L`influence du dessin animé propagandiste

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L`influence du dessin animé propagandiste
L'influence du dessin animé propagandiste
Étude de « Education for Death – Making of the Nazi »
Auteure : Melody Boilot
Dernière mise à jour : 02/10/2015
Les dessins animés constituent un outil
de propagande idéal, c’est pourquoi les
gouvernements ont pris soin d’en diffuser de
nombreux. Les différents États ont multiplié la
diffusion
de
ceux-ci,
comprenant
qu'ils
constitueraient, en plus d’un divertissement, un moyen de propagande efficace vis-à-vis des
populations. De 1941 à 1945, les studios Disney signent un contrat avec l'armée américaine
pour réaliser un total de 32 courts métrages animés de propagande pour 4.500 $ pièce. D’une
manière générale la propagande désigne l’ensemble des moyens pour influencer et orienter
l’opinion publique dans le sens que l’on désire. On peut alors se demander quels tours de
force propagandistes ont été utilisés pour apporter aux dessins animés l'influence et la portée
souhaitées. Nous tenterons de répondre à cette question à travers l'étude de l'un de ces 32
courts métrages réalisés par les Studios Disney : « Education for Death – Making of the Nazi »
sorti en 1943. Dans un premier temps nous nous attarderons donc à regarder surtout
l'esthétisme du dessin animé, dans une vision très plastique de celui-ci afin de voir comment
les dessinateurs et animateurs ont travaillé sur l'image du nazisme, à travers des jeux d'ombre
et de lumière. Nous verrons ensuite que les images seules ne suffisent pas à provoquer le
sentiment bien précis que l'État cherche à véhiculer à travers les dessins animés de
propagande. C'est pour cela que nous devons aussi nous pencher sur les sons, comme la
musique choisie, les détails des voix et l'utilisation d'un narrateur en voix off.
On remarque que les animateurs ont particulièrement travaillé sur les formes, avec une utilisation précise des ombres, des silhouettes et des jeux de lumière. En effet,
le but étant de révéler une image très sombre du nazisme, cela passe avant tout par l'esthétique
même du dessin animé. Les animateurs ont beaucoup insisté sur les ombres qui sont souvent
projetées et agrandies, elles apparaissent menaçantes, et recouvrent les choses et les gens
« innocents ». Dans l’univers manichéen de Disney, le bien et le mal sont très facilement
identifiables, or dans ce film la frontière entre les deux se fait moins ressentir que dans les
autres. Même si elle est toujours très nette entre le parti nazi et les parents de Hans, elle l'est
moins pour Hans lui-même qui fait partie des « gentils » et des innocents au début du film et
qui progressivement devient un « méchant » au service du parti totalitariste. Dans les dessins
animés, les méchants servent souvent de repoussoir, incarnant non seulement ce dont il faut
avoir peur, mais aussi ce qu’il faut mépriser et donc ne surtout pas devenir. Or, tout le concept
du film est là : l'histoire d'un gentil petit garçon qui devient un méchant soldat nazi. Cette
frontière entre le bien et le mal se caractérise par une différence de représentation esthétique
entre les deux. Chaque scène a été pensée pour créer un effet dramatique de cette influence du
mal sur le bien. Ainsi, le nazi « classique », on entend par là celui qui n'a pas de nom, les
nazis anonymes, n'a pas de visage dans les images. Il est remplacé par une ombre, comme
peint totalement en noir dans un univers sombre. Ce manque de personnification réelle montre
que la menace du nazisme est bien plus vaste et plus dangereuse que ça et qu'elle ne s'étend
pas qu'à un seul homme, on ne cherche pas à représenter la menace d'un nazi, mais plus
largement de l'idéologie nazie. On montre par là un manque total d'émotion comme si les
soldats du parti n'étaient pas vraiment humains. Par la suite, leurs ombres sont
systématiquement projetées et donc agrandies par l'effet de lumière, elles prennent alors une
proportion monstrueuse et menaçante. On le constate dès la première apparition d'un nazi
dans le film (00:02:00) où à l'inverse, les ombres des parents, elles, ne sont pas agrandies.
Elles semblent au contraire écrasées par celle du nazi. Dans une scène suivante, lorsque ce
même nazi pointe du doigt la liste des prénoms interdits, il n'y a de nouveau pas de visage. On
ne le montre pas lui, mais uniquement l'ombre de son bras qui se déploie comme l'aile d'un
oiseau charognard. Lorsque le petit Hans tombe malade (00:05:44), les couleurs sont alors
douces et pâles dans les teintes de bleu, c'est un moment intime avec sa mère, mais la porte
s'ouvre laissant entrer une lumière jaune, là encore une ombre menaçante envahit toute la
chambre et recouvre entièrement les gens innocents présents dans la pièce que sont l'enfant et
sa mère. On illustre ici la menace planante. De plus, il n'y a toujours pas de visage à ce
membre du Parti nazi venu les menacer, des yeux seuls font leur apparition : deux yeux jaunes
rendus sournois par leur petitesse à l'image du monstre qui pourrait se cacher sous le lit ou
dans un bosquet. Il y a une menace imminente, on peut l'identifier comme telle sans pour
autant pouvoir la nommer et la reconnaître réellement, sans pouvoir mettre de visage dessus,
là encore on montre l'idéologie nazie en général. Lorsque le mal revient en force (00:09:23), à
nouveau des ombres, seulement des silhouettes, à la fois des hommes et des objets comme si
le monde entier s'était retrouvé plongé dans le noir, éclairé uniquement par les flammes des
flambeaux donnant au ciel une couleur sanglante. À partir de là, les couleurs dominantes
seront chaudes : le jaune, l’orange et le rouge, illustrant le feu, la guerre, la destruction et la
mort, à l'image du rouge contenu dans le drapeau nazi. Ces couleurs représentent ici la
violence, mêlées aux ombres des nazis projetées sur une église (00:09:57) on tente de montrer
que le nazisme détruit les valeurs républicaines et chrétiennes de l'Amérique. On a la
sensation à travers les couleurs, les ombres et les formes que la majeure partie du dessin
animé se déroule la nuit, ce qui accentue la tonalité sombre du film qui se termine sur la vue
d'un cimetière au sol rouge foncé.
Les images seules ne suffisent pas à provoquer le sentiment bien précis que l'État
cherche à véhiculer à travers les dessins animés de propagande. Ces images parlantes et très
réfléchies sont également là pour appuyer la trame sonore et les commentaires du narrateur en
voix off.
Tout d'abord, le choix de laisser les dialogues du film en allemand est intéressant, il
identifie la menace un peu plus, la place dans un contexte particulier et la désigne comme
étant allemande et parlant allemand. Les animateurs ont même réutilisé de véritables
enregistrements de la voix originale d'Hitler que l'on retrouve dans la voix du soldat parlant
aux troupes (00:09:23) disant « Aujourd'hui nous possédons l'Allemagne. Demain, le
monde ». Les dialogues en allemand sont retranscrits indirectement en anglais par le narrateur
Art Smith.
Ce narrateur est très important, car il apporte quelque chose de plus « littéraire » au
dessin animé grâce à l'explication de certaines scènes à travers l'utilisation de procédés
stylistiques qui peuvent être compris par tous, car ils sont bien connus de la littérature. On
retrouve ainsi la personnification (00:03:05) avec la démocratie représentée par une sorcière
et l'Allemagne par une princesse. L'antithèse est aussi présente lorsque Art Smith dit : « Ils
insultent le lapin, les gentils garçons ». Ces deux termes « insultent » et « gentils » mettent en
avant la cruauté et l'illogisme de l'éducation nazie. C'est une figure de style qui permet des
images frappantes voire choquantes et c'est exactement le sentiment que souhaitait provoquer
les animateurs chez le spectateur. On retrouve également le procédé stylistique de la
connotation avec notamment la liste des prénoms interdits sur laquelle figurent des prénoms
se référant à des personnes ennemies du Parti nazi comme Franklin pour Franklin Roosevelt,
Joseph pour Joseph Staline ou encore Winston pour Winston Churchill. Enfin, nous
retrouvons l'antiphrase qui consiste à exprimer le contraire de ce que l'on pense réellement
grâce à l'utilisation de l'ironie, lorsque le narrateur dit : « Ce surhomme a simplement rappelé
à la mère de Hans ».
Pour ce qui est de la musique, on retrouve également de la musique allemande
notamment avec le morceau « La Chevauchée des Walkyries » composée par Richard Wagner
en 1854. On peut l'entendre pendant le conte revisité de « La belle au bois dormant » au
moment où le chevalier Hitler fait fuir la démocratie sorcière (00:03:15). Le paradoxe est
qu'Hitler qui appréciait beaucoup le classique, aimait particulièrement cette musique et qu'elle
était fréquemment utilisée dans les films de propagande nazis et notamment dans la série des
« Die Deutsche Wochenschau ».
Les films d'animation traitant des enfants soldats ou des enfants embrigadés de force
dans un régime totalitaire et entraînés pour tuer sont rares. Cependant un film d'animation
sorti l’année dernière traite de ce même sujet : « La Bille Bleue » réalisé par Co Hoedeman,
qui raconte l'histoire d'une jeune fille et d'autres enfants enlevés et forcés à devenir des
enfants soldats. Dans ce film on retrouve encore l'omniprésence des ombres, mais d'une toute
autre manière. Ici, les personnages sont dessinés comme des ombres chinoises, ce ne sont que
des formes planes en deux dimensions. Ce dessin animé montre par contre la manière dont les
enfants essaient tout d'abord de lutter contre cette oppression en s'entraidant, mais finissent
tout de même par devenir ce pourquoi ils ont été entraînés. La différence est qu'il est encore
question ici d'espoir et de liberté à travers l'imagination des enfants, les hallucinations causées
par la drogue qu'ils prennent leur permettent de s'évader un peu. On sent également que la
jeune fille a gardé une part d'elle-même à travers son attachement à cette bille bleue qu'elle a
toujours avec elle. Alors que Hans, lui, est devenu « un bon nazi » incapable de penser et de
voir par lui-même. On peut donc relever que même si la fin est tout aussi tragique que dans
« Education for Death », la cinéaste a tout de même tenté de conserver l'image de l'espoir. Un
espoir qui est totalement absent du monde sombre et assouvi par le régime nazi dans le film
de Disney.
Tous ces procédés ont été juxtaposés pour influencer l'idée que le peuple se fait de
l'Allemagne nazie. Ainsi, ce dessin animé vise à montrer l'ironie qui se dégage de cette
histoire dans laquelle le petit Hans est élevé comme un surhomme qui va dominer le monde,
mais cela n'empêchera pas sa fin tragique. De plus, à travers le compte revisité de « La belle
au bois dormant », les animateurs nous offrent une image totalement ridiculisée d'Hitler et de
l'Allemagne, notamment en représentant une Allemagne stéréotypée, en surpoids, buvant de
la bière et un peu naïve que le pauvre Hitler n'arrive pas à soulever seul malgré tous ses
efforts pour la mettre sur son beau destrier. Cela transmet un message explicite et à charge
contre l'ennemi que l'État américain revendique. Le but étant de provoquer dans la population
américaine et alliée un sentiment patriotique et nationaliste ainsi qu'un réel désir de
sauvegarder la démocratie et de condamner la dictature, en participant notamment à l'effort de
guerre. On peut donc dire que ce film est l'un des plus durs films d'animation propagandistes
produits par les studios Disney. Et les animateurs ont réalisé un vrai tour de force en
travaillant avec précision sur tous les aspects du film, que ce soient les images, les sons ou le
texte de la narration. Ils n'ont rien laissé au hasard pour que ce film puisse avoir la portée
propagandiste et l'effet souhaité sur les spectateurs.
Bibliographie
- ROBERT, Fyne (2005). « Michael S. Shull and David E. Wilt, Doing Their Bit: Wartime
American Animated Short Films, 1939-1945 », Film & History, janvier, Vol.35, p. 78.
- ROFFAT, Sébastien (2005). Animation et propagande : Les dessins animés pendant la
Seconde Guerre mondiale, Paris : L'Harmattan.
- ROFFAT, Sébastien (2010). Propagandes animées : le dessin animé politique entre 1933 et
1945, Paris : Bazaar & Co.
- STOMBERG, Fredrik (2010). La propagande dans la BD : un siècle de manipulation en
images, Paris : Eyrolles.
Filmographie
- Education for Death – Making of the Nazi (1943). Réalisateur Clyde, Geronimi, États-Unis :
The Walt Disney Company, animation, couleur, 10mn.
- La Bille Bleue (2014). Réalisateur Co, Hoedeman, Québec/Canada : Data ProRes 422,
animation, couleur, 6 mn.
Article écrit dans le cadre du cours CIN1105-A-A14 « Cinéma d'animation et d'images
composites ».