Approches politiques et culturelles

Transcription

Approches politiques et culturelles
GRAFIGÉO
2000-10
TRANSFORMATIONS ENVIRONNEMENTALES
DANS LE MONDE MALAIS
Approches politiques et culturelles
François SPICA
Collection mémoires et documents de l’ UMR PRODIG
TRANSFORMATIONS ENVIRONNENTALES
DANS LE MONDE MALAIS
Approches politiques et culturelles
DANS LA MÊME COLLECTION
(ISSN 1281-6477)
La Francophonie au Vanuatu. Géographie d’un choc culturel
par Maud Lasseur (Grafigéo 1997, n° 1, ISBN 2-901560-30-X)
La géographie tropicale allemande
par Hélène Sallard (Grafigéo 1997, n° 2, ISBN 2-901560-31-8)
Le repeuplement de la côte Est de Pentecôte.
Territoires et mobilité au Vanuatu
par Patricia Siméoni (Grafigéo 1997, n° 3, ISBN 2-901560-32-6)
B. comme Big Man
Hommage à Joël Bonnemaison (Grafigéo 1998, n° 4, ISBN 2-901560-34-2)
Siem Reap – Angkor
Une région du Nord-Cambodge en voie de mutation
par Christel Thibault (Grafigéo 1998, n° 5, ISBN 2-901560-36-9)
La colonisation mennonite en Bolivie
Culture et agriculture dans l’Oriente
par Gwenaëlle Pasco (Grafigéo 1999, n° 6, ISBN 2-901560-37-7)
Retour du refoulé et effet chef-lieu :
analyse d’une refonte politico-administrative virtuelle au Niger
par Frédéric Giraut (Grafigéo 1999, n° 7, ISBN 2-901560-38-5)
Transition malienne, décentralisation, gestion communale bamakoise
par Monique Bertrand (Grafigéo 1999, n° 8, ISBN 2-901560-39-3)
Le « Grand Mékong » : mirage ou futur miracle ?
par Sophie Adam (Grafigéo 2000 n° 9, ISBN 2-901560-40 7)
SOUS PRESSE
Trois mille ans d’histoire hydrologique dans le delta du Rhône
par Gilles Arnaud-Fassetta (2000 n° 11)
A PARAÎTRE
Le climat foncier en Afrique ou les usages de la terre dans un contexte de sécheresse
par Michèle Adésir-Schilling, Christine Raimond, Maurice Tsalefac
Tourisme et développement sur le littoral mauricien
par Hélène Pébarthe
Les transactions foncières au Burkina Faso
par Juliane Baud
TRANSFORMATIONS ENVIRONNENTALES
DANS LE MONDE MALAIS
Approches politiques et culturelles
François SPICA
Mémoire de DEA
effectué sous la direction d’Olivier Sevin
et soutenu devant Christian Huetz de Lemps et Olivier Sevin
(Professeurs à l’Université de Paris IV-Sorbonne)
A VEC LA PARTICIPATION FINANCIÈRE
DE L’ ÉQUIPE PACIFICA DE L’ U NIVERSITÉ DE P ARIS IV-S ORBONNE
Pôle de Recherche pour l’Organisation
et la Diffusion de l’Information Géographique
191 rue Saint-Jacques
75005 Paris
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
Marie-Françoise Courel
DIRECTEUR FONDATEUR DE LA COLLECTION
Joël Bonnemaison (1940-1997)
DIRECTEUR DE LA COLLECTION
Roland Pourtier
COMITÉ ÉDITORIAL
Gérard Beltrando
Jean-Louis Chaléard
Marie-Françoise Courel
Christian Huetz de Lemps
Roland Pourtier
Photographie de couverture
Le centre d'accueil de Gunung Gading National Park (N. P.)
Cliché de l’auteur (fin 1998)
Maquette et mise en page
Maorie Seysset
Cartographie
Samuel Robert
Traitement photographique
Thierry Husberg
Prix de vente au numéro
Tarif général : 80,57 FF HT - 85,00 FF TTC
Tarif étudiant : 66,35 FF HT - 70,00 FF TTC
(Prière de joindre une copie de la carte d’étudiant - Merci.)
© PRODIG. 2000
ISBN 2 901560 41 5
ISSN 1281-6477
Préface
L
qui
ravagent les îles occidentales de l'Indonésie en 1997-1998 et enfument
une bonne partie de l'Asie du Sud-Est, notamment Singapour et le détroit de Malaka
principale artère du trafic maritime mondial,
sont l'occasion d'une prise de conscience de
l'ampleur des transformations du milieu
naturel que connaît la région. Le monde
médusé découvre à cette occasion que les
forêts de Bornéo et de Sumatra reculent à un
rythme au moins aussi soutenu que la forêt
amazonienne, et que les crises environnementales ne concernent pas seulement, le
Sahel ouest-africain, la corne de l'Afrique ou
le Nordeste brésilien : l'Asie des Moussons
réputée très humide peut, paradoxalement,
souffrir de sécheresses très sévères.
Trois décennies de croissance ininterrompue et de marche forcée vers le progrès ont
montré les limites des modèles trop strictement économiques et des approches globalisantes qui font de la mondialisation des économies émergentes la condition nécessaire de
leur développement. La crise de l'été 1997
rappelle brutalement une évidence : le peu
d'intérêt porté par les aménageurs à la
diversité des modes traditionnels de gestion
du milieu, la non-prise en compte de la
dimension culturelle au sein des projets de
ES GRANDS INCENDIES DE FORÊT
Grafigéo 2000-10
développement et, d'une manière générale,
la méconnaissance de la spécificité de la
nature tropicale, au demeurant ni plus ni
moins contraignante qu'une autre, conduit à
des catastrophes.
C'est ce constat qui a guidé l'étude de
François Spica que j'ai le plaisir de préfacer.
Après avoir cerné les principaux enjeux environnementaux en Asie du Sud-Est, à savoir
la dégradation du couvert forestier, le problème des incendies, de l'érosion accélérée
des sols, et les difficultés croissantes d'approvisionnement en eau de qualité des grandes
métropoles, il pose la question de l'existence
d'une éventuelle conception asiatique de
l'environnement dont il s'efforce de préciser
l'originalité. Cas par cas, il lui est alors possible d'analyser le degré de conscience environnementale des différents États de la région avant de s'interroger sur les mutations
que connaît le Sarawak contemporain.
Cet ouvrage, qui est la version remaniée
d'un mémoire de DEA soutenu en juin 1999
à l'Université de Paris IV, repose sur un travail de terrain de plusieurs mois qui a
conduit l'auteur à Singapour, en Malaisie
occidentale, au Sarawak et à Brunei. C'est
l'ébauche d'un travail de plus grande envergure qui devrait se concrétiser sous forme de
thèse dans le cadre d'une collaboration
5
Préface
poussée entre l'Université Nationale de
Singapour et l'Université de Paris-Sorbonne,
initiée par le service culturel de l'Ambassade
de France à Singapour.
Cette préface est aussi l'occasion de
remercier tous les membres de l'équipe
Pacifica du laboratoire Prodig, en particulier, Maorie Seysset qui a en charge la fabrication des ouvrages de la collection Grafigéo.
Cette collection, destinée à diffuser les travaux de jeunes chercheurs prometteurs,
connaît un succès croissant, que ce dixième
volume devrait confirmer. Que la mémoire de
son fondateur, le regretté Joël Bonnemaison,
soit ici saluée.
Olivier SEVIN.
SOMMAIRE
Préface d’Olivier Sevin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
Chapitre 1 • Trois conflits révélateurs d'enjeux
régionaux majeurs . . . . . . . . . . . . . . . . .
. . . . . . . . . . . . .
17
L ES
FEUX DE L ' AUTOMNE 1997 ET LA DÉGRADATION
DU PATRIMOINE FORESTIER . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Un événement d'une ampleur exceptionnelle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 9
Des mesures difficiles à prendre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 2
Un patrimoine forestier que l'on croyait résistant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 3
VERS UNE CRAINTE DE LA SOIF
DA N S U N É Q U AT E U R H U M I D E ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
Kuala-Lumpur, Printemps 1998 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 6
Les raisons de la crise : des forêts moins régulatrices
et une planification urbaine médiocre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
La politisation de la ressource-eau :
les craintes de Singapour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 8
L A « B ATA I LL E P O U R L E S FO R Ê TS D U S A R AWA K »
ET L ' É VO LU TI O N D U D R O IT CO U T U M I E R . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 29
Le développement avant tout ?
L'exploitation forestière en terre coutumière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 9
Ce sont des Bumiputera pourtant ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 0
Une transformation de la perception coutumière
du milieu forestier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 2
Une évolution du rapport au milieu qui a des origines profondes :
le contact et les relations inter-communautaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 3
C o n c l u s i o n : u n e o u v e r t u r e n o u v e l l e a u x p r o b l è m e s . . . . . . . . . . . . . . . 35
Chapitre 2 • Environnement et développement
......................
37
CO N C E PT D ' E N V I R O N N E M E N T À L ' É P R E U V E D E L ' O R I E N T . . . . .
Environnement et écologie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les spécificités asiatiques de la conception de l'environnement . . . . . . . . .
E N V I R O N N E M E N T ET ACTI O N P O L ITI Q U E :
L A R EC H E RC H E D ' U N D É V E LO P P E M E N T D U R A B L E . . . . . . . . . . . . . . . . .
Un contexte affirmé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le développement durable : une notion contestée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Conclusion : la recherche de solutions adaptées . . . . . . . . . . . . . . . . . .
38
LE
38
40
42
42
43
47
Chapitre 3 • Singapour, éco-ville raisonnable
ou écotopie ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49
DÈS
L E D É PA RT , U N E P L A N I F I C ATI O N
E N V I R O N N E M E N TA L E ST R I CT E . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Un développement considérable sur un territoire exigu . . . . . . . . . . . . . . . . .
Le Concept Plan et sa vision des interactions hommes-environnement . .
U N C A D R E L É G A L CO N T R A I G N A N T ,
À L A P O I N T E D E S M E S U R E S D E P R OT ECTI O N . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une cohabitation entre les fonctions urbaines malaisée
mais précisément orchestrée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une petite Suisse asiatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
U N C A D R E NAT U R E L P H AG O CY T É PA R L A V I LL E . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une nature originelle en voie de disparition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
La Garden City, héritage anglais ou nécessité ? . . . . . . . . . . . . . . . . .
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50
50
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53
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56
. 57
7
Sommaire
U N E R É I N V E N TI O N D E L A N OTI O N
D E PAT R I M O I N E U R BA I N . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une ville touristique sans monuments? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Une nouvelle conception de l'urbanisme : les lieux de mémoire . . . . . . . . . . .
Conclusion : Singapour, un modèle de réflexion et
d'action environnementale en milieu urbain? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
59
59
61
63
Chapitre 4 • Brunei-Darussalam :
une subtile transition . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
UN
É TAT M A L A I S T R A D ITI O N N E L . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 67
Un emporium pétrolier . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
…qui ne connaît que peu de problèmes urbains ou industriels . . . . . . . . . . . 69
U N C A D R E NAT U R E L R E M A R Q U A B L E M E N T P R É S E R V É . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Des réserves forestières à l'état originel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Des projets de diversification intégrant la durabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
Conclusion : un patrimoine préservé durablement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 74
Chapitre 5 • La prise de conscience
environnementale malaise . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77
UNE
C R I S E U R BA I N E E N P R É PA R ATI O N ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Problèmes d'assainissement des effluents urbains et industriels . . . . . . . . . .
La qualité de l'air se dégrade . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Un arsenal législatif qui s'étoffe pour y répondre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L E S E S PAC E S N AT U R E LS S E T R A N S FO R M E N T R A P I D E M E N T . . . . . .
Les forêts sont les premières touchées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Les mesures de protection de la biodiversité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
L E R Ô L E D E S O N G E N V I R O N N E M E N TA L E S E N M A L A I S I E . . . . . . . . .
Conclusion : un patrimoine naturel renouvelé,
des menaces de surexploitation patentes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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83
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85
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94
Chapitre 6 • Le Sarawak, un Etat à part
dans la Fédération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97
DES
P R O B L È M E S E N V I R O N N E M E N TA U X R E P R É S E N TATI FS . . . . . . . . . 99
Les problèmes causés par l'exploitation du pétrole . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
Des forêts variées fortement exploitées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
La progressive transformation des paysages agricoles . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 0 3
L' I N D I G É N AT FO RT D U S A R AWA K
FAC E A U X D É F I S D E L A M O D E R N IT É . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103
Importance des produits forestiers autres que le bois
dans les sociétés traditionnelles du Sarawak . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 104
Le lien perturbation environnementale-migration est-il toujours valide ? . . 106
Un cas particulier : les populations Penan encore nomades . . . . . . . . . . . . . . 107
U N FA I S C E A U D E S O LU TI O N S E N V I S AG É E S . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
Les replantations, buts officiels et réalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109
La diversification des revenus agricoles dans le petit paysannat . . . . . 110
T O U R I S M O R N OT TO U R I S M ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
Les statuts de la protection environnementale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111
Le développement touristique, une panacée? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113
Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1 6
Conclusion générale
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Liste des cartes, figures, tableaux et photos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Résumés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
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Grafigéo 2000-10
J
E TIENS À REMERCIER toutes les personnes qui m’ont soutenu dans ce projet, tout d'abord
mon directeur de recherches, Monsieur le Professeur Olivier Sevin, pour ses conseils avisés et ses encouragements constants ; Monsieur le Professeur Christian Huetz de Lemps
pour les contacts qu’il m’a procurés et son soutien jamais démenti ; Madame le professeur
Micheline Hotyat pour la compétence technique à laquelle elle m’a initiée pour la France.
Lors de mon séjour dans ces régions lointaines, j’ai reçu le meilleur accueil de Messieurs les
Professeurs Goh Kim Chuan et Wong Tai Chee de la Nanyang Technological University,
Henry Yeung de la National University of Singapore, Michael Pangiras, Yong Chee Tuan de
la Universiti Brunei Darussalam, Lee Boon Thon de la Universiti Malaya et Jamalluddin
Mhd Jahi de l’Universiti Kebangsaan Malaysia : tous m’ont reçu sans délais et mis leur
savoir à ma disposition, répondant avec bienveillance à mes nombreuses questions, faisant
l’effort de comprendre mon anglais et parfois même de me répondre en français.
Je remercie leurs Excellences, Messieurs Xavier Driencourt, Ambassadeur de France en
Malaisie, et François Barry-Martin-Delongchamps, Ambassadeur de France à Singapour,
Monsieur Pierre Lafrance, ancien ambassadeur de France, Monsieur Alain Brocart, Premier
Secrétaire de l’Ambassade de France à Brunei, Madame Bourdarot et Monsieur Liège,
Conseillers culturels respectivement à Singapour et à Kuala-Lumpur, pour leur accueil,
leurs conseils et leur soutien.
Je remercie vivement tous les administrateurs, le personnel des ministères et des ambassades des pays concernés qui eux aussi m’ont offert leurs services à chacune de mes
enquêtes. La courtoisie et la volonté réelle à répondre du mieux qu’ils le pouvaient à mes
questions fut d’une aide précieuse et d’un gain de temps certain. Sans eux, il ne m’aurait
pas été possible de rassembler toutes les informations et documents qui m’ont été si utiles.
Les guides et les offices du tourisme auxquels j’ai pu avoir affaire m’ont été très précieux :
des idées nouvelles, des exemples et un service d’interprétariat efficace et des réponses obtenues, m’ont ouvert à des réalités que les livres et interviews officielles rendent difficilement.
Je remercie aussi particulièrement mes parents qui m’ont toujours apporté leur soutien
moral et financier ainsi que Nicolas Weber, un ami, et Madame Anne-Marie Briend, pour
leurs relectures patientes, sans lesquels je n’aurais pu mener à bien ce voyage ni ce mémoire.
Que tous reçoivent ici l’expression de ma gratitude sincère et entière.
Introduction
Introduction
L’
ÉVOCATION des noms de la Malaisie,
de Singapour et de Brunei suscite les
représentations les plus variées. Pour
les uns, ces sont tous les mystères de
l’Orient, entre amok et pirates de mer de
Chine, entre épices et commerce colonial, où
les songes d’une Asie rêvée se mêlent à l’ordonnancement colonial anglais, où se
mélangent, dans un cadre victorien idéalisé,
l’Inde, la Chine avec un on ne sait trop quoi
d’exotisme local, tout à la fois barbare et raffiné. Pour d’autres, ces pays évoquent des
forêts vierges, une faune et une flore
extraordinairement riches, des peuplades
primitives aux noms sonores, Iban, Punan,
Dayak,… formant une réserve exceptionnelle d’aventure humaine ou scientifique.
Pour d’autres encore, ce sont les réussites
économiques étonnantes de ces petits États,
particulièrement de Singapour, la « Petite
Suisse de l’Asie ». Les trois pays ont atteint
un niveau économique et social qui les a sortis du lot des Pays Sous-Développés, et ont
acquis une relative importance sur la scène
économique mondiale. A plusieurs titres, on
les prend pour des modèles de développement : Singapour est sorti du marasme
économique et social des premiers temps de
son indépendance pour jouir d’une prospérité qui passerait pour insolente aux yeux de
Grafigéo 2000-10
ses voisins restés à des niveaux de vie largement inférieurs. La Malaisie, après les
convulsions consécutives à la séparation de
Brunei et de Singapour, sous la poigne de ses
Premiers Ministres le Tungku Abdul
Rhaman puis le Dr Mahatir, a su se développer assez harmonieusement et à un rythme soutenu, malgré les disparités nombreuses d’un territoire fragmenté tant
physiquement que socialement. La Malaisie
aujourd’hui compte au nombre des pays
presque industrialisés voire nouvellement
industrialisés : son niveau de vie moyen est
largement au-dessus de la moyenne asiatique. Brunei-Darussalam est connu pour
son sultan, l’homme le plus riche du monde
avec une fortune personnelle supérieure à
trente-huit milliards de francs, et par la
source de cette fortune, le pétrole. Sa localisation précise reste problématique, même
pour les économistes.
La région considérée n’est pas très grande : elle représente les deux-tiers de la superficie de la France. Elle est bien desservie par
une infrastructure de transports dense et
d’assez bonne qualité : si le réseau ferroviaire reste assez réduit, le réseau des bus et le
maillage des lignes aériennes permettent
d’accéder presque partout dans l’espace
d’une journée. Ponctualité et sécurité sont
11
Transformations environnementales dans le monde malais
bien respectées. La population a un bon
niveau d’éducation qui permet la circulation
et la diffusion de l’information dans tous les
sens, et facilite la communication avec les
pays étrangers. La variété ethnique, sociale,
économique de cette région ouvre ainsi de
nombreux horizons de recherche au géographe. La qualité de l’environnement et du
développement permet de remettre en cause
et de renouveler l’approche si souvent convenue et négative des associations environnementalistes : les conséquences du développement ne sont pas nécessairement
néfastes dans des pays si « merveilleusement » naturels. Conscients des modifications profondes impliquées par le développement, les trois pays ont décidé de
construire une politique de l’environnement
qui prenne en compte les aspirations de chacun à vivre dans des conditions décentes et
dans le respect de la nature.
Le cadre peut donc se résumer ainsi :
dans une Asie encore affectée par le sousdéveloppement et les problèmes de transition entre des régimes dictatoriaux et une
ouverture relativement libérale à défaut de
démocratique, ces trois pays apparaissent
comme privilégiés. Leurs régimes sont
stables, leurs économies les ont placés dans
le haut de l’échelle, même si les disparités
internes demeurent fortes particulièrement
en Malaisie et à Brunei. Malgré la crise
financière qui a éclaté, ces pays restent relativement épargnés. Les taux de chômage ont
augmenté, rallongeant les temps de latence
entre deux emplois plutôt que fermant les
issues à une douloureuse situation. Un développement économique aussi rapide entraîne des conséquences multiples sur l’environnement. En premier lieu, il se marque par
une forte transformation des paysages sur
des aires de plus en plus vastes. L’emprise
humaine sur l’espace s’accroît au détriment
des terrains inviolés. En second lieu, il se
marque par un changement de la qualité des
indices environnementaux de l’air, de l’eau,
du sol.
La civilisation malaise reposait en effet
sur un réseau de sultanats-emporium à travers la région. Délaissant l’intérieur des
terres, elle se fixa préférentiellement dans les
12
estuaires et sur les berges des fleuves. Les
pratiques agricoles légères autour des sites
d’implantation n’ont longtemps causé que
de faibles dégradations. Les tribus d’Orang
Asli, toutes ces tribus indigènes qui peuplaient les forêts, restaient en contact pour
quelques productions avec les commerçants
malais ou chinois qui s’aventuraient chez
eux. L'essartage, pratiqué de manière très
extensive, donnait du temps au milieu pour
se reconstituer. Les traces laissées restaient
faibles, et s’ils exploitaient une forêt secondaire, c’était souvent une vieille forêt secondaire.
Tout a changé lorsque les Anglais se sont
installés au XIXe siècle. L’exploitation des
ressources naturelles et la structure démographique ont subi d’importantes mutations : les Anglais font appel à une très forte
main-d’œuvre immigrée pour compenser le
manque local ; les volumes de bois précieux
prélevés augmentent rapidement ; les mines
d’étain animent tout l’Ouest péninsulaire et
provoquent l’essor du Selangor, et de la
capitale actuelle, Kuala Lumpur. Singapour,
bourgade insignifiante de pêcheurs, commence à se développer afin de servir de
relais sur la route de la Chine après sa concession aux Anglais par le sultan de Johor.
Quant au territoire de Brunei, il fut réduit
progressivement à son extension actuelle par
cessions successives d’une bonne partie de
ses terres à une compagnie de commerce
américaine et aux Rajahs Brooke. Son essor
commença à l’extrême fin du XIXe siècle et
son développement se produisit surtout au
XXe siècle, grâce à la découverte puis à l’exploitation du pétrole par la Royal Dutch
Shell.
Si Bornéo reste longtemps à l’écart du
développement, il n’en va pas de même de
la péninsule malaise. Singapour prend toute
son importance grâce à ses activités portuaires, la Péninsule malaise se couvre progressivement d’hévéas, puis de palmiers à
huile. Elle devient un des premiers producteurs mondiaux dans toutes ces catégories
de produits, bouleversant ainsi le paysage
agraire : les forêts primaires sont progressivement remplacées par les forêts commerciales. S’est alors greffée au cours de ce siècle
Grafigéo 2000-10
Introduction
une économie de rente forestière dont le
développement fut rapidement considéré
comme non durable, même par les autorités
asiatiques de la filière bois, pourtant peu
enclines à s’apitoyer sur les rythmes de la
déforestation. Elle alimente les caisses des
Etats Malais, ainsi que celles des détenteurs
des concessions attentifs aux profits à court
terme plutôt qu’à l’exploitation sur la durée.
Tous ces facteurs se sont croisés pour donner
à la région son paysage actuel. Plus de la
moitié des forêts a disparu, laissant place à
des zones industrielles, des villes, des défrichements agricoles, cruciaux pour assurer
l’indépendance alimentaire de la Malaisie et
réduire les disparités sociales d’accès à la
terre. Les forêts laissent place à d’immenses
périmètres oléipalmicoles ou d’hévéaculture,
bien que ces derniers aient subi le contrecoup du remplacement du caoutchouc naturel par les produits issus de la pétrochimie
dans nombre de domaines. L’emprise spatiale qui en résulte est très forte. La description comporte des nuances, car peu de comparaisons directes sont possibles entre une
île-Etat (Singapour), un petit Etat rentier
comme Brunei, et la Fédération Malaise qui
a dû suivre un développement sur une plus
vaste échelle de population et de territoire.
Singapour est presque entièrement défriché
et la ville recouvre la moitié de l’île. Brunei
est à 80% recouvert de forêts, elles-mêmes à
70% primaires. La Malaisie connaît des
sorts variables : le Sarawak par exemple est
exploité sur 70% de son territoire, l’Est de la
Péninsule reste encore sauvage.
Au bouleversement du paysage s’ajoute le
bouleversement de la qualité des indices
environnementaux : le développement industriel, l’accroissement du niveau de vie, la
révolution verte et les pratiques forestières
ont radicalement transformé les conditions
de vie des gens. Pour les citadins des trois
pays, les effets de la pollution industrielle ou
de celle induite par les moyens de transports
en augmentation rapide, ont changé la donne
climatique et aérienne des villes. A plus grande échelle, la pollution des rivières par les
effluents urbains, agricoles ou industriels met
en relief la question de l’eau continentale
dans des pays dont le climat se caractérise
Grafigéo 2000-10
par de très importantes chutes de pluie et où
l’on pourrait croire l’eau surabondante. La
question du manque de cette ressource se
pose avec une acuité redoublée par les défrichements : la déshydratation du couvert
forestier provoque les incendies, réduit la
capacité de rétention des précipitations, et
abaisse encore la qualité d’une eau disponible
pour les activités humaines. De plus, les activités forestières ont provoqué, du fait de leur
générale désorganisation, des déversements
d’alluvions dans les cours d’eaux qui étouffent une partie de la faune aquatique, mais
qui provoquent surtout un envasement à la
moindre baisse de puissance. Les risques
d’inondations augmentent, les plages s'embouent , les coraux meurent, ...
L’impact humain du développement est
à deux faces. D’un côté, il permet une amélioration des conditions générales de vie, un
meilleur accès à la santé, à l’éducation, fait
naître des idées nouvelles. D’un autre, il perturbe profondément et rapidement des
sociétés qui passent brutalement de pratiques multimillénaires comme la chasse et
la cueillette des produits sauvages, à une
économie fondée sur la répartition des
tâches et sur la monétarisation des échanges
et son contexte difficile de réglementations,
juridismes et autres concepts ardus de la
société libérale de mode occidental. Les tribus qualifiées légalement d'« indigènes »
(natives) ont plus subi qu’accompagné le
développement qui de toutes les manières
était décidé à des dizaines voire des milliers
de kilomètres de chez eux. Ces tribus sont
pour la plupart sédentarisées, selon des programmes définis, afin d'être mieux encadrées. Le développement induit encore des
effets secondaires ou side effects liés à la pollution : augmentation de certaines maladies
dues à l’excès de métaux lourds et de polluants atmosphériques ; mais aussi provoquées par le nouveau mode de vie : apparition de maladies coronariennes, de
diabétismes et autres maladies de sédentaires qui autrefois épargnaient en grande partie ces populations.
Un contrebalancement à ces aspects
négatifs existe. Parmi tous les traits de civilisation en évolution, la perception du milieu
13
Transformations environnementales dans le monde malais
est celle qu'on a longtemps négligée, ou à
tout le moins abandonnée aux ethnologues.
Ceux-ci s'attachaient essentiellement à
conserver des traces de la vision des populations les moins touchées encore par la diffusion du nouveau modèle social. Pourtant, à
la suite de nos sociétés qui très récemment
ont pris conscience du nouveau rapport que
nous lions avec leur milieu reconceptualisé
sous le nom d'« environnement », ces pays
prennent à leur tour conscience des dérives
de leur développement mené à un rythme
très soutenu. Le niveau de richesse et d’éducation atteint dans ces pays permet de considérer le milieu autrement que sous un angle
utilitaire : les activités nouvelles laissent du
temps aux loisirs, que l’on consacre comme
partout ailleurs à la vision des différents
médias disponibles, télévision, cinéma,
magazines. Ceux-ci sont de puissants relais
de l’information, particulièrement événementielle comme peut l’être l’information
environnementale. Lors des catastrophes
naturelles que sont par exemple les inondations de la Niña ou les sécheresses de son
grand-frère El-Niño, on pointe les liens de
cause à effet entre les activités humaines et
leurs conséquences aggravantes sur l’environnement, ce qui tend à exclure le fatalisme traditionnel. La santé, les acquis d’une
ancienne sagesse ne doivent pas être sacrifiés
sur l’autel d’un Développement sacralisé,
Moloch-Baal des sociétés modernes plutôt
que dieu thaumaturge délivrant l’humanité
de tous ses maux.
Le développement doit devenir durable,
soutenable et on pourrait même dire supportable, afin de traduire au plus près le mot
anglais. Le mot anglais, sustainable est plus
évocateur de difficultés que ne l’est « durable » en français, qui met d’avantage l’accent sur la confiance en un avenir positif.
L’un rappelle les présentes difficultés à surmonter tandis que l’autre se projette dans
une amélioration continue : ce que le présent
construit ne doit pas viser une jouissance
immédiate, mais doit aussi servir pour les
générations futures. Les différences légères
de traduction recouvrent en fait une seule et
même réalité conceptuelle : lors des grandes
conventions comme celle de Rio en 1992, on
a évoqué une Terre qui était entre nos mains
simplement en dépôt et non pas donnée en
héritage. Chaque jour nous créons un patrimoine dont hériteront les générations à
venir. Nous ne pouvons le dilapider – au
moins en théorie – car nous risquerions
d’obérer leurs chances de jouir un jour des
mêmes ouvertures de développement que
celles dont nous avons pu jouir en notre
temps. Ce qui nous paraît aujourd’hui inutile pourra peut-être demain faire l’objet
d’une grande découverte et devenir ainsi un
bienfait pour l’humanité. Nous sommes en
droit de nous demander si ces différences
mêmes légères dans la description d’une
réalité ne relèvent pas d’une différence marquée entre une conception « anglo-saxonne »1, et des conceptions du développement
à la française, voire plus « latines ».
Sous les aspects prévisionnels de la
notion de développement durable se cache
en outre une multitude de points de vue
divergents et surtout de confrontations politiques internationales extrêmement dures
entre les pays en voie de développement et
les pays développés qui jouissent d’une
bonne partie des richesses produites sur
notre planète. Comme autrefois les grandes
nations se partageaient le gâteau colonial,
les nations actuelles, au sens où nous occidentaux nous l’entendons, se partagent les
richesses produites en fonction des donnes
économiques qu’impose l’Occident au
monde depuis le siècle passé. Les nations
émergentes tentent de se tailler leur part et
ne désirent plus subir le paternalisme bienpensant qui affecte nos pays, tenaillés par
un semblant de remords post-colonialiste.
Elles n’acceptent plus la suprématie absolue
du monde occidental, mais désirent être des
acteurs et des décideurs des destinées de ce
monde à travers les instances internationales. Ces nouveaux pays, particulièrement
1. Il est notable que les principales associations environnementales soient nées dans les pays
anglo-saxons, et qu’elles y aient acquis une puissance sans commune mesure avec les associations des pays méditerranéens comme la France.
14
Grafigéo 2000-10
Introduction
ceux qui ont su s’adapter aux nouvelles
donnes comme le sont les pays émergents,
ont franchi le cap de l’émancipation stricto
sensu, c’est-à-dire de l’acquisition de l’indépendance politique. Ils ont acquis encore
une certaine indépendance économique qui
leur permet de ne plus obéir aux injonctions
de leurs anciennes métropoles.
La doctrine tiers-mondiste qui sous-tendait le début de leur développement s’efface
devant les impératifs économiques et l’importance de la notoriété internationale. Le
quémandage d’assistance n’a jamais bien
présenté un pays à ses investisseurs potentiels, pas plus qu’une surmédiatisation des
problèmes posés par une dérive environnementale. Le développement passe désormais par une intégration passive ou active
de certains traits de civilisation occidentaux.
L'Occident honni naguère pour son passé
colonial, devient un modèle dans la recherche du développement. L’apport accepté de
la civilisation occidentale oblige à une synthèse que l'on voudrait respectueuse du
fonds culturel préexistant. La démarche
progressive de la Malaisie, de Brunei est la
traduction de ces changements d’attitude
sur la scène internationale. Singapour, du
fait de l’exiguïté du territoire, n’a pas eu
d’autre solution que d’adopter une attitude
résolument tournée vers la maîtrise des
effluents afin de parvenir à un développement durable. La sévérité des autorités fut à
la hauteur de leur réussite en la matière :
grande ; ainsi cette île est-elle devenue une
Suisse asiatique, doublet tropical de son
éponyme européen.
Le concept de développement durable
domine la réflexion sur l’environnement
depuis la difficile réunion de Rio en 1992.
Outre les différences d'appréciation entre les
conceptions anglaises et françaises, il nous
faudra nous interroger sur l’appréhension
locale de l’exigence environnementale : les
pays de la région ont-ils élaboré une vision
propre, respectant la diversité culturelle de
leur peuplement ? En effet, nous avons tendance à considérer que l’Asie est traversée
par un courant bouddhico-confucéen homogène. Quelques variantes hindouistes, rarement musulmanes, viennent ajouter à l’exoGrafigéo 2000-10
tisme ésotérique que la tradition européenne
colporte à tort depuis des décennies. Or il
n’en va pas ainsi. Les « nations », au sens
qu’on donne en France à ce terme, n’existent
pas – encore ? – dans la région considérée ;
on trouve par contre de fortes traditions
propres à des groupes humains qui ne sont
pas sensibles de la même manière à l’idée
unitaire.
En adoptant la terminologie locale politiquement connotée, les groupes majeurs sont
au nombre de trois : les Bumiputra (fils de
la terre, désignant les Malais d’origine sans
spécificité raciale, incluant les diverses peuplades non-malaises mais « indigènes »), les
Chinois et les Indiens. Chaque catégorie
peut elle-même se subdiviser en fonction des
origines de chaque communauté : au sein du
groupe malais, les Dayak, les aborigènes, les
Malais melayu (cf. chapitre 1.) ont une
vision du monde contrastée que les religions
n’unifient pas. Au sein du groupe chinois, en
fonction du lieu de résidence, de l’origine
des groupes en Chine et de leur regroupement au sein de confréries, les points de vue
varient assez fortement. Quant aux Indiens,
leur regroupement urbain fait leur seule
unité : ils sont souvent de confessions variées
et originaires de régions différentes de
l’Inde. L'urbanisation croissante des trois
communautés uniformise la mosaïque ethnique. Elle permet aussi la diffusion des
idées nouvelles de manière beaucoup plus
rapide que dans un système agricole traditionnel. L'apparition d'un nationalisme
transcende avec plus ou moins de bonheur
la diversité de cultures, le comportement
uniforme des populations massées dans les
villes, l'intériorisation des règles économiques, témoignent de l'infusion culturelle
occidentale dans un tissu social complexe.
Quelle unité trouver face à tant de diversité
pour mener une politique qui reçoive l’appui
des populations et des instances internationales ?
L’utilisation de l’espace et la création de
nouveaux paysages issus des techniques
d’exploitation modernes transforment radicalement l’approche du milieu de vie.
Certaines de ces techniques, comme les
plantations commerciales d’hévéa ou sur15
Transformations environnementales dans le monde malais
tout de palmier à huile, comme l’industrie
du bois, sont particulièrement consommatrices de terres. Il en résulte une forte
concurrence entre les différentes activités
humaines pour l'utilisation de cet espace.
Comment l’interaction entre ces différents
usages permet-elle le développement des
sociétés en même temps que la prise d’intérêt dans la protection de cet espace ?
Conservatoire de traditions multimillénaires
ou laboratoire de nouvelles formes d’interactions entre l’homme et son environnement
dans les milieux tropicaux humides ? Dans
les deux premiers chapitres, nous tenterons
de synthétiser au maximum les principes
fondateurs d’une politique de l’environnement propre ou partagée à partir d’événements qui ont servi de révélateurs des problèmes existants.
Nous pouvons nous demander à juste
titre s’il n’existe pas une spécificité de la
notion d’environnement et de développement durable propre à chaque pays. La
notion traduirait ainsi la recherche d’un
équilibre entre les différents points de vue
des communautés et la capacité qu’elles ont
à les exprimer. Comment ces sociétés restées
traditionnelles jusqu'à une époque très
récente, transforment-elles leur perception
du milieu en fonction de leur patrimoine culturel ainsi que de leur perception des bases
économiques et sociales de notre société occidentale ? Ces pays ne tenteraient-ils pas de
se créer leur propre modèle de développement ? En faisant le point sur ce sujet, nous
nous attacherons à éclairer les différentes
approches politiques de la vaste notion d’environnement et de leur traduction spatiale
sur le territoire de ces trois pays, qui intéresse plus particulièrement le géographe. Nous
montrerons pays par pays dans les chapitres
suivants, les extensions de la notion et leurs
implications au niveau de la mise en œuvre
d’une politique active voire proactive2 de
l’environnement. Nous terminerons enfin
par l’étude plus précise d’un Etat de la
Fédération de Malaisie, le Sarawak, situé au
nord-est de l’île de Bornéo.
2. Par proactif nous entendons une politique anticipant les problèmes par une planification serrée et
une prévention quotidienne.
16
Grafigéo 2000-10
Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs
Chapitre 1 • Trois conflits révélateurs
d’enjeux régionaux majeurs
I
les grands incendies
de la fin 1997 qui se sont poursuivis jusqu'au retour de la mousson de l'été
1998, pour que l'Orient et l'Occident prennent conscience de l'ampleur des transformations environnementales en Asie du sudest. Les médias de tous les pays ont diffusé
de terribles images qui ont modifié en partie
l’idée convenue d'une Asie couverte par la
forêt vierge, et habitée par des populations
adonnées à des pratiques ancestrales, cliché
contrastant avec l’autre image d’une Asie
modernes aux villes surpeuplées, qui nous
pourvoit en matériels électroniques après
avoir accueilli nos délocalisations. Dans l'inconscient collectif, les deux aspects se juxtaposaient mais ne se recoupaient pas. La
nature paraissait plus particulièrement former un bloc inaltérable. Les grands drames
environnementaux dans le monde (déforestation, sécheresses, barrages insensés,…)
étaient montrés ailleurs : l'Amazonie, le
Sahel ont occupé l'essentiel de la presse télévisuelle, radiophonique ou écrite.
La soudaineté des incendies et l'ampleur
de la fumée dégagée ont surpris le monde
entier. On n’imaginait guère que l'Asie des
Moussons pût souffrir de sécheresse et que
des incendies pussent se déclencher dans une
forêt que l'on croyait en permanence gorgée
L A FALLU ATTENDRE
Grafigéo 2000-10
d'eau. La fragilisation du milieu asiatique
s’est alors manifestée avec éclat. Un bilan a
pu être dressé des conséquences du développement sur l'environnement régional.
Cet événement majeur a révélé deux
autres crises, l’une urbaine et l’autre sociale.
Le nuage de fumée qui a asphyxié presque
toute l'Asie du Sud-Est pendant de nombreuses semaines a servi de révélateur aux
dysfonctionnements institutionnels et naturels. En remontant aux causes de l'incendie,
on déterminera les caractéristiques régionales qui ont facilité sa propagation : quel
couvert végétal a plus particulièrement pris
feu ? Pourquoi ? D'autre part, une crise de
l’eau urbaine s’annonce avec beaucoup de
gravité pour ces prochaines années, paradoxalement dans un Equateur humide. Aux
difficultés naturelles, s'ajoutent les conflits
sociaux qui apparaissent avec le changement des structures traditionnelles, plus
particulièrement à l’occasion de l’exploitation forestière. A travers l'évolution historique récente, on voit que ces populations
diverses se sont mélangées puis ont été « travaillées » par l'occidentalisation de leur
mode de vie. C’est sans doute une des causes
du changement important qui a affecté le
milieu de vie communément appelé de nos
jours « environnement ».
17
Transformations environnementales dans le monde malais
Carte 1 - La Malaisie, le Sultanat de Brunei et Singapour en Asie du Sud-Est
Projet de construction
ou de réhabilitation
Ministère
de l'environnement
trôle de bâtiments par
lding Control Division
a Public Works Departement
Central Building Planning Unit
(Ministère de l'Environnement)
Construction
cceptation
Vérification
efus
BCD donne le Temporary
Occupation Permit (TOP)
ou le Certificate of Statutory Compeltion (CSC)
Tableau 1 - Données statistiques générales 1999 (par pays, estimation)
Régions
Malaisie
Malaisie péninsulaire
Sarawak
Sabah
Singapour *
Brunei
Superficie
(km2)
Population
(1 000 habitants)
329 667
131 598
124 449
73 620
636
~ 6 000
22 700
14 617
1 950**
2 660**
4 000
~ 320
Densité
(hab./km2)
68
111
16
36
6 250
~ 53
Source : Population et Sociétés n° 348, juillet-août 1999, INED, Paris.
* Selon le Monthly Digest du Department of statistics de Singapour ; estimation 1997 : 3736,7 dont 3103 de résidents soit
une densité de 4879.
** Chiffres : Malaysian 1998 Yearbook
18
Grafigéo 2000-10
Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs
LES
FEUX DE L’AUTOMNE 1997 ET
LA DÉGRADATION DU PATRIMOINE
FORESTIER
Les incendies de 1997-1998 sont considérés comme une des plus grandes catastrophes environnementales du siècle, si ce
n'est la plus grande. Ils ont rassemblé tous
les critères d'énormité, de puissance, de destruction : ce fut un véritable drame naturel
et humain, probablement comparable selon
certains à ce que fut pour les Anciens le
désastre de Pompéi.
Un événement d'une ampleur
exceptionnelle
Les feux se sont déclenchés pendant une
longue période de sécheresse due à l'oscillation australe dite d'El-Niño (ENSO, acronyme anglais) qui intervient régulièrement
dans l'équilibre saisonnier des précipitations
et des sécheresses des deux côtés du
Pacifique Sud. Cet effet d'ENSO fut particulièrement intense. Des feux allumés par les
orages, mais surtout des feux déclenchés
volontairement dans les forêts desséchées
ont pris une ampleur toute particulière. Ils
échappaient à tout contrôle et généraient
des fumées épaisses en grande quantité. Ces
feux nombreux ont commencé pendant l'été
1997, peu de temps avant le moment du
retour normal des pluies. En octobre, les
photos montraient des immenses étendues
brûlées. Les satellites détectaient dans l'infrarouge encore en mars 1998 jusqu'à 500
« points chauds » correspondant à des feux
en activité. Rien ne semblait pouvoir arrêter
les flammes dans leur œuvre destructrice.
Les grandes compagnies forestières rejetaient la faute sur les petits paysans, particulièrement ceux issus de la transmigration
récente, pris dans les banlieues surpeuplées
de Jakarta et qui s'improvisaient agriculteurs avec très peu de moyens. Les petits
paysans accusaient les grandes compagnies
d'être à la source de tous leurs maux, de
mettre délibérément le feu aux espaces
défrichés afin de pouvoir accéder plus rapidement encore à des zones non défrichées.
Le manque de moyens, combiné avec la
crise économique, avec l'inexistence de corps
de pompiers en Indonésie, et avec le manque
de réelle volonté politique firent qu'un épais
nuage de fumée a recouvert pendant plusieurs mois toute la région. La carte 2 montre
de manière chronologique comment les feux
se sont répandus très rapidement pendant
tout le dernier trimestre 1997 et ont été nombreux particulièrement dans le Sud Kalimantan et le Centre-Sumatra. Le nuage de
fumée a fortement affecté les voisins immédiats à l'Est de ces deux régions : la Malaisie,
la Thaïlande, et jusqu'au-delà des Philippines. Les indices de pollution (Air Pollution
Index) qui sont échelonnés de 0 à 500, ont
très régulièrement dépassé les 300, et même
parfois les 500 dans le courant 1998. Pour
bien comprendre leur signification, il faut se
reporter au tableau 2 qui fournit l'évaluation
des indices.
Tableau 2 - Qualité de l'air en fonction
des indices de pollution
Indice
0-50
Qualité de l’air
bonne
51-100
moyenne
100-200
mauvaise
200-300
> 300
très mauvaise
dangereuse pour la santé
Source : d’après les rapports du Department of Environment de Malaisie et du Ministère de l’Environnement de
Singapour
Par exemple, les 31 mars, 1er et 2 avril
1998, l'indice de qualité de l'air de Miri
(Sarawak) atteignait dans l'ordre, 599, 559
et 502 (The Sun, April 2, 1998, journal
malais). Il va sans dire que les aéroports
étaient fermés. La population était appelée à
rester chez elle1. Une grande partie de l'Asie
a été touchée pendant l'épisode de l'automne
1997. A Singapour, comme dans d'autres
villes de Malaisie et plus encore en Indonésie,
on était obligé de rouler les phares allumés en
1. Les gens de Miri ou de Brunei racontent volontiers que pendant la période des fumées
intenses, ils ne voyaient même pas le bout du capot de leur voiture. Une telle épaisseur de
fumée était proprement incroyable.
Grafigéo 2000-10
19
Transformations environnementales dans le monde malais
Carte 2a
105˚E
120˚E
135˚E
Août 1997
15˚N
Philippines
Sabah
Malaisie
Sarawak
Équateur
BORNÉO
Sumatra
Kalimantan
Clbes
Irian Jaya
Java
0
Données sur le nuage de fumée non disponibles
1000 km
500
Carte 2b
105˚E
120˚E
135˚E
Octobre 1997
15˚N
Philippines
Sabah
Malaisie
Équateur
Sarawak
Sumatra
BORNÉO
Kalimantan
Clbes
Irian Jaya
Java
Données sur le nuage de fumée en date du 16 octobre 1997
0
1000 km
500
Sources : documents en ligne de l'Agence spatiale européenne et de l'UNEP-GRID
Intensité des feux
Faible densité
Densité moyenne
Forte densité
Extension du nuage de fumée
20
Grafigéo 2000-10
Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs
Carte 2c
105˚E
120˚E
135˚E
Septembre 1997
15˚N
Philippines
Sabah
Malaisie
Sarawak
Équateur
Sumatra
BORNÉO
Kalimantan
Clbes
Irian Jaya
Java
0
Données sur le nuage de fumées au 26 septembre 1997
1000 km
500
Carte 2d
105˚E
120˚E
135˚E
Novembre 1997
15˚N
Philippines
Sabah
Malaisie
Sarawak
Équateur
BORNÉO
Sumatra
Kalimantan
Clbes
Irian Jaya
Java
Données sur le nuage de fumée au 31 octobre 1997
0
500
1000 km
Cartes 2 - Chronologie et extension des périmètres atteints par les incendies et
le nuage de fumée de l'automne 1997 en Asie du Sud-Est
Grafigéo 2000-10
21
Transformations environnementales dans le monde malais
plein jour, les commerçants vendaient sans
cesse des masques filtrants pour permettre
aux gens de respirer.
Tandis que les rues plongées en plein
midi dans la pénombre se vidaient, les
centres commerciaux se remplissaient de
gens qui désiraient bénéficier de l'air un peu
purifié offert par les climatiseurs. L'image
des hôpitaux remplis de gens souffrant de
complications pulmonaires, ou de crises cardiaques occupait une autre bonne part. La
situation atteignit un climax lorsqu'un avion
de la Garuda s'est écrasé du fait de la mauvaise visibilité. Voici comment le rapporte le
Washington Post en date du 28-9-1997 :
On soupçonne la fumée d’avoir contribué ce
vendredi à l’écrasement d’un Airbus de la
Garuda Airlines qui a percuté un flanc de
montagne sur l’île indonésienne de Sumatra,
juste après que le pilote a signalé une mauvaise visibilité. Les 234 passagers sont tous
morts et aujourd’hui, les membres de leurs
familles qui ont été transportés à Sumatra ont
entrepris la triste tâche de récupérer les restes
des êtres chers, exposés dehors dans des cercueils en bois non loin du site de l’accident.
Les accidents de bateaux n'étaient pas en
reste dans le couloir extrêmement fréquenté
du Détroit de Malacca, ou même sur les
rivières de Bornéo et de Sumatra, obligeant
les autorités locales à prendre des mesures
de restriction de circulation lorsque la visibilité était faible (The Sun, March 5, 1998).
Des mesures difficiles à prendre
Il était très difficile de contenir ces feux,
car non seulement la population n'était pas
découragée par les amendes très fortes et
même des peines de prisons en cas de brûlis
en plein-air, mais en plus ces incendies
affectaient des secteurs de tourbières asséchées, « parcheminée » comme le rappellent
les journalistes, lesquels se sont mis à flamber en profondeur. Ces feux ont été à la
source des taux les plus forts de pollution de
l'air en Malaisie Péninsulaire et surtout pendant tout le premier semestre 1998 à Bornéo
Est, resté sec jusqu'en juin 1998. L'extension et le type de feux nécessitaient des
moyens considérables que nul pays n'était
en mesure de réunir. Le civisme était difficile à obtenir. Le ministre de la Santé de
Brunei a été limogé pour ne pas avoir pris les
mesures préventives nécessaires au moment
où la côte tourbeuse de Brunei s'est mise à
brûler ; quant au ministre de l'environnement indonésien, ce fut pour avoir dénoncé
l'incurie des pouvoirs indonésiens qui
n’avaient pas appliqué les lois, faiblement
verbalisé, peu retiré des permis d'exploitation aux grandes sociétés forestières, pris
peu de mesures de préventions de la santé
publique, entre autres.
On a tout d'abord augmenté les amendes
en cas de déclenchement flagrant de feux à
l'air libre, surtout dans les zones affectées
par les incendies. Pour Brunei, les amendes
qui avant les événements plafonnaient à
2000 $B2, sont relevées à 100 000 $B et dix
ans de prison ferme. En cas de récidive, le
plafonnement disparaît et les peines d'emprisonnements sont allongées en fonction de
la gravité des incendies. Les mêmes mesures
ont été prises en Malaisie et à Singapour : les
journaux sont même allés jusqu'à créer des
lignes téléphoniques gratuites pour dénoncer les infractions aux interdictions en
vigueur.
Singapour a lancé un satellite de surveillance-incendies (semaine du 23 mars
1998) dont le site internet3 permet encore
aujourd'hui de détecter en Asie du Sud-Est
les feux de forêt. Les images produites par
les satellites, ainsi que le renforcement de la
surveillance aérienne par l'Armée de l'Air
Malaise déjà en place depuis mars 1996,
l’appel à dénonciation ont permis d'avoir
une image plus précise de l'ampleur du problème dans la région. Au printemps 1998,
l'Etat du Kedah (nord Malaisie Péninsulaire) comptait pour le premier trimestre
2. Source, chiffres de la Environmental Unit de Brunei. C’est le même taux de conversion que
pour les dollars de Singapour, c’est-à-dire entre 3,5 et 4 FF soit entre 0,6 et 0,7 euros.
3. http://www.gov.sg/metsin/hazed.html. Ce site donne un accès complet à toutes les formes de
représentation et d’interprétation des images satellite disponibles à la date de consultation
voire antérieures sur les autres sites.
22
Grafigéo 2000-10
Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs
1073 départs de feux dus au brûlage des
déchets à l'air libre4. La pratique de l'écobuage (ou ladang, en bahasa), fortement
incriminée alors, est une pratique ancienne,
nettement moins coûteuse pour nettoyer les
terres avant exploitation. Les premiers feux
des années 1980 avaient alerté les autorités
malaises, mais pas les autorités indonésiennes. L'abandon de cette pratique a été
officiellement adopté de manière régionale
lors du sommet de l'ASEAN sur l'Environnement en avril 1998.
A la suite de ces incendies, les pays ont
réellement pris conscience que la végétation
avait changé de nature. On l'avait fragilisée
par des modes nouveaux d'exploitation. On
s’est montré beaucoup trop gourmand parfois en matière première afin de générer des
profits à court terme. Outre la fragilisation
du milieu naturel, se révélait la difficulté
d'obtenir au sein de populations ethniquement et culturellement diverses une unique
réponse pour alléger la charge exercée sur
les autorités et l'environnement.
Un patrimoine forestier que l'on
croyait résistant
Les types forestiers reposent sur des sols
dont on connaît la fragilité une fois découverts par les incendies ou l'exploitation des
végétaux. Ils ont un intérêt économique
variable, lié à la qualité de ce substrat. La
densité des forêts et l'exubérance de leur
pousse ne laissaient pas percevoir l'importance des dégradations.
Scientifiquement, on est obligé de se
rendre à l'évidence : ces forêts, lorsqu'elles
ne sont pas perturbées, offrent une extraordinaire variété d'espèces et de profils. On
présente généralement la région de la
manière suivante :
Les forêts humides tropicales d’Asie du SudEst, particulièrement à Bornéo et en Papouasie-Nouvelle Guinée, sont largement reconnues comme figurant parmi les plus riches en
espèces et les plus complexes écosystèmes terrestres au monde. Dans la zone phytogéographique dénommée Malesia, s’étendant de la
Thaïlande péninsulaire (l’isthme de Kra) au
Nord-ouest, à la Papouasie-Nouvelle-Guinée
et les îles adjacentes au Sud-Est et occupant
une aire totale de terres d’environ 3 millions
de km2, plus de 40 000 espèces de plantes vasculaires y ont été enregistrées. Sur ces espèces
tropicales, un peu plus de 36 000 sont des
plantes à fleurs distribuées en 266 familles et
3075 genres, alors que 3600 sont des fougères
et associées, représentant 35 familles et 164
genres, 87 sont des espèces de conifères qui
appartiennent à 5 familles et 12 genres[…].
En comparaison, toute l’Europe, soit une
superficie de terres de 9 millions de km2, n’héberge que 11 500 espèces de plantes vasculaires.5
Cette grande diversité de plantes, appartenant aussi bien au monde asiatique
qu’australien recouvre un fort taux d’endémie dû à l’isolement de certains espaces,
particulièrement en milieu insulaire. Mais
l’isolement d’une espèce au sein d’une forêt
peut aussi favoriser l’endémie.
La forêt climax aux basses altitudes est la
forêt dense ombrophile (photo 1). Trois ou
quatre strates se partagent l’espace aérien
entre le sol et 50 à 80 mètres de hauteur
pour les plus hautes espèces. La strate supérieure a une canopée généralement continue. Une autre strate arborée s’élève en dessous de la première jusqu’à 15-20m de
hauteur et domine un sol dégagé ou rempli
de broussailles selon la touffeur des strates
supérieures. Des lianes et autres racines
aériennes font le lien entre les strates supérieures et le sol. Elles ajoutent à l’impression
de densité de ces forêts. Cette densité contribue aussi à un recyclage permanent de l'eau
qui tombe abondamment dans la région et
au maintien d'une hygrométrie forte. La
forêt de basse altitude et collinéenne (jusqu’à 150 m d’altitude) est typiquement une
forêt à diptérocarpacées dans l’ensemble de
la région et couvrait autrefois l’essentiel des
terres. C'est cette formation qui contribue à
4. News Straits Times (journal de Singapour), en date du 10 avril 1998.
5. « Plant diversity of the Malesian Tropical rain forest and its phytogeographical and economic
signifiance» de E. Soepadmo. In Primack et Lovejoy, Ecology, conservation and management
of SouthEast Asian Rainforests, 1995, p. 19.
Grafigéo 2000-10
23
Transformations environnementales dans le monde malais
donner à ces régions l'impression de densité
et d'immuabilité du règne végétal.
La situation du Sarawak est quelque peu différente puisque le Sarawak a de larges étendues de forêts de tourbières et de landes dans
les terres basses et la véritable forêt à diptérocarpacées de basse altitude se retrouve plus
à l’intérieur des terres et sur les collines.6
On appelle ces forêts claires tendant vers
la lande les Kerangas et les forêts de tourbière les Kerapah.
« Kerangas est un terme Iban désignant les
sols sablonneux infertiles sur lesquels ne
poussent ni le riz ni une quelconque autre
récolte. Ce terme s’applique aussi à la forêt
naturelle sur ce type de sols et les autres types
associés. Le Kerapah est sa variante humide,
détrempée et tourbeuse. […] Physiologiquement, structurellement et biochimiquement,
les Kerangas et Kerapah sclérophylles sont
bien adaptées au manque de nutriments et la
Kerangas plus particulièrement aux sécheresses sévères »7
C’est un type forestier fragile, car la pauvreté voire la quasi-absence de sols, ne permet pas une exploitation traditionnelle des
bois. Si le potentiel de régénération est assez
fort pour chaque espèce prise séparément,
l’ensemble se dégrade très rapidement à la
moindre ouverture un tant soit peu importante dans le couvert. C’est dans ce type de
forêt que l’on rencontrera préférentiellement
les fameux Népenthès, plantes carnivores à
entonnoirs. Elles ne constituent pas un genre
majeur dans l'ensemble des forêts bien
qu'elles soient assez développées dans l'ensemble de la région.
Lorsqu’on monte en altitude, la composition de la forêt change pour s’adapter aux
nouvelles conditions : plus fraîche, plus
humide (rappelons qu’il peut pleuvoir sur les
sommets plus de 4,5 m d’eau par an, avec de
très importantes précipitations occultes), elle
se termine au faîte par des nebelwald moussues et fantomatiques. Pour les plus hauts
sommets, comme le Mont Kinabalu, ce sont
des broussailles voire des pierriers qui
accueillent le montagnard.
En Malaisie, la forêt couvrait encore, au
début des années 1977, 22 millions d’hectares. En 1994, elle n’en couvrait plus que
19,01 millions8. Elle pousse sur des sols qui
sont globalement médiocres (essentiellement
des ferralsols9, des tourbières et des podzols)
puisque la classification actuelle des sols en
Malaisie montre qu'au niveau national,
57 % des sols sont considérés comme totalement inaptes à l'exploitation agricole…
mais pas à l'exploitation forestière. La prodigalité des forêts est donc surtout due à un
recyclage rapide des matières organiques et
à un phénomène cumulatif lorsque les forêts
atteignent l'équilibre.
A l’extraordinaire diversité, comptant
parmi les plus riches au monde, répondent
désormais les grands périmètres de plantations en monoculture d’hévéa, de palmier-àhuile, de coco ou de riz. A la densité forte,
procurant une certaine sensation d’étouffement pour qui pénètre pour la première fois
dans ce milieu, répondent les étendues clairsemées d’arbres après les coupes, sélectives
ou non, pratiquées par les entreprises sylvicoles.
Ce sont les forêts exploitées qui ont été les
plus touchées par les incendies : la forêt
secondaire ne retient plus l'humidité de la
même manière, et les entreprises brûlent
pour nettoyer le terrain afin de construire de
nouveaux chemins forestiers. La dense forêt
ombrophile de l'étage collinéen et de plaine
devient très sensible aux attaques une fois
qu'elle est exploitée en profondeur. La production de matières organiques en grande
quantité se révèle être une véritable étoupe
6. M.T. Lim, Lowland and Hill Forests. In Kiew (ed), The state of Nature Conservation in
Malaysia, 1991, p. 19.
7. E.F. Bruenig, Keragas and kerapah forest of Sarawak. In Kiew (ed), op. cit. p. 29.
8. Les chiffres suivants sont tirés de State of the environment, CAP, 1997, p. 31-58 ; de Sham
Sani, Environment and development in Malaysia, ISIS, 1993, p. 29-37.
9. Selon la classification de l’UNESCO, ou en français, les sols ferralitiques. Ils ne sont pas forcément de mauvaise qualité. Leur évolution en savane ou leur induration en cuirasse restent des
phénomènes exceptionnels qui témoignent d’une exploitation des types les plus faibles par un
écobuage répété.
24
Grafigéo 2000-10
Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs
qui propage le feu rapidement dès que ces
matières sont asséchées comme elles peuvent l'être dans les forêts secondaires et qu'il
n'y a pas une épaisseur suffisante de forêt
intacte entre deux parcelles exploitées. Si le
système de l'écobuage a été le premier visé
par les nouvelles lois anti-incendies, il ne
faut pas oublier les incendies provoqués par
les exploitants des sociétés sylvicoles, afin
d'accélérer le nettoyage des parcelles dont
on a ou dont on veut récupérer le bois
(photo 2).
L'autre calamité qui menace, c'est la disparition pure et simple des sols et l'apparition de phénomènes de glissements de terrain, d'inondations incontrôlables. En effet,
les sols sont aussi mal consolidés : leur granulométrie est souvent grossière, l'horizon
humique manque de profondeur bien que
cette affirmation pèche par sa généralité : il
est évident que certains sols alluviaux ou
développés sur une bonne roche-mère
(d'origine volcanique comme dans les
Pahang Volcanic Series en Malaisie Péninsulaire) permettent une agriculture florissante. Les sols les plus propices à l'agriculture sont en faible proportion (moins de
15 % du total de la Malaisie). Le substrat
sur lequel poussent les forêts est ainsi facilement mobilisable, que ce soit dans les marécages ou les tourbières, que ce soit dans les
montagnes collines ou les plaines côtières.
Quand la végétation est retirée, la quantité
de sédiments emportés par les eaux abondantes prend des proportions importantes ;
le surélèvement des rivières menace les
replats ou les plaines d'inondations sévères
qui demeuraient inhabituelles ou exceptionnelles lorsque les forêts étaient encore présentes. Cela obère en outre les chances de
reprise des associations végétales qui viennent d'être exploitées car elles ne retrouvent
plus les conditions nécessaires à leur réinstallation.
A Brunei, c’est la même chose, avec une
qualité de couverture différente : la forêt
occupe encore 469 000 hectares, soit environ 80 % du territoire. 75 % de ces forêts
sont des forêts ombrophiles vierges, dans un
état proche des origines (soit plus de 55 %
du territoire). Les rythmes de coupes, déjà
faibles10 (s’élevant à 200 000 m3 par an) ont
été divisés par deux en 1990 afin de protéger une ressource importante pour un aussi
petit pays.
La place de Singapour est singulière par
rapport à ses deux partenaires. Cette île
minuscule, bien qu’en expansion grâce à la
politique de poldérisation, voit son patrimoine naturel réduit au minimum. Autrefois
densément couverte (83 %) par une magnifique forêt vierge ombrophile, abritant toutes
les espèces d’animaux que l’on pouvait rencontrer dans la région (le dernier tigre y a été
tué en 1930 !), elle fut déboisée activement
pour répondre aux besoins en charbon des
bateaux de la marine à vapeur, pour la
construction navale, pour des cultures diverses et pour la construction du bâti urbain :
dès 1880, 90 % de l’île étaient dénudés.
Aujourd’hui, il ne reste plus que quelques
hectares de la forêt originelle, protégés au
sein du Jardin botanique, et les plus grands
lambeaux de forêts ombrophiles matures se
retrouvent dans les 65 ha de Bukit Timah
Nature Reserve. La notion de forêt et de
dégradation forestière n'y a pas la même
valeur ni la même importance que chez ses
voisins qui bénéficient d'un patrimoine
forestier encore très important.
Sur des sols globalement médiocres, une
dense forêt a réussi à pousser, favorisée par
un climat équatorial humide. La générosité
de cette croissance se manifeste par une
grande diversité des formes végétales qui
alimente une variété animale à son image.
Connaissant des sorts divers, ce patrimoine
naturel régional est exploité par des communautés indigènes toutes aussi nombreuses. Cette exploitation intensive a été à
la source d'un assèchement de l'air et donc
des forêts en elles-mêmes, de leur substrat,
en profondeur. Il a fallu qu'un épisode particulièrement dur de l'oscillation australe ElNiño affecte la région pour mettre en valeur
toutes les erreurs de gestion du patrimoine
10. Longtemps Brunei a importé du bois de ses voisins du Sabah et du Sarawak et a vécu de sa
rente pétrolière avec de faibles besoins.
Grafigéo 2000-10
25
Transformations environnementales dans le monde malais
forestier. Personne n'aura été épargné par
leurs conséquences. La dégradation de la
qualité du patrimoine forestier a d'autres
implications qui se révèlent menaçantes
pour le développement futur de ces pays : le
cas suivant montre le lien entre la fragilisation du couvert végétal et la menace de
manque d'eau disponible en qualité et en
quantité suffisantes pour répondre aux
besoins croissants de la nouvelle société
malaise.
VERS UNE CRAINTE DE LA SOIF
DANS UN ÉQUATEUR HUMIDE ?
La pluviométrie est très importante dans
la région. Les totaux annuels sont très largement supérieurs au mètre, rarement inférieurs. Sur l'essentiel des territoires des trois
pays, c'est en fait une pluviométrie moyenne
qui atteint de 1,5 à 2 mètres annuels. Les
reliefs peuvent recevoir jusqu'à cinq mètres
de précipitations. Ces totaux ne prennent
pas en compte toutes les précipitations
occultes issues de la condensation de l'humidité de l'air la nuit par exemple et qui forment une part non négligeable des totaux
exploités par la végétation. Les pluies quasi
quotidiennes font partie du décor équatorial
de la région et il peut réellement sembler
paradoxal de parler de la soif dans un pays
aussi humide. Pourtant une crise de l'eau est
à craindre.
Kuala-Lumpur, Printemps 1998
Pour ce problème de l'eau, que connaissent dans une moindre mesure les autres
villes de Malaisie, je m’appuierai sur l’intéressante étude de cas faite par le Dr
Hamirdin B. Ithnin de la University Malaya,
dans le cadre de la 5th SouthEast Asian
Geographers Conference. Elle traite des problèmes connus par toute la population occupant la Vallée de la Kelang/Klang dans l’État du Selangor, où se trouve l’ensemble
urbain de la capitale fédérale.
Selon le conférencier, le système d’alimentation en eau de Malaisie s’approvisionne à environ 97 % dans les eaux de surface.
Afin de réguler les cours d’eau et conserver
26
les surplus au moment des pics de mousson,
54 barrages ont été construits, pouvant stocker 2 % des écoulements totaux (12 km3 sur
les 555 totaux annuels, chiffres 1991). Le
rapport paraît faible, mais il est de très grande importance car la plupart des réseaux
d’eau sont branchés dessus. Comme dans
tous les pays qui se développent, les besoins
en eau suivent une tendance croissante :
actuellement, les estimations donnent une
consommation urbaine de 270 litres quotidiens par personne. La consommation quotidienne, tous usages confondus représenterait environ 9 millions de litres qui sont tout
juste couverts par les 10,9 millions de litres
totaux disponibles. La croissance de la
consommation vient de trois facteurs : un
premier représente l’essor industriel, avec de
nombreuses activités fortement consommatrices : textile, agro-alimentaire et papier.
Un deuxième facteur vient de l’accroissement du nombre des foyers reliés à un réseau
urbain d’eau potable. Le troisième, c’est
l’élévation du niveau de vie et le changement
des habitudes de consommation (amélioration de l’hygiène corporelle et domestique).
Cette situation est générale. L’approvisionnement de la vallée de la Kelang est
aussi celui de la capitale et de tout l’État du
Selangor, la partie la plus active et peuplée
du pays. En temps normal, le secteur est
déjà déficitaire de 105 millions de litres
annuels (environ 1/25e de la consommation
annuelle). Or de février à mai 1998, pendant le pic d’effet de l’ENSO, un fort déficit
hydrique est apparu, faisant dangereusement baisser le niveau des barrages qui alimentaient toute la région : la moitié des
abats mensuels moyens était à peine atteinte dans la plupart des cas alors que l’évaporation était exacerbée par des températures
supérieures de deux ou trois degrés par rapport à la moyenne (tournant tous les jours
en mars autour de 35 à 36,5 degrés). Tous
les barrages étaient pendant les cinq premiers mois de l’année 1998 juste au-dessus
de leur niveau critique. Et ce sont les abats
qui tombent sur les aires de captage qui
importent, non pas ceux qui tombent sur la
ville. A Kuala-Lumpur, il avait plu suffisamment, ce qui avait trompé le public sur
Grafigéo 2000-10
Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs
la gravité du phénomène malgré les avertissements officiels.
Les premiers signes de crise de l’eau sont
apparus lorsque des usines de traitement des
eaux ont dû fermer dès octobre 1997 à
cause de la très mauvaise qualité brute des
eaux à envoyer dans le réseau avant traitement. La rivière concernée n’avait plus
assez de débit pour diluer les polluants normaux. En février 1998, les robinets d’environ un million de personnes ne faisaient plus
couler d’eau à cause des déficits. La compensation par des réservoirs portatifs ne suffisait pas et en avril, alors que les barrages
voyaient leurs réserves diminuer et que les
usines de traitement des eaux tournaient à la
moitié de leur capacité, un rationnement fut
décidé. L’eau coulerait pendant 12 heures
un jour sur deux. Kuala-Lumpur et ses
environs ont été touchés de plein fouet, les
mesures ont affecté 1,5 millions de personnes. Les abats d’eau se sont améliorés à
partir de juillet et en septembre 1998, le
rationnement a été supprimé.
Les raisons de la crise : des
forêts moins régulatrices et une
planification urbaine médiocre
La crise de l’eau a mis en évidence plusieurs points qui correspondent à des réalités
communes à tous les pays du secteur. Ils
pâtissent d’abord d’une trop grande dépendance vis-à-vis des eaux de surface. Ensuite,
le développement des infrastructures de base
n’arrive pas à rattraper la demande en croissance rapide, gêné en cela par un désir de
constructions d’apparat (ce que le professeur
Ithnin appelle les megaprojects) toutes
situées dans la vallée de la Kelang et dans la
périphérie de Kuala-Lumpur. En effet, le
nouvel aéroport international, les infrastructures des jeux du Commonwealth, la nouvelle capitale administrative de Putrajaya, le
Kuala-Lumpur City Center Twin Towers, …
ont mobilisé une quantité impressionnante
de capitaux et accru la pression sur les ressources en eau du secteur. Enfin, les aires de
captage ont été perturbées par différentes
activités essentiellement sylviculturales et
urbaines, empêchant les forêts de jouer leur
rôle régulateur. Ce phénomène n’est pas
propre à Kuala-Lumpur ni à la Kelang
Valley. Les développements détériorants se
produisent un peu partout dans le pays, à
Langkawi, à la frontière avec la Thaïlande,
dans les Cameron Highlands (Centre-Nord),
dans le Perak (la vallée de la Kinta) et Negeri
Sembilan (bassin du Linggi) où se mêlent
extensions urbaines, défrichements et coupes
réglées sévères, affectant par là toutes les
aires de captage.
Ce problème devient d’autant plus
sérieux que le nombre d’endroits dans lesquels il est possible de construire un barrage
se réduit de plus en plus11 et que les possibilités d’utilisation des aquifères sont faibles.
Le paradoxe est assez important pour être
noté : il faut une planification très stricte et
une réflexion approfondie pour éviter que les
zones les plus humides de la Terre ne pâtissent pas de la soif. Des mesures ont été prises
pour faire face aux futurs développements
industriels et urbains, des transferts interbassins entrepris et des pompages dans les
nappes phréatiques entamés, bien que ce
dernier point soit le moins considéré, puisque
l’exploitation de ces ressources ne compte
que pour 2 % de la consommation totale. On
prévoit une croissance annuelle de 3 à 4 %
des besoins en eau pour ces prochaines
décennies, afin de parvenir à couvrir à 97 %
les villes et à 79 % les zones rurales soit 88 %
de la population totale vers 202012. Cette
crise de l'eau menace en fait toutes les villes
de Malaisie puisque les aquifères, rares et
peu exploités, ne peuvent remplacer l'utilisation des eaux de surface. Elle atteint aussi
Singapour mais avec une connotation toute
différente.
11. L’essentiel des possibilités se situent au Sarawak, et les barrages dans ce secteur sont prévus
pour la production d’électricité.
12. In State of the Environment in Malaysia, An appraisal of Malaysia’s water resources : problems and prospects de Hj. Keizrul Abdullah et Juhaimi Jusoh, p. 133-141 et 135.
Grafigéo 2000-10
27
Transformations environnementales dans le monde malais
La politisation de la ressourceeau : les craintes de Singapour
On ne peut pas accuser un manque de
planification stricte à Singapour comme en
Malaisie. Au contraire, la ville s'est toujours
conformée aux plans les plus rigoureux.
L'improvisation est exclue sur un si petit territoire. Il faut plutôt mettre en cause l'exiguïté du territoire et la trop grande population
pour une très faible réserve en eau disponible. La chèreté des procédés de dessalinisation de l'eau de mer donne une priorité à
l'importation par aqueduc des quantités
nécessaires aux activités et à la vie de la
population de Singapour.
L'eau douce, ressource vitale, fait ainsi
l’objet d’âpres discussions diplomatiques
entre l'île et la Malaisie : dépendante pour
son eau potable de l’aqueduc malais, Singapour a constitué un ensemble de réservoirs
stratégiques pour répondre à ses besoins en
cas d’urgence ou de rupture des relations
avec la Malaisie. Les rivières sont ainsi sous
une constante surveillance afin de préserver
les qualités minimales. Les réservoirs centraux voient leur aire de captage recouverte
d'une ceinture boisée dans laquelle toutes
les activités polluantes sont éliminées. Ces
lacs artificiels ont toutefois une couleur
verte intense qui fait penser à une eutrophisation avancée (particulièrement le lac qui
borde le Zoo). On peut aussi émettre l'hypothèse que ces lacs doivent être monomictiques : la stratification verticale de l'eau
n'est pas perturbée par une inversion des
températures qui provoquerait une circulation et un mélange de ces strates aux caractéristiques physico-chimiques différentes.
Le développement d'une strate anaérobie
en profondeur doit diminuer les qualités
effectives de l'eau contenue. Les algues
mortes sont décomposées au fond par des
bactéries anaérobies qui tirent leur oxygène
par réduction et dégagent des composés sulfurés difficiles à traiter à moindre coût. Il
n'y a pas d'information aisément disponible
pour savoir quelle est l'action menée par les
autorités pour résoudre le problème qui
pourrait naître de cet effet naturel.
L’enjeu de l'eau est tel que le renouvelle28
ment des contrats d’approvisionnement avec
la Malaisie donne lieu à des démonstrations
militaires des deux côtés, afin de négocier qui
des emprunts ou des avantages (Malaisie),
qui un prix et une quantité égale voire en
augmentation (Singapour). La Malaisie
réclamait en effet à l’automne 1998 une
meilleure coordination, pour ne pas dire une
subordination des armées de Singapour,
allant même jusqu'à refuser les prêts que
proposait Singapour pour obtenir ces avantages. Elle réclamait en même temps la régularisation du problème territorial que pose la
ligne de train : unique desserte ferroviaire du
petit État, le terrain sur lequel est construite
la ligne est une enclave malaise dans le territoire de Singapour. Comme ce problème territorial n'est pas réglé depuis l'indépendance,
la ville-État continue ainsi à pratiquer une
politique discriminatoire à l'égard des ressortissants de la Fédération de Malaysia en
empêchant par exemple qu'un contrôle des
passeports soit fait en gare de Singapour,
alors que c'est légalement en territoire
malais. La coupure de l'approvisionnement
en eau en raison de l'augmentation des
besoins du côté malais est une menace que
Singapour tente de minimiser avec ses lacs
de retenue et l'adoption systématique, et à
grands renforts médiatiques, d'unités de dessalinisation ou de procédés économiques qui
réduiraient la consommation. De son côté, la
Malaisie a besoin de la manne financière de
son petit voisin pour financer une partie de
son développement, et pour absorber une
partie importante de la main-d'œuvre du
Johore. Cela la retient de mettre la menace à
exécution mais ne l'empêche pas de rappeler
régulièrement à Singapour son état de
dépendance vis-à-vis d'elle.
Les enjeux financiers, stratégiques et
symboliques sont ainsi très grands : le problème de l’approvisionnement en eau de
Singapour cristallise tous les problèmes de la
séparation décidée d’un commun accord en
1965 par les deux Etats, mais jamais réellement acceptée par les Malais. La gestion du
problème de l'eau est révélatrice du manque
de planification malais en la matière, lequel
s'oppose à la rigueur proverbiale de
Singapour. Pourtant, dans une région qui
Grafigéo 2000-10
Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs
compte parmi les plus arrosées du monde, la
politisation de la ressource en eau, et la
crainte d'un manque sont plus que paradoxales car on s’attendrait à retrouver ces
problèmes plutôt dans les pays du MoyenOrient et des marges désertiques qui souffrent d’un déficit hydrique constant. Elles
témoignent de la nécessité d'une nouvelle
approche de eau comme ressource et de
l'ensemble des interactions au sein du système environnemental en milieu intertropical
humide. Le problème de l’exploitation
forestière quant à lui, touche plus profondément la perception intérieure du pays et
implique une autre dimension du traitement
des affaires environnementales.
LA « BATAILLE POUR LES FORÊTS
DU SARAWAK » ET L'ÉVOLUTION
DU DROIT COUTUMIER
La perception coutumière du territoire
s'adapte plus ou moins vite aux nouvelles
données sociales impliquées par la pénétration des idées occidentales dans les communautés reculées et encore peu atteintes
jusque dans les années quatre-vingt. L'irruption soudaine de l'exploitation forestière
a été un facteur d'intégration rapide et forcée de ces populations qui vivaient encore de
manière autonome, à peu près en dehors de
tous les circuits du reste du pays.
Le développement avant tout ?
L'exploitation forestière en terre
coutumière
A la fin des années soixante, de grandes
campagnes sont lancées un peu partout en
Malaisie pour accroître les volumes de bois
et retirer des bénéfices supplémentaires afin
de financer le développement du pays. C'est
la grande période de défrichements dont
nous voyons aujourd'hui les conséquences.
Le Sarawak n'était alors pas encore aussi
bien desservi par les routes et une bonne
partie de la population Dayak vivait en
autarcie selon des traditions ancestrales. La
culture économique de mode occidental
n'avait pas encore pénétré en profondeur
Grafigéo 2000-10
avec toutes ses conséquences dans le tissu
social, bien que les Dayak ne fussent pas
totalement en-dehors des circuits commerciaux : ils avaient pour certains d'entre eux
déjà commencé une relative sédentarisation
et adopté des cultures de rente comme le
poivre ou l'hévéa.
Toutefois, dans les années quatre-vingt,
des mouvements de protestation apparaissent car le décalage entre les techniques coutumières et les techniques modernes d'exploitation forestières sont énormes. Les
populations vivant jusqu'alors en marge du
système national, apprennent à recourir à
tous les ressorts légaux pour faire valoir
leurs droits. Les premières barricades contre
les sociétés forestières apparaissent en 1987
dans les districts de Batam et de Limbang,
les plus « sauvages », à l'Est du Sarawak, le
long de Brunei. Les protestataires cherchent
à interdire l'accès aux terres coutumières
que ces entreprises exploitent en enfreignant
les clauses contractuelles. Le droit de passage sur leurs terres accordé sous la pression
des compagnies et de quelques membres des
autorités locales, se transforme en un droit
de détruire et d'exploiter les ressources des
terres traversées. La dégradation du niveau
de vie de ces populations les pousse à ériger
des barricades un peu partout au Sarawak.
Emprisonnés par exemple pour entrave à la
liberté d'entreprendre, pour agitation raciale, pour infraction aux codes civils, les membres des différentes communautés légalement définies comme indigènes se
constituent en association. Un soutien
constant est offert par l'organisation nongouvernementale (ONG) Sahabat Alam
Malaysia (branche malaise de l'organisation
internationale Friends of the Earth), ce qui
vaudra en 1990 une récompense internationale à Harrison Ngau, dirigeant de la filiale
Sarawak qui a été le plus actif support de
cette « bataille des forêts ombrophiles du
Sarawak » et qui lui aussi a fait de la prison
comme agitateur.
Les revendications des communautés
indigènes tournaient autour de trois points
principaux : arrêt de l'exploitation forestière
dans leurs forêts ; reconnaissance de leurs
droits coutumiers ; demande de compensa29
Transformations environnementales dans le monde malais
tions pour tous les dommages occasionnés à
la santé, aux infrastructures de production
(vergers, champs,…), à l'approvisionnement
en eau et aux centres funéraires profanés.
Une délégation est reçue en juin 1987, alors
que la Malaisie connaît une période de développement intense. Les ministres qui reçoivent la délégation prêchent la raison et
demandent qu’on fasse passer les intérêts
privés derrière les intérêts nationaux. Les
conflits vont régulièrement s’étendre, en raison des débordements des populations
Penan, Kayan et Kenyah qui subissent de
plein fouet les conséquences d'une exploitation forestière déraisonnable. Les arrestations sont fréquentes, et jusqu'à 105 personnes sont envoyées en prison, hommes,
femmes et enfants, lors de la destruction des
barrages. La priorité donnée à l’économie
semble faire de ces populations des citoyens
de seconde zone, ne jouissant pas d'autant de
droits que le reste de la population malaise.
Ce sont des Bumiputera pourtant !
Bumiputera signifie les « Princes du Sol »
ou les fils du sol. Il désigne l’ensemble des
communautés aborigènes, malaises et indigènes de Malaisie ainsi que les communautés thaïs du Nord de la Malaisie péninsulaire. Il renvoie aux origines rurales des Malais,
mais désigne en fait les « vrais » propriétaires du sol. Des problèmes allaient surgir
avec l’entrée massive d’immigrants.
L’arrivée des Anglais a entraîné un afflux
très important de populations allogènes chinoises et indiennes. Attirés par les perspectives d’embauches offertes par les mines et
les plantations que les Britanniques
ouvraient, les immigrants sont arrivés par
millions en Malaisie pendant toute la
deuxième moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle. Les Chinois ont
représenté près de la moitié de la population
malaise en 1944 : six millions d’entre eux se
sont installés sur le territoire malais depuis
1850, et pour beaucoup, ce ne fut qu’un
transit car ils sont repartis pendant la
Grande Crise des années trente. Ils étaient
majoritaires dans les Strait’s Settlements,
c’est-à-dire dans les Etats de la côte Ouest,
Malacca, Johore, Selangor, et bien sûr à
Singapour.
Or les indigènes comme les aborigènes ne
voulaient pas se faire appeler Malais.
L’artifice de Bumiputera offrit une issue
politiquement correcte du point de vue
malais à ce problème de nationalité et de
gestion des pouvoirs au sein d’un pays. Cela
devait éviter que le ressentiment des indigènes et des aborigènes ne se cumule avec
celui des Chinois et à un moindre degré,
celui des Indiens : les Malais musulmans
auraient été sinon beacoup trop minoritaires
pour pouvoir prétendre à une quelconque
autorité. De plus, la politique de malaisianisation des différents secteurs de l’économie
et de la société civile offre une priorité d’accès aux Bumiputera pour les postes administratifs comme pour les postes dans les
entreprises. La dénomination légitime le
droit à la terre, non sans de graves conséquences sur une nécessaire politique environnementale, surtout lors des conflits de
propriété et d’accès sur des terres non balisées comme c’est le cas dans les forêts.
Il a donc fallu définir légalement dans la
Constitution les différentes catégories de
population afin de restaurer la majorité
malaise et conforter les mesures d’exclusion
prises à l’encontre des Chinois et des
Indiens. Nous nous appuierons sur la présentation faite par Lim Hin Fui (1997, p. 6
et suivantes).
Les définitions constitutionnelles des Malais
et des indigènes du Sabah et du Sarawak ont
des [implications très importantes en ce qui
concerne l’accès aux privilèges et bénéfices
socio-économiques] L’Article 153 de la Constitution Fédérale a accordé quotas réservés
pour les services, les bourses, les licences, les
permis, etc. pour les Malais et les Indigènes
du Sabah et du Sarawak. D’un autre côté, la
Constitution Fédérale ne spécifie nullement
que ces privilèges sont aussi accordés aux
aborigènes. 13
13. C’est l’auteur qui souligne.
30
Grafigéo 2000-10
Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs
Pour pouvoir jouir des privilèges attachés
à ce statut, il faut pouvoir se revendiquer
d'une des communautés définies par la
Constitution. Il est donc indispensable de
cerner le concept de Malaisianité puisqu’il a
une valeur sociale et politique.
Les Malais
La définition constitutionnelle des populations qui composent la Malaisie fait passer le critère culturel avant l’appartenance
ethnique.
Un « Malais » est constitutionnellement défini comme « une personne qui professe la religion de l’Islam, parle habituellement le
Malais, se conforme aux traditions malaises
et était née avant le Merdeka Day (Indépendance) dans la Fédération ou à Singapour ou
né de parents dont l’un était né dans la
Fédération ou à Singapour, ou est à ce jour
domicilié en Fédération ou à Singapour ».
La Constitution permet ainsi de reconnaître des droits à tous ceux qui vivaient
dans l’ensemble malais conquis par la
Grande-Bretagne, et met un terme aux
contestations de passeports qui pouvaient
surgir de la séparation de Singapour puis de
Brunei. Comme on peut le noter, le terme
Malais est défini en fonction de critères culturels et non ethniques. C’est ce qui permet à
de nombreux descendants d’indigènes de se
considérer comme des Malais, des Melayu,
car ils font abstraction de leurs origines nonmusulmanes : du moment qu'ils correspondent aux critères énoncés dans la Constitution, ils peuvent se déclarer Malais et
citoyens de la Fédération de Malaysia. Savoir
ce que recouvre le terme est parfois difficile,
car on joue souvent sur ce flottement de la
notion, entre la citoyenneté et l'appartenance à une communauté culturelle.
Les Indigènes, ou Native People
Ici, le terme d'indigène ne comporte pas
les connotations coloniales du mot français.
Il ne fait que traduire le terme anglo-saxon
de native qui a conservé son sens étymolo-
gique de « produit de la terre ». Les Français
semblent actuellement manquer d'équivalent politiquement correct, surtout pour traduire ici un terme légal. Ce terme me paraît
moins péjorativement connoté que celui
d'autochtone (pourtant étymologiquement
synonyme), et meilleur que les périphrases
lourdes comme « populations locales considérées culturellement comme non-malaises ». A l'occasion, puisque la définition
constitutionnelle restreint son application
aux populations du Nord-Bornéo, nous
emploierons le terme de Dayak, consacré
par l'histoire pour les désigner dans leur
localité, sans faire la sous-distinction entre
les Sea-Dayak (les Iban) et les Land Dayak
(les autres tribus, aussi rassemblées sous le
terme de Bidayuh), ou encore les termes de
« communautés traditionnelles ».
La Constitution Fédérale Malaise poursuit la définition de l’« indigène » comme :
a) en ce qui concerne le Sarawak, une personne qui est citoyen et appartient à une
des races [sic, suit l’énumération de toutes
les tribus principales du Sarawak] spécifiées comme indigènes de l’Etat ou qui est
de sang mixte dérivant exclusivement de
ces races ; et
b) en ce qui concerne le Sabah, une personne
qui est citoyenne, qui est l’enfant ou le
petit-enfant ou la personne d’une race
indigène au Sabah, et qui est née (soit
avant ou après le Malaysia Day), soit au
Sabah, soit chez un parent domicilié au
Sabah au moment de la naissance.
Les Orang Asli
Par Orang Asli, on entend les populations
négrito qui subsistent en Malaisie péninsulaire uniquement. « Le terme d’Orang Asli est
la traduction malaise d’aborigène, Orang
signifiant homme et Asli vient de l’arabe
asali qui signifie originel »14. Il est en vigueur
depuis 1966 et il fait référence à un groupe
social de populations hétérogènes vivant de
longue date en Malaisie Péninsulaire. On le
préfère largement à celui d’aborigène dont
on rejette la connotation de primitif séparé
14. Ibid., p. 1.
Grafigéo 2000-10
31
Transformations environnementales dans le monde malais
du reste du monde (et un peu attardé ? si on
pousse le raisonnement jusqu’au bout) ; certains d’entre eux se sont mélangés aux populations malaises et en ont au moins adopté le
mode de vie. On le préfère aussi parce qu’il
est utilisé intensivement par toute l’administration, et les scientifiques : il les différencie
par là des autres populations aborigènes
australiennes ou taïwanaises ; enfin, c’est
aussi un terme que les populations concernées acceptent et revendiquent au sein de
leur association. Ils sont légalement définis
comme ayant une ascendance patrilinéaire
aborigène, ou issus de couple mixte, ou
adoptés quelle que soit sa race (sic, ethnie en
français) d’origine par une famille aborigène, du moment qu'ils pratiquent la langue,
les coutumes, tout ce qui constitue le mode
de vie aborigène. Les descendants en lignée
mâle peuvent aussi prétendre à l’appellation.
Les Orang Asli ont subi le même genre de
problèmes que les Dayak de Malaisie
Orientale, mais leur faiblesse numérique,
dans l'absolu et par rapport aux Malais, ne
pouvait pas obtenir une même audience
pour leurs problèmes. La situation des aborigènes est de ce fait inférieure au regard du
droit à la situation des indigènes.
Au moment de l’indépendance, afin de
contrebalancer par un artifice statistique les
populations allogènes, plusieurs facteurs ont
donc poussé les Malais melayu à créer le
concept de Bumiputera : la peur de se voir
dépossédés de leurs terres, la pression réelle
causée par le mouvement insurrectionnel
chinois communiste, puis la séparation de
Singapour en 1965,… Hautement politique,
cette question démographique est très
importante pour un pays qui cherche son
unité politique et nationale (voir les tableaux
statistiques ci-dessous). L’accroissement
naturel supérieur à 2 % par an est surtout
dû à la population malaise (avec 2,7 % par
an contre 1,3 % pour les Chinois et 1,7 pour
les Indiens en 1989). La pyramide des âges
est par conséquent celle d’un pays en plein
essor démographique avec une magnifique
forme en parasol, très équilibrée des deux
côtés, avec une faible domination masculine.
Une transformation de
la p e r c e p t i o n c o u t u m i è r e
du m i l i e u f o r e s t i e r
A travers les démêlés juridiques, les
populations indigènes ont appris plusieurs
éléments fondamentaux pour leur intégration dans le corps social : l'évolution lente de
leur système social et culturel, du fait de
l'éloignement physique, s'est trouvée tout
d'un coup accélérée par l'ouverture des
pistes forestières. Quand il fallait plusieurs
heures de marche voire plusieurs jours, les
contacts n'étaient pas aussi fréquents avec le
reste de la population.
Les compagnies forestières ont fourni un
emploi à de nombreux membres de ces communautés dispersées le long des rivières ou
dans les forêts. Ce faisant, elles ont introduit
d'autres éléments culturels et accéléré le processus de monétarisation des échanges au
Tableau 3 - Répartition ethnique de la population
Région
Malais et autres
Bumiputera
Chinois
Indiens
Autres
TOTAL
Nombre
%
Nombre
%
Nombre
%
Nombre
%
Nombre
10 961 600
61,7
5 265 500
29,7
1 435 800
8,1
93 000
0,5
17 755 900
Péninsule
malaise
9 802 400
57,4
4 631 900
25,0
1 524 100
8,9
1 088 300*
6,4
17 047 300
Sarawak
1 186 600
71,1
482 500
28,9
n.c.
-
n.c.
n.c.
1 669 000
Sabah
1 267 800
86,2
202 400
13,8
n.c.
-
n.c.
n.c.
1 470 200
Malaisie
Source : d’après le Malaysia 1998 Yearbook, Kuala Lumpur 1999.
* Chiffre supérieur car il inclut aussi les résidents sur le long terme.
32
Grafigéo 2000-10
Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs
sein de ces communautés. La conséquence
la plus inattendue pour les partisans du
développement fut que ces communautés
ont appris rapidement la maîtrise du discours et des campagnes médiatiques, alors
qu'on les croyait incultes et incapables de se
défendre contre les finesses juridiques des
avocats des compagnies ou des gouvernements. Ils savent aller en justice quant ne
sont pas respectés les accords contractuels
ou la loi.
En effet, leurs campagnes ont montré la
collusion entre les intérêts des compagnies
forestières et des autorités locales du Sarawak (les principaux bénéficiaires des concessions étaient des compagnies détenues
pour tout ou partie par les membres de la
famille du sultan ou du gouvernement).
Elles ont encore permis de dénoncer la faiblesse du gouvernement central face à des
intérêts financiers importants le forçant à
réagir en réaffirmant leurs droits coutumiers. Ells sont parvenues à obtenir en
juillet 1988 de la Communauté Européenne
l'interdiction de l'importation de bois en
provenance du Sarawak du fait du non-respect des droits des habitants, puis en 1989
un appel à la cessation des arrestations arbitraires (car rares sont les mises en détention
de Penan, Dayak ou Kenyah qui résistaient
en Cour de Justice). Enfin, ces populations
ont réussi à obtenir la diminution progressive des rythmes de coupe et d'exportation
(seule façon pour le gouvernement fédéral
d’intervenir sur la production de bois au
Sarawak car c'est lui qui délivre les permis
d'exportation), renonçant à la cessation
totale initialement projetée. Cette diminution a été effective comme nous le verrons
dans le chapitre sur la Malaisie.
Leur intégration dans les flux d'échange
de la société malaise contemporaine réduit
l'espace traditionnel relativement cloisonné,
aux fonctions séparées, et surtout diminue
l'importance de la forêt dans leur système
social, puisque cette dernière ne subvient
plus à leurs besoins que pour une part qui
diminue d’année en année. La forêt devient
un conservatoire de traditions symboliquement peut-être moins importantes qu'autrefois. Nous verrons dans le chapitre 6 comGrafigéo 2000-10
ment l'étude de l'Université de Hull a mis
plusieurs de ces changements en relief à travers quelques points visibles comme les
bases de leur alimentation.
Le rôle des ONG locales fut important
dans la maîtrise de ces nouveaux concepts
que sont l'environnement, l'instabilité climatique, mais aussi le légalisme et le juridisme.
Nous voyons aussi à travers ces événements
comment des perceptions traditionnelles
d'un territoire se sont complètement transformées, mais aussi comment ces populations sont en train d'en prendre conscience
progressivement et de s'y adapter. Le fossé
qui se creusait depuis des décennies est
désormais en cours de comblement.
Toutefois, cette évolution a commencé il y a
plusieurs siècles. Ces communautés ne sont
guère constituées de naïfs découvrant la civilisation occidentale à travers ses mauvais
aspects (déconsidération de l'individu et des
partisans de la tradition face aux besoins de
la modernité,…) ainsi que tendraient à nous
les montrer les ONG, non sans un relent de
paternalisme misérabiliste.
Une évolution du rapport a u milieu
qui a des origines profondes :
le contact et les relations
inter-communautaires
Sans entrer dans le détail des étapes historiques, ni opposer les différentes théories
de peuplement de la région, nous soulignerons simplement quelques aspects de l’évolution des populations à partir de l’introduction de l’Islam et du développement du
commerce. Les différentes strates culturelles
façonnent chacune à leur manière un rapport au milieu en constante évolution.
Ce n’est en effet qu’à partir du XVe siècle
que la péninsule surtout, et Bornéo un peu,
deviennent des centres politiques actifs. Le
peuplement, peu organisé et dépendant des
royaumes voisins, se recentre autour de
quelques sultanats commerçants dont le
fleuron est Malacca. L’autre ville active est
Brunei, relais dans le commerce international des épices et des produits extrême-orientaux, ainsi que des produits forestiers que les
tribus indigènes ou aborigènes vont cher33
Transformations environnementales dans le monde malais
cher dans les forêts depuis des centaines
d’années. L’emprise spatiale de ces villes sur
les territoires avoisinants consiste en une
série de champs et jardins potagers vivriers.
La forêt ou la pêche fournissent les protéines
complémentaires.
L’installation aux XVIe et XVIIe siècles de
commerçants indonésiens chassés par les
flottes coloniales hollandaises, portugaises et
peu après anglaises, favorise l’implantation
de sultanats en position ripuaire et aux
embouchures des principaux fleuves malais.
Ils font office de lien entre le monde extérieur
et les populations à l’intérieur des terres.
Longtemps, ils se sont cantonnés à ce rôle
d’intermédiaire, islamisant les populations
les plus proches des côtes, mais sans véritable
influence à l’intérieur des terres. Des populations très anciennes, comme les quelques tribus négrito de la Péninsule restées isolées des
poussées des civilisations indianisées ou islamisées, ou encore les populations Dayak à
Bornéo, demeurent pour la plupart à l’écart
de ces grands flux religieux et géopolitiques.
Toutefois, l’influence de ce commerce au
long cours est très perceptible au niveau des
objets de prestige dont disposent par
exemple les populations de l’intérieur des
terres de Bornéo : le prestige d’une famille se
mesurait à la quantité de jarres chinoises
possédées. Elles étaient exposées dans la
pièce consacrée aux réceptions officielles et
sorties à l’occasion de grandes cérémonies.
Jusqu’à l’arrivée des Anglais, à la fin du
XVIIIe siècle et surtout à partir de leur
expansion commerciale puis coloniale au
XIXe siècle, les populations cohabitent sans
réellement se fréquenter en dehors des
échanges strictement commerciaux : toutes
ces populations indigènes ou aborigènes collectaient en forêt des gommes, bois et autres
résines précieuses ou encore des nids d’hirondelles par exemple. Ces populations
étaient même les seules à pouvoir pénétrer
dans cette jungle immense qui recouvrait le
pays. Les Malais se sont progressivement
définis par rapport à un mode de vie (comprenant l’Islam, un certain type d’habitat, et
des activités commerçantes ou rizicoles
sédentaires) et non plus sur des critères
purement ethniques.
34
L’arrivée des Anglais provoqua une augmentation de la demande en produits forestiers et supprima les intermédiaires entre les
aborigènes et les commerçants des ports.
Cela entraîna une intégration croissante des
aborigènes péninsulaires dans les circuits
commerciaux, et par conséquent l’apprentissage de cultures commerciales comme le
caoutchouc. La deuxième conséquence vint
de l’extension des réseaux routiers parallèlement au développement de l’activité minière et de plantation. L’accessibilité aux forêts
s’améliorant, les populations tribales ont vu
la concurrence se développer dans un secteur qu’ils maîtrisaient avec une quasiexclusivité pendant plus de mille ans.
Un deuxième choc pour les populations
aborigènes se produisit au moment de la
déclaration de l’état d’urgence en Malaisie
afin de lutter dans les années cinquante et
soixante contre la guérilla chinoise communiste : des programmes de rassemblement et
de relogement des populations pour « profiter des aménités de la vie moderne et leur
offrir la sécurité » comme le disait la propagande de l’époque, avec en contrepartie
l’obligation de faire des cultures commerciales, transformèrent durablement les
contacts entre les différentes communautés.
Elles continuaient à s’approvisionner en
produits issus de la forêt, mais étaient de
plus en plus dépendantes des sources de
liquidités afin de se fournir en produits
manufacturés, en essence ou en produits alimentaires qu’ils ne produisaient pas. Depuis
lors, seules les communautés les plus éloignées des centres continuent à vivre en semiautarcie. La plupart d’entre elles sont largement engagés à temps partiel ou plein, dans
des activités rémunératrices.
Le même phénomène se produit en
Malaisie orientale et à Brunei où la population indigène reste prédominante : la population est de plus en plus impliquée par le
biais de politiques incitatives dans des activités de diversification agricole et dans l’engagement contractuel au sein d’entreprises
d’exploitations agro-forestières ou manufacturières. Les politiques de relogement en
«dur» sont actives et les populations s’y prêtent assez volontiers de manière à vivre le
Grafigéo 2000-10
Trois conflits révélateurs d’enjeux régionaux majeurs
long des routes pour bénéficier des services
sociaux et de l’électricité. De plus, l’expansion des exploitations forestières et des plantations réduit leurs possibilités d’accès aux
ressources sauvages. Depuis le XIXe siècle,
avec les Rajah Brook au Sarawak et la compagnie américaine d’exploitation Dent Brothers (devenue compagnie à charte en
1880) au Sabah, les populations indigènes
sont attirées et pacifiées par les villes. Les
intermédiaires sont simplement devenus
chinois au lieu d’être malais comme autrefois.
La sédentarisation de ces populations
autrefois mobiles au sein d’un environnement forestier d’apparence immuable transforme leur mode de vie et leur rapport à leur
environnement. Ils sont moins dépendants
des produits forestiers, et par conséquent
moins attachés à la forêt symboliquement
considérée comme une mère. La transformation de la relation entre les hommes et la
terre par des influences extérieures n'est pas
récente. Ce qui change de nos jours, c'est la
rapidité de la diffusion des informations et de
leur assimilation par les populations qui sont
toujours en contact avec notre civilisation
contemporaine de la communication et des
échanges. Cette évolution se double d’une
transformation des moyens techniques qui
permettent de mieux planifier et participent
ainsi à l’élaboration de politiques de l’environnement devenues fort compliquées.
Conclusion : une ouverture nou velle aux problèmes
Les incendies de 1997-1998 qui ont
servi de départ au chapitre, trouvent ainsi
leur explication dans ce contexte à la fois
naturel et humain, que l'histoire a rendu
plus complexe encore pendant tout le siècle
passé avec la colonisation. La superposition
des communautés différentes, aux conceptions de l’environnement éloignées les unes
des autres accentue la difficulté d'une unification plus poussée de la région. Tardivement entrées en contact, elles doivent
suivre des chemins différents pour pouvoir
faire face aux défis du développement
contemporain. Le gouvernement est obligé
Grafigéo 2000-10
d’intervenir pour guider en partie les évolutions grâce à des politiques d’aide.
Ces trois problèmes (incendies, crise de
l’eau et déforestation des territoires coutumiers) montrent que la population des trois
pays a changé son rapport traditionnel au
milieu : il était respecté par crainte pour certains car considéré comme hostile, ou encore vénéré par d’autres car considéré comme
nourricier, maternel. Le sacré a désormais
reculé devant le profane. Tous les membres
de la société ont largement évolué vers une
occidentalisation de leurs mœurs, et il ne
nous appartient pas de juger si cela est un
bien ou un mal. Il nous faut maintenant
nous interroger plus avant sur la notion
d'environnement et son passage à travers le
filtre oriental : l’Orient tente-t-il de concilier
environnement et développement grâce à
une spécificité que nous ne percevons peutêtre pas en Occident, puisque nous pensons
avoir fait de l’environnement une notion
universelle ?
Nous pouvons ainsi rentrer dans le vif
d’un débat environnemental, et observer les
processus à l’œuvre dans des populations
qui se cherchent encore une unité propre,
non pas une identité par la négative, c’est-àdire une identité qui n’est ni européenne, ni
chinoise, ni totalement melayu,…etc. Mais
plutôt une identité affirmative malaise, singapourienne et brunéienne. L’environnement peut-il être un lien entre ces différentes communautés ? On peut se demander
si cette recherche aboutira par la domination stricte de l’une sur les autres ; nous laisserons ce débat à d’autres études. Il convient
plutôt d’examiner les conceptions environnementales de ces communautés à travers
les politiques qu’elles mettent en œuvre
dans ces différents pays, unis comme nous
l’avons vu, par une certaine communauté de
destin et des facteurs géographiques similaires.
35
Transformations environnementales dans le monde malais
Dense couvert forestier
d'une forêt intacte de la région
de Brunei (photo 1)
L'exploitation forestière avance profondément à l'intérieur des terres (ici, nous
sommes à 200 km de la côte). Le long
des chemins, la forêt est très éclaircie
(on aperçoit les troncs blancs des arbres
morts) et laisse parfois place à
des surfaces en herbe qui peuvent aider
les feux à progresser rapidement
pendant les périodes de sécheresse.
Cette dégradation avancée du couvert
forestier ne permet plus le fonctionnement
des mécanismes naturels d'endiguement
des incendies comme dans une forêt
humide normale (photo 2).
36
Grafigéo 2000-10
Environnement et développement
Chapitre 2 • Environnement et
développement
P
AR ENVIRONNEMENT, on a tendance à
entendre un synonyme de la nature :
chaque publicité pour l’« environnement » se couvre de vert, de blanc et parfois
de bleu. Le symbolisme fort de la Nature se
trouve systématiquement repris par tous les
médias et les responsables politiques. Pourtant, ce terme d’environnement est très
récent dans son usage actuel : il ne date que
d’une trentaine d’années. Les premières
politiques à être qualifiées explicitement
d’« environnementales » datent de 1963, à
partir expériences menées aux États-Unis.
Le terme répond à des préoccupations naturalistes héritées des sciences des XVIIIe et
XIXe siècles.
Son usage intensif marque une réelle
transition dans les préoccupations des dirigeants de ce monde, préoccupations qui se
sont encore accentuées avec les crises pétrolières dans les années soixante-dix et quatrevingt. En effet, dans un monde bipolaire,
sortant de la colonisation, le modèle du développement rapide fondé sur l’industrie lourde triomphante n’est remis en cause par personne : le monde occidental a su diffuser
auprès des élites des nouveaux pays sa
croyance profonde en une technique qui
allait résoudre tous les problèmes qui pourraient surgir d’un quelconque excès de déve-
Grafigéo 2000-10
loppement. La contestation de ce système à
la fin des années soixante trouva une
chambre d’écho toute particulière dans les
crises énergétiques. On admit enfin que le
développement ne pouvait se faire aux
dépens de notre milieu de vie : la notion
d’économie pouvait désormais inclure celle
de la protection des ressources. Le terme
d’environnement est ainsi devenu antonyme
de « développement » dans tous les discours
qui remettent en cause le système libéral
capitaliste.
Cette connotation politique d’un terme
au départ scientifique nous permet de nous
interroger sur la réalité de cette notion, particulièrement dans les pays asiatiques,
modèles d’un développement rapide et efficace. Ne les a-t-on pas surnommés Tigres et
Dragons tellement leur efficacité collait à
leur ambition ? L’environnement semble y
être encore une préoccupation secondaire
dans ces pays alors même que l’idée d’un
développement pris comme une panacée à
tous les maux socio-économiques hérités du
colonialisme, est fortement remise en cause
dans nos pays européens. Est-ce une
croyance en un « avenir radieux » capitaliste ou est-ce parce que les dirigeants et les
sociétés de ces pays ont une autre approche
du problème et tentent de trouver une solu37
Transformations environnementales dans le monde malais
tion qui leur est propre, mieux intégrée à
leurs bases culturelles à travers une réinterprétation de la notion de développement
durable ?
LE CONCEPT D’ENVIRONNEMENT
L’ÉPREUVE DE L’ORIENT
À
l’autre, il faut se poser quelques questions
simples pour analyser le concept d’environnement : quel est le référent correspondant
au vocable d’environnement ? Qu’est-ce que
l’environnement environne, ou qui entouret-il ?
Environnement et écologie
On négligera d’emblée la version simpliste du concept, telle que nous l’offrent les
médias et une certaine catégorie d’écologistes. Elle mélange tous les éléments naturels, animaux, plantes, cailloux, dans une
vision primitive et candide de la Terre.
L’homme moderne vient rompre cette prétendue harmonie, avec toute sa technologie
sans âme mise au service du « développement ». Les tenants du développement ont
eu beau jeu de battre en brèche une argumentation aussi faible, ridiculisant la notion
d’environnement au lieu de la servir. A
l’ordre stable et presque transcendantal de
la Nature, ils opposent la maîtrise des
moyens techniques qui la transforment, la
domestiquent. Ils prétendent remettre
l’homme au centre de leurs préoccupations
et annoncent l’avènement de son bien-être
par le « développement ». A travers leur discours, le Développement serait le synonyme
de la réalisation des potentialités humaines
mais tend plutôt à devenir son propre but :
on recherche le développement pour le développement, il cesse d’être un outil pour
devenir une fin. L’apologie d’un tel concept
risque d’emprunter des traverses rhétoriques (emphase, déréalisation, sophistique,…) qui aboutissent fatalement aux
mêmes apories que le discours écologiste
profond 1. Le catastrophisme de l’un ne
résiste toutefois pas devant l’avenir positif de
l’autre : l’opinion publique n’est pas atteinte
en profondeur par les prophéties des
Cassandres revêtues de vert forêt. Afin d’éviter de tomber dans un excès comme dans
Le dictionnaire Larousse nous offre la
définition la plus synthétique2 : l’écologie est
la « science qui étudie les relations des êtres
vivants entre eux et avec leur milieu ». Une
science de l’écologie existe aujourd’hui et
clarifie les liens entre les différents éléments
de la biosphère. Elle approfondit notre connaissance des interactions possibles entre les
acteurs passifs et actifs du monde du vivant.
Mais l’écologie s’entoure aussi de conceptions morales véhiculées par l’écologisme
militant. Jusqu’à ce que l’homme arrive, il
n’y avait pas de catastrophes en soi, juste des
ruptures d’équilibres plus ou moins violentes, plus ou moins profondes. Elles n’étaient
ni bonnes ni mauvaises, elles n’avaient
aucune valeur puisque le système fonctionnait tout seul, et à chaque rupture correspondait une nouvelle adaptation. Le Darwinisme montrait ainsi dans son acception
première que l’évolution est une adaptation
perpétuelle du vivant aux nouvelles donnes
du milieu, par une sélection des espèces qui
sont les plus capables de continuer la longue
chaîne du vivant. Cette capacité adaptatrice
est de nos jours traduite par la notion de fitness qui correspond à la capacité de survie
et de reproduction d’un organisme en fonction de sa valeur adaptative3.
Depuis que l’homme a pris conscience de
lui-même et qu’il s’interroge sur son milieu,
il est devenu son propre référent. Un événement prend une valeur et devient bon ou
mauvais en fonction de ses répercussions sur
la vie de l’individu ou du groupe. La notion
d’environnement découle en droite ligne de
1. Je traduis mot-à-mot le terme anglais de deep ecology.
2. ... même si ce n’est pas l’ouvrage de référence en la matière.
3. Blondel, J. Biogéographie, Approche écologique et évolutive, Paris, Masson, 1995, 298 p.,
définie dans le chapitre 1.
38
Grafigéo 2000-10
Environnement et développement
cette acception : l’environnement n’existe
pas en soi, mais pour quelqu’un, pour
quelque chose. Pour le dire en d’autres
mots, le milieu de vie ne devient environnement que quand on prend conscience des
interactions possibles entre les éléments de
ce milieu et que l’on considère l’impact de
ses actions et les répercussions des changements de ce milieu sur soi. Forcément, à un
moment ou à un autre, ce retour sur l’individu ouvre une porte à l’émotion, car on
considère les éléments séparément en fonction de leur impact propre sans les remettre
dans un contexte plus général. C’est le
grand fossé qui sépare l’écologie militante
de l’écologie scientifique. L’écologie militante tend souvent à verser dans des discours
pathétiques à cause d’un syllogisme de
départ qui est l’ajout d’une valeur dans
quelque chose qui ne devrait pas en contenir, ou plutôt qui n’en contient pas. Un élément devient symbolique, emblématique
d’une cause, d’un problème : il concentre en
lui tous les éléments d’un paradigme naturaliste réducteur, car il se focalise sur un élément sorti de tout contexte. Il en est ainsi de
toutes les grandes causes comme pour
l’Amazonie, lorsque les militants fondent
leurs campagnes sur quelques animaux faisant partie des plus visibles, comme les
félins prédateurs ou quelques oiseaux colorés fort médiatiques, généralement montrés
lorsque ce sont des nouveaux-nés et qu’ils
sont plus à-même de susciter l’émotion (les
bébés phoques, les baleines et leurs baleineaux, les pandas et autres koalas sont les
champions toutes catégories de la bonhomie
animale efficace dans les campagnes de sensibilisation). Les scientifiques regrettent que
les fonds récoltés aillent essentiellement
dans la préservation des animaux les plus
visibles et non forcément dans l’étude d’animaux et de plantes moins photogéniques
alors qu’ils sont tout autant si ce n’est plus
important que la macrofaune et la macroflore.
La vision de certains militants écologistes
peut se transformer en véritable acte de foi
en une Nature grandiose, mythique. Elle
reprend à la fois des thèses millénaristes et
Grafigéo 2000-10
des rêves d’Éden, se nourrit du mythe du
bon sauvage et de fragments mal assimilés
d’ethnologie. Elle commence seulement à se
fonder rationnellement sur des éléments
scientifiques pour affermir ses positions,
après avoir longtemps rejeté tout ce qui
approchait de près ou de loin une science
honnie car on voyait en cette dernière le
symbole d’un développement destructeur,
impitoyable. Certains en font un acte de foi,
et comme tout acte de foi, il peut devenir une
sorte d’intégrisme fondamentaliste. Il
mélange de manière paradoxale des traits de
notre civilisation technicienne à des éléments
d’un discours « naturolâtre » : à des degrés
divers, des statistiques, prises hors de tout
contexte, s’intriquent dans une rhétorique en
apparence rationnelle qui véhicule une très
forte dimension affective, fort peu fondée sur
un aspect quelconque de la réalité.
Cette vision tend à prêter à certains éléments de la nature une volonté propre et des
sentiments qui n’existent pas. Faisons la
preuve par l’absurde : on n’a jamais réussi à
montrer qu’un animal a le sens de la beauté
d’un paysage et que ceci a une valeur intrinsèque à préserver, ni que cet animal éprouve
un quelconque sentiment d’injustice lorsqu’il
se trouve confronté à des développements
humains. Jusqu’à présent, le seul principe
qui importe pour les espèces animales et
végétales consiste à trouver dans leur environnement les éléments nécessaires à ses
fonctions vitales. Tout le reste n’est que culture et sentiment anthropomorphique.
L’écologisme militant, dans sa forme la plus
dure, va jusqu’à exclure l’homme de tout
droit de cité dans l’Environnement. L’Homme devient le plus grand perturbateur commun anti-naturel, se charge de tous les
péchés de la civilisation envers une nature
idéalisée, stable et éternelle. Il devient l’incarnation du Mal au sein d’une supposée
pureté virginale naturelle lorsqu’il tente de se
soustraire à sa nature par la technologie et la
course au développement. L’Homme à l’état
de nature, le bon sauvage adapté à son
milieu comme le sont les animaux au leur,
détenteur d’une religion si naturelle et si respectueuse de l’environnement, est porté au
39
Transformations environnementales dans le monde malais
rang de modèle car il ne pèche pas par
hybris4.
Ce discours manichéen est propagé dans
le cadre d’une culture précise, la culture
européenne. Elle tire ses origines d’un fonds
culturel à la fois gréco-latin et judéo-chrétien. Ce double fonds est justement rejeté
par les écologistes. Ils y voient la source de
tous les malheurs causés par l’expansion du
modèle occidental, et se jettent dans une
sorte de syncrétisme culturel qui assimile
tout ce qui peut servir leur discours et rejette ce qui pourrait contrarier leur conception.
Beaucoup n’arrivent pas à intégrer le fait
qu’ils propagent une autre tendance de la
culture occidentale et qu’ils sont le reflet
exact de la tendance absolutiste, tranchée de
notre culture.
Il faut s’inscrire en faux contre la vision
englobante et réductrice d’un asiatisme singulier que la tradition occidentale colporte,
et dont les écologistes militants se font parfois l’écho : ils y citent le pacifisme et le respect des animaux en Inde, ou les doctrines
bouddhistes, pour mieux les opposer à la
Genèse qui raconte comment l’animal a été
placé avec la Terre sous la domination de
l’homme. L’exotisme de la vision se mêle à
toutes sortes de préjugés et fait abstraction
de tous les points de doctrine un tant soit
peu gênants pour des démonstrations. Le
manque de connaissances de l’Asie, que l’on
dit toujours incompréhensible pour l’Occidental, ne nous porte pas à voir cette région
du monde comme très diversifiée sur le plan
culturel : elle ne se réduit pourtant pas à
quelques variations sur un même air
bouddhico-hindouiste.
Les spécificités asiatiques de la
conception de l’environnement
Ole Brunn et Arne Kalland (1995, p. 1)
introduisent la spécificité régionale par le
rapport qui existe entre l’environnement et
les idées métaphysiques qui le soutiennent :
« [En Asie] la réalité est ainsi structurée en
contextes changeants et même en entités
ontologiques séparées, comme opposées à
l’approche absolutiste occidentale ». Le réel
se décomposerait en une multitude d’éléments simples, sortes de monades. L’environnement ne serait qu’une infinité d’assemblages qui offre des contextes sans cesse
renouvelés à la perception. Nature et culture
sont très fréquemment intriquées, même
dans les systèmes profondément dualistes
comme au Japon.
Ils poursuivent :
« Puisqu’on retrouve partout une sorte de
variété dans la distinction nature-culture
– bien que celle-ci puisse être relative et
contextuelle, plutôt qu’absolue – la véritable
question est de savoir comment les deux
sphères se combinent et quels systèmes de
transformation autorisent les gens, les choses
et les concepts à circuler de l’un à l’autre. […]
Contrairement aux tendances occidentales à
établir une dichotomie dans l’univers, à
mettre l’accent sur l’absolu, nombre de cultures asiatiques remettent en contexte les
oppositions entre la nature et la culture, entre
le sauvage et le domestiqué, les humains et les
4. Certains écologistes envisagent les problèmes d'une manière réellement surprenante, radicale : ainsi peut-on lire dans CAP, State of The Environment in Malaysia, p. 212 à propos de la
biodiversité, le néologisme de Biopiracy, ou en français, la bio-conspiration des pays du Nord
pour voler le patrimoine génétique des pays du Sud et déposer des patentes pour leur propre
profit. Il est ainsi écrit :
Les Firmes du Nord ont accéléré le vol des ressources aussi bien que la connaissance des communautés indigènes ou traditionnelles. Cette bioconspiration s'est traduite par une perte financière particulièrement dans les pays du Sud qui peuvent difficilement s'offrir le luxe de ces pertes. Cela a aussi
causé la marginalisation des systèmes de connaissances traditionnels et menacé des communautés
qui sont les éleveurs de cette biodiversité puisqu'ils vivent dans une relation symbiotique avec les ressources représentées par cette biodiversité. Ceci a pour effet ultime de détruire la biodiversité ellemême. [… suivent des exemples gabonais et amazoniens] L'élevage prudent et le développement de
la biodiversité représentent pour eux (i.e., les indigènes) à vrai dire une question de vie ou de mort.
Souvent, la diversité est elle-même employée de plusieurs manières et supporte une vie et une culture intégrée et holistique.
On peut reposer le paradoxe de la poule et de l'œuf pour réfléchir à ces paroles énoncées avec
tant de conviction. Quelle est la part des sociétés traditionnelles dans la création de nouvelles
espèces dans la dense forêt malaise ou ombrophile lorque les systèmes reposent presqu'exclu40
Grafigéo 2000-10
Environnement et développement
dieux, la pureté et l’impureté, le bien et le
mal, et ainsi de suite. Ce « contextualisme »
s’applique fréquemment aux concepts de
moralité. Nature et moralité sont étroitement
liées dans beaucoup de cultures asiatiques,
Homme et Environnement ne formant qu’une
seule unité morale. Cependant, comme il
n’existe pas de Bien ni de Mal absolus, il
n’existe pas de morale absolue, au moins
pour le commun des mortels. Ainsi, les obligations morales des gens envers la nature
sont contextuelles. »
Cette démarche morale, qui s'inspire
d'une réflexion sur la nature, ne permet pas
une recherche définitive de préceptes de vie,
puisqu'il faut apprendre une certaine casuistique pour pouvoir mener son existence. Il
devient alors hasardeux de vouloir concrétiser une démarche philosophique, quelle
qu’elle soit. La profondeur de la réflexion
des sociétés asiatiques sur la nature ne l’autorise pas plus que les autres. C’est un grand
pas qu’il est déjà risqué de franchir à l’échelle d’un territoire et plus encore de généraliser à l’échelle d’un continent aussi varié en
traditions qu’en religions. Tout comme « il
est difficile de prouver qu’une croyance religieuse protège la nature mieux que d’autres5.
»: les sociétés en pleine expansion économique et démographique n’ont pas su
enrayer les problèmes écologiques, malgré
cette conscience profonde d’une interrelation
entre l’homme et la nature. Cette aggravation des problèmes écologiques serait même
un facteur d’unification de la région.
Il est plus fructueux de considérer les
notions et valeurs philosophiques véhiculées
« comme des procédés rhétoriques que l’on
utilise afin de parvenir à des buts particuliers
ou pour légitimer une action. Donc [continuent-ils], nous ne pouvons prendre une attitude environnementale comme une preuve de
valeurs spécifiques. On peut même affirmer
que la notion de recoupement entre les perceptions particulières de la nature et la
manière dont ces gens gèrent leur environnement naturel est une notion occidentale, qui
n’est pas forcément partagée par les populations asiatiques. (…) Même si de tels essais
[destinés à ne pas favoriser la tendance occidentale à la dichotomie nature-culture] ont
pour but la création de concepts universellement applicables, l’approche doit reconnaître
que l’influence majeure actuelle sur l’environnement est maintenant humaine et institutionnelle, sans cet aspect, toute connaissance d’un écosystème est de peu de sens. »
En effet, c’est sur le plan politique que les
notions environnementales prennent une
bonne part de leur signification. Depuis bien
longtemps, elles témoignent autant d’une
réelle préoccupation en faveur de la nature
qui est un bien commun et un lieu de vie,
que d’une réalité culturelle sur le jeu des
pouvoirs dans la société. Ainsi que le dit
J. Kathirithamby-Wells6 :
« La perception du dirigeant sud-est-asiatique
comme seigneur des « terres et des eaux » a
effectivement inclus le contrôle des gens,
comme il apparaît dans le terme malais tanah
sivement sur la récolte dans la nature de produits non sélectionnés pour leur rendement ?
Quel est le degré de «culture de la biodiversité » qu'ils ont ? Quel est l'intérêt pour une population locale d'une plante qui leur paraît sans importance et qui pour un scientifique pourra
en avoir une : la cultive-t-il parce qu'il a une omniscience naturelle, ou la détruit-il, ou s'en
moque-t-il ? Qu'est-ce qu'un vol biologique si on n'est pas capable soi-même de mettre en
valeur la biodiversité : en d'autres termes, les pays du Nord sont à la fois à la source de la disparition des forêts tropicales grâce à une trop grande complaisance de certaines élites politiques locales, mais sont aussi à la source de grandes découvertes scientifiques qui font
prendre à tout le monde l'importance de la biodiversité ? Que veut dire pour un indigène le
patrimoine génétique et la chimie moléculaire, alors que dans ses mixtures traditionnelles
empiriques, il mélange toutes sortes de produits, sans en extraire efficacement les molécules
utiles et en rajoutant parfois des produits plus nocifs que la molécule utile ? Si le Nord honni
n'avait pas développé toutes ces connaissances, quel serait l'avenir des populations indigènes
et de leur patrimoine culturel face à la progression des autres cultures, inéluctable, et qui
n'aurait peut-être pas eu le soin de remarquer l'importance de ce patrimoine empirique pour
le reste de l'humanité ? Comme disent les spécialistes de l'Asie, tout est dans le contexte, il
faut sans cesse relativiser ses propos.
5. Brunn et Kalland, 1995, p. 17.
6. Ibid., Socio-political structures and Southeast Asian Ecosystem, an historical perspective up
to Mid-Nineteenth century, p. 28-29.
Grafigéo 2000-10
41
Transformations environnementales dans le monde malais
air (“terre et eau”), donnant corps au concept
de « pays » ou de « nation ». Les liens spirituels et les relations patrons-clients qui ont
subsisté entre les dirigeants et les sujets constituaient une caution plus solide que les
contrats légaux. Le dirigeant, en tant que
« maître des terres et des eaux », et en tant
qu’agent de médiation avec les forces naturelles, était perçu comme le contrôle ultime de
l’environnement. »
Cette association traditionnelle se retrouve un peu partout, particulièrement dans les
sociétés où le contrôle des accès fluviaux
était de première importance. Longtemps
dans le monde malais, les relations entre
l’intérieur des terres, client, et les sultans
côtiers se résumaient à des cérémonies occasionnelles et testaient les liens de vassalité
(effectifs ou supposés) à travers toute une
hiérarchie d’intermédiaires. Le discours
environnemental dans la bouche des dirigeants pourrait ainsi revêtir une importance
particulière, peut-être plus confusément ressentie que réellement perçue.
Un lien de type nouveau se tisse dans la
conception du développement en relation
avec l’environnement. Calqué pendant un
moment sur des principes occidentaux, il
semblerait que la formulation de certains
problèmes et les méthodes appliquées en
conséquence soient plus propres aux dirigeants de ces pays. Même Singapour, si profondément occidentalisée, cherche des solutions dans un confucianisme tous les jours
revendiqué haut et clair. Cette quête d’une
nouvelle voie correspond à l’assimilation
d’une certaine forme de pensée occidentale,
retransformée pour s’intégrer dans le corps
culturel local. La forte poigne avec laquelle
ces pays sont dirigés ne ferme cependant
pas toutes les portes à des formes d’expression populaire que nous qualifierions de
démocratiques. L’adoption des principes de
développement durable s’intègre progressivement et profondément dans ces sociétés.
Elle est mieux en phase avec la vision du
monde que les différentes communautés de
l’ensemble malais ont.
ENVIRONNEMENT ET ACTION POLITIQUE : LA RECHERCHE D’UN
DÉVELOPPEMENT DURABLE
Un contexte affirmé
La transformation de la région par l’expansion coloniale a permis la structuration et
l’affermissement d’États au sein de frontières
définies, qui ont souvent mis un terme aux
contestations sur la légitimité des ressources,
sauf pour celles qui se trouvent dans les
mers, car elles se meuvent continûment et
rendent les notions de « territorialité maritime » infondées. Toutefois, la fixation de ces
frontières n’a pas toujours tenu compte des
réalités humaines. Elle s’est traduite souvent
par la domination d’une ethnie sur une
autre, par des conflits de type centre/périphérie, grâce aux nombreux moyens modernes comme les recensements démographiques et économiques, par les plans de
développement. Elle a aussi engendré des
conflits entre les différents départements ministériels, particulièrement entre ceux en
charge des ressources naturelles, comme les
forêts ou les mines, et ceux de l’agriculture,
de l’expansion économique – i.e. de la planification. Elle se traduit encore par une querelle des anciens et des modernes en matière
technologique et culturelle.
« A mesure que le changement environnemental induit par l’homme s’est intensifié
pendant le vingtième siècle, la propension de
l’Etat à différencier les ressources « scientifiques » des « non-scientifiques » s’est accrue,
et par là même a exacerbé les conflits environnementaux. »7
Le rôle prépondérant de l’État, à travers
les différents plans quinquennaux de développement n’a pas exclu une participation
du secteur privé. Le libéralisme que nous
connaissons aujourd’hui n’existait pas réellement il y a encore quelques années. Il est
venu s’intégrer progressivement, parfois à la
suite de crises économiques qui montraient
les limites d’un système trop dirigiste (la
Malaisie à la fin des années quatre-vingt).
7. Parnwell et al., 1996, p. 8.
42
Grafigéo 2000-10
Environnement et développement
Le secteur privé offre une souplesse, une
adaptabilité que ne peut pas avoir le secteur
public à cause des impératifs politiques auxquels il doit se conformer.
Ainsi faut-il bien prendre en compte l’importance du rôle des multinationales dans le
développement de ces pays. Si elles ont axé
leur implantation sur l’exploitation des
matières premières, si elles ont beaucoup
bénéficié d’appuis importants auprès des
gouvernements pour leur faciliter les procédures d’exploitation en dépit des législations
en vigueur, elles sont aussi un formidable
vecteur de transfert de technologies et de
dissémination des produits. Ce sont elles qui
ont été les premiers moteurs de l’industrialisation de la région. Ce sont elles qui, paradoxalement, sont les diffuseurs et les acteurs
de grandes campagnes pro-environnementales comme peut le faire la Shell à Brunei et
au Sarawak.
Pour importantes que soient les ONG et la
contestation publique, la possibilité d’action
effective sur les gouvernements reste limitée
aux décisions de celui-ci comme peut en
témoigner la permanence des protestations
contre les projets forestiers et hydrauliques
de grande envergure (Bakun au Sarawak,
Endau Rompin en Malaisie péninsulaire,…). Entre le couvercle militaire birman et
l’action populaire philippine, les gouvernements malais, indonésiens et thai alternent
répression et ouverture démocratique. À
Brunei, le problème se pose de manière différente : contrairement aux pays précités,
c’est un tout petit pays, avec une population
qui n’atteint pas encore les 300 000 habitants. La notion de démocratie reste assez
faible, puisque le Sultan a un pouvoir absolu8. Les ONG ne peuvent que se féliciter de
l’activité du gouvernement dans le domaine
environnemental puisque l’état global est
très supérieur aux normes internationales.
La contestation publique en ce domaine n’a
pas ou peu de prise. À Singapour, nous
avons le seul cas de démocratie effective de
la région ; toutefois, l’autocensure et l’effica-
cité du corset pénal font que la contestation
en ce domaine reste faible. Les ONG y ont
une écoute plus attentive qu’ailleurs malgré
certains accrocs, comme celui de l’ouverture
de l’axe majeur Singapour-Johore : Bukit
Timah fut séparé des aires protégées autour
des réservoirs par une énorme voie routière
qui empêche par là la reconstitution de la
biodiversité dans ces dernières.
Le développement durable :
une notion contestée
Une littérature abondante en faveur de
l’environnement met l’accent de nos jours
sur les relations entre les élites politiques et
économiques avec les citoyens de la base.
Elle s’oriente vers l’étude du développement
qualifié de « durable ». La définition de la
« ressource durable » pose d’épineux problèmes car elle suppose un changement du
concept de développement. Comment cherche-t-on en Asie du Sud-Est à rendre les ressources durables ? Que faut-il entendre par
développement durable ?
Deux principaux types de tensions naissent à partir de l’application de cette notion.
Le premier concerne d’anciennes activités
contrôlées par l’État et qui ont donné lieu
dans le passé à des abus : exploitation forestière, minière, hydroélectrique outrancière.
Les gouvernements tentent de remédier à
cette image tenace par des mesures qui
visent à une meilleure gestion du capital :
zonage et réserves forestières, ou replantation de périmètres défrichés. Mais souvent il
ne s’agit que de réfections de façade.
La deuxième source de tensions s’articule autour des nouvelles activités patronnées
par le gouvernement comme l’écotourisme,
le reboisement, … Ces nouvelles activités
débouchent sur une perturbation des populations locales car les expropriations sont
parfois très mal ressenties et toujours mal
indemnisées. Les inégalités économiques
entre les bénéficiaires et la base locale s’en
trouvent renforcées.
8. La seule assemblée régulièrement élue a été dissoute en 1962. Les sultans attendent toujours
le bon moment pour les convoquer à nouveau et autoriser le multipartisme.
Grafigéo 2000-10
43
Transformations environnementales dans le monde malais
Après un siècle d’administration coloniale, les politiques locaux font l’apprentissage
des responsabilités gouvernementales. La
prise de conscience environnementale est
une preuve de cette évolution. L’homme
providentiel ne suffit plus : le gestionnaire
doit penser le long terme afin de limiter les
impacts de sa politique à court terme.
Beaucoup reprochent aux politiciens de faire
de la politique politicienne, qui ne se préoccuperait que des échéances électorales, et
des avantages du pouvoir. Singapour offre
un bon contre-exemple, puisque dès les premiers moments de l’indépendance, la question environnementale a fait partie des plans
d’urbanisme. Cette ville sert même de référence à ses voisins pour tout ce qui est de la
mise en œuvre de techniques en milieu
équatorial.
Le rôle de la rhétorique dans toutes les
politiques devient ainsi fondamental et
renouvelle d’une certaine manière la casuistique : comment donner un cadre légal qui
soit suffisamment contraignant, tout en restant suffisamment flou de manière à pouvoir
trouver des accommodements dans les cas
épineux sans favoritisme ni infractions
volontaires ?
« Alors il n’est pas surprenant que le problème du contrôle de la formulation et de la mise
en œuvre des politiques de développement
durable intéresse de manière croissante l’opinion. A première vue, il semblerait aller de soi
que cette tâche revienne à l’État. Toutefois,
[…] l’action souvent conjointe de l’État et du
secteur privé a joué un rôle important dans la
génération des problèmes environnementaux
auxquels se trouve confrontée actuellement
l’Asie du Sud-est. Comment l’État peut-il être
crédible dans de pareilles circonstances pour
mettre en œuvre des politiques qui doivent
résoudre ces problèmes ? »9
Il faut donc prêter une extrême attention
au problème de la reformulation des messages que les différents acteurs s’échangent.
Chaque groupe a son mode d’expression, ses
propres définitions. De nombreux malentendus partent d’une impossible compréhen-
sion : les mêmes mots ne désignent pas les
mêmes choses. Pierre Lascoume emploie le
terme de transcodage10 : ce terme paraît
particulièrement approprié car il s’agit bien
d’un chiffrage des messages qui n’autorise la
compréhension qu’aux possesseurs du code.
L’opération d’interprétation et de retranscription pousse ainsi à multiplier les approches de l’environnement, non seulement en
fonction des cultures très nombreuses dans la
région, mais aussi en fonction des groupes
sociaux envisagés. Philip Hirsh et Carol
Warren (1998 ; 7) l’expriment ainsi :
« Des modes variés d’environnementalisme
reflètent non seulement des approches philosophiques différentes, mais aussi un large
panel d’acteurs qui se sont drapés d’environnementalisme pour servir des agendas politiques, sociaux ou économiques plus conventionnels. Pendant que l’environnementalisme
sert assurément à légitimer le discours d’opposition, il sert aussi d’instrument de légitimation à de puissants intérêts travestis. »
Il devient difficile dès lors, pour le public
de comprendre exactement ce que signifient
les mots employés par un chef politique, par
une organisation environnementale, par une
entreprise nationale ou multinationale. Pour
l’un, ce seront des objectifs politiques comme
de se constituer une clientèle électorale ou la
réelle promotion d’un idéal qui se traduirait
dans la réalité ; pour la suivante ce sera tenter de proposer une solution alternative à la
politique qui se met en place ; enfin, pour les
derniers, ce sera un moyen plus ou moins
efficace pour accroître une implantation
locale ou pour cacher son intention de ne pas
respecter la réglementation en vigueur.
Par conséquent, quand on s’interroge sur
le développement durable, il faut bien faire
attention aux points suivants afin de mesurer la pertinence des discours. En premier
lieu, quel est le destinataire d’une politique
qui rendrait le développement plus durable :
les humains, ou une notion floue d’une entité Terre, rapprochable d’une divinité
antique ? En d’autres termes, ce développement serait-il durable dans une conception
9. Ibid., p. 13.
10. Pierre Lascoume, L’Écopouvoir, 1992.
44
Grafigéo 2000-10
Environnement et développement
de la Nature qui inclurait ou exclurait
l’homme de son système ?
Ensuite il est nécessaire de quantifier les
objectifs de ce développement : combien de
personnes affectera-t-il ? Quels sont les
degrés d’implication et l’ampleur du projet ?
Une sous-question sera celle de l’échelle du
projet : est-ce que cela ne concernera qu’une
région, un pays, un continent, le monde ?
Quels sont les modèles de systèmes qu’elle
prend en compte dans la préparation de ses
projets ?
Tout aussi nécessaire est la question de la
durée du projet : les élites politiques sont
prêtes à tous les retournements de circonstance si une question est en vogue, et actuellement l’environnement en constitue une.
Quelle sera la durée effective d’une politique
de développement durable ? Le temps d’un
cycle électoral ? Le temps que les médias en
parleront? Le développement durable part
du postulat de base que nous ne sommes
que les dépositaires des ressources terrestres
dont nous profitons. Il ne nous est pas permis d’enlever des chances à nos descendants
de profiter d’une substance qui pourrait être
d’une utilité très grande pour l’humanité
grâce aux nouveaux moyens techniques et
scientifiques dont ils disposeraient.
Le développement durable se présente
d’abord comme une notion utilitariste de
l’environnement qui se fonde sur une notion
inconsciente du sacré. Il ne remet pas en
cause la valeur de la notion de développement puisque nous bénéficions dans nos
sociétés européennes d’un niveau de vie
exceptionnel tant dans sa qualité que dans
son extension. Tel que conçu et véhiculé à
travers les instances internationales comme
le GATT et l’OMC qui lui a succédé, le FMI ou
la FAO et les autres instances de l’ONU, le
développement est la panacée aux maux de
notre temps. Il permettra à terme une égalisation des chances dans tous les pays du
monde et diminuera les risques de conflit
qui ont alimenté les grandes crises jusqu’à
nos jours : crises alimentaires, conflits d’accès aux ressources : l'eau, par exemple, risque de devenir matière à un nouveau
conflit, même dans la région. Le développement, dans sa conception durable, serait la
version libérale voire capitalistique, de l’avenir radieux proposé naguère par les diverses
sociétés communistes.
Le développement durable suppose donc
une réflexion sur le moyen et le long terme
(échéance 30 à 100 ans minimum) qui
dépassent très largement les échéances politiques traditionnelles dont l’horizon se borne
à 3-10 ans. Dans le cas de notre ensemble
régional, la fermeté des gouvernements,
l’absence d’une opposition consistante et la
durée des dirigeants permettraient d’envisager ces termes.
Or l’ouverture démocratique corollaire
d’une amélioration des conditions générales
de la société, réclamée avec insistance par les
ONG environnementales, ne va-t-elle pas à
l’opposé d’une restructuration de l’économie
d’un pays ? La restructuration semble nécessiter généralement un exécutif fort pour des
résultats rapides comme l’exemple Singapour tend à nous le montrer, avant qu’un
laissez-faire que ces mêmes associations
environnementales déplorent, ne s’empare
des gouvernements. A terme, l’idéal politique
véhiculé par les associations environnementales ne serait-il pas plutôt une dictature écologiste? L’Ecotopia11 ne serait-elle pas une
illusion dangereuse de conséquences pour les
valeurs qu’elle prétend défendre ?
Quant à la formulation des politiques de
développement durable, on peut aisément
dire que c’est d’abord un exercice de style
difficile pour les hommes politiques. Cela
permet de prendre en compte l’importance
croissante de l’opinion sans sacrifier l’affermissement de l’économie. C’est aussi un
moyen puissant de donner de la consistance
aux arguments écologistes selon lesquels des
solutions doivent être trouvées avant que les
problèmes ne se posent. On évitera ainsi des
11. L'idée a été formulée par D. Pepper, The roots of modern environmentalism, Londres,
Routledge 1984. En 1992, il a aussi publié Eco-socialism : from deep ecology to social
Justice, chez le même éditeur. Il est cité dans Environmental Change in South-East Asia, de
M.Parnwell et R. Bryant (eds).
Grafigéo 2000-10
45
Transformations environnementales dans le monde malais
crises économiques aux conséquences sociales graves. La mise en place d’un corpus
d’idées et de directives plus ou moins contraignantes relève d’une mission quasiment
impossible dès lors qu’il faut réfléchir à des
phénomènes d’ampleur mondiale. Les intérêts immédiats et la possibilité des pays sont
des arguments qui pèsent lourds dans la
balance. La réticence qu’ont eue en 1992 les
dirigeants des grands et petits pays de ce
monde à ratifier des engagements forts en
faveur de l’environnement témoigne de ce
problème. Peu sont prêts à s’engager nettement et efficacement dans les politiques. De
Rio, peu de choses ont été formellement ratifiées : l’Agenda 21 reste une série de vœux
pieux puisque toutes les parties n’ont pas
voulu le signer et encore moins le considérer
autrement que comme une série de principes de base pour un accord futur.
Toutefois, s’il est relativement aisé de
réfléchir sur l’utilisation rationalisée et rendue durable d’une seule ressource, il devient
beaucoup plus complexe de réfléchir et
d’agir en fonction d’un écosystème. Nombre
de difficultés surgissent dans la mise en
œuvre de toutes les réglementations qui
paraissent. La difficulté apparaît dans
toutes les prévisions environnementales.
Certains versent dans le catastrophisme,
remettant au goût du jour des théories malthusienne comme le fait le Groupe de Rome
avec son spectaculaire communiqué de
1972, principes perpétués par les associations environnementalistes les plus dures
comme Greenpeace. D’autres au contraire,
et ils font presque toujours partie des tenants
du développement libre, pensent qu’une
solution technique apparaîtra en fonction
du développement des sciences. Il est vrai
que l’on ne pouvait imaginer il y a trente ans
que l’action humaine pouvait peut-être se
retourner contre les hommes : la foi en la
maîtrise des éléments par la technique a été
fortement ébranlée par l’ampleur de certaines catastrophes : inondations terribles en
Chine, désertification des marges sahéliennes, salinisation des terres en Ouzbékistan dans les grands périmètres cotonniers
irrigués, vagues de boues et effondrement
des sols dans les villes (Thaïlande, Penang
1993-1999), disparition de la biodiversité.
« L’industrialisation d’économies autrefois
agricoles, l’urbanisation de sociétés rurales, et
la partielle libéralisation d’Etats autoritaires
forment quelques tendances parmi d’autres
que l’on retrouve à travers la région. Le développement comme un objectif national, pris
dans le sens de « rattrapage », a été appliqué
ouvertement et souvent agressivement par les
meneurs nationaux à la recherche d’émulation dans les formes est-asiatiques de croissance et d’industrialisation. Les conséquences
environnementales d’un tel cheminement
sont trouvées dans la déforestation, la pollution des cours d’eaux, la dégradation et la
conversion des terres agricoles, la qualité
médiocre de l’air en ville, le déclin des populations piscicoles et fauniques, et les pénuries
dans d’autres secteurs de traditionnelle abondance, alors que de nombreux demandeurs
cherchent à profiter d’une ressource-base en
déclin. »12
L’énumération des effets négatifs pourrait continuer. Pourtant, les prévisions malthusiennes les plus catastrophistes prévoyaient que la Terre ne pourrait nourrir
plus de six milliards d’hommes. Compte
tenu des techniques agricoles actuelles, de la
capacité à trouver de meilleures solutions
par le biais de l’agriculture raisonnée, on
estime qu’il est possible de nourrir une trentaine de milliards d’êtres humains.
Ce développement est-il forcément rejeté
par les populations qui longtemps ont été en
dehors des circuits de la « modernité » à
l’européenne, tous les aborigènes et autres
tribus indigènes ? D’après Ole Brunn et
Arne Kalland, ce n’est pas tout à fait le
cas :
« Un bon nombre de populations habitant les
montagnes et les forêts à travers l’Asie sont
touchés dans une certaine mesure par le discours environnemental. Bien que certains, qui
ont dû faire face à des régimes qui les ont
ignorés des décades durant, puissent bénéficier sur le long terme du rattachement de leurs
revendications au type d’argumentaire qui
prévaut dans les organisations internationales,
d’autres risquent de ressentir le nouveau dis-
16. Hirsch et Warren, op. cit., p. 5.
46
Grafigéo 2000-10
Environnement et développement
cours environnemental comme une menace
sur leurs accès traditionnels aux ressources
naturelles […]. Nous pourrions maintenant
nous demander comment l’internationalisme
moderne est réfléchi dans les problèmes environnementaux et si une réponse internationale à des dégradations environnementales
régionales est justifiée par un tel discours. Ou
alors, est-ce que la perception occidentale
dans ce terrain est un autre exemple de l’universalisme occidental, projetant ses propres
défauts sur le monde en voie de développement, apercevant là-bas des solutions à des
problèmes auxquels nous nous serions déjà
résignés ?[…] »13
Les problèmes environnementaux sont
devenus une telle réalité en Asie du Sud-Est
que les politiciens se doivent de réagir à la
montée du mécontentement populaire.
L’économie développée de manière inconsidérée est de plus en plus mal vécue. Surtout
quand des événements graves interviennent
(comme des incendies ou des inondations
ravageurs). Le « développement durable »
est entré en force dans tous les discours,
mais que recouvre-t-il si ce n’est une vacuité phraséologique, topos nouveau du discours politique.
Le pas nécessaire à franchir est celui de
son intégration profonde dans le mode de
pensée préparatoire aux travaux de développement afin de réduire les risques graves
d’instabilité. On ne le franchit pas parce que
cela reste du domaine événementiel et qu’il
est difficile d’agir tous les jours pour plus
tard, parce que le système traditionnel a été
transformé et qu’il n’a pas eu le temps de
s’adapter aux nouvelles conditions ; parce
que enfin, on peut être au courant des problèmes, se dire prêt à agir, mais ne rien faire
(cas particulièrement des classes moyennes
urbaines) ou en être réduit à subvenir à ses
besoins immédiats par manque d’alternative : les squatters sont souvent conscients de
leur nuisance, mais ils doivent bien vivre tous
les jours. Il devient évident qu’une politique
de développement durable passe nécessairement par une politique de redistribution des
richesses : les gouvernements ont un relativement libre choix dans cette politique, aucune
solution n’est dogmatiquement vraie. Mais
elle est particulièrement nécessaire dans les
pays où ces inégalités de richesse sont criantes. Elles peuvent passer par une réforme
agraire, par des mesures incitatives au développement des classes moyennes garantes
d'une certaine stabilité,… et très certainement par le maintien des standards de qualité environnementale. C’est ce que Singapour a compris le premier des trois pays de
la région. La Malaisie tente de le mettre en
pratique chaque année de manière plus
sérieuse. Quant à Brunei, les problèmes ne
sont pas assez graves pour exercer une pression suffisante sur le gouvernement.
Différents scénarios peuvent se mettre en
place : le pire comprend une poursuite des
politiques actuelles et il aboutirait à une telle
crise de subsistance que des conflits éclateraient entre les nantis et les pauvres qui tenteraient de rejoindre les pôles de richesse.
Les catastrophes environnementales se succéderaient les unes aux autres. En Asie du
Sud-Est, la conquête des espaces vierges
touche à son terme : les réserves en espaces
libres, et particulièrement utiles, sont de
plus en plus réduites. Les migrants entrent
en concurrence avec les populations locales,
ajoutant à une pression environnementale
accrue, la pression sociale.
Conclusion : la recherche de solu tions adaptées
Un moyen terme entre l’écotopie et le
syndrome de Rome pourrait être trouvé par
les politiques éducatives (car ce n’est qu’en
changeant les mentalités globalement que
l’on peut changer le mode de vie des gens).
Une politique autoritaire qui réduit les
concentrations capitalistiques autour des
capitales, montre ses limites : ainsi Bangkok et la Thaïlande en donnent-ils – de
l’avis des auteurs – un des meilleurs
exemples d’un État en crise, annonciateur
des risques futurs. Faveur sera plutôt donnée à une politique de mise en concurrence
des avantages de l’industrialisation légère
en campagne, fondée sur des pratiques tra-
13. Op. cit., p. 21.
Grafigéo 2000-10
47
Transformations environnementales dans le monde malais
ditionnelles adaptées et hautement réactives aux lois du marché, qui peuvent avoir
un impact fort dans le développement
d’une région tout en restant écologiquement
soutenable/durable. La vitalisation du tissu
rural, quand elle peut se fonder sur une tradition, peut évoluer vers d’autres formes
industrielles et garder ainsi les populations
sur place, évitant un surdéveloppement de
certains endroits aux dépens d’autres. La
perception des lieux d’embauche ainsi que
la structure des migrations internes voire
internationales en seraient profondément
modifiées : quelques expériences ont été
menées en Thaïlande, avec le développement d’une industrie à la limite de l’artisanat, dans le retraitement du kapok et des
mèches de coton. Toutefois, il ne faut pas
voir dans ce développement local et rural
une panacée : ce développement n’est possible qu’à un certain point, au-delà duquel
les risques environnementaux deviennent
supérieurs à la même implantation en
milieu urbain, parce que le milieu rural est
moins bien préparé à recevoir une forte
intensification. Ce serait une base de travail pour mettre en place des politiques à
long terme de développement durable.
48
« Nous devons être attentif au risque d’influence ethnocentrique dans toutes les
recherches comparatives, et pas uniquement
dans le thème de la nature : nos moyens de
comparaison sont jusqu’à un certain point
limités par des notions culturelles spécifiques. » (Hirsch et Warren, 1998)
En d’autres termes, il nous faut faire
attention à la manière dont nous envisageons les choses : notre perception des problèmes est européenne. Ce qui peut nous
paraître évident ne le sera pas forcément
dans un contexte social asiatique.
Ces notions sont, nous le voyons, très
complexes et ressortissent profondément aux
conceptions culturelles propres à chaque
civilisation. Nous allons voir à travers l'étude
de chacun des trois pays, si une application
pratique de ces notions apparaît et si on peut
affirmer qu'une voie propre de développement durable naît de leurs tentatives respectives. En effet, si ces trois pays sont issus
d'un même ensemble, il est difficile de les
traiter de manière identique : un Etat-ville
comme Singapour ne connaît pas les mêmes
difficultés qu'un grand Etat comme la
Malaisie, et Brunei, peu peuplé, vivant de sa
ressource pétrolière, n'a rien de vraiment
comparable à ses voisins.
Grafigéo 2000-10
Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ?
Chapitre 3 • Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ?
L’
subit de plein
fouet toutes les contraintes d’une
petite île très fortement peuplée et
remarquablement urbanisée malgré l’abscence de réelles ressources naturelles. Son
développement rapide et son exemplaire
réussite ont suscité beaucoup d’interrogations, surtout de l’admiration et de l’envie de
la part de ses voisins. La grande ville n’est
pas la première ambition d’un monde
malais encore rural mais Singapour est une
ville principalement peuplée de Chinois. Les
rares activités autres qu’industrielles ou de
services ont pratiquement disparu ces dernières années, sauf quelques parcelles rescapées de-ci, de-là pour l’agriculture, et quelques bateaux de pêche. La ville, dont
l’extension a doublé depuis son indépendance couvre la moitié de la superficie de l’île.
Elle incarne parfois le luxe, comme en
témoignent Orchard Road, la grande avenue commerçante, ou les nouveaux développements touristiques de Clark Quay, la
rénovation du quartier chinois ou Sentosa.
Mais ce sont surtout des développements
fonctionnels qui investissent la ville. Les
HLM et d’immenses espaces industriels se
partagent l’essentiel de la superficie
consommée.
ÉTAT DE SINGAPOUR
Grafigéo 2000-10
On a vu en Singapour la quintessence des
« États en développement » parce que la planification du développement économique fut
suivie par la constitution d’une infrastructure
industrielle et d’affaires, ainsi que par une gestion et un maintien effectifs sans lesquels l’économie n’existerait pas.(Ooi G. L., 1996, 3)
Cet aspect organisé, policé de la ville est
celui que l’on ressent le plus fortement au
premier contact avec Singapour. A tel point
que le jeu de mot le plus fréquent à son propos est le surnom de Fine State, l’État
agréable mais aussi l’État des procès-verbaux. Le rôle régulateur et planificateur de
l’État s’étend partout. Grâce à ce volontarisme sans relâchement, la ville connaît une
situation environnementale que beaucoup
de nos cités européennes lui envieraient.
Depuis le départ en 1990 du grand Premier
Ministre de Singapour, Lee Kuan-Yew, qui a
accompagné le développement de la ville
depuis son indépendance, les successeurs
n’ont guère desserré la rigoureuse discipline
pour fournir aux habitants le meilleur cadre
de vie. Les pics de pollution des années
soixante-dix, qui correspondent aux pics de
croissance industrielle, ont provoqué une
très vive réaction des autorités publiques :
parallèlement aux efforts américains (vote
49
Transformations environnementales dans le monde malais
carte 3 - Les aires de mangroves entre 1947 et 1987 ont été poldérisées,
comme l’indiquent les grisés clairs absents de la légende
de l’Environmental Protection Act en 1972),
les autorités de Singapour ont pris des
mesures drastiques de réduction des polluants industriels et urbains. Ils ont pris
aussi des décisions de verdissement et de
protection des espaces verts de la ville avec
le Green Plan ainsi que des mesures de protection du bâti historique. En effet, dans une
ville, le concept d’environnement comprend
l'ensemble des éléments qui conditionnent le
milieu dans lequel vit l’homme, qu’ils soient
artificiels ou qu’ils soient naturels.
DÈS
LE DÉPART, UNE PLANIFICATION ENVIRONNEMENTALE STRICTE
Les contraintes de l'insularité et une
situation sociale catastrophique ont marqué
les débuts de l’indépendance de Singapour.
Ces contraintes pourtant ont été la source
d'une grande innovation fortement encadrée par l'État : le libéralisme n’a pas exclu
la planification stricte. L'accumulation
d'hommes et d'activités sur un territoire
50
exigu a demandé des efforts accrus de
réflexion afin d'éviter de graves crises de
coexistence. Contrairement à de nombreuses
grandes métropoles dans le monde, Singapour a su globalement bien prévoir ses
besoins et atteindre des objectifs clairs de
développement dans une relative harmonie.
Un développement considérable
sur un territoire exigu
Singapour est constituée d’une île principale et de tout un archipel de petites îles dont
les plus grandes dépassent les 1000 hectares
(Pulau Tekong Besar, P. Ubin) et les plus
petites quelques centaines de mètres carrés.
Cet archipel s’étend jusqu’aux îles indonésiennes voisines des Riau. Les dimensions de
l’île principale restent modestes : 42 km de
« largeur » et 23 de « hauteur » maximale, et
une forme que certains comparent à un diamant.
L’activité portuaire est à l’origine de
Singapour : elle fut choisie par Sir Raffles au
siècle dernier en raison de son emplacement
Grafigéo 2000-10
Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ?
stratégique sur les voies maritimes reliant
l’Asie à l’Europe et l’Afrique. L’importance
de cet axe n’a jamais décliné. Encore
aujourd’hui, le détroit de Malacca que
contrôle Singapour à la pointe de la péninsule, reste un des axes maritimes les plus
importants au monde. Les conteneurs en
provenance de la Chine, de l’Indochine, du
Japon, de la Corée et d’une bonne partie de
l’Océanie transitent tous par Singapour, et
les flux en provenance de l’ouest ne sont pas
moins nombreux. L’Europe, l’Afrique et le
sous-continent indien alimentent les très
riches marchés du Japon, de la Corée et les
besoins technologiques de toute l’Asie.
L’activité portuaire après l’indépendance
a très rapidement été ouverte à tous les
développements industriels : usines de montages automobiles, chantiers navals, usines
textiles, raffineries, pétrochimie se sont succédé rapidement afin de résorber la quantité de chômeurs à l’indépendance. L’essor de
l’industrialisation commence dans les années soixante dans le site de Jurong (ouest
de l’île). L’aspect manufacturier a d’abord
dominé avec des chaînes de montages et de
fabrication de produits jusque-là importés,
puis dans les années quatre-vingt avec des
chaînes destinées à l’élaboration de produits
d’exportation à haute valeur ajoutée. Ces
dernières requièrent moins des matières premières qu’une main-d’oeuvre hautement
qualifiée et des infrastructures puissantes de
communication. On constate en comparant
les cartes des activités industrielles et des
polders que l’essentiel des aménagements
préserve la capacité et la qualité de l’accueil
portuaire : la santé économique de l’île, malgré la part importante du secteur tertiaire
dans le PNB, passe par son maintien au premier plan régional pour les activités portuaires. Plusieurs villes dans les pays voisins
se posent en candidats potentiels (et encore
loin derrière) à la succession, et voudraient
bien capter ne serait-ce qu’une partie des
flux qui transitent par les quais de
Singapour.
Une telle activité a su également générer
une forte quantité de main-d'œuvre qu'il a
fallu loger, nourrir et divertir. Les 640 kilomètres carrés de l'île se sont recouverts de
bâtiments qui répondent à tous ces besoins.
Selon l’estimation intermédiaire de
1997, la population totale résidente à
Singapour est de 3 103 500 habitants, avec
un taux de croissance annuel stabilisé ces
huit dernières années de 1,9 à 2 % l’an, soit
un doublement de la population tous les
25 ans. Ce rythme soutenu de croissance de
la population résidente reste inférieur à celui
de la population totale de Singapour qui
grimpe à 3 736 700 ressortissants pour
1997 avec un taux de croissance de 3,5 %1.
Le logement d’une telle masse de population
doit obligatoirement faire l’objet d’une planification rigoureuse.
Comme le démontre bien Paul P.L.
Cheung2, Singapour réfléchit depuis longtemps au problème. Si la question d’un surdéveloppement de la population a toujours
été une préoccupation, la question d’un sousdéveloppement apparaît tout aussi grave de
conséquences. La gestion de la population de
Singapour doit à la fois répondre aux
contraintes économiques et environnementales. En 1966, est créé un centre de planification familiale. Vingt ans après, le taux de
natalité chute de 70 %, le taux de fertilité
passant de 4,5 à 1,4 en 1986.
Deux conséquences sont à prendre en
compte : la première, un taux de fertilité
décroissant constamment avec une économie en croissance constante a permis de
multiplier par 28 le revenu par habitant,
pour atteindre en 1990 les 17 800 US$. La
deuxième est le manque de main-d’œuvre
pour répondre au développement de cette
économie, de là l’appel à de la main d’œuvre
étrangère. Le taux de fertilité largement
inférieur au seuil de renouvellement des
générations et la menace d’un survieillissement de la population avec ses conséquences sur la créativité économique, ont
entraîné une révision de la politique de
1. Source : Monthly Digest of Statistics, Singapore, March 1998, Department of statistics,
Singapore, 1998, 98 p., p. 3.
2. Ooi Giok Ling (ed), op. cit., Planning within limits : population policy and sustainable population growth, p. 100-108.
Grafigéo 2000-10
51
Transformations environnementales dans le monde malais
natalité en 1987. En 1994, le taux de fertilité était remonté à 1,8.
Deux orientations nouvelles sont débattues au sein de la planification familiale :
une population de 5 millions serait souhaitable, pour atteindre une masse critique
nécessaire à la créativité, au renouvellement
des bases économiques, surtout en raison du
développement des activités outre-mer. Pour
d’autres, le but des 5 millions est irréaliste :
la pression environnementale serait trop
forte et la qualité de vie s’en trouverait
dégradée (comme à Hongkong). La stabilisation du taux de fertilité autour de 1,8 permet d’envisager sur le long terme une structure en obus quasi-parfaite de la pyramide
des âges. Le recours à une population étrangère doit se faire en pratiquant le drainage
des cerveaux, donc des compétences.
Le logement de toute cette population et
l’activité à lui donner font que l’île est
aujourd’hui urbanisée à 50 %. Ces bâtiments ne sont pas tous d'une élégance rare
car la pauvreté de l'île à ses débuts et les
bâtiments anciens, insalubres qui abritaient
l'essentiel de la population au moment de
l'Indépendance, ont poussé à la construction
rapide de grands ensembles HLM et à la destruction des quartiers les plus vétustes de la
ville. La population pouvait désormais vivre
et travailler dans des conditions décentes à
défaut d'agréables.
Le Concept Plan et sa vision des
interactions hommes-environne ment
Cette planification de la population qui a
permis l'assimilation d'une telle quantité de
personnes et la présence de tant d'activités
est formulée dans le cadre des Concept
Plans, à l'œuvre depuis la toute fin des
années soixante. Le premier a été établi
entre 1967 et 1971 avec l’appui de consultants du Programme de Développement des
Nations Unies3.
Les interactions hommes-environnement
ont été tout de suite incluses dans les programmes. On a pensé la relation de manière
systémique, conformément au principe de
l'écologie scientifique : chaque être vivant
établit toute une série de liens avec son environnement. Ces liens permettent au sujet
d'être informé des résultats de son action sur
son milieu de vie. La mauvaise qualité du
logement et le manque d'infrastructures de
retraitement des effluents créaient une pollution importante. Le Concept Plan a prévu
sur le moyen-long terme (30 ans) un équilibre entre la population et les nécessaires
infrastructures qui permettrait de vivre correctement. L'environnement a tout de suite
été pris dans sa globalité, et bien centré sur
les besoins humains.
La première étape fut la séparation des
fonctions de la ville, en particulier des fonctions de fabrication, commerce et logement.
La structuration de la ville fut complètement repensée avec la construction de
grands axes de transports privés et publics.
Cette mesure a permis le relogement d'une
bonne part de la population et de ses activités dans des conditions sanitaires qui correspondaient à des standards internationaux de
qualité. La coopération entre les différentes
agences gouvernementales permit aussi de
régler les problèmes qui se posent au niveau
de l'interface homme-environnement et
d'éviter des catastrophes. Les activités
humaines ont ainsi été concentrées, le logement repensé et la circulation améliorée.
L’archipel de Singapour voit sa superficie
s’agrandir chaque année4 : la poldérisation
est indispensable pour développer les activités d’échanges industrialo-portuaires.
Presque tout le pourtour de l’île principale et
des îles les plus proches, en dehors de
quelques périmètres protégés, est activement poldérisé (carte 3) de sorte que de
nombreux îlots sont réunis ou le seront dans
les prochaines années. Les roches nécessaires sont extraites soit de l’intérieur de l’île,
3. On se réfèrera à l'excellente compilation Ooi Giok Ling (ed). City and the State, Singapore's
built environment revisited. Sur le Concept Plan, plus spécifiquement : Liu Thai Ker,
« Towards a Tropical City of Excellence », p. 31-43.
52
Grafigéo 2000-10
Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ?
à partir des résidus de construction ou des
carrières, soit par dragage des fonds marins
autour de l’île.
De nos jours, la planification des développements de la ville s'attache à prévoir la
déconcentration des masses de population
dans de nouveaux noyaux urbains. Les
espaces verts n’ont pas été délaissés. On préserva sérieusement les dernières poches de
verdure naturelle qui subsistaient dans
quelques secteurs de l'île, comme autour des
réservoirs et au niveau de Bukit Timah, le
point culminant de Singapour. Depuis 1968,
le but du gouvernement est d’obtenir « Une
ville verte et propre ». Toutes les mesures
vont dans ce sens, que ce soit les plantations
massives d’arbres, ou surtout l’arsenal législatif relatif à ces problèmes de pollution et de
protection de la nature sur l’île. L’objectif
« Green City » doit être atteint aux alentours
de l’an 2000.
Le problème de l'eau douce qui n'est pas
disponible en quantité suffisante sur l'île
nous l'a déjà fait comprendre : toutes les
activités humaines ne doivent pas dégrader
les qualités minimales de l'air et de l'eau,
indispensables à la vie. Une législation particulièrement contraignante s'est construite
afin que le citoyen s'implique personnellement dans le bon déroulement du plan.
Singapour est une ville moderne, fruit de
nombreuses réflexions. Elle s'est développée
sur des bases assainies, et surtout réfléchies
dans un sens qui à la fois intègre les réalités
du présent et prépare aux impératifs du
futur. Afin de créer un élan citoyen et de
prévenir les dérives fatales à l'essor et à la
survie de Singapour, la législation « corsète »
la vie quotidienne des habitants de manière
parfois vétilleuse. Le succès a été à ce prix.
UN
CADRE LÉGAL CONTRAIGNANT,
À LA POINTE DES MESURES DE
PROTECTION
L'homme reste au centre des préoccupations des législateurs qui pensent la ville.
Elle doit offrir sécurité, agrément et travail
pour éviter une fatale hémorragie de ressources humaines. L’éducation civique passe
Grafigéo 2000-10
par l'apprentissage de règles communes qui
ne sont pas là pour réduire les libertés, mais
au contraire garantir un cadre de vie propre
et sécurisant. Les dispositions législatives
tentent de faire la synthèse entre une forte
répression et une planification d'espaces de
détente dans lesquels les personnes peuvent
se ressourcer et se sentir chez elles.
Une cohabitation entre les fonc tions urbaines malaisée mais
précisément orchestrée
Figure 1 - Planification des projets industriels
et de logement à Singapour
Projet de construction
ou de réhabilitation
Ministère
de l'environnement
Contrôle de bâtiments par
le Building Control Division
inclus dans la Public Works Departement
Central Building Planning Unit
(Ministère de l'Environnement)
Construction
Acceptation
Vérification
Refus
BCD donne le Temporary
Occupation Permit (TOP)
ou le Certificate of Statutory Compeltion (CSC)
Source : d’après Jo Hui, dans Ooi Giok-Ling, 1996.
Singapour est trop petit pour laisser de
larges espaces-tampons entre les différentes
activités. Afin de maintenir un bon niveau
environnemental, une coopération étroite
entre les urbanistes et le Ministère de
l’Environnement permet de réaliser des
études d’impact préparatoires et d’inclure
dans les projets des mesures préventives à la
pollution (figure 1). Le schéma montre que
le Ministère de l’Environnement a un rôle
important de coordination entre les services
des différents ministères qui sont concernés
par le développement de la ville. Il agit dès
l’amont, et procède ensuite aux vérifications
d’usage une fois le projet lancé dans sa réa53
Transformations environnementales dans le monde malais
lisation. Nous pouvons voir ainsi comment
un Etat procède de manière « pro-active »
pour l’environnement.
L’importance des activités industrielles a
provoqué des pollutions. Singapour a dû
réagir rapidement et sévèrement pour maintenir une qualité de vie décente. L’industrialisation et la pollution aérienne ont
connu un pic dans les années soixante-dix.
C’est alors que le gouvernement a pris en
compte avec une détermination accrue les
problèmes environnementaux.
« Les circonstances particulières de Singapour [petitesse, densité de population et
industrialisation] l’ont forcée à pratiquer le
« développement durable » bien avant que
cela ne soit considéré comme important et ne
soit mis en œuvre dans de nombreux pays du
monde. »5
On créa en 1970 une Unité Antipollution
sous la responsabilité directe du Premier
ministre, chargée de la surveillance de la
qualité de l’air. La constitution d’un
Ministère de l’Environnement suivit en
1972, pour surveiller la qualité des eaux, la
santé publique et les services sanitaires…
Les deux services ont été réunis en 1983
pour plus d’efficacité. Le but du Ministère
est de maintenir un standard d’environnement à un niveau qui garantisse le bien-être
de la population. On emploiera toutes les
technologies préventives disponibles en
tenant compte des coûts et de la mise en
pratique, à court, moyen et long terme. La
planification et le contrôle préventif sont
assortis de tout un arsenal de punitions qui
ne laisse aucune latitude aux pollueurs et
doivent permettre une mise en œuvre des
politiques : en cas d’infraction, la peine est
très lourde. Singapour se donne les moyens
de contrôler l’efficacité de ses politiques à
travers le réseau de points de contrôle.
Grâce à une surveillance quotidienne et à
des encouragements à la délation des pollueurs, Singapour a conservé des indicateurs
environnementaux nettement au-dessus des
recommandations internationales pour la
qualité de l’air et des eaux. Le rapport annuel du Ministère de l’Environnement6
donne en comparaison avec ses statistiques
les données et objectifs des organisations
américaines et de l’OMS : le dioxyde de soufre, par exemple, se situe à des taux oscillant
entre 20 et 35 microgrammes/m3 en moyenne annuelle, alors que les recommandations
de la United States Environmental Protection Agency (USEPA) donnent 80 µg. Les
taux de dioxyde d’azote tournent autour de
30-40 µg en moyenne annuelle (en augmentation ces dernières années), alors que les
recommandations de l’USEPA sont de 100
µg/ m3 et les objectifs à long terme de l’OMS
sont de 188-320 µg/m3. Plus symbolique
encore est le taux de plomb en suspension
dans l’air : les recommandations de l’USEPA
donnent un taux moyen annuel de 1,5
µg/m3, et les taux de Singapour sont en
décroissance constante et pour 1997 sont
systématiquement inférieurs à …0,1 µg/m3 !
Ces chiffres ne doivent pas pour autant
cacher les autres : ces incontestables réussites
sont contrebalancées par une augmentation
constante du nombre des jours de pollution
aérienne. Il est notable que les plaintes dans
ce domaine suivent une courbe parallèle à
celle de l’accroissement de l’activité industrielle, mais elles sont aussi le fait de la prise
de conscience croissante par la population
des problèmes à la suite d’une politique active d’éducation des masses : émissions télévisuelles, pédagogie dans les classes, Clean and
Green Week…et répression par des amendes
très fortes : prison et amendes supérieures à
S$ 50 0007 sont régulièrement appliquées.
Toutes les fumées industrielles doivent
être contrôlées et soumises à des instruments
de surveillance. Toute combustion à l’air
libre est interdite afin de réguler le taux de
particules en suspension dans l’air. Les
réglementations concernant les véhicules
sont calquées sur des standards internationaux comme ceux des Etats-Unis, de la
Communauté Européenne ou de l’OMS. Son
5. Ibid., p.13.
6. Annual Report '97, Ministry of Environment.
7. A l'automne 1998, le S$ valait 3,55 francs français, soit un peu plus de 0,5 Euros. On compte actuellement (printemps 1999) 4 francs pour un dollar de Singapour.
54
Grafigéo 2000-10
Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ?
acceptation des grands accords internationaux rend la législation chaque jour plus
stricte surtout quand il faut respecter les
objectifs fixés (comme celui de stabiliser aux
alentours de l’an 2000 les émissions de CO2
à la valeur de 1991). Afin d’encourager
l’utilisation des transports en commun, la
simple immatriculation d’un véhicule à
Singapour coûte environ S$ 50 000, et
toutes les mesures obligatoires de réduction
des effluves polluantes sont régulièrement
mises à jour : essence sans plomb, pots catalytiques, et autres moteurs « propres » sont
imposés.
Enfin, tout stockage de substances dangereuses est très strictement contrôlé. Il est
interdit de les installer près des zones résidentielles, et il est imposé aux industriels
d’avoir tous les éléments de protection, de
recyclage et de confinement lors de leur utilisation ou de leur transport, lequel est soumis à autorisation. La surveillance est
annuelle voire mensuelle pour les industries
les plus polluantes. Les contrôles se font à
l’improviste.
« Depuis septembre 1986, le Pollution Control
Department a introduit un Plan d’Audit de
Sécurité pour les installations dangereuses de
manière à pousser les industries à identifier et
à rectifier systématiquement les faiblesses de
leurs systèmes de gestion et les pratiques de
transport des substances chimiques dangereuses. Pour commencer, 47 installations ont
dû procéder à un audit annuel sur leur gestion
des produits chimiques dangereux et soumettre leur rapport [au] Ministère. Les industries peuvent soit mener leur propre étude
d’audit en interne, soit engager des consultants accrédités pour le faire à leur place. »8
Une petite Suisse asiatique
La propreté est une des pierres angulaires du système. La ville a réussi son développement grâce aux mesures d'amélioration de l'hygiène, faisant mentir les
traditionnelles associations entre ville de climat chaud et insalubrité. En témoignent les
systèmes de collection des effluents, des
déchets, l'amélioration sanitaire générale
obtenue par un assainissement systématique
de tous les nids à microbes et surtout à
moustiques. Dengue et malaria sont des
maladies devenues très épisodiques à Singapour alors qu'elles sont encore endémiques
dans toutes les villes voisines.
Particuliers comme industriels sont tenus
de se munir de tous les moyens de récupération et de collecte des déchets solides car la
collectivité ne prend en charge qu’une partie de cette activité (pollueur = payeur). Le
rapport annuel du Ministère de l’Environnement affiche clairement les objectifs : il s’agit
de stabiliser puis réduire la masse de déchets
produits par les activités et la vie quotidienne du pays. Le stockage n’est possible que
dans des limites étroites imposées par la
petitesse du territoire, les décharges sont
désormais construites offshore, respectant
les normes environnementales les plus
strictes et dans un souci de pédagogie, des
coupes explicatives illustrent les rapports.
Les rues sont généralement propres car il
est interdit de déposer ses déchets dans la
rue sauf un peu avant le passage des bennes
à ordures. Tout comme il est interdit de jeter
quoi que ce soit en dehors des nombreuses
poubelles qui jalonnent les rues. Chewing
gum et autres produits semblables ont
même été un temps interdits. Les amendes
pour dégradation de bien public sont suffisamment dissuasives. Toutefois, après le
passage de personnes étrangères à un complexe immobilier, des conflits de voisinage
peuvent naître à propos de la responsabilité
du nettoyage des détritus sur les accès
publics dépendant de la communauté.
Dénonciations, surveillance et volonté de
garder son ensemble propre méritent à la
ville son surnom de Fine State. De nos jours,
il arrive cependant d'apercevoir des papiers
qui traînent en dehors des bacs, négligence
surprenante pour ceux qui ont visité Singapour quelques années auparavant.
La qualité de l’eau fait l’objet des mêmes
attentions puisque c’est une ressource stra-
8. Fong Chee Leong, Environmental Pollution control Legislation in Singapore. In
Environmental Strategies for the 21st Century, an Asia-Pacific Conference, p.38.
Grafigéo 2000-10
55
Transformations environnementales dans le monde malais
tégique pour l’île. Depuis 1972, un vaste
programme de collecte des eaux usées et de
retraitement des déchets permet de conserver la potabilité, mais aussi l’usage récréatif
de tous les cours d’eaux et des eaux côtières :
en 1996, 97 % des eaux usées étaient collectées par le réseau d’égouts et traités par six
grandes usines. Les 3 % restants ont leur
propre système de traitement des effluents
(fosses septiques, bassins de rétention et
pompages réguliers,…). Différentes mesures
ont été prises pour assainir les égouts et les
effluents urbains domestiques. Singapour
est peut-être la seule ville de la région dont
le réseau de collecte des eaux usées et le
retraitement des déchets couvre plus de
90 % de la population.
Une des grandes fiertés du Ministère est
d’avoir réussi à nettoyer entièrement la
Singapore River, égout à ciel ouvert à la fin
des années soixante-dix, cours d’eau propre
désormais, réaménagé pour les activités touristiques, dans lequel la faune se réinstalle
moins de dix ans après.
Le cadre de vie urbain bénéficie d’une
qualité sanitaire extraordinaire par rapport
à la plupart des villes d'Asie. Une nouvelle
étape du développement urbain se propose
d’intégrer davantage la nature dans la vie
quotidienne des citoyens. Les éléments
naturels eux-mêmes sont agencés par les
autorités gouvernementales et entrent dans
le concept de ville nouvelle.
UN
CADRE NATUREL PHAGOCYTÉ
PAR LA VILLE
La végétation et la biodiversité étaient
autrefois importantes, mais l’extension des
activités humaines dans une superficie aussi
limitée réduit considérablement les espaces
naturels : la moitié du territoire est recouverte par des infrastructures urbaines. Dès
les années 1880, l'île avait été défrichée à
82 %. Les études menées prouvent qu’un
tiers des espèces animales ou végétales qui
habitaient l’île de Singapour ont aujourd'hui
disparu, et un autre tiers est menacé de disparition. Des réserves ont été créées dès
1908, et aujourd’hui 5 % de la superficie
56
sont couverts par les différents types de
réserves créées à Singapour. Les règles les
plus strictes de protection sont prises dans
les parcs et réserves naturels. Quelle place
accorde-t-on à la Nature dans un environnement qui s'artificialise chaque jour un peu
plus ?
Une nature originelle en voie de
disparition
Seules quelques traces de la dense forêt
d'autrefois subsistent. Tous les types de
végétation n'ont pas été affectés de la même
manière par le développement de la ville.
L'artificialisation est progressive et inévitable car la taille de lambeaux de nature ne
permet plus l'auto-réparation ni le maintien
d'une biodiversité identique à celle de la
forêt des origines.
La protection de la nature est régie par le
National Parks Act et les NP Regulations de
1990. Seuls deux Parcs nationaux existent :
Botanic Gardens et Fort Canning. Quelques
Nature Reserves protègent l’essentiel de la
végétation climacique comme à Bukit
Timah et dans la Central Catchment Area.
Tous les animaux et parties de ces animaux,
toutes les plantes et parties de ces plantes,
sont totalement protégés. Dans les Aires de
captage, la réglementation spécifique est
aussi catégorique sur la protection des animaux, mais les pénalités sont moindres,
faute d’une législation appropriée. La législation est plus souple dans les autres types de
parcs, bien qu’elle interdise l’atteinte à l’intégrité des animaux ou de leurs petits. Pour
le reste de l’Ile, le Wild Animals and Birds
Act interdit la chasse ou la capture sans permis, sauf pour les corneilles, les étourneaux
brillants des Philippines, les pigeons, les
étourneaux à dos pourpre, les mynah communs ou à gorge blanche.
La protection offerte sur terre est mieux
appliquée et mieux encadrée que la protection de la biodiversité marine. Singapour a
eu une politique efficiente de résorption des
polluants rejetés par la ville dans les eaux.
Elle peut se targuer d'avoir des côtes chimiquement et organiquement propres en dépit
d'un important trafic maritime. Malgré cette
Grafigéo 2000-10
Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ?
réussite, Singapour n'est pas arrivé à protéger ses écosystèmes amphibies ou totalement marins qui sont en régression rapide et
nette.
La pollution maritime fait donc aussi
l’objet d’une attention particulière, en raison
de la fréquentation extraordinaire du détroit
de Malacca, du développement rapide des
activités de loisir et de tourisme en liaison
avec la mer, ainsi que de l’aquaculture.
Fondée sur les législations australiennes et
anglaises, la législation pour la protection de
la mer met en œuvre la Convention MARPOL
1973-1978. Des amendes allant jusqu’à
500 000 S$ peuvent être requises. La protection de la biodiversité marine est assurée
par les réglementations du Fisheries Act.
Malheureusement, mis à part les conditions
imposées pour la pêche, aucune législation
spécifique ne protège la faune marine. Par
exemple, Singapour possède dans ses eaux
territoriales 66 récifs coralliens en plein passage des bateaux. Ces récifs sont très menacés par la récolte des coraux (tourisme et
aquariophilie), par les pollutions diverses,
ou par l’envasement rapide consécutif à la
poldérisation. Cette portion de nature originelle est la plus faiblement protégée car le
milieu marin propage très rapidement la
pollution (comme lors de la marée noire du
15-10-1997 due à la collision de deux
pétroliers dans la fumée). Le cadre législatif
n’est pas contraignant à l’excès afin de ne
pas détourner le trafic maritime vers les villes concurrentes. Toutefois l'application de
la loi quand les infractions sont avérées est
tout aussi sévère que sur terre.
Mieux lotis sont les habitats amphibies.
Les mangroves qui autrefois ceignaient complètement les îles de l’archipel, ont presque
toutes disparu à cause de la poldérisation,
des aménagements portuaires ou urbains, de
l’importante teneur en sédiments des eaux
côtières, ou encore des bassins aquacoles. La
carte de Singapour (carte 3) montre bien la
diminution des superficies en mangroves.
Toutefois, des opérations de reconstitution
ou de restauration des forêts ont des résultats
tout à fait probants. A Sungei Buloh, on
peut rencontrer encore toutes sortes d’animaux et de plantes, les crabes montent sur
Grafigéo 2000-10
les palétuviers, les varans chassent les petits
animaux sans crainte de l’homme. C’est
aussi une aire de repos sur les chemins
migratoires des oiseaux de la région. On peut
les observer d'assez près, derrière des paravents ou depuis l'intérieur de cabanes. Ce
parc est un des plus récents ouverts au
public. Il est né de la restauration en mangroves de bassins aquacoles entourés d’une
parcelle restée naturelle. Il faut donc pour
que cet écosystème subsiste dans l'île, que
l'homme intervienne profondément et prépare le terrain de manière à réunir les conditions nécessaires à son maintien. La canalisation des eaux de marée et des eaux douces
qui alternent selon l'heure du jour font de cet
endroit comme il en est d'autres autour de
l'île, un espace artificiel, paysagé comme un
jardin.
La Garden City, héritage anglais
ou nécessité ?
Le jardin à l'anglaise, mélange harmonieux de végétaux qu'on laisse croître
« naturellement », est un concept romantique, réplique opposée aux jardins dits « à
la française » dans le dernier quart du XVIIIe
siècle. La création de jardins botaniques, à la
même époque, offrit la possibilité de joindre
l'utile à l'agréable. La science botanique
explosait avec les grands voyages scientifiques et trouvait dans ces jardins un lieu
pour déposer le fruit de ses récoltes. Les
sociétés savantes pouvaient s'en servir ensuite comme de vitrines pour financer d'autres
équipées et susciter un intérêt croissant pour
leurs recherches. Le citadin trouvait des buts
de promenades, à la fois instructives, récréatives et hygiéniques : la ville enfumée,
empoussiérée par les industries n'était pas
saine ni pour le patron, ni pour l'ouvrier.
Tous trouvaient ainsi dans ces jardins spécialisés et dans les parcs une possibilité de
s'extraire de leur quotidien et de se ressourcer un peu. L'art du jardinier profitait donc
à toutes les catégories de population.
Ces jardins botaniques revêtaient une
importance toute particulière dans l'acclimatation de nouvelles espèces au sein des
colonies et des comptoirs, afin d'améliorer
57
Transformations environnementales dans le monde malais
« les déficiences des espèces locales », d'améliorer les qualités paysagères et afin de générer un maximum de profits. Certaines
espèces de haute valeur commerciale, dont
l'Europe faisait un grand cas, ont passé les
premières les portes de ces jardins : souvenons-nous de Pierre Poivre qui dans son
Jardin des Pamplemousses, fit transiter la
précieuse noix de muscade et l'inestimable
clou de girofle à la fin du XVIIIe siècle. Au
XIXe siècle, ce fut plus particulièrement l'hévéa, « volé » au Brésil, qui fit la richesse de
la Malaisie. Mais de nombreuses autres
espèces ont transité par ces jardins, comme
le cacaoyer, le palmier-à-huile, les différentes
espèces de plantes à fleur africaines, américaines comme l'hibiscus, l'arbre du
Voyageur,… Ainsi le Jardin Botanique de
Singapour trouve-t-il une ancienne légitimité dans les plans de construction de la ville.
Au début des années soixante, priorité
était donnée à la « débidonvillisation », et au
relogement dans de grands ensembles.
Désormais, l’importante activité touristique
jointe à la nécessité de fixer de la population,
a fait prendre toutes les mesures utiles pour
que la ville devienne la plus agréable possible. On veut en faire une Garden City, et
c’est ainsi qu’on l’appelle depuis le début des
années soixante-dix. Le ministre de la Santé
déclarait en 1968 :
« L’amélioration de la qualité de notre environnement urbain et la transformation de
Singapour en une cité-jardin – une ville
propre et verte – est l’objectif déclaré du gouvernement. »9
Il faut introduire dans la jungle urbaine
cimentée une nature exubérante dans
laquelle la population peut venir se ressourcer (idée tirée des concepts hygiénistes du
XIXe siècle). Le concept n’a réellement été
mis en valeur au sein du Service des Parcs
Nationaux que dans les années quatre-vingt
avec le Singapore Green Plan. Fleurs, arbres
fruitiers, sculptures, promenades plantées
relient tous les espaces verts et les parcs
nationaux (ou non). En vingt ans, les dépenses dans ce domaine ont quadruplé, passant
de 13,5 millions de S$ en 1975, à plus de
53 millions en 1993. Un standard de 0,8 ha
de parc par millier d’habitant est adopté.
La qualité des plantations se remarque
dès la sortie de l'aéroport. Tous les axes de
circulation, particulièrement les nouveaux,
sont prévus pour accueillir des arbres qui
donneront de l'ombre et diminueront la chaleur emmagasinée par le béton et le goudron
mais aussi cacheront les bâtiments les plus
hauts, les infrastructures les plus laides
comme les passerelles piétonnières ou les
lampadaires. Des fleurs de toutes parts
investissent les points de lumière que l'on ne
peut ou ne veut ombrager. L'ensemble du
réseau de parcs reliés par des couloirs de
verdure séparés des autres axes de transport,
ou encore ce jeu d'écrans végétaux contre la
hauteur ou la massivité du bâti, contribuent
à améliorer la sensation d'espace libre dans
une île qui en manque tant.
Le Green Plan prévoit des activités éducatives de toute sorte, pour créer une
Environmentally Pro-Active Society10. Il se
charge de diffuser l’information sur toutes
les pollutions et les moyens d’y remédier lors
d’interventions dans les écoles ou des semaines « vertes et propres » qui mettent aussi
l’accent sur les autres formes de pollution
dans un milieu urbain : le contrôle de la pollution sonore s’intègre alors naturellement
dans les priorités du gouvernement. Les
limites sont applicables aux bruits de toutes
origines, privées ou publiques. Le verdissement et le fleurissement de la ville participent dans le même temps à la réduction des
nuisances sonores : les bruits sont cassés par
les frondes des arbres, se réfléchissent moins
bien sur les murs de béton recouverts par les
plantes grimpantes. L'ambiance se feutre un
peu et diminue l'oppression visuelle et sonore d'une ville de trois millions d'habitants.
L'ensemble des jardins qui composent la
ville remplit deux fonctions majeures : l'embellissement et l'assainissement. La protec-
9. Allocution citée par Lee Sing Kong, The concept of Garden City in Ooi Giok Ling (ed), op.
cit., 1996, p. 130.
10. Singapore Green Plan : Action Programmes 1993.
58
Grafigéo 2000-10
Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ?
tion des fragments originels qui subsistent
passe au deuxième plan : au besoin des
espèces étrangères à croissance rapide et aux
exigences moindres sont importées. En cela,
la politique de Ville-Jardin se conforme aux
objectifs de mission du Parks and Recreation Department en charge de l'entretien des
espaces verts :
Développer et garder Singapour comme une
belle Ville-Jardin tropicale, remplie de couleurs, de plantes vertes brillantes et bien
équipée en parcs botaniques, naturels et de
récréation, de sorte que [l'ensemble] remplisse les besoins sociaux et récréatifs de notre
population.11
Le cadre naturel originel a peu de
chances de survie dans les décennies à venir,
face aux défis nouveaux du maintien de la
prospérité de Singapour. L'environnement
quotidien de la population n'est plus sylvestre, ni agricole, c'est la ville en tant
qu'objet physique mais aussi symbolique.
L'assainissement de la ville s'est traduit par
une politique de relogement des habitants et
de réorganisation de la ville, comme Paris
du temps de Haussmann. Une ville aussi
récente que Singapour, qui mêle autant de
populations d'origines différentes, peut
dérouter les citoyens à la recherche d’une
identité même si la communauté chinoise
constitue l'essentiel de la population. Quels
peuvent être les supports de l'attachement
de ses habitants à la ville lorsqu'elle a été si
profondément remaniée, un siècle à peine
après sa création, tout en intégrant la
dimension touristique qui est une des bases
de l'économie locale ?
UNE
RÉINVENTION DE LA NOTION
DE PATRIMOINE URBAIN
Le remaniement profond de la structure
urbaine, la modernité des formes architecturales ont transformé la relation affective
avec les divers éléments du paysage urbain.
Cet attachement spécifique qui allie beauté
et raison crée un patrimoine sans passé historique là où à l'origine on ne pensait qu'en
termes d'efficacité, praticité, d'« excellence ». Cette réaction d’ordre esthétique que
certains qualifieraient d'irrationnelle repose
parfois il est vrai de manière paradoxale sur
des éléments qui ne sont pas nécessairement
les plus indiqués mais ils sont devenus symboliques d'un moment historique, d'un art
de vivre exemplaire, d'une tradition déjà.
L’afflux touristique fonde une grande partie
de son attrait sur ces éléments.
Une ville touristique sans
monuments ?
Comme le tourisme est devenu une source importante de revenus, on s’est rapidement rendu compte que l’efficace architecture stalinienne des HLM n’était pas la
meilleure façon d’attirer le touriste : ce qui
plaisait le plus, c’était le « style colonial »
parfaitement exemplifié par les shophouses
ou le Raffles Palace, mélange du luxe oriental et anglais, qui réunit dans un exotisme
original ce que les deux civilisations ont de
plus raffiné.
La construction de HLM a répondu à une
impérieuse nécessité, comme dans la France
de l’après-guerre et de la décolonisation. Il
fallait construire pour reloger toutes les personnes qui vivaient dans des bâtiments délabrés, insalubres, véritables bouillons de culture, source de malaria, de fièvre de la
Dengue, de tuberculose et d'autres maladies
graves. Place nette fut faite un peu partout.
On rasa les kampung typiques malais, les
vieilles shophouses chinoises et autres
bidonvilles salissants. On élimina les si pittoresques marchés de rue, surchargés de
foodstalls débordant de nourritures et
d’odeurs pénétrantes. L’assainissement était
à ce prix. Singapour, sans perdre tout à fait
son âme, a relogé sa population dans des
logements nouveaux et des infrastructures
commerciales adaptées (photo 3). De sorte
qu’aujourd’hui encore, 90 % de la population ou presque vivent dans les logements
11. Parks and Recreation department, Singapour, cité dans Ooi Giok Ling, Environment and
the City,… p. 131.
Grafigéo 2000-10
59
Transformations environnementales dans le monde malais
publics. La politique de ségrégation raciale
des premiers temps de la colonisation a été
timidement remise en question. On reste
encore autant que possible entre Chinois,
entre Indiens, et entre Malais. Les Européens s’installant dans les interstices, surtout
dans les zones résidentielles riches à l’urbanisme fort agréable.
Quelques bâtiments autrefois dépassaient
les autres, c’étaient principalement les
pagodes, les temples et les églises, dont CHIJMES (l’abréviation désignant la cathédrale
catholique) était le phare. Désormais, avec le
développement des gratte-ciel, le paysage a
complètement changé. La taille des immeubles a dû être limitée pour ne pas gêner les
avions en phase d’approche ! D’une ville
relativement plate, peu organisée et « traditionnelle » selon les critères du sud-est asiatique, on est rapidement passé à une zonation très planifiée, qui fait la place à des
constructions de luxe, d’agrément, symbolisant par leur hauteur la réussite économique
et sociale du pays. Mais ce n’étaient pas
encore de vrais monuments, il n’y avait pas
réellement de vue architecturale définie de
l’ensemble de la ville qui permît un réinvestissement patrimonial.
Singapour doit être la meilleure dans
tous les domaines. On développe à nouveau
certains centres urbains, on décentralise les
activités, on crée des lieux monumentaux
pour accueillir le flâneur local et attirer le
touriste. Marina Bay, l’ancien port de commerce, et Clark Quay sont devenus les
phares du renouveau monumental de la
ville : on restaure, on élève des gratte-ciel
qui correspondent à des critères précis et ne
sont plus uniquement faits de bureaux.
Aussi les parcs récréatifs et paysagers prennent-ils toute leur importance en tant que
poumon vivant dans l'univers minéral. Des
statues sont élevées, avec un goût que l’on
peut discuter, comme en témoigne le monstrueux (ne serait-ce que par la taille)
Merlion, effigie emblématique de Singapour
totalement inventée qui trône dans Marina
Bay … et dans tous les dépliants touris-
tiques! Des centres de loisirs sont créés,
comme Sentosa Island que l’on pourrait surnommer l’île des plaisirs. Mais aussi le Parc
d’attraction chinois, racontant l’histoire
mythique de la Chine.
Plus symbolique et originale est la volonté de faire de la ville entière un monument
dédié au végétal : le Green Plan relève aussi
de cette conception monumentaliste de la
ville. On ne sait pas si c'est la ville qui met en
valeur le végétal ou si c'est le végétal qui met
la ville en valeur. Il faut créer des éléments
qui vont être la vitrine du pouvoir et de sa
réussite. Il faut que ces gestes architecturaux
correspondent à l’idéologie nouvelle qui
anime Singapour depuis son indépendance.
Le choix de la statuaire n'est pas plus anodin
qu'ailleurs. Si on fait appel à des artistes
locaux et internationaux pour les emplacements choisis avec soin, on attend aussi
que les statues
puissent servir à la diffusion de valeurs
morales dans la population. Les valeurs du
patriotisme, de la piété filiale et du dévouement peuvent être apprises à partir de telles
sculptures comme les héros de la Chine exposés à Marina City Park. D'autres sculptures
expriment aussi les aspirations de la jeune
nation et de la population de Singapour12.
Dans le même ordre d'idée, le Concept
Plan inclut le parc de logements publics.
Quinze milliards de dollars sont prévus en
investissements sur vingt ans pour en améliorer la qualité, ce qui permettrait de passer
de 20m2 par habitant à 35-40 m2. Cette
rénovation passe par la réfection des bâtiments, la pose de nouveaux habillages, mais
aussi nouvelles architectures, plus écologiques, et le fleurissement de l’ensemble.
L'utilisation d'arbres fruitiers est un
exemple intéressant de la volonté d'implication du citoyen dans la vie de la communauté. En effet, ces arbres sont plantés officiellement dans le but de montrer aux
enfants comment les végétaux poussent.
L'autre but, c'est d'établir des liens entre les
membres du secteur en charge de leur entretien, d'apprendre aux gens à respecter le tra-
12. Lee Sing Kong, Concept of the Garden City, dans Ooi giok Ling, Environment and the City,
p. 139.
60
Grafigéo 2000-10
Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ?
vail d'autrui, de savoir récolter les fruits au
moment venu (au propre comme au figuré).
Au citoyen de savoir faire prospérer les
moyens que le gouvernement met à sa disposition (photo 4).
La ville sera sociale, et verte, monument
complet pour un homme moderne, responsable, citoyen et respectueux de l’environnement. Elle mêlera la figure féminine végétale, nourricière, à la figure masculine de
l’ordre moral. On trouve l'application de ce
principe renouvelé dans les nouveaux logements collectifs privés qui se développent
rapidement. Le concept de Condominium
témoigne de l'augmentation générale du
niveau de vie, permet un désengagement de
l'État dans la construction de nouveaux édifices et instille une touche de luxe modulée
en fonction de la catégorie de population
que les promoteurs visent. Ils sont de plus
petite taille et répondent à tous les critères
du Concept Plan révisé. Il faut encore que
les gens se sentent réellement chez eux, et
non dans des « machines à habiter », si
luxueuses soient-elles.
Une nouvelle conception de
l’urbanisme : les lieux de mémoire
Si à l’étranger, les Singapouriens se
reconnaissent une identité commune, il n’en
va pas de même à l’intérieur de l’île : malgré
la prépondérance de la communauté chinoise (plus de 75 % de la population totale), la
communauté malaise et la communauté
indienne laissent une empreinte identitaire
relativement forte dans le tissu urbain. En
Juin 199713, l’estimation donnait pour une
population totale de 3,103 millions d’habitants, 2,394 millions de Chinois, 437 900
Malais, 230 600 Indiens et environ 41 000
autres résidents, toutes nationalités et
groupes ethniques confondus.
Entre les influences de Hongkong, de
Taiwan, de Chine, d’Inde, de Malaisie,
d’Indonésie et du monde occidental, brassées au sein d’une néo-culture de l’efficacité
et de la modernité, Singapour reste ouverte
à une foule d’idées et de traditions, propa-
gées instantanément par les nouveaux
médias. La ville est devenue un réel carrefour culturel où le sens identitaire se
construit progressivement. Quelle singaporanéité, si on peut dire, proposer pour fonder une identité commune dans laquelle
puissent se retrouver les différents habitants
de l’île et se différencier de ses autres voisins
asiatiques ?
Car la conception de l’espace, de son appropriation, est radicalement différente
d'une communauté à l'autre : le groupe chinois, imprégné de la tradition confucéenne
et des fortes densités d’origine, a un très haut
sens de la propriété et de l’ordre qui doit
régner en milieu urbain. L’organisation de la
société en communautés de quartier, associations et autres sociétés secrètes balise le
territoire public de repères d’appropriation,
de sorte que la sphère privée déborde sur ce
que nous autres occidentaux considérons
comme le domaine public. Chaque endroit
libre, même au sein d’une maison, fait l’objet d’un multiple compartimentage, un cloisonnement par tous les moyens. Cela permet
de faire un chez-soi un peu partout et facilite la vie en milieux très densément peuplés.
Cela était aussi la source des nombreux
maux qui affectaient Singapour jusqu'à son
indépendance puisque 56 % des familles
logeaient à l'époque dans une seule
chambre, et 7 % autres à plusieurs familles
dans le même espace.
La pratique est profondément ancrée
dans un inconscient culturel que les communautés chinoises véhiculent toujours. Le
cloisonnement se retrouve encore dans la
façon qu’ils ont de dresser un peu partout
des murs protecteurs qui répondent à de
nombreux critères de géomancie. Ainsi le
grand ensemble d’habitation est-il inconsciemment vécu comme un empilement de
compartiments privés :
« Le concept du Housing and Development
Board de « patios en l’air »(« courtyards in
the sky ») emmurés ou la récente tentative
d’enclore les espaces des quartiers de murs et
de créer des aires de jeux emmurées, évoque
des éléments de la culture commune du sty-
13. Source : Monthly Digest of Statistics, Singapore, March 1998.
Grafigéo 2000-10
61
Transformations environnementales dans le monde malais
liste singapourien. »14
Cette vision se trouve à l’opposé de la
perception malaise de l’espace urbain qui ne
considère pas ou peu le concept de propriété du sol. Le seul bien, selon la tradition
malaise d’itinérance agricole et commerciale
renforcée par la tradition islamique, c’est la
maison. Le sol est un bien commun dont
tout le monde peut jouir du moment qu’il ne
gêne pas les voisins et que l’on n’enfreint pas
les règles d’appropriation temporaire d’une
maison, d’une parcelle agricole ou d’un élément productif (arbres fruitiers par exemples). La rue est un no man’s land, dans le
sens où elle n’appartient à personne. Le seul
concept d’utilité prévaut dans les règles de
possession.
De manière très surprenante, ce sens de
« non-territorialisation » de l’espace public
semble s’être diffusé au sein de la culture
chinoise (à l’exception de quelques points
très précis, souvent disparus, datant de l’ère
coloniale). Maintenant que les politiques de
ségrégation raciale ont pris fin, une politique
de mélange des différentes communautés est
appliquée par le Housing Development
Board. Comment faire pour que la place
publique ne se transforme pas en arène de
combat, même si toutes les études prouvent
que chaque communauté ethnique est hautement hétérogène en son sein ?
Chaque communauté est à la fois intéressée par la vie de ses voisins tout en montrant aussi son identité culturelle à chaque
grande occasion. Une relative convivialité
commune commence à abattre les cloisons
identitaires. Par exemple, chaque grande
fête religieuse devient une occasion à la fois
d’inviter les voisins et de montrer son intégration dans une communauté. Mais ces festivités provoquent en même temps toute une
série de désagréments que l'ensemble des
voisins n’accepte pas toujours. Peut-on y
voir, dans une appropriation temporaire de
l’espace public, une forme de réactualisation
d’un lieu commun de vie ? On peut en douter, car cela se manifeste d'une manière trop
temporaire pour fonder une tradition unifiante. Pas plus qu’Orchard Road, la grande
artère commerçante et touristique ne peut
fédérer la totalité de la population par le
geste futile des achats. L’attachement à la
ville, à un espace balisé nous semble plus
passer par la réhabilitation des anciens
quartiers coloniaux, avec la restauration des
shophouses restantes, l’intégration de bâtiments récents plus conformes architecturalement à une certaine tradition.
Pendant un siècle, Singapour a vécu
dans des habitats spécifiques, autrefois hautement insalubres, mais auxquels les habitants ont fini par trouver leurs repères architecturaux, certains de leurs symboles
comme les temples des divers religions.
L’attachement aux formes du passé fonde la
culture de toutes les civilisations en contact.
Malgré l’hyper-modernisme qui a prévalu
jusqu’à présent, malgré les nécessités urbanistiques d’urgence, les maisons coloniales,
les Kampung de Geylang, les shophouses
semblent être des éléments fédérateurs.
L’espace public se trouve traversé par un
sentiment de permanence qui s’oppose à
l’anonymat culturel d’un immeuble neuf. Le
mélange des activités commerciales, de logement, de faible étagement, de valorisation
d’un apport culturel qui a participé à la fondation de Singapour semblent fonder
inconsciemment une identité propre à la
ville. La nécessité de préservation de ce
patrimoine culturel est un besoin profond
avant d’être une nécessité touristique : la
sociabilité y est améliorée par rapport aux
grands ensembles, les risques de conflits
inter-culturels amenuisés. Il se rapproche
plus du modèle inconscient général (photos
5 et 6). D'autres lieux d'identité vont progressivement apparaître, à mesure que les
jeunes générations trouveront la possibilité
de s'exprimer de manière plus libre. De nouveaux espaces culturels, de nouveaux symboles architecturaux qui traduiront la singaporanéité naîtront des futurs concepteurs de
la ville. Singapour retrouvera alors une
épaisseur historique qu'elle a pour partie
14. In Ooi, G.L. City and the State,…, Sharon Siddique, Culture and Identity in the public housing environment, p.138.
62
Grafigéo 2000-10
Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ?
perdue au moment de sa réfection.
Conclusion : Singapour,
un modèle de réflexion
et d’action environnementale
en milieu urbain ?
On peut ainsi voir dans Singapour une
nouvelle forme de développement urbain,
extrêmement réfléchie, comparatiste et éminemment ambitieuse dans ses buts. Elle
désire parvenir à une réussite urbanistique à
la fois sur le plan de la planification de la
population, et sur celui des aménagements à
réaliser. Un certain sentiment d’étouffement
subsiste cependant comme dans toutes les
grandes villes, que le gouvernement tente de
soulager en augmentant et en améliorant les
possibilités de récréation : espaces verts,
parcs d’attraction, distractions variées.
Parmi les Européens, beaucoup s’ennuient
dans cette sorte de grand Disneyland qui leur
paraît trop artificiel.
Pourtant, les réussites sont là en matière
environnementale : au niveau naturel, tout
est fait pour que l’environnement reste un
Grafigéo 2000-10
milieu de vie, pour tous, animaux, végétaux
et humains. La politique pro-active marque
un grand nombre de réussites mais au prix
de contraintes sévères. L’attention de l’État
porte désormais sur la qualité de la vie dans
la ville, sans renoncer pourtant au modèle
du développement. Les écologistes contestataires systématiques tels que nous les
connaissons en Europe ne peuvent tenir leur
discours dans cette ville. Singapour veut
devenir le modèle le plus réussi, en désirant
faire la preuve qu’il est possible de concilier
de fortes densités humaines et urbaines, et la
préservation d’un ensemble naturel de bonne qualité afin de permettre la vie la plus
agréable possible, selon les standards de
qualité les plus hauts. Le développement
durable est bien une possibilité qui trouve
un test en grandeur nature et sur la durée.
Malheureusement, l’exemple se semble
valable que pour les villes-État : les problèmes changent du tout au tout quand il
s’agit de gérer une population beaucoup
plus importante sur un territoire différencié
et vaste.
63
Transformations environnementales dans le monde malais
Deux étapes dans l’urbanisme de Singapour (photo 3).
Les logements collectifs publics construits jusque dans les années quatre-vingt contrastent fortement
avec l'habitat traditionnel du temps de la colonisation, préservé et restauré ces dernières années.
Centre-ville de Singapour, au Nord du Colonial Core – « cœur colonial ».
Des espaces utiles en centreville (photo 4).
Il est surprenant de trouver
au détour d'une rue dans le « cœur
colonial », près d'une artère fréquentée de la ville,
un petit champ au milieu des
immeubles : quelques papayers,
quelques bananiers et
plants de canne-à-sucre poussent
dans une confusion qui change
de la stricte organisation
des plans d'urbanisme.
64
Grafigéo 2000-10
Singapour, éco-ville raisonnable ou écotopie ?
Patrimoine ancien et
renouveau architectural
à Singapour (photo 5).
Les nouveaux immeubles,
en arrière-plan, tentent de s'intégrer plus harmonieusement
avec des shophouses
restaurées ou reconstruites
au premier plan.
Arbres et plantations de Clivia
Miniata participent au Green
Plan qui reverdit et fleurit
progressivement la ville.
Dans Little India au Nord du Colonial Core (photo 6).
Les shophouses sont encore largement habitées par l'importante communauté indienne de Singapour.
Le quartier, en cours de restauration, est une trace vivante de l'ancienne pratique de la ségrégation raciale
par le gouvernement colonial anglais. Le gouvernement actuel tente de remettre en cause cet héritage
en mélangeant les origines dans les nouveaux ensembles.
Grafigéo 2000-10
65
Brunei-Darussalam : une subtile transition
Chapitre 4 • Brunei-Darussalam :
une subtile transition
B
RUNEI est le moins peuplé des trois
pays étudiés. Il ne dépasse pas les
300 000 habitants1 et sa superficie
(5769 km2) le classe au niveau d’un gros
département français. Les revers de l’histoire ont réduit le Sultanat de Brunei à un tout
petit territoire, qui de surcroît est scindé en
deux par une avancée du Sarawak
(Limbang).
En effet, le Sultan a octroyé un titre de
noblesse à l’aventurier Brook qui l’avait aidé
à mater une révolte dans le Sarawak. Ainsi
est née au milieu du XIXe siècle la dynastie
de White Rajahs qui dura jusqu’en 1946.
Quant au Sabah, il avait été donné en
concession à une compagnie d’exploitation
basée à Shanghai. Du fait de difficultés économiques, la compagnie changea de statut
et devint compagnie à charte anglaise. Par
conséquent, au tournant du XIXe siècle,
l’administration anglaise s’occupa des deuxtiers du Nord de Bornéo. Brunei, privé du
contrôle sur la région, dut passer à son tour
sous la domination anglaise en 1906 avec
l’installation d’un Résident, après la conclusion d’un protectorat en 1888.
Ce n’est qu’au moment de l’indépendance de la Malaisie que Brunei s’est séparé de
l’ensemble malais pour former un Etat largement autonome mais qui n’a eu réellement
son indépendance officielle qu’en 1984.
Depuis, le Sultan gouverne de manière traditionnelle son pays, conformément aux us et
coutumes malais islamiques. L’essentiel des
richesses est tiré du pétrole, très tôt exploité :
les prospections ont commencé dès 1888, et
ont abouti au forage des premiers puits d’exploitation en 1929. La faible population qui
bénéficie des richesses énormes dégagées par
l’exploitation du minerai, n'a pas exercé une
pression réelle sur le territoire, pas même
agricole. Ainsi, le pays est-il resté à peu près
intact, et bénéficie de conditions environnementales très largement supérieures à celles
de tous ses voisins.
UN
ÉTAT MALAIS TRADITIONNEL
Un grand respect de la tradition subsiste
à Brunei. L'habitat, le costume, sont plus
restés en usage qu'ailleurs. Conformément à
1. En 1994, on comptait 283 500 personnes à Brunei et dont un peu moins de la moitié sont des
étrangers.
Grafigéo 2000-10
67
Transformations environnementales dans le monde malais
Carte 4 - Brunei Darussalam, National Park et aire de sylviculture commerciale
114˚50 E
115˚00 E
5˚00 N
Bandar Seri Begawan
Mer de Chine méridionale
Tutong
Bangar
Lumut
Seria
bu
Tu
to
Ulu Temburong
N. P.
Te m
Kuala Belait
ro
ng
ng
4˚30 N
ait
Bel
capitale
autre localité
cours d'eau
parc naturel
aire d'exploitation forestière
commerciale
Sarawak
(Malaisie)
0
30 km
Source : d’après J.I.C.A. Survey, vol. 2, p. 4.
la tradition islamique, le Sultan gouverne
seul avec son réseau familial et nobiliaire
depuis le renvoi en 1962 de l'assemblée élue
quelques mois plus tôt. Une guérilla déclenchée par le Parti communiste local mit un
terme rapide à l'expérience démocratique
dans le pays. Le Sultan est le garant des traditions, de la religion et du bon ordre. Les
possibilités offertes par la manne pétrolière
lui permettent ainsi de conserver une structure très traditionnelle au pays, à commencer par l'organisation en emporium.
Un emporium pétrolier
La capitale Bandar Seri Begawan, seule
véritable ville pendant des siècles, se situe à
l'embouchure de la Sungai Brunei, un des
principaux fleuves du pays. Longtemps
comptoir commercial sur la route des épices,
des produits d'Extrême-Orient, elle était parfaitement représentative de l'organisation
spatiale du monde malais : son contrôle était
effectif sur un assez vaste territoire grâce à
68
des liens de vassalité établis avec les tribus de
l'intérieur des terres, mais le commerce qui
était son véritable moyen de subsistance la
tournait vers l'extérieur maritime plus que
vers son hinterland. L’influence de cette ville
sur le territoire est resté insignifiant pendant
longtemps, avec quelques développements
avant le protectorat, mais juste pour subvenir aux besoins alimentaires de la population
qui comptait quelques dizaines de milliers
d'âmes. La ville en elle-même, très informelle, se composait de maisons sur pilotis en
position ripuaire ou sur les bourrelets latéraux. Elle possède encore d'assez grands
quartiers de ce type, que l'on regroupe sous
le nom de kampung ou villages. Le réel essor
du pays, endormi sur les souvenirs de son
opulence passée, n'est venu qu'avec l'exploitation pétrolière. La transformation du paysage côtier est assez profonde, car les moyens
financiers disponibles autorisent des projets
auxquels on ne pouvait songer auparavant.
Les villes issues du développement de
l'activité suivent une organisation proche,
Grafigéo 2000-10
Brunei-Darussalam : une subtile transition
archipel urbain relié par la route et les oléoducs qui constituent les seuls liens effectifs
dans l'organisation du territoire. Les villages
situés aux embouchures des autres fleuves
suivent le même modèle.
Une telle exploitation et une telle dépendance à une unique matière première ontelles été à la source d'une ignorance volontaire des problèmes ou à la source d'une
permissivité accrue donnée aux grandes
compagnies qui exploitent la resssource ?
La ressource pétrolière fournit l’essentiel
des revenus du pays. Elle est assurée par des
compagnies locales, mais surtout par la Shell
qui exploite depuis les origines les champs
pétrolifères de très bonne qualité, car peu
soufrés. C’est à Serian que les premiers puits
ont été forés. Une petite ville proprette en est
né, acueillant de nombreux travailleurs
étrangers. Selon les pétroliers que j’ai pu
interroger, d’Elf ou de la Shell, les conditions
d’exploitation sont bonnes et les mesures
appliquées pour la protection de l’environnement sont aussi sévères qu'en mer du Nord.
En d’autres termes, ce n’est pas parce qu’ils
sont à 10 000 kilomètres de l’Europe qu’ils
se permettent de faire n’importe quoi. Les
contrôles confirment leur efficacité. Mieux
encore, la Shell est de plus très impliquée
dans toutes sortes de travaux de promotion
environnementale, finance des concours, la
recherche et des expéditions scientifiques.
Les dispositions légales concernant l’exploitation pétrolière sont contenues dans le
Petroleum Act, 3rd Schedule 1963 (revised
1984), chapitre 44. Elles enjoignent les
compagnies à prendre toutes les mesures
pour contenir les fuites pendant l’extraction
et le transport du pétrole selon les meilleures
normes disponibles du moment. En cas de
contravention avec la loi, la section 33
indique que la peine consisterait en une
amende de Bn$ 3000 et dans le cas d’une
infraction qui se poursuivrait, une pénalité
supplémentaire de Bn$ 100 pour chaque
jour de poursuite de l’infraction2. Comparé
aux milliards de dollars générés par l’exploitation, les pénalités paraissent bénignes.
Une coordination entre les brigades antimarées noires du Sarawak et de Brunei est
assurée. Elle cherche à prévenir conjointement les effets dévastateurs pour l'environnement d'un accident qui peut toujours se
produire chez l'un comme chez l'autre.
Grosso modo, l'exploitation pétrolière
rapporte plus d'argent qu'elle ne cause de
problèmes. Il n'y a pas trop d'incidents et les
associations environnementales qui travaillent librement en Malaisie sont toujours
à l'affût d'une panne pour la dénoncer.
Peu de problèmes urbains ou
industriels
Brunei croule sous les dollars, mais paradoxalement, peu de choses ont été faites en
matière d’urbanisme. C'est peut-être la plus
grosse faiblesse de gestion gouvernementale.
Les développements de projets immobiliers sont nombreux mais ils ne se font pas
forcément à l’avantage du pays. Brunei, malgré une population très urbanisée (58 %),
n’a aucun système général de collecte et de
traitement des eaux usées. Différentes dispositions légales et pénales ont été votées pour
empêcher le dépôt ou la combustion non
contrôlée d’ordures, mais toutes les eaux
usées s’écoulent librement dans les rivières
auprès desquelles les villes et villages sont
installées. Quand on sait que ces villes sont
généralement installées sur des terrains
sablonneux perméables à toutes les pollutions et que l’activité de pêche à proximité
des villes est assez importante, on peut se
demander quelles peuvent être les répercussions sur la qualité des nappes phréatiques.
C’est ce que Martina Haji Tamit, un Environmental Officer rencontré, disait être le plus
préoccupant. Ce manque de planification effective forme un grand contraste avec Singapour, son partenaire économique privilégié.
L’urbanisation est assez particulière à
Brunei, elle est un mélange de bâtiments
assez récents (20-25 ans) ou très récents et
souvent somptuaires, couverts d'or et de
marbre selon les goûts du moment mais les
2. Town and Country Planning Dept., Selected legal provisions and penalties related to environment in Negara Brunei Darussalam, juin 1992, p. 20.
Grafigéo 2000-10
69
Transformations environnementales dans le monde malais
finitions laissent parfois à désirer. Le dernier
établissement construit à très grands frais
est la Grande Mosquée, aux toits entièrement couverts d’or, qui a coûté plus de trois
milliards de dollars.
A côté de cela, subsiste encore le
Kampung Ayer, village traditionnel malais
qui constituait le plus gros de la capitale
Bandar Seri Begawan autrefois, et qui est
toujours apprécié par les membres des communautés non malaises, surtout par les
Indiens qui y trouvent des logements à bas
prix. Officiellement, il fait partie d’un grand
plan d’urbanisme qui prévoit sa destruction
et son remplacement par des logements plus
conformes aux normes d’hygiène : actuellement aucun ramassage des ordures ni système de collection des eaux usées n'existe, tout
passe dans la rivière. Ce village éclaté sur les
deux rives de la Sungai Brunei contraste singulièrement avec les bâtiments neufs de la
nouvelle ville (photo 7).
Normalement, les autorités protègent
intégralement toutes les mangroves et les
espaces verts à l’intérieur de la ville de
Bandar Seri Begawan. Aucun projet ne saurait remettre en question ce règlement. C’est
la version officielle du Ministère. Pourtant,
en se promenant en ville on pouvait voir que
des travaux de réaménagement passaient
par une transformation des rives pourtant
protégées. Le statut de ces types de végétation intra-urbaine reste vague. A d'autres
endroits, qui offrent une vue partielle sur les
palais de la famille du Sultan, des promenades assez agréables sont aménagées pour
les familles et les sportifs locaux.
Toutefois, 80 % des développements
actuels se font sur la côte, dans des zones
fragiles. La qualité des sols et du couvert
végétal ne permette pas de trop gros développements sans risques pour l'environnement et la conservation de certaines associations végétales. Dans cette étroite bande
passent les infrastructures de transport qui
relient les villes, les industries et le pays au
reste de Bornéo. Ainsi, la route refaite
récemment, passe-t-elle dans les terrains
sablonneux et provoque une érosion des sols
comme le montre la photographie (photo
8) : le sable, mis à nu par les travaux d'ouverture et d'entretien de la route, est très
rapidement mobilisé par les pluies qui tombent fréquemment à ces latitudes équatoriales. De chaque côté de la chaussée, des
ravines profondes que l'on entr’aperçoit
entament les dunes. La route passe encore
par des forêts de tourbières, fréquentes dans
ces plaines alluviales très souvent hygromorphes. La construction de cet axe perturbe la forêt. En effet, un espace vide de tout
arbre borde la route pendant toute la traversée du secteur boisé, sur une largeur de quarante à soixante mètres : ils sont morts faute
d’eau en suffisance puisque les écoulements
ont été perturbés.
Les grands incendies de 1998 ont profité
de la présence de ces grandes quantités de
bois morts pour progresser rapidement à
l'intérieur des terres de Brunei. Le paysage a
été fortement endommagé sur une quarantaine de kilomètres quand on vient en voiture depuis Miri au Sarawak. Depuis les
grands feux qui ont fait rage pendant le printemps3 1998, les lois prévoient une amende
relevée à 100 000 Bn$ en cas d’incendie provoqué qui mette en danger des vies
humaines ou pollue l’atmosphère.
L’axe majeur routier qui court le long de
la côte est aussi bordé de larges espaces
défrichés et bornés. On cherche à favoriser
dans ces emplacements l’installation d'entreprises dans le pays : ce sont des zones artisanales et industrielles qui attendent
patiemment que quelqu’un veuille bien s’y
installer. Ces cinq dernières années, seule
une usine d’embouteillement d’eau de source a été créée. On ne désespère pas encore
que d’autres suivent l’exemple.
Les zones industrielles restent actuellement à l’état de projet. Ce sont encore de
grands terrains vagues où l’érosion des sols
se donne libre cours. La demi-récession de
ces dernières années stoppe tous les projets.
Depuis l’avion, quand on survole Bandar
Seri Begawan, on aperçoit de nombreux terrains vagues, balafres rouges striées par les
gouttières naturelles .
3. EnvUnit, Brunei Darussalam's response to Agenda 21, p. 7.
70
Grafigéo 2000-10
Brunei-Darussalam : une subtile transition
Ce n'est donc pas l'industrie, encore balbutiante en dehors de l'extraction pétrolière,
qui présente une grande menace pour l'environnement. Les défauts de planification
sont par contre plus gênants, car la progression de la population est très rapide depuis
l'autonomie puis l'indépendance du pays. A
court terme, si des politiques fermes d'assainissement ne sont pas décidées et appliquées, un problème sérieux de destruction
des sols et de pollution des eaux pourrait
apparaître.
UN
CADRE NATUREL REMARQUABLEMENT PRÉSERVÉ
Des réserves forestières à l'état
originel
Brunei est couvert à plus de 80 % par les
forêts qui sont elles-mêmes à plus de 72,5 %
des forêts primaires4. Elles ont pu être
conservées grâce à une exploitation agricole
superficielle, et la quasi-mono-activité pétrolière du pays. Comme de surcroît, les
développements urbains se réaliseront de
plus en plus sur les côtes, l'intérieur des
terres n'a que peu de chances d'être profondément transformé.
Les terres cultivées à Brunei représentent
à peine 5 % du territoire (soit 288 km2) et
comptent pour 1 % du PNB. La société se
caractérise par un très haut niveau de revenu. L’Etat-providence existe surtout pour les
citoyens, plus particulièrement les « Malais », mais on doit en relativiser les effets
car le taux de chômage se situe autour de
6 %. Les Brunéiens, souvent fonctionnaires,
sont peu enclins à travailler la terre.
L'exception vient des sociétés Dayak traditionnelles qui continuent à pratiquer leur
agriculture sur brûlis et vivre des produits
complémentaires tirés de la chasse ou de la
cueillette en forêt. Les immigrants plus ou
moins légaux5 squattent des terres nouvelles
qu'ils ouvrent par le feu. Ils assurent aussi
l'approvisionnement en fruits et légumes
locaux frais, cultivés essentiellement pour
l'autoconsommation, mais dont on retrouve
les surplus sur le Tamu (marché ouvert) de
Bandar. De manière assez surprenante, ces
derniers paysans de Brunei font pousser une
partie de leurs récoltes sur les petits monticules de terre qui bordent les routes, et qui
font partie du domaine public.
Sinon, les quatre cinquièmes des besoins
en riz sont importés. La viande, ainsi que les
légumes, sont affrétés pour l’essentiel depuis
l’Australie où le gouvernement a préféré
acheter en 1981 un immense ranch (plus
grand que le pays lui-même…), plutôt que
de s’approvisionner chez les voisins malais.
Les plantations d’hévéas n’ont plus beaucoup de succès depuis que le pétrole apporte une manne importante. Quant au poivre,
il ne représente qu’une trentaine d’hectares… Ce n’est donc pas l’agriculture ni le
manque de terres qui menacent sérieusement les forêts de Brunei.
Les forêts sont en grande partie intactes,
vieilles forêts secondaires ou denses forêts
primaires variées dans leur profil (tableau
4). L’administration du Forestry Department les classe en deux types :
National Estate Forests, et les Stateland
Forests. Les National Estate Forests sont
destinées à être exploitées en forêts permanentes, avec cinq sous-classes d'utilisation :
forêts protégées (sols et eaux ; 18 562 ha en
1993), de production (pour le bois, essentiellement à Diptérocarpacées exploitées de
manière sélective, 146106 ha), de récréation
(5 parcs, 1630 ha), de conservation (pour
leur intérêt scientifique, éducatif et touristique ; 72 123ha en 1993, avant la création
de Parcs Nationaux) et de réserve scientifique(pour l’étude scientifique et sylvicultu-
4. Chiffres donnés par le Japan International Cooperation Agency, The development survey on
the forest resources in Brunei Darussalam, Final Report, volume 1 (Model plantation Area),
p. 5.
5. Nombreux sont les Ibans qui poursuivent leur migration séculaire vers l'Est de Bornéo.
Autrefois cantonnés du côté de Kuching, 700 kilomètres plus à l'ouest, ils ont atteint la frontière de Brunei dans les années 1920. Les premières familles qui ont traversé la frontière l'ont
fait du temps où la circulation était facilitée par l'unité de gouvernement anglais.
Grafigéo 2000-10
71
Transformations environnementales dans le monde malais
des forêts exploitées commercialement, que continuer à
exploiter de manière nonType de forêt
Surface (ha)
durable la forêt primaire. Et
341 184
Forêt primaire
les politiques sont d’autant
plus faciles à appliquer que
a. Mangrove
18 418
tout dépend de l’Etat, filière
b. Forêt en marais d’eau douce
12 668
bois comme forêts. La nouvelc. Forêt de tourbière
90 884
le politique limite la producd. Kerangas
3 455
tion de bois à partir des forêts
e. Forêt mixte à diptérocarpes
192 575
primaires6 et veut favoriser
f. Forêt de montagne
7 196
une autoconsommation à parg. Forêt mixte (types a-p)
15 988
tir de bois replantés.
127 786
F êt
d i
Afin d’alimenter les scieries locales, le
rale, 2 676 ha). Les Stateland Forests sont
destinées à d’autres usages après l’extraction gouvernement prévoit de transformer les
du bois s’y trouvant dessus. Elles pourront Stateland forests en forêts commerciales.
être reconverties en plantations, en infra- Cela devrait concerner 35 000 ha. En plantant 950 ha chaque année, on estime posstructures de logement, de tourisme,…
sible de parvenir à terme à doubler la quanPour mener à bien la sélection des apti- tité de bois de coupe disponible pour le
tudes forestières et leur appliquer si besoin marché intérieur.
A la question : est-ce que les gens de
est, une protection graduée selon leur
importance, une politique nationale de ges- Brunei et de la région ne profiteraient pas
tion des forêts fut créée. On peut résumer des erreurs des Européens qui ont planté des
forêts pauvres en espèces, devenues des
ainsi son cadre :
L’action de préservation de la forêt, fondée déserts biologiques, alors que maintenant on
sur la National Forestry Policy a été mise en plante au même endroit des espèces à croisœuvre en 1990, et a eu pour résultat une sances différentes, ce qui permet le retour
réduction drastique des volumes des coupes d’une certaine forme de biodiversité tout en
(voir tableau 5). Actuellement, Brunei restant exploitable ? Le professeur Yong, de
Darussalam peut compenser cette réduction
7
par du bois importé. Toutefois, une planta- l’Universiti Brunei-Darussalam répondait
tion a commencé avec 35 000 hectares de que se posait le problème de la déterminaStateland Forests, visant à l’autosatisfaction tion des espaces et des espèces à protéger.
de la demande intérieure en bois. Par ailleurs, On croyait pouvoir comme en Indonésie,
le développement de nouveaux parcs fores- faire une coupe sélective tout en utilisant les
tiers, la production de graines pour les plantations et le reboisement des terres dénudées techniques de brûlis, mais comme les essais
ainsi que d’autres activités ont été entrepris. sont sortis du contrôle des forestiers, le gouvernement a tout stoppé. Il y a une sorte de
(JICA, 1994, 6)
retour en arrière actuellement. De plus :
En d’autres termes, mieux vaut consomLa coupe sélective est difficile. Elle réclame
mer une petite partie du territoire en faisant
Tableau 4 - Types de forêt à Brunei
un bon niveau technologique. Personne n'est
capable de dire quelle est la
meilleure manière d'agir. Nous
sommes
sous la surveillance
Taux de
internationale de sorte que les
recouvrement
industries ont adopté une attitu48
de attentiste. Sinon, on les blâ44
merait pour la déforestation et
49
Tableau 5 - Production de grumes et de bois coupé à Brunei
Grumes
(en m3)
Année
1983
1984
1985
180 455
203 634
198 218
Bois scié
(en m3)
86 686
89 739
97 025
Source : J.I.C.A. Report
6. Earl of Cranbrook et Edwards, A Tropical Rainforest, p. 7.
7. Interview réalisée par les soins de l'auteur en novembre 1998.
72
Grafigéo 2000-10
Brunei-Darussalam : une subtile transition
pour quelques-unes de ses conséquences
comme le nuage de fumée (Haze). Les multinationales ont une responsabilité dans la
défintion de leurs activités. Dans tous les pays
de la région, elles ont la volonté d’agir en
faveur de l'environnement mais sont contrariées dans leurs efforts par les troubles économiques.
Il concluait ainsi :
Les coupes sélectives sont bonnes mais lentes.
Nous essayons d’impliquer les sylviculteurs
dans les processus de régénération. Cela doit
passer par la valorisation des produits forestiers afin d’accroître les profits tirés des arbres
abattus.
Des projets de diversification
intégrant la durabilité
Le projet d’exploitation commerciale prévoit ainsi la constitution de blocs exploités au
sein de la forêt primaire ou secondaire, afin
d’éviter des coupes claires néfastes pour les
sols, prévenir l’érosion des sols fins, pauvres
et facilement mobilisables, et favoriser une
redissémination des graines à partir des
espaces-tampon entre deux blocs d’exploitation. L’utilisation de graines locales est prévue pour éviter au maximum l’introduction
de pestes végétales. Les secteurs aux sols les
plus pauvres seront replantés en espèces
locales adaptées (type kerangas) et les aires
couvertes des meilleures essences de bois doivent être exploitées de la manière la plus
naturelle possible par les coupes sélectives et
l’enrichissement en espèces commerciales.
Des périmètres de travail, on écarte les forêts
de tourbière à cause de leur fragilité et du
manque d’espèces commerciales exploitables
facilement, ainsi que les forêts ripuaires qui
ont une fonction protectrice.
Le département des Forêts prévoit des
changements réguliers dans le statut des
forêts, comme le passage de 89 000 ha de
Stateland Forests en National Forest Estate.
Il en résulterait que cette dernière classe
recouvrerait 57,3 % de la superficie du territoire. Ces changements de statut, réversibles rapidement par un décret du sultan,
constituent une avancée nette dans la constitution d'un ensemble raisonné pour l'exploiGrafigéo 2000-10
tation et la protection des forêts à Brunei.
Elle prend bien en compte la valeur inestimable qu'a acquise ce patrimoine à la suite
des défrichements importants en Malaisie et
à Kalimantan.
Le premier parc national enregistré est le
Ulu Temburong (voir carte 4)dans le district
de Temburong (deuxième partie de Brunei,
à l’Est). Depuis que Brunei a pris son indépendance totale en 1984, une évaluation du
patrimoine forestier et de ses potentialités a
été menée sérieusement et a débouché sur la
création d’un parc naturel dans les fins
fonds du district de Temburong, dans une
des plus belles forêts de diptérocarpes qui
demeure encore intacte à Bornéo.
Cette politique de protection est ancienne
puisqu'elle remonte aux années trente. Plus
des deux-tiers des forêts existantes ont été
réservées par l’Office des forêts. Toutefois,
l’épuisement des ressources pétrolières et la
croissance continue de la population menacent les perspectives économiques du pays.
D’autres besoins naissent, et particulièrement celle de créer une filière bois. Jusqu’à
présent elle ne répondait pas suffisamment
aux besoins économiques et sociaux de ce
petit pays et se trouvait utilisée en dessous de
ses capacités. Par conséquent, le sultan a
demandé une évaluation complète de la forêt
de Batu Apoi, à la frontière avec le Sarawak
et Sabah, sur tous les plans, biologiques, géologiques, et une évaluation des conséquences
d’une exploitation commerciale.
Cette étude, menée en 1989 en coopération avec la Société Royale Géographique
anglaise dirigée par le Comte de Cranbrook,
a abouti à la création d’un centre d’études
biologiques, ouvert depuis peu à une certaine forme d’écotourisme et surtout servant de
bases pour des études scientifiques, pour de
la vulgarisation environnementale auprès
des établissements scolaires. Si enfin, cela a
abouti à la création d’un parc naturel dans
la forêt, une menace à moyen-long terme
demeure sur cette région car elle revêt les
caractéristiques idéales pour le développement d’un projet hydroélectrique qui serait
une source d’énergie renouvelable plus
pérenne que l’utilisation intensive du fioul
dans les usines électriques. Les travaux ont
73
Transformations environnementales dans le monde malais
été synthétisés dans un livre magnifiquement illustré, à des fins pédagogiques puisqu’il doit servir de manuel aux étudiants de
Brunei pour améliorer la connaissance de
leur pays et de ses ressources.
Une autre perspective de diversification
des revenus pourrait être le tourisme, mais il
est virtuellement inconnu à Brunei. Les principales curiosités sont les deux grandes mosqués, le Kampung Ayer, et un parc d’attraction gratuit ultra-luxueux, kitsch à souhait.
On pourra apprécier aussi le monument
dressé au milliardième barril de pétrole
extrait à Brunei. Enfin, on peut aussi profiter du luxe des hôtels dont la gamme est
malheureusement très réduite : il n'y a pas
d'intermédiaire entre Pusat Belia, à 10 FF la
nuit et les 300 FF qu'il faut débourser pour
accéder au premier prix d'un hôtel standard. Brunei semble avoir une telle peur du
tourisme, vecteur d’instabilité politique,
vecteur de pornographie et autres atteintes
aux bonnes mœurs, qu’il ne souhaite pas
vraiment figurer dans les dépliants des
agences de voyages. Timidement, on essaie
quand même d’attirer les touristes afin de
valoriser la compagnie aérienne (très déficitaire) et les possibilités de desserte – excentrée – vers l’Asie et le Pacifique.
Le touriste le plus recherché doit correspondre au profil de l’écotouriste, jugé plus
respectueux des coutumes de Brunei car de
toutes les manières, les forêts et la nature
sont la seule véritable attraction. Des projets
axés sur le tourisme durable et la mise en
valeur des parcs nationaux remplissent
entièrement le troisième volume du rapport
du JICA sur les forêts de Brunei Darussalam
et leur possible mise en valeur. Les photographies des installations du centre de
recherches dans le parc national de la forêt
de Belalong (Batu Apoi) montrent des éléments intéressants : on tente d'y concilier les
objectifs importants de la recherche pure et
de sa vulgarisation. Le projet devrait être
touristiquement durable à cause du prix et
du peu d’intérêt touristique actuel du pays.
Le Sarawak et le Sabah ont pris une longueur d'avance dans ce secteur d'activité. Il
ne devrait donc jamais y avoir de foules
puisque les touristes auront eu leurs frissons
74
dans la forêt au Sarawak, en allant faire un
tour à Mulu (et peut-être auront-ils fait le
trek de six jours qui mène de Mulu à
Limbang à pied et en barque, avec des
arrêts dans des longhouses éloignées) ou les
grottes de Niah. A moins que de retour de
Sabah, ils n’aient fait l’ascension du Mont
Kinabalu et n’aient plus aucune envie de
marche en forêt et ni d'une découverte qui
exigerait plus de temps qu’ils n’en disposent
dans leur séjour chronométré dans la région.
Conclusion : un patrimoine
préservé durablement
C'est un petit État qui jouit de sa rente
pétrolière mais qui comprend la nécessité de
diversifier ses sources de richesses et de fournir de l'emploi au pays. Le faible besoin de
la population en matière de nourriture et la
rente pétrolière extrêmement importante
depuis les années soixante-dix évitent au
pays d’exercer de pression forte sur l'environnement. Toutefois, il reste des points très
surprenants pour un pays qui a un PNB par
habitant parmi les plus importants de la
planète : pas de système d'assainissement ni
de retraitement des eaux usées, constructions parfois anarchiques, une vision d'ensemble qui de l'extérieur laisse à désirer.
Malgré tout, la faiblesse de la demande en
produits forestiers et en produits agricoles
locaux ne met pas en danger un environnement resté dans un état proche des origines.
La peur apparente devant tout changement
fait prendre à l'Etat de Brunei des décisions
qui vont dans le sens d'un très grand conservatisme. Le milieu naturel s’en trouve ainsi
préservé. Mais les projets nouveaux de
diversification de l'économie en même
temps que la poursuite de l'urbanisation,
annoncent une évolution inévitable tant de
l'attitude de la population vis-à-vis de sa
nature, que de sa compréhension du milieu.
On y prépare la jeunesse par des stages
offerts au centre de Belalong. Mieux au courant des problèmes qui peuvent se poser, à
même de juger les développements économiques à partir de leur patrimoine forestier,
les Brunéiens peuvent voir venir avec une
certaine confiance le prochain siècle sans
mettre en péril leur environnement.
Grafigéo 2000-10
Brunei-Darussalam : une subtile transition
Bandar Seri Begawan, Kampung Ayer • Brunei (photo 7).
Le soir, la vieille mosquée aux bulbes dorés se dresse lumineuse au-dessus des toits en tôle rouillée
du vieux kampung traditionnel qui borde la Sungai Brunei. Ce dernier est en train de disparaître
car il est insalubre et ne présente pas une bonne image du pays.
La route côtière neuve • Brunei (photo 8).
Elle coupe de larges zones dunaires dans un sable éblouissant et très fin. Seules quelques herbes et
arbustes halophiles comme les casuarina (arbuste replanté le long de la route) parviennent à pousser dessus
car le sable déstabilisé est rapidement mobilisé par les pluies fréquentes.
Au fond, l’arrière-côte est couverte par une forêt marécageuse dont on aperçoit la cime.
Grafigéo 2000-10
75
La prise de conscience environnementale malaise
Chapitre 5 • La prise de conscience
environnementale malaise
L
A MALAISIE est un pays de plus en plus
développé au sens occidental du
terme. Le volontarisme des gouvernements successifs a permis un extraordinaire essor qui reste fondé sur la différenciation des communautés. Les données du
problème environnemental malais sont différentes de celles de ses voisins. Singapour a
subi la dictature de l'exiguïté de son territoire et en a fait un atout dans son développement, car c'est la source d'une inventivité
toujours renouvelée. L'immédiat intérêt des
gouvernements était de fournir un cadre de
vie le plus agréable possible afin de fixer la
population tout en proposant un maximum
d'activités. Brunei n'a pas eu besoin de
prendre grand chose en main : la faiblesse
de son peuplement et la quasi mono-activité pétrolière permettent de confiner le pays
dans un cadre naturel exceptionnel.
A la différence de ses voisins, la Malaisie
disposait d'une population et d'un territoire
relativement vastes, essentiellement agricoles. Il a fallu beaucoup d'énergie et de volonté pour transformer la structure de l'emploi
et les types de production afin de permettre
un développement le moins exclusif possible.
On favorisa les grands périmètres de plantations commerciales, héritage direct de la
période anglaise ; on diversifia les espèces
Grafigéo 2000-10
plantées afin de moins dépendre d'une production ; on développa aussi l'industrie du
bois, la pétrochimie et des industries de
hautes technologies. Tout cela a permis de
fonder les bases d'une économie de plus en
plus urbaine. Les implications ont été très
importantes pour le paysage malais : le
désenclavement systématique a permis la
diffusion de nouveaux modes de vie et de
pensée, la population dépendait de moins en
moins des productions d'autosubsistance.
Mais la Malaisie est diverse : nous nous
attacherons surtout aux aspects environnementaux de la Malaisie péninsulaire dans ce
chapitre, et nous réserverons l'essentiel des
développements sur la Malaisie Orientale
(Sarawak, et fort peu le Sabah) pour la
deuxième partie. A travers tous ces changements extrêmement rapides, quelle crise
environnementale s'annonce en Malaisie
péninsulaire ? Quel degré de conscience la
population malaise en a-t-elle? Quels efforts
sont consentis pour préparer les solutions
aux problèmes prévisibles ?
UNE
CRISE URBAINE EN PRÉPARA-
TION
?
La crise de l'eau en 1998 a révélé les problèmes qui guettent la Malaisie ces pro77
Transformations environnementales dans le monde malais
Carte 5 - La péninsule Malaise
7˚N
THAILANDE
PERLIS
Kangar
Mer de Chine
K
Kota
Bharu
Alor Setar
méridionale
6˚N
K. EDAH
Georges
Town
Kuala Terengganu
P. PINANG
KELANTAN
5˚N
N
TERENGGANU
Ipoh
PERAK
4˚N
PAHANG
Kuantan
SELANGOR
EL
D ét
Shah A
Alam
roit
limite d'État
frontière
nationale
Kuala Lumpur
3˚N
NEGERI
SAMBILAN
de
Seremban
M
ala
cca
MELAKA
Melaka
JOHOR
capitale fédérale
capitale d'État
Johor
Bharu
PERAK État de Malaisie
cours d'eau
0
100˚O
78
2˚N
SINGAPOUR
30 km
INDONESIE
101˚O
102˚O
1˚N
103˚O
104˚O
Grafigéo 2000-10
La prise de conscience environnementale malaise
chaines années. Avec un taux de croissance
naturelle de 2,2 à 2,3 % l’an, on s’attendait
en 1992 à une population totale de 22,5 millions d’habitants pour l’an 2000, prévisions
dépassées en 1998, car on l'estimait à
24 millions d'habitants. Le recensement de
1970 qualifie d’urbains les centres qui
comptent plus de 10 000 habitants. Le taux
d’urbanisation est de 37,4 % en 1985 et de
40,7 % en 1990. Kuala-Lumpur et la vallée
de la Klang connaissent un développement
urbain extraordinaire ces dernières années :
en témoignent les chiffres du tableau 6.
centre industriel, commercial, financier et
administratif de tout le pays. Dans son
ensemble, le pays connaît des villes de plus
en plus grandes, bien que modestes à
l’échelle internationale, mais dont les taux
de croissance peuvent être proprement spectaculaires comme on le voit dans le tableau
7.
Problèmes d’assainissement des
effluents urbains et industriels
Les problèmes d'effluents sont le corollaire inévitable du développement imporTableau 6 - Développement de la population
tant du pays. La maîtrise de ceux-ci revêt
de Kuala Lumpur
une extrême importance, surtout quand
l’approvisionnement en eau potable est
Date
Habitants
presque exclusivement fondé sur les res1870
2000
sources de surface (rivières, lacs de retenue)
1896
25 000
ainsi que nous l'avons vu dans le premier
1959
315 000
chapitre.
Avec une croissance de la population de
1970
485 000
2,3
% par an, industrialiser le pays et diver1980
937 000
sifier sa production étaient des nécessités
Source : d’après la communication de
Hamirdin B. Ithnin,à la 5 SEAGA Conference
absolues. Dans les années soixante, le secteur secondaire représentait environ 40 %
Les limites officielles de la ville s’éten- du PNB, mais les produits manufacturés
dent sur plus de 240 km2. Une conurbation comptaient seulement pour 17 % du PNB.
naît entre Port Klang jusqu’aux piémonts de Dans les années soixante-dix, le secteur
la Main Range. La région de la vallée de la secondaire représentait la moitié du PNB, et
Klang, 2842 km2 a une population estimée les produits manufacturés, 25 %. Peu de
autour de trois millions d’habitants en changements dans la structure du secteur
1990. 20 % de la population se concentre industriel dans les années quatre-vingt. Le
sur 2 % du territoire. C’est le plus grand secteur tertiaire compte pour 35-40 %
durant toute la
Tableau 7 - Population des villes principales de Malaisie
période, sans
grands changeVilles
1970
1980
1997
ments. La part
Malaisie péninsulaire
du PNB industriel
Kuala Lumpur (territoire fédéral)
648 000
920 000
1 145 342
s’est accrue aux
Ipoh
248 000
294 000
382 853
Georgetown
270 000
248 000
219 600
dépens de l’agriJohore Bahru
136 000
246 000
328 500
culture. La croisK. Terengganu
53 000
180 000
n. c.
sance la plus
Kota Bahru
55 000
168 000
n. c.
spectaculaire a
Kuantan
43 000
132 000
200 000
été le développeSeremban
80 000
132 000
183 000
ment de l’indusMalaisie insulaire
trie manufactuKota Kinabalu
41 000
109 000
109 000
rière et sa part
Sibu
50 000
85 000
111 000
Kuching
63 000
72 000
250 000
dans le PNB inSource : Yearbook of statistics, Department of statistics, Kuala Lumpur, et Official dustriel. On le
Yearbook, 1998.
doit surtout à
th
Grafigéo 2000-10
79
Transformations environnementales dans le monde malais
l'Industrial Master Plan de 1986-1995 : il
encourageait l’investissement privé à travers
des secteurs et sous-secteurs d’activité prioritaires. Toutes les mesures ont été prises
pour créer un climat favorable à l’investissement et aussi au réinvestissement, grâce à la
diminution des procédures administratives,
ou à l'encouragement du secteur de recherche-développement. Toujours on diversifia
les ressources économiques afin de laisser
une emprise minimale aux récessions. Le
gouvernement eut une politique interventionniste seulement dans les cas d’urgence. Il
encouragea progressivement le secteur
privé : son rôle est désormais considéré
comme devant « être purement catalytique »1.
Les pollutions qui en découlent sont
nombreuses, particulièrement celles qui
affectent les eaux et l'air. Ainsi, en 1990 évaluait-on pour la pollution des eaux terrestres
le taux de participation des industries agroalimentaires à 41 %, des industries de l’huile de palme à 21 %, de la filière du caoutchouc à 15 %, autant pour la chimie, 8 %
pour le cuir et le textile, 3 % pour le papier.
Chaque jour, les industries de l’huile de
palme et du caoutchouc rejettent une pollution organique dans les cours d’eau équivalent à une ville de 220 000 personnes. Ce
problème se pose de manière croissante, car
les villes ne sont pas équipées de système de
collecte et de traitement des eaux usées, à
part quelques exceptions comme Kuala
Lumpur qui est à peu près équipée.
Pendant l'exercice des derniers plans, on
a mis l'accent sur l’utilisation accrue des
sources d’énergie locales, et plus particulièrement sur la consommation du gaz naturel
et l’hydroélectricité. La répartition par secteur se fait ainsi : les industries consomment
70 % du total énergétique, et le transport à
lui seul consomme 43 % du total car l'essentiel des transports se fait par la voie rou-
tière avec un trafic incessant de camions
surchargés (le ferroutage n'existe quasiment
pas). Le réseau fluvial est aussi mis à profit,
particulièrement pour le flottage des bois
bruts extraits. La séparation de la Malaisie
en deux entités favorise aussi le transport
maritime. Il faut pouvoir répondre à tous les
besoins énergétiques d'un telle croissance
économique. La fourniture en énergie
gagnait 7,5 % par an tout au long de la
décennie 1985-1995. Le gaz et le charbon
ont consolidé leur place dans les sources
principales d’énergies, particulièrement
pour la production électrique qui augmentait dans le même temps de 12,5 % par an.
Cette dernière repose sur quelques centrales
qui fonctionnent parfois au fioul.
En 1990, l’électricité est produite à
concurrence de 42 % par le pétrole, 24 %
par le gaz, 16 % par le charbon. Des projets
hydroélectriques sont en place, 70 % des
possibilités sont au Sarawak2. Mais leur
impact environnemental est important.
D’immenses projets comme celui de Bakun3
au Sarawak, sont remis en question à cause
de leurs conséquences. L'accès aux Etudes
d’impact est assez facile mais soumis à
conditions. Le projet de Bakun prévoyait
l’ennoiement de plus de 350 km de rivières
et sur des étendues larges parfois de plus de
10 km. La superficie recouverte calculée est
de 60 940 ha, soit à peu près la superficie de
Singapour4. La puissance électrique qu’il
devait fournir est comparable à celle du barrage d’Assouan en Egypte. On observera les
statistiques comparatives dans la reproduction d'une page de la revue interne au
Département de l’Environnement malais
(figure 2)5.
On constatera dans cet ensemble présenté aux employés des différentes sections
fédérales et dans les Etats du département,
la minimisation de l’impact du projet par
rapport aux autres pays : il implique la rela-
1. Sham Sani, Environment and Development in Malaysia, p. 19.
2. State of the Environment, ibid. p. 135
3. Je n'ai pas eu le droit de photocopier la carte de l'extension prévue qui figurait dans l'Etude
d'impact conservée au Ministère de l'Environnement à Kuala Lumpur. On ne peut que la
consulter sur place.
4. On pourra consulter avec intérêt le résumé donné dans State of the Environment, CAP 1996,
« Bakun Dam: is it justified ?» de Thayalan Muniandy, p. 277-287.
5. Department of Environment Impak, the National EIA Newsletter, bil.2, 1994, p.15.
80
Grafigéo 2000-10
La prise de conscience environnementale malaise
Figure 2 - Reproduction de la page 15 du Impak, 1994, n° 2
Grafigéo 2000-10
81
Transformations environnementales dans le monde malais
tivisation de toutes les études précédentes
montrant les fortes déperditions d’énergie
dans le transport, la biodiversité compromise dans un des derniers secteurs encore peu
touchés par le développement. Aucune allusion n’est faite à l’opposition manifestée lors
des précédentes études d’impact et qui
avaient amené au début des années quatrevingt-dix le Premier Ministre, Dr Mahatir, à
déclarer le projet abandonné, et à confirmer
en 1998 l'abandon définitif… A titre indicatif, ce n’étaient pas seulement les 8 565 personnes que l’on pensait déplacer qui
auraient été affectées (comme semble le
sous-entendre la statistique). Les études
précédentes montraient que plus de 90 000
personnes pour le moins seraient touchées
par le projet et par les conséquences de l'ennoiement d'une aussi vaste superficie. Les
photographies forment un contraste saisissant entre une zone sous-développée, bonne
pour faire du tourisme (prise d'un beau
poisson) ou des petits essarts, et toute l’activité que le projet pourrait générer, même sur
place (photographie du bas). Le projet de
Bakun était justifié par l'augmentation de la
consommation et le besoin de réduire la facture en produisant de l'énergie avec des
sources renouvelables à bas prix.
Le développement des activités industrielles oblige le gouvernement à multiplier
les réglementations. Elles sont régulièrement
appliquées et renforcées par référence aux
expériences internationales, mais elles ne le
sont pas systématiquement. La prise de
conscience des problèmes est marquée par
l’augmentation régulière des plaintes des
particuliers et les enquêtes qu’elles suscitent.
En mars 1996, le plan de réduction des
déchets (Malaysian Agenda for Waste
Reductions) est lancé et les premières évaluations faites à la fin de l’année se résumaient ainsi :
« La réponse initiale des industries n’était pas
encourageante et des activités de suivi
seraient entreprises en 1997 »6
Ces remarques avouées par le Ministère
sont relayées par Sham Sani dans son livre7
lorsqu’il montrait que les réglementations
n’avaient pas toutes eu le même succès.
Celle qui a été la plus efficace a été la première, qui concernait la production d’huile
de palme brute : sous la pression réglementaire, les effluents ont été réduits entre 1977
et 1989 de 88 % en même temps que les
capacités de production doublaient. Une
surveillance aérienne est assurée par l’armée
qui prend des clichés des industries considérées comme polluantes afin de verser des
pièces aux dossiers d’instruction de plaintes
après des contrôles inopinés. Les pénalités,
toutes proportions gardées, restent toujours
inférieures à celles qu’impose Singapour à
ses contrevenants. Cela ne veut pas dire non
plus que les industriels prennent un malin
plaisir à enfreindre la loi. Au contraire, les
industries sont généralement en phase avec
l'Environmental Quality (Sewage and
Industrial Effluents) Regulation 1979 ; en
1996, elles l’étaient à 82,5 %, ce qui représente une excellente proportion dans un
pays en cours d’industrialisation. Derrière ce
chiffre, se cachent des industries polluantes
qui dans leur ensemble ne sont pas en
conformité : le plus mauvais élève est l’industrie des finitions métalliques et de placage électrolytique (66 % répondent aux
normes), suivi de près par la filière agro-alimentaire, le caoutchouc et le textile. Les
autres sont respectueuses à plus des trois
quarts. D’après les chiffres officiels8, les
meilleures filières sont le plastique et la
machinerie (100 %) et le bois (99 %).
La Malaisie est intéressée non seulement
par les sources d’énergies traditionnelles,
mais aussi par les ressources alternatives
comme l’énergie solaire, le vent, le biogaz, la
biomasse, plus particulièrement pour l’alimentation des industries en milieu isolé. Des
études sont faites sur la liquéfaction du gaz,
particulièrement au Sarawak, dans le secteur de Bintulu. On ne peut pas blâmer trop
fortement la Malaisie car elle a le courage
d'assumer les faiblesses de son système dans
les rapports officiels et en même temps de
6. Department of Environment, Malaysia Environmental Quality Report 1996, p. 34.
7. Cité : Environment and development in Malaysia. , p. 75-77 et 97.
8. Department of Environment Malaysia Environment Quality Report, p. 28.
82
Grafigéo 2000-10
La prise de conscience environnementale malaise
chercher la solution à ses problèmes. Toutes
les recherches menées prouvent que la
Malaisie pratique réellement une politique
intégrée de développement, intégrée dans le
sens où toutes les agences gouvernementales
et internationales participent à l'effort.
La qualité de l’air se dégrade
L’accroissement de la consommation
énergétique repose pour une bonne part sur
la consommation de carburants fossiles. Il se
traduit non seulement par des rejets dans les
rivières et la mer, mais aussi par une augmentation des rejets de particules et de gaz
polluants, à effet de serre ou dangereux pour
la couche d’ozone. L’utilisation des voitures
particulières est en constante augmentation
(entre 4 et 6 % de plus par an). Toutefois les
contrôles techniques ne sont pas assortis
d’obligations aussi strictement appliquées
qu’à Singapour. Par conséquent, les taux de
pollution atmosphérique ne sont pas forcément les meilleurs de la région. Plusieurs
fois par an, ils se situent en zone urbaine largement au-dessus des indicateurs internationaux. Grosso modo, d’après le rapport
annuel 1996 du Department of Environment, la conformité des industries va s’améliorant grâce à une meilleure mise en œuvre
des législations dont l'Environmental
Quality (Clean Air) Regulations 1978 est la
pièce maîtresse.
Sans entrer dans tous les détails qui sont
généralement bien connus des lecteurs
(dégradation de la santé des habitants,
dômes de chaleur,…) il est plus intéressant
de noter qu’apparaît un phénomène de
pluies acides qui va s’intensifiant avec les
années. Les zones affectées sont de plus en
plus vastes et de plus en plus acides comme
en témoignent les cartes qu’insère Sham
Sani dans son livre (carte 6).
Un arsenal législatif qui s'étoffe
pour y répondre
La loi dite Environmental Quality Act
(EQA) est votée en 1974. Elle crée un
Environmental Advisory Council qui doit se
référer au Ministère de l’Environnement. Un
Director General of Environment est nommé
pour assurer la coordination des différentes
actions qui ont trait à la pollution et à l’application des règlements en vigueur. Il assure la délivrance des licences concernant les
activités polluantes industrielles, la recherche sur les problèmes de pollution et les
campagnes éducatives.
L’EQA prête essentiellement attention à
toutes les pollutions d’origines industrielles,
particulièrement dans les airs et dans les
eaux. Tous les autres problèmes sont gérés
par d’autres législations fédérales ou locales.
Elles ne sont plus du ressort du Département
de l’Environnement (DoE). Comme dans
tous les Etats fédéraux, la gestion des ressources naturelles non stratégiques, c’est-àdire essentiellement non-pétrolières, est du
ressort des Etats et des collectivités locales.
Les différents niveaux de gouvernement
entretiennent des relations parfois orageuses
à propos de certains points de responsabilité,
par exemple le traitement des rejets animaux
dans les cours d’eau : le DoE indique que
c’est une des principales causes de pollution.
Or, la gestion des implantations agricoles et
des effluents urbains et domestiques sont
sous le couvert des législations locales sur lesquelles le gouvernement fédéral n’a que peu
de prises. Le même genre de conflit surgit
pour les graves problèmes d’érosion qui peuvent découler des projets d’aménagements
urbains (construction de quartiers ou de
zones industrielles).
D’après la Constitution, du point de vue de la
législation, chaque État est indépendant et
dans la plupart des cas, les législations fédérales ne font pas autorité au niveau local bien
que le gouvernement fédéral puisse coordonner les activités des États9.
Dans les années soixante-dix et quatrevingt, les amendements ont surtout concerné les problèmes de rejets de l’industrie oléipalmicole, ainsi que les rejets aériens de
9. Jamaluddin Mhd Jahi, Local Authorities and Environmental Management in Peninsular
Malaysia dans Akademika 42&43 (1993), p. 211-212.
Grafigéo 2000-10
83
Transformations environnementales dans le monde malais
Carte 6 - Évolution des aires touchées par les pluies acides en Malaisie péninsulaire
110˚E
112˚E
114˚E
SABAH
5˚N
29
Limbang
N
35
Miri
4
26
Mer de Chine méridionale
21
BR.
BRUNEI
17
2
Niah
9
3
12
5
Bintulu
3˚N
14
15
N
34
30
Sibu
25
23
28
6
Sarikei
19 10 1
22
7 20 18
Kuching N
33
N
32
31
Serian
1˚N
0
100 km
27
Kapit
24
Bandar
Sri Aman
8
cours d'eau
KALIMANTAN
(INDONESIE)
Parcs nationaux existants
Sanctuaires fauniques existants
1- Bako
2- Gunung Nulu
3- Niah
4- Lambir Hills
5- Similajau
6- Gunung Gading
7- Kubah
8- Batang Ai
9- Loagan Bunut
23- Samunsam
24- Lanjak-Entimau
25- Pulau Tukong Ara-Baram
Parcs nationaux à l'étude
10- Santubong
11- Tanjung Batu
12- Pulong Tau
13- Hose Mountain
localité
frontière
Sanctuaires fauniques à l'étude
26- Sibuti
27- Agrandissement de Lanjak-Entimau
28- Agrandissement de Samunsam
29- Mangrove de Limbang
30- Batu Laga
31- Maludam
Ré
toutes sortes qui polluent les grandes villes.
Au début des années quatre-vingt-dix, ce
sont les effluents toxiques ou dangereux qui
ont été la cible des dernières régulations.
Le Environmental Quality (Prescribed
activities) (Environmental Impact Assessment) Order 1988, a été enregistré et mis en
application le 1er Avril 1988. Le Department
of Environment est en charge de l’application de l’EIA. Il fournit :
• informations et conseils aux initiateurs des
projets, aux consultants, agences agréées
84
13
16
11
ll
à l'é d
et au public ;
• des grandes lignes pour entreprendre une
étude d’impact ;
• un récapitulatif des rapports d’EIA et des
réglementations pour les autorités chargées de l’approbation et les initiateurs du
projet ;
• des entraînements concernant les procédures et les études d’EIA.
Les rapports d’EIE sont examinés par un
panel scientifique composé de différentes
autorités administratives, universitaires, du
Grafigéo 2000-10
La prise de conscience environnementale malaise
secteur privé et d’ONG comme la Malaysian
Nature Society et l’Environmental Protection Society of Malaysia.
L’argent manque comme toujours, bien
que les crédits alloués soient en constante
augmentation. Ainsi, les efforts de création
d’une base de données environnementales
locales semblent aboutir. La coopération
internationale ou inter-étatique est chaudement encouragée ainsi qu’en témoigne la
participation aux différentes commissions et
conférences proposées par l’ONU dans le
cadre de son programme environnemental
(UNEP). Une des évolutions les plus notables
des politiques menées est le passage de législations curatives à des législations proactives avec une utilisation accrue et étendue des études d’impact.
L'urbanisation rapide soulève toute une
cohorte de problèmes lorsqu'elle n'est pas
planifiée correctement, ou lorsqu'il faut se
confronter au fait accompli. La Malaisie doit
faire face à un exode rural qui est loin d'être
terminé. La dégradation de certains indicateurs, comme l'eau et l'air, font réagir fortement le gouvernement. La complémentarité
des législations, la coordination croissante
entre les différents services donnent une
image chaque jour plus volontariste des
autorités gouvernementales pour la mise en
place d'une politique intégrée de l'environnement, au moins dans le domaine du développement économique et industriel. Toutefois, l'essentiel des efforts de développement
est accompli dans les campagnes avec la
transformation de l'agriculture et l'augmentation des volumes de productions à partir
des ressources naturelles que l'on classe normalement parmi les ressources renouvelables (bois, huiles de palme, pisciculture,…).
LES
ESPACES NATURELS SE
TRANSFORMENT RAPIDEMENT
Dans un pays majoritairement rural, le
développement ne pouvait pas laisser de
côté l'essentiel de la population en se conformant aux modèles des chantres dogmatiques de la croissance qui tenaient le devant
Grafigéo 2000-10
de la scène dans l'après-guerre. Un énorme
effort pour employer la masse des paysans
et des salariés agricoles et diversifier les cultures a été consenti afin qu'ils participent à
l'effort général et reçoivent une partie des
fruits de ce développement. Les défrichements ont été extrêmement importants pour
un pays qui n'est pas très grand. Le paysage a subi de profondes transformations, et
plus particulièrement le riche paysage forestier. Malgré cela, un phénomène de dépeuplement rural prend de l’ampleur et crée de
nouveaux problèmes en même temps qu’il
suscite de nouvelles activités. Le tourisme,
nouveau venu sur la scène économique permet-il d’offrir une alternative durable à
l'exode rural ou à des destructions supplémentaires dans le patrimoine naturel et biologique de la Malaisie ?
Les forêts sont les premières
touchées
Les secteurs agricoles étaient réellement
touchés par la pauvreté dans les années qui
suivirent l’indépendance. Pour améliorer la
condition de la population, un ministère du
Développement national et rural est créé.
Dans ses objectifs principaux figurent le
développement des terres cultivées, l’irrigation et le drainage, l’hévéaculture. Les derniers plans visaient à assurer un revenu correct aux petits producteurs. 75 % des
budgets alloués à l’agriculture dans les
années soixante ont été consacrés à l’achèvement des plans. Les dépenses ont été multipliées par 20 entre l’indépendance et les
années soixante-dix (de 17 à 310 millions de
Ringgits auxquels ont peut encore rajouter
54 millions de RM pour le Sabah et le
Sarawak). 800 000 ha ont été ouverts dans
la décennie soixante afin d’améliorer la taille
et les méthodes des exploitations agricoles.
C’est la grande époque du FELDA, ou Federal Land Development Authority à laquelle
on peut attribuer le développement d’environ 835 000 ha en 1990. L'État fédéral ne
se charge plus au cours du 6e plan, 19901995, de développer de nouvelles terres cultivables. Il laisse ce soin aux Etats. Grâce à
de nouveaux accords, environ 300 000 hec85
Transformations environnementales dans le monde malais
tares nouveaux doivent être mis à la disposition de la population. Le développement de
l’agriculture dans le cadre des Regional
Development Authorities a été correct, mais
pas celui des townships, comme il était
prévu initialement. Les localités n'ont pas eu
les moyens suffisants ni la volonté pour
mener à bien les programmes dont ils
avaient la charge.
Une des premières conséquences immédiates du développement de l’agriculture a
été l’accroissement de l’érosion des terres
arables et de la charge des cours d’eau. En
1974, le Rubber Research Institute of
Malaysia donnait un taux d’érosion moyen
de 100-130t/ha.an-1 sur des pentes de 4 à
5°. Avec des prairies dans les plantations, on
diminuait ces taux au maximum de
44t/ha.an-1. Les plantations de palmiers à
huile donnaient un taux de 15t/ha.an-1. Il
faut mettre en parallèle ces chiffres avec
l’érosion moyenne en forêt primaire non
touchée : 0,33t/ha.an-1 dans les Cameron
Highlands… De nos jours, l’érosion des
terres fait l’objet d’une préoccupation constante et accrue du gouvernement fédéral et
des Etats : les problèmes d’envasement des
barrages10, d’inondations ultra-rapides en
milieu urbain ont tiré la sonnette d’alarme
pour tous les gestionnaires publics.
En Malaisie, les sols ont été classés en
fonction de leurs aptitudes agronomiques et
répartis en cinq classes : de 1 à 3, les sols
sont aptes à relativement aptes à l’agriculture ; la classe 4 englobe les sols d’intérêt marginal et la classe 5 est inapte. On peut voir la
répartition dans le tableau suivant :
« Sur une base nationale, l’ordre d’abondance
de ces classes est Classe 5 (57%)> Classe 3
(16%) > Classe 4 (12%) > Classe 1 (8%) > à
Classe 2 (7%). L’étendue des sols en classe 5
excède les aires combinées des quatre autres
classes. Sur une base régionale, c’est aussi vrai
pour les Sabah et Sarawak et ce dernier possède plus de 70% de ses terres classées en
catégorie 5. Toutefois, l’inverse est aussi vrai
en Malaisie péninsulaire où les aires combinées des Classes 1-4 excèdent l’étendue des
sols de la Classe 5. »11
Deuxième conséquence : l’utilisation des
intrants dans les cultures avec tous les problèmes bien connus de contamination des
ouvriers agricoles, de résidus dans les produits, de pollution des terres et des eaux. Des
études sont en cours pour mettre en évidence les spécificités de l’agriculture tropicale
utilisant les intrants car la vermine et les
adventices locales n'ont pas la même sensibilité que celles de nos pays européens tempérés. Conséquences auxquelles il faut ajouter les problèmes de pollution
atmosphérique dérivée des brûlis réguliers
pour entretenir et ouvrir les terres nouvelles,
ou des résidus des usines de transformation
des produits agricoles.
Les ladang, nom local pour les essarts,
sont de plus en plus contrôlés. Ils sont sous la
surveillance du gouvernement et des associations environnementales, surtout depuis les
grands phénomènes de fumées (haze) pendant la dernière grande crise d’El-Niño en
1998. Le feu mis aux mauvaises herbes au
moment de la plus grande sécheresse
témoigne d’une perte de connaissance des
pratiques agricoles. Les paysans ne savent
plus maîtriser les temps de récoltes et de
semailles ; ils ne se rendent pas compte non
plus de l’assèchement des forêts éclaircies,
qui accumulent une biomasse séchée par la
pénétration des vents et du soleil dans le
sous-bois. Cette biomasse constitue une véritable étoupe n’attendant que la première
étincelle naturelle ou d’origine anthropique
pour s’enflammer.
Le problème de la forêt est très important
en Asie du Sud-Est et particulièrement en
Malaisie. Ce pays a assumé pendant une
bonne partie des décennies passées la fourniture du marché mondial du bois tropical.
Les rythmes de déboisement ont été bien
supérieurs au rythme de récupération des
aires défrichées.
« L’enclôture des terres et des eaux associée
10. Des pertes de sols supérieures à 125t/ha/an ont été enregistrées en aval du barrage hydroélectrique dans les Cameron Highlands, à cause de pratiques agricoles mal gérées.
11. Lim Jit Sai et al., Soil Resources in Malaysia, an overview, dans CAP, State of The
Environment…, p. 182.
86
Grafigéo 2000-10
La prise de conscience environnementale malaise
à l’expansion de l’industrie de la pulpe et du
papier en Asie du Sud-Est n’est pas un simple
phénomène physique, une invasion d’un
espace. Pas plus que cela n’est le résultat des
« mécanismes de la libre concurrence » ou
une inévitable et impersonnelle « voie du
développement économique » qui doit être
désormais rendue « durable ». C’est plutôt
une lutte sociale, culturelle et politique complexe, mettant en jeu un panel très varié d’acteurs aux motivations diverses, qui, par leur
travail faiblement coordonné, réagissant à
une mode contingente et ad hoc, rendent le
papier et la machinerie à pulpe vendables, le
financement de la dette possible, les intérêts
politiques intriqués, et la centralisation de
contrôle des ressources accessible. »12
61% de la superficie totale de la Malaisie
est recouverte de forêts naturelles ou de
plantations. Le ratio est plus grand en
Malaisie orientale qu'en Malaisie péninsulaire. Sur ces 20 millions d’hectares encore boisés, 53 % sont en forêts vierges et les deuxtiers sont officiellement protégés. Si on
rajoute les plantations commerciales d’hévéas et de palmiers à huile, le taux de couverture forestière malais grimpe à 75 %, ce
qui est considérable. Toutefois, c’est le taux
d’utilisation des ressources forestières naturelles qui est mauvais, puisque les entreprises détruisent nombre d’espèces qui
pourraient avoir une utilité autre que le bois
d’œuvre. Ou sinon, c’est l’inverse : l’entreprise gâche du bon bois pour faire de la pâte
à papier ou exporter des matières premières,
des produits semi-finis à faible valeur ajoutée. Tout dépend du type de concession et
surtout du statut des terres exploitées par la
concession. Si la propriété n’est pas clairement affirmée, les concessionnaires ont tendance à faire des profits maximaux à court
terme, récoltant des arbres avant maturité.
De plus, les taxes imposées par les gouvernements ne sont pas très élevées. Ceci tend à
augmenter les profits des concessionnaires
sur le bois en pied qui n’est pas évalué à sa
juste valeur par les concesseurs. L’abattage
illégal en-dehors des limites des concessions
pénalise aussi les forêts. Malgré les disposi-
tions légales incluses dans les contrats de
concession, établis sous le couvert de la
National Forestry Act, les peines et amendes
appliquées, du fait de leur faiblesse, ne dissuadent pas les concessionnaires.
Les procédures d'attribution des concessions, bien que clairement indiquées dans les
différentes législations fédérales ou régionales, suscitent des pressions et des abus. On
est en train d’y mettre bon ordre mais les
errements passés ont été nombreux, lorsque
les concessions étaient attribuées aux entreprises parapubliques et à quelques entreprises privées, détenues essentiellement…
par les membres du gouvernement grâce à
toutes sortes de combines administratives.
La révision actuelle des procédures d'attribution et d’exploitation des concessions dans
un sens plus restrictif fait suite à ces abus et
à la diminution des aires récoltables. Elle
cherche surtout à produire plus de valeur
ajoutée localement à partir des bois récoltés.
Les revenus totaux de la filière bois comptaient en 1992 pour 8 % du PNB malais. Ils
sont en constante augmentation avec les
objectifs fixés par le 6e plan national, qui
consistent justement dans le développement
des industries de transformation du bois,
particulièrement dans le mobilier : les exportations dans ce domaine ont augmenté de
457 % dans les premières années de la
décennie quatre-vingt-dix13 (photos 9 et 10).
Afin de préserver les revenus à l’exportation, le gouvernement applique et reconduit
régulièrement des restrictions aux exportations de grumes. La politique a eu des effets
favorables pour le développement d’une
filière de transformation du bois en Malaisie.
Mais son contre-effet est l’impossibilité croissante qu’éprouvent certaines entreprises qui
ont besoin de grumes à faible prix pour être
compétitives, à trouver de la matière première. Sont particulièrement affectées les
scieries et les pulperies qui ne disposent pas
de concessions à long terme qui leur permettent de renouveler leurs stocks à moindre
coût. L’attitude du Japon pose un autre problème car il est un des plus gros consomma-
12. Parnwell et Bryant, op. cit., p. 43.
13. Awang N., Forest concessions, revenue systems, and timber trade in CAP, op.cit., p.55
Grafigéo 2000-10
87
Transformations environnementales dans le monde malais
teurs de bois : « toute solution à l’exploitation forestière non-durable doit impliquer un
changement dans la politique japonaise discriminatoire à l'encontre des produits transformés »14. Mais la mauvaise exploitation
correspond aussi à une imitation du Japon
comme modèle de développement : les campagnes « Apprenez du Japon » à la fin des
années 1980 ont produit leurs effets. Les
pays d’Asie du Sud-Est suivent désormais
les hauts et les bas de l’économie japonaise
parce qu’ils suivent les modèles de développement japonais, mais aussi parce qu’ils suivent de près la délocalisation des activités
qui ne sont plus rentables au Japon.
La Malaisie péninsulaire est passée en
dessous des 50 % de couverture forestière en
1989. On le doit à toutes les activités humaines dans les périmètres forestiers : mines,
barrages, exploitation forestière, essartage,
développement des plans agricoles,… Les
barrages recouvrent à eux seuls 100 000 hectares de forêt en Malaisie Péninsulaire, sans
compter ceux qui sont en construction ou en
voie d’achèvement comme ceux qui doivent
pallier le manque chronique d’eau du
Selangor. L’essartage est une cause de dégradation surtout en Malaisie Orientale : en
1985, 28 % du Sarawak était affecté par la
pratique.
Mais ce sont les pratiques d’exploitation
forestière qui sont les plus destructrices, surtout dans les régions collinéennes, car elles
peuvent détruire jusqu’à 85 % du couvert
forestier quand on prend en compte les
effets secondaires de la coupe, même sélective (par exemple, on a des taux de destruction de la végétation autour d’un arbre abattu supérieurs à 40 %). Ce sont les forêts en
tourbières et les mangroves (1/10e du total
des forêts) qui ont été durement touchées
par l’aménagement des besoins humains.
Les routes d’exploitation par exemple affectent 12 % des superficies forestières, à cause
de cahiers des charges faiblement respectés.
Elles sont considérées par la plupart des
études non pas comme des coupe-feux, mais
comme des vecteurs de feux : en effet, les
déchets secs s’accumulent tout le long des
routes et ceux-ci facilitent la propagation
rapide du feu dans des secteurs qui ne
devraient pas être touchées, mêmes s’ils sont
encore à peu près intactes.
Dans le cadre de cette diversification
agricole, la pisciculture en eau de mer est
encouragée. On crée de nombreux casiers
dans les secteurs de mangroves, favorables
par leur faible profondeur et les riches eaux
dans lesquelles elles baignent. Toutefois, la
destruction des mangroves a pour effet
secondaire d’affecter gravement toute la
pêcherie et la richesse du milieu qui dépendent lourdement du maintien de cet écosystème particulier : à force d’exploitation, la
productivité des mangroves a baissé de 30 à
40%.
Au total, on considère qu'en 1989, 85 %
des forêts productives en Malaisie péninsulaire avaient été exploitées, 75 % au Sabah et
35 % au Sarawak15. La destruction du milieu
forestier se traduit bien évidemment par une
augmentation des charges en suspension
dans les cours d’eau, mais aussi par une élévation de la température, chiffrable aux
environs de 4 à 5°C entre l’intérieur des
forêts et une localité à l’extérieur. Les dangers d’assèchement des couches humifères et
des épaisseurs de tourbe considérables dans
certains endroits se sont une fois de plus
confirmés pendant les immenses feux de
forêt qui ont affecté la région pendant plus
de 6 mois. Le rôle de filtre à plusieurs
niveaux de la forêt diminue aussi (poussières,
boues,…) augmentant les risques de pollution aérienne déjà en croissance continue.
Les mesures de protection de la
biodiversité
La diversité biologique ou biodiversité
peut être définie comme la quantité et la
structure de l’information contenue dans les
systèmes vivants hiérarchiquement emboîtés16, avec transferts d’informations d’un
14. Holliman, cité p. 74 in Parnwell et Bryant, op.cit.
15. N. Manokaran, An Overview of Biodiversity in Malaysia, in CAP, op.cit., p. 202.
16. Blondel J., Biogéographie, Approche écologique et évolutive, 1995, 298 p.
88
Grafigéo 2000-10
La prise de conscience environnementale malaise
niveau hiérarchisable à l’autre.
Des estimations basses donnaient en
1989 pour la Malaisie, 1000 espèces de
papillons diurnes, 8000 espèces de papillons
nocturnes, 250 espèces de termites, 366 de
moustiques, 200 d’oiseaux, 147 d’amphibiens, 130 de lézards, 170 de serpents, 250
de poissons d’eau douce, 675 espèces de
mammifères,… Entre 50 et 60 % de ces
espèces vivent en forêt et ne peuvent survivre si leur habitat est perturbé.
La forêt dense ombrophile, par sa stratification et son étendue agit comme une mer
en isolant toute une série de niches plus ou
moins vastes, plus ou moins communicantes, propices à un très fort taux d’endémisme. De là une très forte biodiversité, ce
qui fait à la fois la force et la faiblesse du système. Force, parce que c’est un laboratoire
permanent pour la création de nouvelles
espèces végétales ou animales grâce à la très
forte combinatoire possible. Faiblesse, car
l’extrême adaptation de certaines espèces à
des niches empêche une adaptabilité aux
changements de l’environnement induite
par l’exploitation intensive des ressources
naturelles. En Malaisie péninsulaire, la plus
grande biodiversité se retrouve dans les
forêts de basses altitudes, et c’est justement
celle qui est la plus exploitée. La population,
de grands mammifères a décru considérablement : de 3 500 tigres en 1950, on
estime que la population est tombée à 250
individus (d’autres disent 600-650), ce qui
est la limite extrême avant que l’on ne considère la population comme éteinte, du fait de
la consanguinité et de la difficulté qu’ont les
individus à se rencontrer pour se reproduire.
Il en va de même pour les rhinocéros, les
gaurs (bœufs sauvages), les éléphants et
tous les autres animaux que l’on n’a pas
encore découverts (il y a trois ans, on découvrait encore une espèce de cervidé de bonne
taille que l’on n’avait encore jamais observé
scientifiquement). La disparition des grands
organismes dans un sens plus fragiles que
les autres car il leur faut un espace plus
important pour pouvoir survivre, se produit
aussi pour les plus petits organismes.
Même la biodiversité des espèces cultivées ou domestiquées est remise en question
Grafigéo 2000-10
par les politiques de développement des
grandes plantations. La thématique dans ce
cas-là se rapproche totalement des problèmes que nous connaissons en Europe,
avec la création de conservatoires des espèces, afin de remédier à la trop faible différenciation génétique des animaux et des
plantes que l’on produit de manière industrielle par clonage ou insémination artificielle. Les mesures de protection sont-elles suffisantes ?
Le braconnage représente la plus grande
menace pour les espèces sauvages après la
destruction de leur habitat, particulièrement
dans sa forme organisée. Quelques braconniers utilisent les populations aborigènes ou
indigènes pour se faire guider.
Le sixième Plan prévoit la mise en application de différentes dispositions en faveur
de l’environnement, particulièrement à propos du développement durable. Il a pour
conséquence la création de parcs nationaux
un peu partout. C’est la première mesure de
protection véritable des espaces naturels, qui
les place à l'abri de toutes les menaces d’exploitation (mais pas toujours de sources de
pollutions).
En effet, le Department of Wildlife and
National Parks (DWNP) a été fondé en 1972,
sous le couvert du Protection of Wildlife Act
n° 76. Il dépend du même ministère que le
département de l’environnement à savoir le
Ministère des Sciences, des Technologies et
de l’Environnement. Ce département d’État
a d’abord commencé par déterminer des
zones à protéger. Par manque de moyens, il
s’est d’abord contenté d’empêcher dans les
parcs naturels les destructions les plus
criantes de faune et de flore (empoisonnements, chasses abusives) tout en aidant les
populations à résoudre leurs rapports
conflictuels avec la faune, problèmes causés
par les tigres, éléphants, gaurs et autres sangliers ou macaques. Ils devaient aussi mettre
en place des programmes de préservation
des espèces les plus menacées par des captures et des élevages en vue d'une réintroduction dans le milieu naturel. Rapidement
une unité de recherche est mise en place
pour juger de l’effet des mesures prises et
anticiper les mesures à prendre. Elle fonc89
Transformations environnementales dans le monde malais
tionne en collaboration étroite avec les universités ou les organismes nationaux et
internationaux.
Les mesures et les définitions des degrés
de protection sont détaillées dans le Wildlife
Act 1972, distinguant en deux catégories les
animaux à protéger : protection simple ou
protection totale. En 1995, 293 espèces animales et 610 oiseaux étaient totalement protégés, la plupart étant inscrits sur les listes
du CITES (convention que la Malaisie a
signée en 1983). Pour les espèces protégées,
elles sont simplement soumises à contrôle :
on peut continuer à les chasser, les commercialiser, les attraper en demandant une autorisation. Cette classification reprend celle du
CITES dans ses deux appendices. La Liste
rouge des espèces menacées de l’UICN est
aussi utilisée comme référence.
Les parcs nationaux sont généralement
sous la responsabilité des Etats mais soumis
à un contrôle de la Fédération. Entre les
deux niveaux, les législations se contredisent
parfois. De plus, tous les écosystèmes ne sont
pas préservés de la même manière. Alors
que les différentes forêts à diptérocarpacées
sont relativement bien protégées, les mangroves sont presque oubliées (il reste à peine
60 % de la quantité originelle) ainsi que les
forêts marécageuses, généralement enregistrées comme des forêts du Domaine (donc
exploitables). Les parcs sont encore relativement peu nombreux, mais ont souvent une
taille suffisante pour préserver une bonne
partie d’un écosystème de manière viable.
Le tableau suivant donne les superficies protégées par les législations (tableau 8).
Certains de ces parcs sont très anciens
comme le Taman Negara17 dans le Pahang
(côte Est), enregistré en 1939. Il est issu de
la fusion du Taman Negara Kelantan
(1938) et du Taman Negara Terengganu
(1939). Les Anglais commençaient à
prendre conscience des risques du trop fort
développement des plantations sur la quantité de gibier disponible. Ils ont donc créé ce
parc en situation reculée sur des motivations
naturalistes et ont entamé une tradition
nouvelle en Malaisie qui se continue jusqu'à
aujourd'hui. Sabah et Sarawak ont leurs
législations propres. Au Sabah, le National
Parks Act 1980 de la Fédération a provoqué
l’enregistrement des parcs comme State
Parks, et au Sarawak, la Forest Ordinance
1954, la National Parks Ordinance 1956 et
la Wildlife Protection Ordinance 1956 permettent la création de National Parks (avec
tous les risques de confusion avec le statut
fédéral que cela implique). En Malaisie
péninsulaire, les deux plus grands parcs
nationaux sont le parc de Taman Negara
(éponyme du genre) et Endau-Rompin,
célèbre pour sa population de rhinocéros.
Endau Rompin n’a pas encore été enregistré
officiellement comme National Park : les
Etats concernés (Pahang et Johor) préféreraient qu’ils soit simplement un State Park.
Leur contrôle serait plus direct et ils pourraient toujours y créer des concessions forestières par exemple. Toutefois, on reproche
fortement au Taman Negara de ne pas contenir en son sein un morceau de l’écosystème le plus menacé en Malaisie péninsulaire :
les véritables forêts ombrophiles de terres
basses. De même,
Tableau 8 - Surfaces des parcs nationaux et naturels
(en millions d'hectares)
Région
Parcs nationaux
Parcs naturels
Total
Péninsule malaise
0,43
0,31
0,74
Sabah
0,25
0,14
0,39
Sarawak
0,08
0,18
0,26
Total
0,76
0,63
1,39
Source : Manokaran in CAP, 1997, p. 201
« la forme du Taman Negara n’est
pas non plus idéale pour procurer
un large panel d’oiseaux et de
grands mammifères […] parce
qu’une partie du parc est très
étroite. »18
La Malaisie veut de plus en
plus devenir une destination
17. La plus exacte traduction de Parc national.
18. Rachel Berger, Malaysia's Forests-…, p.129.
90
Grafigéo 2000-10
La prise de conscience environnementale malaise
touristique ; outre l'attrait de sa culture, elle
veut tirer avantage de son patrimoine naturel19. Toutefois, la mise en valeur de ce patrimoine naturel pose des problèmes de
conservation : la surexploitation de la ressource peut provoquer sa disparition. Tous
les Etats de Malaisie péninsulaire ne sont
pas affectés de la même manière.
Ces problèmes sont essentiellement situés
sur les côtes et dans les Cameron Highlands.
Ils sont liés aux plages et au développement
des terrains de golfs. Les parcs nationaux,
comme tous les State Parks, font de plus en
plus l’objet de développement touristique et
connaissent eux aussi des projets qui ne soulèvent pas l'enthousiasme des naturalistes.
Les opérations de développement du
tourisme appartiennent aux activités prescrites en avril 1988 qui peuvent faire l'objet
d'études d’impact. Le manque généralisé
d’intérêt et de volonté réelle d’agir a sévi un
peu partout jusque dans les années quatrevingt-dix. Le principe d’un « tourisme durable » que l’on rappelle dans tous les discours
tient plus de la rhétorique que de la réalité.
Pourtant, le tourisme génère des revenus
nets de plus en plus importants : en 1993, il
contribuait pour 3,3 % du PNB de la
Malaisie, avec la création d’une masse d’emplois considérable. On s'est rapidement
orienté vers les trois S (Sea, Sand, Sun) auxquels certains ont tout aussi rapidement
ajouté un quatrième (Sex) pour rappeler
l’effet de Costa Disasta20, observé d’après les
expériences méditerranéennes.
En effet, ce tourisme balnéaire a amené
la dégradation des côtes par un bétonnage
excessif en certains points comme à Penang
et Langkawi, ou bien le déversement des
égouts dans la mer qui provoque non
seulement toutes sortes de pollutions dange-
reuses pour la santé des baigneurs et des
consommateurs de produits marins, mais
aussi tue la faune et la flore benthiques. Les
taux de croissance de l’industrie touristique
en Malaisie témoignent de la réussite des
campagnes de promotion puisque jusqu’en
1985, le taux de croissance annuel de l’activité atteignait les 9,7 % alors que la plupart
des autres pays de la région connaissaient
des taux plus modérés autour de 3 à 4 %.
Les touristes vont préférentiellement dans
deux endroits : Kuala-Lumpur et Penang, île
réputée pour les plages de Batu Ferringhi au
Nord. Les autres parties de la Malaisie ne
sont pas en reste : Pulau Tioman (Est),
Langkawi (Nord Ouest) et le Sarawak sont
les autres destinations principales des touristes qui tous cherchent plus ou moins une
expérience « naturelle », en dehors des sentiers battus. Cela a provoqué la création de
mini-resorts totalement interdits, qui ne
bénéficient d’aucune des facilités tel qu’un
réseau de traitement des eaux usées. La pollution par les déchets et les effluents, l’érosion des plages ont été importantes et essentiellement dues à ces infrastructures
construites de manière inadéquate.
Désormais, la composition des flots de
touristes a changé en qualité : de plus en
plus de personnes relativement aisées choisissent la Malaisie et se dirigent vers les
resorts21 de luxe ou de demi-luxe (équivalents à nos 3 ou 4 étoiles). Il existe une différence entre les touristes européens et les
touristes du sud-est asiatique, les Européens
(Japonais inclus, car ils ont adopté des standards très proches des nôtres) mettent sans
conteste en avant les qualités naturelles et
environnementales de la destination. Cela se
traduit par une fréquentation essentiellement européenne, au minimum 50 à 60 %
19. En 1993, K.H Din citait les chiffres officiels (Parnwell et King eds., Tourism in South East
Asia, 1993, 327) : la Malaisie a connu une moyenne de croissance touristique d'environ
18 % par an pendant les années 1980, avec un pic en 1990 et 1991, des taux de croissance
supérieurs à 50 %. « Le tourisme a émergé des brumes de l'économie malaise pour devenir
le troisième poste de revenus en devises, surpassant la contribution des produits traditionnels, à savoir l'huile de palme, les grumes, le caoutchouc et l'étain. »
20. CAP, op.cit., p. 317.
21. ou Complexes touristiques, qui mélangent soit les grands bâtiments, soit de petits bungalows
disséminés dans de la verdure. Ils veulent normalement concilier une certaine expérience
locale au confort de standard international.
Grafigéo 2000-10
91
Transformations environnementales dans le monde malais
des personnes passant dans les infrastructures de tourisme, avec des pointes à plus de
80 % pendant les périodes de vacances du
monde occidental et une augmentation de la
fréquentation des parcs nationaux : en 1985,
ils étaient 247 128 et en 1994, 527 546.
Outre les parcs nationaux, l'intérêt se tourne
aussi vers l’agro- et l’ethno-tourismes.
L’avantage de la Malaisie sur certains de ses
voisins, comme l’Indonésie, tient à :
« (…)des sentiers balisés de manière adéquate accompagnés de brochures explicatives et
d’informations sur l’histoire naturelle comme
des panonceaux portant le nom des espèces
sur les arbres ; de même des gardes-forestiers
et des guides bien entraînés, érudits n’existent
qu’en Malaisie. »22 (photos 17, 18, couverture)
Lorsqu’on analyse les cycles d'un endroit
à la mode, une des premières raisons invoquées par les visiteurs pour ne plus revenir
dans un lieu touristique est la dégradation
de son environnement. Toute réflexion sur
un tourisme durable devrait donc se porter
sur la préservation de ce qui fait l’attrait du
lieu. Le développement durable d’une activité passe par une réflexion sur le long
terme. Or le concept même de tourisme
implique une grande volatilité des flux et
tend à provoquer un investissement maximal pour tirer le plus rapidement des profits. Reste donc à planifier au mieux les lieux
touristiques à développer pour permettre
une gestion raisonnée en fonction de la
capacité d’un lieu à accueillir la quantité et
la culture des touristes. C’est une opération
très difficile à quantifier, à évaluer et surtout, il est très difficile de dissuader les touristes d’aller dans un endroit sous peine de
voir se tarir le flux.
Par exemple, la plupart des protestations
contre les parcours de golf s'adressent à la
consommation excessive d’espace, d’intrants, de capitaux, d’eau qui peuvent faire
défaut. Ils représentent une faveur faite aux
étrangers au détriment des habitants per-
manents. Pourtant, c’est une opération très
rémunératrice quand on voit les capitaux
qui peuvent découler de la mode du golf.
C’est ainsi que
la folie du golf au Japon fait que le mouvement quotidien des fonds générés par l’achat
et la revente d’affiliations dans les clubs japonais est plus important que le volume quotidien des échanges sur titres des bourses de
l’Indonésie, des Philippines et de la Malaisie
réunies !!!23
Comme la demande est supérieure à
l’offre, les cotisations d’affiliation ont tellement augmenté qu’un nouveau type de tourisme s’est développé à l’étranger, qui participa à l'essaimage des golfs un peu partout
en Asie et dans le Pacifique. Même les classes
aisées locales apprécient le golf comme un
privilège de classe. Elles tendent à faire
grimper les prix des cotisations des nouvelles
infrastructures de golf qui deviennent
comme au Japon, objet de spéculation.
Singapour et la Malaisie n’échappent pas au
phénomène. La plus grande attraction pour
les touristes étrangers (d’un certain niveau
de revenu) et des touristes malais dans les
Cameron Highlands, ce n’est pas la forêt ni
ses paysages, mais plutôt l’exploitation du
Club de Golf huppé, à l'origine des projets
immobiliers impressionnants pour l’endroit.
Entre les choux et le Golf, des grands
immeubles poussent comme des champignons, au grand dam des amis de la Nature.
Dans les parcs naturels, les lodges sont
soumises à réservation auprès de l’office
local des parcs nationaux, afin de ne pas
dépasser un seuil de capacité. Les opérations
peuvent toutefois être assez importantes et
on est en droit de se demander ce que viennent faire de vastes développements luxueux
en pleine jungle. Taman Negara en témoigne, puisque le rapport d’activité et les brochures publicitaires mettent en avant le luxe
des conditions offertes. il est parfois surprenant de se retrouver dans un quasi-quatre
22. Janet Cochrane, Tourism and conservation in Indonesia and Malaysia, dans Parnwell et King
(eds), Tourism in South-East Asia, 1993.
23. Exemple donné dans Parnwell et Bryant, op. cit., Owen Cameron, Japan and South-East
Asian Environment.
92
Grafigéo 2000-10
La prise de conscience environnementale malaise
étoiles (air conditionné, piscine, chaînes
satellites, chambres luxueuses…) en plein
cœur de la jungle ! Nulle part on ne voit de
système de collecte et de retraitement des
eaux. On est en droit de se demander si ces
facilités sont réellement « environnementalement amicales ». On peut se demander
encore si l’environnement proche de ces
centres dans lesquels les touristes restent
souvent, n’est pas falsifié par le souci paysager de ces aménagements.
De nouvelles orientations sont données
aux infrastructures de tourisme. Elles tendent à limiter les développements pour éviter les collisions d’intérêts, pour mieux
armer les populations locales afin qu’elles
prennent en main plus sérieusement leurs
destinées touristiques. Le tourisme doit pouvoir participer à la nécessaire intégration
nationale des différentes communautés
composant le pays. Le massacre des coraux
et la pollution des plages sont désormais
– un peu – plus prises en compte dans les
développements touristiques de Langkawi
et de Tioman. Un effort est en cours, mais
sera-t-il vraiment efficace quand on connaît
les impacts négatifs sur l’environnement
qu’ils peuvent entraîner.
Toutes ces évolutions qui vont vers une
amélioration de l'environnement représentent des avancées réelles dans l'opinion
publique et dans les sphères de décision.
Tout un travail se fait non seulement sous la
pression internationale, mais aussi sous la
pression de groupes d'intérêt. Ils mènent
une action éducative, informative et jouent
le rôle d’un avertisseur en cas de déviance
environnementale. Comment les relations
entre l'exécutif national ou local avec les
Organisations Non-Gouvernementales peuvent-elles donner une idée de l'importance
réelle de ces ONG en Malaisie ?
LE
RÔLE DES ONG ENVIRONNEMENTALES EN MALAISIE
Le gouvernement malais est l’un des plus
ouverts de la région. Si les élections sont
normalement tenues de manière assez
démocratique, le Barisan nasional qui est la
Grafigéo 2000-10
majorité au pouvoir depuis l’indépendance,
n’a pas de réel compétiteur dans l’opposition. Son contrôle est hégémonique sur
toutes les activités de diffusion de l’information, ses pressions sur la justice sont manifestes. L’emploi autrefois régulier de mesures
coercitives comme la détention sans procès,
de restrictions de sortie du territoire, et
l’aveu manifeste du Premier Ministre d’une
conception de la notion de démocratie différente de la nôtre, font que les associations
doivent exploiter les moindres failles du système et les moindres plages de liberté. Peu
puissantes, soutenues par des organismes
internationaux qui profitent du légalisme du
régime pour exercer leur influence, elles
manifestent moins une attitude d’opposition
systématique qu’une volonté de rester indépendantes des influences politiques. Elles
s’appuient sur leur qualité de commanditaire d’expertise scientifique, et aussi sur leur
indépendance d’opinion par rapport aux
autres organismes internationaux.
Leur qualité fut reconnue par le gouvernement Mahatir après la conférence de Rio.
Il ne leur fait plus la chasse comme à des éléments subversifs, mais accepte de discuter
avec eux en tant que consultants sur les
matières environnementales. Cette relative
acceptation et la relative liberté de presse
permettent que ces associations gagnent en
écoute auprès du public et auprès des instances politiques.
L’action de ces ONG environnementales
consiste essentiellement en du lobbying à
travers la presse, avec la diffusion de contreexpertises réalisées par des scientifiques
reconnus nationalement et internationalement. Elles jouent aussi sur les relations personnelles des dirigeants de certaines associations qui font eux-mêmes partie des élites
politiques locales ou nationales. Enfin, elles
exploitent au maximum les divergences
d’opinion et de plans entre les gouvernements des Etats et le gouvernement fédéral.
Leur rôle est maintenant toléré, après
avoir longtemps été négligé, voire considéré
comme subversif et donc réprimé. Les associations comme la Malaysian Nature Society
ou la section malaise du WWF participent
assez activement aux campagnes d’éduca93
Transformations environnementales dans le monde malais
tion en proposant des stages et en sous-traitant des programmes environnementaux
lorsque des établissements scolaires font
appel à leur compétence. Toutefois, le contenu scientifique et les techniques pédagogiques pour faire passer les idées environnementales aux classes urbaines ne
paraissaient pas encore au point. Mais le
manque de moyens y est pour quelque chose.
Plus intéressantes et semble-t-il efficaces sont
leurs actions entamées auprès des communautés rurales, qui proposent des clubs de
concertation et de prise en main de la gestion
des problèmes environnementaux. Les programmes venant de commencer, il est pour
l’instant impossible de dresser un premier
bilan.
Conclusion • Un patrimoine naturel
renouvelé, des menaces de surex ploitation patentes
La Malaisie jouit d’un patrimoine assez
exceptionnel aussi bien par son étendue que
par sa qualité. Les différentes procédures
d’études et de protection de la nature témoignent d’un engagement à l’heure actuelle
sincère des autorités. Même si certains abus
sont encore décelables et que les projets pharaoniques séduisent toujours, une réelle
volonté de protéger et d’apprécier l’environnement naturel de la Malaisie semble naître.
Les communautés indigènes ou aborigènes
se trouvent en accord avec les communautés
urbaines pour la protection d'un environnement que tous doivent réapprendre à
connaître. La tradition n'est plus suffisante
dans un monde où tous les mouvements
s’accélèrent et où, qu’on le veuille ou non, la
résistance à la pression venue de l’extérieur
s’affaiblit nécessairement. Plutôt que de
s’arc-bouter contre une globalisation qui
met les espaces régionaux en permanence en
contact avec les réussites et les échecs du
monde entier, le gouvernement malais tente
de trouver une voie moyenne entre modernisme et tradition. Elle est moins ouvertement volontariste qu’à Singapour dont la
population est très réduite et concentrée,
mais les dirigeants ont pris acte de la gravité des problèmes environnementaux
puisque d’eux dépend en grande partie la
stabilité économique et sociale du pays. Le
rééquilibrage se fait selon cette orientation,
afin d’éviter des émeutes au sein des différentes communautés. Un lent travail d’éducation est entrepris, et on peut dire que la
Malaisie n'est pas tellement en retard sur
l’Europe, mis à part le problème du retraitement des eaux usées et des déchets.
Lentement, mais profondément, la population malaise commence à prendre conscience des enjeux futurs que soulèvent les considérations environnementales. Le slogan
Cinta Malaysia (J’aime la Malaisie) prend
sa dimension non seulement dans le développement de l’économie, mais aussi dans la
découverte des beautés du pays. On peut
ainsi le voir à travers les sondages24 qui en
1996 donnaient sur les 2000 personnes
interrogées une très forte proportion de
Malaysiens conscients du mauvais état général de leur environnement (près de 90 % en
moyenne ; 1994-1995 donnait 90 % de personnes pour qui la pollution était le plus
important problème des dix dernières
années), plaçant dans l’ordre les phénomènes de brume (haze, 1994-1995 : 86%),
pouvant pour 60% des adultes en donner les
causes : la pollution des eaux et des rivières
(1994-1995 : 51%) et les problèmes de traitement des déchets. Les personnes interrogées étaient plus partagées sur l’efficacité
des programmes télévisuels ou radiophoniques, bien qu’un sondage 1994-1995
donnât une forte proportion de sondés informés de l’existence de ces programmes. Ils
appréciaient aussi l’aide que ces programmes médiatiques leur apportaient pour
comprendre des phénomènes complexes.
Toutefois, dès qu’il s’agit d’une quelconque
implication personnelle dans un programme
ou dans une réelle action pour l’environnement, les chiffres tombaient brutalement :
22 % ont été impliqués dans des actions de
contrôle de la pollution, 44 % ne savaient
24. Récupérés au sein des ministères et département de l'environnement, d'après les NST Survey
1996 et le Frank Small Survey 1995-1996.
94
Grafigéo 2000-10
La prise de conscience environnementale malaise
pas qu’ils existaient, et 40 % soit ne voulaient pas (6 %) ou n’avaient pas le temps
(34 %). 92 % voulaient que des programmes environnementaux soient introduits dans les programmes scolaires. Les
autres suggestions faites au gouvernement
sont ensuite dans l’ordre (pas de chiffres
pour 1996) : une participation accrue du
public assortie d’une meilleure transparence, des pénalités accrues, et une révision des
lois concernant l’environnement.
Il est difficile d’extrapoler ces petits sondages à l’ensemble de la population malaise: les stratégies d’échantillonnage n’étaient
Grafigéo 2000-10
pas indiquées et ne permettent pas de juger
de la représentativité de l’échantillon. Il n’en
reste pas moins que comme partout, les
Malais sont de plus en plus conscients de la
dégradation de leur patrimoine naturel,
mais sont relativement peu enclins à s’impliquer dans des actions concrètes à moins
d’y être contraints par des mesures légales.
La notion de patrimoine apparaît progressivement à travers toutes les couches de la
population et le gouvernement répercute le
changement d’opinion dans les politiques
qu’il mène.
95
Transformations environnementales dans le monde malais
Embarcadère pour le bois, Rejang River, Sarawak (photo 9).
Les rivières sont un moyen commode pour accéder aux concessions.
Barge en cours de chargement de grumes, Rejang River, Sarawak (photo 10).
Le transport fluvial réduit fortement les coûts d'extraction du bois dans les concessions
à l'intérieur des terres. Les chargements sont impressionnants par la masse qu'ils représentent.
Il n'est pas rare de rencontrer des bateaux lestés d'une pile de bois supérieure à 10 mètres de hauteur,
tractant de plus une remorque toute aussi chargée.
96
Grafigéo 2000-10
Le Sarawak, un État à part dans la Fédération
Chapitre 6 • Le Sarawak, un État à part
dans la Fédération
Q
UEL QUE SOIT LE MOYEN de transport
que l’on emprunte pour découvrir
le Sarawak, on reste surpris par la
variété des paysages, qui passe d’une forêt
humide à de grandes plaines herbeuses, de
belles rizières organisées qui correspondent
parfaitement au cliché asiatique le plus
répandu, aux petits essarts perdus au milieu
des collines. L’habitat couvre l’éventail des
immeubles officiels modernes, aux longhouses traditionnelles encore construites en
matériaux naturels et enchâssées dans une
forêt presqu’impénétrable. Sans cesse renouvelés par touches et retouches, les verts
accompagnent les rivières et les fleuves qui
serpentent en longs méandres argentés dans
les plaines côtières, vision rafraîchissante
dans la touffeur du climat. Les aspects sauvages de l’île font le contrepoint exact à la
rigide organisation de la civilisation.
Cette nature prodigue en plantes et en
animaux abrite aussi des peuplades anciennes, qui vivent avec elle une relation encore
très forte, presque fusionnelle. Cette relation
se dissout, il est vrai, peu à peu, à mesure
que les Dayak, Iban, Lugat, Kenyah, Kayan
et Penan entrent en contact avec les Malais,
les Chinois et le monde contemporain. Ils
passent pour certains de plain-pied d’une
civilisation fixe, éternelle dans son extériori-
Grafigéo 2000-10
té comme peut apparaître la forêt, à une
civilisation du contact, de l’immédiat, du
présent mouvant. Et la forêt suit une même
tendance. On l’éclaircit, on la transforme en
profondeur pour faire surgir des poivrières,
des palmeraies, des rizières ondulantes.
L’habitat se rigidifie, s’aliène en ne recourant plus systématiquement aux produits de
la forêt. Il appelle à la sédentarisation et
incite ses habitants à modifier leur relation
avec la forêt, à la considérer comme une ressource économique plutôt que comme un
lieu où on revivifie la tradition. De larges
routes utiles relient désormais les hommes
de toute origine, par le bitume ou les flux
d'information.
Certaines de ces transformations vont
trop loin, et vident la terre de sa substance,
lavent le sol nourricier qui se déverse dans
les cours d’eaux en flots boueux et lourds.
Perdant une partie du pouvoir régulateur
des forêts, les rivières se mettent à inonder
leurs plaines avec une ampleur inconnue
jusqu’alors, et provoquent des maladies.
Elles rejettent en mer leur bourbe qui s’étale
sur les côtes, étouffant les coraux et les fonds
marins que les pêcheurs exploitent. La forêt
s’assèche, se renouvelle plus lentement et
perd irrémédiablement la variété de son
capital biologique. Les incendies prennent
97
Transformations environnementales dans le monde malais
Carte 7 - Sarawak, villes et parc naturels
110˚E
112˚E
114˚E
SABAH
5˚N
29
Limbang
N
35
Miri
4
26
Mer de Chine méridionale
21
BR.
BRUNEI
17
2
Niah
9
3
12
5
Bintulu
3˚N
14
15
N
34
30
Sibu
16
11
25
23
28
6
31
27
24
100 km
8
cours d'eau
KALIMANTAN
Sanctuaires fauniques existants
1- Bako
2- Gunung Nulu
3- Niah
4- Lambir Hills
5- Similajau
6- Gunung Gading
7- Kubah
8- Batang Ai
9- Loagan Bunut
23- Samunsam
24- Lanjak-Entimau
25- Pulau Tukong Ara-Baram
10- Santubong
11- Tanjung Batu
12- Pulong Tau
13- Hose Mountain
14- Usun Apau
15- Pulau Bruit
16- Pelagua
17- Agrandissement de Gunung Mulu
18- Agrandissement de Bako
19- Parc marin de Tanlang Talang
20- Agrandissement de Kubah
21- Agrandissement de Niah
22- Mangrove de Salak
localité
frontière
(INDONESIE)
Parcs nationaux existants
Parcs nationaux à l'étude
Sanctuaires fauniques à l'étude
26- Sibuti
27- Agrandissement de Lanjak-Entimau
28- Agrandissement de Samunsam
29- Mangrove de Limbang
30- Batu Laga
31- Maludam
Réserves naturelles à l'étude
32- Grottes de Wind et Fairy
33- Stutong
34- Bukit Mersing
35- Bukit Simbling et Bukit Hitam
alors une importance qui bouscule les principes multicentenaires des tribus. Résignation et fatalisme prévalent dans la population.
Le tableau que nous venons de dresser et
que l’on nous donne constamment à voir,
fixe-t-il toute la réalité environnementale du
Sarawak ? Quelles nuances faut-il apporter ?
Le Sarawak est le plus vaste État de
98
Kapit
Bandar
Sri Aman
Serian
1˚N
0
Sarikei
19 10 1
22
7 20 18
Kuching N
33
N
32
13
N
Sources diverses
toute la Fédération de Malaisie. D’abord
placé dans l’orbite du Sultanat de Brunei,
puis durant un siècle sous la domination
anglaise avec la dynastie des White Rajahs,
les Brooke, le Sarawak a décidé son rattachement plénier à la Fédération en 1963,
huit ans après l’Indépendance de la
Malaisie. Comme le Sabah, il possède une
originalité propre qui forge sa différence
avec la péninsule : différence paysagère, car
Grafigéo 2000-10
Le Sarawak, un État à part dans la Fédération
il n’a pas les mêmes caractéristiques géologiques ; humaine, car la moitié de sa population est indigène1 ; économique, car le bois
et le pétrole, avec un peu d’agriculture sont
presque ses uniques ressources ; plus libre
dans ses lois, il a un code pénal particulier,
spécialement en matière environnementale.
Faible densité et relativement faible urbanisation sont les deux traits majeurs du peuplement. Comme on le dit en Malaisie, le
Sarawak est « une exception » au sein de la
Fédération.
DES
PROBLÈMES ENVIRONNEMENTAUX REPRESENTATIFS
Si le Sarawak connaît les mêmes problèmes environnementaux que les autres
pays de la région, il se distingue d’eux par
des spécificités que nous tenterons de relever.
Les problèmes causés par
l’exploitation du pétrole
L'essentiel des activités industrielles se
concentre autour de l’exploitation pétrolière,
des scieries et enfin de l'agro-alimentaire
avec les huileries qui prennent de plus en
plus d'importance, ainsi que toutes les
petites industries de transformation du
poivre. Les pollutions générées par les activités industrielles sont mineures par rapport
à celles de l'extraction du bois et des nouvelles plantations. Seule l'industrie pétrolière peut être considérée comme réellement
polluante à grande échelle au Sarawak. Ces
problèmes ne sont pas encore trop graves
aux yeux des environnementalistes bien
qu’ils essaient de rester vigilants. Les publications gouvernementales sont relativement
restreintes sur le sujet car le pétrole est une
ressource sensible. Toutes les installations
pétrolières font partie des industries qui doivent être soumises à une procédure d’étude
d’impact. Ce n'est pas une industrie très
propre car les rejets d’hydrocarbures sont
estimés à 3000 t/an rien que pour les sites
de production2. Toutefois, il n’est pas impossible que des accidents d’exploitations surviennent de temps à autre comme les
4530 barils de pétrole déversés en mer de
Chine au large de Bintulu en mars 1996, à
la suite d'un incident technique sur une
plate-forme d’exploitation. C’est la Shell
exploitant du site et du terminal pétrolier de
Bintulu, qui a dû assurer les travaux de nettoyage et de contention de la mini-marée
noire.
Deux conséquences : la première fut le
renforcement de la législation malaise pour
combattre les marées noires (le National Oil
Spill Contingency Plan, ainsi que l’établissement d’un Fonds de nettoyage des plages et
des Comités de nettoyage des plages dans
chaque Etat. La deuxième conséquence fut
l’établissement de protocoles d’accord entre
la Malaisie et Brunei. Un exercice grandeurnature a été pratiqué « afin de tester les liens
de communication entre les différentes
autorités et parties impliquées dans chacun
des pays »3.
Des forêts variées fortement
exploitées
L’essentiel du territoire était autrefois une
large forêt climacique, parfaitement adaptée
aux différences d’hygromorphie des sols, et
aux températures. La caractéristique la plus
importante de la forêt de Bornéo, dont le
Sarawak possède un grand échantillon, est
la domination des espèces appartenant à la
famille des Diptérocarpacées, dont les deux
traits fondamentaux sont la présence de
canaux à résine à l’intérieur du bois, et l’enveloppement des graines par un ou plusieurs
sépales de la fleur, formant ainsi une ailette
comme sur les fruits de notre érable. Seul
Bornéo possède autant d’espèces avec 9 genres et 287 espèces différentes. Ce sont des
arbres qui peuvent atteindre des tailles
gigantesques (plus de 50 mètres de hau-
1. Voir la définition dans le chapitre 1.
2. CAP, State of the environment in Malaysia, p. 410.
3. DoE, Environmental Quality Report 1996, p. 45.
Grafigéo 2000-10
99
Transformations environnementales dans le monde malais
teur), avec des volumes en rapport. Il n’y a
quasiment que des diptérocarpes dans la
strate supérieure de la canopée. Presque
toutes les espèces de cette famille ont un bois
utile. L’excellente qualité du bois, la variété
des volumes extractibles, leur relative homogénéité qui permet un approvisionnement
continu, ont entraîné une production industrielle énorme. Les deux Etats malais du
Nord de Bornéo se sont rapidement retrouvés les principaux exportateurs mondiaux
de bois tropicaux, alors que les concurrents
philippins et indonésiens se sont rapidement
essoufflés : une plus forte pression sur les
ressources en bois a tari les flux d’exportation (figure 3).
Les forêts du Sarawak sont surtout des
forêts de colline et de basses terres (carte 8)
et poussent principalement dans la zone
côtière, là où désormais, les populations se
fixent préférentiellement. Elles croissent
dans des conditions souvent difficiles du fait
du profil et du lessivage des sols.
Trois associations floristiques occupent
l'essentiel de ces terres basses. Les forêts qui
poussent dans les meilleurs sols sont les
forêts les plus riches en espèces et souffrent
le moins de l’exploitation lorsqu’elle est pratiquée dans les règles de l’art. Alors que les
Kerangas (photo 11) grandissent dans des
sols quasi inexistants (10-20 cm), les
Kerapah peuvent pousser dans des épaisseurs d’altérites profondes de plusieurs
mètres mais très pauvres et très acides : ce
sont généralement des formations sablonneuses ou glaiseuses.
Les coupes transversales de ces derniers
types de forêt montrent une diversité des
situations qui provoquent à chaque fois un
appauvrissement ou un enrichissement floristique. En général, ces formations végétales sont relativement moins hautes que les
forêts de diptérocarpes. Les forêts les plus
pauvres en espèces sont les forêts marécageuses : la variété d’arbre la plus représentative en est le Ramin. On les trouve à côté des
dômes de tourbe ou dans les franges des
nouvelles formations marécageuses côtières.
Figure 3 - Production de grumes en Malaisie
30
25
20
15
10
Autres
Indonésie
Sarawak
Million m3
5
Sabah
Philippines
0
1965
1970
1975
1980
1985
Source : d’après Nectoux et Kuroda, 1992. In Primack et Lovejoy, 1995.
100
Grafigéo 2000-10
Le Sarawak, un État à part dans la Fédération
Carte 8 - Les forêts de Sarawak
LÉGENDE
Étendues continues
Forêts marécageuses
Bois dispersés
Étendues continues
continues
BE
Étendues
Bois dispersés
Cultures
D'après : Primack, Lovejoy, 1995.
Ces forêts mixtes à ramin couvrent à peu
près 80 % des superficies marécageuses du
Sarawak.
Elles sont considérées comme difficilement exploitables à cause de la lenteur de
leur croissance : Quand les arbres sont
récoltés commercialement dans ces forêts, la
régénération des arbres et les taux de croissance donnent des résultats décevants par
leur faiblesse4. Les auteurs continuent à afficher la même prudence à propos des possibilités d’exploitation des autres types de
forêts :
« Les forêts marécageuses à Alan, de type
PC3 [forêt dense à Shorea albida en association, meilleur type de forêt marécageuse] ont
été exploitées par coupes claires depuis les
années cinquante, mais la régénération naturelle a échoué. L’échec persistant de la régé-
nération du Shorea albida dans les périmètres
récoltés commercialement ou attaqués par les
insectes […] est symptomatique d’un régime
de régénération fragile qui reste encore un
mystère complet pour les sylviculteurs et les
écologistes. La coupe claire telle que pratiquée actuellement enlève de toute évidence
une importante ressource et abîme un écosystème sans la promesse d'une restauration. La
plantation, bien que possible, est risquée et
chère […].5
Une meilleure compréhension actuelle
du rôle fondamental de la canopée et de la
biodiversité dans les tropiques permet une
utilisation plus raisonnée des divers types de
forêts, tout en soulignant l’extrême fragilité
de certains milieux comme les forêts qui
viennent d’être étudiées : des facteurs encore inconnus empêchent la reconstitution
naturelle de certains types et de certaines
4. Primack et Lovejoy, op.cit., p.46.
5. ibid., p. 48.
Grafigéo 2000-10
101
Transformations environnementales dans le monde malais
espèces. Elle montre combien il est important pour la durabilité de la ressource
d'adopter des pratiques très sélectives et
légères d’exploitation, ainsi que de se
réorienter vers des modes de production très
diversifiés. Les critères de l’ITTO (International Timber Trade Organisation, basée
au Japon) sembleraient proposer les solutions les plus adéquates pour la gestion de
ces forêts fragiles dans leurs sous-types les
plus résistants. Les plaines entourant Miri,
largement marécageuses, ont été presque
entièrement défrichées, et elles sont en cours
de bonification, ainsi qu’on peut le voir sur
la photo 12. Elle nous montre le paysage qui
résulte des travaux d'exploitation et la qualité des développements qu'on y pratique.
La dégradation des associations végétales par une exploitation sylvicole se double
d’un risque d’incendie avec les pratiques
traditionnelles agricoles. Depuis la fin des
années soixante-dix, des critiques contre
l’essartage (ladang en malais) se sont élevées au Sarawak et à Sabah. Elles déplorent
la perte de bonnes espèces de bois d’œuvre.
Des politiques ont par conséquent été mises
en place pour encadrer, stabiliser et changer
les traditions agricoles, en introduisant de
nouvelles cultures de rente sur le modèle de
la plantation.
« D’un autre côté, des études sur le changement socio-économique au Sarawak ont été
très critiques à l’égard de l’exploitation forestière commerciale et des politiques de développement gouvernementales […]. L’accusation met en cause la pénétration d’une
économie capitaliste, la mise en œuvre de politiques clientélistes, et la planification du développement (hiérarchique, i.e. dont les décisions partent toujours d’en haut et sont
applicables par le bas) : ce sont les principales
causes à la fois de la destruction environnementale et de la détérioration des cultures. Il
va sans dire que la critique de l’exploitation
forestière a provoqué de vives réactions de la
part des représentants du gouvernement. »6
Même l’ITTO pourtant modérée dans ses
jugements a émis la critique que les rythmes
d’exploitation des ressources au Sarawak
n’étaient absolument pas durables.
La conséquence la plus impressionnante
des éclaircissements dans le couvert forestier
de Bornéo, à travers tous les États qui composent l’île, c’est l’assèchement de l’air et de
la végétation qui produit en continu une
grande quantité de matières mortes facilement inflammables. Elle se traduit par une
augmentation de la durée, de l’intensité et
de la fréquence des sécheresses. Entre les
oscillations les plus dures d’ENSO7, la population a aussi changé ses habitudes. D'après
les études menées au Sarawak, les essarteurs
se sont mis à pratiquer leur agriculture traditionnelle dans les zones de forêts secondaires, plus facilement pénétrables et défrichables.
Après les premiers stades de l’exploitation forestière, une partie des communautés
« indigènes » pratiquent les ladang dans les
zones exploitées, avant que la végétation
n’ait eu le temps de se reconstituer autour
(photo 13). Cette pratique peut avoir
comme conséquence l'éventualité de feux
dans une forêt beaucoup plus sèche que la
forêt primaire.
La proximité des villes a une influence
sur le défrichage. Plus elles sont proches,
plus les possibilités techniques et donc l’efficacité du défrichage sont grandes. Les feux
d’essartage ou de débroussaillage prennent
une intensité nouvelle, inconnue jusqu’alors.
Les endroits les plus affectés par les feux de
1997-1998 furent ainsi à plus de 80 % les
périmètres d’abattage. Tous les indices de
pollution aérienne par particules ont littéralement explosé : les habitants racontent que
pendant des jours entiers, les conducteurs ne
pouvait voir le capot de la voiture tant la
fumée était dense (cf. chapitre 1).
Un renouveau agricole est devenu nécessaire et s'accomplit avec l'aide de spécialistes
délégués par le gouvernement du Sarawak
et du gouvernement fédéral. Des programmes de recherche agronomiques et des
essais-pilotes sont en cours. Une évolution
6. Parnwell et Bryant, Environmental Changes…, p. 166.
7. El Niño Southern Oscillation ou en français, Oscillation australe d'El-Niño.
102
Grafigéo 2000-10
Le Sarawak, un État à part dans la Fédération
paysagère est déjà visible dans les campagnes de l'État.
La progressive transformation
des paysages agricoles
La population du Sarawak est essentiellement agricole. Les revenus tirés de la forêt
sont très nombreux mais avec la sédentarisation, l’accroissement de la population
rurale et surtout urbaine, on voit apparaître
différentes formes d’agriculture plus productives, plus rémunératrices. On construit
des sortes de serres (en fait des armatures
sur lesquelles on a remplacé le film de polyéthylène par des filets aux mailles serrées)
pour les légumes qui approvisionnent en
produits frais les marchés urbains. La
demande est en constante augmentation
depuis le développement de l’industrie du
bois, et surtout de la pétrochimie. Des villes
comme Bintulu, Miri doivent leur existence
presqu'uniquement aux besoins de l’industrie pétrolière.
On peut ainsi voir de grands périmètres
d’agriculture intensive, entièrement tournée
vers le commerce dans la périphérie des
grandes villes comme Sibu, Miri et surtout
Kuching. Les photographies ont été prises en
amont de Kuching, dans le secteur de
Siburan (route de Serian au sud-est de
Kuching) à une quinzaine de kilomètres
(photos 14 et 15). Elles sont bien représentatives de ce que l’on peut apercevoir autour
des villes précitées, avec de grands champs
soignés. C'est le genre d'agriculture qui
demande un temps complet et incite à la
division du travail : les paysans ne peuvent
ou ne veulent plus forcément produire tout
ce dont ils ont besoin (animaux et végétaux).
Ils intègrent ainsi dans leur régime alimentaire une part croissante d'aliments transformés industriellement ou non, et dérogent à
l'autosubsistance quasi totale d'avant.
Le paysage se transforme encore de
manière plus importante avec les cultures
commerciales de plantation. La culture du
poivre, du cacao et surtout des grandes
plantations de palmier à huile réclame des
superficies de plus en plus grandes au
Sarawak. Cette dernière culture est parfois
pratiquées sur les collines ; le terrassement
nécessaire à l’entretien et à la récolte produit
depuis l’avion des paysages aussi étranges
que beaux alors que depuis la terre ferme, ils
présentent un intérêt très relatif. Certains
paysages sont beaucoup plus typiques de la
culture du palmier en grands périmètres
mais ils sont encore loin d’atteindre l’ampleur de ceux qui existent en Malaisie péninsulaire, où les palmiers à huile s'étendent à
perte de vue.
L’INDIGÉNAT
FORT DU SARAWAK
FACE AUX DÉFIS DE LA MODERNITÉ
L’utilisation des intrants, l’augmentation
de la charge en suspension dans les rivières
et les risques d’incendie ou d’inondation
croissent régulièrement au Sarawak. Les
conséquences sont d’ordre sanitaire pour les
populations urbaines comme pour les populations rurales. Mais pour les « Indigènes »8
s'ajoute le problème de l’adaptation aux
nouvelles donnes économiques et sociales
imposées par la modernisation du pays et
son accession au statut de pays développé
aux alentours de l’an 2020. On commence à
prendre la mesure du problème que pose le
statut des terres indigènes traditionnelles et
de l’exploitation des forêts. Pour certains, il
n’y a aucune raison pour que quelques centaines d’individus gênent la grande marche
du progrès en alléguant des droits ancestraux qui sont difficilement prouvables et de
toute façon rarement respectés par les sociétés en charge de l’exploitation d’une concession. Le grand tournant dans le respect des
droits indigènes vient de la Bataille pour les
Forêts du Sarawak, pendant toutes les
années 1970-1980, que nous avons décrite
dans le premier chapitre. Ces manifestations, ces barricades, ces délégations
envoyées à travers le monde ont provoqué le
réel retournement environnemental du gou-
8. C'est, je le rappelle, un terme constitutionnel. Je n'ai pas trouvé d'autres traductions qui me
paraissent satisfaisantes.
Grafigéo 2000-10
103
Transformations environnementales dans le monde malais
vernement malais, tant fédéral que local.
Elles ont mis en évidence les dangers de la
fusion des intérêts de l’État avec ceux des
concessions. Les nébuleuses népotiques sont
nées de là au Sarawak. Des gouvernants
sont devenus juges et parties dans les conflits
entre les particuliers qui désirent le respect
des droits coutumiers, et des entreprises qui
pour gagner plus d’argent ne s’embarrassent
d’aucune précaution. Les associations environnementales ont pris lors de cet épisode
toute leur dimension de groupe de pression
et de promoteur démocratique. Ce rôle a été
reconnu par l’Etat qui ne pouvait plus
répondre uniquement aux contradictions
flagrantes par des peines d’emprisonnement
politique généralement cassées au Tribunal.
Je me fonderai d’abord sur les différents
articles qui ont été écrits par les membres du
groupe de recherche de la Hull University et
qui reposent sur une étude de cas menée
entre 1990 et 1994 en coopération avec les
universités locales. Ils constituent une base
de connaissances trouvables, et prennent
l’exemple des Iban, ethnie la mieux représentée au Sarawak (29 % de la population
totale, autant que la population chinoise).
D’autres articles, pris dans des éditions environnementalistes variées nuanceront certains
points de vue communément exprimés.
Importance des produits forestiers
autres que le bois dans les socié tés traditionnelles
du Sarawak
Les produits forestiers autres que le bois
(PFAB) sont tous les produits que l’on peut
collecter dans la forêt et qui contribuent à
l’amélioration des conditions de vie. Ce sont
tous ces aliments « sauvages » comme les
bulbes, rhizomes, les fruits et les produits de
la chasse, ce sont encore les éléments de
construction tels les palmes pour couvrir les
toits, les teintures et les éléments nécessaires
à la confection d’outils. Ils servent alors de
tampon de soudure pour les gens qui vivent
à proximité ou à l'intérieur les forêts : ils permettent une source d’alimentation et de
revenus complémentaires non négligeables
particulièrement en temps de difficultés économiques. Ainsi que Nancy Peluso9 l’a mis
en évidence, la collecte de produits forestiers
autres que le bois (PFAB) est d’un rapport
nettement supérieur à la simple exploitation
commerciale des ressources en bois, tout en
ayant un impact environnemental nettement plus réduit et en procurant davantage
d’emplois. Depuis que des activités commerciales sont entreprises dans les forêts
(coupes, agricultures, installations), la qualité, la quantité et la diversité de ces autres
ressources diminuent rapidement. La collecte de ces PFAB n’est pas non plus durable si
elle est entreprise à grande échelle et contribue au processus cumulatif de dégradation
des ressources. Cela affecte en premier lieu
les communautés qui habitent la forêt.
L’étude pose le problème du changement de
la configuration environnementale et sociale
dans le secteur de Bintulu, et l’interprétation
à lui donner.
L’ampleur de leur mise en œuvre dépend
largement de la conjoncture économique et
c’est une activité très flexible à cause de sa
presque totale liberté d'accès. On rentre très
facilement dans les bois pour y récolter sans
presqu’aucun contrôle, des produits qui peuvent avoir une assez forte valeur vénale. Des
« outsiders », nouveaux urbains sans emploi
ou migrants sans qualification, vont tenter
de profiter du flou qui existe sur les titres de
propriété et le contrôle des terres, pour aller
trouver des revenus complémentaires et
épuiser une ressource « qui est par définition
limitée, et peut être potentiellement renouvelable »10. Une concurrence entre les habitants
qui vivent et dépendent des forêts et les
autres exploitants temporaires peut apparaître occasionnellement pour finir par être
9. Nancy Lee Peluso, Rich forests, poor people : resource control and resistence in Java,
Berkeley, University of California Press, 1992. Cet auteur a fait date dans les recherches sur
l'interface homme/forêt en Asie du Sud-Est.
10. Parnwell et Bryant, Environmental change in South-East Asia, article de Parnwell et Taylor,
Environmental Degradation, non-timber forest products and iban communities in Sarawak,
p.271.
104
Grafigéo 2000-10
Le Sarawak, un État à part dans la Fédération
préjudiciable aux deux catégories de population. De même, ceux qui dépendent de la
cueillette peuvent pâtir des changements
dans les goûts des consommateurs qui se
mettent à apprécier de produits plus standardisés, fabriqués à partir de matières premières de substitution.
Un danger guette encore l’approvisionnement : le changement des conditions écologiques par l’installation de nouvelles activités
comme le commercial logging (exploitation
forestière commerciale). Les Kenyah en
amont de la Baram, par exemple, vivaient
essentiellement de ce qu’ils produisaient et
récoltaient. En fonction de la conjoncture
économique, ils se mettaient ou non à
consommer ce qu’ils vendaient en temps
normal (comme la viande de daim aboyeur
ou de daim-souris). Ils pouvaient encore se
tourner vers l’exploitation de ressources
entièrement commerciales comme les noix
de l’illipe à la production très irrégulière mais
rémunératrice et dont l’huile est un bon substitut à la graisse de cacao, ou encore une
base de savon. La domestication progressive
de cet arbre sauvage a commencé, sans aide
ni incitation gouvernementale. Elle est peutêtre due à la concurrence que se livrent entre
elles les longhouses sur le petit nombre
d’arbres sauvages.
Dix ans plus tard, à cause de la progression des coupes de bois, les porcs sauvages
dont dépendent ces communautés pour leur
approvisionnement en protéines se sont
raréfiés et ont obligé les longhouses à se
déplacer plus amont pour retrouver un peu
plus de potentiel d’approvisionnement dans
les parties les mieux préservées de la forêt.
Ceux qui sont restés dans l’ancienne longhouse ont concentré progressivement leur
régime sur des plantes cultivées plutôt que
sur les plantes ramassées en forêt comme
auparavant : ils ont dû se contenter de ce
qu'ils pouvaient produire eux-mêmes puisque les PFAB qu'ils consommaient n'étaient
plus disponibles facilement. Pourtant, on ne
peut réduire l'explication à une seule cause
de ce changement de régime : un faisceau de
facteurs tendrait à l’expliquer par la pénétration plus poussée des idées du monde
extérieur, par l'arrivée de l’économie de
Grafigéo 2000-10
marché, par l'évolution des traditions communautaires… Les plus anciens membres
de la longhouse restés sur place affirmaient
même qu'ils avaient plus de porcs qu'autrefois, ce qui tendrait à montrer que la scission
de la communauté en deux groupes serait
une forme d'adaptation de la population à
la quantité de ressources disponibles. Les
auteurs définissent des points essentiels pour
mesurer et comprendre l’interaction entre
les évolutions des sociétés traditionnelles et
l’environnement. Ces points mettent en
avant l’interconnexion entre la technologie
et la culture locale, la disparition des traditions coutumières et l’ouverture au monde
extérieur, la croissance des activités nonagricoles et l’accélération de la domestication des PFAB les plus rémunérateurs.
Le reste de l’étude s’attache au cas particulier des Iban du District de Bintulu. Elle
ne peut en aucun cas être représentative ni
du district en son entier ni de la totalité des
Iban du Sarawak : ils se sont installés dans
ces longhouses depuis seulement 20-25 ans
au maximum, alors que dans les premier et
second districts (les districts les plus à
l’ouest), l’installation remonte jusqu’au
siècle passé.
Le premier travail a consisté à faire le
point sur la perception que cette population
avait de son environnement : bien que reposant sur des phénomènes hautement subjectifs, cette mise au point est importante car
elle conditionne les décisions économiques
qui vont transformer l’utilisation du paysage.
Plus on remonte la rivière, plus la
perception d’une dégradation des conditions
environnementales est aiguë : c’est là que les
personnes interrogées se sentent le plus
affectées par les coupes forestières qui diminuent les PFAB et sédimentent les rivières ;
ces personnes pratiquent une agriculture
moins efficiente et dépendent ainsi plus de la
forêt. La pratique des coupes sélectives a
aussi privé ces communautés d’arbres utiles
comme le Belian pour la construction de
leur habitat. Si les exploitations forestières
sont perçues comme la principale cause de
nuisances, les restrictions gouvernementales
accroissent le sentiment d’une difficulté à
105
Transformations environnementales dans le monde malais
vivre dans leur longhouse. Ce sentiment ne
tient pas compte de l’augmentation de la
population ni des changements dans le
mode de vie traditionnel : l’utilisation extensive de la forêt ne peut permettre une intensification sans l’emploi d’intrants.
Les Iban reconnaissent que la surexploitation des terres défrichées a entraîné une
baisse de la production en riz qui ramène
pour certains l’autosuffisance à 8-9 mois : la
jachère (fallow-period) n'est pas respectée
au minimum pour restaurer les qualités du
sol. Par rapport à ce que l'on pouvait mesurer il y a quelques décennies, une autosuffisance même de 6 mois reste quand même
un grand progrès. 50 % des personnes interrogées disent qu’elles achètent régulièrement
du riz, et 98 % déclarent acheter d’autres
produits alimentaires. 65 % déclarent ne pas
tirer suffisamment de revenus de leurs PFAB
pour répondre à leurs différents besoins. Ces
communautés ne sont donc plus assez autosuffisantes ; elles sont désormais intégrées
dans une économie de marché et de
consommation.
Malgré une perception dégradée de leur
environnement et leur intégration croissante
dans les réseaux commerciaux, les foyers des
longhouses dépendent encore beaucoup de
la forêt pour leurs protéines, leur habitat,
leur médication et les matières premières
pour leur artisanat. Il est assez alarmant de
noter que les deux tiers des foyers consultés
déclarent les PFAB plus difficiles à récolter et
que le dernier tiers déclare avoir réduit ou
cessé ses activités artisanales sur certains
produits du fait de ces difficultés : aussi
comment trouver des ressources autres que
les activités agricoles ?
L’imagerie populaire faisait des Iban un
peuple essarteur et chasseur redoutablement
efficace. Toutefois, moins du tiers des foyers
considérés allait encore chasser ou pêcher ;
un cinquième dépendait vraiment de la chasse pour ses ressources alimentaires ; environ
un quart dépendait de la pêche et un gros
tiers de la collecte. Après tous les changements qui sont intervenus dans cette communauté, cette image relève désormais du
mythe. Les Iban commencent à faire état de
problèmes de carences alimentaires dues à la
106
disparition de certains produits collectés et
leur remplacement par des produits conditionnés qui leurs sont vendus par les commerçants chinois citadins venus les démarcher. Ces nouveaux produits, poussés avec
intrants, contenant des additifs, ne répondent pas aux besoins fondamentaux comme
pouvait y parvenir l’alimentation traditionnelle plutôt variée. Il est assez préoccupant
de constater que plus de la moitié des personnes interrogées envisageaient l’utilisation
de moyens techniques modernes pour
assurer la continuité et la régularité de l’approvisionnement en PFAB, tels que des poisons chimiques pour la pêche, des scies
mécaniques…, etc. Cela ne témoigne pas
d’une véritable prise de conscience dans la
gestion personnelle de l’environnement.
La plupart des villages de l’enquête font
part de leur volonté d’intégration dans
l’économie de marché, mais émettent cependant quelques réserves : ils ne comprennent
la production artisanale que dans le cadre
d’un réel marché de l’artisanat au Sarawak ;
ils se plaignent de l’inaccessibilité aux produits bruts nécessaires à l’élaboration de ces
produits artisanaux. C’est pourquoi, certains
commencent à se lancer dans la domestication de certains de ces PFAB, comme le rotin,
certaines espèces de végétaux comestibles
(les fougères par exemple) pour pallier les
déficits. En 1994, cela restait encore balbutiant. D’autres études doivent cerner la profondeur et la réalité de ces changements.
Le lien perturbation environnementalemigration est-il toujours valide ?
Nous suivrons ici l’analyse de V.T. King
(1998, p. 137-168). Les options d’ajustement in situ sont généralement préférées,
mais elles ne sont plus toujours possibles en
raison de l'accroissement de la pression économique et démographique sur les ressources. Il est dans la culture des communautés traditionnelles du Sarawak de se
déplacer régulièrement en fonction des ressources disponibles. Les facilités du monde
urbain joue un grand rôle d’attraction dans
les mouvements de population. Il est paradoxal de constater que c’est dans le cas
Grafigéo 2000-10
Le Sarawak, un État à part dans la Fédération
d’une obligation économique que les gens
sont les plus réticents à bouger car ils n’acceptent pas d’être forcés. Selon la culture
prévalant au sein de chaque communauté,
les conditions psychologiques d’acceptation
d’un départ varieront d’une communauté à
l’autre en fonction de leur conception d’un
seuil de tolérance. Certaines communautés
réfléchissent et pensent sur le long terme,
d’autres ne bougent qu’en fonction d’une
pression maximale, sans autre alternative.
Tous les groupes qui bougent ne constituent
donc pas des réfugiés environnementaux,
tels que la Commission des Nations-Unies
pour le Développement et l’Environnement
les définit car certains anticipent une situation alors que les réfugiés la subissent plutôt.
La différenciation entre les réfugiés environnementaux et les autres groupes devient difficile lorsqu’il s’agit de changements graduels car la part d’anticipation et de culture
prend de l’importance.
Dans le cas des Iban, bouger, changer de
terre, tracer une voie nouvelle pour son
groupe familial ou clanique est une marque
de prestige : c’est le bejalai. L’expansion
Iban à l’Est et au Nord de la Rejang date de
la seconde moitié du XIXe siècle. Ils atteignent le secteur de Bintulu vers les années
1900, et Brunei au milieu de ce siècle sans y
être poussés par de grands problèmes environnementaux ou politiques. Le sureffectif
n’était pas la cause unique de départ : sous
le règne des Rajahs Blancs, les Iban cherchaient souvent à diversifier les sources
d'approvisionnement des matières dont ils
faisaient le commerce. En soixante-dix ans
d’immigration Iban dans le secteur de
Bintulu, les transformations faites sur l’environnement étaient notables, puisque la forêt
connaissait au moment de l'étude de nombreux secteurs en repousse, des petites plantations d'hévéas, des champs. Dans certains
endroits, on notait même une relative pression sur la ressource en terres. Mais la densité restait très faible (2 hab./km2).
Les populations actuelles doivent trouver
désormais des activités autres qu’agricoles.
Elles sont pour la plupart engagées dans les
coupes forestières : pour les familles, même si
les concessions forestières sont les premières
incriminées dans la dégradation de leur environnement, les possibilités de trouver des
revenus sont suffisamment rares pour qu'on
les saisisse. La contrainte est parfois dure
pour les communautés traditionnelles car
elles sont impliquées dans la destruction de
ce qui constitue une bonne partie de leur ressource-base. Pour trouver un emploi dans les
villes, le niveau d’éducation est une grille filtrante très puissante. Tous les candidats n'en
trouvent pas forcément un.
C’est par la diminution du revenu que la
dégradation de la terre – et donc celle de
l’environnement – est perçue. Les gens partent alors selon une structure traditionnelle :
des hommes essentiellement, pour la plupart mariés, laissent leurs épouses s’occuper
d’un foyer dont les ressources locales vont
sans cesse se dégradant ; les femmes ne sont
pas en mesure d'accomplir le travail des
hommes, comme d'abattre des arbres pour
ouvrir un nouveau champ. A travers les
études universitaires, il n’y a aucun lien clairement exprimé entre la dégradation environnementale et la migration. Ces conclusions vont à l’encontre des thèses affirmées
par des associations environnementales
comme la Consumers Association of Penang
ou Sahabat Alam Malaysia.
Un cas particulier : les populations
Penan encore nomades
Estimés à 400 individus dépendant totalement de la forêt et du nomadisme pour
survivre, les Penan font l’objet d’une controverse internationale à propos du maintien de
leur forme traditionnelle de vie entre les partisans du développement et les partisans des
droits coutumiers, soutenus par les associations environnementales qui font office de
chambre de revendications penan.
Pour les partisans du développement,
représentés ici par Hamid Bugo11, membre
du gouvernement du Sarawak :
11. Auteur de la contribution The significance of the timber industry in the economic and social
development of Sarawak ; p.221-239 dans Primack and Lovejoy, op. cit.
Grafigéo 2000-10
107
Transformations environnementales dans le monde malais
« […] les désaccords politiques existent au
Sarawak, comme dans tous les pays. Des
factions usent, à l’occasion, des média
internationaux pour mettre en avant leurs
propres programmes. […] Pour certains au
dehors de la Malaisie, la tribu Penan, une
tribu parmi de nombreuses autres au
Sarawak, représente le cas classique d’une
petite société égalitariste opprimée par les
forces d’un gouvernement moderne. […]
Bien que les nomades soient clairement une
minorité, le gouvernement a pris leurs
besoins en considération et a retenu certains secteurs comme réserves de biosphère pour leur usage. En dépit de cette action,
toutefois, une petite faction franche de
Sarawakiens mécontents, prétend représenter les indigènes12 […]. Finalement, le
Sarawak partage un dilemme avec de nombreuses autres jeunes nations dans le
monde moderne : comment un État peut-il
développer son économie et améliorer ses
standards de vie sans compromettre partiellement ses ressources naturelles ?
Nombreux sont ceux qui au dehors de
l’État voudraient que le gouvernement préserve toutes les forêts naturelles pour toujours, mais cette solution est irréaliste et
lourde pour la population du Sarawak, qui
a besoin d’emplois et de revenus.
« S’ajoute à ce problème celui de la considération des droits des populations indigènes. A travers le monde, le problème des
droits indigènes est un sujet à multiples
facettes et les controverses attirent naturellement l’attention des média internationaux. Nombre de perceptions fausses peuvent naître d’un manque de compréhension
du paysage culturel compliqué et changeant de la Malaisie. […]
Il présente toutes les solutions forgées par
le gouvernement pour respecter les modes
de vie des différents groupes ethniques au
lieu de les forcer à en changer. Il montre
l’avantage résultant d’une participation plus
active à l’exploitation d’une ressource forestière déjà rationnellement gérée, sans problèmes réels. Sa rhétorique oppose habile-
ment l’immobilité d’autrefois et la raison
moderne qui pousse les gens à améliorer
leurs conditions de vie par le développement
en simplifiant les problèmes. Son action
concrète est toujours bénéfique.
Des thèses opposées se trouvent dans le
livre The Battle for Sarawak’s Forest. Il
montre clairement que le gouvernement n’a
pas toujours été aussi respectueux des droits
coutumiers. Certains groupes tant Penan
que Kayan ou autre se défiaient de la collusion entre les gouvernants et les intérêts
financiers. Toutefois on peut reprocher à ce
livre le recours systématique à un discours
misérabiliste, ou lyrique à l’excès sur la vie
simple des gens dans les forêts dont tout le
monde devrait rêver. On rencontre des titres
comme « Gentle, shy people – the finest of
humankind » (De douces et timides personnes – le meilleur de l'humanité) ou « For
all our sakes, stop the logging now ! » (Nous
vous en supplions, arrêtez les coupes maintenant !). L’illustration invite parallèlement
à la sympathie. Inversement, ce sont des
métaphores guerrières qui remplissent les
colonnes quand une réussite advient.
On préférera l’analyse plus réaliste d’un
spécialiste des problèmes Penan13. Si seulement 4 % de la population totale Penan
continuent à vivre selon les modes ancestraux, c’est que la ressource forestière a largement décru. 70% du groupe vit une phase
de transition (7 000 personnes) et le reste,
soit le quart, est devenu définitivement
sédentaire. Ceux qui en sont au stade de la
transition conservent un campement permanent et une constellation de campements
satellites pour aller récolter le sagou. Leurs
techniques de production du riz reste très
primitive (une fois plantée, la graine pousse
et fructifie sans aucune intervention). La
récolte obtenue leur dure un tiers de l’année,
suivie d’une deuxième récolte, de manioc
12. Cf l'action de soutien entreprise par Sahabat Alam Malaysia en faveur des tribus indigènes,
dont le représentant au Sarawak a reçu un prix international pour son action en faveur du
respect des droits indigènes et le courage des ses opinions (il a fait aussi de la prison pour
les mêmes raisons). Toute l'histoire est racontée dans le livre SAM-WRM The battle for
Sarawak's forests, SAM, Penang, 1989, deuxième édition 1990. Très intéressant parce qu'ils
publient tous les articles parus dans la presse à propos de leur action, les lettres envoyées
aux instances gouvernementales et les réponses reçues…
13. Jayle Langub, Penan's response to Change and Development. In Peluso et Padoch, Borneo
in Transition, 1996, p. 103-120.
108
Grafigéo 2000-10
Le Sarawak, un État à part dans la Fédération
qui prend le relais pendant un deuxième
tiers de l'année. Ils font la soudure en allant
chercher du sagou en forêt. Malgré une
sédentarisation progressive, les Penan se
considèrent toujours comme les gardiens de
la forêt qui est à la source de leur culture : ils
doivent la préserver pour les générations
futures.
« L’aspect le plus important peut-être de la
gestion Penan des ressources est la pratique
du molong [ qui consiste en un repiquage de
fruits, d’arbres et autres plantes utiles pour
les générations futures, à chaque fois que cela
est possible]. Arbres, fruitiers ou non, et rotin
peuvent être molong communautairement ou
individuellement, mais l’idée de départ est
toujours la même : préserver les ressources
pour le futur. »14
Les encouragements à la sédentarisation
sont venus par imitation des autres tribus
non-penan chez lesquels ils se fournissaient
en produits comme les étoffes ou les métaux.
Des encouragements vinrent encore de
l’évangélisation, des contacts de plus en plus
fréquents avec les envoyés officiels et de l’invitation à prendre leur santé en main. Le
niveau d’éducation reste très faible. Ceux
qui bénéficient de la scolarisation voient leur
mode de vie en général totalement changé.
Il est vrai que le gouvernement ne s’immisce pas dans les décisions des groupes Penan,
et ne répond qu’aux requêtes dûment formulées par le district. Les expériences les
plus positives de sédentarisation viennent
d’abord de la décision spontanée des Penan
d’arrêter le nomadisme, ensuite d’une très
cordiale entente avec leurs voisins, desquels
ils apprennent l’essentiel du nouveau mode
de vie, sans mépris ni tromperie d'aucune
des deux communautés. Enfin, le temps
d’accoutumance au nouveau mode de vie
compte : les nomades ne se sont pas sentis
forcés à se sédentariser. Ils continuent toujours, même pour les plus anciennement
sédentarisés, à chasser et à s’approvisionner
en forêt.
D’autres cas sont plus sensibles, comme
par exemple celui des Penan installés en
bordure du Gunung Mulu National Park,
d’où ils ont été déplacés parce que la loi
donne un droit coutumier sur les terres
occupées avant 1958 et que leur occupation
dans le secteur était postérieure à cette date.
Mais ce faisant, les autorités entrent en
conflit avec une autre tribu, non penan, qui
réclame toutes les terres autour du Parc de
Mulu. Les efforts du gouvernement pour
fournir d’autres ressources n'ont pas beaucoup d’effets sur les Penan qui ne se sentent
pas à l’aise dans leur position. Ils se contentent de vendre des productions artisanales
aux touristes que les tours-opérateurs déposent en chemin vers de jolies grottes. Ils restent très dépendants des ressources forestières. Mais ils ne pourront plus continuer à
vivre dans des forêts dont ils n’assurent plus
la gestion et qui plus est, ne peuvent plus
suffire à leur consommation quotidienne.
La photo 13 nous montre la forêt telle
qu’elle est exploitée autour de Mulu (photographie du bas). Sur cette dernière, on aperçoit la longhouse (non penan), en dur, avec
les petits chemins qui mènent aux champs.
En arrière fond, une concession exploite la
forêt où les essarts prennent la suite.
UN
FAISCEAU DE SOLUTIONS
ENVISAGÉES
Pour parvenir à l'exploitation durable
des ressources forestières et fournir un revenu à toutes ces populations traditionnelles
qui sont parfois en crise de reconversion, le
gouvernement du Sarawak tente de mettre
en place un ensemble de mesures destinées à
compenser les pertes et à intégrer plus profondément les différentes communautés qui
façonnent la mosaïque ethnique du Sarawak.
Les replantations, buts officiels
et réalité
Les buts généreux des différentes étapes
de la National Forestry Policy qui est en
place depuis 1966 se heurtent à plusieurs
inconvénients : le manque de personnel, le
14. Ibid., p.107.
Grafigéo 2000-10
109
Transformations environnementales dans le monde malais
manque de financement et le manque de
coordination suivie entre les instances fédérales d’une part qui émettent essentiellement des avis, aident à la formulation des
objectif et à la formation, et les instances
locales d’autre part qui ont la gestion directe de la forêt. Or les Etats ne touchent
qu’une faible part des revenus de l’impôt
pour financer leurs activités et les ressources
forestières comptent énormément dans la
trésorerie du Sarawak. La gestion de ce
capital végétal représente donc un enjeu de
taille pour le développement de l’État. Le
reboisement passe pour la solution la plus
efficace et son choix a progressivement fait
jour dans les cénacles dirigeants. Rachel
Berger rapporte que tous les plans de reboisement commercial en forêt de coupe étaient
considérés au début des années quatrevingt-dix « comme un remplacement des
forêts épuisées [plutôt] que comme une
alternative à l’exploitation des forêts naturelles »15. Une forêt de plantation offre des
récoltes plus rapidement exploitables et des
tonnages supérieurs puisque les essences de
bois coûteuses ne seraient pas mélangées à
de nombreuses autres espèces peu valorisables. Elle assurerait des rentrées régulières, voire supérieures en argent.
Les espèces de replantation, comme le
gmelina arborea et d’autres espèces d’Acacia (comme l’acacia mungum) ont fait
preuve de leur pousse rapide, de leur capacité à produire des graines en abondance
que l’ont met à germer dans des pépinières.
On peut prévoir ainsi sans problème l’approvisionnement en plantules pour rapidement reboiser les aires récoltées. Des essais
sont pratiqués un peu partout et indiqués à
l’aide de panneaux donnant la composition
de la forêt replantée. C’est aussi l’avantage
des diptérocarpacées, qui à l’instar des espèces européennes de chênes, hêtres et ormes
divers, produisent d’énormes quantités de
graines qui germent assez facilement. Leur
bois utile, la facilité de reproduction pourraient faire que la régénération des forêts
exploitées soit très bonne à condition de lui
laisser un temps suffisant de repos et, surtout, de pratiquer une coupe réellement raisonnée dans les périmètres concédés.
Toutefois, ni les scientifiques ni les agents
gouvernementaux ne comprennent pourquoi la repousse à l’identique est impossible
dans certains périmètres exploités. Une fois
les coupes faites, même avec toutes les précautions nécessaires, il semblerait qu’un facteur naturel inconnu empêche la repousse de
certaines espèces d’arbres.
La replantation ne se fait pas uniquement en vue de reconstituer des forêts de
production de bois. Une bonne part des
10 000 hectares replantés annuellement
selon les objectifs du plan, sont des plantations d’espèces commerciales comme le palmier à huile ou l’hévéa. Comme les concessions accordées empiètent sur les terres dites
coutumières16 sans l’accord préalable des
détenteurs, les communautés indigènes qui
constituent 45% de la population du Sarawak s’inquiètent des dérives de cette politique louable en principe, mais qui implique
des changements forcés, non acceptés par la
population dans son ensemble (cela ressemble plus à de l’expropriation qu’à autre
chose). Ce sont les motifs du départ de la
première « bataille pour les forêts ». Est-il
possible qu’il y en ait une deuxième ces prochaines années ?
La diversification des revenus
agricoles dans le petit paysannat
La diversification est un des grands projets actuels du Département des forêts. Afin
de parvenir à une stabilisation des périmètres cultivés, le gouvernement encourage
la plantation de différents produits comme le
teck, le rotin, la domestication d’espèces
encore sauvages comme les ilipe dont l'huile
15. Rachel Berger, Malaysia's forests…, p. 66.
16. Il faut faire attention lorsque l'on parle de terres sacrées, comme chez les Indiens ou les
Mélanésiens : il n'existe que très peu de sites révérés, mais en principe, les cimetières sont
protégés dans le cadre des lois concernant les populations indigènes. Les membres du gouvernement reconnaissent qu'il manque parfois de respect dans l'exploitation des forêts mais
qu'une loi devrait bientôt être votée afin d'améliorer le statut de ces endroits.
110
Grafigéo 2000-10
Le Sarawak, un État à part dans la Fédération
de noix a des applications industrielles. Les
poivrières, le cacao ou le caoutchouc font
partie de ces développements, bien que le
cacao soit une denrée fragile sur le marché
international à cause de la surproduction
africaine et américaine. De plus, les
cacaoyères de diversification restent de petite taille et d’un rendement plutôt médiocre
tant en quantité qu’en qualité. Le cacao en
fait n’a jamais réellement pris au Sarawak à
cause du climat trop humide, mis à part
quelques Estates où la culture est un peu
intensive. Les poivrières en revanche restent
une des cultures de rapport les plus rémunératrices. Beaucoup sont détenues par les
Chinois, et les indigènes commencent à s’y
mettre.
Une autre source possible de revenus se
trouve dans le développement de l’aquaculture pratiquée dans des petits bassins en
bordure des propriétés. Toutefois, les écologistes reprochent à cette orientation le
manque de formation des futurs aquaculteurs et le trop grand mercantilisme des
aménagements qui causent de graves dommages à la forêt marécageuse ou à la mangrove : les aires défrichées sont inférieures
pour la plupart à 50 ha, donc aucune étude
d’impact n’est à conduire, en dépit du
caractère hautement polluant du projet. Une
surveillance attentive des effluents issus de
l’aquaculture (augmentation forte de la
demande en oxygène biodisponible par les
rejets organiques) doit être menée. Ces projets doivent aussi correspondre à une réelle
demande urbaine, donc doivent suivre un
flux tendu grâce à une bonne desserte routière. Certains de ces projets peuvent avoir
un simple but d’autoconsommation : en raison du déclin des ressources naturelles, des
difficultés d’accès à certaines longhouses, il
est préférable de trouver une ressource peu
difficile à reproduire : le poisson offre cet
avantage. On complète parfois la pisciculture par des plantations fruitières et d’essences
de bois commerciaux.
Ainsi, dans le cadre de cette diversification des revenus agricoles, il est fréquent de
voir le long des routes des petites superficies
plantées d’hévéa, mais surtout de teck
(photo 16). Le cultivateur interrogé nous a
Grafigéo 2000-10
expliqué qu’il avait accepté la proposition
du service des Forêts plus par curiosité que
par un besoin réel : le gouvernement fournit
absolument tout, aide technique, plantules
et conseils. La seule obligation qui leur est
faite est de les conserver sur le terrain au
moins 15 ans avant de pouvoir les récolter.
TOURISM
OR NOT TOURISM
?
Le tourisme est de plus en plus présenté
comme un moyen efficace d’ajouter de la
valeur économique à la préservation de la
nature. Toutefois, la caractéristique première du tourisme, c’est la volatilité des flux,
viennent ensuite les problèmes d’investissements pour attirer puis consolider ces flux
au moins un temps, puis la transformation
nécessaire du paysage par la réalisation des
aménagements. Il est enfin très difficile de
chiffrer l’impact socio-économique de cette
activité : comment trouver les moyens de
vérifier que les usages traditionnels d’un
endroit, le respect de la population locale, les
conditions générales de vie ne soient pas
dégradées par un flux touristique ravageur
au Sarawak, comme dans d’autres États de
Malaisie ? Peut-il y avoir un tourisme réellement écologique qui à la fois permette de
lever des fonds et de protéger la ressource
verte ? N’y a-t-il pas un danger de détérioration de la ressource par une augmentation
des flux touristiques et des développements
corollaires ?
Les statuts de la protection
environnementale
Différents degrés de protection sont
offerts sous le couvert des législations correspondantes (National Forest Estate, State
Lands,…). Une amélioration de la protection offerte aux animaux, plantes, sites
naturels ou archéologiques passe par la
création de parcs nationaux et de réserves
naturelles. Celles-ci n’offrent pas les mêmes
degrés de protection et n'ont pas les mêmes
buts.
Les périmètres totalement protégés
recouvrent environ 3,5% du territoire du
111
Transformations environnementales dans le monde malais
Sarawak et sont régis dans le cadre des
Ordonnances sur les parcs nationaux
(1956). Le premier parc national, Bako
National Park au Nord-Est de Kuching18 est
créé en 1957. La même année, la Wildlife
Protection Ordinance est votée, permettant
la création de Wildlife sanctuaries ou
reserves. Elles offrent une protection totale à
toutes les espèces vivantes sur le territoire,
sauf dans quelques cas précis, comme la
réduction d’animaux en surnombre (particulièrement les sangliers et les singes devenus trop agressifs) ou lorsque des droits coutumiers ont pu être clairement établis. C’est
ainsi que Bako National Park voit sa population de sangliers proliférer au-delà de la
capacité du parc. De temps à autre, les chasseurs sont autorisés à venir prélever
quelques pièces sous la surveillance des gardiens. De même, dans les grottes de Niah, le
prélèvement des nids d’hirondelles se fait
selon une tradition qui date de plusieurs
siècles. Les collecteurs grimpent à des hauteurs vertigineuses dans le noir, sur des
bambous et des filins, pour détacher les nids
à la maigre lueur d’une torche frontale.
La cohabitation des deux activités ne se
fait pas sans problèmes car les grottes de
Niah, par exemple, sont très fortement
souillées par ces collecteurs qui jettent sur
place sachets et autres canettes, de sorte que
le sol est jonché partout de détritus malgré
les efforts du personnel d'entretien et de surveillance. Les membres du Forest Department chargés de l’application des différentes
Ordonnances de protection déplorent cette
attitude, mais disent que rien ne peut
contraindre les collecteurs, même pas le
non-renouvellement des licences de récolte :
mieux vaut encore accorder des licences
d’exploitation à ces travailleurs plutôt que
de voir la contrebande se développer et
connaître un effet encore plus dévastateur.
Les personnels employés dans le cadre de
la National Park Division sont formés pour
la plupart sur le tas. Les officiers sont généralement volontaires pour travailler dans ce
secteur. Ils reçoivent une formation spéci-
fique dispensée dans les différentes antennes
du Forestry Department situés à Kuching,
Sibu, Bintulu et Miri. Des accords de coopération entre la National Parks Unit et
d’autres services internationaux permettent
aux gardiens de suivre des formations à
l’étranger (très rares) mais des formations
locales avec l’aide de scientifiques internationaux sont régulièrement proposées.
Les parcs nationaux sont découpés en
zones d’utilisation, avec des espaces dévolus
aux activités touristiques (baignade, promenades, éducation environnementale,…), en
zones-tampons et en espaces de conservation à but scientifique. Dans les deux premières catégories, les personnes peuvent circuler, assez librement à la condition de
respecter l’environnement. Les touristes doivent souvent être accompagnés de guides.
Par contre, dans la zone de conservation,
elles sont totalement fermées à toute pénétration de l’homme, sauf pour des raisons
scientifiques ou écologiques. Ces zones portent le statut de réserves de Biosphère et correspondent à l’application des accords mondiaux sur la biodiversité signés par la
Fédération de Malaisie.
De plus, le Sarawak mène une politique
d’approfondissement des connaissances écologiques afin de mieux préserver et surtout
d’agrandir rationnellement les parcs et offrir
une protection de qualité, durable à tous les
types d’habitat qui existent. Les problèmes
d’endémisme propres à toutes ces forêts tropicales font l’objet d’un examen au cas par
cas et se terminent souvent par la préservation de petites superficies, surtout quand
elles sont au sein de périmètres agricoles. Le
Forest Department mène régulièrement des
études, généralement dans le cadre de
coopérations internationales, afin d’assurer
une viabilité maximale aux espèces protégées.
La pression exercée sur le Forestry
Department est par conséquent très forte.
Les communautés traditionnelles réclament
de plus en plus de terres en vertu de droits
coutumiers, difficiles à prouver car leur cul-
17. Voir les cartes 6 et 7.
112
Grafigéo 2000-10
Le Sarawak, un État à part dans la Fédération
ture est orale et leur habitude de changer de
résidence ne laisse pas de traces évidentes
dans la nature. C’est pourquoi les droits
coutumiers ne sont plus reconnus sur les
terres ouvertes après 1959, afin de fixer les
populations et les droits. Toutefois, lorsque
ceux-ci sont reconnus, il faut absolument
que l’étendue de ces droits soit indiquée
dans l’acte officialisant la création du parc
pour éviter les conflits, et surtout la contrebande.
En effet, la contrebande et le braconnages sont très préoccupants pour les gardes
forestiers et les gardiens des parcs naturels.
Le manque de moyens et de personnel
formé ne permet pas une surveillance suffisamment efficace dans les parcs naturels.
Selon eux, les coupes forestières semblent
nettement plus faciles à contrôler grâce à des
lois mieux appliquées ces dernières années.
Cet avis n’est pas partagé par tous : parmi
les membres des associations environnementales et les membres du département
d’Etat, certains regrettent outre le manque
de moyens, le manque d’intérêt de la part de
la population. Les études sur la nature et la
forêt attirent trop peu de monde pour fournir le personnel nécessaire à toutes les activités du département. Tous ces éléments
défaillants ne permettent pas de suivre avec
la rigueur nécessaire les exploitations. La
volonté ne manque pourtant pas, car les
rangers ainsi que l’essentiel des fonctionnaires du département semblent avoir à
cœur de remplir leur mission.
Dans ces conditions le tourisme peut-il
résoudre tous les maux du sous-développement et susciter un réel intérêt pour l'environnement compris dans son sens scientifique ?
Le développement touristique,
une panacée ?
La forte demande touristique réclame
des infrastructures d’accueil. Celles-ci facilitent la visite, améliorent l’enseignement que
l’on peut en tirer, et canalisent les flux de
touristes afin qu’ils ne se perdent dans la
forêt. Elles réduisent enfin des conséquences
fâcheuses de leur visite sur la nature.
Généralement, ces aménagements sont de
bonne qualité et l’augmentation des flux
touristiques pousse le gouvernement à
investir de plus en plus dans les parcs. En
1991, le tourisme représentait une participation de RM 180,6 millions au budget de
l’Etat et 12 % des visiteurs étaient allés dans
les quatre principaux parcs du Sarawak, à
savoir : Bako, Lambir Hills, Niah et Gunung
Mulu18. Les retours économiques sont très
importants pour cet État car ils permettent
une diffusion de la manne touristique
auprès des populations locales employées
comme ouvriers, comme guides, comme
agents d’entretien, convoyeurs, logeurs, etc.
Le gouvernement en est tout à fait conscient. C’est pourquoi différents travaux
d’aménagement ou de réaménagements
dans les parcs ont été menés avec succès et
même élégance, promouvant à la fois le
confort et le caractère typique des infrastructures. La photographie de couverture
montre les différents aménagements proposés : des centres d’accueil entièrement en
bois où sont organisées d’instructives expositions ; ou qui offrent parfois des salles de
réunion dans lesquelles on peut mener des
activités éducatives. Les chemins sont balisés, souvent sur des boardwalks (photo 17),
des passerelles qui évitent de se faire surprendre par une rapide montée des eaux
après une averse, et surtout qui évitent au
touriste de s’embourber dans des marécages, de trop détruire le sol en piétinant ses
structures fragiles. Le long de ces chemins
des panneaux indiquent les espèces végétales que l’on rencontre, donnent le nom
scientifique, la famille et le nom vernaculaire (photo 18). Le guide permet d’avoir un
complément d’information sur les utilisations des bois et plantes tant traditionnelles
qu’industrielles.
Les travaux sont importants et coûteux,
mais indispensables car ils peuvent générer
des revenus nettement plus conséquents
18. Abang Morshidi et Gumal, The role of totally protected areas in preserving biological diversity in Sarawak dans Primack et Lovejoy, op. cit., p. 206.
Grafigéo 2000-10
113
Transformations environnementales dans le monde malais
pour le budget. De plus ils améliorent la
capacité d’accueil (carrying capacity) des
parcs tout en augmentant le degré de protection offert. Ces travaux sont généralement destinés uniquement aux parcs naturels. Le gouvernement songe aussi à
promouvoir le tourisme au sein des populations locales de manière à diversifier leurs
revenus.
Afin de parvenir à une meilleure répartition de ces revenus, partant du principe les
Native people font partie des Bumiputera et
qu’ils représentent la moitié de la population
du Sarawak, le gouvernement du Sarawak a
décidé de lancer à travers le Forestry
Department une campagne d’intéressement
des populations locales au tourisme, tant
dans les parcs naturels que dans les longhouses en les impliquant dans la gestion
environnementale.
Elle a pour but de faire naître un intérêt
dans la préservation de la nature et des
espèces afin que les communautés locales ne
considèrent plus les parcs nationaux comme
des entraves à la chasse traditionnelle. La
toute récente loi d’interdiction de la vente
des produits de la chasse19 est grosso modo
bien acceptée, sauf dans les districts où ces
produits de la chasse fournissent des revenus
complémentaires comme dans ceux de
Kapit, Limbang, Sri Aman et Baram (des
districts reculés). Les parcs naturels ne sont
pas forcément vus par ces populations locales comme une chance pour eux d’avoir des
conservatoires des espèces qui leur sont
utiles et qui disparaissent de leur environnement le plus proche.
En premier lieu on procède au relevé des
besoins, des possibilités locales de développement. On crée ensuite des comités de gestion des parcs qui intègrent les riverains, des
coopératives, des emplois réservés d’ouvriers, de guides et d’encadrement. Les riverains auront ainsi moins le temps de chasser… et de braconner, bien que l’on constate
de temps à autre que ces gens-là se servent
de leurs entrées préférentielles pour repérer
les meilleurs postes de braconnage. Quoi
qu’il en soit, les gardiens remarquent une
sensible diminution d’animaux chassés dans
les parcs.
L’intéressement passe aussi par la valorisation des structures traditionnelles avec le
respect des hiérarchies : dans chaque longhouse, il y a un honorary wildlife ranger qui
est généralement le chef de la communauté.
Le responsable peut être un des membres,
plus jeunes, qui a reçu une éducation plus
poussée dans les services du Département
des Forêts. Ces gardes-forestiers honoraires
sont en général fiers d’accomplir un bon travail en empêchant les excès de récolte ou de
chasse. Ils sont chargés de la surveillance. Ils
transmettent les observations de la base aux
services centraux. Ils représentent un rouage
chaque jour plus important dans l’intégration des populations locales dans la gestion
déconcentrée et pro-active de l’environnement.
Enfin, l’Education Unit du Forestry
Department aide à la formation des guides
et des populations locales aux problèmes
environnementaux, et aux activités touristiques. Certaines longhouses ont leur board
operator qui gère la venue des touristes. Ce
n’est pas encore très développé, pas toujours
bien apprécié ni des riverains, ni des touristes (certains m’ont fait part de leur déception et de leur sentiment d'avoir été le prétexte à des beuveries).
Des projets-pilotes naissent, et il en est un
qui retenait particulièrement l’attention des
officiers du Département des Forêts : celui
de Batang Ai National Park. Il a pour but
d’intégrer la population locale dans la
conservation de la biodiversité tant dans le
parc que dans les environs. Il offre un cooperative show, diversifie les productions agricoles (plantations de loofa20, aquaculture,…)
et octroie certains privilèges de chasse sur
des espèces non menacées. L'ensemble fait
que la population entretient les pistes de
chasse à l’intérieur du parc améliorant la
pénétration et surveillance du parc. Cette
même population empêche aussi les chasseurs non-autorisés (les « sportifs ») de péné-
19. Trade Ban of Wildlife Meat, décret d'application publié en octobre 1998.
20. Courge qui une fois séchée, sert d'éponge végétale.
114
Grafigéo 2000-10
Le Sarawak, un État à part dans la Fédération
trer dans le parc. Cette politique du donnant-donnant a pour but avoué de changer
les habitudes de vie locales en montrant que
d’autres bénéfices, parfois supérieurs peuvent être tirés du classement en parc naturel.
Dans ce sens, le tourisme peut avoir une
influence positive.
On peut difficilement juger du bilan de
l’écotourisme au Sarawak en quelques
lignes. Il faut prendre en compte de multiples facteurs : tout d’abord, comment évaluer le bénéfice financier que peuvent retirer
les populations locales ? Le tourisme est en
premier lieu une affaire d’argent pour les
hôtes comme pour les visiteurs. L’importance des flux d’investissement, de retour
d’investissement et de réinvestissement ont
une très grande répercussion sur le niveau
de vie des populations locales.
Il faut aussi prendre en compte à la fois
l'attente des touristes occidentaux, l'attente
des touristes nationaux et l'aptitude des
populations locales à accueillir ces touristes
qui forcément viennent en nombre : cela
nécessite une préparation psychologique.
Enfin, il faut bien prendre en compte
l’évolution sur la durée : trop de critiques
ont été adressées au tourisme parfois considéré comme destructeur des cultures locales,
car il transformerait l’« authentique » en
une industrie moderne qui ferait « perdre
leur âme aux gens ». Le développement
bouleverserait totalement les structures traditionnelles locales. Or, on s’est rendu compte en de très nombreux cas que ce qui pouvait être destructeur dans un premier temps,
se révélait avec la durée très vitalisant pour
la culture locale. Un premier moment d'acculturation était suivi quelque temps après
par un renouveau des traditions qui se perdaient progressivement du fait d’une assimilation passive et qui reprenaient une valeur
symbolique par la pratique régulière.
La « tradition » n’est pas un ensemble de
données fixées pour l’éternité. Le tourisme
culturel pose la difficile question de l’authentique et de l’inventé : comment apprécier les inventions qui répondent peut-être à
une demande touristique, mais qui sont
finalement intégrées profondément dans la
culture locale à force d’être pratiquées ?
Grafigéo 2000-10
Peut-on dire que les sociétés traditionnelles
ne sont authentiques que quand elles ne
sont pas atteintes par le monde occidentalisé ? Ce qui reviendrait à condamner le développement des sociétés traditionnelles sous
prétexte qu’elles perdraient de leur authenticité. Autant parquer les « indigènes » et
leur interdire toute forme d’accès à une
société moderne. Le point de vue opposé
n’est pas soutenable non plus qui sacrifie la
culture au bénéfice du développement. Les
meilleures réussites du tourisme culturel
revivifient tout un ensemble de singularités
qui autrement auraient disparu par simple
contact. Le réinvestissement symbolique
dans les danses, la réaffirmation d’une identité spécifique ont pour avantage de générer
une réappropriation du passé, mais le danger demeure d’une aliénation de la société
primitive dont certains ont su se garder. De
nombreux exemples sont donnés dans les
articles et les livres consultés, prenant particulièrement Bali comme référence de la revivification d’un patrimoine local riche, qui se
réintègre dans le patrimoine culturel des
Balinais sans perdre sa valeur sacrée : ce
qu’ils montrent les représente parfaitement.
Ils se reconnaissent dans cette image puisqu’ils ont participé à sa création, bien que la
tradition se soit adaptée aux attentes indonésiennes et internationales. Est-ce que ces
danses, cet artisanat sont moins balinais
qu’autrefois ? Sont-ils moins authentiques
dans les dessins, dans les gestes, dans le support culturel ? Il est vrai que la culture balinaise depuis longtemps est parvenue à se
renouveler sans se standardiser.
C’est dans cet esprit qu’il faudrait aborder le tourisme culturel au Sarawak, car
c’est un mouvement en pleine accélération
en ce moment. En effet, le gouvernement du
Sarawak semble prendre en compte les
recommandations de spécialistes sur le
développement du tourisme : la politique est
peut-être initiée « par le haut », mais elle
appelle des réponses de la base. Pour soulever l’intérêt de la base et insuffler une réelle
volonté de participation au développement
de cette activité, le gouvernement use de son
Educational Unit au sein du Forestry
Department. Cette Unité Educative va jouer
115
Transformations environnementales dans le monde malais
le rôle d’agent du changement en initiant les
populations locales aux problématiques
environnementales et touristiques à partir
des quatre centres dont ils disposent à
Kuching, Miri, Sibu et Bintulu. Des ateliers
peuvent être tenus, qui permettent de sonder les griefs comme les désirs des groupes
concernés. Le tout doit pouvoir être discuté
par la communauté d’accueil dans son
ensemble lors de réunions locales. Un désir
net se fait jour de ne pas passer à côté de
l’opportunité touristique. Elle est un complément à l’exploitation forestière, jugée par
trop destructrice comme nous l’avons vu à
travers l’étude de l’Université de Hull au
début du chapitre. Quelques réticences religieuses apparaissent, particulièrement dans
les communautés musulmanes ou animistes
en raison de l’immoralité de certains touristes. Ce n’est que par l’étude serrée des
capacités physiques et culturelles que les
développements les plus durables pourront
être réalisés dans le domaine de l’ethnotourisme.
Cette possibilité de l’ethno- et de l’écotourisme semble être la solution la plus
viable pour promouvoir un développement
interne des parties les plus reculées du
Sarawak. On ne peut se contenter de consta-
ter l’exode rural massif des zones comme la
Baram ou Bario21, très difficilement accessibles et qui se sont ouvertes tardivement au
monde dans l’après-guerre voire dans les
années quatre-vingt pour les habitants de la
Baram. Peu de moyens sont disponibles
pour arrêter l’hémorragie de main-d’œuvre
qui touche désormais ces « pays » au sens
rural du terme.
Conclusion
Le tourisme est une des voies possibles
du développement de la conscience environnementale au Sarawak : les problèmes sont
nombreux, mais la voie du changement se
dessine progressivement d’une manière
semble-t-il plus sensée. Le gouvernement
tente de faire une place de plus en plus grande à la planification environnementale dans
l’élaboration de ses projets. La participation
des différents secteurs de l’industrie comme
des différentes populations qui composent
l’Etat sont requises alors que quelques
années auparavant, elles n’entraient pas en
considération à cause de l’intrication forte
entre les intérêts politiques et les intérêts
économiques.
21. Lee, B.T. et Tengku, S.B., Modernizing influences and traditional villages in Sarawak : the need
for a paradigm shift in development strategies. In Udoh James, V. (éd), Capacity building in developing countries, chapitre 10.
116
Grafigéo 2000-10
Le Sarawak, un État à part dans la Fédération
La keranga, une forêt en conditions extrêmes, Bako N. P. au Sud de Kuching (photo 11).
L'eau de l'averse qui vient de tomber ne peut s'infilter dans le grès mis à nu,
ni être retenue par la végétation qui tente de survivre en se fixant dans les moindres interstices de la roche.
La plaine de Miri a été défrichée en profondeur (photo 12).
Les incendies de 1997-1998 se sont chargés d'éliminer les parcelles restantes déjà dégradées.
Grafigéo 2000-10
117
Transformations environnementales dans le monde malais
Les longhouses sont installées au
cœur de la forêt (photo 13).
Elles servent de bases de départ pour
l'exploitation forestière.Tout autour,
dans la forêt secondaire fortement exploitée, des secteurs de terre nue marquent
les terrains brûlés pour préparer les cultures.
On voit bien au premier plan de la photographie que la végétation est répartie en
plusieurs quadrilatères et a des hauteurs
différentes. Ce sont les différents stades
de la repousse après la rotation
des espaces cultivés. (Près de Gunung
Mulu N.P., à 250 km à l'intérieur des
terres, près du Sabah et de Brunei).
Cultures commerciales près de Miri, Sarawak (photo 14).
On pratique désormais des formes de culture de plus en plus intensive
dans les périphéries des grandes villes du Sarawak comme en témoignent ces « serres » tropicales.
Ce sont en fait des filets qui protègent les cultures fragiles pour les marchés locaux,
des nuisibles contre lesquels il est parfois difficile de trouver une parade chimique.
118
Grafigéo 2000-10
Le Sarawak, un État à part dans la Fédération
Autre exemple de cultures commerciales près de Miri, Sarawak (photo 15) : ce grand champ de
plants d'aubergines. Dans la corbeille au premier plan, des petits choux sont prêts à être vendus
sur le marché. On rencontre tout aussi régulièrement le long des routes des porcheries,
des poulaillers de taille respectable pour un Etat comme le Sarawak.
Jeunes tecks de diversification
du revenu paysan (photo 16).
Les arbustes à côté du promeneur sont juste âgés de trois ans.
Ils mesuraient une cinquantaine
de centimètres au moment de
leur plantation. Leur croissance
rapide permet une première
récolte des arbres au bout d'une
quinzaine d'années.
Ils sont fournis gracieusement par
le Forestry Department, à charge du
paysan d'entretenir et de
préserver les arbres jusqu'à
mâturité commerciale.
Grafigéo 2000-10
119
Transformations environnementales dans le monde malais
Les boardwalks des National Parks,
Niah N. P., Sarawak (photo 17)
Tous les parcs sont amenés à aménager
ces passerelles pour permettre l'accès
aux points d'intérêts. Sinon, les forêts
marécageuses seraient rapidement
impraticables lors des pluies fréquentes
sous ces climats équatoriaux.
Panneau indicateur des plantes croisées (photo 18),
nommant la famille, les appellations
scientifique et vernaculaire.
120
Grafigéo 2000-10
Conclusion
Conclusion générale
L
ES POLITIQUES pratiquées en Malaisie,
à Brunei et à Singapour tendent à
aboutir à une même notion de développement durable. Approche pragmatique,
l’environnement devient dans ces pays une
priorité qui doit mettre en valeur un patrimoine naturel important ainsi qu’un patrimoine culturel en pleine mutation. Malgré
une tendance bien compréhensible au centralisme et au dirigisme, l’ouverture politique progressive de ces pays permet une
interaction plus grande entre la base et la
direction du pays. Elle dessine par touches
successives une voie propre du développement, qui se différencie des actions menées
par les associations environnementales telles
que nous pouvons les connaître dans nos
pays occidentaux : il s’agit moins de s’opposer par réaction à un gouvernement jugé
impersonnel que de proposer une nouvelle
approche qui tienne compte des réalités et
des besoins des pays.
Ainsi les différentes actions menées sontelles été d’abord pédagogiques dans leurs
démarches auprès des instances gouvernementales comme auprès des populations : à
Singapour où la population est fortement
éduquée et où il est important de préserver
un espace de nature au sein d’un cadre
urbain omniprésent, comme en Malaisie où
Grafigéo 2000-10
les efforts de consolidation économique et
sociale du pays passent par une mise en
valeur des ressources naturelles partout
dans le pays, les associations cherchent plus
la coopération avec les instances gouvernementales qu’une opposition systématique.
De cette démarche naît rapidement une
conscience commune de toute la population
d’une nécessité d’action pour la préservation
du cadre de vie. On s’inspire alors des réussites extérieures et on tente de les adapter
aux réalités des pays. Singapour ne transforme-t-elle pas les meilleures méthodes de
dépollution en obligation dès que les moyens
financiers de l’île le permettent? Les politiques éducatives instillent progressivement
des perceptions fondées sur une analyse
rationnelle des éléments, et unifient au
même rythme les visions autrefois très
contrastées de la nature qui séparaient les
mondes des villes et des rizières ordonnées
sino-malais, des mondes agroforestiers ou
essarteurs dayak et aborigènes.
Tout un travail reste à accomplir pour
que ces concepts nouveaux et souvent d’origine occidentale s’intègrent dans la conscience commune des populations. L’originalité du développement durable conçu par les
gouvernements de ces pays tient ainsi de la
nationalisation, ne serait-ce que par le dis121
Transformations environnementales dans le monde malais
cours, de ces concepts issus de la mondialisation des échanges et des idées. Les concepts doivent participer à la construction de
l’identité nationale donc de l’originalité du
pays tout en donnant des gages d’efficacité à
la communauté internationale. Nous nous
sommes donc attachés à montrer comment
les concepts de nos sociétés occidentales sont
réinvestis progressivement par les cultures
orientales. Le concept d’environnement à la
suite de quelques crises importantes et révélatrices de l’affaiblissement des fondations
du milieu, est devenu un concept en vogue.
Effet certainement de mode pour les journalistes, l’environnement devient une réalité
durable pour la société de ces trois pays. Les
gouvernements prennent conscience de l’importance que revêt la préservation d’un
milieu sain pour la qualité de vie, pour le
maintien de la paix sociale. Les travaux
entrepris pour éduquer les masses et changer les comportements quotidiens sont des
témoins forts de l’engagement de ces pays.
Certains disent que cela reste une façade,
d’autres témoignent une indifférence à la
question. Après étude, il nous est difficile de
porter un jugement de valeur car il y a peu,
dans nos pays occidentaux prompts à l’oubli
et à la critique, nous connaissions les mêmes
problèmes et tenions la même attitude face à
ces questions alors que notre développement
est beaucoup plus ancien que le leur.
L’application de la loi en matière d’environnement devient alors un test pour l’efficacité du système politique des pays : plus
les citoyens sont prêts à s’engager à respecter les dispositions légales ou réglementaires,
meilleure est l’intégration des concepts dans
le tissu culturel de chaque société. Comme
dans nos pays, se pose la question du respect
de la tradition, c’est-à-dire de l’identité culturelle de chacune des composantes de ces
nations émergentes, et de la modernité
imposée par les connaissances scientifiques.
L’une a prouvé son efficacité dans les siècles
passés et a donné le substrat nécessaire à la
consolidation politique et culturelle des
pays, l’autre met le doigt sur les changements socio-culturels progressifs dont on ne
prend conscience qu’en adoptant un point
122
de vue éloigné du quotidien et qu’il faut
rapidement traduire par une adaptation
réaliste des systèmes réglementaires et des
attitudes collectives aux nouvelles donnes.
Singapour et la Malaisie semblent de ce
point de vue-là les plus avancés dans leur
imprégnation. Il est difficile de donner un
aperçu correct de Brunei à cause du manque
d’informations disponibles, tandis que pour
Singapour, la quasi-totalité des aspects
scientifiques et sociaux sont disponibles grâce aux études nombreuses qui paraissent
chaque année dans les universités comme
dans les librairies. La vision peut être affinée, variée en fonction du point de vue
exprimé. La superficie de l’île, sa proximité
de la péninsule malaise font que le gouvernement et les associations environnementales prêtent une attention toute particulière
aux endémismes. Les répercussions de l’introduction d’espèces étrangères décoratives
sont toutefois mal connues et même inconnues pour l’instant. On ne sait pas si l’une ou
l’autre d’entre elles ne deviendra pas une
peste végétale faute de prédateur comme
peuvent l’être le Lantana en Australie ou la
renouée du Japon en Europe pour ne citer
que les plus aisément visibles.
Il devient très important de noter comment l’environnement impose aux États de
penser autrement qu’en fonction des unités
historiques : l’unité naturelle, fondement
d’une certaine géographie, reprend toute
sont importance. Si l’environnement n’est
pas encore une étape dans la refondation
d’une grande Malaisie, il est au moins un
élément de réflexion sur les problèmes transnationaux. Réfléchir sur l’environnement
dans la région imposerait non pas de regarder comme nous l’avons fait au niveau de
chaque pays délimités par des frontières
politiques, mais plutôt de se pencher sur les
problèmes de l’ASEAN (Association of SouthEast Asian Nations) qui deviendrait l’unité
naturelle et politique la plus pertinente.
C’est ce que les problèmes évoqués dans le
début de cet ouvrage montrent : la déforestation, la baisse de l’hygrométrie et l’intensification des phénomènes d’El-Niño sont des
problèmes globaux.
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Liste des cartes, figures, tableaux et photos
LISTE DES CARTES
Carte 1 :
Carte 2 :
Carte 3 :
Carte 4 :
Carte 5 :
Carte 6 :
Carte 7 :
Carte 8 :
Situation de la Fédération de Malaisie, Singapour
et du Sultanat de Brunei-Darussalam en Asie du Sud-Est . . . . . . . . . . . .. 18
Chronologie et extension des périmètres atteints
par les incendies et le nuage de fumée de l’automne 1997 . . . . . . . 20-21
Singapour, localisation des aires couvertes par les mangroves . . . . . . . 50
Brunei Darussalam et aires classées en national Park
et en sylviculture commerciale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
La Malaisie péninsulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 78
Extension des pluies acides en Malaisie Péninsulaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
Sarawak, villes et parcs naturels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98
Sarawak : les zones enforestées en Kerangas, Kerapah,
forêts marécageuses et les aires cultivées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101
LISTE DES FIGURES
Figure 1 :
Figure 2 :
Figure 3 :
Organigramme des procédures de vérification
des projets immobiliers et industriels
par le Ministère de l’Environnement de Singapour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 53
Reproduction de la page 15 du Impak, 1994, n° 2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81
Production de grumes en Malesia . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100
LISTE DES TABLEAUX
Tableau 1 :
Tableau 2 :
Tableau 3 :
Tableau 4 :
Tableau 5 :
Tableau 6 :
Tableau 7 :
Tableau 8 :
Données statistiques générales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 18
Qualité de l’air en fonction des indices de pollution . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
Répartition ethnique de la population . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
Types de forêts à Brunei . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
Production de grumes et de bois coupé à Brunei . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 72
Développement de la population de Kuala Lumpur
et de la Klang Valley . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
Population des principales villes de Malaisie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
Aires protégées par un National Park . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
LISTE DES PHOTOS*
Photo 1 :
Photo 2 :
Photo 3 :
Photo 4 :
Photo 5 :
Photo 6 :
Photo 7 :
Dense couvert forestier d’une forêt intacte de la région (Brunei) . . . . 36
L’exploitation forestière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
Deux étapes dans l’urbanisme de Singapour . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .64
Des espaces utiles en centre-ville . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
Patrimoine ancien et renouveau architectural à Singapour . . . . . . . . . . . . 65
Dans Little India au Nord du Colonial Core à Singapour . . . . . . . . . . . . . ..65
Bandar Seri Begawan, Kampung Ayer (Brunei) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
* Les photos sont toutes de l’auteur, prises en novembre-décembre 1998.
Grafigéo 2000-10
129
Transformations environnementales dans le monde malais
Photo 8 :
Photo 9 :
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La route côtière neuve (Brunei) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
Embarcadère pour le bois (Rejang River, Sarawak) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
Barge en cours de chargement de grumes
(Rejang River, Sarawak) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 96
La keranga, une forêt en conditions extrêmes
(Bako N. P. au Sud de Kuching) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117
La plaine de Miri, défrichée après les incendies de 1997-1998 . . . . 117
Les longhouses sont installées au cœur de la forêt . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 118
Cultures commerciales près de Miri (Sarawak) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .118
Un autre exemple de cultures près de Miri . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
Jeunes tecks de diversification du revenu paysan . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119
Les boardwalks des National Parks
(Niah N. P., Sarawak) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
Panneau indicateur des noms de plantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 120
Grafigéo 2000-10
Tranformations environnementales dans le monde malais
Résumés
• Français
L’ensemble régional constitué par la
Fédération de Malaisie, Singapour et le Sultanat de Brunei, se développe à un rythme
rapide, parfois au détriment d’un patrimoine naturel important. Grands exportateurs
de matières premières et de produits technologiques, ces trois pays tentent de trouver
une voie propre qui intègrerait la notion de
durabilité dans leur développement. Cette
nécessité est mise en valeur à différents
niveaux : au niveau naturel, lorsque la forêt
disparaît dans des incendies immenses,
lorsque le défrichement aboutit à des inondations et des coulées de boues catastrophiques ; au niveau politique, lorsque la diminution d’une ressource normalement
abondante comme l’eau se transforme en
moyen de pression internationale ou suscite
le rationnement de la population de grandes
villes ; au niveau culturel, lorsque des populations restées longtemps à l’écart des transformations sont d’un coup confrontées à la
mobilité et la rapidité du monde contemporain peu respectueux des formes traditionnelles d’exploitation de la nature.
La notion de développement prendrait
donc une connotation négative mise en avant
par des organisations non-gouvernementales, et appelle à une remise en question
pour que le développement parvienne à être
en accord avec le milieu sans le détruire, en
d’autres termes, qu’il devienne durable.
Toutefois, il est important pour ces trois pays
de tenter de trouver une solution plus en
accord avec les cultures sur lesquelles ils
reposent : cultures malaises, aborigènes ou
« dayak », chinoises et indiennes. La politique menée par les dirigeants tente donc de
s’inspirer des expériences menées de par le
monde tout en prenant compte les aspiraGrafigéo 2000-10
tions légitimes des populations qu’ils dirigent. Sont envisagées dans ce livre les différentes questions transversales qui concernent
la région à travers des exemples précis. Dans
les deux premiers chapitres, après avoir présenté les problèmes à travers trois exemples
qui apparaissent révélateurs d’une certaine
dégradation de l’environnement, le développement durable est analysé selon une
approche culturelle qui essaie de rendre
compte des spécificités régionales. Dans les
chapitres suivants, chaque pays est traité de
manière plus précise, car les dimensions, les
populations, le patrimoine naturel varient
fortement, suscitant des politiques de gestion
différentes. Enfin, un État de la Fédération
de Malaisie, le Sarawak, fait l’objet d’une
étude détaillée qui synthétise les points étudiés dans les chapitres précédents.
• Anglais
The regional set constituted by the
Federation of Malaysia, Singapore and the
Sultanate of Brunei, is developping at a
rapid pace, sometimes at the expense of an
important natural heritage. Great exportators of raw materials and technological products, those three countries strive to find
their own path towards sustainable development. This necessity is highlighted at three
levels : at the cultural level, when forests
disappear in huge fires or when deforestation leads to catastrophic water and mud
flows; at the political level, when a normally
abundant resource like water is diminishing
and is used as an international lobbying tool
or causes the population rationing in big
cities; at the cultural level, when populations
for a long time set aside from transformations, are at once confronted to the mobility
and the quick transformations of our
131
Transformations environnementales dans le monde malais
contemporary world that is not really respectful of traditional uses of nature.
The notion of Development would therefore take a derogatory hint according to Non
Governmental Organisations. This would
call to challenge the notion of development
so that it is in harmony with its environment
without destroying it, in other words, so that
it becomes sustainable. However, it is
important for those three countries to find
solutions that match the cultures on which
they are laid : Malay, Aborigine or Dayak,
Chinese or Indian ones. The policy undertaken by governments therefore tries to draw
its inspiration from worldwide experiences
and at the same time tries to take into
account the legitimate aspirations of their
people. In this book, are treated the different
cross questions which are of regional
concern, through precise examples. In the
first two chapters, after the presentation of
three examples revealing a certain degradation of the environment, sustainable development is analysed through a cultural
approach which tries to give an account of
regional specificities. In the next chapters,
each country is precisely described because
dimensions, populations and natural heritage vary a lot and create different management policies. Lastly, a State from the
Malaysian Federation, Sarawak, is taken as
a case study that synthesises the former
chapters points.
• Espagnol
El conjunto regional constituido por la
Federación de Malasia, Singapura y el
Sultanato de Brunei, se desarrolla con un
ritmo rápido, a veces en detrimento de un
patrimonio natural importante. Grandes
exportadores de materias primas y de productos tecnológicos, esos tres países intentan
encontrar un camino propio que integraría
la noción de duración en su desarrollo. Esta
necesidad está puesta de realce en varios
niveles: en el nivel natural, cuando la selva
desaparece por fuegos inmensos, cuando la
roturación acaba en inundaciones y corrientes de barro ; en el nivel político, cuando
la disminución de un recurso normalmente
abundante como el agua, se vierte en un
medio de presión internacional o suscita al
racionamiento de la población de las grandes ciudades ; en el nivel cultural, cuando
pueblos quedados por un largo tiempo afueras de la transformaciones, dan con la movilidad y la rapidez del mundo contemporáneo, no muy respetuoso de las formas
tradicionales del aprovechamiento de la
naturaleza.
La noción de desarrollo tomaría así una
conotación negativa puesta en evidencia por
las Organisaciones No Gobernamentales, y
requiere una vuelta en discusión para que
logre el acuerdo con el medioambiente sin
destruirlo, o dicho de otra manera, que logre
la durabilidad. Sin embargo, es importante
para esos tres países intentar encontrar la
solución más adecuada con sus culturas :
cultura malaya, aborigina o dayak, china o
india. La política dirigida por los gobernantes intenta entonces inspirarse de las
experiencias llevadas por el mundo, y al
mismo tiempo, tomar en cuenta las aspiraciones legítimas de los pueblos que administran. En este libro, consideramos a las varias
cuestiones transversales de la región a través
de unos ejemplos precisos. En los dos primeros capítulos, después de presentar los
problemas con tres ejemplos que parecen
reveladores de una cierta degradación del
medioambiente, el desarrollo durable está
analizado según una visión cultural que
intenta dar cuenta de las especifidades
regionales. En los capítulos siguientes, cada
país está tratado de manera más precisa ya
que las dimensiones, los pueblos, el patrimonio natural varian mucho, creando diferentes políticas de administración. Al finale
un Estado de la Federación de Malasia el
Sarawak es objeto de une estudio más detallado que sintetiza los puntos estudiados en
los capítulos anteriores.
Dépôt légal : juin 2000
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