Les contrats de partenariats public-privé : la

Transcription

Les contrats de partenariats public-privé : la
Janvier-Mars 2013
Janvier-Fevrier-Mars 2015
VOL.3
VOL
N°
N°11
4
3
Sommaire
Boualem ALIOUAT
Frédéric MARTY
EDITORIAL
Les partenariats publics-privés : un outil protéiforme à utiliser avec pondération
Frédéric MARTY
Phuong Tra TRAN
Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité budgétaire au détriment
du partage optimal des risques
Aissa HIREcHE
Le Partenariat Public Privé : Regard sur l’expérience de l’Arabie Saoudite
Hubert DELZANGLES
Gaële cHAMMING’S
Le contrat de partenariat en France : sujet de controverses et objet de paradoxes
Jacques LIOUvILLE
vers une renaissance du Secteur-Public en Allemagne :
Le Méga-Trend de la re-communalisation des concessions municipales
Pascal PHILIPPART
La procédure française de sauvegarde pour entreprise en difficulté :
une solution peu utilisée
Boualem ALIOUAT
cheikh THIAW
Les différentiels d’intentions stratégiques au sein des réseaux d’innovation:
une limite au partenariat public-privé – cas du pôle mondial ScS
Regard croisé
Didier DANET
Défense et partenariats public privé : la grande désillusion
Boualem Aliouat
Rédacteur en chef
Brahim Benabdeslem
Directeur général de la Revue
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
4
Le Comité Scientifique
Boualem Aliouat
Marie-José Avenier
Brahim Benabdeslem
Sid Ahmed Benraouane
Faouzi Bensebaa
Francis Bidault
Jean-Pierre Boissin
Christina Butler
Thomas Durand
Alain Fayolle
Michel Ferrary
Louis Jacques Filion
Faiz Gallouj
Yvon Gasse
Widad Guechtouli
Michel Ghertman
Yvonne Giordano
Taïeb Hafsi
Jean-Pierre Helfer
Ahmed Hammadouche
Isabelle Huault
Marc Ingham
Laoucine Kerbache
Martin Kupp
Eric Lamarque
Benoît Leleux
Jacques Liouville
Pierre Louart
Alain-Charles Martinet
Ulrike Mayrhofer
Bachir Mazouz
Teresa V. Menzies
Karim Messeghem
Caroline Mothe
Robert Paturel
Véronique Perret
Jean-Marie Perretti
Christophe Roquilly
Jonathan Story
Zhan Su
Zahir Yanat
Université de Nice Sophia Antipolis, cNRS (France)
cNRS et Université Pierre Mendès- France, Grenoble (France)
MDI Business School (Algeria)
University of Minnesota, carlson School of Management (USA)
Université de Reims (France)
European School of Management and Technology (Germany)
IAE de Grenoble (France)
Kingston University, London (United Kingdom)
Ecole centrale Paris (France)
EM Lyon (France)
HEc Genève (Switzerland)
HEc Montréal (canada)
Université de Lille 1 (France)
Université Laval (canada)
MDI Business School (Algeria)
GREDEG –cNRS/UNS, Nice (France)
Université de Nice Sophia Antipolis (France)
HEc Montréal (canada)
IAE Paris 1 – Sorbonne (France)
MDI Business School (Algeria)
Université Paris Dauphine (France)
ESc-Dijon (France)
HEc Paris (France)
European School of Management and Technology (Germany)
Université de Bordeaux Iv
IMD International de Lausanne (Switzerland)
EMS-Université de Strasbourg (France)
IAE de Lille (France)
Université Jean Moulin, Lyon (France)
Université de Lyon 3 (France)
ENAP, Université du Québec (canada)
Brock University, Faculty of Business, Ontario (canada)
Université de Montpellier 1 (France)
Université de Savoie (France)
IAE de Brest (France)
Université Paris Dauphine (France)
Université de corse Pasquale Paoli, corté (France)
EDHEc Business School (France)
INSEAD (France)
Université Laval (canada)
BEM Bordeaux Business School
Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015
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Le Comité d’évaluation
Michel Bernasconi
SKEMA Business School Laure Cabantous
University of Nottingham, UK
Jamil Chaabouni
Université de Sfax
Denis Chabault
AE Tours
Valérie Chanal
AE de Grenoble
Regis Coeurderoy
Université catholique de Louvain
Christophe Collard
EDHEc Business School
Nabyla Daidj
Université de Paris Sud
Didier Danet
Ecole Spéciale Militaire de Saint-cyr
Faridah Djellal
Université de Tours
Régis Dumoulin
Université d’Angers
Laurent Fontowicz
Université de Lille 2
Camal Gallouj
Université de Paris XIII---- Université de Lille 1
Gilles Guieu
Université de la Méditerranée
Muriel Jougleux
Université Paris Est, Marne la vallée
Catherine Léger-Jarniou
Université Paris Dauphine
Frédéric Le Roy
Université de Montpellier 1
Christophe Loué
Advancia
Christian Marmuse
Université de Lille 2
Jérôme Maati
Université de Lille 1
Ariel Mendez
Université de la Méditerranée
Pierre-Xaviier Meschi
AE d’Aix en Provence - Skema Business School
Patrick Micheletti
Euromed Business School
Hadj Nekka
Université d’Angers
Franck Petit
Université d’Avignon
Belgacem Rahmani
HEc Montréal
Vincent sabourin
Université du Québec à Montréal
Eric Séverin
Université de Lille 1
Abdenour Slaouti
Université d’Ottawa
Julie Tixier
Université Paris XII-val-de-Marne
Azzedine Tounes
INSEEc Alpes-Savoie
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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Mot de la rédaction
CONTROVERSE AUTOUR DES PARTENARIATS PUBLICS-PRIVES :
OPPORTUNITE DE DEVELOPPEMENT OU INCERTITUDE SUR
LES FINANCES PUBLIQUES ?
Le Partenariat Public-Privé (PPP) abrite
élémentaire détenteur de marché public.
des situations aussi variées que les proSa mission est la fois plus globale et
jets qu’il recouvre, les époques qui les ont
durable. Il n’est plus rémunéré par l’usaconvoqués et les territoires qui les actionger, mais par le partenaire public dans le
nent. Il est en plein essor, mais
cadre d’un contrat de performance en
questionne toujours à la fois le fond des
contrepartie d’une redevance. cette opérelations entre l’Etat, ses collectivités, et
ration peut être intéressante car elle n’est
les opérateurs privés, et la forme que peupas prise en compte en matière de déficit
vent prendre ces relations contractuelles.
ou de dette publique (les actifs étant hors
Sur le fond, le prix Nobel d’Economie
bilan des administrations car considérés
Ronald coase qui s’interrogeait sur la
comme non publics) à condition que le
fonction économique de l’Etat, prenait très
partenaire privé supporte contractuelletôt le contrepied d’éminents économistes,
ment le risque de construction, le risque
Boualem ALIOUAT
opposés à l’octroi des services publics
de disponibilité ou le risque lié à la
Rédacteur en chef
aux opérateurs privés, comme John
demande. Dans d’autres pays, ce sont
Stuart Mill, Henry Sidgwick, Arthur Pigou
les lois générales régissant la privatisaou Paul Samuelson pour démontrer au
tion qui précisent les secteurs et les
contraire que les opérateurs privés y avaient pris une
entreprises à privatiser ou auxquels peuvent appliquer
part importante avec une efficacité sensible. A dire vrai,
un modèle de PPP. c’est le cas de l’Algérie, du Bahreïn,
de tout temps, la commande publique a eu recours aux
de Djibouti, du Maroc, de la Jordanie, d’Oman, du Liban
marchés publics, aux contrats de délégation de service
et de l’Égypte, où des institutions spécifiques sont charpublic, aux autorisations d'occupation temporaire, aux
gées d’identifier précisément ces secteurs.
conventions liées à une opération d'intérêt national, ou
Aujourd’hui, d’ailleurs, même les Nations unies, le FMI,
encore aux baux emphytéotiques administratifs pour
la Banque mondiale, l’OcDE et la Banque européenne
réaliser ses grands projets. certains actifs spécifiques
d’investissement encouragent ces formules en raison de
(terrains, carrières, ressources naturelles,…) sont même
l’état des finances publiques ou des carences d’experparfois fournis au concessionnaire par la puissance
tises disponibles de la puissance publique. Un certain
publique dans le cadre de contrats généraux de réalisanombre de projets publics aurait intérêt à être réalisé
tion du génie civil d’ouvrages. Les transferts de coûts et
sous la forme de PPP où le concessionnaire se charge
de risques au secteur privé sont une pratique finalement
de concevoir, de financer, de construire, d’exploiter, de
assez courante pour la puissance publique en raison
maintenir et de transférer une infrastructure après une
même de ses domaines d’expertise, sa proximité client,
période donnée. GDF Suez, veolia, Walsh, vinci,
sa flexibilité et la maîtrise de ses coûts.
Jacobs Engineering, Bilfinger Berger, Bouygues, EifAu demeurant, si le PPP fait l’objet de réglementations
fage, Spie-Batignolles, SNc-Lavalin, Alsthom, Thomson,
diverses, il n’est pas toujours appréhendé de manière
Alcatel,… œuvrent ainsi dans les domaines des grands
bien claire. En droit communautaire par exemple, on ne
ouvrages routiers, santé, prisons, éducation, BTP, transrégit ni ne définit les PPP, on les appréhende simpleports, défense nationale, police, aménagement des
ment en tant que marchés publics ou concessions, avec
territoires, distribution d’eau, TIc,… partout à travers le
une distinction classique entre les PPP dits « institutionmonde. Rien que dans le secteur de la distribution
nalisés », qui opèrent au travers d'une entité à capital
d’eau, entre 1991 et 2007, la population urbaine dessermixte, et les PPP « contractuels », qui se basent excluvie par des opérateurs privés dans les pays en
sivement sur des contrats. La particularité du PPP est
développement a connu une augmentation régulière,
que désormais l’acteur privé n’est plus un simple exécupassant de 6 millions à 160 millions. La plupart des
tant d’un pouvoir adjudicateur comme le serait un
contrats de partenariats public-privé ont été attribués,
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soit dit en passant, à des opérateurs originaires de pays
en développement.
cependant, malgré un certain succès dès 1992 en
Grande Bretagne, et à partir des années 2000 aux USA,
en France (60% des PPP européens), et un peu partout
en Europe, cet outil est aujourd’hui à la croisée des chemins, au cœur d’une controverse sérieuse entre bilan
contrasté et utilité reconnue. Les problèmes liés aux
actions des opérateurs privés en matière de services
publics ne sont pourtant pas nouveaux. A la fin du
19ème siècle et courant 20ème, faute de régulation
contractuelle adaptée, de nombreux opérateurs privés
abusaient de leur situation de monopole auquel on mit
un terme par une politique de nationalisation sur tous les
continents. Néanmoins, les critiques portent actuellement sur des aspects différents. Aujourd’hui, ce mode de
financement, destiné estime-t-on à camoufler la dette
publique, serait nuisible à la démocratie et n'apporterait
aucune valeur ajoutée en termes de coût ou d'efficacité
de gestion. Les fonds de pensions, les firmes multinationales et autres acteurs des PPP profiteraient de la
faiblesse des puissances publiques pour réaliser ses
propres infrastructures à des coûts finalement prohibitifs,
et donc en lourde dette cachée. Ainsi, si une étude britannique du National Audit Office observe bien que les
PPP nés de la Private Finance Initiative (PFI) en 1992,
du secteur public jusqu'à la Royal Navy, ont généré des
bénéfices supérieurs tant en termes de respect des prix
convenus que de l'échéancier de livraison comparés à
ceux réalisés de manière conventionnelle, elle montre
aussi que les conséquences d'un tel mode de gestion
n’ont pas été positives d'un point de vue financier pour
le contribuable et l'usager car les redevances ont été
finalement prohibitives sur des délais très longs. En
France, pays à fort taux de PPP, 71% des chantiers sont
livrés à l'heure et 80% sont faits dans l'enveloppe prévue, mais l’opinion publique, pourtant rompue au
colbertisme, reste divisée sur leur opportunité.
Dans un cadre bien différent, certains pays à fortes
réserves budgétaires, font un tout autre usage de ces
PPP. Loin de vouloir dissimuler des dettes publiques, les
moyens dont disposent ces pays les incitent au contraire
à engager de grands chantiers publics par le recours à
des expertises privées appropriées.
c’est le cas de l’Algérie, de la Russie, des pays d’Amérique latine ou des pays du Golfe. Selon la base de
données PPI de la Banque mondiale (Participation privée dans les projets d’infrastructures) portant sur 13
pays de la région MENA de 1990 à 2008, plus de 67 milliards de dollars ont été investis dans 122 projets
d’infrastructures publics-privés (télécommunications,
énergie, transports et eau). La problématique des PPP
ne s’inscrit plus dans une simple approche comptable,
mais dans une logique de coopération reposant sur des
actifs complémentaires pour le développement de projets stratégiques. c’est ainsi que la Russie a lancé un
programme de 290 milliards d’euros de construction de
routes sur une période de 2011/2019. Et 52 milliards sur
un Programme “Railway to 2020”. Sans compter les 5
milliards d’euros destinés aux Jeux Olympiques de Sotchi 2014 et 15 milliards pour la coupe du monde 2018.
ces PPP se font selon des montages « à la Française »
(concessions, baux emphytéotiques, BOT, projets type
« PFI », affermages, contrats de partenariat français). En
Algérie, les premiers PPP concernent le management
des services publics d’eau et d’assainissement (SEAAL
-Suez Environnement, SEOR Oran, SEAcO constantine, SEATA Annaba-El Tarf), mais aussi ensuite le
management de l’aéroport d’Alger (avec ADP), la gestion
du métro d’Alger (avec la RATP) ou encore la gestion
hôtelière (Groupe AccOR/ONAT). ces PPP concernent
d’abord des fondamentaux collectifs destinés à l’amélioration de la qualité de vie et ont été menés parfois bien
avant l’adoption d’une législation spéciale. Ils se sont
avérés aussi bien plus structurants par la suite en raison
de transferts d’expertise « ensemblière » aux services
publics. Le programme d'investissements publics 20102014 auquel sont consacrés 286 milliards USD de
budget laisse entrevoir dès lors de nombreuses opportunités de PPP.
c’est cette controverse que tente de traiter ce numéro
spécial de la Business Management Review, par des
réflexions croisées sur l’opportunité de ces outils de gestion à l’heure où manquent cruellement les moyens et
les compétences publics de réalisation des grands
ouvrages indispensables au développement et à la
croissance dans certains pays autant du nord que du
sud.
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Note aux auteurs
oBJectiFs de LA BMR
AiMs And scope oF the BMR
The Business Management Review is a quarterly academic journal covering different topics related to
organization studies (Strategy, Finance, Human
Resources, Entrepreneurship, control and Governance,
Marketing, Business case Management, Supply chain,
Business Ethics,...).
La Business Management Review est une revue académique trimestrielle recouvrant des domaines assez
larges liés au Management (Stratégie, Finance, GRH,
Entrepreneuriat, contrôle-Gouvernance, Marketing,
Gestion de projet, Supply chain, compliance, Ethique
des affaires,…).
La Business Management Review a pour ambition d’établir des passerelles entre la recherche en management
et le monde de la pratique et des entrepreneurs. cette
revue internationale est francophone, mais peut occasionnellement accueillir des articles écrits en anglais.
Elle est éditée et distribuée sous forme matérielle et
électronique par MDI Business School, à raison de 4
numéros par an, plus un numéro spécial. Elle comprend
un comité de direction éditorial, un comité scientifique,
un comité d’évaluation et une évaluation anonyme des
soumissions. Elle accueille en ses comités des experts
internationaux traitant de différentes questions du management.
Les articles publiés dans la Business Management
Review doivent répondre à des exigences académiques
et scientifiques tout en s’adressant à des publics d’entrepreneurs. Ils doivent être accessibles à des non
spécialistes autant qu’à des experts de chaque discipline. La revue est une source d’information sur les
développements récents de la recherche et des meilleures pratiques. Elle est également ouverte à des points
de vue d’entrepreneurs ou des consultants de haut
niveau qui développent des réflexions et des actions originales.
La Business Management Review privilégie les
recherches traitant de questions pouvant intéresser des
entreprises dans des économies en transition ou en
développement. Les études de cas et les recherches
intégrant des entreprises du pourtour méditerranéen sont
particulièrement recherchées.
This Review aims to build bridges between management
re- search and the different worlds of practice, managers
and entrepreneurs. This international review is written in
French, but may occasionally receive papers written in
English.
The Business Management Review is published and distributed in tangible and electronic forms by MDI Business
School (4 issues per year, plus a special issue). It
includes an Editors Board, an Editorial Board, a Reviewers Board and an anonymous reviewing by academic
peers. This review also includes international experts
committee in various fields of management.
Papers published in the Business Management Review
must meet academic and scientific requirements while
addressing audiences of entrepreneurs. They must be
accessible to non- specialists as well as experts in each
discipline.
The Business Management Review is a source of information on recent research and best practices. It is also
open to the views of entrepreneurs, managers or consultants who develop high level thinking and original
actions. The journal also publishes communications in
the form of research notes or comments from readers on
published papers .
The Business Management Review focuses also on
research dealing with issues concerning businesses in
transition economies and developing countries. case
studies and re- search integrating companies around the
Mediterranean area are particularly sought.
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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Note aux auteurs
• chaque auteur reçoit un exemplaire du numéro de la
BMR auquel il a contribué.
oBJectiFs editoRiAUX
• La Business Management Review entend établir un dialogue entre les chercheurs dans le domaine du
management des organisations, et les managers et
entrepreneurs.
• Son objectif est d’offrir aux praticiens et aux enseignantschercheurs des lieux d’échanges d’analyses critiques et
des modèles renouvelés.
• La revue prend ancrage dans un contexte euro-méditerranéen d’où émergent des problématiques spécifiques
mais aussi des organisations et des formes de coopération ou de concurrence nouvelles. Elle entend donc
privilégier les contributions qui tiendront compte de ce
contexte original et œuvreront à mieux comprendre et à
valoriser ces milieux.
• Elle s’adresse aux enseignants et étudiants en Sciences
de gestion, en Economie et même par extension en droit
des affaires, ainsi qu’à un large public de praticiens désireux d’enrichir leur propre champ de connaissance des
organisations.
• Les articles publiés dans la BMR doivent respecter les
principes de rigueur scientifique et être écrits de façon à
être accessibles aux lecteurs les plus larges qui ne sont
pas toujours des spécialistes de telle ou telle discipline
ou méthode de recherche. L’accent est plutôt mis sur les
implications managériales du sujet abordé. Une conclusion propositionnelle est impérative en fin de chaque
article soumis à évaluation.
coMite d’eVALUAtion
• Tout article adressé à la BMR est évalué à l’aveugle
par deux membres compétents du comité d’évaluation.
• Les résultats de l’évaluation amènent le comité de
rédaction à décider de son acceptation, de son refus
ou de son acceptation sous réserve de modifications
majeures ou mineures.
• L’auteur reçoit copie des observations des membres du
comité de lecture.
pARUtion de LA ReVUe
• Lorsqu’un article est définitivement accepté, l’auteur
fournit à la BMR une version électronique mise en
forme finale.
• Les articles acceptés pour publication sont publiés
dans l’ordre des dates d’acceptation sauf impératifs de
regroupement thématique ou d’équilibre des numéros
de la revue.
• L’auteur s’engage à ne pas publier son article dans un
autre support.
pResentAtion des ARticLes
• Les articles proposés à la BMR sont envoyés à l’adresse
électronique de la revue : [email protected] .
• Les noms, institutions, adresses postales et électroniques de(s) auteur(s) sont clairement indiqués.
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que sur la première page.
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2400 signes chacune (40 lignes x 60 signes).
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longueur maximum de deux pages, ou 4000 signes, et
sont précédées d’un bref résumé de 400 signes maximum (en anglais, en français et en espagnol) qui met en
évidence l’intérêt ou l’originalité de l’article, et de 3 à 6
mots clés également dans les trois langues.
• L’auteur accorde l’essentiel de son développement à ses
résultats de recherche et les analyses ou les modèles
nouveaux qu’il propose, après avoir présenté son socle
théorique et méthodologique. L’article est de nature propositionnelle à destination d’un double public
académique et managérial ou entrepreneurial.
• Les articles ne comportent pas d’annexes : l’ensemble
des tableaux, schémas et encadrés est inséré dans le
texte. Les notes sont placées en bas de page et numérotées dans l’ordre d’insertion. Leur nombre ne doit pas
excéder trois lignes par page.
• Les références bibliographiques (quelque soit le support)
sont rédigées selon le modèle suivant :
- Nom de l’auteur, Initiale du prénom. (date de publication),
Titre de la référence, Editeur, Lieu d’édition, ou Titre de
la revue, vol. x, No. X, (pages) 20-35.
Exemples:
Porter M.E. (1998), clusters and the New Economics
of competition, Harvard Business Review, NovemberDecember, vol. 76 Issue 6, 77-90.
Porter M.E. (1980), competitive Strategy, Free Press,
New York.
• La revue se réserve le droit de la mise en forme définitive.
• Tout article dérogeant aux règles de la BMR est susceptible d’être renvoyé aux auteurs pour mise en conformité
avant soumission au comité d’évaluation.
www.bmr.mdi-alger.com
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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Editorial
LES PARTENARIATS PUBLICS-PRIVÉS : UN OUTIL PROTÉIFORME
À UTILISER AVEC PONDÉRATION
Lors du XIIème Symposium International MDI 2013 ont été
abordés des thèmes divers destinés dans un premier temps
à bien cerner les caractéristiques des Partenariats PublicsPrivés (PPP) pour apporter ensuite, à la lumière des meilleures pratiques à l’international, des possibilités de réforme
des outils et modèles existants dans des économies émergents ou en transition comme l’Algérie. Les expériences
de réalisation des commandes publiques qui ont échoué
ou réussi ont été particulièrement sources de discussions
au cœur des controverses qui clivent les opinions à l’endroit
des PPP. ce symposium avait précisément pour objectif
d’analyser les choix judicieux à opérer à moyen et long
terme en matière de PPP dans une perspective de développement durable d’un Etat, de ses collectivités territoriales
et de ses entreprises privées en charge des commandes
publiques.
Les partenariats publics-privés correspondent à un phénomène mondial, et la banque mondiale elle-même les intègre dans sa politique de favorisation des réalisations
d’infrastructures dans le domaine de l’énergie, des transports, de l’eau et assainissement, de gestion de déchets
ou des télécommunications, accompagnant les acteurs
dans la définition entre autres de textes de loi, de termes
de référence et de contrats de performance (finançant les
conseillers dédiés). Par ailleurs, la banque mondiale estime
que la participation du secteur privé dans les infrastructures
(PPI) comprend plus de 5000 projets dans 139 pays à revenu faible et intermédiaire, de 1984 à 2013. c’est aussi
une réalité composite de concessions / de contrats de management / d’investissements greenfield / de privatisations,…De facto, deux types de PPP se distinguent, avec
deux types de motivations : (1) le préfinancement privé
d’infrastructures publiques (modèle concessif « historique
» ; c’est notamment le cas des PPP européens qui consistent à répondre à des besoins en investissements publics
dans un environnement budgétaire contraint ; (2) le partage
des risques, ou encore des expertises entre le public et le
privé. c’est ce dernier cas qui concerne en particulier l’Algérie dont les potentiels budgétaires disponibles sont
conséquents. L’argument financier (effet de levier des financements privés) est secondaire, voire absent, si l’Etat
concerné (i.e. l’Algérie) jouit en effet d’excédents budgétaires. Pour autant – et malgré l’inscription des PPP dans
des lois de privatisation, les PPP ne sont pas obligatoire-
ment un succédané ou une antichambre à la privatisation.
L’Etat peut mettre à profit les capacités de gestion offertes
par les excédents budgétaires sans pour autant souhaiter
se dessaisir de l’actif ou du contrôle du service rendu. Le
PPP devient une forme d’alternative à la privatisation
(Marty, Trosa & voisin, 2003). Il existe d’ailleurs des précédents américains (Government-owned corporation), australiens (Government business enterprise), canadiens
(crown corporations), ou européens (Statutory corporation,
Kassenärztliche vereinigung,…). En matière d’économie
de la privatisation, les gains ne sont pas liés au transfert
de propriété au privé mais à l’ouverture du capital au privé
et à la concurrence (charreaux et Alexandre, 2004 ; Marty,
2007).
Dès lors, on peut se poser la question de savoir pourquoi
avoir recours aux PPP si le financement n’est pas le premier souci. Les arguments généraux évoqués par les acteurs concernés sont le partage optimal des risques, la
garantie d’un niveau de qualité et de performances données, l’innovation et l’acquisition des capacités de gestion
du privé, l’intégration des phases, de la prise en charge
des interfaces, la garanties sur l’état de l’actif à l’issue du
contrat (qui permet de ne pas sacrifier la maintenance).
Plus spécifiquement, d’autres arguments sont invoqués :
la modernisation des entreprises publiques et leur accompagnement vers la concurrence ou lors de la mise sur le
marché, les transferts de compétences, la mise ne place
d’une politique industrielle avec émergence de groupes locaux.
L’objet de ce numéro spécial est de faire le point sur les
enjeux algériens au regard des expériences étrangères,
de montrer que même si l’accès aux financements n’est
pas le 1er déterminant, la structure financière du contrat
joue un rôle premier dans la répartition des responsabilités
et des risques, dans la gouvernance et dans les éventuelles
renégociations. Les cas allemands, français ou saoudiens
permettent tout à la fois de montrer que les PPP ont été
un outil majeur à l’épreuve de la crise financière, cette dernière ayant eu un impact spécifique sur la structuration
des contrats. ce dossier montre aussi que les PPP présentent des limites notamment lorsque les partenaires actionnent des projets et des intentions stratégiques différentes (cas des pôles de compétitivité). Il permet aussi
d’orienter les cadres juridiques et les politiques publiques
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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Boualem ALIOUAT
Université de Nice
FREDERIc MARTY
CNRS – GREDEG Nice
en matière de PPP appropriés à des contextes différents
notamment dans le cas de l’Algérie ou la région MENA.
ce dossier comprend 6 contributions abordant des thématiques diverses mais complémentaires. D’abord, Frédéric
Marty et Phuong Tra Tran partent de l’idée que l’opportunité
économique des partenariats public-privé repose sur l’allocation optimale des risques même si l’accroissement du
coût des montages ne se traduit pas par une réduction significative du périmètre de ces derniers. c’est précisément
la raison pour laquelle l’efficacité de ces contrats de partenariat fait actuellement l’objet de vives critiques car l’efficacité des partenariats public-privé est liée à la question
de son coût pour la personne publique. ces auteurs proposent alors des solutions qui ont été mises en œuvre par
les pouvoirs publics dès le début de la crise pour faciliter
le bouclage financier des PPP et s’interrogent sur l’impact
à long terme des deux crises consécutives sur l’économie
générale des contrats de PPP, et plus particulièrement sur
l’arbitrage qui peut être opéré entre allocation optimale
des risques et soutenabilité budgétaire des engagements
induits. Dans un même ordre d’idées, Hubert Delzangles
et Gaële chamming’s évoquent les partenariats publicsprivés sous l’angle juridique des contrats globaux dont l’intérêt prépondérant est de permettre un préfinancement
privé des équipements publiques depuis bientôt une dizaine
d’années alors qu’il demeure un sujet de controverses. Ils
montrent que ce contrat de partenariat reste un outil juridique qu’il convient de savoir manier, d’autant plus que sa
conception française s’avère l’objet de certains paradoxes
dans une nouvelle logique de gestion publique visant à
accroître l’efficience et à maitriser le montant des dépenses
publiques par une approche en coût global. Le professeur
Aissa Hireche aborde quant à lui le cas méconnu de l’Arabie Saoudite. ce pays a conscience que sa ressource
énergétique n’est pas renouvelable. Aussi cherche-t-il dès
à présent à s’atteler à réduire la dépendance de son économie par rapport à cette ressource non durable. En décidant de se pencher sérieusement sur l’avenir du pays, le
gouvernement Saoudien a pris l’option de diversifier son
économie par de grands projets: construction de quatre
villes économiques, extension du réseau ferroviaire,
construction de plusieurs usines de dessalement d’eau,
construction de plusieurs centrales électriques, amélioration
des capacités d’accueil,…cet ambitieux programme étalé
sur 40 ans ne vise pas seulement à faire faire au pays un
bond quantitatif, il insiste aussi sur le qualitatif. Le développement de l’économie saoudienne est voulu aux plus
hautes normes internationales de qualité pour une économie compétitive au plan mondial. c’est donc pour aider au
financement de ces projets et assurer leur réalisation selon
les critères de qualité et de temps retenus, que le gouvernement saoudien a décidé de recourir au Partenariat Public
Privé. Toujours dans un cadre international, le Professeur
Jacques Liouville traite des Partenariats Public-Privé en
Allemagne au début des années 1980 et des années 1990,
ces accords de « privatisation partielles » étant maintenant
de plus en plus contestés Outre-Rhin. La cause en est
que sur le long terme, les PPP répondent de moins en
moins à leurs deux principaux objectifs de baisse des prix
et d’amélioration de la qualité des prestations. cela explique que lorsque l’opportunité se présente, notamment à
l’expiration des concessions, les municipalités allemandes
ont maintenant tendance à re-communaliser les servicespublics qui avaient historiquement été concédés à des partenaires privés. Jacques Liouville examine deux cas exemplaires de re-communalisation et fournit des
recommandations pour le management des missions de
service-public. Boualem Aliouat et cheikh Thiaw exposent
un angle différent des PPP, notamment à travers le cas
des pôles de compétitivité. Le partenariat public-privé se
construit parfois sous la forme de réseaux d’innovation,
notamment dans le cas des pôles de compétitivité. Des
acteurs publics (formation et recherche) associent leurs
efforts d’innovation à celui des entreprises qui cherchent à
se redéployer sur des marchés nouveaux et porteurs. Mais
ont-ils toujours le même objectif ? Un contrat de performance peut-il se construire de manière verticale et par décret (top down) quand les partenaires potentiels sont animés par des intentions divergentes. Leur contribution tente
de montrer les limites de certains PPP en tant que concept
générique de groupement public-privé lorsque les intentions
stratégiques des uns sont plutôt orientées marché alors
que les autres sont exclusivement orientés innovation. Finalement, par une approche un peu différente, Didier Danet
expose la question des partenariats publics-privés dans le
domaine de la Défense pour évoquer les failles d’une telle
pratique et constater une grande désillusion des acteurs
publics.
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Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité
budgétaire au détriment du partage optimal des risques ?1
RésUMé
L’opportunité économique des partenariats public-privé
repose sur l’allocation optimale des risques, mais il est
possible que l’accroissement du coût des montages ne
se traduise pas par une réduction significative du périmètre de ces derniers. Or, l’efficacité des partenariats
public-privé est aussi liée à la question de son coût pour
la personne publique. c’est la raison pour laquelle l’efficacité de ces contrats de partenariat fait actuellement
l’objet de vives critiques. Tant leur efficacité en matière
de gestion du service que leur opportunité économique
au vu du différentiel des coûts de financement public et
privé. Notre article revient sur le modèle financier canonique des PPP avant la crise pour montrer de quelle
façon la pérennité de ce modèle financier est remise en
cause par le changement structurel des conditions d’accès au marché des fonds prêtables. Nous présentons
également les solutions qui ont été mises en œuvre par
les pouvoirs publics dès le début de la crise pour faciliter
le bouclage financier des PPP et dégageons quelques
faits sur les évolutions effectives en termes de conditions
de financement des contrats et de dispositifs de soutien
public. Nous nous interrogeons finalement sur l’impact à
long terme des deux crises consécutives sur l’économie
générale des contrats de PPP, et plus particulièrement
sur l’arbitrage qui peut être opéré entre allocation optimale des risques et soutenabilité budgétaire des
engagements induits.
ABstRAct
Economic opportunity for public-private partnerships is
based on the optimal allocation of risk, but it is possible
that the increased cost of fixtures does not result in a
significant reduction in the scope of the latter. However,
the effectiveness of public-private partnerships is also
linked to the question of the cost to the public entity. This
is why the effectiveness of these partnership contracts is
currently the subject of criticism. As their effectiveness in
service management as their economic opportunity
considering the cost differential of public and private funding. Our article focuses on the financial canonical PPP
model before the crisis to show how the sustainability of
the financial model is challenged by the structural
change of market conditions of access to loanable funds.
We also present solutions that have been implemented
by the government at the beginning of the crisis to facilitate financial closure of PPP and bring out some facts
about the actual developments in terms of conditions of
contract funding and public support schemes. We finally
wonder about the long-term impact of two consecutive
crises on the economy of PPP contracts, particularly on
arbitration can be made between optimal risk allocation
and fiscal sustainability induced commitments.
Key words: Public-private partnerships, Budgetary
Sustainability, Financial Closing, Public Financing
Mots clefs : Partenariats public-privé, Soutenabilité
budgétaire, Bouclage financier, Financement public
(1) Nous tenons à remercier la Mission d’appui aux Partenariats public-privé (Ministère de l’Economie et des Finances) de nous avoir
permis d’analyser les contrats de partenariat qui sont à leur disposition, ainsi que pour la précieuse aide fournie dans l’interprétation
des données recueillies.
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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Frédéric MARTY
CNRS – Université Nice Sophia-Antipolis
Phuong Tra TRAN
IAE de Paris Sorbonne
INTRODUCTION
L’efficacité des contrats de partenariats public-privé (ciaprès PPP) fait actuellement l’objet de vives critiques. Tant
leur efficacité en matière de gestion du service que leur
opportunité économique même, au vu du différentiel des
coûts de financement public et privé, sont aujourd’hui
contestés alors que le modèle passait il y a quelques
années comme – pour reprendre l’expression anglaise – the
only game in town.
Notre objectif n’est pas ici de nous attacher à la performance des PPP en termes de réalisation des objectifs fixés
par le contrat. De telles évaluations ont pu être réalisées au
Royaume-Uni pour lequel le portefeuille de contrats en
cours d’exécution (voire achevés dans certains cas) peut
être suffisant pour tirer de premières conclusions (se reporter à Marty et voisin (2007) et Marty et Spindler (2013) pour
des synthèses). De premières analyses rétrospectives ont
été menées dans le cas français (Saussier et Tran, 2012).
L’efficacité des partenariats public-privé – qui peut tenir du
caractère incitatif du contrat ou de l’allocation optimale des
risques entre les deux contractants – est consubstantiellement liée à la question de son coût pour la personne
publique. Tout d’abord, l’efficacité est étroitement dépendante de la capacité du contractant public à prendre en
charge les coûts de transaction tant ex ante qu’ex post
(mise en concurrence, rédaction du contrat et contrôle de
son exécution), lesquels apparaissent comme une condition
sine qua non pour garantir l’effectivité du dispositif incitatif
mis en place par le contrat (Saussier, 2012). Ensuite, les
gains d’efficience peuvent être contrebalancés voire annulés par le surcoût du financement privé par rapport au
financement public. Si ce surcoût pouvait être maintenu à
des niveaux particulièrement raisonnables avant la double
crise des Subprimes en 2008 et de la dette souveraine en
2011/12, la conjoncture financière qui prévaut depuis sur les
marchés se traduit à la fois par des difficultés significatives
dans le bouclage des tours de table financiers des contrats
de PPP et par l’élévation significative des marges bancaires.
L’opportunité économique des PPP reposant sur l’allocation
optimale des risques, il est possible que l’accroissement du
coût des montages ne se traduise par une réduction significative du périmètre de ces derniers. En effet, si la prise en
charge du risque par le privé se traduit par un coût trop
important, il peut être préférable pour le public de demeurer
son « propre assureur ». De la même façon, dans un environnement budgétaire contraint, la hausse du coût du
financement des contrats de PPP peut se traduire par un
net accroissement du montant des loyers annuels à verser
au contractant et donc à une mise en cause de la soutenabilité budgétaire même des engagements induits.
Pour reprendre les termes britanniques, l’équilibre qui pouvait être aisément atteint avant la crise entre la value for
money et l’affordability est désormais bien plus difficile à
réaliser. La crainte pourrait même être que le premier soit
sacrifié au second. Si la personne publique conçoit principalement le PPP comme un vecteur de préfinancement de
ses investissements par le secteur privé ou si elle n’a pas
d’autres recours que le PPP pour satisfaire la demande de
services publics qui lui est adressée, elle risque de privilégier cet outil contractuel quand bien même serait-il
théoriquement ‘sous-optimal’. Au final, deux questions pourraient être posées. Tout d’abord, l’évolution des conditions
de financement des contrats de PPP peut-elle avoir des
effets adverses sur l’allocation des risques ? Ensuite,
quelles peuvent être les réponses des contractants publics
pour contrecarrer l’effet négatif de cette hausse structurelle
du coût du financement ?
Pour ce faire, nous nous appuierons particulièrement sur les
cas britanniques et français dans le cadre de notre analyse
des transformations des conditions de financement des
contrats de partenariat public-privé. Il s’agit en effet des
deux Etats européens qui utilisent le plus massivement ces
contrats (EPEc, 2013).
Dans le cas britannique, les dernières statistiques publiées
par le Trésor, en mars 2012, dénombrent 717 contrats en
cours dont 648 entrés en phase opérationnelle. Le cumul
des investissements privés liés à ces derniers s’élève à
quelque 54,7 milliards de livres. Si comme nous allons le
voir la crise de 2008 s’est traduite par une inflexion dans les
flux de nouveaux contrats, quelques 25 contrats sont parvenus à leur clôture financière entre mars 2011 et mars
2012 (pour une valeur d’investissement de 2,3 milliards de
livres). Quelques 39 projets étaient en cours de négociation
(pour un montant cumulé de 5,4 milliards).
L’évaluation du nombre de PPP est bien plus difficile en
France. Si 171 contrats de partenariat avaient été signés
selon les données de la MAPPP (Mission d’appui aux PPP
du ministère de l’Economie), il n’existe pas de recensement
exhaustif permettant de connaître avec certitude le nombre
et les montants investis tant pour les contrats assimilés
(autres contrats administratifs permettant de mettre en
place des PPP dans des domaines immobiliers et hospitaliers) que pour les contrats de nature concessive (lesquels
sont intégrés dans les PFI britanniques). Les données
publiées par le centre d’expertise Français pour l’Observation des Partenariats Public Privé (cEF-O-PPP) permettent
de dénombrer quelques 478 projets attribués pour un mon-
(2) http://www.cefoppp.org/page.asp?ref_page=7531&ref_arbo=2176 (accédé le 5 avril 2013).
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité
budgétaire au détriment du partage optimal des risques ?
tant global d’investissements de 41,2 milliards d’euros2.
Toujours selon ces mêmes statistiques si 60% des contrats
ont été passés sous la forme de baux emphytéotiques
administratifs (BEA, l’une des alternatives au contrat de partenariat pour les collectivités territoriales), ceux-ci portent
essentiellement sur des contrats de faible montant (moins
de cinq millions d’euros d’investissement en règle générale). Les contrats de partenariat (régis par l’ordonnance du
17 juin 2004) ne regroupent que 32 % de l’échantillon mais
84% des investissements cumulés.
ces deux exemples nationaux alimentent notre analyse des
conséquences des crises financières sur l’équilibre économique des PPP et des impacts potentiels des réponses qui
y ont été apportées par les personnes publiques contractantes.
Notre article se structure comme suit. Une première section
revient sur le modèle financier canonique des PPP avant la
crise ; à savoir des montages de financement sur projet
avec un fort effet de levier financier afin de minimiser le coût
du financement privé. Notre deuxième section montre de
quelle façon la pérennité de ce modèle financier est remise
en cause par le changement structurel des conditions d’accès au marché des fonds prêtables. Elle présente
également les solutions qui ont été mises en œuvre par les
pouvoirs publics dès le début de la crise pour faciliter le bouclage financier des PPP dans ce nouveau contexte. Notre
troisième section, qui s’appuie sur un échantillon de
contrats de partenariats français, dégage quelques faits stylisés sur les évolutions effectives en termes de conditions
de financement des contrats et de dispositifs de soutien
public. S’il ne s’agit pas ici de prétendre à la significativité
statistique (seulement 38 contrats étaient disponibles), les
évolutions relevées permettent de dégager quelques lignes
de force en matière de bouclage financier des contrats de
PPP. Nous envisageons alors les perspectives qui peuvent
être tracées pour l’établissement d’un nouveau modèle
financier des PPP au travers de l’analyse des propositions
dans le domaine du Trésor britannique pour une nouvelle
génération de PFI, les PF2 (HM Treasury, 2012). Enfin,
dans notre cinquième section, de nature conclusive, nous
nous interrogeons sur l’impact à long terme des deux crises
consécutives sur l’économie générale des contrats de PPP,
et plus particulièrement sur l’arbitrage qui peut être opéré
entre allocation optimale des risques et soutenabilité budgétaire des engagements induits.
1. Le montage de financement sur projet comme
archétype du modèle PPP
L’une des spécificités des montages de partenariats publicprivé vis-à-vis des outils traditionnels de la commande
publique tient au fait qu’ils permettent d’introduire dans la
sphère publique des techniques d’ingénierie contractuelle
et financière jusqu’alors réservées aux montages développés dans la sphère privée, à l’exemple du financement sur
projet (Marty et voisin, 2007). Un tel modèle de financement
permet des gains en termes de transparence et d’allocation
optimale des risques et des responsabilités, ainsi que la
minimisation du surcoût de la dette projet. En d’autres
termes, il s’agit du montage ouvrant la plus grande possibilité de limitation du coût moyen pondéré des capitaux
investis.
Traditionnellement le financement des projets publics est
réalisé par l’impôt ou l’emprunt. A supposer que les deux
formes soient équivalentes en termes de bien-être sur une
base inter-temporelle (il s’agit du théorème de l’équivalence
ricardienne), le financement traditionnel des projets publics
par l’emprunt apparaît moins coûteux qu’un financement
indirect réalisé par un opérateur privé. En effet, dans une
situation normale des marchés financiers, l’Etat est réputé
s’endetter à un taux dit sans risque dans la mesure où à la
différence de tout opérateur privé, il peut assurer le service
de sa dette au travers du levier de l’impôt. Ainsi, tout financement assuré par le contractant de l’administration se
traduit, en principe, par un surcoût, collectivement sousoptimal.
cependant, le développement des PPP repose, comme l’indique le nom même de la politique de Private Finance
Initiative britannique de 1992, sur le principe d’un financement privé. Deux premiers facteurs peuvent expliquer cet
apparent paradoxe. Un premier facteur tient au gain d’efficience que peut permettre de réaliser le PPP. ces derniers
peuvent – comme en témoignent de nombreuses études
préalables réalisées avant de s’engager dans la voie partenariale3 – contrebalancer ce surcoût initial. Un deuxième
facteur tient aux contraintes budgétaires s’exerçant sur les
décideurs publics.
Au niveau microéconomique tout d’abord, le PPP est susceptible de générer plusieurs types de gains, lesquels
peuvent contrebalancer son surcoût financier.
Il peut tout d’abord s’agir de gains d’efficacité liés au cou-
(3) Les avis rendus par la cellule experte du Ministère de l’Economie et des Finances français (la Mission d’Appui aux PPP – ci-après
MAPPP) sur les évaluations préalables réalisées par les porteurs de projets sont particulièrement intéressants à ce titre. Cette évaluation
comparative met systématiquement en évidence un surcoût du PPP lié au coût du financement privé, surcoût souvent compensé par
les gains d’efficience liés au contrat de PPP dès lors que les risques liés à la réalisation du projet sont pris en considération. L’exemple
du Centre Hospitalier d’Angoulême (avis MAPPP n°2010-21 du 27 septembre 2010) est représentatif de cette situation. Du fait de la prise
en compte du surcoût du financement privé, la valeur actuelle nette des coûts totaux est plus favorable de 7,5% dans le cas d’une maîtrise
d’ouvrage publique que dans le cas d’un contrat de partenariat. L’intégration des risques conduit à un résultat plus favorable au PPP de
4 à 10% selon les scenarii envisagés.
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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plage des phases de conception/ construction et d’exploitation. Dès lors que le constructeur est rémunéré au travers
d’une somme forfaitaire tout le long de l’exploitation, il
n’aura plus aucune incitation à minimiser les coûts de
construction (afin de maximiser sa marge) au détriment des
coûts d’exploitation. En effet, dans le cadre de contrats traditionnels (marché public pour la construction suivi par
exemple d’une exploitation en régie), les coûts d’exploitation, d’entretien et de maintenance ne sont pas pris en
considération par le constructeur. Responsabiliser ce dernier au travers d’un contrat global de long terme couplant
les phases de construction et d’exploitation, créé une structure incitative le conduisant non plus à minimiser les coûts
de construction (pour minimiser le prix de son offre et donc
maximiser sa probabilité d’être retenu à l’issu de l’appel
d’offres) mais à minimiser le coût global de possession
(Hart, 2003). cet effet de couplage (bundling), qui peut aller
jusqu’au démantèlement de l’actif concerné (et qui conduit
donc à prendre en compte les différents coûts de déconstruction lors de la conception), conduit l’offreur à internaliser
ce qui était jusqu’à présent des externalités. Le mécanisme
incitatif à l’origine de cet effet repose sur la nature du PPP
qui est un contrat à prix forfaitaire et non un contrat à remboursement de coûts (Laffont et Tirole, 1993).
Le caractère forfaitaire du contrat de partenariat produit les
incitations idoines sur le contractant pour maîtriser ses
coûts. En ce sens, le recours à un partenariat public-privé
participe d’un renforcement de l’efficacité économique de
l’investissement public. Il n’en demeure pas moins qu’il se
traduit par un abandon de rentes informationnelles au
contractant de l’administration, abandon d’autant plus important que l’asymétrie informationnelle est forte. En d’autres
termes, si le contractant public ne dispose pas des moyens
techniques internes ou des ressources financières (pour
s’appuyer sur des expertises externes) adéquats pour négocier avec les entreprises réunies en consortium pour
répondre à son appel à concurrence, il est fort probable que
le contrat qui en résulte soit déséquilibré en faveur du
contractant privé.
Le caractère forfaitaire du contrat de partenariat est à l’origine d’un autre avantage tenant à la couverture contre les
risques de dérives de coûts dans la construction et dans
l’exploitation de l’actif support du service rendu par le
contractant privé. En effet, le paiement annuel dont bénéficie ce dernier dans le cadre du contrat ne vise pas – du
moins théoriquement - à couvrir ses coûts et à lui assurer
une rémunération donnée des capitaux investis comme cela
serait le cas pour un contrat de type cost plus fees. Le paiement de la personne publique dépend de la disponibilité du
service, de son utilisation et de la satisfaction de critères
contractuels portant sur la performance et la qualité du service. Si des surcoûts surviennent dans le courant de
l’exécution du contrat, le prestataire ne pourra obtenir de ce
seul fait un ajustement des flux annuels de paiement. Ainsi,
le contrat de partenariat peut-il être saisi comme mécanisme
assurantiel, comme l’a montré Blanc-Brude (2009). Un
éventuel surcoût lié au partenariat public-privé pourrait,
comme nous le verrons infra, être conçu comme une prime
d’assurance. Bien que l’économie publique traditionnelle
considère que l’Etat est un agent économique neutre vis-àvis du risque et doit être à ce titre, son propre assureur, les
contraintes budgétaires croissantes qui s’exercent sur les
collectivités publiques conduisent ces dernières à adopter
un comportement de nature risquophobe. Le fait de disposer d’une certaine certitude quant aux engagements
budgétaires futurs garantit au contractant public leur soutenabilité.
Notons également, que le contrat, par le mécanisme incitatif qu’il met en place, permet également de contrecarrer
l’une des difficultés communément rencontrées dans les
investissements publics, à savoir les dérives dans les
délais de construction. Opter pour un partenariat publicprivé permet de limiter de telles dérives moins du seul fait
d’une quelconque efficacité supérieure de la maîtrise d’ouvrage privée sur la maîtrise d’ouvrage publique que par le
mécanisme contractuel mis en place lui-même. En effet,
dans le cadre du modèle canonique du partenariat, les
paiements ne débutent pas à la signature du contrat mais
à la mise en service de l’actif sous-jacent. La personne
publique ne se porte pas acquéreuse d’un actif (il s’agirait
alors d’un préfinancement et d’une maîtrise d’ouvrage privés) mais d’un flux de services4. ce mécanisme a
indubitablement un coût pour le partenaire privé. Non seulement il porte un risque additionnel mais les sommes qu’il
doit emprunter sont mécaniquement supérieures dans la
mesure où il n’aura pas de revenus dans la phase de
construction. Inexorablement, la personne publique devra
– si elle souhaite tirer profit de ce mécanisme incitatif,
lequel fonctionne comme une assurance contre le risque
des dérives de délais – compenser cette charge addition-
(4) Notons, en outre, que les dérives de coûts et de délais dans les projets publics sont souvent imputables à des changements – tardifs
– de spécifications de la part du décideur public. Dans la mesure où dans le cas d’un partenariat public-privé, des évolutions significatives
des spécifications poseraient après la mise en concurrence des problèmes juridiques (risques de recours) et placeraient de toute façon
la personne publique en position de faiblesse vis-à-vis de son contractant – faute d’une menace concurrentielle -, les décideurs publics
sont bien moins enclins à s’engager dans de telles modifications.
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité
budgétaire au détriment du partage optimal des risques ?
nelle au travers de ses flux de paiements. Ainsi, un arbitrage entre efficacité incitative du contrat (condition sine
qua non de la possibilité de satisfaire au critère de la valeur
pour le contribuable (value for money) peut mettre en
question la soutenabilité budgétaire même des flux de
paiements liés au contrat (critère de l’affordability)5 .
ce faisant, le contrat de partenariat peut-il faire l’objet d’une
lecture en termes assurantiels. Le mot même de partenariat
rejoint dans ce contexte sa racine latine de partitio, i.e.
répartition. Il s’agit d’un outil contractuel visant à la répartition optimale des risques entre les parties. Si chacune se
voit attribuer le risque qu’elle peut gérer au moindre coût, le
contrat de partenariat sera collectivement efficient. Au-delà
même du mécanisme incitatif lié aux clauses contractuelles,
il peut être considéré que le privé peut être en mesure de
gérer plus efficacement certains risques dès lors qu’il possède une plus grande expérience que sa contrepartie
publique pour certains projets (effets d’apprentissage, développements d’innovations,…) ou qu’il peut se couvrir contre
certains de ces risques sur les marchés financiers.
En tout état de cause, la question du risque et de son allocation optimale entre contractants public et privé constitue
la clé de voûte du modèle économique du partenariat publicprivé. Un tel transfert de risque se traduit inexorablement par
une prime. La personne publique a à faire face dans le cas
d’un tel contrat à un surcoût ; surcoût qu’il est possible d’apprécier au travers du différentiel de taux entre le coût de la
dette publique et le coût du financement privé. En effet, le
préfinancement de l’infrastructure sous-jacente au contrat
par le partenaire privé induit un surcoût financier relié à la
marge réalisée par le consortium (d’autant plus forte que la
concurrence pour le contrat est faible6) mais aussi – et surtout – à la différence dans les primes de risques exigées par
les financeurs entre dette privée et dette publique7.
Les PPP ne peuvent donc être satisfaisants en termes économiques que si et seulement si les gains d’efficiences
(ainsi que les dimensions liées à la rapidité de la mise en
service des actifs et à la garantie contractuelle de qualité
des services) permettent de compenser le surcoût du financement privé. Si l’essor particulièrement marqué des
contrats de partenariat au Royaume-Uni et dans de nom-
breux Etats développés et émergents dans la première
décennie de ce siècle peut être relié à l’influence croissante
du nouveau management public (Penalva-Icher et Lazega,
2013), elle doit sûrement être resituée dans un contexte
particulièrement favorable au point de vue financier (Dupas
et al., 2012). En effet, les mesures prises par les banques
centrales à la suite de l’éclatement de la bulle Internet et
des attentats du 11 septembre 2001 se traduisirent par
l’abondance de liquidités disponibles sur le marché des
fonds prêtables. Leur coût était d’autant plus faible que
l’aversion au risque des investisseurs était des plus modérées. De plus, l’adoption des IFRS conduisait à valoriser les
titres financiers à leur valeur de marché. ce faisant, l’élévation des cours boursiers se traduisait par l’augmentation des
capacités de prêts des établissements de crédit. ce
contexte financier, favorable aux montages à fort effet de
levier financier (i.e. reposant principalement sur la dette)
l’était encore plus pour les partenariats qui présentaient
pour les investisseurs un couple risque/rendement particulièrement attractif. En effet, si les rendements ne se
caractérisaient pas par des niveaux très élevés, le risque
pris semblait d’autant plus raisonnable que la contrepartie
était au final une collectivité publique et qu’un marché
secondaire des titres liés aux partenariats public-privé se
développait significativement. Ainsi, la dette liée aux partenariats était particulièrement attractive pour certains
investisseurs, dont les fonds de pension.
Les montages financiers utilisés dans le cadre de ces
contrats permettaient en outre de limiter le surcoût du financement privé. Le financement des contrats de partenariat
public-privé peut de fait recouvrir trois formes principales
(christophe et al., 2007).
Une première forme de financement – la plus conventionnelle – correspond à un montage de type crédit-bail. La
deuxième forme, la plus couramment utilisée pour les
contrats d’une surface financière raisonnable, correspond à
des financements de type corporate. Dans ce cas là, la
dette est levée par l’entreprise titulaire du contrat (communément l’entreprise la plus importante du consortium). Les
apporteurs de fonds n’évaluent pas le risque de défaut sur
le service de la dette à partir du risque propre à l’investisse-
(6) Il s’ensuit la possibilité quand les conditions de marché le permettent, et quand la surface financière du contrat est suffisamment importante pour couvrir les coûts de transaction induits, de la mise en place d’une concurrence séparée pour le volet financement (Marty
et Voisin, 2008). Non seulement celle-ci peut conduire à réduire le coût du financement mais permet de bénéficier de la part des souscripteurs de la dette liée au projet d’une évaluation de sa viabilité et de la robustesse de son montage (via les procédures de due dilligence
portant sur l’évaluation des risques de défaut sur le remboursement de la dette).
Il n’en demeure pas moins que l’action des opérateurs financiers ne saurait être tenue pour neutre. En effet, le caractère structurant du
financement dans la définition de l’équilibre économique du contrat conduit à renforcer le poids de la logique financière dans la négociation entre les différents partenaires. Il ne s’agit plus d’accorder seulement les logiques du public et du privé mais aussi celle des acteurs de la sphère financière (Huault et Richard, 2012).
(7) Le public est réputé s’endetter au taux sans risque dans la mesure à la capacité de l’Etat à lever l’impôt doit le mettre à l’abri du
risque de faillite. A l’inverse un opérateur privé est exposé à un tel risque (et peut donc faire défaut sur le service de sa dette). Un tel
risque dépend à la fois du risque systémique (commun à tous les opérateurs du marché) et du risque spécifique (propre à l’entreprise
concernée).
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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ment mais en fonction de la qualité de signature (ratios
entre fonds propres et dettes, entre service de la dette et
flux de revenus) de la société porteuse du projet. ce type
de montage présente deux défauts pour les contrats les
plus importants en termes d’investissements. D’une part, le
risque propre au contrat ne fait pas l’objet d’une évaluation
et ne joue pas sur la fixation du coût du financement. La
prime de risque n’est pas la résultante de l’allocation
contractuelle des risques mais simplement de la qualité de
signature de l’entreprise porteuse du contrat. D’autre part,
cette modalité de financement suppose que ladite entreprise consolide dans ses comptes tant l’actif concerné que
la dette afférente. cela peut être préjudiciable pour les
acheteurs publics dans la mesure où une telle consolidation
réduit la capacité d’emprunt de la firme concernée et donc
les possibilités pour celle-ci de s’engager dans les futures
mises en concurrence. Il s’ensuit – si le marché est oligopolistique – un risque d’un moindre nombre de compétiteurs
pour les contrats de partenariats public-privé. Sachant que
la capacité du contrat de partenariat à réaliser l’objectif de
la value for money dépend étroitement du degré de concurrence pour le marché – à l’instar des contrats de
concessions (Mougeot et Naegellen, 2007), il est de l’intérêt
bien compris des acheteurs publics que les opérateurs
habituels ne voient pas leurs comptes lestés de trop de
contrats.
La troisième forme de financement – la plus fréquemment
utilisée pour les contrats de partenariat public-privé mobilisant des ressources importantes – répond à ces
préoccupations. Il s’agit, comme nous l’avons vu, des montages de financement sur projet. De tels montages sont
particulièrement adaptés dès lors que la mise en concurrence a donné lieu à la formation d’un véritable consortium
associant les compétences de nombreuses entités. Une
société projet est alors créée pour porter le contrat. Les
firmes ayant constitué le consortium – appelées sponsors –
apportent des fonds propres. Le reste du financement est
constitué de dette levée sur les marchés financiers ou souscrite auprès d’établissements bancaires. Sachant que les
fonds propres sont mieux rémunérés que la dette – car plus
exposés au risque8 – la minimisation du coût global du
financement (i.e. du coût moyen pondéré des capitaux
investis) passe par la recherche de l’effet de levier le plus
élevé. cependant, plus le ratio entre la dette et les fonds
propres sera important, plus le service de la dette absorbera
une part élevée des revenus d’exploitation. Dès lors la probabilité d’un défaut sur le remboursement de la dette
pourrait apparaître comme significative… ce qui conduirait
les prêteurs de ressources externes à accroître leurs primes
de risque et se traduirait donc par une hausse du coût du
financement.
La sensibilité du coût du crédit au risque de défaut est d’autant plus forte qu’un financement sur projet est un montage
financier sans recours. La seule garantie apportée pour le
remboursement de la dette tient aux flux de ressources
dégagés de l’exploitation de l’actif objet du contrat et des
apports en fonds propres réalisés par les sponsors de la
société projet. L’évaluation de la viabilité du montage par les
financeurs externes constitue donc une dimension critique
dans l’équilibre économique du contrat de partenariat9.
Sachant que le surcoût du financement privé constitue l’un
de ses handicaps majeurs vis-à-vis d’un financement étatique classique, le coût de la ressource financière externe
s’avère la variable dont la minimisation est indispensable
pour susciter une bascule entre solutions patrimoniales et
partenariales. Sachant que la clef de voûte du contrat de
partenariat se situe dans la répartition des risques entre
public et privé, un transfert excessif de risques au second
(8) La question du degré réel d’exposition des fonds propres au risque est débattue au Royaume-Uni (NAO, 2012). Théoriquement si la
société projet rencontre des difficultés dans la construction ou si elle fait face à des coûts d’exploitation plus élevés que prévu, les
fonds propres seront directement impactés. Dans quelques projets britanniques une telle situation a pu être relevée. Il en alla par exemple
ainsi pour le contrat du National Physical Laboratory en 2004 (perte de 4 millions de livres de fonds propres), dans celui de Metronet
relatif au métro de Londres en 2007 (perte de 350 millions de fonds propres) ou encore du programme de construction d’écoles en Cornouailles en 2009. Dans ce dernier cas, l’administration contractante mit fin de façon anticipée au contrat pour cause d’une performance
insuffisante. Les sponsors perdirent 4,8 millions de fonds propres. Cependant, la cour des comptes britannique considère que dans
l’immense majorité des cas la rémunération des fonds propres (en moyenne de 12 à 15%) est quelque peu excessive eu égard au niveau
effectif des risques assumés (NAO, 2012). En effet, les risques sont souvent transférés de la société projet vers des sous-traitants aval
via des contrats à prix fixe (Marty et Spindler, 2013) et les paiements assurés par la personne publique sont quasiment exempts d’aléas.
Notons encore que la cour des comptes britannique s’avère des plus critiques sur les méthodes de valorisation utilisées pour déterminer
le niveau de rémunération exigé par les investisseurs en fonds propres. L’évaluation du risque de défaut de la société projet pèserait
souvent moins que les règles standard édictées par le comité d’investissement de chaque investisseur.
(9) Différentes méthodes sont utilisées par les apporteurs potentiels de ressources financières externes pour jauger le risque de défaut
sur le remboursement de la dette levée par la société projet. Un des critères les plus communs tient à la mesure du levier opérationnel,
c’est-à-dire l’impact d’une variation donnée du revenu sur l’EBIT (earning before interests and taxes). Schématiquement, la différence
entre les revenus d’exploitation fixes et variables (les paiements en fonction de la disponibilité d’une part, ceux liés à l’usage du service
cumulés avec les revenus commerciaux venant de tiers d’autre part) et les coûts d’exploitation permet de déduire l’EBITDA (earning before interests, taxes, depreciations and amortizations). En ôtant les charges calculées on obtient l’EBIT qui constitue donc une approximation de la marge de sécurité sur le service de la dette et qui donc permet de s’assurer dans quelle mesure la société projet peut faire
face à une dérive de ses coûts ou à de moindres flux de ressources tenant par exemple à l’application de sanctions contractuelles en
cas de sous- performance. L’évaluation passe aussi par l’estimation de la residual Value at Risk (Moro-Visconti, 2013).
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
18
Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité
budgétaire au détriment du partage optimal des risques ?
(i.e. l’allocation de risques qu’il ne pourrait gérer au moindre
coût par rapport à son partenaire privé) se traduirait par un
surcoût financier immédiat10 .
Si le modèle de financement sur projet induit un risque additionnel vis-à-vis des financements corporate en ce qu’il
s’agit d’un montage sans recours facilite l’évaluation de cet
équilibre par les apporteurs de ressources externes dans la
mesure où la société projet ne porte qu’un seul contrat.
Ainsi, s’agit-il du modèle de financement le plus à même de
porter des schémas à très fort effet de levier financier. La
dette peut d’ailleurs être levée selon deux canaux différents.
Le premier correspond à la dette bancaire. Il s’agit d’un
financement intermédié. Le second type de financement
repose sur de la dette obligataire. L’émission de dette sur
les marchés financiers a deux désavantages principaux visà-vis de la dette bancaire. Le premier tient au fait qu’elle
induit des coûts de transaction supérieurs, notamment liés
à la nécessité de faire noter cette dernière. L’ensemble des
coûts de transactions induits nécessite que l’émission soit
d’un volume suffisant pour amortir les coûts. Le second désavantage tient à l’effet négatif sur la flexibilité des montages
(HM Treasury, 2012). Dès lors qu’une renégociation a un
effet sur le volet financier, il est plus aisé de renégocier avec
un (ou plusieurs) établissement(s) bancaire(s) qu’avec l’ensemble des porteurs de titres. Aux côtés de ces handicaps,
le financement obligataire présente deux avantages déterminants. Le premier tient au fait que les taux exigés sont
communément plus faibles que pour le financement bancaire. Le second est lié à la maturité des financements.
celle-ci est plus importante pour les financements obligataires, ce qui permet d’ajuster la durée du financement à
celle du contrat et donc à la fois de garantir un terme économiquement optimal et éventuellement de prévenir tout
refinancement contraint en cours d’exécution du contrat. Le
financement obligataire se prêtait donc bien au financement
sur projet et permettait de minimiser le surcoût du financement privé. La prime de risque exigée dépendait de la note
de crédit attribuée par les agences de notation financière et
donc des risques transférés à la société projet.
La capacité à lever un fort pourcentage de dette à un taux
attractif était de plus renforcée par l’existence – avant la
crise de 2008 – de nombreux outils financiers permettant
d’offrir aux investisseurs des garanties de remboursements,
notamment au travers de mécanismes de réhaussement de
crédits (Delmon, 2010). Au travers de ces derniers, un tiers
(un réassureur doté d’une note financière maximale) se portait garant – moyennant le versement d’une prime – du bon
remboursement des créances. Ainsi, quelle que soit la note
de crédit obtenue par la société projet (laquelle dépend
comme nous l’avons vu des risques transférés), celle-ci
était-elle en mesure de se financer au meilleur taux.
cette conjoncture favorable aux PPP connut un renversement brutal en 2008 avec la crise financière, laquelle mit en
cause l’ensemble des leviers permettant de réduire le surcoût du financement privé. Dès lors les contractants publics
se trouvent placés face à un alternative : ré-internaliser certains risques pour limiter leur coût additionnel et donc
permettre leur soutenabilité budgétaire (préservation de l’affordability) ou accepter de tels surcoûts afin de garantir une
allocation optimale des risques (préservation de la value for
money).
2. Une structure de financement dont la pérennité
est remise en cause par la crise : évaluation
des réponses françaises et britanniques
Le modèle de financement standard des PPP a été durable
affecté par la crise financière de 2008 mais aussi par la
crise de la dette souveraine qui a conduit à mettre en question la qualité de signature de l’Etat et a fortiori des
collectivités publiques. cette section considère successivement l’impact de la crise sur les montages financiers
standard des PPP, les interrogations qui en ont découlé sur
la pérennité même de ces derniers et enfin les initiatives qui
ont été prises par les pouvoirs publics pour en garantir la
pérennité malgré la nette et irréversible transformation des
conditions de financement.
a. Impact de la crise financière sur les montages de
financement sur projet
La crise financière de 2008 compromit significativement le
modèle économique des partenariats public-privé. Dès le
second semestre 2008, le nombre de projets parvenant à la
clôture financière chuta de 48% au niveau mondial (Delmon, 2010). Les effets globaux sur les PPP tinrent en la
substitution de montages dans lesquels les paiements sont
basés sur la disponibilité aux montages concessifs dès lors
que cela était possible, à la réduction de la surface financière des projets (plus de contrats de type rénovation /
exploitation de bâtiments que de contrats induisant de nouvelles constructions) et enfin et surtout en une réallocation
des risques entre contractants publics et privés afin de
réduire la prime de risque exigée par les financeurs.
En effet, la crise conduisit à un retournement brusque des
marchés de fonds prêtables, retournement de nature à mettre en cause le modèle de financement des partenariats
public-privé. Si la période ante 2008 était très favorable aux
montages à fort effet de levier financier, celle qui prévaut
(10) L’évaluation ne se borne pas à la seule évaluation ex ante de l’équilibre contractuel, elle porte également sur la qualité anticipée du
suivi de l’exécution et du monitoring, condition essentielle pour la prestation d’un service conforme aux obligations contractuelles, garantie de l’absence de pénalités contractuelles (Robinson et Scott, 2009).
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
19
depuis l’est bien moins. Tout d’abord, la montée de la
défiance entre les opérateurs de marché (liée aux difficultés
d’évaluer la qualité de signature des contreparties) s’est traduite par une forte hausse des primes de risques. cette
défiance d’abord cantonnée aux établissements financiers
du fait des doutes sur la qualité des créances détenues en
portefeuille s’est peu à peu étendue, au travers de la crise
de la zone Euro et de la perte de la note financière AAA par
de nombreux Etats, à la signature des collectivités
publiques elles-mêmes, qu’il s’agisse des Etats ou - a fortiori - des collectivités territoriales.
prêts syndiqués. Avant la crise, certains sponsors, issus de
la sphère financière, s’engageaient dans des montages de
type underwrite and syndicate. cet arrangeur de crédit
garantissait la disponibilité et le coût des fonds. Il s’engageait ensuite dans leur placement sur les marchés. La
société projet avait alors une garantie quant aux conditions
de son financement. Dès lors que la crise éclate, la syndication disparait et au contraire des montages de type
club-deals tendent à se multiplier. Il est depuis nécessaire
de réunir plusieurs banques pour boucler le financement, ce
qui a non seulement pour effet d’augmenter le coût du
financement par réduction du degré de concurrence entre
les établissements de crédit, mais aussi et surtout, par le
mécanisme même de ces montages dans lesquels le taux
applicable à toutes les banques est celui de la banque qui
est nécessaire au bouclage (i.e. la banque marginale). En
d’autres termes, le coût du financement privé est déterminé
par la banque dont le refinancement se fait dans les conditions les plus onéreuses. De façon générale, la crise a
durement affecté le marché de la dette obligataire liée aux
PPP. Le financement est très majoritairement de nature
bancaire. Son coût reflète donc les conditions de refinancement sur le marché interbancaire (en l’espèce le LIBOR),
lesquelles sont structurellement orientées à la hausse.
Ensuite, la crise s’est traduite par un renchérissement structurel du coût des fonds prêtables. Avant la crise, la hausse
des cours boursiers se traduisait pour les établissements de
crédits par l’accroissement des capacités de prêts. En effet,
les actifs financiers étant valorisés à leur valeur de marché
(notion de fair value) par les normes IFRS, un processus
cumulatif conduisait à accroître mécaniquement les flux de
liquidités disponibles. cependant, dès lors que les anticipations s’inversent, le processus cumulatif joue toujours mais
à la baisse. Se met alors en place un phénomène de levier
inversé faisant que les établissements de crédits réduisent
leurs prêts. Le marché passe alors d’une situation de liquidités abondantes à une situation de quasi-illiquidité rendant
impossible le bouclage des montages de PPP sauf à accepter des taux d’intérêts bien supérieurs à ceux pratiqués
précédemment. La hausse des marges bancaires ne fut
pas seulement conjoncturelle mais s’avéra structurelle. En
effet, la très nette baisse des taux de base par les banques
centrales (à des niveaux historiquement jamais atteints)
n’est pas parvenue à contrecarrer la hausse des marges
bancaires. L’une des raisons principale en tient au renforcement des règles internationales tenant à la solvabilité
(Bâle III). Ainsi, le coût du financement privé est-il significativement et durablement plus élevé après la crise.
Le surcoût du financement en PPP n’est pas la seule
conséquence de la crise. Des risques additionnels vont
également devoir être partagés entre contractants publics
et privés. La montée de l’aversion au risque des prêteurs ne
se traduit pas seulement par l’élévation des marges bancaires, elle se manifeste également par la réduction des
maturités. La durée des crédits peut fréquemment s’établir
en deçà de celle du contrat, ce qui créé un risque de refinancement en cours de contrat (Dupas et al., 2013), lequel
devra être pris en charge au moins partiellement par le
contractant public.
cette hausse est d’autant plus sensible pour les montages
de PPP que les différents mis en place pour faciliter le bouclage financier et en diminuer le coût ont disparu avec la
crise. Deux exemples sont particulièrement significatifs. Le
premier est la disparition des réhausseurs de crédits, lesquels perdirent très rapidement leur AAA et donc leur
crédibilité en tant qu’assureur en dernier ressort du remboursement11. Dès lors, les prêteurs n’ont plus d’autres
recours que les flux de ressources dégagés par la société
projet et les fonds propres apportés par les sponsors. Les
conditions financières ne peuvent plus être améliorées par
l’intermédiaire d’une garantie apportée par un acteur financier doté de la meilleure qualité de signature qui soit. Une
seconde rupture tint à la quasi disparition du marché des
ces nouvelles conditions de financement peuvent être de
nature à mettre en cause l’opportunité même de recourir à
des montages partenariaux pour les autorités publiques,
sauf à supposer que leur motivation principale tienne au
préfinancement des investissements par le privé et donc au
contournement des règles de prudence budgétaire (Maskin
et Tirole, 2008). Un tel doute peut être d’autant plus de mise
que les conditions de financement – même si elles se sont
améliorées – demeurent difficiles. Les évaluations publiées
en mars 2013 par l’European PPP Expertise centre de la
Banque Européenne d’Investissement montrent que les
conditions de financement n’ont pas connu une amélioration
significative depuis le début de la crise (EPEc, 2013). La
marge bancaire n’est jamais redescendue sous les 200
(11) On parlait alors d’insurance wrapp. Le rapport du Trésor britannique de décembre 2012 sur le futur des partenariats public-privé
relève qu’un seul de ces assureurs monobranche (monoline) a pu préserver une note de crédit supérieure à BB+.
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
20
Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité
budgétaire au détriment du partage optimal des risques ?
points centésimaux (bp) alors qu’elle se limitait souvent à
60 points avant la crise (voir figure 1). Le retour à la situation
qui prévalait avant 2008 est donc en très grande partie illusoire. Au contraire, la crise des dettes publiques,
notamment dans la zone Euro, conduisent à un resserrement des conditions moyennes de financement.
Au final, le nombre d’offreurs sur le marché des fonds prêtables s’est significativement réduit, le coût des ressources
bancaires s’est accru significativement, notamment sous
l’effet du renforcement des règles prudentielles après la
crise et la prime de risque appliquée a d’autant plus cru que
la crise de la dette souveraine s’est accrue. Les marges
bancaires qui avaient chuté en dessous de 100bp en 2007
ont au final augmenté en deux temps en 2008/09 puis en
2011/12 pour atteindre 300bp sur le marché britannique,
comme le montre la figure 2 infra (HM Treasury, 2012).
coût de la dette privée (20 à 33% selon les caractéristiques
du projet en termes de durée, de risques encourus ou de
montant d’investissement) induisait en termes de loyers
annuels pour la personne publique contractante une hausse
de 6 à 8% (NAO, 2010). Par voie de conséquence, il apparaissait à la cour des comptes britannique que de moins en
moins de contrats publics pourraient faire l’objet d’un partenariat au vu des critères habituels de value for money et
d’affordability. Des simulations réalisées dans le cadre du
rapport de la commission des finances de la chambre des
communes montrent qu’emprunter directement sur les
marchés pourrait permettre à la personne publique de réaliser une économie de 42% sur ses flux de remboursements
(House of commons, 2011).
Au-delà même de la question du coût de la dette levée par
les contractants privée, le débat britannique s’est également
porté sur la rémunération retirée par les sponsors pour leurs
fonds propres investis dans la société projet. ces derniers
sont légitimement mieux rémunérés que la dette, en contrepartie des risques pris. ces derniers sont d’autant plus
élevés que le contrat de partenariat prend la forme d’un
contrat à prix forfaitaire dont les flux de paiements ne sont
théoriquement déclenchés qu’à la mise en service de l’actif
sous- jacent au service et non à la signature du contrat.
c. Les instruments de limitation du surcoût de la dette
privée vis-à-vis de la dette publique dans un contexte
de crise financière : dispositifs français et
britanniques
b. Les débats sur la pérennité des PPP
Le renchérissement du coût du financement pose en effet
la question de l’opportunité de la poursuite de la politique
de PPP. S’il ne s’agit que d’une facilité budgétaire visant à
faire porter la dette par le privé, elle s’avère des plus
onéreuses. A cet aune, un financement public direct serait
plus que jamais préférable. Par exemple, les taux français
à 30 ans s’établissent autour de 3,15% en mars 2013 contre
4,91% en juin 2008. Si l’on conçoit le contrat de partenariat
comme un mécanisme assurantiel, la prime de risque à
acquitter peut s’avérer rédhibitoire. La cour des comptes britanniques, le NAO, notait dès juin 2010, que la hausse du
Préserver le modèle des PPP – surtout si la personne
publique concernée fait face à une forte contrainte
budgétaire qui le rend très attentif à son ratio de dette
publique (Buso et al., 2013) – peut conduire à réaliser un
arbitrage entre les deux objectifs de value for money et d’affordability. Si la situation initiale des marchés financiers
permettait de satisfaire au premier critère (passant par le
transfert de certains risques au privé) tout en préservant la
soutenabilité budgétaire des flux de paiements futurs (faible
surcoût du financement privé), la crise peut conduire à arbitrer en défaveur du transfert du risque pour maintenir la
soutenabilité des loyers futurs. Une telle optique peut prévaloir dès lors que les PPP sont conçus en premier lieu
comme un levier pour les investissements publics et que la
question du préfinancement des investissements l’emporte
sur celle de la gestion optimale des projets d’investissements.
(12) Certains contrats, notamment en France et au Royaume-Uni présentaient des maturités de financement supérieures à 27 ans. Un
tiers des contrats français avait alors une maturité comprise entre 10 et 15 ans. Pour la BEI, cela était plus à imputer à la nature des
contrats financés qu’à des contraintes de financement.
(13) La France et l’Allemagne représentaient à elles seules 80% des opérations dont la maturité des financements dépassait 27 ans)
(14) 26% des contrats bénéficient de financements d’une maturité supérieure à 25 ans (cela était le cas pour plus de la moitié des contrats
recensés par la BEI en 2010). En Espagne, aucun contrat de PPP n’a bénéficié d’un financement sur 20 ans. La maturité moyenne de
16,8 ans est la plus faible d’Europe.
Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015
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L’ajustement du modèle des PPP peut prendre différentes
formes. Une première peut tenir à la nature même des projets. Moins les projets présentent de risques de demande
peu maîtrisables par le privé, moins la prime de risque
exigée sera élevée. De la même façon, moins le contrat
nécessitera des investissements initiaux importants, moins
il nécessitera un montant élevé de dette et donc moins il se
traduira par des annuités élevées. Limiter les surcoûts
passe également par des voies plus financières. Il peut tout
d’abord s’agir de la ré- internalisation de certains risques
financiers par la personne publique. Il en va ainsi de la possibilité offerte aux consortia en lice – dans le cas français –
de présenter des offres financières partielles, ajustables en
fonction des taux ou encore assorties de durées de validité
limitées ou comprenant des possibilités de sortie (clauses
de market disruption). Il en fut ainsi en France avec la loi
n°2009-179 du 17 février 2009 pour l’accélération des programmes de construction et des investissements publics et
privés (Loi LAPcIPP dite Loi Devedjian).
Le soutien public peut également passer par des prêts à
long terme, comme cela fut le cas en France, au travers
d’une enveloppe budgétaire de 8 milliards d’euros, gérée
par la caisse des Dépôts et consignations (cDc), pour
soutenir les grands projets d’infrastructures, notamment
dans les domaines des transports et des universités15.
Il peut également s’agir de programmes de garanties
publiques portant soit l’accès au financement, soit sur un
niveau minimal de revenu soit directement sur le service de
la dette. Dans le cas français, la Loi de finances rectificative
du 4 février 2009 (loi n°2009-122) prévoyait une enveloppe
de garanties par l’Etat de plus 10 milliards d’euros.
Le soutien passe également par l’élévation du plafond de
cessions de créances acceptées au titre de la Loi Dailly. La
loi du 17 février 2009 stipule que « la cession de la
rémunération due en vertu d’un contrat de partenariat au
titre des coûts d’investissements et de financements peut
porter jusqu’à 100%. En revanche, l’acceptation de la cession par la personne publique est limitée à un plafond de
80% de cette rémunération ». En d’autres termes, le
contractant public s’engage à régler au porteur du titre de
créance jusqu’à 80% du montant quelle que soit l’exécution
du contrat. Il pourra se retourner ex post contre son contractant. Si de telles mesures sont de nature à affaiblir
l’efficacité incitative des contrats, elles sont effectivement de
nature à réduire sensiblement le coût du financement privé
et donc à peser favorablement sur le montant des loyers.
Les cessions de créances acceptées de type Dailly, tout
comme les dispositifs de Forfeiting en Allemagne (Daube et
al., 2008), sont de nature à affaiblir l’efficacité incitative du
contrat mais sont indispensables pour en assurer le
caractère soutenable au point de vue budgétaire.
Nous pourrions même considérer que l’existence de garanties publiques peut partiellement rendre inopérantes les
différentes clauses de pénalités contractuelles et rapprocher
– sous- optimalement – le contrat de partenariat d’un
contrat à remboursement de coûts. En effet, la personne
publique se voit appliquer ex ante une prime de risque liée
au caractère forfaitaire du contrat pour au final revenir à une
logique de remboursements de coûts (dès lors que le PPP
perd sa nature de contrat incitatif basé sur le partage optimal des risques pour devenir un simple véhicule assurant
le préfinancement privé des infrastructures publiques).
Des dispositifs de soutiens comparables ont été mis en
place au Royaume-Uni (Dupas et al., 2012). Il en allait par
exemple ainsi de prêts gouvernementaux débloqués en juillet 2012 pour permettre le bouclage financier de contrats se
heurtant à la raréfaction des fonds prêtables, de contributions en fonds propres ou encore de garanties publiques
pour un montant de 40 millions de livres dans la cadre de
l’UK Guarantees Programme16.
3. Quelques faits stylisés français tirés des données
de la MAPPP
Il est difficile d’évaluer l’impact de la double crise financière
et souveraine sur les conditions de bouclage financier des
partenariats public-privé ainsi que d’apprécier l’éventuelle
ré- internalisation du risque par la personne publique afin
d’en préserver la soutenabilité budgétaire.
A partir d’un échantillon de contrats issus de la MAPPP,
pour lesquels les données financières sont disponibles, il a
été possible de dégager quelques résultats encore parcellaires – au vu de la faiblesse de l’échantillon, notamment
pour les contrats signés avant la crise de 2008. Nous visons
en effet au travers de l’analyse des données financières de
38 contrats de partenariats français de répondre à un certain nombre d’interrogations tenant à l’évolution de la
surface financière des PPP et de leur durée moyennes
après la crise, à la place des éventuelles garanties
publiques et des subventions, à la part croissante d’une
dette apportée par des acteurs financiers parapublics tels
(15) Circulaire d’application de l’article 6 de la loi n°2009-122 du 4 février 2009 de finances rectificative pour 2009 instituant une garantie
de l’Etat et de la loi n°2009-179 du 17 février 2009 pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et
privés, dans ses dispositions relatives aux contrats de partenariat (28 juillet 2009).
(16) En décembre 2012, 75 demandes étaient déjà transmises au Trésor. 14 projets (représentant un investissement privé cumulé de 10
milliards de livres) étaient présélectionnés (HM Treasury, 2012).
Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015
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Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité
budgétaire au détriment du partage optimal des risques ?
la caisse des Dépôts et consignations ou la Banque
Européenne d’Investissements, à l’évolution de la part de la
dette projet dans le financement par rapports aux fonds propres et à la dette Dailly (i.e. faisant l’objet d’une cession de
créances acceptée). Nous nous penchons également sur la
question des taux de marges bancaires. Notre ambition, au
travers de cette analyse de statistique descriptive (un traitement économétrique n’étant pas réalisable) est d’illustrer
l’impact de la crise sur l’équilibre économique des contrats
(du moins dans leur montage financier) et de dégager
d’éventuels indices d’un arbitrage entre l’objectif de value
for money et la contrainte de l’affordability.
Sur les 38 contrats analysés (voir figure 3 pour une ventilation par année), 19% attinrent leur clôture financière avant
la crise, limite que nous avons arbitrairement fixée au 1er
janvier 2009. cette proportion avec les données relatives
aux contrats de partenariats telles qu’elles ressortent des
statistiques de la MAPPP au mois de janvier 2013. En effet,
parmi les 155 contrats recensés, seulement 24% avait été
conclus avant 2009.
dette Dailly représente 73% de la dette totale des contrats
de partenariats français. La moitié des contrats se
caractérise par une Dailly égale (voire supérieure dans certains cas) à 80% de la dette totale. La part des fonds
propres apportés par les sponsors n’excède jamais 20%. La
moyenne s’élève à 6% (soit un effet de levier de 6/94).
considéré sur l’ensemble de la période, la marge sur la
Dailly est bien entendu moindre que celle sur la dette projet
(1,41% contre 2%) ce qui traduit un moindre risque de
défaut sur le paiement des créances dont la cession a été
acceptée.
Il est possible d’affiner ces résultats en séparant l’échantillon en deux sous périodes (tout en gardant à l’esprit les
limites liées au faible effectif avant 2009).
L’utilisation des contrats de partenariats comme vecteurs de
la relance par les investissements 2009 ressort clairement
des données ci-dessus (si tant est qu’il ne s’agisse pas d’un
biais d’échantillon). Le montant moyen des investissements
liés aux contrats de partenariats est multiplié par quatre (de
35 à 154 millions d’euros).
L’échantillon reflète bien l’hétérogénéité des contrats de
partenariats signés en France. Les données disponibles sur
les 155 contrats montrent un échelonnement des montants
d’investissements privés entre 500 000 et 2,8 milliards d’euros. La durée moyenne des contrats dans notre échantillon
est de 25 ans (avec des valeurs extrêmes de 15 et 45 ans).
Pour les 155 contrats, cette durée moyenne est de 20 ans.
Notons, toujours en matière de valeurs moyennes, que la
Avant 2009 la dette moyenne par projet était de 25,38 millions d’euros (ventilation voir figure 4 infra). Elle oscillait
entre 3 et 41 millions. Quatre contrats sur sept présentent
une dette totale s’établissant entre 10 et 30 millions d’euros.
Après 2009, la dette moyenne atteint quelque 79 millions,
soit une multiplication par trois avec des valeurs extrêmes
s’établissant à 5,7 millions d’euros pour la plus faible et 706
pour la plus élevée. De façon non surprenante ce contrat
est également celui pour lequel l’investissement en fonds
propres a été le plus élevé.
Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015
23
La part de la dette Dailly ne progresse que marginalement
– les possibilités de cessions de créances étaient déjà significativement employées (voir figure 7). Nous pouvons
néanmoins noter si nous nous penchons sur les montants,
qu’avant la crise, le montant moyen de la dette Dailly était
de 17 millions d’euros et celle de la dette projet de 8 millions. Après 2009, le montant moyen de la dette Dailly
passe à 69 millions d’euros et celle de la dette projet à 10
millions. La dette faisant l’objet de cessions de créances
acceptées atteint des montants particulièrement élevés,
pouvant dépasser 400 millions d’euros.
ces derniers contrastent avec la dette projet qui peut même
dans certains cas disparaître, du moins pour des contrats
ne nécessitant pas des montants d’investissements particulièrement élevés. En effet, comme nous venons de le
montrer, la tendance à la baisse en valeur absolue de la
dette projet constitue indubitablement l’une des manifestations les plus claires des difficultés de financement post
2009. Sur 32 contrats, seuls 6 présentent une dette projet
supérieure à 10 millions. Un seul projet se caractérise par
une dette projet supérieure à 15 millions d’euros au-delà de
2009 (voir figure 8 infra).
D’ailleurs les évolutions de l’effet de levier financier (figures
5 et 6) entre 2005-2008 et 2009- 2012 permettent de
caractériser un phénomène de deleveraging, avec bien un
levier moyen passant de 5% à 10%. Il convient cependant
de nuancer cette conclusion au vu du faible nombre d’observations avant 2009 et des montants très raisonnables
des contrats alors passés par rapport à ceux signés depuis
2009.
Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015
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Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité
budgétaire au détriment du partage optimal des risques ?
En conséquence, la part des fonds propres passe en
moyenne de 4 à 6% de l’investissement total, comme le
montre la figure 9 infra. ceci représente une hausse de
50% à mettre en perspective avec la très forte croissance
du montant moyen des investissements. La hausse est plus
significative si nous ne rapportons plus les fonds propres à
l’investissement mais au besoin de financement. Entre les
deux sous périodes, la valeur moyenne passe de 4 à 9%.
Avant 2009, les investissements cumulés s’élevaient à 7,85
millions d’euros soit une moyenne de 1,12 million par projet
(figure 10). Sur sept contrats, deux présentaient des investissements en fonds propres inférieurs à un million d’euros
et cinq étaient compris entre 1 et 5 millions d’euros. Si avec
la crise encore 22 contrats présentent des montants d’investissements inférieurs à 5 millions (soit 71% de l’effectif),
5 contrats présentaient des investissements en fonds propres par les sponsors compris entre 5 et 10 millions d’euros
et 4 contrats entre 10 et 100 millions. L’investissement
moyen est de 9,15 millions d’euros en fonds propres par
projet mais avec de grandes variations d’un projet à l’autre,
un projet se traduisant par un apport en fonds propres de
quelques 78 millions d’euros17.
L’évolution des financements publics directs, notamment
par l’intermédiaire de subventions est également orientée à
la hausse (figure 11). Avant 2009, le montant des subventions s’établissait entre 0 et 26,8. Si nous répartissons, les
projets par montant de subvention (0, de 0 à 5 millions,
etc...) nous obtenons la distribution infra.
cette distribution évolue notablement après 2009 (sans
doute en partie du fait du plus grand nombre de contrats
observés et de leur montant moyen nettement orienté à la
hausse). Un plus grande part des contrats reçoit des subventions, qui s’échelonnent dans les cas les plus fréquents
de 5 à 50 millions d’euros (voir figure 12 infra).
Exprimée en termes de pourcentages de contrats soutenus,
les évolutions en termes de cofinancements public-privé
sont beaucoup plus nettes (figure 13). Un nombre significatif
de contrats font l’objet de financements publics directs pour
des montants compris entre 20 et 40% des investissements
totaux.
(17) Notons que la crise n’a pas conduit à une évolution sensible des TRI. Pour les dossiers signés avant 2009 pour lesquels nous
disposons de l’information, le TRI moyen était de 10,17%, il passe à 10,93% après la crise.
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2010 pour repartir à la hausse dès 2011 et s’établir en 2012
à plus de 250 bp, niveau supérieur à celui relevé en 2009
(moins de 200bp). L’évolution des montants moyens à
financer et l’application des règles prudentielles peuvent
être de nature à contribuer à cette hausse.
La crise permet également de voir apparaître des dettes
apportées par des organismes financiers parapublics tels la
cDc ou la BEI. A partir de 2009, sur 31 contrats recensés,
9 bénéficiaient de ce type de financement, soit un tiers (ventilation donnée par la figure 14). L’un des contrats se
caractérise par une telle dette pour 100 millions d’euros.
cependant, la part de cette dette qui atteignait 16% avant
2009 ne représente plus que 6 % après 2009, ce qui constitue un résultat contradictoire avec nos hypothèses de
départ. En fait, les données avant 2009 sont biaisées par
un seul projet où la part de dette apportée par un organisme
parapublic par rapport à l’investissement total atteint 51%.
Le fait est qu’avant ou après 2009, les dettes d’origines
parapubliques ne concernent qu’une minorité de contrats. Il
s’agit souvent des contrats d’infrastructure portés par l’Etat,
ce qui est cohérent avec le cadre législatif de 2009.
Dans le même temps, la marge moyenne sur la dette Dailly
passe de 58 à 160 points de base, soit un quasi-triplement,
pour une dette bénéficiant pourtant d’une garantie publique
(données reproduites dans la figure 16 infra). Les spread
moyens connaissent en fait une hausse non pas au
moment de la crise financière mais en 2012 au lendemain
de la crise de la dette souveraine.
La hausse des spread sur la Dailly est d’ailleurs particulièrement sensible pour les collectivités locales comme le
montre la figure 17 infra.
L’évolution des taux est par contre spectaculaire. La figure
15 montre que sur notre échantillon, la marge sur la dette
projet double (passant de 106 à 212 bp), reflétant le
renchérissement des ressources bancaires.
Dans le cadre d’une ventilation annuelle depuis 2009, les
spread annuels moyens présentent une légère décrue en
Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015
26
Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité
budgétaire au détriment du partage optimal des risques ?
Il est d’ailleurs également à noter que le spread sur la dette
projet des contrats signés par des collectivités locales est
également orienté à la hausse comme le retrace la figure
18 infra donnant les spread sur la dette projet de leurs
contrats, regroupés par année.
des marchés sur la qualité de la signature des collectivités
publiques s’accroît. La deuxième évolution notable – tout en
tenant compte des biais liés à la taille de notre échantillon
– est liée à la nette décrue de la part de la dette projet après
la crise. celle-ci se stabilise souvent entre 10 et 20% de la
dette totale. La Dailly quant à elle est, sauf exception,
placée à son maximum légal de 80%. La crise ensuite ne
s’est pas soldée par une transformation brutale de l’effet de
levier. Bien qu’en variation la croissance des fonds propres
puisse paraître importante, le niveau de départ était relativement faible. Un effet de levier de type 10/90 semble
demeurer la norme. ceci traduit la difficulté pour les sponsors à investir des fonds propres dans les sociétés projet du
fait des coûts liés à ces derniers. Les subventions et garanties publiques demeurent l’exception mais concernent
principalement en fait sur les projets les plus importants.
Les transformations liées à la crise des conditions de bouclage financier des PPP traduisent une certaine résilience
du modèle. celle-ci ne s’est pas soldée par un abandon
progressif du modèle partenarial comme le montrent les
perspectives tracées par le Trésor britannique. celui-ci dans
son rapport de décembre 2012 essaie de dessiner les
contours d’un nouveau schéma de financement moins
coûteux car reposant dans une moindre mesure sur la dette
projet apportée par les établissements bancaires.
4. Les perspectives d’évolution tracées par le Trésor
britannique: de la PFI au PF2
Les PPP apparaissent aux collectivités comme une solution
au resserrement des conditions d’accès au crédit, notamment d’origine bancaire18, mais pour autant il s’agit dans la
nouvelle conjoncture financière d’un instrument de financement de plus en plus coûteux.
Au final, l’impact de la crise qui ressort de l’analyse de notre
échantillon de contrats tient en un certain nombre de dimensions. La première est, comme nous venons de le voir, une
élévation des spread qui se fait en deux temps. Une
première hausse s’observe en 2009 et une seconde plus
significative entre 2011 et 2012 au moment où les doutes
Les perspectives de régénération du modèle de PFI britannique, annoncées en décembre 2012 par le Trésor, et qui
contrastent nettement avec les évaluations très sévères
réalisées par le nouveau gouvernement de coalition entre
2010 et 2011, visent à accroître la transparence des montages financiers (de façon notamment à contrôler les
niveaux de rémunérations des fonds propres investis par
les sponsors) et prendre une série de mesures visant à
réduire le surcoût du financement privé.
Au niveau de la dette projet tout d’abord, les propositions
du Trésor tirent les conséquences du renchérissement
structurel des financements bancaires et de la difficulté
pérenne des établissements de crédits à pouvoir s’engager
sur des durées suffisamment longues pour couvrir celle du
contrat de partenariat public-privé. Les risques budgétaires
induits par un refinancement obligatoire dans le cadre du
contrat peuvent mettre en cause la soutenabilité du contrat
pour le département ministériel qui l’a signé (notion d’affordability). Dans le même temps, la très nette élévation du
coût du financement bancaire se traduit à la fois par des
(18) L’accès au marché obligataire s’est nettement accru en 2012 avec 2,5 milliards € levés par les collectivités locales, soit trois fois le
niveau de 2011. Les taux qu’il est possible d’obtenir pour des collectivités relativement bien notées (AA/AA-) sont plus attractifs que les
taux proposés par les établissements de crédit. En d’autres termes, il s’agit d’une alternative – encore difficile à mettre en œuvre au vu
du faible nombre de collectivités qui ont pu y avoir recours en 2012 – aux financements bancaires, lesquels se caractérisent par de plus
fortes marges, traduisant l’impact des critères de Bâle III.
Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015
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engagements annuels plus élevés (avec à nouveau des
conséquences en termes de soutenabilité) mais aussi par
une mise en péril de la value for money dans la mesure où
le surcoût financier peut contrebalancer les gains d’efficience liés au partenariat.
Pour autant un financement externe sous forme de dette est
toujours doublement profitable dans un PPP. D’une part, il
s’agit d’une nécessité pour bénéficier d’un effet de levier
financier. D’autre part, les partenariats public-privé doivent
toujours bénéficier du travail d’évaluation ex ante et de suivi
de l’exécution ex post assuré par les financeurs externes.
En effet, si les intérêts de ces derniers ne sauraient se
confondre avec ceux de la personne publique contractante,
ils sont néanmoins alignés par le contrat (Marty et voisin,
2008). comme nous l’avons vu, le caractère sans recours
du contrat fait que les prêteurs n’ont d’autre garantie – pour
leur remboursement – que la bonne exécution du contrat
(en termes de performance et de respect des objectifs de
qualité). L’efficacité du partenariat pour la personne
publique dépend en grande partie de l’externalisation de
ces coûts de transaction (évaluation et monitoring) vers des
tiers aptes à dégager les ressources financières et techniques nécessaires à la réduction de l’asymétrie
d’information dont jouissent les membres du consortium
privé. Le projet britannique vise en fait à substituer à la dette
bancaire traditionnelle des flux de ressources en provenance de prêteurs aptes à réaliser ces investissements
‘informationnels’, c’est-à-dire des investisseurs de long
terme, tels les fonds de pension. Si ces derniers interviennent parfois dans des phases plus en amont des contrats
(refinancement de la dette ou cession des parts des
sociétés projet sur le marché secondaire des PFI19), il s’agirait ici de les impliquer dès le lancement du projet.
La question demeure celle de la capacité de tels investisseurs institutionnels à prendre en charge le risque de
construction20. De la même façon que le financement bancaire est compromis du fait de l’application des règles de
Bâle III, la capacité des assureurs à couvrir le risque de
construction est réduite par l’application de la directive
européenne Solvency II. Il est donc nécessaire, pour le
Trésor britannique, que les projets puissent obtenir une
notation équivalente à A- ou BBB+. Il s’agirait alors de mettre en œuvre dans les montages un ensemble de dispositifs
susceptibles d’améliorer la note de crédit des projets. cela
peut tenir à une modification de l’allocation contractuelle des
risques ou à l’introduction de dette mezzanine (titres de
dette subordonnée) ou à des garanties publiques. De façon
générale, la logique est celle d’une réduction de l’effet de
levier financier et donc une moindre part dedette projet. Par
exemple alors que les montages financiers des PFI avant
la crise ne comptaient habituellement que 10% de fonds
propres, la part des fonds propres et de la dette mezzanine
devrait s’élever dans les PF2 défendues par le Trésor britannique à 20-25% (voir figure 19 infra).
Le financement peut également provenir d’institutions financières internationales, comme la BEI dans le cas européen.
Par exemple entre 2000 et 2012, les PFI britanniques ont
profité de 6 milliards de livres au travers de ses prêts. Audelà de ces financements – à taux plus attractifs que les
(19) Il s’agit d’ailleurs également de limiter les possibilités offertes aux sponsors de réaliser des profits très élevés au travers de telles
cessions. En effet, celles-ci sont réalisées après la mise en service des équipements donc à un moment où la majeure partie des risques
a été levée. Les acheteurs potentiels sont d’autant plus enclins à valoriser de tels actifs financiers que leur niveau de risque est faible
(notamment du fait du caractère public de la contrepartie). Si ce marché secondaire est indirectement profitable à la personne publique
(la fluidité induite permet aux sponsors – notamment ceux issus du monde du BTP – de soumissionner dans d’autres marchés et la liquidité assurée conduit à une réduction des primes de risque exigées par les investisseurs initiaux), il n’en demeure pas moins qu’elle
ne perçoit pas un intéressement sur les gains de cessions réalisés. Cette absence de partage des gains sur le marché secondaire est
l’un des facteurs pouvant conduire à une rémunération jugée ‘excessive’ des capitaux investis par les contractants initiaux. La cour des
comptes britannique considère que ces cessions permettent aux sponsors initiaux de porter leurs TRI de valeur de 12 à 15% à des
valeurs de 15 à 30%. L’absence de clauses de partage des gains était justifiée par l’imposition des éventuelles plus-values de cession
réalisées par les investisseurs initiaux. Ces gains fiscaux sont à l’expérience des plus illusoires dans la mesure où une part prédominante
des sociétés projets montées dans le cadre des contrats de PFI sont domiciliées dans des paradis fiscaux, tel Guernesey (House of
Commons, 2011 ; NAO, 2012).
(20) Cette option ne va pas d’elle-même loin s’en faut. Communément, le financement des PPP se fait en deux temps, la phase de
construction fait l’objet d’un premier financement bancaire à taux variable d’une faible maturité. Il est possible de refinancer après la
mise en service au travers d’une dette de plus long terme à taux fixe (au travers d’un swap). Faire prendre en charge le risque de construction par des investisseurs de long terme est pour le moins difficile. La possibilité d’opérer ce refinancement de long terme au travers de
la dette publique pourrait d’ailleurs être une option particulièrement attractive en termes financiers (Marty et Spindler, 2013).
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Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité
budgétaire au détriment du partage optimal des risques ?
taux de marché – l’action des institutions telle la BEI passe
des garanties sur les emprunts. Enfin, les évolutions proposées par le Trésor vont dans le sens d’une facilitation des
cofinancements public-privé, avec notamment la possibilité
de financements publics allant au-delà de 30% des investissements totaux.
(figure 20), comme le montraient notamment les données
du Trésor sur les contrats en cours de préparation (tableau
infra).
La seconde modalité de transformation du tour de table
financier des PFI britanniques passe, comme nous l’avons
déjà évoqué, par l’intervention des personnes publiques
comme investisseurs minoritaires dans les sociétés projet
elles-mêmes. De telles prises de participations en fonds
propres pourraient être compatibles avec l’encadrement
européen des aides publiques du moment où elles satisfont
aux exigences du critère de l’investisseur privé en économie
de marché. Si l’acteur étatique investit avec les mêmes exigences de rendement et la même prise de risque que les
opérateurs issus de la sphère privée, sa prise de participation ne sera pas considérée comme constitutive d’une aide
publique dont il s’agirait de s’assurer préalablement – par
voie de notification à la commission européenne – la compatibilité avec le Traité. L’intérêt de cette modalité
d’intervention est double. cela réduit, d’une part, les
besoins de la société projet en fonds propres (onéreux) et
en dette senior. cela permet, d’autre part, de réduire
l’asymétrie informationnelle, entre le contractant public et
les sponsors21.
5. Une pérennisation au détriment de la qualité
de la structure incitative du contrat ?
Tant les gouvernements britanniques que français ont
adopté, en 2011 et 2012, des positions très critiques vis-àvis de l’efficacité économique des contrats de partenariats
public-privé. La désaffection ne fut guère suivie d’effets très
nets en 2012 (EPEc, 2012). Dans un marché européen
dont le niveau 2012 s’établit en-deçà des valeurs atteintes
en 2003 (chute de 21% du nombre de contrats et de 35%
des investissements privés réalisés entre 2011 et 2012), les
britanniques et les français sont les plus grands utilisateurs
de PPP. Le Royaume-Uni représente à lui seul 48% des
investissements (près de six milliards d’euros) et 26
contrats sur 66 répertoriés sur l’ensemble du continent par
le BEI. La France – qui la dépassa sur un semestre - suit de
près avec 22 contrats et près de quatre milliards d’euros.
ces évolutions marquent une rupture avec la tendance
amorcée au Royaume-Uni depuis 2010, laquelle semblait
aller dans le sens d’un moindre recours à ces contrats
Encore plus significatif encore, aux critiques du chancelier
de l’Echiquier formulées le 15 novembre 2011, considérant
que les contrats de PFI étaient trop opaques, trop coûteux
et trop peu flexibles (Marty et Spindler, 2013) répondait la
décision du gouvernement écossais de ne plus utiliser les
PPP comme vecteurs de la commande publique. ce faisant, le retour des PPP – sous la forme des PF2 – marque
un revirement par rapport aux tendances esquissées ces
deux dernières années.
La tendance est encore plus remarquable en France. Le
démarrage des partenariats public- privé est beaucoup plus
tardif et n’a pas été contrarié par la crise. Au contraire, la
relance par les investissements de février 2009 (Dupas et
al., 2012) et les difficultés d’accès au marché du crédit des
collectivités locales furent à l’origine d’une très forte croissance du nombre de contrats signés, au moment même où
les conditions financières étaient les moins favorables (cf.
figure 21 établie à partir des données MAPPP).
(21) Il convient cependant de relever que ce modèle n’est pas exempt de tout défaut. D’abord, les logiques des différents investisseurs
publics et privés peuvent parfois s’avérer difficilement conciliables. Ensuite, un conflit d’intérêts peut se manifester si la personne publique est à la fois contractante et actionnaire (d’où les propositions du Trésor britannique de confier la première mission à une entité
publique ad hoc). Enfin, la logique même de la présence de la personne publique au capital induit la prise en charge partielle des risques
liés à la société projet.
Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015
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utilisatrices de ces contrats (contrastant avec la relative prudence de l’Etat depuis l’alternance) sont particulièrement
susceptibles d’opter également pour ces contrats.
La position de pointe des collectivités territoriales en matière
d’utilisation des contrats peut tenir des limites des
compétences détenues en internes en matière de maîtrise
d’ouvrage publique ou encore d’une plus forte aversion au
risque dans la gestion des projets du fait d’une faible autonomie fiscale. Elle peut surtout tenir d’un accès
particulièrement contraint au marché des fonds prêtables
suite au retrait du marché d’un opérateur crucial, en l’occurrence Dexia.
ce démarrage des PPP malgré la crise financière et la crise
de la dette souveraine (ou peut- être du fait de ces deux
crises) comme le montre les données de la MAPPP de
mars 2013 relatives aux projets entrés en phase de concurrence (cf. figure 22).
Les données françaises sont à interpréter en détail dans la
mesure où elles ne portent que sur les contrats de partenariats au sens de l’ordonnance de 2004 stricto sensu, elles
n’englobent pas – à l’inverse des britanniques – des montages concessifs telles des délégations de services publics
ou certains contrats assimilés aux contrats de partenariats
utilisables notamment pour des projets à forte composante
immobilière tels les baux emphytéotiques administratifs ou
hospitaliers, des contrats d’AOT-LOA (autorisation d’occupation temporaire du domaine public couplé avec une
location avec option d’achat) ou encore des montages de
crédit-bail. Ainsi, les statistiques relatives aux contrats de
partenariat ne révèlent qu’une partie de la diffusion des PPP
en France (Marty et voisin, 2006 ; Saussier, 2012). Les collectivités territoriales qui sont de loin les premières
Ainsi, le développement du recours aux PPP pourrait-il être
interprété, non seulement comme un outil de gestion optimale des projets publics (Buso et al., 2013) mais aussi
comme un levier de soutien de l’investissement public dans
une situation budgétaire contrainte. Pour les collectivités
locales en particulier, les difficultés d’accès aux financements bancaires liés au très net renchérissement des
ressources bancaires et la faiblesse relative des capacités
de levée de dette sur les marchés obligataires pourraient
conduire à envisager les PPP non pas seulement comme
des outils de gestion optimale des risques liés aux projets
publics mais également comme des vecteurs de financement.
Il ne s’agit dès lors de s’assurer en premier lieu de la satisfaction du critère de la value for money que de s’assurer de
la soutenabilité budgétaire des engagements dont la charge
est d’autant plus élevée que le surcoût du financement privé
est significatif. cependant, si le PPP est effectivement la
seule solution pour financer des investissements publics, la
personne publique sera d’autant plus encline à ré-internaliser des risques. cependant, tant les mécanismes mis en
œuvre en France et au Royaume-Uni que les perspectives
tracées par le Trésor dans ce dernier cas vont dans le sens
d’une conciliation entre maintien (souhaité) d’une certaine
qualité incitative et minimisation (obligatoire) du coût du
financement privé. Les solutions allant dans le sens d’un
cofinancement public-privé ou de la recherche de nouvelles
sources de dette à plus long terme pour se substituer à la
dette projet apportée par les banques vont dans ce sens.
cependant, des questions demeurent quant à l’impact sur
l’équilibre économique et sur la performance des PPP dès
lors que les apporteurs de ressources externes seront
moins incités (notamment du fait de la concomitance des
investissements publics) à réaliser les investissements
nécessaires aux processus de due dilligence puis de monitoring (Marty et voisin, 2008).
A ce titre, la difficulté d’accéder à la dette bancaire peut également s’avérer préjudiciable du fait de l’effacement d’un
tiers dont les intérêts étaient alignés avec ceux de la personne publique contractante et qui disposait des capacités
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Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité
budgétaire au détriment du partage optimal des risques ?
tant humaines que techniques ou financières pour s’assurer
de l’équilibre économique du contrat et réaliser tout le long
de son exécution les tâches de supervision indispensables
à sa bonne réalisation. cependant, les pistes esquissées
en décembre 2012 par le Trésor britannique permettent
d’identifier deux types d’investisseurs de long terme susceptibles de disposer à la fois des ressources financières
idoines pour limiter la part de la dette bancaire et des capacités techniques adéquates pour limiter – au profit
également de la personne publique contractante – les
risques liés aux phénomènes d’anti-sélection et d’aléamoral. Il s’agit de fonds d’investissements publics – tels des
fonds souverains – et des fonds de pension. Les uns et les
autres peuvent être intéressés par les couples risques / rendements attractifs proposés par les projets de PPP et
pourraient être en mesure de consentir aux investissements
nécessaires pour accomplir ces missions de due dilligence
et de monitoring.
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32
Le Partenariat Public Privé :
Regard sur l’expérience de l’Arabie Saoudite
RésUMé
ABstRAct
Grand pays exportateur de pétrole, l’Arabie Saoudite a
conscience que cette ressource n’est pas renouvelable.
Aussi cherche-t-elle dès à présent à s’atteler à réduire la
dépendance de son économie par rapport à cette ressource non durable. En décidant de se pencher
sérieusement sur l’avenir du pays, le gouvernement
Saoudien a pris l’option de diversifier son économie. De
grands projets sont ainsi lancés : construction de quatre
villes économiques, extension du réseau ferroviaire,
construction de plusieurs usines de dessalement d’eau,
construction de plusieurs centrales électriques, amélioration des capacités d’accueil,…Toutefois, l’ambitieux
programme étalé sur 40 ans ne vise pas seulement à
faire faire au pays un bond quantitatif, il insiste surtout
sur le qualitatif. Le développement de l’économie saoudienne est voulu aux plus hautes normes internationales
de qualité pour une économie des plus compétitives au
plan mondial. Ainsi, pour aider au financement de ces
projets et assurer leur réalisation selon les critères de
qualité et de temps retenus, le gouvernement saoudien
a décidé de recourir au Partenariat Public Privé. Le présent papier vise à jeter un regard sur cette expérience
saoudienne dans les PPP. Il présente quelques exemples des projets les plus importants dans des secteurs
des plus vitaux pour l’économie comme l’eau, les chemins de fer et les aéroports.
Major exporter of oil, Saudi Arabia is aware that this
resource is not renewable. As she now seeks to tackle to
reduce dependence of its economy on this unsustainable
resource. In deciding to seriously consider the future of
the country, the Saudi government has opted to diversify
its economy. Major projects are thus launched: construction of four economic cities, extension of the railway
network, construction of several water desalination
plants, construction of several power plants, improving
reception capacity... However, the ambitious program
spread over 40 years is not only to make a quantum leap
in the country, he especially emphasizes the qualitative.
The development of the Saudi economy is wanted to the
highest international quality standards for a more globally
competitive economy. Thus, to help fund these projects
and ensure their implementation in accordance with the
criteria of quality and time selected, the Saudi Arabian
Government decided to use the Public Private Partnership. The present paper aims to take a look at the Saudi
experience in PPPs. It shows some examples of the
most important projects in vital sectors to the economy
like water, railways and airports.
Keywords: Public-Private Partnership,
Economic Diversification, Qualitative Development
Mots clefs : Partenariat Publics-Privés,
Diversification de l’économie,
Développement qualitatif
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
33
Aissa Hireche
King Faysal University
INTRODUCTION
1.2.1 Le contrat de gestion
Le Royaume d’Arabie Saoudite a tôt pris conscience de
l’importance du rôle que peut jouer le capital privé dans
le développement du pays. Le fort souci de diversifier
l’économie et d’en réduire la dépendance par rapport au
secteur pétrolier, a poussé le gouvernement saoudien à
opter pour un développement fortement ambitieux. Toutefois, et pour assurer une meilleure réalisation de ce
programme, le gouvernement a décidé de faire appel au
capital privé national et étranger et, surtout, à un partenariat public privé auquel il est demandé, non seulement
d’assurer une meilleure performance, mais aussi de faire
profiter le secteur public et le privé national du transfert
d’un savoir-faire qui leur manque.
Le contrat de gestion est un procédé par lequel on opère
le transfert de la gestion d’une entreprise publique au
profit d’un opérateur privé. ce transfert peut être partiel
ou total et s’étale sur le court terme (ne dépassant généralement pas cinq ans). On fait souvent appel au contrat
de gestion pour améliorer un mode de gestion défaillant.
ce qui caractérise le contrat de gestion c’est que sa
rémunération est fonction de la performance.
Le contrat de gestion est aussi appelé contrat de management, contrat de performance ou délégation de
gestion.
1.1- Définition
En général, on donne la même définition à tous ces
types de contrats. « contrats de performance, contrats
de services, contrats de gestion et con¬trats d’exploitation et de maintenance (E&M) : ensemble de structures
selon lesquelles la société privée fournit des services à
une société de service public /concédant (par exemple
des services de gestion, des services d’amélioration des
activités de facturation et de recouvrement, des services
de réduction de pertes ou de marketing), les paiements
étant généralement liés aux résultats. » (Delmon, 2010,
p.10)
comme définition globale des PPP on peut retenir celle
qui considère que « les partenariats public-privé (PPP)
sont des contrats entre des partenaires du secteur public
et du secteur privé ayant pour objet la mise en place ou
la gestion d’un projet visant à assurer un service public
et pour lequel une part importante de l’investissement initial, du financement et des risques est partagée entre les
partenaires du secteur public et privé » (Alvarez Robles
et autres, 2009, p.7)
Toutefois, et parmi les problèmes particuliers aux
contrats de gestion c’est qu’ils ne favorisent pas réellement les transformations en profondeur et limitent
l’action de l’opérateur car ils « ne permettent pas d’embaucher ou de licencier du personnel, et privent [la
société de gestion] du pouvoir de décision sur la gestion
opérationnelle de l’entreprise, ce qui fait qu’il est très difficile d’améliorer les performances. » (Anderson et
Janssens, 2011)
Le PPP, par la diversité des d’options qu’il propose, offre
un éventail de solutions car « il n’existe pas d’approche
parfaite en la matière » (Delmon, 2010).
- L’efficience
Devant une telle situation, un nouveau type de contrat de
gestion a vu le jour. Il met plus l’accent sur les critères
de performance et incite à leur réalisation. « Les indicateurs basés sur les performances sont un moyen
important de garantir le respect des obligations contractuelles » (Anderson et Janssens, 2011). c’est alors qu’on
parle de contrat de performance
- Une solution sur la durée de vie des actifs
1.2.2 Le contrat de concession
- La transparence et lutte contre la corruption
Parmi les contrats de long terme, figure « la concession
» (qui peut varier entre 25 et 50 ans) et qui permet à
l’Etat de confier à un opérateur privé la construction et
l’exploitation d’un ouvrage public ou la gestion d’un service public. En contrepartie de quoi l’autorité qui a
concédé la concession perçoit une redevance annuelle.
Dans ce type de contrat, il appartient à l’opérateur privé
de mobiliser les financements nécessaires.
1- Les PPP définition et quelques rappels
Avant de traiter de l’expérience proprement dite de l’Arabie Saoudite, il est nécessaire de donner d’abord une
définition des PPP et d’en rappeler certains avantages
ainsi que les principaux types de contrats dans ce
domaine.
Parmi les avantages que procure généralement le PPP,
on retient surtout : (Delmon, 2010, Alvarez Robles, 2009)
- La technologie, l’innovation et le savoir-faire
- Des sources de financement
1.2- Les types de contrats PPP
Il existe de nombreux types de contrat dans le domaine
du Partenariat Public Privé. Les plus importants sont les
suivants :
1.2.3 Le contrat d’affermage
Dans le contrat d’affermage, la propriété des équipe-
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
34
Le Partenariat Public Privé :
Regard sur l’expérience de l’Arabie Saoudite
ments et installations est publique mais leur exploitation,
leur rénovation et leur entretien relèvent d’un opérateur
privée qui en tire un profit. En général, le contrat d’affermage porte sur une période qui varie entre 10 et 15 ans.
1.2.4 Le contrat BOT (Build-Own-Operate–Transfer)
Le BOT (en Français cET pour construire-ExploiterTransférer) est l’exemple type de projet PPP (Alvarez
Robles et autres, 2009).
Le contrat BOT engage l’investisseur « par la construction et l’exploitation d’un projet d’infrastructure dans un
délai au terme duquel l’ouvrage sera totalement restitué
à l’administration sans remboursement » (EL-Béherry,
2004)
Le BOT peut apparaitre sous d’autres formes qui en sont
des variétés. Il s’agit du BT (Build-Transfer) et du BTO
(Build-Transfer-Operate)
1.2.5 Le contrat BOO (Build-Own-Operate)
Dans le contrat du type BOO (construction-PossessionExploitation) l’opérateur privé est chargé de construire,
de gérer et de maintenir les équipements et installations
qu’il sera chargé d’exploiter, pour une durée variant entre
10 et 15 ans et d’en tirer profit. En contrepartie, il paie
une rente à l’autorité concédante.
1.2.6 Le contrat BOOT (Build-Own-Operate-Transfer)
Le BOOT (construction-Possession-Exploitation-Transfert) est en tout point identique au BOO. Deux
différences cependant sont à noter entre les deux types
de contrats. La première est que, en fin de période, aussi
bien les équipements, les installations que l’organisme
d’exploitation deviennent propriété de l’autorité concédante. En conséquence, et c’est là la deuxième
différence, la durée d’un contrat BOOT peut être nettement plus longue que celle rencontrée dans le cas du
BOO.
1.2.7 Le contrat DBFO (Design-Build-Finance-Operate)
Dans le cas du contrat DBFO (conception-constructionFinancement-Exploitation), l’opérateur privé se voit
chargé par l’Etat de la conception, la construction, le
financement, l’exploitation et l’entretien des infrastructures et équipements. c’est l’Etat qui rémunère dans ce
cas l’opérateur par un loyer. A la différence de la concession, l’opérateur privé n’exploite pas un service public. A
la fin du terme du contrat, le tout (infrastructure et équipements) est transféré à l’état.
2- L’expérience Saoudienne
2.1- Le cadre réglementaire et le financement
« Toute tentative de mise en œuvre de projets de PPP
reposant sur des mécanismes institutionnels, juridiques
et financiers traditionnels en matière de marchés publics
(sans que l’on modifie ces mécanismes pour les adapter
aux exigences particulières des PPP) est généralement
vouée à l’échec » (Delmon, 2010, p.17)
Afin d’accompagner cette expérience du PPP et afin de
permettre une certaine ouverture au capital étranger, à
partir de l’année 2000, le gouvernement saoudien a commencé à revoir le cadre règlementaire et législatif
concernant l’investissement. c’est en cette année qu’est
créée la SAGIA (Saudi Arabian General Investment
Authority) avec, pour mission, d’attirer les investisseurs
(étrangers et nationaux), de leur fournir les services
nécessaires et de faciliter l’échange des meilleures pratiques entre les secteurs public et privé afin de
promouvoir l’investissement en Arabie Saoudite .
La SAGIA a eu un grand mérite dans la propulsion de
l’investissement au royaume et ce, notamment, par l’élaboration du fameux programme « 10/10 » qui visait à
arriver en 2010 à hisser l’Arabie saoudite parmi les 10
pays au monde les plus attractifs pour l’investissement.
Toutefois, c’est la décision n° 219 du conseil des Ministres, datée de 2002 qui doit être considérée comme étant
un véritable point de départ dans la promotion du PPP.
cette décision a délimité, d’un côté, les domaines que le
gouvernement comptait ouvrir au capital privé et, d’un
autre côté, les services et les entreprises qui devaient
faire l’objet de restructuration, d’assainissement et/ou de
mise à niveau pour les préparer à accueillir et à accompagner le PPP. Par ailleurs, cette décision a aussi
clairement défini les objectifs assignés au Partenariat
public privé.
Selon cette décision, les attentes du gouvernement par
rapport au PPP sont, en gros :
- contribuer à l’amélioration de la compétitivité de l’économie nationale
- Attirer le secteur privé pour une participation efficace au
développement du pays
- Encourager le capital privé national et étranger à investir dans le pays
- Participer à élever l’offre d’emploi
- Garantir les services
- Rationaliser les dépenses publiques par le finance-
(1) C’est au milieu des années 90 que les contrats de performance ont été introduits pour la première fois. Ce fut dans
le secteur énergétique
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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ment, l’exploitation et l’entretien, par le secteur privé,
des services publics
- Améliorer les recettes de l’Etat.
Quant aux domaines concernés par l’ouverture au PPP,
la décision liste entre autres :
- Eaux
une troisième fois, pour le financement du projet de chemin de fer reliant l’Est et l’Ouest du pays et appelé « pont
terrestre ». Il s’agit d’un financement sans intérêts. ceci
confirme le fait que le « PPP est un concept souple dont
les seules limites sont la créativité des par¬ticipants et
leur accès aux sources de financement.» (Delmon, 2010,
p.8)
- Services communaux
En parallèle, et toujours dans le cadre de l’amélioration
du « climat » pour attirer l’investissement privé, le gouvernement a aussi mené des opérations importantes de
création et de restructuration au niveau de certaines
entreprises. c’est ainsi que plusieurs administrations
publiques se sont vu changer de statut pour devenir des
entreprises publiques (comme, par exemple, la NWc, la
compagnie national des eaux), que de nouvelles entreprises publiques ont été créées (la Saudi Arabian
Railway, en 2008) et que des autorités et commissions
de régulations sont mises en place comme, par exemple,
en mai 2003, dans le domaine des technologies de l’information, la commission indépendante des TIc (cITc)
et, dans le domaine de l’électricité, l’autorité de régulation d’électricité et de cogénération (EcRA). ces
organismes ont, entre autres missions, l’organisation du
partenariat et la préservation des droits des investisseurs
et des utilisateurs des services qui relèveront du PPP .
- Services de l’agriculture
2.2- Quelques illustrations sectorielles
-…
En ce qui suit, nous allons donner quelques illustrations
dans différents secteurs important. Nous verrons successivement (2.2.1) quelques exemples de PPP dans le
secteur de l’eau, ensuite (2.2.2.2) dans le domaine des
aéroports, puis (2.2.3) dans le secteur des chemins de
fer avant de passer (2.2.4) aux cités économiques.
- communications
- Transport aérien
- chemins de fer
- Routes
- Services de l’enseignement
- Services de santé
- Les services aéroportuaires
- Services postaux
- Silos et semouleries
- Service portuaires
- Services des villes industrielles
- club sportifs
En 2004, la décision 110 du conseil des Ministres a
défini les bases qui régissent le PPP dans le secteur du
e-government (gouvernement électronique).
En 2006 est créé le Forum International de la compétitivité chargé de promouvoir l’amélioration de la
compétitivité nationale et dont le siège est à Riyad.
2.2.1- Dans le secteur de l’eau
En 2008, la décision 210 du cM est venue préciser les
règles et modalités relatives au statut du personnel saoudien lors de la privatisation ou du passage des
entreprises publiques au statu d’entreprises mixtes ou
privées.
En Arabie Saoudite où, par endroits, le thermomètre
dépasse facilement les 50 degrés en été, l’eau manque
terriblement, ce qui constitue un véritable problème. La
solution retenue au Royaume pour résoudre ce problème
est la désalinisation de l’eau de mer.
Par ailleurs, en plus des modes traditionnels connus de
financement, et suite à une décision du Haut conseil
Economique, l’Arabie Saoudite a introduit un nouveau
mode de financement, celui du prêt islamique. ce mode
a servi d’abord à financer, à travers le Fonds d’Investissement Publics , le projet d’extension de l’aéroport King
Abdelaziz de Djeddah pour, ensuite, être utiliser une
seconde fois pour le financement du rail Nord-Sud et,
Depuis les années 2000 déjà, l’Arabie Saoudite est le
plus grand producteur d’eau par dessalement au monde
« avec ses 30 usines de dessalement d’eau de mer, produisant 45 % de son eau à usage domestique et urbain.
Sa part dans la production mondiale d’eau dessalée se
situait à 17,4 %, plaçant le Royaume devant les ÉtatsUnis (16,2 %) et devant un autre acteur majeur du Golfe
que sont les Émirats Arabes Unis (14,66 %). Dans un
(2) http://www.sagia.gov.sa/
(3) http://www.mof.gov.sa/Arabic/Pages/investment.aspx
(4) Intervention du ministre saoudien du travail « le PPP et l’expérience de la négociation social », au congrès
régional sur la négociation sociale, 15/12/2010, Riyad
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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Le Partenariat Public Privé :
Regard sur l’expérience de l’Arabie Saoudite
cercle plus restreint, celui du conseil de coopération du
Golfe (ccG), la part de l’Arabie Saoudite atteignait 45,5
% de la production régionale d’eau dessalée, plaçant
également le pays devant les Émirats Arabes Unis
(38,15 %).» (Galland, 2010, p.2)
Les usines de dessalement sont souvent combinées à des
centrales électriques donnant ce qu’on appelle des IWPP
(Independent Water and Power Producer) c’est-à-dire des
projets intégrés de production d’eau et d’électricité, un type
bien connu au Moyen Orient.
Du PPP il est attendu, à cet effet, notamment l’introduction des meilleures pratiques mondiales pour une
meilleure efficacité dans la gestion, une meilleure exploitation des actifs et des ressources ainsi que pour une
meilleure qualité du service aux clients, ce qui constitue
un objectif majeur.
Par ailleurs, dans le secteur des eaux, l’Etat saoudien,
entend tirer du PPP le plus d’avantages possibles. A cet
effet, les objectifs arrêtés aux PPP sont essentiellement
les suivants :
Prévoyant le recours à ce type d’usines, et afin de faciliter
les démarches des partenaires privés qui auraient à intervenir dans le secteur, le gouvernement saoudien a pris la
précaution de regrouper les ministères de l’eau et de l’électricité en un seul : le ministère de l’eau et de l’électricité.
- Le secteur devra bénéficier des services des experts
consultants dans différents domaines tels l’exploitation,
l’entretien, la réduction des fuites d’eau, l’élimination
des NRW (non-revenue water ou eaux non comptabilisées) et l’amélioration du recouvrement des recettes.
Par cette réorganisation, le gouvernement visait à « introduire un nouveau cadre contractuel permettant notamment
aux groupes privés internationaux d’apporter à l’Arabie leur
efficacité opérationnelle et leur expertise technique. cela
devait permettre aussi de réviser les tarifs de l’eau, d’introduire d’urgence des initiatives collectives destinées à
diminuer la consommation nationale d’eau, de réduire les
Non Revenue Water (NRW), qui caractérisent les pertes
anormales d’eau dans le réseau et, enfin, de mettre en
place un programme à grande échelle de pose de compteurs.» (Galland, 2010, p.3).
- Une responsabilité totale quant à l’exploitation et l’entretien des actifs existants et les services des eaux
La sensibilité du secteur des eaux impose une gestion des
plus rigoureuses, aussi bien pour assurer une bonne qualité
du service public que pour assurer une production suffisante
de l’eau potable. Sans grande expérience dans le domaine
et devant l’ampleur des objectifs, l’Etat Saoudien a opté
pour le PPP.
Au début, en regard du cadre réglementaire existant, la participation du secteur privé se résumait à son intervention
dans la construction des infrastructures. Mais le gouvernement a pris conscience de la nécessité de réformer la
législation pour permettre un véritable partenariat du secteur
public. ceci a permis à ce que le PPP prenne rapidement
de l’importance.
Dans le secteur des eaux, en Arabie Saoudite, le PPP est
défini comme étant « une organisation qui consiste en la
gestion des structures publiques que les institutions gouvernementales concèdent aux opérateurs du secteur privé à
travers des contrats à court, moyen et long terme. Selon ces
contrats, les montants payés pour l’obtention des services,
sont fonction de la réalisation d’objectifs de performance
avec obligation de résultats pour les partenaires privés »
- L’attrait des investissements pour la réhabilitation et
l'amélioration des actifs existants
- L’accroissement des actifs par de nouveaux investissements
Pour répondre au mieux à la diversité des situations, et
pour obtenir une meilleure réalisation des objectifs ci-dessus, les responsables saoudiens du secteur des eaux ont
retenu cinq types de contrats dans le cadre du PPP.
- Le contrat de gestion et d’exploitation
- Le contrat d’entretien dont la durée varie de 3 à 5 ans
- Le contrat du type construction, exploitation et transfert
(cET en français ou BOT en anglais)
- Le contrat de construction, de propriété et d’exploitation
(BOO)
- La concession dont la durée peut aller jusqu’à 25-30
ans
Dans le secteur des eaux, la partie saoudienne définit le
contrat de gestion et d’exploitation comme étant « un
accord basé sur la performance et dont le montant, les
incitations et les compensations sont liées au degré de
réalisation des critères clés de performance » aussi, le
contrat est-il structuré de manière à permettre à la compagnie nationale des eaux (NcW) d’obtenir « des
performances et d’assurer le transfert des connaissances
et le renforcement des capacités à créer une plate-forme
pour les unités commerciales durables afin d’atteindre les
objectifs stratégiques » .
(5) Source : le site de la compagnie nationale saoudienne des eaux
http://www.nwc.com.sa/arabic/Business/Privatization/Pages/makkahandtaifppp.aspx
(6 - 7 - 8 - 9) Même source
Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015
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2.2.1.1- Contrat de Gestion et d’exploitation des
services d’eau et d’assainissement de la ville de
Djeddah
Le 20 mai 2008, le groupement franco-saoudien « Suez
Environnement – AcWAPower développement » a signé,
pour un montant de 61 millions de dollars US, le contrat de
management qui s’étale sur une période de 7 ans à partir
du 1er septembre 2008. ce contrat porte sur la gestion
déléguée des services d’eau et d’assainissement de la ville
de Djeddah, une ville dont la population avoisine les 5 millions d’habitants et qui ne dispose pratiquement pas de
ressources en eau, ce qui fait que 98% de son eau potable
provient d’usines de dessalement de l’eau de mer.
Par ce contrat, les responsables saoudiens cherchent à
atteindre plusieurs objectifs. Parmi lesquels, notamment :
- la remise à niveau et la modernisation fiable et pérenne
des services d’eau et d’assainissement de la ville
- l’amélioration de la qualité du service
- l’assurance d’un accès permanent et ininterrompu à l’eau
potable
prises privées saoudiennes et étrangères. Les critères techniques et financiers d’évaluation des offres n’ont permis de
pré-qualifier, en une première phase, que 11 de ces entreprises.
Dans une seconde phase, et suite aux offres de prix, seules
deux entreprises ont été qualifiées. Il s’agit du consortium
franco-saoudien SAUR-ZAMIL et de celui qui regroupe une
entreprise Malaysienne (RANHAL), une entreprise Indienne
(JAScO) et une entreprise saoudienne (El A’MAL).
Lors de la dernière phase, c’est la proposition franco-saoudienne qui a été retenue et, en août 2010, a été signé le
contrat par lequel le management et l’exploitation d’eau et
d’assainissement des villes de La Mecque et de Taïf ont été
confiés par la National Water company (NWc) au groupement franco-saoudien SAUR-ZAMIL.
ce contrat a prévu une période transitoire de quatre mois,
allant jusqu’à la fin 2010, pour permettre au partenaire de
préparer la prise en main du projet, ce qui donne un début
effectif de l’exécution du contrat à partir du 1er janvier 2011
pour couvrir la période allant jusqu’à fin 2015.
- la réduction des délais d’intervention d’urgence sur les 5
300 km de réseaux d’eau potable (ces délais doivent être
ramenés au tiers de ce qu’ils étaient au moment du
contrat)
- la réparation des fuites
- l’élimination des débordements (sur les 1 000 km existants de réseaux de collecte des eaux usées)
- la formation et le transfert du savoir-faire de partenaire
français au partenaire public local.
2.2.1.2- Contrat de Gestion et d’exploitation pour
les villes de la Mecque et de Taif :
Le recours au partenariat public privé dans la gestion et
l’exploitation des eaux et de l’assainissement des villes de
la Mecque et de Taïf est une expérience qui est venue
s’ajouter à celles de Djeddah (projet attribué à Suez-Acwa
Power) et Riyad (projet attribué veolia Water Saudi) et
constitue ainsi une expérience qui sera prise en considération pour le projet à venir de même nature concernant les
villes de Médine et de Dammam.
Le projet de gestion des eaux et de l’assainissement des
villes de la Mecque et de Taïf, qui porte sur la gestion et
l’exploitation de 4 200 km de réseaux d’eau potable et de 2
500 km de réseaux d’assainissement, avait attiré 23 entre-
(10)
(11)
(12)
(13)
(14)
(15)
www.suez.fr/fr/presse/communiques/2008/2008)
Idem
www.suez.fr/fr/presse/communiques/2008/2008
Site de Veolia (http://www.veoliaeau.com/profil/implantations/arabie-saoudite.htm)
Gulf Construction, vol 7, n°3 (http://gcarabic.com/node/104)
http://www.jed-airport.com/about_new.php
Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015
38
Le Partenariat Public Privé :
Regard sur l’expérience de l’Arabie Saoudite
2.2.2- Dans les aéroports
montant de 8,5 milliards de SAR17.
Les visites religieuses (Hadj et Omra) drainent un nombre très important de voyageurs au pays de la Mecque.
ce nombre est en augmentation et, de 30 millions de
passagers en 2012, l’Arabie Saoudite s’attend à en
accueillir plus de 60 millions en 202014.
Pour faire face à ce nombre, l’Arabie Saoudite, qui
compte en tout une trentaine d’aéroports, ne dispose en
réalité que de 4 aéroports internationaux seulement
(Djeddah, Riyadh, Médine et Dammam). Mais les aéroports directement impliqués dans les visites religieuses
sont uniquement ceux de Djeddah et de Médine. Le plus
important demeurant cependant l’aéroport de Djeddah
(le King Abdulaziz aéroport) qui accueille 17 millions de
passagers par an. Un projet d’extension doit porter, en
2014, cette capacité à 30 millions, avant de la porter en
203515 à 80 millions de passagers par an. De son côté,
l’aéroport de Médine qui accueille actuellement moins
de 4 millions de passager doit voir cette capacité portée
à 12 millions en 2020.
2.2.2.1- Agrandissement de l’aéroport international
King Abdulaziz (Djeddah)
L’aéroport international King Abdelaziz de Djeddah a
une certaine expérience dans le domaine du PPP. Déjà
en 2009, le projet d’agrandissement et d’aménagement
de la salle des pèlerins été exécuté en BTO alors que
celui de la station de dessalement d’eau de l’aéroport
d’une capacité de 30 000 m3 l’a été en BOT.
Le coût estimé de l’extension de l’aéroport de King
Abdelaziz de Djedda est d’environ 2,4 milliards de dollars. Il porte sur plusieurs types de travaux et en deux
tranches.
Le type de contrat retenu pour ce projet en PPP est le
BTO pour toutes les parties du projet. Les partenaires
privés s’occupent de la construction et de l’aménagement suite à quoi le projet est récupéré par l’Etat qui le
redonne à l’Autorité Générale de l’Aviation civile
(GAcA) pour sa gestion sur une période de 20 ans
selon une formule d’agrément de concession qui voit, en
cette occasion, le Fonds d’Investissement Public saoudien innover en introduisant un financement islamique
par l’émission des islamic sukuks. De leur côté, les partenaires privés procèdent, chacun en ce qui le concerne
à la mobilisation des fonds nécessaires. c’est ainsi que
le groupe Ben Laden a bénéficié en cofinancement d’un
(16)
(17)
(18)
2.2.2.2. Agrandissement de l’aéroport international
de Médine
L’autre projet important dans ce secteur est l’agrandissement de l’aéroport de Médine dont le coût s’élève à
près de 1,6 milliards de dollars. Pour ce projet, le contrat
est de type le BOT.
Avec un trafic annuel de 3.9 millions de passagers en
2012, l’aéroport de Médine occupe le 4ème rang national. Le projet consiste en une extension qui en portera
en une première étape la capacité à 8 millions de passagers avant de passer, en une deuxième étape, à 12
millions en juin 2020 et en une troisième étape à 21 millions de passagers en 203718 .
Jusqu’en 2011, la gestion de l’aéroport relevait exclusivement de l’organisme public (GAcA). En juin 2011, elle
fit l’objet de gestion mixte en partenariat avec le partenaire privé « Taiba aéroport » durant la période de
préparation qui dura une année.
En juin 2012, l’organisme public se retira laissant l’opérateur privé seul. ce dernier devant s’occuper de la
construction, la gestion et l’exploitation de l’aéroport
pour une durée de 25 années, il s’agit donc d’un contrat
de type concession.
Lors de la présélection, 8 entreprises ont pu être retenues sur un ensemble de 10 entreprises. Il s’agit
Participants : Gulf Bank (Bahrein), Banque Commerciale d’Abu Dhabi, May Bank (Malaisie), Groupe Samba,
el Ittihad bank, El Ahly Bank, Emirati Bank, BNP Paribas, Kuwait Bank etc...
http://www.alriyadh.com/net/article/685186
http://www.aawsat.com/details.asp?section=6&article=685560&issueno=12277
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
39
d’entreprises saoudiennes, américaines, canadiennes,
françaises, espagnoles, malaysiennes, indiennes,
coréennes et turques.
Le type de contrats retenu dans ce projet est le BOT
pour certaines entreprises comme Taiba Aéroports (pour
le management et l’exploitation), Aéroports de Paris
(pour le Duty Free) etc. et le BTO pour d’autres.
ce projet bénéficie aussi d’un cofinancement de 1,1 milliard USD auquel ont pris part la banque nationale
commerciale (Elahli national commercial bank), la
banque nationale arabe (Arab National Bank) et la SABB
(Saudi British Bank).
2.2.3- dans les chemins de fer
De tout le royaume, seul le tronçon Riyad-Houfouf-Dammam, soit près de 570 kms, est relié par une ligne de
chemin de fer. Une stratégie de développement et d’extension du réseau ferroviaire a été mise en place. Selon
cette stratégie qui s’étale jusqu’en 2040, pour un coût
global avoisinant les 365 milliards SAR (soit 100 milliards USD) le réseau connaitra 19 nouvelles lignes
d’une longueur totale de près de 9900 kms.
Trois des projets retenus dans cette stratégie pour le
développement du secteur du transport ferroviaire
devront être réalisés en priorité et coûteront aux environs
de 63 milliards USD (ce coût doit être sensiblement revu
à la hausse d’après les déclarations datée du 01/01/2013
du directeur de la Saudi Railways à une revue électronique El Amalah). Il s’agit des projets suivants :
- La voie reliant la Mecque à Médine via Djeddah à
(444 kms)
- La voie reliant Djeddah à Dammam via Riyad (1000
kms)
- La voie reliant le Nord du pays au Sud (2400 kms)
En ce qui suit, nous nous concentrons sur les deux premiers projets seulement, comme exemple du PPP dans
le domaine des chemins de fer.
2.2.3.1- Le projet reliant la Mecque à Médine via Djeddah (voie électrifiée)
ce projet est connu aussi sous le nom « train des pèlerins » ou LGv El Haramaine (Ligne grande vitesse El
Haramine) ou HHSR (El Haramaine High Speed Rail) ou
MMRL (Mekkah Madinah Rail Link), et il a été initié par
décision du Haut conseil Economique et sera réalisé
selon un contrat de type BOT.
Source : http://www.saudirailways.org/portal/page/portal/PRTS/root/HHSR_ProjectBrief
c’est un projet dont la réalisation a lieu dans le cadre du
PPP et où « le concessionnaire est chargé de concevoir,
financer, construire, exploiter, maintenir et transférer l'infrastructure après une période donnée. Les terrains sont
fournis au concessionnaire par le Royaume. »
La réalisation du projet est divisée en deux phases. La
première est elle-même divisée en deux lots. Le premier
porte sur les travaux de génie civil des voies et, le
second lot, sur la réalisation de 5 gares. La deuxième
phase porte sur la pose des voies et la fourniture des
équipements techniques et des trains avec l’assurance
de la maintenance des installations sur une période de
12 ans.
Quatre consortiums (Al Radjehi, Saudi Group Ben
Laden, Saudi Oger ltd et El Mabani) ont été présélectionnés pour le premier lot de la première phase avant
que le Groupe Al Radjehi ne soit finalement qualifié pour
l’exécution des travaux de génie civil. Le second lot a été
attribué aux Saudi group Ben Laden et Saudi-Oger. La
deuxième phase a été attribuée au consortium saudiespagnol Echou’la.
(19) Idem
(20) Site des chemins de fer saoudiens
http://www.saudirailways.org/portal/page/portal/PRTSAR/root_ar/HomeAR/04_ExpansionProjects/02MasterPlanProject
(21) Idem
(22) http://www.alamalhnews.net/news.php?action=show&id=1232
(23) http://lexpansion.lexpress.fr/entreprise/alstom-et-la-sncf-pourraient-rater-le-tgv-saoudien_247000.html
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
40
Le Partenariat Public Privé :
Regard sur l’expérience de l’Arabie Saoudite
Il s’agit pour le consortium Echou’la de procéder à la
pose de 450 kms de voie, de fournir les locomotives et
les wagons, d’exploiter et d’assurer l’entretien sur douze
années de la voie. Il s’agit donc d’un contrat de type
BOO.
grâce à un Partenariat Public Privé à travers lequel le
partenaire privé aura la charge de construire, poser la
voie et gérer la ligne pour une durée de 50 ans avant de
la remettre à l’Etat25. Il s’agit donc d’une concession. Tout
comme les projets du « train des pèlerins » et celui
reliant le Nord du pays à son Sud, le projet du « pont terrestre » sera financé en partie par le Fond
d’Investissement Public saoudien26.
Le 1er janvier 2013, et pour une valeur de 270 millions de
SAR (soit 72 millions de dollars), la compagnie Flor s’est
vu attribuer le contrat de gestion du projet pour une durée
de 84 mois alors que le consortium TARABOT a été qualifié pour la réalisation du projet dans un délai n’excédant
pas la fin 2019.
La deuxième phase du projet du « train des pèlerins »
porte, à elle seule, sur un contrat d'environ 10 milliards
d'euros (ramené à 7 milliards après soumission) et le
Fonds d'Investissement Public saoudien aide à son
financement.
2.2.3.2 - Le projet reliant Djeddah-Riyad-Dammam
Source :
http://www.saudirailways.org/portal/page/portal/PRTS/r
oot/Home/04_Expansion_Specification/04Expansion
Décidé en 2005, ce projet a été gelé jusqu’en 2008 pour
être définitivement relancé avec la création de SAR
(Saudi Railways), la société qui aura la charge de tout le
rail du royaume. ce projet est divisé en deux parties.
Du côté Ouest de Riyad, un tronçon porte sur la création
d’une voie ferrée reliant Djeddah à la capitale. Il entre
dans le cadre du « pont terrestre», porte sur une double
voie de 950 kms environ et constitue l’un des deux tronçons à ajouter à la ligne existante (Riyad – Dammam).
L’autre tronçon devra relier la ville industrielle de Jubail
au reste du réseau et porte sur une longueur de 115
kms24.
Le projet Djeddah-Riyad-Dammam devait être réalisé
2.2.4 - Les cités économiques
En optant pour la construction de 4 villes économiques,
l’Arabie Saoudite manifeste la volonté de sérieusement
« se pencher sur l’avenir et considérer de nouvelles
(24) Voir le site des Chemins de fer saoudiens
http://www.saudirailways.org/portal/page/portal/PRTS/root/Home/04_Expansion_Specification/04Expansion
(25) Habib Allah Mohamed Turkistani, partenariat stratégique entre le secteur public et le secteur privé, étude empirique sur
les villes économiques, 2009, congrès international sur le développement de l’administration, Institut de l’administration
publique, Riyad, 1-4/11/2009 (document en arabe).
(26) http://www.alwatan.com.sa/Economy/News_Detail.aspx?ArticleID=91359&CategoryID=2
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
41
options non-pétrolières, plus fiables et à long terme »
ces quatre villes économiques (« economic cities »)
devront contribuer à hauteur de 150 milliards de dollars
au PIB de l’Arabie à horizon 2020 (Galland, 2010, p.2).
Elles représentent un haut lieu de l’expérience du PPP
en Arabie saoudite et leur mise en place répond à 4
objectifs essentiels
a - Développement régional équilibré
Le premier objectif des cités économiques étant de
réduire l’exode de la population vers les grandes villes
qui, à cause du surpeuplement, connaissent beaucoup
de problèmes comme les problèmes d’aménagement de
territoire, le logement, le transport, l’emploi. cet exode
est expliqué entre autres par le fait que le développement économique du pays soit concentré uniquement
dans l’axe est-ouest du royaume. Les régions qui se
situent sur cet axe accueillent le 1/3 de la population
alors que, à elles seules, les quatre villes de Dammam,
Riyadh, Djedda et la Mecque rassemblent la moitié de la
population
connaissances de ces entreprises vers le secteur privé
et public saoudien. D’un autre côté, et comme ces villes
viendront renforcer l’infrastructure nationale avec leurs
aéroports, leurs ports, leurs autoroutes, les télécoms
etc., ceci contribueront indiscutablement à améliorer la
compétitivité et l’attractivité du pays sur le plan régional
et mondial.
ces villes connaissent jusqu’à présent un certain retard
par rapport aux délais initiaux. Or, comme elles devaient
accueillir de nombreuses entreprises nationales et étrangères, elles n’ont pas pu le faire à cause de ce retard qui
a donc retardé les délocalisations, ce qui, à son tour, a
affecté la création d’emplois tant attendue.
Par ailleurs, la réglementation de 2008 qui vise à imposer aux entreprises le recrutement d’un partie de leur
personnel parmi les saoudiens, a poussé ces entreprises
à transférer leur siège dans d’autres pays de la région.
Selon une étude McKinsey (citée par Turkistani, 2009)
Il est prévu que les cités économiques avec l’importance
de leur activité économique pourront assurer d’ici 2020
une augmentation du revenu allant jusqu’à 300%.
b- second objectif : La diversification économique.
L’autre préoccupation de l’Arabie Saoudite est de réduire
sa dépendance par rapport aux exportations de pétrole.
En ce sens, il est attendu des villes économiques d’arriver à assurer le développement d’industries et de
services à haut niveau de compétitivité au plan mondial.
A cet effet, dix industries ont été choisies et pour lesquelles KSA poursuit un leadership mondial.
c- L’emploi
L’emploi constitue le troisième objectif des villes économiques qui doivent assurer une certaine intégration du
personnel saoudien. Une stratégie de développement
des ressources humaines en Arabie saoudite a été mise
en place à cet effet.
d- Modernisation de l’infrastructure et le transfert
de connaissance
Les villes économiques et parce qu’elles attireront les
grandes entreprises mondiales dans différents secteurs
constitueront le vecteur par lequel les saoudiens comptent bénéficier du transfert de technologie et des
3- Evaluation du PPP en Arabie Saoudite
3.1- le PPP dans les pays du Golf
Dans un rapport daté de août 2008 et qui portait, entre
autres, sur une évaluation du développement dans les
pays membres du conseil de coopération du Golf
(ccG), la société de conseil en management « Booz
and company », a évalué l’expérience du PPP dans les
pays du Golf et a rapporté, à cette occasion, que ces
Pays s’apprêtaient investir 500 milliards de USD et que
le partenariat public privé s’imposait comme le moyen
efficace pour la réalisation des objectifs de développement de ces pays.
Tout en mentionnant le succès enregistré jusque-là, dans
les pays du Golf, par le partenariat entre le secteur public
et le secteur privé, et tout en insistant sur le fait que le
(27) Coût estimé entre 50 et 60 Milliards USD par le directeur de Saudi Railways lors de la signature du contrat avec
l’entreprise FLOR (01/01/2013). Ce coût estimé une première fois en 2003 était de 7 Milliards de USD, ce qui porterait le coût
total des projets de 25 à 75 milliards USD.
(28) http://www.medea.be/2010/10/villes-economiques-en-arabie-saoudite-des-ilots-de-changement-au-pays-de-lor-noir/
(29) Voir Habib Allah Mohamed Turkistani, op.cit
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
42
Le Partenariat Public Privé :
Regard sur l’expérience de l’Arabie Saoudite
succès du PPP n’est pas directement corrélé avec l’existence d’un cadre juridique adéquat, le rapport en
question insiste sur la nécessité pour les pays du Golf de
mettre en place une règlementation qui leur permette de
tirer le maximum de bénéfice d’avantages du PPP.
A cet égard, il a été souligné dans ce rapport que de ces
pays, seul le Koweït disposait réellement à l’époque
(2008) du cadre réglementaire et législatif adéquat au
PPP, que Qatar et Abu Dhabi s’attelaient à mettre en
place une telle réglementation alors que les émirats et
l’Arabie Saoudite avaient pu faire jouer le PPP sans
avoir réellement le cadre réglementaire qui lui sied.
Beaucoup d’expériences, à travers le monde ont montré
cependant que l’existence d’un cadre juridique spécifique au PPP n’est pas nécessaire à sa réussite. c’est
ainsi que, par exemple dans le domaine des routes, en
Finlande, aux Pays Bas, en Norvège, pour ne citer que
ces exemples, il n'existe aucune législation spécifique
aux PPP.( Alvarez Robles, 2009)
3.2- l’expérience du PPP en Arabie Saoudite
En ce qui concerne l’Arabie Saoudite, le Partenariat
Public Privé a enregistré une grande avancée. Les
réformes menées depuis le début des années 2000 ont
fini par faciliter le recours au PPP et par l’encourager.
Aujourd’hui, le PPP intervient dans la majorité des secteurs de l’activité économique. Toutefois, il est quelques
problèmes rapportés à propos de cette expérience. ces
problèmes ressemblent, pour une part, à ceux rencontrés dans d’autres pays alors que d’autres sont plutôt
spécifiques aux conditions particulières, notamment culturelles, du pays.
En ce qui suit, nous essayons de donner les points forts
de l’expérience saoudienne du PPP ainsi que ses points
faibles les plus importants.
3.3.1- les points forts du PPP en Arabie Saoudite
De l’expérience saoudienne du PPP, il ressort quelques
points forts qui constituent des avantages certains pour
l’économie du royaume. Et parmi lesquels nous retiendrons surtout :
3.3.1.1- La mobilisation réussie du capital privé
Un simple regard suffit à voir à quel point le capital privé
national est impliqué dans le processus de développement du pays et, notamment, dans le cadre du PPP. Que
ce soit, en effet, dans les chemins de fer, dans le secteur
de l’eau, de l’électricité, des transports, de l’aéroportuaire, ou tout autre secteur, on rencontre toujours un ou
des opérateurs privés nationaux.
cette forte mobilisation du capital privé national dans le
cadre de l’investissement constitue un point important
car cela représente un atout non négligeable pour la
réussite des projet PPP en plus du fait que cela témoigne
de la grande confiance ressentie par ce capital à l’égard
du climat d’investissement au royaume ceci, à son tour,
est une condition de réussite du PPP car la réussite d’un
PPP exige, entre autre, « la mise en place d’un climat de
l’investissement robuste » (Delmon, 2010).
3.3.1.2- La diversification des entreprises étrangères
Il est clair aussi, au vu des différents contrats, que le
gouvernement saoudien a tenu à diversifier les partenaires étrangers. On rencontre dans les consortiums
engagés dans cette expérience des entreprises Françaises,
Américaines,
Malaysiennes,
Turques,
Britanniques, coréennes, chinoises…etc. Il va sans dire
que cette diversification est intéressante à plus d’un
égard et que son apport est considérable pour les opérateurs privés nationaux car, en plus des différents
savoirs et des différentes technologies développées çà
et là dans les pays des entreprises concernés, ces dernières leur apporteront aussi des pratiques différentes et
des cultures multiples qui enrichiront l’expérience de
l’opérateur privé national.
3.3.1.3- La diversification des types de contrats PPP
Parallèlement à la diversification des entreprises et des
cultures, le gouvernement saoudien a aussi procédé à
une diversification des types de contrat PPP. On rencontre en effet, le contrat de gestion, le contrat de
performance, le contrat d’assistance, la concession, le
BOO, le BOT, le BTO etc… l’intervention dans le cadre
de ces différents types de contrats étant différente, il va
de soi que l’intervention des opérateurs privés nationaux
dans le cadre de différents contrat PPP enrichit leur
expérience, ce qui constitue un autre apport considérable pour l’opérateur privé national.
3.3.1.4- Le choix des plus grandes entreprises au
niveau mondial
Dans le cadre du PPP, il est remarquable que le gouvernement saoudien ait choisi pour la réalisation des
différents projets certaines parmi les plus grandes et les
plus importantes entreprises mondiales dans leurs
domaines respectifs (Saur, EDF-Suez, Suez Environnement, Oger, veolia…). ceci est bénéfique à l’économie
nationale qui bénéficie ainsi des plus hautes normes
internationales et voit indiscutablement sa compétitivité
(2) Le principe du prepack est d’apporter, dès l’ouverture de la procédure, un plan pré-négocié avec les créanciers, que celui-ci
ait déjà fait l’objet d’un vote (pre-voted prepack) ou soit en passe de l’être (post-voted prepack).
(3) En France, pour les liquidateurs, le taux de dossiers impécunieux est particulièrement important.
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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améliorée, tout comme cela profite aux opérateurs privés
nationaux qui profiteront, entre autres, des meilleurs
transferts de savoirs et de pratiques.
3.3.2- Problèmes du PPP en KSA
En dépit de tous ces points positifs, le PPP en Arabie
Saoudite a connu aussi quelques insuffisances et rencontré quelques problèmes.
Une étude, réalisée en 2007 à Riyad auprès des opérateurs privés, a montré certaines insuffisances qui
continuent à peser sur le bon fonctionnement du PPP en
Arabie saoudite. Parmi ces problèmes, on retient surtout
3.3.2.1- Les problèmes d’ordre administratif
Les problèmes d’ordre administratif sont nombreux et
constituent un véritable problème pour les opérateurs privés qui s’en plaignent fréquemment. Dans ce registre, on
note surtout :
a- La prédominance de l’appareil administratif
b- La lourdeur de l’administration publique
c- L’absence ou l’insuffisance des textes et règlements
Selon cette étude (citée par Azmi, 2009), il ressort que la
majorité des hommes d’affaires interrogés trouvent la
législation en place (surtout dans le domaine du travail,
la décision de 2008 qui oblige le secteur privé à avoir un
pourcentage des travailleurs de nationalité saoudienne)
décourageante pour le secteur privé puisqu’elle ne tient
pas compte de la rentabilité.
d- Une concentration prononcée de la décision (les structures régionales et locales de l’administration n’ont pas
le pouvoir de décision par maque de délégation) .
e- Le déficit a communication et les relations avec les
représentants du secteur public (fonctionnaires). A cet
effet, 80% des hommes d’affaires interrogés déclarent
qu’il existe un grand déficit de communication chez les
représentants du secteur public. En effet, 55% des responsables de l’administration publique ne saisissent pas
exactement l’importance du secteur privé dans l’activité
économique en Arabie Saoudite et, de ce fait, ne sont
pas portés à communiquer avec les représentants de ce
secteur.
f- Il ressort de la même étude que les opérateurs privés
se plaignent d’une absence ou d’une insuffisance de
représentativité du secteur privé dans les instances de
décisions économiques.
g- Parmi les problèmes rencontrés par le partenariat
public privé en Arabie Saoudite, il y a aussi lieu de noter
celui relatif à la ségrégation à l’égard des femmes.
En effet, les femmes étant séparées des hommes, elles
doivent s’adresser à des services spécialement conçus
pour femmes. Malheureusement, ces services n’existent
pas en quantité suffisante et ceux qui existent ne couvrent pas tous les domaines. Il y a un manque de
services administratifs réservés aux femmes entrepreneurs ce qui constitue un empêchement sérieux à leur
participation dans le cadre du PPP.
3.3.2.2- La difficile capitalisation du savoir
En plus des problèmes d’ordre administratif ci-dessus
mentionnés, il est nécessaire de souligner certains problèmes d’ordre législatif qui font que toute l’expérience
ainsi acquise par l’opérateur privé national saoudien
dans le cadre du PPP ne sera malheureusement pas
capitalisée convenablement.
En effet, si la gestion des entreprises privées saoudiennes est généralement assurée par des cadres
saoudiens, leur personnel d’exécution est cependant
constitué uniquement de main d’œuvre étrangère. Or, la
législation en place réglemente le séjour de cette main
d’œuvre d’une manière qui oblige les entreprises à changer cette main d’œuvre après une certaine période (5 ou
6 ans). De cette manière, se pose un véritable problème
de socialisation du savoir qui empêche ces entreprises
de capitaliser sérieusement leurs connaissances.
3.3.2.3- La performance insuffisante du secteur privé
Le PPP en Arabie Saoudite rencontre aussi quelques
problèmes d’ordre socio-culturel qui en ont empêché une
plus grande contribution et une meilleure participation au
processus de développement voulu par l’Etat.
Généralement, dans le secteur privé en Arabie Saoudite,
le management est assuré par le propriétaire et non par
des managers professionnels. Les propriétaires résistent
encore à la séparation entre la propriété et le management et, selon certains chercheurs saoudiens (Azmi,
2009), ceci est dû à l’individualisme prononcé qui
marque l’homme d’affaires Saoudien et qui donne lieu à
un refus de la croissance externe, celle qui recourt aux
opérations d’alliance et autres intégrations ou fusions
(Azmi, 2009). Il va sans dire que ce comportement des
entrepreneurs saoudiens empêche le secteur privé de
bénéficier des avantages que procurent cette forme de
croissance tels que la réduction des coûts, les économies d’échelle, le transfert de savoir, la compétitivité, la
complémentarité, l’additivité…etc.
Si cette tendance prononcée chez l’entrepreneur saoudien pour le contrôle individuel empêche le secteur privé
de dépasser un certain seuil sur le plan de la gestion et
des performances, elle empêche aussi, d’un autre côté,
le développement du PPP qui est basé, pour sa part, sur
ces opérations d’alliances et de regroupements car ce
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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Le Partenariat Public Privé :
Regard sur l’expérience de l’Arabie Saoudite
sont justement ces opérations qui lui procurent des avantages compétitifs supplémentaires à même de lui
permettre d’ambitionner de faire face aux grandes entreprises mondiales et lui assurent en même temps un
transfert de savoir-faire.
Par ailleurs, il est à noter que dans le cadre du PPP, certains projets enregistrent beaucoup de retard dans leur
réalisation, à l’image du HHR dont le délai de mise en
service était 2014 est qui, à présent est repoussé à fin
2016 .
Conclusion
Dans ce papier, nous avons jeté un regard sur l’expérience saoudienne en matière de PPP. ce qu’il y a lieu
de retenir de cette expérience c’est que, d’abord, il existe
une forte volonté du gouvernement et des plus hautes
autorités du royaume à réussir cette expérience, d’autant
plus que cette dernière est inscrite dans le cadre d’une
stratégie très ambitieuse de développement du pays.
cette volonté affichée constitue un sérieux avantage
pour la réussite de l’expérience et du PPP de manière
générale car, parmi les facteurs de réussite du PPP, il y
a lieu de retenir « la volonté politique de créer un PPP,
ainsi que le régime juridique et régle¬mentaire apte à
promouvoir le PPP. » (Delmon, 2010, p.18)
Les chances de cette réussite sont renforcées aussi par
un engagement remarquable du capital privé dans le
processus de développement et qui s’observe, notam-
ment, à travers sa forte présence dans l’expérience du
PPP qui continue d’être menée.
Par ailleurs, en procédant à des réformes qui ont permis
d’améliorer le climat d’investissements, le gouvernement
saoudien a réussi à attirer les grandes entreprises étrangères dont il est attendu qu’elles participent
sérieusement à hisser le niveau de la compétitivité de
l’économie nationale pour le ramener à un niveau mondial.
Toutefois, certains problèmes d’ordres différents, sont
venus atténuer quelque peu des résultats de cette expérience. Sur le plan économique, il s’agit notamment du
retard enregistré dans la réalisation de certains projets
comme l’extension de l’aéroport de Djeddah ou la réalisation des villes économiques, ce qui a eu pour
conséquence de repousser des échéances importantes
comme celle de la délocalisation et celle du recrutement
tant attendues.
cependant, à notre avis, les problèmes les plus importants demeurent d’ordre culturel, comme le problème de
type managérial résultant de la résistance à la séparation
entre la propriété et le management, le problème de la
difficile capitalisation du savoir à cause de la législation
relative à la main d’œuvre étrangère etc…
cette expérience du PPP est certes très intéressante
mais il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur cette expérience qui n’est toujours en cours et
qui s’étendra, pour certains cas, jusqu’en 2040.
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
46
Le Contrat de Partenariat en France :
Sujet de Controverses et Objet De Paradoxes
RésUMé
ABstRAct
cet article évoque les partenariats publics-privés sous
l’angle juridique des contrats globaux dont l’intérêt prépondérant est de permettre un préfinancement privé des
équipements publiques depuis bientôt une dizaine d’années alors qu’il demeure un sujet de controverses. Mais,
au-delà de ces éléments, l’article montre que ce contrat
de partenariat reste un outil juridique qu’il convient de
savoir manier, d’autant plus que sa conception française
s’avère l’objet de certains paradoxes dans une nouvelle
logique de gestion publique visant à accroître l’efficience
et à maitriser le montant des dépenses publiques par
une approche en coût global.
This article discusses the public-private partnerships in
the legal angle of global contracts whose overriding interest is to allow a private pre-financing of public facilities
for nearly a decade, while still a subject of controversy.
But beyond these, the paper shows that this partnership
agreement remains a legal tool that should know how to
handle, especially as its French design turns the object
of some paradoxes in a new logic of public management
to increase efficiency and to master the amount of public
expenditure by a total cost approach.
Keywords : Public-Private Partnerships, Efficiency,
Global Contract, French Law
Mots clefs : Partenariats Publics-Privés, Efficience,
Contrat Global, Droit Français
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
47
Hubert DELZANGLES
Sciences Po Bordeaux
Gaële cHAMMING’S
Avocat au Barreau de Bordeaux
Introduction
Les contrats de partenariat, créés en France par l’ordonnance n°2004-559 du 17 juin 2004, voient souvent leur
nom oublié pour être seulement qualifiés par une dénomination générique dans laquelle ils s’inscrivent : les
Partenariats Public - Privé (PPP). ces derniers, au sens
large, n’ont pas de réelle définition juridique précise.
Selon le rapport de l’OcDE de 2008 il s’agit d’un
« Accord entre l’Etat et un ou plusieurs partenaires privés
(parmi lesquels figurent éventuellement les opérateurs et
les financiers) en vertu duquel les partenaires privés
fournissent un service selon des modalités qui permettent de concilier les buts de prestation poursuivis par
l’Etat et les objectifs de bénéfice des partenaires privés,
l’efficacité de la conciliation dépendant d’un transfert suffisant du risque aux partenaires privés ». Dès lors, les
contrats de partenariat s’inscrivent dans la famille des
modèles contractuels connus en France associant le
secteur public et le secteur privé comme les modèles
concessifs (concession et affermage par exemple), les
baux emphytéotiques administratifs de droit commun et
sectoriels et les autorisations d’occupation temporaire.
ces contrats de partenariat s’inscrivent dans une nouvelle logique de gestion publique visant à en accroître
l’efficience et à maitriser le montant des dépenses
publiques par une approche en coût global1. Elle redéfinit
donc les frontières entre secteur public et secteur privé
en introduisant dans la sphère administrative des
méthodes issues de la sphère privée. Par conséquent,
avec ces contrats, la place de l'Etat dans le secteur
économique évolue, passant d'un rôle d'opérateur direct
à un rôle d'organisateur, de régulateur et de contrôleur.
Les contrats de partenariat forment aussi une réponse à
la pauvreté et l’inadaptation des formules de la commande publique en France reposant sur le système
binaire constitué des délégations de service public et des
marchés publics.
Dans le cadre des réformes de l’achat public, l’opportunité d’adapter le système des Private Finance Initiative
(PFI) britanniques est donc envisagée avec intérêt. La
Grande-Bretagne a, en effet, lancé cette politique dans
la mouvance du New Public Management au début des
années 90 sous le gouvernement de John Major. Le Private Finance Initiative vise à favoriser la participation du
secteur privé à la réalisation d’infrastructures et de services publics2. Le PFI est devenu alors le principal
instrument du Gouvernement britannique pour redynamiser le service public. Il a même été relancé par le New
Labour et Tony Blair en 1997 pour financer le programme
de constructions scolaires et hospitalières. cette politique est censée permettre d’assurer une valeur effective
en contrepartie d’un coût : « value for money » et d’en
définir les éléments de performance : « Best value for
money ». Dans ce cadre, les entreprises privées deviennent des fournisseurs à long terme et non plus des
constructeurs d’équipements. Elles combinent la conception (Designing), la construction (Building), le
financement (Financing) et l’exploitation (Operating) des
ouvrages dans le cadre des relations qui les unissent à
la puissance publique. Il s’agit de contrats DBFO, qui
correspondent aux contrats de partenariat lorsque le service est vendu au secteur public et non rentabilisé par
des péages à l’instar d’une logique concessive.
L’idée des contrats de partenariat, même si elle n’a pas
toujours été promue, a été relayée par les instances
internationales et plus spécifiquement européennes. La
Banque mondiale a mis en avant l’opportunité du modèle
partenarial pour les pays en voie de développement3,
comme ils sont utilisés dans les pays européens, les
Etats-Unis et le canada par exemple4. La commission
des Nations Unies pour le droit commercial international
(cNUDcI) a aussi relayé les bienfaits de ce type de montages afin de moderniser la législation des Etats relative
aux projets d’infrastructures à financement privé. En
revanche, si les contrats de partenariat ont été pris en
compte par les institutions de l’UE, il n’est pas possible
de dire que ces dernières en ont fait une réelle promotion. Dans le livre vert sur les partenariats public-privé et
le droit communautaire des marchés publics et des
concessions du 30 avril 20045, la commission évoque
« le phénomène PPP » et explique le recours accru aux
opérations de PPP par différents facteurs. Il s’agit
d’abord des contraintes budgétaires auxquelles doivent
faire face les Etats membres, ensuite de la capacité de
ce contrat à répondre à un besoin d'apport de financement privé pour le secteur public, et enfin de l’intérêt des
contrats de partenariat pour bénéficier davantage du
savoir-faire et des méthodes de fonctionnement du secteur privé dans le cadre de la vie publique.
(1) Sur ce point, CHAMMING’S G. (2011), Le droit français de la commande publique à l’épreuve du contrat de partenariat.
Du partage des risques à la réforme de l’Etat, Thèse, Bordeaux IV.
(2) Sur ce point voir Maret J. Les contrats de partenariat public – privé, action publique et performance, thèse soutenue
le 8 janvier 2013, Limoges, dactyl., p. 50 et s.
(3) « Autoroute de l’avenir : Dakar s’offre le 2ème PPP routier subsaharien ». Revue les Afriques. N°114, avril 2010
(4) Voir pour une étude canadienne : L. PREFONTAINE et al.(2009). La capacité partenariale, pilier de la réussite d’un
partenariat public-privé. RFPA, n°130, p. 323
(5) Livre vert de la Commission [COM (2004) 327 final]
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
48
Le Contrat de Partenariat en France :
Sujet de Controverses et Objet De Paradoxes
L’intérêt pour ce type de contrats s’est répandu en
Europe, particulièrement chez nos proches voisins. En
témoigne l’exemple italien6 ou même espagnol puisque
ces derniers ont créé, avec la loi régissant les contrats
du Secteur Public (LcSP), du 30 octobre 2007 des
contrats de collaboration entre le secteur public et le secteur privé7.
En France, à la fin des années 1990, le marché d’entreprise de travaux publics (METP), fruit de la seule
ingénierie juridique consacrée par la jurisprudence8, a
été expérimenté par les personnes publiques en vue de
constituer un contrat d’un troisième type à côté du
marché public et de la délégation de service public. ce
marché d'entreprise de travaux publics, couramment
défini comme « un contrat de longue durée, qui confie la
construction et l'exploitation - ou seulement l'exploitation
- d'un ouvrage public à une entreprise, moyennant une
rémunération par la collectivité publique »9 représentait
bien une nouvelle formule contractuelle présentant certains avantages en termes de financements10. Un régime
juridique non défini et certains abus ont fait que ces
contrats ont été requalifiés de « marchés publics » par le
conseil d’Etat dans un arrêt de 199911 et donc prohibés.
Pour autant, comme le souligne justement Fabrice Melleray12, ce que l'action conjuguée du juge administratif et
du pouvoir réglementaire avait apparemment anéanti a
pourtant commencé à renaître partiellement de ses cendres grâce au législateur par l’intermédiaire des contrats
de partenariat13.
Le conseil constitutionnel ne s’y est pas trompé et a
entouré ces contrats des précautions de rigueur, comme
en témoigne la réserve d’interprétation de la décision du
26 juin 2003 relative à la loi habilitant le gouvernement à
simplifier le droit. Il estime à ce propos : « qu'aucune
règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle n'impose de confier à des personnes distinctes la
conception, la réalisation, la transformation, l'exploitation
et le financement d'équipements publics, ou la gestion et
le financement de services » et « qu'aucun principe ou
règle de valeur constitutionnelle n'interdit non plus qu'en
cas d'allotissement, les offres portant simultanément sur
plusieurs lots fassent l'objet d'un jugement commun en
vue de déterminer l'offre la plus satisfaisante du point de
vue de son équilibre global ». Mais il précise toutefois
que : « la généralisation de telles dérogations au droit
commun de la commande publique ou de la domanialité
publique serait susceptible de priver de garanties légales
les exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité
devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics ;
que, dans ces conditions, les ordonnances prises sur le
fondement de l'article 6 de la loi déférée devront réserver
de semblables dérogations à des situations répondant à
des motifs d'intérêt général tels que l'urgence qui s'attache, en raison de circonstances particulières ou
locales, à rattraper un retard préjudiciable, ou bien la
nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d'un équipement
ou d'un service déterminé »14.
Dans le prolongement de la décision constitutionnelle
validant le principe des contrats globaux bien qu’encadrés dans un régime dérogatoire, les prémisses de la
philosophie contractuelle des contrats de partenariat
avaient déjà été posées avec l’ordonnance du 4 septembre 2003 créant les baux emphytéotiques hospitaliers en
faisant émerger la notion de « répartition des risques »
entre les deux partenaires. Par la suite l’ordonnance du
17 juin 2004 va créer les contrats partenariat dans une
forme dont le régime juridique sera profondément modifié par la loi de réforme n° 2008- 735 du 28 juillet 2008
s’agissant des modalités de financements mais dont la
notion de partage des risques deviendra le pilier.
ces contrats globaux, dont l’intérêt prépondérant est de
permettre un préfinancement privé des équipements
publiques est depuis bientôt une dizaine d’années un
sujet de controverses (I). Mais, au-delà de ces éléments,
(6) Voir aussi l’Italie, F. BOUGRAIN, J. CARASSUS et M. COLOMBARD-PROUT, Partenariat Public Privé et bâtiment en Europe :
Quels enseignements pour la France ? Retour d’expériences du Royaume-Uni, d’Italie, du Danemark et de France, Presses de
l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, 2005, p.13.
(7) Loi n°30/2007, 30 octobre 2007, relative aux Contrats du Secteur Public (de Contratos del Sector Público), BOE du 31
octobre 2007.
(8) CE, 11 décembre 1963, Ville de Colombes, req. n°55972, Rec. p. 612
(9) C. Bergeal, concl. sur CE 8 février 1999, Préfet des Bouches-du-Rhône c/ Commune de La Ciotat AJDA 1999, p. 365; RFDA
1999, p. 1172, chron. S. Braconnier.
(10) Notamment « la réalisation immédiate d'un ouvrage sans avoir recours à l'emprunt ni à l'impôt », voir Yann Aguila, Notion
et régime du METP, in Guide juridique et pratique du METP, EFE, 1995, p. 54-55
(11) CE, 8 fév. 1999, Préfet des Bouches-du-Rhône contre Commune de la Ciotat, Req. n°150931,Rec., p. 19
(12) Melleray F. (2003), Le marché d’entreprise de travaux publics, un nouveau lazare juridique ?, AJDA, p. 1260. Voir aussi,
Rapp L. (2005), Aux origines du contrat de partenariat, Droit et ville, n°60, p. 29.
(13) Ord. n° 2004-559, sur les contrats de partenariat : Journal Officiel 19 Juin 2004 ; JCP G 2004, act. 329, en bref S.
Braconnier ; JCP E 2004, act. 146; JCP A 2003, 1890)
(14) Linditch F. (2003), Les partenariats public-privé devant le conseil constitutionnel, note sous Cons. Const., 26 juin 2003, DC
n°2003-473, JCP A, p. 1293. Voir aussi, Terneyre P. (2003), Les nouveaux contrats de partenariat et la typologie des partenariats
public-privé, RDI, p. 520
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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le contrat de partenariat reste un outil juridique qu’il
convient de savoir manier, d’autant plus que sa conception française s’avère l’objet de certains paradoxes (II).
I – Le contrat de partenariat français : sujet de
controverses
Le contrat de partenariat fait l’objet de débats passionnés mais aussi d’une critique récurrente dans les
médias spécialisés ou les revues juridiques. Son parcours a été semé d’embûches dès sa consécration puis
tout au long de son évolution.
A – Un avènement discuté
Si les dérives des marchés d’entreprise de travaux
publics et les évolutions du droit de la commande
publique ont fait émerger la nécessité de concevoir un
nouveau contrat global, ce dernier a fait l’objet de nombreuses critiques dès sa création.
1 – Les partisans du contrat global
Selon Alain Ménéménis il s’agit bien d’une « nouvelle
forme » de contrats publics15. Le paysage français de la
commande publique était auparavant binaire. Tout ce qui
n'était pas qualifié de marché public relevait de la
délégation de service public et réciproquement. Le
contrat de partenariat est, depuis 2004, reconnu comme
un troisième type de contrats empruntant, d’une part, au
marché public, le système du paiement public (et non le
paiement par l’usager) et d’autre part, à la délégation de
service public, et notamment à la concession, l'étalement
de la charge financière et le transfert ou le partage des
risques avec l'opérateur privé. Finalement, il réhabilite la
concession à péage à paiement public16.
Les partisans du contrat de partenariat, et parmi eux le
gouvernement de l’époque, pensaient que de tels
contrats globaux de longue durée, par lesquels des personnes publiques confieraient à des opérateurs
économiques aussi bien le financement d'ouvrages ou
d'équipements que leur conception, leur construction,
leur entretien et leur exploitation, en transférant la maitrise d'ouvrage et en rémunérant leurs cocontractants en
tout ou partie par des paiements échelonnés tout au long
de la durée des contrats, présenteraient des avantages
décisifs.
ces formules contractuelles faciliteraient la réalisation
des projets que l'état des finances publiques ne permettait et ne permet toujours pas d'envisager sans étalement
du coût sur de nombreuses années emportant un préfinancement privé. Elles pouvaient procurer, sur le long
terme, une plus grande efficacité économique et des
gains financiers. En effet, « alors même qu'un financement privé est, a priori, plus coûteux qu'un financement
public, des économies substantielles résulteraient
notamment de la réduction des coûts de transaction liée
à l'intégration des tâches de réalisation et d'exploitation
et de la capacité des opérateurs privés à utiliser les équipements publics de façon optimale, par exemple en ne
négligeant pas de les entretenir régulièrement ou en ne
les laissant pas sans emploi quand ils ne sont pas
nécessaires au service public »17. Plus généralement, on
postulait les bienfaits du passage « d'une logique de
moyens à une logique de résultats, dans laquelle le partenaire de l'administration se voyait assigner des
objectifs de performance et était incité à les atteindre
voire à les dépasser par des mécanismes financiers
adéquats »18. Au-delà de cette vision idéaliste des
choses, des critiques ont émergé dans la pratique.
2 – Les pourfendeurs en action
Trois types de critiques ont émergé tenant à des
considérations politiques, opérationnelles et institutionnelles.
En premier lieu, la critique politique s’est centrée sur l’argument d’une dérive de l’usage des deniers publics par
le paiement différé. ce dernier est interdit par le code
des marchés publics et son article 9619. Or, l’avantage du
paiement différé est bien de déconsolider la dette des
collectivités et de l’Etat. A ce titre, l’agence européenne
Eurostat a précisé, dans une décision du 11 février 2004
relative au traitement des partenariats public-privé, les
critères de la déconsolidation. Elle recommande que les
actifs liés à un partenariat public-privé soient classés
comme actifs non publics et ne soient donc pas enregistrés dans le bilan des administrations publiques si les
deux conditions suivantes sont réunies. D’une part, le
partenaire privé doit supporter le risque de construction
et, d’autre part, le partenaire privé doit supporter au
(15) Menemenis A. (2004), L’ordonnance sur les contrats de partenariat : heureuse innovation ou occasion manquée ?,
AJDA, p. 1737.
(16) Linotte D., (2005), Un cadre juridique désormais sécurisé pour les contrats de partenariat, AJDA, p. 16.
(17) Menemenis A. (2004), L’ordonnance sur les contrats de partenariat : heureuse innovation ou occasion manquée ?,
AJDA, p. 1737.
(18) Menemenis A. (2004), L’ordonnance sur les contrats de partenariat : heureuse innovation ou occasion manquée ?,
AJDA, p. 1737.
(19) Article 96 Code des marchés publics : « Est interdite l'insertion dans un marché de toute clause de paiement différé ».
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
50
Le Contrat de Partenariat en France :
Sujet de Controverses et Objet De Paradoxes
moins l'un des deux risques suivants : celui de disponibilité ou celui lié à la demande20.
Il semble qu’Eurostat ait voulu prendre en compte les
efforts menés pour accroître l'efficacité des dépenses
publiques et pour améliorer la qualité des services
publics dans le cadre des contrats de partenariat. De
surcroît, l’initiative de croissance européenne, approuvée
par le conseil Européen en décembre 2003, fixe comme
un des objectifs de promouvoir l'usage de ces partenariats, notamment afin de développer des infrastructures
relatives à la croissance. La question sera évoquée plus
en avant mais cette situation a perduré en France
jusqu’à la réforme engagée par l’arrêté du 16 décembre
2010 pour la partie relative à la dette d’investissement.
En deuxième lieu, une critique opérationnelle, émanant
des maîtres d’œuvre (les architectes) a aussi fait grand
bruit. En effet, le régime juridique des contrats de partenariat permet de déroger à la loi n° 85-704 du 12 juillet
1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses
rapports avec la maîtrise d'œuvre privée aux relations
dite loi MOP. L’article 12 de l’ordonnance (pour l’Etat) et
L 1414-13 du cGcT (pour les collectivités territoriales)
disposent que : « Lorsque la personne publique ne
confie au cocontractant qu'une partie de la conception
des ouvrages, équipements ou biens immatériels, elle
peut elle-même, par dérogation aux dispositions du quatrième alinéa de l'article 7 de la loi n° 85-704 du 12 juillet
1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses
rapports avec la maîtrise d'œuvre privée, faire appel à
une équipe de maîtrise d'œuvre pour la partie de la
conception qu'elle assume ». cette disposition dérogatoire précise très clairement que pour les contrats de
partenariat, et dès lors que la personne publique souhaite confier à un architecte en amont la conception
architecturale de son projet, ce dernier verrait le principe
du contrat unique de sa mission complète prévue par la
loi MOP amputé de toutes les phases postérieures aux
« avant-projet »21. cette amputation constitue pour les
maîtres d’œuvre –les architectes- un manque à gagner
sur une mission de base de type MOP et explique les
contestations.
En troisième lieu, le juge a servi d’intermédiaire pour
faire face à la critique institutionnelle. Le gouvernement
a créé, avec le décret n° 2004-1119 du 19 octobre 2004
la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat ayant un rôle consultatif incontournable pour les
projets de l’Etat et facultatif pour les collectivités territoriales. Le décret n° 2011-709 du 21 juin 2011 est venu
modifier celui du 19 octobre 2004 en étendant le champ
de compétence de la mission rebaptisée « mission d’appui aux partenariats public-privé » (MAPPP), permettant
ainsi de procéder aux analyses et avis des autres
modèles contractuels22.
Pour les contrats de partenariat, l’organisme d’expertise
est chargé d’apporter un appui aux collectivités
publiques mais aussi aux acteurs professionnels lors de
la préparation des contrats de partenariat. Elle peut rendre une expertise sur l’économie générale de l’opération
et aider la personne publique porteuse du projet à
procéder à l’étude d’évaluation requise. La mission
apporte également un concours pendant la phase d’attribution et de négociation des contrats. Elle est
obligatoirement saisie pour avis sur tout projet de contrat
de partenariat lancé au niveau de l’Etat ou d’un de ses
établissements publics, et doit valider le principe du
recours au contrat au regard de l’évaluation préalable qui
lui est soumise par le pouvoir adjudicateur. Elle est de
nouveau saisie en fin d’attribution afin d’apprécier l’impact sur les finances publiques et la soutenabilité
budgétaire du contrat avant sa signature. Les collectivités territoriales, quant à elles, peuvent saisir la MAPPP
si elles le souhaitent pour bénéficier d’un avis motivé.
cependant, à sa création la MAPPP a été remise en
cause par un contentieux initié par le Barreau de Paris.
ce dernier se fondait sur une potentielle atteinte à la libre
concurrence par le rôle « d’expert » confié à la MAPPP.
Les requérants n’ont pas eu gain de cause. Le conseil
d’Etat a, en effet, estimé qu’« en chargeant la mission
d'appui à la réalisation des contrats de partenariat d'apporter aux personnes publiques qui le lui demandent un
appui dans la préparation, la négociation et le suivi des
contrats de partenariat, l'article 2 du décret attaqué s'est
(20) Le risque de construction couvre notamment la date de mise à disposition du bien, son coût final et sa qualité technique ;
ce risque est affecté au secteur public si, par exemple, des loyers sont versés au partenaire privé sans qu’il soit tenu compte
de l’état de l’actif au moment de sa mise à disposition ; ainsi pour la MAPPP, « l’obligation de l’Etat de commencer à effectuer
des paiements réguliers à un partenaire sans tenir compte de l’état effectif des actifs est la preuve que l’Etat supporte la
majorité des risques de construction » ; le risque de disponibilité couvre la mise à disposition de l’actif selon les stipulations
contractuelles mais également le maintien de cette disponibilité pendant toute l’exécution du contrat ; il peut être mesuré en
fonction du niveau de pénalité appliqué à la personne privée en cas d’indisponibilité ; le risque de demande correspond à la
variation de l’utilisation du bien par les usagers.
(21) A l’appréciation du comité scientifique pour développement.
(22) Il s’agit en particulier des baux emphytéotiques administratifs (BEA) et des autorisations d’occupation temporaire du
domaine public (AOT) pour qui l’évaluation préalable au sens de l’ordonnance devient un prérequis pour tous les contrats
supérieurs à un million d’euros HT de redevance par an.
Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015
51
borné à mettre en œuvre la mission d'intérêt général, qui
relève de l'Etat, de veiller au respect, par les personnes
publiques et les personnes privées chargées d'une mission de service public, du principe de légalité ; (...) que
par suite, les dispositions (...) n'ont eu ni pour objet, ni
pour effet de méconnaître le principe de la liberté du
commerce et de l'industrie et le droit de la concurrence »23.
En quatrième et dernier lieu, si la critique n’a pas
débordé du cercle des spécialistes, il convient quand
même de relever que la définition du contrat de partenariat révèle un périmètre assez discutable et
problématique. En effet, pour ne pas chevaucher le
champ des délégations de service public, le contrat de
partenariat est le support de l’exercice du service public
(ouvrages ou équipements nécessaires au service public
et autres prestations de services concourant à l'exercice,
par la personne publique, de la mission de service public
dont elle est chargée). La délimitation entre ce qui relève
du service public et ce qui relève du support ou de prestations annexes est évidemment très délicate24.
certaines de ces critiques ont trouvé écho dans les positions du législateur venu réformer à plusieurs reprises
cette formule contractuelle, pour faciliter son utilisation
mais aussi parfois pour l’encadrer.
B – Une mise en œuvre réajustée
Face à ce flot de critiques et au manque d’engouement
des organismes publics pour ce type de contrats25, le
législateur et le pouvoir réglementaire se sont emparés
de la question. Une succession de réformes est venue
consolider, peut-être pas toujours à bon escient, le
régime juridique des contrats de partenariats.
1 – La réforme législative du 28 juillet 2008 :
loi 2008-735
Le nouveau texte de 2008 devait permettre de remettre
la notion de résultats au centre de la démarche contrac-
tuelle et de rendre attractive cette formule de coopération
entre le secteur public et le secteur privé. Néanmoins, il
convient de rappeler que le conseil constitutionnel avait
déjà largement encadré le recours à ce type de contrats
en précisant son caractère occasionnel26.
Dès lors, la loi du 28 juillet 2008 apporte une série
d’ajouts au texte de 200427.
Au-delà de la possibilité, de céder les créances sous
conditions28, de l’opportunité de confier une régie des
recettes au partenaire privé ou de certains allégements
procéduraux et fiscaux29, le législateur a saisi l’occasion
d’introduire dans le régime juridique des contrats de partenariat trois nouveautés essentielles.
En premier lieu, le champ d’application a été revu. Dans
la version initiale, d’une part, le texte soumis au conseil
constitutionnel élargissait les conditions de recours dans
certains secteurs souffrant d'un important retard d'investissement : il s’agissait par exemple des universités, des
hôpitaux, des commissariats, des prisons, des infrastructures de transport etc... Dans ces domaines, le texte
prévoyait que la condition d'urgence serait toujours satisfaite sous la seule réserve que l'évaluation ne soit pas
défavorable. ce volet a fait l’objet d’une censure de la
part du conseil qui a considéré qu’il avait pour effet de
limiter la portée de l'évaluation préalable et d'empêcher
le juge d'exercer son contrôle sur le caractère d'urgence30. ce faisant, le conseil a confirmé ses
jurisprudences du 26 juin 200331 et du 2 décembre
200432 dans lesquelles il estimait qu'une telle généralisation des contrats de partenariat privait de garanties
légales les exigences constitutionnelles inhérentes à
l'égalité devant la commande publique, à la protection
des propriétés publiques et au bon usage des deniers
publics.
Néanmoins, le législateur a quand même introduit un
nouveau cas d’utilisation de la formule du partenariat, il
s’agit du bilan économique favorable prenant place à
(23) CE, 31 mai 2006, Avocats du Barreau de Paris, req. n°275987, Rec. p. 272.
(24) Sur ce point voir infra.
(25) Etat des lieux : à peine 30 contrats signés à la veille de la réforme législative d’où une nécessité de relancer l’outil (172 au
30 avril 2013 – source MAPPP- dont 133 par les collectivités territoriales et 39 par l’Etat).
(26) Cons. const., déc., 26 juin 2003, n° 2003-473 DC, loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit : Rec. Cons. const.
2003, p. 382 ; Journal Officiel 3 Juillet 2003 ; JCP A 2003, act. 348.
(27) Pour une étude détaillée de ces ajouts, LINDITCH F. (2008), Premier regard sur la loi n°2008-735 du 28 juillet 2008 relative
aux contrats de partenariat. JCP A, n°37, p. 17.
(28) Pour faciliter le refinancement du titulaire du contrat, le législateur a banalisé le recours à la cession de créance. Le
contrat peut donc prévoir qu'une fraction n'excédant pas 80 % de la rémunération due par la personne publique au titre des
coûts d'investissement peut être cédée.
(29) S’agissant des allègements fiscaux, pour que les contrats de partenariat puissent être comparés et mis en concurrence
avec les autres types de commande publique, le législateur leur a accordé une série d'avantages financiers et fiscaux
comparables à ceux des marchés publics et destinés à assurer la neutralité de la formule.
(30) Cons. const., déc., 24 juill. 2008, n° 2008-567 DC
(31) Cons. const., déc., n° 2003-473 DC, préc.
(32) Cons. const., déc., n° 2004-506 DC : Rec. Cons. const. 2004, p. 211 ; Journal Officiel 10 Décembre 2004
Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015
52
Le Contrat de Partenariat en France :
Sujet de Controverses et Objet De Paradoxes
côté de la complexité et de l’urgence. L’article 2 de l’ordonnance et L 1414-2 du cGcT prévoient en effet
désormais la possibilité de recourir à la formule si
« compte tenu soit des caractéristiques du projet, soit des
exigences du service public dont la personne publique est
chargée, soit des insuffisances et difficultés observées
dans la réalisation de projets comparables, le recours à un
tel contrat présente un bilan entre les avantages et les
inconvénients plus favorable que ceux d'autres contrats de
la commande publique. Le critère du paiement différé ne
saurait à lui seul constituer un avantage ».
Quelques remarques peuvent être avancées sur ce nouveau cas d’utilisation du contrat de partenariat. Il
convient de noter tout d’abord que si le critère du paiement différé n'est pas exclu des avantages à prendre en
compte, à lui seul, en revanche, il ne peut constituer un
avantage. Ensuite, le texte encadre les éléments d’appréciation du bilan par trois critères. Mais la question
peut être posée de savoir, au regard de l’amplitude de
ces critères permettant une ouverture plus large de
l’accès à ces contrats, quelle sera la position du juge
administratif. Il est d’ailleurs possible de considérer que
ce critère n’a, a priori, rien de juridique car il est superposé à la démonstration de l’analyse comparative avec
un schéma de référence dans l’évaluation préalable et il
est subordonné à la démonstration de la complexité pour
avoir recours au dialogue compétitif dans le cadre de
l’application de la directive 2004/18/cE. Faire la seule
démonstration d’un bilan économique favorable ouvre
droit à une procédure de passation en la forme d’un
appel d’offres, excluant dès lors toute négociation ou dialogue avec les opérateurs privés candidats, modèle de
passation par excellence du cP33.
En deuxième lieu, le législateur a supprimé l’assurance
dommage ouvrage obligatoire pour les contrats passés
par l’Etat et ses établissements publics. L'objectif
recherché était certainement de parvenir à une diminution du coût global des contrats en retirant les frais
relativement élevés résultant de l'assurance dommage
ouvrage obligatoire. L'article initialement prévu dans le
projet englobait tous les contrats quel qu’en soit le partenaire public. Il a été supprimé par le Sénat puis
partiellement rétabli par l'Assemblée nationale qui a
quand même limité la dispense d'assurance aux seuls
contrats de partenariat passés par l'État et ses établissements publics. Sans y voir indubitablement un avantage
concédé aux très gros entrepreneurs, il convient tout de
même de souligner que l’argument du conseil constitutionnel pour justifier ce traitement différent est très
critiquable. En effet, ce dernier a considéré qu'au regard
de « la capacité de faire face au risque financier résultant
de la défaillance du cocontractant, l'État et ses établissements publics ne se trouvent pas dans une situation
identique à celle des collectivités territoriales et de leurs
établissements publics ». Si l’Etat est effectivement son
propre assureur, le coût en sera quand même supporté
par l’ensemble de la collectivité.
En troisième lieu, le législateur a autorisé la valorisation
patrimoniale des biens du domaine privé des collectivités
publiques (les biens du domaine public en sont exclus)34.
ce faisant il permet donc aux personnes publiques de
diminuer la charge des redevances par « compensation ». Il convient de souligner à ce titre que le texte
précise bien qu’il s’agit de valoriser la dépendance
domaniale. cela montre théoriquement qu’il ne s’agit pas
d’une simple source de revenus. Mais, là encore, la
limite entre valorisation et simple profit est difficile à tracer. En outre, les baux ou les droits réels constitués par
le titulaire « peuvent être consentis pour une durée
excédant celle du contrat de partenariat »35. cette dissociation des durées démontre que l’objectif n’est pas
uniquement de valoriser le bien mais aussi de trouver un
mode de financement supplémentaire permettant de
réduire en conséquence les sommes dues par le partenaire public. Si le législateur a quand même encadré le
processus en précisant, d’une part, que la personne
publique devra expressément formuler son accord pour
chacun des baux consentis au titulaire du contrat de partenariat et, d’autre part, que le contrat déterminera dans
quelles conditions les revenus issus de la valorisation du
domaine privé par le titulaire viendront diminuer le montant de la rémunération versée par la personne publique,
il n’en demeure pas moins qu’il revient au conseil constitutionnel d’avoir recadré le principe en précisant qu’au
terme du contrat de partenariat, les baux ainsi consentis
seraient transférés à la personne publique36. Mais le
(33) CHAMMING’S G. (2011), Le droit français de la commande publique à l’épreuve du contrat de partenariat. Du partage des
risques à la réforme de l’Etat, Thèse, Bordeaux IV, p. 354-363
(34) « [...] si le titulaire du contrat est autorisé à valoriser une partie du domaine de la personne publique dans le cadre du
contrat de partenariat, cette dernière procède, s'il y a lieu, à une délimitation des biens appartenant au domaine public. La
personne publique peut autoriser le titulaire à consentir des baux dans les conditions du droit privé, en particulier des baux à
construction ou des baux emphytéotiques, pour les biens qui appartiennent au domaine privé, et à y constituer tous types de
droits réels à durée limitée. L'accord de la personne publique doit être expressément formulé pour chacun des baux consentis
au titulaire du contrat de partenariat » (CGCT, art. L. 1414-16).
(35) CGCT, art. L. 1414-16.
(36) Cons. const., déc., 24 juill. 2008, n° 2008-567 DC
Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015
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montant des recettes ne sera logiquement pas connu au
moment de la conclusion du contrat et son estimation,
délicate à envisager, est d’une grande importance à
l’heure de valoriser l’hypothèse d’un recours à ce type de
financement.
Si l’ensemble de ces éléments a permis de relancer la
confiance et l’engouement des collectivités publiques
pour un tel contrat, la crise en cours a redonné aussi une
certaine impulsion au développement des partenariats
comme en témoigne la loi pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement dans le
cadre du Plan de relance pour l’économie (ci-dessous
LAPcIPP)37.
2 – La loi du plan de relance :
LAPCIPP 2009-179 du 17 février 2009
La loi pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement dans le cadre du Plan de relance
pour l’économie vient répondre à l’annonce faite par le
Président de la République de l’époque de la mise en
place d’un plan de relance visant à faire face à la crise
financière. Elle ajoute notamment certains éléments permettant aux contrats de partenariat, instruments
susceptibles de relancer l’investissement public, de faire
face aux difficultés d’accès au financement.
Au-delà d’éléments comme la possibilité d’obtenir une
garantie rémunérée sous conditions de la part de l’Etat
pendant deux ans, afin de faciliter le financement de projets dont la réalisation est jugée prioritaire comme les
grands équipements, la loi modifie une fois de plus la
définition du contrat et permet le caractère ajustable des
modalités de financement.
D’une part, l'article 14 du texte modifie la définition même
du contrat de partenariat, dans sa composante relative
au financement. Le texte initial ne mentionnait pas spécifiquement si le financement assuré par le partenaire était
total ou s'il pouvait être partiel. Désormais le titulaire du
contrat de partenariat peut assurer tout ou partie du
financement. Par conséquent, dans ce contexte de crise,
les possibilités de cofinancement sont désormais explicitement admises entre le partenaire privé et la
puissance publique. Une collectivité publique peut donc
bénéficier des avantages du partenariat public-privé, tout
en en assurant une partie du financement. Si l’idée d’une
dénaturation a pu être avancée par certains, critiquée
par d’autres38, il convient de relever que le texte limite la
portée de la disposition en interdisant, sauf pour certains
contrats39, à la personne publique de participer au capital
de la société de projet éventuellement créée pour être
titulaire du contrat. La mise en place de partenariats
public-privé institutionnalisés n’a donc pas été consacrée
par le texte40.
D’autre part, l’article 13 de la LAPcIPP41 autorise une
personne publique à prévoir, dans le cadre de la
procédure de passation, que les modalités de financement indiquées dans l'offre finale aient un caractère
ajustable. Il s'agit de pallier la réduction de l'offre de
financement bancaire pour les grands projets qui ne permettent pas aux candidats de remettre une offre finale
avec un financement complet. cette possibilité est introduite pour les années 2009 et 2010 et doit être annoncée
dans l'avis d'appel public à la concurrence. Le conseil
constitutionnel a validé cette disposition mais sous une
réserve d'interprétation. Selon sa décision42 « ces dispositions ne sauraient avoir pour effet de remettre en cause
les conditions de mise en concurrence en exonérant la
collectivité de l'obligation de respecter le principe du
choix de l'offre économiquement la plus avantageuse »
et « ne sauraient davantage avoir pour effet de permettre
au candidat pressenti de bouleverser l'économie de l'offre de partenariat ». Si l’initiative pouvait être opportune
pour des projets à gros investissements, la pratique a su
utiliser le texte à la lettre pour en éviter l’application dans
le cadre des projets modestes. Il s’est agi, tout simplement, de ne pas relever la possibilité dans l’avis d’appel
public à concurrence.
(37) Loi n°2009-179 du 17 février 2009 dite LAPCIPP – loi pour l’accélération des programmes de construction et
d’investissement dans le cadre du Plan de relance pour l’économie.
(38) François Tenailleau, « Les contrats de partenariat, la crise financière et la loi », JCP A, n° 14, 30 Mars 2009, 2078.
(39) Il s'agit des contrats de partenariat conclus par les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Le
financement définitif doit être majoritairement assuré par le prestataire privé, sauf pour les contrats dont le montant est
supérieur à un seuil, qui doit être déterminé par décret. Lors des débats parlementaires il a été précisé que ce seuil serait
conçu pour ne concerner que les projets pour lesquels les financements publics et parapublics sont structurellement
majoritaires, en particulier le projet de canal Seine-Nord Europe, mais aussi des lignes à grande vitesse ou des grands stades.
(40) PPPI droit de l’UE. Com (2007) 6661 du 5 février 2008 concernant l'application du droit communautaire des marchés
publics et des concessions aux partenariats public-privé institutionnalisés.
(41) Article 13 « En 2009 et 2010, par dérogation aux articles 7 et 8 de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats
de partenariat et aux articles L. 1414-7, L. 1414-8, L. 1414-8-1 et L. 1414-9 du code général des collectivités territoriales, la
personne publique peut prévoir que les modalités de financement indiquées dans l'offre finale présentent un caractère
ajustable. Mention en est portée dans l'avis d'appel public à la concurrence. Le candidat auquel il est envisagé d'attribuer le
contrat présente le financement définitif dans un délai fixé par le pouvoir adjudicateur ou entité adjudicatrice. A défaut, le
contrat ne peut lui être attribué et le candidat dont l'offre a été classée immédiatement après la sienne peut être sollicité pour
présenter le financement définitif de son offre dans le même délai ».
‘42) Cons. const., déc., 12 février 2009, n° 2009-575 DC
Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015
54
Le Contrat de Partenariat en France :
Sujet de Controverses et Objet De Paradoxes
3 – Des dispositions réglementaires isolées
Deux autres dispositions réglementaires viennent compléter le dispositif général allant cette fois dans le sens
d’un encadrement plus strict du recours à de tels
contrats. La première répond à la critique relative au problème de la déconsolidation de la dette. L’arrêté du 16
décembre 201043 réforme les instructions budgétaires et
intègre dans la comptabilité publique la part investissement des contrats de partenariat. Il ne sera donc plus
possible de déconsolider la dette d’investissement. La
deuxième durcit les dispositions relatives aux modalités
de passation44. Désormais, « tout contrat de partenariat
dont la conclusion est envisagée par l'Etat ou par un établissement public de l'Etat doté d'un comptable public
donne lieu à une étude réalisée par le pouvoir adjudicateur visant à évaluer l'ensemble des conséquences de
l'opération sur les finances publiques et la disponibilité
des crédits et, lorsqu'il emporte occupation du domaine
public ou privé de l'Etat, sa compatibilité avec les orientations de la politique immobilière de celui-ci ». Pour les
établissements publics de santé, les conditions du
recours au contrat de partenariat ont aussi été
renforcées en révisant les articles R 6148-1 et suivants
du code de la santé publique. Pour terminer, il convient
de noter que ces deux décrets, pourtant d’importance,
sont passés sans grand bruit. Or, le premier est particulièrement intéressant dans la mesure où s’il empêche de
déconsolider la part relative à l’investissement du
contrat, il laisse intacte la part consacrée aux dépenses
de fonctionnement. ces éléments amènent tout naturellement à aborder le contrat de partenariat en tant
qu’objet de paradoxes.
II – Le contrat de partenariat en France :
objet de paradoxes
S’il devait être identifié un seul paradoxe à mettre en
exergue, nous le trouverions dans le sous-titre même de
ce symposium « entre nécessité publique et expertise
privée »45. Peut-être parce qu’il n’existe aucune définition
juridique des partenariats public-privé, le curseur de l’effectivité du « partenariat » proprement dit ne dispose pas
de cadre normatif.
Et c’est sans doute de ces imprécisions, à défaut de vide,
que nous pouvons observer tous ces paradoxes d’une
nécessité publique souvent mal définie et d’une expertise
privée qui peine parfois à s’inscrire dans un mode de
contractualisation où ledit objectif d’effectivité performantielle ne rime pas toujours avec l’efficacité recherchée. A
cet égard, il ne faudrait pas perdre de vue que la destination in fine de ce partenariat n’est autre que la satisfaction
d’un service public auprès des usagers.
Dès lors, si nous devions être aujourd’hui des spécialistes
de la photographie monochrome, nous pourrions faire un
arrêt sur image et voir des paradoxes tant en négatif qu’en
positif.
A – Les paradoxes en négatif : objectif de nécessité
publique oubliée
Parce qu’il semblait incontournable de donner un cadre
sécurisé aux montages partenariaux
dont l’ingénierie juridique s’était jusque-là emparée, il pouvait être légitimement attendu des résultats d’efficience
alors même que le conseil constitutionnel avait imposé un
statut dérogatoire aux contrats de partenariat des mécanismes de « droit commun » de la commande publique. En
effet, il est bien difficile dans la pratique de remettre en
cause les vertus d’un modèle contractuel où l’expertise
privée s’affiche comme un symbole d’efficacité, fusse au
nom de la contractualisation globale, là où les personnes
publiques, promptes à user de la maîtrise d’ouvrage
publique traditionnelle, se heurtent à la langueur d’un
système favorisant le dépassement des délais et des budgets.
Outre les controverses à la naissance de l’outil en droit
français qui fêtera bientôt son dixième anniversaire, il est
loisible de relever des paradoxes emportant des effets
contraires aux vertus louées tenant d’une part, aux principes même de la constitution française et d’autre part, à
l’office du juge administratif.
1 – les incohérences de traitement entre
les personnes publiques et leurs effets
préjudiciables à la nécessité publique
c’est à l’article 34 de la constitution française de 1958 que
l’on trouve la source de tous les paradoxes engageant un
traitement différencié dans la passation des contrats de
partenariat entre l’Etat et les collectivités territoriales. Au
nom du principe de la libre administration de ces dernières,
l’Etat n’a aucun droit de regard a priori sur une décision
(43) Arrêté du 16 décembre 2010 relatif à l'instruction budgétaire et comptable M. 14 applicable aux communes et aux
établissements publics communaux et intercommunaux à caractère administratif (JORF n°0297 du 23 décembre 2010 page
22566).
(44) Décret n° 2012-1093 du 27 septembre 2012 complétant les dispositions relatives à la passation de certains contrats
publics (JORF n°0227 du 29 septembre 2012 page 15356).
(45) XIIème symposium international, MDI Business Scholl, Partenariat public-privé : bilan et perspectives. Entre nécessité
publique et expertise privée. Alger, 26 et 27 mai 2013
Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015
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d’engager une procédure puis de signer un contrat de partenariat, sans préjudice du contrôle du magistrat financier
a posteriori. c’est pourquoi, le texte de l’ordonnance dispose de deux grands titres, l’un relatif aux contrats de
partenariat de l’Etat et l’autre à ceux des collectivités, codifié dans le code général des collectivités territoriales aux
articles L 1414-1 et suivants. cette distinction n’est pas
sans conséquence en divers détails dont celui, très en
amont, de l’avis de l’organisme expert en la matière, la
MAPPP. Si aucune personne publique, quelle que soit sa
qualité, n’est épargnée de la nécessité de parfaire à la
rédaction d’une évaluation préalable permettant de mettre
en exergue un critère d’éligibilité dérogatoire permettant
d’engager une procédure de contrat de partenariat, les collectivités territoriales ont un accès facultatif pour avis à la
mission alors même que 75% des contrats signés émanent
des territoires locaux.
projets en bail emphytéotique hospitalier46. Tout projet en
contrat de partenariat d’un établissement public de santé
relève à présent de la MAPPP. Au surplus, l’avis, émanant
de l’ANAP ou de la MAPPP, sera émis sur la base de l’évaluation préalable assortie d’une étude de soutenabilité
budgétaire du projet dans les comptes de l’établissement
et dans le temps. c’est alors que le décret impose que
l’avis soit transmis à l’Agence Régionale de la Santé (ARS)
qui a un mois pour l’adresser à des instances ministérielles
désignées, qui ont elles-mêmes un mois pour formuler une
autorisation d’engager la procédure. A l’issue de la
procédure, alors qu’un attributaire est désigné, le contrat
(ou le bail emphytéotique) mis au point, l’établissement de
santé doit transmettre le projet finalisé à l’ARS qui dispose
d’un mois pour le transmettre aux ministères sus désignés,
qui ont encore un mois pour donner leur autorisation de
signer à l’établissement public de santé.
Si certaines collectivités sont diligentes à consulter la mission dans un objectif, pas toujours avoué, de légitimer le
projet devant une assemblée délibérante pouvant être
opposante, grand nombre d’entre elles ne font pas la
démarche par manque de temps dans le calendrier de
l’opération ou simplement pour ne pas à avoir à ressentir
un pouvoir d’ingérence. Alors même que l’avis donné est
consultatif, et donc qu’il ne lie pas l’exécutif, il est aisé d’affirmer que la situation, en cas d’avis négatif, peut paraitre
bien incommodante.
Bien que l’on relève que le silence des ministères vaut
acceptation, on ne peut que constater dans la pratique une
dérive flagrante quant à l’allongement de la procédure soit
environ de 6 à 8 mois pour les deux temps de validation
imposés par le décret et dans le meilleur des cas.
Dans le même esprit et sauf à faire mention de la proportionnalité de l’opération en charges annuelles au moment
où il convient de solliciter l’accord de l’assemblée
délibérante (conseil municipal par exemple), les collectivités territoriales n’ont donc pas à satisfaire à la
démonstration de leurs capacités financières avant la mise
en œuvre d’un projet dans sa procédure de passation
comme dans son exécution. Si l’on peut s’offusquer d’un
tel libéralisme local quant à la gestion des deniers publics,
il n’en va pas de même pour les projets portés par l’Etat et
particulièrement par ceux engagés par les établissements
publics de santé relevant du titre I de l’ordonnance consolidée, comme les autres services de l’Etat.
En effet, le récent décret susmentionné n°2012-1093 du 27
septembre 2012 complétant les dispositions relatives à la
passation de certains contrats publics dit de soutenabilité
budgétaire a instauré de nouvelles étapes de validation
dans le processus de contractualisation en partenariat
public-privé venant animer de lourdes contraintes
promptes à détruire purement et simplement l’outil.
Ainsi, l’avis consultatif de l’ANAP pour les opérations hospitalières d’une façon générale a été réduit aux seuls
Et là réside tous les paradoxes dès lors qu’un avis négatif
ou qu’un défaut d’autorisation survient à l’une de ses
étapes. Dès lors, et dans le meilleur des cas, l’avis négatif
émane de l’un des organismes experts – ce dernier orientant alors généralement l’établissement sur une faisabilité
dans un modèle relevant de la maîtrise d’ouvrage publique
ne nécessitant lui aucune autorisation – et l’établissement
aura perdu tous les temps de préparation du rapport d’évaluation préalable, de soumission, d’attente de réponse et
de frais de conseils. Sans préjudice de la possibilité juridique de consulter pour avis l’autre organisme, non
engagée dans les usages, les nouvelles obligations réglementaires génèrent par ricochet des déficiences non
négligeables en termes de gestion des deniers publics. En
effet, outre le temps perdu, l’établissement engagera son
projet au moyen d’un outil où il conserve la maitrise d’ouvrage en se privant de façon combinatoire tant de la
réalisation de ses objectifs initiaux que de l’expertise du
privé au regard des engagements de performances et du
partage des risques qu’il aurait pu espérer avec un PPP de
type contrat de partenariat ou un bail emphytéotique hospitalier.
Plus paradoxal encore, l’usage met en exergue qu’alors
même qu’un contrat de partenariat pourrait être parfaitement éligible sur un projet, le refus de l’ANAP à la
contractualisation d’un BEH, dont la saisine est « naturelle », obère toute possibilité pour l’établissement de
(46) Les BEH sont le fruit de l’ordonnance Santé en 2003 (précitée) codifiée à l’article L 6148-2 du code de la santé publique.
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Le Contrat de Partenariat en France :
Sujet de Controverses et Objet De Paradoxes
recourir à un PPP. Ainsi, et dans le cas d’un établissement
de santé aux souplesses budgétaires très fragiles, il lui
reste la seule possibilité de s’endetter directement en
ayant recours à l’emprunt sans pouvoir bénéficier d’une
maitrise d’ouvrage privée et sans être exempt des dérives
budgétaires et temporelles de la maitrise d’ouvrage
publique.
2 – les ricochets contrariants de l’office du juge
administratif
Alors que dans le cadre du critère de l’urgence, il est
entendu par le texte47 pour l’Etat et par la jurisprudence
pour les collectivités territoriales48 que les personnes
publiques n’ont pas à justifier les causes du retard induisant l’urgence alors même que ce critère n’est quasiment
jamais utilisé tant l’appréciation juridique ne tient pas
compte dans la pratique de la perception purement fonctionnelle de la nécessité d’agir « vite », le critère de la
complexité a récemment subi un néfaste revers par le juge
administratif bordelais49.
En effet, et alors que la doctrine pouvait déplorer la rareté
de la jurisprudence en la matière des contrats de partenariat, elle intervient là où elle n’est pas attendue avec pour
conséquence de remettre en cause la notion de complexité
telle qu’utilisée depuis 2004 conformément à la directive
européenne 2004/18/cE.
En l’espèce, pour la rénovation de son musée de la mer et
la construction simultanée d’une cité du surf en un site distinct, la ville de Biarritz a engagé en amont un concours de
maitrise d’œuvre pour définir le parti architectural du projet
et ainsi son programme fonctionnel. Le juge administratif
de la cour administrative de Bordeaux revient sévèrement
sur le caractère complexe du projet, justifiant le contrat de
partenariat comme modèle contractuel dérogatoire, et
dans un considérant lapidaire parait remettre en cause,
bien au-delà de l’espèce, tant le rapport d’évaluation
préalable que l’avis de la MAPPP, alors consultée dans le
cadre de la faculté offerte à la ville : « considérant que le
contrat de partenariat constitue une dérogation au droit
commun de la commande publique, réservée aux seules
situations répondant aux motifs d'intérêt général les justifiant ; que répondent à un tel motif, outre l'urgence qui
s'attache à la réalisation du projet, sa complexité, entendue comme mettant objectivement la personne publique
dans l'impossibilité de définir, seule et à l'avance, les
moyens techniques répondant à ses besoins ou d'établir le
montage financier ou juridique du projet ; que l'incapacité
objective de la personne publique à définir seule ces
moyens doit résulter de l'inadaptation des formules
contractuelles classiques à apporter la réponse
recherchée ; que la démonstration de cette impossibilité
incombe à la personne publique, et ne saurait se limiter à
l'invocation des difficultés inhérentes à tout projet ; qu'à cet
égard, ni le rapport final d'évaluation préalable, ni l'avis de
la mission d'appui au partenariat public privé ne sauraient
constituer, devant le juge, la preuve de la complexité
invoquée ; que la possibilité ouverte à la collectivité
publique par l'article L. 1414-13 de ne confier à son cocontractant qu'une partie de la conception de l'ouvrage ne
saurait la dispenser de justifier de son incapacité à mener
à son terme la part de l'ouvrage réalisée en partenariat, du
fait de sa complexité ».
L’enseignement qui peut être tiré de cet arrêt ne tend pas
à favoriser le recours à des études de conception en
amont d’une procédure en contrat de partenariat et bien
que très peu utilisé dans la pratique, les personnes
publiques préférant engager des consultations « parfaitement » globales emportant la conception, la construction,
l’entretien et la maintenance des ouvrages, cette position
n’est pas encline à taire toutes les controverses avec les
maitres d’œuvre. Tout aussi paradoxalement, il peut être
aisé de s’interroger sur la légitimité, pourtant recherchée,
d’un avis de la mission d’appui alors même que celui-ci est
facultatif.
Si l’on peut ainsi constater tous ces effets négatifs qui ont
perdu de vue depuis longtemps cette nécessité publique
qui nous préoccupe, il peut être observé par l’usage, bien
au-delà des textes et des polémiques conjoncturelles, des
éléments positifs et prometteurs.
B – Les paradoxes en positif : une réponse aux
controverses
Si les controverses ont alimenté les débats depuis dix ans
et si certaines n’ont plus lieu d’être tel le maquillage de
l’endettement public depuis la réforme des instructions
budgétaires et comptables pour les collectivités territoriales
du 16 décembre 2010, il serait arbitraire et subjectif de ne
pas mettre en exergue les retours de la pratique et l’observation des usages permettant de mener une réflexion
prospective sur ce que pourrait être le contrat de partenariat de demain.
1 – l’existence de mécanismes contractuels
bienfaiteurs
De formulation discrète dans la définition du contrat de partenariat, son régime juridique autorise l’intégration dans le
périmètre du contrat de « prestations concourant à l’exercice des missions de services publics ». L’approche est
(47) Article 2 de l’ordonnance consolidée 2004-559 du 17 juin 2004
(48) CE, 23 juillet 2010, Sieur A et SNESO, req. 326544, publié au Recueil
(49) CAA Bordeaux, 26 juillet 2012, Ville de Biarritz, req. 10BX02109
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sensible pour toucher de près la philosophie même du
contrat de partenariat en ce qu’il n’est pas un outil de gestion du service public mais seulement son support.
A l’égard de cette notion à prendre dans sa globalité, on
relèvera rapidement que la doctrine est divisée. certains
réfutent toute intégration du service public dans la sphère
du contrat de partenariat50, d’autres affirment que la chose
est d’ores et déjà possible51 ou encore proposent une
approche moins manichéenne, intermédiaire en tentant de
tracer une ligne, à défaut de frontière, entre ce qui relève
du service public et ce qui seulement y concoure52. Ainsi et
de ce postulat, le contrat de partenariat peut intégrer en
son sein des prestations, ne relevant pas d’une mission de
souveraineté dans le respect de la réserve constitutionnelle53, qui ont pour objectif de lier le titulaire privé avec les
performances sur l’ouvrage auxquelles il est contractuellement engagé et donc soumis à un mécanisme de pénalités
pour non réalisation. Traditionnellement dévolues de façon
accessoire dans le cadre d’une délégation de service
public ou confiées aux agents publics dans le cadre d’une
exploitation en régie, ces prestations ont l’ambition d’enrayer la gestion des interfaces de superposition des
modèles contractuels dont un a pour objet le seul ouvrage
et l’autre la gestion proprement dite du service.
D’une façon tout aussi cartésienne, on peut aussi relever
que le contrat de partenariat, sans préjudice des clausierstypes de la MAPPP qui ont pu venir sécuriser les
utilisateurs publics, est un contrat qui n’a rien de standardisé. Ainsi, chaque contrat a sa propre singularité en raison
de son objet mais aussi en raison des parties en présence,
de leur aversion aux risques, de leur degré d’appropriation
de l’outil permettant un ajustement des clauses pour la
prise en considération d’éléments pouvant toucher aux
aspects techniques, aux engagements de responsabilité
ou aux paramètres financiers. Ainsi, le contrat de partenariat dispose d’une souplesse paramétrable. Les
mécanismes financiers de préfinancement et de cristallisation anticipée des taux avant la mise à disposition en sont
un exemple intéressant à observer qui, en ces périodes de
crise économique, sont favorables aux personnes
publiques par la baisse substantielle des taux d’intérêt.
Dès lors, la vigilance et la mise en place d’un observatoire
des taux avec les prêteurs sur un projet donné peuvent
emporter, sur la dette d’investissement, un gain non négligeable sur toute la durée du contrat. Un paradoxe singulier
s’il en est, là où certains clament les coûts exorbitants de
préfinancement privé.
Enfin, on peut également relever les bénéfices d’externalités dites « positives » ou identifiés par la MAPPP comme
des « avantages sociaux économiques », qui induisent des
conséquences positives par ricochet de la mise en œuvre
d’un contrat de partenariat. Ainsi, respectueux des délais
par application contractuelle, les contrats de partenariat
vont permettre d’exploiter un service public plus tôt, plus
vite qu’une maitrise d’ouvrage publique classique et ainsi
générer des gains ou créer des emplois avant cette
dernière.
2 – les effets salvateurs de la globalité contractuelle
Bien que dérogatoire aux outils dits de droit commun de la
commande publique – c'est-à-dire dérogatoire à la maitrise
d’ouvrage publique soumise au code des marchés publics
prohibant le paiement différé (article 96) et faisant de l’allotissement son principe directeur (article 10)-, le contrat
de partenariat initie le concept de globalité ayant pour objet
de confier à un partenaire privé tant la construction voire
la conception que l’entretien et la maintenance d’un
ouvrage. Il pourrait être opposé que le titulaire dudit contrat
regroupe plusieurs entreprises qui se lient contractuellement pour porter une opération dans son ensemble
souvent en la forme d’une société ad hoc. cependant, la
personne publique est liée contractuellement avec une
seule entité juridique et les défaillances de l’un emportent
la responsabilité du seul titulaire sans qu’il puisse se soustraire à ses obligations. On retrouve également ces
mécanismes, en des régimes juridiques cependant
différents, dans les baux emphytéotiques associés à une
convention non détachable. Le Décret n° 2011-2065 du 30
décembre 2011 relatif aux règles de passation des baux
emphytéotiques administratifs illustre parfaitement cette
gémellité.
La performance ne commence-t-elle pas là ? Elle est
l’atout majeur du modèle partenarial. Associée aux partages des risques, la notion de performance constitue le
cœur de l’objectif fondamental des contrats globaux, gage
de la pérennité d’un ouvrage et surtout de la disparition du
syndrome de la détérioration et de l’obsolescence des
équipements publics. Faut-t-il seulement que les personnes publiques soient en mesure de définir leur véritable
besoin et, dès lors, d’identifier les bons indicateurs qui permettront de mesurer la performance et d’en pénaliser le
défaut de réalisation.
Une récente étude menée par la chaire PPP de l’Université
Panthéon Sorbonne54 a mis en évidence des résultats
(50) DELELIS P., (2010), Contrat de partenariat et exploitation du service public. AJDA, p. 2244
(51) RAYNAUD T. (2010), Les amours contrariées du contrat de partenariat et du service public. BJCP, n° 70, p. 166
52 CHAMMING’S G. (2011), Le droit français de la commande publique à l’épreuve du contrat de partenariat. Du partage des
risques à la réforme de l’Etat, Thèse, Bordeaux IV, p. 449-455
(53) Cons. Const., 26 juin 2003, DC n°2003-473, considérant 19
(54) http://chaire-eppp.org/performance-contrats-de-partenariat
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Le Contrat de Partenariat en France :
Sujet de Controverses et Objet De Paradoxes
positifs à l’association de la construction et de la maintenance et donc à la globalité contractuelle. Le paradoxe se
voit donc confirmé par ces évidences.
Conclusion
Que manque-t-il à la culture contractuelle publique
française pour que les controverses et le bon sens s’harmonisent ? Que manque-t-il au droit de la commande
publique en France pour que ces paradoxes d’aujourd’hui
soient le droit commun de demain ?
S’il est entendu de façon unanime que toute forme de PPP
n’a pas nécessairement de bien fondé pour tous les
usages, il demeure que dans une logique d’effectivité et
d’efficience pour des opérations lourdes et complexes, tant
pour les collectivités territoriales que pour l’Etat et ses établissements, le montage partenarial de type contrat de
partenariat de l’ordonnance de 2004 sait tirer son épingle
du jeu et démontrer ses atouts loin de scandales médiatisés isolés. comme élément probant, on relèvera que les
autres modèles de type bail emphytéotique administratif ou
autorisation d’occupation temporaire n’ont de cesse que
d’épouser des éléments du régime juridique des contrats
de partenariat par mimétisme.
Néanmoins, il reste deux grands verrous à ouvrir, certes
en douceur, d’une part, sur l’approche dérogatoire des
PPP qui pourrait se voir de droit commun quand la nécessité publique l’impose et d’autre part, sur le périmètre
même du contrat dit global qui le serait totalement s’il prenait la mesure de sa mission sans interface et sans
préjudice du caractère souverain ou régalien de certaines
d’entre elles. De la recherche de ces performances et il y
a plus de trente ans, le Professeur H.G Hubrecht avait
décrit cette forme de modèle en les désignant comme des
« contrats de service public à dévolution innomée »55.
Enfin, la pratique du contrat de partenariat permet d’observer et de confirmer des positions affirmées de la doctrine56
relatives à la nécessaire création d’un véritable code de la
commande publique pour remettre de l’ordre dans la boite
à outil. Entre controverses et paradoxes, la réforme en
cours des directives marchés sera peut-être la clé... ?
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Vers une renaissance du Secteur-Public en Allemagne : Le Méga-Trend
de la re-communalisation des concessions municipales
ResUMe
ABstRAct
Alors que les Partenariats Public-Privé (PPP) sont souvent présentés comme une panacée, après deux vagues
de développement des PPP qui se sont déroulées en
Allemagne au début des années 1980 et des années
1990, ces accords de « privatisation partielles » sont
maintenant de plus en plus contestés Outre-Rhin. La
cause en est que sur le long terme, les PPP répondent
de moins en moins à leurs deux principaux objectifs de
baisse des prix et d’amélioration de la qualité des prestations. cela explique que lorsque l’opportunité se
présente, notamment à l’expiration des concessions, les
municipalités allemandes ont maintenant tendance à recommunaliser les services- publics qui avaient
historiquement été concédés à des partenaires privés.
Après avoir exposé dans une première partie l’histoire
des PPP en Allemagne, cet article analyse au début de
la seconde partie les déterminants généraux de l’évolution actuelle des flux de PPP dans ce pays. La seconde
partie se termine par l’examen détaillé de deux cas
exemplaires de re-communalisation. A partir des arguments développés dans ces deux parties, la conclusion
fournit des recommandations pour le management des
missions de service-public, sans oublier par ailleurs de
proposer également des prolongements à l’attention des
chercheurs.
While Public-Private Partnerships (PPPs) are often presented as a panacea, after two waves of PPP
development which took place in Germany in the early
1980s and 1990s, these "partial privatization” agreements are now more increasingly challenged in
Germany. The reason is that in the long term, PPP respond less to their two main goals of lower prices and
improved service quality. This explains why when the
opportunity presents itself, including the expiration of
concessions, German municipalities now tend to re-communalize public services that had historically been
granted to private partners. After exhibiting in a first part
the history of PPP in Germany, this paper analyzes the
beginning of the second part of the broader determinants
of current developments flows PPP in the country. The
second part ends with a detailed two exemplary cases of
re- municipalization review. From the arguments in these
two parts, the conclusion provides recommendations for
the management of public service missions , not forgetting also propose extensions to the attention of
researchers.
Keywords: Public-Private Partnerships, Public-Sector, Service-Public, Privatization, Outsourcing,
Insourcing, Re-Outsourcing, Re-Municipalization,
Concession, Board, Monopoly, Corruption.
Mots-clés: Partenariat Public-Privé, Secteur-Public,
Service-Public, privatisation, impartition, internalisation, re-impartition, re-communalisation,
concession, régie, monopole, corruption.
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Jacques LIOUvILLE
Université de Strasbourg
INTRODUCTION
Les Partenariats Public-Privé (PPP) sont perçus dans de
nombreux pays comme un instrument permettant d’augmenter l’efficacité du Secteur-Public, ce qui justifie la multiplication de ce type de
structure. L’Allemagne n’a pas échappé à cette tendance,
le développement des PPP, ou de l’externalisation pure et
simple, ayant eu lieu principalement en deux vagues.
La première vague a émergé dans un environnement
idéologique, où il était jugé que le Secteur- Public était
moins efficace que le Secteur-Privé, sans que cette
différence ait par ailleurs toujours été évaluée dans le cadre
de travaux scientifiques rigoureux.
En Allemagne, la perception du « Privat is beautifull» a
commencé à se diffuser au début des années 1980, lorsque
la Droite allemande (cDU & cSU) a remporté les élections
au détriment du parti social- démocrate, le SPD. Le gouvernement du chancelier Helmut Kohl, qui a succédé au
chancelier Helmut Schmidt, s’est inspiré du trend initié par
Ronald Reagan aux USA et Margareth Thatcher en
Grande- Bretagne et a favorisé la libéralisation et la privatisation du Secteur-Public en Allemagne de l’Ouest. En
fait, ce changement de cap ne reposait pas que sur des
fondements idéologiques. En effet, il est utile de rappeler
qu’à l’époque la crise économique sévissait dans les secteurs de la seconde révolution industrielle. Par conséquent,
la participation beaucoup plus large des entreprises privées
à la réalisation des missions de service-public arrivait à
point pour dynamiser leur portefeuille d’activités et ainsi
compenser le recul de leur chiffre d’affaires dans les industries en déclin.
La seconde vague de croissance des PPP (ou ÖPP en allemand, pour Öffentlich Private Partnerschaften) en Allemagne date du début des années 1990, juste après la
chute du Mur de Berlin et la réunification allemande. En
effet, à cette occasion, la suprématie du système économique capitaliste par rapport au système communiste a
été établie de manière flagrante et indiscutable. cette vision
s’est imposée d’autant plus aisément en Allemagne que le
pays était directement touché par le manque de compétitivité des entreprises de l’ex-Allemagne de l’Est. En effet,
dans le cadre du système d’économie planifiée des pays
intégrés dans l’espace du cOMEcON, les entreprises de
l’ex- RDA avaient des débouchés garantis dans cet espace
économique socialiste. La sortie du Pacte de varsovie de
l’ex-RDA à l’heure de la réunification allemande a entraîné
en parallèle pour ses entreprises la perte en Europe de
l’Est de marchés captifs et ayant une structure monopolistique. Par ailleurs, quasiment 90% des entreprises socialistes de l’ex-RDA ont disparu en l’espace de quelques
mois, lorsque le Deutsche-Mark est devenu la monnaie officielle, en remplacement de l’Ost-Mark. Alors qu’avant
l’unification de la monnaie le taux de change était de l’ordre
de 5 à 7 Ost-Mark pour 1 Deutsche-Mark (DM), la fixation
de la parité à 1 contre 1 a fait perdre en une nuit leur
compétitivité par les prix aux entreprises de l’ex-RDA. Par
conséquent, la faillite soudaine du système économique
de l’ex-RDA a renforcé l’idée de la supériorité des entreprises privées.
En outre, la réunification allemande a entraîné des transferts financiers gigantesques de l’Allemagne de l’Ouest
vers l’ex-RDA. Ainsi, selon Oskar Lafontaine, ancien Ministre des Finances du premier gouvernement Schröder,
le montant total de ces transferts aurait déjà excédé 1000
milliards de DM au cours des 5 premières années d’existence de l’Allemagne réunifiée. Pour financer ces transferts,
tous les acteurs économiques ont été mis à contribution, y
compris les collectivités locales, dont les budgets ont été
revus à la baisse. Par conséquent, les collectivités locales
qui étaient florissantes avant la réunification ont été
contraintes de privatiser des éléments de leur patrimoine
pour équilibrer leur budget.
ces événements ont eu pour conséquence que selon une
enquête menée en 2007 par la société de consulting Ernst
& Young, au moins un tiers de l’ensemble des communes
allemandes et plus de 70% des grandes villes (population
> 200 000 habitants) avaient à cette date privatisé partiellement ou complètement des activités relevant des missions du secteur-public. Dans les communes et villes
concernées, les activités privatisées représentent en
moyenne 40% de l’enveloppe budgétaire des missions de
service-public et 75% de ces activités ont été externalisées
sous la forme de PPP.
ces données confirment que les PPP ont constitué jusqu’à
un passé très récent un instrument important des politiques
publiques en Allemagne. cette tendance demeure vigoureuse, sachant que dans le cadre de 2 enquêtes effectuées
en 2010 et 2011 par Ernst & Young auprès d’un échantillon
de 300 communes allemandes, il a été établi que respectivement 37% des communes interrogées en 2010 et 43%
de celles questionnées en 2011 envisageaient de poursuivre les privatisations d’activités étant mises normalement
à leur charge.
cependant, a-contrario, les données présentées ci-devant
conduisent à conclure que la majorité des communes n’envisage pas de mettre en œuvre des PPP et préfère conserver en interne la maîtrise de toutes les activités relevant
de l’exercice des missions de service-public. ce constat
d’une préférence de la majorité des communes pour la
stratégie d’internalisation est renforcé par les résultats
d’une enquête récente relativement à la reconduite de
concessions devant parvenir prochainement à échéance.
En effet, seulement en ce qui concerne l’électricité et le
gaz, plusieurs milliers de concessions communales doivent
arriver à échéance avant 2016. Or, la majorité des communes concernées déclarent étudier la possibilité de recommunaliser les activités correspondantes. cette volonté
est notamment renforcée par le fait qu’à la suite de litiges
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Vers une renaissance du Secteur-Public en Allemagne : Le Méga-Trend
de la re-communalisation des concessions municipales
avec les opérateurs privés, 170 concessions ont déjà été
re-communalisées depuis 2007 et les effets de cette reprise
en main se sont généralement révélés positifs, tant pour
les communes que pour les usagers. ces résultats expliquent que dans le seul secteur de la distribution d’électricité, 60 communes allemandes de petite et moyenne taille
ont pris la décision entre 2007 et 2011 de créer leur propre
régie.
L’objectif principal de cette contribution est d’aider à comprendre pourquoi en Allemagne un double mouvement
s’observe actuellement en matière de PPP : D’une part,
une tendance de certaines communes à renforcer les privatisations est perceptible, alors que d’autre part, des communes adoptent une stratégie inverse et décident de ne
pas renouveler des concessions parvenues à expiration.
Pour atteindre cet objectif, une première partie va présenter
l’histoire ancienne et récente des PPP en Allemagne, avant
de présenter en deuxième partie des cas de re- communalisation réussis. Quant à la conclusion, elle présentera
les enseignements tirés des analyses menées dans les
deux premières parties.
1 – Histoire des PPP en Allemagne
1 . 1 – Des origines des PPP à la politique
keynésienne de 1933
Selon Ambrosius (2012), qui consacre une partie de son
ouvrage au dénombrement historique des PPP en Allemagne, des cas de partenariat-public-privé ont déjà existé
dans le pays dès le 17ème siècle, par exemple pour battre-monnaie, ou pour la collecte des impôts. cependant,
le véritable essor des PPP en Allemagne a commencé il y
a environ 150 ans (Ambrosius, 2012), lorsque le progrès
technique a favorisé l’émergence des industries de réseaux
(gaz, eau, puis électricité), ou encore des transports collectifs, comme les transports par voie ferrée ou le tramway.
cependant, dans une économie de type capitaliste, les
acteurs privés ont restreint leurs investissements aux
marchés les plus rentables, c’est-à-dire les zones d’habitation à forte densité de population. Il est aisé de comprendre que cette stratégie sélective a généré une forte
insatisfaction dans le public. Les candidats aux élections
ont donc fait de l’élargissement des réseaux leur cheval
de bataille, puisque cela était un argument électoral percutant. Par conséquent, dès avant la fin du XIXème siècle,
la majorité des communes allemandes a soustrait aux
mécanismes de l’économie de marché les services
considérés comme indispensables pour garantir une vie
décente à la communauté des citoyens et ces communes
ont investi afin de rendre ces services accessibles au plus
grand nombre, y compris dans les campagnes.
Le droit à intervention des communes pour favoriser l’accessibilité aux services destinés à la collectivité a été
confirmé par l’Assemblée des villes allemandes en 1926.
A cette occasion, il a été établi que les activités économiques des communes doivent se limiter à des missions
relevant du service-public et que, par conséquent, les communes n’ont pas vocation à venir concurrencer les activités
exercées par des personnes privées.
A un niveau administratif supérieur, l’Etat a également
démontré à la fin du XIXème siècle son intérêt pour certaines nouvelles activités économiques dérivées du progrès
technologique. En effet, pour un Etat, la maîtrise d’activités
comme le télégraphe, puis le téléphone qui lui a succédé,
ou le contrôle du réseau ferroviaire, relève d’un intérêt
stratégique, tant sur le plan militaire que politique. Par
exemple, le monopole des télécommunications facilite la
mise en application des «écoutes téléphoniques », qui se
révèlent notamment utiles en matière de prévention du terrorisme. c’est pourquoi, dès l’origine, l’Etat s’est accordé
le monopole d’exercice de ces activités et qu’il a maintenu
son monopole jusqu’à la dérégulation impulsée à la fin du
XXème siècle par l’Union Européenne.
cependant, dès le départ, l’Etat a jugé qu’il serait plus
avantageux pour lui de confier le développement des technologies sous-jacentes au secteur privé. c’est dans ce cadre que des partenariats ont été noués avec des entreprises privées. Le besoin de standardiser les technologies
des activités de réseaux et de maintenir leur compatibilité
en cas de progrès technologique (comme le problème se
posait par exemple en matière de télécommunications, cf.
Liouville, 1991) a induit que les « partenaires » privés ont
bénéficié de marchés quasiment « captifs », y compris sur
la durée. Il en est résulté que dans les activités concernées,
les « partenaires » privés sont eux-mêmes devenus des «
quasi-monopoles ».
Historiquement, ces quasi-monopoles n’ont pas joué
nécessairement un rôle négatif sur l’économie allemande.
Au contraire, ils ont par exemple été des parties prenantes
de la vaste politique keynésienne mise en œuvre en Allemagne à partir de 1933, dans le but de lutter contre le
chômage massif généré par la grande dépression économique que connaissait alors le pays. comme aux USA,
celle-ci avait été engendrée par le marasme économique
ambiant, mais ses effets étaient également accentués par
les sanctions massives imposées à l’Allemagne par les
vainqueurs de la 1ère Guerre Mondiale dans le cadre du
Traité de versailles. Il résultait de cette double influence
que début 1933 l’Allemagne comptait 6 millions de
chômeurs.
Le secteur-public allemand a alors été mobilisé pour résorber le chômage. Trois ans plus tard, le chômage était éra-
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diqué, notamment du fait d’une politique de grands-travaux,
dont l’efficacité a même été reconnue par le chancelier
socialiste Helmut Schmidt (H. Schmidt, F. Stern, 2012, pp.
53- 55). Pour mémoire, à cette occasion l’Allemagne s’est
notamment dotée d’un réseau d’autoroutes d’une longueur
initiale de 7000 Km, longueur portée ensuite à 10 000 km
et même à 11000 Km après l’Anschluss de l’Autriche et
1,5 million de maisons et logements dotés des standards
de confort moderne ont été construits.
Les communes ont quant à elles été mises à contribution
dans le cadre de la modernisation des voies secondaires
et des infrastructures communales et les villes ont également été incitées à moderniser les vieux quartiers, ce qui
a souvent signifié démolition et reconstruction. Quant aux
partenaires privés, ils ont reçu des subventions pour embaucher du personnel destiné à produire des biens susceptibles de dynamiser la croissance. c’est ainsi qu’est
née par exemple l’entreprise volkswagen, dont le nom indique littéralement que sa mission était de produire la « voiture du peuple », c’est-à- dire une voiture dont son prix
soit en rapport avec le pouvoir d’achat des ménages
« moyens ». ces éléments permettent de conclure que les
entreprises privées « partenaires » ont joué un rôle significatif dans la résorption du chômage et de la reprise économique dans l’Allemagne du milieu de la décennie 1930.
Pour demeurer objectif, il faut cependant reconnaître que
c’est également dans le cadre de cette politique
keynésienne que 400 000 postes supplémentaires ont été
créés dans l’armée, alors que le Traité de versailles avait
contingenté l’armée allemande à 100 000 hommes. En
ajoutant à ces postes de militaires les emplois créés dans
la filière de l’armement, il est permis d’estimer que l’éradication du chômage en Allemagne entre 1933 et 1936 s’explique pour environ 1/3 par le réarmement « illégal » du
pays, qui a débouché sur les conséquences tragiques bien
connues pour l’humanité.1
1 . 2 – L’après Seconde Guerre Mondiale : Les PPP en
contexte d’économie sociale de marché
Après la Seconde Guerre Mondiale, les alliés ont démantelé les quasi-monopoles historiques, essentiellement à
cause du rôle qu’ils ont joué durant la période du IIIème
Reich (Allemagne nazie). cependant, le problème de standardisation et de compatibilité des nouvelles technologies
dans les activités de réseaux n’était pas éliminé pour autant. c’est ce qui explique que dans ces secteurs d’anciens
quasi-monopoles s’étaient reconstitués dès les années
1960. Tel est par exemple encore le cas aujourd’hui de
l’entreprise Siemens dans la branche de la construction
de matériel de transport ferroviaire, ou celle des équipe-
ments pour le secteur de l’énergie atomique. A ce propos,
il est permis de remarquer que, dans les industries de
réseaux, la situation de l’Allemagne ne se différencie pas
de celle des autres principaux pays développés. En effet,
ces derniers sont également confrontés au même problème
de standardisation et de compatibilité des technologies.
La France notamment constitue un excellent exemple de
cette situation, avec le quasi-monopole de l’entreprise Alstom dans la construction de matériels pour le transport ferroviaire (en particulier en ce qui concerne la fabrication
des motrices de TGv) et celui de l’entreprise Areva dans
la filière de l’énergie atomique.
A l’issue de la 2ème Guerre Mondiale, les alliés et en particulier les américains dans le cadre du Plan Marshall, ont
encouragé l’orientation de l’Allemagne vers un système
économique « libéral ».
cependant, le nouveau chancelier Ludwig Erhard a été
séduit par les idées de l’économiste Alfred Müller-Armack,
professeur à l’université de Münster. Dans ses recherches,
dès 1946 ce dernier promouvait l’idée qu’il était possible
de créer une troisième voie entre le libéralisme et le socialisme, mieux connue sous l’expression d’ « économie sociale de marché ». c’est dans la perspective de développer
ce système d’ « économie mixte » que le chancelier Ludwig
Erhard a confié au professeur Müller-Armack un poste de
secrétaire d’Etat au Ministère de l’Economie (Liouville,
2010).
Dans ce contexte et face à l’effort important à entreprendre
pour redresser l’Allemagne en ruine, l’ancienne ligne de
démarcation claire entre les missions de service-public devant être rendues par l’Administration et les activités relevant du secteur privé a été reprise dans la (nouvelle)
constitution allemande, ainsi que dans le Droit administratif
et le Droit communal prescrit par les Länder.
Par conséquent, le principe en vigueur depuis cette période
est que les communes allemandes ne peuvent exercer
des activités économiques que si ces activités répondent
à un objectif de mission de service-public, c’est-à-dire à la
fourniture de prestations d’intérêt général, sans viser à
dégager du profit.
(1) Il appartient aux historiens d’expliquer pourquoi les vainqueurs du 1er conflit mondial n’ont pas réagi à cette provocation,
même s’il est possible de mettre à leur décharge le fait que le réarmement a largement eu lieu dans des usines sous-terraines.
Cependant, compte tenu de leur nombre, estimé à environ 300, il est permis de se demander comment les alliés ont pu en
ignorer l’existence ?
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Vers une renaissance du Secteur-Public en Allemagne : Le Méga-Trend
de la re-communalisation des concessions municipales
2 - Les déterminants de la tendance à externaliser
(impartition) et à ré-internaliser (ré-impartition) les
missions de service-public en Allemagne
2 . 1 – Les fondements majeurs des décisions d’impartition et de ré-impartition dans le Service-Public
allemand
2 . 1 . 1 – Des scandales en chaîne engendrant la
perte de confiance envers les opérateurs privés
Il a été précisé en introduction que jusqu’au début des
années 1980, la tendance dominante en Allemagne au regard des missions de service-public a été leur délivrance
en régie propre par les collectivités, tant au niveau des
communes que des Länder.
Ultérieurement, la tendance s’est inversée, en particulier
sous l’influence de la pensée favorable au libéralisme
économique, défendant l’idée d’une supériorité de la gestion privée par rapport à celle publique. Dans ce contexte,
il a notamment été admis que les usagers des servicespublics avaient un droit à être considérés comme des
«clients» et que, par principe, une gestion de nature « administrative » ne pouvait pas répondre à ce droit, ce qui a
ouvert la porte à la « privatisation » du Secteur-Public.
cependant, le « passage par le marché », c’est-à-dire la
décision de « faire-faire », ou « d’impartir », selon la
conceptualisation du professeur Pierre-Yves Barreyre
(1968), plutôt que le choix de « faire » (exercice de l’activité
par soi-même, ce qui correspond à la stratégie d’internalisation), n’a pas toujours répondu aux attentes. Les exemples d’expériences négatives ont commencé à se multiplier
à partir du début de la décennie 2000. D’une part, alors
que l’externalisation (impartition) a souvent été justifiée
par la volonté de faire baisser les prix des prestations délivrées aux usagers, les résultats ont souvent été inverses
et les tarifs ont finalement augmenté. D’autre part, alors
que la « privatisation » des missions de service-public était
supposée améliorer le rapport « qualité/prix », la qualité
des prestations s’est souvent dégradée, alors que les prix
augmentaient en parallèle.
En dehors des exemples de « privatisation » infructueuse,
de nombreux cas d’inefficience et de corruption lors de
l’attribution de marchés publics ont été mis à jour lors des
dernières années, ce qui a déclenché un mouvement de
contestation envers la « privatisation » du Secteur-Public.
Parmi les cas d’inefficience des acteurs privés, il est possible d’évoquer trois exemples très représentatifs.
Le premier cas désastreux est celui de la construction du
nouvel aéroport Berlin-Brandenbourg- International, baptisé
officiellement du nom de l’ancien chancelier allemand WillyBrandt. Planifié en 2004, son coût a alors été évalué à 1,7
milliards d’€ et son inauguration prévue pour 2010. Le
maître d’œuvre qui a été choisi au départ pour gérer le
chantier a été la société Hochtief, dont le siège est localisé
à Essen, dans la Ruhr. Avec vinci et Bouygues, Hochtief
est une des plus importantes entreprises mondiales du
BTP, ce qui explique que les attributaires du marché comptaient sur ses compétences pour respecter les délais et
les coûts prévisionnels. Face à des dérives apparues rapidement, la responsabilité du chantier a été retirée à Hochtief et a été confiée à un consortium d’entreprises de taille
plus modeste et n’ayant aucune expérience dans la
construction d’infrastructures aéroportuaires. comme cela
pouvait alors être prévisible, les défaillances se sont accumulées, avec pour effet que début 2013, l’ouverture de
l’aéroport a été reportée pour la 4ème fois. La date d’inauguration a actuellement été reportée à 2015. Par ailleurs,
le coût prévisionnel du chantier a explosé, en étant multiplié
par trois, sans que l’exactitude finale de cette estimation
puisse être garantie.
Le projet de la nouvelle gare de Stuttgart (Stuttgart 21)
constitue le deuxième exemple de dérive démesurée, dont
l’ampleur exaspère la population allemande. ce projet doit
répondre à deux objectifs principaux: Transformer la gare
«terminus» actuelle en une gare de «passage» et augmenter de 30 % la capacité d’accueil des passagers aux
heures de pointe. La réalisation du projet a été confiée à
un consortium comprenant outre le groupe autrichien Porr,
les principales entreprises allemandes du secteur du BTP
(par exemple Züblin/Strabag, Bilfinger-Berger, mais aussi
à nouveau le groupe Hochtief, etc.). Le projet a été mis en
chantier début 2010. A cette date, l’inauguration de la nouvelle gare a été planifiée pour 2020 et le coût des travaux
a été estimé à moins de 3 milliards d’€. Actuellement, la
mise en exploitation de la nouvelle gare a déjà été reportée
à 2025 et les nouvelles prévisions du coût final varient
maintenant entre 7 et 9 milliards d’€. Par ailleurs, les financements n’étant pas assurés, personne ne sait actuellement si le chantier sera mené à son terme, alors que
plus d’un milliard d’€ a déjà été englouti dans le projet.
Le troisième exemple d’évolution ruineuse d’un projet public
dont la réalisation a été confiée à un consortium privé est
celui de la construction à Hambourg du nouveau Palais
dédié aux représentations d’orchestres symphoniques (Elbphilarmonie, cf Wikipedia). Lors de la pause de la premièrepierre en 2007, l’inauguration du bâtiment a été prévue
pour 2010. Fin 2012, l’inauguration a été repoussée à
2017. Par ailleurs, le coût initial du projet a en l’état actuel
déjà été multiplié par un facteur de plus de dix. En effet,
les premières estimations du coût du projet se montaient
à seulement 77 millions d’€. Lors du début du chantier en
2007, cette première estimation avait déjà doublé. Fin
décembre 2012, la ville d’Hambourg a signé un contrat
« définitif » avec la société Hochtief, le maître d’œuvre du
projet. Le montant du contrat s’établissait alors à 575 millions d’€. Moins de 4 mois plus tard, le 23 avril 2013, le
maire d’Hambourg a dévoilé une nouvelle estimation, qui
se monte à près de 800 millions d’€, soit une hausse d’environ 40%, ou encore une augmentation du coût du chantier
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de plus d’1,8 million d’€ par jour. Face à ces dérives exponentielles la ville d’Hambourg étudie la perspective de mener une action en justice contre Hochtief, mais en attendant,
c’est Hochtief qui détient des créances sur la ville. En
outre, ce retard induit que la ville d’Hambourg doit supporter
des charges additionnelles, sans véritable fondement. Par
exemple, christoph Lieben-Seutter, l’intendant-général du
nouveau Palais philarmonique (cf. Wikipedia) qui a été
démarché « à prix d’or » en 2007 du Palais des concerts
de la capitale autrichienne (Wiener Konzerthaus) perçoit
normalement son salaire depuis cette date, alors que sa
principale activité est actuellement de faire visiter le chantier
aux personnalités intéressées par l’état d’avancement des
travaux. Si l’inauguration du nouveau bâtiment a effectivement lieu en 2017, l’intendant-général aura donc été
rémunéré durant 10 ans, sans avoir quasiment généré une
valeur ajoutée significative pour la ville d’Hambourg.
En matière de corruption, un seul scandale récent suffit
pour donner une image du climat délétère qui règne actuellement en Allemagne2. Il s’agit de la mise en examen
pour corruption de l’avant-dernier Président de l’Etat fédéral
allemand, christian Wulff. Il a en effet été convaincu de
pratiques relevant du « favoritisme » dans le cadre de ses
fonctions antérieures de Ministre-Président du land de
Basse-Saxe. Par conséquent, après avoir représenté pendant seulement 18 mois la plus haute autorité morale du
pays, il a été contraint sous la pression médiatique de
démissionner de ses fonctions présidentielles. En effet,
plus de 75% des allemands ont considéré que la prise
d’intérêts personnelle est incompatible avec l’exercice d’une
fonction devant en principe défendre les valeurs morales
du pays, puisque telle est la principale mission confiée au
Président de l’Allemagne depuis la fin de la seconde Guerre
Mondiale.
Par conséquent, ces deux facteurs conjoints ont contribué
à ruiner le potentiel de confiance envers les opérateurs
privés. cette perte de confiance justifie que la majorité des
élus souhaitent actuellement reprendre en régie propre les
services-publics dont les concessions parviennent à expiration.
En outre, il est attendu de l’internalisation qu’elle permette
d’allouer les résultats des activités profitables à des objectifs sociaux. cette perspective n’est pas négligeable, surtout
pour les grandes villes. Par exemple, en 2011, les activités
exercées en régie propre ont rapporté à la ville de Munich
environ 250 millions d’€. Une autre caractéristique qui renforce l’attractivité des régies est qu’elles offrent généralement à leur personnel des conditions de travail meilleures
que dans le secteur privé, en particulier en ce qui concerne
la stabilité de l’emploi.
ces différents éléments permettent de comprendre pour-
quoi à l’heure actuelle 80% des allemands accordent leur
préférence à l’exécution des services-publics par des acteurs du secteur-public et que 70% sont opposés à la privatisation des missions de service-public.
2 . 1 . 2 – Les PPP vus comme un instrument pour
résoudre un « étranglement » financier
Au-delà du trend du retour à l’internalisation, il a été noté
en introduction que des communes continuent à externaliser, ou à impartir dans le cadre de PPP. Le déterminant
majeur de cette orientation est très simple. En fait, les
communes optant pour cette stratégie sont en général
confrontées à de graves difficultés financières. celles-ci
ont principalement deux origines.
D’une part, les difficultés peuvent résulter d’erreurs de gestion, par exemple sous-évaluation importante du coût d’un
« grand-projet », ce qui en Allemagne se confirme dans au
moins 80% des cas. Le financement de ces dépassements
importants par rapport aux prévisions peut conduire à un
surendettement et ainsi supprimer toute marge de manœuvre financière en matière d’investissement. L’engagement au cours des années 2000 dans des activités spéculatives, ce qui a notamment été le cas de nombreuses
grandes-villes, est d’autre part à l’origine de problèmes financiers, sachant que ces engagements ont généralement
été effectués sans en maîtriser les risques. Les
conséquences dramatiques de ces engagements « aventureux » se sont révélées lors de crise financière de 2008.
En effet, dans la grande majorité des cas, cette crise a
détruit la valeur des investissements financiers, ce qui a
conduit les collectivités engagées dans de telles opérations
au bord de la cessation de paiement.
Par conséquent, pour redresser leur situation financière,
les collectivités concernées ne peuvent jouer que sur deux
leviers. D’une part, elles mettent fin à de nombreuses activités : Par exemple, fermeture de piscines, de théâtres,
de bibliothèques, d’orchestres philarmoniques, d’écoles,
d’hôpitaux, etc.). A ce niveau, le moindre-mal peut être le
regroupement d’activités communes, par exemple fusion
des orchestres philarmoniques de deux villes, partage d’activités entre deux hôpitaux, etc. D’autre part, le fait d’être
proche de la cessation de paiement implique que les collectivités concernées n’ont plus de marges d’endettement.
Par conséquent, pour délivrer les missions de service-public indispensables, ces collectivités n’ont pas d’autre choix
que de faire appel à des prestataires privés. ces constats
conduisent à conclure qu’à l’heure actuelle, en Allemagne,
les décisions de s’engager dans des PPP sont le plus souvent des choix contraints et non pas le résultat d’un processus rationnel de sélection entre plusieurs alternatives.
(2) En dehors de nouveaux cas de corruption qui sont révélés quasiment chaque semaine et dont le recensement dépasse le
cadre de cette contribution, des dizaines de cas de corruption sont référencés par exemple dans Seifert & Voth (2007), Wieczorek (2012), ou encore dans un dossier spécial de l’hebdomadaire Die Zeit du 25/04/2013, pp. 13-15.
Business
Management
Review Review
| Vol. 4 |n°1
Business
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Vol.| Janvier-Fevrier-Mars
3 n°1 | Janvier-Mars 2015
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Vers une renaissance du Secteur-Public en Allemagne : Le Méga-Trend
de la re-communalisation des concessions municipales
2 . 2 – Deux cas exemplaires de renoncement aux
concessions
Dans cette partie de l’article, le choix a été fait de porter
l’attention sur deux cas « exemplaires » de partenariats
conclus entre des villes et des opérateurs privés, qui ont
finalement débouché sur une re-communalisation, du fait
de « promesses » non-tenues. Pour respecter la variété
de ce type de situation, les exemples sélectionnés traitent
d’une part du cas d’une grande ville (Berlin) et d’autre part
de celui d’une ville moyenne (Bergkamen), située à proximité de Dortmund.
2 . 2 . 1 - La distribution de l’eau à Berlin :
Un « modèle » de violation des engagements
La concession de la distribution de l’eau à Berlin constitue
un cas exemplaire de dérive excessive d’un PPP. La
concession a été accordée en 1999, dans un contexte de
déficit structurel que la ville de Berlin connaît depuis la
réunification allemande.
Avant la chute du Mur de Berlin, la partie « Ouest » de la
ville qui était enclavée au centre de l’Allemagne de l’Est
était considérée comme la « vitrine de l’Ouest ». De ce
fait, Berlin-Ouest recevait de fortes subventions. Ainsi, dans
le dernier budget de Berlin-Ouest, les subventions
représentaient environ 50% des recettes. Après la réunification allemande, la « raison d’être » de ces subventions
n’existait plus, ce qui a conduit rapidement à leur réduction
massive. Par ailleurs, il s’est révélé nécessaire de moderniser la partie « Est » de la ville, dont beaucoup d’infrastructures n’avaient quasiment pas évolué depuis la fin du
deuxième conflit mondial. En outre, comme cela a déjà
été expliqué ci-devant, l’Union monétaire a anéanti les capacités économiques de la zone « Est » de la ville. La
baisse dramatique des recettes face à des besoins en investissement colossaux explique donc
que jusqu’à présent les finances de la ville sont toujours
déséquilibrées. Pour se forger une image de ce déséquilibre, il faut savoir que Berlin a en fait le statut de ville-Etat.
Dans ce cadre, Berlin peut bénéficier du système de
péréquation qui existe en Allemagne entre les Etats
(Länder) excédentaires en matière budgétaire (la Bavière,
le Bade-Württemberg et la Hesse) et les Etats déficitaires.
A ce titre, Berlin est destinataire de 90% des transferts,
tous les autres Etats se partageant seulement 10% de
cette manne.
En 1999, le budget prévisionnel de la ville de Berlin faisait
état d’un déficit à hauteur de 4,1 milliards de DM (2,05 milliards d’€). Face à cette situation financière catastrophique,
la coalition cDU/SPD qui était alors au pouvoir a entrepris
une vaste offensive « d’activation du patrimoine », qui était
un euphémisme pour caractériser la « privatisation » des
services-publics. Après avoir d’abord privatisé le secteur
de l’énergie, puis celui des logements sociaux, les responsables des finances ont pris en ligne de mire la distribution de l’eau.
Après la réunification allemande, la gestion de cette activité
a été confiée à une Agence (Régie) de Droit public, cette
forme juridique ne permettant pas une prise de participation
par des investisseurs privés, notamment du fait que comparativement aux sociétés de Droit privé, cette structure
offre des avantages en matière de financement et de fiscalité. Pour contourner ce problème, la coalition au pouvoir
a pris la décision de placer la Régie de l’eau (Berliner Wasserbetrieben – BWB) sous le contrôle d’une Holding de
Droit privé. Dans ce montage juridique, 50,1% des parts
de la Holding étaient détenus par la ville de Berlin et 49,9%
par deux investisseurs privés. Bien que l’opposition ait
déposé un recours, le conseil constitutionnel a validé cette
structure. Enfin, pour éviter une contestation des syndicats
du personnel, une clause a été introduite pour interdire
tout licenciement jusqu’en 2014.
Sur cette base, une concession partielle d’une durée de
28 ans a été accordée au groupe RWE (second électricien
allemand, qui se diversifie dans l’environnement) et à veolia
(vivendi à l’origine). chaque partenaire détenait une participation de 24,95%, chiffre qui est juste inférieur au seuil
de 25% nécessaire pour disposer d’une minorité de blocage. La concession a été acquise par les 2 partenaires
pour un montant net de 1,55 milliard d’€, l’opération étant
notamment financée par l’assureur Allianz. En contrepartie,
les deux investisseurs ont obtenu que leurs apports soient
rémunérés au taux fixe de 9%. ce chiffre est à rapprocher
de celui dont bénéficiait antérieurement la Régie de l’eau,
qui s’établissait à 5,2%, ce taux étant calculé à partir de la
rémunération moyenne des Bons du Trésor à 10 ans +
2%. Il est à noter qu’à l’origine la clause de rémunération
des apports à 9% a été gardée secrète par la ville.
Malgré la hausse de la rémunération des apports, une
baisse des tarifs de l’eau était prévue à moyen terme, du
fait de l’hypothèse (théorique) de la réalisation de gains
de productivité. Dans un premier temps, en attendant que
les gains de productivité se concrétisent, les partenaires
se sont accordés sur une stabilité des tarifs de l’eau jusque
fin 2003. compte tenu de l’objectif de baisse des prix souhaité par la ville, une clause supplémentaire également
conservée secrète a été ajoutée au contrat. celle-ci prévoit
que si la baisse des prix de l’eau ne peut être obtenue
qu’en réduisant le taux de rémunération des apports, qu’il
appartiendra alors à la ville d’assurer aux deux investisseurs une compensation du manque à gagner.
Finalement, pour respecter la clause de rémunération des
apports à 9% sans avoir à la financer par déficit, dès le
terme de la clause de stabilité des tarifs de l’eau et contrairement aux promesses, les prix ont augmenté de 15,3% la
première année (2004) et de 5,4% l’année suivante (2005).
En prenant en considération les 10 premières années de
la concession (1999-2008), la clause de rémunération des
apports à 9% a impliqué que RWE et veolia se sont partagés un gain net après imposition de 1,05 milliard d’€.
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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Durant la même période, le remboursement des emprunts
financé par le prix de cession de la concession a permis à
la ville de Berlin d’économiser une charge annuelle d’intérêt
de 62 millions d’€, compte tenu du taux d’intérêt moyen
de 4% applicable sur les crédits accordés aux communes.
En 10 ans, l’économie totale s’élève donc à 620 millions
d’€. En rapprochant les deux sommes (gain des investisseurs et économie en intérêts de la ville), il apparaît que si
la ville avait conservé les 100% de la Régie de l’eau, qu’elle
aurait (toutes choses égales par ailleurs) dégagé au cours
de cette même période un surplus de 430 millions d’€, qui
aurait pu être affecté à la baisse du prix de l’eau.
La conclusion qui ressort de cette analyse est que dans le
cas de la distribution de l’eau à Berlin, le renoncement à
des recettes à long terme au profit d’une réduction
immédiate des emprunts du fait des recettes issues de la
« privatisation » ne s’est pas révélé avantageux pour les
usagers.
Dans un environnement d’exaspération générale liée à la
hausse des tarifs des services-publics et des impôts, en
particulier pour « éponger » la faillite de la Banque municipale de Berlin à la suite de spéculations hasardeuses, une
nouvelle coalition est parvenue au pouvoir lors des élections municipales de 2006. Dans cette mouvance, une initiative populaire a exigé le dévoilement des accords secrets
de 1999. Une première pétition lancée dans ce but en
2008 a recueilli seulement 36000 signatures. Une seconde
pétition lancée en novembre 2010 s’est révélée plus fructueuse, puisqu’elle a permis de collecter 280 000 signatures. En réaction, les élus ont adopté un texte établissant
que les conditions d’attribution des concessions doivent
être rendues publiques. c’est ainsi que le contrat de distribution de l’eau datant de 1999 a été porté à la connaissance du public le 10 novembre 2010.
c’est dans ce contexte que les résultats de la pétition de
novembre 2010 ont rendu obligatoire l’organisation d’un
référendum populaire qui s’est déroulé en février 2011. A
cette occasion, près de 700 000 votes se sont portés sur
la proposition de re-communalisation de la distribution de
l’eau.
compte tenu de cette insatisfaction notoire, la cour des
comptes s’est saisi du dossier et a calculé que la marge
sur chiffre d’affaires de la distribution de l’eau à Berlin est
de l’ordre de 23 à 25%. Estimant qu’une telle marge constitue un indicateur d’un abus de position monopolistique, la
cour des comptes a transmis le dossier à la commission
fédérale de contrôle des cartels (Bundeskartellamt). cette
commission (équivalent de l’Autorité de la concurrence en
France) a rendu son rapport en février 2011, en parallèle
au référendum populaire. Le rapport conclut que le prix du
mètre-cube d’eau à Berlin est supérieur de 50 cent par
rapport au prix pratiqué par des villes de taille comparable,
comme cologne, Hambourg et Munich.
A la suite de deux recommandations qui n’ont pas été sui-
vies d’effet, la commission fédérale de contrôle des cartels
a imposé en juin 2012 une baisse du prix de l’eau potable
à Berlin de 18,2%.
Face à cette situation, le groupe RWE qui a besoin d’investir dans les énergies renouvelables pour un montant
estimé à 7 milliards d’€, du fait du renoncement du gouvernement allemand à produire de l’énergie nucléaire, s’est
déclaré favorable à la cession de ses parts. Après de
longues négociations, la ville a accepté de débourser 618
millions d’€ pour acquérir la participation de RWE. Dans
un premier temps, veolia a contesté le droit de RWE de
céder sa participation en l’absence de son consentement
pour la réalisation de cette transaction, en estimant que la
cession de ses parts par RWE porte atteinte à ses propres
droits. cependant, le Tribunal de Grande Instance de Berlin
qui a été saisi en référé pour traiter ce différent a débouté
veolia, en estimant que l’accord passé entre RWE et la
ville de Berlin ne viole aucun droit de veolia et que veolia
ne peut pas se prévaloir d’un droit de regard sur la transaction entre RWE et la Régie de l’eau de Berlin.
L’exposé de ce cas approche maintenant de son épilogue.
Après la validation en première instance du retrait de RWE
de la Régie BWB, veolia a annoncé vouloir faire appel de
cette décision, mais a finalement renoncé à entreprendre
cette démarche. En revanche, veolia a fait appel de la
décision de la commission fédérale des cartels. Les résultats de cet appel devraient en principe être connus au
cours des prochaines semaines. Il en résulte que la baisse
des prix en question n’est pour l’instant pas applicable.
cependant, la Régie BWB et le Bundeskartellamt se sont
déjà entendus sur le fait qu’en 2013 les usagers vont
bénéficier d’un avoir de 15%, qui est calculé sur les facturations de 2012. cela représente en moyenne une réduction annuelle des dépenses d’eau de 15 € par personne.
Selon l’accord extra-judiciaire passé entre la Régie BWB
et le Bundeskartellamt, cette réduction de 15% devrait être
également maintenue en 2014 et 2015.
Avec sa participation de 24,95 % qui est inférieure au seuil
de la minorité de blocage (25%), veolia ne peut pas s’opposer à la mise en application de cet accord. En revanche,
veolia peut exiger l’application de la clause de 1999, qui
lui garantit une rémunération de 9% de ses apports. cependant, face au mécontentement général que provoquerait cette exigence, veolia a décidé d’adopter une autre
stratégie. c’est ainsi que selon le quotidien Berliner-Morgenpost daté du 22 février 2013, veolia a proposé à la
Régie BWB de ne conserver qu’une participation de 10%
et de céder le reste de ses parts à la Régie. Toujours selon
le même journal, cette offre ne vaut que si la ville de Berlin
propose en parallèle à veolia un partenariat pour participer
à la gestion d’autres services-publics. Si tel n’est pas le
cas, veolia envisagerait se retirer complètement de la distribution de l’eau à Berlin. cependant, dans le domaine de
l’eau, le partenariat avec Berlin est le plus important de
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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Vers une renaissance du Secteur-Public en Allemagne : Le Méga-Trend
de la re-communalisation des concessions municipales
veolia en Allemagne et il constitue le fer-de-lance des 300
concessions de distribution d’eau que la société gère Outre-Rhin. Par conséquent, il est clair que la maison-mère
se donnera un large temps de réflexion avant de mettre
ses menaces de retrait à exécution, car cela pourrait engendrer la perte de contrôle de nombreuses autres concessions d’eau en Allemagne.
Pour conclure, ce cas exemplaire démontre que
l’hypothèse néo-libérale de l’efficience supérieure des
opérateurs privés pour délivrer des missions de servicepublic relève plus du mythe que de la réalité.
prise de l’activité en interne, le fournisseur historique (RWE)
a pris l’initiative de faire une offre garantissant à la ville
des revenus annuels supplémentaires d’un million de DM
(500 000 €) par rapport à la situation préexistante. cependant, dans un premier temps, la ville a préféré confier
à une société de conseil une étude de faisabilité et de rentabilité de l’activité exercée en régie propre.
Les résultats de l’étude ont démontré que la ré-impartition
pouvait se révéler rentable. Par conséquent, la ville a entrepris des négociations avec RWE et à mis en concurrence
trois alternatives :
2 . 2 . 2 – Comment les villes moyennes peuvent
gagner des millions ? Le cas de la ré-impartition
des services-publics par la ville de Bergkamen
Parmi les cas de reprise en main de concessions par une
ville moyenne, l’exemple de la ville de Bergkamen constitue
un modèle du genre. cette ville du Land de Rhénanie du
Nord-Westphalie (Nordrhein-Westfalen) qui compte 52 000
habitants se situe à une quinzaine de kilomètre au nord de
Dortmund et au plan administratif elle est attachée à l’arrondissement de la ville d’Unna.
La ville de Bergkamen est née de la fusion en 1965 de 6
communes. cette ville étant relativement jeune, elle n’a
pas été confrontée au dilemme de la fermeture de régies
propres lorsqu’elle a étendu ses missions de service-public.
Par conséquent, elle a pu aisément succomber à l’origine
aux charmes de la « privatisation ».
c’est ainsi que jusqu’en 1994, la quasi-totalité des missions
de service-public avait été confiée à des opérateurs privés.
A cette date, la principale activité exercée sous un statut
de Droit public était l’épuration des eaux usées. En outre,
la ville détenait une participation minoritaire dans 3 sociétés
intercommunales de son arrondissement : 9 % des parts
d’une société de transport public, 14 % des parts d’une
société de construction de logements sociaux et 10% d’une
société de promotion du développement économique.
En revanche, la gestion d’activités importantes comme
l’approvisionnement en électricité et en gaz, la fourniture
de l’énergie de chauffage et la distribution de l’eau potable,
ainsi que le ramassage des ordures ménagères et le nettoyage urbain avait été confiée à des entreprises privées
de moyenne et grande taille : Par exemple, pour l’électricité,
RWE, qui pour rappel est le second groupe du secteur en
Allemagne et pour l’eau Gelsenwasser, qui est un des principaux distributeurs d’eau en Allemagne et qui est même
aujourd’hui un acteur présent à l’international.
Il résultait de cette stratégie basée principalement sur l’externalisation (impartition) qu’en 1994 la ville de Bergkamen
n’avait que de très faibles compétences dans la création
et le management d’entreprises municipales. Un événement important pour la ville a été l’arrivée à expiration au
31/12/1994 de la concession d’électricité. La presse s’étant
fait l’écho que la ville envisageait comme alternative la re-
a) Une coopération sous la forme d’un PPP avec le fournisseur historique, en prévoyant d’étendre à terme le
partenariat à d’autres activités, lorsque les concessions
correspondantes parviendraient à terme ;
b) la ré-impartition en régie propre, en s’appuyant au départ
sur les compétences technico- économiques de la régie
d’une ville voisine ;
c) une coopération intercommunale avec deux autres villes
voisines.
Le fournisseur historique a spéculé sur le fait que la ville
ne serait pas en mesure de gérer sous régie propre l’activité
et a donc décliné l’offre de PPP, en escomptant qu’en dernier ressort la ville renouvellerait la concession d’électricité.
Parmi les deux alternatives restantes, la solution de la
régie propre risquait de ne parvenir au seuil de rentabilité
qu’après 8 années. L’idée de faire supporter par la collectivité des pertes durant une période aussi longue étant
peu défendable dans un environnement politisé, c’est finalement la troisième solution qui a été retenue.
c’est ainsi qu’a été fondée en décembre 1994 une SARL
(GmbH) intercommunale. Les participations dans cette société ont été définies en fonction de la taille respective des
communes partenaires. Pour Bergkamen, la participation
s’est élevée à 42%, ce qui a représenté un investissement
de 15 millions de DM (7,5 millions d’€). La ville de Bergkamen a financé sa participation principalement par un recours à l’emprunt. cependant, Bergkamen a pris la précaution de faire valider au préalable sa structure d’endettement
par les institutions de contrôle. Leur aval a signifié que l’investissement était considéré comme rentable, ce qui a incité Bergkamen à concrétiser ses intentions.
Faisant suite au non renouvellement de la concession, le
fournisseur historique a fixé un prix qui paraissait exorbitant
pour la reprise du réseau par les communes partenaires.
Le désaccord sur le prix a conduit le fournisseur historique
à introduire une action en justice. cependant, face à la
lenteur de la justice, le plaignant a retiré sa plainte en 1996
et les parties sont parvenues à un accord extra-judiciaire.
Les résultats des premiers exercices de la nouvelle SARL
étant en conformes aux prévisions, les activités dont les
concessions parvenaient à expiration ont également donné
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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lieu à ré-impartition par l’intermédiaire de cette même
société. cette solution permet notamment de dégager des
synergies, puisque pour les prestations de type «B to c»,
destinées à l’usager final, les clients sont généralement
identiques. c’est ainsi qu’en 1999, la distribution du gaz a
été ré-internalisée. En 2002, c’est le nettoyage des rues
qui a été ré-internalisé et l’année suivante la distribution
de l’énergie de chauffage. En 2006, le ramassage des ordures ménagères a également été réintégré dans le
périmètre des services gérés en régie propre. En 2008,
la distribution de l’eau a donné lieu à une re- communalisation partielle. Le partenaire historique, Gelsenwasser,
continue à assurer la maintenance du réseau de canalisation qui est supérieur à 200 Km et fournit l’eau, mais uniquement en situation de « back office ». En revanche, le
management de l’alimentation des 11 300 points d’eau
de la ville et de la facturation des 3,6 millions de mètrescube d’eau consommés annuellement est du ressort de la
municipalité.
En outre, pour tenir compte des possibilités de développement offertes par le progrès technologique, la SARL a
fondé dès 1999 sa propre filiale dans le cadre de l’offre de
prestations Internet, la société HeLiNET. En 2011, cette
société a réalisé un chiffre d’affaires de 19 millions d’€ et
a dégagé un bénéfice net de 185 000 €.
Pour Bergkamen et ses habitants, les résultats des opérations de ré-internalisation sont les suivants. La nouvelle
SARL avait en 2012 un effectif de 186 salariés, auxquels
s’ajoutaient 16 apprentis. La masse salariale est d’environ
5,2 millions d’ €. Environ 10 millions d’ € sont investis annuellement et les bénéficiaires des commandes sont
généralement des entreprises locales. En 2011, le montant
du bénéfice annuel net retiré de cette société par la ville
de Bergkamen s’est élevé à environ 2,6 millions d’€. Une
somme équivalente a été également collectée au titre de
la taxe professionnelle et des autres taxes dont la SARL
est redevable. compte tenu de l’effet du multiplicateur
keynésien, la politique de ré-impartition constitue indiscutablement un facteur de développement de l’économie locale.
En outre, dans ses investissements, la ville peut défendre
ses propres valeurs éthiques et sociétales. c’est ainsi par
exemple que la ville soutien la production d’énergie renouvelable et subventionne les habitants qui installent des
équipements de production d’énergie solaire. Le recours à
cette même énergie solaire pour le chauffage des bâtiments
publics permet à la ville de réaliser des économies, cellesci étant affectées à subventionner les tarifs des établissements de loisirs (piscines, etc.), ou pour sponsoriser des
activités culturelles, sportives et sociales. Tous les autres
services ayant fait l’objet d’une ré-impartition permettent
également de réaliser des économies par rapport à la situation antérieure. Par exemple, le coût du nettoyage des
rues a été réduit de 25%.
Enfin, les prestations se sont améliorées dans de nombreux
domaines. Par exemple, en ce qui concerne le ramassage
des ordures ménagères, le tri est maintenant plus sélectif,
ce qui contribue à la protection de l’environnement. En ce
qui concerne les objets encombrants, alors que le système
antérieur était celui d’une collecte organisée seulement
deux fois par an, pour les usagers qui en font la demande,
l’enlèvement est maintenant garanti sous 48 heures. Enfin,
un service de vidage des caves et greniers et autres (garages, etc.) est maintenant offert aux habitants de la commune.
En conclusion, le cas de Bergkamen prouve que même
pour les villes moyennes, qui sont par nature limitées en
ce qui concerne la possibilité de bénéficier d’économies
d’échelle, le postulat de la supériorité des acteurs privés
par rapport à ceux du secteur public est contestable.
Si elles se donnent les moyens de formuler et de mettre
en œuvre une stratégie rigoureuse, les villes moyennes
peuvent faire mentir le cliché humiliant qui prétend qu’elles
ne sont pas capables d’atteindre le niveau de performances
du secteur privé. Au contraire, l’exemple de la ville de Bergkamen prouve que les défaillances, les lenteurs et le dépassement des budgets sont souvent causés par des acteurs
privés, alors que des villes de taille moyenne peuvent faire
preuve d’une meilleure discipline en la matière.
CONCLUSION
Les faits exposés dans cet article permettent d’argumenter
que dans le débat relatif aux avantages des PPP, ceux-ci
sont souvent « virtuels » au début d’un projet. En effet, à
ce stade, les coûts de transaction réels sont en général
difficiles à apprécier. Mais, au fur et à mesure que le projet
progresse, il est très fréquent que des « coûts cachés »
soient détectés en parallèle, ce qui met en cause la supériorité des PPP. cependant, parvenu à cette étape, ne voulant
pas perdre la face, les initiateurs du projet défendent
généralement l’hypothèse qu’un « point de non-retour » a
été atteint et que, par conséquent, il n’est plus envisageable
de disqualifier le partenaire privé.
compte tenu de ce comportement qui est fréquemment
observé, il est permis de s’interroger, afin de savoir si la
sous-évaluation des coûts lors du lancement d’un PPP ne
relève pas d’une stratégie délibérée des acteurs privés,
qui savent qu’ils bénéficient généralement d’une quasi-garantie de mise en application de la clause « implicite » du
« point de non-retour ». Dans le cas contraire, c’est-à-dire
si les acteurs privés sont mis face à leurs responsabilités
et sont soumis à des pénalités, il n’est pas rare que les
entreprises concernées décident de se mettre en faillite.
ce constat doit inciter à faire preuve d’une grande vigilance
lors du calcul des coûts prévisionnels. En effet, compte
tenu de la durée habituellement longue des PPP, il est fondamental que les estimations initiales soient les plus
« transparentes » possibles, sous peine de prendre le
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Vers une renaissance du Secteur-Public en Allemagne : Le Méga-Trend
de la re-communalisation des concessions municipales
risque d’être confronté à terme à des dérives insupportables.
Faire appel à la prudence est une chose. cependant, la
multiplication des scandales en Allemagne (environ 80%
des grands projets sont livrés avec retard et dans 70%
des cas les coûts prévisionnels sont dépassés d’au moins
50%), permet de penser que les outils traditionnels de
prévision ne sont pas adaptés et que des efforts sont à
réaliser pour améliorer la fiabilité des estimations. Il est
clair que les chercheurs sont appelés à se mobiliser afin
d’apporter leur contribution en vue d’atteindre cet objectif.
Si même les grandes villes se font régulièrement piégées
lorsqu’elles s’engagent dans des PPP, il est évident que
les villes de petite et moyenne tailles, qui manquent en
général de ressources humaines spécialisées, ont intérêt
à nouer des coopérations pour disposer d’un pôle de
compétences en matière d’évaluation des apports des PPP.
A ce niveau, des partenariats avec les universités devraient
permettre de compenser au moins partiellement ce manque
de capacités d’expertise.
En ciblant toujours le cas de l’Allemagne, la multiplication
actuelle des conflits dans des cas de PPP conduit à se poser la question de savoir si la supériorité de ce montage
juridique par rapport aux solutions offertes par le SecteurPublic n’est pas un mythe, reposant uniquement sur des
considérations politiques. En effet, même en l’absence de
dérives aussi importantes que celles prises en exemple
dans cet article, les rapports des cours des comptes allemandes sont alarmants en la matière (Bundes-und Landesrechnungshöfe, 2011). ces rapports établissent très
régulièrement que face à différentes alternatives, les bénéficiaires des PPP tendent quasi- systématiquement à choisir
la solution la plus onéreuse et donc permettant de dégager
les marges les plus élevées.
En résumé, l’expérience allemande récente en matière de
PPP tend à prouver que la supériorité apparente des PPP
n’est souvent qu’un « feu de paille » et que, sur le long
terme, les engagements ne sont plus respectés. En fait,
contrairement à ce qui peut ressortir du libellé PPP, dans
la pratique, il est rare que sur le long terme un équilibre
demeure entre les intérêts du partenaire public et de celui
privé. Au contraire, il se produit souvent une dérive à terme,
au détriment du partenaire public, qui se trouve pris au
piège.
Pour lutter contre ces dérives nuisibles, une solution peut
consister à introduire dans les contrats de concession une
clause de révision des termes du contrat à intervalles réguliers, par exemple tous les 4/5 ans. Il est évident que, le
cas échéant, il faut éviter des dérives en sens inverse. Par
conséquent, la mise en application de la clause de révision
des contrats à échéances régulières ne peut être envisageable que si en parallèle un système est instauré afin
que les adaptations souhaitables respectent le principe
« gagnant / gagnant ». Les chercheurs doivent également
se mobiliser à ce niveau, afin de parvenir à concevoir des
solutions équitables, qui respectent les intérêts de toutes
les parties prenantes.
Une telle clause de révision des concessions durant leur
cycle de vie contribuerait à ce qu’au-delà de la sémantique,
un PPP ne s’apparente plus sur le long terme à une simple
« privatisation », mais prenne les caractéristiques d’une
véritable « alliance stratégique ».
Une autre solution permettant d’échapper au risque de se
trouver piégé par un «pseudo- partenaire » consiste à donner la préférence à la réorganisation interne des processus.
En effet, la réorganisation des processus offre souvent des
avantages plus attractifs que ceux d’un PPP aux perspectives à long terme relativement floues.
En outre, la solution de la réorganisation interne des processus apporte une protection envers le risque de corruption, sachant qu’il n’est pas rare que la corruption constitue
le déterminant principal de la mise en œuvre d’un PPP.
Par conséquent, compte tenu de ce risque, tout projet de
PPP devrait systématiquement être soumis au filtre de la
question de savoir « à qui profite le crime ? ». En effet,
face à la délinquance croissante des élites3, il est permis
de postuler que c’est uniquement du fait que les organes
de contrôle sont en sous-effectif, que les cas de corruption
mis à jour ne constituent que la partie émergée de l’iceberg.
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(3) Cette formulation n’est pas uniquement de la pure rhétorique. Par exemple, en 2009, les crimes économiques recensés en
Allemagne ont augmenté de 20% par rapport à 2008. Les chiffres définitifs de 2012 ne sont pas encore connus, mais selon l’Office fédéral de lutte contre la criminalité, la tendance est à la hausse (cf. Die Zeit, Dossier). Un exemple très récent est la mise
en examen pour fraude fiscale de Uli Hoeness, le Président du FC Bayern de Munich, alors que lui-même s’est toujours
présenté comme étant un modèle de moralité.
Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015
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72
Les différentiels d’intentions stratégiques au sein des réseaux d’innovation :
une limite au partenariat public-privé – cas du pôle mondial SCS
ResUMe
ABstRAct
L’innovation collaborative à l’échelle des pôles de
compétitivité vise en premier lieu à créer des débouchés
nouveaux, c’est-à-dire à générer des innovations prêtes
à être diffusées sur les marchés. Pourtant, si les réseaux
d’innovation ont été largement étudiés par des outils de
pilotage, de gouvernance et de coordination, par la
finance, la propriété intellectuelle ou les pratiques RH,
par la formation, par la confiance entre les partenaires,
par les externalités, ou encore par la dynamique des
PME, une carence persiste dans les recherches
actuelles à propos de l’orientation stratégique composite
des réseaux d’innovation, en particulier l’orientation
marché ou client dans la dynamique des projets/acteurs.
Tout en nous inscrivant dans le courant des travaux de
recherche qui mettent en exergue les spécificités du dispositif français des pôles de compétitivité composé
d’acteurs complémentaires (Recherche, Formation et
Entreprises), notre travail met l’accent sur le fait que l’innovation collaborative est mise en tension par des
intentions stratégiques différenciées, liées précisément
aux profils hétérogènes, et parfois divergents, des partenaires animés par un projet commun. Par une analyse
empirique portant sur le pôle ScS, nous tentons de comprendre la façon dont s’intègre la l’orientation « marché
» dans les pôles de compétitivité, et le rôle que la dimension marketing joue dans la dynamique d’innovation
collaborative au sein des pôles de compétitivité.
collaborative innovation within clusters is first to create
new opportunities and generate innovations ready to be
released on the market. However, if innovation networks
have been widely studied by monitoring tools, governance and coordination, with finance, intellectual
property or HR practices, staff training, trust between
partners, externalities or by dynamism of SMEs, a deficiency persists in current research about the strategic
orientation of the composite innovation networks, in particular customer or market orientation in the dynamics of
projects / actors. While we are in the current research
that highlight the specificities of the French competitiveness clusters composed of complementary players
(Research, Academic and Enterprise), we intend to
focus on the fact that collaborative innovation is tensioned by differentiated strategic intentions and profiles
specifically related to heterogeneous, and sometimes
conflicting, partners driven by a common project. By an
empirical analysis on the ScS French cluster, we try to
understand how the customer orientation fits in the clusters, and the role that marketing plays in dynamic
collaborative innovation within competitiveness clusters.
Keywords: Clusters, networked innovation,
customer orientation
Mots-clés: Pôles de compétitivité, innovation en
réseau, orientation client
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
73
Boualem ALIOUAT
Université de Nice Sophia Antipolis
GREDEG – CNRS UMR 7321
cheikh THIAW
Université de Nice Sophia Antipolis
GREDEG – CNRS UMR 7321
INTRODUCTION
Le partenariat public-privé se construit parfois sous la forme
de réseaux d’innovation, notamment dans le cas des pôles
de compétitivité. Des acteurs publics (formation et recherche) associent leurs efforts d’innovation à celui des
entreprises qui cherchent à se redéployer sur des marchés
nouveaux et porteurs. Mais ont-ils toujours le même objectif
? Un contrat de performance peut-il se construire de
manière verticale et par décret (top down) quand les partenaires potentiels sont animés par des intentions divergentes. cet article tente de montrer les limites de certains
PPP en tant que concept générique de groupement public-privé lorsque les intentions stratégiques des uns sont
plutôt orientées marché alors que les autres sont exclusivement orientés innovation.
L’objet de cette recherche est aussi de mieux comprendre
le rôle de l’orientation marché au sein des réseaux d’innovation, la place que lui réservent les partenaires au sein
des pôles de compétitivité, et l’influence que peuvent avoir
les enjeux divergents et les visions différenciées de ces
parties prenantes au regard de la dimension marketing
dans l’innovation collaborative.
conscient de l’intérêt historique, économique et social de
la dynamique territoriale pour l’irruption ou le développement d’entreprises compétitives, nous assistons, depuis
plusieurs années et partout à travers le monde, à l’instauration de politiques convergentes favorables à l’émergence
de milieux innovants et durables. ces politiques ont visé à
construire des districts, des clusters, des parcs d’activités,
des parcs technologiques ou plus récemment en France,
des pôles de compétitivité. L’objectif de ces politiques, à
vocation internationale ou mondiale, est d’accroître la
compétitivité des économies nationales ou régionales en
enchâssant sur une base territoriale spécifiée différents
acteurs-ressources et parties prenantes pour des innovations collaboratives. La proximité géographique, institutionnelle et organisationnelle de ces réseaux a d’abord été
étudiée en économie spatiale dont les travaux abordent
les milieux innovateurs à travers leurs relations localisées
et coordonnées comme fondement principal de la compétitivité territoriale (Becattini et Rullani, 1995). L’économie
géographique s’est emparée également du sujet pour mettre davantage en exergue la dynamique de proximité en
opposant forces d’agglomération et effets de dispersion
(Gilly et Torre, 2000). Les ancrages territoriaux, les trajectoires d’évolution, la path dependency, ou encore les investissements de proximité et la fidélisation à un territoire
par les coûts de sortie prohibitifs s’inscrivent dans ces courants théoriques (colletis et al., 1997).
La sociologie ou les sciences de gestion ont cherché ensuite à enrichir l’analyse des formes de coordination au
sein de ces relations localisées, en ne se limitant plus aux
aspects matériels de la proximité spatiale, afin de mieux
comprendre la structure des interactions entre individus
encastrés (Granovetter, 1985) ou l’intensité stratégique de
tels réseaux pour la compétitivité des entreprises (Porter,
1998). ces travaux permettent in fine soit d’orienter la gestion et la gouvernance ou les choix stratégiques des
réseaux d’innovation, soit d’orienter les choix de financement des collectivités territoriales. Notre travail, focalisé à
la fois sur l’orientation marché des partenaires et les dynamiques d’acteurs/projets, s’inscrit dans le prolongement
de ces approches (cooke et Piccaluga, 2005).
Nous abordons dans une première partie la question des
réseaux d'innovation confrontée à l'orientation marché des
acteurs et des projets, avant de présenter notre appareil
méthodologique dans un deuxième temps, pour exposer
dans un troisième temps nos résultats et leur discussion.
Réseaux d’innovation et orientation marché
Les clusters sont des pôles de compétence régionaux qui
intègrent toutes les phases de la chaine de valeur économique (conception, production, distribution) spécialisés
dans un domaine technique et susceptible de procurer à
leurs membres un avantage compétitif mondial. Les pôles
de compétitivité (spécifiques à la France) constituent quant
à eux simplement des réseaux de connaissances. ces
derniers sont assimilables à des « Knowledge clusters »
dont le périmètre se limite à trois ensembles d'acteurs:
des entreprises, des acteurs de la recherche et des pôles
de formation. Ils constituent un terrain favorable à l'innovation, notamment parce qu’ils offrent une opportunité
réelle de développer en leur sein des processus d'innovation ouverts multipliant les liens entre acteurs (essaimages,
octroi de licences, partenariats en R&D,...). A ce titre, ils
contribuent à accroître l'efficience et l'efficacité de la R&D
et de l'innovation (chesbrough, 2003, 2006). On observe
généralement que ces réseaux développent des formes
de croissance nouvelles qui se propagent aux autres activités locales, notamment de service et de sous-traitance
(Aliouat, 2010). Toutefois, cette capacité à innover en mode
collaboratif peut varier selon les caractéristiques structurelles des clusters et les comportements adoptés par les
acteurs, individuellement ou collectivement. c’est notamment le cas des intentions stratégiques et des profils de
partenaires qui peuvent générer des antagonismes ou des
dissonances dans l’œuvre collective. Ainsi, peut-on observer des implications marketing plus ou moins engagées
selon les partenaires au sein d'un cluster, et a fortiori d'un
pôle de compétitivité. Même si Marshall (1910) pensait
qu'on ne pouvait dissocier la logique des grappes industrielles de leur orientation marketing, la très grande majorité
des recherches s'est essentiellement focalisée depuis sur
les externalités en termes de production et beaucoup moins
sur les implications en termes d'activités marketing pour
chacune des firmes partenaires (Brown, 1999). L’objectif
de notre travail est précisément d’en investiguer l’étendue
dans le cas d’un pôle de compétitivité mondial : le pôle
« Solutions communicantes Sécurisées » (ScS) en région
Provence-Alpes-côte-d’Azur1.
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
74
Les différentiels d’intentions stratégiques au sein des réseaux d’innovation :
une limite au partenariat public-privé – cas du pôle mondial SCS
Rappelons que les pôles de compétitivité ont été inspirés
par des exemples réussis de territoires et de projets innovants au plan international et européen, notamment à
l’image des clusters (Porter, 1998) et des districts industriels
(Marshall, 1910 ; Becattini, 1990). Les expériences réussies
à l’international démontrent d’ailleurs qu’il est essentiel de
développer des modes de coopération inter-organisationnelles au sein des régions afin d’augmenter les externalités
positives et favoriser l’innovation pour relever des défis
technologiques à fort potentiel de compétitivité future et
d’enracinement économique et social sur une territoire
donné.
Les entreprises se livrent une concurrence grandissante à
l’échelle européenne et internationale en raison même de
la forte convergence technologique qui caractérise la globalisation des marchés, au même titre qu’un isomorphisme
néo-institutionnel s’accroît au détriment des opportunités
de différenciation sur des niches spécifiques (DiMaggio et
Powell, 1983). Dès lors, les entreprises prennent de plus
en plus conscience qu’elles sont contraintes désormais
d’intégrer en réseau leurs méthodes de travail de conception, de développement et de production, de même que
les pouvoirs publics sont convaincus de l’impératif de valoriser la compétitivité des territoires dans une économie
mondialisée, en les dotant d’importants moyens de promotion des innovations collaboratives. En France, cette
forme de promotion s’oriente essentiellement vers les
réseaux de connaissances à travers le dispositif des pôles
de compétitivité. Dès 2004, une impulsion en faveur d’une
politique de clusters à la française amorce un dispositif qui
deviendra effectif en juillet 2005 avec la labellisation de 67
pôles par le comité interministériel d’aménagement et de
compétitivité des territoires, et en juillet 2007, par celle de
cinq nouveaux pôles. Ainsi, fin 2008, 71 pôles de compétitivité, dont 7 pôles «mondiaux» et 10 à «vocation mondiale»
officiaient en France. Le leadership des pays qui ont fait le
choix de favoriser l’émergence de milieux innovants et durables depuis plusieurs décennies à travers leurs districts,
clusters, parcs d’activités, ou parcs technologiques, justifie
cette initiative inédite en France. L’objectif de cette initiative
est d’accroître la compétitivité de l’économie française en
enchâssant sur une base territoriale spécifiée trois acteurs
ressources de l’innovation collaborative : des entreprises,
des centres de recherche publics et privés, et des organismes de formation. ces pôles, forme hybride de cluster
et de simple réseau de connaissances, concernent surtout
les secteurs industriels à forte intensité technologique et
les services à forte intensité immatérielle qui constituent
également des bassins d’emplois non négligeables et
durables.
Les pôles français privilégient la collaboration sous forme
de réseaux de connaissances contrairement aux autres
formes de clusters à l’international qui incluent des processus de production/distribution. ce centre d'intérêt se
justifie par une volonté de se focaliser sur un élément clé
de la chaîne de valeur des compétences stratégiques d’acteurs différenciés sur un territoire donné. On considère
que l’enjeu majeur est lié à l’amplification de la complexité
des processus de connaissance à la base de toute innovation. cette complexité croissante contraint désormais
les entreprises à aller au-delà de leurs frontières pour
acquérir de précieuses connaissances et compétences,
afin de compléter et parfaire leurs propres capacités innovatrices (Becker et Dietz, 2004). De même, la compression
des cycles de vie des technologies oblige les entreprises
à revoir leurs investissements d’innovation et à élargir leurs
assises technologiques sur des bases collaboratives (Nijssen et al., 2001). En ce sens, la fertilisation des processus
d’innovation nécessite inévitablement une coopération avec
d’autres entreprises ou institutions qui offrent des opportunités d’accès à des ressources technologiques complémentaires (notamment par le « skill sharing »). La coopération
peut ici à la fois contribuer à un développement plus rapide
des innovations, améliorer l’accès aux marchés à l’échelle
mondiale, permettre de bénéficier d’économies d’échelles,
et rendre possible un partage des coûts et une répartition
des risques (Hagedoorn, 2002 ; López, 2008 ; De Faria et
al., 2010). La coopération permet aussi d’établir des combinaisons complémentaires et des synergies susceptibles
de réduire les contraintes et d’optimiser la vélocité d’intégration des capacités dynamiques (Becker et Dietz, 2004 ;
Dachs et al., 2008). La décision de coopérer signifie le
plus souvent que les entreprises associées mettent à disposition des unes et des autres leurs options et gammes
technologiques (Mowery et al., 1998 ; caloghirou et al.,
2003). Dès lors, les entreprises impliquées ont plus de
connaissances à leur disposition que celles qui agissent
isolément, car elles sont parties prenantes aux réseaux
où se trouve de meilleurs flux d’informations et de connaissances à exploiter (Gomes- casseres et al., 2006 ; Rodrigues Bandeira et al., 2012).
Au demeurant, ce travail est le résultat d’une recherche
empirique qui repose sur deux intentions qui traitent à la
fois de l’importance des réseaux d’innovation dans la dynamique des territoires et de la négligence généralement
portée à l’une des variables déterminantes de cette dynamique : l’orientation « marché » (ou « client ») des innovations en réseau. Premièrement, nous observons que la
compétitivité à l’échelle internationale repose à la fois sur
le partage des connaissances en réseau et les incitations
(1) Ce pôle couvre la chaîne de valeur des TIC (des semi-conducteurs aux usages) et comprend 30 Grands groupes industriels,
près de 200 PME innovantes, 18 établissements et organismes de recherche et de formation de renommé mondiale, des plateformes de mutualisation de moyens, des centres nationaux fédérant un réseau d’experts, plus de 380 projets labellisés depuis
juillet 2005, pour plus de 1.1 Milliards € de dépenses engagées et un réseau d’associations professionnelles rassemblées au
sein du PRIDES SCS : Arcsis, MobiSmart, Medinsoft, SAME, Telecom Valley.
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
75
à l’innovation collaborative. Deuxièmement, nous observons que si les réseaux d’innovation ont été largement
étudiés et conduits par des outils de pilotage, de gouvernance et de coordination (Aliouat, 2010 ; Ehlinger et al.,
2007 ; Fen chong, 2009 ; Bocquet et Mothe, 2009), par la
finance, la propriété intellectuelle ou les pratiques RH (colle
R. et al., 2008 ; Defélix et al., 2008), par la formation
(Maury, 2008), par la confiance entre les partenaires (Bouchet et al., 2008), par les externalités (Bouabdallah et Tholoniat , 2006), par la dynamique des PME (Mendel A. et
Bardet M., 2008 ; Dang, 2011), une carence persiste dans
les recherches actuelles à propos de l’orientation
stratégique composite des réseaux d’innovation, en particulier l’orientation « marché ou client » dans la dynamique
des projets/acteurs évoluant dans le « monde » de l’innovation collaborative (au sens de la socio-économie pragmatique de Boltanski et Thévenot, 1991). Nous avons
précisément mené une analyse empirique cherchant à
modéliser le rôle de cette dimension dans la performance
des réseaux d’innovation, en nous basant sur l’expérience
des pôles de compétitivité français, avec une investigation
focalisée sur le pôle ScS en région PAcA. Le pôle ScS a
été retenu en raison de son profil, de la nature de ses projets et de son historique collaboratif avec notre laboratoire
de recherche (abondance de données préexistantes au
sein du cNRS - UMR7321), mais aussi du fait de la grande
variété de ses domaines d’activités, le profil spécifique de
ses membres et ses facteurs d'émergence historiques
(Technopole de Sophia-Antipolis, Plans portés par des
« champions nationaux » [Longhi (2008)].
Les facteurs d’incitation à la coopération peuvent en effet
être en conflit avec des intentions et des profils d’acteurs
différenciés et difficiles à mettre en consonance ou en
cohérence. L’orientation client, comme nous le verrons,
apparaît le plus souvent comme le nœud gordien des difficultés que rencontrent les pôles de compétitivité dans l’atteinte de leurs objectifs assignés. Notre objectif consiste à
contribuer à une meilleure compréhension de la façon dont
s’intègre la dimension marketing dans les clusters, et le
rôle qu’elle joue dans la dynamique d’innovation collaborative au sein des pôles de compétitivité.
La particularité des pôles de compétitivité, forme hybride
de cluster, est que cette forme d’innovation collaborative
implique désormais la participation d’acteurs autres que
ceux issus du monde économique, à savoir les acteurs de
la recherche et ceux de la formation. cette particularité
nécessite de poser clairement la question des intentions
stratégiques du réseau d’innovation composite, notamment
quant à l’orientation marché des parties prenantes et son
impact sur la performance de ces clusters hybrides.
Des obstacles à l’innovation collaborative avaient déjà été
observés par les rapports d’audit du BcG - cM International, de la DGcIS, ou de KPMG en 2008 et 2009, laissant
apparaître des problèmes de fonctionnement, de gouver-
nance et de performance des pôles, malgré plusieurs retombés positives : la phase I.0 (2005-2008) a permis de
renforcer les liens entre les acteurs autour de projets de
R&D collaboratifs ; la phase 2.0 (2009-2012) a permis
d’aboutir à un meilleur renforcement de l’écosystème d’innovation et de croissance des pôles de compétitivité, avec
la mise en place de contrats de performance entre l’État,
les collectivités territoriales et les pôles de compétitivité .
En 2012, une nouvelle évaluation de la politique des pôles
de compétitivité vient d’être achevée par Bearing Point –
Erdyn - Technopolis ITD (BP-ET-ITD, un consortium mandaté par l’Etat français). D’une manière générale, si leur
rapport relate «une dynamique collaborative désormais
mature et attractive pour les entreprises » et « des effets
importants en matière de soutien aux innovations » (BPET-ITD, 2012, p.148), il pointe du doigt quelques écueils à
l’innovation collaborative notamment dans ses objectifs de
générer des innovations prêtes pour l’accès aux marchés.
Le rapport note une plus forte concentration des actions
des pôles en faveur du soutien aux projets de R&D collaboratifs au « détriment » d’actions ayant trait à « la mise
sur le marché des innovations » ; ce qui relèguerait les
pôles de compétitivité à un simple statut d’« usines à projets » (BP-ET-ITD, 2012, p.149).
Alors que l’innovation collaborative au niveau des pôles
de compétitivité est d’abord une question de gestion de
projets qui, en plus de son caractère inter-organisationnel,
fait intervenir des partenaires non industriels (recherche et
formation), les questions relatives à la dimension marketing
des stratégies employées dans les projets d’innovation
collaboratifs ont été peu étudiées. Le projet collaboratif est
pourtant « la matrice de fonctionnement des pôles » (Fen
chong, 2009), et ne justifie pas que les premiers travaux
sur les pôles de compétitivité aient négligé la gestion du
projet collaboratif lui même (Defélix et al., 2008). L’approche
marketing à travers l’orientation client des projets est cependant trop souvent délaissée voire totalement ignorée.
Paradoxalement, l’innovation collaborative à l’échelle des
pôles de compétitivité vise en premier lieu à créer des
débouchés nouveaux, c’est-à-dire à générer des innovations prêtes à être diffusées sur les marchés. Ainsi, d’après
Mendez et al. (2008) « la stratégie française de financement
de l’innovation, hormis les aides individuelles, reste polarisée sur des modes de financement qui continuent à légitimer essentiellement l’organisation et les spécificités de
deux types d’acteurs, les grandes entreprises et les organismes de recherche fondamentale dans une politique de
projets de R&D » (Mendez et al., 2008, p.51).
ce travail vise d’abord à expliquer les mécanismes
d’intégration de la dimension Marketing dans la dynamique
d’innovation collaborative et plus particulièrement, à travers
l’orientation client/marché des projets d’innovation collaboratifs, en sachant que cet aspect client ne s’imprègne
pas de la même manière auprès de l’ensemble des acteurs.
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Les différentiels d’intentions stratégiques au sein des réseaux d’innovation :
une limite au partenariat public-privé – cas du pôle mondial SCS
En effet, le contexte inter-organisationnel marqué par une
hétérogénéité des parties-prenantes (entreprises, laboratoires de recherche et organismes de formation) conduit
nécessairement à une différence d’approches marketing
et de stratégies d’innovation. Outre le fait que les acteurs
n’ont pas les mêmes sensibilités vis-à-vis des questions «
client » et « marché », retenons que chez certains acteurs
impliqués dans le projet d’innovation collaboratif, il y a
même absence d’objectifs de création de valeur orientée
vers le marché. c’est le cas, toute chose égale par ailleurs,
des laboratoires de recherche ou des institutions de formation. De même, au sein des acteurs entrepreneuriaux
(grands groupes et PME), l’aspect orientation client et l’approche marketing ne sont pas intégrés de la même
manière, du fait notamment de la différence des types de
projets ou des périmètres d’intervention sur ces projets.
Dans cette perspective, notre problématique se décline en
trois questions principales : (1) comment l’objectif de
l’orientation client s’intègre à la dynamique d’innovation
collaborative des projets d’innovation technologique
conduits au sein des pôles de compétitivité ? (2) L’orientation client est-elle spécifique à certains profils d’acteurs au
sein des Projets d’Innovation collaboratifs ? (3) L’orientation
client a-t-elle une influence spécifique sur l’architecture
des projets d’innovation collaboratifs ? cette intention de
recherche vise à identifier les déterminants de la dynamique de l’innovation collaborative au sein des pôles de
compétitivité, à décrire les combinaisons d’acteurs, d’intentions stratégiques, de ressources, de compétences et
de capacités des projets d’innovation collaboratifs ainsi
que les obstacles à cette forme d’innovation, et enfin à
modéliser l’articulation de l’intégration de la dimension marketing dans l’innovation collaborative à travers la place de
l’orientation client/marché à la fois dans la genèse et le
choix d’orientation d’un projet d’innovation collaboratif.
Revenons cependant sur les fondements de l’innovation
collaborative relevant du cas spécifique des pôles de
compétitivité. Si on positionne les appels à projet de R&D
des pôles dans la nomenclature TRL (Technology Readiness Level) (Mankins, 1995) adapté au processus de développement de technologies, on remarque qu’en fonction
des tailles de projets, il y a des zones non ou moins couvertes par les dispositifs de soutien de l’innovation collaborative dans le cadre des pôles de compétitivité. Le TRL
est un cadre d’analyse à 9 niveaux, initialement exploité
sur les systèmes militaires, notamment par la NASA. Il
offre un cadre d’analyse de la capacité de déploiement
d’un système. En général, le TRL (« Niveau de Maturité
Technologique ») permet de mettre en place un cadre
d’analyse efficace sur la capacité de déploiement de nouvelles technologies au sein des organisations parfois diverses (Mankins, 2009). L’échelle TRL est composée de 9
niveaux de mesure permettant d’évaluer le degré de maturité d’une technologie avant de l’intégrer dans un système
(voir dans le schéma 1 la liaison entre les différentes étapes
de développement et de maturation des technologies, et
leurs formes de soutien financier dédiées).
La position des appels à projet de R&D sur le cycle de
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développement technologique (TRL) laisse apparaître que
les étapes proches du marché ne bénéficient pas de soutien, et les actions des pôles de compétitivité sont uniquement concentrées dans le montage et le financement des
projets d’innovation collaboratifs, sans suivi permanent des
phases successives de développement vers des marchés
spécifiques. En d’autres termes, les projets sont financés
jusqu’au développement d’un prototype (β Product), sans
aucune implication structurelle dans les phases TRL 7, 8
et 9 sus-évoquées dans le schéma 1, notamment par le
Fonds Unique Interministériel français.
Sur la base de ces limites intrinsèques, nous exposons à
présent, dans notre partie consacrée à la méthodologie,
les spécificités de notre terrain d’étude et la justification de
nos propositions de recherche.
Méthodologie : Mesure de l’influence des intentions
stratégiques différenciées
Notre projet de connaissances s’inscrit dans le courant
des travaux de recherche qui mettent en exergue les spécificités du dispositif français des pôles de compétitivité composés d’acteurs complémentaires (Recherche, Formation
et Entreprises), en mettant notamment l’accent sur le fait
que l’innovation collaborative est mise en tension par des
intentions stratégiques différenciées, liées précisément aux
profils hétérogènes, et parfois divergents, des acteurs
animés par un projet commun. Nous nous sommes focalisés sur trois points favorisant l’innovation au sein d’un
réseau d’innovation collaboratif. Il s’agit dans un premier
temps d’analyser comment les acteurs au sein du réseau
coopèrent afin d’assurer un partage de leurs ressources
et connaissances (Sakakibara, 1997 ; Doz, Olk et Ring,
2000). Le deuxième niveau d’analyse s’intéresse aux manières de collaborer afin de développer des procédés technologiques (Hagedoorn, Link et vonortas, 2000) ; Arranz
et de Arroyabe, 2006). Le troisième niveau d’analyse
concerne les modes de gouvernance des réseaux, pour
mettre en exergue les méthodes mobilisées pour développer des projets de R&D collaboratifs dans un environnement marqué par la présence de différentes parties-prenantes (Dyer et Singh, 1998 ; Kulmann et Edler, 2003).
Sur cette base, nous formulons trois propositionsde recherche complémentaires et progressives conformément
au caractère abductif de la recherche:
Proposition 1 : L’hétérogénéité des acteurs mobilisés par
des projets communs au sein des pôles de compétitivité
structure des architectures d’innovation collaborative ellesmêmes hétérogènes car ces parties prenantes actionnent
des rationalités différentes.
Proposition 2 : Les modalités et les contours des projets
d’innovation collaboratifs conduits au sein des pôles de
compétitivité se caractérisent par des spécificités en lien
avec les intentions stratégiques des acteurs.
Proposition 3 : L’intégration de la dimension marketing
dans les projets d’innovation collaboratifs répond à des attracteurs de sens qui sont en corrélation avec la nature
des acteurs et les finalités poursuivies ; cette intégration
de la dimension marketing subit l’influence négative de
l’hétérogénéité des acteurs des pôles de compétitivité.
Notre recherche est de type « qualimétrique » (Savall et
Zardet, 2004), c’est-à-dire que dans ses deux phases principales elle est basée sur une approche qualitative descriptive (méthode de cas à propos d’un système intégré et
en fonctionnement au sens de Yin, 1984) couplée à une
démarche quantitative de mesure et de traitement
mathématique des données. Ainsi, le protocole de collecte
de données, majoritairement primaires, a permis de mobiliser différentes techniques et méthodes. Nous avons utilisé
un guide d’entretien afin d’analyser les acteurs du champ
à partir de leur discours, puis un questionnaire quantitatif
qui nous a servi de moyens de récolte d’informations complémentaires et confirmatoires. Les données issues de
quarante entretiens semi-directifs auprès de 40 acteurs
différents ont été croisées avec d’autres données (secondaires publiques et privées, et données d’observation passive). Nous avons mené nos entretiens entre novembre
2011 et avril 2012. chaque entretien a duré 2h en
moyenne, et avons retranscrit 1063 pages analysées ensuite par Nvivo. Un questionnaire a été établi en
complément pour consolider certaines informations factuelles et donner sens aux tendances apparues à l'issue
des entretiens.
Les données majoritairement discursives ont fait l’objet
d’un codage préalable à une analyse de contenu que nous
avons réalisé à l’aide du logiciel Nvivo 9, puis à une quantification en vue d’un traitement multivarié réalisé avec
deux logiciels d’analyse et de traitement de données quantitatives (STATISTIcA et XLSTAT). ce sont des données
sous formes de variables binaires (échelles dichotomiques).
cette recherche de conceptualisations nouvelles, et néanmoins valides, se réfère à l’étude d’un cas singulier : une
recherche idiographique sur le pôle de compétitivité ScS
(Solutions communicantes Sécurisés) au sens de Tsoukas
(1989), que nous avons menée selon une démarche « abductive » (Thiétart, 2007) et dans un cadre « interprétativiste » cherchant à comprendre comment nos acteurs
construisent le sens qu’ils donnent à leur réalité sociale
vécue au sein des pôles de compétitivité (Girod-Séville et
Perret, 1999). La compréhension et l’explication des mécanismes d’intégration de l’orientation client/marché dans la
dynamique d’innovation collaborative au sein des pôles de
compétitivité nous conduit à fonder notre analyse d’émergence sur des données qualitatives et à privilégier l’alternance de collecte et d’analyse propre à la « Grounded
Theory » (Glaser et Strauss, 1967 ; Glaser, 2004). cette
méthodologie permet d’éclaircir « les mécanismes sousjacents d’un phénomène dans une démarche explicative
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Les différentiels d’intentions stratégiques au sein des réseaux d’innovation :
une limite au partenariat public-privé – cas du pôle mondial SCS
(...) à travers une réitération constante entre les matériaux
empiriques et la théorie afin d’émettre des conjectures qui
permettent d’expliquer le phénomène» (Dang, 2011, P.10).
Si l’étude exploratoire porte principalement sur le pôle ScS
qui couvre la chaîne de valeur complète des métiers des
TIc2 par opportunités de terrain et réflexion conceptuelle
(Miles et Huberman, 2003), nous avons aussi analysé et
interviewé des acteurs d’autres pôles de la région en tant
que panel de contrôle et par souci d’analyse comparative
permettant d’améliorer et la validité interne de notre étude
et son caractère généralisable (Yin, 1984). Notre recherche
est donc largement appliquée aux réseaux d’innovation de
la région Provence-Alpes-côte-d’Azur (PAcA). Nous avons
ainsi investigué les pôles Pégase, Mer PAcA, PASS (Parfums, Arômes, Senteurs, Saveurs) et capénergies, sachant
que parmi les acteurs du pôle ScS, certains font également
partie d’autres pôles de compétitivité précités. Le choix de
ces Pdc comme panel de contrôle s’explique par l’importance qu’ils jouent dans la région, la convergence de leurs
activités avec celles du pôle ScS, ou encore le poids important de leurs membres. ce pôle ScS labellisé « pôle
mondial » et fédérant fin 2012 plus de 280 adhérents, se
caractérise par des points d’ancrage conceptuels intéressants pour notre projet : une empreinte historique3, une
variété de ses membres, une forte étendue de son territoire
et un poids économique, qui en font un terrain d’étude
fertile offrant un potentiel réel en termes de découvertes et
de perspectives quant aux conditions de réussite ou
d’échec de l’intégration de la dimension Marketing par
l’orientation client/marché des projets.
L’orientation stratégique du pôle ScS convenait à notre
projet de recherche car la stratégie du réseau se déploie à
travers sept axes de l'écosystème ScS (cf. schéma 2)
parmi lesquels, un pivot relatif aux projets de R&D collaboratifs nous intéresse particulièrement dans le cadre de
notre projet de recherche, et dans une moindre mesure
celui des centres d’expertise et des plateformes R&D. Nous
avons mené nos entretiens entre les années 2011 et début
2012 en nous focalisant sur des acteurs dédiés à l’animation de l’écosystème, au recensement des formations disponibles dans les métiers des TIc, à l’accompagnement
des TPE/PME, à la promotion du développement international par le renforcement des relations inter-clusters et
l’accompagnement des TPE/PME, et enfin et surtout aux
acteurs dédiés à la mise en « Relation Business » à travers
le développement de synergies (commerciales, techniques,...) entre les membres du pôle.
Notre investigation porte sur différents types d’acteurs (re-
(2) Le pôle SCS comprend les métiers de la Microélectronique, du Logiciel, des Télécommunication, du Multimédia. Ses applications concernent la Traçabilité, la Connectivité, l’Identité, la Mobilité et de façon transversale la Sécurité. Ses marchés
dédiés sont l’Industrie, la Santé, le Transport / Logistique, l’Agroalimentaire, ou le Développement Durable.
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présentants de laboratoires de recherches et des centres
de recherche publics et privés comme INRIA et l’institut
EUREcOM ; des membres des structures de pilotage des
pôles eux-mêmes et des dirigeants et cadres d’entreprises
dédiés à la coordination des actions de partenariat auprès
des pôles, qu’il s’agisse de grands groupes industriels
(GGI), ou d’ETI, PME, et TPE (regroupées en PME)4 ;
des délégués d’institutions publiques (chambres de commerces et de l’industrie, des personnes issues d’organismes de formation publics et privés et enfin des représentants d’associations comme Télécom valley, de la
Fondation Sophia Antipolis, du cOSMED) (cf. Schéma 3).
Tseng et Lee, 2009). Toutes les modalités ont des α
proches de 0,9. Dans un second temps, nous avons utilisé
les logiciels de statistique STATISTIcA puis XLSTAT (pour
pallier les limites de STATISTIcA à 7 variables et modalités
intégrables à l'outil) et pour procéder cette fois aux analyses
des correspondances multiples. A partir de nos données
secondaires issues essentiellement de documentations
électroniques internes et externes, nous avons aussi réalisé
des observations directes passives à travers notre participation à des réunions (notamment du pôle Pégase dans
les locaux de notre laboratoire de recherche), dans le cadre
de petits-déjeuners réguliers organisés par les pôles (no-
Outre nos recueils de données primaires conventionnelles
analysées via Nvivo 9 et mesurées par STATA (calcul d’alpha de cronbach) pour transformer nos tableaux disjonctifs
complets en tableaux de Burt, et tester la fiabilité des
données et la validité des échelles de mesure. Les résultats
procurés par le logiciel STATA montrent clairement que
tous les facteurs analysés ont atteint un alpha de cronbach
supérieur au niveau requis, à savoir 0,7 (cuieford, 1965 ;
tamment par le pôle « Eau »), ou encore au travers de
conférences sur le thème des pôles de compétitivité (notamment, lors du 4ème Forum des Pôles de compétitivité
qui s’est tenue à Sophia Antipolis les 13 et 14 Novembre
2008)5.
Nos résultats mettent en exergue des dissonances innovation/orientation client qui corroborent nos propositions
de recherche.
(3) Nous percevons encore aujourd’hui les traces originelles de leur développement qui influencent le fonctionnement actuel
du pôle de manière significative. C’est le cas dans une certaine mesure du rôle primordial des réseaux d’innovations traditionnels encrés sur ces territoires, mais aussi particulièrement en ce qui concerne «la spécialisation des connaissances, la structure des réseaux prédominants et les configurations de partenariats» [Dang (2011)].
(4) Recommandation 2003/361/CE de la Commission européenne, du 6 mai 2003, concernant la définition des micro, petites et
moyennes entreprises.
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Les différentiels d’intentions stratégiques au sein des réseaux d’innovation :
une limite au partenariat public-privé – cas du pôle mondial SCS
Résultats et discussion
Dans ce contexte hétérogène, l’analyse des principaux
résultats de la recherche nous incite à orienter notre
réflexion vers les trois éléments suivants : les déterminants
de la dynamique des projets d’innovation collaboratifs (1),
les contours et leurs modalités (2) et les axes d'intégration
de leur dimension marketing à travers l’orientation
client/marché (3) :
• Les déterminants des projets/acteurs suggèrent que la
dynamique d’innovation collaborative est influencée par
la nature des parties prenantes, le profil et la légitimité
des acteurs individuels, l’action des pouvoirs publics et
l’existence de solides liens de réseaux. Les déterminants
structuro-fonctionnels et économiques confirment
l’hétérogénéité de la composition des acteurs. c’est-àdire, d'une part, que les acteurs des projets d’innovation
collaboratifs sont sensiblement différents entre eux sur
plusieurs variables discriminantes, et d’autre part, que
des différences particulières apparaissent même au sein
des groupes homogènes d’acteurs. Enfin ces acteurs,
comme dans tout écosystème, se caractérisent aussi
par un déséquilibre de poids économique et financier.
Les déterminants psychosociaux (Statut, Formation et
Background) concernent les profils de la ou des personnes physiques qui représentent les organismes dans
les pôles de compétitivité à travers la gouvernance et/ou
à travers leurs participations aux projets d’innovation
collaboratifs. Au final, ces caractéristiques forment le
profil synthétique de ces individus autour de trois catégories de profils (annexe 1): « Technocrate »,
« Managérial » et « Techno- managérial» que nous décrivons supra. Enfin, les différentes caractéristiques
confèrent aux individus plus ou moins de légitimité dans
les activités autour du pilotage de l’innovation collaborative de leur écosystème : légitimité du profil, historique,
internationale et institutionnelle. Les déterminants institutionnels suggèrent que la dynamique d’innovation collaborative subie l’influence de l’action des pouvoirs publics, et que l’existence de solides liens de réseaux
autour du pôle représente un facteur de renforcement
de cette dynamique.
• Les modalités et les contours de l’innovation collaborative
dans le contexte inter- organisationnel des pôles de
compétitivité obéissent, quant à eux, à l’hétérogénéité
des parties prenantes, à des intentions stratégiques et
des objectifs de valorisation différenciés. Les principales
intentions stratégiques révélées ont trait à la recherche
de complémentarité (1), de financement (2), de compétitivité (3), d’accès à des marchés (4), de valorisation
d’image (5), d’avancée technologique (6), de valorisation
de la recherche (7), d’apprentissage (8) et de partage
de risques (9). Les objectifs de valorisation identifiés par
notre recherche sont associés à des éléments de mesure
des effets bénéfiques d’une détention de connaissances.
Les objectifs de valorisation qui découlent de ces
éléments positifs sont: la codification par la propriété intellectuelle (PI), la publication, l’Open Source et le développement de savoir-faire.
• Les axes d’intégration de la dimension marketing à travers
l’Orientation client/Marché des projets d’innovation collaboratifs sont en revanche d’origine tripartite : Etat,
Pôles de compétitivité et Entreprises (Grands groupes
Industriels et PME).
Après avoir étudié le profil des acteurs, nous nous sommes
intéressés à l’analyse de l’impact des profils sur leurs objectifs tactiques et stratégiques qui expliquent leur adhésion
aux pôles de compétitivité et leur participation aux projets
d’innovation collaboratifs. La différence d’objectifs en fonction des profils d’acteur est une première résultante de notre analyse Nvivo des contenus discursifs des acteurs interrogés.
Le logiciel Nvivo 9 nous offre en effet une carte de
connexions qui permet de relier, à partir des nœuds de codage préétablis, pour chaque type de personnalité des
répondants à des éléments qui sont ici les objectifs de
mise en commun des acteurs. confirmés par des seuils
de signification fiables, ces éléments correspondent aux
objectifs tactiques et stratégiques liés à la décision des
parties prenantes d’intégrer le pôle et de prendre part à la
mise en commun de ressources et compétences pour
générer des innovations communes qui seront bénéfiques
à l’ensemble regroupé à travers un PIc. A cet effet, le
schéma 4 généré par le logiciel Nvivo 9 permet de mettre
en exergue un trio d’objectifs :
• la recherche de complémentarité, avec 23 acteurs sur
40, soit 14 des 19 PME, 5 GGI sur 8, 1 laboratoire de recherche (LR) sur les 5 de notre panel et 2 des 3 représentants du pôle ScS dans notre échantillon ;
(5) Le thème de cette conférence abordait la question des réseaux d'innovation au sein l’Europe, compte tenu de la publication
mi-octobre par la Commission européenne d'un rapport sur la politique européenne des clusters. Les thèmes développés ont
été orientés notamment sur les clusters d’excellence et sur l’innovation, la coopération inter-clusters, la professionnalisation
des structures de gouvernance, le financement, et la gestion du capital humain. Elle s’est tenue en même temps qu’une
conférence interministérielle consacrée à la stratégie européenne en matière de pôles de compétitivité. Elle s'est prononcée
sur les opportunités d'instauration de pôles de compétitivité européens de renommée mondiale (La conférence ministérielle
sur les pôles de compétitivité du 14 novembre 2008 : WWW.competitivite.gouv.fr)
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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• la recherche de financement, avec 21 répondants, soit 7
PME et une ETI, 4 GGI, les 5 LR de notre panel et 2
répondants du pôle ScS ;
• la recherche de compétitivité, avec 12 répondants qui
correspondent à 5 PME, 4 GGI, 1 représentant du pôle
ScS et un représentant de la ccI de Nice.
• Dissonances par catégories d’acteurs :
o Les entreprises (GGI et PME) qui ont un niveau d’orientation « client » fort voire très fort et des orientations «
innovation » moins importantes, voire faibles pour les
PME (quasi exclusivement orientées « client »).
o Les acteurs du pilotage des pôles de compétitivité à la
Les résultats issus de nos analyses des correspondances
multiples à un seuil de significativité fiable (annexes 1, 2
et 3) mettent également en avant trois catégories et trois
profils d’acteurs différenciés pour lesquels l’orientation
client et l’orientation innovation sont plus ou moins fortes,
et plus ou moins en dissonance (cf. schéma 5). ces catégories et profils discriminants mis en tension au sein des
pôles de compétitivité investigués donnent une représentation intéressante des conflits de perception et de
périmètre de projets des parties prenantes, même si certains dénominateurs communs animent les partenaires
aux projets d’innovation collaboratifs, à savoir, pour l’essentiel, les financements et la complémentarité des ressources et des compétences mobilisées. Ainsi, nos profils
et catégories répertoriés laissent percevoir les dissonances
suivantes :
fois orientés « innovation » et dans une moindre mesure
orientés « client ».
o Les acteurs de la recherche (Laboratoires et centres de
recherche) ont un niveau d’orientation « client » moyen,
voire faible pour les organismes de formation, mais un
niveau d’orientation « innovation » fort voire très fort.
• Dissonances par profils d’acteurs :
o Profils « managériaux » (qui sont pour une mise en avant
des attentes des clients dans leurs stratégies et
considèrent l’innovation comme une réponse aux seules
attentes du marché et qui sont essentiellement constitués
d’acteurs « entreprises », surtout de PME) : Niveau
d’orientation « client » très fort, avec un niveau d’orientation « innovation » moyen ;
o Profils « Techno-managériaux » (proches du profil managérial, mais qui n’excluent aucune intention effective
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
82
Les différentiels d’intentions stratégiques au sein des réseaux d’innovation :
une limite au partenariat public-privé – cas du pôle mondial SCS
de relever des défis de R&D. ce sont des acteurs de pilotage de pôles ou des acteurs de GGI: Niveau d’orientation « client » fort, avec un niveau d’orientation « innovation » faible ;
o Profils « technocrates » (misant essentiellement sur leurs
compétences de R&D et principalement constitués des
organismes de recherche, même si certains acteurs de
GGI se retrouvent parfois dans ce profil): Niveau d’orientation « client moyen », voire faible, avec un niveau
d’orientation « innovation » fort ou très fort.
novation collaboratifs, mais manifestent toujours un grand
intérêt pour la dynamique de l’écosystème régional.
En dehors de la recherche de financement qui est un objectif commun à l’ensemble des acteurs, nous observons
des intentions stratégiques différenciées assez nettes à
l’issue de nos analyses de correspondances multiples :
• les « technocrates » poursuivent prioritairement des objectifs stratégiques ayant trait à la valorisation de la recherche et à la recherche de l’avancée des technologies ;
La différence de nature des acteurs qui décident de rejoindre les pôles de compétitivité investigués s’accompagne
d’une différence d’objectifs et de finalités. Les raisons
d’adhésion des acteurs dans les pôles ne sont pas identiques même si tous semblent admettre que la recherche
de financement est la motivation première de l’accès à
l’innovation collaborative. viennent ensuite : (1) la recherche d’une meilleure connaissance de l'écosystème
régional, (2) la soumission à des contraintes réglementaires
liées aux conditions de financement et de labellisation des
projets d’innovation collaboratifs, (3) la valorisation de l’entreprise, (4) Et enfin, la contribution au dynamisme de la
région. Ainsi, sur ce dernier point qui n’est pas négligeable,
certains dirigeants, comme le DG de Texas Instrument à
l’origine du pôle ScS, ou les dirigeants de la multinationale
Amadeus, ne sont plus très impliqués dans les projets d’in-
• les profils « managériaux » privilégient davantage la complémentarité et la « compétitivité de marché » ;
• enfin pour les « technico-managériaux », la complémentarité et la compétitivité sont les deux objectifs
stratégiques qui viennent après la recherche de financement.
Globalement, nos analyses des correspondances multiples
indiquent que la recherche de complémentarité va de pair
avec l’objectif d’apprentissage, que la recherche de financement est liée au partage du risque, et que la valorisation
de l’image ainsi que la recherche de réponses à un marché
peuvent être conglomérées avec le besoin de compétitivité.
De même, la recherche de financement est associée à
l’intention d’acquisition de ressources mais aussi à la
création de valeur financière.
Nos résultats synthétiques expriment également trois en-
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
83
seignements majeurs qui sont relatifs à un écart manifeste
entre les connaissances des industriels (GGI et PME) et
celles des chercheurs (laboratoires et centres de recherche), notamment quant à la catégorisation des
connaissances en fonction des profils et des intentions
des acteurs au sein des pôles de compétitivité :
• Les GGI se distinguent par la quasi-complétude de leurs
bases de connaissances puisqu’ils disposent de l’ensemble
des connaissances disponibles dans l’écosystème. Leurs
bases de connaissances se rapprochent davantage de
celles des chercheurs. cependant, pour certaines catégories de connaissances comme les connaissances scientifiques et celles relatives aux aspects hautement technologiques et techniques, les organismes de recherche ont
une longueur d’avance. c’est la raison pour laquelle les
acteurs GGI expriment le besoin d’un recours à ces partenaires au sein des pôles pour lever les verrous technologiques qui les empêchent d’avancer vers les innovations
qu’ils souhaitent mettre en place.
• Les PME disposent de moins de marge de manœuvre en
termes de connaissances disponibles comparées aux autres acteurs. c’est sans doute ce qui explique leur objectif
stratégique premier qui consiste à rechercher des
complémentarités.
• Les Organismes de recherche quant à eux dépendent des
autres acteurs dans l’optique d’une innovation collaborative
qui permet la génération d’innovations créatrices de
marchés nouveaux. Leur base de connaissances est limitée en termes de perspectives « client / marché » et de
connaissances métiers, alors que ce sont eux qui détiennent les connaissances qui permettent de lever les verrous
technologiques. Ils ont donc besoin des acteurs industriels
qui leur apportent des connaissances ayant trait au marché.
Ainsi comme l’indique, dans son verbatim, christian Bonnet, Institut EUREcOM, «en tant que laboratoire de recherche, notamment dans le domaine des mobiles, si nous
pouvions avoir directement accès aux informations liées
aux orientations client, nous saurions quel type d’application et quel type de services développer à coup sûr. Nous,
à notre niveau, ce sont des informations stratégiques que
nous ne pouvons pas voir, parce que nous ne sommes
pas directement confrontés au marché. En revanche, nous
saurions dire quels sont les moyens techniques, quels
sont les limitations des réseaux et des tuyaux, des supports
techniques qui empêchent d’aller plus loin. Nous connaissons les verrous technologiques que ce soit dans le réseau,
dans l’accès radio, etc. Et donc là nous avons une vraie
valeur ajoutée. cependant, la question de savoir quel service ou quelle application développer restera toujours une
interrogation pour laquelle nous aurons constamment besoin des opérateurs qui valorisent les produits».
Pour qu’un projet d’innovation de produit et/ou de service
intra-organisationnel se déroule convenablement, des
compétences fonctionnelles et d’intégration sont requises
(Loufrani- Fedida, 2006). Il en est de même pour les projets
d’innovation collaboratifs menés au sein des pôles de
compétitivité, mais le caractère inter-organisationnel de
ces derniers les rend plus complexes à manager. En effet,
comme nous l’observons, les acteurs réunis autour d’un
projet d’innovation collaboratif ne disposent pas des mêmes
marges de manœuvres et ne réalisent pas des pratiques
similaires, notamment en ce qui concerne la valorisation
de leurs connaissances et compétences clés. A titre
d’exemple, si pour protéger leurs connaissances certains
acteurs optent pour la propriété intellectuelle (PI), d’autres
privilégient le partage ou des méthodes de protection
fondées sur le secret de fabrique.
Ainsi, s’il y a une convergence des considérations des acteurs concernant les caractéristiques propres aux connaissances, celles relatives au caractère contrôlable des
connaissances font apparaître quelques divergences d’opinions qui se révèlent ensuite avec force dans l’étude de la
question relative aux objectifs de valorisation. L’objectif de
valorisation est en corrélation directe avec ce que les acteurs considèrent comme des éléments positifs d’octroie
de connaissances clés. Parmi ces éléments positifs de la
détention de connaissances clés que nous listons dans le
tableau 1, la détention d’une propriété intellectuelle, son
exploitation commerciale et la compétitivité qu’elle permet
motivent essentiellement les GGI et les PME, tandis que
les questions relatives à la valorisation sont associées exclusivement à la publication pour les laboratoires de recherche. Les centres de recherche ne présentent pas de
convergence forte avec les laboratoires de recherche en
ce sens que les questions de propriété intellectuelle, de
marché et de compétitivité sont prises en compte de
manière plus prégnante. La question des réseaux à constituer est plus importante pour les PME en revanche.
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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Les différentiels d’intentions stratégiques au sein des réseaux d’innovation :
une limite au partenariat public-privé – cas du pôle mondial SCS
De ces éléments d’identification des facteurs positifs de la
détention de connaissances découlent des objectifs de valorisation qui présentent certes une forme de cohérence
globale pour le pôle de compétitivité ScS, mais dont la
cohésion interne est mise à mal par des perceptions dissonantes d’acteurs (les parties prenantes des pôles) sur
les quatre objectifs suivants :
• La codification en propriété intellectuelle ! Le développement de savoir-faire
• La publication
• L’open source
ce chevauchement des intentions stratégiques peut être
illustré concrètement à travers les objectifs de valorisation
des connaissances clés. En effet, la plupart du temps, les
industriels souhaitent protéger les connaissances issues
des collaborations et les développer en termes de savoirfaire, alors que pour les chercheurs la valorisation passe
d’abord par la publication, même si de plus en plus d’organismes de recherches optent pour la propriété intellectuelle.
c’est pourquoi, les études qui ont été réalisées sur ce sujet6 montrent que la valorisation des résultats issus de la
recherche collaborative publique-privée passe très souvent
par des canaux de nature informelle, débordant largement
le canal des dépôts de brevets et autres accords de licence
: articles de recherche, rapports techniques, relations de
conseil, réunions, séminaires, groupes de travail avec le
personnel des entreprises (cohen et al., 1998 ; MeyerKrahmer et Schmoch, 1998). De même, pour la majorité
des laboratoires et centres de recherche, il est établi que
les accords de propriété intellectuelle ne représentent
qu’une infime source de revenus. Ainsi, d’après Swamidass
et vulasa (2008), même pour les Etats-Unis, qui sont
réputées en avance sur la France dans ce domaine,
l’enquête annuelle de l’AUTM7 révèle que les revenus
d’accords de licence, quoique en augmentation, ne contribuent qu’à environ 3 % du budget de recherche des universités.
CONCLUSION
Notre travail repose spécifiquement sur la compréhension
de la façon dont s’intègre la dimension marketing (dans le
sens de l’orientation marché ou client), et du rôle que celleci joue dans la dynamique d’innovation collaborative au
sein des pôles de compétitivité.
Notre recherche tente de formaliser des connaissances
situées dans la pratique des acteurs par l'identification des
conditions de réussite ou d’échec de l’intégration de la dimension marketing dans les projets d’innovation collaboratifs, à l'intention des animateurs de pôles de compétitivité.
De manière générale, cette différenciation au niveau des
objectifs de valorisation peut avoir des répercussions sur
l’orientation des projets d’innovation collaboratifs, même
si cet impact ne concerne pas, dans notre étude, les phases
de déploiement des projets dont il serait utile d’approfondir
les voies de recherche en termes d’impact par contrecoup
différé dans le temps lorsque en dehors du pôle les partenaires développent leurs propres produits ou services innovants. En effet, les déterminants de l’innovation collaborative dans les pôles de compétitivité influencent
l’intégration de l’orientation clients/marché dans les projets
d’innovation collaboratifs, ce qui suscite une disparité de
comportements vis-à-vis du management de l’innovation
et, in fine, une absence de visions partagées autour d’objectifs communs de création de marchés nouveau
ceci nous amène à corroborer nos propositions de recherche selon lesquelles l’hétérogénéité des acteurs au
sein des pôles de compétitivité structure des architectures
d’innovation collaborative elles-mêmes hétérogènes en raison d’intentions stratégiques dissonantes pouvant avoir
une influence négative sur les projets d’innovation collaboratifs. cette observation empirique mérite d’être poursuivie par des analyses comparatives au plan international
(USA, Asie, Europe, France) pour les clusters/districts/pôles
de compétitivité qui mettraient en relation les formes de
valorisation recherchée par les parties prenantes et les niveaux de performance des réseaux soit à dominante «
orientation client », soit à dominante « orientation innovation» notamment à propos de l’innovation diffusée par des
canaux de nature informelle.
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Regard croisé
Défense et partenariats public privé : la grande désillusion
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Didier DANET
Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr
Pole Action globale et forces terrestres
INTRODUCTION
Depuis une vingtaine d’années, sous l’influence des thèses
du Nouveau management public1, les organisations publiques sont soumises à une série de réformes qui relèvent
d’une logique globale dite de «performance» et qui touchent
aussi bien aux frontières et aux structures de ces organisations aussi bien qu’à leurs techniques de gestion et à
leurs pratiques managériales2. En France, cette adhésion
aux thèses du Nouveau management public trouve sa
consécration dans la Révision générale des politiques publiques.
Parmi toutes les réformes entreprises dans ce contexte
de remise en cause du management public traditionnel, la
redéfinition des frontières des organisations publiques occupe une place centrale.3 Pour les forces armées en particulier, cette redéfinition se traduit par la sous-traitance de
certaines fonctions jusque là produites au sein de l’institution et par l’instauration de partenariats entre acteurs publics et acteurs privés.
cette évolution est portée par un discours standardisé qui
en fait une «fatalité heureuse».
Fatalité car le recours à des partenaires privés serait une
donnée incontournable des opérations militaires contemporaines.4 Les opérations extérieures (Balkans, Irak, Afghanistan) impliquent de mobiliser des ressources humaines nombreuses sur des périodes étendues et dans
un contexte de guérilla où, après une phase courte d’intervention militaire proprement dite, les forces armées doivent
assumer des missions de stabilisation et de reconstruction.
Au regard de la nature des missions, civiles par nature
mais militaires par défaut, aussi bien que de la rareté des
ressources humaines dans les armées professionnelles,
celles-ci sont invitées à se concentrer sur leur «cœur de
métier» et à s’appuyer sur des partenaires extérieurs pour
ce qui est des «fonctions périphériques».5
Fatalité donc, mais fatalité heureuse car l’externalisation
et la mise en place de partenariats public privé sont porteuses de multiples avantages : économies budgétaires
permettant d’absorber sans dommage la réduction des
crédits alloués à la Défense, flexibilité des dépenses et
variabilisation des charges en fonction de l’activité des
forces, accès au meilleur des compétences et des technologies détenues par les entreprises privées, opportunités
offertes aux personnels ayant la chance d’être transférés
vers les partenaires privés, maîtrise absolue du partenariat
grâce au cadre contractuel offert par les marchés publics...6
L’impérieuse nécessité des partenariats public privé et le
caractère nécessairement avantageux de l’externalisation
ont ainsi fondé la légitimité de la réforme et constitué une
sorte de pacte implicite en faveur les partenariats public
privé, pacte dont il convient aujourd’hui de vérifier s’il a
bien été respecté et si les transformations opérées par les
armées qui y ont souscrit leur ont permis d’en tirer les
bénéfices attendus. cette vérification est la plus facile à
opérer dans un pays comme les Etats-Unis qui présentent
le double avantage d’avoir introduit très tôt, dès l’intervention de l’armée américaine dans les Balkans, des partenariats public privé de grande ampleur et d’en avoir analysé
la mise en œuvre à travers de nombreux documents officiels. Le Royaume-Uni n’est pas en reste en matière de
participation des entreprises privées aux activités des
forces armées mais la masse des retours d’expérience
disponibles est moins fournie. Par rapport à ces deux
grands alliés, la France se situe assez sensiblement en
retrait7. En volume de crédits, les forces armées françaises
sont moins concernées que leurs homologues britanniques
mais elles le sont nettement plus que le reste des forces
européennes (Allemagne, Italie, Espagne..., pour ne citer
que celles qui disposent des budgets les plus
conséquents). Les rapports disponibles y sont également
(1) Polity, C., and Bouckaert, G. (2011). Public Management Reform: A Comparative Analysis - New Public Management, Governance, and the Neo-Weberian State (OUP Oxford).
(2) Voir par exemple la synthèse des thématiques du NPM dans : Amar, A., and Berthier, L. (2007). Le Nouveau Management Public: Avantages et Limites. Gestion et Management Publics. Revue du RECEMAP, Décembre.
(3) Jensen, P.H. (2007). Public Sector Outsourcing Contracts: The Impact of Uncertainty, Incentives and Transaction Costs on
Contractual Relationships (VDM Verlag Dr. Mueller e.K.).
(4) Parmi l’abondante littérature qui s’inscrit dans la rhétorique de la fatalité, voir notamment le point de vue des entreprises
concernées : Brooks, D. (2008). Stability Operations for Dummies: the Rôle of Private Sector in Iraq. (Woodrow Wilson School
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(5) Schofield, S. (2008). Why the Deparment of Defense is so Focused on Outsourcing. Contract Management 48, 30–33.
(6) Sur les avantages présumés de l’externalisation en général, voir l’excellente présentation de : Barthélemy, J. (2006).
Stratégies d’externalisation  : Préparer, décider et mettre en œuvre l’externalisation d’activités stratégiques (Dunod). Pour ce
qui est de présentations insistant sur les avantages pour le ministère de la Défense, voir notamment : Palmby, C.W.G. (2012).
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90
Regard croisé
Défense et partenariats public privé : la grande désillusion
moins nombreux même si certains sont d’une richesse
certaine.
Le but de cet article est donc de chercher à savoir si le
«pacte pour les partenariats public privé» a bien tenu ses
promesses et si, le cas échéant, les difficultés rencontrées
peuvent s’analyser à travers les outils d’analyse disponibles
en sciences de gestion ou en économie politique. Dans
cette dernière hypothèse, en s’appuyant sur les résultats
obtenus, il sera alors possible d’en tirer les leçons tout à la
fois sur le plan opérationnel (quelles préconisations pour
améliorer les pratiques en vigueur ?) et sur le plan des politiques publiques (quel jugement porter sur la réforme entreprise ?)
Pour ce faire, dans une première partie, nous décrirons
plus précisément la nature du pacte pour les partenariats
public privé et nous montrerons qu’il tient pour l’essentiel
à deux principes fondamentaux : la promesse d’avantages
susceptibles de renforcer l’efficacité des organisations publiques sans leur faire perdre la maîtrise de leurs opérations
et le cantonnement de l’externalisation au domaine des
fonctions non stratégiques des forces armées. La deuxième
partie permettra de confronter le pacte ainsi défini à la pratique telle qu’elle est retranscrite dans les très nombreux
rapports ou études produits à titre principal aux Etats-Unis
et, le cas échéant, en France. Sans grande surprise, on
constatera que le pacte n’a pas tenu toutes ses promesses
et que les difficultés rencontrées étaient assez largement
prévisibles si la mise en place des partenariats public privé
avait été analysée sous l’angle des modèles théoriques
disponibles tant en matière d’économie de la concurrence
que d’économie institutionnelle. A l’issue de cette troisième
partie, il sera possible de suggérer quelques pistes de
réflexion en vue de surmonter les difficultés rencontrées
et d’améliorer la pertinence des choix opérés en matière
d’externalisation des activités des forces armées.
1. Un pacte ambitieux, difficile à tenir
Le succès rencontré par les promoteurs du Nouveau management public a conduit en ce qui concerne le domaine
de la Défense à la généralisation d’un discours standardisé,
bâti sur un ensemble d’arguments élaborés par les experts
et les praticiens anglo-américains et repris parfois sans
nuances dans la plupart des pays à économie de marché.
En France, ce discours se retrouve dans nombre de documents dont certains émanent de représentants de l’institution militaire8. Pour les forces armées françaises en particulier, les promesses contenues dans ce discours sont
d’autant plus déterminantes que faire appel à des partenaires privés pour soutenir les opérations militaires, loin
d’être une formule inédite, renvoie à une histoire ancienne
dont les enseignements n’ont rien pour susciter d’emblée
l’enthousiasme. Au contraire, depuis l’emportement de Napoléon contre les fournisseurs aux armées, la tendance
permanente de ces dernières est de renforcer leur autonomie d’action en assurant par elles-mêmes l’ensemble
des fonctions opérationnelles et de celles qui les supportent. Le retour des partenariats public privé renverse donc
une tendance séculaire et suppose de surmonter les réactions de prévention qu’il suscite eu égard à cette expérience
historique. Tel est l’objet du pacte implicite qui se dessine
à travers la littérature académique et professionnelle favorable à une large politique d’externalisation des fonctions
non stratégiques de la Défense.
La teneur de ce pacte nous semble se structurer autour
de deux engagements majeurs. Le premier concerne les
résultats favorables que l’externalisation est susceptible
d’engendrer : le recours à des partenaires privés doit
améliorer les conditions d’intervention des forces armées
tant sur le plan des coûts que sur celui des performances
des prestataires. Le second porte sur la limitation du champ
des fonctions externalisables et assure aux forces armées
que l’externalisation ne concernera que les fonctions
périphériques et ne touchera pas au «cœur du métier militaire».
1.1. Le PPPP : pacte pour les partenariats public
privé
Dans les entreprises privées, le large processus d’externalisation qui s’est déroulé dans les vingt dernières années
s’explique, au regard des approches dominantes de l’entreprise (économie de marchés financiers, maximisation
de la valeur pour l’actionnaire, «corporate governance»),
par la volonté d’accroître la rémunération de l’actionnaire
au travers de la redéfinition du périmètre des activités et
des frontières de l’organisation9. L’élagage des activités
qui ne maximisent pas le retour sur les capitaux mobilisés
pour les mettre en œuvre produit mécaniquement une
amélioration de la rentabilité répondant aux attentes du
marché des capitaux et rend l’entreprise plus attractive
pour l’épargne qui cherche des opportunités d’investissement.
Dans les organisations publiques, cette considération relative à la rentabilité des capitaux investis n’intervient
pas de la même manière et elle n’occupe pas une place
aussi éminente dans l’argumentation en faveur des
(8) Voir par exemples les contributions de : Devaux, O., Mille, S., Darricau, G., Gaulin, E., Liot de Norbécourt, P., John Maas,
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Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
91
partenariats publics privés. certes, les partenariats publics privés sont présentés par leurs thuriféraires
comme un moyen de réduire le poids des capitaux immobilisés dans les organisations publiques et de remplacer des charges fixes de structure par des coûts variables d’activité. Mais, aucune notion d’amélioration
du rendement des capitaux investis ne se dégage de
cette substitution et si les partisans des partenariats
publics privés y voient un moyen de rééquilibrer les
comptes publics par le recul du besoin d’emprunt de
l’administration, d’autres considèrent qu’il y a là une
forme de dissimulation de la dette publique.10
A défaut de l’argument définitif que constitue dans l’entreprise privée la hausse du rendement financier pour
l’actionnaire, la formule des Partenariats Public Privé
a été promue au sein du monde de la Défense à travers
une double promesse valant en quelque sorte «pacte»
pour les partenariats public privé.
1.2. Une promesse d’efficacité
La première promesse concerne les effets positifs de l’externalisation sur l’efficacité et l’efficience des opérations
menées par les forces armées. A la lecture des nombreux
documents produits par le ministère de la Défense cinq
avantages se dégagent en faveur de l’externalisation des
fonctions dites «non stratégiques».
Cœur de métier
L’argument du «recentrage sur le cœur de métier» est
doublement important pour le monde de la Défense en
général et de l’armée de Terre en particulier. cette dernière a connu en vingt ans une très forte réduction de
ses effectifs du fait de la diminution tendancielle de
l’effort de défense d’une part et de la professionnalisation d’autre part11. Au total, les forces terrestres sont
passées d’une situation d’abondance de la main d’œuvre appelée à une situation de pénurie relative des en-
gagés. Du point de vue de l’institution appelée à gérer
une ressource humaine raréfiée au moment même où
se multipliaient les opérations extérieures aussi bien
que du point de vue des personnels engagés12, le fait
de libérer les personnels des tâches «ancillaires» pour
leur permettre de se consacrer à leur métier de «guerrier» présente à bien des égards (fonctionnel, professionnel, psychologique...) des avantages évidents. Simultanément, la distinction entre fonctions
périphériques et «cœur de métier» vaut engagement
de limiter l’externalisation aux premières et de préserver
le caractère régalien des secondes de sorte que l’Etat
conserve in fine la maîtrise de la force, autrement dit,
le monopole de la violence légitime13.
Compétence
L’accès aux meilleures compétences disponibles dans
les domaines les plus avancés de la technologie et des
services est le deuxième argument omniprésent dans
le discours en faveur de l’externalisation. Sans que l’on
puisse précisément discerner le moment précis où le
renversement s’est opéré, le monde militaire qui était
traditionnellement considéré comme une référence en
termes d’efficacité organisationnelle a été soudainement frappé de tous les stigmates des organisations
publiques. Il a laissé se dégrader, souvent par un processus d’autodépréciation tout à fait singulier, la réputation de compétence qui était la sienne.
En matière de recherche et développement, le secteur
militaire a longtemps été présenté commela source de
(presque) toutes les grandes avancées technologiques,
ce qui était sans doute excessif même si l’importance
des crédits publics affectés à la recherche militaire pouvait expliquer un certain nombre de découvertes et de
retombées vers le secteur civil14. Mais, cette thèse s’est
largement inversée, le secteur civil étant désormais
considéré comme plus avancé dans des domaines
(10) Voir l’étude très complte de : Marty, F. (2007). Partenariats public-privé, règles de discipline budgétaire, comptabilité patrimoniale et stratégies de hors bilan (OFCE), n°2007-29, 12 septembre
(11) Joana, J. (2004). Les politiques de la ressource humaine des armées en France et en Grande-Bretagne: le sens des reformes. Revue Française De Science Politique 54, 811–827, Vennesson, P. (2000). La nouvelle armée  : la société militaire en tendances, 1962-2000 (Centre d’études en sciences sociales de la Défense, rapport n°00-03).
(12) On conçoit facilement les effets défavorables que peut entraîner sur l’exercice du métier militaire et la fidélisation des engagés l’écart de perception entre le métier promis («En plus d’apprendre un métier vous apprendrez beaucoup sur vousmême», «Rares sont les entreprises où vos collègues ne perdent jamais une occasion de vous soutenir» pour reprendre deux
slogans des campagnes de communication du ministère de la Défense) et les fonctions parfois éloignées du terrain qu’implique une structure tournée vers l’autonomie et qui assume elle-même l’ensemble de ses fonctions de soutien. Voir sur cette
question de la communication en vue du recrutement : Weber, C. (2001). L’armée de Terre «  en campagnes  »  : ses stratégies audiovisuelles de recrutement. Les Champs de Mars n°9, 49–72.
(13) Cette garantie est d’ailleurs illusoire si l’on considère avec Christian Olsson et Bastien Hirondelle que dans le contexte
américain, le caractère régalien de la mission et la compétence des personnels de l’administration ne sont pas nécessairement
liés. Olsson, C. (2003). Vrai procès et faux débats: perspectives critiques sur les argumentaires de légitimation des entreprises
de coercition para-privées. Cultures & Conflits 52, 11–48.
(14) Voir notamment le travail de synthèse effectué par : Guichard, R. (2002). Une analyse de la coordination entre recherche
militaire et recherche civile  : éléments pour un repositionnement de l’innovation de défense au sein du système d’innovation
français (Université de Paris Dauphine, Thèse sous la direction de Dominique Foray). Dans le même esprit, Truel, J.-L. (1983).
«  Structuration en filière et politique industrielle dans l’électronique  : une comparaison internationale  ». Revue d’économie industrielle 23, 293–304.
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
92
Regard croisé
Défense et partenariats public privé : la grande désillusion
comme les télécommunications ou l’électronique par
exemple15.
S’agissant du fonctionnement au quotidien de l’institution
militaire, une semblable inversion se constate, le secteur
privé étant désormais considéré comme le domaine privilégié de la compétence technique, de l’innovation managériale, de l’efficacité économique.16 Le fait que beaucoup des techniques de gestion utilisées par les
entreprises (notamment les plus grandes d’entre elles)
aient été puisées dans la boîte à outil des organisations
militaires cède le pas à l’idée que et ce sont désormais
les forces armées qui doivent adopter des pratiques
des entreprises privées17.
En ce qui concerne les frontières de l’institution militaire,
l’externalisation a donc été présentée comme un moyen
pour des forces armées dépassées dans un certain
nombre de domaines cruciaux pour leur efficacité et
leur efficience d’accéder aux compétences les plus
avancées détenues par le secteur privé.
Confort
L’externalisation fait passer l’organisation concernée
d’une logique d’autoproduction à une logique d’usage
de services. L’institution militaire se décharge sur un
partenaire des risques et des vicissitudes de la production d’un bien ou d’un service pour se concentrer sur
l’intégration de ce bien ou de ce service dans sa propre
fonction de production. Il lui revient de définir son besoin
et de choisir le partenaire capable d’y répondre tout en
laissant à ce dernier la maîtrise et la responsabilité des
questions liées au «comment» : comment faire en sorte
que le service soit disponible dans les conditions fixées
par le contrat ? c’est exactement dans cet esprit que le
ministère de la Défense britannique a confié depuis une
vingtaine d’années à British Telecom la responsabilité
de ses télécommunications fixes, l’armée anglaise se
comportant en «abonnée» de l’entreprise, abonnée particulière certes du fait des caractéristiques de ses besoins, mais abonnée au sens où elle ne se préoccupe
pas (théoriquement) des conditions industrielles, commerciales ou financières dans lesquelles l’opérateur va
assurer le service promis18.
Coût
L’argument de la baisse des coûts est omniprésent dans
le discours sur l’externalisation. cette baisse est d’abord
le résultat «naturel» du recours à des opérateurs privés
efficaces, capables de mettre au service de l’institution
militaire des moyens techniques performants, des
équipes compétentes, une agilité organisationnelle...,
toutes caractéristiques qui sont déniées aux forces
armées nationales ou, pire encore, aux coalitions engagées dans les opérations de maintien de la paix19. Il
est ensuite le fruit de transfert de charges de structure
vers les partenaires privés (investissement, charges
fixes salariales...) et de la variabilisation des coûts pour
l’institution, c’est à dire de l’adaptation de la demande
aux besoins réels de l’institution. Le thème est trop
connu pour qu’il soit besoin d’y insister longuement.
Contrôle
Face à l’inquiétude suscitée par le fait de devoir faire
reposer la bonne conduite de l’action militaire sur l’intervention de partenaires extérieurs à la chaîne hiérarchique, le discours en faveur de l’externalisation a mis
en avant une double notion de contrôle. La première
est fondée sur l’autocontrôle des sociétés contractantes.
celles-ci sont peuplées d’anciens militaires choisis parmi
les mieux aguerris. Leurs compétences professionnelles
sont avérées et leur capacité à s’articuler avec les forces
armées, y compris dans des situations de combat, est
garantie. Leur éthique personnelle, formée dans les
armées régulières, se trouve renforcée par les bonnes
pratiques des firmes et de l’industrie qui se sont dotées
d’un code d’éthique et de déontologie issu du document
de Montreux. En complément de cette forme d’autocontrôle, l’administration dispose d’un levier qui lui permet de garder la maîtrise de la situation : les mécanismes de négociation et de contractualisation que lui
fournit le Droit public.
1.3. Une promesse de sélectivité
La seconde promesse faite au monde de la Défense
concerne le cantonnement du périmètre de l’externalisation aux fonctions non stratégiques des forces
armées.
Une distinction très nette est établie dans le discours en faveur de l’externalisation entre le «cœur du métier militaire», qui regroupe les fonctions stratégiques du ministère de la Défense, et la périphérie de ce métier, qui
est composée des fonctions non stratégiques.20 Afin de
préserver la spécificité du monde militaire, seules les
secondes fonctions sont englobées dans le champ des
externalisations envisageables.
‘(15) Voir les travaux de Renaud Bellais sur la question : Bellais, R. (1998). Les enjeux de la maîtrise de l’information dans la
défense. Reseaux, vol. 16, n°91, 121–133.
(16) C’est ainsi que l’un des arguments ayant justifié la fermeture des ateliers de mécanique automobile chargés de l’entretien
des véhicules de la gamme commerciale était le manque de compétence des personnels en matière de nouvelles technologies
automobiles : électronique, climatisation...
(17) Voir par exemple le succès du Balanced Scorecard dans un certain nombre de ministères de la Défense de l’OTAN.
(18) National Audit Office (2008). Allocation and Management of Risk in Ministry of Defence PFI Projects (The Stationery Office,
28 octobre)., National Audit Office (2000). The Private Finance Initiative. The Contract for the Defence Fixed Telecomications
System. (The Stationery Office), n°1999 00 328).
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
93
La distinction entre cœur de métier et périphérie, fonctions
stratégiques et fonctions non stratégiques, n’est pas
propre aux processus d’externalisation dans le monde
de la Défense. Elle renvoie à l’un des fondements
théoriques possibles de la redéfinition des frontières
des organisations qui est l’approche de la question par
la théorie des compétences issue des travaux de Prahalad et Hamel21. Dans cette perspective, le partage
entre les activités intégrées au sein de l’organisation
et celles qui peuvent être confiées à des prestataires
extérieurs repose sur l’idée que l’organisation doit
conserver pour elle les activités impliquant des
«compétences fondamentales»22 et qu’elle peut se
délester de celles qui ne les impliquent pas. De la sorte,
en choisissant le partenaire dont le cœur de métier est
constitué par les activités périphériques de l’organisation qui externalise et pour lesquelles il dispose des
compétences fondamentales appropriées, l’organisation
militaire gagne en efficacité et en efficience. La théorie
des compétences rejoint ici la théorie de la firme réseau,
laquelle légitime les processus d’externalisation en soutenant qu’une organisation qui externalise ses activités
périphériques s’intègre dans un réseau de partenaires
qui, par la mise en relation de leurs compétences fondamentales au service d’une même activité, génère
des gains substantiels en termes d’efficacité et d’efficience23.
2. Le retour à la réalité des affaires
La double promesse relative aux avantages à attendre de
l’externalisation et au cantonnement de son champ d’intervention a-t-elle été tenue ? vingt ans après les premières
grandes opérations menées par le Royaume-Uni ou les
Etats-Unis, le bilan est pour le moins mitigé. Les désillusions sont à la hauteur des ambitions affichées : de nombreuses études et retours d’expérience montrent que la
baisse significative des coûts ne s’est pas produite ou que
les mécanismes de la contractualisation publique n’ont pas
empêché des pertes de contrôle parfois lourdes de
conséquences pour l’action des forces sur le terrain. De
même le principe du cantonnement du processus d’externalisation aux fonctions non stratégiques n’a pas survécu
à vingt années de mise en œuvre.
2.1. L’efficacité
De la lecture non seulement des ouvrages critiques24 mais
également des nombreux rapports officiels consacrés à la
question des partenariats public privé conclus dans le cadre
des différentes interventions extérieures des Etats-Unis
(Balkans, Irak et Afghanistan) se dégage le sentiment de
difficultés récurrentes que les mesures correctrices mises
en œuvre ne parviennent pas à résorber effectivement.25
S’agissant tout d’abord des économies de coût promises
par les promoteurs de l’externalisation, les résultats obtenus ne semblent pas particulièrement spectaculaires.
(19) Lawyer, J.F. (2005). Military Effectiveness and Economic Efficiency in Peacekeeping: Public Versus Private. Oxford Development Studies 33, 1, mars, 99–106.
(20) Voir par exemple la présentation en cercles concentriques de Hubac, O., and Viellard, J.-L. (2009). Politique d’externalisation  : l’enjeu des sociétés d’appui stratégique. Sécurité Globale 08, 17–35. Spécialement la figure page 25.
(21) Hamel, G., and Prahalad, C.K. (1990). The core competencies of the corporation. Harvard Business Review 68, Mai Juin,
79–91, Wernerfelt, B. (1995). The resource-based view of the firm: Ten years after. Strategic Management Journal 16, 171–174,
Prahalad, C.K. (2005). The Art of outsourcing. Wall Street Journal 8 juin A14.
(22) On rappellera pour mémoire que les «compétences fondamentales» (core competencies) sont définies par Hamel et Prahalad comme celles qui, dans un domaine d’activité donné, sont considérées par les acteurs comme centrales pour la mise en
oeuvre de l’activité. Une compétence fondamentale se caractérise par trois traits : elle est inimitable ou difficilement imitable
par les compétiteurs ; elle peut s’appliquer à de nombreux produits ou marché ; elle est valorisée par le client de l’entreprise.
L’ensemble des compétences fondamentales définit ainsi un cœur de métier que l’organisation ne saurait externaliser sans
perdre son avantage concurrentiel, voire sa raison d’être.
(23) Voir notamment : Doz, Y., and Hamel, G. (1998). Alliance Advantage: The Art of Creating Value Through Partnering (Harvard
Business Press), Gadde, L.-E., and Håkansson, H. (2010). Supply Network Strategies (John Wiley & Sons).
(24) Voir par exemple : Stanger, A. (2011). One Nation Under Contract: The Outsourcing of American Power and the Future of
Foreign Policy (Yale University Press), Armstrong, S. (2009). War Plc: The Rise of the New Corporate Mercenary (Faber and
Faber), Ashcroft, J. (2007). Making a Killing: The Explosive Story of a Hired Gun in Iraq (Virgin Books), Avant, D.D. (2005). The
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Private Security Contractors in Iraq (Westport, Conn: Praeger Security International), Lanning, M.L. (2005). Mercenaries: Soldiers of Fortune, from Ancient Greece to Today’s Private Military Companies (New York: Ballantine Books), Leander, A., and
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The Modern Mercenary in Combat (Philadelphia, Pa: Casemate).
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
94
Regard croisé
Défense et partenariats public privé : la grande désillusion
comme le souligne la cour des comptes dans un récent
rapport,26 le principe même de l’évaluation des bénéfices
résultant des opérations d’externalisation soulève des
questions méthodologiques difficilement surmontables.
Le coût du service en régie est parfois connu mais il est
considéré comme dépourvu de signification si les fonctions étaient assurées par des appelés.27 En l’absence
de comptabilité analytique suffisamment développée pour
permettre une bonne connaissance des coûts (en régie
aussi bien qu’externalisés), la situation n’est guère meilleure dans l’hypothèse de fonctions mises en œuvre par
des professionnels. Enfin, la cour souligne de manière
fort pertinente que l’exercice ne serait vé r itablement
convaincant que s’il était possible d’isoler les effets purs
de l’externalisation (c’est à dire la substitution d’un opérateur à un autre) des conséquences d’une réorganisation
qui aurait pu être conduite dans le cadre de la régie. Or,
dans les dossiers étudiés par la cour, des gains substantiels ont été enregistrés dans deux hypothèses où
une réorganisation profonde des conditions de l’activité
a été mise en œuvre. Attribuer ces gains au seul changement d’opérateur sans tenir compte des effets de la
réorganisation reviendrait à biaiser le résultat. Il faut donc
admettre que les enseignements retirés du cas français
s’avèrent décevants à cet égard.
Les retours d’expérience sont à la fois plus nombreux et
plus significatifs de l’autre côté de l’Atlantique. La montée
en puissance des entreprises privées sur les théâtres
d’opé r ations des Balkans, d’Irak ou d’Afghanistan a
donné lieu à un flot ininterrompu de publications officielles
émanant de structures de contrôle permanentes (Government Accountability Office ou congressional Budget
Office par exemple) ou constituées ad hoc (commission
on Wartime contracting). La tonalité générale de ces
rapports est sensiblement la même tout au long de la
période qui va de l’intervention dans les Balkans (1992)
à aujourd’hui. Sans la reprendre dans son entier, deux
exemples illustrent les désillusions des rapporteurs quant
au coût et à la qualité des services rendus par les cocontractants du ministère de la Défense.
Un rapport détaillé du congressional Budget Office établit
ainsi qu’à structure égale, les prestations de la société
Blackwater ne consomment pas moins de crédits publics
que celles de l’armée américaine. Selon les calculs
présentés dans le rapport, l’externalisation engendrerait
même un surcoût de 12% dans les conditions réelles de
rotation des forces américaines.28 ce n’est que dans l’hypothèse d’un taux de rotation idéal (mais non réalisé en
pratique) que le recours au partenaire privé deviendrait
avantageux.
De manière encore plus spectaculaire, un rapport du Subcomittee on National Security and Foreign Affairs de la
chambre des Représentants, significativement intitulé
«Warlord Inc.», établit un certain nombre de constats dont
les représentants estiment qu’ils posent question voire
qu’ils sont scandaleux.29 Résumés par l’auteur du rapport,
les conclusions sont sans appel : l’externalisation du ravitaillement des bases américaines implantées sur le sol afghan a transféré une fonction vitale pour les troupes américaines à des partenaires dont certains sont manifestement
des chefs de guerre locaux, ennemis du pouvoir central
mis en place par les Etats-Unis. Mais, de plus, les fonds
versés par l’administration américaine alimentent un vaste
réseau de racket qui profite à des mouvements que les
américains combattent militairement ou qui sapent par la
violence l’autorité du gouvernement en place. Non seulement le comportement des entreprises privées échappe
au contrôle de l’administration mais il a même un effet
délétère sur les chances de réussite de la stratégie des
Etats-Unis en Afghanistan. Une bonne partie des fonds alloués à ce contrat (plus de deux milliards de dollars) est
donc non seulement gaspillé mais il sert directement la
cause de ceux qui combattent les forces armées américaines et la politique des Etats-Unis dans la région. c’est
ainsi la question du contrôle des opérateurs privés sur les
théat̂ res d’opérations extérieurs, soulevée de longue date30,
(25) Voir notamment la synthèse dressée en 2011 par Paul L Francis devant la Commission oc Watime Contracting : Francis,
P.L. (2011). Contingency Contracting: Observations on Actions Needed to Address Systemic Challenges; GAO n°11-580, 25
avril.
(26) Cour des Comptes (2011). Le coût et les bénéfices attendus de l’externalisation au sein du ministère de la Défense (Paris,
21 mars).
(27) On comprend, en effet, que même en pratiquant une politique salariale particulièrement agressive, les entreprises privées
prenant la suite d’une unité d’appelés auraient eu quelque peine à rivaliser avec elle en termes de coût.
(28) Congressional Budget Office (2008). Contractors Support of US Operations in Iraq (The Congress of the United States).,
L’étude de cas figure p.17 du rapport.
(29) «The findings of this report range from sobering to shocking», Tierney, J.F. (2010). Warlord, Inc. Extortion and Corruption
Along the US Supply Chain in Afghanistan (US House of Represenatives), Lettre aux membres du Sous-comité. Cette question
avait fait l’objet d’un long reportage de : Page, J. (2008). Taleban Extract Heavy Tribute to Let Vital Nato Supplies Pass. The
Times, 12 décembre.
(30) Par des auteurs comme Chesterman, S., and Lehnardt, C. (2009). From Mercenaries to Market: The Rise and Regulation of
Private Military Companies (OUP Oxford), Tonkin, H. (2011). State Control over Private Military and Security Companies in
Armed Conflict (Cambridge University Press), Scahill, J. (2008). Blackwater: The Rise of the World’s Most Powerful Mercenary
Army (New York: Nation Books). Mais aussi par une longue série de rapports dont les constats persistent tout au long de la
période. Voir récemment : Solis, W.M. (2012). DOD has Made Progress, but Supply and Distribution Challenges Remains in Afghanistan (Government Accountability Office, n_GAO-12-138), Hutton, J.P. (2012). Competition for Services and Recent Initiatives to Increase Competitive Procurements (Government Accountability Office).
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
95
qui se trouve illustrée de manière spectaculaire. Les solutions préconisées par certains experts semblent avoir fait
long feu31.
2.2. La sélectivité abandonnée
Le principe de distinction entre les fonctions stratégiques et
les fonctions non stratégiques, entre le cœur de métier et
sa périphérie, est présenté dans tout discours en faveur de
l’externalisation comme le critère permettant de définir les
limites du champ des activités externalisables, en conformité
avec la théorie des ressources. Bien qu’elle soit quasiment
systématique, la mise en avant de ce critère ne lui confère
pas pour autant la solidité que l’on serait en droit d’attendre
d’une pierre d’angle de la construction. Sa faiblesse demeure évidente sous l’angle à la fois du concept et de la
pratique.
S’agissant du concept de «fonction stratégique», c’est à
dire d’une essence supposée stratégique (ou non
stratégique) des différentes activités militaires, celui-ci est
un non sens à l’heure du «caporal stratégique»32. Dans
toutes les armées occidentales et sous des formes diverses
mais qui se rejoignent sur l’essentiel, l’action des forces
armées est conçue dans une perspective où leur intervention
tend, au-delà de la victoire sur le champ de bataille, à créer
les conditions du succès politique (rétablissement de la paix
civile, de la démocratie politique, du développement économique et social...) Du fait de l’omniprésence des outils de
communication (presse, réseaux sociaux...), la mise en œuvre d’une mission quelconque est susceptible de prendre
une importance stratégique, voire politique. La garde des
prisonniers ennemis n’aurait certainement pas été
considérée par la majorité des spécialistes comme une
fonction stratégique si une enquête avait été menée avant
que les maltraitances subies par les prisonniers irakiens de
la prison d’Abu Ghrib ne soient portées à la connaissance
du monde entier, faisant du comportement des personnels
militaires et des employés des sociétés privées impliquées
(cAcI et Enfilait), un déterminant stratégique et politique
de la conduite des opérations civilo-militaires des EtatsUnis en Irak. comme le souligne Marjorie censer dans un
article du Washington Post, ce scandale a encore aujourd’hui des répercussions sur la politique de contractualisation du ministère de la Défense aussi bien que sur les
entreprises considérées, lesquelles doivent faire face à des
difficultés substantielles : recours juridiques devant les juridictions américaines, réparations financières, image à restaurer... A l’heure de l’action globale des forces armées, il
est impossible d’isoler dans l’ensemble des fonctions assurées par ces dernières un sous-ensemble de fonctions
ontologiquement stratégiques lequel serait disjoint du sousensemble des fonctions non stratégiques.33
Au regard de la pratique des politiques d’externalisation les
plus dynamiques (Etats-Unis, Royaume-Uni), l’expérience
des partenariats public privé conclus pour les besoins des
opérations sur les théat̂ res irakiens ou afghans, le critère
du caractère stratégique ou non des fonctions dont l’externalisation est envisagée ne résiste pas à l’examen. En premier lieu, on ne sera pas surpris de constater qu’aucun des
critères énoncés par Hamel et Prahalad pour qualifier une
compétence de fondamentale ne trouve à s’appliquer au
domaine militaire.34 La délimitation du champ des activités
externalisables s’affranchit donc très largement des cadres
théoriques et laisse place à une assez large subjectivité.
(30) Par des auteurs comme Chesterman, S., and Lehnardt, C. (2009). From Mercenaries to Market: The Rise and Regulation of
Private Military Companies (OUP Oxford), Tonkin, H. (2011). State Control over Private Military and Security Companies in
Armed Conflict (Cambridge University Press), Scahill, J. (2008). Blackwater: The Rise of the World’s Most Powerful Mercenary
Army (New York: Nation Books). Mais aussi par une longue série de rapports dont les constats persistent tout au long de la
période. Voir récemment : Solis, W.M. (2012). DOD has Made Progress, but Supply and Distribution Challenges Remains in Afghanistan (Government Accountability Office, n_GAO-12-138), Hutton, J.P. (2012). Competition for Services and Recent Initiatives to Increase Competitive Procurements (Government Accountability Office).
(31) Voir par exemple les recommandations de : Glenn, R. (2011). Des partenaires qui ne jouent pas le jeu  ? Les sociétés militaires privées au service des opératiions de contre-insurrection. In Frères d’armes  ? Soldats d’Etat Et Soldats Privés., (C Malis
et D Danet), pp. 57–65. Voir en contrepoint les 300 recommandations adressées au SIGAR pour améliorer le contrôle des partenaires privés : Richardson, H. (2011). Analysis of Recommendations Concerning Contracting in Afghanistan (Special Inspector
General for Afghanistan Reconstruction, 22 juin, n°SIGAR Audit 11- 1SP).
(32) Krulak, C.C. (1999). The Strategic Corporal: Leadership in the 3-Block War. Marine Corps Gazette 83, 18–22.
(33) En simplifiant, les fonctions stratégiques correspondraient aux armes combattantes tandis que les fonctions non
stratégiques assureraient le soutien.
(34) Dans un conflit asymétrique (norme des opérations menées dans les vingt dernières années), l’ennemi se caractérise
précisément par le fait qu’il ne cherche nullement à rivaliser avec les forces armées sur le même terrain qu’elles. Ce faisant, la
critère du caractère imitable de la compétence fondamentale perd une bonne partie de sa pertinence. Le deuxième critère (universalité plus ou moins marquée des applications possibles de la compétence fondamentale) se heurte à la forte spécificité
des compétences militaires, spécificité d’autant plus forte que ces compétences sont plus proches de la mise en oeuvre directe de la force et sont productrices d’effets cinétiques sur l’adversaire. Paradoxalement, ce sont les fonctions de soutien qui
présenteraient un plus large éventail d’application de leurs compétences et qui seraient dès lors d’autant plus fondamentales.
Enfin, la valorisation de la compétence par le client pose problème au regard de la difficulté d’identifier un «client», c’est à dire
un acteur faisant entrer le service produit par les forces armées dans sa propre fonction de production ou de satisfaction. En
considérant, extensivement, que le «client» des forces armées est le pouvoir politique en ce qu’il intègre le produit de l’emploi
de la force (victoire sur le champ de bataille) dans son projet politique (reconstruction de l’Etat vaincu), il lui serait sans doute
difficile d’individualiser les compétences fondamentales de l’institution militaire et de leur assigner un degré de valorisation
plus ou moins élevé. Pour le «client», la compétence fondamentale des forces armées (la mise en oeuvre maîtrisée de la force
sur un théâtre donné) est une compétence qui ne se divise pas.
Business
Business
Management
Management
Review
Review
| Vol.| Vol.
4 n°1
3 n°1
| Janvier-Fevrier-Mars
| Janvier-Mars 2013
2015
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Regard croisé
Défense et partenariats public privé : la grande désillusion
c’est ce que montre la liste des fonctions externalisées
par le gouvernement américain. Trevor Taylor en donne le
schéma synthétique suivant35 :
Figure 1 - Domaines d’intervention des acteurs privés
selon Trevor Taylor
En rapprochant ce schéma du processus d’intervention
des forces armées décrit par le document de doctrine du
cDEF36, on constate que les fonctions externalisées couvrent l’ensemble du spectre des phases et des missions
des forces armées.
Figure 2 - Les phases successives de l’action globale
des forces armées
Les partenariats public privé ont investi l’ensemble des
fonctions mises en œuvre sur le champ de bataille, qu’il
s’agisse de la préparation et du soutien des forces, de
leurs équipements et de leurs infrastructures ou des orga-
nisations elles-mêmes. Des fonctions impliquant l’usage
réel ou éventuel de la force, de manière autonome ou en
symbiose avec les forces armées régulières, sont confiées
à des sociétés militaires privées et interviennent contre un
ennemi régulier ou irrégulier.
Les plus sensibles de ces fonctions externalisées sont
celles qui concourent directement à la mise en œuvre de
la force durant la phase d’intervention militaire. On ne saurait nier que sont en cause des missions impliquant les
compétences et les fonctions relevant du cœur même du
«métier militaire» et qui ne devraient en aucun cas être
externalisées si la ligne de partage reposait effectivement
sur le caractère stratégique de l’activité.
Deux exemples illustrent la pénétration des entreprises
privées au cœur des fonctions stratégiques du ministère
de la Défense.37
Le premier est celui de la production du renseignement
sur lequel se fondent les opérations militaires. Les documents officiels, ceux du Government Accountability Office
en particulier, font état des partenariats (manifestement
perfectibles) conclus par le ministère de la Défense pour
la fourniture et la mise en œuvre de systèmes de traitement
de données, d’analystes spécialisés ou d’interprètes œuvrant au service de l’armée de Terre notamment.38 Les
chiffres avancés par diverses sources confirment la
présence massive des employés d’entreprises privées,
parfois très largement majoritaire, dans des services
spécialisés du renseignement civil ou militaire.39 Dans certains cas, ces partenaires se voient déléguer la responsabilité d’évaluer et de choisir, pour le compte du ministère
de la Défense, les entreprises qui seront retenues afin d’intervenir au profit des armées.40 Le fait qu’un employé civil
du Joint Information Operations Warfare center ait pu
détourner vingt-cinq millions de dollars pour créer un réseau
de renseignement destiné à identifier et assassiner certains
rebelles en Irak ou en Afghanistan illustre les difficultés
que semble éprouver l’administration dans le pilotage du
processus d’externalisation.41
35 Taylor, T. (2011). Private Security Companies in Ira and Beyond. International Affairs 87, 445–456. Esp. P.447
(36) Centre de Doctrine et d’Emploi des Forces (2007). Gagner la bataille. Conduire à la paix., FT-01, p.13
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
97
Le second exemple de porosité de la frontière entre domaine stratégique et non stratégique est, de manière encore plus profonde, la délégation à des entreprises partenaires de la définition des politiques et des doctrines de
sécurité et de défense ainsi que du pilotage de leur mise
en œuvre. Janine R Wedel fait état de la participation d’entreprises privées à la préparation du budget de la Défense
aussi bien qu’à la rédaction de documents de doctrine,
par exemple, celui relatif à la gestion des partenaires privés
sur le champ de bataille. On ne saurait mieux dire que le
processus d’externalisation s’est désormais largement
étendu aux missions régaliennes et aux fonctions
stratégiques du ministère de la Défense des Etats-Unis.
Le rapport final de la commission on Wartime contracting42 permet de tirer un trait définitif sur l’approche par la
nature des fonctions susceptibles d’être externalisées. Le
constat sur lequel s’ouvre le rapport tient précisément à
ce que l’approche consistant à distinguer entre les fonctions
stratégique qui ne peuvent relever que des acteurs régaliens («inherently governmental») et les fonctions non
stratégiques, toutes susceptibles d’être déléguées à des
prestataires extérieurs, ne permet pas de prendre des décisions opportunes et avisées43 en ce qui concerne les opérations extérieures. L’externalisation de tâches contribuant à
la reconstruction de l’Afghanistan dans des zones non pacifiées44 a conduit à des pertes humaines, des retards et
des gaspillages. La commission préconise en
conséquence une approche fondée sur la notion de risque
(opérationnel, politique, financier) qui devrait conduire à
exclure du champ de l’externalisation un certain nombre
de tâches quel que soit leur caractère «stratégique» ou
«non stratégique», «central» ou «périphérique». La
préconisation vaut de manière générale pour toutes les
missions susceptibles d’être confiées à des entreprises
partenaires ; elle vaut de manière plus marquée encore
pour les contrats susceptibles d’être confiés à des sociétés
militaires privées. Les difficultés stratégiques engendrées
par un usage intempestif des armes dont les salariés de
ces sociétés sont dotés créent des difficultés dans la
conduite de l’action globale et justifient que les partenariats
publics privés soient abandonnés dans un certain nombre
de cas45.
3. Des désillusions prévisibles au regard des grilles
de lecture théoriques
Faut-il véritablement s’étonner du fait que le pacte pour
les partenariats Public Privé n’ait pas été respecté ? Les
échecs enregistrés n’étaient-ils pas assez largement prévisibles, tant au regard des fondements théoriques du choix
d’une structure de gouvernance que de l’analyse de la
structure des marchés concernés ?
3.1. La méconnaissance des principes de choix d’une
structure de gouvernance
Dans le cadre théorique qui est le sien, l’économie des
coûts de transactions, la mise en œuvre d’un processus
d’externalisation s’analyse comme la redéfinition des frontières d’une organisation et la mise en place d’un nouveau
système de gouvernance des activités de l’organisation. Il
procède de la volonté de rechercher un supplément d’efficacité par l’établissement d’un nouvel équilibre entre le
marché et la hiérarchie comme mode de régulation de ces
activités. Dans cette perspective communément admise,
le choix de l’externalisation ne saurait être un pur marqueur
idéologique46 ou le fruit d’une mode managériale et il ne
laisse pas espérer d’avantages sans contreparties. Si l’on
donne une place plus grande à la régulation par le marché
(externalisation), les gains résultant de la mise en place
des incitations liées à la pression concurrentielle se paient
d’une diminution des possibilités de supervision directe
par l’encadrement de l’organisation et les ajustements
nécessaires ex post contractu se font à partir des réactions
indépendantes des parties concernées (Adaptation de type
(37) Wedel, J.R. (2011). Federalist No. 70: Where Does the Public Service Begin and End? Public Administration Review 71,
s118–s127.
(38) Schinasi, K.V. (2007). Defense Acquisitions. DOD Needs to Exert Management and Oversight to Better Control Acquisition
of Services, n°07-359T, 17 janvier, Shorrock, T. (2009). Spies for Hire: The Secret World of Intelligence Outsourcing (Simon &
Schuster).
(39) Hillhouse, R.J. (2007). Who Runs the CIA? Outsiders for Hire. The Washington Post. 8 juillet
(40) Jones, A.R., and Fay, G.R. (2004). Investigation of Intelligence Activities at Abu Ghraib, http://www.c- span.org/pdf/armyabughraib.pdf
(41) Filkins, D., and Mazzetti, M. (2010). Contractors Tied to Effort to Track and Kill Militants. The New York Times, 14 mars; Pincus, W. (2010). Defense investigates information-operations contractors. The Washington Post, 29 mars.
(42) Commission on Wartime Contracting in Iraq and Afghanistan (2011). Transforming Wartime Contracting. Controlling Costs,
Reducing Risks, http://cybercemetery.unt.edu/archive/cwc/20110929213815/http://www.wartimecontracting.gov/docs/CWC_FinalRepor t-lowres.pdf
(43) «appropriate or prudent», ibidem p.3
(44) Ce type de missions est précisément considéré par les forces armées comme des «missions militaires par défaut», ce
qui renvoie à l’idée que les organisations civiles (entreprises, ONG, organisations gouvernementales) à qui elles devraient
échoir à raison de leur nature ne peuvent être accomplies que par des militaires capables de passer rapidement d’une mission
de reconstruction à une action de combat. L’expérience de l’armée américaine confirme que ce type de mission requiert des
compétences spécifiques pour lesquelles la gouvernance par le marché n’est pas particulièrement adaptée.
(45) Ce que résume la formule célèbre de Peter Singer : Singer, P.W., and Institution, B. (2007). Can’t Win with’em, Can’t Go to
War Without’em: Private Military Contractors and Counterinsurgency (Brookings Institution).
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
98
Regard croisé
Défense et partenariats public privé : la grande désillusion
A) et non pas d’une concertation des acteurs touchés par
le changement (Adaptation de type c).47
comme le résume Williamson dans le tableau reproduit
ci-dessous48, les caractères constitutifs des différentes
modes de régulation interdisent de penser que l’un quelconque d’entre eux pourrait être intrinsèquement supérieur
à tous les autres.
Figure 3 -Typologie des caractéristiques des différents
modes de gouvernance
Le choix d’un mode de gouvernance des activités militaires
n’est donc pas frappé du syndrome TINA.49 L’externalisation
ne se justifie que si certaines conditions sont réunies qui
tiennent en particulier à la nature des actifs mis en œuvre.
ces principes élémentaires sont malheureusement fort peu
présents dans la littérature relative à l’externalisation des
«fonctions non stratégiques du ministère de la Défense».
Une lecture minimale des travaux de Williamson aurait dû
inciter les promoteurs de l’externalisation dans le domaine
de la Défense à faire preuve de la plus extrême prudence
tant les traits particuliers de l’action des forces armées
semblent peu propices, par nature, à l’adoption d’une structure de gouvernance faisant une large place aux mécanismes du marché même si, comme dans l’hypothèse des
partenariats public privé, que l’on analysera comme une
structure hybride de gouvernance, ces mécanismes du
marché sont tempérés par ceux de la hiérarchie.
On n’insistera guère ici, tant l’évidence s’impose, sur le
fait que l’action des forces armées repose pour l’essentiel
sur des actifs hautement spécifiques et que ce degré élevé
de spécificité des actifs militaires est la principale contreindication au choix du marché comme mode préférentiel
de gouvernance50.
S’agissant du capital humain, cette spécificité n’est pas
seulement liée aux compétences techniques détenues par
les personnels militaires, ce qui permettrait de sauver sur
le fil la distinction stratégique / non stratégique, mais elle
réside aussi dans le caractère symbiotique des forces
armées, lesquelles sont formées et entraînées de sorte
que leur articulation perdure sur le champ de bataille malgré
les conditions extrêmes de tensions induites par les combats. ce caractère symbiotique s’est encore renforcé sous
l’effet des progrès enregistrés dans les systèmes de commandement, la numérisation du champ de bataille ayant
dans l’armée de Terre, par exemple, vocation à déboucher
sur une gestion simultanée de l’ensemble des moyens
matériels et humains d’un Groupement Tactique InterArmes à partir de la vision globale conférée par le programme Scorpion.51
En ce qui concerne les équipements, ceux-ci présentent
soit par nature, soit du fait des spécifications techniques
particulières aux forces armées des caractéristiques qui
ne sont pas celles des équipements civils. Ils présentent
dès lors un degré élevé de spécificité.
Par application des enseignements de la théorie des coûts
de transaction, externaliser des fonctions militaires impliquant un degré élevé de spécificité des actifs humains et
matériels ne peut se faire qu’en acceptant de supporter
des coûts élevés de transaction ex ante et ex post. Malgré
le formalisme pointilleux inhérent aux procédures de passation des marchés publics, il en résulte une contractuali-
(46) Elinder, M., and Jordahl, H. (2012). Political Preferences and Public Sector Outsourcing (Rochester, NY: Social Science Research Network) ; Toynbee, P. (2012). After G4S, who still thinks that outsourcing works? The Guardian, 16 juillet
(47) Jolink, A., and Niesten, E. (2008). Governance Transformations Through Regulations in the Electricity Sector  : the Dutch
Case. International Review of Applied Economics 22, 499–508.
(48) Williamson, O. (1999). Public and private bureaucracies: a transaction cost economics perspectives. Journal of Law, Economics & Organization 15.
(49) «There Is No Alternative»
(50) Danet, D. (2009). Guerre d’Irak et partenariats public-privé. Rev.Fr.Adm.publique 249 – 262, Danet, D. (2010). Les sociétés
militaires privées sur le clavier des crises contemporaines., Rapport Délégation aux Affaires Stratégiques, Danet, D. (2011). La
privatisation des combattants  : une approche économique. In C Malis, H Strachan et D Danet, La Guerre Irrégulière, (Economica), pp. 145–164, Fredland, J.E. (2004). Outsourcing Military Force: A Transactions Cost Perspective on the Role of Military
Companies. Defence & Peace Economics 15, 205–219..
(51) Sur la numérisation de l’espace de bataille : Dorange, C., Panel, J., and Piaton, S. (2002). Les NTIC et les transformations
du champ de bataille. Les Cahiers du numérique Vol. 3, 77–106, Arquilla, J., and Ronfeldt, D.F. (1997). In Athena’s camp: preparing for conflict in the information age (Rand corporation), Halpin, E.F. (2006). Cyberwar, netwar and the revolution in military
affairs (Basingstoke [England]; New York: Palgrave Macmillan).
52 Voir le précité rapport p.22
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
99
sation imparfaite qui laisse un espace de jeu assez largement ouvert à l’opportunisme des parties contractantes,
notamment du contractant privé.
Il n’est donc pas surprenant que les retours d’expérience
s’accumulent sur les difficultés rencontrées dans la gestion
des partenariats publics privés sur les théâtres irakiens ou
afghans où ils ont fait l’objet de nombreuses observations.
La «commission on Wartime contracting» souligne dans
son rapport final que les lacunes des dispositions contractuelles associées à la médiocrité du pilotage de ces contrats
par l’administration ont conduit à des gaspillages, des
fraudes et des abus massifs. Selon la fourchette retenue
par les auteurs du rapport, pour la période qui s’étend de
2002 à 2011, le montant de ces fraudes et gaspillages serait compris entre 31 et 60 milliards de dollars, soit de 15 à
30% du montant des contrats alloués au secteur privé par
les différents acteurs publics concernés : ministère de la
Défense, ministère des Affaires étrangères, USAID.52
On pourrait objecter que les circonstances particulièrement
difficiles des théâtres d’opérations extérieures, celles qui
prévalent en Irak ou en Afghanistan en particulier, expliquent les échecs relevées par les différentes commissions
chargées d’évaluer l’efficacité des partenariats publics
privés. L’échec spectaculaire du partenariat conclu entre
le gouvernement britannique et la société G4S pour assurer
la sécurité des Jeux Olympiques de Londres 2012 met en
évidence les limites et la fragilité de ce type de contrat. La
société retenue, pourtant présentée comme l’une des plus
importantes et des plus expérimentées du genre, s’est
montrée incapable de remplir ses obligations à tous égards.
D’une part, elle n’a pas pu rassembler les effectifs qu’elle
s’était engagée à recruter pour l’occasion. D’autre part et
sur la foi des informations publiées dans la presse anglaise,
il semble qu’une large part de ceux qui avaient été recrutés
n’avaient qu’une expérience très limitée de la sécurisation
des événements sportifs, de la gestion des foules... Le
cas G4S illustre dans le domaine de la sécurité tous les
défauts rencontrés par ailleurs en Irak ou en Afghanistan :
«business model» du prestataire privé fondé sur le recru-
tement systématique de personnels sans qualification53,
incapacité du prestataire et de l’administration à assurer
un véritable pilotage et à détecter les signaux précoces
d’une difficulté imminente54, absence de sanction véritable
du contractant défaillant55, obligation pour les services publics de pallier dans l’urgence la faillite du prestataire
privé56...
Sans attendre des promoteurs de «l’externalisation des
fonctions non stratégiques de la Défense» qu’ils s’astreignent à étudier toute l’œuvre de Williamson, ils seraient
bien inspirés de lire attentivement la conclusion de l’article
que celui-ci consacrait aux «transactions souveraines»57
et qui explique les constats dressés en Irak ou en Afghanistan:
«What is novel about this article is not that foreign affairs
is organized by a public agency. That is what we observe
everywhere and what our intuitions support. What is novel
are that (1) this result is reached by the application of
transaction cost reasoning, (2) the hitherto unremarked
hazard of probity is posed, in relation to which the public
administration of foreign affairs enjoys a comparative advantage,(3) practices that are widely condemned (low-powered incentives; convoluted bureaucratic procedures; excesses of employment security) actually serve legitimate
economizing purposes in this context, and (4) management
considerations (both the leadership of the agency and the
career staff) take on greater importance than has been ascribed to them in earlier transaction cost assessments of
comparative economic organization. Also, as with transaction cost economics more generally, (5) the action resides
in the microanalytics and (6) inefficiency is judged not in
absolute but in remediableness terms.»58
3.2. L’ignorance des conditions réelles du marché
A supposer même que le rééquilibrage du mode de gouvernance des «transactions souveraines» (représentées
ici par l’activité des forces armées) dans le sens d’une
plus grande place donnée aux mécanismes du marché ait
été compatible avec le degré de spécificité des actifs mili-
(53) Booth, R., and Hopkins, N. (2012). No Training, No Timetables and No Uniforms. The Guardian, 13 juillet.
(54) Ruddick, G. (2012). G4S Chief Reveals Olympic Disaster. The Sunday Telegraph. 15 juillet,
(55) Au-delà d’une pénalité immédiate de 50 millions de livres sur un total de près de 300 millions, l’entreprise réclame le paiement des «management fees» prévus au contrat, expliquant qu’elle a fait passer des tests à près de 100.000 personnes pour finalement ne pas réussir à en recruter 10.000. Les autres sanctions ne semblent pas avoir profondément atteint l’entreprise : la
perte d’un contrat avec le ministère de la Justice et le départ de deux directeurs généraux n’a semble-t-il pas affecté la
confiance des marchés. Un gestionnaire de fonds, cité par le Washington Post, explique : They’ve clearly learnt from the Olympics debacle, so they can judge better than others what is needed for such big events,” said Volker Schmidt, a Luxembourgbased portfolio manager at YCAP Asset Management.», Clark, A., and Ford, R. (2013). G4S Loses Prison Privileges After
Olympic Stagg Debacle. Thetimes.co.uk, 15 mars, Vitorovich, L. (2012). G4S Chief Survives Olympic Failures. The Wall Street
Journal Online, 28 septembre, Zekaria, S. (2012). UK Panel Slams G4S on Olympic Security. The Wall Street Journal Europe, 21
septembre.Webb, A. (2013). G4S Debt Investors See Beyond 2012 Olympics Fiasco. The Washington Post, 25 mars.
(56) Watson, R., Haynes, D., and O’Connor, A. Police Collad Up to Fill in For G4S Phantom Guards. The Times, 17 juillet.
(57) Dans cet article, Williamson illustre la notion de «transaction souveraine» en privilégiant l’action du ministère des affaires
étrangères. Il évoque également le ministère de la Défense et le raisonnement s’applique a fortiori.
(58) Williamson, O. (1999). Public and Private Bureaucracies: a Transaction Cost Economics Perspective. Journal of Law, Economics & Organization 15. p.340.
Business
Management
Review Review
| Vol. 4 |n°1
Business
Management
Vol.| Janvier-Fevrier-Mars
3 n°1 | Janvier-Mars 2015
2013
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Regard croisé
Défense et partenariats public privé : la grande désillusion
taires, encore aurait-il fallu, pour que le pacte des partenariats public privé soit respecté, que la structure des
marchés considérés ne soit pas à l’origine d’entraves au
libre jeu de la concurrence telles que la monopolisation de
l’offre ou le faible pouvoir de négociation de la partie publique59. Or, de nombreuses raisons permettent de penser
que le marché sur lequel se rencontrent l’offre et la demande des prestations concourant à l’action des forces
armées n’a que très peu à voir avec un marché disputé où
la pression concurrentielle oblige l’offreur à être toujours
en recherche d’efficacité et de compétitivité et à partager
les gains en résultant avec la partie cocontractante.
Une intensité concurrentielle limitée du côté de l’offre
Du côté de l’offre, de nombreuses raisons incitent à penser
que de degré de rivalité réelle des marchés de sous-traitance
du ministère de la Défense est pour le moins limité.
Même si l’on considère le cas des marchés où la compétition
peut sembler la plus ouverte (par exemple la mise à disposition de main d’œuvre peu qualifiée sur des théâtres
d’opérations extérieurs), le foisonnement de sociétés militaires privées ne doit pas masque que seul un petit nombre
de prestataires disposent de la taille critique pour répondre
de manière crédible à la demande de l’administration. Le
marché est y est nettement oligopolistique.
En ce qui concerne les contrats complexes, ceux par exemple qui portent sur la maintenance ou la mise en œuvre de
systèmes d’armes sophistiqués, les marchés correspondants
sont presque automatiquement de nature monopolistique.
La conception et la production de tels systèmes ou des services qui en sont indissociables (formation, mise en œuvre,
maintenance...) ne peuvent être le fait de petites entreprises
interchangeables sur qui pèserait la fatalité de la course à la
baisse des coûts. L’offre est concentrée sur un petit nombre
de groupes industriels à vocation mondiale, insérés dans
une dynamique de coopétition ancienne et quasi-obligée,
maître d’œuvre de réseaux complexes de sous- traitants et,
dès lors, régulateurs majeurs du domaine. A ces raisons
structurelles s’ajoutent des raisons institutionnelles tout aussi
multiples. La gestion des programmes d’armement, par leur
durée, leurs exigences techniques, leur volume financier...,
suppose de travailler avec des partenaires peu nombreux,
difficilement interchangeables pour lesquels les considérations de fiabilité techno-économique l’emportent sur la capacité à proposer des prix attractifs. De même, la protection
du capital intellectuel développé par ces entreprises pousse
à interdire toute dissociation de l’acquisition des équipements
et de leur maintenance, ce qui réduit d’autant la possibilité
de faire jouer la pression concurrentielle, par exemple, en
menaçant le producteur de ne pas lui attribuer le contrat de
maintenance ou de changer de prestataire si le service rendu
n’est pas satisfaisant ou ne remplit pas les termes du contrat.
Dernière illustration de ces considérations institutionnelles
qui limitent le jeu des incitations concurrentielles, le fait bien
connu du cloisonnement des marchés nationaux. chaque
Etat considère, à juste titre, que l’industrie d’armement
présente un caractère stratégique suffisamment marqué
pour que les choix d’investissement aillent très prioritairement
vers les «champions nationaux» plutôt que vers des entreprises étrangères. certes, des exceptions peuvent se rencontrer, notamment dans la période récente. Mais, d’une
part, ces exceptions s’expliquent souvent par l’urgence d’un
besoin opérationnel et l’absence d’offre nationale (cas des
drones pour l’armée française). D’autre part, lorsqu’elles correspondent véritablement à une mise en concurrence de
l’industrie nationale, les réactions qu’elles soulèvent montrent
que la priorité à l’industrie nationale est un principe solidement ancré dans les mentalités collectives et institutionnelles
(cas de l’avion ravitailleur aux Etats-Unis)
Faut-il faire grief aux entreprises de ce caractère intrinsèquement oligopolistique, voire monopolistique, du marché ? Les
firmes concernées ne sont sans doute pas fâchées de la relative faiblesse de l’aiguillon concurrentiel sur leur marché
domestique. De même ne sont-elles pas hostiles à la relative
stabilité que confère une offre quasiment cartellisée. On peut
donc supposer qu’elles n’ont pas pour priorité première d’y
mettre fin et de se soumettre spontanément à une discipline
concurrentielle renforcée. Pour autant, cette situation résulte
de facteurs structurels qui se retrouvent dans l’ensemble
des pays producteurs et leur prégnance témoigne du fait
que même les Etats les plus attachés au libre jeu de l’offre
et de la demande ne sont pas en mesure de modifier sensiblement cet état de fait. L’offre de produits et de services directement liés à l’action des forces armées est peu concurrentielle par nature ; il ne faut donc pas espérer beaucoup
des incitations que l’on attend habituellement de la substitution d’un acteur privé à un fonctionnement en régie.60
Faut-il espérer davantage s’agissant de l’externalisation des
fonctions «non stratégiques» qui seraient moins directement
liées à des actifs aussi spécifiques que les équipements militaires ? Les choses pourraient-elles être radicalement
différentes sur des marchés que le ministère de la Défense
pourrait passer dans des domaines comme la restauration,
la gestion du parc automobile, la construction d’infrastructures... En première analyse, l’offre existant sur ces marchés
semble moins concentrée et les considérations institution-
(59) Danet, D. (2002). Réussir l’externalisation des fonctions stratégiques de la Défense. Les Champs de mars, n°11, 259 – 273.
(60) David Isenberg écrit plaisamment sur le blog d’un organe peu suspect de détestation de l’économie de marché, le Cato
Institute, : «The champions of the virtues of privatization and outsourcing with respect to the military generally forget one
thing: the Pentagon is as far away from a free market as one can possibly get...While the free market is undoubtedly a good
thing it is no insult to Adam Smith’s invisible hand to note that the market for military services is the closest thing to collectivism since the demise of the Soviet Union.», Isenberg, D. (2012). Contractors and Cost Effectiveness, http://www.cato.org/publications/commentary/contractors-cost-effectiveness?print
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
101
nelles n’y biaisent pas le jeu de la compétition de manière
aussi sensible. ce n’est pas pour autant que le ministère de
la Défense sera en position très favorable dans la négociation. La nature banalisée de certaines des prestations susceptibles d’être confiées à des prestataires privées n’est pas
exemple de toute forme de spécificité. Par exemple, si la
restauration collective d’une unité militaire ne se distingue
pas par nature de celle d’une collectivité civile (entreprise,
cantine scolaire...), les spécificités de site seront sans doute
plus importantes : unités régimentaires implantées en dehors
des grandes villes, mobilité des unités sur le terrain, absence
d’horaires fixes, intervention sur des théat̂ res extérieurs...
ces conditions particulières de mise en œuvre de la mission
supposeront une augmentation sensible des coûts de transaction qui pèseront sur les prix dont pourra bénéficier l’administration.
Au total, la structure de l’offre s’avère, pour des raisons
structurelles et institutionnelles, peu favorable au jeu de la
pression concurrentielle de sorte que l’externalisation ne
peut produire que des effets limités, sans commune mesure
avec la pléthore d’avantages supposés découler de tout «recentrage sur le cœur de métier» et de toute «réticularisation»
des acteurs civils et militaires concourant à l’action globale
des forces armées.
Le faible pouvoir de négociation de l’administration
Ici encore, les retours d’expérience américains sur les
théat̂ res où ils interviennent depuis plus de vingt ans mérite
de retenir l’attention. Par leur franchise et la sévérité des
conclusions auxquelles ils parviennent, ils mettent en évidence des insuffisantes criantes au sein de l’administration
ministérielle en ce qui concerne la conception, la mise en
place et le pilotage des partenariats public privé. Sauf à supposer que l’administration française a une maîtrise incomparablement supérieure des mécanismes du marché, de la
négociation commerciale, de l’architecture des systèmes hybrides de gouvernance et du pilotage des projets complexes... (entre autres données de base de la négociation
contractuelle), ces mêmes difficultés ont vocation à se reproduire de manière assez générale. Quelles sont donc les
faiblesses identifiées ?
Ici encore, le rapport de la commission on Wartime contracting est un point de départ extrêmement précieux. En
synthétisant les enseignements qui s’en dégagent, il est
possible de discerner trois strates de difficultés :
• Les pratiques managériales de l’administration sont largement perfectibles : grille de décision reposant sur des
critères inadéquats (par exemple la distinction fallacieuse
entre stratégique et non stratégique), manque de connaissance du terrain (qui amène à contracter avec des organisations hostiles)...
• Les structures administratives ne sont pas favorables à
une vision d’ensemble des partenariats public privé et à
une coordination effective des programmes. Le cloisonnement des services et le manque de communication
conduit à des redondances, des lacunes, des gaspillages..., bref de l’inefficacité.
• L’évolution du mode de gouvernance par le recours massif
à la contractualisation complexe n’est pas accompagnée
du nécessaire changement de culture organisationnelle.
ce point est sans doute le plus important. Les auteurs
du rapport le déclinent en deux dimensions complémentaires. D’une part, les services chargés de contracter
avec les entreprises partenaires du ministère de la
Défense auraient purement et simplement transposé aux
transactions portant sur des services (qui représentent
en volumes de crédits les deux tiers des partenariats
conclus pour les besoins des opérations en Irak et en
Afghanistan) la culture et les pratiques des grands programmes d’armement. Il en est résulté, par exemple,
une propension à souscrire des engagements pour des
durées trop longues qui privent le ministère de la renégociation en cas d’évolution du contexte concurrentiel ou
un recours privilégié aux contrats de type «cost plus»
plutôt que des contrats forfaitaires... D’autre part, la mutation du mode de gouvernance s’est produite sans que
le ministère ne dispose de compétences particulières en
matière de la culture d’affaires qui lui aurait permis de
détenir un avantage concurrentiel significatif dans la
négociation avec les grands prestataires de service qui,
eux, possèdent cette capacité de négociation au mieux
de leurs intérêts61. Plus grave, le ministère ne semble
pas avoir pris conscience du fait que la maîtrise des processus de sous-traitance des services concourant à l’action des forces armées est une «compétence fondamentale» dont dépend le bon emploi des deniers publics, la
sécurité des unités déployées sur le terrain et le succès
politique des interventions militaires. Au-delà des recommandations techniques visant à accroître les effectifs
des services de contractualisation, renforcer les outils
de négociation et de pilotage des partenariats, c’est à
un changement de culture organisationnelle qu’invitent
les auteurs du rapport. Leur opinion n’est pas isolée.
Elle rejoint très largement celle du Government Accounting Office qui, dans son rapport de synthèse, relève les
mêmes insuffisances et préconise le même type de
remèdes62.
Le caractère faiblement concurrentiel de l’offre n’est donc
que l’une des deux facettes du problème lié au manque
de performance des partenariats public privé. La faiblesse
structurelle du pouvoir de négociation de l’administration,
(61) Voir en dernier lieu : Pickup, S. (2013). Defense Business Transformation: Improvements Made but Additional Steps Needed to Strengthen Strategic Planning and Assess Progress (Government Accountability Office, n°GAO-AE-267).
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Regard croisé
Défense et partenariats public privé : la grande désillusion
sa fragilité en matière de conception et de pilotage de la
relation contractuelle constituent la seconde, tout aussi
déterminante de la faiblesse des résultats obtenus et à attendre.
4. Des solutions à explorer
Si l’on formule l’hypothèse qu’un recours croissant aux
mécanismes du marché pour la gouvernance des «transactions souveraines» se traduirait dans notre pays par des
difficultés comparables à celles rencontrées par les EtatsUnis, quelles solutions conviendrait-il d’imaginer pour en
limiter les effets négatifs ? Trois pistes semblent s’offrir qui
peuvent être explorées alternativement ou simultanément.
4.1. Le renforcement de la pression concurrentielle
Une première voie d’amélioration des résultats à attendre
des Partenariats Public Privé consisterait dans le renforcement du caractère compétitif des marchés de sorte à
rendre plus sensibles les partenaires potentiels à la stimulation de l’aiguillon concurrentiel. Seul le jeu plus soutenu
de la loi de l’offre et de la demande est de nature à obliger
les entreprises à se porter constamment à la recherche
des gains de productivité et à accepter de partager les
économies de coûts qui en résultent avec l’administration.
certes, l’administration n’est pas en mesure de façonner
les marchés à sa guise et les contraintes structurelles qui
poussent à la concentration des firmes et à l’oligopolisation
de l’offre demeureront. Mais, les pouvoirs publics ne sont
pas totalement dénués de leviers d’action.
Au plan politique, les pouvoirs publics qui prônent une plus
grande coopération européenne en matière de Défense
sans que les progrès enregistrés depuis vingt ans ne soient
véritablement à la hauteur du discours, pourraient ouvrir
plus franchement certains marchés de service à la compétition internationale sans que, nécessairement, la sécurité
de la Nation ne s’en trouve irrémédiablement compromise.
Au plan technique, certaines formules de contractualisation
complexe permettent de soumettre le prestataire privé à
une pression plus soutenue que d’autres. On pense en
particulier au mode de rémunération (systématisation des
contrats forfaitaires), à la durée (renouvellement plus
fréquent), à des mécanismes de pénalisation véritablement
dissuasifs et/ou réparateurs, à des mécanismes de coordination hiérarchique garantissant la bonne intégration du
service fourni par les prestataires privés dans l’action globale des forces armées, à des dispositifs de pilotage permettant un véritable contrôle de la qualité des services
rendus... L’espace de progression peut paraître tout à la
fois large et profond mais il convient d’en mesurer les limites : persistance durable d’un faible degré d’intégration
européenne en ce qui concerne les questions de défense,
forte concentration inhérente aux marchés concernés, importance de la stabilité contractuelle, spécificité élevée des
actifs mis en œuvre... Il peut paraître douteux d’espérer
un renforcement substantiel du caractère compétitif des
marchés appelés à se substituer à la hiérarchie dans la
gouvernance des transactions souveraines.
4.2. Le changement de culture de l’administration
Surtout, le renforcement du caractère concurrentiel des
marchés ne serviraient à rien s’il ne s’accompagnait pas
d’une véritable «révolution culturelle» au sein de l’administration. En effet, des entreprises aiguillonnées par une
mécanique marchande plus contraignante et qui réalisent
des gains de productivité ne sont pas spontanément
portées à en faire bénéficier leurs clients sous la forme
d’une baisse des prix de leurs prestations. Elles peuvent
tout aussi bien (voire plus volontiers) envisager une augmentation de la rémunération des parties prenantes, en
premier lieu des actionnaires ou la constitution de réserves
d’autofinancement. Il faut donc que l’administration soit en
mesure de tirer parti du surcroît de compétition ce qui suppose qu’elle puisse identifier les gains de productivité et
s’en approprier tout ou partie à travers une négociation
bien conduite.
Il convient à ce propos de dissiper l’illusion consistant à
penser que la question ne se pose pas en France où les
procédures de passation des marchés publics offriraient
le cadre nécessaire et suffisant à l’appropriation des gains
de productivité par l’administration. L’efficacité des partenariats public privé relève moins d’un ensemble de
procédures administratives que d’une véritable culture d’affaires traditionnellement éloignée de l’esprit de service public et à laquelle les fonctionnaires sont individuellement
et collectivement assez mal préparés. Le risque est grand
de voir l’administration se lancer dans des opérations d’externalisation en situation de faiblesse par manque de capacités véritables en matière de négociation commerciale,
de systèmes d’information comptable et financière, de capacités d’audit et d’évaluation des coûts et de la qualité,
de pilotage des structures hybrides de gouvernance...
Les limites de cette deuxième solution apparaissent tout
aussi grandes, sinon plus grandes encore, que celles qui
touchaient au caractère concurrentiel des marchés.
4.3. Le maintien de la gouvernance hiérarchique
et la préparation de la réinternalisation des fonctions
externalisées
A défaut de pouvoir surmonter les entraves à l’efficacité
du processus d’externalisation, tant du côté de l’offre que
(62) Hutton, J.P. (2011). Defense Contract Management Agency amid ongoing efforts to rebuild capacity, several factors present challenges in meeting its missions: report to congressional Committees. (Government Accountability Office, n°12-83) Les
rapports se succèdent dans ce sens. Voir par exemple : Walker, D.M. (2012). Dod’s Increase Reliance on Service Contractors
Exacerbates Long Standing Challenges (Government Accountability Office, GAO-08-621T).
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
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du côté de la demande, il convient donc d’envisager la
redéfinition des frontières des forces armées avec la plus
grande prudence. cette prudence pourrait se concevoir
de deux façons.
La première est de considérer, comme le recommande
Williamson, que les transactions souveraines, la Défense
en étant le paradigme le plus évident, n’ont pas vocation à
être soumises à un mode de gouvernance qui donne une
place centrale ou simplement substantielle à la coordination
par le marché. Il conviendrait dès lors d’en finir avec l’approche idéologique consistant à se fonder sur le caractère
prétendument stratégique de certaines fonctions, très minoritaires, pour considérer ipso facto que toutes les autres
entrent dans le champ possible de l’externalisation et des
partenariats public privé. Les leçons de l’expérience confirment sur ce point la validité des prédictions théoriques :
les processus d’externalisation menés sans une grille de
lecture fondée sur la spécificité des actifs et les risques induits tant au niveau opérationnel qu’au niveau politique ne
peuvent produire que des résultats décevants, d’autant
plus décevants que le caractère concurrentiel des marchés
ne frappe pas par son intensité et que l’administration n’est
guère en capacité de tirer le meilleur parti des gains éventuellement réalisés par leurs partenaires.
La seconde mesure de prudence qu’il conviendrait de prendre est d’anticiper l’échec possible d’opérations d’externalisation qui auraient été conduites dans les conditions les
plus défavorables (actifs spécifiques, marchés peu concurrentiels, contractualisation complexe mal maîtrisée). Que
l’administration souhaite ou non poursuivre l’expérience63,
elle aurait avantage à se mettre en situation de réinternaliser l’activité. En cas d’échec patent et s’il est irréaliste
d’espérer une modification substantielle du contexte ayant
abouti aux difficultés rencontrées, l’administration pourrait
effectivement reprendre la main en réinstaurant une gouvernance hiérarchique au sein des forces armées. A l’inverse, si une amélioration du contexte défavorable peut
être envisagée (par exemple une ouverture de la compétition incitant le partenaire actuel ou potentiel à améliorer
son offre), le fait d’avoir mis en place les conditions d’une
réinternalisation de l’activité constitue une menace crédible
sans laquelle la position de l’administration sera toujours
aussi faible. Une réflexion systématique sur les conditions
d’une réinternalisation effective des activités actuellement
gérées dans le cadre de partenariats public privé est donc
indispensable et urgente. Elle ne signifie pas que le
ministère de la Défense renonce définitivement à faire évo-
luer les modes de gouvernance des activités nécessaires
à l’action des forces armées. Mais, elle la condition préalable sans laquelle l’administration ne peut négocier d’égal
à égal avec les prestataires pressentis ou, a fortiori, avec
ceux qui sont déjà en place.
CONCLUSION
Le recul de plus de vingt ans dont nous disposons en
matière d’externalisation de fonctions traditionnellement
produites en régie par les forces armées montre non pas
un échec complet et définitif de ce mode de gouvernance
faisant appel aux mécanismes du marché mais plutôt une
vaste désillusion vis à vis des promesses mirifiques
avancées par les promoteurs des partenariats public privé
et qui n’engageaient que ceux qui y ont cru.
Le réveil est douloureux pour les Etats Unis qui, réagissant
comme toujours de manière pragmatique, mesurent pleinement les limites du processus et prennent les mesures
visant à renforcer le pilotage des opérations en cours et à
réétudier l’opportunité et la mise en œuvre des opérations
envisagées. Il ne l’est pas moins pour les britanniques
mais, l’idéologie reagano- thatchérienne y ayant produit
une véritable détestation des services publics, la faillite
spectaculaire du partenariat public privé conclu avec G4S
pour la sécurité des Jeux Olympiques ne produit pas d’effets significatifs sur la volonté politique de poursuivre la
substitution d’entreprises privées aux forces armées et de
sécurité publiques.64
Pour ce qui est de la France, moins engagée dans la transformation des modes de gouvernance des «transactions
régaliennes» que ses deux grands alliés, la révision n’est
pas aussi déchirante. Il s’agit plus de mettre un frein à
l’extension d’un mode de gouvernance qui s’avère inadapté
que de sortir dans la douleur de partenariats de grande
ampleur dans lesquels l’administration se serait enfermée
pour des durées importantes. Le cas peut certes se présenter. c’est ainsi qu’a été récemment évoquée l’hypothèse
d’un renoncement au partenariat public privé conclu pour
la construction du «Pentagone à la française», renoncement qui aurait sans doute abouti à une opération coûteuse
pour les finances publiques. Mais, dans l’ensemble il s’agit
plus de ne pas s’éloigner davantage des modèles de gouvernance qui sont ceux de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne et de bien d’autres alliés dont, après tout, les forces
armées s’avèrent capables de fonctionner dans des conditions qui ne sont pas forcément désastreuses y compris
sur les théâtres extérieurs.
(63) Dans cette hypothèse, voir les solutions préconisées par : Freytag, P.V., Clarke, A.H., and Evald, M.R. (2012). Reconsidering outsourcing solutions. European Management Journal 30, 99–110.
(64) Peu rancunière, la police britannique annonce le 28 juin qu’elle envisage de traiter avec G4S pour l’externalisation de services dans trois régjons. L’opération sera finalement interrompue mais G4S continue néanmoins d’obtenir des contrats publics (accueil des sans papiers) ou privés (protection des agences bancaires anglaises à Chypre). Maidment, N. (2012). UK
Police Forces Consider G4S Outsourcing Deal. Reuters News, 28 juin, Plimmer, G. (2012). Police Agree to Return to G4S Option. Financial Times, 23 août. Warell, H. (2013). Police Forces Veto G4S Outsourcing Deal. Financial Times, 30 janvier.
Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013
VOL.3
N° 1
Janvier-Mars 2013

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