer pour provoquer. Il confie aux Dernières
Nouvelles d’Alsace :
— Les gens ne me connaissent pas et me mettent
des étiquettes. Ces étiquettes ne sont pas exactes. Je
suis multiple, je ne suis pas quelqu’un de raide qui ne
change pas d’avis. Je voudrais qu’on me connaisse un
peu mieux ; je crois que ça commence à venir d’ailleurs.
L’album Français ne fera pas une très belle carrière ;
il est pourtant assez réussi. Six cent mille exemplaires
vendus, c’est très bien, mais on est loin des meilleurs
scores réalisés par les albums précédents. Quoi qu’il
en soit, Michel Sardou remonte sur scène, reprend
Bercy, sa troisième maison après l’Olympia et le Palais
des Congrès. Mais il semble s’être lassé de cette salle.
Il annonce que ce sera la dernière fois qu’il y fera ses
concerts.
Peut-être Michel est-il aussi un peu « ailleurs ». Il est
à présent directeur de théâtre et sa nouvelle casquette le
passionne. Pour ses débuts en tant que directeur, il met à
l’affiche une pièce qui va faire un triomphe : Ils se sont
aimés, la suite de Ils s’aiment qui avait également été un
succès populaire incroyable durant l’année 1996-1997.
Pierre Palmade et Michèle Laroque reprennent les rôles
d’Isabelle et Martin. Cette fois-ci « le couple » essaie
de répondre à la question : « Y a t-il une vie après le
divorce ? » Après avoir scié en deux les meubles jusqu’à
la femme de ménage, on essaie de se revoir, on tente de
s’oublier, et le premier qui fait croire à l’autre qu’il a sa
nouvelle vie a gagné. A gagné quoi ? Ça ! C’est autre
chose… Grosse réussite et vrai bonheur pour Michel qui
parvient à remplir sa salle tous les soirs.
194
Au théâtre ce soir
D’autres spectacles auront moins de succès, mais
baste. Michel ne s’attendait pas à ce que diriger un théâtre
soit une tâche facile.
Et puis un nouveau projet l’excite tout particulièrement. Il a l’intention de jouer une pièce « chez lui », dans
son propre théâtre, et ce, dès l’année 2002.
22
Dévaler les rivières
de l’enfance
E
n novembre 2001, Michel Sardou est de nouveau
à l’Élysée. Il est élevé au rang d’officier de la
Légion d’honneur par Jacques Chirac. Les présidents
passent, Sardou reste.
Puis, dès le printemps 2002, il rode sa nouvelle pièce
en province. Le bonhomme reste prudent, il ne veut
pas prendre trop de risques en étrennant la pièce dans
la capitale. D’autant qu’il s’attaque à un rôle assez difficile, plein de nuances. Et, pour une fois, il ne s’agit pas
d’une adaptation, mais d’un texte français, de Félicien
Marceau, académicien et auteur dramatique connu pour
sa férocité. On est assez loin de l’aspect très « boulevard » de ses deux premières pièces.
Alors qu’il est en train de jouer aux cartes en solitaire, tard dans la nuit, monsieur Jaume (Michel Sardou)
196
Dévaler les rivières de l’enfance
est soudainement interrompu par une femme (Brigitte
Fossey) qui se présente comme sa conscience. Elle veut
comprendre comment l’homme en est arrivé là où il est
et pour cela elle fait remonter monsieur Jaume dans ses
souvenirs. De son premier emploi à son mariage, puis à
la mort de sa femme, au mariage de sa fille, la conscience
veut tout savoir des motivations de cet homme.
Pour cela, elle le bouscule, le presse de questions et le
pousse dans ses derniers retranchements pour l’amener
à dévoiler son être profond.
L’on comprend la difficulté pour Michel Sardou à
appréhender un tel rôle. C’est bien plus impressionnant
et difficile que ce qu’il a fait jusque-là. Il a absolument
besoin de se régler, trouver le ton juste.
Aussi, après une première à Saint-Germain-en-Laye,
Michel va roder le spectacle en province, puis en Suisse
et en Belgique.
La tournée en province est un bonheur pour tous les
comédiens. Tous racontent la bonne humeur et l’esprit
de camaraderie de Michel. Bien que la pièce ne se prête
pas tellement à l’improvisation et aux grosses blagues
sur scène, ce qui arrive souvent lorsqu’il s’agit de théâtre
de boulevard, les comédiens ne peuvent cependant s’empêcher de temps à autre d’essayer de faire rire Michel.
Alain Cerrer, l’un de ses partenaires de scène, affirme
que Michel a « douze ans et demi » lorsqu’il est sur une
scène de théâtre. Il « joue », il s’amuse.
Les enjeux sont bien entendu différents pour lui. Sans
doute sait-il qu’il ne sera probablement jamais vu comme
un acteur, mais plutôt comme un chanteur qui joue la
comédie. Il est trop marqué dans l’esprit des gens pour
pouvoir opérer sa mue. Alors, il prend tout cela comme
une récréation. Une récréation sérieuse, certes, Michel
197
Michel Sardou
ne fait pas les choses à la légère, mais il est sur un terrain
où on n’attend pas forcément grand-chose de lui.
Une fois la tournée en province terminée, l’heure est à
la rentrée parisienne. Le 4 septembre a lieu, au théâtre de
la Porte Saint-Martin, la première de L’Homme en question. La critique parisienne est un peu dure pour la pièce,
mais salue le jeu de Michel Sardou qui sait rester sobre et
tient son rôle sans en déborder. L’acteur Sardou tente de
faire oublier le chanteur, le temps d’une représentation.
C’est extrêmement difficile. Si la critique la juge avec un
peu de dédain, la pièce restera tout de même à l’affiche
pendant deux longues années.
La récréation de Michel a duré plus longtemps que
prévu, pour cause de succès. Et puis, un événement
purement lié au business est venu calmer ses envies de
musique. La maison de disques créée par Jacques Revaux
et Régis Talar, dont il a été la vache à lait pendant de
très nombreuses années, a été revendue à Sony Music.
Jacques Revaux a cédé ses parts, soit 49 %, sans en souffler un mot à Michel. Ce dernier se retrouve donc, par le
jeu des acquisitions, sous contrat avec Sony Music, sans
avoir signé le moindre document. Michel est furieux. Il
déclare à Paris Match :
— Ils n’auront jamais une note de moi, même si je
dois pour ça fusiller ma carrière. Je me suis fait baiser,
mais j’ai la mémoire longue. J’ai décidé de casser mon
contrat et je serai libre à partir du 1er janvier 2003. Dès
que cette affaire sera réglée, je serai ravi de refaire de la
scène.
D’ici là, il est bien assez occupé avec son théâtre et
sa pièce. Le théâtre, d’ailleurs, ne marche finalement pas
si fort que cela. Les investissements concédés pour les
198
Dévaler les rivières de l’enfance
travaux d’aménagement ont été lourds. Et, une fois que
le rideau est définitivement tombé sur L’Homme en question, les difficultés reprennent, au point que Michel envisage de vendre le théâtre. Il entre en discussion avec les
propriétaires du Casino de Paris et va jusqu’à signer une
promesse de vente. Il finira par se rétracter. Il est trop
attaché à son théâtre. Et un joli spectacle est en préparation. Il s’agit des musiciens classiques et loufoques appelés « Le Quatuor ». Un quatuor à cordes qui prend plaisir
à jouer avec les codes très figés de la musique classique
et qui s’amuse à briser les barrières entre les styles. Le
Quatuor a eu un immense succès avec son spectacle Il
pleut des cordes quelques années auparavant ; aussi,
Michel peut espérer remplir à nouveau son théâtre. Il ne
se trompe d’ailleurs pas. La corde rêve est plébiscitée par
le public. Mais, malheureusement, cela ne suffira pas, et
Michel, la mort dans l’âme, doit vendre son théâtre.
En attendant de se remettre à la musique, il refait un
petit tour devant une caméra, pour une nouvelle fiction
télé. Le chanteur se voit attribuer le rôle d’un colonel de
gendarmerie, Christian Legoff, directeur d’une académie militaire qui se retrouve suspecté du meurtre d’un
de ses élèves. Michel Sardou porte beau en uniforme,
et la raideur militaire lui convient bien. On se rappelle
pourtant qu’il fut pour le moins réfractaire à tout ce qui
touchait à la grande muette dans sa prime jeunesse. Mais
les hommes changent... C’est Gérard Marx qui sera aux
commandes du téléfilm. Le réalisateur est un habitué du
petit écran puisqu’il a déjà signé de nombreux épisodes
de La Crim’, Navarro, Nestor Burma, L’instit’ ou encore
du Commissaire Moulin. Michel partagera l’affiche avec
Alexandra Vandernoot, qui apparaît à l’époque dans un
199
Michel Sardou
très grand nombre de téléfilms. L’actrice passera avec
moins de bonheur et de réussite au grand écran.
Quelques difficultés, mineures, vont compliquer un
peu la tâche du réalisateur. En effet, il a besoin, pour tourner sa fiction, d’un cadre militaire, et la France lui refuse
l’autorisation de filmer dans l’enceinte d’une caserne.
Il faut dire que la situation internationale est extrêmement tendue, la deuxième guerre en Irak est sur le point
d’éclater, et l’armée, sous tension et en alerte maximale,
refuse d’encombrer l’un de ses sites avec une équipe de
tournage. Gérard Marx se rendra donc en Belgique qui,
sans doute moins impliquée sur le plan international,
accepte de laisser l’équipe tourner dans son École royale
militaire à Bruxelles. Cependant, la guerre en Irak éclate
la veille du début du tournage. Les comédiens et l’équipe
technique travaillent donc sous haute surveillance.
Un site militaire est, par définition, un lieu sensible, et
l’armée belge doit prendre toutes les précautions d’usage.
Cela complique un peu le travail des équipes qui sont
systématiquement confrontées à d’incessants contrôles
d’identité, mais n’entame pas le moral des troupes (si l’on
peut risquer le jeu de mots). Pas plus que les intempéries
qui s’abattent sur la Belgique. Les acteurs sont ravis de
jouer ensemble, et Michel Sardou, comme à son habitude lorsqu’il fait l’acteur, est à la fois sérieux, humble
et très bon camarade. Le Prix de l’honneur réunira huit
millions de téléspectateurs. Pas mal du tout.
Dans le même temps, la bataille juridique avec Trema
et Sony fait rage. On cherche à tout prix à trouver un
arrangement. C’est un jeu complexe qui voit Michel
finir par signer à nouveau avec Trema, mais sous label
200
Dévaler les rivières de l’enfance
Universal Music. Le chanteur s’engage à produire
quatre albums. Pour l’anecdote, il entre chez Universal
au moment même où son copain Johnny Hallyday s’en
va. Johnny ne se privera pas de tancer vertement Pascal
Nègre, qui dirige la maison, dans plusieurs interviews
accordées à la presse. Pour Michel, peu importe. Tout
cela, c’est du business. Et Universal est une major très
importante qui va lui offrir les moyens d’un come-back.
Il a été absent quelque temps, mais demeure cependant
l’une des personnalités préférées des Français.
Appuyé par l’immense force de frappe d’Universal,
Michel sort un nouvel album le 3 mars 2004 intitulé
Du plaisir. Une bonne partie de l’album a été écrite
en collaboration avec le désormais inévitable Didier
Barbelivien. Mais il y a un nouveau venu dans l’équipe :
J. Kapler (de son vrai nom Robert Goldman, le frère de
Jean-Jacques). Michel écrit avec lui le premier single de
l’album, « Loin ». Il nous emmène sur des chemins qu’il
n’avait jamais empruntés jusqu’alors :
Loin, aussi loin que tu sois/Et plus loin si je dois/J’irai
vers ta lumière/Loin, aussi loin que je peux/Et plus loin
si tu veux/Par-delà les frontières/Je n’ai pas choisi/C’est
ni le besoin, ni l’envie/J’ai cette force au fond de moi/Qui
me porte vers toi.
C’est clairement une chanson aux accents mystiques
que livre là Michel Sardou. Le texte n’est pas « religieux »
à proprement parler, mais il semble rendre hommage à
une puissance supérieure. Sardou, qu’on imagine athée,
ou en tout cas pas spécialement intéressé par la question
de Dieu, surprend beaucoup. La chanson est soutenue
par un très beau clip tourné en Argentine, dans la forêt.
On distingue les chutes d’Iguaçu situées à la frontière
201
Michel Sardou
de l’Argentine et du Brésil. Le clip est un véritable petit
film où l’on voit Michel Sardou en Amazonie, perdant
ses compagnons, son cheval, son matériel, et arrivant
totalement dépouillé au pied d’un temple inca, but final
de son épopée.
Les images célèbrent les beautés de la nature et, si
on les met en regard du texte, elles semblent exalter une
forme de créationnisme païen. Toutes ces merveilles ne
sont pas là par hasard, semble dire le film. Et le final
montre un Michel Sardou totalement dépouillé assis
devant un feu au pied d’un temple, comme arrivé au bout
du chemin.
À bientôt 60 ans, l’artiste aurait-il eu une révélation ?
Peut-être pas. N’oublions pas qu’il aime incarner des
personnages et qu’il a l’âge d’interpréter ce type de texte,
embrassant la vie d’une façon plus large, avec plus de
hauteur. Michel Sardou prendrait presque des allures de
sage.
Cependant, la couleur de l’album n’est pas sombre,
mais nostalgique, s’interrogeant sur des questions qui
assaillent l’homme au crépuscule de sa vie. Pour preuve,
il écrit seul (paroles et musique) une chanson intitulée
« La vie, la mort, etc. »
La vie, la mort/On entre, on sort, c’est tout/On veille,
on dort/On aime un corps, on y prend goût/On aime
encore/Encore plus fort, encore plus fou/Et puis après
la guerre, la paix/C’est tout.
La mort ne taraude pas Michel Sardou, mais il la
regarde en face, ne l’occulte pas :
— Je n’ai pas peur de mourir, ni de vieillir, ni de
changer, ça m’est égal. De toute façon, on ne peut rien y
faire, alors autant mourir le plus gaiement possible dans
un endroit tranquille.
202
Dévaler les rivières de l’enfance
Une bonne philosophie qu’il complète par ces mots :
— La mort, je la vois avec optimisme. Tellement
douce qu’on se rendra compte de rien… Enfin, j’espère. Cependant, l’homme a certains doutes, certaines
peurs :
— Peut-être qu’au dernier moment je vais flancher,
m’accrocher à une seringue comme un fou, je n’en sais
rien. Je dis ne pas avoir peur de la mort, mais on ne peut
jurer de rien. Michel Sardou écrit également une chanson où il
semble vouloir affirmer quelque chose, revenir sur son
passé. « Non merci » fait très nettement écho à la splendide tirade de Cyrano dans la pièce d’Edmond Rostand :
Dédier comme tous ils le font, des vers aux financiers ?
Se changer en bouffon dans l’espoir vil de voir, aux lèvres
d’un ministre, naître un sourire enfin qui ne soit pas
sinistre ? Non merci. Chaque question est ponctuée d’un
non merci ! Rageur. Michel pense forcément à cette tirade
en écrivant la chanson. On imagine sans aucun mal que le
personnage de Rostand, batailleur et intransigeant, pourrait d’ailleurs servir de modèle au chanteur. Cependant, la
chanson « Non merci » se place sur un autre registre :
Recommencer ma vie/Non merci/À n’importe quel
prix/Non merci/Si tu peux être amant sans être fou
d’amour/Et ne plus être aimé, sans haïr à ton tour.
C’est comme si Michel regardait en arrière et regrettait de n’avoir pas été Cyrano. Il fait également une référence claire au poème Tu seras un homme mon fils :
De cet Anglais des Indes, je connais ces deux lignes/
Je ne serai jamais un homme comme l’écrivait Kipling.
Comme s’il avait manqué d’intransigeance et de
clarté tout au long de sa vie et que l’approche de l’âge le
203
Michel Sardou
lui faisait à présent regretter. Ces textes donnent tout de
même le sentiment très net que Michel Sardou est à un
tournant de sa vie et qu’il est sans doute en train d’accepter de vieillir. D’ailleurs, ne se laisse-t-il pas convaincre
par Anne-Marie de garder sa belle crinière blanche et de
ne plus se teindre les cheveux ?
Mais la chanson qui va réellement décoller est un duo
que Michel Sardou interprète aux côtés de Garou intitulée « La rivière de notre enfance ». Les deux hommes
ont des voix qui se complètent parfaitement. Le timbre
profond de Sardou et la rocaille dans la gorge de Garou
se marient dans une chanson, encore une fois, nostalgique, un retour sur l’enfance :
Ce n’est pas du sang/Qui coule dans nos veines/C’est
la rivière de notre enfance : ce n’est pas sa mort/Qui me
fait d’la peine/C’est ne plus voir mon père qui danse.
La mort d’un parent renvoie inévitablement aux
souvenirs d’enfance et à leur douceur. La chanson
coécrite avec Didier Barbelivien est comme souvent une
jolie énumération. Mais la présence des deux chanteurs
offre un réel supplément d’âme.
De plus, le clip est une belle réussite. On y trouve
Garou et Michel Sardou dans une maison, que l’on
suppose être celle de leur père décédé. Ils regardent les
souvenirs accumulés. Ils semblent en train de vider la
maison.
Mais le clip se termine sur un retournement de situation inattendu. Les deux hommes sortent de la maison
et sur le perron voient la police les mettre en joue. Nous
avions en fait affaire à deux cambrioleurs. Les derniers
mots sont de Sardou. Il se tourne vers Garou et lui lance :
« T’as encore chanté trop fort. »
204
Dévaler les rivières de l’enfance
Le clin d’œil est très amusant et montre que, malgré
le thème de la chanson, Michel est capable d’humour et
d’autodérision. Le succès populaire est immense. Les
fans sont comblés.
La chanson ne marquera peut-être pas les esprits, mais
elle a ce je-ne-sais-quoi qui en fait un très joli morceau.
On ne peut s’empêcher de penser que Michel fait encore
une fois référence à l’absence de son père. Quand on lui
pose la question, il ne nie pas et ajoute :
— Ce n’est pas la mort qui fait de la peine, comme on
dit dans la chanson. D’un seul coup, il y a une absence.
Vous avez presque envie de parler, presque envie de lui
dire quelque chose ? Ça vous revient un peu comme s’il
était là, je me suis surpris à penser, tiens, faut que j’appelle papa. C’est une pensée qui revient tout le temps. J’y
pense, il est présent.
Ce sera, jusqu’à aujourd’hui, le dernier très grand
succès de Michel Sardou. Mais nous verrons dans la
dernière partie de ce livre que le chanteur a mis toutes
les chances de son côté pour que son opus 2010 ait une
carrière digne de ses plus grosses réussites. Mais n’anticipons pas trop.
23
De père en fils
M
ichel Sardou, fort du beau succès populaire
de « La rivière de notre enfance », retourne à
Bercy. Il a conçu un spectacle en deux parties distinctes.
Pour le début de son concert, Michel a préparé une entrée
seul sur scène.
Il interprétera ses anciennes chansons, celles que le
public lui réclame chaque fois. Depuis « Les Ricains »
jusqu’à « La java de Broadway » en passant par « Les
bals populaires », il va régaler son audience, même si, il
l’avoue parfois, il est un peu lassé de se voir demander
toujours la même chose. La deuxième partie du spectacle est beaucoup plus spectaculaire et correspond en
tous points à ce que Michel Sardou offre habituellement
avec débauche d’effets spéciaux et jeux de lumière.
Une chose surprend. Le Sardou nouvelle manière qui
semble jeter un regard sur son passé et regarder l’âge
avancer avec sérénité est nettement plus enjoué.
206
De père en fils
Il n’hésite pas à se lancer dans des monologues entre
les chansons, à communiquer avec son public. Il montre
même une certaine forme d’autodérision à laquelle il
n’a pas habitué ses admirateurs. Mais personne ne s’en
plaindra. Il faut dire que Michel est bien dans sa peau. Il
n’a plus grand-chose à prouver, il est heureux en ménage,
ses enfants Romain et Davy mènent chacun la carrière
qu’ils ont voulue. Romain a publié en 2002 un roman qui
s’est bien vendu, tout comme ceux qui suivront. Le fils
aîné de Michel Sardou est devenu un écrivain, un vrai. Et
cela semble ravir son père. Quant à Davy, il poursuit sa
carrière de comédien aussi discrètement que sûrement.
C’est donc un homme parfaitement accompli qui
repart sillonner les routes de France.
La vie semble devoir s’écouler de façon idyllique,
mais, Michel Sardou le sait bien, les moments de vrai
bonheur ne sont que des moments de répit. Au début
du mois de janvier 2006, sa fille Cynthia sort un livre,
Appelez-moi Li Lou. Dans ce texte, elle revient sur son
passé difficile et accuse Michel d’avoir été un mauvais
père. Un père non seulement absent, mais méprisant.
Elle explique également avoir vécu toute son enfance
avec une culpabilité terrible, insupportable à porter
pour une enfant si jeune. En effet, sa mère, Françoise,
est restée persuadée que, si Michel est parti, c’est parce
qu’elle était enceinte d’une fille et qu’il voulait un fils.
Cynthia revient également sur sa terrible agression. Le
livre est donc un coup dur pour le chanteur qui fera en
quelque sorte son mea culpa, sans pour autant s’épancher
plus que de raison. Il laisse à Cynthia le droit d’exprimer sa colère et sa tristesse sans chercher à la contredire.
L’attitude est pour le moins élégante. Sans doute espère207
Michel Sardou
t-il un rapprochement avec sa fille qui lui a tant reproché
son éloignement.
Michel Sardou sortira également un album en 2006,
intitulé Hors format. L’album n’aura pas un très grand
succès. Michel semble s’essouffler. Peut-être le bonheur
de vivre le pousse-t-il à une certaine forme de facilité.
Certains titres prêtent même un peu à rire. Difficile de
garder son sérieux lorsque, dans une chanson pourtant
assez dramatique, écrite avec l’ami Barbelivien, le chanteur clame : « Le monde est sourd comme Beethoven. »
Une chanson, si elle n’est pas totalement une réussite, a le mérite d’avoir un titre pour le moins original. Il
s’agit de « L’évangile (selon Robert) ». Michel Sardou en
a écrit les paroles seul, la musique étant signée J. Kapler
(Robert Goldman, peut-être le Robert de la chanson).
Mais le chanteur joue une partition qu’il a déjà entendue
dans son album précédent :
Je me suis juré cent fois/De remettre tout à plat/Nous
avons tous fait ça/Je jure de n’plus jamais jurer/Ce genre
de truc qui vous envoie/Au bout du monde/Pour vous
vider la tête…/C’est fou comme les alcools sont vagues/À
47 degrés…
Michel revient également sur la paternité. Sur son
père, Fernand. Chanson écrite également par Sardou
seul.
Si j’avais été moins fier/Si j’avais fait un pas vers
lui/Au lieu de le fuir et me taire/J’aurais mieux compris
ma vie…/Et si c’était à refaire/Si j’étais debout devant
lui/C’est fou le temps, le temps qu’on perd/J’aurais
deviné ma vie.
Et il chante également un texte nostalgique sur le mode
« C’était mieux avant » intitulé « Les villes hostiles » :
208
De père en fils
Plus rien n’existe tout a changé/Même ma rue je ne la
retrouve plus/On a dû reconstruire dessus/Des fenêtres
aveugles un peu partout/Derrière lesquelles on s’abrutit/Un verre de rouge et on oublie.
Le défaut majeur de cet album réside sans doute dans
le fait que Michel Sardou semble n’exprimer que des
regrets. Qu’il regarde le passé avec une insistance qu’on
ne lui connaissait pas. Sans doute est-on loin de l’image
que le public aime. Un homme volontaire, regardant la
vie en face, n’hésitant pas à crier sa colère de manière
brutale. Cet homme-là semble s’être évanoui.
Michel Sardou n’est pas Gérard Lenorman, ça, nous
le savions. Mais, sur les dernières années, il tend à le
devenir, c’est-à-dire à perdre la puissance de conviction
qui faisait sa force.
Les raisons peuvent en être multiples. L’âge peut-être,
même si en le voyant on a du mal à penser que cet homme
en 2007 aura 60 ans. Le manque d’un véritable sparringpartner sans doute. Une personne avec laquelle batailler
pour sortir des textes qui aient l’énergie d’antan. Michel
Sardou a besoin de cela pour s’exprimer totalement au
fond, pour se renouveler. Il ressasse des thèmes qu’il a
déjà abordés et ne parvient pas à en faire autre chose.
La seule et unique petite polémique, parce que, tout de
même, il en faut bien une, viendra d’une chanson intitulée « Allons danser ». La France est en pleine campagne
électorale. Une campagne très tendue. Le programme du
candidat de la droite, Nicolas Sarkozy, est très marqué
par la fin de la domination du gaullisme, de la droite
sociale. Nicolas Sarkozy se fait le chantre d’une droite
dite « décomplexée », c’est-à-dire très libérale sur le plan
économique, abordant sans problème la question de l’im209
Michel Sardou
migration, proche au final de la pensée dominante chez
les Républicains aux États-Unis. C’est dans ce contexte,
qui voit donc s’affronter des visions extrêmement antagoniques, que Michel Sardou sort cette chanson. Et si
l’on écoute bien les paroles d’« Allons danser », on voit
de quel côté penche le cœur du chanteur :
Parlons aussi fraternité/D’où que tu viennes, bienvenue chez moi/En sachant qu’il faut respecter/Ceux qui
sont venus longtemps avant toi.
Voilà pour l’immigration.
Se prendre en charge et pas charger l’État ou encore
Ajoutons qu’il faut travailler/Riche et célèbre, c’est
comme un chèque en bois.
Voilà pour le « travailler plus pour gagner plus ».
Parlons enfin des droits acquis/Alors que tout, tout
passe ici-bas/Il faudra bien qu’on en oublie/Sous peine
de ne plus jamais avoir de droits.
Et voilà pour les 35 heures ou la retraite. Alors, il est
logique que, dans le contexte, la chanson ne passe pas
totalement inaperçue. De plus, la maison de disques a la
bonne idée de faire imprimer la chanson en dernière page
du Parisien. Cela ressemble donc vraiment à un appel en
faveur du candidat de la droite. Pourtant, Michel Sardou
s’en défendra quelques années plus tard :
— « Allons danser » a été mal comprise. On a cru
que je mettais en chanson le programme du candidat.
Pas du tout, je disais aux gens, allez danser, c’est des
promesses électorales, chaque fois on vous balancera la
même chose, on rasera gratis demain. « Allons danser »,
ça dit juste on s’en fout des promesses, on sait qu’on ne
peut pas les tenir. Sardou n’est pas d’une totale bonne foi lorsqu’il
affirme cela. En effet, le refrain dit :
210
De père en fils
Et puis allons danser/Pour oublier tout ça/Allons
danser/Personne n’y croit/Allons danser/Même sur n’importe quoi/Mais allons danser/Et ça ira.
On peut supposer que ce que Michel Sardou tente de
nous dire est plutôt : voici mes opinions, je les affirme,
mais je n’en fais pas un drame si vous n’êtes pas d’accord
avec moi. Le refrain est presque une ode à la tolérance et
au vivre ensemble.
L’album Hors format contient également une chanson
qui semble donner un élément de réponse à l’assagissement du chanteur. « Je ne suis plus un homme pressé »
fait clairement référence à L’Homme pressé, le roman de
Paul Morand, ou bien au film qui en a été tiré. On suppose
que Michel Sardou a dû être fasciné dans sa jeunesse
par Pierre, le personnage principal du roman, un jeune
homme qui se consume et consume les siens en fonçant
vers un but qu’il renouvelle chaque fois qu’il l’atteint.
La vie comme un tourbillon ininterrompu. Sans doute
Michel se reconnaît-il dans le héros de Paul Morand.
Aussi, jouant avec la référence littéraire, le chanteur
nous dévoile sa part de changement, d’apaisement :
Mes impatiences/Mes excès mes urgences/Toutes mes
certitudes/Celles qui m’ont fait douter/Toutes mes habitudes/Lentement ont changé/J’en souris aujourd’hui/Je
n’suis plus un homme pressé.
Dans la presse, lorsqu’on lui demande si la chanson
est autobiographique, Michel répond sans ambages :
— Disons que j’ai été sous pression pendant longtemps. Comme tous les jeunes chanteurs à leurs débuts,
il fallait absolument avancer, gagner. Aujourd’hui, je le
suis un peu moins, j’ai d’autres priorités. La jeunesse n’est
pas le meilleur âge. Bien sûr, on est en forme physique211
Michel Sardou
ment, mais on se cherche encore. À mon âge, je connais
mes défauts, mais aussi mes qualités, et finalement, je
m’aime bien. « Les yeux de mon père » dénote un changement
chez Sardou : Si j’avais été moins fier/Si j’avais fait un
pas vers lui/Au lieu de le fuir et me taire/J’aurais mieux
compris ma vie…
« Les yeux de mon père » évoque donc un fils qui
serait passé à côté de son père…
— C’est vrai que lorsque j’étais enfant, mon père était
constamment sur les routes. J’étais en pension et finalement nous nous sommes connus assez tard. Lorsque j’ai
commencé ce métier, mon père et moi avions enfin des
choses à nous dire. Malheureusement, il est parti très tôt.
Il avait 64 ans et il n’a pas eu le temps de me voir évoluer.
Je crois qu’il m’a vu deux fois sur scène, je regrette les
discussions que nous n’avons pas pu avoir. Pour finir, « 40 ans » revient sur « Femmes des
années 1980 ». On voit, en fait que Hors format aborde
des thèmes qui seront approfondis dans l’album suivant,
comme s’il s’agissait d’un diptyque.
J’ai quarante ans/plutôt jolie/j’ai quarante ans/J’ai
juste assez de temps pour voir passer ma vie/Mes amitiés
elles sont parties/Et près de moi un homme s’ennuie/Un
homme qui m’aime et qui attend/Que je décide d’avoir le
temps/De lui faire un enfant.
Une femme qui a réussi, mais à qui il manque quelque
chose. « Être une femme 2010 » fera clairement écho à
celle-ci. Quand Michel Sardou en parle, il confie :
— Avec la chanson « 40 ans », je me suis mis dans
la peau d’une femme qui, alors qu’elle a privilégié sa
212
De père en fils
carrière, n’a pas eu le temps d’avoir des enfants. J’ai
souhaité faire un bilan de ce qu’étaient devenues les
femmes des années 80 qui avaient voulu prendre le
pouvoir. Elles sont très efficaces dans leur travail, souvent
plus que les hommes, alors qu’elles sont moins payées,
un comble ! Mais elles sont prises dans la course à la
réussite, et j’ai peur qu’elles passent à côté d’un bonheur
simple, de l’amour, des enfants. C’est cher payé. On voit ici très clairement que c’est le discours qu’il
a construit a posteriori qui l’a fait accoucher trois ans
plus tard de « Être une femme 2010 ». Comme si Michel
Sardou avait eu besoin de préciser sa pensée, d’aller un
peu plus loin.
L’album sorti fin 2006 ne fera qu’une petite carrière
honorable. Très honorable. Michel Sardou a des fidèles
qui le suivent à chacun de ses albums, et, dans une
industrie du disque en pleine déliquescence, il fait figure
de très bon vendeur.
En 2007, pour des raisons de santé, il est contraint
d’annuler une série de concerts. Mais l’homme se remet
vite. On a le sentiment un peu vague qu’il ne tenait
pas totalement à défendre son dernier opus. Et puis un
autre projet semble lui tenir beaucoup plus à cœur. Une
nouvelle pièce de théâtre où il partagera l’affiche avec
son fils Davy. Le père et le fils s’étaient déjà croisés
dans L’Homme en question puisque Davy y incarnait
Michel jeune. Mais c’est la première fois que le père et
le fils vont réellement se donner la réplique. Comme de
bien entendu, la pièce écrite par Éric Assous et mise en
scène par Jean-Luc Moreau s’appelle Secrets de famille.
L’argument de la pièce est plutôt amusant : Michel
213
Michel Sardou
Sardou incarne un parolier de chansons divorcé et qui a
élevé seul son fils. Celui-ci doit épouser une charmante
blonde dont il est amoureux, mais qui, elle, n’est pas très
pressée de se marier, vu qu’elle est amoureuse du père et
non pas du fils ! À partir de là s’ensuit toute une série de
quiproquos…
D’autres acteurs viennent compléter la distribution,
dont notamment Laurent Spielvogel qui avait partagé
l’affiche avec Michel lorsqu’il jouait Bagatelle(s).
La première est prévue pour le 1er octobre 2008. Faire
jouer ensemble Davy et Michel est un joli pari. Jean-Luc
Moreau affirme qu’il ne les voit pas comme père et fils,
mais bien comme deux acteurs. Il affirme :
— Là, j’ai affaire à deux comédiens, et c’est aux
comédiens que je m’adresse. Davy, pour sa part, est tout à fait heureux de jouer
avec son père et explique que cela ne lui pose aucun
problème. Il trouve même cela plus simple qu’avec un
partenaire qu’il ne connaît pas.
— Avec un inconnu, il faut créer un rapport. Alors
que là, je le connais, dit-il en riant.
Il ajoute également qu’il aime passer du temps avec
un père souvent absent pendant son enfance.
— On ne s’est jamais autant parlé qu’aujourd’hui,
affirme-t-il.
Et il ajoute avec un peu de fierté dans la voix :
— Nous avons maintenant un sujet commun.
Bref, une belle expérience pour un père et un fils.
Michel, pour sa part, lorsqu’on lui demande s’il a l’intention de chanter à nouveau, hausse ostensiblement les
épaules. Puis s’agace un peu :
— J’ai fait un disque l’année dernière, je ne vais pas
faire un disque tous les ans. 214
De père en fils
Et puis, l’instant d’après, il baisse la garde :
— Oui, j’ai envie de revenir au théâtre, c’est plus enrichissant pour moi. C’est plus amusant. La phrase est lâchée. Michel a peut-être le sentiment
d’avoir fait le tour de la chanson et il désire à présent,
si ce n’est se consacrer entièrement au théâtre, tout du
moins donner plus de temps à son métier d’acteur. On
imagine bien qu’il n’a pas envie de penser à autre chose
qu’au plaisir de jouer. Et puis, sans doute, lui poser la
question de la musique, c’est lui rappeler toujours qu’il
n’est pas vraiment comédien.
Mais encore une fois, une nouvelle expérience est
proposée à Michel Sardou. Bernard Fixot, l’éditeur de
son fils et mari de Valérie-Anne Giscard d’Estaing,
grande amie de Michel, propose au chanteur d’écrire
son autobiographie. L’homme a sans doute été sollicité
des dizaines de fois ; on se doute bien qu’ils ont été
nombreux à vouloir recueillir les confidences du chanteur. Mais, cette fois-ci, Michel Sardou accepte. Il faut
dire que Fixot possède une maison d’édition dont les
livres se vendent très souvent à des dizaines, voire des
centaines de milliers d’exemplaires.
C’est un éditeur qui connaît son affaire et sait orchestrer un « coup » comme personne. Il a, de plus, un
bagout, une force de conviction et une foi dans ce qu’il
fait qui ont dû séduire Michel Sardou. Le chèque a dû
aider également, ne soyons pas hypocrites.
Michel accepte donc. Il se lance dans l’écriture d’un
texte tout à fait étonnant, qui semble écrit au fil de la
plume, au fil des souvenirs. Pas de cohérence chronologique réelle, juste des flashs, des saynètes ponctuées
par des opinions fines ou à l’emporte-pièce, des consi215
Michel Sardou
dérations sur sa vie ou sur l’existence en général. C’est
un livre honnête, et Michel Sardou affirme même que
ce retour en arrière a été une épreuve. Avec à la fois
beaucoup d’astuce, et sans doute une réelle émotion, il
invente un dialogue débridé avec sa mère, Jackie, décédée quelques années plus tôt.
Le livre est court, mais le style est tout particulièrement enlevé. On découvre un Michel Sardou maniant
la plume avec une belle aisance et une grande acidité,
jouant sur tous les registres de vocabulaire, cultivant une
verve tout « audiardienne ». Le plaisir de se raconter
sans contraintes est évident.
Si le public a relativement peu suivi Hors format,
son album de la fin 2006, il réserve un accueil incroyablement enthousiaste au livre qui sort en mai 2009.
Michel Sardou reste en tête des ventes pendant de très
nombreuses semaines. Un regain de popularité qui va lui
donner un nouvel élan. Il se remet au travail avec acharnement, écrit de nouvelles chansons et, à la fin août 2010,
sort son nouvel album : Être une femme 2010.
24
Les femmes toujours
Ê
tre une femme 2010 est la dernière actualité de
Michel Sardou, la plus brûlante. Ce chapitre
se présentera, non pas comme un épilogue au présent
ouvrage – ce serait clore l’histoire de Michel Sardou et
elle semble bien loin d’être terminée –, mais comme une
présentation et une ouverture sur l’avenir.
C’est au mois de mai 2010 que l’on entend pour la
première fois sur les ondes une chanson connue de tous.
Une reine du karaoké dans une version techno. On se dit,
tiens, un remix d’« Être une femme ». Et puis on tend
l’oreille. La voix a changé quelque peu, elle s’est épaissie,
a pris la profondeur des voix de fumeurs impénitents.
Et la seconde d’après, on s’aperçoit, presque imperceptiblement, que quelque chose cloche. Les paroles que
l’on pensait connaître par cœur pour les avoir entonnées
à tue-tête en boîte de nuit ou dans des soirées ne sont
plus les mêmes.
217
Michel Sardou
Depuis les années 1980 les femmes sont des hommes
à temps plein/Fini les revendications/C’qu’elles ont
voulu maintenant elles l’ont.
Divine surprise, Sardou se manifeste à nouveau. L’on
découvre alors que le chanteur est sur le point de sortir
un nouvel album et que nous avons affaire au premier
single. Sortie programmée le 31 août 2010. La chanson
est largement diffusée sur les ondes et parvient à la fois à
raviver un certain sentiment de nostalgie et à relancer le
vieux débat sur le prétendu machisme de Michel Sardou.
Fin août, donc, l’album sort. Il s’intitule Être une
femme 2010, du nom de la nouvelle version de l’immense
succès des années 1980. On découvre une pochette originale. Pour une fois, pas de photo de Michel Sardou, mais
une illustration montrant une pin-up des années 1950,
court vêtue comme il se doit, posant devant un avion.
Michel avouera :
— Ça fait quarante ans qu’on me reproche ma gueule
sur les pochettes de disques. Pour une fois ça change. La sortie de l’album a le retentissement espéré. Michel
Sardou n’a pas sorti de disque depuis 2007, autant dire
que le nouvel opus est très attendu, et, comme toujours
lorsqu’il s’agit du provocateur bougon préféré des
Français, scruté ligne par ligne. La critique va prendre
un malin plaisir à écouter, réécouter l’album, à le décortiquer dans le but de trouver la petite bête, la chanson
ou la phrase qui créera la polémique. Déception. Pas la
moindre petite provocation à se mettre sous la dent. Rien
qui permette de faire un papier facile et incendiaire. On
râle un peu, contre quelques vers du remake d’« Être
une femme », parce qu’il le faut bien. Quelques associa218
Les femmes toujours
tions féministes s’élèvent, purement pour la forme. La
chanson reste plutôt inoffensive et a pour but avoué de
simplement faire danser :
Depuis les années 80/Les femmes sont des hommes à
temps plein/Fini les revendications/C’qu’elles ont voulu
maint’nant elles l’ont/Ce sont toutes des femmes accomplies/Sans vraiment besoin d’un mari.
Bref, pas de quoi fouetter un chat. Les quelques voix
discordantes ne parviendront pas à passionner les foules.
Si polémique il aurait dû y avoir, il aurait fallu qu’elle
éclate à l’époque de la chanson originale, ce qui n’a pas
été le cas. Alors, comme on ne sait pas trop quoi dire,
on parle d’album « consensuel » pour Le Parisien, voire
« lisse » pour France Soir. Pourquoi pas, la critique doit
bien de temps à autre exercer sa mauvaise foi si elle veut
continuer d’exister.
Si le nouvel album de Sardou suscite difficilement la
polémique, c’est qu’il a une tonalité particulière: il est
presque entièrement dédié aux femmes. La raison en est
toute simple. Michel Sardou l’explique lui-même :
— Ma productrice m’a dit que je m’éloignais de mon
public féminin. Il décide donc que les femmes seront le thème central
d’Être une femme 2010. Il met en scène des vies de
femmes, des types de femmes, avec un regard tendre,
toujours. On sait que Michel aime les femmes et qu’elles
le lui rendent bien. Il a pratiquement écrit tous les textes
de ce nouvel opus, à l’exception d’un ou deux, notamment
« Rebelle », pièce cosignée avec Didier Barbelivien. Il
confie les musiques à Daran et Vénéruso avec lesquels il
a déjà travaillé, mais sans leur laisser une totale latitude.
La couleur de l’album est donc très largement pop rock.
Les musiques se répondent, possèdent une cohérence
219
Michel Sardou
beaucoup plus nette que dans les albums précédents.
Michel Sardou le dit d’ailleurs de façon très claire :
— J’ai donné toute la responsabilité à Vénéruso et
à Daran. Ils apportent leur personnalité. Mais ils sont
cohérents avec ce que je suis. Ce que je regrettais, c’était
de sauter du coq à l’âne dans mes disques. Là il y a une
couleur, une cohérence. Travailler avec eux a été un plaisir. Ils trouvent parce qu’ils cherchent. Lorsqu’il s’exprime à la radio ou à la télévision pour
assurer la promotion de son album, Michel Sardou se
fait plus loquace, plus détendu, il est même badin par
moments. Il donne l’image d’un homme qui s’est trouvé,
qui est en paix avec lui-même. Il cite même volontiers
la phrase de Paul Nizan dans son magnifique roman
Aden Arabie1, qu’il attribue par erreur à Charles Péguy,
mais peu importe) : J’avais vingt ans et je ne laisserai
personne dire que c’est le plus bel âge de la vie.
Il s’épanche volontiers sur chacune de ses chansons,
sur ce qui l’a conduit à les écrire. Pour celles sur les
femmes, notamment, il est plutôt disert.
Lorsqu’on lui parle de « Elle vit toute seule », Michel
Sardou raconte qu’il s’est inspiré de toutes ces femmes
qui vivent sans compagnon, qui n’en sont pas vraiment
malheureuses ou tristes, mais qui s’enferment dans un
quotidien pour ne pas voir leur solitude. Il l’explique
d’ailleurs très bien lui-même :
— C’est une vieille idée. Certaines femmes se déconnectent. On ne les invite plus. Elles ne sont pas tristes,
mais un décrochage s’est fait. Ça n’est pas un drame,
mais elles sont seules.
1. Paru en 1931.
220
Les femmes toujours
Elle vit toute seule/Comme elles sont des milliers/Un
jour on n’a personne/Personne à qui parler/Les amis
sont ailleurs/Mais c’n’est pas l’amitié/Le jeu d’l’amour/
Qu’on perd toujours/Lorsque les heures se comptent en
jours/Elle a tell’ment compté.
Dans la même veine un peu nostalgique, le même type
de regard tendre et vaguement paternel, il y a « Chacun
sa vérité » :
On m’a parlé d’elle/Qu’elle était aussi belle/Qu’elle
était encore libre/Pas vraiment, vraiment libre/Puisqu’il
y avait un homme/Un homme parce qu’il faut vivre/Mais
la bride était longue/Et ses nuits agitées/Et puis y a les
jalouses/Celles qui ont épousé/Un mari trop âgé/Un
homme parce qu’il faut vivre.
L’histoire d’une femme vue comme trop libre par les
autres femmes. Sardou ne porte pas de jugement ; il dit
que chacun possède sa propre vérité. Il raconte comment
lui est venue l’idée de cette chanson :
— À la terrasse d’un restaurant, je retrouve une amie
que je n’avais pas vue depuis vingt-cinq ans. À ma droite,
il y avait deux corpulentes épouses qui en disaient du
mal. Je me suis dit, je vais en faire une chanson. Chacun
sa vérité, pour moi c’était une belle femme et une amie,
pour ces deux corpulentes épouses, c’était une salope. Même s’il ne porte pas de jugement réel, Sardou offre
un regard légèrement désabusé. Après la femme seule,
il y a la femme mal accompagnée, celle qui justement
ne veut pas vieillir dans la solitude et qui prend « un
homme parce qu’il faut vivre ».
Mais l’album ne montre pas uniquement des femmes
désabusées. Michel Sardou instille ici ou là une note d’es221
Michel Sardou
poir, notamment avec la chanson « Rebelle » où il semble
conseiller une jeune femme dont jamais on ne saura qui elle
est exactement, mais qui est représentée par un violoncelle :
Je crois voir briller dans vos yeux/Un souvenir de
poussière d’or/Protégez-le de mieux en mieux/Mettez
l’espoir au coffre-fort/Ainsi va le monde mademoiselle/
Essayez d’y rester rebelle/Le plus important entre nous/
C’est d’être fidèle avec vous.
Une ode à la rébellion en direction des femmes.
Finalement Sardou n’est peut-être pas tout à fait en phase
avec ce C’qu’elles ont voulu maintenant elles l’ont affirmé
dans « Être une femme 2010 ». Il y a une sorte de contradiction. Mais, on l’a vu, les contradictions, Michel les assume,
voire, il s’en fout. Rester rebelle, c’est conserver sa jeunesse
et, pour une femme, peut-être rester debout. Il prodigue
d’ailleurs clairement ce conseil lors d’une interview :
— Soyez rebelle le plus longtemps possible à tout. Ne
vous faites pas d’idées, ça ne durera pas. À un moment
donné la société vous bouffera et vous rentrerez dans le
cadre, dans le format, mais au moins tentez de rester fidèle
à vous-même le plus longtemps possible, c’est ce que j’essaie de faire, avec quelques trahisons, je le confesse.
Puis d’autres chansons, comme « Une corde pour se
noyer », parlent de retour en arrière possible ou impossible:
Si on tentait le coup/De tout recommencer/Reprendre
exactement/Où on s’est arrêtés/On le joue comme un jeu/
On a tout à gagner/On dit qu’une fois sur deux ça peut
marcher/La seule règle essentielle/La figure imposée/
Jeter à la poubelle/Qui nous avons été.
Ou encore « Soleil ou pas » :
Et ne rien prévoir pour après/Ne même pas songer
aux regrets/Ne pas savoir où on ira/Jouer avec ce que
222
Les femmes toujours
l’on a/Et puis recommencer toujours/Éternel est le même
retour/Aimer l’amour encore une fois/Mais seulement
une fois à la fois/Soleil ou pas ça me convient.
Et cette chanson, qui semble parler d’espoir, intitulée
« Ça viendra forcément ». Un texte extrêmement habile
puisqu’il donne à croire qu’il parle d’une rencontre
amoureuse future :
Je ne sais pas ni où ni quand/Ça viendra forcément/
La rencontre attendue/Celle qu’on n’espérait plus/Peu
importe l’endroit/Il fera chaud ou froid/Tout près ou loin
de tout.
Et puis, au détour d’un couplet, presque dissimulé, ces
quelques vers qui donnent la signification réelle du texte :
Final’ment on s’en fout/Puis la mort/Elle aura un
ailleurs/De cendres ou bien de fleurs/On aura tout le
temps/D’en parler en y allant/C’est sans doute assez
loin/Elle me tiendra la main.
Oui, Sardou parle de la mort, mais il a la délicatesse de
l’entourer d’un halo de brume qui la rend presque imperceptible si l’on n’y prend pas garde. Comme s’il cherchait
à nous dire de continuer à espérer tout en sachant que la
fin est inéluctable.
Les autres chansons de l’album sont un peu plus disparates, mais gardent la même tonalité nostalgique, avec
un léger fond moraliste, pas moralisateur. Michel Sardou
regarde notre époque sans colère, sans désillusion non
plus, mais avec une tendresse vaguement désespérée.
Il y a notamment « L’humaine différence » :
Les hommes ne sont plus c’qu’ils étaient/Les guerres
se gagnaient dans un champ/Deux uniformes, chacun son
camp/Aujourd’hui tout l’monde est soldat/Les femmes et
223
Michel Sardou
l’enfant au combat/Au nom d’un Dieu toujours absent/
Le diable n’en demandait pas tant.
Cette chanson aurait pu être rageuse, elle ne l’est pas.
Elle a un air lointain de satire désenchantée. « Le diable
n’en demandait pas tant » fait peut-être référence à la très
belle chanson de Jacques Brel « Le diable (ça va) » qui
était construite un peu de la même façon.
Chose nouvelle chez Michel Sardou, qui prolonge son
opus de 2006, il revient sur la vanité de la fête. Le chanteur confie ne plus tellement sortir, être devenu casanier,
se coucher assez tôt, et préférer regarder un DVD chez
lui plutôt que d’aller en boîte de nuit. C’est sans doute
cet état d’esprit qui le mène à écrire une chanson comme
« Les nuits blanches à Rio ».
Les odeurs de tabac/La couleur des chariots/Et de
l’or sur le bois/Des tambours de là-haut/Ça ne dure
qu’un cohiba/Et puis c’est un mégot/On vit combien de
fois/Ses amours à Rio.
Et puis, pour finir, citons une chanson que Michel
Sardou lui-même juge décalée, en équilibre sur le dos de
l’album et qui s’intitule « Lequel sommes-nous » :
Lequel sommes-nous/J’en connais aussi qui cumulent/Laids, bêtes et méchants à la fois/Ceux-là sont têtus
comme des mules/Dans leur royaume ce sont les rois/Et
l’attardé à grande échelle/Celui qui raterait le ciel/En
entrant dans l’éternité.
Un bel hommage à Georges Brassens et à sa chanson
« Le temps ne fait rien à l’affaire » :
Quand on est con, on est con/Qu’on ait vingt ans qu’on
soit grand-père/Quand on est con, on est con/Entre vous
plus de controverse/Con caduc ou con débutant/Petit
con d’la dernière averse/Vieux con des neiges d’antan…
224
Les femmes toujours
En fond, si l’on tend l’oreille, un son aigu et aigrelet de guitare vient rappeler celle du grand Georges. Ce
n’est pas un hasard si c’est à bientôt 64 ans que Michel
Sardou écrit et interprète une telle chanson. Il regarde
sans doute le jeune homme qu’il a été en jugeant qu’il
était un petit con, mais comme c’est un homme intelligent, il se dit que, sans aucun doute, celui qu’il était à
vingt ans le traiterait sans ciller de vieux con…
Ce plus récent opus de Michel Sardou comporte bien
d’autres chansons encore. Nous ne les dévoilerons pas
toutes ici. Il suffit de savoir qu’Être une femme 2010 est
sans doute le dernier album avant la vieillesse, celui de
la sagesse. Depuis plusieurs années déjà, Michel Sardou
creuse ce nouveau sillon, chante avec cette forme de tranquillité qui, ici, atteint son apogée. Il arrive très probablement à la fin d’un cycle. Cependant, de ce que nous
savons du bonhomme, il est difficile d’imaginer qu’il
s’arrêtera là. Alors, quelle suite pour Michel Sardou ?
À quoi ressemblera l’album de 2012 ou de 2013 ?
S’enfoncera-t-il dans la nostalgie ? Jettera-t-il un regard
toujours plus négatif sur notre société ou deviendra-t-il
un vieillard vert et indigne, grinçant et drôle, retrouvant
la verve de sa jeunesse augmentée de l’expérience des
années ? Chacun se fera son idée. Nous pencherions
cependant pour la dernière solution…
Une brève chronologie
personnelle
1947 : Il est né à Paris le 26 janvier.
1965 : Sortie de son premier 45 tours, « Le madras ».
1965 : Il épouse Françoise Pettré à l’église Saint-Pierre
de Montmartre.
1970 : Naissance de sa première fille, Sandrine.
1973 : Naissance de sa deuxième fille, Cynthia.
1974 : Naissance de son premier fils, Romain, avec
Elizabeth Haas, dite Babette.
1976 : Mort de son père, Fernand Sardou.
1977 : Il divorce de Françoise Pettré.
1977 : Il épouse en secondes noces Elizabeth Haas.
1978 : Naissance de son deuxième fils, Davy.
1998 : Mort de sa mère, Jackie Sardou.
1998 : Il divorce d’Elizabeth Haas.
1999 : Il se marie en troisièmes noces avec
Anne-Marie Périer le 11 octobre.
227
Discographie
• Les Albums
Jusqu’aux années 1990, la plupart des albums de
Michel Sardou ne portent aucun titre. Pour les différencier, on utilise souvent le titre de la première chanson de
l’album ou le titre du premier single extrait de l’album.
De ce fait, les surnoms des albums peuvent parfois différer d’une source à l’autre.
1967 : Raconte une histoire
Le madras / Je n’ai jamais su dire/ Les arlequins/
Il pleut sur ma vie/ Les filles d’aujourd’hui/ Dis,
Marie/ Les beatniks/ Si je parle beaucoup/ Mods
and Rockers/ Raconte une histoire/ Encore 200
jours/ Le visage de l’année/ Les moutons/ Merci Seigneur/ Le train de la dernière chance/ Les
fougères.
1968 : Les Ricains / Barclay
Petit/ Je ne t’ai pas trompée/ Madame je/ Le centre
du monde/ God Save the King/ Nous n’aurons pas
d’enfant/ Les Ricains/ Tu as changé/ Cent mille
universités/ La Folksong Melody/ Les dessins/ Si
j’avais un frère.
228
Discographie
1970 : J’habite en France / Philips
J’habite en France/ Petit/ Monsieur le Président de
France/ America, America/ Restera-t-il encore/
Et mourir de plaisir/ Les dimanches/ Auprès de
ma tombe/ Les Ricains/ La neige/ Quelques mots
d’amour/ Les bals populaires.
1972 : Danton / Trema
Danton/ La chanson d’adieu/ Bonsoir Clara/ Le
vieux est de retour/ Les gens du show-business/
J’ai chanté/ Le fils de Ferdinand/ Cinq ans passés/
Monsieur le Président de France/ Mon mal de foie/
Un enfant/ Le surveillant général.
1973 : La Maladie d’amour / Trema
La marche en avant / Zombi Dupont/ Les villes de
solitude/ Le curé/ Hallyday (Le phénix)/ Les vieux
mariés/ Tu es Pierre/ Tuez-moi/ Je deviens fou/
Interdit aux bébés/ La maladie d’amour
1976 : La Vieille / Trema
La vieille/ Je suis pour/ Le France/ La vallée des
poupées/ Rien/ W 454/ J’accuse/ Je vous ai bien
eus/ Je vais t’aimer/ Le temps des colonies/ Un roi
barbare.
1977 : La Java de Broadway / Trema
Comme d’habitude/ La java de Broadway/ Dix ans
plus tôt/ Une drôle de danse/ Seulement l’amour/
Mon fils/ Dixit Virgile (Ad libitum) / Je suis
l’homme d’un seul amour/ C’est ma vie/ Qu’est-ce
qu’il a dit ? / Manie, manie.
1978 : Je vole / Trema
Huit jours à El Paso/ J’y crois/ 6 milliards,
900 millions, 980 mille/ Le prix d’un homme/ En
chantant/ Je vole/ La tête assez dure/ Finir l’amour/
On a déjà donné/ Monsieur Ménard.
229
Michel Sardou
1979 : Verdun / Trema
Je ne suis pas mort, je dors/ L’Anatole (Hommage à
Charles Trenet)/ Méfions-nous des fourmis/ Verdun/
X Ray/ Carcassonne/ Ils ont le pétrole mais c’est
tout/ Quand je serai vieux/ Qui est Dieu (en duo
avec Romain Sardou)/ La main aux fesses.
1980 : Victoria / Trema
Victoria/ La génération Loving you/ La donneuse/
La maison en enfer/ Marco Perez (Le play-boy)/
La haine/ UFO/ Dossier D/ La pluie de Jules César.
1981 : Les Lacs du Connemara / Trema
Les lacs du Connemara/ L’autre femme/ Le
mauvais homme/ Préservation/ Les mamans qui
s’en vont/ Musica/ Être une femme/ Je viens du
Sud/ Les noces de mon père.
1982 : Il était là
Il était là (Le fauteuil)/ Les années trente/ Merci
pour tout (Merci Papa)/ Maman (Sketch avec
Jackie Sardou)/ Vivant/ Ma mémoire/ Côté soleil/
Afrique adieu
1983 : Vladimir Ilitch / Trema
Vladimir Ilitch/ La chanteuse de rock/ Elle s’en va
de moi/ Bière et Fraulein/ Les bateaux du courrier/
Si l’on revient moins riches/ Les yeux d’un animal/
À l’italienne/ L’an mil
1984 : Io Domenico / Trema
Io Domenico/ Atmosphères/ Les deux écoles/ Rouge/
Le verre vide/ La débandade/ Elle revient dans cinq
ans/ Parce que c’était lui, parce que c’était moi/ Du
blues dans mes chansons/ Délivrance/ Délire d’amour.
1985 : Chanteur de jazz / Trema
Une lettre à ma femme pour tout lui expliquer/
Road Book/ Exit Dylan/ Voyageur immobile/ 18
ans, 18 jours/ 1965/ Mélodie pour Élodie/ Les mots
d’amour/ Chanteur de jazz.
230
Discographie
1987 : Musulmanes / Trema
Musulmanes/ Dessins de femme/ Les routes de
Rome/ Féminin comme/ Happy Birthday/ Tout
s’oublie/ Minuit moins dix/ Les prochains jours de
Pearl Harbor/ L’acteur.
1988 : La Même Eau qui coule / Trema
Le successeur/ La même eau qui coule/ Le Paraguay
n’est plus ce qu’il était/ Elle pleure son homme/
Dans ma mémoire elle était bleue/ Attention les
enfants… danger (avec la voix de Davy Sardou)/
Elle en aura besoin plus tard / Les hommes qui ne
dorment jamais/ Vincent/ Les masques (en duo
avec Tina Provenzano).
1989 : Sardou 66 / Trema
Tu as changé/ Le centre du monde/ Si j’avais un
frère/ Les dessins/ Petit/ Folk Song Melody/ Je ne
t’ai pas trompée/ Raconte une histoire/ Les Ricains/
Nous n’aurons pas d’enfant.
1990 : Le Privilège / Trema
Le privilège/ Le vétéran/ Mam’selle Louisiane/
L’album de sa vie/ Le Blues Black Brothers/
Marie-Jeanne/ Parlons de toi, de moi/ La maison
de vacances/ Au nom du père/ L’award.
1992 : Le Bac G / Trema
Le grand réveil/ Méfie-toi on t’aime/ Le bac G/ Tu
ne sauras pas ce que tu veux/ Le chanteur des rues/
55 jours, 55 nuits/ Le cinéma d’Audiard/ Chanter
quand même/ La chanson d’Eddy/ Divorce à l’amitié.
1994 : Selon que vous serez, etc., etc. / Trema
Tout le monde est star/ Le monde où tu vas/
Maudits Français/ Passer l’amour/ Selon que vous
serez, etc., etc./ Marie ma belle/ Putain de temps/
Les hommes cavalent/ Ma première femme, ma
femme/ Déjà vu.
231
Michel Sardou
1997 : Salut / Trema
Je m’en souviendrai sûrement/ La défensive/ Mon
dernier rêve sera pour toi/ Casino/ S’enfuir et après/
T’es mon amie, t’es pas ma femme/ Tu te reconnaîtras/ C’est pas du Brahms/ Pleure pas Lola/ Une
femme s’élance/ Salut.
2000 : Français / Trema
Français/ On se reverra/ L’avenir c’est toujours
pour demain/ Corsica/ Je n’aurai pas le temps/
La bataille/ Pense à l’Italie/ Parlez-moi d’elle/
L’Amérique de mes dix ans/ Cette chanson-là.
2004 : Du plaisir / A-Z Universal
Loin/ Non merci/ La vie, la mort, etc./ La rivière
de notre enfance (en duo avec Garou)/ Je n’oublie
pas/ Du plaisir/ Même si/ Ce n’est qu’un jeu/ Les
hommes du vent/ J’ai tant d’amour/ Espérer/ J’aurais
voulu t’aimer/ Le livre du temps/ Dis-moi.
2006 : Hors format / A-Z Universal
Concorde/ Beethoven/ Allons danser/ Je ne suis
plus un homme pressé/ Les villes hostiles/ Sature/
Nuit de satin/ Les jours avec et les jours sans/ La
dernière danse/ Je ne suis pas ce que je suis/ Les
yeux de mon père/ On est planté/ L’Évangile (selon
Robert)/ Valentine Day/ Ce qui s’offre/ Le cœur
migrateur/ L’oiseau tonnerre/ 40 ans/ Le chant des
hommes (en duo avec Chimène Badi)/ Un motel à
Keeseeme/ Je serai là/ Je ne sais plus rien/ Cette
chanson n’en est pas une.
2010 : Être une femme 2010 / Mercury
Et puis après/ Être une femme 2010/ Voler (en duo
avec Céline Dion)/ Chacun sa vérité/ Elle vit toute
seule/ Ça viendra forcément/ Rebelle/ Une corde
pour se noyer/ Soleil ou pas/ L’humaine différence/
Les nuits blanches à Rio/ Lequel sommes-nous.
232
Discographie
• Singles
Barclay (1965-1968)
1965 : Le madras/Je n’ai jamais su dire/Les arlequins/Il pleut sur ma
vie
1966 : Les filles d’aujourd’hui/Dis, Marie/Les beatniks/Si je parle
beaucoup
1966 : Le visage de l’année/Raconte une histoire/Encore deux cents
jours/Mods and Rockers
1967 : Les Ricains/Les moutons/Merci Seigneur/Le train de la
dernière chance
1967 : Tu as changé/Cent mille universités/Petit/Les fougères
1968 : Si j’avais un frère/Je ne t’ai pas trompée/God Save/Madame je
1968 : Les dessins/Le centre du monde/Nous n’aurons pas d’enfant/
Folk Song Melody
Philips/Trema (1969-1972)
1969 : America, America/Monsieur le Président de France
1970 : Les bals populaires/Et mourir de plaisir, 524 000 exemplaires
1970 : J’habite en France/Restera-t-il encore, 346 500 exemplaires
1971 : Le rire du sergent/Vive la mariée, 695 000 exemplaires
1971 : Je t’aime, je t’aime/La corrida n’aura pas lieu, 472 000 exemplaires
1972 : Avec l’amour/Bonsoir Clara, 420 000 exemplaires
1972 : La chanson d’adieu/Le surveillant général
1972 : Un enfant/Les gens du show-business
Trema (1973-2000)
1973 : La maladie d’amour/Le curé, 1 015 000 exemplaires
1973 : Les vieux mariés/Zombi Dupont, 694 000 exemplaires
1973 : La marche en avant/Les villes de solitude, 117 000 exemplaires
1974 : Je veux l’épouser pour un soir/J’ai 2000 ans, 385 000 exemplaires
1974 : Une fille aux yeux clairs/Le bon temps c’est quand,
722 000 exemplaires
1975 : Aujourd’hui peut-être (Live)/Danton (Live)
1975 : Un accident/Requin chagrin (en duo avec Mireille Darc),
590 000 exemplaires
1975 : Le France/Fais des chansons, 990 000 exemplaires
1976 : Je vais t’aimer/La manif, 690 000 exemplaires
1976 : La vieille/J’accuse, 410 000 exemplaires
1977 : Je vous ai bien eus/Le temps des colonies, 212 000 exemplaires
233
Michel Sardou
1977 : Dix ans plus tôt/C’est ma vie, 1 326 000 exemplaires
1977 : La java de Broadway/Seulement l’amour, 940 000 exemplaires
1978 : Comme d’habitude/Manie, manie, 371 000 exemplaires
1978 : Je vole/Huit jours à El Paso, 400 000 exemplaires
1978 : En chantant/À des années d’ici, 1 219 000 exemplaires
1979 : Verdun/Ils ont le pétrole mais c’est tout, 394,000 exemplaires
1979 : Déborah/Dans la même année, 570 000 exemplaires
1980 : Je ne suis pas mort, je dors/Carcassonne, 223 000 exemplaires
1980 : Si j’étais/K7, 371 000 exemplaires
1980 : La génération Loving you/Victoria, 163 000 exemplaires
1981 : Être une femme/Le mauvais homme, 657 000 exemplaires
1981 : Les lacs du Connemara/Je viens du Sud, 1 075 000 exemplaires
1982 : Musica/Les mamans qui s’en vont, 470 000 exemplaires
1982 : Afrique adieu/Côté soleil, 529 000 exemplaires
1983 : Les années trente/Il était là (Le fauteuil), 148 000 exemplaires
1983 : La première fois qu’on s’aimera (avec Sylvie Vartan)/
L’Atlantique (avec Sylvie Vartan)/Les Balkans et la Provence
(avec Sylvie Vartan), 536 000 exemplaires
1983 : Vladimir Ilitch/À l’italienne, 471 000 exemplaires
1984 : Si l’on revient moins riches/L’an mil, 471 000 exemplair1984 :
Io Domenico/La débandade, 35 000 exemplaires
1984 : Délire d’amour/Une femme ma fille, 344,000 exemplaires
1984 : Les deux écoles/Los Angélien, 349 000 exemplaires
1985 : Chanteur de jazz/Exit Dylan, 254 000 exemplaires
1985 : 1965/Mélodie pour Élodie, 11 500 exemplaires
1986 : Musulmanes/Minuit moins dix, 386 000 exemplaires
1987 : Tous les bateaux s’envolent/Laisse-toi prendre
1988 : La même eau qui coule/Le successeur
1989 : Attention les enfants… danger/Vincent
1990 : Marie-Jeanne/L’award
1990 : Le privilège/Mam’selle Louisiane
1991 : Le vétéran/Parlons de toi, de moi
1992 : Le bac G/Tu ne sauras pas ce que tu veux
1992 : Le cinéma d’Audiard/Le grand réveil
1997 : Salut/Mon dernier rêve sera pour toi
1998 : Tu te reconnaîtras
2000 : Cette chanson-là/L’avenir c’est toujours pour demain/Je n’aurai pas le temps
AZ (2004-2010)
2004 : Loin (non commercialisé)
2004 : La rivière de notre enfance (en duo avec Garou)/La rivière de
notre enfance (version instrumentale)
234
Discographie
2005 : Je n’oublie pas
2005 : Un accident
2006 : Allons danser
2006 : Beethoven
Mercury (depuis 2010)
2010 : Être une femme 2010
2010 : Et puis après
• Lives
Olympia 71
Olympia 75
Olympia 76
Palais des Congrès 78
Palais des Congrès 81
Vivant 83 (Palais des Congrès)
Concert 85 (Palais des Congrès)
Concert 87 (Palais des Congrès)
Bercy 89
Bercy 91
Bercy 93
Olympia 95
Bercy 98
Bercy 2001
Live 2005 au Palais des Sports
Zénith 2007
Les films, téléfilms
et pièces de théâtre
4 Jours à Paris
Film d’André Berthomieu, avec Luis Mariano, Fernand Sardou…
Sorti en 1955
Le Chômeur de Clochemerle
Film de Jean Boyer, avec Fernandel
Sorti en 1957
D’ou viens-tu Johnny ?
Film de Noël Howard, avec Johnny Hallyday, Sylvie Vartan,
Fernand Sardou…
Sorti en 1963
Paris brûle-t-il ?
Film de René Clément, avec Jean-Paul Belmondo, Alain Delon,
Yves Montand…
Sorti en 1965
Le Lit à deux places
Film de Jean Delannoy, Gianni Puccini et François DupontMidy, avec Michel Serrault
Sorti en 1966
Claude Francois, le film de sa vie
Film de Samy Pavel, avec Gilbert Bécaud, Charles Aznavour,
Enrico Macias
Sorti en 1982
236
Les films, téléfilms et pièces de théâtre
L’Été de nos quinze ans
Film de Marcel Jullian, avec Cyrielle Claire
Sorti en 1982
Cross
Film de Philippe Setbon, avec Roland Giraud
Sorti en février 1987
Promotion canapé
Film de Didier Kaminka, avec Grace De Capitani, Thierry
Lhermitte, Claude Rich…
Sorti en 1990
L’Irlandaise
Téléfilm de José Giovani
1991
Le Prix de l’honneur
Téléfilm avec Alexandra Vandernoot et Michel Bompoil
2003
L’Homme en question
Pièce de théâtre de Félicien Marceau, mise en scène par JeanLuc Tardieu, avec Brigitte Fossey et Davy Sardou
Théâtre de la Porte Saint-Martin
2003
Il se lance dans le théâtre en 1996 avec Bagatelle(s), puis jouera
Comédie privée (1999), L’Homme en question (2002), et Secret
de famille (2008).
Dans la même collection
JOE DASSIN une histoire vraie
Damien Panerai
Il y a tout juste 30 ans, Joe Dassin disparaissait. En pleine gloire, il
avait seulement 41 ans. Depuis lors, le chanteur à la voix d’or est
resté au firmament des légendes de la chanson française.
Ce fils d’un russe émigré aux Etats-Unis, grand cinéaste de
Hollywood, n’était en rien prédestiné à devenir une immense star
de variété. Passionné par l’ethnologie, la lecture et l’écriture, Joe est
presque devenu chanteur malgré lui.
Et derrière le sourire qu’il arborait sur les pochettes de disques
vendus par millions, derrière les images de papier glacé, se cachait
un homme au cœur fragile. Parfois malheureux dans le star-system,
avec une vie familiale complexe, il a cependant laissé des chansons
d’anthologie. Une vie riche et mystérieuse. Passionnante.
La biographie vérité de Joe Dassin.
ISBN : 978-2-35288-425-5
www.city-editions.com