Approches politiques et culturelles
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Approches politiques et culturelles
GRAFIGÉO 2000-10 TRANSFORMATIONS ENVIRONNEMENTALES DANS LE MONDE MALAIS Approches politiques et culturelles François SPICA Collection mémoires et documents de l’ UMR PRODIG TRANSFORMATIONS ENVIRONNENTALES DANS LE MONDE MALAIS Approches politiques et culturelles DANS LA MÊME COLLECTION (ISSN 1281-6477) La Francophonie au Vanuatu. Géographie d’un choc culturel par Maud Lasseur (Grafigéo 1997, n° 1, ISBN 2-901560-30-X) La géographie tropicale allemande par Hélène Sallard (Grafigéo 1997, n° 2, ISBN 2-901560-31-8) Le repeuplement de la côte Est de Pentecôte. Territoires et mobilité au Vanuatu par Patricia Siméoni (Grafigéo 1997, n° 3, ISBN 2-901560-32-6) B. comme Big Man Hommage à Joël Bonnemaison (Grafigéo 1998, n° 4, ISBN 2-901560-34-2) Siem Reap – Angkor Une région du Nord-Cambodge en voie de mutation par Christel Thibault (Grafigéo 1998, n° 5, ISBN 2-901560-36-9) La colonisation mennonite en Bolivie Culture et agriculture dans l’Oriente par Gwenaëlle Pasco (Grafigéo 1999, n° 6, ISBN 2-901560-37-7) Retour du refoulé et effet chef-lieu : analyse d’une refonte politico-administrative virtuelle au Niger par Frédéric Giraut (Grafigéo 1999, n° 7, ISBN 2-901560-38-5) Transition malienne, décentralisation, gestion communale bamakoise par Monique Bertrand (Grafigéo 1999, n° 8, ISBN 2-901560-39-3) Le « Grand Mékong » : mirage ou futur miracle ? par Sophie Adam (Grafigéo 2000 n° 9, ISBN 2-901560-40 7) SOUS PRESSE Trois mille ans d’histoire hydrologique dans le delta du Rhône par Gilles Arnaud-Fassetta (2000 n° 11) A PARAÎTRE Le climat foncier en Afrique ou les usages de la terre dans un contexte de sécheresse par Michèle Adésir-Schilling, Christine Raimond, Maurice Tsalefac Tourisme et développement sur le littoral mauricien par Hélène Pébarthe Les transactions foncières au Burkina Faso par Juliane Baud TRANSFORMATIONS ENVIRONNENTALES DANS LE MONDE MALAIS Approches politiques et culturelles François SPICA Mémoire de DEA effectué sous la direction d’Olivier Sevin et soutenu devant Christian Huetz de Lemps et Olivier Sevin (Professeurs à l’Université de Paris IV-Sorbonne) A VEC LA PARTICIPATION FINANCIÈRE DE L’ ÉQUIPE PACIFICA DE L’ U NIVERSITÉ DE P ARIS IV-S ORBONNE Pôle de Recherche pour l’Organisation et la Diffusion de l’Information Géographique 191 rue Saint-Jacques 75005 Paris DIRECTEUR DE LA PUBLICATION Marie-Françoise Courel DIRECTEUR FONDATEUR DE LA COLLECTION Joël Bonnemaison (1940-1997) DIRECTEUR DE LA COLLECTION Roland Pourtier COMITÉ ÉDITORIAL Gérard Beltrando Jean-Louis Chaléard Marie-Françoise Courel Christian Huetz de Lemps Roland Pourtier Photographie de couverture Le centre d'accueil de Gunung Gading National Park (N. P.) Cliché de l’auteur (fin 1998) Maquette et mise en page Maorie Seysset Cartographie Samuel Robert Traitement photographique Thierry Husberg Prix de vente au numéro Tarif général : 80,57 FF HT - 85,00 FF TTC Tarif étudiant : 66,35 FF HT - 70,00 FF TTC (Prière de joindre une copie de la carte d’étudiant - Merci.) © PRODIG. 2000 ISBN 2 901560 41 5 ISSN 1281-6477 Préface L qui ravagent les îles occidentales de l'Indonésie en 1997-1998 et enfument une bonne partie de l'Asie du Sud-Est, notamment Singapour et le détroit de Malaka principale artère du trafic maritime mondial, sont l'occasion d'une prise de conscience de l'ampleur des transformations du milieu naturel que connaît la région. Le monde médusé découvre à cette occasion que les forêts de Bornéo et de Sumatra reculent à un rythme au moins aussi soutenu que la forêt amazonienne, et que les crises environnementales ne concernent pas seulement, le Sahel ouest-africain, la corne de l'Afrique ou le Nordeste brésilien : l'Asie des Moussons réputée très humide peut, paradoxalement, souffrir de sécheresses très sévères. Trois décennies de croissance ininterrompue et de marche forcée vers le progrès ont montré les limites des modèles trop strictement économiques et des approches globalisantes qui font de la mondialisation des économies émergentes la condition nécessaire de leur développement. La crise de l'été 1997 rappelle brutalement une évidence : le peu d'intérêt porté par les aménageurs à la diversité des modes traditionnels de gestion du milieu, la non-prise en compte de la dimension culturelle au sein des projets de ES GRANDS INCENDIES DE FORÊT Grafigéo 2000-10 développement et, d'une manière générale, la méconnaissance de la spécificité de la nature tropicale, au demeurant ni plus ni moins contraignante qu'une autre, conduit à des catastrophes. C'est ce constat qui a guidé l'étude de François Spica que j'ai le plaisir de préfacer. Après avoir cerné les principaux enjeux environnementaux en Asie du Sud-Est, à savoir la dégradation du couvert forestier, le problème des incendies, de l'érosion accélérée des sols, et les difficultés croissantes d'approvisionnement en eau de qualité des grandes métropoles, il pose la question de l'existence d'une éventuelle conception asiatique de l'environnement dont il s'efforce de préciser l'originalité. Cas par cas, il lui est alors possible d'analyser le degré de conscience environnementale des différents États de la région avant de s'interroger sur les mutations que connaît le Sarawak contemporain. Cet ouvrage, qui est la version remaniée d'un mémoire de DEA soutenu en juin 1999 à l'Université de Paris IV, repose sur un travail de terrain de plusieurs mois qui a conduit l'auteur à Singapour, en Malaisie occidentale, au Sarawak et à Brunei. C'est l'ébauche d'un travail de plus grande envergure qui devrait se concrétiser sous forme de thèse dans le cadre d'une collaboration 5 Préface poussée entre l'Université Nationale de Singapour et l'Université de Paris-Sorbonne, initiée par le service culturel de l'Ambassade de France à Singapour. Cette préface est aussi l'occasion de remercier tous les membres de l'équipe Pacifica du laboratoire Prodig, en particulier, Maorie Seysset qui a en charge la fabrication des ouvrages de la collection Grafigéo. Cette collection, destinée à diffuser les travaux de jeunes chercheurs prometteurs, connaît un succès croissant, que ce dixième volume devrait confirmer. Que la mémoire de son fondateur, le regretté Joël Bonnemaison, soit ici saluée. Olivier SEVIN. SOMMAIRE Préface d’Olivier Sevin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Chapitre 1 • Trois conflits révélateurs d'enjeux régionaux majeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17 L ES FEUX DE L ' AUTOMNE 1997 ET LA DÉGRADATION DU PATRIMOINE FORESTIER . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19 Un événement d'une ampleur exceptionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 9 Des mesures difficiles à prendre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2 Un patrimoine forestier que l'on croyait résistant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 3 VERS UNE CRAINTE DE LA SOIF DA N S U N É Q U AT E U R H U M I D E ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 Kuala-Lumpur, Printemps 1998 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 6 Les raisons de la crise : des forêts moins régulatrices et une planification urbaine médiocre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27 La politisation de la ressource-eau : les craintes de Singapour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 8 L A « B ATA I LL E P O U R L E S FO R Ê TS D U S A R AWA K » ET L ' É VO LU TI O N D U D R O IT CO U T U M I E R . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29 Le développement avant tout ? L'exploitation forestière en terre coutumière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 9 Ce sont des Bumiputera pourtant ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 0 Une transformation de la perception coutumière du milieu forestier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 2 Une évolution du rapport au milieu qui a des origines profondes : le contact et les relations inter-communautaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3 C o n c l u s i o n : u n e o u v e r t u r e n o u v e l l e a u x p r o b l è m e s . . . . . . . . . . . . . . . 35 Chapitre 2 • Environnement et développement ...................... 37 CO N C E PT D ' E N V I R O N N E M E N T À L ' É P R E U V E D E L ' O R I E N T . . . . . Environnement et écologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les spécificités asiatiques de la conception de l'environnement . . . . . . . . . E N V I R O N N E M E N T ET ACTI O N P O L ITI Q U E : L A R EC H E RC H E D ' U N D É V E LO P P E M E N T D U R A B L E . . . . . . . . . . . . . . . . . Un contexte affirmé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Le développement durable : une notion contestée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Conclusion : la recherche de solutions adaptées . . . . . . . . . . . . . . . . . . 38 LE 38 40 42 42 43 47 Chapitre 3 • Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49 DÈS L E D É PA RT , U N E P L A N I F I C ATI O N E N V I R O N N E M E N TA L E ST R I CT E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un développement considérable sur un territoire exigu . . . . . . . . . . . . . . . . . Le Concept Plan et sa vision des interactions hommes-environnement . . U N C A D R E L É G A L CO N T R A I G N A N T , À L A P O I N T E D E S M E S U R E S D E P R OT ECTI O N . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une cohabitation entre les fonctions urbaines malaisée mais précisément orchestrée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une petite Suisse asiatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . U N C A D R E NAT U R E L P H AG O CY T É PA R L A V I LL E . . . . . . . . . . . . . . . . . Une nature originelle en voie de disparition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La Garden City, héritage anglais ou nécessité ? . . . . . . . . . . . . . . . . . Grafigéo 2000-10 50 50 52 53 53 55 56 56 . 57 7 Sommaire U N E R É I N V E N TI O N D E L A N OTI O N D E PAT R I M O I N E U R BA I N . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une ville touristique sans monuments? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une nouvelle conception de l'urbanisme : les lieux de mémoire . . . . . . . . . . . Conclusion : Singapour, un modèle de réflexion et d'action environnementale en milieu urbain? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59 59 61 63 Chapitre 4 • Brunei-Darussalam : une subtile transition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 UN É TAT M A L A I S T R A D ITI O N N E L . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67 Un emporium pétrolier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68 …qui ne connaît que peu de problèmes urbains ou industriels . . . . . . . . . . . 69 U N C A D R E NAT U R E L R E M A R Q U A B L E M E N T P R É S E R V É . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 Des réserves forestières à l'état originel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71 Des projets de diversification intégrant la durabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 Conclusion : un patrimoine préservé durablement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74 Chapitre 5 • La prise de conscience environnementale malaise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 UNE C R I S E U R BA I N E E N P R É PA R ATI O N ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Problèmes d'assainissement des effluents urbains et industriels . . . . . . . . . . La qualité de l'air se dégrade . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un arsenal législatif qui s'étoffe pour y répondre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L E S E S PAC E S N AT U R E LS S E T R A N S FO R M E N T R A P I D E M E N T . . . . . . Les forêts sont les premières touchées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Les mesures de protection de la biodiversité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . L E R Ô L E D E S O N G E N V I R O N N E M E N TA L E S E N M A L A I S I E . . . . . . . . . Conclusion : un patrimoine naturel renouvelé, des menaces de surexploitation patentes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77 79 83 83 85 85 88 93 94 Chapitre 6 • Le Sarawak, un Etat à part dans la Fédération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 DES P R O B L È M E S E N V I R O N N E M E N TA U X R E P R É S E N TATI FS . . . . . . . . . 99 Les problèmes causés par l'exploitation du pétrole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 Des forêts variées fortement exploitées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 La progressive transformation des paysages agricoles . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 0 3 L' I N D I G É N AT FO RT D U S A R AWA K FAC E A U X D É F I S D E L A M O D E R N IT É . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 Importance des produits forestiers autres que le bois dans les sociétés traditionnelles du Sarawak . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104 Le lien perturbation environnementale-migration est-il toujours valide ? . . 106 Un cas particulier : les populations Penan encore nomades . . . . . . . . . . . . . . 107 U N FA I S C E A U D E S O LU TI O N S E N V I S AG É E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 Les replantations, buts officiels et réalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 La diversification des revenus agricoles dans le petit paysannat . . . . . 110 T O U R I S M O R N OT TO U R I S M ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 Les statuts de la protection environnementale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111 Le développement touristique, une panacée? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 6 Conclusion générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Liste des cartes, figures, tableaux et photos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Résumés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8 121 123 129 131 Grafigéo 2000-10 J E TIENS À REMERCIER toutes les personnes qui m’ont soutenu dans ce projet, tout d'abord mon directeur de recherches, Monsieur le Professeur Olivier Sevin, pour ses conseils avisés et ses encouragements constants ; Monsieur le Professeur Christian Huetz de Lemps pour les contacts qu’il m’a procurés et son soutien jamais démenti ; Madame le professeur Micheline Hotyat pour la compétence technique à laquelle elle m’a initiée pour la France. Lors de mon séjour dans ces régions lointaines, j’ai reçu le meilleur accueil de Messieurs les Professeurs Goh Kim Chuan et Wong Tai Chee de la Nanyang Technological University, Henry Yeung de la National University of Singapore, Michael Pangiras, Yong Chee Tuan de la Universiti Brunei Darussalam, Lee Boon Thon de la Universiti Malaya et Jamalluddin Mhd Jahi de l’Universiti Kebangsaan Malaysia : tous m’ont reçu sans délais et mis leur savoir à ma disposition, répondant avec bienveillance à mes nombreuses questions, faisant l’effort de comprendre mon anglais et parfois même de me répondre en français. Je remercie leurs Excellences, Messieurs Xavier Driencourt, Ambassadeur de France en Malaisie, et François Barry-Martin-Delongchamps, Ambassadeur de France à Singapour, Monsieur Pierre Lafrance, ancien ambassadeur de France, Monsieur Alain Brocart, Premier Secrétaire de l’Ambassade de France à Brunei, Madame Bourdarot et Monsieur Liège, Conseillers culturels respectivement à Singapour et à Kuala-Lumpur, pour leur accueil, leurs conseils et leur soutien. Je remercie vivement tous les administrateurs, le personnel des ministères et des ambassades des pays concernés qui eux aussi m’ont offert leurs services à chacune de mes enquêtes. La courtoisie et la volonté réelle à répondre du mieux qu’ils le pouvaient à mes questions fut d’une aide précieuse et d’un gain de temps certain. Sans eux, il ne m’aurait pas été possible de rassembler toutes les informations et documents qui m’ont été si utiles. Les guides et les offices du tourisme auxquels j’ai pu avoir affaire m’ont été très précieux : des idées nouvelles, des exemples et un service d’interprétariat efficace et des réponses obtenues, m’ont ouvert à des réalités que les livres et interviews officielles rendent difficilement. Je remercie aussi particulièrement mes parents qui m’ont toujours apporté leur soutien moral et financier ainsi que Nicolas Weber, un ami, et Madame Anne-Marie Briend, pour leurs relectures patientes, sans lesquels je n’aurais pu mener à bien ce voyage ni ce mémoire. Que tous reçoivent ici l’expression de ma gratitude sincère et entière. Introduction Introduction L’ ÉVOCATION des noms de la Malaisie, de Singapour et de Brunei suscite les représentations les plus variées. Pour les uns, ces sont tous les mystères de l’Orient, entre amok et pirates de mer de Chine, entre épices et commerce colonial, où les songes d’une Asie rêvée se mêlent à l’ordonnancement colonial anglais, où se mélangent, dans un cadre victorien idéalisé, l’Inde, la Chine avec un on ne sait trop quoi d’exotisme local, tout à la fois barbare et raffiné. Pour d’autres, ces pays évoquent des forêts vierges, une faune et une flore extraordinairement riches, des peuplades primitives aux noms sonores, Iban, Punan, Dayak,… formant une réserve exceptionnelle d’aventure humaine ou scientifique. Pour d’autres encore, ce sont les réussites économiques étonnantes de ces petits États, particulièrement de Singapour, la « Petite Suisse de l’Asie ». Les trois pays ont atteint un niveau économique et social qui les a sortis du lot des Pays Sous-Développés, et ont acquis une relative importance sur la scène économique mondiale. A plusieurs titres, on les prend pour des modèles de développement : Singapour est sorti du marasme économique et social des premiers temps de son indépendance pour jouir d’une prospérité qui passerait pour insolente aux yeux de Grafigéo 2000-10 ses voisins restés à des niveaux de vie largement inférieurs. La Malaisie, après les convulsions consécutives à la séparation de Brunei et de Singapour, sous la poigne de ses Premiers Ministres le Tungku Abdul Rhaman puis le Dr Mahatir, a su se développer assez harmonieusement et à un rythme soutenu, malgré les disparités nombreuses d’un territoire fragmenté tant physiquement que socialement. La Malaisie aujourd’hui compte au nombre des pays presque industrialisés voire nouvellement industrialisés : son niveau de vie moyen est largement au-dessus de la moyenne asiatique. Brunei-Darussalam est connu pour son sultan, l’homme le plus riche du monde avec une fortune personnelle supérieure à trente-huit milliards de francs, et par la source de cette fortune, le pétrole. Sa localisation précise reste problématique, même pour les économistes. La région considérée n’est pas très grande : elle représente les deux-tiers de la superficie de la France. Elle est bien desservie par une infrastructure de transports dense et d’assez bonne qualité : si le réseau ferroviaire reste assez réduit, le réseau des bus et le maillage des lignes aériennes permettent d’accéder presque partout dans l’espace d’une journée. Ponctualité et sécurité sont 11 Transformations environnementales dans le monde malais bien respectées. La population a un bon niveau d’éducation qui permet la circulation et la diffusion de l’information dans tous les sens, et facilite la communication avec les pays étrangers. La variété ethnique, sociale, économique de cette région ouvre ainsi de nombreux horizons de recherche au géographe. La qualité de l’environnement et du développement permet de remettre en cause et de renouveler l’approche si souvent convenue et négative des associations environnementalistes : les conséquences du développement ne sont pas nécessairement néfastes dans des pays si « merveilleusement » naturels. Conscients des modifications profondes impliquées par le développement, les trois pays ont décidé de construire une politique de l’environnement qui prenne en compte les aspirations de chacun à vivre dans des conditions décentes et dans le respect de la nature. Le cadre peut donc se résumer ainsi : dans une Asie encore affectée par le sousdéveloppement et les problèmes de transition entre des régimes dictatoriaux et une ouverture relativement libérale à défaut de démocratique, ces trois pays apparaissent comme privilégiés. Leurs régimes sont stables, leurs économies les ont placés dans le haut de l’échelle, même si les disparités internes demeurent fortes particulièrement en Malaisie et à Brunei. Malgré la crise financière qui a éclaté, ces pays restent relativement épargnés. Les taux de chômage ont augmenté, rallongeant les temps de latence entre deux emplois plutôt que fermant les issues à une douloureuse situation. Un développement économique aussi rapide entraîne des conséquences multiples sur l’environnement. En premier lieu, il se marque par une forte transformation des paysages sur des aires de plus en plus vastes. L’emprise humaine sur l’espace s’accroît au détriment des terrains inviolés. En second lieu, il se marque par un changement de la qualité des indices environnementaux de l’air, de l’eau, du sol. La civilisation malaise reposait en effet sur un réseau de sultanats-emporium à travers la région. Délaissant l’intérieur des terres, elle se fixa préférentiellement dans les 12 estuaires et sur les berges des fleuves. Les pratiques agricoles légères autour des sites d’implantation n’ont longtemps causé que de faibles dégradations. Les tribus d’Orang Asli, toutes ces tribus indigènes qui peuplaient les forêts, restaient en contact pour quelques productions avec les commerçants malais ou chinois qui s’aventuraient chez eux. L'essartage, pratiqué de manière très extensive, donnait du temps au milieu pour se reconstituer. Les traces laissées restaient faibles, et s’ils exploitaient une forêt secondaire, c’était souvent une vieille forêt secondaire. Tout a changé lorsque les Anglais se sont installés au XIXe siècle. L’exploitation des ressources naturelles et la structure démographique ont subi d’importantes mutations : les Anglais font appel à une très forte main-d’œuvre immigrée pour compenser le manque local ; les volumes de bois précieux prélevés augmentent rapidement ; les mines d’étain animent tout l’Ouest péninsulaire et provoquent l’essor du Selangor, et de la capitale actuelle, Kuala Lumpur. Singapour, bourgade insignifiante de pêcheurs, commence à se développer afin de servir de relais sur la route de la Chine après sa concession aux Anglais par le sultan de Johor. Quant au territoire de Brunei, il fut réduit progressivement à son extension actuelle par cessions successives d’une bonne partie de ses terres à une compagnie de commerce américaine et aux Rajahs Brooke. Son essor commença à l’extrême fin du XIXe siècle et son développement se produisit surtout au XXe siècle, grâce à la découverte puis à l’exploitation du pétrole par la Royal Dutch Shell. Si Bornéo reste longtemps à l’écart du développement, il n’en va pas de même de la péninsule malaise. Singapour prend toute son importance grâce à ses activités portuaires, la Péninsule malaise se couvre progressivement d’hévéas, puis de palmiers à huile. Elle devient un des premiers producteurs mondiaux dans toutes ces catégories de produits, bouleversant ainsi le paysage agraire : les forêts primaires sont progressivement remplacées par les forêts commerciales. S’est alors greffée au cours de ce siècle Grafigéo 2000-10 Introduction une économie de rente forestière dont le développement fut rapidement considéré comme non durable, même par les autorités asiatiques de la filière bois, pourtant peu enclines à s’apitoyer sur les rythmes de la déforestation. Elle alimente les caisses des Etats Malais, ainsi que celles des détenteurs des concessions attentifs aux profits à court terme plutôt qu’à l’exploitation sur la durée. Tous ces facteurs se sont croisés pour donner à la région son paysage actuel. Plus de la moitié des forêts a disparu, laissant place à des zones industrielles, des villes, des défrichements agricoles, cruciaux pour assurer l’indépendance alimentaire de la Malaisie et réduire les disparités sociales d’accès à la terre. Les forêts laissent place à d’immenses périmètres oléipalmicoles ou d’hévéaculture, bien que ces derniers aient subi le contrecoup du remplacement du caoutchouc naturel par les produits issus de la pétrochimie dans nombre de domaines. L’emprise spatiale qui en résulte est très forte. La description comporte des nuances, car peu de comparaisons directes sont possibles entre une île-Etat (Singapour), un petit Etat rentier comme Brunei, et la Fédération Malaise qui a dû suivre un développement sur une plus vaste échelle de population et de territoire. Singapour est presque entièrement défriché et la ville recouvre la moitié de l’île. Brunei est à 80% recouvert de forêts, elles-mêmes à 70% primaires. La Malaisie connaît des sorts variables : le Sarawak par exemple est exploité sur 70% de son territoire, l’Est de la Péninsule reste encore sauvage. Au bouleversement du paysage s’ajoute le bouleversement de la qualité des indices environnementaux : le développement industriel, l’accroissement du niveau de vie, la révolution verte et les pratiques forestières ont radicalement transformé les conditions de vie des gens. Pour les citadins des trois pays, les effets de la pollution industrielle ou de celle induite par les moyens de transports en augmentation rapide, ont changé la donne climatique et aérienne des villes. A plus grande échelle, la pollution des rivières par les effluents urbains, agricoles ou industriels met en relief la question de l’eau continentale dans des pays dont le climat se caractérise Grafigéo 2000-10 par de très importantes chutes de pluie et où l’on pourrait croire l’eau surabondante. La question du manque de cette ressource se pose avec une acuité redoublée par les défrichements : la déshydratation du couvert forestier provoque les incendies, réduit la capacité de rétention des précipitations, et abaisse encore la qualité d’une eau disponible pour les activités humaines. De plus, les activités forestières ont provoqué, du fait de leur générale désorganisation, des déversements d’alluvions dans les cours d’eaux qui étouffent une partie de la faune aquatique, mais qui provoquent surtout un envasement à la moindre baisse de puissance. Les risques d’inondations augmentent, les plages s'embouent , les coraux meurent, ... L’impact humain du développement est à deux faces. D’un côté, il permet une amélioration des conditions générales de vie, un meilleur accès à la santé, à l’éducation, fait naître des idées nouvelles. D’un autre, il perturbe profondément et rapidement des sociétés qui passent brutalement de pratiques multimillénaires comme la chasse et la cueillette des produits sauvages, à une économie fondée sur la répartition des tâches et sur la monétarisation des échanges et son contexte difficile de réglementations, juridismes et autres concepts ardus de la société libérale de mode occidental. Les tribus qualifiées légalement d'« indigènes » (natives) ont plus subi qu’accompagné le développement qui de toutes les manières était décidé à des dizaines voire des milliers de kilomètres de chez eux. Ces tribus sont pour la plupart sédentarisées, selon des programmes définis, afin d'être mieux encadrées. Le développement induit encore des effets secondaires ou side effects liés à la pollution : augmentation de certaines maladies dues à l’excès de métaux lourds et de polluants atmosphériques ; mais aussi provoquées par le nouveau mode de vie : apparition de maladies coronariennes, de diabétismes et autres maladies de sédentaires qui autrefois épargnaient en grande partie ces populations. Un contrebalancement à ces aspects négatifs existe. Parmi tous les traits de civilisation en évolution, la perception du milieu 13 Transformations environnementales dans le monde malais est celle qu'on a longtemps négligée, ou à tout le moins abandonnée aux ethnologues. Ceux-ci s'attachaient essentiellement à conserver des traces de la vision des populations les moins touchées encore par la diffusion du nouveau modèle social. Pourtant, à la suite de nos sociétés qui très récemment ont pris conscience du nouveau rapport que nous lions avec leur milieu reconceptualisé sous le nom d'« environnement », ces pays prennent à leur tour conscience des dérives de leur développement mené à un rythme très soutenu. Le niveau de richesse et d’éducation atteint dans ces pays permet de considérer le milieu autrement que sous un angle utilitaire : les activités nouvelles laissent du temps aux loisirs, que l’on consacre comme partout ailleurs à la vision des différents médias disponibles, télévision, cinéma, magazines. Ceux-ci sont de puissants relais de l’information, particulièrement événementielle comme peut l’être l’information environnementale. Lors des catastrophes naturelles que sont par exemple les inondations de la Niña ou les sécheresses de son grand-frère El-Niño, on pointe les liens de cause à effet entre les activités humaines et leurs conséquences aggravantes sur l’environnement, ce qui tend à exclure le fatalisme traditionnel. La santé, les acquis d’une ancienne sagesse ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel d’un Développement sacralisé, Moloch-Baal des sociétés modernes plutôt que dieu thaumaturge délivrant l’humanité de tous ses maux. Le développement doit devenir durable, soutenable et on pourrait même dire supportable, afin de traduire au plus près le mot anglais. Le mot anglais, sustainable est plus évocateur de difficultés que ne l’est « durable » en français, qui met d’avantage l’accent sur la confiance en un avenir positif. L’un rappelle les présentes difficultés à surmonter tandis que l’autre se projette dans une amélioration continue : ce que le présent construit ne doit pas viser une jouissance immédiate, mais doit aussi servir pour les générations futures. Les différences légères de traduction recouvrent en fait une seule et même réalité conceptuelle : lors des grandes conventions comme celle de Rio en 1992, on a évoqué une Terre qui était entre nos mains simplement en dépôt et non pas donnée en héritage. Chaque jour nous créons un patrimoine dont hériteront les générations à venir. Nous ne pouvons le dilapider – au moins en théorie – car nous risquerions d’obérer leurs chances de jouir un jour des mêmes ouvertures de développement que celles dont nous avons pu jouir en notre temps. Ce qui nous paraît aujourd’hui inutile pourra peut-être demain faire l’objet d’une grande découverte et devenir ainsi un bienfait pour l’humanité. Nous sommes en droit de nous demander si ces différences mêmes légères dans la description d’une réalité ne relèvent pas d’une différence marquée entre une conception « anglo-saxonne »1, et des conceptions du développement à la française, voire plus « latines ». Sous les aspects prévisionnels de la notion de développement durable se cache en outre une multitude de points de vue divergents et surtout de confrontations politiques internationales extrêmement dures entre les pays en voie de développement et les pays développés qui jouissent d’une bonne partie des richesses produites sur notre planète. Comme autrefois les grandes nations se partageaient le gâteau colonial, les nations actuelles, au sens où nous occidentaux nous l’entendons, se partagent les richesses produites en fonction des donnes économiques qu’impose l’Occident au monde depuis le siècle passé. Les nations émergentes tentent de se tailler leur part et ne désirent plus subir le paternalisme bienpensant qui affecte nos pays, tenaillés par un semblant de remords post-colonialiste. Elles n’acceptent plus la suprématie absolue du monde occidental, mais désirent être des acteurs et des décideurs des destinées de ce monde à travers les instances internationales. Ces nouveaux pays, particulièrement 1. Il est notable que les principales associations environnementales soient nées dans les pays anglo-saxons, et qu’elles y aient acquis une puissance sans commune mesure avec les associations des pays méditerranéens comme la France. 14 Grafigéo 2000-10 Introduction ceux qui ont su s’adapter aux nouvelles donnes comme le sont les pays émergents, ont franchi le cap de l’émancipation stricto sensu, c’est-à-dire de l’acquisition de l’indépendance politique. Ils ont acquis encore une certaine indépendance économique qui leur permet de ne plus obéir aux injonctions de leurs anciennes métropoles. La doctrine tiers-mondiste qui sous-tendait le début de leur développement s’efface devant les impératifs économiques et l’importance de la notoriété internationale. Le quémandage d’assistance n’a jamais bien présenté un pays à ses investisseurs potentiels, pas plus qu’une surmédiatisation des problèmes posés par une dérive environnementale. Le développement passe désormais par une intégration passive ou active de certains traits de civilisation occidentaux. L'Occident honni naguère pour son passé colonial, devient un modèle dans la recherche du développement. L’apport accepté de la civilisation occidentale oblige à une synthèse que l'on voudrait respectueuse du fonds culturel préexistant. La démarche progressive de la Malaisie, de Brunei est la traduction de ces changements d’attitude sur la scène internationale. Singapour, du fait de l’exiguïté du territoire, n’a pas eu d’autre solution que d’adopter une attitude résolument tournée vers la maîtrise des effluents afin de parvenir à un développement durable. La sévérité des autorités fut à la hauteur de leur réussite en la matière : grande ; ainsi cette île est-elle devenue une Suisse asiatique, doublet tropical de son éponyme européen. Le concept de développement durable domine la réflexion sur l’environnement depuis la difficile réunion de Rio en 1992. Outre les différences d'appréciation entre les conceptions anglaises et françaises, il nous faudra nous interroger sur l’appréhension locale de l’exigence environnementale : les pays de la région ont-ils élaboré une vision propre, respectant la diversité culturelle de leur peuplement ? En effet, nous avons tendance à considérer que l’Asie est traversée par un courant bouddhico-confucéen homogène. Quelques variantes hindouistes, rarement musulmanes, viennent ajouter à l’exoGrafigéo 2000-10 tisme ésotérique que la tradition européenne colporte à tort depuis des décennies. Or il n’en va pas ainsi. Les « nations », au sens qu’on donne en France à ce terme, n’existent pas – encore ? – dans la région considérée ; on trouve par contre de fortes traditions propres à des groupes humains qui ne sont pas sensibles de la même manière à l’idée unitaire. En adoptant la terminologie locale politiquement connotée, les groupes majeurs sont au nombre de trois : les Bumiputra (fils de la terre, désignant les Malais d’origine sans spécificité raciale, incluant les diverses peuplades non-malaises mais « indigènes »), les Chinois et les Indiens. Chaque catégorie peut elle-même se subdiviser en fonction des origines de chaque communauté : au sein du groupe malais, les Dayak, les aborigènes, les Malais melayu (cf. chapitre 1.) ont une vision du monde contrastée que les religions n’unifient pas. Au sein du groupe chinois, en fonction du lieu de résidence, de l’origine des groupes en Chine et de leur regroupement au sein de confréries, les points de vue varient assez fortement. Quant aux Indiens, leur regroupement urbain fait leur seule unité : ils sont souvent de confessions variées et originaires de régions différentes de l’Inde. L'urbanisation croissante des trois communautés uniformise la mosaïque ethnique. Elle permet aussi la diffusion des idées nouvelles de manière beaucoup plus rapide que dans un système agricole traditionnel. L'apparition d'un nationalisme transcende avec plus ou moins de bonheur la diversité de cultures, le comportement uniforme des populations massées dans les villes, l'intériorisation des règles économiques, témoignent de l'infusion culturelle occidentale dans un tissu social complexe. Quelle unité trouver face à tant de diversité pour mener une politique qui reçoive l’appui des populations et des instances internationales ? L’utilisation de l’espace et la création de nouveaux paysages issus des techniques d’exploitation modernes transforment radicalement l’approche du milieu de vie. Certaines de ces techniques, comme les plantations commerciales d’hévéa ou sur15 Transformations environnementales dans le monde malais tout de palmier à huile, comme l’industrie du bois, sont particulièrement consommatrices de terres. Il en résulte une forte concurrence entre les différentes activités humaines pour l'utilisation de cet espace. Comment l’interaction entre ces différents usages permet-elle le développement des sociétés en même temps que la prise d’intérêt dans la protection de cet espace ? Conservatoire de traditions multimillénaires ou laboratoire de nouvelles formes d’interactions entre l’homme et son environnement dans les milieux tropicaux humides ? Dans les deux premiers chapitres, nous tenterons de synthétiser au maximum les principes fondateurs d’une politique de l’environnement propre ou partagée à partir d’événements qui ont servi de révélateurs des problèmes existants. Nous pouvons nous demander à juste titre s’il n’existe pas une spécificité de la notion d’environnement et de développement durable propre à chaque pays. La notion traduirait ainsi la recherche d’un équilibre entre les différents points de vue des communautés et la capacité qu’elles ont à les exprimer. Comment ces sociétés restées traditionnelles jusqu'à une époque très récente, transforment-elles leur perception du milieu en fonction de leur patrimoine culturel ainsi que de leur perception des bases économiques et sociales de notre société occidentale ? Ces pays ne tenteraient-ils pas de se créer leur propre modèle de développement ? En faisant le point sur ce sujet, nous nous attacherons à éclairer les différentes approches politiques de la vaste notion d’environnement et de leur traduction spatiale sur le territoire de ces trois pays, qui intéresse plus particulièrement le géographe. Nous montrerons pays par pays dans les chapitres suivants, les extensions de la notion et leurs implications au niveau de la mise en œuvre d’une politique active voire proactive2 de l’environnement. Nous terminerons enfin par l’étude plus précise d’un Etat de la Fédération de Malaisie, le Sarawak, situé au nord-est de l’île de Bornéo. 2. Par proactif nous entendons une politique anticipant les problèmes par une planification serrée et une prévention quotidienne. 16 Grafigéo 2000-10 Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs Chapitre 1 • Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs I les grands incendies de la fin 1997 qui se sont poursuivis jusqu'au retour de la mousson de l'été 1998, pour que l'Orient et l'Occident prennent conscience de l'ampleur des transformations environnementales en Asie du sudest. Les médias de tous les pays ont diffusé de terribles images qui ont modifié en partie l’idée convenue d'une Asie couverte par la forêt vierge, et habitée par des populations adonnées à des pratiques ancestrales, cliché contrastant avec l’autre image d’une Asie modernes aux villes surpeuplées, qui nous pourvoit en matériels électroniques après avoir accueilli nos délocalisations. Dans l'inconscient collectif, les deux aspects se juxtaposaient mais ne se recoupaient pas. La nature paraissait plus particulièrement former un bloc inaltérable. Les grands drames environnementaux dans le monde (déforestation, sécheresses, barrages insensés,…) étaient montrés ailleurs : l'Amazonie, le Sahel ont occupé l'essentiel de la presse télévisuelle, radiophonique ou écrite. La soudaineté des incendies et l'ampleur de la fumée dégagée ont surpris le monde entier. On n’imaginait guère que l'Asie des Moussons pût souffrir de sécheresse et que des incendies pussent se déclencher dans une forêt que l'on croyait en permanence gorgée L A FALLU ATTENDRE Grafigéo 2000-10 d'eau. La fragilisation du milieu asiatique s’est alors manifestée avec éclat. Un bilan a pu être dressé des conséquences du développement sur l'environnement régional. Cet événement majeur a révélé deux autres crises, l’une urbaine et l’autre sociale. Le nuage de fumée qui a asphyxié presque toute l'Asie du Sud-Est pendant de nombreuses semaines a servi de révélateur aux dysfonctionnements institutionnels et naturels. En remontant aux causes de l'incendie, on déterminera les caractéristiques régionales qui ont facilité sa propagation : quel couvert végétal a plus particulièrement pris feu ? Pourquoi ? D'autre part, une crise de l’eau urbaine s’annonce avec beaucoup de gravité pour ces prochaines années, paradoxalement dans un Equateur humide. Aux difficultés naturelles, s'ajoutent les conflits sociaux qui apparaissent avec le changement des structures traditionnelles, plus particulièrement à l’occasion de l’exploitation forestière. A travers l'évolution historique récente, on voit que ces populations diverses se sont mélangées puis ont été « travaillées » par l'occidentalisation de leur mode de vie. C’est sans doute une des causes du changement important qui a affecté le milieu de vie communément appelé de nos jours « environnement ». 17 Transformations environnementales dans le monde malais Carte 1 - La Malaisie, le Sultanat de Brunei et Singapour en Asie du Sud-Est Projet de construction ou de réhabilitation Ministère de l'environnement trôle de bâtiments par lding Control Division a Public Works Departement Central Building Planning Unit (Ministère de l'Environnement) Construction cceptation Vérification efus BCD donne le Temporary Occupation Permit (TOP) ou le Certificate of Statutory Compeltion (CSC) Tableau 1 - Données statistiques générales 1999 (par pays, estimation) Régions Malaisie Malaisie péninsulaire Sarawak Sabah Singapour * Brunei Superficie (km2) Population (1 000 habitants) 329 667 131 598 124 449 73 620 636 ~ 6 000 22 700 14 617 1 950** 2 660** 4 000 ~ 320 Densité (hab./km2) 68 111 16 36 6 250 ~ 53 Source : Population et Sociétés n° 348, juillet-août 1999, INED, Paris. * Selon le Monthly Digest du Department of statistics de Singapour ; estimation 1997 : 3736,7 dont 3103 de résidents soit une densité de 4879. ** Chiffres : Malaysian 1998 Yearbook 18 Grafigéo 2000-10 Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs LES FEUX DE L’AUTOMNE 1997 ET LA DÉGRADATION DU PATRIMOINE FORESTIER Les incendies de 1997-1998 sont considérés comme une des plus grandes catastrophes environnementales du siècle, si ce n'est la plus grande. Ils ont rassemblé tous les critères d'énormité, de puissance, de destruction : ce fut un véritable drame naturel et humain, probablement comparable selon certains à ce que fut pour les Anciens le désastre de Pompéi. Un événement d'une ampleur exceptionnelle Les feux se sont déclenchés pendant une longue période de sécheresse due à l'oscillation australe dite d'El-Niño (ENSO, acronyme anglais) qui intervient régulièrement dans l'équilibre saisonnier des précipitations et des sécheresses des deux côtés du Pacifique Sud. Cet effet d'ENSO fut particulièrement intense. Des feux allumés par les orages, mais surtout des feux déclenchés volontairement dans les forêts desséchées ont pris une ampleur toute particulière. Ils échappaient à tout contrôle et généraient des fumées épaisses en grande quantité. Ces feux nombreux ont commencé pendant l'été 1997, peu de temps avant le moment du retour normal des pluies. En octobre, les photos montraient des immenses étendues brûlées. Les satellites détectaient dans l'infrarouge encore en mars 1998 jusqu'à 500 « points chauds » correspondant à des feux en activité. Rien ne semblait pouvoir arrêter les flammes dans leur œuvre destructrice. Les grandes compagnies forestières rejetaient la faute sur les petits paysans, particulièrement ceux issus de la transmigration récente, pris dans les banlieues surpeuplées de Jakarta et qui s'improvisaient agriculteurs avec très peu de moyens. Les petits paysans accusaient les grandes compagnies d'être à la source de tous leurs maux, de mettre délibérément le feu aux espaces défrichés afin de pouvoir accéder plus rapidement encore à des zones non défrichées. Le manque de moyens, combiné avec la crise économique, avec l'inexistence de corps de pompiers en Indonésie, et avec le manque de réelle volonté politique firent qu'un épais nuage de fumée a recouvert pendant plusieurs mois toute la région. La carte 2 montre de manière chronologique comment les feux se sont répandus très rapidement pendant tout le dernier trimestre 1997 et ont été nombreux particulièrement dans le Sud Kalimantan et le Centre-Sumatra. Le nuage de fumée a fortement affecté les voisins immédiats à l'Est de ces deux régions : la Malaisie, la Thaïlande, et jusqu'au-delà des Philippines. Les indices de pollution (Air Pollution Index) qui sont échelonnés de 0 à 500, ont très régulièrement dépassé les 300, et même parfois les 500 dans le courant 1998. Pour bien comprendre leur signification, il faut se reporter au tableau 2 qui fournit l'évaluation des indices. Tableau 2 - Qualité de l'air en fonction des indices de pollution Indice 0-50 Qualité de l’air bonne 51-100 moyenne 100-200 mauvaise 200-300 > 300 très mauvaise dangereuse pour la santé Source : d’après les rapports du Department of Environment de Malaisie et du Ministère de l’Environnement de Singapour Par exemple, les 31 mars, 1er et 2 avril 1998, l'indice de qualité de l'air de Miri (Sarawak) atteignait dans l'ordre, 599, 559 et 502 (The Sun, April 2, 1998, journal malais). Il va sans dire que les aéroports étaient fermés. La population était appelée à rester chez elle1. Une grande partie de l'Asie a été touchée pendant l'épisode de l'automne 1997. A Singapour, comme dans d'autres villes de Malaisie et plus encore en Indonésie, on était obligé de rouler les phares allumés en 1. Les gens de Miri ou de Brunei racontent volontiers que pendant la période des fumées intenses, ils ne voyaient même pas le bout du capot de leur voiture. Une telle épaisseur de fumée était proprement incroyable. Grafigéo 2000-10 19 Transformations environnementales dans le monde malais Carte 2a 105˚E 120˚E 135˚E Août 1997 15˚N Philippines Sabah Malaisie Sarawak Équateur BORNÉO Sumatra Kalimantan Clbes Irian Jaya Java 0 Données sur le nuage de fumée non disponibles 1000 km 500 Carte 2b 105˚E 120˚E 135˚E Octobre 1997 15˚N Philippines Sabah Malaisie Équateur Sarawak Sumatra BORNÉO Kalimantan Clbes Irian Jaya Java Données sur le nuage de fumée en date du 16 octobre 1997 0 1000 km 500 Sources : documents en ligne de l'Agence spatiale européenne et de l'UNEP-GRID Intensité des feux Faible densité Densité moyenne Forte densité Extension du nuage de fumée 20 Grafigéo 2000-10 Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs Carte 2c 105˚E 120˚E 135˚E Septembre 1997 15˚N Philippines Sabah Malaisie Sarawak Équateur Sumatra BORNÉO Kalimantan Clbes Irian Jaya Java 0 Données sur le nuage de fumées au 26 septembre 1997 1000 km 500 Carte 2d 105˚E 120˚E 135˚E Novembre 1997 15˚N Philippines Sabah Malaisie Sarawak Équateur BORNÉO Sumatra Kalimantan Clbes Irian Jaya Java Données sur le nuage de fumée au 31 octobre 1997 0 500 1000 km Cartes 2 - Chronologie et extension des périmètres atteints par les incendies et le nuage de fumée de l'automne 1997 en Asie du Sud-Est Grafigéo 2000-10 21 Transformations environnementales dans le monde malais plein jour, les commerçants vendaient sans cesse des masques filtrants pour permettre aux gens de respirer. Tandis que les rues plongées en plein midi dans la pénombre se vidaient, les centres commerciaux se remplissaient de gens qui désiraient bénéficier de l'air un peu purifié offert par les climatiseurs. L'image des hôpitaux remplis de gens souffrant de complications pulmonaires, ou de crises cardiaques occupait une autre bonne part. La situation atteignit un climax lorsqu'un avion de la Garuda s'est écrasé du fait de la mauvaise visibilité. Voici comment le rapporte le Washington Post en date du 28-9-1997 : On soupçonne la fumée d’avoir contribué ce vendredi à l’écrasement d’un Airbus de la Garuda Airlines qui a percuté un flanc de montagne sur l’île indonésienne de Sumatra, juste après que le pilote a signalé une mauvaise visibilité. Les 234 passagers sont tous morts et aujourd’hui, les membres de leurs familles qui ont été transportés à Sumatra ont entrepris la triste tâche de récupérer les restes des êtres chers, exposés dehors dans des cercueils en bois non loin du site de l’accident. Les accidents de bateaux n'étaient pas en reste dans le couloir extrêmement fréquenté du Détroit de Malacca, ou même sur les rivières de Bornéo et de Sumatra, obligeant les autorités locales à prendre des mesures de restriction de circulation lorsque la visibilité était faible (The Sun, March 5, 1998). Des mesures difficiles à prendre Il était très difficile de contenir ces feux, car non seulement la population n'était pas découragée par les amendes très fortes et même des peines de prisons en cas de brûlis en plein-air, mais en plus ces incendies affectaient des secteurs de tourbières asséchées, « parcheminée » comme le rappellent les journalistes, lesquels se sont mis à flamber en profondeur. Ces feux ont été à la source des taux les plus forts de pollution de l'air en Malaisie Péninsulaire et surtout pendant tout le premier semestre 1998 à Bornéo Est, resté sec jusqu'en juin 1998. L'extension et le type de feux nécessitaient des moyens considérables que nul pays n'était en mesure de réunir. Le civisme était difficile à obtenir. Le ministre de la Santé de Brunei a été limogé pour ne pas avoir pris les mesures préventives nécessaires au moment où la côte tourbeuse de Brunei s'est mise à brûler ; quant au ministre de l'environnement indonésien, ce fut pour avoir dénoncé l'incurie des pouvoirs indonésiens qui n’avaient pas appliqué les lois, faiblement verbalisé, peu retiré des permis d'exploitation aux grandes sociétés forestières, pris peu de mesures de préventions de la santé publique, entre autres. On a tout d'abord augmenté les amendes en cas de déclenchement flagrant de feux à l'air libre, surtout dans les zones affectées par les incendies. Pour Brunei, les amendes qui avant les événements plafonnaient à 2000 $B2, sont relevées à 100 000 $B et dix ans de prison ferme. En cas de récidive, le plafonnement disparaît et les peines d'emprisonnements sont allongées en fonction de la gravité des incendies. Les mêmes mesures ont été prises en Malaisie et à Singapour : les journaux sont même allés jusqu'à créer des lignes téléphoniques gratuites pour dénoncer les infractions aux interdictions en vigueur. Singapour a lancé un satellite de surveillance-incendies (semaine du 23 mars 1998) dont le site internet3 permet encore aujourd'hui de détecter en Asie du Sud-Est les feux de forêt. Les images produites par les satellites, ainsi que le renforcement de la surveillance aérienne par l'Armée de l'Air Malaise déjà en place depuis mars 1996, l’appel à dénonciation ont permis d'avoir une image plus précise de l'ampleur du problème dans la région. Au printemps 1998, l'Etat du Kedah (nord Malaisie Péninsulaire) comptait pour le premier trimestre 2. Source, chiffres de la Environmental Unit de Brunei. C’est le même taux de conversion que pour les dollars de Singapour, c’est-à-dire entre 3,5 et 4 FF soit entre 0,6 et 0,7 euros. 3. http://www.gov.sg/metsin/hazed.html. Ce site donne un accès complet à toutes les formes de représentation et d’interprétation des images satellite disponibles à la date de consultation voire antérieures sur les autres sites. 22 Grafigéo 2000-10 Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs 1073 départs de feux dus au brûlage des déchets à l'air libre4. La pratique de l'écobuage (ou ladang, en bahasa), fortement incriminée alors, est une pratique ancienne, nettement moins coûteuse pour nettoyer les terres avant exploitation. Les premiers feux des années 1980 avaient alerté les autorités malaises, mais pas les autorités indonésiennes. L'abandon de cette pratique a été officiellement adopté de manière régionale lors du sommet de l'ASEAN sur l'Environnement en avril 1998. A la suite de ces incendies, les pays ont réellement pris conscience que la végétation avait changé de nature. On l'avait fragilisée par des modes nouveaux d'exploitation. On s’est montré beaucoup trop gourmand parfois en matière première afin de générer des profits à court terme. Outre la fragilisation du milieu naturel, se révélait la difficulté d'obtenir au sein de populations ethniquement et culturellement diverses une unique réponse pour alléger la charge exercée sur les autorités et l'environnement. Un patrimoine forestier que l'on croyait résistant Les types forestiers reposent sur des sols dont on connaît la fragilité une fois découverts par les incendies ou l'exploitation des végétaux. Ils ont un intérêt économique variable, lié à la qualité de ce substrat. La densité des forêts et l'exubérance de leur pousse ne laissaient pas percevoir l'importance des dégradations. Scientifiquement, on est obligé de se rendre à l'évidence : ces forêts, lorsqu'elles ne sont pas perturbées, offrent une extraordinaire variété d'espèces et de profils. On présente généralement la région de la manière suivante : Les forêts humides tropicales d’Asie du SudEst, particulièrement à Bornéo et en Papouasie-Nouvelle Guinée, sont largement reconnues comme figurant parmi les plus riches en espèces et les plus complexes écosystèmes terrestres au monde. Dans la zone phytogéographique dénommée Malesia, s’étendant de la Thaïlande péninsulaire (l’isthme de Kra) au Nord-ouest, à la Papouasie-Nouvelle-Guinée et les îles adjacentes au Sud-Est et occupant une aire totale de terres d’environ 3 millions de km2, plus de 40 000 espèces de plantes vasculaires y ont été enregistrées. Sur ces espèces tropicales, un peu plus de 36 000 sont des plantes à fleurs distribuées en 266 familles et 3075 genres, alors que 3600 sont des fougères et associées, représentant 35 familles et 164 genres, 87 sont des espèces de conifères qui appartiennent à 5 familles et 12 genres[…]. En comparaison, toute l’Europe, soit une superficie de terres de 9 millions de km2, n’héberge que 11 500 espèces de plantes vasculaires.5 Cette grande diversité de plantes, appartenant aussi bien au monde asiatique qu’australien recouvre un fort taux d’endémie dû à l’isolement de certains espaces, particulièrement en milieu insulaire. Mais l’isolement d’une espèce au sein d’une forêt peut aussi favoriser l’endémie. La forêt climax aux basses altitudes est la forêt dense ombrophile (photo 1). Trois ou quatre strates se partagent l’espace aérien entre le sol et 50 à 80 mètres de hauteur pour les plus hautes espèces. La strate supérieure a une canopée généralement continue. Une autre strate arborée s’élève en dessous de la première jusqu’à 15-20m de hauteur et domine un sol dégagé ou rempli de broussailles selon la touffeur des strates supérieures. Des lianes et autres racines aériennes font le lien entre les strates supérieures et le sol. Elles ajoutent à l’impression de densité de ces forêts. Cette densité contribue aussi à un recyclage permanent de l'eau qui tombe abondamment dans la région et au maintien d'une hygrométrie forte. La forêt de basse altitude et collinéenne (jusqu’à 150 m d’altitude) est typiquement une forêt à diptérocarpacées dans l’ensemble de la région et couvrait autrefois l’essentiel des terres. C'est cette formation qui contribue à 4. News Straits Times (journal de Singapour), en date du 10 avril 1998. 5. « Plant diversity of the Malesian Tropical rain forest and its phytogeographical and economic signifiance» de E. Soepadmo. In Primack et Lovejoy, Ecology, conservation and management of SouthEast Asian Rainforests, 1995, p. 19. Grafigéo 2000-10 23 Transformations environnementales dans le monde malais donner à ces régions l'impression de densité et d'immuabilité du règne végétal. La situation du Sarawak est quelque peu différente puisque le Sarawak a de larges étendues de forêts de tourbières et de landes dans les terres basses et la véritable forêt à diptérocarpacées de basse altitude se retrouve plus à l’intérieur des terres et sur les collines.6 On appelle ces forêts claires tendant vers la lande les Kerangas et les forêts de tourbière les Kerapah. « Kerangas est un terme Iban désignant les sols sablonneux infertiles sur lesquels ne poussent ni le riz ni une quelconque autre récolte. Ce terme s’applique aussi à la forêt naturelle sur ce type de sols et les autres types associés. Le Kerapah est sa variante humide, détrempée et tourbeuse. […] Physiologiquement, structurellement et biochimiquement, les Kerangas et Kerapah sclérophylles sont bien adaptées au manque de nutriments et la Kerangas plus particulièrement aux sécheresses sévères »7 C’est un type forestier fragile, car la pauvreté voire la quasi-absence de sols, ne permet pas une exploitation traditionnelle des bois. Si le potentiel de régénération est assez fort pour chaque espèce prise séparément, l’ensemble se dégrade très rapidement à la moindre ouverture un tant soit peu importante dans le couvert. C’est dans ce type de forêt que l’on rencontrera préférentiellement les fameux Népenthès, plantes carnivores à entonnoirs. Elles ne constituent pas un genre majeur dans l'ensemble des forêts bien qu'elles soient assez développées dans l'ensemble de la région. Lorsqu’on monte en altitude, la composition de la forêt change pour s’adapter aux nouvelles conditions : plus fraîche, plus humide (rappelons qu’il peut pleuvoir sur les sommets plus de 4,5 m d’eau par an, avec de très importantes précipitations occultes), elle se termine au faîte par des nebelwald moussues et fantomatiques. Pour les plus hauts sommets, comme le Mont Kinabalu, ce sont des broussailles voire des pierriers qui accueillent le montagnard. En Malaisie, la forêt couvrait encore, au début des années 1977, 22 millions d’hectares. En 1994, elle n’en couvrait plus que 19,01 millions8. Elle pousse sur des sols qui sont globalement médiocres (essentiellement des ferralsols9, des tourbières et des podzols) puisque la classification actuelle des sols en Malaisie montre qu'au niveau national, 57 % des sols sont considérés comme totalement inaptes à l'exploitation agricole… mais pas à l'exploitation forestière. La prodigalité des forêts est donc surtout due à un recyclage rapide des matières organiques et à un phénomène cumulatif lorsque les forêts atteignent l'équilibre. A l’extraordinaire diversité, comptant parmi les plus riches au monde, répondent désormais les grands périmètres de plantations en monoculture d’hévéa, de palmier-àhuile, de coco ou de riz. A la densité forte, procurant une certaine sensation d’étouffement pour qui pénètre pour la première fois dans ce milieu, répondent les étendues clairsemées d’arbres après les coupes, sélectives ou non, pratiquées par les entreprises sylvicoles. Ce sont les forêts exploitées qui ont été les plus touchées par les incendies : la forêt secondaire ne retient plus l'humidité de la même manière, et les entreprises brûlent pour nettoyer le terrain afin de construire de nouveaux chemins forestiers. La dense forêt ombrophile de l'étage collinéen et de plaine devient très sensible aux attaques une fois qu'elle est exploitée en profondeur. La production de matières organiques en grande quantité se révèle être une véritable étoupe 6. M.T. Lim, Lowland and Hill Forests. In Kiew (ed), The state of Nature Conservation in Malaysia, 1991, p. 19. 7. E.F. Bruenig, Keragas and kerapah forest of Sarawak. In Kiew (ed), op. cit. p. 29. 8. Les chiffres suivants sont tirés de State of the environment, CAP, 1997, p. 31-58 ; de Sham Sani, Environment and development in Malaysia, ISIS, 1993, p. 29-37. 9. Selon la classification de l’UNESCO, ou en français, les sols ferralitiques. Ils ne sont pas forcément de mauvaise qualité. Leur évolution en savane ou leur induration en cuirasse restent des phénomènes exceptionnels qui témoignent d’une exploitation des types les plus faibles par un écobuage répété. 24 Grafigéo 2000-10 Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs qui propage le feu rapidement dès que ces matières sont asséchées comme elles peuvent l'être dans les forêts secondaires et qu'il n'y a pas une épaisseur suffisante de forêt intacte entre deux parcelles exploitées. Si le système de l'écobuage a été le premier visé par les nouvelles lois anti-incendies, il ne faut pas oublier les incendies provoqués par les exploitants des sociétés sylvicoles, afin d'accélérer le nettoyage des parcelles dont on a ou dont on veut récupérer le bois (photo 2). L'autre calamité qui menace, c'est la disparition pure et simple des sols et l'apparition de phénomènes de glissements de terrain, d'inondations incontrôlables. En effet, les sols sont aussi mal consolidés : leur granulométrie est souvent grossière, l'horizon humique manque de profondeur bien que cette affirmation pèche par sa généralité : il est évident que certains sols alluviaux ou développés sur une bonne roche-mère (d'origine volcanique comme dans les Pahang Volcanic Series en Malaisie Péninsulaire) permettent une agriculture florissante. Les sols les plus propices à l'agriculture sont en faible proportion (moins de 15 % du total de la Malaisie). Le substrat sur lequel poussent les forêts est ainsi facilement mobilisable, que ce soit dans les marécages ou les tourbières, que ce soit dans les montagnes collines ou les plaines côtières. Quand la végétation est retirée, la quantité de sédiments emportés par les eaux abondantes prend des proportions importantes ; le surélèvement des rivières menace les replats ou les plaines d'inondations sévères qui demeuraient inhabituelles ou exceptionnelles lorsque les forêts étaient encore présentes. Cela obère en outre les chances de reprise des associations végétales qui viennent d'être exploitées car elles ne retrouvent plus les conditions nécessaires à leur réinstallation. A Brunei, c’est la même chose, avec une qualité de couverture différente : la forêt occupe encore 469 000 hectares, soit environ 80 % du territoire. 75 % de ces forêts sont des forêts ombrophiles vierges, dans un état proche des origines (soit plus de 55 % du territoire). Les rythmes de coupes, déjà faibles10 (s’élevant à 200 000 m3 par an) ont été divisés par deux en 1990 afin de protéger une ressource importante pour un aussi petit pays. La place de Singapour est singulière par rapport à ses deux partenaires. Cette île minuscule, bien qu’en expansion grâce à la politique de poldérisation, voit son patrimoine naturel réduit au minimum. Autrefois densément couverte (83 %) par une magnifique forêt vierge ombrophile, abritant toutes les espèces d’animaux que l’on pouvait rencontrer dans la région (le dernier tigre y a été tué en 1930 !), elle fut déboisée activement pour répondre aux besoins en charbon des bateaux de la marine à vapeur, pour la construction navale, pour des cultures diverses et pour la construction du bâti urbain : dès 1880, 90 % de l’île étaient dénudés. Aujourd’hui, il ne reste plus que quelques hectares de la forêt originelle, protégés au sein du Jardin botanique, et les plus grands lambeaux de forêts ombrophiles matures se retrouvent dans les 65 ha de Bukit Timah Nature Reserve. La notion de forêt et de dégradation forestière n'y a pas la même valeur ni la même importance que chez ses voisins qui bénéficient d'un patrimoine forestier encore très important. Sur des sols globalement médiocres, une dense forêt a réussi à pousser, favorisée par un climat équatorial humide. La générosité de cette croissance se manifeste par une grande diversité des formes végétales qui alimente une variété animale à son image. Connaissant des sorts divers, ce patrimoine naturel régional est exploité par des communautés indigènes toutes aussi nombreuses. Cette exploitation intensive a été à la source d'un assèchement de l'air et donc des forêts en elles-mêmes, de leur substrat, en profondeur. Il a fallu qu'un épisode particulièrement dur de l'oscillation australe ElNiño affecte la région pour mettre en valeur toutes les erreurs de gestion du patrimoine 10. Longtemps Brunei a importé du bois de ses voisins du Sabah et du Sarawak et a vécu de sa rente pétrolière avec de faibles besoins. Grafigéo 2000-10 25 Transformations environnementales dans le monde malais forestier. Personne n'aura été épargné par leurs conséquences. La dégradation de la qualité du patrimoine forestier a d'autres implications qui se révèlent menaçantes pour le développement futur de ces pays : le cas suivant montre le lien entre la fragilisation du couvert végétal et la menace de manque d'eau disponible en qualité et en quantité suffisantes pour répondre aux besoins croissants de la nouvelle société malaise. VERS UNE CRAINTE DE LA SOIF DANS UN ÉQUATEUR HUMIDE ? La pluviométrie est très importante dans la région. Les totaux annuels sont très largement supérieurs au mètre, rarement inférieurs. Sur l'essentiel des territoires des trois pays, c'est en fait une pluviométrie moyenne qui atteint de 1,5 à 2 mètres annuels. Les reliefs peuvent recevoir jusqu'à cinq mètres de précipitations. Ces totaux ne prennent pas en compte toutes les précipitations occultes issues de la condensation de l'humidité de l'air la nuit par exemple et qui forment une part non négligeable des totaux exploités par la végétation. Les pluies quasi quotidiennes font partie du décor équatorial de la région et il peut réellement sembler paradoxal de parler de la soif dans un pays aussi humide. Pourtant une crise de l'eau est à craindre. Kuala-Lumpur, Printemps 1998 Pour ce problème de l'eau, que connaissent dans une moindre mesure les autres villes de Malaisie, je m’appuierai sur l’intéressante étude de cas faite par le Dr Hamirdin B. Ithnin de la University Malaya, dans le cadre de la 5th SouthEast Asian Geographers Conference. Elle traite des problèmes connus par toute la population occupant la Vallée de la Kelang/Klang dans l’État du Selangor, où se trouve l’ensemble urbain de la capitale fédérale. Selon le conférencier, le système d’alimentation en eau de Malaisie s’approvisionne à environ 97 % dans les eaux de surface. Afin de réguler les cours d’eau et conserver 26 les surplus au moment des pics de mousson, 54 barrages ont été construits, pouvant stocker 2 % des écoulements totaux (12 km3 sur les 555 totaux annuels, chiffres 1991). Le rapport paraît faible, mais il est de très grande importance car la plupart des réseaux d’eau sont branchés dessus. Comme dans tous les pays qui se développent, les besoins en eau suivent une tendance croissante : actuellement, les estimations donnent une consommation urbaine de 270 litres quotidiens par personne. La consommation quotidienne, tous usages confondus représenterait environ 9 millions de litres qui sont tout juste couverts par les 10,9 millions de litres totaux disponibles. La croissance de la consommation vient de trois facteurs : un premier représente l’essor industriel, avec de nombreuses activités fortement consommatrices : textile, agro-alimentaire et papier. Un deuxième facteur vient de l’accroissement du nombre des foyers reliés à un réseau urbain d’eau potable. Le troisième, c’est l’élévation du niveau de vie et le changement des habitudes de consommation (amélioration de l’hygiène corporelle et domestique). Cette situation est générale. L’approvisionnement de la vallée de la Kelang est aussi celui de la capitale et de tout l’État du Selangor, la partie la plus active et peuplée du pays. En temps normal, le secteur est déjà déficitaire de 105 millions de litres annuels (environ 1/25e de la consommation annuelle). Or de février à mai 1998, pendant le pic d’effet de l’ENSO, un fort déficit hydrique est apparu, faisant dangereusement baisser le niveau des barrages qui alimentaient toute la région : la moitié des abats mensuels moyens était à peine atteinte dans la plupart des cas alors que l’évaporation était exacerbée par des températures supérieures de deux ou trois degrés par rapport à la moyenne (tournant tous les jours en mars autour de 35 à 36,5 degrés). Tous les barrages étaient pendant les cinq premiers mois de l’année 1998 juste au-dessus de leur niveau critique. Et ce sont les abats qui tombent sur les aires de captage qui importent, non pas ceux qui tombent sur la ville. A Kuala-Lumpur, il avait plu suffisamment, ce qui avait trompé le public sur Grafigéo 2000-10 Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs la gravité du phénomène malgré les avertissements officiels. Les premiers signes de crise de l’eau sont apparus lorsque des usines de traitement des eaux ont dû fermer dès octobre 1997 à cause de la très mauvaise qualité brute des eaux à envoyer dans le réseau avant traitement. La rivière concernée n’avait plus assez de débit pour diluer les polluants normaux. En février 1998, les robinets d’environ un million de personnes ne faisaient plus couler d’eau à cause des déficits. La compensation par des réservoirs portatifs ne suffisait pas et en avril, alors que les barrages voyaient leurs réserves diminuer et que les usines de traitement des eaux tournaient à la moitié de leur capacité, un rationnement fut décidé. L’eau coulerait pendant 12 heures un jour sur deux. Kuala-Lumpur et ses environs ont été touchés de plein fouet, les mesures ont affecté 1,5 millions de personnes. Les abats d’eau se sont améliorés à partir de juillet et en septembre 1998, le rationnement a été supprimé. Les raisons de la crise : des forêts moins régulatrices et une planification urbaine médiocre La crise de l’eau a mis en évidence plusieurs points qui correspondent à des réalités communes à tous les pays du secteur. Ils pâtissent d’abord d’une trop grande dépendance vis-à-vis des eaux de surface. Ensuite, le développement des infrastructures de base n’arrive pas à rattraper la demande en croissance rapide, gêné en cela par un désir de constructions d’apparat (ce que le professeur Ithnin appelle les megaprojects) toutes situées dans la vallée de la Kelang et dans la périphérie de Kuala-Lumpur. En effet, le nouvel aéroport international, les infrastructures des jeux du Commonwealth, la nouvelle capitale administrative de Putrajaya, le Kuala-Lumpur City Center Twin Towers, … ont mobilisé une quantité impressionnante de capitaux et accru la pression sur les ressources en eau du secteur. Enfin, les aires de captage ont été perturbées par différentes activités essentiellement sylviculturales et urbaines, empêchant les forêts de jouer leur rôle régulateur. Ce phénomène n’est pas propre à Kuala-Lumpur ni à la Kelang Valley. Les développements détériorants se produisent un peu partout dans le pays, à Langkawi, à la frontière avec la Thaïlande, dans les Cameron Highlands (Centre-Nord), dans le Perak (la vallée de la Kinta) et Negeri Sembilan (bassin du Linggi) où se mêlent extensions urbaines, défrichements et coupes réglées sévères, affectant par là toutes les aires de captage. Ce problème devient d’autant plus sérieux que le nombre d’endroits dans lesquels il est possible de construire un barrage se réduit de plus en plus11 et que les possibilités d’utilisation des aquifères sont faibles. Le paradoxe est assez important pour être noté : il faut une planification très stricte et une réflexion approfondie pour éviter que les zones les plus humides de la Terre ne pâtissent pas de la soif. Des mesures ont été prises pour faire face aux futurs développements industriels et urbains, des transferts interbassins entrepris et des pompages dans les nappes phréatiques entamés, bien que ce dernier point soit le moins considéré, puisque l’exploitation de ces ressources ne compte que pour 2 % de la consommation totale. On prévoit une croissance annuelle de 3 à 4 % des besoins en eau pour ces prochaines décennies, afin de parvenir à couvrir à 97 % les villes et à 79 % les zones rurales soit 88 % de la population totale vers 202012. Cette crise de l'eau menace en fait toutes les villes de Malaisie puisque les aquifères, rares et peu exploités, ne peuvent remplacer l'utilisation des eaux de surface. Elle atteint aussi Singapour mais avec une connotation toute différente. 11. L’essentiel des possibilités se situent au Sarawak, et les barrages dans ce secteur sont prévus pour la production d’électricité. 12. In State of the Environment in Malaysia, An appraisal of Malaysia’s water resources : problems and prospects de Hj. Keizrul Abdullah et Juhaimi Jusoh, p. 133-141 et 135. Grafigéo 2000-10 27 Transformations environnementales dans le monde malais La politisation de la ressourceeau : les craintes de Singapour On ne peut pas accuser un manque de planification stricte à Singapour comme en Malaisie. Au contraire, la ville s'est toujours conformée aux plans les plus rigoureux. L'improvisation est exclue sur un si petit territoire. Il faut plutôt mettre en cause l'exiguïté du territoire et la trop grande population pour une très faible réserve en eau disponible. La chèreté des procédés de dessalinisation de l'eau de mer donne une priorité à l'importation par aqueduc des quantités nécessaires aux activités et à la vie de la population de Singapour. L'eau douce, ressource vitale, fait ainsi l’objet d’âpres discussions diplomatiques entre l'île et la Malaisie : dépendante pour son eau potable de l’aqueduc malais, Singapour a constitué un ensemble de réservoirs stratégiques pour répondre à ses besoins en cas d’urgence ou de rupture des relations avec la Malaisie. Les rivières sont ainsi sous une constante surveillance afin de préserver les qualités minimales. Les réservoirs centraux voient leur aire de captage recouverte d'une ceinture boisée dans laquelle toutes les activités polluantes sont éliminées. Ces lacs artificiels ont toutefois une couleur verte intense qui fait penser à une eutrophisation avancée (particulièrement le lac qui borde le Zoo). On peut aussi émettre l'hypothèse que ces lacs doivent être monomictiques : la stratification verticale de l'eau n'est pas perturbée par une inversion des températures qui provoquerait une circulation et un mélange de ces strates aux caractéristiques physico-chimiques différentes. Le développement d'une strate anaérobie en profondeur doit diminuer les qualités effectives de l'eau contenue. Les algues mortes sont décomposées au fond par des bactéries anaérobies qui tirent leur oxygène par réduction et dégagent des composés sulfurés difficiles à traiter à moindre coût. Il n'y a pas d'information aisément disponible pour savoir quelle est l'action menée par les autorités pour résoudre le problème qui pourrait naître de cet effet naturel. L’enjeu de l'eau est tel que le renouvelle28 ment des contrats d’approvisionnement avec la Malaisie donne lieu à des démonstrations militaires des deux côtés, afin de négocier qui des emprunts ou des avantages (Malaisie), qui un prix et une quantité égale voire en augmentation (Singapour). La Malaisie réclamait en effet à l’automne 1998 une meilleure coordination, pour ne pas dire une subordination des armées de Singapour, allant même jusqu'à refuser les prêts que proposait Singapour pour obtenir ces avantages. Elle réclamait en même temps la régularisation du problème territorial que pose la ligne de train : unique desserte ferroviaire du petit État, le terrain sur lequel est construite la ligne est une enclave malaise dans le territoire de Singapour. Comme ce problème territorial n'est pas réglé depuis l'indépendance, la ville-État continue ainsi à pratiquer une politique discriminatoire à l'égard des ressortissants de la Fédération de Malaysia en empêchant par exemple qu'un contrôle des passeports soit fait en gare de Singapour, alors que c'est légalement en territoire malais. La coupure de l'approvisionnement en eau en raison de l'augmentation des besoins du côté malais est une menace que Singapour tente de minimiser avec ses lacs de retenue et l'adoption systématique, et à grands renforts médiatiques, d'unités de dessalinisation ou de procédés économiques qui réduiraient la consommation. De son côté, la Malaisie a besoin de la manne financière de son petit voisin pour financer une partie de son développement, et pour absorber une partie importante de la main-d'œuvre du Johore. Cela la retient de mettre la menace à exécution mais ne l'empêche pas de rappeler régulièrement à Singapour son état de dépendance vis-à-vis d'elle. Les enjeux financiers, stratégiques et symboliques sont ainsi très grands : le problème de l’approvisionnement en eau de Singapour cristallise tous les problèmes de la séparation décidée d’un commun accord en 1965 par les deux Etats, mais jamais réellement acceptée par les Malais. La gestion du problème de l'eau est révélatrice du manque de planification malais en la matière, lequel s'oppose à la rigueur proverbiale de Singapour. Pourtant, dans une région qui Grafigéo 2000-10 Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs compte parmi les plus arrosées du monde, la politisation de la ressource en eau, et la crainte d'un manque sont plus que paradoxales car on s’attendrait à retrouver ces problèmes plutôt dans les pays du MoyenOrient et des marges désertiques qui souffrent d’un déficit hydrique constant. Elles témoignent de la nécessité d'une nouvelle approche de eau comme ressource et de l'ensemble des interactions au sein du système environnemental en milieu intertropical humide. Le problème de l’exploitation forestière quant à lui, touche plus profondément la perception intérieure du pays et implique une autre dimension du traitement des affaires environnementales. LA « BATAILLE POUR LES FORÊTS DU SARAWAK » ET L'ÉVOLUTION DU DROIT COUTUMIER La perception coutumière du territoire s'adapte plus ou moins vite aux nouvelles données sociales impliquées par la pénétration des idées occidentales dans les communautés reculées et encore peu atteintes jusque dans les années quatre-vingt. L'irruption soudaine de l'exploitation forestière a été un facteur d'intégration rapide et forcée de ces populations qui vivaient encore de manière autonome, à peu près en dehors de tous les circuits du reste du pays. Le développement avant tout ? L'exploitation forestière en terre coutumière A la fin des années soixante, de grandes campagnes sont lancées un peu partout en Malaisie pour accroître les volumes de bois et retirer des bénéfices supplémentaires afin de financer le développement du pays. C'est la grande période de défrichements dont nous voyons aujourd'hui les conséquences. Le Sarawak n'était alors pas encore aussi bien desservi par les routes et une bonne partie de la population Dayak vivait en autarcie selon des traditions ancestrales. La culture économique de mode occidental n'avait pas encore pénétré en profondeur Grafigéo 2000-10 avec toutes ses conséquences dans le tissu social, bien que les Dayak ne fussent pas totalement en-dehors des circuits commerciaux : ils avaient pour certains d'entre eux déjà commencé une relative sédentarisation et adopté des cultures de rente comme le poivre ou l'hévéa. Toutefois, dans les années quatre-vingt, des mouvements de protestation apparaissent car le décalage entre les techniques coutumières et les techniques modernes d'exploitation forestières sont énormes. Les populations vivant jusqu'alors en marge du système national, apprennent à recourir à tous les ressorts légaux pour faire valoir leurs droits. Les premières barricades contre les sociétés forestières apparaissent en 1987 dans les districts de Batam et de Limbang, les plus « sauvages », à l'Est du Sarawak, le long de Brunei. Les protestataires cherchent à interdire l'accès aux terres coutumières que ces entreprises exploitent en enfreignant les clauses contractuelles. Le droit de passage sur leurs terres accordé sous la pression des compagnies et de quelques membres des autorités locales, se transforme en un droit de détruire et d'exploiter les ressources des terres traversées. La dégradation du niveau de vie de ces populations les pousse à ériger des barricades un peu partout au Sarawak. Emprisonnés par exemple pour entrave à la liberté d'entreprendre, pour agitation raciale, pour infraction aux codes civils, les membres des différentes communautés légalement définies comme indigènes se constituent en association. Un soutien constant est offert par l'organisation nongouvernementale (ONG) Sahabat Alam Malaysia (branche malaise de l'organisation internationale Friends of the Earth), ce qui vaudra en 1990 une récompense internationale à Harrison Ngau, dirigeant de la filiale Sarawak qui a été le plus actif support de cette « bataille des forêts ombrophiles du Sarawak » et qui lui aussi a fait de la prison comme agitateur. Les revendications des communautés indigènes tournaient autour de trois points principaux : arrêt de l'exploitation forestière dans leurs forêts ; reconnaissance de leurs droits coutumiers ; demande de compensa29 Transformations environnementales dans le monde malais tions pour tous les dommages occasionnés à la santé, aux infrastructures de production (vergers, champs,…), à l'approvisionnement en eau et aux centres funéraires profanés. Une délégation est reçue en juin 1987, alors que la Malaisie connaît une période de développement intense. Les ministres qui reçoivent la délégation prêchent la raison et demandent qu’on fasse passer les intérêts privés derrière les intérêts nationaux. Les conflits vont régulièrement s’étendre, en raison des débordements des populations Penan, Kayan et Kenyah qui subissent de plein fouet les conséquences d'une exploitation forestière déraisonnable. Les arrestations sont fréquentes, et jusqu'à 105 personnes sont envoyées en prison, hommes, femmes et enfants, lors de la destruction des barrages. La priorité donnée à l’économie semble faire de ces populations des citoyens de seconde zone, ne jouissant pas d'autant de droits que le reste de la population malaise. Ce sont des Bumiputera pourtant ! Bumiputera signifie les « Princes du Sol » ou les fils du sol. Il désigne l’ensemble des communautés aborigènes, malaises et indigènes de Malaisie ainsi que les communautés thaïs du Nord de la Malaisie péninsulaire. Il renvoie aux origines rurales des Malais, mais désigne en fait les « vrais » propriétaires du sol. Des problèmes allaient surgir avec l’entrée massive d’immigrants. L’arrivée des Anglais a entraîné un afflux très important de populations allogènes chinoises et indiennes. Attirés par les perspectives d’embauches offertes par les mines et les plantations que les Britanniques ouvraient, les immigrants sont arrivés par millions en Malaisie pendant toute la deuxième moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle. Les Chinois ont représenté près de la moitié de la population malaise en 1944 : six millions d’entre eux se sont installés sur le territoire malais depuis 1850, et pour beaucoup, ce ne fut qu’un transit car ils sont repartis pendant la Grande Crise des années trente. Ils étaient majoritaires dans les Strait’s Settlements, c’est-à-dire dans les Etats de la côte Ouest, Malacca, Johore, Selangor, et bien sûr à Singapour. Or les indigènes comme les aborigènes ne voulaient pas se faire appeler Malais. L’artifice de Bumiputera offrit une issue politiquement correcte du point de vue malais à ce problème de nationalité et de gestion des pouvoirs au sein d’un pays. Cela devait éviter que le ressentiment des indigènes et des aborigènes ne se cumule avec celui des Chinois et à un moindre degré, celui des Indiens : les Malais musulmans auraient été sinon beacoup trop minoritaires pour pouvoir prétendre à une quelconque autorité. De plus, la politique de malaisianisation des différents secteurs de l’économie et de la société civile offre une priorité d’accès aux Bumiputera pour les postes administratifs comme pour les postes dans les entreprises. La dénomination légitime le droit à la terre, non sans de graves conséquences sur une nécessaire politique environnementale, surtout lors des conflits de propriété et d’accès sur des terres non balisées comme c’est le cas dans les forêts. Il a donc fallu définir légalement dans la Constitution les différentes catégories de population afin de restaurer la majorité malaise et conforter les mesures d’exclusion prises à l’encontre des Chinois et des Indiens. Nous nous appuierons sur la présentation faite par Lim Hin Fui (1997, p. 6 et suivantes). Les définitions constitutionnelles des Malais et des indigènes du Sabah et du Sarawak ont des [implications très importantes en ce qui concerne l’accès aux privilèges et bénéfices socio-économiques] L’Article 153 de la Constitution Fédérale a accordé quotas réservés pour les services, les bourses, les licences, les permis, etc. pour les Malais et les Indigènes du Sabah et du Sarawak. D’un autre côté, la Constitution Fédérale ne spécifie nullement que ces privilèges sont aussi accordés aux aborigènes. 13 13. C’est l’auteur qui souligne. 30 Grafigéo 2000-10 Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs Pour pouvoir jouir des privilèges attachés à ce statut, il faut pouvoir se revendiquer d'une des communautés définies par la Constitution. Il est donc indispensable de cerner le concept de Malaisianité puisqu’il a une valeur sociale et politique. Les Malais La définition constitutionnelle des populations qui composent la Malaisie fait passer le critère culturel avant l’appartenance ethnique. Un « Malais » est constitutionnellement défini comme « une personne qui professe la religion de l’Islam, parle habituellement le Malais, se conforme aux traditions malaises et était née avant le Merdeka Day (Indépendance) dans la Fédération ou à Singapour ou né de parents dont l’un était né dans la Fédération ou à Singapour, ou est à ce jour domicilié en Fédération ou à Singapour ». La Constitution permet ainsi de reconnaître des droits à tous ceux qui vivaient dans l’ensemble malais conquis par la Grande-Bretagne, et met un terme aux contestations de passeports qui pouvaient surgir de la séparation de Singapour puis de Brunei. Comme on peut le noter, le terme Malais est défini en fonction de critères culturels et non ethniques. C’est ce qui permet à de nombreux descendants d’indigènes de se considérer comme des Malais, des Melayu, car ils font abstraction de leurs origines nonmusulmanes : du moment qu'ils correspondent aux critères énoncés dans la Constitution, ils peuvent se déclarer Malais et citoyens de la Fédération de Malaysia. Savoir ce que recouvre le terme est parfois difficile, car on joue souvent sur ce flottement de la notion, entre la citoyenneté et l'appartenance à une communauté culturelle. Les Indigènes, ou Native People Ici, le terme d'indigène ne comporte pas les connotations coloniales du mot français. Il ne fait que traduire le terme anglo-saxon de native qui a conservé son sens étymolo- gique de « produit de la terre ». Les Français semblent actuellement manquer d'équivalent politiquement correct, surtout pour traduire ici un terme légal. Ce terme me paraît moins péjorativement connoté que celui d'autochtone (pourtant étymologiquement synonyme), et meilleur que les périphrases lourdes comme « populations locales considérées culturellement comme non-malaises ». A l'occasion, puisque la définition constitutionnelle restreint son application aux populations du Nord-Bornéo, nous emploierons le terme de Dayak, consacré par l'histoire pour les désigner dans leur localité, sans faire la sous-distinction entre les Sea-Dayak (les Iban) et les Land Dayak (les autres tribus, aussi rassemblées sous le terme de Bidayuh), ou encore les termes de « communautés traditionnelles ». La Constitution Fédérale Malaise poursuit la définition de l’« indigène » comme : a) en ce qui concerne le Sarawak, une personne qui est citoyen et appartient à une des races [sic, suit l’énumération de toutes les tribus principales du Sarawak] spécifiées comme indigènes de l’Etat ou qui est de sang mixte dérivant exclusivement de ces races ; et b) en ce qui concerne le Sabah, une personne qui est citoyenne, qui est l’enfant ou le petit-enfant ou la personne d’une race indigène au Sabah, et qui est née (soit avant ou après le Malaysia Day), soit au Sabah, soit chez un parent domicilié au Sabah au moment de la naissance. Les Orang Asli Par Orang Asli, on entend les populations négrito qui subsistent en Malaisie péninsulaire uniquement. « Le terme d’Orang Asli est la traduction malaise d’aborigène, Orang signifiant homme et Asli vient de l’arabe asali qui signifie originel »14. Il est en vigueur depuis 1966 et il fait référence à un groupe social de populations hétérogènes vivant de longue date en Malaisie Péninsulaire. On le préfère largement à celui d’aborigène dont on rejette la connotation de primitif séparé 14. Ibid., p. 1. Grafigéo 2000-10 31 Transformations environnementales dans le monde malais du reste du monde (et un peu attardé ? si on pousse le raisonnement jusqu’au bout) ; certains d’entre eux se sont mélangés aux populations malaises et en ont au moins adopté le mode de vie. On le préfère aussi parce qu’il est utilisé intensivement par toute l’administration, et les scientifiques : il les différencie par là des autres populations aborigènes australiennes ou taïwanaises ; enfin, c’est aussi un terme que les populations concernées acceptent et revendiquent au sein de leur association. Ils sont légalement définis comme ayant une ascendance patrilinéaire aborigène, ou issus de couple mixte, ou adoptés quelle que soit sa race (sic, ethnie en français) d’origine par une famille aborigène, du moment qu'ils pratiquent la langue, les coutumes, tout ce qui constitue le mode de vie aborigène. Les descendants en lignée mâle peuvent aussi prétendre à l’appellation. Les Orang Asli ont subi le même genre de problèmes que les Dayak de Malaisie Orientale, mais leur faiblesse numérique, dans l'absolu et par rapport aux Malais, ne pouvait pas obtenir une même audience pour leurs problèmes. La situation des aborigènes est de ce fait inférieure au regard du droit à la situation des indigènes. Au moment de l’indépendance, afin de contrebalancer par un artifice statistique les populations allogènes, plusieurs facteurs ont donc poussé les Malais melayu à créer le concept de Bumiputera : la peur de se voir dépossédés de leurs terres, la pression réelle causée par le mouvement insurrectionnel chinois communiste, puis la séparation de Singapour en 1965,… Hautement politique, cette question démographique est très importante pour un pays qui cherche son unité politique et nationale (voir les tableaux statistiques ci-dessous). L’accroissement naturel supérieur à 2 % par an est surtout dû à la population malaise (avec 2,7 % par an contre 1,3 % pour les Chinois et 1,7 pour les Indiens en 1989). La pyramide des âges est par conséquent celle d’un pays en plein essor démographique avec une magnifique forme en parasol, très équilibrée des deux côtés, avec une faible domination masculine. Une transformation de la p e r c e p t i o n c o u t u m i è r e du m i l i e u f o r e s t i e r A travers les démêlés juridiques, les populations indigènes ont appris plusieurs éléments fondamentaux pour leur intégration dans le corps social : l'évolution lente de leur système social et culturel, du fait de l'éloignement physique, s'est trouvée tout d'un coup accélérée par l'ouverture des pistes forestières. Quand il fallait plusieurs heures de marche voire plusieurs jours, les contacts n'étaient pas aussi fréquents avec le reste de la population. Les compagnies forestières ont fourni un emploi à de nombreux membres de ces communautés dispersées le long des rivières ou dans les forêts. Ce faisant, elles ont introduit d'autres éléments culturels et accéléré le processus de monétarisation des échanges au Tableau 3 - Répartition ethnique de la population Région Malais et autres Bumiputera Chinois Indiens Autres TOTAL Nombre % Nombre % Nombre % Nombre % Nombre 10 961 600 61,7 5 265 500 29,7 1 435 800 8,1 93 000 0,5 17 755 900 Péninsule malaise 9 802 400 57,4 4 631 900 25,0 1 524 100 8,9 1 088 300* 6,4 17 047 300 Sarawak 1 186 600 71,1 482 500 28,9 n.c. - n.c. n.c. 1 669 000 Sabah 1 267 800 86,2 202 400 13,8 n.c. - n.c. n.c. 1 470 200 Malaisie Source : d’après le Malaysia 1998 Yearbook, Kuala Lumpur 1999. * Chiffre supérieur car il inclut aussi les résidents sur le long terme. 32 Grafigéo 2000-10 Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs sein de ces communautés. La conséquence la plus inattendue pour les partisans du développement fut que ces communautés ont appris rapidement la maîtrise du discours et des campagnes médiatiques, alors qu'on les croyait incultes et incapables de se défendre contre les finesses juridiques des avocats des compagnies ou des gouvernements. Ils savent aller en justice quant ne sont pas respectés les accords contractuels ou la loi. En effet, leurs campagnes ont montré la collusion entre les intérêts des compagnies forestières et des autorités locales du Sarawak (les principaux bénéficiaires des concessions étaient des compagnies détenues pour tout ou partie par les membres de la famille du sultan ou du gouvernement). Elles ont encore permis de dénoncer la faiblesse du gouvernement central face à des intérêts financiers importants le forçant à réagir en réaffirmant leurs droits coutumiers. Ells sont parvenues à obtenir en juillet 1988 de la Communauté Européenne l'interdiction de l'importation de bois en provenance du Sarawak du fait du non-respect des droits des habitants, puis en 1989 un appel à la cessation des arrestations arbitraires (car rares sont les mises en détention de Penan, Dayak ou Kenyah qui résistaient en Cour de Justice). Enfin, ces populations ont réussi à obtenir la diminution progressive des rythmes de coupe et d'exportation (seule façon pour le gouvernement fédéral d’intervenir sur la production de bois au Sarawak car c'est lui qui délivre les permis d'exportation), renonçant à la cessation totale initialement projetée. Cette diminution a été effective comme nous le verrons dans le chapitre sur la Malaisie. Leur intégration dans les flux d'échange de la société malaise contemporaine réduit l'espace traditionnel relativement cloisonné, aux fonctions séparées, et surtout diminue l'importance de la forêt dans leur système social, puisque cette dernière ne subvient plus à leurs besoins que pour une part qui diminue d’année en année. La forêt devient un conservatoire de traditions symboliquement peut-être moins importantes qu'autrefois. Nous verrons dans le chapitre 6 comGrafigéo 2000-10 ment l'étude de l'Université de Hull a mis plusieurs de ces changements en relief à travers quelques points visibles comme les bases de leur alimentation. Le rôle des ONG locales fut important dans la maîtrise de ces nouveaux concepts que sont l'environnement, l'instabilité climatique, mais aussi le légalisme et le juridisme. Nous voyons aussi à travers ces événements comment des perceptions traditionnelles d'un territoire se sont complètement transformées, mais aussi comment ces populations sont en train d'en prendre conscience progressivement et de s'y adapter. Le fossé qui se creusait depuis des décennies est désormais en cours de comblement. Toutefois, cette évolution a commencé il y a plusieurs siècles. Ces communautés ne sont guère constituées de naïfs découvrant la civilisation occidentale à travers ses mauvais aspects (déconsidération de l'individu et des partisans de la tradition face aux besoins de la modernité,…) ainsi que tendraient à nous les montrer les ONG, non sans un relent de paternalisme misérabiliste. Une évolution du rapport a u milieu qui a des origines profondes : le contact et les relations inter-communautaires Sans entrer dans le détail des étapes historiques, ni opposer les différentes théories de peuplement de la région, nous soulignerons simplement quelques aspects de l’évolution des populations à partir de l’introduction de l’Islam et du développement du commerce. Les différentes strates culturelles façonnent chacune à leur manière un rapport au milieu en constante évolution. Ce n’est en effet qu’à partir du XVe siècle que la péninsule surtout, et Bornéo un peu, deviennent des centres politiques actifs. Le peuplement, peu organisé et dépendant des royaumes voisins, se recentre autour de quelques sultanats commerçants dont le fleuron est Malacca. L’autre ville active est Brunei, relais dans le commerce international des épices et des produits extrême-orientaux, ainsi que des produits forestiers que les tribus indigènes ou aborigènes vont cher33 Transformations environnementales dans le monde malais cher dans les forêts depuis des centaines d’années. L’emprise spatiale de ces villes sur les territoires avoisinants consiste en une série de champs et jardins potagers vivriers. La forêt ou la pêche fournissent les protéines complémentaires. L’installation aux XVIe et XVIIe siècles de commerçants indonésiens chassés par les flottes coloniales hollandaises, portugaises et peu après anglaises, favorise l’implantation de sultanats en position ripuaire et aux embouchures des principaux fleuves malais. Ils font office de lien entre le monde extérieur et les populations à l’intérieur des terres. Longtemps, ils se sont cantonnés à ce rôle d’intermédiaire, islamisant les populations les plus proches des côtes, mais sans véritable influence à l’intérieur des terres. Des populations très anciennes, comme les quelques tribus négrito de la Péninsule restées isolées des poussées des civilisations indianisées ou islamisées, ou encore les populations Dayak à Bornéo, demeurent pour la plupart à l’écart de ces grands flux religieux et géopolitiques. Toutefois, l’influence de ce commerce au long cours est très perceptible au niveau des objets de prestige dont disposent par exemple les populations de l’intérieur des terres de Bornéo : le prestige d’une famille se mesurait à la quantité de jarres chinoises possédées. Elles étaient exposées dans la pièce consacrée aux réceptions officielles et sorties à l’occasion de grandes cérémonies. Jusqu’à l’arrivée des Anglais, à la fin du XVIIIe siècle et surtout à partir de leur expansion commerciale puis coloniale au XIXe siècle, les populations cohabitent sans réellement se fréquenter en dehors des échanges strictement commerciaux : toutes ces populations indigènes ou aborigènes collectaient en forêt des gommes, bois et autres résines précieuses ou encore des nids d’hirondelles par exemple. Ces populations étaient même les seules à pouvoir pénétrer dans cette jungle immense qui recouvrait le pays. Les Malais se sont progressivement définis par rapport à un mode de vie (comprenant l’Islam, un certain type d’habitat, et des activités commerçantes ou rizicoles sédentaires) et non plus sur des critères purement ethniques. 34 L’arrivée des Anglais provoqua une augmentation de la demande en produits forestiers et supprima les intermédiaires entre les aborigènes et les commerçants des ports. Cela entraîna une intégration croissante des aborigènes péninsulaires dans les circuits commerciaux, et par conséquent l’apprentissage de cultures commerciales comme le caoutchouc. La deuxième conséquence vint de l’extension des réseaux routiers parallèlement au développement de l’activité minière et de plantation. L’accessibilité aux forêts s’améliorant, les populations tribales ont vu la concurrence se développer dans un secteur qu’ils maîtrisaient avec une quasiexclusivité pendant plus de mille ans. Un deuxième choc pour les populations aborigènes se produisit au moment de la déclaration de l’état d’urgence en Malaisie afin de lutter dans les années cinquante et soixante contre la guérilla chinoise communiste : des programmes de rassemblement et de relogement des populations pour « profiter des aménités de la vie moderne et leur offrir la sécurité » comme le disait la propagande de l’époque, avec en contrepartie l’obligation de faire des cultures commerciales, transformèrent durablement les contacts entre les différentes communautés. Elles continuaient à s’approvisionner en produits issus de la forêt, mais étaient de plus en plus dépendantes des sources de liquidités afin de se fournir en produits manufacturés, en essence ou en produits alimentaires qu’ils ne produisaient pas. Depuis lors, seules les communautés les plus éloignées des centres continuent à vivre en semiautarcie. La plupart d’entre elles sont largement engagés à temps partiel ou plein, dans des activités rémunératrices. Le même phénomène se produit en Malaisie orientale et à Brunei où la population indigène reste prédominante : la population est de plus en plus impliquée par le biais de politiques incitatives dans des activités de diversification agricole et dans l’engagement contractuel au sein d’entreprises d’exploitations agro-forestières ou manufacturières. Les politiques de relogement en «dur» sont actives et les populations s’y prêtent assez volontiers de manière à vivre le Grafigéo 2000-10 Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs long des routes pour bénéficier des services sociaux et de l’électricité. De plus, l’expansion des exploitations forestières et des plantations réduit leurs possibilités d’accès aux ressources sauvages. Depuis le XIXe siècle, avec les Rajah Brook au Sarawak et la compagnie américaine d’exploitation Dent Brothers (devenue compagnie à charte en 1880) au Sabah, les populations indigènes sont attirées et pacifiées par les villes. Les intermédiaires sont simplement devenus chinois au lieu d’être malais comme autrefois. La sédentarisation de ces populations autrefois mobiles au sein d’un environnement forestier d’apparence immuable transforme leur mode de vie et leur rapport à leur environnement. Ils sont moins dépendants des produits forestiers, et par conséquent moins attachés à la forêt symboliquement considérée comme une mère. La transformation de la relation entre les hommes et la terre par des influences extérieures n'est pas récente. Ce qui change de nos jours, c'est la rapidité de la diffusion des informations et de leur assimilation par les populations qui sont toujours en contact avec notre civilisation contemporaine de la communication et des échanges. Cette évolution se double d’une transformation des moyens techniques qui permettent de mieux planifier et participent ainsi à l’élaboration de politiques de l’environnement devenues fort compliquées. Conclusion : une ouverture nou velle aux problèmes Les incendies de 1997-1998 qui ont servi de départ au chapitre, trouvent ainsi leur explication dans ce contexte à la fois naturel et humain, que l'histoire a rendu plus complexe encore pendant tout le siècle passé avec la colonisation. La superposition des communautés différentes, aux conceptions de l’environnement éloignées les unes des autres accentue la difficulté d'une unification plus poussée de la région. Tardivement entrées en contact, elles doivent suivre des chemins différents pour pouvoir faire face aux défis du développement contemporain. Le gouvernement est obligé Grafigéo 2000-10 d’intervenir pour guider en partie les évolutions grâce à des politiques d’aide. Ces trois problèmes (incendies, crise de l’eau et déforestation des territoires coutumiers) montrent que la population des trois pays a changé son rapport traditionnel au milieu : il était respecté par crainte pour certains car considéré comme hostile, ou encore vénéré par d’autres car considéré comme nourricier, maternel. Le sacré a désormais reculé devant le profane. Tous les membres de la société ont largement évolué vers une occidentalisation de leurs mœurs, et il ne nous appartient pas de juger si cela est un bien ou un mal. Il nous faut maintenant nous interroger plus avant sur la notion d'environnement et son passage à travers le filtre oriental : l’Orient tente-t-il de concilier environnement et développement grâce à une spécificité que nous ne percevons peutêtre pas en Occident, puisque nous pensons avoir fait de l’environnement une notion universelle ? Nous pouvons ainsi rentrer dans le vif d’un débat environnemental, et observer les processus à l’œuvre dans des populations qui se cherchent encore une unité propre, non pas une identité par la négative, c’est-àdire une identité qui n’est ni européenne, ni chinoise, ni totalement melayu,…etc. Mais plutôt une identité affirmative malaise, singapourienne et brunéienne. L’environnement peut-il être un lien entre ces différentes communautés ? On peut se demander si cette recherche aboutira par la domination stricte de l’une sur les autres ; nous laisserons ce débat à d’autres études. Il convient plutôt d’examiner les conceptions environnementales de ces communautés à travers les politiques qu’elles mettent en œuvre dans ces différents pays, unis comme nous l’avons vu, par une certaine communauté de destin et des facteurs géographiques similaires. 35 Transformations environnementales dans le monde malais Dense couvert forestier d'une forêt intacte de la région de Brunei (photo 1) L'exploitation forestière avance profondément à l'intérieur des terres (ici, nous sommes à 200 km de la côte). Le long des chemins, la forêt est très éclaircie (on aperçoit les troncs blancs des arbres morts) et laisse parfois place à des surfaces en herbe qui peuvent aider les feux à progresser rapidement pendant les périodes de sécheresse. Cette dégradation avancée du couvert forestier ne permet plus le fonctionnement des mécanismes naturels d'endiguement des incendies comme dans une forêt humide normale (photo 2). 36 Grafigéo 2000-10 Environnement et développement Chapitre 2 • Environnement et développement P AR ENVIRONNEMENT, on a tendance à entendre un synonyme de la nature : chaque publicité pour l’« environnement » se couvre de vert, de blanc et parfois de bleu. Le symbolisme fort de la Nature se trouve systématiquement repris par tous les médias et les responsables politiques. Pourtant, ce terme d’environnement est très récent dans son usage actuel : il ne date que d’une trentaine d’années. Les premières politiques à être qualifiées explicitement d’« environnementales » datent de 1963, à partir expériences menées aux États-Unis. Le terme répond à des préoccupations naturalistes héritées des sciences des XVIIIe et XIXe siècles. Son usage intensif marque une réelle transition dans les préoccupations des dirigeants de ce monde, préoccupations qui se sont encore accentuées avec les crises pétrolières dans les années soixante-dix et quatrevingt. En effet, dans un monde bipolaire, sortant de la colonisation, le modèle du développement rapide fondé sur l’industrie lourde triomphante n’est remis en cause par personne : le monde occidental a su diffuser auprès des élites des nouveaux pays sa croyance profonde en une technique qui allait résoudre tous les problèmes qui pourraient surgir d’un quelconque excès de déve- Grafigéo 2000-10 loppement. La contestation de ce système à la fin des années soixante trouva une chambre d’écho toute particulière dans les crises énergétiques. On admit enfin que le développement ne pouvait se faire aux dépens de notre milieu de vie : la notion d’économie pouvait désormais inclure celle de la protection des ressources. Le terme d’environnement est ainsi devenu antonyme de « développement » dans tous les discours qui remettent en cause le système libéral capitaliste. Cette connotation politique d’un terme au départ scientifique nous permet de nous interroger sur la réalité de cette notion, particulièrement dans les pays asiatiques, modèles d’un développement rapide et efficace. Ne les a-t-on pas surnommés Tigres et Dragons tellement leur efficacité collait à leur ambition ? L’environnement semble y être encore une préoccupation secondaire dans ces pays alors même que l’idée d’un développement pris comme une panacée à tous les maux socio-économiques hérités du colonialisme, est fortement remise en cause dans nos pays européens. Est-ce une croyance en un « avenir radieux » capitaliste ou est-ce parce que les dirigeants et les sociétés de ces pays ont une autre approche du problème et tentent de trouver une solu37 Transformations environnementales dans le monde malais tion qui leur est propre, mieux intégrée à leurs bases culturelles à travers une réinterprétation de la notion de développement durable ? LE CONCEPT D’ENVIRONNEMENT L’ÉPREUVE DE L’ORIENT À l’autre, il faut se poser quelques questions simples pour analyser le concept d’environnement : quel est le référent correspondant au vocable d’environnement ? Qu’est-ce que l’environnement environne, ou qui entouret-il ? Environnement et écologie On négligera d’emblée la version simpliste du concept, telle que nous l’offrent les médias et une certaine catégorie d’écologistes. Elle mélange tous les éléments naturels, animaux, plantes, cailloux, dans une vision primitive et candide de la Terre. L’homme moderne vient rompre cette prétendue harmonie, avec toute sa technologie sans âme mise au service du « développement ». Les tenants du développement ont eu beau jeu de battre en brèche une argumentation aussi faible, ridiculisant la notion d’environnement au lieu de la servir. A l’ordre stable et presque transcendantal de la Nature, ils opposent la maîtrise des moyens techniques qui la transforment, la domestiquent. Ils prétendent remettre l’homme au centre de leurs préoccupations et annoncent l’avènement de son bien-être par le « développement ». A travers leur discours, le Développement serait le synonyme de la réalisation des potentialités humaines mais tend plutôt à devenir son propre but : on recherche le développement pour le développement, il cesse d’être un outil pour devenir une fin. L’apologie d’un tel concept risque d’emprunter des traverses rhétoriques (emphase, déréalisation, sophistique,…) qui aboutissent fatalement aux mêmes apories que le discours écologiste profond 1. Le catastrophisme de l’un ne résiste toutefois pas devant l’avenir positif de l’autre : l’opinion publique n’est pas atteinte en profondeur par les prophéties des Cassandres revêtues de vert forêt. Afin d’éviter de tomber dans un excès comme dans Le dictionnaire Larousse nous offre la définition la plus synthétique2 : l’écologie est la « science qui étudie les relations des êtres vivants entre eux et avec leur milieu ». Une science de l’écologie existe aujourd’hui et clarifie les liens entre les différents éléments de la biosphère. Elle approfondit notre connaissance des interactions possibles entre les acteurs passifs et actifs du monde du vivant. Mais l’écologie s’entoure aussi de conceptions morales véhiculées par l’écologisme militant. Jusqu’à ce que l’homme arrive, il n’y avait pas de catastrophes en soi, juste des ruptures d’équilibres plus ou moins violentes, plus ou moins profondes. Elles n’étaient ni bonnes ni mauvaises, elles n’avaient aucune valeur puisque le système fonctionnait tout seul, et à chaque rupture correspondait une nouvelle adaptation. Le Darwinisme montrait ainsi dans son acception première que l’évolution est une adaptation perpétuelle du vivant aux nouvelles donnes du milieu, par une sélection des espèces qui sont les plus capables de continuer la longue chaîne du vivant. Cette capacité adaptatrice est de nos jours traduite par la notion de fitness qui correspond à la capacité de survie et de reproduction d’un organisme en fonction de sa valeur adaptative3. Depuis que l’homme a pris conscience de lui-même et qu’il s’interroge sur son milieu, il est devenu son propre référent. Un événement prend une valeur et devient bon ou mauvais en fonction de ses répercussions sur la vie de l’individu ou du groupe. La notion d’environnement découle en droite ligne de 1. Je traduis mot-à-mot le terme anglais de deep ecology. 2. ... même si ce n’est pas l’ouvrage de référence en la matière. 3. Blondel, J. Biogéographie, Approche écologique et évolutive, Paris, Masson, 1995, 298 p., définie dans le chapitre 1. 38 Grafigéo 2000-10 Environnement et développement cette acception : l’environnement n’existe pas en soi, mais pour quelqu’un, pour quelque chose. Pour le dire en d’autres mots, le milieu de vie ne devient environnement que quand on prend conscience des interactions possibles entre les éléments de ce milieu et que l’on considère l’impact de ses actions et les répercussions des changements de ce milieu sur soi. Forcément, à un moment ou à un autre, ce retour sur l’individu ouvre une porte à l’émotion, car on considère les éléments séparément en fonction de leur impact propre sans les remettre dans un contexte plus général. C’est le grand fossé qui sépare l’écologie militante de l’écologie scientifique. L’écologie militante tend souvent à verser dans des discours pathétiques à cause d’un syllogisme de départ qui est l’ajout d’une valeur dans quelque chose qui ne devrait pas en contenir, ou plutôt qui n’en contient pas. Un élément devient symbolique, emblématique d’une cause, d’un problème : il concentre en lui tous les éléments d’un paradigme naturaliste réducteur, car il se focalise sur un élément sorti de tout contexte. Il en est ainsi de toutes les grandes causes comme pour l’Amazonie, lorsque les militants fondent leurs campagnes sur quelques animaux faisant partie des plus visibles, comme les félins prédateurs ou quelques oiseaux colorés fort médiatiques, généralement montrés lorsque ce sont des nouveaux-nés et qu’ils sont plus à-même de susciter l’émotion (les bébés phoques, les baleines et leurs baleineaux, les pandas et autres koalas sont les champions toutes catégories de la bonhomie animale efficace dans les campagnes de sensibilisation). Les scientifiques regrettent que les fonds récoltés aillent essentiellement dans la préservation des animaux les plus visibles et non forcément dans l’étude d’animaux et de plantes moins photogéniques alors qu’ils sont tout autant si ce n’est plus important que la macrofaune et la macroflore. La vision de certains militants écologistes peut se transformer en véritable acte de foi en une Nature grandiose, mythique. Elle reprend à la fois des thèses millénaristes et Grafigéo 2000-10 des rêves d’Éden, se nourrit du mythe du bon sauvage et de fragments mal assimilés d’ethnologie. Elle commence seulement à se fonder rationnellement sur des éléments scientifiques pour affermir ses positions, après avoir longtemps rejeté tout ce qui approchait de près ou de loin une science honnie car on voyait en cette dernière le symbole d’un développement destructeur, impitoyable. Certains en font un acte de foi, et comme tout acte de foi, il peut devenir une sorte d’intégrisme fondamentaliste. Il mélange de manière paradoxale des traits de notre civilisation technicienne à des éléments d’un discours « naturolâtre » : à des degrés divers, des statistiques, prises hors de tout contexte, s’intriquent dans une rhétorique en apparence rationnelle qui véhicule une très forte dimension affective, fort peu fondée sur un aspect quelconque de la réalité. Cette vision tend à prêter à certains éléments de la nature une volonté propre et des sentiments qui n’existent pas. Faisons la preuve par l’absurde : on n’a jamais réussi à montrer qu’un animal a le sens de la beauté d’un paysage et que ceci a une valeur intrinsèque à préserver, ni que cet animal éprouve un quelconque sentiment d’injustice lorsqu’il se trouve confronté à des développements humains. Jusqu’à présent, le seul principe qui importe pour les espèces animales et végétales consiste à trouver dans leur environnement les éléments nécessaires à ses fonctions vitales. Tout le reste n’est que culture et sentiment anthropomorphique. L’écologisme militant, dans sa forme la plus dure, va jusqu’à exclure l’homme de tout droit de cité dans l’Environnement. L’Homme devient le plus grand perturbateur commun anti-naturel, se charge de tous les péchés de la civilisation envers une nature idéalisée, stable et éternelle. Il devient l’incarnation du Mal au sein d’une supposée pureté virginale naturelle lorsqu’il tente de se soustraire à sa nature par la technologie et la course au développement. L’Homme à l’état de nature, le bon sauvage adapté à son milieu comme le sont les animaux au leur, détenteur d’une religion si naturelle et si respectueuse de l’environnement, est porté au 39 Transformations environnementales dans le monde malais rang de modèle car il ne pèche pas par hybris4. Ce discours manichéen est propagé dans le cadre d’une culture précise, la culture européenne. Elle tire ses origines d’un fonds culturel à la fois gréco-latin et judéo-chrétien. Ce double fonds est justement rejeté par les écologistes. Ils y voient la source de tous les malheurs causés par l’expansion du modèle occidental, et se jettent dans une sorte de syncrétisme culturel qui assimile tout ce qui peut servir leur discours et rejette ce qui pourrait contrarier leur conception. Beaucoup n’arrivent pas à intégrer le fait qu’ils propagent une autre tendance de la culture occidentale et qu’ils sont le reflet exact de la tendance absolutiste, tranchée de notre culture. Il faut s’inscrire en faux contre la vision englobante et réductrice d’un asiatisme singulier que la tradition occidentale colporte, et dont les écologistes militants se font parfois l’écho : ils y citent le pacifisme et le respect des animaux en Inde, ou les doctrines bouddhistes, pour mieux les opposer à la Genèse qui raconte comment l’animal a été placé avec la Terre sous la domination de l’homme. L’exotisme de la vision se mêle à toutes sortes de préjugés et fait abstraction de tous les points de doctrine un tant soit peu gênants pour des démonstrations. Le manque de connaissances de l’Asie, que l’on dit toujours incompréhensible pour l’Occidental, ne nous porte pas à voir cette région du monde comme très diversifiée sur le plan culturel : elle ne se réduit pourtant pas à quelques variations sur un même air bouddhico-hindouiste. Les spécificités asiatiques de la conception de l’environnement Ole Brunn et Arne Kalland (1995, p. 1) introduisent la spécificité régionale par le rapport qui existe entre l’environnement et les idées métaphysiques qui le soutiennent : « [En Asie] la réalité est ainsi structurée en contextes changeants et même en entités ontologiques séparées, comme opposées à l’approche absolutiste occidentale ». Le réel se décomposerait en une multitude d’éléments simples, sortes de monades. L’environnement ne serait qu’une infinité d’assemblages qui offre des contextes sans cesse renouvelés à la perception. Nature et culture sont très fréquemment intriquées, même dans les systèmes profondément dualistes comme au Japon. Ils poursuivent : « Puisqu’on retrouve partout une sorte de variété dans la distinction nature-culture – bien que celle-ci puisse être relative et contextuelle, plutôt qu’absolue – la véritable question est de savoir comment les deux sphères se combinent et quels systèmes de transformation autorisent les gens, les choses et les concepts à circuler de l’un à l’autre. […] Contrairement aux tendances occidentales à établir une dichotomie dans l’univers, à mettre l’accent sur l’absolu, nombre de cultures asiatiques remettent en contexte les oppositions entre la nature et la culture, entre le sauvage et le domestiqué, les humains et les 4. Certains écologistes envisagent les problèmes d'une manière réellement surprenante, radicale : ainsi peut-on lire dans CAP, State of The Environment in Malaysia, p. 212 à propos de la biodiversité, le néologisme de Biopiracy, ou en français, la bio-conspiration des pays du Nord pour voler le patrimoine génétique des pays du Sud et déposer des patentes pour leur propre profit. Il est ainsi écrit : Les Firmes du Nord ont accéléré le vol des ressources aussi bien que la connaissance des communautés indigènes ou traditionnelles. Cette bioconspiration s'est traduite par une perte financière particulièrement dans les pays du Sud qui peuvent difficilement s'offrir le luxe de ces pertes. Cela a aussi causé la marginalisation des systèmes de connaissances traditionnels et menacé des communautés qui sont les éleveurs de cette biodiversité puisqu'ils vivent dans une relation symbiotique avec les ressources représentées par cette biodiversité. Ceci a pour effet ultime de détruire la biodiversité ellemême. [… suivent des exemples gabonais et amazoniens] L'élevage prudent et le développement de la biodiversité représentent pour eux (i.e., les indigènes) à vrai dire une question de vie ou de mort. Souvent, la diversité est elle-même employée de plusieurs manières et supporte une vie et une culture intégrée et holistique. On peut reposer le paradoxe de la poule et de l'œuf pour réfléchir à ces paroles énoncées avec tant de conviction. Quelle est la part des sociétés traditionnelles dans la création de nouvelles espèces dans la dense forêt malaise ou ombrophile lorque les systèmes reposent presqu'exclu40 Grafigéo 2000-10 Environnement et développement dieux, la pureté et l’impureté, le bien et le mal, et ainsi de suite. Ce « contextualisme » s’applique fréquemment aux concepts de moralité. Nature et moralité sont étroitement liées dans beaucoup de cultures asiatiques, Homme et Environnement ne formant qu’une seule unité morale. Cependant, comme il n’existe pas de Bien ni de Mal absolus, il n’existe pas de morale absolue, au moins pour le commun des mortels. Ainsi, les obligations morales des gens envers la nature sont contextuelles. » Cette démarche morale, qui s'inspire d'une réflexion sur la nature, ne permet pas une recherche définitive de préceptes de vie, puisqu'il faut apprendre une certaine casuistique pour pouvoir mener son existence. Il devient alors hasardeux de vouloir concrétiser une démarche philosophique, quelle qu’elle soit. La profondeur de la réflexion des sociétés asiatiques sur la nature ne l’autorise pas plus que les autres. C’est un grand pas qu’il est déjà risqué de franchir à l’échelle d’un territoire et plus encore de généraliser à l’échelle d’un continent aussi varié en traditions qu’en religions. Tout comme « il est difficile de prouver qu’une croyance religieuse protège la nature mieux que d’autres5. »: les sociétés en pleine expansion économique et démographique n’ont pas su enrayer les problèmes écologiques, malgré cette conscience profonde d’une interrelation entre l’homme et la nature. Cette aggravation des problèmes écologiques serait même un facteur d’unification de la région. Il est plus fructueux de considérer les notions et valeurs philosophiques véhiculées « comme des procédés rhétoriques que l’on utilise afin de parvenir à des buts particuliers ou pour légitimer une action. Donc [continuent-ils], nous ne pouvons prendre une attitude environnementale comme une preuve de valeurs spécifiques. On peut même affirmer que la notion de recoupement entre les perceptions particulières de la nature et la manière dont ces gens gèrent leur environnement naturel est une notion occidentale, qui n’est pas forcément partagée par les populations asiatiques. (…) Même si de tels essais [destinés à ne pas favoriser la tendance occidentale à la dichotomie nature-culture] ont pour but la création de concepts universellement applicables, l’approche doit reconnaître que l’influence majeure actuelle sur l’environnement est maintenant humaine et institutionnelle, sans cet aspect, toute connaissance d’un écosystème est de peu de sens. » En effet, c’est sur le plan politique que les notions environnementales prennent une bonne part de leur signification. Depuis bien longtemps, elles témoignent autant d’une réelle préoccupation en faveur de la nature qui est un bien commun et un lieu de vie, que d’une réalité culturelle sur le jeu des pouvoirs dans la société. Ainsi que le dit J. Kathirithamby-Wells6 : « La perception du dirigeant sud-est-asiatique comme seigneur des « terres et des eaux » a effectivement inclus le contrôle des gens, comme il apparaît dans le terme malais tanah sivement sur la récolte dans la nature de produits non sélectionnés pour leur rendement ? Quel est le degré de «culture de la biodiversité » qu'ils ont ? Quel est l'intérêt pour une population locale d'une plante qui leur paraît sans importance et qui pour un scientifique pourra en avoir une : la cultive-t-il parce qu'il a une omniscience naturelle, ou la détruit-il, ou s'en moque-t-il ? Qu'est-ce qu'un vol biologique si on n'est pas capable soi-même de mettre en valeur la biodiversité : en d'autres termes, les pays du Nord sont à la fois à la source de la disparition des forêts tropicales grâce à une trop grande complaisance de certaines élites politiques locales, mais sont aussi à la source de grandes découvertes scientifiques qui font prendre à tout le monde l'importance de la biodiversité ? Que veut dire pour un indigène le patrimoine génétique et la chimie moléculaire, alors que dans ses mixtures traditionnelles empiriques, il mélange toutes sortes de produits, sans en extraire efficacement les molécules utiles et en rajoutant parfois des produits plus nocifs que la molécule utile ? Si le Nord honni n'avait pas développé toutes ces connaissances, quel serait l'avenir des populations indigènes et de leur patrimoine culturel face à la progression des autres cultures, inéluctable, et qui n'aurait peut-être pas eu le soin de remarquer l'importance de ce patrimoine empirique pour le reste de l'humanité ? Comme disent les spécialistes de l'Asie, tout est dans le contexte, il faut sans cesse relativiser ses propos. 5. Brunn et Kalland, 1995, p. 17. 6. Ibid., Socio-political structures and Southeast Asian Ecosystem, an historical perspective up to Mid-Nineteenth century, p. 28-29. Grafigéo 2000-10 41 Transformations environnementales dans le monde malais air (“terre et eau”), donnant corps au concept de « pays » ou de « nation ». Les liens spirituels et les relations patrons-clients qui ont subsisté entre les dirigeants et les sujets constituaient une caution plus solide que les contrats légaux. Le dirigeant, en tant que « maître des terres et des eaux », et en tant qu’agent de médiation avec les forces naturelles, était perçu comme le contrôle ultime de l’environnement. » Cette association traditionnelle se retrouve un peu partout, particulièrement dans les sociétés où le contrôle des accès fluviaux était de première importance. Longtemps dans le monde malais, les relations entre l’intérieur des terres, client, et les sultans côtiers se résumaient à des cérémonies occasionnelles et testaient les liens de vassalité (effectifs ou supposés) à travers toute une hiérarchie d’intermédiaires. Le discours environnemental dans la bouche des dirigeants pourrait ainsi revêtir une importance particulière, peut-être plus confusément ressentie que réellement perçue. Un lien de type nouveau se tisse dans la conception du développement en relation avec l’environnement. Calqué pendant un moment sur des principes occidentaux, il semblerait que la formulation de certains problèmes et les méthodes appliquées en conséquence soient plus propres aux dirigeants de ces pays. Même Singapour, si profondément occidentalisée, cherche des solutions dans un confucianisme tous les jours revendiqué haut et clair. Cette quête d’une nouvelle voie correspond à l’assimilation d’une certaine forme de pensée occidentale, retransformée pour s’intégrer dans le corps culturel local. La forte poigne avec laquelle ces pays sont dirigés ne ferme cependant pas toutes les portes à des formes d’expression populaire que nous qualifierions de démocratiques. L’adoption des principes de développement durable s’intègre progressivement et profondément dans ces sociétés. Elle est mieux en phase avec la vision du monde que les différentes communautés de l’ensemble malais ont. ENVIRONNEMENT ET ACTION POLITIQUE : LA RECHERCHE D’UN DÉVELOPPEMENT DURABLE Un contexte affirmé La transformation de la région par l’expansion coloniale a permis la structuration et l’affermissement d’États au sein de frontières définies, qui ont souvent mis un terme aux contestations sur la légitimité des ressources, sauf pour celles qui se trouvent dans les mers, car elles se meuvent continûment et rendent les notions de « territorialité maritime » infondées. Toutefois, la fixation de ces frontières n’a pas toujours tenu compte des réalités humaines. Elle s’est traduite souvent par la domination d’une ethnie sur une autre, par des conflits de type centre/périphérie, grâce aux nombreux moyens modernes comme les recensements démographiques et économiques, par les plans de développement. Elle a aussi engendré des conflits entre les différents départements ministériels, particulièrement entre ceux en charge des ressources naturelles, comme les forêts ou les mines, et ceux de l’agriculture, de l’expansion économique – i.e. de la planification. Elle se traduit encore par une querelle des anciens et des modernes en matière technologique et culturelle. « A mesure que le changement environnemental induit par l’homme s’est intensifié pendant le vingtième siècle, la propension de l’Etat à différencier les ressources « scientifiques » des « non-scientifiques » s’est accrue, et par là même a exacerbé les conflits environnementaux. »7 Le rôle prépondérant de l’État, à travers les différents plans quinquennaux de développement n’a pas exclu une participation du secteur privé. Le libéralisme que nous connaissons aujourd’hui n’existait pas réellement il y a encore quelques années. Il est venu s’intégrer progressivement, parfois à la suite de crises économiques qui montraient les limites d’un système trop dirigiste (la Malaisie à la fin des années quatre-vingt). 7. Parnwell et al., 1996, p. 8. 42 Grafigéo 2000-10 Environnement et développement Le secteur privé offre une souplesse, une adaptabilité que ne peut pas avoir le secteur public à cause des impératifs politiques auxquels il doit se conformer. Ainsi faut-il bien prendre en compte l’importance du rôle des multinationales dans le développement de ces pays. Si elles ont axé leur implantation sur l’exploitation des matières premières, si elles ont beaucoup bénéficié d’appuis importants auprès des gouvernements pour leur faciliter les procédures d’exploitation en dépit des législations en vigueur, elles sont aussi un formidable vecteur de transfert de technologies et de dissémination des produits. Ce sont elles qui ont été les premiers moteurs de l’industrialisation de la région. Ce sont elles qui, paradoxalement, sont les diffuseurs et les acteurs de grandes campagnes pro-environnementales comme peut le faire la Shell à Brunei et au Sarawak. Pour importantes que soient les ONG et la contestation publique, la possibilité d’action effective sur les gouvernements reste limitée aux décisions de celui-ci comme peut en témoigner la permanence des protestations contre les projets forestiers et hydrauliques de grande envergure (Bakun au Sarawak, Endau Rompin en Malaisie péninsulaire,…). Entre le couvercle militaire birman et l’action populaire philippine, les gouvernements malais, indonésiens et thai alternent répression et ouverture démocratique. À Brunei, le problème se pose de manière différente : contrairement aux pays précités, c’est un tout petit pays, avec une population qui n’atteint pas encore les 300 000 habitants. La notion de démocratie reste assez faible, puisque le Sultan a un pouvoir absolu8. Les ONG ne peuvent que se féliciter de l’activité du gouvernement dans le domaine environnemental puisque l’état global est très supérieur aux normes internationales. La contestation publique en ce domaine n’a pas ou peu de prise. À Singapour, nous avons le seul cas de démocratie effective de la région ; toutefois, l’autocensure et l’effica- cité du corset pénal font que la contestation en ce domaine reste faible. Les ONG y ont une écoute plus attentive qu’ailleurs malgré certains accrocs, comme celui de l’ouverture de l’axe majeur Singapour-Johore : Bukit Timah fut séparé des aires protégées autour des réservoirs par une énorme voie routière qui empêche par là la reconstitution de la biodiversité dans ces dernières. Le développement durable : une notion contestée Une littérature abondante en faveur de l’environnement met l’accent de nos jours sur les relations entre les élites politiques et économiques avec les citoyens de la base. Elle s’oriente vers l’étude du développement qualifié de « durable ». La définition de la « ressource durable » pose d’épineux problèmes car elle suppose un changement du concept de développement. Comment cherche-t-on en Asie du Sud-Est à rendre les ressources durables ? Que faut-il entendre par développement durable ? Deux principaux types de tensions naissent à partir de l’application de cette notion. Le premier concerne d’anciennes activités contrôlées par l’État et qui ont donné lieu dans le passé à des abus : exploitation forestière, minière, hydroélectrique outrancière. Les gouvernements tentent de remédier à cette image tenace par des mesures qui visent à une meilleure gestion du capital : zonage et réserves forestières, ou replantation de périmètres défrichés. Mais souvent il ne s’agit que de réfections de façade. La deuxième source de tensions s’articule autour des nouvelles activités patronnées par le gouvernement comme l’écotourisme, le reboisement, … Ces nouvelles activités débouchent sur une perturbation des populations locales car les expropriations sont parfois très mal ressenties et toujours mal indemnisées. Les inégalités économiques entre les bénéficiaires et la base locale s’en trouvent renforcées. 8. La seule assemblée régulièrement élue a été dissoute en 1962. Les sultans attendent toujours le bon moment pour les convoquer à nouveau et autoriser le multipartisme. Grafigéo 2000-10 43 Transformations environnementales dans le monde malais Après un siècle d’administration coloniale, les politiques locaux font l’apprentissage des responsabilités gouvernementales. La prise de conscience environnementale est une preuve de cette évolution. L’homme providentiel ne suffit plus : le gestionnaire doit penser le long terme afin de limiter les impacts de sa politique à court terme. Beaucoup reprochent aux politiciens de faire de la politique politicienne, qui ne se préoccuperait que des échéances électorales, et des avantages du pouvoir. Singapour offre un bon contre-exemple, puisque dès les premiers moments de l’indépendance, la question environnementale a fait partie des plans d’urbanisme. Cette ville sert même de référence à ses voisins pour tout ce qui est de la mise en œuvre de techniques en milieu équatorial. Le rôle de la rhétorique dans toutes les politiques devient ainsi fondamental et renouvelle d’une certaine manière la casuistique : comment donner un cadre légal qui soit suffisamment contraignant, tout en restant suffisamment flou de manière à pouvoir trouver des accommodements dans les cas épineux sans favoritisme ni infractions volontaires ? « Alors il n’est pas surprenant que le problème du contrôle de la formulation et de la mise en œuvre des politiques de développement durable intéresse de manière croissante l’opinion. A première vue, il semblerait aller de soi que cette tâche revienne à l’État. Toutefois, […] l’action souvent conjointe de l’État et du secteur privé a joué un rôle important dans la génération des problèmes environnementaux auxquels se trouve confrontée actuellement l’Asie du Sud-est. Comment l’État peut-il être crédible dans de pareilles circonstances pour mettre en œuvre des politiques qui doivent résoudre ces problèmes ? »9 Il faut donc prêter une extrême attention au problème de la reformulation des messages que les différents acteurs s’échangent. Chaque groupe a son mode d’expression, ses propres définitions. De nombreux malentendus partent d’une impossible compréhen- sion : les mêmes mots ne désignent pas les mêmes choses. Pierre Lascoume emploie le terme de transcodage10 : ce terme paraît particulièrement approprié car il s’agit bien d’un chiffrage des messages qui n’autorise la compréhension qu’aux possesseurs du code. L’opération d’interprétation et de retranscription pousse ainsi à multiplier les approches de l’environnement, non seulement en fonction des cultures très nombreuses dans la région, mais aussi en fonction des groupes sociaux envisagés. Philip Hirsh et Carol Warren (1998 ; 7) l’expriment ainsi : « Des modes variés d’environnementalisme reflètent non seulement des approches philosophiques différentes, mais aussi un large panel d’acteurs qui se sont drapés d’environnementalisme pour servir des agendas politiques, sociaux ou économiques plus conventionnels. Pendant que l’environnementalisme sert assurément à légitimer le discours d’opposition, il sert aussi d’instrument de légitimation à de puissants intérêts travestis. » Il devient difficile dès lors, pour le public de comprendre exactement ce que signifient les mots employés par un chef politique, par une organisation environnementale, par une entreprise nationale ou multinationale. Pour l’un, ce seront des objectifs politiques comme de se constituer une clientèle électorale ou la réelle promotion d’un idéal qui se traduirait dans la réalité ; pour la suivante ce sera tenter de proposer une solution alternative à la politique qui se met en place ; enfin, pour les derniers, ce sera un moyen plus ou moins efficace pour accroître une implantation locale ou pour cacher son intention de ne pas respecter la réglementation en vigueur. Par conséquent, quand on s’interroge sur le développement durable, il faut bien faire attention aux points suivants afin de mesurer la pertinence des discours. En premier lieu, quel est le destinataire d’une politique qui rendrait le développement plus durable : les humains, ou une notion floue d’une entité Terre, rapprochable d’une divinité antique ? En d’autres termes, ce développement serait-il durable dans une conception 9. Ibid., p. 13. 10. Pierre Lascoume, L’Écopouvoir, 1992. 44 Grafigéo 2000-10 Environnement et développement de la Nature qui inclurait ou exclurait l’homme de son système ? Ensuite il est nécessaire de quantifier les objectifs de ce développement : combien de personnes affectera-t-il ? Quels sont les degrés d’implication et l’ampleur du projet ? Une sous-question sera celle de l’échelle du projet : est-ce que cela ne concernera qu’une région, un pays, un continent, le monde ? Quels sont les modèles de systèmes qu’elle prend en compte dans la préparation de ses projets ? Tout aussi nécessaire est la question de la durée du projet : les élites politiques sont prêtes à tous les retournements de circonstance si une question est en vogue, et actuellement l’environnement en constitue une. Quelle sera la durée effective d’une politique de développement durable ? Le temps d’un cycle électoral ? Le temps que les médias en parleront? Le développement durable part du postulat de base que nous ne sommes que les dépositaires des ressources terrestres dont nous profitons. Il ne nous est pas permis d’enlever des chances à nos descendants de profiter d’une substance qui pourrait être d’une utilité très grande pour l’humanité grâce aux nouveaux moyens techniques et scientifiques dont ils disposeraient. Le développement durable se présente d’abord comme une notion utilitariste de l’environnement qui se fonde sur une notion inconsciente du sacré. Il ne remet pas en cause la valeur de la notion de développement puisque nous bénéficions dans nos sociétés européennes d’un niveau de vie exceptionnel tant dans sa qualité que dans son extension. Tel que conçu et véhiculé à travers les instances internationales comme le GATT et l’OMC qui lui a succédé, le FMI ou la FAO et les autres instances de l’ONU, le développement est la panacée aux maux de notre temps. Il permettra à terme une égalisation des chances dans tous les pays du monde et diminuera les risques de conflit qui ont alimenté les grandes crises jusqu’à nos jours : crises alimentaires, conflits d’accès aux ressources : l'eau, par exemple, risque de devenir matière à un nouveau conflit, même dans la région. Le développement, dans sa conception durable, serait la version libérale voire capitalistique, de l’avenir radieux proposé naguère par les diverses sociétés communistes. Le développement durable suppose donc une réflexion sur le moyen et le long terme (échéance 30 à 100 ans minimum) qui dépassent très largement les échéances politiques traditionnelles dont l’horizon se borne à 3-10 ans. Dans le cas de notre ensemble régional, la fermeté des gouvernements, l’absence d’une opposition consistante et la durée des dirigeants permettraient d’envisager ces termes. Or l’ouverture démocratique corollaire d’une amélioration des conditions générales de la société, réclamée avec insistance par les ONG environnementales, ne va-t-elle pas à l’opposé d’une restructuration de l’économie d’un pays ? La restructuration semble nécessiter généralement un exécutif fort pour des résultats rapides comme l’exemple Singapour tend à nous le montrer, avant qu’un laissez-faire que ces mêmes associations environnementales déplorent, ne s’empare des gouvernements. A terme, l’idéal politique véhiculé par les associations environnementales ne serait-il pas plutôt une dictature écologiste? L’Ecotopia11 ne serait-elle pas une illusion dangereuse de conséquences pour les valeurs qu’elle prétend défendre ? Quant à la formulation des politiques de développement durable, on peut aisément dire que c’est d’abord un exercice de style difficile pour les hommes politiques. Cela permet de prendre en compte l’importance croissante de l’opinion sans sacrifier l’affermissement de l’économie. C’est aussi un moyen puissant de donner de la consistance aux arguments écologistes selon lesquels des solutions doivent être trouvées avant que les problèmes ne se posent. On évitera ainsi des 11. L'idée a été formulée par D. Pepper, The roots of modern environmentalism, Londres, Routledge 1984. En 1992, il a aussi publié Eco-socialism : from deep ecology to social Justice, chez le même éditeur. Il est cité dans Environmental Change in South-East Asia, de M.Parnwell et R. Bryant (eds). Grafigéo 2000-10 45 Transformations environnementales dans le monde malais crises économiques aux conséquences sociales graves. La mise en place d’un corpus d’idées et de directives plus ou moins contraignantes relève d’une mission quasiment impossible dès lors qu’il faut réfléchir à des phénomènes d’ampleur mondiale. Les intérêts immédiats et la possibilité des pays sont des arguments qui pèsent lourds dans la balance. La réticence qu’ont eue en 1992 les dirigeants des grands et petits pays de ce monde à ratifier des engagements forts en faveur de l’environnement témoigne de ce problème. Peu sont prêts à s’engager nettement et efficacement dans les politiques. De Rio, peu de choses ont été formellement ratifiées : l’Agenda 21 reste une série de vœux pieux puisque toutes les parties n’ont pas voulu le signer et encore moins le considérer autrement que comme une série de principes de base pour un accord futur. Toutefois, s’il est relativement aisé de réfléchir sur l’utilisation rationalisée et rendue durable d’une seule ressource, il devient beaucoup plus complexe de réfléchir et d’agir en fonction d’un écosystème. Nombre de difficultés surgissent dans la mise en œuvre de toutes les réglementations qui paraissent. La difficulté apparaît dans toutes les prévisions environnementales. Certains versent dans le catastrophisme, remettant au goût du jour des théories malthusienne comme le fait le Groupe de Rome avec son spectaculaire communiqué de 1972, principes perpétués par les associations environnementalistes les plus dures comme Greenpeace. D’autres au contraire, et ils font presque toujours partie des tenants du développement libre, pensent qu’une solution technique apparaîtra en fonction du développement des sciences. Il est vrai que l’on ne pouvait imaginer il y a trente ans que l’action humaine pouvait peut-être se retourner contre les hommes : la foi en la maîtrise des éléments par la technique a été fortement ébranlée par l’ampleur de certaines catastrophes : inondations terribles en Chine, désertification des marges sahéliennes, salinisation des terres en Ouzbékistan dans les grands périmètres cotonniers irrigués, vagues de boues et effondrement des sols dans les villes (Thaïlande, Penang 1993-1999), disparition de la biodiversité. « L’industrialisation d’économies autrefois agricoles, l’urbanisation de sociétés rurales, et la partielle libéralisation d’Etats autoritaires forment quelques tendances parmi d’autres que l’on retrouve à travers la région. Le développement comme un objectif national, pris dans le sens de « rattrapage », a été appliqué ouvertement et souvent agressivement par les meneurs nationaux à la recherche d’émulation dans les formes est-asiatiques de croissance et d’industrialisation. Les conséquences environnementales d’un tel cheminement sont trouvées dans la déforestation, la pollution des cours d’eaux, la dégradation et la conversion des terres agricoles, la qualité médiocre de l’air en ville, le déclin des populations piscicoles et fauniques, et les pénuries dans d’autres secteurs de traditionnelle abondance, alors que de nombreux demandeurs cherchent à profiter d’une ressource-base en déclin. »12 L’énumération des effets négatifs pourrait continuer. Pourtant, les prévisions malthusiennes les plus catastrophistes prévoyaient que la Terre ne pourrait nourrir plus de six milliards d’hommes. Compte tenu des techniques agricoles actuelles, de la capacité à trouver de meilleures solutions par le biais de l’agriculture raisonnée, on estime qu’il est possible de nourrir une trentaine de milliards d’êtres humains. Ce développement est-il forcément rejeté par les populations qui longtemps ont été en dehors des circuits de la « modernité » à l’européenne, tous les aborigènes et autres tribus indigènes ? D’après Ole Brunn et Arne Kalland, ce n’est pas tout à fait le cas : « Un bon nombre de populations habitant les montagnes et les forêts à travers l’Asie sont touchés dans une certaine mesure par le discours environnemental. Bien que certains, qui ont dû faire face à des régimes qui les ont ignorés des décades durant, puissent bénéficier sur le long terme du rattachement de leurs revendications au type d’argumentaire qui prévaut dans les organisations internationales, d’autres risquent de ressentir le nouveau dis- 16. Hirsch et Warren, op. cit., p. 5. 46 Grafigéo 2000-10 Environnement et développement cours environnemental comme une menace sur leurs accès traditionnels aux ressources naturelles […]. Nous pourrions maintenant nous demander comment l’internationalisme moderne est réfléchi dans les problèmes environnementaux et si une réponse internationale à des dégradations environnementales régionales est justifiée par un tel discours. Ou alors, est-ce que la perception occidentale dans ce terrain est un autre exemple de l’universalisme occidental, projetant ses propres défauts sur le monde en voie de développement, apercevant là-bas des solutions à des problèmes auxquels nous nous serions déjà résignés ?[…] »13 Les problèmes environnementaux sont devenus une telle réalité en Asie du Sud-Est que les politiciens se doivent de réagir à la montée du mécontentement populaire. L’économie développée de manière inconsidérée est de plus en plus mal vécue. Surtout quand des événements graves interviennent (comme des incendies ou des inondations ravageurs). Le « développement durable » est entré en force dans tous les discours, mais que recouvre-t-il si ce n’est une vacuité phraséologique, topos nouveau du discours politique. Le pas nécessaire à franchir est celui de son intégration profonde dans le mode de pensée préparatoire aux travaux de développement afin de réduire les risques graves d’instabilité. On ne le franchit pas parce que cela reste du domaine événementiel et qu’il est difficile d’agir tous les jours pour plus tard, parce que le système traditionnel a été transformé et qu’il n’a pas eu le temps de s’adapter aux nouvelles conditions ; parce que enfin, on peut être au courant des problèmes, se dire prêt à agir, mais ne rien faire (cas particulièrement des classes moyennes urbaines) ou en être réduit à subvenir à ses besoins immédiats par manque d’alternative : les squatters sont souvent conscients de leur nuisance, mais ils doivent bien vivre tous les jours. Il devient évident qu’une politique de développement durable passe nécessairement par une politique de redistribution des richesses : les gouvernements ont un relativement libre choix dans cette politique, aucune solution n’est dogmatiquement vraie. Mais elle est particulièrement nécessaire dans les pays où ces inégalités de richesse sont criantes. Elles peuvent passer par une réforme agraire, par des mesures incitatives au développement des classes moyennes garantes d'une certaine stabilité,… et très certainement par le maintien des standards de qualité environnementale. C’est ce que Singapour a compris le premier des trois pays de la région. La Malaisie tente de le mettre en pratique chaque année de manière plus sérieuse. Quant à Brunei, les problèmes ne sont pas assez graves pour exercer une pression suffisante sur le gouvernement. Différents scénarios peuvent se mettre en place : le pire comprend une poursuite des politiques actuelles et il aboutirait à une telle crise de subsistance que des conflits éclateraient entre les nantis et les pauvres qui tenteraient de rejoindre les pôles de richesse. Les catastrophes environnementales se succéderaient les unes aux autres. En Asie du Sud-Est, la conquête des espaces vierges touche à son terme : les réserves en espaces libres, et particulièrement utiles, sont de plus en plus réduites. Les migrants entrent en concurrence avec les populations locales, ajoutant à une pression environnementale accrue, la pression sociale. Conclusion : la recherche de solu tions adaptées Un moyen terme entre l’écotopie et le syndrome de Rome pourrait être trouvé par les politiques éducatives (car ce n’est qu’en changeant les mentalités globalement que l’on peut changer le mode de vie des gens). Une politique autoritaire qui réduit les concentrations capitalistiques autour des capitales, montre ses limites : ainsi Bangkok et la Thaïlande en donnent-ils – de l’avis des auteurs – un des meilleurs exemples d’un État en crise, annonciateur des risques futurs. Faveur sera plutôt donnée à une politique de mise en concurrence des avantages de l’industrialisation légère en campagne, fondée sur des pratiques tra- 13. Op. cit., p. 21. Grafigéo 2000-10 47 Transformations environnementales dans le monde malais ditionnelles adaptées et hautement réactives aux lois du marché, qui peuvent avoir un impact fort dans le développement d’une région tout en restant écologiquement soutenable/durable. La vitalisation du tissu rural, quand elle peut se fonder sur une tradition, peut évoluer vers d’autres formes industrielles et garder ainsi les populations sur place, évitant un surdéveloppement de certains endroits aux dépens d’autres. La perception des lieux d’embauche ainsi que la structure des migrations internes voire internationales en seraient profondément modifiées : quelques expériences ont été menées en Thaïlande, avec le développement d’une industrie à la limite de l’artisanat, dans le retraitement du kapok et des mèches de coton. Toutefois, il ne faut pas voir dans ce développement local et rural une panacée : ce développement n’est possible qu’à un certain point, au-delà duquel les risques environnementaux deviennent supérieurs à la même implantation en milieu urbain, parce que le milieu rural est moins bien préparé à recevoir une forte intensification. Ce serait une base de travail pour mettre en place des politiques à long terme de développement durable. 48 « Nous devons être attentif au risque d’influence ethnocentrique dans toutes les recherches comparatives, et pas uniquement dans le thème de la nature : nos moyens de comparaison sont jusqu’à un certain point limités par des notions culturelles spécifiques. » (Hirsch et Warren, 1998) En d’autres termes, il nous faut faire attention à la manière dont nous envisageons les choses : notre perception des problèmes est européenne. Ce qui peut nous paraître évident ne le sera pas forcément dans un contexte social asiatique. Ces notions sont, nous le voyons, très complexes et ressortissent profondément aux conceptions culturelles propres à chaque civilisation. Nous allons voir à travers l'étude de chacun des trois pays, si une application pratique de ces notions apparaît et si on peut affirmer qu'une voie propre de développement durable naît de leurs tentatives respectives. En effet, si ces trois pays sont issus d'un même ensemble, il est difficile de les traiter de manière identique : un Etat-ville comme Singapour ne connaît pas les mêmes difficultés qu'un grand Etat comme la Malaisie, et Brunei, peu peuplé, vivant de sa ressource pétrolière, n'a rien de vraiment comparable à ses voisins. Grafigéo 2000-10 Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ? Chapitre 3 • Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ? L’ subit de plein fouet toutes les contraintes d’une petite île très fortement peuplée et remarquablement urbanisée malgré l’abscence de réelles ressources naturelles. Son développement rapide et son exemplaire réussite ont suscité beaucoup d’interrogations, surtout de l’admiration et de l’envie de la part de ses voisins. La grande ville n’est pas la première ambition d’un monde malais encore rural mais Singapour est une ville principalement peuplée de Chinois. Les rares activités autres qu’industrielles ou de services ont pratiquement disparu ces dernières années, sauf quelques parcelles rescapées de-ci, de-là pour l’agriculture, et quelques bateaux de pêche. La ville, dont l’extension a doublé depuis son indépendance couvre la moitié de la superficie de l’île. Elle incarne parfois le luxe, comme en témoignent Orchard Road, la grande avenue commerçante, ou les nouveaux développements touristiques de Clark Quay, la rénovation du quartier chinois ou Sentosa. Mais ce sont surtout des développements fonctionnels qui investissent la ville. Les HLM et d’immenses espaces industriels se partagent l’essentiel de la superficie consommée. ÉTAT DE SINGAPOUR Grafigéo 2000-10 On a vu en Singapour la quintessence des « États en développement » parce que la planification du développement économique fut suivie par la constitution d’une infrastructure industrielle et d’affaires, ainsi que par une gestion et un maintien effectifs sans lesquels l’économie n’existerait pas.(Ooi G. L., 1996, 3) Cet aspect organisé, policé de la ville est celui que l’on ressent le plus fortement au premier contact avec Singapour. A tel point que le jeu de mot le plus fréquent à son propos est le surnom de Fine State, l’État agréable mais aussi l’État des procès-verbaux. Le rôle régulateur et planificateur de l’État s’étend partout. Grâce à ce volontarisme sans relâchement, la ville connaît une situation environnementale que beaucoup de nos cités européennes lui envieraient. Depuis le départ en 1990 du grand Premier Ministre de Singapour, Lee Kuan-Yew, qui a accompagné le développement de la ville depuis son indépendance, les successeurs n’ont guère desserré la rigoureuse discipline pour fournir aux habitants le meilleur cadre de vie. Les pics de pollution des années soixante-dix, qui correspondent aux pics de croissance industrielle, ont provoqué une très vive réaction des autorités publiques : parallèlement aux efforts américains (vote 49 Transformations environnementales dans le monde malais carte 3 - Les aires de mangroves entre 1947 et 1987 ont été poldérisées, comme l’indiquent les grisés clairs absents de la légende de l’Environmental Protection Act en 1972), les autorités de Singapour ont pris des mesures drastiques de réduction des polluants industriels et urbains. Ils ont pris aussi des décisions de verdissement et de protection des espaces verts de la ville avec le Green Plan ainsi que des mesures de protection du bâti historique. En effet, dans une ville, le concept d’environnement comprend l'ensemble des éléments qui conditionnent le milieu dans lequel vit l’homme, qu’ils soient artificiels ou qu’ils soient naturels. DÈS LE DÉPART, UNE PLANIFICATION ENVIRONNEMENTALE STRICTE Les contraintes de l'insularité et une situation sociale catastrophique ont marqué les débuts de l’indépendance de Singapour. Ces contraintes pourtant ont été la source d'une grande innovation fortement encadrée par l'État : le libéralisme n’a pas exclu la planification stricte. L'accumulation d'hommes et d'activités sur un territoire 50 exigu a demandé des efforts accrus de réflexion afin d'éviter de graves crises de coexistence. Contrairement à de nombreuses grandes métropoles dans le monde, Singapour a su globalement bien prévoir ses besoins et atteindre des objectifs clairs de développement dans une relative harmonie. Un développement considérable sur un territoire exigu Singapour est constituée d’une île principale et de tout un archipel de petites îles dont les plus grandes dépassent les 1000 hectares (Pulau Tekong Besar, P. Ubin) et les plus petites quelques centaines de mètres carrés. Cet archipel s’étend jusqu’aux îles indonésiennes voisines des Riau. Les dimensions de l’île principale restent modestes : 42 km de « largeur » et 23 de « hauteur » maximale, et une forme que certains comparent à un diamant. L’activité portuaire est à l’origine de Singapour : elle fut choisie par Sir Raffles au siècle dernier en raison de son emplacement Grafigéo 2000-10 Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ? stratégique sur les voies maritimes reliant l’Asie à l’Europe et l’Afrique. L’importance de cet axe n’a jamais décliné. Encore aujourd’hui, le détroit de Malacca que contrôle Singapour à la pointe de la péninsule, reste un des axes maritimes les plus importants au monde. Les conteneurs en provenance de la Chine, de l’Indochine, du Japon, de la Corée et d’une bonne partie de l’Océanie transitent tous par Singapour, et les flux en provenance de l’ouest ne sont pas moins nombreux. L’Europe, l’Afrique et le sous-continent indien alimentent les très riches marchés du Japon, de la Corée et les besoins technologiques de toute l’Asie. L’activité portuaire après l’indépendance a très rapidement été ouverte à tous les développements industriels : usines de montages automobiles, chantiers navals, usines textiles, raffineries, pétrochimie se sont succédé rapidement afin de résorber la quantité de chômeurs à l’indépendance. L’essor de l’industrialisation commence dans les années soixante dans le site de Jurong (ouest de l’île). L’aspect manufacturier a d’abord dominé avec des chaînes de montages et de fabrication de produits jusque-là importés, puis dans les années quatre-vingt avec des chaînes destinées à l’élaboration de produits d’exportation à haute valeur ajoutée. Ces dernières requièrent moins des matières premières qu’une main-d’oeuvre hautement qualifiée et des infrastructures puissantes de communication. On constate en comparant les cartes des activités industrielles et des polders que l’essentiel des aménagements préserve la capacité et la qualité de l’accueil portuaire : la santé économique de l’île, malgré la part importante du secteur tertiaire dans le PNB, passe par son maintien au premier plan régional pour les activités portuaires. Plusieurs villes dans les pays voisins se posent en candidats potentiels (et encore loin derrière) à la succession, et voudraient bien capter ne serait-ce qu’une partie des flux qui transitent par les quais de Singapour. Une telle activité a su également générer une forte quantité de main-d'œuvre qu'il a fallu loger, nourrir et divertir. Les 640 kilomètres carrés de l'île se sont recouverts de bâtiments qui répondent à tous ces besoins. Selon l’estimation intermédiaire de 1997, la population totale résidente à Singapour est de 3 103 500 habitants, avec un taux de croissance annuel stabilisé ces huit dernières années de 1,9 à 2 % l’an, soit un doublement de la population tous les 25 ans. Ce rythme soutenu de croissance de la population résidente reste inférieur à celui de la population totale de Singapour qui grimpe à 3 736 700 ressortissants pour 1997 avec un taux de croissance de 3,5 %1. Le logement d’une telle masse de population doit obligatoirement faire l’objet d’une planification rigoureuse. Comme le démontre bien Paul P.L. Cheung2, Singapour réfléchit depuis longtemps au problème. Si la question d’un surdéveloppement de la population a toujours été une préoccupation, la question d’un sousdéveloppement apparaît tout aussi grave de conséquences. La gestion de la population de Singapour doit à la fois répondre aux contraintes économiques et environnementales. En 1966, est créé un centre de planification familiale. Vingt ans après, le taux de natalité chute de 70 %, le taux de fertilité passant de 4,5 à 1,4 en 1986. Deux conséquences sont à prendre en compte : la première, un taux de fertilité décroissant constamment avec une économie en croissance constante a permis de multiplier par 28 le revenu par habitant, pour atteindre en 1990 les 17 800 US$. La deuxième est le manque de main-d’œuvre pour répondre au développement de cette économie, de là l’appel à de la main d’œuvre étrangère. Le taux de fertilité largement inférieur au seuil de renouvellement des générations et la menace d’un survieillissement de la population avec ses conséquences sur la créativité économique, ont entraîné une révision de la politique de 1. Source : Monthly Digest of Statistics, Singapore, March 1998, Department of statistics, Singapore, 1998, 98 p., p. 3. 2. Ooi Giok Ling (ed), op. cit., Planning within limits : population policy and sustainable population growth, p. 100-108. Grafigéo 2000-10 51 Transformations environnementales dans le monde malais natalité en 1987. En 1994, le taux de fertilité était remonté à 1,8. Deux orientations nouvelles sont débattues au sein de la planification familiale : une population de 5 millions serait souhaitable, pour atteindre une masse critique nécessaire à la créativité, au renouvellement des bases économiques, surtout en raison du développement des activités outre-mer. Pour d’autres, le but des 5 millions est irréaliste : la pression environnementale serait trop forte et la qualité de vie s’en trouverait dégradée (comme à Hongkong). La stabilisation du taux de fertilité autour de 1,8 permet d’envisager sur le long terme une structure en obus quasi-parfaite de la pyramide des âges. Le recours à une population étrangère doit se faire en pratiquant le drainage des cerveaux, donc des compétences. Le logement de toute cette population et l’activité à lui donner font que l’île est aujourd’hui urbanisée à 50 %. Ces bâtiments ne sont pas tous d'une élégance rare car la pauvreté de l'île à ses débuts et les bâtiments anciens, insalubres qui abritaient l'essentiel de la population au moment de l'Indépendance, ont poussé à la construction rapide de grands ensembles HLM et à la destruction des quartiers les plus vétustes de la ville. La population pouvait désormais vivre et travailler dans des conditions décentes à défaut d'agréables. Le Concept Plan et sa vision des interactions hommes-environne ment Cette planification de la population qui a permis l'assimilation d'une telle quantité de personnes et la présence de tant d'activités est formulée dans le cadre des Concept Plans, à l'œuvre depuis la toute fin des années soixante. Le premier a été établi entre 1967 et 1971 avec l’appui de consultants du Programme de Développement des Nations Unies3. Les interactions hommes-environnement ont été tout de suite incluses dans les programmes. On a pensé la relation de manière systémique, conformément au principe de l'écologie scientifique : chaque être vivant établit toute une série de liens avec son environnement. Ces liens permettent au sujet d'être informé des résultats de son action sur son milieu de vie. La mauvaise qualité du logement et le manque d'infrastructures de retraitement des effluents créaient une pollution importante. Le Concept Plan a prévu sur le moyen-long terme (30 ans) un équilibre entre la population et les nécessaires infrastructures qui permettrait de vivre correctement. L'environnement a tout de suite été pris dans sa globalité, et bien centré sur les besoins humains. La première étape fut la séparation des fonctions de la ville, en particulier des fonctions de fabrication, commerce et logement. La structuration de la ville fut complètement repensée avec la construction de grands axes de transports privés et publics. Cette mesure a permis le relogement d'une bonne part de la population et de ses activités dans des conditions sanitaires qui correspondaient à des standards internationaux de qualité. La coopération entre les différentes agences gouvernementales permit aussi de régler les problèmes qui se posent au niveau de l'interface homme-environnement et d'éviter des catastrophes. Les activités humaines ont ainsi été concentrées, le logement repensé et la circulation améliorée. L’archipel de Singapour voit sa superficie s’agrandir chaque année4 : la poldérisation est indispensable pour développer les activités d’échanges industrialo-portuaires. Presque tout le pourtour de l’île principale et des îles les plus proches, en dehors de quelques périmètres protégés, est activement poldérisé (carte 3) de sorte que de nombreux îlots sont réunis ou le seront dans les prochaines années. Les roches nécessaires sont extraites soit de l’intérieur de l’île, 3. On se réfèrera à l'excellente compilation Ooi Giok Ling (ed). City and the State, Singapore's built environment revisited. Sur le Concept Plan, plus spécifiquement : Liu Thai Ker, « Towards a Tropical City of Excellence », p. 31-43. 52 Grafigéo 2000-10 Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ? à partir des résidus de construction ou des carrières, soit par dragage des fonds marins autour de l’île. De nos jours, la planification des développements de la ville s'attache à prévoir la déconcentration des masses de population dans de nouveaux noyaux urbains. Les espaces verts n’ont pas été délaissés. On préserva sérieusement les dernières poches de verdure naturelle qui subsistaient dans quelques secteurs de l'île, comme autour des réservoirs et au niveau de Bukit Timah, le point culminant de Singapour. Depuis 1968, le but du gouvernement est d’obtenir « Une ville verte et propre ». Toutes les mesures vont dans ce sens, que ce soit les plantations massives d’arbres, ou surtout l’arsenal législatif relatif à ces problèmes de pollution et de protection de la nature sur l’île. L’objectif « Green City » doit être atteint aux alentours de l’an 2000. Le problème de l'eau douce qui n'est pas disponible en quantité suffisante sur l'île nous l'a déjà fait comprendre : toutes les activités humaines ne doivent pas dégrader les qualités minimales de l'air et de l'eau, indispensables à la vie. Une législation particulièrement contraignante s'est construite afin que le citoyen s'implique personnellement dans le bon déroulement du plan. Singapour est une ville moderne, fruit de nombreuses réflexions. Elle s'est développée sur des bases assainies, et surtout réfléchies dans un sens qui à la fois intègre les réalités du présent et prépare aux impératifs du futur. Afin de créer un élan citoyen et de prévenir les dérives fatales à l'essor et à la survie de Singapour, la législation « corsète » la vie quotidienne des habitants de manière parfois vétilleuse. Le succès a été à ce prix. UN CADRE LÉGAL CONTRAIGNANT, À LA POINTE DES MESURES DE PROTECTION L'homme reste au centre des préoccupations des législateurs qui pensent la ville. Elle doit offrir sécurité, agrément et travail pour éviter une fatale hémorragie de ressources humaines. L’éducation civique passe Grafigéo 2000-10 par l'apprentissage de règles communes qui ne sont pas là pour réduire les libertés, mais au contraire garantir un cadre de vie propre et sécurisant. Les dispositions législatives tentent de faire la synthèse entre une forte répression et une planification d'espaces de détente dans lesquels les personnes peuvent se ressourcer et se sentir chez elles. Une cohabitation entre les fonc tions urbaines malaisée mais précisément orchestrée Figure 1 - Planification des projets industriels et de logement à Singapour Projet de construction ou de réhabilitation Ministère de l'environnement Contrôle de bâtiments par le Building Control Division inclus dans la Public Works Departement Central Building Planning Unit (Ministère de l'Environnement) Construction Acceptation Vérification Refus BCD donne le Temporary Occupation Permit (TOP) ou le Certificate of Statutory Compeltion (CSC) Source : d’après Jo Hui, dans Ooi Giok-Ling, 1996. Singapour est trop petit pour laisser de larges espaces-tampons entre les différentes activités. Afin de maintenir un bon niveau environnemental, une coopération étroite entre les urbanistes et le Ministère de l’Environnement permet de réaliser des études d’impact préparatoires et d’inclure dans les projets des mesures préventives à la pollution (figure 1). Le schéma montre que le Ministère de l’Environnement a un rôle important de coordination entre les services des différents ministères qui sont concernés par le développement de la ville. Il agit dès l’amont, et procède ensuite aux vérifications d’usage une fois le projet lancé dans sa réa53 Transformations environnementales dans le monde malais lisation. Nous pouvons voir ainsi comment un Etat procède de manière « pro-active » pour l’environnement. L’importance des activités industrielles a provoqué des pollutions. Singapour a dû réagir rapidement et sévèrement pour maintenir une qualité de vie décente. L’industrialisation et la pollution aérienne ont connu un pic dans les années soixante-dix. C’est alors que le gouvernement a pris en compte avec une détermination accrue les problèmes environnementaux. « Les circonstances particulières de Singapour [petitesse, densité de population et industrialisation] l’ont forcée à pratiquer le « développement durable » bien avant que cela ne soit considéré comme important et ne soit mis en œuvre dans de nombreux pays du monde. »5 On créa en 1970 une Unité Antipollution sous la responsabilité directe du Premier ministre, chargée de la surveillance de la qualité de l’air. La constitution d’un Ministère de l’Environnement suivit en 1972, pour surveiller la qualité des eaux, la santé publique et les services sanitaires… Les deux services ont été réunis en 1983 pour plus d’efficacité. Le but du Ministère est de maintenir un standard d’environnement à un niveau qui garantisse le bien-être de la population. On emploiera toutes les technologies préventives disponibles en tenant compte des coûts et de la mise en pratique, à court, moyen et long terme. La planification et le contrôle préventif sont assortis de tout un arsenal de punitions qui ne laisse aucune latitude aux pollueurs et doivent permettre une mise en œuvre des politiques : en cas d’infraction, la peine est très lourde. Singapour se donne les moyens de contrôler l’efficacité de ses politiques à travers le réseau de points de contrôle. Grâce à une surveillance quotidienne et à des encouragements à la délation des pollueurs, Singapour a conservé des indicateurs environnementaux nettement au-dessus des recommandations internationales pour la qualité de l’air et des eaux. Le rapport annuel du Ministère de l’Environnement6 donne en comparaison avec ses statistiques les données et objectifs des organisations américaines et de l’OMS : le dioxyde de soufre, par exemple, se situe à des taux oscillant entre 20 et 35 microgrammes/m3 en moyenne annuelle, alors que les recommandations de la United States Environmental Protection Agency (USEPA) donnent 80 µg. Les taux de dioxyde d’azote tournent autour de 30-40 µg en moyenne annuelle (en augmentation ces dernières années), alors que les recommandations de l’USEPA sont de 100 µg/ m3 et les objectifs à long terme de l’OMS sont de 188-320 µg/m3. Plus symbolique encore est le taux de plomb en suspension dans l’air : les recommandations de l’USEPA donnent un taux moyen annuel de 1,5 µg/m3, et les taux de Singapour sont en décroissance constante et pour 1997 sont systématiquement inférieurs à …0,1 µg/m3 ! Ces chiffres ne doivent pas pour autant cacher les autres : ces incontestables réussites sont contrebalancées par une augmentation constante du nombre des jours de pollution aérienne. Il est notable que les plaintes dans ce domaine suivent une courbe parallèle à celle de l’accroissement de l’activité industrielle, mais elles sont aussi le fait de la prise de conscience croissante par la population des problèmes à la suite d’une politique active d’éducation des masses : émissions télévisuelles, pédagogie dans les classes, Clean and Green Week…et répression par des amendes très fortes : prison et amendes supérieures à S$ 50 0007 sont régulièrement appliquées. Toutes les fumées industrielles doivent être contrôlées et soumises à des instruments de surveillance. Toute combustion à l’air libre est interdite afin de réguler le taux de particules en suspension dans l’air. Les réglementations concernant les véhicules sont calquées sur des standards internationaux comme ceux des Etats-Unis, de la Communauté Européenne ou de l’OMS. Son 5. Ibid., p.13. 6. Annual Report '97, Ministry of Environment. 7. A l'automne 1998, le S$ valait 3,55 francs français, soit un peu plus de 0,5 Euros. On compte actuellement (printemps 1999) 4 francs pour un dollar de Singapour. 54 Grafigéo 2000-10 Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ? acceptation des grands accords internationaux rend la législation chaque jour plus stricte surtout quand il faut respecter les objectifs fixés (comme celui de stabiliser aux alentours de l’an 2000 les émissions de CO2 à la valeur de 1991). Afin d’encourager l’utilisation des transports en commun, la simple immatriculation d’un véhicule à Singapour coûte environ S$ 50 000, et toutes les mesures obligatoires de réduction des effluves polluantes sont régulièrement mises à jour : essence sans plomb, pots catalytiques, et autres moteurs « propres » sont imposés. Enfin, tout stockage de substances dangereuses est très strictement contrôlé. Il est interdit de les installer près des zones résidentielles, et il est imposé aux industriels d’avoir tous les éléments de protection, de recyclage et de confinement lors de leur utilisation ou de leur transport, lequel est soumis à autorisation. La surveillance est annuelle voire mensuelle pour les industries les plus polluantes. Les contrôles se font à l’improviste. « Depuis septembre 1986, le Pollution Control Department a introduit un Plan d’Audit de Sécurité pour les installations dangereuses de manière à pousser les industries à identifier et à rectifier systématiquement les faiblesses de leurs systèmes de gestion et les pratiques de transport des substances chimiques dangereuses. Pour commencer, 47 installations ont dû procéder à un audit annuel sur leur gestion des produits chimiques dangereux et soumettre leur rapport [au] Ministère. Les industries peuvent soit mener leur propre étude d’audit en interne, soit engager des consultants accrédités pour le faire à leur place. »8 Une petite Suisse asiatique La propreté est une des pierres angulaires du système. La ville a réussi son développement grâce aux mesures d'amélioration de l'hygiène, faisant mentir les traditionnelles associations entre ville de climat chaud et insalubrité. En témoignent les systèmes de collection des effluents, des déchets, l'amélioration sanitaire générale obtenue par un assainissement systématique de tous les nids à microbes et surtout à moustiques. Dengue et malaria sont des maladies devenues très épisodiques à Singapour alors qu'elles sont encore endémiques dans toutes les villes voisines. Particuliers comme industriels sont tenus de se munir de tous les moyens de récupération et de collecte des déchets solides car la collectivité ne prend en charge qu’une partie de cette activité (pollueur = payeur). Le rapport annuel du Ministère de l’Environnement affiche clairement les objectifs : il s’agit de stabiliser puis réduire la masse de déchets produits par les activités et la vie quotidienne du pays. Le stockage n’est possible que dans des limites étroites imposées par la petitesse du territoire, les décharges sont désormais construites offshore, respectant les normes environnementales les plus strictes et dans un souci de pédagogie, des coupes explicatives illustrent les rapports. Les rues sont généralement propres car il est interdit de déposer ses déchets dans la rue sauf un peu avant le passage des bennes à ordures. Tout comme il est interdit de jeter quoi que ce soit en dehors des nombreuses poubelles qui jalonnent les rues. Chewing gum et autres produits semblables ont même été un temps interdits. Les amendes pour dégradation de bien public sont suffisamment dissuasives. Toutefois, après le passage de personnes étrangères à un complexe immobilier, des conflits de voisinage peuvent naître à propos de la responsabilité du nettoyage des détritus sur les accès publics dépendant de la communauté. Dénonciations, surveillance et volonté de garder son ensemble propre méritent à la ville son surnom de Fine State. De nos jours, il arrive cependant d'apercevoir des papiers qui traînent en dehors des bacs, négligence surprenante pour ceux qui ont visité Singapour quelques années auparavant. La qualité de l’eau fait l’objet des mêmes attentions puisque c’est une ressource stra- 8. Fong Chee Leong, Environmental Pollution control Legislation in Singapore. In Environmental Strategies for the 21st Century, an Asia-Pacific Conference, p.38. Grafigéo 2000-10 55 Transformations environnementales dans le monde malais tégique pour l’île. Depuis 1972, un vaste programme de collecte des eaux usées et de retraitement des déchets permet de conserver la potabilité, mais aussi l’usage récréatif de tous les cours d’eaux et des eaux côtières : en 1996, 97 % des eaux usées étaient collectées par le réseau d’égouts et traités par six grandes usines. Les 3 % restants ont leur propre système de traitement des effluents (fosses septiques, bassins de rétention et pompages réguliers,…). Différentes mesures ont été prises pour assainir les égouts et les effluents urbains domestiques. Singapour est peut-être la seule ville de la région dont le réseau de collecte des eaux usées et le retraitement des déchets couvre plus de 90 % de la population. Une des grandes fiertés du Ministère est d’avoir réussi à nettoyer entièrement la Singapore River, égout à ciel ouvert à la fin des années soixante-dix, cours d’eau propre désormais, réaménagé pour les activités touristiques, dans lequel la faune se réinstalle moins de dix ans après. Le cadre de vie urbain bénéficie d’une qualité sanitaire extraordinaire par rapport à la plupart des villes d'Asie. Une nouvelle étape du développement urbain se propose d’intégrer davantage la nature dans la vie quotidienne des citoyens. Les éléments naturels eux-mêmes sont agencés par les autorités gouvernementales et entrent dans le concept de ville nouvelle. UN CADRE NATUREL PHAGOCYTÉ PAR LA VILLE La végétation et la biodiversité étaient autrefois importantes, mais l’extension des activités humaines dans une superficie aussi limitée réduit considérablement les espaces naturels : la moitié du territoire est recouverte par des infrastructures urbaines. Dès les années 1880, l'île avait été défrichée à 82 %. Les études menées prouvent qu’un tiers des espèces animales ou végétales qui habitaient l’île de Singapour ont aujourd'hui disparu, et un autre tiers est menacé de disparition. Des réserves ont été créées dès 1908, et aujourd’hui 5 % de la superficie 56 sont couverts par les différents types de réserves créées à Singapour. Les règles les plus strictes de protection sont prises dans les parcs et réserves naturels. Quelle place accorde-t-on à la Nature dans un environnement qui s'artificialise chaque jour un peu plus ? Une nature originelle en voie de disparition Seules quelques traces de la dense forêt d'autrefois subsistent. Tous les types de végétation n'ont pas été affectés de la même manière par le développement de la ville. L'artificialisation est progressive et inévitable car la taille de lambeaux de nature ne permet plus l'auto-réparation ni le maintien d'une biodiversité identique à celle de la forêt des origines. La protection de la nature est régie par le National Parks Act et les NP Regulations de 1990. Seuls deux Parcs nationaux existent : Botanic Gardens et Fort Canning. Quelques Nature Reserves protègent l’essentiel de la végétation climacique comme à Bukit Timah et dans la Central Catchment Area. Tous les animaux et parties de ces animaux, toutes les plantes et parties de ces plantes, sont totalement protégés. Dans les Aires de captage, la réglementation spécifique est aussi catégorique sur la protection des animaux, mais les pénalités sont moindres, faute d’une législation appropriée. La législation est plus souple dans les autres types de parcs, bien qu’elle interdise l’atteinte à l’intégrité des animaux ou de leurs petits. Pour le reste de l’Ile, le Wild Animals and Birds Act interdit la chasse ou la capture sans permis, sauf pour les corneilles, les étourneaux brillants des Philippines, les pigeons, les étourneaux à dos pourpre, les mynah communs ou à gorge blanche. La protection offerte sur terre est mieux appliquée et mieux encadrée que la protection de la biodiversité marine. Singapour a eu une politique efficiente de résorption des polluants rejetés par la ville dans les eaux. Elle peut se targuer d'avoir des côtes chimiquement et organiquement propres en dépit d'un important trafic maritime. Malgré cette Grafigéo 2000-10 Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ? réussite, Singapour n'est pas arrivé à protéger ses écosystèmes amphibies ou totalement marins qui sont en régression rapide et nette. La pollution maritime fait donc aussi l’objet d’une attention particulière, en raison de la fréquentation extraordinaire du détroit de Malacca, du développement rapide des activités de loisir et de tourisme en liaison avec la mer, ainsi que de l’aquaculture. Fondée sur les législations australiennes et anglaises, la législation pour la protection de la mer met en œuvre la Convention MARPOL 1973-1978. Des amendes allant jusqu’à 500 000 S$ peuvent être requises. La protection de la biodiversité marine est assurée par les réglementations du Fisheries Act. Malheureusement, mis à part les conditions imposées pour la pêche, aucune législation spécifique ne protège la faune marine. Par exemple, Singapour possède dans ses eaux territoriales 66 récifs coralliens en plein passage des bateaux. Ces récifs sont très menacés par la récolte des coraux (tourisme et aquariophilie), par les pollutions diverses, ou par l’envasement rapide consécutif à la poldérisation. Cette portion de nature originelle est la plus faiblement protégée car le milieu marin propage très rapidement la pollution (comme lors de la marée noire du 15-10-1997 due à la collision de deux pétroliers dans la fumée). Le cadre législatif n’est pas contraignant à l’excès afin de ne pas détourner le trafic maritime vers les villes concurrentes. Toutefois l'application de la loi quand les infractions sont avérées est tout aussi sévère que sur terre. Mieux lotis sont les habitats amphibies. Les mangroves qui autrefois ceignaient complètement les îles de l’archipel, ont presque toutes disparu à cause de la poldérisation, des aménagements portuaires ou urbains, de l’importante teneur en sédiments des eaux côtières, ou encore des bassins aquacoles. La carte de Singapour (carte 3) montre bien la diminution des superficies en mangroves. Toutefois, des opérations de reconstitution ou de restauration des forêts ont des résultats tout à fait probants. A Sungei Buloh, on peut rencontrer encore toutes sortes d’animaux et de plantes, les crabes montent sur Grafigéo 2000-10 les palétuviers, les varans chassent les petits animaux sans crainte de l’homme. C’est aussi une aire de repos sur les chemins migratoires des oiseaux de la région. On peut les observer d'assez près, derrière des paravents ou depuis l'intérieur de cabanes. Ce parc est un des plus récents ouverts au public. Il est né de la restauration en mangroves de bassins aquacoles entourés d’une parcelle restée naturelle. Il faut donc pour que cet écosystème subsiste dans l'île, que l'homme intervienne profondément et prépare le terrain de manière à réunir les conditions nécessaires à son maintien. La canalisation des eaux de marée et des eaux douces qui alternent selon l'heure du jour font de cet endroit comme il en est d'autres autour de l'île, un espace artificiel, paysagé comme un jardin. La Garden City, héritage anglais ou nécessité ? Le jardin à l'anglaise, mélange harmonieux de végétaux qu'on laisse croître « naturellement », est un concept romantique, réplique opposée aux jardins dits « à la française » dans le dernier quart du XVIIIe siècle. La création de jardins botaniques, à la même époque, offrit la possibilité de joindre l'utile à l'agréable. La science botanique explosait avec les grands voyages scientifiques et trouvait dans ces jardins un lieu pour déposer le fruit de ses récoltes. Les sociétés savantes pouvaient s'en servir ensuite comme de vitrines pour financer d'autres équipées et susciter un intérêt croissant pour leurs recherches. Le citadin trouvait des buts de promenades, à la fois instructives, récréatives et hygiéniques : la ville enfumée, empoussiérée par les industries n'était pas saine ni pour le patron, ni pour l'ouvrier. Tous trouvaient ainsi dans ces jardins spécialisés et dans les parcs une possibilité de s'extraire de leur quotidien et de se ressourcer un peu. L'art du jardinier profitait donc à toutes les catégories de population. Ces jardins botaniques revêtaient une importance toute particulière dans l'acclimatation de nouvelles espèces au sein des colonies et des comptoirs, afin d'améliorer 57 Transformations environnementales dans le monde malais « les déficiences des espèces locales », d'améliorer les qualités paysagères et afin de générer un maximum de profits. Certaines espèces de haute valeur commerciale, dont l'Europe faisait un grand cas, ont passé les premières les portes de ces jardins : souvenons-nous de Pierre Poivre qui dans son Jardin des Pamplemousses, fit transiter la précieuse noix de muscade et l'inestimable clou de girofle à la fin du XVIIIe siècle. Au XIXe siècle, ce fut plus particulièrement l'hévéa, « volé » au Brésil, qui fit la richesse de la Malaisie. Mais de nombreuses autres espèces ont transité par ces jardins, comme le cacaoyer, le palmier-à-huile, les différentes espèces de plantes à fleur africaines, américaines comme l'hibiscus, l'arbre du Voyageur,… Ainsi le Jardin Botanique de Singapour trouve-t-il une ancienne légitimité dans les plans de construction de la ville. Au début des années soixante, priorité était donnée à la « débidonvillisation », et au relogement dans de grands ensembles. Désormais, l’importante activité touristique jointe à la nécessité de fixer de la population, a fait prendre toutes les mesures utiles pour que la ville devienne la plus agréable possible. On veut en faire une Garden City, et c’est ainsi qu’on l’appelle depuis le début des années soixante-dix. Le ministre de la Santé déclarait en 1968 : « L’amélioration de la qualité de notre environnement urbain et la transformation de Singapour en une cité-jardin – une ville propre et verte – est l’objectif déclaré du gouvernement. »9 Il faut introduire dans la jungle urbaine cimentée une nature exubérante dans laquelle la population peut venir se ressourcer (idée tirée des concepts hygiénistes du XIXe siècle). Le concept n’a réellement été mis en valeur au sein du Service des Parcs Nationaux que dans les années quatre-vingt avec le Singapore Green Plan. Fleurs, arbres fruitiers, sculptures, promenades plantées relient tous les espaces verts et les parcs nationaux (ou non). En vingt ans, les dépenses dans ce domaine ont quadruplé, passant de 13,5 millions de S$ en 1975, à plus de 53 millions en 1993. Un standard de 0,8 ha de parc par millier d’habitant est adopté. La qualité des plantations se remarque dès la sortie de l'aéroport. Tous les axes de circulation, particulièrement les nouveaux, sont prévus pour accueillir des arbres qui donneront de l'ombre et diminueront la chaleur emmagasinée par le béton et le goudron mais aussi cacheront les bâtiments les plus hauts, les infrastructures les plus laides comme les passerelles piétonnières ou les lampadaires. Des fleurs de toutes parts investissent les points de lumière que l'on ne peut ou ne veut ombrager. L'ensemble du réseau de parcs reliés par des couloirs de verdure séparés des autres axes de transport, ou encore ce jeu d'écrans végétaux contre la hauteur ou la massivité du bâti, contribuent à améliorer la sensation d'espace libre dans une île qui en manque tant. Le Green Plan prévoit des activités éducatives de toute sorte, pour créer une Environmentally Pro-Active Society10. Il se charge de diffuser l’information sur toutes les pollutions et les moyens d’y remédier lors d’interventions dans les écoles ou des semaines « vertes et propres » qui mettent aussi l’accent sur les autres formes de pollution dans un milieu urbain : le contrôle de la pollution sonore s’intègre alors naturellement dans les priorités du gouvernement. Les limites sont applicables aux bruits de toutes origines, privées ou publiques. Le verdissement et le fleurissement de la ville participent dans le même temps à la réduction des nuisances sonores : les bruits sont cassés par les frondes des arbres, se réfléchissent moins bien sur les murs de béton recouverts par les plantes grimpantes. L'ambiance se feutre un peu et diminue l'oppression visuelle et sonore d'une ville de trois millions d'habitants. L'ensemble des jardins qui composent la ville remplit deux fonctions majeures : l'embellissement et l'assainissement. La protec- 9. Allocution citée par Lee Sing Kong, The concept of Garden City in Ooi Giok Ling (ed), op. cit., 1996, p. 130. 10. Singapore Green Plan : Action Programmes 1993. 58 Grafigéo 2000-10 Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ? tion des fragments originels qui subsistent passe au deuxième plan : au besoin des espèces étrangères à croissance rapide et aux exigences moindres sont importées. En cela, la politique de Ville-Jardin se conforme aux objectifs de mission du Parks and Recreation Department en charge de l'entretien des espaces verts : Développer et garder Singapour comme une belle Ville-Jardin tropicale, remplie de couleurs, de plantes vertes brillantes et bien équipée en parcs botaniques, naturels et de récréation, de sorte que [l'ensemble] remplisse les besoins sociaux et récréatifs de notre population.11 Le cadre naturel originel a peu de chances de survie dans les décennies à venir, face aux défis nouveaux du maintien de la prospérité de Singapour. L'environnement quotidien de la population n'est plus sylvestre, ni agricole, c'est la ville en tant qu'objet physique mais aussi symbolique. L'assainissement de la ville s'est traduit par une politique de relogement des habitants et de réorganisation de la ville, comme Paris du temps de Haussmann. Une ville aussi récente que Singapour, qui mêle autant de populations d'origines différentes, peut dérouter les citoyens à la recherche d’une identité même si la communauté chinoise constitue l'essentiel de la population. Quels peuvent être les supports de l'attachement de ses habitants à la ville lorsqu'elle a été si profondément remaniée, un siècle à peine après sa création, tout en intégrant la dimension touristique qui est une des bases de l'économie locale ? UNE RÉINVENTION DE LA NOTION DE PATRIMOINE URBAIN Le remaniement profond de la structure urbaine, la modernité des formes architecturales ont transformé la relation affective avec les divers éléments du paysage urbain. Cet attachement spécifique qui allie beauté et raison crée un patrimoine sans passé historique là où à l'origine on ne pensait qu'en termes d'efficacité, praticité, d'« excellence ». Cette réaction d’ordre esthétique que certains qualifieraient d'irrationnelle repose parfois il est vrai de manière paradoxale sur des éléments qui ne sont pas nécessairement les plus indiqués mais ils sont devenus symboliques d'un moment historique, d'un art de vivre exemplaire, d'une tradition déjà. L’afflux touristique fonde une grande partie de son attrait sur ces éléments. Une ville touristique sans monuments ? Comme le tourisme est devenu une source importante de revenus, on s’est rapidement rendu compte que l’efficace architecture stalinienne des HLM n’était pas la meilleure façon d’attirer le touriste : ce qui plaisait le plus, c’était le « style colonial » parfaitement exemplifié par les shophouses ou le Raffles Palace, mélange du luxe oriental et anglais, qui réunit dans un exotisme original ce que les deux civilisations ont de plus raffiné. La construction de HLM a répondu à une impérieuse nécessité, comme dans la France de l’après-guerre et de la décolonisation. Il fallait construire pour reloger toutes les personnes qui vivaient dans des bâtiments délabrés, insalubres, véritables bouillons de culture, source de malaria, de fièvre de la Dengue, de tuberculose et d'autres maladies graves. Place nette fut faite un peu partout. On rasa les kampung typiques malais, les vieilles shophouses chinoises et autres bidonvilles salissants. On élimina les si pittoresques marchés de rue, surchargés de foodstalls débordant de nourritures et d’odeurs pénétrantes. L’assainissement était à ce prix. Singapour, sans perdre tout à fait son âme, a relogé sa population dans des logements nouveaux et des infrastructures commerciales adaptées (photo 3). De sorte qu’aujourd’hui encore, 90 % de la population ou presque vivent dans les logements 11. Parks and Recreation department, Singapour, cité dans Ooi Giok Ling, Environment and the City,… p. 131. Grafigéo 2000-10 59 Transformations environnementales dans le monde malais publics. La politique de ségrégation raciale des premiers temps de la colonisation a été timidement remise en question. On reste encore autant que possible entre Chinois, entre Indiens, et entre Malais. Les Européens s’installant dans les interstices, surtout dans les zones résidentielles riches à l’urbanisme fort agréable. Quelques bâtiments autrefois dépassaient les autres, c’étaient principalement les pagodes, les temples et les églises, dont CHIJMES (l’abréviation désignant la cathédrale catholique) était le phare. Désormais, avec le développement des gratte-ciel, le paysage a complètement changé. La taille des immeubles a dû être limitée pour ne pas gêner les avions en phase d’approche ! D’une ville relativement plate, peu organisée et « traditionnelle » selon les critères du sud-est asiatique, on est rapidement passé à une zonation très planifiée, qui fait la place à des constructions de luxe, d’agrément, symbolisant par leur hauteur la réussite économique et sociale du pays. Mais ce n’étaient pas encore de vrais monuments, il n’y avait pas réellement de vue architecturale définie de l’ensemble de la ville qui permît un réinvestissement patrimonial. Singapour doit être la meilleure dans tous les domaines. On développe à nouveau certains centres urbains, on décentralise les activités, on crée des lieux monumentaux pour accueillir le flâneur local et attirer le touriste. Marina Bay, l’ancien port de commerce, et Clark Quay sont devenus les phares du renouveau monumental de la ville : on restaure, on élève des gratte-ciel qui correspondent à des critères précis et ne sont plus uniquement faits de bureaux. Aussi les parcs récréatifs et paysagers prennent-ils toute leur importance en tant que poumon vivant dans l'univers minéral. Des statues sont élevées, avec un goût que l’on peut discuter, comme en témoigne le monstrueux (ne serait-ce que par la taille) Merlion, effigie emblématique de Singapour totalement inventée qui trône dans Marina Bay … et dans tous les dépliants touris- tiques! Des centres de loisirs sont créés, comme Sentosa Island que l’on pourrait surnommer l’île des plaisirs. Mais aussi le Parc d’attraction chinois, racontant l’histoire mythique de la Chine. Plus symbolique et originale est la volonté de faire de la ville entière un monument dédié au végétal : le Green Plan relève aussi de cette conception monumentaliste de la ville. On ne sait pas si c'est la ville qui met en valeur le végétal ou si c'est le végétal qui met la ville en valeur. Il faut créer des éléments qui vont être la vitrine du pouvoir et de sa réussite. Il faut que ces gestes architecturaux correspondent à l’idéologie nouvelle qui anime Singapour depuis son indépendance. Le choix de la statuaire n'est pas plus anodin qu'ailleurs. Si on fait appel à des artistes locaux et internationaux pour les emplacements choisis avec soin, on attend aussi que les statues puissent servir à la diffusion de valeurs morales dans la population. Les valeurs du patriotisme, de la piété filiale et du dévouement peuvent être apprises à partir de telles sculptures comme les héros de la Chine exposés à Marina City Park. D'autres sculptures expriment aussi les aspirations de la jeune nation et de la population de Singapour12. Dans le même ordre d'idée, le Concept Plan inclut le parc de logements publics. Quinze milliards de dollars sont prévus en investissements sur vingt ans pour en améliorer la qualité, ce qui permettrait de passer de 20m2 par habitant à 35-40 m2. Cette rénovation passe par la réfection des bâtiments, la pose de nouveaux habillages, mais aussi nouvelles architectures, plus écologiques, et le fleurissement de l’ensemble. L'utilisation d'arbres fruitiers est un exemple intéressant de la volonté d'implication du citoyen dans la vie de la communauté. En effet, ces arbres sont plantés officiellement dans le but de montrer aux enfants comment les végétaux poussent. L'autre but, c'est d'établir des liens entre les membres du secteur en charge de leur entretien, d'apprendre aux gens à respecter le tra- 12. Lee Sing Kong, Concept of the Garden City, dans Ooi giok Ling, Environment and the City, p. 139. 60 Grafigéo 2000-10 Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ? vail d'autrui, de savoir récolter les fruits au moment venu (au propre comme au figuré). Au citoyen de savoir faire prospérer les moyens que le gouvernement met à sa disposition (photo 4). La ville sera sociale, et verte, monument complet pour un homme moderne, responsable, citoyen et respectueux de l’environnement. Elle mêlera la figure féminine végétale, nourricière, à la figure masculine de l’ordre moral. On trouve l'application de ce principe renouvelé dans les nouveaux logements collectifs privés qui se développent rapidement. Le concept de Condominium témoigne de l'augmentation générale du niveau de vie, permet un désengagement de l'État dans la construction de nouveaux édifices et instille une touche de luxe modulée en fonction de la catégorie de population que les promoteurs visent. Ils sont de plus petite taille et répondent à tous les critères du Concept Plan révisé. Il faut encore que les gens se sentent réellement chez eux, et non dans des « machines à habiter », si luxueuses soient-elles. Une nouvelle conception de l’urbanisme : les lieux de mémoire Si à l’étranger, les Singapouriens se reconnaissent une identité commune, il n’en va pas de même à l’intérieur de l’île : malgré la prépondérance de la communauté chinoise (plus de 75 % de la population totale), la communauté malaise et la communauté indienne laissent une empreinte identitaire relativement forte dans le tissu urbain. En Juin 199713, l’estimation donnait pour une population totale de 3,103 millions d’habitants, 2,394 millions de Chinois, 437 900 Malais, 230 600 Indiens et environ 41 000 autres résidents, toutes nationalités et groupes ethniques confondus. Entre les influences de Hongkong, de Taiwan, de Chine, d’Inde, de Malaisie, d’Indonésie et du monde occidental, brassées au sein d’une néo-culture de l’efficacité et de la modernité, Singapour reste ouverte à une foule d’idées et de traditions, propa- gées instantanément par les nouveaux médias. La ville est devenue un réel carrefour culturel où le sens identitaire se construit progressivement. Quelle singaporanéité, si on peut dire, proposer pour fonder une identité commune dans laquelle puissent se retrouver les différents habitants de l’île et se différencier de ses autres voisins asiatiques ? Car la conception de l’espace, de son appropriation, est radicalement différente d'une communauté à l'autre : le groupe chinois, imprégné de la tradition confucéenne et des fortes densités d’origine, a un très haut sens de la propriété et de l’ordre qui doit régner en milieu urbain. L’organisation de la société en communautés de quartier, associations et autres sociétés secrètes balise le territoire public de repères d’appropriation, de sorte que la sphère privée déborde sur ce que nous autres occidentaux considérons comme le domaine public. Chaque endroit libre, même au sein d’une maison, fait l’objet d’un multiple compartimentage, un cloisonnement par tous les moyens. Cela permet de faire un chez-soi un peu partout et facilite la vie en milieux très densément peuplés. Cela était aussi la source des nombreux maux qui affectaient Singapour jusqu'à son indépendance puisque 56 % des familles logeaient à l'époque dans une seule chambre, et 7 % autres à plusieurs familles dans le même espace. La pratique est profondément ancrée dans un inconscient culturel que les communautés chinoises véhiculent toujours. Le cloisonnement se retrouve encore dans la façon qu’ils ont de dresser un peu partout des murs protecteurs qui répondent à de nombreux critères de géomancie. Ainsi le grand ensemble d’habitation est-il inconsciemment vécu comme un empilement de compartiments privés : « Le concept du Housing and Development Board de « patios en l’air »(« courtyards in the sky ») emmurés ou la récente tentative d’enclore les espaces des quartiers de murs et de créer des aires de jeux emmurées, évoque des éléments de la culture commune du sty- 13. Source : Monthly Digest of Statistics, Singapore, March 1998. Grafigéo 2000-10 61 Transformations environnementales dans le monde malais liste singapourien. »14 Cette vision se trouve à l’opposé de la perception malaise de l’espace urbain qui ne considère pas ou peu le concept de propriété du sol. Le seul bien, selon la tradition malaise d’itinérance agricole et commerciale renforcée par la tradition islamique, c’est la maison. Le sol est un bien commun dont tout le monde peut jouir du moment qu’il ne gêne pas les voisins et que l’on n’enfreint pas les règles d’appropriation temporaire d’une maison, d’une parcelle agricole ou d’un élément productif (arbres fruitiers par exemples). La rue est un no man’s land, dans le sens où elle n’appartient à personne. Le seul concept d’utilité prévaut dans les règles de possession. De manière très surprenante, ce sens de « non-territorialisation » de l’espace public semble s’être diffusé au sein de la culture chinoise (à l’exception de quelques points très précis, souvent disparus, datant de l’ère coloniale). Maintenant que les politiques de ségrégation raciale ont pris fin, une politique de mélange des différentes communautés est appliquée par le Housing Development Board. Comment faire pour que la place publique ne se transforme pas en arène de combat, même si toutes les études prouvent que chaque communauté ethnique est hautement hétérogène en son sein ? Chaque communauté est à la fois intéressée par la vie de ses voisins tout en montrant aussi son identité culturelle à chaque grande occasion. Une relative convivialité commune commence à abattre les cloisons identitaires. Par exemple, chaque grande fête religieuse devient une occasion à la fois d’inviter les voisins et de montrer son intégration dans une communauté. Mais ces festivités provoquent en même temps toute une série de désagréments que l'ensemble des voisins n’accepte pas toujours. Peut-on y voir, dans une appropriation temporaire de l’espace public, une forme de réactualisation d’un lieu commun de vie ? On peut en douter, car cela se manifeste d'une manière trop temporaire pour fonder une tradition unifiante. Pas plus qu’Orchard Road, la grande artère commerçante et touristique ne peut fédérer la totalité de la population par le geste futile des achats. L’attachement à la ville, à un espace balisé nous semble plus passer par la réhabilitation des anciens quartiers coloniaux, avec la restauration des shophouses restantes, l’intégration de bâtiments récents plus conformes architecturalement à une certaine tradition. Pendant un siècle, Singapour a vécu dans des habitats spécifiques, autrefois hautement insalubres, mais auxquels les habitants ont fini par trouver leurs repères architecturaux, certains de leurs symboles comme les temples des divers religions. L’attachement aux formes du passé fonde la culture de toutes les civilisations en contact. Malgré l’hyper-modernisme qui a prévalu jusqu’à présent, malgré les nécessités urbanistiques d’urgence, les maisons coloniales, les Kampung de Geylang, les shophouses semblent être des éléments fédérateurs. L’espace public se trouve traversé par un sentiment de permanence qui s’oppose à l’anonymat culturel d’un immeuble neuf. Le mélange des activités commerciales, de logement, de faible étagement, de valorisation d’un apport culturel qui a participé à la fondation de Singapour semblent fonder inconsciemment une identité propre à la ville. La nécessité de préservation de ce patrimoine culturel est un besoin profond avant d’être une nécessité touristique : la sociabilité y est améliorée par rapport aux grands ensembles, les risques de conflits inter-culturels amenuisés. Il se rapproche plus du modèle inconscient général (photos 5 et 6). D'autres lieux d'identité vont progressivement apparaître, à mesure que les jeunes générations trouveront la possibilité de s'exprimer de manière plus libre. De nouveaux espaces culturels, de nouveaux symboles architecturaux qui traduiront la singaporanéité naîtront des futurs concepteurs de la ville. Singapour retrouvera alors une épaisseur historique qu'elle a pour partie 14. In Ooi, G.L. City and the State,…, Sharon Siddique, Culture and Identity in the public housing environment, p.138. 62 Grafigéo 2000-10 Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ? perdue au moment de sa réfection. Conclusion : Singapour, un modèle de réflexion et d’action environnementale en milieu urbain ? On peut ainsi voir dans Singapour une nouvelle forme de développement urbain, extrêmement réfléchie, comparatiste et éminemment ambitieuse dans ses buts. Elle désire parvenir à une réussite urbanistique à la fois sur le plan de la planification de la population, et sur celui des aménagements à réaliser. Un certain sentiment d’étouffement subsiste cependant comme dans toutes les grandes villes, que le gouvernement tente de soulager en augmentant et en améliorant les possibilités de récréation : espaces verts, parcs d’attraction, distractions variées. Parmi les Européens, beaucoup s’ennuient dans cette sorte de grand Disneyland qui leur paraît trop artificiel. Pourtant, les réussites sont là en matière environnementale : au niveau naturel, tout est fait pour que l’environnement reste un Grafigéo 2000-10 milieu de vie, pour tous, animaux, végétaux et humains. La politique pro-active marque un grand nombre de réussites mais au prix de contraintes sévères. L’attention de l’État porte désormais sur la qualité de la vie dans la ville, sans renoncer pourtant au modèle du développement. Les écologistes contestataires systématiques tels que nous les connaissons en Europe ne peuvent tenir leur discours dans cette ville. Singapour veut devenir le modèle le plus réussi, en désirant faire la preuve qu’il est possible de concilier de fortes densités humaines et urbaines, et la préservation d’un ensemble naturel de bonne qualité afin de permettre la vie la plus agréable possible, selon les standards de qualité les plus hauts. Le développement durable est bien une possibilité qui trouve un test en grandeur nature et sur la durée. Malheureusement, l’exemple se semble valable que pour les villes-État : les problèmes changent du tout au tout quand il s’agit de gérer une population beaucoup plus importante sur un territoire différencié et vaste. 63 Transformations environnementales dans le monde malais Deux étapes dans l’urbanisme de Singapour (photo 3). Les logements collectifs publics construits jusque dans les années quatre-vingt contrastent fortement avec l'habitat traditionnel du temps de la colonisation, préservé et restauré ces dernières années. Centre-ville de Singapour, au Nord du Colonial Core – « cœur colonial ». Des espaces utiles en centreville (photo 4). Il est surprenant de trouver au détour d'une rue dans le « cœur colonial », près d'une artère fréquentée de la ville, un petit champ au milieu des immeubles : quelques papayers, quelques bananiers et plants de canne-à-sucre poussent dans une confusion qui change de la stricte organisation des plans d'urbanisme. 64 Grafigéo 2000-10 Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ? Patrimoine ancien et renouveau architectural à Singapour (photo 5). Les nouveaux immeubles, en arrière-plan, tentent de s'intégrer plus harmonieusement avec des shophouses restaurées ou reconstruites au premier plan. Arbres et plantations de Clivia Miniata participent au Green Plan qui reverdit et fleurit progressivement la ville. Dans Little India au Nord du Colonial Core (photo 6). Les shophouses sont encore largement habitées par l'importante communauté indienne de Singapour. Le quartier, en cours de restauration, est une trace vivante de l'ancienne pratique de la ségrégation raciale par le gouvernement colonial anglais. Le gouvernement actuel tente de remettre en cause cet héritage en mélangeant les origines dans les nouveaux ensembles. Grafigéo 2000-10 65 Brunei-Darussalam : une subtile transition Chapitre 4 • Brunei-Darussalam : une subtile transition B RUNEI est le moins peuplé des trois pays étudiés. Il ne dépasse pas les 300 000 habitants1 et sa superficie (5769 km2) le classe au niveau d’un gros département français. Les revers de l’histoire ont réduit le Sultanat de Brunei à un tout petit territoire, qui de surcroît est scindé en deux par une avancée du Sarawak (Limbang). En effet, le Sultan a octroyé un titre de noblesse à l’aventurier Brook qui l’avait aidé à mater une révolte dans le Sarawak. Ainsi est née au milieu du XIXe siècle la dynastie de White Rajahs qui dura jusqu’en 1946. Quant au Sabah, il avait été donné en concession à une compagnie d’exploitation basée à Shanghai. Du fait de difficultés économiques, la compagnie changea de statut et devint compagnie à charte anglaise. Par conséquent, au tournant du XIXe siècle, l’administration anglaise s’occupa des deuxtiers du Nord de Bornéo. Brunei, privé du contrôle sur la région, dut passer à son tour sous la domination anglaise en 1906 avec l’installation d’un Résident, après la conclusion d’un protectorat en 1888. Ce n’est qu’au moment de l’indépendance de la Malaisie que Brunei s’est séparé de l’ensemble malais pour former un Etat largement autonome mais qui n’a eu réellement son indépendance officielle qu’en 1984. Depuis, le Sultan gouverne de manière traditionnelle son pays, conformément aux us et coutumes malais islamiques. L’essentiel des richesses est tiré du pétrole, très tôt exploité : les prospections ont commencé dès 1888, et ont abouti au forage des premiers puits d’exploitation en 1929. La faible population qui bénéficie des richesses énormes dégagées par l’exploitation du minerai, n'a pas exercé une pression réelle sur le territoire, pas même agricole. Ainsi, le pays est-il resté à peu près intact, et bénéficie de conditions environnementales très largement supérieures à celles de tous ses voisins. UN ÉTAT MALAIS TRADITIONNEL Un grand respect de la tradition subsiste à Brunei. L'habitat, le costume, sont plus restés en usage qu'ailleurs. Conformément à 1. En 1994, on comptait 283 500 personnes à Brunei et dont un peu moins de la moitié sont des étrangers. Grafigéo 2000-10 67 Transformations environnementales dans le monde malais Carte 4 - Brunei Darussalam, National Park et aire de sylviculture commerciale 114˚50 E 115˚00 E 5˚00 N Bandar Seri Begawan Mer de Chine méridionale Tutong Bangar Lumut Seria bu Tu to Ulu Temburong N. P. Te m Kuala Belait ro ng ng 4˚30 N ait Bel capitale autre localité cours d'eau parc naturel aire d'exploitation forestière commerciale Sarawak (Malaisie) 0 30 km Source : d’après J.I.C.A. Survey, vol. 2, p. 4. la tradition islamique, le Sultan gouverne seul avec son réseau familial et nobiliaire depuis le renvoi en 1962 de l'assemblée élue quelques mois plus tôt. Une guérilla déclenchée par le Parti communiste local mit un terme rapide à l'expérience démocratique dans le pays. Le Sultan est le garant des traditions, de la religion et du bon ordre. Les possibilités offertes par la manne pétrolière lui permettent ainsi de conserver une structure très traditionnelle au pays, à commencer par l'organisation en emporium. Un emporium pétrolier La capitale Bandar Seri Begawan, seule véritable ville pendant des siècles, se situe à l'embouchure de la Sungai Brunei, un des principaux fleuves du pays. Longtemps comptoir commercial sur la route des épices, des produits d'Extrême-Orient, elle était parfaitement représentative de l'organisation spatiale du monde malais : son contrôle était effectif sur un assez vaste territoire grâce à 68 des liens de vassalité établis avec les tribus de l'intérieur des terres, mais le commerce qui était son véritable moyen de subsistance la tournait vers l'extérieur maritime plus que vers son hinterland. L’influence de cette ville sur le territoire est resté insignifiant pendant longtemps, avec quelques développements avant le protectorat, mais juste pour subvenir aux besoins alimentaires de la population qui comptait quelques dizaines de milliers d'âmes. La ville en elle-même, très informelle, se composait de maisons sur pilotis en position ripuaire ou sur les bourrelets latéraux. Elle possède encore d'assez grands quartiers de ce type, que l'on regroupe sous le nom de kampung ou villages. Le réel essor du pays, endormi sur les souvenirs de son opulence passée, n'est venu qu'avec l'exploitation pétrolière. La transformation du paysage côtier est assez profonde, car les moyens financiers disponibles autorisent des projets auxquels on ne pouvait songer auparavant. Les villes issues du développement de l'activité suivent une organisation proche, Grafigéo 2000-10 Brunei-Darussalam : une subtile transition archipel urbain relié par la route et les oléoducs qui constituent les seuls liens effectifs dans l'organisation du territoire. Les villages situés aux embouchures des autres fleuves suivent le même modèle. Une telle exploitation et une telle dépendance à une unique matière première ontelles été à la source d'une ignorance volontaire des problèmes ou à la source d'une permissivité accrue donnée aux grandes compagnies qui exploitent la resssource ? La ressource pétrolière fournit l’essentiel des revenus du pays. Elle est assurée par des compagnies locales, mais surtout par la Shell qui exploite depuis les origines les champs pétrolifères de très bonne qualité, car peu soufrés. C’est à Serian que les premiers puits ont été forés. Une petite ville proprette en est né, acueillant de nombreux travailleurs étrangers. Selon les pétroliers que j’ai pu interroger, d’Elf ou de la Shell, les conditions d’exploitation sont bonnes et les mesures appliquées pour la protection de l’environnement sont aussi sévères qu'en mer du Nord. En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’ils sont à 10 000 kilomètres de l’Europe qu’ils se permettent de faire n’importe quoi. Les contrôles confirment leur efficacité. Mieux encore, la Shell est de plus très impliquée dans toutes sortes de travaux de promotion environnementale, finance des concours, la recherche et des expéditions scientifiques. Les dispositions légales concernant l’exploitation pétrolière sont contenues dans le Petroleum Act, 3rd Schedule 1963 (revised 1984), chapitre 44. Elles enjoignent les compagnies à prendre toutes les mesures pour contenir les fuites pendant l’extraction et le transport du pétrole selon les meilleures normes disponibles du moment. En cas de contravention avec la loi, la section 33 indique que la peine consisterait en une amende de Bn$ 3000 et dans le cas d’une infraction qui se poursuivrait, une pénalité supplémentaire de Bn$ 100 pour chaque jour de poursuite de l’infraction2. Comparé aux milliards de dollars générés par l’exploitation, les pénalités paraissent bénignes. Une coordination entre les brigades antimarées noires du Sarawak et de Brunei est assurée. Elle cherche à prévenir conjointement les effets dévastateurs pour l'environnement d'un accident qui peut toujours se produire chez l'un comme chez l'autre. Grosso modo, l'exploitation pétrolière rapporte plus d'argent qu'elle ne cause de problèmes. Il n'y a pas trop d'incidents et les associations environnementales qui travaillent librement en Malaisie sont toujours à l'affût d'une panne pour la dénoncer. Peu de problèmes urbains ou industriels Brunei croule sous les dollars, mais paradoxalement, peu de choses ont été faites en matière d’urbanisme. C'est peut-être la plus grosse faiblesse de gestion gouvernementale. Les développements de projets immobiliers sont nombreux mais ils ne se font pas forcément à l’avantage du pays. Brunei, malgré une population très urbanisée (58 %), n’a aucun système général de collecte et de traitement des eaux usées. Différentes dispositions légales et pénales ont été votées pour empêcher le dépôt ou la combustion non contrôlée d’ordures, mais toutes les eaux usées s’écoulent librement dans les rivières auprès desquelles les villes et villages sont installées. Quand on sait que ces villes sont généralement installées sur des terrains sablonneux perméables à toutes les pollutions et que l’activité de pêche à proximité des villes est assez importante, on peut se demander quelles peuvent être les répercussions sur la qualité des nappes phréatiques. C’est ce que Martina Haji Tamit, un Environmental Officer rencontré, disait être le plus préoccupant. Ce manque de planification effective forme un grand contraste avec Singapour, son partenaire économique privilégié. L’urbanisation est assez particulière à Brunei, elle est un mélange de bâtiments assez récents (20-25 ans) ou très récents et souvent somptuaires, couverts d'or et de marbre selon les goûts du moment mais les 2. Town and Country Planning Dept., Selected legal provisions and penalties related to environment in Negara Brunei Darussalam, juin 1992, p. 20. Grafigéo 2000-10 69 Transformations environnementales dans le monde malais finitions laissent parfois à désirer. Le dernier établissement construit à très grands frais est la Grande Mosquée, aux toits entièrement couverts d’or, qui a coûté plus de trois milliards de dollars. A côté de cela, subsiste encore le Kampung Ayer, village traditionnel malais qui constituait le plus gros de la capitale Bandar Seri Begawan autrefois, et qui est toujours apprécié par les membres des communautés non malaises, surtout par les Indiens qui y trouvent des logements à bas prix. Officiellement, il fait partie d’un grand plan d’urbanisme qui prévoit sa destruction et son remplacement par des logements plus conformes aux normes d’hygiène : actuellement aucun ramassage des ordures ni système de collection des eaux usées n'existe, tout passe dans la rivière. Ce village éclaté sur les deux rives de la Sungai Brunei contraste singulièrement avec les bâtiments neufs de la nouvelle ville (photo 7). Normalement, les autorités protègent intégralement toutes les mangroves et les espaces verts à l’intérieur de la ville de Bandar Seri Begawan. Aucun projet ne saurait remettre en question ce règlement. C’est la version officielle du Ministère. Pourtant, en se promenant en ville on pouvait voir que des travaux de réaménagement passaient par une transformation des rives pourtant protégées. Le statut de ces types de végétation intra-urbaine reste vague. A d'autres endroits, qui offrent une vue partielle sur les palais de la famille du Sultan, des promenades assez agréables sont aménagées pour les familles et les sportifs locaux. Toutefois, 80 % des développements actuels se font sur la côte, dans des zones fragiles. La qualité des sols et du couvert végétal ne permette pas de trop gros développements sans risques pour l'environnement et la conservation de certaines associations végétales. Dans cette étroite bande passent les infrastructures de transport qui relient les villes, les industries et le pays au reste de Bornéo. Ainsi, la route refaite récemment, passe-t-elle dans les terrains sablonneux et provoque une érosion des sols comme le montre la photographie (photo 8) : le sable, mis à nu par les travaux d'ouverture et d'entretien de la route, est très rapidement mobilisé par les pluies qui tombent fréquemment à ces latitudes équatoriales. De chaque côté de la chaussée, des ravines profondes que l'on entr’aperçoit entament les dunes. La route passe encore par des forêts de tourbières, fréquentes dans ces plaines alluviales très souvent hygromorphes. La construction de cet axe perturbe la forêt. En effet, un espace vide de tout arbre borde la route pendant toute la traversée du secteur boisé, sur une largeur de quarante à soixante mètres : ils sont morts faute d’eau en suffisance puisque les écoulements ont été perturbés. Les grands incendies de 1998 ont profité de la présence de ces grandes quantités de bois morts pour progresser rapidement à l'intérieur des terres de Brunei. Le paysage a été fortement endommagé sur une quarantaine de kilomètres quand on vient en voiture depuis Miri au Sarawak. Depuis les grands feux qui ont fait rage pendant le printemps3 1998, les lois prévoient une amende relevée à 100 000 Bn$ en cas d’incendie provoqué qui mette en danger des vies humaines ou pollue l’atmosphère. L’axe majeur routier qui court le long de la côte est aussi bordé de larges espaces défrichés et bornés. On cherche à favoriser dans ces emplacements l’installation d'entreprises dans le pays : ce sont des zones artisanales et industrielles qui attendent patiemment que quelqu’un veuille bien s’y installer. Ces cinq dernières années, seule une usine d’embouteillement d’eau de source a été créée. On ne désespère pas encore que d’autres suivent l’exemple. Les zones industrielles restent actuellement à l’état de projet. Ce sont encore de grands terrains vagues où l’érosion des sols se donne libre cours. La demi-récession de ces dernières années stoppe tous les projets. Depuis l’avion, quand on survole Bandar Seri Begawan, on aperçoit de nombreux terrains vagues, balafres rouges striées par les gouttières naturelles . 3. EnvUnit, Brunei Darussalam's response to Agenda 21, p. 7. 70 Grafigéo 2000-10 Brunei-Darussalam : une subtile transition Ce n'est donc pas l'industrie, encore balbutiante en dehors de l'extraction pétrolière, qui présente une grande menace pour l'environnement. Les défauts de planification sont par contre plus gênants, car la progression de la population est très rapide depuis l'autonomie puis l'indépendance du pays. A court terme, si des politiques fermes d'assainissement ne sont pas décidées et appliquées, un problème sérieux de destruction des sols et de pollution des eaux pourrait apparaître. UN CADRE NATUREL REMARQUABLEMENT PRÉSERVÉ Des réserves forestières à l'état originel Brunei est couvert à plus de 80 % par les forêts qui sont elles-mêmes à plus de 72,5 % des forêts primaires4. Elles ont pu être conservées grâce à une exploitation agricole superficielle, et la quasi-mono-activité pétrolière du pays. Comme de surcroît, les développements urbains se réaliseront de plus en plus sur les côtes, l'intérieur des terres n'a que peu de chances d'être profondément transformé. Les terres cultivées à Brunei représentent à peine 5 % du territoire (soit 288 km2) et comptent pour 1 % du PNB. La société se caractérise par un très haut niveau de revenu. L’Etat-providence existe surtout pour les citoyens, plus particulièrement les « Malais », mais on doit en relativiser les effets car le taux de chômage se situe autour de 6 %. Les Brunéiens, souvent fonctionnaires, sont peu enclins à travailler la terre. L'exception vient des sociétés Dayak traditionnelles qui continuent à pratiquer leur agriculture sur brûlis et vivre des produits complémentaires tirés de la chasse ou de la cueillette en forêt. Les immigrants plus ou moins légaux5 squattent des terres nouvelles qu'ils ouvrent par le feu. Ils assurent aussi l'approvisionnement en fruits et légumes locaux frais, cultivés essentiellement pour l'autoconsommation, mais dont on retrouve les surplus sur le Tamu (marché ouvert) de Bandar. De manière assez surprenante, ces derniers paysans de Brunei font pousser une partie de leurs récoltes sur les petits monticules de terre qui bordent les routes, et qui font partie du domaine public. Sinon, les quatre cinquièmes des besoins en riz sont importés. La viande, ainsi que les légumes, sont affrétés pour l’essentiel depuis l’Australie où le gouvernement a préféré acheter en 1981 un immense ranch (plus grand que le pays lui-même…), plutôt que de s’approvisionner chez les voisins malais. Les plantations d’hévéas n’ont plus beaucoup de succès depuis que le pétrole apporte une manne importante. Quant au poivre, il ne représente qu’une trentaine d’hectares… Ce n’est donc pas l’agriculture ni le manque de terres qui menacent sérieusement les forêts de Brunei. Les forêts sont en grande partie intactes, vieilles forêts secondaires ou denses forêts primaires variées dans leur profil (tableau 4). L’administration du Forestry Department les classe en deux types : National Estate Forests, et les Stateland Forests. Les National Estate Forests sont destinées à être exploitées en forêts permanentes, avec cinq sous-classes d'utilisation : forêts protégées (sols et eaux ; 18 562 ha en 1993), de production (pour le bois, essentiellement à Diptérocarpacées exploitées de manière sélective, 146106 ha), de récréation (5 parcs, 1630 ha), de conservation (pour leur intérêt scientifique, éducatif et touristique ; 72 123ha en 1993, avant la création de Parcs Nationaux) et de réserve scientifique(pour l’étude scientifique et sylvicultu- 4. Chiffres donnés par le Japan International Cooperation Agency, The development survey on the forest resources in Brunei Darussalam, Final Report, volume 1 (Model plantation Area), p. 5. 5. Nombreux sont les Ibans qui poursuivent leur migration séculaire vers l'Est de Bornéo. Autrefois cantonnés du côté de Kuching, 700 kilomètres plus à l'ouest, ils ont atteint la frontière de Brunei dans les années 1920. Les premières familles qui ont traversé la frontière l'ont fait du temps où la circulation était facilitée par l'unité de gouvernement anglais. Grafigéo 2000-10 71 Transformations environnementales dans le monde malais des forêts exploitées commercialement, que continuer à exploiter de manière nonType de forêt Surface (ha) durable la forêt primaire. Et 341 184 Forêt primaire les politiques sont d’autant plus faciles à appliquer que a. Mangrove 18 418 tout dépend de l’Etat, filière b. Forêt en marais d’eau douce 12 668 bois comme forêts. La nouvelc. Forêt de tourbière 90 884 le politique limite la producd. Kerangas 3 455 tion de bois à partir des forêts e. Forêt mixte à diptérocarpes 192 575 primaires6 et veut favoriser f. Forêt de montagne 7 196 une autoconsommation à parg. Forêt mixte (types a-p) 15 988 tir de bois replantés. 127 786 F êt d i Afin d’alimenter les scieries locales, le rale, 2 676 ha). Les Stateland Forests sont destinées à d’autres usages après l’extraction gouvernement prévoit de transformer les du bois s’y trouvant dessus. Elles pourront Stateland forests en forêts commerciales. être reconverties en plantations, en infra- Cela devrait concerner 35 000 ha. En plantant 950 ha chaque année, on estime posstructures de logement, de tourisme,… sible de parvenir à terme à doubler la quanPour mener à bien la sélection des apti- tité de bois de coupe disponible pour le tudes forestières et leur appliquer si besoin marché intérieur. A la question : est-ce que les gens de est, une protection graduée selon leur importance, une politique nationale de ges- Brunei et de la région ne profiteraient pas tion des forêts fut créée. On peut résumer des erreurs des Européens qui ont planté des forêts pauvres en espèces, devenues des ainsi son cadre : L’action de préservation de la forêt, fondée déserts biologiques, alors que maintenant on sur la National Forestry Policy a été mise en plante au même endroit des espèces à croisœuvre en 1990, et a eu pour résultat une sances différentes, ce qui permet le retour réduction drastique des volumes des coupes d’une certaine forme de biodiversité tout en (voir tableau 5). Actuellement, Brunei restant exploitable ? Le professeur Yong, de Darussalam peut compenser cette réduction 7 par du bois importé. Toutefois, une planta- l’Universiti Brunei-Darussalam répondait tion a commencé avec 35 000 hectares de que se posait le problème de la déterminaStateland Forests, visant à l’autosatisfaction tion des espaces et des espèces à protéger. de la demande intérieure en bois. Par ailleurs, On croyait pouvoir comme en Indonésie, le développement de nouveaux parcs fores- faire une coupe sélective tout en utilisant les tiers, la production de graines pour les plantations et le reboisement des terres dénudées techniques de brûlis, mais comme les essais ainsi que d’autres activités ont été entrepris. sont sortis du contrôle des forestiers, le gouvernement a tout stoppé. Il y a une sorte de (JICA, 1994, 6) retour en arrière actuellement. De plus : En d’autres termes, mieux vaut consomLa coupe sélective est difficile. Elle réclame mer une petite partie du territoire en faisant Tableau 4 - Types de forêt à Brunei un bon niveau technologique. Personne n'est capable de dire quelle est la meilleure manière d'agir. Nous sommes sous la surveillance Taux de internationale de sorte que les recouvrement industries ont adopté une attitu48 de attentiste. Sinon, on les blâ44 merait pour la déforestation et 49 Tableau 5 - Production de grumes et de bois coupé à Brunei Grumes (en m3) Année 1983 1984 1985 180 455 203 634 198 218 Bois scié (en m3) 86 686 89 739 97 025 Source : J.I.C.A. Report 6. Earl of Cranbrook et Edwards, A Tropical Rainforest, p. 7. 7. Interview réalisée par les soins de l'auteur en novembre 1998. 72 Grafigéo 2000-10 Brunei-Darussalam : une subtile transition pour quelques-unes de ses conséquences comme le nuage de fumée (Haze). Les multinationales ont une responsabilité dans la défintion de leurs activités. Dans tous les pays de la région, elles ont la volonté d’agir en faveur de l'environnement mais sont contrariées dans leurs efforts par les troubles économiques. Il concluait ainsi : Les coupes sélectives sont bonnes mais lentes. Nous essayons d’impliquer les sylviculteurs dans les processus de régénération. Cela doit passer par la valorisation des produits forestiers afin d’accroître les profits tirés des arbres abattus. Des projets de diversification intégrant la durabilité Le projet d’exploitation commerciale prévoit ainsi la constitution de blocs exploités au sein de la forêt primaire ou secondaire, afin d’éviter des coupes claires néfastes pour les sols, prévenir l’érosion des sols fins, pauvres et facilement mobilisables, et favoriser une redissémination des graines à partir des espaces-tampon entre deux blocs d’exploitation. L’utilisation de graines locales est prévue pour éviter au maximum l’introduction de pestes végétales. Les secteurs aux sols les plus pauvres seront replantés en espèces locales adaptées (type kerangas) et les aires couvertes des meilleures essences de bois doivent être exploitées de la manière la plus naturelle possible par les coupes sélectives et l’enrichissement en espèces commerciales. Des périmètres de travail, on écarte les forêts de tourbière à cause de leur fragilité et du manque d’espèces commerciales exploitables facilement, ainsi que les forêts ripuaires qui ont une fonction protectrice. Le département des Forêts prévoit des changements réguliers dans le statut des forêts, comme le passage de 89 000 ha de Stateland Forests en National Forest Estate. Il en résulterait que cette dernière classe recouvrerait 57,3 % de la superficie du territoire. Ces changements de statut, réversibles rapidement par un décret du sultan, constituent une avancée nette dans la constitution d'un ensemble raisonné pour l'exploiGrafigéo 2000-10 tation et la protection des forêts à Brunei. Elle prend bien en compte la valeur inestimable qu'a acquise ce patrimoine à la suite des défrichements importants en Malaisie et à Kalimantan. Le premier parc national enregistré est le Ulu Temburong (voir carte 4)dans le district de Temburong (deuxième partie de Brunei, à l’Est). Depuis que Brunei a pris son indépendance totale en 1984, une évaluation du patrimoine forestier et de ses potentialités a été menée sérieusement et a débouché sur la création d’un parc naturel dans les fins fonds du district de Temburong, dans une des plus belles forêts de diptérocarpes qui demeure encore intacte à Bornéo. Cette politique de protection est ancienne puisqu'elle remonte aux années trente. Plus des deux-tiers des forêts existantes ont été réservées par l’Office des forêts. Toutefois, l’épuisement des ressources pétrolières et la croissance continue de la population menacent les perspectives économiques du pays. D’autres besoins naissent, et particulièrement celle de créer une filière bois. Jusqu’à présent elle ne répondait pas suffisamment aux besoins économiques et sociaux de ce petit pays et se trouvait utilisée en dessous de ses capacités. Par conséquent, le sultan a demandé une évaluation complète de la forêt de Batu Apoi, à la frontière avec le Sarawak et Sabah, sur tous les plans, biologiques, géologiques, et une évaluation des conséquences d’une exploitation commerciale. Cette étude, menée en 1989 en coopération avec la Société Royale Géographique anglaise dirigée par le Comte de Cranbrook, a abouti à la création d’un centre d’études biologiques, ouvert depuis peu à une certaine forme d’écotourisme et surtout servant de bases pour des études scientifiques, pour de la vulgarisation environnementale auprès des établissements scolaires. Si enfin, cela a abouti à la création d’un parc naturel dans la forêt, une menace à moyen-long terme demeure sur cette région car elle revêt les caractéristiques idéales pour le développement d’un projet hydroélectrique qui serait une source d’énergie renouvelable plus pérenne que l’utilisation intensive du fioul dans les usines électriques. Les travaux ont 73 Transformations environnementales dans le monde malais été synthétisés dans un livre magnifiquement illustré, à des fins pédagogiques puisqu’il doit servir de manuel aux étudiants de Brunei pour améliorer la connaissance de leur pays et de ses ressources. Une autre perspective de diversification des revenus pourrait être le tourisme, mais il est virtuellement inconnu à Brunei. Les principales curiosités sont les deux grandes mosqués, le Kampung Ayer, et un parc d’attraction gratuit ultra-luxueux, kitsch à souhait. On pourra apprécier aussi le monument dressé au milliardième barril de pétrole extrait à Brunei. Enfin, on peut aussi profiter du luxe des hôtels dont la gamme est malheureusement très réduite : il n'y a pas d'intermédiaire entre Pusat Belia, à 10 FF la nuit et les 300 FF qu'il faut débourser pour accéder au premier prix d'un hôtel standard. Brunei semble avoir une telle peur du tourisme, vecteur d’instabilité politique, vecteur de pornographie et autres atteintes aux bonnes mœurs, qu’il ne souhaite pas vraiment figurer dans les dépliants des agences de voyages. Timidement, on essaie quand même d’attirer les touristes afin de valoriser la compagnie aérienne (très déficitaire) et les possibilités de desserte – excentrée – vers l’Asie et le Pacifique. Le touriste le plus recherché doit correspondre au profil de l’écotouriste, jugé plus respectueux des coutumes de Brunei car de toutes les manières, les forêts et la nature sont la seule véritable attraction. Des projets axés sur le tourisme durable et la mise en valeur des parcs nationaux remplissent entièrement le troisième volume du rapport du JICA sur les forêts de Brunei Darussalam et leur possible mise en valeur. Les photographies des installations du centre de recherches dans le parc national de la forêt de Belalong (Batu Apoi) montrent des éléments intéressants : on tente d'y concilier les objectifs importants de la recherche pure et de sa vulgarisation. Le projet devrait être touristiquement durable à cause du prix et du peu d’intérêt touristique actuel du pays. Le Sarawak et le Sabah ont pris une longueur d'avance dans ce secteur d'activité. Il ne devrait donc jamais y avoir de foules puisque les touristes auront eu leurs frissons 74 dans la forêt au Sarawak, en allant faire un tour à Mulu (et peut-être auront-ils fait le trek de six jours qui mène de Mulu à Limbang à pied et en barque, avec des arrêts dans des longhouses éloignées) ou les grottes de Niah. A moins que de retour de Sabah, ils n’aient fait l’ascension du Mont Kinabalu et n’aient plus aucune envie de marche en forêt et ni d'une découverte qui exigerait plus de temps qu’ils n’en disposent dans leur séjour chronométré dans la région. Conclusion : un patrimoine préservé durablement C'est un petit État qui jouit de sa rente pétrolière mais qui comprend la nécessité de diversifier ses sources de richesses et de fournir de l'emploi au pays. Le faible besoin de la population en matière de nourriture et la rente pétrolière extrêmement importante depuis les années soixante-dix évitent au pays d’exercer de pression forte sur l'environnement. Toutefois, il reste des points très surprenants pour un pays qui a un PNB par habitant parmi les plus importants de la planète : pas de système d'assainissement ni de retraitement des eaux usées, constructions parfois anarchiques, une vision d'ensemble qui de l'extérieur laisse à désirer. Malgré tout, la faiblesse de la demande en produits forestiers et en produits agricoles locaux ne met pas en danger un environnement resté dans un état proche des origines. La peur apparente devant tout changement fait prendre à l'Etat de Brunei des décisions qui vont dans le sens d'un très grand conservatisme. Le milieu naturel s’en trouve ainsi préservé. Mais les projets nouveaux de diversification de l'économie en même temps que la poursuite de l'urbanisation, annoncent une évolution inévitable tant de l'attitude de la population vis-à-vis de sa nature, que de sa compréhension du milieu. On y prépare la jeunesse par des stages offerts au centre de Belalong. Mieux au courant des problèmes qui peuvent se poser, à même de juger les développements économiques à partir de leur patrimoine forestier, les Brunéiens peuvent voir venir avec une certaine confiance le prochain siècle sans mettre en péril leur environnement. Grafigéo 2000-10 Brunei-Darussalam : une subtile transition Bandar Seri Begawan, Kampung Ayer • Brunei (photo 7). Le soir, la vieille mosquée aux bulbes dorés se dresse lumineuse au-dessus des toits en tôle rouillée du vieux kampung traditionnel qui borde la Sungai Brunei. Ce dernier est en train de disparaître car il est insalubre et ne présente pas une bonne image du pays. La route côtière neuve • Brunei (photo 8). Elle coupe de larges zones dunaires dans un sable éblouissant et très fin. Seules quelques herbes et arbustes halophiles comme les casuarina (arbuste replanté le long de la route) parviennent à pousser dessus car le sable déstabilisé est rapidement mobilisé par les pluies fréquentes. Au fond, l’arrière-côte est couverte par une forêt marécageuse dont on aperçoit la cime. Grafigéo 2000-10 75 La prise de conscience environnementale malaise Chapitre 5 • La prise de conscience environnementale malaise L A MALAISIE est un pays de plus en plus développé au sens occidental du terme. Le volontarisme des gouvernements successifs a permis un extraordinaire essor qui reste fondé sur la différenciation des communautés. Les données du problème environnemental malais sont différentes de celles de ses voisins. Singapour a subi la dictature de l'exiguïté de son territoire et en a fait un atout dans son développement, car c'est la source d'une inventivité toujours renouvelée. L'immédiat intérêt des gouvernements était de fournir un cadre de vie le plus agréable possible afin de fixer la population tout en proposant un maximum d'activités. Brunei n'a pas eu besoin de prendre grand chose en main : la faiblesse de son peuplement et la quasi mono-activité pétrolière permettent de confiner le pays dans un cadre naturel exceptionnel. A la différence de ses voisins, la Malaisie disposait d'une population et d'un territoire relativement vastes, essentiellement agricoles. Il a fallu beaucoup d'énergie et de volonté pour transformer la structure de l'emploi et les types de production afin de permettre un développement le moins exclusif possible. On favorisa les grands périmètres de plantations commerciales, héritage direct de la période anglaise ; on diversifia les espèces Grafigéo 2000-10 plantées afin de moins dépendre d'une production ; on développa aussi l'industrie du bois, la pétrochimie et des industries de hautes technologies. Tout cela a permis de fonder les bases d'une économie de plus en plus urbaine. Les implications ont été très importantes pour le paysage malais : le désenclavement systématique a permis la diffusion de nouveaux modes de vie et de pensée, la population dépendait de moins en moins des productions d'autosubsistance. Mais la Malaisie est diverse : nous nous attacherons surtout aux aspects environnementaux de la Malaisie péninsulaire dans ce chapitre, et nous réserverons l'essentiel des développements sur la Malaisie Orientale (Sarawak, et fort peu le Sabah) pour la deuxième partie. A travers tous ces changements extrêmement rapides, quelle crise environnementale s'annonce en Malaisie péninsulaire ? Quel degré de conscience la population malaise en a-t-elle? Quels efforts sont consentis pour préparer les solutions aux problèmes prévisibles ? UNE CRISE URBAINE EN PRÉPARA- TION ? La crise de l'eau en 1998 a révélé les problèmes qui guettent la Malaisie ces pro77 Transformations environnementales dans le monde malais Carte 5 - La péninsule Malaise 7˚N THAILANDE PERLIS Kangar Mer de Chine K Kota Bharu Alor Setar méridionale 6˚N K. EDAH Georges Town Kuala Terengganu P. PINANG KELANTAN 5˚N N TERENGGANU Ipoh PERAK 4˚N PAHANG Kuantan SELANGOR EL D ét Shah A Alam roit limite d'État frontière nationale Kuala Lumpur 3˚N NEGERI SAMBILAN de Seremban M ala cca MELAKA Melaka JOHOR capitale fédérale capitale d'État Johor Bharu PERAK État de Malaisie cours d'eau 0 100˚O 78 2˚N SINGAPOUR 30 km INDONESIE 101˚O 102˚O 1˚N 103˚O 104˚O Grafigéo 2000-10 La prise de conscience environnementale malaise chaines années. Avec un taux de croissance naturelle de 2,2 à 2,3 % l’an, on s’attendait en 1992 à une population totale de 22,5 millions d’habitants pour l’an 2000, prévisions dépassées en 1998, car on l'estimait à 24 millions d'habitants. Le recensement de 1970 qualifie d’urbains les centres qui comptent plus de 10 000 habitants. Le taux d’urbanisation est de 37,4 % en 1985 et de 40,7 % en 1990. Kuala-Lumpur et la vallée de la Klang connaissent un développement urbain extraordinaire ces dernières années : en témoignent les chiffres du tableau 6. centre industriel, commercial, financier et administratif de tout le pays. Dans son ensemble, le pays connaît des villes de plus en plus grandes, bien que modestes à l’échelle internationale, mais dont les taux de croissance peuvent être proprement spectaculaires comme on le voit dans le tableau 7. Problèmes d’assainissement des effluents urbains et industriels Les problèmes d'effluents sont le corollaire inévitable du développement imporTableau 6 - Développement de la population tant du pays. La maîtrise de ceux-ci revêt de Kuala Lumpur une extrême importance, surtout quand l’approvisionnement en eau potable est Date Habitants presque exclusivement fondé sur les res1870 2000 sources de surface (rivières, lacs de retenue) 1896 25 000 ainsi que nous l'avons vu dans le premier 1959 315 000 chapitre. Avec une croissance de la population de 1970 485 000 2,3 % par an, industrialiser le pays et diver1980 937 000 sifier sa production étaient des nécessités Source : d’après la communication de Hamirdin B. Ithnin,à la 5 SEAGA Conference absolues. Dans les années soixante, le secteur secondaire représentait environ 40 % Les limites officielles de la ville s’éten- du PNB, mais les produits manufacturés dent sur plus de 240 km2. Une conurbation comptaient seulement pour 17 % du PNB. naît entre Port Klang jusqu’aux piémonts de Dans les années soixante-dix, le secteur la Main Range. La région de la vallée de la secondaire représentait la moitié du PNB, et Klang, 2842 km2 a une population estimée les produits manufacturés, 25 %. Peu de autour de trois millions d’habitants en changements dans la structure du secteur 1990. 20 % de la population se concentre industriel dans les années quatre-vingt. Le sur 2 % du territoire. C’est le plus grand secteur tertiaire compte pour 35-40 % durant toute la Tableau 7 - Population des villes principales de Malaisie période, sans grands changeVilles 1970 1980 1997 ments. La part Malaisie péninsulaire du PNB industriel Kuala Lumpur (territoire fédéral) 648 000 920 000 1 145 342 s’est accrue aux Ipoh 248 000 294 000 382 853 Georgetown 270 000 248 000 219 600 dépens de l’agriJohore Bahru 136 000 246 000 328 500 culture. La croisK. Terengganu 53 000 180 000 n. c. sance la plus Kota Bahru 55 000 168 000 n. c. spectaculaire a Kuantan 43 000 132 000 200 000 été le développeSeremban 80 000 132 000 183 000 ment de l’indusMalaisie insulaire trie manufactuKota Kinabalu 41 000 109 000 109 000 rière et sa part Sibu 50 000 85 000 111 000 Kuching 63 000 72 000 250 000 dans le PNB inSource : Yearbook of statistics, Department of statistics, Kuala Lumpur, et Official dustriel. On le Yearbook, 1998. doit surtout à th Grafigéo 2000-10 79 Transformations environnementales dans le monde malais l'Industrial Master Plan de 1986-1995 : il encourageait l’investissement privé à travers des secteurs et sous-secteurs d’activité prioritaires. Toutes les mesures ont été prises pour créer un climat favorable à l’investissement et aussi au réinvestissement, grâce à la diminution des procédures administratives, ou à l'encouragement du secteur de recherche-développement. Toujours on diversifia les ressources économiques afin de laisser une emprise minimale aux récessions. Le gouvernement eut une politique interventionniste seulement dans les cas d’urgence. Il encouragea progressivement le secteur privé : son rôle est désormais considéré comme devant « être purement catalytique »1. Les pollutions qui en découlent sont nombreuses, particulièrement celles qui affectent les eaux et l'air. Ainsi, en 1990 évaluait-on pour la pollution des eaux terrestres le taux de participation des industries agroalimentaires à 41 %, des industries de l’huile de palme à 21 %, de la filière du caoutchouc à 15 %, autant pour la chimie, 8 % pour le cuir et le textile, 3 % pour le papier. Chaque jour, les industries de l’huile de palme et du caoutchouc rejettent une pollution organique dans les cours d’eau équivalent à une ville de 220 000 personnes. Ce problème se pose de manière croissante, car les villes ne sont pas équipées de système de collecte et de traitement des eaux usées, à part quelques exceptions comme Kuala Lumpur qui est à peu près équipée. Pendant l'exercice des derniers plans, on a mis l'accent sur l’utilisation accrue des sources d’énergie locales, et plus particulièrement sur la consommation du gaz naturel et l’hydroélectricité. La répartition par secteur se fait ainsi : les industries consomment 70 % du total énergétique, et le transport à lui seul consomme 43 % du total car l'essentiel des transports se fait par la voie rou- tière avec un trafic incessant de camions surchargés (le ferroutage n'existe quasiment pas). Le réseau fluvial est aussi mis à profit, particulièrement pour le flottage des bois bruts extraits. La séparation de la Malaisie en deux entités favorise aussi le transport maritime. Il faut pouvoir répondre à tous les besoins énergétiques d'un telle croissance économique. La fourniture en énergie gagnait 7,5 % par an tout au long de la décennie 1985-1995. Le gaz et le charbon ont consolidé leur place dans les sources principales d’énergies, particulièrement pour la production électrique qui augmentait dans le même temps de 12,5 % par an. Cette dernière repose sur quelques centrales qui fonctionnent parfois au fioul. En 1990, l’électricité est produite à concurrence de 42 % par le pétrole, 24 % par le gaz, 16 % par le charbon. Des projets hydroélectriques sont en place, 70 % des possibilités sont au Sarawak2. Mais leur impact environnemental est important. D’immenses projets comme celui de Bakun3 au Sarawak, sont remis en question à cause de leurs conséquences. L'accès aux Etudes d’impact est assez facile mais soumis à conditions. Le projet de Bakun prévoyait l’ennoiement de plus de 350 km de rivières et sur des étendues larges parfois de plus de 10 km. La superficie recouverte calculée est de 60 940 ha, soit à peu près la superficie de Singapour4. La puissance électrique qu’il devait fournir est comparable à celle du barrage d’Assouan en Egypte. On observera les statistiques comparatives dans la reproduction d'une page de la revue interne au Département de l’Environnement malais (figure 2)5. On constatera dans cet ensemble présenté aux employés des différentes sections fédérales et dans les Etats du département, la minimisation de l’impact du projet par rapport aux autres pays : il implique la rela- 1. Sham Sani, Environment and Development in Malaysia, p. 19. 2. State of the Environment, ibid. p. 135 3. Je n'ai pas eu le droit de photocopier la carte de l'extension prévue qui figurait dans l'Etude d'impact conservée au Ministère de l'Environnement à Kuala Lumpur. On ne peut que la consulter sur place. 4. On pourra consulter avec intérêt le résumé donné dans State of the Environment, CAP 1996, « Bakun Dam: is it justified ?» de Thayalan Muniandy, p. 277-287. 5. Department of Environment Impak, the National EIA Newsletter, bil.2, 1994, p.15. 80 Grafigéo 2000-10 La prise de conscience environnementale malaise Figure 2 - Reproduction de la page 15 du Impak, 1994, n° 2 Grafigéo 2000-10 81 Transformations environnementales dans le monde malais tivisation de toutes les études précédentes montrant les fortes déperditions d’énergie dans le transport, la biodiversité compromise dans un des derniers secteurs encore peu touchés par le développement. Aucune allusion n’est faite à l’opposition manifestée lors des précédentes études d’impact et qui avaient amené au début des années quatrevingt-dix le Premier Ministre, Dr Mahatir, à déclarer le projet abandonné, et à confirmer en 1998 l'abandon définitif… A titre indicatif, ce n’étaient pas seulement les 8 565 personnes que l’on pensait déplacer qui auraient été affectées (comme semble le sous-entendre la statistique). Les études précédentes montraient que plus de 90 000 personnes pour le moins seraient touchées par le projet et par les conséquences de l'ennoiement d'une aussi vaste superficie. Les photographies forment un contraste saisissant entre une zone sous-développée, bonne pour faire du tourisme (prise d'un beau poisson) ou des petits essarts, et toute l’activité que le projet pourrait générer, même sur place (photographie du bas). Le projet de Bakun était justifié par l'augmentation de la consommation et le besoin de réduire la facture en produisant de l'énergie avec des sources renouvelables à bas prix. Le développement des activités industrielles oblige le gouvernement à multiplier les réglementations. Elles sont régulièrement appliquées et renforcées par référence aux expériences internationales, mais elles ne le sont pas systématiquement. La prise de conscience des problèmes est marquée par l’augmentation régulière des plaintes des particuliers et les enquêtes qu’elles suscitent. En mars 1996, le plan de réduction des déchets (Malaysian Agenda for Waste Reductions) est lancé et les premières évaluations faites à la fin de l’année se résumaient ainsi : « La réponse initiale des industries n’était pas encourageante et des activités de suivi seraient entreprises en 1997 »6 Ces remarques avouées par le Ministère sont relayées par Sham Sani dans son livre7 lorsqu’il montrait que les réglementations n’avaient pas toutes eu le même succès. Celle qui a été la plus efficace a été la première, qui concernait la production d’huile de palme brute : sous la pression réglementaire, les effluents ont été réduits entre 1977 et 1989 de 88 % en même temps que les capacités de production doublaient. Une surveillance aérienne est assurée par l’armée qui prend des clichés des industries considérées comme polluantes afin de verser des pièces aux dossiers d’instruction de plaintes après des contrôles inopinés. Les pénalités, toutes proportions gardées, restent toujours inférieures à celles qu’impose Singapour à ses contrevenants. Cela ne veut pas dire non plus que les industriels prennent un malin plaisir à enfreindre la loi. Au contraire, les industries sont généralement en phase avec l'Environmental Quality (Sewage and Industrial Effluents) Regulation 1979 ; en 1996, elles l’étaient à 82,5 %, ce qui représente une excellente proportion dans un pays en cours d’industrialisation. Derrière ce chiffre, se cachent des industries polluantes qui dans leur ensemble ne sont pas en conformité : le plus mauvais élève est l’industrie des finitions métalliques et de placage électrolytique (66 % répondent aux normes), suivi de près par la filière agro-alimentaire, le caoutchouc et le textile. Les autres sont respectueuses à plus des trois quarts. D’après les chiffres officiels8, les meilleures filières sont le plastique et la machinerie (100 %) et le bois (99 %). La Malaisie est intéressée non seulement par les sources d’énergies traditionnelles, mais aussi par les ressources alternatives comme l’énergie solaire, le vent, le biogaz, la biomasse, plus particulièrement pour l’alimentation des industries en milieu isolé. Des études sont faites sur la liquéfaction du gaz, particulièrement au Sarawak, dans le secteur de Bintulu. On ne peut pas blâmer trop fortement la Malaisie car elle a le courage d'assumer les faiblesses de son système dans les rapports officiels et en même temps de 6. Department of Environment, Malaysia Environmental Quality Report 1996, p. 34. 7. Cité : Environment and development in Malaysia. , p. 75-77 et 97. 8. Department of Environment Malaysia Environment Quality Report, p. 28. 82 Grafigéo 2000-10 La prise de conscience environnementale malaise chercher la solution à ses problèmes. Toutes les recherches menées prouvent que la Malaisie pratique réellement une politique intégrée de développement, intégrée dans le sens où toutes les agences gouvernementales et internationales participent à l'effort. La qualité de l’air se dégrade L’accroissement de la consommation énergétique repose pour une bonne part sur la consommation de carburants fossiles. Il se traduit non seulement par des rejets dans les rivières et la mer, mais aussi par une augmentation des rejets de particules et de gaz polluants, à effet de serre ou dangereux pour la couche d’ozone. L’utilisation des voitures particulières est en constante augmentation (entre 4 et 6 % de plus par an). Toutefois les contrôles techniques ne sont pas assortis d’obligations aussi strictement appliquées qu’à Singapour. Par conséquent, les taux de pollution atmosphérique ne sont pas forcément les meilleurs de la région. Plusieurs fois par an, ils se situent en zone urbaine largement au-dessus des indicateurs internationaux. Grosso modo, d’après le rapport annuel 1996 du Department of Environment, la conformité des industries va s’améliorant grâce à une meilleure mise en œuvre des législations dont l'Environmental Quality (Clean Air) Regulations 1978 est la pièce maîtresse. Sans entrer dans tous les détails qui sont généralement bien connus des lecteurs (dégradation de la santé des habitants, dômes de chaleur,…) il est plus intéressant de noter qu’apparaît un phénomène de pluies acides qui va s’intensifiant avec les années. Les zones affectées sont de plus en plus vastes et de plus en plus acides comme en témoignent les cartes qu’insère Sham Sani dans son livre (carte 6). Un arsenal législatif qui s'étoffe pour y répondre La loi dite Environmental Quality Act (EQA) est votée en 1974. Elle crée un Environmental Advisory Council qui doit se référer au Ministère de l’Environnement. Un Director General of Environment est nommé pour assurer la coordination des différentes actions qui ont trait à la pollution et à l’application des règlements en vigueur. Il assure la délivrance des licences concernant les activités polluantes industrielles, la recherche sur les problèmes de pollution et les campagnes éducatives. L’EQA prête essentiellement attention à toutes les pollutions d’origines industrielles, particulièrement dans les airs et dans les eaux. Tous les autres problèmes sont gérés par d’autres législations fédérales ou locales. Elles ne sont plus du ressort du Département de l’Environnement (DoE). Comme dans tous les Etats fédéraux, la gestion des ressources naturelles non stratégiques, c’est-àdire essentiellement non-pétrolières, est du ressort des Etats et des collectivités locales. Les différents niveaux de gouvernement entretiennent des relations parfois orageuses à propos de certains points de responsabilité, par exemple le traitement des rejets animaux dans les cours d’eau : le DoE indique que c’est une des principales causes de pollution. Or, la gestion des implantations agricoles et des effluents urbains et domestiques sont sous le couvert des législations locales sur lesquelles le gouvernement fédéral n’a que peu de prises. Le même genre de conflit surgit pour les graves problèmes d’érosion qui peuvent découler des projets d’aménagements urbains (construction de quartiers ou de zones industrielles). D’après la Constitution, du point de vue de la législation, chaque État est indépendant et dans la plupart des cas, les législations fédérales ne font pas autorité au niveau local bien que le gouvernement fédéral puisse coordonner les activités des États9. Dans les années soixante-dix et quatrevingt, les amendements ont surtout concerné les problèmes de rejets de l’industrie oléipalmicole, ainsi que les rejets aériens de 9. Jamaluddin Mhd Jahi, Local Authorities and Environmental Management in Peninsular Malaysia dans Akademika 42&43 (1993), p. 211-212. Grafigéo 2000-10 83 Transformations environnementales dans le monde malais Carte 6 - Évolution des aires touchées par les pluies acides en Malaisie péninsulaire 110˚E 112˚E 114˚E SABAH 5˚N 29 Limbang N 35 Miri 4 26 Mer de Chine méridionale 21 BR. BRUNEI 17 2 Niah 9 3 12 5 Bintulu 3˚N 14 15 N 34 30 Sibu 25 23 28 6 Sarikei 19 10 1 22 7 20 18 Kuching N 33 N 32 31 Serian 1˚N 0 100 km 27 Kapit 24 Bandar Sri Aman 8 cours d'eau KALIMANTAN (INDONESIE) Parcs nationaux existants Sanctuaires fauniques existants 1- Bako 2- Gunung Nulu 3- Niah 4- Lambir Hills 5- Similajau 6- Gunung Gading 7- Kubah 8- Batang Ai 9- Loagan Bunut 23- Samunsam 24- Lanjak-Entimau 25- Pulau Tukong Ara-Baram Parcs nationaux à l'étude 10- Santubong 11- Tanjung Batu 12- Pulong Tau 13- Hose Mountain localité frontière Sanctuaires fauniques à l'étude 26- Sibuti 27- Agrandissement de Lanjak-Entimau 28- Agrandissement de Samunsam 29- Mangrove de Limbang 30- Batu Laga 31- Maludam Ré toutes sortes qui polluent les grandes villes. Au début des années quatre-vingt-dix, ce sont les effluents toxiques ou dangereux qui ont été la cible des dernières régulations. Le Environmental Quality (Prescribed activities) (Environmental Impact Assessment) Order 1988, a été enregistré et mis en application le 1er Avril 1988. Le Department of Environment est en charge de l’application de l’EIA. Il fournit : • informations et conseils aux initiateurs des projets, aux consultants, agences agréées 84 13 16 11 ll à l'é d et au public ; • des grandes lignes pour entreprendre une étude d’impact ; • un récapitulatif des rapports d’EIA et des réglementations pour les autorités chargées de l’approbation et les initiateurs du projet ; • des entraînements concernant les procédures et les études d’EIA. Les rapports d’EIE sont examinés par un panel scientifique composé de différentes autorités administratives, universitaires, du Grafigéo 2000-10 La prise de conscience environnementale malaise secteur privé et d’ONG comme la Malaysian Nature Society et l’Environmental Protection Society of Malaysia. L’argent manque comme toujours, bien que les crédits alloués soient en constante augmentation. Ainsi, les efforts de création d’une base de données environnementales locales semblent aboutir. La coopération internationale ou inter-étatique est chaudement encouragée ainsi qu’en témoigne la participation aux différentes commissions et conférences proposées par l’ONU dans le cadre de son programme environnemental (UNEP). Une des évolutions les plus notables des politiques menées est le passage de législations curatives à des législations proactives avec une utilisation accrue et étendue des études d’impact. L'urbanisation rapide soulève toute une cohorte de problèmes lorsqu'elle n'est pas planifiée correctement, ou lorsqu'il faut se confronter au fait accompli. La Malaisie doit faire face à un exode rural qui est loin d'être terminé. La dégradation de certains indicateurs, comme l'eau et l'air, font réagir fortement le gouvernement. La complémentarité des législations, la coordination croissante entre les différents services donnent une image chaque jour plus volontariste des autorités gouvernementales pour la mise en place d'une politique intégrée de l'environnement, au moins dans le domaine du développement économique et industriel. Toutefois, l'essentiel des efforts de développement est accompli dans les campagnes avec la transformation de l'agriculture et l'augmentation des volumes de productions à partir des ressources naturelles que l'on classe normalement parmi les ressources renouvelables (bois, huiles de palme, pisciculture,…). LES ESPACES NATURELS SE TRANSFORMENT RAPIDEMENT Dans un pays majoritairement rural, le développement ne pouvait pas laisser de côté l'essentiel de la population en se conformant aux modèles des chantres dogmatiques de la croissance qui tenaient le devant Grafigéo 2000-10 de la scène dans l'après-guerre. Un énorme effort pour employer la masse des paysans et des salariés agricoles et diversifier les cultures a été consenti afin qu'ils participent à l'effort général et reçoivent une partie des fruits de ce développement. Les défrichements ont été extrêmement importants pour un pays qui n'est pas très grand. Le paysage a subi de profondes transformations, et plus particulièrement le riche paysage forestier. Malgré cela, un phénomène de dépeuplement rural prend de l’ampleur et crée de nouveaux problèmes en même temps qu’il suscite de nouvelles activités. Le tourisme, nouveau venu sur la scène économique permet-il d’offrir une alternative durable à l'exode rural ou à des destructions supplémentaires dans le patrimoine naturel et biologique de la Malaisie ? Les forêts sont les premières touchées Les secteurs agricoles étaient réellement touchés par la pauvreté dans les années qui suivirent l’indépendance. Pour améliorer la condition de la population, un ministère du Développement national et rural est créé. Dans ses objectifs principaux figurent le développement des terres cultivées, l’irrigation et le drainage, l’hévéaculture. Les derniers plans visaient à assurer un revenu correct aux petits producteurs. 75 % des budgets alloués à l’agriculture dans les années soixante ont été consacrés à l’achèvement des plans. Les dépenses ont été multipliées par 20 entre l’indépendance et les années soixante-dix (de 17 à 310 millions de Ringgits auxquels ont peut encore rajouter 54 millions de RM pour le Sabah et le Sarawak). 800 000 ha ont été ouverts dans la décennie soixante afin d’améliorer la taille et les méthodes des exploitations agricoles. C’est la grande époque du FELDA, ou Federal Land Development Authority à laquelle on peut attribuer le développement d’environ 835 000 ha en 1990. L'État fédéral ne se charge plus au cours du 6e plan, 19901995, de développer de nouvelles terres cultivables. Il laisse ce soin aux Etats. Grâce à de nouveaux accords, environ 300 000 hec85 Transformations environnementales dans le monde malais tares nouveaux doivent être mis à la disposition de la population. Le développement de l’agriculture dans le cadre des Regional Development Authorities a été correct, mais pas celui des townships, comme il était prévu initialement. Les localités n'ont pas eu les moyens suffisants ni la volonté pour mener à bien les programmes dont ils avaient la charge. Une des premières conséquences immédiates du développement de l’agriculture a été l’accroissement de l’érosion des terres arables et de la charge des cours d’eau. En 1974, le Rubber Research Institute of Malaysia donnait un taux d’érosion moyen de 100-130t/ha.an-1 sur des pentes de 4 à 5°. Avec des prairies dans les plantations, on diminuait ces taux au maximum de 44t/ha.an-1. Les plantations de palmiers à huile donnaient un taux de 15t/ha.an-1. Il faut mettre en parallèle ces chiffres avec l’érosion moyenne en forêt primaire non touchée : 0,33t/ha.an-1 dans les Cameron Highlands… De nos jours, l’érosion des terres fait l’objet d’une préoccupation constante et accrue du gouvernement fédéral et des Etats : les problèmes d’envasement des barrages10, d’inondations ultra-rapides en milieu urbain ont tiré la sonnette d’alarme pour tous les gestionnaires publics. En Malaisie, les sols ont été classés en fonction de leurs aptitudes agronomiques et répartis en cinq classes : de 1 à 3, les sols sont aptes à relativement aptes à l’agriculture ; la classe 4 englobe les sols d’intérêt marginal et la classe 5 est inapte. On peut voir la répartition dans le tableau suivant : « Sur une base nationale, l’ordre d’abondance de ces classes est Classe 5 (57%)> Classe 3 (16%) > Classe 4 (12%) > Classe 1 (8%) > à Classe 2 (7%). L’étendue des sols en classe 5 excède les aires combinées des quatre autres classes. Sur une base régionale, c’est aussi vrai pour les Sabah et Sarawak et ce dernier possède plus de 70% de ses terres classées en catégorie 5. Toutefois, l’inverse est aussi vrai en Malaisie péninsulaire où les aires combinées des Classes 1-4 excèdent l’étendue des sols de la Classe 5. »11 Deuxième conséquence : l’utilisation des intrants dans les cultures avec tous les problèmes bien connus de contamination des ouvriers agricoles, de résidus dans les produits, de pollution des terres et des eaux. Des études sont en cours pour mettre en évidence les spécificités de l’agriculture tropicale utilisant les intrants car la vermine et les adventices locales n'ont pas la même sensibilité que celles de nos pays européens tempérés. Conséquences auxquelles il faut ajouter les problèmes de pollution atmosphérique dérivée des brûlis réguliers pour entretenir et ouvrir les terres nouvelles, ou des résidus des usines de transformation des produits agricoles. Les ladang, nom local pour les essarts, sont de plus en plus contrôlés. Ils sont sous la surveillance du gouvernement et des associations environnementales, surtout depuis les grands phénomènes de fumées (haze) pendant la dernière grande crise d’El-Niño en 1998. Le feu mis aux mauvaises herbes au moment de la plus grande sécheresse témoigne d’une perte de connaissance des pratiques agricoles. Les paysans ne savent plus maîtriser les temps de récoltes et de semailles ; ils ne se rendent pas compte non plus de l’assèchement des forêts éclaircies, qui accumulent une biomasse séchée par la pénétration des vents et du soleil dans le sous-bois. Cette biomasse constitue une véritable étoupe n’attendant que la première étincelle naturelle ou d’origine anthropique pour s’enflammer. Le problème de la forêt est très important en Asie du Sud-Est et particulièrement en Malaisie. Ce pays a assumé pendant une bonne partie des décennies passées la fourniture du marché mondial du bois tropical. Les rythmes de déboisement ont été bien supérieurs au rythme de récupération des aires défrichées. « L’enclôture des terres et des eaux associée 10. Des pertes de sols supérieures à 125t/ha/an ont été enregistrées en aval du barrage hydroélectrique dans les Cameron Highlands, à cause de pratiques agricoles mal gérées. 11. Lim Jit Sai et al., Soil Resources in Malaysia, an overview, dans CAP, State of The Environment…, p. 182. 86 Grafigéo 2000-10 La prise de conscience environnementale malaise à l’expansion de l’industrie de la pulpe et du papier en Asie du Sud-Est n’est pas un simple phénomène physique, une invasion d’un espace. Pas plus que cela n’est le résultat des « mécanismes de la libre concurrence » ou une inévitable et impersonnelle « voie du développement économique » qui doit être désormais rendue « durable ». C’est plutôt une lutte sociale, culturelle et politique complexe, mettant en jeu un panel très varié d’acteurs aux motivations diverses, qui, par leur travail faiblement coordonné, réagissant à une mode contingente et ad hoc, rendent le papier et la machinerie à pulpe vendables, le financement de la dette possible, les intérêts politiques intriqués, et la centralisation de contrôle des ressources accessible. »12 61% de la superficie totale de la Malaisie est recouverte de forêts naturelles ou de plantations. Le ratio est plus grand en Malaisie orientale qu'en Malaisie péninsulaire. Sur ces 20 millions d’hectares encore boisés, 53 % sont en forêts vierges et les deuxtiers sont officiellement protégés. Si on rajoute les plantations commerciales d’hévéas et de palmiers à huile, le taux de couverture forestière malais grimpe à 75 %, ce qui est considérable. Toutefois, c’est le taux d’utilisation des ressources forestières naturelles qui est mauvais, puisque les entreprises détruisent nombre d’espèces qui pourraient avoir une utilité autre que le bois d’œuvre. Ou sinon, c’est l’inverse : l’entreprise gâche du bon bois pour faire de la pâte à papier ou exporter des matières premières, des produits semi-finis à faible valeur ajoutée. Tout dépend du type de concession et surtout du statut des terres exploitées par la concession. Si la propriété n’est pas clairement affirmée, les concessionnaires ont tendance à faire des profits maximaux à court terme, récoltant des arbres avant maturité. De plus, les taxes imposées par les gouvernements ne sont pas très élevées. Ceci tend à augmenter les profits des concessionnaires sur le bois en pied qui n’est pas évalué à sa juste valeur par les concesseurs. L’abattage illégal en-dehors des limites des concessions pénalise aussi les forêts. Malgré les disposi- tions légales incluses dans les contrats de concession, établis sous le couvert de la National Forestry Act, les peines et amendes appliquées, du fait de leur faiblesse, ne dissuadent pas les concessionnaires. Les procédures d'attribution des concessions, bien que clairement indiquées dans les différentes législations fédérales ou régionales, suscitent des pressions et des abus. On est en train d’y mettre bon ordre mais les errements passés ont été nombreux, lorsque les concessions étaient attribuées aux entreprises parapubliques et à quelques entreprises privées, détenues essentiellement… par les membres du gouvernement grâce à toutes sortes de combines administratives. La révision actuelle des procédures d'attribution et d’exploitation des concessions dans un sens plus restrictif fait suite à ces abus et à la diminution des aires récoltables. Elle cherche surtout à produire plus de valeur ajoutée localement à partir des bois récoltés. Les revenus totaux de la filière bois comptaient en 1992 pour 8 % du PNB malais. Ils sont en constante augmentation avec les objectifs fixés par le 6e plan national, qui consistent justement dans le développement des industries de transformation du bois, particulièrement dans le mobilier : les exportations dans ce domaine ont augmenté de 457 % dans les premières années de la décennie quatre-vingt-dix13 (photos 9 et 10). Afin de préserver les revenus à l’exportation, le gouvernement applique et reconduit régulièrement des restrictions aux exportations de grumes. La politique a eu des effets favorables pour le développement d’une filière de transformation du bois en Malaisie. Mais son contre-effet est l’impossibilité croissante qu’éprouvent certaines entreprises qui ont besoin de grumes à faible prix pour être compétitives, à trouver de la matière première. Sont particulièrement affectées les scieries et les pulperies qui ne disposent pas de concessions à long terme qui leur permettent de renouveler leurs stocks à moindre coût. L’attitude du Japon pose un autre problème car il est un des plus gros consomma- 12. Parnwell et Bryant, op. cit., p. 43. 13. Awang N., Forest concessions, revenue systems, and timber trade in CAP, op.cit., p.55 Grafigéo 2000-10 87 Transformations environnementales dans le monde malais teurs de bois : « toute solution à l’exploitation forestière non-durable doit impliquer un changement dans la politique japonaise discriminatoire à l'encontre des produits transformés »14. Mais la mauvaise exploitation correspond aussi à une imitation du Japon comme modèle de développement : les campagnes « Apprenez du Japon » à la fin des années 1980 ont produit leurs effets. Les pays d’Asie du Sud-Est suivent désormais les hauts et les bas de l’économie japonaise parce qu’ils suivent les modèles de développement japonais, mais aussi parce qu’ils suivent de près la délocalisation des activités qui ne sont plus rentables au Japon. La Malaisie péninsulaire est passée en dessous des 50 % de couverture forestière en 1989. On le doit à toutes les activités humaines dans les périmètres forestiers : mines, barrages, exploitation forestière, essartage, développement des plans agricoles,… Les barrages recouvrent à eux seuls 100 000 hectares de forêt en Malaisie Péninsulaire, sans compter ceux qui sont en construction ou en voie d’achèvement comme ceux qui doivent pallier le manque chronique d’eau du Selangor. L’essartage est une cause de dégradation surtout en Malaisie Orientale : en 1985, 28 % du Sarawak était affecté par la pratique. Mais ce sont les pratiques d’exploitation forestière qui sont les plus destructrices, surtout dans les régions collinéennes, car elles peuvent détruire jusqu’à 85 % du couvert forestier quand on prend en compte les effets secondaires de la coupe, même sélective (par exemple, on a des taux de destruction de la végétation autour d’un arbre abattu supérieurs à 40 %). Ce sont les forêts en tourbières et les mangroves (1/10e du total des forêts) qui ont été durement touchées par l’aménagement des besoins humains. Les routes d’exploitation par exemple affectent 12 % des superficies forestières, à cause de cahiers des charges faiblement respectés. Elles sont considérées par la plupart des études non pas comme des coupe-feux, mais comme des vecteurs de feux : en effet, les déchets secs s’accumulent tout le long des routes et ceux-ci facilitent la propagation rapide du feu dans des secteurs qui ne devraient pas être touchées, mêmes s’ils sont encore à peu près intactes. Dans le cadre de cette diversification agricole, la pisciculture en eau de mer est encouragée. On crée de nombreux casiers dans les secteurs de mangroves, favorables par leur faible profondeur et les riches eaux dans lesquelles elles baignent. Toutefois, la destruction des mangroves a pour effet secondaire d’affecter gravement toute la pêcherie et la richesse du milieu qui dépendent lourdement du maintien de cet écosystème particulier : à force d’exploitation, la productivité des mangroves a baissé de 30 à 40%. Au total, on considère qu'en 1989, 85 % des forêts productives en Malaisie péninsulaire avaient été exploitées, 75 % au Sabah et 35 % au Sarawak15. La destruction du milieu forestier se traduit bien évidemment par une augmentation des charges en suspension dans les cours d’eau, mais aussi par une élévation de la température, chiffrable aux environs de 4 à 5°C entre l’intérieur des forêts et une localité à l’extérieur. Les dangers d’assèchement des couches humifères et des épaisseurs de tourbe considérables dans certains endroits se sont une fois de plus confirmés pendant les immenses feux de forêt qui ont affecté la région pendant plus de 6 mois. Le rôle de filtre à plusieurs niveaux de la forêt diminue aussi (poussières, boues,…) augmentant les risques de pollution aérienne déjà en croissance continue. Les mesures de protection de la biodiversité La diversité biologique ou biodiversité peut être définie comme la quantité et la structure de l’information contenue dans les systèmes vivants hiérarchiquement emboîtés16, avec transferts d’informations d’un 14. Holliman, cité p. 74 in Parnwell et Bryant, op.cit. 15. N. Manokaran, An Overview of Biodiversity in Malaysia, in CAP, op.cit., p. 202. 16. Blondel J., Biogéographie, Approche écologique et évolutive, 1995, 298 p. 88 Grafigéo 2000-10 La prise de conscience environnementale malaise niveau hiérarchisable à l’autre. Des estimations basses donnaient en 1989 pour la Malaisie, 1000 espèces de papillons diurnes, 8000 espèces de papillons nocturnes, 250 espèces de termites, 366 de moustiques, 200 d’oiseaux, 147 d’amphibiens, 130 de lézards, 170 de serpents, 250 de poissons d’eau douce, 675 espèces de mammifères,… Entre 50 et 60 % de ces espèces vivent en forêt et ne peuvent survivre si leur habitat est perturbé. La forêt dense ombrophile, par sa stratification et son étendue agit comme une mer en isolant toute une série de niches plus ou moins vastes, plus ou moins communicantes, propices à un très fort taux d’endémisme. De là une très forte biodiversité, ce qui fait à la fois la force et la faiblesse du système. Force, parce que c’est un laboratoire permanent pour la création de nouvelles espèces végétales ou animales grâce à la très forte combinatoire possible. Faiblesse, car l’extrême adaptation de certaines espèces à des niches empêche une adaptabilité aux changements de l’environnement induite par l’exploitation intensive des ressources naturelles. En Malaisie péninsulaire, la plus grande biodiversité se retrouve dans les forêts de basses altitudes, et c’est justement celle qui est la plus exploitée. La population, de grands mammifères a décru considérablement : de 3 500 tigres en 1950, on estime que la population est tombée à 250 individus (d’autres disent 600-650), ce qui est la limite extrême avant que l’on ne considère la population comme éteinte, du fait de la consanguinité et de la difficulté qu’ont les individus à se rencontrer pour se reproduire. Il en va de même pour les rhinocéros, les gaurs (bœufs sauvages), les éléphants et tous les autres animaux que l’on n’a pas encore découverts (il y a trois ans, on découvrait encore une espèce de cervidé de bonne taille que l’on n’avait encore jamais observé scientifiquement). La disparition des grands organismes dans un sens plus fragiles que les autres car il leur faut un espace plus important pour pouvoir survivre, se produit aussi pour les plus petits organismes. Même la biodiversité des espèces cultivées ou domestiquées est remise en question Grafigéo 2000-10 par les politiques de développement des grandes plantations. La thématique dans ce cas-là se rapproche totalement des problèmes que nous connaissons en Europe, avec la création de conservatoires des espèces, afin de remédier à la trop faible différenciation génétique des animaux et des plantes que l’on produit de manière industrielle par clonage ou insémination artificielle. Les mesures de protection sont-elles suffisantes ? Le braconnage représente la plus grande menace pour les espèces sauvages après la destruction de leur habitat, particulièrement dans sa forme organisée. Quelques braconniers utilisent les populations aborigènes ou indigènes pour se faire guider. Le sixième Plan prévoit la mise en application de différentes dispositions en faveur de l’environnement, particulièrement à propos du développement durable. Il a pour conséquence la création de parcs nationaux un peu partout. C’est la première mesure de protection véritable des espaces naturels, qui les place à l'abri de toutes les menaces d’exploitation (mais pas toujours de sources de pollutions). En effet, le Department of Wildlife and National Parks (DWNP) a été fondé en 1972, sous le couvert du Protection of Wildlife Act n° 76. Il dépend du même ministère que le département de l’environnement à savoir le Ministère des Sciences, des Technologies et de l’Environnement. Ce département d’État a d’abord commencé par déterminer des zones à protéger. Par manque de moyens, il s’est d’abord contenté d’empêcher dans les parcs naturels les destructions les plus criantes de faune et de flore (empoisonnements, chasses abusives) tout en aidant les populations à résoudre leurs rapports conflictuels avec la faune, problèmes causés par les tigres, éléphants, gaurs et autres sangliers ou macaques. Ils devaient aussi mettre en place des programmes de préservation des espèces les plus menacées par des captures et des élevages en vue d'une réintroduction dans le milieu naturel. Rapidement une unité de recherche est mise en place pour juger de l’effet des mesures prises et anticiper les mesures à prendre. Elle fonc89 Transformations environnementales dans le monde malais tionne en collaboration étroite avec les universités ou les organismes nationaux et internationaux. Les mesures et les définitions des degrés de protection sont détaillées dans le Wildlife Act 1972, distinguant en deux catégories les animaux à protéger : protection simple ou protection totale. En 1995, 293 espèces animales et 610 oiseaux étaient totalement protégés, la plupart étant inscrits sur les listes du CITES (convention que la Malaisie a signée en 1983). Pour les espèces protégées, elles sont simplement soumises à contrôle : on peut continuer à les chasser, les commercialiser, les attraper en demandant une autorisation. Cette classification reprend celle du CITES dans ses deux appendices. La Liste rouge des espèces menacées de l’UICN est aussi utilisée comme référence. Les parcs nationaux sont généralement sous la responsabilité des Etats mais soumis à un contrôle de la Fédération. Entre les deux niveaux, les législations se contredisent parfois. De plus, tous les écosystèmes ne sont pas préservés de la même manière. Alors que les différentes forêts à diptérocarpacées sont relativement bien protégées, les mangroves sont presque oubliées (il reste à peine 60 % de la quantité originelle) ainsi que les forêts marécageuses, généralement enregistrées comme des forêts du Domaine (donc exploitables). Les parcs sont encore relativement peu nombreux, mais ont souvent une taille suffisante pour préserver une bonne partie d’un écosystème de manière viable. Le tableau suivant donne les superficies protégées par les législations (tableau 8). Certains de ces parcs sont très anciens comme le Taman Negara17 dans le Pahang (côte Est), enregistré en 1939. Il est issu de la fusion du Taman Negara Kelantan (1938) et du Taman Negara Terengganu (1939). Les Anglais commençaient à prendre conscience des risques du trop fort développement des plantations sur la quantité de gibier disponible. Ils ont donc créé ce parc en situation reculée sur des motivations naturalistes et ont entamé une tradition nouvelle en Malaisie qui se continue jusqu'à aujourd'hui. Sabah et Sarawak ont leurs législations propres. Au Sabah, le National Parks Act 1980 de la Fédération a provoqué l’enregistrement des parcs comme State Parks, et au Sarawak, la Forest Ordinance 1954, la National Parks Ordinance 1956 et la Wildlife Protection Ordinance 1956 permettent la création de National Parks (avec tous les risques de confusion avec le statut fédéral que cela implique). En Malaisie péninsulaire, les deux plus grands parcs nationaux sont le parc de Taman Negara (éponyme du genre) et Endau-Rompin, célèbre pour sa population de rhinocéros. Endau Rompin n’a pas encore été enregistré officiellement comme National Park : les Etats concernés (Pahang et Johor) préféreraient qu’ils soit simplement un State Park. Leur contrôle serait plus direct et ils pourraient toujours y créer des concessions forestières par exemple. Toutefois, on reproche fortement au Taman Negara de ne pas contenir en son sein un morceau de l’écosystème le plus menacé en Malaisie péninsulaire : les véritables forêts ombrophiles de terres basses. De même, Tableau 8 - Surfaces des parcs nationaux et naturels (en millions d'hectares) Région Parcs nationaux Parcs naturels Total Péninsule malaise 0,43 0,31 0,74 Sabah 0,25 0,14 0,39 Sarawak 0,08 0,18 0,26 Total 0,76 0,63 1,39 Source : Manokaran in CAP, 1997, p. 201 « la forme du Taman Negara n’est pas non plus idéale pour procurer un large panel d’oiseaux et de grands mammifères […] parce qu’une partie du parc est très étroite. »18 La Malaisie veut de plus en plus devenir une destination 17. La plus exacte traduction de Parc national. 18. Rachel Berger, Malaysia's Forests-…, p.129. 90 Grafigéo 2000-10 La prise de conscience environnementale malaise touristique ; outre l'attrait de sa culture, elle veut tirer avantage de son patrimoine naturel19. Toutefois, la mise en valeur de ce patrimoine naturel pose des problèmes de conservation : la surexploitation de la ressource peut provoquer sa disparition. Tous les Etats de Malaisie péninsulaire ne sont pas affectés de la même manière. Ces problèmes sont essentiellement situés sur les côtes et dans les Cameron Highlands. Ils sont liés aux plages et au développement des terrains de golfs. Les parcs nationaux, comme tous les State Parks, font de plus en plus l’objet de développement touristique et connaissent eux aussi des projets qui ne soulèvent pas l'enthousiasme des naturalistes. Les opérations de développement du tourisme appartiennent aux activités prescrites en avril 1988 qui peuvent faire l'objet d'études d’impact. Le manque généralisé d’intérêt et de volonté réelle d’agir a sévi un peu partout jusque dans les années quatrevingt-dix. Le principe d’un « tourisme durable » que l’on rappelle dans tous les discours tient plus de la rhétorique que de la réalité. Pourtant, le tourisme génère des revenus nets de plus en plus importants : en 1993, il contribuait pour 3,3 % du PNB de la Malaisie, avec la création d’une masse d’emplois considérable. On s'est rapidement orienté vers les trois S (Sea, Sand, Sun) auxquels certains ont tout aussi rapidement ajouté un quatrième (Sex) pour rappeler l’effet de Costa Disasta20, observé d’après les expériences méditerranéennes. En effet, ce tourisme balnéaire a amené la dégradation des côtes par un bétonnage excessif en certains points comme à Penang et Langkawi, ou bien le déversement des égouts dans la mer qui provoque non seulement toutes sortes de pollutions dange- reuses pour la santé des baigneurs et des consommateurs de produits marins, mais aussi tue la faune et la flore benthiques. Les taux de croissance de l’industrie touristique en Malaisie témoignent de la réussite des campagnes de promotion puisque jusqu’en 1985, le taux de croissance annuel de l’activité atteignait les 9,7 % alors que la plupart des autres pays de la région connaissaient des taux plus modérés autour de 3 à 4 %. Les touristes vont préférentiellement dans deux endroits : Kuala-Lumpur et Penang, île réputée pour les plages de Batu Ferringhi au Nord. Les autres parties de la Malaisie ne sont pas en reste : Pulau Tioman (Est), Langkawi (Nord Ouest) et le Sarawak sont les autres destinations principales des touristes qui tous cherchent plus ou moins une expérience « naturelle », en dehors des sentiers battus. Cela a provoqué la création de mini-resorts totalement interdits, qui ne bénéficient d’aucune des facilités tel qu’un réseau de traitement des eaux usées. La pollution par les déchets et les effluents, l’érosion des plages ont été importantes et essentiellement dues à ces infrastructures construites de manière inadéquate. Désormais, la composition des flots de touristes a changé en qualité : de plus en plus de personnes relativement aisées choisissent la Malaisie et se dirigent vers les resorts21 de luxe ou de demi-luxe (équivalents à nos 3 ou 4 étoiles). Il existe une différence entre les touristes européens et les touristes du sud-est asiatique, les Européens (Japonais inclus, car ils ont adopté des standards très proches des nôtres) mettent sans conteste en avant les qualités naturelles et environnementales de la destination. Cela se traduit par une fréquentation essentiellement européenne, au minimum 50 à 60 % 19. En 1993, K.H Din citait les chiffres officiels (Parnwell et King eds., Tourism in South East Asia, 1993, 327) : la Malaisie a connu une moyenne de croissance touristique d'environ 18 % par an pendant les années 1980, avec un pic en 1990 et 1991, des taux de croissance supérieurs à 50 %. « Le tourisme a émergé des brumes de l'économie malaise pour devenir le troisième poste de revenus en devises, surpassant la contribution des produits traditionnels, à savoir l'huile de palme, les grumes, le caoutchouc et l'étain. » 20. CAP, op.cit., p. 317. 21. ou Complexes touristiques, qui mélangent soit les grands bâtiments, soit de petits bungalows disséminés dans de la verdure. Ils veulent normalement concilier une certaine expérience locale au confort de standard international. Grafigéo 2000-10 91 Transformations environnementales dans le monde malais des personnes passant dans les infrastructures de tourisme, avec des pointes à plus de 80 % pendant les périodes de vacances du monde occidental et une augmentation de la fréquentation des parcs nationaux : en 1985, ils étaient 247 128 et en 1994, 527 546. Outre les parcs nationaux, l'intérêt se tourne aussi vers l’agro- et l’ethno-tourismes. L’avantage de la Malaisie sur certains de ses voisins, comme l’Indonésie, tient à : « (…)des sentiers balisés de manière adéquate accompagnés de brochures explicatives et d’informations sur l’histoire naturelle comme des panonceaux portant le nom des espèces sur les arbres ; de même des gardes-forestiers et des guides bien entraînés, érudits n’existent qu’en Malaisie. »22 (photos 17, 18, couverture) Lorsqu’on analyse les cycles d'un endroit à la mode, une des premières raisons invoquées par les visiteurs pour ne plus revenir dans un lieu touristique est la dégradation de son environnement. Toute réflexion sur un tourisme durable devrait donc se porter sur la préservation de ce qui fait l’attrait du lieu. Le développement durable d’une activité passe par une réflexion sur le long terme. Or le concept même de tourisme implique une grande volatilité des flux et tend à provoquer un investissement maximal pour tirer le plus rapidement des profits. Reste donc à planifier au mieux les lieux touristiques à développer pour permettre une gestion raisonnée en fonction de la capacité d’un lieu à accueillir la quantité et la culture des touristes. C’est une opération très difficile à quantifier, à évaluer et surtout, il est très difficile de dissuader les touristes d’aller dans un endroit sous peine de voir se tarir le flux. Par exemple, la plupart des protestations contre les parcours de golf s'adressent à la consommation excessive d’espace, d’intrants, de capitaux, d’eau qui peuvent faire défaut. Ils représentent une faveur faite aux étrangers au détriment des habitants per- manents. Pourtant, c’est une opération très rémunératrice quand on voit les capitaux qui peuvent découler de la mode du golf. C’est ainsi que la folie du golf au Japon fait que le mouvement quotidien des fonds générés par l’achat et la revente d’affiliations dans les clubs japonais est plus important que le volume quotidien des échanges sur titres des bourses de l’Indonésie, des Philippines et de la Malaisie réunies !!!23 Comme la demande est supérieure à l’offre, les cotisations d’affiliation ont tellement augmenté qu’un nouveau type de tourisme s’est développé à l’étranger, qui participa à l'essaimage des golfs un peu partout en Asie et dans le Pacifique. Même les classes aisées locales apprécient le golf comme un privilège de classe. Elles tendent à faire grimper les prix des cotisations des nouvelles infrastructures de golf qui deviennent comme au Japon, objet de spéculation. Singapour et la Malaisie n’échappent pas au phénomène. La plus grande attraction pour les touristes étrangers (d’un certain niveau de revenu) et des touristes malais dans les Cameron Highlands, ce n’est pas la forêt ni ses paysages, mais plutôt l’exploitation du Club de Golf huppé, à l'origine des projets immobiliers impressionnants pour l’endroit. Entre les choux et le Golf, des grands immeubles poussent comme des champignons, au grand dam des amis de la Nature. Dans les parcs naturels, les lodges sont soumises à réservation auprès de l’office local des parcs nationaux, afin de ne pas dépasser un seuil de capacité. Les opérations peuvent toutefois être assez importantes et on est en droit de se demander ce que viennent faire de vastes développements luxueux en pleine jungle. Taman Negara en témoigne, puisque le rapport d’activité et les brochures publicitaires mettent en avant le luxe des conditions offertes. il est parfois surprenant de se retrouver dans un quasi-quatre 22. Janet Cochrane, Tourism and conservation in Indonesia and Malaysia, dans Parnwell et King (eds), Tourism in South-East Asia, 1993. 23. Exemple donné dans Parnwell et Bryant, op. cit., Owen Cameron, Japan and South-East Asian Environment. 92 Grafigéo 2000-10 La prise de conscience environnementale malaise étoiles (air conditionné, piscine, chaînes satellites, chambres luxueuses…) en plein cœur de la jungle ! Nulle part on ne voit de système de collecte et de retraitement des eaux. On est en droit de se demander si ces facilités sont réellement « environnementalement amicales ». On peut se demander encore si l’environnement proche de ces centres dans lesquels les touristes restent souvent, n’est pas falsifié par le souci paysager de ces aménagements. De nouvelles orientations sont données aux infrastructures de tourisme. Elles tendent à limiter les développements pour éviter les collisions d’intérêts, pour mieux armer les populations locales afin qu’elles prennent en main plus sérieusement leurs destinées touristiques. Le tourisme doit pouvoir participer à la nécessaire intégration nationale des différentes communautés composant le pays. Le massacre des coraux et la pollution des plages sont désormais – un peu – plus prises en compte dans les développements touristiques de Langkawi et de Tioman. Un effort est en cours, mais sera-t-il vraiment efficace quand on connaît les impacts négatifs sur l’environnement qu’ils peuvent entraîner. Toutes ces évolutions qui vont vers une amélioration de l'environnement représentent des avancées réelles dans l'opinion publique et dans les sphères de décision. Tout un travail se fait non seulement sous la pression internationale, mais aussi sous la pression de groupes d'intérêt. Ils mènent une action éducative, informative et jouent le rôle d’un avertisseur en cas de déviance environnementale. Comment les relations entre l'exécutif national ou local avec les Organisations Non-Gouvernementales peuvent-elles donner une idée de l'importance réelle de ces ONG en Malaisie ? LE RÔLE DES ONG ENVIRONNEMENTALES EN MALAISIE Le gouvernement malais est l’un des plus ouverts de la région. Si les élections sont normalement tenues de manière assez démocratique, le Barisan nasional qui est la Grafigéo 2000-10 majorité au pouvoir depuis l’indépendance, n’a pas de réel compétiteur dans l’opposition. Son contrôle est hégémonique sur toutes les activités de diffusion de l’information, ses pressions sur la justice sont manifestes. L’emploi autrefois régulier de mesures coercitives comme la détention sans procès, de restrictions de sortie du territoire, et l’aveu manifeste du Premier Ministre d’une conception de la notion de démocratie différente de la nôtre, font que les associations doivent exploiter les moindres failles du système et les moindres plages de liberté. Peu puissantes, soutenues par des organismes internationaux qui profitent du légalisme du régime pour exercer leur influence, elles manifestent moins une attitude d’opposition systématique qu’une volonté de rester indépendantes des influences politiques. Elles s’appuient sur leur qualité de commanditaire d’expertise scientifique, et aussi sur leur indépendance d’opinion par rapport aux autres organismes internationaux. Leur qualité fut reconnue par le gouvernement Mahatir après la conférence de Rio. Il ne leur fait plus la chasse comme à des éléments subversifs, mais accepte de discuter avec eux en tant que consultants sur les matières environnementales. Cette relative acceptation et la relative liberté de presse permettent que ces associations gagnent en écoute auprès du public et auprès des instances politiques. L’action de ces ONG environnementales consiste essentiellement en du lobbying à travers la presse, avec la diffusion de contreexpertises réalisées par des scientifiques reconnus nationalement et internationalement. Elles jouent aussi sur les relations personnelles des dirigeants de certaines associations qui font eux-mêmes partie des élites politiques locales ou nationales. Enfin, elles exploitent au maximum les divergences d’opinion et de plans entre les gouvernements des Etats et le gouvernement fédéral. Leur rôle est maintenant toléré, après avoir longtemps été négligé, voire considéré comme subversif et donc réprimé. Les associations comme la Malaysian Nature Society ou la section malaise du WWF participent assez activement aux campagnes d’éduca93 Transformations environnementales dans le monde malais tion en proposant des stages et en sous-traitant des programmes environnementaux lorsque des établissements scolaires font appel à leur compétence. Toutefois, le contenu scientifique et les techniques pédagogiques pour faire passer les idées environnementales aux classes urbaines ne paraissaient pas encore au point. Mais le manque de moyens y est pour quelque chose. Plus intéressantes et semble-t-il efficaces sont leurs actions entamées auprès des communautés rurales, qui proposent des clubs de concertation et de prise en main de la gestion des problèmes environnementaux. Les programmes venant de commencer, il est pour l’instant impossible de dresser un premier bilan. Conclusion • Un patrimoine naturel renouvelé, des menaces de surex ploitation patentes La Malaisie jouit d’un patrimoine assez exceptionnel aussi bien par son étendue que par sa qualité. Les différentes procédures d’études et de protection de la nature témoignent d’un engagement à l’heure actuelle sincère des autorités. Même si certains abus sont encore décelables et que les projets pharaoniques séduisent toujours, une réelle volonté de protéger et d’apprécier l’environnement naturel de la Malaisie semble naître. Les communautés indigènes ou aborigènes se trouvent en accord avec les communautés urbaines pour la protection d'un environnement que tous doivent réapprendre à connaître. La tradition n'est plus suffisante dans un monde où tous les mouvements s’accélèrent et où, qu’on le veuille ou non, la résistance à la pression venue de l’extérieur s’affaiblit nécessairement. Plutôt que de s’arc-bouter contre une globalisation qui met les espaces régionaux en permanence en contact avec les réussites et les échecs du monde entier, le gouvernement malais tente de trouver une voie moyenne entre modernisme et tradition. Elle est moins ouvertement volontariste qu’à Singapour dont la population est très réduite et concentrée, mais les dirigeants ont pris acte de la gravité des problèmes environnementaux puisque d’eux dépend en grande partie la stabilité économique et sociale du pays. Le rééquilibrage se fait selon cette orientation, afin d’éviter des émeutes au sein des différentes communautés. Un lent travail d’éducation est entrepris, et on peut dire que la Malaisie n'est pas tellement en retard sur l’Europe, mis à part le problème du retraitement des eaux usées et des déchets. Lentement, mais profondément, la population malaise commence à prendre conscience des enjeux futurs que soulèvent les considérations environnementales. Le slogan Cinta Malaysia (J’aime la Malaisie) prend sa dimension non seulement dans le développement de l’économie, mais aussi dans la découverte des beautés du pays. On peut ainsi le voir à travers les sondages24 qui en 1996 donnaient sur les 2000 personnes interrogées une très forte proportion de Malaysiens conscients du mauvais état général de leur environnement (près de 90 % en moyenne ; 1994-1995 donnait 90 % de personnes pour qui la pollution était le plus important problème des dix dernières années), plaçant dans l’ordre les phénomènes de brume (haze, 1994-1995 : 86%), pouvant pour 60% des adultes en donner les causes : la pollution des eaux et des rivières (1994-1995 : 51%) et les problèmes de traitement des déchets. Les personnes interrogées étaient plus partagées sur l’efficacité des programmes télévisuels ou radiophoniques, bien qu’un sondage 1994-1995 donnât une forte proportion de sondés informés de l’existence de ces programmes. Ils appréciaient aussi l’aide que ces programmes médiatiques leur apportaient pour comprendre des phénomènes complexes. Toutefois, dès qu’il s’agit d’une quelconque implication personnelle dans un programme ou dans une réelle action pour l’environnement, les chiffres tombaient brutalement : 22 % ont été impliqués dans des actions de contrôle de la pollution, 44 % ne savaient 24. Récupérés au sein des ministères et département de l'environnement, d'après les NST Survey 1996 et le Frank Small Survey 1995-1996. 94 Grafigéo 2000-10 La prise de conscience environnementale malaise pas qu’ils existaient, et 40 % soit ne voulaient pas (6 %) ou n’avaient pas le temps (34 %). 92 % voulaient que des programmes environnementaux soient introduits dans les programmes scolaires. Les autres suggestions faites au gouvernement sont ensuite dans l’ordre (pas de chiffres pour 1996) : une participation accrue du public assortie d’une meilleure transparence, des pénalités accrues, et une révision des lois concernant l’environnement. Il est difficile d’extrapoler ces petits sondages à l’ensemble de la population malaise: les stratégies d’échantillonnage n’étaient Grafigéo 2000-10 pas indiquées et ne permettent pas de juger de la représentativité de l’échantillon. Il n’en reste pas moins que comme partout, les Malais sont de plus en plus conscients de la dégradation de leur patrimoine naturel, mais sont relativement peu enclins à s’impliquer dans des actions concrètes à moins d’y être contraints par des mesures légales. La notion de patrimoine apparaît progressivement à travers toutes les couches de la population et le gouvernement répercute le changement d’opinion dans les politiques qu’il mène. 95 Transformations environnementales dans le monde malais Embarcadère pour le bois, Rejang River, Sarawak (photo 9). Les rivières sont un moyen commode pour accéder aux concessions. Barge en cours de chargement de grumes, Rejang River, Sarawak (photo 10). Le transport fluvial réduit fortement les coûts d'extraction du bois dans les concessions à l'intérieur des terres. Les chargements sont impressionnants par la masse qu'ils représentent. Il n'est pas rare de rencontrer des bateaux lestés d'une pile de bois supérieure à 10 mètres de hauteur, tractant de plus une remorque toute aussi chargée. 96 Grafigéo 2000-10 Le Sarawak, un État à part dans la Fédération Chapitre 6 • Le Sarawak, un État à part dans la Fédération Q UEL QUE SOIT LE MOYEN de transport que l’on emprunte pour découvrir le Sarawak, on reste surpris par la variété des paysages, qui passe d’une forêt humide à de grandes plaines herbeuses, de belles rizières organisées qui correspondent parfaitement au cliché asiatique le plus répandu, aux petits essarts perdus au milieu des collines. L’habitat couvre l’éventail des immeubles officiels modernes, aux longhouses traditionnelles encore construites en matériaux naturels et enchâssées dans une forêt presqu’impénétrable. Sans cesse renouvelés par touches et retouches, les verts accompagnent les rivières et les fleuves qui serpentent en longs méandres argentés dans les plaines côtières, vision rafraîchissante dans la touffeur du climat. Les aspects sauvages de l’île font le contrepoint exact à la rigide organisation de la civilisation. Cette nature prodigue en plantes et en animaux abrite aussi des peuplades anciennes, qui vivent avec elle une relation encore très forte, presque fusionnelle. Cette relation se dissout, il est vrai, peu à peu, à mesure que les Dayak, Iban, Lugat, Kenyah, Kayan et Penan entrent en contact avec les Malais, les Chinois et le monde contemporain. Ils passent pour certains de plain-pied d’une civilisation fixe, éternelle dans son extériori- Grafigéo 2000-10 té comme peut apparaître la forêt, à une civilisation du contact, de l’immédiat, du présent mouvant. Et la forêt suit une même tendance. On l’éclaircit, on la transforme en profondeur pour faire surgir des poivrières, des palmeraies, des rizières ondulantes. L’habitat se rigidifie, s’aliène en ne recourant plus systématiquement aux produits de la forêt. Il appelle à la sédentarisation et incite ses habitants à modifier leur relation avec la forêt, à la considérer comme une ressource économique plutôt que comme un lieu où on revivifie la tradition. De larges routes utiles relient désormais les hommes de toute origine, par le bitume ou les flux d'information. Certaines de ces transformations vont trop loin, et vident la terre de sa substance, lavent le sol nourricier qui se déverse dans les cours d’eaux en flots boueux et lourds. Perdant une partie du pouvoir régulateur des forêts, les rivières se mettent à inonder leurs plaines avec une ampleur inconnue jusqu’alors, et provoquent des maladies. Elles rejettent en mer leur bourbe qui s’étale sur les côtes, étouffant les coraux et les fonds marins que les pêcheurs exploitent. La forêt s’assèche, se renouvelle plus lentement et perd irrémédiablement la variété de son capital biologique. Les incendies prennent 97 Transformations environnementales dans le monde malais Carte 7 - Sarawak, villes et parc naturels 110˚E 112˚E 114˚E SABAH 5˚N 29 Limbang N 35 Miri 4 26 Mer de Chine méridionale 21 BR. BRUNEI 17 2 Niah 9 3 12 5 Bintulu 3˚N 14 15 N 34 30 Sibu 16 11 25 23 28 6 31 27 24 100 km 8 cours d'eau KALIMANTAN Sanctuaires fauniques existants 1- Bako 2- Gunung Nulu 3- Niah 4- Lambir Hills 5- Similajau 6- Gunung Gading 7- Kubah 8- Batang Ai 9- Loagan Bunut 23- Samunsam 24- Lanjak-Entimau 25- Pulau Tukong Ara-Baram 10- Santubong 11- Tanjung Batu 12- Pulong Tau 13- Hose Mountain 14- Usun Apau 15- Pulau Bruit 16- Pelagua 17- Agrandissement de Gunung Mulu 18- Agrandissement de Bako 19- Parc marin de Tanlang Talang 20- Agrandissement de Kubah 21- Agrandissement de Niah 22- Mangrove de Salak localité frontière (INDONESIE) Parcs nationaux existants Parcs nationaux à l'étude Sanctuaires fauniques à l'étude 26- Sibuti 27- Agrandissement de Lanjak-Entimau 28- Agrandissement de Samunsam 29- Mangrove de Limbang 30- Batu Laga 31- Maludam Réserves naturelles à l'étude 32- Grottes de Wind et Fairy 33- Stutong 34- Bukit Mersing 35- Bukit Simbling et Bukit Hitam alors une importance qui bouscule les principes multicentenaires des tribus. Résignation et fatalisme prévalent dans la population. Le tableau que nous venons de dresser et que l’on nous donne constamment à voir, fixe-t-il toute la réalité environnementale du Sarawak ? Quelles nuances faut-il apporter ? Le Sarawak est le plus vaste État de 98 Kapit Bandar Sri Aman Serian 1˚N 0 Sarikei 19 10 1 22 7 20 18 Kuching N 33 N 32 13 N Sources diverses toute la Fédération de Malaisie. D’abord placé dans l’orbite du Sultanat de Brunei, puis durant un siècle sous la domination anglaise avec la dynastie des White Rajahs, les Brooke, le Sarawak a décidé son rattachement plénier à la Fédération en 1963, huit ans après l’Indépendance de la Malaisie. Comme le Sabah, il possède une originalité propre qui forge sa différence avec la péninsule : différence paysagère, car Grafigéo 2000-10 Le Sarawak, un État à part dans la Fédération il n’a pas les mêmes caractéristiques géologiques ; humaine, car la moitié de sa population est indigène1 ; économique, car le bois et le pétrole, avec un peu d’agriculture sont presque ses uniques ressources ; plus libre dans ses lois, il a un code pénal particulier, spécialement en matière environnementale. Faible densité et relativement faible urbanisation sont les deux traits majeurs du peuplement. Comme on le dit en Malaisie, le Sarawak est « une exception » au sein de la Fédération. DES PROBLÈMES ENVIRONNEMENTAUX REPRESENTATIFS Si le Sarawak connaît les mêmes problèmes environnementaux que les autres pays de la région, il se distingue d’eux par des spécificités que nous tenterons de relever. Les problèmes causés par l’exploitation du pétrole L'essentiel des activités industrielles se concentre autour de l’exploitation pétrolière, des scieries et enfin de l'agro-alimentaire avec les huileries qui prennent de plus en plus d'importance, ainsi que toutes les petites industries de transformation du poivre. Les pollutions générées par les activités industrielles sont mineures par rapport à celles de l'extraction du bois et des nouvelles plantations. Seule l'industrie pétrolière peut être considérée comme réellement polluante à grande échelle au Sarawak. Ces problèmes ne sont pas encore trop graves aux yeux des environnementalistes bien qu’ils essaient de rester vigilants. Les publications gouvernementales sont relativement restreintes sur le sujet car le pétrole est une ressource sensible. Toutes les installations pétrolières font partie des industries qui doivent être soumises à une procédure d’étude d’impact. Ce n'est pas une industrie très propre car les rejets d’hydrocarbures sont estimés à 3000 t/an rien que pour les sites de production2. Toutefois, il n’est pas impossible que des accidents d’exploitations surviennent de temps à autre comme les 4530 barils de pétrole déversés en mer de Chine au large de Bintulu en mars 1996, à la suite d'un incident technique sur une plate-forme d’exploitation. C’est la Shell exploitant du site et du terminal pétrolier de Bintulu, qui a dû assurer les travaux de nettoyage et de contention de la mini-marée noire. Deux conséquences : la première fut le renforcement de la législation malaise pour combattre les marées noires (le National Oil Spill Contingency Plan, ainsi que l’établissement d’un Fonds de nettoyage des plages et des Comités de nettoyage des plages dans chaque Etat. La deuxième conséquence fut l’établissement de protocoles d’accord entre la Malaisie et Brunei. Un exercice grandeurnature a été pratiqué « afin de tester les liens de communication entre les différentes autorités et parties impliquées dans chacun des pays »3. Des forêts variées fortement exploitées L’essentiel du territoire était autrefois une large forêt climacique, parfaitement adaptée aux différences d’hygromorphie des sols, et aux températures. La caractéristique la plus importante de la forêt de Bornéo, dont le Sarawak possède un grand échantillon, est la domination des espèces appartenant à la famille des Diptérocarpacées, dont les deux traits fondamentaux sont la présence de canaux à résine à l’intérieur du bois, et l’enveloppement des graines par un ou plusieurs sépales de la fleur, formant ainsi une ailette comme sur les fruits de notre érable. Seul Bornéo possède autant d’espèces avec 9 genres et 287 espèces différentes. Ce sont des arbres qui peuvent atteindre des tailles gigantesques (plus de 50 mètres de hau- 1. Voir la définition dans le chapitre 1. 2. CAP, State of the environment in Malaysia, p. 410. 3. DoE, Environmental Quality Report 1996, p. 45. Grafigéo 2000-10 99 Transformations environnementales dans le monde malais teur), avec des volumes en rapport. Il n’y a quasiment que des diptérocarpes dans la strate supérieure de la canopée. Presque toutes les espèces de cette famille ont un bois utile. L’excellente qualité du bois, la variété des volumes extractibles, leur relative homogénéité qui permet un approvisionnement continu, ont entraîné une production industrielle énorme. Les deux Etats malais du Nord de Bornéo se sont rapidement retrouvés les principaux exportateurs mondiaux de bois tropicaux, alors que les concurrents philippins et indonésiens se sont rapidement essoufflés : une plus forte pression sur les ressources en bois a tari les flux d’exportation (figure 3). Les forêts du Sarawak sont surtout des forêts de colline et de basses terres (carte 8) et poussent principalement dans la zone côtière, là où désormais, les populations se fixent préférentiellement. Elles croissent dans des conditions souvent difficiles du fait du profil et du lessivage des sols. Trois associations floristiques occupent l'essentiel de ces terres basses. Les forêts qui poussent dans les meilleurs sols sont les forêts les plus riches en espèces et souffrent le moins de l’exploitation lorsqu’elle est pratiquée dans les règles de l’art. Alors que les Kerangas (photo 11) grandissent dans des sols quasi inexistants (10-20 cm), les Kerapah peuvent pousser dans des épaisseurs d’altérites profondes de plusieurs mètres mais très pauvres et très acides : ce sont généralement des formations sablonneuses ou glaiseuses. Les coupes transversales de ces derniers types de forêt montrent une diversité des situations qui provoquent à chaque fois un appauvrissement ou un enrichissement floristique. En général, ces formations végétales sont relativement moins hautes que les forêts de diptérocarpes. Les forêts les plus pauvres en espèces sont les forêts marécageuses : la variété d’arbre la plus représentative en est le Ramin. On les trouve à côté des dômes de tourbe ou dans les franges des nouvelles formations marécageuses côtières. Figure 3 - Production de grumes en Malaisie 30 25 20 15 10 Autres Indonésie Sarawak Million m3 5 Sabah Philippines 0 1965 1970 1975 1980 1985 Source : d’après Nectoux et Kuroda, 1992. In Primack et Lovejoy, 1995. 100 Grafigéo 2000-10 Le Sarawak, un État à part dans la Fédération Carte 8 - Les forêts de Sarawak LÉGENDE Étendues continues Forêts marécageuses Bois dispersés Étendues continues continues BE Étendues Bois dispersés Cultures D'après : Primack, Lovejoy, 1995. Ces forêts mixtes à ramin couvrent à peu près 80 % des superficies marécageuses du Sarawak. Elles sont considérées comme difficilement exploitables à cause de la lenteur de leur croissance : Quand les arbres sont récoltés commercialement dans ces forêts, la régénération des arbres et les taux de croissance donnent des résultats décevants par leur faiblesse4. Les auteurs continuent à afficher la même prudence à propos des possibilités d’exploitation des autres types de forêts : « Les forêts marécageuses à Alan, de type PC3 [forêt dense à Shorea albida en association, meilleur type de forêt marécageuse] ont été exploitées par coupes claires depuis les années cinquante, mais la régénération naturelle a échoué. L’échec persistant de la régé- nération du Shorea albida dans les périmètres récoltés commercialement ou attaqués par les insectes […] est symptomatique d’un régime de régénération fragile qui reste encore un mystère complet pour les sylviculteurs et les écologistes. La coupe claire telle que pratiquée actuellement enlève de toute évidence une importante ressource et abîme un écosystème sans la promesse d'une restauration. La plantation, bien que possible, est risquée et chère […].5 Une meilleure compréhension actuelle du rôle fondamental de la canopée et de la biodiversité dans les tropiques permet une utilisation plus raisonnée des divers types de forêts, tout en soulignant l’extrême fragilité de certains milieux comme les forêts qui viennent d’être étudiées : des facteurs encore inconnus empêchent la reconstitution naturelle de certains types et de certaines 4. Primack et Lovejoy, op.cit., p.46. 5. ibid., p. 48. Grafigéo 2000-10 101 Transformations environnementales dans le monde malais espèces. Elle montre combien il est important pour la durabilité de la ressource d'adopter des pratiques très sélectives et légères d’exploitation, ainsi que de se réorienter vers des modes de production très diversifiés. Les critères de l’ITTO (International Timber Trade Organisation, basée au Japon) sembleraient proposer les solutions les plus adéquates pour la gestion de ces forêts fragiles dans leurs sous-types les plus résistants. Les plaines entourant Miri, largement marécageuses, ont été presque entièrement défrichées, et elles sont en cours de bonification, ainsi qu’on peut le voir sur la photo 12. Elle nous montre le paysage qui résulte des travaux d'exploitation et la qualité des développements qu'on y pratique. La dégradation des associations végétales par une exploitation sylvicole se double d’un risque d’incendie avec les pratiques traditionnelles agricoles. Depuis la fin des années soixante-dix, des critiques contre l’essartage (ladang en malais) se sont élevées au Sarawak et à Sabah. Elles déplorent la perte de bonnes espèces de bois d’œuvre. Des politiques ont par conséquent été mises en place pour encadrer, stabiliser et changer les traditions agricoles, en introduisant de nouvelles cultures de rente sur le modèle de la plantation. « D’un autre côté, des études sur le changement socio-économique au Sarawak ont été très critiques à l’égard de l’exploitation forestière commerciale et des politiques de développement gouvernementales […]. L’accusation met en cause la pénétration d’une économie capitaliste, la mise en œuvre de politiques clientélistes, et la planification du développement (hiérarchique, i.e. dont les décisions partent toujours d’en haut et sont applicables par le bas) : ce sont les principales causes à la fois de la destruction environnementale et de la détérioration des cultures. Il va sans dire que la critique de l’exploitation forestière a provoqué de vives réactions de la part des représentants du gouvernement. »6 Même l’ITTO pourtant modérée dans ses jugements a émis la critique que les rythmes d’exploitation des ressources au Sarawak n’étaient absolument pas durables. La conséquence la plus impressionnante des éclaircissements dans le couvert forestier de Bornéo, à travers tous les États qui composent l’île, c’est l’assèchement de l’air et de la végétation qui produit en continu une grande quantité de matières mortes facilement inflammables. Elle se traduit par une augmentation de la durée, de l’intensité et de la fréquence des sécheresses. Entre les oscillations les plus dures d’ENSO7, la population a aussi changé ses habitudes. D'après les études menées au Sarawak, les essarteurs se sont mis à pratiquer leur agriculture traditionnelle dans les zones de forêts secondaires, plus facilement pénétrables et défrichables. Après les premiers stades de l’exploitation forestière, une partie des communautés « indigènes » pratiquent les ladang dans les zones exploitées, avant que la végétation n’ait eu le temps de se reconstituer autour (photo 13). Cette pratique peut avoir comme conséquence l'éventualité de feux dans une forêt beaucoup plus sèche que la forêt primaire. La proximité des villes a une influence sur le défrichage. Plus elles sont proches, plus les possibilités techniques et donc l’efficacité du défrichage sont grandes. Les feux d’essartage ou de débroussaillage prennent une intensité nouvelle, inconnue jusqu’alors. Les endroits les plus affectés par les feux de 1997-1998 furent ainsi à plus de 80 % les périmètres d’abattage. Tous les indices de pollution aérienne par particules ont littéralement explosé : les habitants racontent que pendant des jours entiers, les conducteurs ne pouvait voir le capot de la voiture tant la fumée était dense (cf. chapitre 1). Un renouveau agricole est devenu nécessaire et s'accomplit avec l'aide de spécialistes délégués par le gouvernement du Sarawak et du gouvernement fédéral. Des programmes de recherche agronomiques et des essais-pilotes sont en cours. Une évolution 6. Parnwell et Bryant, Environmental Changes…, p. 166. 7. El Niño Southern Oscillation ou en français, Oscillation australe d'El-Niño. 102 Grafigéo 2000-10 Le Sarawak, un État à part dans la Fédération paysagère est déjà visible dans les campagnes de l'État. La progressive transformation des paysages agricoles La population du Sarawak est essentiellement agricole. Les revenus tirés de la forêt sont très nombreux mais avec la sédentarisation, l’accroissement de la population rurale et surtout urbaine, on voit apparaître différentes formes d’agriculture plus productives, plus rémunératrices. On construit des sortes de serres (en fait des armatures sur lesquelles on a remplacé le film de polyéthylène par des filets aux mailles serrées) pour les légumes qui approvisionnent en produits frais les marchés urbains. La demande est en constante augmentation depuis le développement de l’industrie du bois, et surtout de la pétrochimie. Des villes comme Bintulu, Miri doivent leur existence presqu'uniquement aux besoins de l’industrie pétrolière. On peut ainsi voir de grands périmètres d’agriculture intensive, entièrement tournée vers le commerce dans la périphérie des grandes villes comme Sibu, Miri et surtout Kuching. Les photographies ont été prises en amont de Kuching, dans le secteur de Siburan (route de Serian au sud-est de Kuching) à une quinzaine de kilomètres (photos 14 et 15). Elles sont bien représentatives de ce que l’on peut apercevoir autour des villes précitées, avec de grands champs soignés. C'est le genre d'agriculture qui demande un temps complet et incite à la division du travail : les paysans ne peuvent ou ne veulent plus forcément produire tout ce dont ils ont besoin (animaux et végétaux). Ils intègrent ainsi dans leur régime alimentaire une part croissante d'aliments transformés industriellement ou non, et dérogent à l'autosubsistance quasi totale d'avant. Le paysage se transforme encore de manière plus importante avec les cultures commerciales de plantation. La culture du poivre, du cacao et surtout des grandes plantations de palmier à huile réclame des superficies de plus en plus grandes au Sarawak. Cette dernière culture est parfois pratiquées sur les collines ; le terrassement nécessaire à l’entretien et à la récolte produit depuis l’avion des paysages aussi étranges que beaux alors que depuis la terre ferme, ils présentent un intérêt très relatif. Certains paysages sont beaucoup plus typiques de la culture du palmier en grands périmètres mais ils sont encore loin d’atteindre l’ampleur de ceux qui existent en Malaisie péninsulaire, où les palmiers à huile s'étendent à perte de vue. L’INDIGÉNAT FORT DU SARAWAK FACE AUX DÉFIS DE LA MODERNITÉ L’utilisation des intrants, l’augmentation de la charge en suspension dans les rivières et les risques d’incendie ou d’inondation croissent régulièrement au Sarawak. Les conséquences sont d’ordre sanitaire pour les populations urbaines comme pour les populations rurales. Mais pour les « Indigènes »8 s'ajoute le problème de l’adaptation aux nouvelles donnes économiques et sociales imposées par la modernisation du pays et son accession au statut de pays développé aux alentours de l’an 2020. On commence à prendre la mesure du problème que pose le statut des terres indigènes traditionnelles et de l’exploitation des forêts. Pour certains, il n’y a aucune raison pour que quelques centaines d’individus gênent la grande marche du progrès en alléguant des droits ancestraux qui sont difficilement prouvables et de toute façon rarement respectés par les sociétés en charge de l’exploitation d’une concession. Le grand tournant dans le respect des droits indigènes vient de la Bataille pour les Forêts du Sarawak, pendant toutes les années 1970-1980, que nous avons décrite dans le premier chapitre. Ces manifestations, ces barricades, ces délégations envoyées à travers le monde ont provoqué le réel retournement environnemental du gou- 8. C'est, je le rappelle, un terme constitutionnel. Je n'ai pas trouvé d'autres traductions qui me paraissent satisfaisantes. Grafigéo 2000-10 103 Transformations environnementales dans le monde malais vernement malais, tant fédéral que local. Elles ont mis en évidence les dangers de la fusion des intérêts de l’État avec ceux des concessions. Les nébuleuses népotiques sont nées de là au Sarawak. Des gouvernants sont devenus juges et parties dans les conflits entre les particuliers qui désirent le respect des droits coutumiers, et des entreprises qui pour gagner plus d’argent ne s’embarrassent d’aucune précaution. Les associations environnementales ont pris lors de cet épisode toute leur dimension de groupe de pression et de promoteur démocratique. Ce rôle a été reconnu par l’Etat qui ne pouvait plus répondre uniquement aux contradictions flagrantes par des peines d’emprisonnement politique généralement cassées au Tribunal. Je me fonderai d’abord sur les différents articles qui ont été écrits par les membres du groupe de recherche de la Hull University et qui reposent sur une étude de cas menée entre 1990 et 1994 en coopération avec les universités locales. Ils constituent une base de connaissances trouvables, et prennent l’exemple des Iban, ethnie la mieux représentée au Sarawak (29 % de la population totale, autant que la population chinoise). D’autres articles, pris dans des éditions environnementalistes variées nuanceront certains points de vue communément exprimés. Importance des produits forestiers autres que le bois dans les socié tés traditionnelles du Sarawak Les produits forestiers autres que le bois (PFAB) sont tous les produits que l’on peut collecter dans la forêt et qui contribuent à l’amélioration des conditions de vie. Ce sont tous ces aliments « sauvages » comme les bulbes, rhizomes, les fruits et les produits de la chasse, ce sont encore les éléments de construction tels les palmes pour couvrir les toits, les teintures et les éléments nécessaires à la confection d’outils. Ils servent alors de tampon de soudure pour les gens qui vivent à proximité ou à l'intérieur les forêts : ils permettent une source d’alimentation et de revenus complémentaires non négligeables particulièrement en temps de difficultés économiques. Ainsi que Nancy Peluso9 l’a mis en évidence, la collecte de produits forestiers autres que le bois (PFAB) est d’un rapport nettement supérieur à la simple exploitation commerciale des ressources en bois, tout en ayant un impact environnemental nettement plus réduit et en procurant davantage d’emplois. Depuis que des activités commerciales sont entreprises dans les forêts (coupes, agricultures, installations), la qualité, la quantité et la diversité de ces autres ressources diminuent rapidement. La collecte de ces PFAB n’est pas non plus durable si elle est entreprise à grande échelle et contribue au processus cumulatif de dégradation des ressources. Cela affecte en premier lieu les communautés qui habitent la forêt. L’étude pose le problème du changement de la configuration environnementale et sociale dans le secteur de Bintulu, et l’interprétation à lui donner. L’ampleur de leur mise en œuvre dépend largement de la conjoncture économique et c’est une activité très flexible à cause de sa presque totale liberté d'accès. On rentre très facilement dans les bois pour y récolter sans presqu’aucun contrôle, des produits qui peuvent avoir une assez forte valeur vénale. Des « outsiders », nouveaux urbains sans emploi ou migrants sans qualification, vont tenter de profiter du flou qui existe sur les titres de propriété et le contrôle des terres, pour aller trouver des revenus complémentaires et épuiser une ressource « qui est par définition limitée, et peut être potentiellement renouvelable »10. Une concurrence entre les habitants qui vivent et dépendent des forêts et les autres exploitants temporaires peut apparaître occasionnellement pour finir par être 9. Nancy Lee Peluso, Rich forests, poor people : resource control and resistence in Java, Berkeley, University of California Press, 1992. Cet auteur a fait date dans les recherches sur l'interface homme/forêt en Asie du Sud-Est. 10. Parnwell et Bryant, Environmental change in South-East Asia, article de Parnwell et Taylor, Environmental Degradation, non-timber forest products and iban communities in Sarawak, p.271. 104 Grafigéo 2000-10 Le Sarawak, un État à part dans la Fédération préjudiciable aux deux catégories de population. De même, ceux qui dépendent de la cueillette peuvent pâtir des changements dans les goûts des consommateurs qui se mettent à apprécier de produits plus standardisés, fabriqués à partir de matières premières de substitution. Un danger guette encore l’approvisionnement : le changement des conditions écologiques par l’installation de nouvelles activités comme le commercial logging (exploitation forestière commerciale). Les Kenyah en amont de la Baram, par exemple, vivaient essentiellement de ce qu’ils produisaient et récoltaient. En fonction de la conjoncture économique, ils se mettaient ou non à consommer ce qu’ils vendaient en temps normal (comme la viande de daim aboyeur ou de daim-souris). Ils pouvaient encore se tourner vers l’exploitation de ressources entièrement commerciales comme les noix de l’illipe à la production très irrégulière mais rémunératrice et dont l’huile est un bon substitut à la graisse de cacao, ou encore une base de savon. La domestication progressive de cet arbre sauvage a commencé, sans aide ni incitation gouvernementale. Elle est peutêtre due à la concurrence que se livrent entre elles les longhouses sur le petit nombre d’arbres sauvages. Dix ans plus tard, à cause de la progression des coupes de bois, les porcs sauvages dont dépendent ces communautés pour leur approvisionnement en protéines se sont raréfiés et ont obligé les longhouses à se déplacer plus amont pour retrouver un peu plus de potentiel d’approvisionnement dans les parties les mieux préservées de la forêt. Ceux qui sont restés dans l’ancienne longhouse ont concentré progressivement leur régime sur des plantes cultivées plutôt que sur les plantes ramassées en forêt comme auparavant : ils ont dû se contenter de ce qu'ils pouvaient produire eux-mêmes puisque les PFAB qu'ils consommaient n'étaient plus disponibles facilement. Pourtant, on ne peut réduire l'explication à une seule cause de ce changement de régime : un faisceau de facteurs tendrait à l’expliquer par la pénétration plus poussée des idées du monde extérieur, par l'arrivée de l’économie de Grafigéo 2000-10 marché, par l'évolution des traditions communautaires… Les plus anciens membres de la longhouse restés sur place affirmaient même qu'ils avaient plus de porcs qu'autrefois, ce qui tendrait à montrer que la scission de la communauté en deux groupes serait une forme d'adaptation de la population à la quantité de ressources disponibles. Les auteurs définissent des points essentiels pour mesurer et comprendre l’interaction entre les évolutions des sociétés traditionnelles et l’environnement. Ces points mettent en avant l’interconnexion entre la technologie et la culture locale, la disparition des traditions coutumières et l’ouverture au monde extérieur, la croissance des activités nonagricoles et l’accélération de la domestication des PFAB les plus rémunérateurs. Le reste de l’étude s’attache au cas particulier des Iban du District de Bintulu. Elle ne peut en aucun cas être représentative ni du district en son entier ni de la totalité des Iban du Sarawak : ils se sont installés dans ces longhouses depuis seulement 20-25 ans au maximum, alors que dans les premier et second districts (les districts les plus à l’ouest), l’installation remonte jusqu’au siècle passé. Le premier travail a consisté à faire le point sur la perception que cette population avait de son environnement : bien que reposant sur des phénomènes hautement subjectifs, cette mise au point est importante car elle conditionne les décisions économiques qui vont transformer l’utilisation du paysage. Plus on remonte la rivière, plus la perception d’une dégradation des conditions environnementales est aiguë : c’est là que les personnes interrogées se sentent le plus affectées par les coupes forestières qui diminuent les PFAB et sédimentent les rivières ; ces personnes pratiquent une agriculture moins efficiente et dépendent ainsi plus de la forêt. La pratique des coupes sélectives a aussi privé ces communautés d’arbres utiles comme le Belian pour la construction de leur habitat. Si les exploitations forestières sont perçues comme la principale cause de nuisances, les restrictions gouvernementales accroissent le sentiment d’une difficulté à 105 Transformations environnementales dans le monde malais vivre dans leur longhouse. Ce sentiment ne tient pas compte de l’augmentation de la population ni des changements dans le mode de vie traditionnel : l’utilisation extensive de la forêt ne peut permettre une intensification sans l’emploi d’intrants. Les Iban reconnaissent que la surexploitation des terres défrichées a entraîné une baisse de la production en riz qui ramène pour certains l’autosuffisance à 8-9 mois : la jachère (fallow-period) n'est pas respectée au minimum pour restaurer les qualités du sol. Par rapport à ce que l'on pouvait mesurer il y a quelques décennies, une autosuffisance même de 6 mois reste quand même un grand progrès. 50 % des personnes interrogées disent qu’elles achètent régulièrement du riz, et 98 % déclarent acheter d’autres produits alimentaires. 65 % déclarent ne pas tirer suffisamment de revenus de leurs PFAB pour répondre à leurs différents besoins. Ces communautés ne sont donc plus assez autosuffisantes ; elles sont désormais intégrées dans une économie de marché et de consommation. Malgré une perception dégradée de leur environnement et leur intégration croissante dans les réseaux commerciaux, les foyers des longhouses dépendent encore beaucoup de la forêt pour leurs protéines, leur habitat, leur médication et les matières premières pour leur artisanat. Il est assez alarmant de noter que les deux tiers des foyers consultés déclarent les PFAB plus difficiles à récolter et que le dernier tiers déclare avoir réduit ou cessé ses activités artisanales sur certains produits du fait de ces difficultés : aussi comment trouver des ressources autres que les activités agricoles ? L’imagerie populaire faisait des Iban un peuple essarteur et chasseur redoutablement efficace. Toutefois, moins du tiers des foyers considérés allait encore chasser ou pêcher ; un cinquième dépendait vraiment de la chasse pour ses ressources alimentaires ; environ un quart dépendait de la pêche et un gros tiers de la collecte. Après tous les changements qui sont intervenus dans cette communauté, cette image relève désormais du mythe. Les Iban commencent à faire état de problèmes de carences alimentaires dues à la 106 disparition de certains produits collectés et leur remplacement par des produits conditionnés qui leurs sont vendus par les commerçants chinois citadins venus les démarcher. Ces nouveaux produits, poussés avec intrants, contenant des additifs, ne répondent pas aux besoins fondamentaux comme pouvait y parvenir l’alimentation traditionnelle plutôt variée. Il est assez préoccupant de constater que plus de la moitié des personnes interrogées envisageaient l’utilisation de moyens techniques modernes pour assurer la continuité et la régularité de l’approvisionnement en PFAB, tels que des poisons chimiques pour la pêche, des scies mécaniques…, etc. Cela ne témoigne pas d’une véritable prise de conscience dans la gestion personnelle de l’environnement. La plupart des villages de l’enquête font part de leur volonté d’intégration dans l’économie de marché, mais émettent cependant quelques réserves : ils ne comprennent la production artisanale que dans le cadre d’un réel marché de l’artisanat au Sarawak ; ils se plaignent de l’inaccessibilité aux produits bruts nécessaires à l’élaboration de ces produits artisanaux. C’est pourquoi, certains commencent à se lancer dans la domestication de certains de ces PFAB, comme le rotin, certaines espèces de végétaux comestibles (les fougères par exemple) pour pallier les déficits. En 1994, cela restait encore balbutiant. D’autres études doivent cerner la profondeur et la réalité de ces changements. Le lien perturbation environnementalemigration est-il toujours valide ? Nous suivrons ici l’analyse de V.T. King (1998, p. 137-168). Les options d’ajustement in situ sont généralement préférées, mais elles ne sont plus toujours possibles en raison de l'accroissement de la pression économique et démographique sur les ressources. Il est dans la culture des communautés traditionnelles du Sarawak de se déplacer régulièrement en fonction des ressources disponibles. Les facilités du monde urbain joue un grand rôle d’attraction dans les mouvements de population. Il est paradoxal de constater que c’est dans le cas Grafigéo 2000-10 Le Sarawak, un État à part dans la Fédération d’une obligation économique que les gens sont les plus réticents à bouger car ils n’acceptent pas d’être forcés. Selon la culture prévalant au sein de chaque communauté, les conditions psychologiques d’acceptation d’un départ varieront d’une communauté à l’autre en fonction de leur conception d’un seuil de tolérance. Certaines communautés réfléchissent et pensent sur le long terme, d’autres ne bougent qu’en fonction d’une pression maximale, sans autre alternative. Tous les groupes qui bougent ne constituent donc pas des réfugiés environnementaux, tels que la Commission des Nations-Unies pour le Développement et l’Environnement les définit car certains anticipent une situation alors que les réfugiés la subissent plutôt. La différenciation entre les réfugiés environnementaux et les autres groupes devient difficile lorsqu’il s’agit de changements graduels car la part d’anticipation et de culture prend de l’importance. Dans le cas des Iban, bouger, changer de terre, tracer une voie nouvelle pour son groupe familial ou clanique est une marque de prestige : c’est le bejalai. L’expansion Iban à l’Est et au Nord de la Rejang date de la seconde moitié du XIXe siècle. Ils atteignent le secteur de Bintulu vers les années 1900, et Brunei au milieu de ce siècle sans y être poussés par de grands problèmes environnementaux ou politiques. Le sureffectif n’était pas la cause unique de départ : sous le règne des Rajahs Blancs, les Iban cherchaient souvent à diversifier les sources d'approvisionnement des matières dont ils faisaient le commerce. En soixante-dix ans d’immigration Iban dans le secteur de Bintulu, les transformations faites sur l’environnement étaient notables, puisque la forêt connaissait au moment de l'étude de nombreux secteurs en repousse, des petites plantations d'hévéas, des champs. Dans certains endroits, on notait même une relative pression sur la ressource en terres. Mais la densité restait très faible (2 hab./km2). Les populations actuelles doivent trouver désormais des activités autres qu’agricoles. Elles sont pour la plupart engagées dans les coupes forestières : pour les familles, même si les concessions forestières sont les premières incriminées dans la dégradation de leur environnement, les possibilités de trouver des revenus sont suffisamment rares pour qu'on les saisisse. La contrainte est parfois dure pour les communautés traditionnelles car elles sont impliquées dans la destruction de ce qui constitue une bonne partie de leur ressource-base. Pour trouver un emploi dans les villes, le niveau d’éducation est une grille filtrante très puissante. Tous les candidats n'en trouvent pas forcément un. C’est par la diminution du revenu que la dégradation de la terre – et donc celle de l’environnement – est perçue. Les gens partent alors selon une structure traditionnelle : des hommes essentiellement, pour la plupart mariés, laissent leurs épouses s’occuper d’un foyer dont les ressources locales vont sans cesse se dégradant ; les femmes ne sont pas en mesure d'accomplir le travail des hommes, comme d'abattre des arbres pour ouvrir un nouveau champ. A travers les études universitaires, il n’y a aucun lien clairement exprimé entre la dégradation environnementale et la migration. Ces conclusions vont à l’encontre des thèses affirmées par des associations environnementales comme la Consumers Association of Penang ou Sahabat Alam Malaysia. Un cas particulier : les populations Penan encore nomades Estimés à 400 individus dépendant totalement de la forêt et du nomadisme pour survivre, les Penan font l’objet d’une controverse internationale à propos du maintien de leur forme traditionnelle de vie entre les partisans du développement et les partisans des droits coutumiers, soutenus par les associations environnementales qui font office de chambre de revendications penan. Pour les partisans du développement, représentés ici par Hamid Bugo11, membre du gouvernement du Sarawak : 11. Auteur de la contribution The significance of the timber industry in the economic and social development of Sarawak ; p.221-239 dans Primack and Lovejoy, op. cit. Grafigéo 2000-10 107 Transformations environnementales dans le monde malais « […] les désaccords politiques existent au Sarawak, comme dans tous les pays. Des factions usent, à l’occasion, des média internationaux pour mettre en avant leurs propres programmes. […] Pour certains au dehors de la Malaisie, la tribu Penan, une tribu parmi de nombreuses autres au Sarawak, représente le cas classique d’une petite société égalitariste opprimée par les forces d’un gouvernement moderne. […] Bien que les nomades soient clairement une minorité, le gouvernement a pris leurs besoins en considération et a retenu certains secteurs comme réserves de biosphère pour leur usage. En dépit de cette action, toutefois, une petite faction franche de Sarawakiens mécontents, prétend représenter les indigènes12 […]. Finalement, le Sarawak partage un dilemme avec de nombreuses autres jeunes nations dans le monde moderne : comment un État peut-il développer son économie et améliorer ses standards de vie sans compromettre partiellement ses ressources naturelles ? Nombreux sont ceux qui au dehors de l’État voudraient que le gouvernement préserve toutes les forêts naturelles pour toujours, mais cette solution est irréaliste et lourde pour la population du Sarawak, qui a besoin d’emplois et de revenus. « S’ajoute à ce problème celui de la considération des droits des populations indigènes. A travers le monde, le problème des droits indigènes est un sujet à multiples facettes et les controverses attirent naturellement l’attention des média internationaux. Nombre de perceptions fausses peuvent naître d’un manque de compréhension du paysage culturel compliqué et changeant de la Malaisie. […] Il présente toutes les solutions forgées par le gouvernement pour respecter les modes de vie des différents groupes ethniques au lieu de les forcer à en changer. Il montre l’avantage résultant d’une participation plus active à l’exploitation d’une ressource forestière déjà rationnellement gérée, sans problèmes réels. Sa rhétorique oppose habile- ment l’immobilité d’autrefois et la raison moderne qui pousse les gens à améliorer leurs conditions de vie par le développement en simplifiant les problèmes. Son action concrète est toujours bénéfique. Des thèses opposées se trouvent dans le livre The Battle for Sarawak’s Forest. Il montre clairement que le gouvernement n’a pas toujours été aussi respectueux des droits coutumiers. Certains groupes tant Penan que Kayan ou autre se défiaient de la collusion entre les gouvernants et les intérêts financiers. Toutefois on peut reprocher à ce livre le recours systématique à un discours misérabiliste, ou lyrique à l’excès sur la vie simple des gens dans les forêts dont tout le monde devrait rêver. On rencontre des titres comme « Gentle, shy people – the finest of humankind » (De douces et timides personnes – le meilleur de l'humanité) ou « For all our sakes, stop the logging now ! » (Nous vous en supplions, arrêtez les coupes maintenant !). L’illustration invite parallèlement à la sympathie. Inversement, ce sont des métaphores guerrières qui remplissent les colonnes quand une réussite advient. On préférera l’analyse plus réaliste d’un spécialiste des problèmes Penan13. Si seulement 4 % de la population totale Penan continuent à vivre selon les modes ancestraux, c’est que la ressource forestière a largement décru. 70% du groupe vit une phase de transition (7 000 personnes) et le reste, soit le quart, est devenu définitivement sédentaire. Ceux qui en sont au stade de la transition conservent un campement permanent et une constellation de campements satellites pour aller récolter le sagou. Leurs techniques de production du riz reste très primitive (une fois plantée, la graine pousse et fructifie sans aucune intervention). La récolte obtenue leur dure un tiers de l’année, suivie d’une deuxième récolte, de manioc 12. Cf l'action de soutien entreprise par Sahabat Alam Malaysia en faveur des tribus indigènes, dont le représentant au Sarawak a reçu un prix international pour son action en faveur du respect des droits indigènes et le courage des ses opinions (il a fait aussi de la prison pour les mêmes raisons). Toute l'histoire est racontée dans le livre SAM-WRM The battle for Sarawak's forests, SAM, Penang, 1989, deuxième édition 1990. Très intéressant parce qu'ils publient tous les articles parus dans la presse à propos de leur action, les lettres envoyées aux instances gouvernementales et les réponses reçues… 13. Jayle Langub, Penan's response to Change and Development. In Peluso et Padoch, Borneo in Transition, 1996, p. 103-120. 108 Grafigéo 2000-10 Le Sarawak, un État à part dans la Fédération qui prend le relais pendant un deuxième tiers de l'année. Ils font la soudure en allant chercher du sagou en forêt. Malgré une sédentarisation progressive, les Penan se considèrent toujours comme les gardiens de la forêt qui est à la source de leur culture : ils doivent la préserver pour les générations futures. « L’aspect le plus important peut-être de la gestion Penan des ressources est la pratique du molong [ qui consiste en un repiquage de fruits, d’arbres et autres plantes utiles pour les générations futures, à chaque fois que cela est possible]. Arbres, fruitiers ou non, et rotin peuvent être molong communautairement ou individuellement, mais l’idée de départ est toujours la même : préserver les ressources pour le futur. »14 Les encouragements à la sédentarisation sont venus par imitation des autres tribus non-penan chez lesquels ils se fournissaient en produits comme les étoffes ou les métaux. Des encouragements vinrent encore de l’évangélisation, des contacts de plus en plus fréquents avec les envoyés officiels et de l’invitation à prendre leur santé en main. Le niveau d’éducation reste très faible. Ceux qui bénéficient de la scolarisation voient leur mode de vie en général totalement changé. Il est vrai que le gouvernement ne s’immisce pas dans les décisions des groupes Penan, et ne répond qu’aux requêtes dûment formulées par le district. Les expériences les plus positives de sédentarisation viennent d’abord de la décision spontanée des Penan d’arrêter le nomadisme, ensuite d’une très cordiale entente avec leurs voisins, desquels ils apprennent l’essentiel du nouveau mode de vie, sans mépris ni tromperie d'aucune des deux communautés. Enfin, le temps d’accoutumance au nouveau mode de vie compte : les nomades ne se sont pas sentis forcés à se sédentariser. Ils continuent toujours, même pour les plus anciennement sédentarisés, à chasser et à s’approvisionner en forêt. D’autres cas sont plus sensibles, comme par exemple celui des Penan installés en bordure du Gunung Mulu National Park, d’où ils ont été déplacés parce que la loi donne un droit coutumier sur les terres occupées avant 1958 et que leur occupation dans le secteur était postérieure à cette date. Mais ce faisant, les autorités entrent en conflit avec une autre tribu, non penan, qui réclame toutes les terres autour du Parc de Mulu. Les efforts du gouvernement pour fournir d’autres ressources n'ont pas beaucoup d’effets sur les Penan qui ne se sentent pas à l’aise dans leur position. Ils se contentent de vendre des productions artisanales aux touristes que les tours-opérateurs déposent en chemin vers de jolies grottes. Ils restent très dépendants des ressources forestières. Mais ils ne pourront plus continuer à vivre dans des forêts dont ils n’assurent plus la gestion et qui plus est, ne peuvent plus suffire à leur consommation quotidienne. La photo 13 nous montre la forêt telle qu’elle est exploitée autour de Mulu (photographie du bas). Sur cette dernière, on aperçoit la longhouse (non penan), en dur, avec les petits chemins qui mènent aux champs. En arrière fond, une concession exploite la forêt où les essarts prennent la suite. UN FAISCEAU DE SOLUTIONS ENVISAGÉES Pour parvenir à l'exploitation durable des ressources forestières et fournir un revenu à toutes ces populations traditionnelles qui sont parfois en crise de reconversion, le gouvernement du Sarawak tente de mettre en place un ensemble de mesures destinées à compenser les pertes et à intégrer plus profondément les différentes communautés qui façonnent la mosaïque ethnique du Sarawak. Les replantations, buts officiels et réalité Les buts généreux des différentes étapes de la National Forestry Policy qui est en place depuis 1966 se heurtent à plusieurs inconvénients : le manque de personnel, le 14. Ibid., p.107. Grafigéo 2000-10 109 Transformations environnementales dans le monde malais manque de financement et le manque de coordination suivie entre les instances fédérales d’une part qui émettent essentiellement des avis, aident à la formulation des objectif et à la formation, et les instances locales d’autre part qui ont la gestion directe de la forêt. Or les Etats ne touchent qu’une faible part des revenus de l’impôt pour financer leurs activités et les ressources forestières comptent énormément dans la trésorerie du Sarawak. La gestion de ce capital végétal représente donc un enjeu de taille pour le développement de l’État. Le reboisement passe pour la solution la plus efficace et son choix a progressivement fait jour dans les cénacles dirigeants. Rachel Berger rapporte que tous les plans de reboisement commercial en forêt de coupe étaient considérés au début des années quatrevingt-dix « comme un remplacement des forêts épuisées [plutôt] que comme une alternative à l’exploitation des forêts naturelles »15. Une forêt de plantation offre des récoltes plus rapidement exploitables et des tonnages supérieurs puisque les essences de bois coûteuses ne seraient pas mélangées à de nombreuses autres espèces peu valorisables. Elle assurerait des rentrées régulières, voire supérieures en argent. Les espèces de replantation, comme le gmelina arborea et d’autres espèces d’Acacia (comme l’acacia mungum) ont fait preuve de leur pousse rapide, de leur capacité à produire des graines en abondance que l’ont met à germer dans des pépinières. On peut prévoir ainsi sans problème l’approvisionnement en plantules pour rapidement reboiser les aires récoltées. Des essais sont pratiqués un peu partout et indiqués à l’aide de panneaux donnant la composition de la forêt replantée. C’est aussi l’avantage des diptérocarpacées, qui à l’instar des espèces européennes de chênes, hêtres et ormes divers, produisent d’énormes quantités de graines qui germent assez facilement. Leur bois utile, la facilité de reproduction pourraient faire que la régénération des forêts exploitées soit très bonne à condition de lui laisser un temps suffisant de repos et, surtout, de pratiquer une coupe réellement raisonnée dans les périmètres concédés. Toutefois, ni les scientifiques ni les agents gouvernementaux ne comprennent pourquoi la repousse à l’identique est impossible dans certains périmètres exploités. Une fois les coupes faites, même avec toutes les précautions nécessaires, il semblerait qu’un facteur naturel inconnu empêche la repousse de certaines espèces d’arbres. La replantation ne se fait pas uniquement en vue de reconstituer des forêts de production de bois. Une bonne part des 10 000 hectares replantés annuellement selon les objectifs du plan, sont des plantations d’espèces commerciales comme le palmier à huile ou l’hévéa. Comme les concessions accordées empiètent sur les terres dites coutumières16 sans l’accord préalable des détenteurs, les communautés indigènes qui constituent 45% de la population du Sarawak s’inquiètent des dérives de cette politique louable en principe, mais qui implique des changements forcés, non acceptés par la population dans son ensemble (cela ressemble plus à de l’expropriation qu’à autre chose). Ce sont les motifs du départ de la première « bataille pour les forêts ». Est-il possible qu’il y en ait une deuxième ces prochaines années ? La diversification des revenus agricoles dans le petit paysannat La diversification est un des grands projets actuels du Département des forêts. Afin de parvenir à une stabilisation des périmètres cultivés, le gouvernement encourage la plantation de différents produits comme le teck, le rotin, la domestication d’espèces encore sauvages comme les ilipe dont l'huile 15. Rachel Berger, Malaysia's forests…, p. 66. 16. Il faut faire attention lorsque l'on parle de terres sacrées, comme chez les Indiens ou les Mélanésiens : il n'existe que très peu de sites révérés, mais en principe, les cimetières sont protégés dans le cadre des lois concernant les populations indigènes. Les membres du gouvernement reconnaissent qu'il manque parfois de respect dans l'exploitation des forêts mais qu'une loi devrait bientôt être votée afin d'améliorer le statut de ces endroits. 110 Grafigéo 2000-10 Le Sarawak, un État à part dans la Fédération de noix a des applications industrielles. Les poivrières, le cacao ou le caoutchouc font partie de ces développements, bien que le cacao soit une denrée fragile sur le marché international à cause de la surproduction africaine et américaine. De plus, les cacaoyères de diversification restent de petite taille et d’un rendement plutôt médiocre tant en quantité qu’en qualité. Le cacao en fait n’a jamais réellement pris au Sarawak à cause du climat trop humide, mis à part quelques Estates où la culture est un peu intensive. Les poivrières en revanche restent une des cultures de rapport les plus rémunératrices. Beaucoup sont détenues par les Chinois, et les indigènes commencent à s’y mettre. Une autre source possible de revenus se trouve dans le développement de l’aquaculture pratiquée dans des petits bassins en bordure des propriétés. Toutefois, les écologistes reprochent à cette orientation le manque de formation des futurs aquaculteurs et le trop grand mercantilisme des aménagements qui causent de graves dommages à la forêt marécageuse ou à la mangrove : les aires défrichées sont inférieures pour la plupart à 50 ha, donc aucune étude d’impact n’est à conduire, en dépit du caractère hautement polluant du projet. Une surveillance attentive des effluents issus de l’aquaculture (augmentation forte de la demande en oxygène biodisponible par les rejets organiques) doit être menée. Ces projets doivent aussi correspondre à une réelle demande urbaine, donc doivent suivre un flux tendu grâce à une bonne desserte routière. Certains de ces projets peuvent avoir un simple but d’autoconsommation : en raison du déclin des ressources naturelles, des difficultés d’accès à certaines longhouses, il est préférable de trouver une ressource peu difficile à reproduire : le poisson offre cet avantage. On complète parfois la pisciculture par des plantations fruitières et d’essences de bois commerciaux. Ainsi, dans le cadre de cette diversification des revenus agricoles, il est fréquent de voir le long des routes des petites superficies plantées d’hévéa, mais surtout de teck (photo 16). Le cultivateur interrogé nous a Grafigéo 2000-10 expliqué qu’il avait accepté la proposition du service des Forêts plus par curiosité que par un besoin réel : le gouvernement fournit absolument tout, aide technique, plantules et conseils. La seule obligation qui leur est faite est de les conserver sur le terrain au moins 15 ans avant de pouvoir les récolter. TOURISM OR NOT TOURISM ? Le tourisme est de plus en plus présenté comme un moyen efficace d’ajouter de la valeur économique à la préservation de la nature. Toutefois, la caractéristique première du tourisme, c’est la volatilité des flux, viennent ensuite les problèmes d’investissements pour attirer puis consolider ces flux au moins un temps, puis la transformation nécessaire du paysage par la réalisation des aménagements. Il est enfin très difficile de chiffrer l’impact socio-économique de cette activité : comment trouver les moyens de vérifier que les usages traditionnels d’un endroit, le respect de la population locale, les conditions générales de vie ne soient pas dégradées par un flux touristique ravageur au Sarawak, comme dans d’autres États de Malaisie ? Peut-il y avoir un tourisme réellement écologique qui à la fois permette de lever des fonds et de protéger la ressource verte ? N’y a-t-il pas un danger de détérioration de la ressource par une augmentation des flux touristiques et des développements corollaires ? Les statuts de la protection environnementale Différents degrés de protection sont offerts sous le couvert des législations correspondantes (National Forest Estate, State Lands,…). Une amélioration de la protection offerte aux animaux, plantes, sites naturels ou archéologiques passe par la création de parcs nationaux et de réserves naturelles. Celles-ci n’offrent pas les mêmes degrés de protection et n'ont pas les mêmes buts. Les périmètres totalement protégés recouvrent environ 3,5% du territoire du 111 Transformations environnementales dans le monde malais Sarawak et sont régis dans le cadre des Ordonnances sur les parcs nationaux (1956). Le premier parc national, Bako National Park au Nord-Est de Kuching18 est créé en 1957. La même année, la Wildlife Protection Ordinance est votée, permettant la création de Wildlife sanctuaries ou reserves. Elles offrent une protection totale à toutes les espèces vivantes sur le territoire, sauf dans quelques cas précis, comme la réduction d’animaux en surnombre (particulièrement les sangliers et les singes devenus trop agressifs) ou lorsque des droits coutumiers ont pu être clairement établis. C’est ainsi que Bako National Park voit sa population de sangliers proliférer au-delà de la capacité du parc. De temps à autre, les chasseurs sont autorisés à venir prélever quelques pièces sous la surveillance des gardiens. De même, dans les grottes de Niah, le prélèvement des nids d’hirondelles se fait selon une tradition qui date de plusieurs siècles. Les collecteurs grimpent à des hauteurs vertigineuses dans le noir, sur des bambous et des filins, pour détacher les nids à la maigre lueur d’une torche frontale. La cohabitation des deux activités ne se fait pas sans problèmes car les grottes de Niah, par exemple, sont très fortement souillées par ces collecteurs qui jettent sur place sachets et autres canettes, de sorte que le sol est jonché partout de détritus malgré les efforts du personnel d'entretien et de surveillance. Les membres du Forest Department chargés de l’application des différentes Ordonnances de protection déplorent cette attitude, mais disent que rien ne peut contraindre les collecteurs, même pas le non-renouvellement des licences de récolte : mieux vaut encore accorder des licences d’exploitation à ces travailleurs plutôt que de voir la contrebande se développer et connaître un effet encore plus dévastateur. Les personnels employés dans le cadre de la National Park Division sont formés pour la plupart sur le tas. Les officiers sont généralement volontaires pour travailler dans ce secteur. Ils reçoivent une formation spéci- fique dispensée dans les différentes antennes du Forestry Department situés à Kuching, Sibu, Bintulu et Miri. Des accords de coopération entre la National Parks Unit et d’autres services internationaux permettent aux gardiens de suivre des formations à l’étranger (très rares) mais des formations locales avec l’aide de scientifiques internationaux sont régulièrement proposées. Les parcs nationaux sont découpés en zones d’utilisation, avec des espaces dévolus aux activités touristiques (baignade, promenades, éducation environnementale,…), en zones-tampons et en espaces de conservation à but scientifique. Dans les deux premières catégories, les personnes peuvent circuler, assez librement à la condition de respecter l’environnement. Les touristes doivent souvent être accompagnés de guides. Par contre, dans la zone de conservation, elles sont totalement fermées à toute pénétration de l’homme, sauf pour des raisons scientifiques ou écologiques. Ces zones portent le statut de réserves de Biosphère et correspondent à l’application des accords mondiaux sur la biodiversité signés par la Fédération de Malaisie. De plus, le Sarawak mène une politique d’approfondissement des connaissances écologiques afin de mieux préserver et surtout d’agrandir rationnellement les parcs et offrir une protection de qualité, durable à tous les types d’habitat qui existent. Les problèmes d’endémisme propres à toutes ces forêts tropicales font l’objet d’un examen au cas par cas et se terminent souvent par la préservation de petites superficies, surtout quand elles sont au sein de périmètres agricoles. Le Forest Department mène régulièrement des études, généralement dans le cadre de coopérations internationales, afin d’assurer une viabilité maximale aux espèces protégées. La pression exercée sur le Forestry Department est par conséquent très forte. Les communautés traditionnelles réclament de plus en plus de terres en vertu de droits coutumiers, difficiles à prouver car leur cul- 17. Voir les cartes 6 et 7. 112 Grafigéo 2000-10 Le Sarawak, un État à part dans la Fédération ture est orale et leur habitude de changer de résidence ne laisse pas de traces évidentes dans la nature. C’est pourquoi les droits coutumiers ne sont plus reconnus sur les terres ouvertes après 1959, afin de fixer les populations et les droits. Toutefois, lorsque ceux-ci sont reconnus, il faut absolument que l’étendue de ces droits soit indiquée dans l’acte officialisant la création du parc pour éviter les conflits, et surtout la contrebande. En effet, la contrebande et le braconnages sont très préoccupants pour les gardes forestiers et les gardiens des parcs naturels. Le manque de moyens et de personnel formé ne permet pas une surveillance suffisamment efficace dans les parcs naturels. Selon eux, les coupes forestières semblent nettement plus faciles à contrôler grâce à des lois mieux appliquées ces dernières années. Cet avis n’est pas partagé par tous : parmi les membres des associations environnementales et les membres du département d’Etat, certains regrettent outre le manque de moyens, le manque d’intérêt de la part de la population. Les études sur la nature et la forêt attirent trop peu de monde pour fournir le personnel nécessaire à toutes les activités du département. Tous ces éléments défaillants ne permettent pas de suivre avec la rigueur nécessaire les exploitations. La volonté ne manque pourtant pas, car les rangers ainsi que l’essentiel des fonctionnaires du département semblent avoir à cœur de remplir leur mission. Dans ces conditions le tourisme peut-il résoudre tous les maux du sous-développement et susciter un réel intérêt pour l'environnement compris dans son sens scientifique ? Le développement touristique, une panacée ? La forte demande touristique réclame des infrastructures d’accueil. Celles-ci facilitent la visite, améliorent l’enseignement que l’on peut en tirer, et canalisent les flux de touristes afin qu’ils ne se perdent dans la forêt. Elles réduisent enfin des conséquences fâcheuses de leur visite sur la nature. Généralement, ces aménagements sont de bonne qualité et l’augmentation des flux touristiques pousse le gouvernement à investir de plus en plus dans les parcs. En 1991, le tourisme représentait une participation de RM 180,6 millions au budget de l’Etat et 12 % des visiteurs étaient allés dans les quatre principaux parcs du Sarawak, à savoir : Bako, Lambir Hills, Niah et Gunung Mulu18. Les retours économiques sont très importants pour cet État car ils permettent une diffusion de la manne touristique auprès des populations locales employées comme ouvriers, comme guides, comme agents d’entretien, convoyeurs, logeurs, etc. Le gouvernement en est tout à fait conscient. C’est pourquoi différents travaux d’aménagement ou de réaménagements dans les parcs ont été menés avec succès et même élégance, promouvant à la fois le confort et le caractère typique des infrastructures. La photographie de couverture montre les différents aménagements proposés : des centres d’accueil entièrement en bois où sont organisées d’instructives expositions ; ou qui offrent parfois des salles de réunion dans lesquelles on peut mener des activités éducatives. Les chemins sont balisés, souvent sur des boardwalks (photo 17), des passerelles qui évitent de se faire surprendre par une rapide montée des eaux après une averse, et surtout qui évitent au touriste de s’embourber dans des marécages, de trop détruire le sol en piétinant ses structures fragiles. Le long de ces chemins des panneaux indiquent les espèces végétales que l’on rencontre, donnent le nom scientifique, la famille et le nom vernaculaire (photo 18). Le guide permet d’avoir un complément d’information sur les utilisations des bois et plantes tant traditionnelles qu’industrielles. Les travaux sont importants et coûteux, mais indispensables car ils peuvent générer des revenus nettement plus conséquents 18. Abang Morshidi et Gumal, The role of totally protected areas in preserving biological diversity in Sarawak dans Primack et Lovejoy, op. cit., p. 206. Grafigéo 2000-10 113 Transformations environnementales dans le monde malais pour le budget. De plus ils améliorent la capacité d’accueil (carrying capacity) des parcs tout en augmentant le degré de protection offert. Ces travaux sont généralement destinés uniquement aux parcs naturels. Le gouvernement songe aussi à promouvoir le tourisme au sein des populations locales de manière à diversifier leurs revenus. Afin de parvenir à une meilleure répartition de ces revenus, partant du principe les Native people font partie des Bumiputera et qu’ils représentent la moitié de la population du Sarawak, le gouvernement du Sarawak a décidé de lancer à travers le Forestry Department une campagne d’intéressement des populations locales au tourisme, tant dans les parcs naturels que dans les longhouses en les impliquant dans la gestion environnementale. Elle a pour but de faire naître un intérêt dans la préservation de la nature et des espèces afin que les communautés locales ne considèrent plus les parcs nationaux comme des entraves à la chasse traditionnelle. La toute récente loi d’interdiction de la vente des produits de la chasse19 est grosso modo bien acceptée, sauf dans les districts où ces produits de la chasse fournissent des revenus complémentaires comme dans ceux de Kapit, Limbang, Sri Aman et Baram (des districts reculés). Les parcs naturels ne sont pas forcément vus par ces populations locales comme une chance pour eux d’avoir des conservatoires des espèces qui leur sont utiles et qui disparaissent de leur environnement le plus proche. En premier lieu on procède au relevé des besoins, des possibilités locales de développement. On crée ensuite des comités de gestion des parcs qui intègrent les riverains, des coopératives, des emplois réservés d’ouvriers, de guides et d’encadrement. Les riverains auront ainsi moins le temps de chasser… et de braconner, bien que l’on constate de temps à autre que ces gens-là se servent de leurs entrées préférentielles pour repérer les meilleurs postes de braconnage. Quoi qu’il en soit, les gardiens remarquent une sensible diminution d’animaux chassés dans les parcs. L’intéressement passe aussi par la valorisation des structures traditionnelles avec le respect des hiérarchies : dans chaque longhouse, il y a un honorary wildlife ranger qui est généralement le chef de la communauté. Le responsable peut être un des membres, plus jeunes, qui a reçu une éducation plus poussée dans les services du Département des Forêts. Ces gardes-forestiers honoraires sont en général fiers d’accomplir un bon travail en empêchant les excès de récolte ou de chasse. Ils sont chargés de la surveillance. Ils transmettent les observations de la base aux services centraux. Ils représentent un rouage chaque jour plus important dans l’intégration des populations locales dans la gestion déconcentrée et pro-active de l’environnement. Enfin, l’Education Unit du Forestry Department aide à la formation des guides et des populations locales aux problèmes environnementaux, et aux activités touristiques. Certaines longhouses ont leur board operator qui gère la venue des touristes. Ce n’est pas encore très développé, pas toujours bien apprécié ni des riverains, ni des touristes (certains m’ont fait part de leur déception et de leur sentiment d'avoir été le prétexte à des beuveries). Des projets-pilotes naissent, et il en est un qui retenait particulièrement l’attention des officiers du Département des Forêts : celui de Batang Ai National Park. Il a pour but d’intégrer la population locale dans la conservation de la biodiversité tant dans le parc que dans les environs. Il offre un cooperative show, diversifie les productions agricoles (plantations de loofa20, aquaculture,…) et octroie certains privilèges de chasse sur des espèces non menacées. L'ensemble fait que la population entretient les pistes de chasse à l’intérieur du parc améliorant la pénétration et surveillance du parc. Cette même population empêche aussi les chasseurs non-autorisés (les « sportifs ») de péné- 19. Trade Ban of Wildlife Meat, décret d'application publié en octobre 1998. 20. Courge qui une fois séchée, sert d'éponge végétale. 114 Grafigéo 2000-10 Le Sarawak, un État à part dans la Fédération trer dans le parc. Cette politique du donnant-donnant a pour but avoué de changer les habitudes de vie locales en montrant que d’autres bénéfices, parfois supérieurs peuvent être tirés du classement en parc naturel. Dans ce sens, le tourisme peut avoir une influence positive. On peut difficilement juger du bilan de l’écotourisme au Sarawak en quelques lignes. Il faut prendre en compte de multiples facteurs : tout d’abord, comment évaluer le bénéfice financier que peuvent retirer les populations locales ? Le tourisme est en premier lieu une affaire d’argent pour les hôtes comme pour les visiteurs. L’importance des flux d’investissement, de retour d’investissement et de réinvestissement ont une très grande répercussion sur le niveau de vie des populations locales. Il faut aussi prendre en compte à la fois l'attente des touristes occidentaux, l'attente des touristes nationaux et l'aptitude des populations locales à accueillir ces touristes qui forcément viennent en nombre : cela nécessite une préparation psychologique. Enfin, il faut bien prendre en compte l’évolution sur la durée : trop de critiques ont été adressées au tourisme parfois considéré comme destructeur des cultures locales, car il transformerait l’« authentique » en une industrie moderne qui ferait « perdre leur âme aux gens ». Le développement bouleverserait totalement les structures traditionnelles locales. Or, on s’est rendu compte en de très nombreux cas que ce qui pouvait être destructeur dans un premier temps, se révélait avec la durée très vitalisant pour la culture locale. Un premier moment d'acculturation était suivi quelque temps après par un renouveau des traditions qui se perdaient progressivement du fait d’une assimilation passive et qui reprenaient une valeur symbolique par la pratique régulière. La « tradition » n’est pas un ensemble de données fixées pour l’éternité. Le tourisme culturel pose la difficile question de l’authentique et de l’inventé : comment apprécier les inventions qui répondent peut-être à une demande touristique, mais qui sont finalement intégrées profondément dans la culture locale à force d’être pratiquées ? Grafigéo 2000-10 Peut-on dire que les sociétés traditionnelles ne sont authentiques que quand elles ne sont pas atteintes par le monde occidentalisé ? Ce qui reviendrait à condamner le développement des sociétés traditionnelles sous prétexte qu’elles perdraient de leur authenticité. Autant parquer les « indigènes » et leur interdire toute forme d’accès à une société moderne. Le point de vue opposé n’est pas soutenable non plus qui sacrifie la culture au bénéfice du développement. Les meilleures réussites du tourisme culturel revivifient tout un ensemble de singularités qui autrement auraient disparu par simple contact. Le réinvestissement symbolique dans les danses, la réaffirmation d’une identité spécifique ont pour avantage de générer une réappropriation du passé, mais le danger demeure d’une aliénation de la société primitive dont certains ont su se garder. De nombreux exemples sont donnés dans les articles et les livres consultés, prenant particulièrement Bali comme référence de la revivification d’un patrimoine local riche, qui se réintègre dans le patrimoine culturel des Balinais sans perdre sa valeur sacrée : ce qu’ils montrent les représente parfaitement. Ils se reconnaissent dans cette image puisqu’ils ont participé à sa création, bien que la tradition se soit adaptée aux attentes indonésiennes et internationales. Est-ce que ces danses, cet artisanat sont moins balinais qu’autrefois ? Sont-ils moins authentiques dans les dessins, dans les gestes, dans le support culturel ? Il est vrai que la culture balinaise depuis longtemps est parvenue à se renouveler sans se standardiser. C’est dans cet esprit qu’il faudrait aborder le tourisme culturel au Sarawak, car c’est un mouvement en pleine accélération en ce moment. En effet, le gouvernement du Sarawak semble prendre en compte les recommandations de spécialistes sur le développement du tourisme : la politique est peut-être initiée « par le haut », mais elle appelle des réponses de la base. Pour soulever l’intérêt de la base et insuffler une réelle volonté de participation au développement de cette activité, le gouvernement use de son Educational Unit au sein du Forestry Department. Cette Unité Educative va jouer 115 Transformations environnementales dans le monde malais le rôle d’agent du changement en initiant les populations locales aux problématiques environnementales et touristiques à partir des quatre centres dont ils disposent à Kuching, Miri, Sibu et Bintulu. Des ateliers peuvent être tenus, qui permettent de sonder les griefs comme les désirs des groupes concernés. Le tout doit pouvoir être discuté par la communauté d’accueil dans son ensemble lors de réunions locales. Un désir net se fait jour de ne pas passer à côté de l’opportunité touristique. Elle est un complément à l’exploitation forestière, jugée par trop destructrice comme nous l’avons vu à travers l’étude de l’Université de Hull au début du chapitre. Quelques réticences religieuses apparaissent, particulièrement dans les communautés musulmanes ou animistes en raison de l’immoralité de certains touristes. Ce n’est que par l’étude serrée des capacités physiques et culturelles que les développements les plus durables pourront être réalisés dans le domaine de l’ethnotourisme. Cette possibilité de l’ethno- et de l’écotourisme semble être la solution la plus viable pour promouvoir un développement interne des parties les plus reculées du Sarawak. On ne peut se contenter de consta- ter l’exode rural massif des zones comme la Baram ou Bario21, très difficilement accessibles et qui se sont ouvertes tardivement au monde dans l’après-guerre voire dans les années quatre-vingt pour les habitants de la Baram. Peu de moyens sont disponibles pour arrêter l’hémorragie de main-d’œuvre qui touche désormais ces « pays » au sens rural du terme. Conclusion Le tourisme est une des voies possibles du développement de la conscience environnementale au Sarawak : les problèmes sont nombreux, mais la voie du changement se dessine progressivement d’une manière semble-t-il plus sensée. Le gouvernement tente de faire une place de plus en plus grande à la planification environnementale dans l’élaboration de ses projets. La participation des différents secteurs de l’industrie comme des différentes populations qui composent l’Etat sont requises alors que quelques années auparavant, elles n’entraient pas en considération à cause de l’intrication forte entre les intérêts politiques et les intérêts économiques. 21. Lee, B.T. et Tengku, S.B., Modernizing influences and traditional villages in Sarawak : the need for a paradigm shift in development strategies. In Udoh James, V. (éd), Capacity building in developing countries, chapitre 10. 116 Grafigéo 2000-10 Le Sarawak, un État à part dans la Fédération La keranga, une forêt en conditions extrêmes, Bako N. P. au Sud de Kuching (photo 11). L'eau de l'averse qui vient de tomber ne peut s'infilter dans le grès mis à nu, ni être retenue par la végétation qui tente de survivre en se fixant dans les moindres interstices de la roche. La plaine de Miri a été défrichée en profondeur (photo 12). Les incendies de 1997-1998 se sont chargés d'éliminer les parcelles restantes déjà dégradées. Grafigéo 2000-10 117 Transformations environnementales dans le monde malais Les longhouses sont installées au cœur de la forêt (photo 13). Elles servent de bases de départ pour l'exploitation forestière.Tout autour, dans la forêt secondaire fortement exploitée, des secteurs de terre nue marquent les terrains brûlés pour préparer les cultures. On voit bien au premier plan de la photographie que la végétation est répartie en plusieurs quadrilatères et a des hauteurs différentes. Ce sont les différents stades de la repousse après la rotation des espaces cultivés. (Près de Gunung Mulu N.P., à 250 km à l'intérieur des terres, près du Sabah et de Brunei). Cultures commerciales près de Miri, Sarawak (photo 14). On pratique désormais des formes de culture de plus en plus intensive dans les périphéries des grandes villes du Sarawak comme en témoignent ces « serres » tropicales. Ce sont en fait des filets qui protègent les cultures fragiles pour les marchés locaux, des nuisibles contre lesquels il est parfois difficile de trouver une parade chimique. 118 Grafigéo 2000-10 Le Sarawak, un État à part dans la Fédération Autre exemple de cultures commerciales près de Miri, Sarawak (photo 15) : ce grand champ de plants d'aubergines. Dans la corbeille au premier plan, des petits choux sont prêts à être vendus sur le marché. On rencontre tout aussi régulièrement le long des routes des porcheries, des poulaillers de taille respectable pour un Etat comme le Sarawak. Jeunes tecks de diversification du revenu paysan (photo 16). Les arbustes à côté du promeneur sont juste âgés de trois ans. Ils mesuraient une cinquantaine de centimètres au moment de leur plantation. Leur croissance rapide permet une première récolte des arbres au bout d'une quinzaine d'années. Ils sont fournis gracieusement par le Forestry Department, à charge du paysan d'entretenir et de préserver les arbres jusqu'à mâturité commerciale. Grafigéo 2000-10 119 Transformations environnementales dans le monde malais Les boardwalks des National Parks, Niah N. P., Sarawak (photo 17) Tous les parcs sont amenés à aménager ces passerelles pour permettre l'accès aux points d'intérêts. Sinon, les forêts marécageuses seraient rapidement impraticables lors des pluies fréquentes sous ces climats équatoriaux. Panneau indicateur des plantes croisées (photo 18), nommant la famille, les appellations scientifique et vernaculaire. 120 Grafigéo 2000-10 Conclusion Conclusion générale L ES POLITIQUES pratiquées en Malaisie, à Brunei et à Singapour tendent à aboutir à une même notion de développement durable. Approche pragmatique, l’environnement devient dans ces pays une priorité qui doit mettre en valeur un patrimoine naturel important ainsi qu’un patrimoine culturel en pleine mutation. Malgré une tendance bien compréhensible au centralisme et au dirigisme, l’ouverture politique progressive de ces pays permet une interaction plus grande entre la base et la direction du pays. Elle dessine par touches successives une voie propre du développement, qui se différencie des actions menées par les associations environnementales telles que nous pouvons les connaître dans nos pays occidentaux : il s’agit moins de s’opposer par réaction à un gouvernement jugé impersonnel que de proposer une nouvelle approche qui tienne compte des réalités et des besoins des pays. Ainsi les différentes actions menées sontelles été d’abord pédagogiques dans leurs démarches auprès des instances gouvernementales comme auprès des populations : à Singapour où la population est fortement éduquée et où il est important de préserver un espace de nature au sein d’un cadre urbain omniprésent, comme en Malaisie où Grafigéo 2000-10 les efforts de consolidation économique et sociale du pays passent par une mise en valeur des ressources naturelles partout dans le pays, les associations cherchent plus la coopération avec les instances gouvernementales qu’une opposition systématique. De cette démarche naît rapidement une conscience commune de toute la population d’une nécessité d’action pour la préservation du cadre de vie. On s’inspire alors des réussites extérieures et on tente de les adapter aux réalités des pays. Singapour ne transforme-t-elle pas les meilleures méthodes de dépollution en obligation dès que les moyens financiers de l’île le permettent? Les politiques éducatives instillent progressivement des perceptions fondées sur une analyse rationnelle des éléments, et unifient au même rythme les visions autrefois très contrastées de la nature qui séparaient les mondes des villes et des rizières ordonnées sino-malais, des mondes agroforestiers ou essarteurs dayak et aborigènes. Tout un travail reste à accomplir pour que ces concepts nouveaux et souvent d’origine occidentale s’intègrent dans la conscience commune des populations. L’originalité du développement durable conçu par les gouvernements de ces pays tient ainsi de la nationalisation, ne serait-ce que par le dis121 Transformations environnementales dans le monde malais cours, de ces concepts issus de la mondialisation des échanges et des idées. Les concepts doivent participer à la construction de l’identité nationale donc de l’originalité du pays tout en donnant des gages d’efficacité à la communauté internationale. Nous nous sommes donc attachés à montrer comment les concepts de nos sociétés occidentales sont réinvestis progressivement par les cultures orientales. Le concept d’environnement à la suite de quelques crises importantes et révélatrices de l’affaiblissement des fondations du milieu, est devenu un concept en vogue. Effet certainement de mode pour les journalistes, l’environnement devient une réalité durable pour la société de ces trois pays. Les gouvernements prennent conscience de l’importance que revêt la préservation d’un milieu sain pour la qualité de vie, pour le maintien de la paix sociale. Les travaux entrepris pour éduquer les masses et changer les comportements quotidiens sont des témoins forts de l’engagement de ces pays. Certains disent que cela reste une façade, d’autres témoignent une indifférence à la question. Après étude, il nous est difficile de porter un jugement de valeur car il y a peu, dans nos pays occidentaux prompts à l’oubli et à la critique, nous connaissions les mêmes problèmes et tenions la même attitude face à ces questions alors que notre développement est beaucoup plus ancien que le leur. L’application de la loi en matière d’environnement devient alors un test pour l’efficacité du système politique des pays : plus les citoyens sont prêts à s’engager à respecter les dispositions légales ou réglementaires, meilleure est l’intégration des concepts dans le tissu culturel de chaque société. Comme dans nos pays, se pose la question du respect de la tradition, c’est-à-dire de l’identité culturelle de chacune des composantes de ces nations émergentes, et de la modernité imposée par les connaissances scientifiques. L’une a prouvé son efficacité dans les siècles passés et a donné le substrat nécessaire à la consolidation politique et culturelle des pays, l’autre met le doigt sur les changements socio-culturels progressifs dont on ne prend conscience qu’en adoptant un point 122 de vue éloigné du quotidien et qu’il faut rapidement traduire par une adaptation réaliste des systèmes réglementaires et des attitudes collectives aux nouvelles donnes. Singapour et la Malaisie semblent de ce point de vue-là les plus avancés dans leur imprégnation. Il est difficile de donner un aperçu correct de Brunei à cause du manque d’informations disponibles, tandis que pour Singapour, la quasi-totalité des aspects scientifiques et sociaux sont disponibles grâce aux études nombreuses qui paraissent chaque année dans les universités comme dans les librairies. La vision peut être affinée, variée en fonction du point de vue exprimé. La superficie de l’île, sa proximité de la péninsule malaise font que le gouvernement et les associations environnementales prêtent une attention toute particulière aux endémismes. Les répercussions de l’introduction d’espèces étrangères décoratives sont toutefois mal connues et même inconnues pour l’instant. On ne sait pas si l’une ou l’autre d’entre elles ne deviendra pas une peste végétale faute de prédateur comme peuvent l’être le Lantana en Australie ou la renouée du Japon en Europe pour ne citer que les plus aisément visibles. Il devient très important de noter comment l’environnement impose aux États de penser autrement qu’en fonction des unités historiques : l’unité naturelle, fondement d’une certaine géographie, reprend toute sont importance. Si l’environnement n’est pas encore une étape dans la refondation d’une grande Malaisie, il est au moins un élément de réflexion sur les problèmes transnationaux. Réfléchir sur l’environnement dans la région imposerait non pas de regarder comme nous l’avons fait au niveau de chaque pays délimités par des frontières politiques, mais plutôt de se pencher sur les problèmes de l’ASEAN (Association of SouthEast Asian Nations) qui deviendrait l’unité naturelle et politique la plus pertinente. C’est ce que les problèmes évoqués dans le début de cet ouvrage montrent : la déforestation, la baisse de l’hygrométrie et l’intensification des phénomènes d’El-Niño sont des problèmes globaux. Grafigéo 2000-10 Bibliographie Bibliographie AIKEN Sir R., MOSS M., 1975. 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Grafigéo 2000-10 129 Transformations environnementales dans le monde malais Photo 8 : Photo 9 : Photo 10 : Photo 11 : Photo 12 : Photo 13 : Photo 14 : Photo 15 : Photo 16 : Photo 17 : Photo 18 : 130 La route côtière neuve (Brunei) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75 Embarcadère pour le bois (Rejang River, Sarawak) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 Barge en cours de chargement de grumes (Rejang River, Sarawak) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96 La keranga, une forêt en conditions extrêmes (Bako N. P. au Sud de Kuching) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117 La plaine de Miri, défrichée après les incendies de 1997-1998 . . . . 117 Les longhouses sont installées au cœur de la forêt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118 Cultures commerciales près de Miri (Sarawak) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .118 Un autre exemple de cultures près de Miri . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 Jeunes tecks de diversification du revenu paysan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 Les boardwalks des National Parks (Niah N. P., Sarawak) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120 Panneau indicateur des noms de plantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120 Grafigéo 2000-10 Tranformations environnementales dans le monde malais Résumés • Français L’ensemble régional constitué par la Fédération de Malaisie, Singapour et le Sultanat de Brunei, se développe à un rythme rapide, parfois au détriment d’un patrimoine naturel important. Grands exportateurs de matières premières et de produits technologiques, ces trois pays tentent de trouver une voie propre qui intègrerait la notion de durabilité dans leur développement. Cette nécessité est mise en valeur à différents niveaux : au niveau naturel, lorsque la forêt disparaît dans des incendies immenses, lorsque le défrichement aboutit à des inondations et des coulées de boues catastrophiques ; au niveau politique, lorsque la diminution d’une ressource normalement abondante comme l’eau se transforme en moyen de pression internationale ou suscite le rationnement de la population de grandes villes ; au niveau culturel, lorsque des populations restées longtemps à l’écart des transformations sont d’un coup confrontées à la mobilité et la rapidité du monde contemporain peu respectueux des formes traditionnelles d’exploitation de la nature. La notion de développement prendrait donc une connotation négative mise en avant par des organisations non-gouvernementales, et appelle à une remise en question pour que le développement parvienne à être en accord avec le milieu sans le détruire, en d’autres termes, qu’il devienne durable. Toutefois, il est important pour ces trois pays de tenter de trouver une solution plus en accord avec les cultures sur lesquelles ils reposent : cultures malaises, aborigènes ou « dayak », chinoises et indiennes. La politique menée par les dirigeants tente donc de s’inspirer des expériences menées de par le monde tout en prenant compte les aspiraGrafigéo 2000-10 tions légitimes des populations qu’ils dirigent. Sont envisagées dans ce livre les différentes questions transversales qui concernent la région à travers des exemples précis. Dans les deux premiers chapitres, après avoir présenté les problèmes à travers trois exemples qui apparaissent révélateurs d’une certaine dégradation de l’environnement, le développement durable est analysé selon une approche culturelle qui essaie de rendre compte des spécificités régionales. Dans les chapitres suivants, chaque pays est traité de manière plus précise, car les dimensions, les populations, le patrimoine naturel varient fortement, suscitant des politiques de gestion différentes. Enfin, un État de la Fédération de Malaisie, le Sarawak, fait l’objet d’une étude détaillée qui synthétise les points étudiés dans les chapitres précédents. • Anglais The regional set constituted by the Federation of Malaysia, Singapore and the Sultanate of Brunei, is developping at a rapid pace, sometimes at the expense of an important natural heritage. Great exportators of raw materials and technological products, those three countries strive to find their own path towards sustainable development. This necessity is highlighted at three levels : at the cultural level, when forests disappear in huge fires or when deforestation leads to catastrophic water and mud flows; at the political level, when a normally abundant resource like water is diminishing and is used as an international lobbying tool or causes the population rationing in big cities; at the cultural level, when populations for a long time set aside from transformations, are at once confronted to the mobility and the quick transformations of our 131 Transformations environnementales dans le monde malais contemporary world that is not really respectful of traditional uses of nature. The notion of Development would therefore take a derogatory hint according to Non Governmental Organisations. This would call to challenge the notion of development so that it is in harmony with its environment without destroying it, in other words, so that it becomes sustainable. However, it is important for those three countries to find solutions that match the cultures on which they are laid : Malay, Aborigine or Dayak, Chinese or Indian ones. The policy undertaken by governments therefore tries to draw its inspiration from worldwide experiences and at the same time tries to take into account the legitimate aspirations of their people. In this book, are treated the different cross questions which are of regional concern, through precise examples. In the first two chapters, after the presentation of three examples revealing a certain degradation of the environment, sustainable development is analysed through a cultural approach which tries to give an account of regional specificities. In the next chapters, each country is precisely described because dimensions, populations and natural heritage vary a lot and create different management policies. Lastly, a State from the Malaysian Federation, Sarawak, is taken as a case study that synthesises the former chapters points. • Espagnol El conjunto regional constituido por la Federación de Malasia, Singapura y el Sultanato de Brunei, se desarrolla con un ritmo rápido, a veces en detrimento de un patrimonio natural importante. Grandes exportadores de materias primas y de productos tecnológicos, esos tres países intentan encontrar un camino propio que integraría la noción de duración en su desarrollo. Esta necesidad está puesta de realce en varios niveles: en el nivel natural, cuando la selva desaparece por fuegos inmensos, cuando la roturación acaba en inundaciones y corrientes de barro ; en el nivel político, cuando la disminución de un recurso normalmente abundante como el agua, se vierte en un medio de presión internacional o suscita al racionamiento de la población de las grandes ciudades ; en el nivel cultural, cuando pueblos quedados por un largo tiempo afueras de la transformaciones, dan con la movilidad y la rapidez del mundo contemporáneo, no muy respetuoso de las formas tradicionales del aprovechamiento de la naturaleza. La noción de desarrollo tomaría así una conotación negativa puesta en evidencia por las Organisaciones No Gobernamentales, y requiere una vuelta en discusión para que logre el acuerdo con el medioambiente sin destruirlo, o dicho de otra manera, que logre la durabilidad. Sin embargo, es importante para esos tres países intentar encontrar la solución más adecuada con sus culturas : cultura malaya, aborigina o dayak, china o india. La política dirigida por los gobernantes intenta entonces inspirarse de las experiencias llevadas por el mundo, y al mismo tiempo, tomar en cuenta las aspiraciones legítimas de los pueblos que administran. En este libro, consideramos a las varias cuestiones transversales de la región a través de unos ejemplos precisos. En los dos primeros capítulos, después de presentar los problemas con tres ejemplos que parecen reveladores de una cierta degradación del medioambiente, el desarrollo durable está analizado según una visión cultural que intenta dar cuenta de las especifidades regionales. En los capítulos siguientes, cada país está tratado de manera más precisa ya que las dimensiones, los pueblos, el patrimonio natural varian mucho, creando diferentes políticas de administración. Al finale un Estado de la Federación de Malasia el Sarawak es objeto de une estudio más detallado que sintetiza los puntos estudiados en los capítulos anteriores. Dépôt légal : juin 2000 132 Grafigéo 2000-10