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Colloque International
Les minorités invisibles :
diversité et complexité (ethno)sociolinguistiques
LIVRET DES RESUMES
28-29 novembre 2013
Université Montpellier 3
Giovanni AGRESTI
Université de Teramo, Italie
De l’invisibilité à la reconnaissance.
Le pari d’existence des minorités linguistiques
Le problème de la visibilité d’une communauté linguistique (minoritaire) est au coeur même
du pari d’existence ou de survie que font ses militants chaque jour, car il concerne directement et
indirectement son éventuelle reconnaissance. En effet, et de toute évidence, on ne peut reconnaître
que ce qui est reconnaissable.
Dans cette communication nous tâcherons de systématiser ce problème, qui est en fait bien
complexe. De manière schématique, il s’agit : a) d’un problème d’ordre strictement linguistique, en
ce qu’il concerne d’abord les noms des langues – les désignants, les glottonymes, la terminologie et
les représentations et réflexes que cette terminologie génère ou provoque –, d’une part; et, d’autre
part, et en amont, il s’agit b) d’un problème d’ordre politique et culturel au sens large, en ce qu’il
concerne le statut, le rôle et la présence en société – visibilité – du linguistique tout court.
Pour ce qui est du premier volet de la question, notre démarche se fonde sur un simple
constat: il n’est pas de reconnaissance formelle, juridique, de minorités linguistiques, sans un acte
formel et préalable de nomination de la minorité elle-même, qui doit en premier lieu recevoir ou se
voir reconnu le nom qui la désigne par rapport au paysage linguistique environnant. Dans cette
perspective, nous assistons tantôt à des créations d’identités linguistico-culturelles douteuses ou
fictives (c’est sans doute le cas de la distinction/distanciation du valencien par rapport à l’ensemble
du domaine catalan), tantôt à de véritables masquages voire effacements d’identités, lorsque par
exemple un désignant tel que patois, chez une partie de la doxa de culture française, est censé
recouvrir une quantité indéfinissable de langues locales ou régionales, parfois même de grande
tradition littéraire. Par ailleurs, il y a parfois lieu d’observer qu’une langue peut être en quelque
sorte recatégorisée et déclassée en dialecte par simple décision politique en fonction de soi-disant
nécessaires coupes budgétaires locales ou régionales : c’est sans doute le cas, tout récent, du
frioulan en Italie. Bref, le glottonyme est un cadre privilégié de l’idéologie. Et ce qui n’est pas
désigné par ce glottonyme est, de jure et de facto, invisible ou peu visible.
Pour ce qui est du second volet de la question, nous essaierons de préciser la nature de cette
« idéologie de la désignation » par l’élargissement de notre angle visuel, car il est évident qu’elle ne
régit pas que les minorités linguistiques. En effet, il est à notre sens indispensabile de situer le
problème de la visibilité/invisibilité des communautés linguistiques minoritaires dans le cadre d’un
discours plus large concernant la visibilité/invisibilité de la langue et du linguistique dans la culture
contemporaine (nous nous bornerons à illustrer de manière paradigmatique la donne
sociolinguistique italienne et française) au sein de laquelle l’idéologie dominante est sans aucun
doute celle de la conception purement instrumentale et « codique » de la langue. Il est évident que, à
partir d’une telle vision des choses, prônant la primauté du caractère « utilitaire » et « numérique »,
voire « marchand » des langues, la reconnaissance de toute minorité linguistique et de toute langue
« identitaire » se heurte fatalement à toute sorte de problèmes et d’arguments contraires à leur
essor : bref, à de nombreux facteurs les réléguant ou les condamnant dans les coulisses de la
méconnaissance voire de l’invisibilité.
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Sabrina ALESSANDRINI
Université de Macerata, Italie
Les « Nouveaux Italiens » : visibilité/invisibilité à soi-même de l’adolescent migrant
La proximité européenne et les flux migratoires des peuples provenant des pays de l’Afrique
subsaharienne ayant conduit, depuis quelques décennies, à la naissance d’importantes communautés
maghrébines en Italie, la géographie des espaces linguistiques, culturels et symboliques a de ce fait
connu une véritable mutation (Gildas Simon, 2002 : 31). Les transformations sociodémographiques,
ethniques et sociolinguistiques qui en découlent, bien que rarement comparables en ampleur à celles
d’autres contextes de l’Europe et du monde, sollicitent les mêmes interrogations concernant
l’identité plurilingue, pluriculturelle et l’intégration sociale des « Nouveaux Italiens » - c’est-à-dire
des adolescents issus de la migration africaine, nés en Italie - comme résultat des relations
d’inclusion et d’exclusion par rapport aux sous-groupes constitutifs d’une société. On y voit le reflet
d’un phénomène social qui s’affirme désormais depuis plus d’une décennie, en particulier autour
des thèmes tels que l’identité linguistico-culturelle, l’appartenance et l’intégration.
Déterminée par la conscience de l’appartenance à plusieurs groupes sociaux, « la
représentation du soi et de ses propres interlocuteurs constitue le point de départ pour la
construction active de l’identité et du sentiment d’appartenance de l’individu » (Pierdominici,
2008 : 186). Résultat des différents processus sociocognitifs, ce sentiment d’identité est susceptible
de transformations, car il se construit sur des notions d’identité et d’altérité en constante interaction
(Katsiki, 2008 : 205); il influence la participation sociale, l’acceptation ou le refus des autres, en
trouvant sa raison d’être dans les rapports de domaine/stigmatisation auxquels les jeunes sont
confrontés et dans la synthèse des éléments qui appartiennent à la culture d’origine et d’autres
éléments qui appartiennent à la culture d’accueil.
On voit se mettre en place une dichotomie identitaire entre deux pôles, selon les deux lieux
de socialisation: l'alternance de langues et de cultures, parvient ainsi à masquer un conflit interne et
un écart ressenti comme insurmontable entre la culture du pays d’origine et celle de la société du
pays d’accueil.
En partant de ce constat, cette contribution vise à analyser l’appartenance et l’auto
perception identitaire de ces jeunes, entre identité montrée et identité cachée (Bourdieu) dans les
dynamiques d’inclusion – exclusion, d’interaction linguistique et d’intégration sociale.
La contribution s'appuie sur des données quantitatives (questionnaires) et qualitatives
(entretiens) obtenues auprès de cinq instituts d’instruction secondaire de la région des Marches.
L’échantillon se compose de 27 adolescents (entre 14 et 20 ans) d’origine africaine nés en Italie.
Sur la base des résultats obtenus, on a pu vérifier comment et pourquoi l’adolescent ressent
les implications ethniques, psychosociales et linguistiques concernées, quelles sont les dynamiques
expressives qui en découlent, et quelles stratégies il adopte pour les gérer.
Ces minorités - dont l’hyper-visibilité somatique, vestimentaire et parfois comportementale
se traduit paradoxalement en invisibilité (ethno)sociale - posent la question des influences des etero
représentations et de la perception de l’autre sur l’estime de soi, sur sa propre auto perception
identitaire et, par conséquence, sur la création des groupes socioculturels:
Les jeunes ne peuvent entrer dans ces raisonnements et, surtout, ne peuvent admettre cette forme de
marginalisation par rapport à leurs pairs (…) de souche qu’est le rappel permanent (…) de leur
‘différence’. Ils sont constamment contraints de se définir par rapport à des caractéristiques qu’euxmêmes, bien souvent, ne souhaitent pas mettre en avant (…) parce qu’ils n’estiment pas qu’elles seules
les définissent (Minces, 1997: 147-148).
De plus, le manque de maîtrise en langue italienne augmente cette pluri-invisibilité, souvent
révélée par l’autocensure, ce qui se manifeste au cours des interactions linguistiques avec les
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autochtones.
Les conséquences qui en découlent, consistent dans une perception infériorisante de soi et
dans une (auto) marginalisation du groupe dominant. Bien que refusée et repoussée, cette
invisibilité est en fait en partie volontaire et correspond, entre autre, à un déficit d’estime de soi.
Bibliographie
Abdelmalek, Sayad. 2006. Les enfants illégitimes, L’immigration ou les paradoxes de l’altérité,
Paris : Raisons D’Agir Éditions.
Altay, Manço. 2006. Processus identitaires et intégration. Approche psychosociale des jeunes issus
de l’immigration, Paris : L’Harmattan.
Carmel, Camilleri. 1985. Anthropologie culturelle et éducation, Lausanne : Unesco-Delachaux &
Niestlé.
Carmel, Camilleri. 1990. Stratégies identitaires, Paris : PUF.
Celeste, Kinginger 2008. « Répertoires: décentrage expression identitaire » In : ZARATE,
Geneviève, LEVY, Danielle, KRAMSCH, Claire (dir.). Précis du plurilinguisme et du
pluriculturalisme, Paris : Éditions des archives contemporaines.
Erik, Erikson. 1972. Adolescence et crise: la quête d’identité, Paris : Flammarion.
Gildas, Simon M. 2002. La recomposition spatiale des migrations francophones dans l’espace
européen. In Francophonie et Migrations. Colloque à l’Unesco. (15–16 novembre 2001) (25-32).
Paris : Organisation internationale pour les migrations.
Katsiki, Stavroula. 2008. « Appartenance et xénophobie : apprendre à décrire et à interpréter le
discours de haine ». Dans Zarate, Geneviève, Lévy, Danielle, Kramsch, Claire (dir.), Précis du
plurilinguisme et du pluriculturalisme. Paris : Ed. des archives contemporaines. 205.
Lévy, Danielle. 2008. « Soi et les langues ». Précis du plurilinguisme et du pluriculturalisme. Op.
cit. 71.
Juliette, Minces. 1997. La génération suivante. La Tour D’Aigues : Ed. De L’aube.
Pierdominici, Nazario. 2008. « Religieux en tant que catégorisation sociale », Précis du
plurilinguisme et du pluriculturalisme. Op. cit. 186.
Pierre, Bourdieu. Jean-Claude, Passeron. 1972. La ripro/duzione. Elementi per una teoria del
sistema scolastico, Rimini: Guaraldi.
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Catherine AWOUNDJA NSATA
Université de Yaoundé I, École normale supérieure, Cameroun
Minorité et conscience collective : Les Zomolό chez les Beti du Cameroun
La question des minorités reste d’actualité tant que les êtres, quelle que soit leur nature, se
côtoient. Il en est du règne animal comme du règne végétal. Inertie ou stratégie de survie, il est à
noter qu’un règne qui ne se développe pas est appelé à disparaître, et c’est tout le problème des
minorités. Or, les grands évènements historiques qui ont marqué les deux siècles derniers,
l’esclavage, la colonisation et leur corollaire, la déportation, ont laissé des traces indélébiles chez
certains peuples. Dans le continent africain, les peuples du Centre et du Sud Cameroun par exemple,
avaient une organisation sociale telle que le jeune garçon n’entrait dans le clan des adultes qu’après
le rite d’initiation appelé « So » que les vieillards assimilent aujourd’hui au service militaire, et les
Beti sont essentiellement un peuple guerrier. L’esprit des Africains étant magico-religieux, le jeune
homme recevait au cours de cette initiation, des atouts nécessaires pour son insertion sociale et
devenait ainsi un Zomolo. Malheureusement, ce rite a été interdit au Cameroun par les Allemands
vers les années 1910 car, ces initiés opposaient la résistance à l’Eglise chrétienne. Le peuple beti
pouvait-il accepter cette mort programmée ? Ils ont probablement adopté une attitude dissimulée ou
discriminatoire, mais était-ce le fait d’une conscience collective d’une situation historique ? Quels
facteurs ont motivé cette attitude et quelle en était l’intention ? Quels enjeux techniques et procédés
ont-ils été mis en œuvre pour garantir un équilibre intergroupe ? Ces équilibres sont-ils solides ou
fragiles ? Nous tenterons de répondre à toutes ces questions en nous appuyant sur les travaux des
ethnologues et des sociologues. Lucien Anya Noah pense, par exemple, que pour saisir quelque
chose de l’énigme beti, il est nécessaire d’épouser sa psychologie « pour voir comme lui, entendre
comme lui, goûter et toucher comme lui ». Laburthe Tolra dans son ouvrage, Les Seigneurs de la
forêt, adopte cette posture parce qu’il estime que cette aventure paradoxale caractérise la démarche
de l’ethnographe. Nous lui empruntons cette attitude dans la mesure où la reconstitution des
données sera faite grâce à la convergence des récits de nos grands-parents et certains écrits des
ethnologues et des sociologues, étant entendu que la société beti présente des vestiges du passé
actualisés sous forme de récits et de pratiques.
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Prisque BARBIER
Université de Montpellier 3
Les natifs de la collectivité française de Saint-Martin :
une minorité linguistique invisible et cachée
Dans l’académie de la Guadeloupe, la collectivité de Saint Martin présente un contexte
sociolinguistique diglossique spécifique. En effet, de son histoire coloniale, la partie française a
hérité du français comme variété « haute », alors que la partie hollandaise, du néerlandais,
puisqu’étant toutes deux langues officielles (Redon, 2006). En outre, l’anglais standard est langue
dominante alternative (Calvet, 1999) car servant de langue véhiculaire sur toute l’île (Leclerc,
2006). Enfin, l’« anglais des îles », créole à base d’anglais standard, de hollandais et de langues
africaines, bien qu’étant le vernaculaire parlé par les natifs entre eux et en famille (Martinez, 1994),
a un statut de variété « basse », puisque nié sur le plan politique et linguistique (Véronique, 2010).
Dans cette situation, il est légitime de s’interroger tout d’abord sur les causes et les facteurs
qui légitiment cette situation sociolinguistique, au niveau historique et géostratégique ; ensuite de
réfléchir aux avantages et désavantages sociaux et linguistiques amenés par ce contexte et touchant
la population native ; enfin d’étudier les manifestations au plan politique, linguistique, et identitaire
entrainées par ce contexte. Pour répondre à ces questions, nous nous appuyons sur l’analyse de
documents historiques et administratifs, d’études économiques et linguistiques, et d’entretiens
menés auprès de la population de Saint-Martin sur la situation sociolinguistique de l’île.
Notre étude permet de montrer tout d’abord que le contexte historique et politique, mais
également géographique de Saint-Martin influence très fortement les relations entre les langues,
ainsi que leurs fonctions respectives. Ensuite, elle rend compte du fait que cette situation est tout à
la fois défavorable à la minorité des Saint-martinois natifs, sur le plan statutaire et linguistique (face
au français), mais que par contre, elle lui semble favorable, sur le plan linguistique et social (face à
l’anglais). Enfin, cette étude met en exergue les équilibres dus à ce contexte, mais également les
conflits visibles, et invisibles entre la communauté des natifs et la France, non seulement sur le plan
politique et linguistique, mais également sur le plan identitaire.
Références bibliographiques
AUDEBERT C., 2003, « Saint-Martin, un pôle d’attraction migratoire dans la Caraïbe : contexte,
logiques et insertion économique », Écologie et progrès, 3, p. 24-34.
BERNABÉ J., 2002, « Le choix de la complémentarité et le pari de l’excellence », Outre-mers,
notre monde. Entretiens d’Oudinot, Éditions Autrement, Coll. Mutations 215, 109-113.
CALVET L. J., 1999, Pour une écologie des langues du monde. Paris : Éditions Plon.
CHARDON J.P., HARTOG T., 1995, « Saint-Martin ou l’implacable logique touristique », Cahiers
d’Outre-mer, 189, p. 21-34.
LASSERRE G., 1961-1978, La Guadeloupe. Une étude géographique, Bordeaux, Edition
Kolodziej.
LECLERC J., 2006, Saint-Martin, L'aménagement linguistique dans le monde, Québec : TLFQ,
Université Laval.
MARTINEZ P., 1994, Langues et sociétés aux Antilles : Saint-Martin, Paris, Maisonneuve &
Larose.
REDON M., 2006, « Saint-Martin/Sint-Maarten, une petite île divisée pour de grands enjeux », Les
Cahiers d’Outre-mer, 234, [URL : http://com.revues.org/index73.html].
REDON M., 2007, « Migrations et frontière : le cas de Saint-Martin », Études caribéennes, 8,
[URL : http://etudescaribeennes.revues.org/962].
6
SANGUIN A.L., 1982, « Saint-Martin, les mutations d’une île franco-néerlandaise des Antilles »,
Cahiers d’Outre-mer, 138, p. 123-140.
VÉRONIQUE D., 2010, « les créoles français : déni, réalité et reconnaissance au sein de la
république française », Langue française, 167, p. 127-140.
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Marie CASEN
INALCO
Les paradoxes des stratégies de visibilité comme outil de construction identitaire :
le cas des Oudmourtes
Les Oudmourtes sont linguistiquement apparentés à la branche permienne des langues finnoougriennes. Ils vivent dans une République sujet de la Fédération de Russie, dans la zone
multiethnique (turcique, slave et finno-ougrienne) de la Moyenne Volga où ils sont en contact
depuis des siècles : on distingue traditionnellement les Oudmourtes du nord de ceux du sud et des
Besermyanes, mais en ce qui concerne la langue, on a affaire à un continuum dialectal plutôt
influencé par le russe au nord et par les langues türkes au sud ; en outre, un Oudmourte sur cinq vit
en dehors des frontières de la République d’Oudmourtie (Tatarstan, Bachkirie, République Mari El,
régions de Perm, Kirov, Ekaterinburg and Tioumen).
Les Oudmourtes, à l’instar de nombreux peuples non-russes, non-orthodoxes et nonsouverains de Russie, sont structurellement touchés par des politiques d’assimilation (linguistique et
culturelle) et plus récemment par le phénomène d’acculturation provenant de la large diffusion des
codes et valeurs de cultures dominantes (occidentale et asiatique), et sont structurellement en
nombre minoritaire en Oudmourtie, selon les recensements.
Les acteurs de la mobilisation ethnique oudmourte mettent en œuvre des stratégies variées
pour faire prendre conscience aux Oudmourtes des enjeux de la préservation de leur identité
(linguistique, culturelle, sociale notamment). Ces stratégies, toutes basées sur la visibilité, en tant
qu’elle est le vecteur principal de l’adhésion à une collectivité et ainsi permet l’émergence du
sentiment d’appartenance, peuvent aussi avoir des effets négatifs sur la diversité réelle des peuples
et des langues oudmourtes, en les rendant encore plus invisibles. La complexité et la richesse des
langues et cultures locales semblent sacrifiées au nom de la visibilité (qui monopolise les moyens),
la mise en avant de l’oudmourte standard (parlé seulement en ville) occulte les variétés dialectales,
c'est-à-dire les dialégomai (gr.), le « parler ensemble ».
Effectivement, ce qui semble une stratégie de survie identitaire, et en premier lieu la
nécessité de hisser la langue oudmourte au rang de langue de communication quotidienne au
XXIème siècle, a des conséquences sur la capacité des Oudmourtes à se parler entre eux, et on peut
concrètement en interpréter les effets sociaux en termes générationnel : les Oudmourtes de la
campagne, qui utilisent des dialectes de l’oudmourte, sont plus âgés, tandis que les plus jeunes
partent en ville et y pratiquent un oudmourte standard.
Mon intervention, accompagnée d’un powerpoint, se propose de faire un tour d’horizon des
paradoxes issus des stratégies de sauvegarde de l’identité oudmourte afin de distinguer dans quels
domaines ils interviennent (social, linguistique, culturel au sens large), les strates (oudmourte/autre
langue ou culture ; oudmourte standard/variétés dialectales) et les acteurs (officiels ou non, ruraux
et citadins) concernés.
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Chahrazed DAHOU & Marc GONZALEZ
Université de Montpellier 3
Les attitudes linguistiques de locuteurs français d’origine arabophone à l’égard de la langue
arabe de religion. Quelles incidences sur les processus de communalisation ethnosociolinguistiques ?
La minorité européenne qui constitue l’objet de notre étude est transnationale et hétérogène,
elle rassemble des sujets résidant dans la plupart des états européens qui sont susceptibles de
s’identifier à la langue de religion coranique, l’arabe dit classique : « Al-fushâ ». Cette minorité
serait « religieuse » mais dans un sens extensif du terme, en tant que la religion du groupe est une
dimension culturelle prescriptive qui peut imprégner inconsciemment les sujets. Peut-on ainsi parler
de « minorité musulmane » en se référant à la langue de religion, à un imaginaire linguistique
sacralisé et non aux seules pratiques cultuelles ? Cette minorité hétérogène quant à l’origine ethnogéographique est souvent qualifiée de « visible » car rapportée à certains paramètres externes
d’identification ethno-culturelle mais son fondement principal reste néanmoins profondément
invisible car la langue de communalisation n’a aucune visibilité dans l’espace publique et repose
davantage sur des représentations que sur un usage social. Elle n’est « parlée » et enseignée que
marginalement, seuls des « éléments de langage » sont transmis et mémorisée comme des
« figements discursifs » fétichisés, ce qui accroit son pouvoir symbolique et sa capacité
identificatoire. C’est cette identification invisible que nous interrogeons.
La « convention cadre pour la protection des minorités nationales (1995) » émanant du
Conseil de l’Europe insiste sur le respect des dimensions ethnique, culturelle, linguistique et religieuse
de toute personne appartenant à une minorité nationale appartenant à l’un des états-membres.
Toutefois, la France ne reconnait pas les différentialismes de type culturel, ethnique ou religieux car
la constitution de 1958 « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine,
de race ou de religion » mais force est de constater l’actuelle expansion de l’Islam en/de France et sa
dimension identitaire prégnante. La minorité « arabo-musulmane » existe donc de fait sans réelle
reconnaissance politique et nous pourrions qualifier ce phénomène de « communalisation » occultée.
Selon Max Weber, le processus de communalisation est induit par toute relation sociale reposant sur
un fondement affectif émotionnel ou traditionnel qui donne naissance à l’orientation mutuelle du
comportement des membres du groupe. Ainsi, quel rôle joue la langue arabe de religion dans cette
dynamique de communalisation ? Quel est le poids de cette langue dans la constitution d’une
minorité invisibilisée, « cachée » du point de vue du paramètre linguistique ainsi que dans la
production du rapport identité/altérité au sein des états-nations européens ?
Deux populations appartenant à la même génération mais différentes quant à leurs ancrages
socio-culturels font l’objet de cette recherche afin d’évaluer le poids du paramètre éducatif dans le
rapport identificatoire aux langues : étudiants motivés par des études supérieures et jeunes des cités
populaires souvent en échec scolaire. Nous limiterons notre communication aux attitudes
linguistiques à l’égard de la seule langue de religion pour une seule population : les étudiants
« éduqués ». Nous ne ferons qu’évoquer la perspective comparative pour indiquer l’orientation
générale de cette recherche. Nous présenterons les résultats d’une enquête compréhensive
(questionnaires, entretiens) et tenterons de dégager les positions subjectives des locuteurs à l’égard
de la langue arabe de religion par une analyse de contenu, en utilisant le logiciel d’analyse
sémantique « Tropes ».
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Amandine DENIMAL
Université de Montpellier 3
Modes d'occultation-monstration des groupes intranationaux dans les manuels de français au
Liban et au Maroc : implicitations et détours sémiotico-discursifs
Nous souhaiterions dans cette communication présenter un cas particulier d'occultationmonstration de minorités socioculturelles et/ou sociolinguistiques : celui qui a cours dans des
discours à caractère politique et institutionnel, diffusés à grande échelle, mais ayant une vocation
socioculturelle et éducative essentielle : les manuels scolaires.
Notre corpus est constitué des manuels de français en usage au collège, dans deux pays
présentant des problématiques « diversitaires » appuyées : le Liban, avec ses dix-huit groupes
socioconfessionnels reconnus officiellement et son récent passé traumatique, et le Maroc, contexte
d'expression et de revendication identitaire des groupes berbérophones face à la majorité
arabophone.
Comment ces discours scolaires, censés faire entendre la voix unitaire de la nation, s'y
prennent-ils pour représenter de la pluralité en leur sein ? Comment représentent-ils des minorités à
l'existence politique plus ou moins affirmée ? Quels sont les procédés de masquage de leur
représentation ? Que représente-t-on de leurs relations avec d'autres groupes ?
Nous présenterons dans un premier temps la question des minorités socioconfessionnelles au
Liban, et des minorités berbérophones au Maroc : les conditions de leur existence et de leur
coexistence au sein de la nation, l'état de leur éventuelle mobilisation identitaire ainsi que les
avantages ou inconvénients pouvant résulter de leur situation de relative invisibilité officielle (entre
« vie parallèle » et « existence fusionnelle » pour reprendre les mots de l'argumentaire du colloque).
Nous envisagerons ainsi les raisons possibles de leur dissimulation dans les manuels, au
regard de ces enjeux politiques.
Nous examinerons ensuite, à travers des échantillons de notre corpus étudiés à la lumière de
l'analyse de discours, les modes de représentation de ces groupes intranationaux, entre implicitation
et détour sémiotico-discursif, notamment :
− la représentation d'une pluralité sociale du pays dans le passé, mais jamais dans l'actualité ;
− le recours au masquage des contacts entre populations, qui donne une représentation statique
et cloisonnée de la diversité sociale ;
− l'évitement d'une représentation agonistique des relations entre groupes, lorsque celles-ci
apparaissent ;
− l'évitement également de la représentation d'une situation diglossique, entre reconnaissance
d'une hétérogénéité des pratiques linguistiques à l'école (Maroc) et procédés de résorption
dans un standard homogène, dont l'existence est systématiquement reliée à l'entité
nationale ;
− l'ambigüité, enfin, qui caractérise les discours sur les origines ethnico-culturelles de la
nation.
L'importance des paramètres du contexte sociopolitique dans lequel s'élaborent et circulent
ces discours sera mise en évidence dans chacun des cas.
Nous tâcherons ainsi de voir comment les manuels de français participent à la dissimulation
de minorités, tout en leur ménageant des espaces marginaux de représentation qui donnent
l'impression que l'institution scolaire n'ignore pas tout à fait leur existence.
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Vittorio DELL’AQUILA
Université de Vaasa, Finlande
Écrire pour être visibles : les Walsers et leur graphie commune
Cette communication se focalise sur la petite communauté walser des Alpes centrales : une
communauté d’une dizaine de milliers de personnes sans contours bien définis vers l’extérieur et
avec une faible cohésion interne. Il s’agit d’un nombre de villages situés dans les parties les plus
hautes du massif alpin à partir du Vallais jusqu’au Tirol, les habitants desquelles partagent des
formes dialectales germaniques très archaïques; à cause de la colonisation des territoires actuels à
partir du XIIème siècle, ces villages se trouvent distribués sur un vaste territoire, constituant
souvent des îles linguistiques.
Et si vers le sud (c’est-à-dire vers le domaine roman) la transition linguistique est tout à fait
bien évidente, vers le nord la continuité dialectale germanique est totale, si bien qu'en Suisse et en
Autriche, l’usage des différents dialectes locaux étant une caractéristique commune de toute la
société, parler walser n'est pas immédiatement reconnaissable comportement marqué. Néanmoins, à
cause de cette archaïcité, réelle et perçue, les Walsers utilisent de maniérée régulière des mésolectes
pour leur communication avec les communautés voisines.
En particulier les Walsers du sud, c’est à dire ceux qui vivent en Vallée d’Aoste, Piémont et
Tessin, développent depuis un demi-siècle une certaine conscience d’être une minorité ; leur
marqueurs ethniques semblent être plutôt construits sur une identité territoriale, folklorique ou
ergologique, et beaucoup moins sur la langue. L’allemand standard ne joue aujourd’hui qu’un rôle
de Wunschsprache, et les dialectes locaux, en voie de disparition, ne sont qu'un souvenir du passé,
jusqu'au point que souvent les dialectes romans acquièrent la fonction de langue in group.
Nous verrons comment le choix d’une orthographe en même temps allemande en surface et
phonétiquement localisée pour chaque village représente cette position ambigüe entre être
germaniques, allemands, italiens, ou membres des communautés régionales à fin d'être visibles en
écrivant (ce qui reste de) la langue, avec ses spécificité lexicales et phonétiques uniques, pour se
montrer à l’extérieur et à la communauté à travers de travaux de recherche comme le PALWAM,
l’Atlas linguistique on line.
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Petros DIATSENTOS
EHESS
De l'occultation à la visibilité: construction identitaire
et institution d'une langue en Thrace occidentale
Situés à la région frontalière de la Thrace occidentale (Grèce), les Pomaques sont un groupe
minoritaire de religion musulmane, qui parle une langue appartenant à la famille du bulgaromacédonien. Ils constituent l'un des trois groupes (Turcs, Pomaques et Roms) d'un ensemble
reconnu, en 1923, par l'Etat grec comme « minorité musulmane ». Dans
l'après-guerre
(1950années 1980), l'État grec essaie de « diluer » ce groupe dans une minorité qui assume de plus en
plus une identité turque. Par la suite (années 1980 à aujourd'hui), les Pomaques sont occultés par le
groupe dominant de cette même minorité. Le décloisonnement des années 1990 et les connexions
multiples (régionales, nationales, européennes) de la minorité entrainent une visibilité croissante de
ce groupe, ce qui se manifeste de deux façons apparemment opposées : d'un côté l'affirmation et de
l'autre le déni d'une identité ethno-culturelle spécifique.
Cette communication se propose d'examiner de façon abrégée l'amorce de la grammatisation
du pomaque ainsi que la construction d'une connaissance commune, socialement élaborée, portant
sur le présent et le passé de cette langue. La grammatisation et l'attribution d'une dimension
idéologique essentielle à cette langue sont deux processus qui contribuent à la démarcation
identitaire de ce groupe.
Dans un premier temps, j'exposerai succinctement un ensemble d'initiatives qui marquent le
début de grammatisation du pomaque dans les années 1990 (publication de grammaires, de
dictionnaires et d'un manuel scolaire), en insistant sur certains aspects de ce processus qui me
paraissent illustrer la volonté d'affirmer une identité culturelle spécifique. Plus précisément, je
porterai mon regard sur certains choix précis en matière de grammatisation, comme la sélection de
l'alphabet (grec, puis latin), des langues de description, ou des langues sources/cibles des
dictionnaires. Ensuite, en me fondant sur les préfaces de certains ouvrages, j'aborderai des thèmes
précis qui relèvent des représentations linguistiques, portant sur le présent et le passé de la langue
pomaque, ce qui éclaircira en outre les choix précis en matière de grammatisation. Concrètement,
j'exposerai un certain nombre de postulats portant sur l'histoire du pomaque et sur son rapport avec
le grec, le turc et le bulgare.
En effet, la construction qui se met progressivement en place (une langue outillée, un
discours métalinguistique et un discours idéologique portant sur la langue) parvient à mettre en
retrait les différences (confessionnelles ou autres) au sein du groupe et en même temps fonctionne
comme témoin identitaire qui démarque ce groupe des minoritaires Turcs ou Roms. En somme,
cette intervention compte mettre en évidence l'importance de l'institution d'une langue dans le
processus de construction identitaire, au sein d'un groupe à l'identité mouvante et assez souvent
insaisissable.
12
Ksenija DJORDJEVIC LEONARD
Université de Montpellier 3
La mise en visibilité de la langue vepse en République de Carélie
Dans cette communication, nous nous intéresserons aux Vepses, l’une des populations
minoritaires de la République de Carélie (Fédération de Russie). Notre objectif est de contribuer à
définir le concept de minorité invisible à travers une série de questions qui peuvent intéresser les
sociolinguistes. Quels facteurs ont contribué au manque de visibilité de leur langue à travers
l’histoire ? Sous quelle forme s’est-il manifesté durant le XXème siècle ? Etait-il volontaire ou
imposé par le groupe majoritaire (russe), la langue-toit académique (finnois), les langues
collatérales (carélien, livvi, lude) ? Le regain d’intérêt pour les cultures et les langues minoritaires,
qui caractérise l’ensemble balto-fennique aujourd’hui, contribue-t-il à donner au vepse davantage de
visibilité ?
Après avoir présenté les Vepses et leur langue, d’un point de vue historique et linguistique,
nous nous attarderons sur cette dernière question qui touche à une possible mise en visibilité d’une
population minoritaire. En effet, le vepse, tout comme le carélien et le finnois, est aujourd’hui
protégé en République de Carélie et bénéficie d’un certain aménagement linguistique et de diverses
mesures en vue d’une revitalisation. Un séjour sur le terrain en avril-mai 2013, la consultation d’un
riche fonds documentaire en russe sur les langues fenniques de Carélie, et un ensemble d’entretiens
réalisés avec les activistes et les « aménageurs », nous serviront de prisme pour montrer quelles sont
les motivations, les méthodes et les résultats de leur activité en faveur de la sauvegarde de la langue,
mais aussi quelles sont les limites de la résistance d’une langue considérée par l’Unesco comme
déjà « sérieusement en danger ».
13
Bien DOBUI & Daniel KAUFMAN
Université de Paris 3 / Endangered Language Alliance, New York, Etats-Unis
Valorisation par la clandestinité : travail d'une association linguistique à New York
La population de la ville de New York, dans l‘Etat de New York s’élève à 8,3 millions, dont
la moitié parle une des 800 langues autres que l’anglais présentes dans cette ville métropolitaine.
Recevant constamment un flux d’immigration internationale, la ville de New York a fini par devenir
un lieu de diversité linguistique exceptionnellement riche. Si, parmi les langues parlées de New
York, on retrouve toutes les grandes langues du monde, on y trouve également un nombre
considérable de langues minoritaires : selon le consulat du Mexique à New York, sur les 320.000 de
new-yorkais d’origine mexicaine, plus de 250.000, soit 78%, sont d’origine indigène, alors qu’au
Mexique, sur une population de 115 millions, selon la Commission nationale pour le développement
des peuples indigènes (CDI), la proportion autochtone oscille entre 10 et 14%.
Cette inversion des proportions, donnant une majorité aux migrants issus des minorités, est
un phénomène dû en partie aux forces de la politique de mondialisation (perte de ressources ou
terres ancestrales ; taux de chômage très élevé dans les régions rurales ; politique d’assimilation à la
culture majoritaire des mestizos ; etc.) où les plus marginalisés sont les plus susceptibles d’être
touchés, partant au bout du compte à la recherche de nouvelles opportunités – réelles ou illusoires.
Ce phénomène d’immigration indigène aux Etats-Unis, en augmentation de 68% entre les
recensements officiels de 2000 et 2010, fait de ce pays (où l’histoire de la politique d‘extermination
de sa propre population amérindienne commence seulement à être connue par le public) un lieu de
revendication pour des peuples souvent considérés chez eux comme « arriérés », « sauvages » et
« étranges ».
Plusieurs associations travaillent en lien avec les populations indigènes vivant à New York,
dans une visée humanitaire, comme l’association Endangered Language Alliance (ELA), qui
propose de l’aide aux communautés immigrantes ou refugiées établies à New York et dans les
alentours, ainsi que des activités de documentation et de maintien de leurs langues, tout en
établissant un lien pédagogique vers le grand public, dans un esprit militant, afin de défendre leur
droit légitime à l’autonomie culturelle. En partenariat avec la communauté mexicaine, notamment
avec l’association new yorkaise Mano a Mano qui travaille exclusivement avec la communauté
mexicaine, nous avons constaté une augmentation de demandes d’actions à thème « indigène » par
le public (cours de langues, aide au développement de matériel pédagogique, événements et
spectacles culturels, interventions auprès du grand public). Certaines questions se posent : Est-il
plus facile de revendiquer son identité indigène à New York que dans d’autres métropoles ou villes
mexicaines ? A quel point le cadre de New York permet aux Mexicains indigènes de parler leurs
langues de manière plus sereine qu’au Mexique ? Que font-ils face aux attitudes disqualifiantes de
leur pays d’origine, importées par d’autres Mexicains jusqu'à New York, à chaque nouvelle vague
de migration ?
Afin de répondre à ces questions, dans cette communication nous verrons quelques projets
de soutien linguistique sur le thème de la Méso-Amérique menés par ELA au cours des derniers
cinq ans, dont les projets nahuatl, amuzgo (langue otomangue) et totonac de la ville de Tuxtla,
Mexique. Nous rendrons compte également des projets garifuna (langue arawakane) et de celui des
langues juives, afin d’illustrer par une multiplicité de cas comment les minorités vivant en ville
parviennent à développer des stratégies de survie particulières, en fonction de leur histoire et de leur
statut dans la société contemporaine new-yorkaise.
14
Pierre ESCUDE
Université de Toulouse 2
De l’invisibilisation et de son retroussement.
Le cas occitan : normalité de la disparition, ou normalisation du bi/plurilinguisme ?
Avril 2013. Le récent « débat » législatif sur la Loi d’Orientation et sur la présence des
« langues vivantes régionales » dans le système éducatif français, le retour vite refoulé d’un débat
sur la ratification de la Charte européenne des langues minoritaires et régionales, rappellent que la
France est une République une et indivisible, dont la langue officielle est le français, et que toute
reconnaissance de « diversité intérieure » pose, de fait, un cas de conscience constitutionnel. « Une
section du peuple ne peut s’arroger un droit sur le peuple », conclut le Président du Comité
Consultatif créé sur demande du chef de l’État par la Ministre de la Culture, Aurélie Filipetti.
Le processus d’invisibilisation de la « minorité » occitane l’a diluée et semble l’avoir rendue
invisible au sein même de son propre espace, de ses propres locuteurs. Nous reprendrons le fil d’une
épistémologie de l’invisibilisation occitane à partir d’une œuvre-clef de son répertoire poétique et
politique, en l’espèce, le Ramelet Mondin de Pèire Godolin. L’œuvre littéraire, transcendance
politique d’un dessein collectif, devient une sorte de fétiche, sublimée ou martyrisée, étouffée,
dominée, jusqu’à devenir inaudible en son propre espace. Comme l’huile sur l’eau, ce-dontGodolin-est-le-nom glisse sans arrêt de l’espace érudit et social français et ne peut s’y incorporer. Et
laisse la trace de quelque chose d’autre dans la planification d’un espace normalisé, libéré, réduit à
sa grande liberté d’être strictement ouvert sur le même.
Deux solutions semblent seules envisageables : la « minorité » se règle sur la loi de l’unique
et disparaît, car l’unique n’envisage pas de séparation de son corps autre que fin de ce même corps.
C’est la doxa érudite et, sur un temps long, celle qui a été disséminée dans le grand corps social par
l’École. Il n’y a bien qu’une langue, puisqu’il n’y en a pas d’autres. Seconde solution : la
« minorité » est consciente de son propre corps, et n’a d’autre solution pour exister que d’envisager
de se séparer du Corps qui la dénie. Nationalisme contre Régionalisme.
Dans les deux cas, la problématique du contact (toujours ?) conflictuel est-elle résolue. La
dualité n’existe pas puisqu’il n’y a qu’une seule langue légale et légitime ; la langue qui n’est pas
politiquement dominante ne peut avoir de territoire, à moins de créer un communautarisme
inquiétant, balkanique, babélien. Contact ou conflit semblent mener à l’idéal du monolinguisme –
nationalisme / régionalisme –, puisque c’est la dualité qui pose problème.
Nous aimerions poser dans une seconde partie que ce n’est pas tant la dualité qui pose
problème que son absence d’aménagement sur les territoires, chez les locuteurs, dans la conception
d’une loi qui rende compte de la réalité complexe telle qu’elle est. Cette réalisation doit prendre en
compte le rapport irrésolu par la Loi de la dualité et de la norme. Il y a nécessité d’une Loi, il y a
irréductibilité d’une diversité humaine régie par la loi unique. Cette reconnaissance du contact
devenue réalité, restera à la didactiser.
Il y a un siècle, un linguiste français, Jules Ronjat, éditait deux œuvres majeures. La
première traite du bilinguisme paritaire précoce1 ; la seconde, développant ce qu’est la syntaxe de
l’occitan moderne, parle pour la première fois d’intercompréhension2. Ronjat ouvre les pistes,
suivies un siècle plus tard, d’un aménagement linguistique, didactique, politique de deux langues en
1
Jules Ronjat, Le développement du langage observé chez un enfant bilingue, Paris, Champion, 1913 (réédition prévue
chez Peter Lang, 2013).
2
Jules Ronjat, Syntaxe du provençal moderne, Mâcon, Protat Frères, 1913. Le terme d’intercompréhension est inventé
par Ronjat dans le cas de locuteurs n’ayant pas une conscience construite d’une langue occitane systémique, mais ayant
cependant toutes les compétences pour comprendre l’ensemble de ses dialectes. La capacité d’intercompréhension
fonctionne également sur des langues de même famille : chaque langue étant finalement considérée comme un dialecte
un peu différent mais surtout largement semblable dans ses constructions syntaxiques, culturelles, morphologiques,
lexicales, phonatoires.
15
un individu (bilinguisme) ou sur un espace social donné (intercompréhension).
Dans le cas occitan, une chance historique – la dernière vraisemblablement – est ainsi
donnée. Soit la « population occitane » (population vivant sur un espace historié construit de la
langue et de la culture occitane) accède à un niveau de conscience forte de sa langue identitaire, de
par le statut de langue normalisée politiquement (cas du petit Val d’Aran, 7000 habitants, haute
vallée de la Garonne dans les Pyrénées catalanes d’Espagne), soit ses 15 millions d’habitants sont
définitivement intégrés au modèle français récusant toute autre langue interne, et ne concevant toute
autre langue que comme étrangère .
Soit, enfin, un choix reste ouvert, ténu mais têtu et se construisant peu à peu depuis 60 ans :
l’invention d’un modèle d’apprentissage scolaire en relation avec une respiration sociale
décomplexée, mettant la didactisation des langues au cœur de son système. C’est le cas avec le
bilinguisme paritaire précoce français-occitan qui, parti de 0, accède à près de 3% des élèves au
bout de 20 ans d’existence sur une région forte de 2,5 millions d’habitants ; c’est le cas avec le
développement d’un enseignement en intercompréhension, c'est-à-dire intégrant les langues
ensemble, les langues avec les disciplines (valorisation du corpus) et intégrant l’ensemble des
curricula scolaires (valorisation du statut). L’intégration des langues ouvre également un champ
politique nouveau qui permet de reconsidérer ce qu’on appelle identité.
16
Diego FERNANDEZ VARAS
Université Lumière - Lyon 2
Faire appel aux ancêtres ou retrouver la culture cachée mhuysqa à Cota, Colombie
Lors de la reconnaissance constitutionnelle du caractère multiculturel et pluriethnique de la
Colombie en 1991 et de la mise en place de lois reconnaissant des droits spécifiques aux
communautés indigènes, différents peuples jusqu’alors considérés comme éteints, se sont organisés
afin de faire reconnaitre officiellement leur « droit à la différence » et exiger l’application des
mécanismes normatifs prévus par la législation. A l’aide des organisations nationales, et grâce à une
longue histoire de luttes, des peuples que l’on a cru disparus reprennent place sur la scène nationale.
Parmi ces peuples, les Mhuysqas sont l’un des exemples de la redécouverte d’une identité
éclipsée par l’histoire coloniale et l’implantation des Etat Nations métis latino-américains. En effet,
bien qu'ils occupent une place importante dans la mémoire nationale, ils ne sont pas nécessairement
reconnus par l'actuelle population colombienne, restant rattachés à l’imaginaire des peuples
précolombiens "disparus" après la colonisation. Dans cette lutte pour la reconnaissance, la
communauté de Cota, située dans le département de Cundinamarca dans la banlieue élargie du
Grand Bogotá, met en place des stratégies lui permettant de se rendre visible; elle essaie de
reconstruire une mémoire communautaire et de créer des signes et des rituels justifiant la
dénomination de ses membres en tant que « vrais indiens ». Dans ces expériences d’ethnisation
nous pouvons voir comment l’utilisation d’une catégorie sociale subalternisée devient l’axe
articulateur d’une lutte permettant d’accéder à une place plus valorisante dans la société
colombienne.
Ces processus ne sont pas seulement vécus dans une logique macro-sociale, mais bien dans la
vie quotidienne des membres de cette communauté. Nous pouvons observer dans plusieurs familles
l’appropriation de pratiques distinctives des peuples indigènes colombiens. Plus particulièrement
l’utilisation de techniques médicinales dites « traditionnelles », renforce l’idée de légitimité de leur
revendication de reconnaissance comme une minorité ethnique. Ce type d’actions fait appel un
discours de revitalisation de la culture mhuysqa cachée durant de siècles. Grâce à la réappropriation
des pratiques considérées comme propres, notamment la récupération de la langue mhuysqhubun, la
communauté de Cota essaie de faire face à de nouvelles problématiques liées à la marginalisation
sociale dont elle fait l’objet.
Cette communication de caractère ethnographique, tend à rendre visibles des actions
quotidiennes de visibilisation de la culture mhuysqa qui cherchent à enrichir le contenu d’une lutte
sociale plus large, axée sur la défense des minorités ethniques dans la Colombie contemporaine.
17
Letizia FIORDELISI
Université de Corse
Langue corse : l’intégration ? la clôture ? l’effacement ?
Je voudrais m’interroger ici sur deux systèmes : l’un se dissout, l’autre naît.
Durant plusieurs siècles l’environnement linguistique insulaire a été marqué par un lien
quasi fusionnel qui unissait une langue et un dialecte. Deux systèmes de communication étaient
affiliés ; la communication en corse et la communication en toscan. Il s’agit là de contact des
langues : « Présence simultanée de deux ou plusieurs langues à un niveau individuel […],
interpersonnel ou sociétal […] »3. À cette époque, le toscan était la langue écrite du corse qui était
la langue de l’oralité. C’était un système langue / dialecte, une situation de communication basée
sur l’emploi et l’utilisation de deux codes différents pour les échanges de tous les jours. Certaines
situations requérant l’utilisation d’un des codes et la non-utilisation de l’autre. Le corse était donc
employé comme langue quotidienne commune à toute la population. Le toscan était employé par la
bourgeoisie mais aussi pour l’écrit ainsi que pour toutes les démarches officielles et administratives.
L’élite corse était ainsi plurilingue. Elle parlait le corse, elle parlait le toscan dans ses rapports avec
Gênes et elle parlait aussi le français. C’était cette catégorie de la population qui faisait et
maintenait le lien entre le peuple et le pouvoir. La population n’avait pas conscience d’utiliser deux
codes différents, il s’agit d’un contexte de contact entre deux langues qualifiable ici de diglossie
« harmonieuse ».
Cette situation d’équilibre sera totalement bouleversée à partir de 1769, lorsque la Corse
change d’aire linguistique. L’île insérée jusqu’alors à l’aire italo romane se retrouve enfermée dans
l’aire gallo-italique avec l’arrivée du français. Les réels effets de cette francisation seront plus
tardifs, ils prendront de l’importance vers la fin du XIXe siècle, en 1881 avec les lois scolaires de
Jules Ferry. Dès lors la situation linguistique se complexifie. Le corse et le toscan étaient considérés
comme deux niveaux de la même langue, existant en parallèle et répartis entre l’usage familial,
quotidien et l’usage formel, l’écrit. L’intercompréhension présente entre les deux langues devient
caduque avec l’arrivée du français en remplacement du toscan. La nouvelle langue affecte
l’équilibre qui prévalait.
« J. Blanc et I. Coderc quant à eux font référence à R. Ll. Ninyoles pour annoncer : « Aux
concepts pudiques de « contacts de langues », de bilinguisme, nous substituons ceux de diglossie et
de dominance […]. Le « contact de langues » est plus un « contact » de sociétés et de classes
sociales dont les changements de langues ne sont que la conséquence »4.
Avec la langue française s’installe une diglossie de nature conflictuelle. Avec
l’enseignement, le français est entré au sein des familles; là le péril était dans la demeure. Dans un
contexte économique et sociale assez difficile, l’école devient lieu de survie pour les populations
paysanes et ce malgré l’interdiction d’y parler la langue corse. L’avenir des enfants passait
inévitablement par l’enseignement. Durant cette période, la langue française « a lingua di u pani »
(la langue du pain) assurait à elle seule le destin de la population en effaçant toute une culture
ancienne.
Dans une situation marquée par la prise de conscience d’une urgence, le besoin d’agir
devient pressant : « […] resté seul en face du français et privé du soutien d’une langue grande de
culture ; le corse n’avait d’autre perspective que de disparaître ou de se donner le statut d’une
langue écrite »5.
3
Pp.449. Hamers J-F. Blanc M. 1983. Bilingualité et bilinguisme. Mardaga, Bruxelles.
Pp. 25. Cité par Boyer H. 1991. Langues en conflit. Etudes sociolinguistiques. L’Harmattan, Collection Logiques
sociales, Paris.
5
Pp. 393. Mémorial des Corses. Collectif. Albiana. Ajaccio. Tome III, article d’Ettori F.
4
18
Gilles FORLOT & Fanny MARTIN
Université de Picardie - Jules Verne
Invisibilité, (auto-)occultation, enclavement … ?
Les paradoxes des pratiques langagières minoritaires en Picardie
En la situant au cœur de la francophonie, nous aurons pour objectif dans cette
communication de mettre en lumière la complexité de l’histoire du picard, son contact, sa proximité
et donc sa collatéralité (Éloy, 2004) avec le français standard. Nous questionnerons, dans une
perspective (ethno)sociolinguistique, la stigmatisation (au sens de Goffman, 1975) qui se joue dans
les discours épilinguistiques des locuteurs eux-mêmes et dans certaines pratiques linguistiques dans
la zone historique picardophone (régions de Picardie et du Nord-Pas de Calais en France et province
du Hainaut en Belgique), qui font de cette langue régionale une langue en tension entre disparition,
préservation et patrimonialisation.
Nous proposons d’interroger les discours des sujets parlants de cette région sur la langue et
sur leurs propres pratiques langagières, pour finalement éclairer le concept d’identité linguistique
régionale face à la domination d’un modèle normé et central du français hexagonal (Martin &
Forlot, 2012 ; 2013). Nous introduirons notre propos en montrant qu’enquêter sur le terrain des
« pratiques linguistiques ordinaires » en Picardie est une démarche complexe qui invite le chercheur
à se questionner à la fois sur les ressources du terrain, sur la manière de faire du terrain, sur la
remise en cause permanente du travail de terrain et sur le positionnement du chercheur. Ensuite,
nous rappellerons que la langue picarde, bien que se manifestant par une littérature considérable, est
aujourd’hui de moins en moins parlée et utilisée au quotidien. Ainsi la pratique du picard se révèle
au linguiste comme étant exercée par une minorité mais également comme étant véritablement
hétérogène au cœur même du domaine linguistique picard, dans l’espace et dans le temps.
Par ailleurs, la complexité de l’histoire de la zone linguistique picarde montre que la
question de l’identité linguistique est particulièrement prégnante, l’imaginaire du même et du
différent et le poids des idéologies du langage investissant les discours. La situation périphérique
(Francard 1993-94) du picard et sa collatéralité avec les formes dites standard du français en font
une langue régionale apparaissant comme une forme d’exotisme, une stéréotypie, voire d’une
marginalisation qui renvoie à un amalgame du mal parler.
Nous avancerons l’hypothèse de la constitution, dans cet espace régional, d’une
francophonie minoritaire paradoxale et « auto-minorisante » (Martin & Forlot, 2012) au sein même
de la francophonie hexagonale, puisque de nombreux locuteurs, pourtant conscients de pratiques
linguistiques plurielles, ne voient pas dans le recours à ces parlers picards une compétence
linguistique légitime (Forlot, 2006), mais plutôt des formes locales, plus ou moins approximatives,
du français.
En bref, la communication est inspirée d’une sociolinguistique ethnographique critique
(Heller, 2002) et construite méthodologiquement sur la sollicitation de discours des locuteurs sur
leurs propres pratiques et de celles des autres ainsi que sur des observations participantes visant à
glaner des pratiques plus spontanées (Forlot & Éloy, 2010). Elle sera l’occasion de s’interroger sur
l’influence des discours ordinaires sur les pratiques et leur occultation et sur les facteurs qui
motivent cette invisibilisation (Martin & Forlot, 2013) et sur l’entrecroisement de concepts tels que
celles de langue légitime, d’identité régionale, d’insécurité linguistique et de folklorisation
permettant éclairer les notions de minorités invisibles, cachées ou enclavées.
Références :
ÉLOY J.-M. (dir.) 2004. Des langues collatérales. Problèmes linguistiques, sociolinguistiques et
glottopolitiques de la proximité linguistique. Paris, L’Harmattan–CEP (2 vol.).
19
ÉLOY J.-M., 2011, « Le paysage linguistique pluriel de la France : retour critique sur l'enquête de
1999 », Communication au COLLOQUE INTERNATIONAL DU RESEAU FRANCOPHONE DE
SOCIOLINGUISTIQUE, ENS Alger, juin 2011.
FORLOT G, 2006, « Des pratiques aux stéréotypes sociolinguistiques d’étudiants-professeurs.
Résultats préliminaires d’une enquête et pistes de recherche ». SPIRALE. Revue de recherches en
éducation 38 : 123-140.
FORLOT G. & ÉLOY J.-M. 2010. « Le spontané et la réflexivité en (socio)linguistique ». In H.
Boyer (dir.), Pour une épistémologie de la sociolinguistique. Limoges : Éditions Lambert Lucas.
163-170.
FRANCARD M. (dir.) 1993-1994. L'insécurité linguistique dans les communautés francophones
périphériques. (Vol. I). Louvain-la-Neuve : Cahiers de l'Institut de Linguistique de Louvain 19 (34) & 20 (1-2), 1994, 145 p.
MARTIN F. & FORLOT G. 2012. « Hétérogénéité linguistique et poids des idéologies sur les
pratiques linguistiques en Picardie ». Communication au colloque international LA CONSTRUCTION
DISCURSIVE DU LOCUTEUR FRANCOPHONE EN MILIEU MINORITAIRE. PROBLEMATIQUES, METHODES ET
ENJEUX. Université de Moncton (Canada), 3-6/10/2012.
MARTIN F. & FORLOT G. 2013. « Les enjeux sociolinguistiques et identitaires de la visibilisation
/ invisibilisation d’une langue. Le cas du picard ». Communication au CONGRES INTERNATIONAL DU
RESEAU FRANCOPHONE DE SOCIOLINGUISTIQUE. (LES LOCUTEURS ET LES LANGUES : POUVOIRS, NONPOUVOIRS, CONTRE-POUVOIRS »). Université de Corse. 3-5/07/2013.
GOFFMAN E. 1975. Stigmate. Les usages sociaux des handicaps. Paris : Éditions de Minuit.
20
Virginia GARIN
Université de Montpellier 3
Comment occulter une minorité en essayant de la rendre visible ?
Le cas des locuteurs des dialectes portugais de l’Uruguay (DPU)
Notre communication propose d’analyser les changements qui se sont produits en matière de
politiques linguistiques et éducatives en Uruguay à partir des années 90, notamment en ce qui
concerne la minorité formée par les locuteurs de ce que les linguistes ont nommé « fronterizo »
(Rona, 1959), « dialectes portugais de l’Uruguay ou DPU » (Elizaincin et Behares, 1981), ou plus
récemment « portugais de l’Uruguay » (Carvalho, 2007), et connu populairement sous le nom de
« portuñol » ou « portunhol ».
Il conviendra en premier lieu de rappeler que le territoire uruguayen est divisé en deux
grandes zones linguistiques : l’une au nord et au nord-est du pays, avec un substrat culturel et
linguistique portugais et l’autre à l’ouest et au centre-sud du territoire, avec un substrat espagnol
auquel viendra s’ajouter une forte influence des immigrants européens (principalement venus
d’Italie).
Cette hétérogénéité culturelle et linguistique a longuement été déniée par les autorités
politiques et éducatives qui alimentaient à travers leurs discours et actions le mythe d’un Etatnation
homogène et harmonieux (Peyrou, 2011) dans le but de promouvoir l’unité et le sentiment
d’appartenance nationale.
L’imposition de l’espagnol dans les régions lusophones de l’Uruguay a provoqué le passage
d’un monolinguisme à un bilinguisme diglossique (Behares, 1984) qui sera bien évidemment
accompagné d’une idéologie favorable à l’espagnol en tant que langue de prestige et d’une
stigmatisation de la variété portugaise considérée comme un « mélange » et dénigrée par les
discours puristes sur la langue.
Il faudra attendre les années 90 pour assister à un changement attitudinal des autorités et des
enseignants, sans doute facilité par la création en 1992 du MERCOSUR, une initiative
multinationale qui ne se veut pas une simple alliance commerciale, mais un projet d’intégration
régionale. Le point numéro 4 du Protocole d’Intentions de décembre 1991 mentionne « l’intérêt de
promouvoir l’apprentissage des langues officielles du MERCOSUR – l’espagnol et le portugais – à
travers les systèmes éducatifs dans tous les niveaux et modalités». On voit ainsi apparaitre des
programmes d’éducation bilingue dans les différents espaces frontaliers entre le Brésil et les pays
hispanophones du MERCOSUR. En Uruguay, on mettra en place trois programmes éducatifs
différents, les deux premiers (2003, 2006) conçus au sein du CEIP (Conseil de l’Education Initiale
et Primaire) et le troisième (2008) dirigé par Mercosur Educativo (un espace de coordination de
politiques éducatives qui réunit les pays membres et associés du MERCOSUR).
Dans notre contribution nous essaierons d’analyser ces différents programmes pour voir
quelles sont les idéologies qui les sous-tendent et les discours qui les accompagnent.
Nous chercherons à savoir quel est l’espace consacré à la langue maternelle d’une grande
partie des élèves, c’est-à-dire le portugais de l’Uruguay, puisque les responsables de ces
programmes déclarent avoir pour objet la formation de locuteurs/citoyens bilingues en espagnol et
en portugais standard. Cette nouvelle politique linguistique d’intégration régionale ne serait-elle en
train (à travers ces nouveaux dispositifs) de rendre une nouvelle fois invisibles les locuteurs natifs
du portugais de l’Uruguay ?
Références :
CARVALHO, A. M., 2007, Diagnóstico sociolingüístico de comunidades escolares fronterizas en el
norte del Uruguay, in: BROVETTO, C.; GEYMONAT, J; BRIAN, N. (Eds.) Portugués del Uruguay
21
y educación bilingüe, Montevideo, ANEP – CEP, p. 49-98.
ELIZAINCIN, A. y L.E. BEHARES, 1981, Variabilidad morfosintáctica de los dialectos
portugueses del Uruguay, Boletín de Filología de la Universidad de Chile, XXXI, 1 p. 401-417.
PEYROU, R., 2011, La frontera norte en el imaginario cultural, Revista uruguaya de Psicoanálisis
(en ligne), n°113, p. 156-167.
RONA, J. P., 1959, El dialecto “fronterizo” del norte del Uruguay. Montevideo: Universidad de la
República, Facultad de Humanidades y Ciencias, Publicaciones del Departamento de Lingüística.
22
Florence HEYMANN
CRFJ / CNRS-MAE
Les « marranes » du XXIe siècle en Israël
Les juifs religieux en Israël se séparent en deux groupes principaux : les « sionistes
religieux » (tsionim datiim) ou « religieux nationaux » (datiim leumiim), environ 22 % de la
population ; les ultra-orthodoxes (haredim) autour de 5 %, dans leur écrasante majorité non
sionistes ou a-sionistes.
Ces derniers forment des sociétés ghettoïsées, dont le système institutionnel fonctionne en
autarcie vis-à-vis de la société générale. Ils forment aujourd’hui une société d’hommes censés
étudier leur vie durant, soutenus matériellement par l’aide de l’étranger, par leurs femmes qui
travaillent dans des emplois compatibles avec les normes du groupe, enfin par des subventions de
l’État. Les frontières avec la société juive générale sont encore renforcées par l’exemption de
l’armée des étudiants de yeshiva, sujet à la une de l’actualité depuis quelques années.
Même si ce monde reste résolument enclavé, on peut, malgré tout, y repérer des évolutions.
Et le changement sans aucun doute le plus fondamental, et quasiment impossible à arrêter, est
l’arrivée des nouvelles technologies et l’ère du numérique. L’ordinateur, et avec lui l’Internet et le
téléphone portable, sont apparus comme le ver dans le fruit. Par là vont passer, de manière quasi
automatique et accélérée, toutes les évolutions possibles, et accélérer les phénomènes de dissidence.
Je mène depuis deux ans une enquête de terrain approfondie auprès de quatre groupes de
dissidents religieux, parmi lesquels les anoussim (« marranes »). Les quatre groupes – trois sur
quatre liés à l’ultra-orthodoxie – peuvent être regroupés deux à deux, les premiers franchissant les
frontières du groupe, les derniers s’y maintenant. Ils se positionnent sur un spectre allant du plus
affiché au plus secret, du plus revendiqué au plus « refoulé ».
Mon intervention se propose de présenter les anoussim, un groupe archétypal de « minorité
invisible » qui relève de la dissidence et de la marginalité, mais sans éviction ou auto-exclusion du
milieu d’origine. Dénomination paradoxale, anous (« marrane ») fait référence aux Juifs d’Espagne
du XVe siècle, forcés de vivre dans la clandestinité pour échapper à l’Inquisition. Nos marranes
ultra-orthodoxes du XXIe siècle vivent également dans le plus grand secret. Ils sont nés et ont grandi
dans la société ultra-orthodoxe. Ils s’y sont mariés, ils y ont eu des enfants, mais ils ont
généralement perdu la foi. Ils vivent dans le doute, quand ils ne se découvrent pas être de complets
hérétiques. Sous le déguisement des ultra-orthodoxes, ils se sentent totalement laïcs. Combien sont
concernés ? Des centaines, peut-être des milliers. Tenus au plus grand secret, leur solitude est
terrible. Ils se terrent et ne communiquent pas, surtout avec les plus proches : famille, conjoint,
enfants. S’ils se dévoilaient et tentaient de « sortir du placard », ils risqueraient vraisemblablement
de tout perdre : leur conjoint, leurs parents, leurs enfants, souvent aussi leur travail. Ce n’est donc
pas étonnant qu’ils se sentent en prison, une prison dans laquelle le conjoint serait le geôlier.
Doubles « je », ils sont condamnés à vivre une existence « schizophrénique » de haredim baal
koreham d’« ultra-orthodoxes contre leur gré ».
23
Gabriele IANNACCARO & Vittorio DELL’AQUILA
Université de Milan, Italie / Université de Vaasa, Finlande
Des minorités peuvent-elles être invisibles ou cachées ?
Nous ne faisons pas référence ici à des minorités qui se cachent physiquement pour se
défendre des persécutions politiques ethniques ou religieuses : il s’agit, dans ces cas, de
communautés reconnues comme telles par elles-mêmes et par les autres.
La question que nous nous posons est s'il existe d'autres formes d'invisibilité, plus subtiles
ou partielles. Plus encore : le concept d’invisibilité d’une communauté est-ce compatible avec l’idée
de minorité ? Est-ce qu’une minorité peut exister comme communauté en soi si elle passe inaperçue
à elle-même ou aux autres ?
Si l’on emprunte à la classification des langues les définitions de Ausbau et de Abstand de
Kloss on peut affirmer qu’il existe des minorités Abstand qui sont invisibles ou cachées – il suffit de
penser par exemple aux populations Bornéo qui vivent presque cachées dans la forêt et qui ont
chacune sa langue bien définie, souvent des traditions différentes et parfois des traits somatiques
très marqués ; par contre dans une Europe dans laquelle les différences linguistiques, religieuses et
culturelles sont peu marquées, une minorité doit forcément se définir par Ausbau. Et une fois
construite, une minorité peut-elle rester invisible ?
Nous tacherons de répondre à ces questions à travers l'analyse de la situation ethnolinguistique de la Latgalie (Lettonie Orientale), où trois langues principales (letton, russe, latgalien)
et cinq groupes religieux (catholiques, luthériens, orthodoxes, vieux-croyants, athées) se mêlent
dans une société pluriethnique tantôt compacte, tantôt conflictuelle. Or, dans cette société, où le
plurilinguisme est une marque positive, se cache une minorité latgalienne – une minorité qui existe
depuis longtemps, tantôt reconnue par les institutions, tantôt considérée comme lettone tout-court,
et qui, depuis l’indépendance de la Lettonie a repris à revendiquer une voix politique. Mais si elle
commence à être visible, ses contours ne sont néanmoins absolument pas clairs : s’agit-il d’une
minorité linguistique qui justifie son existence à partir du latgalien, langue par Ausbau dont la
construction n’est pas encore achevée et qui appartient à peu plus qu’à la moitié de la population
originelle de la région ? Ou bien minorité ethno-religieuse se reconnaissant dans l’église catholique
qui n'est toutefois pas majoritaire dans l’aire ? Ou, encore, une minorité territoriale qui se fonde sur
l’histoire d’une région autre fois projetée plus vers Moscou ou vers Vilnius que vers Rīga, mais
pour laquelle la question sécessionniste ne se pose pas ?
24
Jean-Pierre JEANTHEAU
Institut Catholique de Paris
L'invisibilité de la majorité biélorussophone au XIXe siècle
sur le territoire de l'actuel Belarus
Le Bélarus, ancienne République Socialiste Soviétique de Biélorussie, est certainement à
l’Ouest de Berlin un des pays les moins bien connus d’Europe. Il s’agit d’un Etat nation, créé
officiellement après la première guerre mondiale, mais qui aurait pu ne pas exister si la majorité
linguistique était restée invisible ! En effet, si les défenseurs actuels de la langue biélorusse font
remonter son utilisation au Moyen Age, lui attribuent le statut de langue officielle du Grand Duché
de Lituanie et le titre de troisième langue de traduction de la Bible, pendant tout le début du XIXe
siècle, il n’existe guère de production en langue biélorusse. C’est avec les premières études
polonaises ou russes de linguistique descriptive et ethnographique que la trace de la langue
biélorusse réapparaît. Elle ressurgit comme sujet d’étude, mais dans le même temps comme langue
d’écriture. En effet, c’est à cette époque que les premiers auteurs littéraires biélorusses modernes
font leur apparition, tels Barchevski (Barszczewski en polonais), Rypinski ou encore
Marcinkiévitch.
Mais la langue biélorusse n’a été reconnue comme telle qu’après la thèse en 1884 de F.
Karski6. Avant ces travaux scientifiques le biélorusse n’existait pas en tant que langue7 aux yeux de
l’académie russe et les Biélorusses en tant que groupe ethnique non plus puisque la nationalité était
attribuée par les enquêteurs lors des recensements sur le critère de la langue parlée par les recensés8.
D’ailleurs, l’édition de 1895 de la Grande encyclopédie ne mentionne aucune école en biélorusse
dans les cinq goubernias qui correspondent à peu près au Bélarus actuel, mais seulement des écoles
en yiddish et surtout en russe. Mais les Biélorusses perdent leur invisibilité statistique dans le
recensement des populations de l’empire à l’occasion de celui de 1897. Après la révolution russe, la
république populaire de Biélorussie sera créée dans les frontières linguistiques établies par le
recensement précédent.
L’exemple biélorusse est un peu paradoxal dans le cadre proposé par le colloque, dans la
mesure où il prend en compte une population majoritaire sur son territoire (l’aire correspondant à
l’actuel Belarus en 1897) même si elle était minoritaire dans les villes (seulement 16% de la
population)9 et à l’échelle de l’immense empire russe. Au-delà de la problématique la dimension de
référence qui fait qu’une majorité peut être aussi une minorité, il pose la question des conditions de
la visibilité, de la reconnaissance à travers la mise en place de critères normatifs comme la
description de particularités linguistiques et la validation académique de ceux-ci.
C’est dans cette perspective que le cas biélorusse de la fin du 19e siècle sera revisité, après
une publication en ligne en France dans le Numéro 1 de la revue de l’Université de Rouen Glottopol
qui abordait le sujet sous l’angle du lien entre langue et Etat-nation.
6
Jauchim Karski "Обзор звуков и форм белорусской речи" « Table des sons et forme du parler biélorusse » en 1884
et "К истории звуков и форм белорусской речи" qui a été publié dans "Русский филологический вестник" entre
1890 et 1893;
7
Mais en tant que dialecte ou parler dérivant du russe.
8
Juliette Cadiot, Le recensement de 1897, Cahiers du monde russe, 45/2-3, 2004.
9
« Urbanisation in Russia and the USSR : 1897-1966 » Annales of the Association of American Geographers, 1969.
25
Pierre Johan LAFFITTE
Université de Picardie - Jules Verne
Les conditions de possibilités de l’invisibilité : la notion de régime comme explication de la
cécité macrosociale à l’égard des praxis restreintes. Le cas de la praxis pédagogique et
linguistique des Calandretas
La réflexion que je propose part de la situation des Calandretas présentée par Corinne
Lhéritier, et s’en propose d’une part comme un commentaire, afin d’interroger la rencontre des deux
notions d’invisibilité et de communauté, à l’aune d’un type de situation groupale, culturelle et par
conséquent linguistique, que je nomme « praxis », et dont le fonctionnement exige d’être étudié
dans sa spécificité.
Je ne vais pas étudier l’invisibilité comme attribut d’une communauté, mais la place et la
fonction de l’invisibilité en tant qu’invisible, comme force agissante, déterminante pour la
définition de la communauté en elle-même. La question est alors : quel type de communauté peut-il
se construire à partir d’une telle invisibilité ? C’est ce que je désignerai encore sous le terme de
« praxis ».
En radicalisant le propos, disons que je présenterai ainsi une invisibilité intrinsèque à toute
communauté praxique, par distinction avec son invisibilité extrinsèque, subie et imposée de par
l’intégration douloureuse, humiliée ou en tout cas aliénée, de cette communauté dans un champ
macrosocial plus large.
Tenir compte des enjeux de la première invisibilité (lutter pour ne plus être invisible) sans
céder sur la négativité désirante, éthique, de la seconde (la singularité du sujet est irréductible à
toute généralité pouvant réduire l’humain à n’être qu’un agent particulier de lois générales,
linguistiques ou sociales) : la praxis des Calandretas se situe à la conjonction de ces deux
problématiques, l’une abordable en termes sociaux et sociolinguistiques, l’autre abordable en
termes de rapport désirant (au sens psychanalytique du terme) du sujet, enfant comme adulte, à la
langue et à la culture telles qu’elles structurent le groupe-classe.
26
Sylvie A. LAMOUREUX
Université d’Ottawa, Canada
Nouveau regard sur « L’homme invisible » : expériences d’inclusion et d’exclusion de jeunes
francophones de milieux minoritaires à l’Université d’Ottawa
L’espace canadien accueille et couve nombreuses minorités visibles et invisibles. En ce 50e
anniversaire du lancement des travaux de la Commission du bilinguisme et du biculturalisme, qui
ont mené à la création de la Loi sur les langues officielles (1969), c’est un moment opportun de
jeter un nouveau regard sur le concept de « L’homme invisible » pour représenter une minorité
linguistique trop longtemps prise d’une part sous le poids de l’ombre du Bonhomme Carnaval et
d’une majorité anglophone d’autre part.
Titre d’un ouvrage du poète franco-ontarien Patrice Desbiens (1981), qui a également
inspiré un album et une chanson du groupe CANO (Invisible (1981) et Visible), les critiques
littéraires (Hotte, 2000 ; Melançon, 2008) s’entendent pour expliquer que l’homme invisible est pris
dans une dualité linguistique qui mène à l’échec ou à l’assimilation, tout en témoignant d’un
constant état de schizophrénie où ces francophones en contexte minoritaires ne savent pas s’ils sont
francophones ou anglophones, passant inaperçus, ce qui exacerbe leur schizophrénie et précipite
l’échec identitaire. Interpellée par une entrée dans le journal de bord d’une étudiante qui se
questionne à savoir « si mes professeurs de lettres françaises ne me reconnaissent pas comme
locutrice légitime du français, puis-je me dire francophone ? » (AG, 2010), cette communication
explore les tensions liées à une plus grande visibilité de cet « homme invisible » que sont les
francophones de milieux minoritaires et minorisés.
En s’inspirant du concept de 3e espace élaboré par Roy (2010), pour décrire l’identité
linguistique que se donnent les élèves d’immersion française en Alberta, dans l’ouest canadien,
nous explorons comment des jeunes franco-ontariens, étudiants à l’Université d’Ottawa, réclament
leur identité bilingue afin de prendre leur place dans la communauté de locuteurs du français de leur
nouveau milieu. Ils sont fiers de passer inaperçus, « invisiblement », dans leur milieu d’origine,
d’une communauté de locuteurs linguistiques à une autre. Ces jeunes opèrent du principe de
communauté de locuteur de Pennycook (2010), c’est-à-dire qu’ils trouvent leur place au sein de
locuteurs de l’anglais et du français, nonobstant s’ils ces langues sont des L1, L2 ou L3. Toutefois,
arrivés en milieu universitaire bilingue, ils se heurtent au principe de communauté linguistique, où
les francophones de milieux plus franco dominant ne perçoivent pas comme légitimes les
marqueurs d’identité linguistique francophone (Boissonneault, 2004) des jeunes bilingues, que ce
soit les différences notées au sujet de l’accent, la variété du français, les référents culturels, le
vocabulaire, la syntaxe, les emprunts non-continentaux de l’anglais ou le registre de langue
privilégié. Dès que les francophones de régions plus franco-dominantes ou les francophones
unilingues entendent un accent qui diffère de ceux du Québec ou du Continent, ils tiennent pour
acquis que celui-ci est marqueur de l’identité anglophone des jeunes. En ne les reconnaissant pas
comme francophones légitimes à cause des différents marqueurs cités ci-dessus, les francodominants relèguent les francophones de régions où le français est minorisé à une nouvelle forme
d’obscurité, une invisibilité qui exclue.
Bibliographie :
Boissonneault, J. (2004), Se dire… mais comment et pourquoi? Réflexions sur les marqueurs
identitaires en Ontario français. Francophonies d’Amérique, 18, 163-169.
Hotte, L. (2000), Littérature et conscience identitaire: l’héritage de CANO. Cahiers du CEFAN, 1,
53-68.
27
Melançon, J. (2008), Préface. Dans P. Desbiens (2008 (1981)) L’Homme Invisible/ Invisible Man
(p. 5-15). Sudbury: Prise de Parole.
Pennycook, A. (2010), Language as local practice. Abingdon: Routledge.
Roy, S. (2010), Not Truly, Not Entirely… Pas comme les francophones. Canadian Journal of
Education, 33(3), 541-563.
28
Jean Léo LEONARD
IUF & Université de Paris 3
An xo’boo : un fil d’Ariane écolinguistique
dans le labyrinthe dialectal mazatec
Le mazatec, principale langue popolocane au sein de l’otomangue oriental, avec plus de 220
000 locuteurs, est une langue d’un très haut degré de densité de variation dialectale, notamment en
raison de son articulation entre trois à quatre aires écologiques et de peuplement : hautes terres,
basses terres et aire médiane (Jalapa de Diaz), et Vallée centrale (ou Cañada) de l’arc
Mazatlán/Chiquihuitlán. Cette diversité dialectale a été partiellement explorée par des études de
phonologie comparative, ainsi que par de nombreuses monographies concernant des points de
phonologie segmentale et tonale spécifiques (à Huautla, Chiquihuitlán, Jalapa de Diaz, SM
Soyaltepec) ou de grammaire (à San Jerónimo Tecoatl et Chiquihuitlán). Tous ces dialectes du
mazatec sont très connus et ont bénéficié d’une mise en visibilité par ces travaux. A date plus
récente, des avancées notables ont été proposées dans le domaine de la phonologie, caractérisant le
mazatec comme langue à corrélation de qualité de voix modale, craquée et soufflée, et des
propositions orthographiques ont permis de codifier la langue de manière fonctionnelle, augmentant
le corpus textuel disponible. Ce sont encore les dialectes de Huautla et de Jalapa de Diaz, les deux
principales villes mazatecs, qui ont fourni les données aux phonologues.
Alors que le mazatec est l’une des langues les plus célèbres au monde, notamment à travers
ses variétés dialectales les plus abondamment décrites, ci-dessus mentionnées, certains de ses
dialectes sont encore peu connus, notamment le dialecte dit « poblano », ou « mazatec de Puebla »
(an xo’boo, autrement dit, én xaba’a), parlé en partie dans la périphérie immédiate de l’aire
mazatèque (San Lorenzo Cuaunecuiltitla, Santa Ana Ateixtlahuaca, San Francisco Huehuetlán), en
partie en situation plus isolée, géographiquement et socialement, dans l’Etat de Puebla (Maztzongo
de Guerrero, etc.). La variété an xo’boo ou mazatec poblano, est si différenciée par rapport à
l’ensemble des autres variétés dialectales, y compris en tant que sous-dialecte des hautes terres
nord-ouest (comme San Jerónimo Tecoatl), que rien n’empêcherait de parler à son sujet de langue
proche plutôt que de dialecte. Mais la question ne se pose guère pour les locuteurs, qui
reconnaissent tous parler un dialecte mazatec, en dépit des différences de parole, qui n’altèrent pas,
en profondeur, le sentiment de parler une même langue. Cette communauté dialectale au sein du
mazatec nord-occidental est très peu visitée par les linguistes, et ni sa langue ni son organisation
sociale n’ont fait, à ce jour, l’objet de description, autrement qu’à titre comparatif (la thèse de
phonologie comparative mazatèque de Paul Livingston Kirk [1966], qui a inclus San Lorenzo
Cuaunecuiltitla dans son réseau de 12 variétés géolectales) ou dans le cadre des études
d’intercompréhension du S.I.L. (Summer Institute of Linguistics, organisme de linguistique
missionnaire qui se fixe pour objectif de décrire les langues afin de traduire la Bible).
On donnera à connaître les variables phonologiques, morphologiques et lexicales qui
distinguent le an xo’boo d’autres variétés de mazatec, à partir de données de première main,
recueillies au cours d’enquêtes à San Lorenzo, Santa Ana Ateixtlahuaca et San Francisco
Huehuetlán, au début des années 2010. Nous tenterons à travers ces indices ethnolinguistiques de
reconstituer l’histoire de la formation de ce dialecte très original, et de sa variation interne :
comment la communauté linguistique s’est-elle formée ? Quelle est la trame des relations de
filiation avec les autres aires dialectales aussi bien des hautes que des basses terres mazatèques ?
Dans quelle mesure le contact de langues, notamment avec le mixtec, langue otomangue orientale
également, mais très différente du mazatec, a-t-il pu être décisif ? En effet, les changements
vocaliques en an xo’boo sont identiques à ceux rencontrés en mixtec, à tel point que le an xo’boo a
tout l’air, de prime abord, d’un dialecte mazatec parlé par des Mixtecs récemment implantés – nous
éviterons de prendre parti, en suggérant des arguments en faveur et en défaveur de cette hypothèse
29
de superstrat mixtec. Par ailleurs, la morphologie verbale du an xo’boo rappelle, par la préverbation,
les variétés des basses terres, pourtant éloignées en apparence mais bien plus proches par les jeux
subtils de la topographie interrégionale dans ce microcosme ouvert et interactif qu’est l’aire du
mazatec (cf. les aires écologiques et de peuplement). Sur le plan sociolinguistique, on verra que le
an xo’boo est également un creuset de variation, avec de nombreux idiolectes mixtes dus aux
intermariages, et une subtile variation entre les centres urbains où il est encore en usage.
Pour une communauté invisible ou peu visible, le an xo’boo n’en reste pas moins un prisme
et l’un des dialectes les plus heuristiques de l’espace mazatec, sur le plan des hypothèses
écolinguistiques sur la diversification de la langue. Une communauté invisible qui permet de voir
l’espace et le temps tout autour d’elle, en fonction des coordonnées structurales de la diversité
dialectale du mazatec.
30
Corinne LHERITIER
Calandreta Aimat Serre, Nîmes
Parler l’invisible. Plongées dans une classe coopérative institutionnelle bilingue :
éléments d'appropriation d'une langue et d'une culture « minorisée »
Envisager l’occitan au titre des communautés invisibles risque en soi de provoquer le débat,
tant il est vrai que les actions se multiplient pour donner à voir (et à entendre) cette langue sur la
place publique. Essayer de mesurer la distance entre la volonté de s’afficher ou la ténacité à se faire
entendre des uns et l’aveuglement ou la surdité des autres relève sans doute du défi si ce n’est de
l’impossible.
Pour autant, il nous semble opportun de nous intéresser à la situation de jeunes locuteurs,
dans le cadre particulier d’une classe bilingue occitan-français, dans une école Calandreta où
l’enseignement se fait en immersion en occitan.
Quelle(s) représentation(s) ces enfants ont-ils de cette langue qu'ils n'ont pas, ou pas encore
choisie, et comment s'inscrivent-ils alors dans cette communauté ? Comment devient-elle visible
pour eux, comment devient-elle lisible ?
En nous attardant sur les outils utilisés, nous pourrons essayer de dégager des hypothèses sur
l’entrée dans la langue des jeunes enfants : par quels mots commencent-ils, de quel(s) sens ces mots
sont-ils revêtus ? L’usage de l’occitan prend-il une signification particulière à leurs yeux ?
A cet égard, le mot « outils » ici employé, est à prendre dans son sens le plus large : loin de
se limiter à une panoplie didactique, il répond au choix délibéré d’une pédagogie particulière, la
pédagogie institutionnelle basée sur les « techniques Freinet », où il s’agit autant d’organiser le
travail coopératif que les conditions-mêmes de ce travail. Ainsi, envisagé comme une des
institutions de la classe, l’occitan sera à la fois constitutif des sujets en présence et objet (sujet ?) de
discussion entre eux. Qu’il s’agisse de prendre une décision concernant toute la classe, de faire une
critique, une félicitation ou une proposition, de partager un événement qui nous tient à coeur, de
produire un texte qui sera imprimé ou transformé en album… c’est l’occitan qui structure les
échanges et en indique les maîtres-mots. C’est lui aussi qui garde la mémoire des écrits aux
correspondants et de leurs réponses, celle des objets-trésors laissés au musée de la classe ou encore
celle des affichages constituant la culture commune. Rien d’étonnant à ce qu’il soit lui-même
appréhendé comme « ça-va-de-soi » parce que déjà présent dans la classe qui accueille le sujet,
mais en même temps comme questionnement possible parce que rien n’y est jamais figé.
Nous essayerons alors de dégager les effets qu’une telle posture ne peut manquer
d’engendrer, tant sur l’usage-même de la langue que sur la conscience de cet usage : donner la
parole et la donner en occitan ne peut être anodin. C’est en restant plongés au cœur de la classe que
nous illustrerons notre propos de façon concrète.
Plus particulièrement, à partir de l’exemple d’un rituel pour se dire bonjour dans différentes
langues du monde, nous interrogerons l’impact de cette nouvelle conscience linguistique sur la
pratique de la langue véhiculaire à l’école.
Sujet impliquée puisqu’enseignante de la classe dont il est question, je ne prétends pas à une
étude exhaustive : au contraire, cette approche empirique se propose plutôt d’ouvrir le
questionnement et de susciter les échos autour de la question d’appartenance à une communauté
linguistique quand il s’agit d’une langue non dominante. Quand sa reconnaissance par les autorités
est en mise en défaut, quand son rayonnement est mis à mal par les pouvoirs publics, que reste-t-il
comme signes visibles ? Qu’en perçoivent les enfants ? Comment se les approprient-ils ? Quel sens
prend pour eux la question de la visibilité ?
31
Josune MUÑOZ
Kalë Dor Kayiko, Espagne
Los erromintxelas : los gitanos euskaldunes o…
El erromintxela, el habla de los gitanos euskaldunes
El presente resumen da por conocer el trabajo efectuado por el equipo de investigación de
Kale Dor Kayikó acerca del erromintxela. Este trabajo fue encargado por Euskaltzaindia (Academia
de la Lengua Vasca) y por la Universidad del País Vasco (Vicerectorado de Euskera). La
investigación empírica comenzó en octubre de 1995 y finalizó el 15 de julio de 1996.
En contra de lo que se comentaba desde hacía décadas, a finales del siglo XX el
erromintxela todavía se podía encontrar vivo en boca de erromintxelas de edad avanzada. Las
entrevistas lingüísticas manifestaron una riqueza inesperada. Los informantes coincidieron en
diferenciar la situación del erromintxela en Hegoalde (La zona española de Euskal herria) donde
hacía décadas que había dejado de usarse y transmitirse y había sufrido una gran influencia con el
kaló (habla de los gitanos españoles), e Iparralde (La zona francesa) donde todavía se usaba y
trasmitía. Se informó a las instituciones de la urgencia del trabajo de recopilación de la voz viva de
los erromintxelas así como la necesidad de dar continuidad a la investigación para que pudiera
desplazarse a Iparralde y conseguir testimoniar y recoger un erromintxela actual, vivo y activo.
Igualmente, pudimos constatar que el erromintxela había despertado el interés de todo tipo
de estudiosos quienes habían llegado a él a través del estudio del euskara, que mayoritariamente
había sido visto como una curiosidad, que había habido muy poco trabajo de campo y que aunque
había habido muy buena voluntad (aquí debemos resaltar el trabajo y colaboración de Josu
Mendizabal) se había caído en estereotipos que habían lastrado los trabajos y conclusiones. Esta
investigación era la primera que se había realizado desde la cultura gitana.
Por otro lado, la recopilación y análisis de los documentos históricos demostraba que el
pueblo gitano vasco había sido perseguido, criminalizado, estigmatizado y duramente castigado
durante siglos tanto por el estado Español como por el Francés. La creación del erromintxela,
efectuada desde la necesidad de protección y supervivencia de la lengua y costumbres del pueblo
gitano, mostraba el grado de acercamiento del pueblo gitano a la cultura y lengua vasca. El
erromintxela como habla de los gitanos euskaldunes, evidencia de manera viva y clara el encuentro
entre ambas culturas y el intento del pueblo gitano de mantener su identidad gitana.
Las entrevistas, además, dejaron testimonio de la intensa admiración e identificación de los
gitanos vascos con la lengua y cultura autóctona y una relación con el pueblo vasco mucho mejor
que la que se vieron obligados a sufrir con sus gobiernos.
Cuando se llevó a cabo la investigación, a finales del siglo XX, el erromintxela era una
mezcla lingüística donde la sintaxis, morfología y gramática eran la del euskara, y el léxico era
romaní. La fonética y fonología era la del euskara y estaba sujeta a variaciones dialectales. En las
últimas décadas, el fenómeno de sedentarización del pueblo gitano la había puesto en contacto más
intenso con el kaló y se podía encontrar su influencia en el léxico.
Los logros del trabajo de campo superaron con creces la más alta de las expectativas.
Pudimos registrar más de 500 palabras entre nombres, adjetivos, adverbios… cerca de una centena
de verbos y más de 300 frases, todo un tesoro léxico, cultural y humano que evidencia la
adaptabilidad y creatividad del pueblo gitano considerado inculto y analfabeto por disponer tan sólo
de una cultura oral.
Esperamos que esta ponencia pueda despertar el interés por la fascinante cultura gitana en
general y la gitana vasca en particular tanto a nivel individual como a nivel colectivo e institucional
para que esta investigación pueda tener la continuidad que necesita antes de que sea demasiado
tarde.
32
Rudina MITA & Abdulla BALLHYSA
Université Alexander Xhuvani, Elbasan, Albanie
Les Egyptiens d'Albanie.
Égyptiens du point de vue « historique » et Albanais du point de vue national?
Parmi les grands défis qui se présentent à la société et au gouvernement albanais aujourd’hui
(mais également à d'autres pays), est la solution de la question des droits des minorités ethniques,
nationales ou historiques. L’objectif principal étant une inclusion égale de ces minorités par rapport
aux autres, dans tous les domaines de la vie, en respectant leurs spécificités culturelles, tout cela
devrait se réaliser conformément au droit international. C’est dans cette optique qu’on souhaite
présenter cette étude, qui fournit des données pour une meilleure compréhension des problèmes de
cette communauté. L'objet de cette étude sera la communauté égyptienne vivant en Albanie (ainsi
que dans les pays voisins). Leur vie, avec la multitude des problèmes qu’elle englobe seront étudiés
du point de vue historique, y compris les traditions, les coutumes et la culture en général.
En Albanie, entre autres, on trouve deux communautés apparemment similaires: la
communauté rom et la communauté égyptienne. Elles ont souvent et régulièrement fait l'objet de
discussions, de débats, d'idées différentes en mélangeant leurs caractéristiques particulières. On doit
noter que, si à la communauté rom on reconnait tous les droits compte tenu leur statut particulier en
tant que communauté ethnique, en revanche, à la communauté égyptienne on n’a pas encore
reconnu ce statut.
Quand on fait référence aux Egyptiens d’aujourd’hui en Albanie, est-ce qu’il s’agit d’une
communauté ethnique distincte ? Voilà l’axe majeur de cette étude qui sera traité du point de vue
historique et linguistique.
Il n’existe pas encore un nombre précis sur la taille de cette communauté en Albanie. Les
données et les chiffres présentées dans cette étude sont le résultat d'enquêtes, de questionnaires et de
discussions organisés à cet effet avec des individus, des groupes sociaux et des représentants
d’associations dans les différents districts du pays.
Le reflet de la distinction de cette communauté par rapport au reste de la population
albanaise est également la diversité des nominations qu'elle porte. Les membres de cette
communauté sont appelés "jevg", "magjyp","egjiptian", "evgjit", "ashkali", etc.
Une des caractéristique de cette population, c'est qu'ils ont vécu comme une communauté à
part, dans certains cas, un peu isolée du reste de la population. Cette caractéristique apparaît
également sur les étiquettes qu'ils utilisent quand ils parlent d’eux-mêmes comme "notre race", "les
nôtres", etc. D’autre part, la plupart des Albanais les a historiquement considérés comme un groupe
distinct.
Les Egyptiens, non seulement en Albanie mais également dans les Balkans, n'ont pas leur
propre langue, qui était censée être sauvegardée dès leur pays d’origine. En règle générale, cette
ethnicité utilise les langues locales où elle vit. Le phénomène du bilinguisme n'est pas très répandu
dans cette ethnie.
D'autre part, cette ethnie ne pose aucune différence vis-à-vis de la culture et des traditions du
pays où elle vit, il est de même pour les ethnies analogues vivant dans les Balkans. En d’autres
termes, si on excluait le changement de la couleur de la peau, trait caractéristique d’une partie
considérable de cette communauté, on dirait qu’ils sont comme tous les albanais. Aujourd'hui,
seules quelques familles ou des individus ont réussi à vivre dans de bonnes conditions
économiques, le reste étant surtout très pauvre, pose de nombreux problèmes sociaux.
Ils sont situés dans le sud et le centre du pays, mais aussi dans nord, surtout dans la région
de Shkodra. Dans les villes, ils ont vécu historiquement et le font encore, dans des quartiers
spécifiques. Dans les villages où il n'y a que quelques familles, ils n'ont pas de différence avec le
33
reste de la population.
Historiquement, cette communauté est connue pour deux types d’artisanat : forgerons et
maréchaux-ferrants. Mais ils travaillent aussi bien l’argile et l’adobe pour les briques ; ils fabriquent
des tapis et travaillent également l’étain. Dans la littérature artistique, laquelle, parfois, se fonde sur
des faits historiques, on note que le forgeron et le maréchal-ferrant venaient avec les armées turques
et, quand les luttes prenaient fin, ils s’installaient là, à construire et vivre leur vie grâce aux
compétences artisanales qu’ils avaient hérité de génération en génération. D'autre part, ils ont été et
sont maîtres de la musique, du chant et des instruments tels que la clarinette, violon, accordéon,
tambourin, etc. Avec la musique "dans le sang", ils ont l’habitude d’exécuter la musique locale,
mais n'ont pas développé un type particulier de musique.
Les Egyptiens, depuis longtemps déjà, ont emprunté la religion et les traditions de
l'environnement albanais. De même, ils pleurent leurs morts en albanais et baptisent leurs enfants
uniquement avec des prénoms albanais. Depuis la fin du XIXe siècle, ils appartiennent
principalement à la religion musulmane. Après les années ‘90, avec l'ouverture de l’Albanie au
monde, cette minorité a estimé qu'elle pourrait avoir une meilleure représentation, créant ainsi sa
propre association.
Quant à l’origine, le nom, l’histoire, la langue et les coutumes de cette communauté, se sont
déjà exprimés quelques savants indigènes, mais leur identité n'a pas été déterminée à ce jour, avec
des arguments convaincants.
Les méthodes utilisées pour recueillir, comparer et analyser des données, mais également les
entrevues et les questionnaires élaborés et largement utilisés, nous ont aidés à atteindre l'objectif de
cette étude, qui est consacré plus à l'histoire critique des recherches et des perceptions de ce groupe
que directement à son histoire.
Cet article n'est que le début d’un travail à long terme dans l’avenir. Lors de la préparation
de ce discours, se pose une question méthodologique importante : dans quelle mesure peut se
réaliser un tel travail avec l'aide des organisations culturelles et politiques dans ce domaine? Cette
étude vise à clarifier le plus possible les éléments objectifs possibles qu’on connait sur cette
communauté, afin de lutter, avec plus de succès, la distinction pour laquelle souffrent encore de
nombreux membres de ce groupe.
34
Silvia PALLINI & Zelinda SBERNA
Associazione LEM, Italie
Le gallo-italique, une minorité deux fois invisible
La loi italienne n. 482 du 15 décembre 1999 fonde son choix des minorités linguistiques à
protéger sur le principe de l’« enracinement historique » de celles-ci : d’après le législateur, une
communauté linguistique minoritaire historique n’en est une que si elle est installée dans un
territoire défini depuis au moins deux siècles.
Par conséquent, cette loi ne prend pas en compte d’autres communautés linguistiques, qui
sont, dès lors, quelque part « invisibles » : les « nouvelles minorités », d’une part, résultant de
récents flux migratoires, et les « minorités non-territoriales » de l’autre, qui peuvent être parfois
même très anciennes (c’est le cas de la minorité romani en quelques zones du centre de l’Italie).
Cela dit, il est d’autres groupes linguistiques minoritaires qui, malgré leur enracinement
historique stable dans un territoire défini, n’ont pas été non plus inclus dans la liste des langues
protégées par la loi 482 (art. 2) : il y a donc lieu de penser que ces minorités sont tout
particulièrement invisibles ! car on dirait qu’elles sont de véritables minorités « hors-la-loi ». C’est
le cas de celles que Telmon (1992) a désignées comme des « hétéroglossies internes » : ce désignant
a été employé pour indiquer une typologie de communautés linguistiques ayant quitté leur territoire
originel et s’étant déplacées à l’intérieur du même pays tout en continuant à utiliser leur parler
ancestral. Cette dynamique a déterminé au fil du temps la formation d’enclaves tout à fait
comparables à autant de minorités linguistiques. Les hétéroglossies internes sont pour ainsi dire des
minorités internes à une minorité linguistique ou à un groupe dialectal de plus large extension
territoriale. Telmon les définit par là comme des codes linguistiques étrangers à un certain territoire,
des codes qui résultent directement de la mobilité et des faits de la migration interne. En Italie ont
été cernés deux cas de ce genre, à savoir le tabarquin de Sardaigne et le gallo-italique de Basilicate
et de Sicile. Les Gallo-italiques sont des groupes minoritaires qui parlent un dialecte d’origine
septentrionale et qui s’établirent dans le sud de l’Italie entre le XIe et le XIIIe siècle suite à la
conquête normande des régions méridionales.
Aujourd’hui il y a lieu d’assister aux phénomènes de la conservation et de la transmission de
la langue gallo-italique en dehors des frontières régionales de la Basilicate ou de la Sicile ou même
en dehors des frontières nationales. Dans cette communication nous aborderons le cas de la
communauté gallo-italique de San Fratello, commune sicilienne en province de Messine, qui a fini
par constituer une enclave linguistique tout à fait significative dans le nord de l’Italie, et plus
précisément dans la Vallée Ceresio, territoire de la province lombarde de Varèse qui comprend la
commune de Cuasso al Monte avec ses hameaux, la commune de Viggiù et son hameau Saltrio et
les communes de Induno Olona et Bisuschio.
L’étude que nous proposons consiste en une enquête sociolinguistique menée en 2013 au
sein de cette communauté gallo-italique. Les résultats de notre enquête nous donnent un éclairage
tout à fait original et parfois surprenant concernant cette communauté « deux fois invisible ».
Bibliographie :
Pallini Silvia, Agresti Giovanni, 2013, Italie, pays multilingue: de la protection des minorités
linguistiques historiques aux enjeux des nouvelles minorités, in Law, Language and the Multilingual
State, Procedings of the 12th International Conference of the International Academy of Linguistic
Law, Bloemfontein, Sud Africa, novembre 2010.
Orioles Vincenzo, 2007, “Modelli di tutela a confronto: promuovere la ricerca e la formazione o
assecondare la deriva burocratica?”, in CONSANI Carlo - DESIDERI Paola (a cura di), Minoranze
linguistiche. Prospettive, strumenti, territori, Carocci, Roma.
35
Petracco Sicardi G., Gli elementi fonetici e morfologici “settentrionali” nelle parlate gallo-italiche
del Mezzogiorno, in Bollettino dell'Atlante Linguistico Siciliano X.
Telmon Tullio, 1992, Le minoranze linguistiche in Italia, Edizioni Dell’Orso, Alessandria.
Salvatore C. Trovato, « Considerazione sul lessico dei dialetti galloitalici della Sicilia », in
Etimologia e lessico dialettale. Atti del XII Convegno Per gli studi Dialettali Italiani. Macerata,
1979.
Trovato Salvatore C., Proposte per un'ortografia dei dialetti galloitalici della Sicilia. Atti
Convegno di studi su “Dialetti galloitalici dal Nord al Sud. Realtà e prospettive” Piazza Armerina,
1994.
36
Sergueï PANOV
Université de Montpellier 3
Le latgalien dans le modèle sociolinguistique letton :
repères historiques et revendications diglossiques
La particularité de ce sujet consiste dans le fait que le latgalien/latgalian/latgale fait partie
des langues parlées à l’Est de Lettonie mais qui n’a aucun statut officiel10. Et pourtant, il y a un
siècle, le latgalien était un membre du groupe baltique de la famille indo-européenne de langue et
sur le plan historique, la langue lettonne est dérivée de latgalien.
L’un des objectifs de cet exposé est de retracer les repères et facteurs historiques qui ont
permis au latgalien de survivre malgré la fermeture des écoles latgaliennes par Karlis Ulmanis en
1934 et sa mésalliance avec le letton.
Ce travail tente de répondre à quelques questions : Pourquoi les latgalophones sont-ils
devenus et demeurent toujours une minorité cachée ? Pourquoi la configuration sociolinguistique
dans cette région baltique abonde toujours en situations conflictuelles, hiérarchisées et souvent
radicales pour la communication interethnique et la promotion sociale ? Pourquoi les politiques
linguistiques actuelles en Lettonie se réalisent-elles dans un contexte d’enjeux nationalistes où le
latgalien est considéré comme un dialecte sans futur ?
Quelles sont les attitudes linguistiques au sein des communautés lettonne et russe envers le
latgalien ? Quelle est sa place dans le conflit sociolinguistique entre le letton et le russe ? Enfin,
comment les dernières revendications des droits linguistiques et culturels des latgalophones
s’inscrivent dans les engagements politiques des autorités lettonnes ?
10
Selon différentes sources, le nombre de latgalophones varie de 11 à 22 %.
37
Marijana PETROVIC
LACITO
Ce qu’une minorité donne à voir
La coexistence de peuples différents doit-elle toujours être vue comme conflictuelle ? Dans
le cas où l’autre est vu comme un bouc émissaire, alors la position du rebelle est une condition sine
qua non d’une évolution positive de la société, où « l’homme » normal doit prendre conscience
qu’il est potentiellement une victime prochaine, tandis que le bouc émissaire doit reconnaitre sa
position de victime et en sortir, en se battant pour son existence. On pourra alors parler d’une
analyse des faits sociaux, qui aboutira à une reconfiguration complète de l’ensemble des individus.
Appliquer ce prisme à une société complète revient à faire une relecture de l’histoire : d’autant plus
que cette grille peut s’appliquer à des minorités.
Je propose d’étudier le cas des Valaques en Serbie à travers le 20e siècle. Les chiffres
officiels des divers recensements depuis la seconde guerre mondiale ont de quoi étonner. Etant
donné que les Valaques parlent des variétés du daco-roumain, je mets en parallèle ces deux
ensembles de chiffres.
Population totale de la Serbie, avec les détails concernant les Valaques et les Roumains
1948
1953
1961
1971
1981
1991
2002
Total
6 527 966 6 979 154 7 642 227 8 446
9 313
7 822
7 498 001
591
677
795
Valaques 93 440
28 047
1 377
14 724
25 596
17 804
40 054
Roumains 63 130
59 705
59 505
57 419
53 693
42 316
34 576
Comment se fait-il que nous puissions passer de 93 440 personnes se déclarant valaques en
1948 à 1 377 en 1961, soit en 13 ans ? Plusieurs hypothèses : 1. Une extermination : je pense qu’on
en aurait entendu parler et que je ne serais pas là pour postuler cette hypothèse. 2. Une pression
politique qui étouffe la diversité : possible, mais dans ce cas, on aurait constaté une très forte
ségrégation et des traces indélébiles sur les Valaques, dont les générations précédentes auraient
témoigné 50 ans plus tard. 3. Une volonté d’assimilation des déclarants à un idéal politique qui
surpasse le contexte d’une identité culturelle : je pense que c’est la piste principale à creuser, sans
négliger la deuxième hypothèse. Toute personne née sur le territoire est en soi yougoslave, ce qui ne
l’empêche pas d’avoir une culture particulière. Cependant, posséder une culture particulière n’est
pas dans ce cas un critère de positionnement politique sur des questions de choix sociaux.
On ne peut lire ces chiffres d’une minorité ethnique en occultant la politique globale du
pays. On voit aussi que de 1961 à 1971, le nombre de Valaques passe à environ 15 000 puis à plus
de 25 000 dix ans plus tard, pour baisser de nouveau en 1991 : au moment où commençaient les
conflits de l’ex-Yougoslavie. Mais à ce moment-là, il faudra lire ce repositionnement autrement, en
revenant éventuellement à l’hypothèse du premier paragraphe.
J’analyserai le cas des Valaques de deux manières complémentaires, en observant d’une part
les faits dans une perspective globale, et d’autre part, en m’appuyant sur des indices issus de mes
enquêtes de terrain. On pourra par exemple comparer la situation des Valaques à celle de l’occitan
ou de l’arcadien, afin de déterminer dans quelle mesure le fait de se cacher révèle une situation de
conflit – ou de son refus.
38
Adrien RODD
Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
Invisibles en Australie, visible en Nouvelle-Zélande ?
Enjeux comparés des langues minoritaires autochtones
L’Australie compte davantage de langues moribondes que tout autre pays. Plus des trois
quarts des langues autochtones sont décrites par les autorités comme étant menacées de disparition
imminente, et de nombreuses autres se sont déjà éteintes. Malgré une politique officielle de
promotion active du multiculturalisme, et la reconnaissance formelle des cultures des ‘premiers
Australiens’, les efforts pour enrayer cette disparition accélérée demeurent minimes. Elle est le fruit
de longues politiques de ségrégation, de dénigrement, et d’assimilation forcée des enfants dans une
‘monoculture’ se voulant blanche, ‘pure’ et britannique, politiques abandonnées il y quarante ans
seulement. Jusque dans les années 1970, les autorités avaient pour objectif explicite de faire
‘disparaître’ les autochtones australiens, en isolant les Aborigènes à la peau la plus sombre, et en
‘blanchissant’ physiquement et mentalement leurs descendants métis. Si cette politique a ensuite été
radicalement inversée, cédant la place à une célébration de la diversité, ses effets sont pour certains
irréversibles. Nombreux sont les Australiens autochtones déracinés, ignorant leurs origines, la terre
ancestrale matrice de leur peuple, et bien entendu leur langue.
Dans ces conditions, il s’agira d’aborder l’articulation entre identités et revendications
linguistiques d’une part, et les autres facettes (prééminentes ?) des identités et des revendications
autochtones. Si la langue porte en elle l’essence des concepts et visions du monde propres à une
communauté ou à une société, la grande majorité des Aborigènes parlent uniquement l’anglais (86%
en 2011), seule langue apte par ailleurs à fédérer les mouvements unitaires autochtones, et à
exprimer une ‘aboriginalité’ commune. Certains tentent naturellement de sauvegarder l’usage de
leur langue au sein de leur communauté, mais cet enjeu est rarement évoqué lorsque les autorités
mettent en lumière les défis auxquels font face les Aborigènes australiens (santé, éducation, accès à
l’emploi, sécurité et taux d’incarcération…). En cela, la question même de la disparition de
communautés linguistiques demeure, aux yeux du grand public et même du gouvernement, une
question quasi-‘invisible’.
Cette communication se propose d’éclairer les particularités de la situation australienne au
moyen d’une comparaison avec la Nouvelle-Zélande. Là, l’existence d’une seule et unique langue
autochtone, ainsi que le poids démographique des Maori, la participation active de députés maori au
gouvernement, et une histoire politique assez nettement différente en matière de rapports
interethniques, ont sans doute facilité la mise en œuvre, dans les années 1980, d’une politique
officielle de préservation et de revitalisation de la langue maori, élevée au statut de langue officielle
de l’État. Néanmoins, il nous faudra interroger la portée pratique de cette politique, au-delà du
symbolique, alors que la majorité des Maori ne parlent qu’anglais ; seuls 9% se définissent comme
parlant couramment le maori, bien que 42% estiment pouvoir s’exprimer, avec plus ou moins de
difficulté, dans cette langue. La relative visibilité de la langue maori, son statut apparemment
‘privilégié’ par rapport aux langues australiennes moribondes, ne permet donc pas (encore) d’ancrer
la langue au cœur des expressions culturelles ou des revendications identitaires. Elle nous permet
néanmoins une comparaison saisissante et potentiellement fructueuse entre les deux pays.
39
Patrick SACLEUX
Université de Montpellier 3
L’enclavement en lien avec les langues et les identités en Lozère
Lorsqu’on parle de minorités, on est souvent tenté de parler de minorités linguistiques ou
plutôt ethniques, mais on pense rarement qu’une minorité peut également faire partie d’une même
ethnie, d’un même Etat-nation et peut se trouver en minorité régionale. Lorsqu’on fait apparaitre
l’élément sociolinguiste d’une minorité, on élargit le champ de recherche considérablement et on
peut se permettre de mentionner les minorités suggérées ci-dessus. C’est sous cet angle que
j’aimerais aborder le cas d’une minorité qui pourrait se définir comme enclavée. Non pas enclavée
à cause d’une situation politique particulière ou enclavée par un fonctionnement social qui ferait de
cette minorité un cas unique en son genre, mais simplement enclavée dans le sens principal du
terme, à savoir enclavée par son isolement et l’ignorance qui en résulte des gens extérieurs à ce
territoire sur les conditions de vie de ceux qui y vivent : je parle des populations natives de la
Lozère. La Lozère ? Quel drôle d’idée de parler de minorité lorsqu’on parle d’un département
français, qui plus est, le département le moins peuplé de France ! J’avance, à travers ma recherche,
que l’isolement, la ruralité, l’enclavement des lozériens représentent un exemple de minorité
enclavée.
Le but de ma recherche étant d’établir le lien de leurs compétences linguistiques des parlers
lozériens ; (gévaudanais, cévenol, et d’autre dialectes non nommés, non normés, voire non
identifiés) issus de la langue d’oc ; avec leur sentiment identitaire local. Lorsqu’on parle de
diglossie et de conflit de langue, la question à laquelle je m’efforcerai de répondre sera de savoir si
on peut parler d’un degré identitaire lozérien plus ou moins prononcé ; (à l’échelle du département
et non de la région comme il est coutume de trouver) lorsqu’on maîtrise ou non un parler lozérien ?
En plus d’une intense recherche bibliographique liée à la sociolinguistique occitane, à
l’histoire de la Lozère, et à différentes recherches sur l’identité, j’ai décidé de concevoir et
distribuer un questionnaire de 50 questions à travers le territoire de la Lozère, pour essayer
d’obtenir , avant ma recherche de terrain, une idée des compétences linguistiques des dialectes et
sous-dialectes occitan en territoire lozérien. Ce questionnaire me servira aussi d’indice de mesure
initiale du sentiment identitaire local des résidents lozériens (natifs ou non) qui auront bien voulu
participer. Ce questionnaire a, pour le moment, été diffusé par le biais des médias locaux. Pour en
savoir davantage sur les compétences linguistiques en dialectes locaux de langues d’oc, je compte
commencer une enquête de terrain au printemps 2014, en employant des interviews dirigées auprès
de la population lozérienne, au travers de 5 zones géolinguistiques, mais aussi grâce à des
enregistrements effectués à l’insu des résidents locaux lors d’événements culturels.
L’analyse des résultats des questionnaires, l’analyse des enregistrements récoltés et la
recherche bibliographique composeront mon corpus de rédaction de thèse basée sur la théorie de
l’interaction symbolique.
40
Fabio SCETTI
Université Descartes-Paris V
Langues et migrations – groupes minoritaires et visibilité :
la « communauté portugaise » à Montréal et à Paris
Dans le cadre d’une enquête ethnographique sur la communauté portugaise à Montréal,
enquête qui s’inscrit au sein d’une étude en sociolinguistique sur les pratiques langagières, nous
allons analyser le lien entre la transmission du portugais aux nouvelles générations et la question de
la visibilité du groupe minoritaire dans le nouveau contexte.
Suite à la recherche de terrain qui a été conduite en 2011 à Montréal, nous allons comparer
les descendants des immigrés portugais à Montréal et à Paris, pour analyser l’existence d’un lien
entre le maintien de la langue et la visibilité du groupe.
Dans le cas de Paris, la communauté portugaise a été définie comme « un modèle
d’intégration invisible à la française », où une minorité est définie comme « invisible », tout en
ayant un haut taux de transmission de la langue d’origine aux nouvelles générations (deuxième
place après l’arabe maghrébin des langues qui se transmettent le mieux en France - données de deux
enquêtes de l’INSEE de 2008 et de l’INED de 2002), mais nous parlons en effet d’un des groupes
les plus représentés dans le milieu associatif, surtout dans le but de la rencontre et festivité, dont la
bonne transmission du portugais en serait le résultat.
À Montréal, au contraire, dans un contexte géopolitique et sociolinguistique particulier et
complexe, nous parlons plutôt d’une culture extrovertie qui favorise des manifestations culturelles
du groupe connues et ouvertes « à l’autre ». Le quartier de Saint Louis, « a comunidade »11 (en
portugais), est défini et connu comme le quartier portugais de la ville, où nous pouvons entendre la
langue portugaise dans les rues, ou la lire sur des enseignes et des affiches. L’énorme distance du
Portugal qui empêche des voyages continus (aller-retour), le contexte multiculturel de la ville
québécoise et l’improbable retour définitif au pays d’origine peuvent être analysés comme des
critères de visibilité de la communauté, où la transmission de la langue occupe une place importante
dans un processus de conservation d’un héritage.
En conclusion, mon interrogation s’ouvre sur le rôle de la famille et des institutions
périphériques (missions catholiques, associations, clubs) dans le processus de transmission de la
langue portugaise aux nouvelles générations et donc au maintien du groupe à travers la langue.
Dans le cas de Montréal, nous pouvons notamment observer la Missão Santa Cruz au sein de la
« comunidade », comme moteur de la vie communautaire dans les relations au sein du groupe et
dehors.
Bibliographie:
Cordeiro, A. (1999), Les Portugais, une population “invisible”? dans Philippe Dewitte Éd.,
Immigration et intégration l’état des savoirs, Éditions la Découverte, Paris, pp. 106-111.
Cunha, C.; Cintra L.F.L. (1988), Breve Gramática do Português contemporâneo. Lisboa: 2a ed.
João Sá da Costa.
Cunha, M.C. (1988), Portugais de France. Paris, L’Harmattan.
Deprez, C. (2013), Portugais. Dans Kremnitz G. (dir.). Histoire Sociale des Langues de France.
Rennes, Presse Universitaire de Rennes.
Eusébio, J. (2001), Falando Português em Montreal. Montreal, Quebec World.
Nunes, F. (1986), Problems and Adjustments of the Portuguese Immigrant Family in Canada. Porto,
Secretaria de Estado das Comunidades Portuguesas/Centro de Estudos.
11
« Communauté portugaise » - autodéfinition et auto-catégorisation de la part du groupe (Eusébio, 2001).
41
Pereira da Rosa, V., Alpalhão, J. A. (1979), Les Portugais du Québec: Éléments d'analyse
socioculturelle. Ottawa, Éditions de l'Université d'Ottawa.
Teixeira, C., Pereira da Rosa, V. (2000-2009), The Portuguese in Canada: Diasporic Challenges and
Adjustment. Toronto, University of Toronto Press.
42
Lucija ŠIMICIC
Université de Zadar, Croatie
Visibili ma non protetti o protetti ma invisibili:
il caso paradossale della minoranza italiana in Croazia
La minoranza italiana è una delle ventidue minoranze ufficialmente riconosciute ed una
delle meglio protette in Croazia nonostante il fatto che faccia solo il 0,42% (N=17,807) della
popolazione totale (secondo il censimento del 2011). La distribuzione degli italiani in Croazia è
molto sbilanciata: oltre il 90% abitano nella Regione istriana e nella città di Rijeka, mentre i
rimanenti 10% risiedono altrove, avendo formato in alcuni posti le communità abbastanza compatte
anche se non tanto numerose. L'obiettivo di questa analisi è di presentare in quale modo una
minoranza con apparentemente i più diritti provveduti nello stesso tempo può rimanere invisibile e
non protetta per motivi diversi sia oggettivi che soggettivi. Inoltre, ci interessa come questo fatto
paradossale influisce sulla sostenibilità etnolinguistica di queste communità. Si tratta delle
communità italiane considerate nonautoctone, anche se stabilite oltre centro anni fa nella parte
continentale della Croazia. Il fatto che sono state formate dagli immigranti economici si è riflesso
sulle loro strategie di acculturazione e sulle prassi linguistiche specifiche. La presentazione espone i
risultati preliminari dell'indagine quantitativa e qualitativa della communità italiana nel paese di
Ciglenica (la regione della Moslavina). Nonostante il riconoscimento della minoranza italiana in
Croazia de iure, e nonostante il forte senso di identificazione etnica, la communità ricercata non è
protetta de facto ed incontra tante difficoltà negli sforzi di mantenere la propria identità linguistica e
culturale.
43
Marie Désirée SOL
Université de Yaoundé I, Cameroun
Diversité et minorités linguistiques au Cameroun : entre subordination et survivance
Cette communication met en lumière le fonctionnement, la dynamique des langues
autochtones du Cameroun. Il s’avère que malgré leur pluralité, ces langues apparaissent comme
minoritaires. Car, faut-il le préciser, la diversité linguistique n’implique pas forcément la
dominance. Celle-ci étant déterminée par les fonctions, les rôles et les pouvoirs que joue une langue
au sein de la société. En effet, les langues avec moins de pouvoirs et ipso facto moins dominantes,
sont d’une manière générale des langues dites minoritaires. Relayées à l’arrière plan par l’Etat et
n’étant pas utilisées dans des domaines politiquement opératoires et économiquement rentables,
(l’enseignement, l’administration publique, le parlement etc.), les langues du terroir restent
minoritaires relativement aux langues européennes érigées en langues officielles.
Toutefois, il ne serait pas objectif de soutenir que leur traitement ne s’est pas amélioré
depuis les indépendances. Des progrès significatifs ont étés faits, même si beaucoup reste à faire,
dans la rationalisation des rapports en faveur des minorités.
Il en résulte souvent, de la situation décrite plus haut, des mutations ou reconfigurations
linguistiques caractérisées par des dysfonctionnements ou tensions linguistiques et articulées
concomitamment par la subordination et la survivance desdites langues.
La technique utilisée dans la présente recherche est l’exploitation des documents écrits et
l’analyse de la politique linguistique du Cameroun.
44
Nikola VULETIC
Université de Zadar, Croatie
Les minorités linguistiques invisibles et / ou cachées de la Croatie
La République de Croatie dispose, en théorie, d’une législation assez favorable pour les
minorités ethnolinguistiques. À la base de la Constitution et de la Loi constitutionnelle sur les droits
des minorités nationales (nom officiel en français), 22 groupes jouissent du statut de minorité
reconnue : Albanais, Allemands, Autrichiens, Bosniaques, Bulgares, Hongrois, Italiens, Juifs,
Macédoniens, Monténégrins, Polonais, Roms, Roumains, Russes, Ruthènes, Slovaques, Slovènes,
Serbes, Tchèques, Turques, Ukrainiens et Valaques. Ces minorités peuvent exercer leurs droits
linguistiques au niveau municipal et régional, dans des conditions démographiques déterminées. En
l’occurrence, c’est le cas surtout des minorités serbe, italienne, tchèque, hongroise et ruthène.
Néanmoins, la réalisation de ces droits dépend de l’agilité des minorités elles-mêmes, mais aussi de
la bonne volonté de la majorité croate. Elle peut être considérée comme très favorable pour les
minorités italienne (Istrie), tchèque (Slavonie occidentale) ou ruthène (région de Vukovar), mais
peu favorable pour la minorité serbe.
À la différence des minorités mentionnées, il y a en Croatie d’autres minorités
linguistiques, invisibles ou cachées, même au niveau de la législation. Dans cette communication,
nous aimerions mettre l’accent sur la situation des communautés arbëresh, istriote et istro-roumaine.
L’arbënishtë de Zadar et l’istro-roumain sont deux langues minorées utilisées dans un contexte
identitaire tout à fait particulier, la plupart de leurs locuteurs se définissant comme Croates. Pour
cette raison, les deux communautés sont peu visibles du point de vue (socio)linguistique, aucune
protection n’étant réellement prévue pour les minorités « seulement » linguistiques (et non pas
ethniques à la fois). Pour ce qui est des locuteurs de l’istriote, ils tendent à réaliser leurs droits au
sein de la communauté ethnique et linguistique italienne, leur langue étant réduite à l’usage familial.
45
Eléonore YASRI-LABRIQUE
Université de Montpellier 3
La communauté germanophone de Belgique :
une minorité reconnue méconnue
Petit pays « au cœur de l’Europe », la Belgique, qui abrite une communauté francophone, les
Wallons, et une communauté néerlandophone, les Flamands, est surtout connue pour cette dualité, à
la fois linguistique, culturelle et politique. Mais, situation généralement méconnue, la Belgique est
en fait un pays multilingue dont la configuration sociolinguistique est nettement plus complexe
qu’il n’y paraît, et ce pour partie avec une visibilité même institutionnelle. Ainsi, aux côtés du
français et du néerlandais, l’allemand est langue officielle depuis 1963, et c’est à cette population
belge qui parle allemand que s’intéressera notre communication.
Qui sont en effet ces Belges germanophones ? Quelle est leur histoire, leur territoire, leur
visibilité ? Quels sont leurs droits en tant que minorité certes reconnue mais tellement méconnue ?
Quelle(s) langue(s) parlent-ils ? Comment la reconnaissance de cette communauté se manifeste-telle sur les plans culturel, éducationnel et politique ? Comment définissent-ils eux-mêmes leur
identité, leur place… ? Nous aborderons ainsi la question des auto-représentations mais nous nous
pencherons également sur les hétéro-représentations circulantes au sein des autres communautés
linguistiques de Belgique.
C’est à ces questionnements sociolinguistiques que nous essaierons d’apporter des éléments
de réponse, en interrogeant, pour ce pays marqué par le conflit linguistique, la dimension des
contacts de langue et des politiques linguistiques en direction de cette population germanophone
enclavée. Pour ce faire, nous effectuerons une double enquête : à distance, en utilisant notamment
des ressources numériques déjà disponibles sur Internet ou créées pour les besoins de ces
investigations, puis sur place, en Belgique et notamment dans les cantons de l’Est.
46

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