Les contrats de partenariats public-privé : la
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Les contrats de partenariats public-privé : la
Janvier-Mars 2013 Janvier-Fevrier-Mars 2015 VOL.3 VOL N° N°11 4 3 Sommaire Boualem ALIOUAT Frédéric MARTY EDITORIAL Les partenariats publics-privés : un outil protéiforme à utiliser avec pondération Frédéric MARTY Phuong Tra TRAN Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité budgétaire au détriment du partage optimal des risques Aissa HIREcHE Le Partenariat Public Privé : Regard sur l’expérience de l’Arabie Saoudite Hubert DELZANGLES Gaële cHAMMING’S Le contrat de partenariat en France : sujet de controverses et objet de paradoxes Jacques LIOUvILLE vers une renaissance du Secteur-Public en Allemagne : Le Méga-Trend de la re-communalisation des concessions municipales Pascal PHILIPPART La procédure française de sauvegarde pour entreprise en difficulté : une solution peu utilisée Boualem ALIOUAT cheikh THIAW Les différentiels d’intentions stratégiques au sein des réseaux d’innovation: une limite au partenariat public-privé – cas du pôle mondial ScS Regard croisé Didier DANET Défense et partenariats public privé : la grande désillusion Boualem Aliouat Rédacteur en chef Brahim Benabdeslem Directeur général de la Revue Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 4 Le Comité Scientifique Boualem Aliouat Marie-José Avenier Brahim Benabdeslem Sid Ahmed Benraouane Faouzi Bensebaa Francis Bidault Jean-Pierre Boissin Christina Butler Thomas Durand Alain Fayolle Michel Ferrary Louis Jacques Filion Faiz Gallouj Yvon Gasse Widad Guechtouli Michel Ghertman Yvonne Giordano Taïeb Hafsi Jean-Pierre Helfer Ahmed Hammadouche Isabelle Huault Marc Ingham Laoucine Kerbache Martin Kupp Eric Lamarque Benoît Leleux Jacques Liouville Pierre Louart Alain-Charles Martinet Ulrike Mayrhofer Bachir Mazouz Teresa V. Menzies Karim Messeghem Caroline Mothe Robert Paturel Véronique Perret Jean-Marie Perretti Christophe Roquilly Jonathan Story Zhan Su Zahir Yanat Université de Nice Sophia Antipolis, cNRS (France) cNRS et Université Pierre Mendès- France, Grenoble (France) MDI Business School (Algeria) University of Minnesota, carlson School of Management (USA) Université de Reims (France) European School of Management and Technology (Germany) IAE de Grenoble (France) Kingston University, London (United Kingdom) Ecole centrale Paris (France) EM Lyon (France) HEc Genève (Switzerland) HEc Montréal (canada) Université de Lille 1 (France) Université Laval (canada) MDI Business School (Algeria) GREDEG –cNRS/UNS, Nice (France) Université de Nice Sophia Antipolis (France) HEc Montréal (canada) IAE Paris 1 – Sorbonne (France) MDI Business School (Algeria) Université Paris Dauphine (France) ESc-Dijon (France) HEc Paris (France) European School of Management and Technology (Germany) Université de Bordeaux Iv IMD International de Lausanne (Switzerland) EMS-Université de Strasbourg (France) IAE de Lille (France) Université Jean Moulin, Lyon (France) Université de Lyon 3 (France) ENAP, Université du Québec (canada) Brock University, Faculty of Business, Ontario (canada) Université de Montpellier 1 (France) Université de Savoie (France) IAE de Brest (France) Université Paris Dauphine (France) Université de corse Pasquale Paoli, corté (France) EDHEc Business School (France) INSEAD (France) Université Laval (canada) BEM Bordeaux Business School Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 5 Le Comité d’évaluation Michel Bernasconi SKEMA Business School Laure Cabantous University of Nottingham, UK Jamil Chaabouni Université de Sfax Denis Chabault AE Tours Valérie Chanal AE de Grenoble Regis Coeurderoy Université catholique de Louvain Christophe Collard EDHEc Business School Nabyla Daidj Université de Paris Sud Didier Danet Ecole Spéciale Militaire de Saint-cyr Faridah Djellal Université de Tours Régis Dumoulin Université d’Angers Laurent Fontowicz Université de Lille 2 Camal Gallouj Université de Paris XIII---- Université de Lille 1 Gilles Guieu Université de la Méditerranée Muriel Jougleux Université Paris Est, Marne la vallée Catherine Léger-Jarniou Université Paris Dauphine Frédéric Le Roy Université de Montpellier 1 Christophe Loué Advancia Christian Marmuse Université de Lille 2 Jérôme Maati Université de Lille 1 Ariel Mendez Université de la Méditerranée Pierre-Xaviier Meschi AE d’Aix en Provence - Skema Business School Patrick Micheletti Euromed Business School Hadj Nekka Université d’Angers Franck Petit Université d’Avignon Belgacem Rahmani HEc Montréal Vincent sabourin Université du Québec à Montréal Eric Séverin Université de Lille 1 Abdenour Slaouti Université d’Ottawa Julie Tixier Université Paris XII-val-de-Marne Azzedine Tounes INSEEc Alpes-Savoie Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 6 Mot de la rédaction CONTROVERSE AUTOUR DES PARTENARIATS PUBLICS-PRIVES : OPPORTUNITE DE DEVELOPPEMENT OU INCERTITUDE SUR LES FINANCES PUBLIQUES ? Le Partenariat Public-Privé (PPP) abrite élémentaire détenteur de marché public. des situations aussi variées que les proSa mission est la fois plus globale et jets qu’il recouvre, les époques qui les ont durable. Il n’est plus rémunéré par l’usaconvoqués et les territoires qui les actionger, mais par le partenaire public dans le nent. Il est en plein essor, mais cadre d’un contrat de performance en questionne toujours à la fois le fond des contrepartie d’une redevance. cette opérelations entre l’Etat, ses collectivités, et ration peut être intéressante car elle n’est les opérateurs privés, et la forme que peupas prise en compte en matière de déficit vent prendre ces relations contractuelles. ou de dette publique (les actifs étant hors Sur le fond, le prix Nobel d’Economie bilan des administrations car considérés Ronald coase qui s’interrogeait sur la comme non publics) à condition que le fonction économique de l’Etat, prenait très partenaire privé supporte contractuelletôt le contrepied d’éminents économistes, ment le risque de construction, le risque Boualem ALIOUAT opposés à l’octroi des services publics de disponibilité ou le risque lié à la Rédacteur en chef aux opérateurs privés, comme John demande. Dans d’autres pays, ce sont Stuart Mill, Henry Sidgwick, Arthur Pigou les lois générales régissant la privatisaou Paul Samuelson pour démontrer au tion qui précisent les secteurs et les contraire que les opérateurs privés y avaient pris une entreprises à privatiser ou auxquels peuvent appliquer part importante avec une efficacité sensible. A dire vrai, un modèle de PPP. c’est le cas de l’Algérie, du Bahreïn, de tout temps, la commande publique a eu recours aux de Djibouti, du Maroc, de la Jordanie, d’Oman, du Liban marchés publics, aux contrats de délégation de service et de l’Égypte, où des institutions spécifiques sont charpublic, aux autorisations d'occupation temporaire, aux gées d’identifier précisément ces secteurs. conventions liées à une opération d'intérêt national, ou Aujourd’hui, d’ailleurs, même les Nations unies, le FMI, encore aux baux emphytéotiques administratifs pour la Banque mondiale, l’OcDE et la Banque européenne réaliser ses grands projets. certains actifs spécifiques d’investissement encouragent ces formules en raison de (terrains, carrières, ressources naturelles,…) sont même l’état des finances publiques ou des carences d’experparfois fournis au concessionnaire par la puissance tises disponibles de la puissance publique. Un certain publique dans le cadre de contrats généraux de réalisanombre de projets publics aurait intérêt à être réalisé tion du génie civil d’ouvrages. Les transferts de coûts et sous la forme de PPP où le concessionnaire se charge de risques au secteur privé sont une pratique finalement de concevoir, de financer, de construire, d’exploiter, de assez courante pour la puissance publique en raison maintenir et de transférer une infrastructure après une même de ses domaines d’expertise, sa proximité client, période donnée. GDF Suez, veolia, Walsh, vinci, sa flexibilité et la maîtrise de ses coûts. Jacobs Engineering, Bilfinger Berger, Bouygues, EifAu demeurant, si le PPP fait l’objet de réglementations fage, Spie-Batignolles, SNc-Lavalin, Alsthom, Thomson, diverses, il n’est pas toujours appréhendé de manière Alcatel,… œuvrent ainsi dans les domaines des grands bien claire. En droit communautaire par exemple, on ne ouvrages routiers, santé, prisons, éducation, BTP, transrégit ni ne définit les PPP, on les appréhende simpleports, défense nationale, police, aménagement des ment en tant que marchés publics ou concessions, avec territoires, distribution d’eau, TIc,… partout à travers le une distinction classique entre les PPP dits « institutionmonde. Rien que dans le secteur de la distribution nalisés », qui opèrent au travers d'une entité à capital d’eau, entre 1991 et 2007, la population urbaine dessermixte, et les PPP « contractuels », qui se basent excluvie par des opérateurs privés dans les pays en sivement sur des contrats. La particularité du PPP est développement a connu une augmentation régulière, que désormais l’acteur privé n’est plus un simple exécupassant de 6 millions à 160 millions. La plupart des tant d’un pouvoir adjudicateur comme le serait un contrats de partenariats public-privé ont été attribués, Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 7 soit dit en passant, à des opérateurs originaires de pays en développement. cependant, malgré un certain succès dès 1992 en Grande Bretagne, et à partir des années 2000 aux USA, en France (60% des PPP européens), et un peu partout en Europe, cet outil est aujourd’hui à la croisée des chemins, au cœur d’une controverse sérieuse entre bilan contrasté et utilité reconnue. Les problèmes liés aux actions des opérateurs privés en matière de services publics ne sont pourtant pas nouveaux. A la fin du 19ème siècle et courant 20ème, faute de régulation contractuelle adaptée, de nombreux opérateurs privés abusaient de leur situation de monopole auquel on mit un terme par une politique de nationalisation sur tous les continents. Néanmoins, les critiques portent actuellement sur des aspects différents. Aujourd’hui, ce mode de financement, destiné estime-t-on à camoufler la dette publique, serait nuisible à la démocratie et n'apporterait aucune valeur ajoutée en termes de coût ou d'efficacité de gestion. Les fonds de pensions, les firmes multinationales et autres acteurs des PPP profiteraient de la faiblesse des puissances publiques pour réaliser ses propres infrastructures à des coûts finalement prohibitifs, et donc en lourde dette cachée. Ainsi, si une étude britannique du National Audit Office observe bien que les PPP nés de la Private Finance Initiative (PFI) en 1992, du secteur public jusqu'à la Royal Navy, ont généré des bénéfices supérieurs tant en termes de respect des prix convenus que de l'échéancier de livraison comparés à ceux réalisés de manière conventionnelle, elle montre aussi que les conséquences d'un tel mode de gestion n’ont pas été positives d'un point de vue financier pour le contribuable et l'usager car les redevances ont été finalement prohibitives sur des délais très longs. En France, pays à fort taux de PPP, 71% des chantiers sont livrés à l'heure et 80% sont faits dans l'enveloppe prévue, mais l’opinion publique, pourtant rompue au colbertisme, reste divisée sur leur opportunité. Dans un cadre bien différent, certains pays à fortes réserves budgétaires, font un tout autre usage de ces PPP. Loin de vouloir dissimuler des dettes publiques, les moyens dont disposent ces pays les incitent au contraire à engager de grands chantiers publics par le recours à des expertises privées appropriées. c’est le cas de l’Algérie, de la Russie, des pays d’Amérique latine ou des pays du Golfe. Selon la base de données PPI de la Banque mondiale (Participation privée dans les projets d’infrastructures) portant sur 13 pays de la région MENA de 1990 à 2008, plus de 67 milliards de dollars ont été investis dans 122 projets d’infrastructures publics-privés (télécommunications, énergie, transports et eau). La problématique des PPP ne s’inscrit plus dans une simple approche comptable, mais dans une logique de coopération reposant sur des actifs complémentaires pour le développement de projets stratégiques. c’est ainsi que la Russie a lancé un programme de 290 milliards d’euros de construction de routes sur une période de 2011/2019. Et 52 milliards sur un Programme “Railway to 2020”. Sans compter les 5 milliards d’euros destinés aux Jeux Olympiques de Sotchi 2014 et 15 milliards pour la coupe du monde 2018. ces PPP se font selon des montages « à la Française » (concessions, baux emphytéotiques, BOT, projets type « PFI », affermages, contrats de partenariat français). En Algérie, les premiers PPP concernent le management des services publics d’eau et d’assainissement (SEAAL -Suez Environnement, SEOR Oran, SEAcO constantine, SEATA Annaba-El Tarf), mais aussi ensuite le management de l’aéroport d’Alger (avec ADP), la gestion du métro d’Alger (avec la RATP) ou encore la gestion hôtelière (Groupe AccOR/ONAT). ces PPP concernent d’abord des fondamentaux collectifs destinés à l’amélioration de la qualité de vie et ont été menés parfois bien avant l’adoption d’une législation spéciale. Ils se sont avérés aussi bien plus structurants par la suite en raison de transferts d’expertise « ensemblière » aux services publics. Le programme d'investissements publics 20102014 auquel sont consacrés 286 milliards USD de budget laisse entrevoir dès lors de nombreuses opportunités de PPP. c’est cette controverse que tente de traiter ce numéro spécial de la Business Management Review, par des réflexions croisées sur l’opportunité de ces outils de gestion à l’heure où manquent cruellement les moyens et les compétences publics de réalisation des grands ouvrages indispensables au développement et à la croissance dans certains pays autant du nord que du sud. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 8 Note aux auteurs oBJectiFs de LA BMR AiMs And scope oF the BMR The Business Management Review is a quarterly academic journal covering different topics related to organization studies (Strategy, Finance, Human Resources, Entrepreneurship, control and Governance, Marketing, Business case Management, Supply chain, Business Ethics,...). La Business Management Review est une revue académique trimestrielle recouvrant des domaines assez larges liés au Management (Stratégie, Finance, GRH, Entrepreneuriat, contrôle-Gouvernance, Marketing, Gestion de projet, Supply chain, compliance, Ethique des affaires,…). La Business Management Review a pour ambition d’établir des passerelles entre la recherche en management et le monde de la pratique et des entrepreneurs. cette revue internationale est francophone, mais peut occasionnellement accueillir des articles écrits en anglais. Elle est éditée et distribuée sous forme matérielle et électronique par MDI Business School, à raison de 4 numéros par an, plus un numéro spécial. Elle comprend un comité de direction éditorial, un comité scientifique, un comité d’évaluation et une évaluation anonyme des soumissions. Elle accueille en ses comités des experts internationaux traitant de différentes questions du management. Les articles publiés dans la Business Management Review doivent répondre à des exigences académiques et scientifiques tout en s’adressant à des publics d’entrepreneurs. Ils doivent être accessibles à des non spécialistes autant qu’à des experts de chaque discipline. La revue est une source d’information sur les développements récents de la recherche et des meilleures pratiques. Elle est également ouverte à des points de vue d’entrepreneurs ou des consultants de haut niveau qui développent des réflexions et des actions originales. La Business Management Review privilégie les recherches traitant de questions pouvant intéresser des entreprises dans des économies en transition ou en développement. Les études de cas et les recherches intégrant des entreprises du pourtour méditerranéen sont particulièrement recherchées. This Review aims to build bridges between management re- search and the different worlds of practice, managers and entrepreneurs. This international review is written in French, but may occasionally receive papers written in English. The Business Management Review is published and distributed in tangible and electronic forms by MDI Business School (4 issues per year, plus a special issue). It includes an Editors Board, an Editorial Board, a Reviewers Board and an anonymous reviewing by academic peers. This review also includes international experts committee in various fields of management. Papers published in the Business Management Review must meet academic and scientific requirements while addressing audiences of entrepreneurs. They must be accessible to non- specialists as well as experts in each discipline. The Business Management Review is a source of information on recent research and best practices. It is also open to the views of entrepreneurs, managers or consultants who develop high level thinking and original actions. The journal also publishes communications in the form of research notes or comments from readers on published papers . The Business Management Review focuses also on research dealing with issues concerning businesses in transition economies and developing countries. case studies and re- search integrating companies around the Mediterranean area are particularly sought. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 9 Note aux auteurs • chaque auteur reçoit un exemplaire du numéro de la BMR auquel il a contribué. oBJectiFs editoRiAUX • La Business Management Review entend établir un dialogue entre les chercheurs dans le domaine du management des organisations, et les managers et entrepreneurs. • Son objectif est d’offrir aux praticiens et aux enseignantschercheurs des lieux d’échanges d’analyses critiques et des modèles renouvelés. • La revue prend ancrage dans un contexte euro-méditerranéen d’où émergent des problématiques spécifiques mais aussi des organisations et des formes de coopération ou de concurrence nouvelles. Elle entend donc privilégier les contributions qui tiendront compte de ce contexte original et œuvreront à mieux comprendre et à valoriser ces milieux. • Elle s’adresse aux enseignants et étudiants en Sciences de gestion, en Economie et même par extension en droit des affaires, ainsi qu’à un large public de praticiens désireux d’enrichir leur propre champ de connaissance des organisations. • Les articles publiés dans la BMR doivent respecter les principes de rigueur scientifique et être écrits de façon à être accessibles aux lecteurs les plus larges qui ne sont pas toujours des spécialistes de telle ou telle discipline ou méthode de recherche. L’accent est plutôt mis sur les implications managériales du sujet abordé. Une conclusion propositionnelle est impérative en fin de chaque article soumis à évaluation. coMite d’eVALUAtion • Tout article adressé à la BMR est évalué à l’aveugle par deux membres compétents du comité d’évaluation. • Les résultats de l’évaluation amènent le comité de rédaction à décider de son acceptation, de son refus ou de son acceptation sous réserve de modifications majeures ou mineures. • L’auteur reçoit copie des observations des membres du comité de lecture. pARUtion de LA ReVUe • Lorsqu’un article est définitivement accepté, l’auteur fournit à la BMR une version électronique mise en forme finale. • Les articles acceptés pour publication sont publiés dans l’ordre des dates d’acceptation sauf impératifs de regroupement thématique ou d’équilibre des numéros de la revue. • L’auteur s’engage à ne pas publier son article dans un autre support. pResentAtion des ARticLes • Les articles proposés à la BMR sont envoyés à l’adresse électronique de la revue : [email protected] . • Les noms, institutions, adresses postales et électroniques de(s) auteur(s) sont clairement indiqués. • Ils sont rédigés en version Word et en simple interligne, et ne mentionnent les noms et affiliations des auteurs que sur la première page. • Les articles ont une longueur maximale de 15 pages de 2400 signes chacune (40 lignes x 60 signes). • Les contributions comprennent une bibliographie d’une longueur maximum de deux pages, ou 4000 signes, et sont précédées d’un bref résumé de 400 signes maximum (en anglais, en français et en espagnol) qui met en évidence l’intérêt ou l’originalité de l’article, et de 3 à 6 mots clés également dans les trois langues. • L’auteur accorde l’essentiel de son développement à ses résultats de recherche et les analyses ou les modèles nouveaux qu’il propose, après avoir présenté son socle théorique et méthodologique. L’article est de nature propositionnelle à destination d’un double public académique et managérial ou entrepreneurial. • Les articles ne comportent pas d’annexes : l’ensemble des tableaux, schémas et encadrés est inséré dans le texte. Les notes sont placées en bas de page et numérotées dans l’ordre d’insertion. Leur nombre ne doit pas excéder trois lignes par page. • Les références bibliographiques (quelque soit le support) sont rédigées selon le modèle suivant : - Nom de l’auteur, Initiale du prénom. (date de publication), Titre de la référence, Editeur, Lieu d’édition, ou Titre de la revue, vol. x, No. X, (pages) 20-35. Exemples: Porter M.E. (1998), clusters and the New Economics of competition, Harvard Business Review, NovemberDecember, vol. 76 Issue 6, 77-90. Porter M.E. (1980), competitive Strategy, Free Press, New York. • La revue se réserve le droit de la mise en forme définitive. • Tout article dérogeant aux règles de la BMR est susceptible d’être renvoyé aux auteurs pour mise en conformité avant soumission au comité d’évaluation. www.bmr.mdi-alger.com Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 10 Editorial LES PARTENARIATS PUBLICS-PRIVÉS : UN OUTIL PROTÉIFORME À UTILISER AVEC PONDÉRATION Lors du XIIème Symposium International MDI 2013 ont été abordés des thèmes divers destinés dans un premier temps à bien cerner les caractéristiques des Partenariats PublicsPrivés (PPP) pour apporter ensuite, à la lumière des meilleures pratiques à l’international, des possibilités de réforme des outils et modèles existants dans des économies émergents ou en transition comme l’Algérie. Les expériences de réalisation des commandes publiques qui ont échoué ou réussi ont été particulièrement sources de discussions au cœur des controverses qui clivent les opinions à l’endroit des PPP. ce symposium avait précisément pour objectif d’analyser les choix judicieux à opérer à moyen et long terme en matière de PPP dans une perspective de développement durable d’un Etat, de ses collectivités territoriales et de ses entreprises privées en charge des commandes publiques. Les partenariats publics-privés correspondent à un phénomène mondial, et la banque mondiale elle-même les intègre dans sa politique de favorisation des réalisations d’infrastructures dans le domaine de l’énergie, des transports, de l’eau et assainissement, de gestion de déchets ou des télécommunications, accompagnant les acteurs dans la définition entre autres de textes de loi, de termes de référence et de contrats de performance (finançant les conseillers dédiés). Par ailleurs, la banque mondiale estime que la participation du secteur privé dans les infrastructures (PPI) comprend plus de 5000 projets dans 139 pays à revenu faible et intermédiaire, de 1984 à 2013. c’est aussi une réalité composite de concessions / de contrats de management / d’investissements greenfield / de privatisations,…De facto, deux types de PPP se distinguent, avec deux types de motivations : (1) le préfinancement privé d’infrastructures publiques (modèle concessif « historique » ; c’est notamment le cas des PPP européens qui consistent à répondre à des besoins en investissements publics dans un environnement budgétaire contraint ; (2) le partage des risques, ou encore des expertises entre le public et le privé. c’est ce dernier cas qui concerne en particulier l’Algérie dont les potentiels budgétaires disponibles sont conséquents. L’argument financier (effet de levier des financements privés) est secondaire, voire absent, si l’Etat concerné (i.e. l’Algérie) jouit en effet d’excédents budgétaires. Pour autant – et malgré l’inscription des PPP dans des lois de privatisation, les PPP ne sont pas obligatoire- ment un succédané ou une antichambre à la privatisation. L’Etat peut mettre à profit les capacités de gestion offertes par les excédents budgétaires sans pour autant souhaiter se dessaisir de l’actif ou du contrôle du service rendu. Le PPP devient une forme d’alternative à la privatisation (Marty, Trosa & voisin, 2003). Il existe d’ailleurs des précédents américains (Government-owned corporation), australiens (Government business enterprise), canadiens (crown corporations), ou européens (Statutory corporation, Kassenärztliche vereinigung,…). En matière d’économie de la privatisation, les gains ne sont pas liés au transfert de propriété au privé mais à l’ouverture du capital au privé et à la concurrence (charreaux et Alexandre, 2004 ; Marty, 2007). Dès lors, on peut se poser la question de savoir pourquoi avoir recours aux PPP si le financement n’est pas le premier souci. Les arguments généraux évoqués par les acteurs concernés sont le partage optimal des risques, la garantie d’un niveau de qualité et de performances données, l’innovation et l’acquisition des capacités de gestion du privé, l’intégration des phases, de la prise en charge des interfaces, la garanties sur l’état de l’actif à l’issue du contrat (qui permet de ne pas sacrifier la maintenance). Plus spécifiquement, d’autres arguments sont invoqués : la modernisation des entreprises publiques et leur accompagnement vers la concurrence ou lors de la mise sur le marché, les transferts de compétences, la mise ne place d’une politique industrielle avec émergence de groupes locaux. L’objet de ce numéro spécial est de faire le point sur les enjeux algériens au regard des expériences étrangères, de montrer que même si l’accès aux financements n’est pas le 1er déterminant, la structure financière du contrat joue un rôle premier dans la répartition des responsabilités et des risques, dans la gouvernance et dans les éventuelles renégociations. Les cas allemands, français ou saoudiens permettent tout à la fois de montrer que les PPP ont été un outil majeur à l’épreuve de la crise financière, cette dernière ayant eu un impact spécifique sur la structuration des contrats. ce dossier montre aussi que les PPP présentent des limites notamment lorsque les partenaires actionnent des projets et des intentions stratégiques différentes (cas des pôles de compétitivité). Il permet aussi d’orienter les cadres juridiques et les politiques publiques Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 11 Boualem ALIOUAT Université de Nice FREDERIc MARTY CNRS – GREDEG Nice en matière de PPP appropriés à des contextes différents notamment dans le cas de l’Algérie ou la région MENA. ce dossier comprend 6 contributions abordant des thématiques diverses mais complémentaires. D’abord, Frédéric Marty et Phuong Tra Tran partent de l’idée que l’opportunité économique des partenariats public-privé repose sur l’allocation optimale des risques même si l’accroissement du coût des montages ne se traduit pas par une réduction significative du périmètre de ces derniers. c’est précisément la raison pour laquelle l’efficacité de ces contrats de partenariat fait actuellement l’objet de vives critiques car l’efficacité des partenariats public-privé est liée à la question de son coût pour la personne publique. ces auteurs proposent alors des solutions qui ont été mises en œuvre par les pouvoirs publics dès le début de la crise pour faciliter le bouclage financier des PPP et s’interrogent sur l’impact à long terme des deux crises consécutives sur l’économie générale des contrats de PPP, et plus particulièrement sur l’arbitrage qui peut être opéré entre allocation optimale des risques et soutenabilité budgétaire des engagements induits. Dans un même ordre d’idées, Hubert Delzangles et Gaële chamming’s évoquent les partenariats publicsprivés sous l’angle juridique des contrats globaux dont l’intérêt prépondérant est de permettre un préfinancement privé des équipements publiques depuis bientôt une dizaine d’années alors qu’il demeure un sujet de controverses. Ils montrent que ce contrat de partenariat reste un outil juridique qu’il convient de savoir manier, d’autant plus que sa conception française s’avère l’objet de certains paradoxes dans une nouvelle logique de gestion publique visant à accroître l’efficience et à maitriser le montant des dépenses publiques par une approche en coût global. Le professeur Aissa Hireche aborde quant à lui le cas méconnu de l’Arabie Saoudite. ce pays a conscience que sa ressource énergétique n’est pas renouvelable. Aussi cherche-t-il dès à présent à s’atteler à réduire la dépendance de son économie par rapport à cette ressource non durable. En décidant de se pencher sérieusement sur l’avenir du pays, le gouvernement Saoudien a pris l’option de diversifier son économie par de grands projets: construction de quatre villes économiques, extension du réseau ferroviaire, construction de plusieurs usines de dessalement d’eau, construction de plusieurs centrales électriques, amélioration des capacités d’accueil,…cet ambitieux programme étalé sur 40 ans ne vise pas seulement à faire faire au pays un bond quantitatif, il insiste aussi sur le qualitatif. Le développement de l’économie saoudienne est voulu aux plus hautes normes internationales de qualité pour une économie compétitive au plan mondial. c’est donc pour aider au financement de ces projets et assurer leur réalisation selon les critères de qualité et de temps retenus, que le gouvernement saoudien a décidé de recourir au Partenariat Public Privé. Toujours dans un cadre international, le Professeur Jacques Liouville traite des Partenariats Public-Privé en Allemagne au début des années 1980 et des années 1990, ces accords de « privatisation partielles » étant maintenant de plus en plus contestés Outre-Rhin. La cause en est que sur le long terme, les PPP répondent de moins en moins à leurs deux principaux objectifs de baisse des prix et d’amélioration de la qualité des prestations. cela explique que lorsque l’opportunité se présente, notamment à l’expiration des concessions, les municipalités allemandes ont maintenant tendance à re-communaliser les servicespublics qui avaient historiquement été concédés à des partenaires privés. Jacques Liouville examine deux cas exemplaires de re-communalisation et fournit des recommandations pour le management des missions de service-public. Boualem Aliouat et cheikh Thiaw exposent un angle différent des PPP, notamment à travers le cas des pôles de compétitivité. Le partenariat public-privé se construit parfois sous la forme de réseaux d’innovation, notamment dans le cas des pôles de compétitivité. Des acteurs publics (formation et recherche) associent leurs efforts d’innovation à celui des entreprises qui cherchent à se redéployer sur des marchés nouveaux et porteurs. Mais ont-ils toujours le même objectif ? Un contrat de performance peut-il se construire de manière verticale et par décret (top down) quand les partenaires potentiels sont animés par des intentions divergentes. Leur contribution tente de montrer les limites de certains PPP en tant que concept générique de groupement public-privé lorsque les intentions stratégiques des uns sont plutôt orientées marché alors que les autres sont exclusivement orientés innovation. Finalement, par une approche un peu différente, Didier Danet expose la question des partenariats publics-privés dans le domaine de la Défense pour évoquer les failles d’une telle pratique et constater une grande désillusion des acteurs publics. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 12 Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité budgétaire au détriment du partage optimal des risques ?1 RésUMé L’opportunité économique des partenariats public-privé repose sur l’allocation optimale des risques, mais il est possible que l’accroissement du coût des montages ne se traduise pas par une réduction significative du périmètre de ces derniers. Or, l’efficacité des partenariats public-privé est aussi liée à la question de son coût pour la personne publique. c’est la raison pour laquelle l’efficacité de ces contrats de partenariat fait actuellement l’objet de vives critiques. Tant leur efficacité en matière de gestion du service que leur opportunité économique au vu du différentiel des coûts de financement public et privé. Notre article revient sur le modèle financier canonique des PPP avant la crise pour montrer de quelle façon la pérennité de ce modèle financier est remise en cause par le changement structurel des conditions d’accès au marché des fonds prêtables. Nous présentons également les solutions qui ont été mises en œuvre par les pouvoirs publics dès le début de la crise pour faciliter le bouclage financier des PPP et dégageons quelques faits sur les évolutions effectives en termes de conditions de financement des contrats et de dispositifs de soutien public. Nous nous interrogeons finalement sur l’impact à long terme des deux crises consécutives sur l’économie générale des contrats de PPP, et plus particulièrement sur l’arbitrage qui peut être opéré entre allocation optimale des risques et soutenabilité budgétaire des engagements induits. ABstRAct Economic opportunity for public-private partnerships is based on the optimal allocation of risk, but it is possible that the increased cost of fixtures does not result in a significant reduction in the scope of the latter. However, the effectiveness of public-private partnerships is also linked to the question of the cost to the public entity. This is why the effectiveness of these partnership contracts is currently the subject of criticism. As their effectiveness in service management as their economic opportunity considering the cost differential of public and private funding. Our article focuses on the financial canonical PPP model before the crisis to show how the sustainability of the financial model is challenged by the structural change of market conditions of access to loanable funds. We also present solutions that have been implemented by the government at the beginning of the crisis to facilitate financial closure of PPP and bring out some facts about the actual developments in terms of conditions of contract funding and public support schemes. We finally wonder about the long-term impact of two consecutive crises on the economy of PPP contracts, particularly on arbitration can be made between optimal risk allocation and fiscal sustainability induced commitments. Key words: Public-private partnerships, Budgetary Sustainability, Financial Closing, Public Financing Mots clefs : Partenariats public-privé, Soutenabilité budgétaire, Bouclage financier, Financement public (1) Nous tenons à remercier la Mission d’appui aux Partenariats public-privé (Ministère de l’Economie et des Finances) de nous avoir permis d’analyser les contrats de partenariat qui sont à leur disposition, ainsi que pour la précieuse aide fournie dans l’interprétation des données recueillies. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 13 Frédéric MARTY CNRS – Université Nice Sophia-Antipolis Phuong Tra TRAN IAE de Paris Sorbonne INTRODUCTION L’efficacité des contrats de partenariats public-privé (ciaprès PPP) fait actuellement l’objet de vives critiques. Tant leur efficacité en matière de gestion du service que leur opportunité économique même, au vu du différentiel des coûts de financement public et privé, sont aujourd’hui contestés alors que le modèle passait il y a quelques années comme – pour reprendre l’expression anglaise – the only game in town. Notre objectif n’est pas ici de nous attacher à la performance des PPP en termes de réalisation des objectifs fixés par le contrat. De telles évaluations ont pu être réalisées au Royaume-Uni pour lequel le portefeuille de contrats en cours d’exécution (voire achevés dans certains cas) peut être suffisant pour tirer de premières conclusions (se reporter à Marty et voisin (2007) et Marty et Spindler (2013) pour des synthèses). De premières analyses rétrospectives ont été menées dans le cas français (Saussier et Tran, 2012). L’efficacité des partenariats public-privé – qui peut tenir du caractère incitatif du contrat ou de l’allocation optimale des risques entre les deux contractants – est consubstantiellement liée à la question de son coût pour la personne publique. Tout d’abord, l’efficacité est étroitement dépendante de la capacité du contractant public à prendre en charge les coûts de transaction tant ex ante qu’ex post (mise en concurrence, rédaction du contrat et contrôle de son exécution), lesquels apparaissent comme une condition sine qua non pour garantir l’effectivité du dispositif incitatif mis en place par le contrat (Saussier, 2012). Ensuite, les gains d’efficience peuvent être contrebalancés voire annulés par le surcoût du financement privé par rapport au financement public. Si ce surcoût pouvait être maintenu à des niveaux particulièrement raisonnables avant la double crise des Subprimes en 2008 et de la dette souveraine en 2011/12, la conjoncture financière qui prévaut depuis sur les marchés se traduit à la fois par des difficultés significatives dans le bouclage des tours de table financiers des contrats de PPP et par l’élévation significative des marges bancaires. L’opportunité économique des PPP reposant sur l’allocation optimale des risques, il est possible que l’accroissement du coût des montages ne se traduise par une réduction significative du périmètre de ces derniers. En effet, si la prise en charge du risque par le privé se traduit par un coût trop important, il peut être préférable pour le public de demeurer son « propre assureur ». De la même façon, dans un environnement budgétaire contraint, la hausse du coût du financement des contrats de PPP peut se traduire par un net accroissement du montant des loyers annuels à verser au contractant et donc à une mise en cause de la soutenabilité budgétaire même des engagements induits. Pour reprendre les termes britanniques, l’équilibre qui pouvait être aisément atteint avant la crise entre la value for money et l’affordability est désormais bien plus difficile à réaliser. La crainte pourrait même être que le premier soit sacrifié au second. Si la personne publique conçoit principalement le PPP comme un vecteur de préfinancement de ses investissements par le secteur privé ou si elle n’a pas d’autres recours que le PPP pour satisfaire la demande de services publics qui lui est adressée, elle risque de privilégier cet outil contractuel quand bien même serait-il théoriquement ‘sous-optimal’. Au final, deux questions pourraient être posées. Tout d’abord, l’évolution des conditions de financement des contrats de PPP peut-elle avoir des effets adverses sur l’allocation des risques ? Ensuite, quelles peuvent être les réponses des contractants publics pour contrecarrer l’effet négatif de cette hausse structurelle du coût du financement ? Pour ce faire, nous nous appuierons particulièrement sur les cas britanniques et français dans le cadre de notre analyse des transformations des conditions de financement des contrats de partenariat public-privé. Il s’agit en effet des deux Etats européens qui utilisent le plus massivement ces contrats (EPEc, 2013). Dans le cas britannique, les dernières statistiques publiées par le Trésor, en mars 2012, dénombrent 717 contrats en cours dont 648 entrés en phase opérationnelle. Le cumul des investissements privés liés à ces derniers s’élève à quelque 54,7 milliards de livres. Si comme nous allons le voir la crise de 2008 s’est traduite par une inflexion dans les flux de nouveaux contrats, quelques 25 contrats sont parvenus à leur clôture financière entre mars 2011 et mars 2012 (pour une valeur d’investissement de 2,3 milliards de livres). Quelques 39 projets étaient en cours de négociation (pour un montant cumulé de 5,4 milliards). L’évaluation du nombre de PPP est bien plus difficile en France. Si 171 contrats de partenariat avaient été signés selon les données de la MAPPP (Mission d’appui aux PPP du ministère de l’Economie), il n’existe pas de recensement exhaustif permettant de connaître avec certitude le nombre et les montants investis tant pour les contrats assimilés (autres contrats administratifs permettant de mettre en place des PPP dans des domaines immobiliers et hospitaliers) que pour les contrats de nature concessive (lesquels sont intégrés dans les PFI britanniques). Les données publiées par le centre d’expertise Français pour l’Observation des Partenariats Public Privé (cEF-O-PPP) permettent de dénombrer quelques 478 projets attribués pour un mon- (2) http://www.cefoppp.org/page.asp?ref_page=7531&ref_arbo=2176 (accédé le 5 avril 2013). Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 14 Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité budgétaire au détriment du partage optimal des risques ? tant global d’investissements de 41,2 milliards d’euros2. Toujours selon ces mêmes statistiques si 60% des contrats ont été passés sous la forme de baux emphytéotiques administratifs (BEA, l’une des alternatives au contrat de partenariat pour les collectivités territoriales), ceux-ci portent essentiellement sur des contrats de faible montant (moins de cinq millions d’euros d’investissement en règle générale). Les contrats de partenariat (régis par l’ordonnance du 17 juin 2004) ne regroupent que 32 % de l’échantillon mais 84% des investissements cumulés. ces deux exemples nationaux alimentent notre analyse des conséquences des crises financières sur l’équilibre économique des PPP et des impacts potentiels des réponses qui y ont été apportées par les personnes publiques contractantes. Notre article se structure comme suit. Une première section revient sur le modèle financier canonique des PPP avant la crise ; à savoir des montages de financement sur projet avec un fort effet de levier financier afin de minimiser le coût du financement privé. Notre deuxième section montre de quelle façon la pérennité de ce modèle financier est remise en cause par le changement structurel des conditions d’accès au marché des fonds prêtables. Elle présente également les solutions qui ont été mises en œuvre par les pouvoirs publics dès le début de la crise pour faciliter le bouclage financier des PPP dans ce nouveau contexte. Notre troisième section, qui s’appuie sur un échantillon de contrats de partenariats français, dégage quelques faits stylisés sur les évolutions effectives en termes de conditions de financement des contrats et de dispositifs de soutien public. S’il ne s’agit pas ici de prétendre à la significativité statistique (seulement 38 contrats étaient disponibles), les évolutions relevées permettent de dégager quelques lignes de force en matière de bouclage financier des contrats de PPP. Nous envisageons alors les perspectives qui peuvent être tracées pour l’établissement d’un nouveau modèle financier des PPP au travers de l’analyse des propositions dans le domaine du Trésor britannique pour une nouvelle génération de PFI, les PF2 (HM Treasury, 2012). Enfin, dans notre cinquième section, de nature conclusive, nous nous interrogeons sur l’impact à long terme des deux crises consécutives sur l’économie générale des contrats de PPP, et plus particulièrement sur l’arbitrage qui peut être opéré entre allocation optimale des risques et soutenabilité budgétaire des engagements induits. 1. Le montage de financement sur projet comme archétype du modèle PPP L’une des spécificités des montages de partenariats publicprivé vis-à-vis des outils traditionnels de la commande publique tient au fait qu’ils permettent d’introduire dans la sphère publique des techniques d’ingénierie contractuelle et financière jusqu’alors réservées aux montages développés dans la sphère privée, à l’exemple du financement sur projet (Marty et voisin, 2007). Un tel modèle de financement permet des gains en termes de transparence et d’allocation optimale des risques et des responsabilités, ainsi que la minimisation du surcoût de la dette projet. En d’autres termes, il s’agit du montage ouvrant la plus grande possibilité de limitation du coût moyen pondéré des capitaux investis. Traditionnellement le financement des projets publics est réalisé par l’impôt ou l’emprunt. A supposer que les deux formes soient équivalentes en termes de bien-être sur une base inter-temporelle (il s’agit du théorème de l’équivalence ricardienne), le financement traditionnel des projets publics par l’emprunt apparaît moins coûteux qu’un financement indirect réalisé par un opérateur privé. En effet, dans une situation normale des marchés financiers, l’Etat est réputé s’endetter à un taux dit sans risque dans la mesure où à la différence de tout opérateur privé, il peut assurer le service de sa dette au travers du levier de l’impôt. Ainsi, tout financement assuré par le contractant de l’administration se traduit, en principe, par un surcoût, collectivement sousoptimal. cependant, le développement des PPP repose, comme l’indique le nom même de la politique de Private Finance Initiative britannique de 1992, sur le principe d’un financement privé. Deux premiers facteurs peuvent expliquer cet apparent paradoxe. Un premier facteur tient au gain d’efficience que peut permettre de réaliser le PPP. ces derniers peuvent – comme en témoignent de nombreuses études préalables réalisées avant de s’engager dans la voie partenariale3 – contrebalancer ce surcoût initial. Un deuxième facteur tient aux contraintes budgétaires s’exerçant sur les décideurs publics. Au niveau microéconomique tout d’abord, le PPP est susceptible de générer plusieurs types de gains, lesquels peuvent contrebalancer son surcoût financier. Il peut tout d’abord s’agir de gains d’efficacité liés au cou- (3) Les avis rendus par la cellule experte du Ministère de l’Economie et des Finances français (la Mission d’Appui aux PPP – ci-après MAPPP) sur les évaluations préalables réalisées par les porteurs de projets sont particulièrement intéressants à ce titre. Cette évaluation comparative met systématiquement en évidence un surcoût du PPP lié au coût du financement privé, surcoût souvent compensé par les gains d’efficience liés au contrat de PPP dès lors que les risques liés à la réalisation du projet sont pris en considération. L’exemple du Centre Hospitalier d’Angoulême (avis MAPPP n°2010-21 du 27 septembre 2010) est représentatif de cette situation. Du fait de la prise en compte du surcoût du financement privé, la valeur actuelle nette des coûts totaux est plus favorable de 7,5% dans le cas d’une maîtrise d’ouvrage publique que dans le cas d’un contrat de partenariat. L’intégration des risques conduit à un résultat plus favorable au PPP de 4 à 10% selon les scenarii envisagés. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 15 plage des phases de conception/ construction et d’exploitation. Dès lors que le constructeur est rémunéré au travers d’une somme forfaitaire tout le long de l’exploitation, il n’aura plus aucune incitation à minimiser les coûts de construction (afin de maximiser sa marge) au détriment des coûts d’exploitation. En effet, dans le cadre de contrats traditionnels (marché public pour la construction suivi par exemple d’une exploitation en régie), les coûts d’exploitation, d’entretien et de maintenance ne sont pas pris en considération par le constructeur. Responsabiliser ce dernier au travers d’un contrat global de long terme couplant les phases de construction et d’exploitation, créé une structure incitative le conduisant non plus à minimiser les coûts de construction (pour minimiser le prix de son offre et donc maximiser sa probabilité d’être retenu à l’issu de l’appel d’offres) mais à minimiser le coût global de possession (Hart, 2003). cet effet de couplage (bundling), qui peut aller jusqu’au démantèlement de l’actif concerné (et qui conduit donc à prendre en compte les différents coûts de déconstruction lors de la conception), conduit l’offreur à internaliser ce qui était jusqu’à présent des externalités. Le mécanisme incitatif à l’origine de cet effet repose sur la nature du PPP qui est un contrat à prix forfaitaire et non un contrat à remboursement de coûts (Laffont et Tirole, 1993). Le caractère forfaitaire du contrat de partenariat produit les incitations idoines sur le contractant pour maîtriser ses coûts. En ce sens, le recours à un partenariat public-privé participe d’un renforcement de l’efficacité économique de l’investissement public. Il n’en demeure pas moins qu’il se traduit par un abandon de rentes informationnelles au contractant de l’administration, abandon d’autant plus important que l’asymétrie informationnelle est forte. En d’autres termes, si le contractant public ne dispose pas des moyens techniques internes ou des ressources financières (pour s’appuyer sur des expertises externes) adéquats pour négocier avec les entreprises réunies en consortium pour répondre à son appel à concurrence, il est fort probable que le contrat qui en résulte soit déséquilibré en faveur du contractant privé. Le caractère forfaitaire du contrat de partenariat est à l’origine d’un autre avantage tenant à la couverture contre les risques de dérives de coûts dans la construction et dans l’exploitation de l’actif support du service rendu par le contractant privé. En effet, le paiement annuel dont bénéficie ce dernier dans le cadre du contrat ne vise pas – du moins théoriquement - à couvrir ses coûts et à lui assurer une rémunération donnée des capitaux investis comme cela serait le cas pour un contrat de type cost plus fees. Le paiement de la personne publique dépend de la disponibilité du service, de son utilisation et de la satisfaction de critères contractuels portant sur la performance et la qualité du service. Si des surcoûts surviennent dans le courant de l’exécution du contrat, le prestataire ne pourra obtenir de ce seul fait un ajustement des flux annuels de paiement. Ainsi, le contrat de partenariat peut-il être saisi comme mécanisme assurantiel, comme l’a montré Blanc-Brude (2009). Un éventuel surcoût lié au partenariat public-privé pourrait, comme nous le verrons infra, être conçu comme une prime d’assurance. Bien que l’économie publique traditionnelle considère que l’Etat est un agent économique neutre vis-àvis du risque et doit être à ce titre, son propre assureur, les contraintes budgétaires croissantes qui s’exercent sur les collectivités publiques conduisent ces dernières à adopter un comportement de nature risquophobe. Le fait de disposer d’une certaine certitude quant aux engagements budgétaires futurs garantit au contractant public leur soutenabilité. Notons également, que le contrat, par le mécanisme incitatif qu’il met en place, permet également de contrecarrer l’une des difficultés communément rencontrées dans les investissements publics, à savoir les dérives dans les délais de construction. Opter pour un partenariat publicprivé permet de limiter de telles dérives moins du seul fait d’une quelconque efficacité supérieure de la maîtrise d’ouvrage privée sur la maîtrise d’ouvrage publique que par le mécanisme contractuel mis en place lui-même. En effet, dans le cadre du modèle canonique du partenariat, les paiements ne débutent pas à la signature du contrat mais à la mise en service de l’actif sous-jacent. La personne publique ne se porte pas acquéreuse d’un actif (il s’agirait alors d’un préfinancement et d’une maîtrise d’ouvrage privés) mais d’un flux de services4. ce mécanisme a indubitablement un coût pour le partenaire privé. Non seulement il porte un risque additionnel mais les sommes qu’il doit emprunter sont mécaniquement supérieures dans la mesure où il n’aura pas de revenus dans la phase de construction. Inexorablement, la personne publique devra – si elle souhaite tirer profit de ce mécanisme incitatif, lequel fonctionne comme une assurance contre le risque des dérives de délais – compenser cette charge addition- (4) Notons, en outre, que les dérives de coûts et de délais dans les projets publics sont souvent imputables à des changements – tardifs – de spécifications de la part du décideur public. Dans la mesure où dans le cas d’un partenariat public-privé, des évolutions significatives des spécifications poseraient après la mise en concurrence des problèmes juridiques (risques de recours) et placeraient de toute façon la personne publique en position de faiblesse vis-à-vis de son contractant – faute d’une menace concurrentielle -, les décideurs publics sont bien moins enclins à s’engager dans de telles modifications. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 16 Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité budgétaire au détriment du partage optimal des risques ? nelle au travers de ses flux de paiements. Ainsi, un arbitrage entre efficacité incitative du contrat (condition sine qua non de la possibilité de satisfaire au critère de la valeur pour le contribuable (value for money) peut mettre en question la soutenabilité budgétaire même des flux de paiements liés au contrat (critère de l’affordability)5 . ce faisant, le contrat de partenariat peut-il faire l’objet d’une lecture en termes assurantiels. Le mot même de partenariat rejoint dans ce contexte sa racine latine de partitio, i.e. répartition. Il s’agit d’un outil contractuel visant à la répartition optimale des risques entre les parties. Si chacune se voit attribuer le risque qu’elle peut gérer au moindre coût, le contrat de partenariat sera collectivement efficient. Au-delà même du mécanisme incitatif lié aux clauses contractuelles, il peut être considéré que le privé peut être en mesure de gérer plus efficacement certains risques dès lors qu’il possède une plus grande expérience que sa contrepartie publique pour certains projets (effets d’apprentissage, développements d’innovations,…) ou qu’il peut se couvrir contre certains de ces risques sur les marchés financiers. En tout état de cause, la question du risque et de son allocation optimale entre contractants public et privé constitue la clé de voûte du modèle économique du partenariat publicprivé. Un tel transfert de risque se traduit inexorablement par une prime. La personne publique a à faire face dans le cas d’un tel contrat à un surcoût ; surcoût qu’il est possible d’apprécier au travers du différentiel de taux entre le coût de la dette publique et le coût du financement privé. En effet, le préfinancement de l’infrastructure sous-jacente au contrat par le partenaire privé induit un surcoût financier relié à la marge réalisée par le consortium (d’autant plus forte que la concurrence pour le contrat est faible6) mais aussi – et surtout – à la différence dans les primes de risques exigées par les financeurs entre dette privée et dette publique7. Les PPP ne peuvent donc être satisfaisants en termes économiques que si et seulement si les gains d’efficiences (ainsi que les dimensions liées à la rapidité de la mise en service des actifs et à la garantie contractuelle de qualité des services) permettent de compenser le surcoût du financement privé. Si l’essor particulièrement marqué des contrats de partenariat au Royaume-Uni et dans de nom- breux Etats développés et émergents dans la première décennie de ce siècle peut être relié à l’influence croissante du nouveau management public (Penalva-Icher et Lazega, 2013), elle doit sûrement être resituée dans un contexte particulièrement favorable au point de vue financier (Dupas et al., 2012). En effet, les mesures prises par les banques centrales à la suite de l’éclatement de la bulle Internet et des attentats du 11 septembre 2001 se traduisirent par l’abondance de liquidités disponibles sur le marché des fonds prêtables. Leur coût était d’autant plus faible que l’aversion au risque des investisseurs était des plus modérées. De plus, l’adoption des IFRS conduisait à valoriser les titres financiers à leur valeur de marché. ce faisant, l’élévation des cours boursiers se traduisait par l’augmentation des capacités de prêts des établissements de crédit. ce contexte financier, favorable aux montages à fort effet de levier financier (i.e. reposant principalement sur la dette) l’était encore plus pour les partenariats qui présentaient pour les investisseurs un couple risque/rendement particulièrement attractif. En effet, si les rendements ne se caractérisaient pas par des niveaux très élevés, le risque pris semblait d’autant plus raisonnable que la contrepartie était au final une collectivité publique et qu’un marché secondaire des titres liés aux partenariats public-privé se développait significativement. Ainsi, la dette liée aux partenariats était particulièrement attractive pour certains investisseurs, dont les fonds de pension. Les montages financiers utilisés dans le cadre de ces contrats permettaient en outre de limiter le surcoût du financement privé. Le financement des contrats de partenariat public-privé peut de fait recouvrir trois formes principales (christophe et al., 2007). Une première forme de financement – la plus conventionnelle – correspond à un montage de type crédit-bail. La deuxième forme, la plus couramment utilisée pour les contrats d’une surface financière raisonnable, correspond à des financements de type corporate. Dans ce cas là, la dette est levée par l’entreprise titulaire du contrat (communément l’entreprise la plus importante du consortium). Les apporteurs de fonds n’évaluent pas le risque de défaut sur le service de la dette à partir du risque propre à l’investisse- (6) Il s’ensuit la possibilité quand les conditions de marché le permettent, et quand la surface financière du contrat est suffisamment importante pour couvrir les coûts de transaction induits, de la mise en place d’une concurrence séparée pour le volet financement (Marty et Voisin, 2008). Non seulement celle-ci peut conduire à réduire le coût du financement mais permet de bénéficier de la part des souscripteurs de la dette liée au projet d’une évaluation de sa viabilité et de la robustesse de son montage (via les procédures de due dilligence portant sur l’évaluation des risques de défaut sur le remboursement de la dette). Il n’en demeure pas moins que l’action des opérateurs financiers ne saurait être tenue pour neutre. En effet, le caractère structurant du financement dans la définition de l’équilibre économique du contrat conduit à renforcer le poids de la logique financière dans la négociation entre les différents partenaires. Il ne s’agit plus d’accorder seulement les logiques du public et du privé mais aussi celle des acteurs de la sphère financière (Huault et Richard, 2012). (7) Le public est réputé s’endetter au taux sans risque dans la mesure à la capacité de l’Etat à lever l’impôt doit le mettre à l’abri du risque de faillite. A l’inverse un opérateur privé est exposé à un tel risque (et peut donc faire défaut sur le service de sa dette). Un tel risque dépend à la fois du risque systémique (commun à tous les opérateurs du marché) et du risque spécifique (propre à l’entreprise concernée). Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 17 ment mais en fonction de la qualité de signature (ratios entre fonds propres et dettes, entre service de la dette et flux de revenus) de la société porteuse du projet. ce type de montage présente deux défauts pour les contrats les plus importants en termes d’investissements. D’une part, le risque propre au contrat ne fait pas l’objet d’une évaluation et ne joue pas sur la fixation du coût du financement. La prime de risque n’est pas la résultante de l’allocation contractuelle des risques mais simplement de la qualité de signature de l’entreprise porteuse du contrat. D’autre part, cette modalité de financement suppose que ladite entreprise consolide dans ses comptes tant l’actif concerné que la dette afférente. cela peut être préjudiciable pour les acheteurs publics dans la mesure où une telle consolidation réduit la capacité d’emprunt de la firme concernée et donc les possibilités pour celle-ci de s’engager dans les futures mises en concurrence. Il s’ensuit – si le marché est oligopolistique – un risque d’un moindre nombre de compétiteurs pour les contrats de partenariats public-privé. Sachant que la capacité du contrat de partenariat à réaliser l’objectif de la value for money dépend étroitement du degré de concurrence pour le marché – à l’instar des contrats de concessions (Mougeot et Naegellen, 2007), il est de l’intérêt bien compris des acheteurs publics que les opérateurs habituels ne voient pas leurs comptes lestés de trop de contrats. La troisième forme de financement – la plus fréquemment utilisée pour les contrats de partenariat public-privé mobilisant des ressources importantes – répond à ces préoccupations. Il s’agit, comme nous l’avons vu, des montages de financement sur projet. De tels montages sont particulièrement adaptés dès lors que la mise en concurrence a donné lieu à la formation d’un véritable consortium associant les compétences de nombreuses entités. Une société projet est alors créée pour porter le contrat. Les firmes ayant constitué le consortium – appelées sponsors – apportent des fonds propres. Le reste du financement est constitué de dette levée sur les marchés financiers ou souscrite auprès d’établissements bancaires. Sachant que les fonds propres sont mieux rémunérés que la dette – car plus exposés au risque8 – la minimisation du coût global du financement (i.e. du coût moyen pondéré des capitaux investis) passe par la recherche de l’effet de levier le plus élevé. cependant, plus le ratio entre la dette et les fonds propres sera important, plus le service de la dette absorbera une part élevée des revenus d’exploitation. Dès lors la probabilité d’un défaut sur le remboursement de la dette pourrait apparaître comme significative… ce qui conduirait les prêteurs de ressources externes à accroître leurs primes de risque et se traduirait donc par une hausse du coût du financement. La sensibilité du coût du crédit au risque de défaut est d’autant plus forte qu’un financement sur projet est un montage financier sans recours. La seule garantie apportée pour le remboursement de la dette tient aux flux de ressources dégagés de l’exploitation de l’actif objet du contrat et des apports en fonds propres réalisés par les sponsors de la société projet. L’évaluation de la viabilité du montage par les financeurs externes constitue donc une dimension critique dans l’équilibre économique du contrat de partenariat9. Sachant que le surcoût du financement privé constitue l’un de ses handicaps majeurs vis-à-vis d’un financement étatique classique, le coût de la ressource financière externe s’avère la variable dont la minimisation est indispensable pour susciter une bascule entre solutions patrimoniales et partenariales. Sachant que la clef de voûte du contrat de partenariat se situe dans la répartition des risques entre public et privé, un transfert excessif de risques au second (8) La question du degré réel d’exposition des fonds propres au risque est débattue au Royaume-Uni (NAO, 2012). Théoriquement si la société projet rencontre des difficultés dans la construction ou si elle fait face à des coûts d’exploitation plus élevés que prévu, les fonds propres seront directement impactés. Dans quelques projets britanniques une telle situation a pu être relevée. Il en alla par exemple ainsi pour le contrat du National Physical Laboratory en 2004 (perte de 4 millions de livres de fonds propres), dans celui de Metronet relatif au métro de Londres en 2007 (perte de 350 millions de fonds propres) ou encore du programme de construction d’écoles en Cornouailles en 2009. Dans ce dernier cas, l’administration contractante mit fin de façon anticipée au contrat pour cause d’une performance insuffisante. Les sponsors perdirent 4,8 millions de fonds propres. Cependant, la cour des comptes britannique considère que dans l’immense majorité des cas la rémunération des fonds propres (en moyenne de 12 à 15%) est quelque peu excessive eu égard au niveau effectif des risques assumés (NAO, 2012). En effet, les risques sont souvent transférés de la société projet vers des sous-traitants aval via des contrats à prix fixe (Marty et Spindler, 2013) et les paiements assurés par la personne publique sont quasiment exempts d’aléas. Notons encore que la cour des comptes britannique s’avère des plus critiques sur les méthodes de valorisation utilisées pour déterminer le niveau de rémunération exigé par les investisseurs en fonds propres. L’évaluation du risque de défaut de la société projet pèserait souvent moins que les règles standard édictées par le comité d’investissement de chaque investisseur. (9) Différentes méthodes sont utilisées par les apporteurs potentiels de ressources financières externes pour jauger le risque de défaut sur le remboursement de la dette levée par la société projet. Un des critères les plus communs tient à la mesure du levier opérationnel, c’est-à-dire l’impact d’une variation donnée du revenu sur l’EBIT (earning before interests and taxes). Schématiquement, la différence entre les revenus d’exploitation fixes et variables (les paiements en fonction de la disponibilité d’une part, ceux liés à l’usage du service cumulés avec les revenus commerciaux venant de tiers d’autre part) et les coûts d’exploitation permet de déduire l’EBITDA (earning before interests, taxes, depreciations and amortizations). En ôtant les charges calculées on obtient l’EBIT qui constitue donc une approximation de la marge de sécurité sur le service de la dette et qui donc permet de s’assurer dans quelle mesure la société projet peut faire face à une dérive de ses coûts ou à de moindres flux de ressources tenant par exemple à l’application de sanctions contractuelles en cas de sous- performance. L’évaluation passe aussi par l’estimation de la residual Value at Risk (Moro-Visconti, 2013). Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 18 Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité budgétaire au détriment du partage optimal des risques ? (i.e. l’allocation de risques qu’il ne pourrait gérer au moindre coût par rapport à son partenaire privé) se traduirait par un surcoût financier immédiat10 . Si le modèle de financement sur projet induit un risque additionnel vis-à-vis des financements corporate en ce qu’il s’agit d’un montage sans recours facilite l’évaluation de cet équilibre par les apporteurs de ressources externes dans la mesure où la société projet ne porte qu’un seul contrat. Ainsi, s’agit-il du modèle de financement le plus à même de porter des schémas à très fort effet de levier financier. La dette peut d’ailleurs être levée selon deux canaux différents. Le premier correspond à la dette bancaire. Il s’agit d’un financement intermédié. Le second type de financement repose sur de la dette obligataire. L’émission de dette sur les marchés financiers a deux désavantages principaux visà-vis de la dette bancaire. Le premier tient au fait qu’elle induit des coûts de transaction supérieurs, notamment liés à la nécessité de faire noter cette dernière. L’ensemble des coûts de transactions induits nécessite que l’émission soit d’un volume suffisant pour amortir les coûts. Le second désavantage tient à l’effet négatif sur la flexibilité des montages (HM Treasury, 2012). Dès lors qu’une renégociation a un effet sur le volet financier, il est plus aisé de renégocier avec un (ou plusieurs) établissement(s) bancaire(s) qu’avec l’ensemble des porteurs de titres. Aux côtés de ces handicaps, le financement obligataire présente deux avantages déterminants. Le premier tient au fait que les taux exigés sont communément plus faibles que pour le financement bancaire. Le second est lié à la maturité des financements. celle-ci est plus importante pour les financements obligataires, ce qui permet d’ajuster la durée du financement à celle du contrat et donc à la fois de garantir un terme économiquement optimal et éventuellement de prévenir tout refinancement contraint en cours d’exécution du contrat. Le financement obligataire se prêtait donc bien au financement sur projet et permettait de minimiser le surcoût du financement privé. La prime de risque exigée dépendait de la note de crédit attribuée par les agences de notation financière et donc des risques transférés à la société projet. La capacité à lever un fort pourcentage de dette à un taux attractif était de plus renforcée par l’existence – avant la crise de 2008 – de nombreux outils financiers permettant d’offrir aux investisseurs des garanties de remboursements, notamment au travers de mécanismes de réhaussement de crédits (Delmon, 2010). Au travers de ces derniers, un tiers (un réassureur doté d’une note financière maximale) se portait garant – moyennant le versement d’une prime – du bon remboursement des créances. Ainsi, quelle que soit la note de crédit obtenue par la société projet (laquelle dépend comme nous l’avons vu des risques transférés), celle-ci était-elle en mesure de se financer au meilleur taux. cette conjoncture favorable aux PPP connut un renversement brutal en 2008 avec la crise financière, laquelle mit en cause l’ensemble des leviers permettant de réduire le surcoût du financement privé. Dès lors les contractants publics se trouvent placés face à un alternative : ré-internaliser certains risques pour limiter leur coût additionnel et donc permettre leur soutenabilité budgétaire (préservation de l’affordability) ou accepter de tels surcoûts afin de garantir une allocation optimale des risques (préservation de la value for money). 2. Une structure de financement dont la pérennité est remise en cause par la crise : évaluation des réponses françaises et britanniques Le modèle de financement standard des PPP a été durable affecté par la crise financière de 2008 mais aussi par la crise de la dette souveraine qui a conduit à mettre en question la qualité de signature de l’Etat et a fortiori des collectivités publiques. cette section considère successivement l’impact de la crise sur les montages financiers standard des PPP, les interrogations qui en ont découlé sur la pérennité même de ces derniers et enfin les initiatives qui ont été prises par les pouvoirs publics pour en garantir la pérennité malgré la nette et irréversible transformation des conditions de financement. a. Impact de la crise financière sur les montages de financement sur projet La crise financière de 2008 compromit significativement le modèle économique des partenariats public-privé. Dès le second semestre 2008, le nombre de projets parvenant à la clôture financière chuta de 48% au niveau mondial (Delmon, 2010). Les effets globaux sur les PPP tinrent en la substitution de montages dans lesquels les paiements sont basés sur la disponibilité aux montages concessifs dès lors que cela était possible, à la réduction de la surface financière des projets (plus de contrats de type rénovation / exploitation de bâtiments que de contrats induisant de nouvelles constructions) et enfin et surtout en une réallocation des risques entre contractants publics et privés afin de réduire la prime de risque exigée par les financeurs. En effet, la crise conduisit à un retournement brusque des marchés de fonds prêtables, retournement de nature à mettre en cause le modèle de financement des partenariats public-privé. Si la période ante 2008 était très favorable aux montages à fort effet de levier financier, celle qui prévaut (10) L’évaluation ne se borne pas à la seule évaluation ex ante de l’équilibre contractuel, elle porte également sur la qualité anticipée du suivi de l’exécution et du monitoring, condition essentielle pour la prestation d’un service conforme aux obligations contractuelles, garantie de l’absence de pénalités contractuelles (Robinson et Scott, 2009). Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 19 depuis l’est bien moins. Tout d’abord, la montée de la défiance entre les opérateurs de marché (liée aux difficultés d’évaluer la qualité de signature des contreparties) s’est traduite par une forte hausse des primes de risques. cette défiance d’abord cantonnée aux établissements financiers du fait des doutes sur la qualité des créances détenues en portefeuille s’est peu à peu étendue, au travers de la crise de la zone Euro et de la perte de la note financière AAA par de nombreux Etats, à la signature des collectivités publiques elles-mêmes, qu’il s’agisse des Etats ou - a fortiori - des collectivités territoriales. prêts syndiqués. Avant la crise, certains sponsors, issus de la sphère financière, s’engageaient dans des montages de type underwrite and syndicate. cet arrangeur de crédit garantissait la disponibilité et le coût des fonds. Il s’engageait ensuite dans leur placement sur les marchés. La société projet avait alors une garantie quant aux conditions de son financement. Dès lors que la crise éclate, la syndication disparait et au contraire des montages de type club-deals tendent à se multiplier. Il est depuis nécessaire de réunir plusieurs banques pour boucler le financement, ce qui a non seulement pour effet d’augmenter le coût du financement par réduction du degré de concurrence entre les établissements de crédit, mais aussi et surtout, par le mécanisme même de ces montages dans lesquels le taux applicable à toutes les banques est celui de la banque qui est nécessaire au bouclage (i.e. la banque marginale). En d’autres termes, le coût du financement privé est déterminé par la banque dont le refinancement se fait dans les conditions les plus onéreuses. De façon générale, la crise a durement affecté le marché de la dette obligataire liée aux PPP. Le financement est très majoritairement de nature bancaire. Son coût reflète donc les conditions de refinancement sur le marché interbancaire (en l’espèce le LIBOR), lesquelles sont structurellement orientées à la hausse. Ensuite, la crise s’est traduite par un renchérissement structurel du coût des fonds prêtables. Avant la crise, la hausse des cours boursiers se traduisait pour les établissements de crédits par l’accroissement des capacités de prêts. En effet, les actifs financiers étant valorisés à leur valeur de marché (notion de fair value) par les normes IFRS, un processus cumulatif conduisait à accroître mécaniquement les flux de liquidités disponibles. cependant, dès lors que les anticipations s’inversent, le processus cumulatif joue toujours mais à la baisse. Se met alors en place un phénomène de levier inversé faisant que les établissements de crédits réduisent leurs prêts. Le marché passe alors d’une situation de liquidités abondantes à une situation de quasi-illiquidité rendant impossible le bouclage des montages de PPP sauf à accepter des taux d’intérêts bien supérieurs à ceux pratiqués précédemment. La hausse des marges bancaires ne fut pas seulement conjoncturelle mais s’avéra structurelle. En effet, la très nette baisse des taux de base par les banques centrales (à des niveaux historiquement jamais atteints) n’est pas parvenue à contrecarrer la hausse des marges bancaires. L’une des raisons principale en tient au renforcement des règles internationales tenant à la solvabilité (Bâle III). Ainsi, le coût du financement privé est-il significativement et durablement plus élevé après la crise. Le surcoût du financement en PPP n’est pas la seule conséquence de la crise. Des risques additionnels vont également devoir être partagés entre contractants publics et privés. La montée de l’aversion au risque des prêteurs ne se traduit pas seulement par l’élévation des marges bancaires, elle se manifeste également par la réduction des maturités. La durée des crédits peut fréquemment s’établir en deçà de celle du contrat, ce qui créé un risque de refinancement en cours de contrat (Dupas et al., 2013), lequel devra être pris en charge au moins partiellement par le contractant public. cette hausse est d’autant plus sensible pour les montages de PPP que les différents mis en place pour faciliter le bouclage financier et en diminuer le coût ont disparu avec la crise. Deux exemples sont particulièrement significatifs. Le premier est la disparition des réhausseurs de crédits, lesquels perdirent très rapidement leur AAA et donc leur crédibilité en tant qu’assureur en dernier ressort du remboursement11. Dès lors, les prêteurs n’ont plus d’autres recours que les flux de ressources dégagés par la société projet et les fonds propres apportés par les sponsors. Les conditions financières ne peuvent plus être améliorées par l’intermédiaire d’une garantie apportée par un acteur financier doté de la meilleure qualité de signature qui soit. Une seconde rupture tint à la quasi disparition du marché des ces nouvelles conditions de financement peuvent être de nature à mettre en cause l’opportunité même de recourir à des montages partenariaux pour les autorités publiques, sauf à supposer que leur motivation principale tienne au préfinancement des investissements par le privé et donc au contournement des règles de prudence budgétaire (Maskin et Tirole, 2008). Un tel doute peut être d’autant plus de mise que les conditions de financement – même si elles se sont améliorées – demeurent difficiles. Les évaluations publiées en mars 2013 par l’European PPP Expertise centre de la Banque Européenne d’Investissement montrent que les conditions de financement n’ont pas connu une amélioration significative depuis le début de la crise (EPEc, 2013). La marge bancaire n’est jamais redescendue sous les 200 (11) On parlait alors d’insurance wrapp. Le rapport du Trésor britannique de décembre 2012 sur le futur des partenariats public-privé relève qu’un seul de ces assureurs monobranche (monoline) a pu préserver une note de crédit supérieure à BB+. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 20 Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité budgétaire au détriment du partage optimal des risques ? points centésimaux (bp) alors qu’elle se limitait souvent à 60 points avant la crise (voir figure 1). Le retour à la situation qui prévalait avant 2008 est donc en très grande partie illusoire. Au contraire, la crise des dettes publiques, notamment dans la zone Euro, conduisent à un resserrement des conditions moyennes de financement. Au final, le nombre d’offreurs sur le marché des fonds prêtables s’est significativement réduit, le coût des ressources bancaires s’est accru significativement, notamment sous l’effet du renforcement des règles prudentielles après la crise et la prime de risque appliquée a d’autant plus cru que la crise de la dette souveraine s’est accrue. Les marges bancaires qui avaient chuté en dessous de 100bp en 2007 ont au final augmenté en deux temps en 2008/09 puis en 2011/12 pour atteindre 300bp sur le marché britannique, comme le montre la figure 2 infra (HM Treasury, 2012). coût de la dette privée (20 à 33% selon les caractéristiques du projet en termes de durée, de risques encourus ou de montant d’investissement) induisait en termes de loyers annuels pour la personne publique contractante une hausse de 6 à 8% (NAO, 2010). Par voie de conséquence, il apparaissait à la cour des comptes britannique que de moins en moins de contrats publics pourraient faire l’objet d’un partenariat au vu des critères habituels de value for money et d’affordability. Des simulations réalisées dans le cadre du rapport de la commission des finances de la chambre des communes montrent qu’emprunter directement sur les marchés pourrait permettre à la personne publique de réaliser une économie de 42% sur ses flux de remboursements (House of commons, 2011). Au-delà même de la question du coût de la dette levée par les contractants privée, le débat britannique s’est également porté sur la rémunération retirée par les sponsors pour leurs fonds propres investis dans la société projet. ces derniers sont légitimement mieux rémunérés que la dette, en contrepartie des risques pris. ces derniers sont d’autant plus élevés que le contrat de partenariat prend la forme d’un contrat à prix forfaitaire dont les flux de paiements ne sont théoriquement déclenchés qu’à la mise en service de l’actif sous- jacent au service et non à la signature du contrat. c. Les instruments de limitation du surcoût de la dette privée vis-à-vis de la dette publique dans un contexte de crise financière : dispositifs français et britanniques b. Les débats sur la pérennité des PPP Le renchérissement du coût du financement pose en effet la question de l’opportunité de la poursuite de la politique de PPP. S’il ne s’agit que d’une facilité budgétaire visant à faire porter la dette par le privé, elle s’avère des plus onéreuses. A cet aune, un financement public direct serait plus que jamais préférable. Par exemple, les taux français à 30 ans s’établissent autour de 3,15% en mars 2013 contre 4,91% en juin 2008. Si l’on conçoit le contrat de partenariat comme un mécanisme assurantiel, la prime de risque à acquitter peut s’avérer rédhibitoire. La cour des comptes britanniques, le NAO, notait dès juin 2010, que la hausse du Préserver le modèle des PPP – surtout si la personne publique concernée fait face à une forte contrainte budgétaire qui le rend très attentif à son ratio de dette publique (Buso et al., 2013) – peut conduire à réaliser un arbitrage entre les deux objectifs de value for money et d’affordability. Si la situation initiale des marchés financiers permettait de satisfaire au premier critère (passant par le transfert de certains risques au privé) tout en préservant la soutenabilité budgétaire des flux de paiements futurs (faible surcoût du financement privé), la crise peut conduire à arbitrer en défaveur du transfert du risque pour maintenir la soutenabilité des loyers futurs. Une telle optique peut prévaloir dès lors que les PPP sont conçus en premier lieu comme un levier pour les investissements publics et que la question du préfinancement des investissements l’emporte sur celle de la gestion optimale des projets d’investissements. (12) Certains contrats, notamment en France et au Royaume-Uni présentaient des maturités de financement supérieures à 27 ans. Un tiers des contrats français avait alors une maturité comprise entre 10 et 15 ans. Pour la BEI, cela était plus à imputer à la nature des contrats financés qu’à des contraintes de financement. (13) La France et l’Allemagne représentaient à elles seules 80% des opérations dont la maturité des financements dépassait 27 ans) (14) 26% des contrats bénéficient de financements d’une maturité supérieure à 25 ans (cela était le cas pour plus de la moitié des contrats recensés par la BEI en 2010). En Espagne, aucun contrat de PPP n’a bénéficié d’un financement sur 20 ans. La maturité moyenne de 16,8 ans est la plus faible d’Europe. Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 21 L’ajustement du modèle des PPP peut prendre différentes formes. Une première peut tenir à la nature même des projets. Moins les projets présentent de risques de demande peu maîtrisables par le privé, moins la prime de risque exigée sera élevée. De la même façon, moins le contrat nécessitera des investissements initiaux importants, moins il nécessitera un montant élevé de dette et donc moins il se traduira par des annuités élevées. Limiter les surcoûts passe également par des voies plus financières. Il peut tout d’abord s’agir de la ré- internalisation de certains risques financiers par la personne publique. Il en va ainsi de la possibilité offerte aux consortia en lice – dans le cas français – de présenter des offres financières partielles, ajustables en fonction des taux ou encore assorties de durées de validité limitées ou comprenant des possibilités de sortie (clauses de market disruption). Il en fut ainsi en France avec la loi n°2009-179 du 17 février 2009 pour l’accélération des programmes de construction et des investissements publics et privés (Loi LAPcIPP dite Loi Devedjian). Le soutien public peut également passer par des prêts à long terme, comme cela fut le cas en France, au travers d’une enveloppe budgétaire de 8 milliards d’euros, gérée par la caisse des Dépôts et consignations (cDc), pour soutenir les grands projets d’infrastructures, notamment dans les domaines des transports et des universités15. Il peut également s’agir de programmes de garanties publiques portant soit l’accès au financement, soit sur un niveau minimal de revenu soit directement sur le service de la dette. Dans le cas français, la Loi de finances rectificative du 4 février 2009 (loi n°2009-122) prévoyait une enveloppe de garanties par l’Etat de plus 10 milliards d’euros. Le soutien passe également par l’élévation du plafond de cessions de créances acceptées au titre de la Loi Dailly. La loi du 17 février 2009 stipule que « la cession de la rémunération due en vertu d’un contrat de partenariat au titre des coûts d’investissements et de financements peut porter jusqu’à 100%. En revanche, l’acceptation de la cession par la personne publique est limitée à un plafond de 80% de cette rémunération ». En d’autres termes, le contractant public s’engage à régler au porteur du titre de créance jusqu’à 80% du montant quelle que soit l’exécution du contrat. Il pourra se retourner ex post contre son contractant. Si de telles mesures sont de nature à affaiblir l’efficacité incitative des contrats, elles sont effectivement de nature à réduire sensiblement le coût du financement privé et donc à peser favorablement sur le montant des loyers. Les cessions de créances acceptées de type Dailly, tout comme les dispositifs de Forfeiting en Allemagne (Daube et al., 2008), sont de nature à affaiblir l’efficacité incitative du contrat mais sont indispensables pour en assurer le caractère soutenable au point de vue budgétaire. Nous pourrions même considérer que l’existence de garanties publiques peut partiellement rendre inopérantes les différentes clauses de pénalités contractuelles et rapprocher – sous- optimalement – le contrat de partenariat d’un contrat à remboursement de coûts. En effet, la personne publique se voit appliquer ex ante une prime de risque liée au caractère forfaitaire du contrat pour au final revenir à une logique de remboursements de coûts (dès lors que le PPP perd sa nature de contrat incitatif basé sur le partage optimal des risques pour devenir un simple véhicule assurant le préfinancement privé des infrastructures publiques). Des dispositifs de soutiens comparables ont été mis en place au Royaume-Uni (Dupas et al., 2012). Il en allait par exemple ainsi de prêts gouvernementaux débloqués en juillet 2012 pour permettre le bouclage financier de contrats se heurtant à la raréfaction des fonds prêtables, de contributions en fonds propres ou encore de garanties publiques pour un montant de 40 millions de livres dans la cadre de l’UK Guarantees Programme16. 3. Quelques faits stylisés français tirés des données de la MAPPP Il est difficile d’évaluer l’impact de la double crise financière et souveraine sur les conditions de bouclage financier des partenariats public-privé ainsi que d’apprécier l’éventuelle ré- internalisation du risque par la personne publique afin d’en préserver la soutenabilité budgétaire. A partir d’un échantillon de contrats issus de la MAPPP, pour lesquels les données financières sont disponibles, il a été possible de dégager quelques résultats encore parcellaires – au vu de la faiblesse de l’échantillon, notamment pour les contrats signés avant la crise de 2008. Nous visons en effet au travers de l’analyse des données financières de 38 contrats de partenariats français de répondre à un certain nombre d’interrogations tenant à l’évolution de la surface financière des PPP et de leur durée moyennes après la crise, à la place des éventuelles garanties publiques et des subventions, à la part croissante d’une dette apportée par des acteurs financiers parapublics tels (15) Circulaire d’application de l’article 6 de la loi n°2009-122 du 4 février 2009 de finances rectificative pour 2009 instituant une garantie de l’Etat et de la loi n°2009-179 du 17 février 2009 pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement publics et privés, dans ses dispositions relatives aux contrats de partenariat (28 juillet 2009). (16) En décembre 2012, 75 demandes étaient déjà transmises au Trésor. 14 projets (représentant un investissement privé cumulé de 10 milliards de livres) étaient présélectionnés (HM Treasury, 2012). Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 22 Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité budgétaire au détriment du partage optimal des risques ? la caisse des Dépôts et consignations ou la Banque Européenne d’Investissements, à l’évolution de la part de la dette projet dans le financement par rapports aux fonds propres et à la dette Dailly (i.e. faisant l’objet d’une cession de créances acceptée). Nous nous penchons également sur la question des taux de marges bancaires. Notre ambition, au travers de cette analyse de statistique descriptive (un traitement économétrique n’étant pas réalisable) est d’illustrer l’impact de la crise sur l’équilibre économique des contrats (du moins dans leur montage financier) et de dégager d’éventuels indices d’un arbitrage entre l’objectif de value for money et la contrainte de l’affordability. Sur les 38 contrats analysés (voir figure 3 pour une ventilation par année), 19% attinrent leur clôture financière avant la crise, limite que nous avons arbitrairement fixée au 1er janvier 2009. cette proportion avec les données relatives aux contrats de partenariats telles qu’elles ressortent des statistiques de la MAPPP au mois de janvier 2013. En effet, parmi les 155 contrats recensés, seulement 24% avait été conclus avant 2009. dette Dailly représente 73% de la dette totale des contrats de partenariats français. La moitié des contrats se caractérise par une Dailly égale (voire supérieure dans certains cas) à 80% de la dette totale. La part des fonds propres apportés par les sponsors n’excède jamais 20%. La moyenne s’élève à 6% (soit un effet de levier de 6/94). considéré sur l’ensemble de la période, la marge sur la Dailly est bien entendu moindre que celle sur la dette projet (1,41% contre 2%) ce qui traduit un moindre risque de défaut sur le paiement des créances dont la cession a été acceptée. Il est possible d’affiner ces résultats en séparant l’échantillon en deux sous périodes (tout en gardant à l’esprit les limites liées au faible effectif avant 2009). L’utilisation des contrats de partenariats comme vecteurs de la relance par les investissements 2009 ressort clairement des données ci-dessus (si tant est qu’il ne s’agisse pas d’un biais d’échantillon). Le montant moyen des investissements liés aux contrats de partenariats est multiplié par quatre (de 35 à 154 millions d’euros). L’échantillon reflète bien l’hétérogénéité des contrats de partenariats signés en France. Les données disponibles sur les 155 contrats montrent un échelonnement des montants d’investissements privés entre 500 000 et 2,8 milliards d’euros. La durée moyenne des contrats dans notre échantillon est de 25 ans (avec des valeurs extrêmes de 15 et 45 ans). Pour les 155 contrats, cette durée moyenne est de 20 ans. Notons, toujours en matière de valeurs moyennes, que la Avant 2009 la dette moyenne par projet était de 25,38 millions d’euros (ventilation voir figure 4 infra). Elle oscillait entre 3 et 41 millions. Quatre contrats sur sept présentent une dette totale s’établissant entre 10 et 30 millions d’euros. Après 2009, la dette moyenne atteint quelque 79 millions, soit une multiplication par trois avec des valeurs extrêmes s’établissant à 5,7 millions d’euros pour la plus faible et 706 pour la plus élevée. De façon non surprenante ce contrat est également celui pour lequel l’investissement en fonds propres a été le plus élevé. Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 23 La part de la dette Dailly ne progresse que marginalement – les possibilités de cessions de créances étaient déjà significativement employées (voir figure 7). Nous pouvons néanmoins noter si nous nous penchons sur les montants, qu’avant la crise, le montant moyen de la dette Dailly était de 17 millions d’euros et celle de la dette projet de 8 millions. Après 2009, le montant moyen de la dette Dailly passe à 69 millions d’euros et celle de la dette projet à 10 millions. La dette faisant l’objet de cessions de créances acceptées atteint des montants particulièrement élevés, pouvant dépasser 400 millions d’euros. ces derniers contrastent avec la dette projet qui peut même dans certains cas disparaître, du moins pour des contrats ne nécessitant pas des montants d’investissements particulièrement élevés. En effet, comme nous venons de le montrer, la tendance à la baisse en valeur absolue de la dette projet constitue indubitablement l’une des manifestations les plus claires des difficultés de financement post 2009. Sur 32 contrats, seuls 6 présentent une dette projet supérieure à 10 millions. Un seul projet se caractérise par une dette projet supérieure à 15 millions d’euros au-delà de 2009 (voir figure 8 infra). D’ailleurs les évolutions de l’effet de levier financier (figures 5 et 6) entre 2005-2008 et 2009- 2012 permettent de caractériser un phénomène de deleveraging, avec bien un levier moyen passant de 5% à 10%. Il convient cependant de nuancer cette conclusion au vu du faible nombre d’observations avant 2009 et des montants très raisonnables des contrats alors passés par rapport à ceux signés depuis 2009. Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 24 Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité budgétaire au détriment du partage optimal des risques ? En conséquence, la part des fonds propres passe en moyenne de 4 à 6% de l’investissement total, comme le montre la figure 9 infra. ceci représente une hausse de 50% à mettre en perspective avec la très forte croissance du montant moyen des investissements. La hausse est plus significative si nous ne rapportons plus les fonds propres à l’investissement mais au besoin de financement. Entre les deux sous périodes, la valeur moyenne passe de 4 à 9%. Avant 2009, les investissements cumulés s’élevaient à 7,85 millions d’euros soit une moyenne de 1,12 million par projet (figure 10). Sur sept contrats, deux présentaient des investissements en fonds propres inférieurs à un million d’euros et cinq étaient compris entre 1 et 5 millions d’euros. Si avec la crise encore 22 contrats présentent des montants d’investissements inférieurs à 5 millions (soit 71% de l’effectif), 5 contrats présentaient des investissements en fonds propres par les sponsors compris entre 5 et 10 millions d’euros et 4 contrats entre 10 et 100 millions. L’investissement moyen est de 9,15 millions d’euros en fonds propres par projet mais avec de grandes variations d’un projet à l’autre, un projet se traduisant par un apport en fonds propres de quelques 78 millions d’euros17. L’évolution des financements publics directs, notamment par l’intermédiaire de subventions est également orientée à la hausse (figure 11). Avant 2009, le montant des subventions s’établissait entre 0 et 26,8. Si nous répartissons, les projets par montant de subvention (0, de 0 à 5 millions, etc...) nous obtenons la distribution infra. cette distribution évolue notablement après 2009 (sans doute en partie du fait du plus grand nombre de contrats observés et de leur montant moyen nettement orienté à la hausse). Un plus grande part des contrats reçoit des subventions, qui s’échelonnent dans les cas les plus fréquents de 5 à 50 millions d’euros (voir figure 12 infra). Exprimée en termes de pourcentages de contrats soutenus, les évolutions en termes de cofinancements public-privé sont beaucoup plus nettes (figure 13). Un nombre significatif de contrats font l’objet de financements publics directs pour des montants compris entre 20 et 40% des investissements totaux. (17) Notons que la crise n’a pas conduit à une évolution sensible des TRI. Pour les dossiers signés avant 2009 pour lesquels nous disposons de l’information, le TRI moyen était de 10,17%, il passe à 10,93% après la crise. Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 25 2010 pour repartir à la hausse dès 2011 et s’établir en 2012 à plus de 250 bp, niveau supérieur à celui relevé en 2009 (moins de 200bp). L’évolution des montants moyens à financer et l’application des règles prudentielles peuvent être de nature à contribuer à cette hausse. La crise permet également de voir apparaître des dettes apportées par des organismes financiers parapublics tels la cDc ou la BEI. A partir de 2009, sur 31 contrats recensés, 9 bénéficiaient de ce type de financement, soit un tiers (ventilation donnée par la figure 14). L’un des contrats se caractérise par une telle dette pour 100 millions d’euros. cependant, la part de cette dette qui atteignait 16% avant 2009 ne représente plus que 6 % après 2009, ce qui constitue un résultat contradictoire avec nos hypothèses de départ. En fait, les données avant 2009 sont biaisées par un seul projet où la part de dette apportée par un organisme parapublic par rapport à l’investissement total atteint 51%. Le fait est qu’avant ou après 2009, les dettes d’origines parapubliques ne concernent qu’une minorité de contrats. Il s’agit souvent des contrats d’infrastructure portés par l’Etat, ce qui est cohérent avec le cadre législatif de 2009. Dans le même temps, la marge moyenne sur la dette Dailly passe de 58 à 160 points de base, soit un quasi-triplement, pour une dette bénéficiant pourtant d’une garantie publique (données reproduites dans la figure 16 infra). Les spread moyens connaissent en fait une hausse non pas au moment de la crise financière mais en 2012 au lendemain de la crise de la dette souveraine. La hausse des spread sur la Dailly est d’ailleurs particulièrement sensible pour les collectivités locales comme le montre la figure 17 infra. L’évolution des taux est par contre spectaculaire. La figure 15 montre que sur notre échantillon, la marge sur la dette projet double (passant de 106 à 212 bp), reflétant le renchérissement des ressources bancaires. Dans le cadre d’une ventilation annuelle depuis 2009, les spread annuels moyens présentent une légère décrue en Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 26 Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité budgétaire au détriment du partage optimal des risques ? Il est d’ailleurs également à noter que le spread sur la dette projet des contrats signés par des collectivités locales est également orienté à la hausse comme le retrace la figure 18 infra donnant les spread sur la dette projet de leurs contrats, regroupés par année. des marchés sur la qualité de la signature des collectivités publiques s’accroît. La deuxième évolution notable – tout en tenant compte des biais liés à la taille de notre échantillon – est liée à la nette décrue de la part de la dette projet après la crise. celle-ci se stabilise souvent entre 10 et 20% de la dette totale. La Dailly quant à elle est, sauf exception, placée à son maximum légal de 80%. La crise ensuite ne s’est pas soldée par une transformation brutale de l’effet de levier. Bien qu’en variation la croissance des fonds propres puisse paraître importante, le niveau de départ était relativement faible. Un effet de levier de type 10/90 semble demeurer la norme. ceci traduit la difficulté pour les sponsors à investir des fonds propres dans les sociétés projet du fait des coûts liés à ces derniers. Les subventions et garanties publiques demeurent l’exception mais concernent principalement en fait sur les projets les plus importants. Les transformations liées à la crise des conditions de bouclage financier des PPP traduisent une certaine résilience du modèle. celle-ci ne s’est pas soldée par un abandon progressif du modèle partenarial comme le montrent les perspectives tracées par le Trésor britannique. celui-ci dans son rapport de décembre 2012 essaie de dessiner les contours d’un nouveau schéma de financement moins coûteux car reposant dans une moindre mesure sur la dette projet apportée par les établissements bancaires. 4. Les perspectives d’évolution tracées par le Trésor britannique: de la PFI au PF2 Les PPP apparaissent aux collectivités comme une solution au resserrement des conditions d’accès au crédit, notamment d’origine bancaire18, mais pour autant il s’agit dans la nouvelle conjoncture financière d’un instrument de financement de plus en plus coûteux. Au final, l’impact de la crise qui ressort de l’analyse de notre échantillon de contrats tient en un certain nombre de dimensions. La première est, comme nous venons de le voir, une élévation des spread qui se fait en deux temps. Une première hausse s’observe en 2009 et une seconde plus significative entre 2011 et 2012 au moment où les doutes Les perspectives de régénération du modèle de PFI britannique, annoncées en décembre 2012 par le Trésor, et qui contrastent nettement avec les évaluations très sévères réalisées par le nouveau gouvernement de coalition entre 2010 et 2011, visent à accroître la transparence des montages financiers (de façon notamment à contrôler les niveaux de rémunérations des fonds propres investis par les sponsors) et prendre une série de mesures visant à réduire le surcoût du financement privé. Au niveau de la dette projet tout d’abord, les propositions du Trésor tirent les conséquences du renchérissement structurel des financements bancaires et de la difficulté pérenne des établissements de crédits à pouvoir s’engager sur des durées suffisamment longues pour couvrir celle du contrat de partenariat public-privé. Les risques budgétaires induits par un refinancement obligatoire dans le cadre du contrat peuvent mettre en cause la soutenabilité du contrat pour le département ministériel qui l’a signé (notion d’affordability). Dans le même temps, la très nette élévation du coût du financement bancaire se traduit à la fois par des (18) L’accès au marché obligataire s’est nettement accru en 2012 avec 2,5 milliards € levés par les collectivités locales, soit trois fois le niveau de 2011. Les taux qu’il est possible d’obtenir pour des collectivités relativement bien notées (AA/AA-) sont plus attractifs que les taux proposés par les établissements de crédit. En d’autres termes, il s’agit d’une alternative – encore difficile à mettre en œuvre au vu du faible nombre de collectivités qui ont pu y avoir recours en 2012 – aux financements bancaires, lesquels se caractérisent par de plus fortes marges, traduisant l’impact des critères de Bâle III. Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 27 engagements annuels plus élevés (avec à nouveau des conséquences en termes de soutenabilité) mais aussi par une mise en péril de la value for money dans la mesure où le surcoût financier peut contrebalancer les gains d’efficience liés au partenariat. Pour autant un financement externe sous forme de dette est toujours doublement profitable dans un PPP. D’une part, il s’agit d’une nécessité pour bénéficier d’un effet de levier financier. D’autre part, les partenariats public-privé doivent toujours bénéficier du travail d’évaluation ex ante et de suivi de l’exécution ex post assuré par les financeurs externes. En effet, si les intérêts de ces derniers ne sauraient se confondre avec ceux de la personne publique contractante, ils sont néanmoins alignés par le contrat (Marty et voisin, 2008). comme nous l’avons vu, le caractère sans recours du contrat fait que les prêteurs n’ont d’autre garantie – pour leur remboursement – que la bonne exécution du contrat (en termes de performance et de respect des objectifs de qualité). L’efficacité du partenariat pour la personne publique dépend en grande partie de l’externalisation de ces coûts de transaction (évaluation et monitoring) vers des tiers aptes à dégager les ressources financières et techniques nécessaires à la réduction de l’asymétrie d’information dont jouissent les membres du consortium privé. Le projet britannique vise en fait à substituer à la dette bancaire traditionnelle des flux de ressources en provenance de prêteurs aptes à réaliser ces investissements ‘informationnels’, c’est-à-dire des investisseurs de long terme, tels les fonds de pension. Si ces derniers interviennent parfois dans des phases plus en amont des contrats (refinancement de la dette ou cession des parts des sociétés projet sur le marché secondaire des PFI19), il s’agirait ici de les impliquer dès le lancement du projet. La question demeure celle de la capacité de tels investisseurs institutionnels à prendre en charge le risque de construction20. De la même façon que le financement bancaire est compromis du fait de l’application des règles de Bâle III, la capacité des assureurs à couvrir le risque de construction est réduite par l’application de la directive européenne Solvency II. Il est donc nécessaire, pour le Trésor britannique, que les projets puissent obtenir une notation équivalente à A- ou BBB+. Il s’agirait alors de mettre en œuvre dans les montages un ensemble de dispositifs susceptibles d’améliorer la note de crédit des projets. cela peut tenir à une modification de l’allocation contractuelle des risques ou à l’introduction de dette mezzanine (titres de dette subordonnée) ou à des garanties publiques. De façon générale, la logique est celle d’une réduction de l’effet de levier financier et donc une moindre part dedette projet. Par exemple alors que les montages financiers des PFI avant la crise ne comptaient habituellement que 10% de fonds propres, la part des fonds propres et de la dette mezzanine devrait s’élever dans les PF2 défendues par le Trésor britannique à 20-25% (voir figure 19 infra). Le financement peut également provenir d’institutions financières internationales, comme la BEI dans le cas européen. Par exemple entre 2000 et 2012, les PFI britanniques ont profité de 6 milliards de livres au travers de ses prêts. Audelà de ces financements – à taux plus attractifs que les (19) Il s’agit d’ailleurs également de limiter les possibilités offertes aux sponsors de réaliser des profits très élevés au travers de telles cessions. En effet, celles-ci sont réalisées après la mise en service des équipements donc à un moment où la majeure partie des risques a été levée. Les acheteurs potentiels sont d’autant plus enclins à valoriser de tels actifs financiers que leur niveau de risque est faible (notamment du fait du caractère public de la contrepartie). Si ce marché secondaire est indirectement profitable à la personne publique (la fluidité induite permet aux sponsors – notamment ceux issus du monde du BTP – de soumissionner dans d’autres marchés et la liquidité assurée conduit à une réduction des primes de risque exigées par les investisseurs initiaux), il n’en demeure pas moins qu’elle ne perçoit pas un intéressement sur les gains de cessions réalisés. Cette absence de partage des gains sur le marché secondaire est l’un des facteurs pouvant conduire à une rémunération jugée ‘excessive’ des capitaux investis par les contractants initiaux. La cour des comptes britannique considère que ces cessions permettent aux sponsors initiaux de porter leurs TRI de valeur de 12 à 15% à des valeurs de 15 à 30%. L’absence de clauses de partage des gains était justifiée par l’imposition des éventuelles plus-values de cession réalisées par les investisseurs initiaux. Ces gains fiscaux sont à l’expérience des plus illusoires dans la mesure où une part prédominante des sociétés projets montées dans le cadre des contrats de PFI sont domiciliées dans des paradis fiscaux, tel Guernesey (House of Commons, 2011 ; NAO, 2012). (20) Cette option ne va pas d’elle-même loin s’en faut. Communément, le financement des PPP se fait en deux temps, la phase de construction fait l’objet d’un premier financement bancaire à taux variable d’une faible maturité. Il est possible de refinancer après la mise en service au travers d’une dette de plus long terme à taux fixe (au travers d’un swap). Faire prendre en charge le risque de construction par des investisseurs de long terme est pour le moins difficile. La possibilité d’opérer ce refinancement de long terme au travers de la dette publique pourrait d’ailleurs être une option particulièrement attractive en termes financiers (Marty et Spindler, 2013). Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 28 Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité budgétaire au détriment du partage optimal des risques ? taux de marché – l’action des institutions telle la BEI passe des garanties sur les emprunts. Enfin, les évolutions proposées par le Trésor vont dans le sens d’une facilitation des cofinancements public-privé, avec notamment la possibilité de financements publics allant au-delà de 30% des investissements totaux. (figure 20), comme le montraient notamment les données du Trésor sur les contrats en cours de préparation (tableau infra). La seconde modalité de transformation du tour de table financier des PFI britanniques passe, comme nous l’avons déjà évoqué, par l’intervention des personnes publiques comme investisseurs minoritaires dans les sociétés projet elles-mêmes. De telles prises de participations en fonds propres pourraient être compatibles avec l’encadrement européen des aides publiques du moment où elles satisfont aux exigences du critère de l’investisseur privé en économie de marché. Si l’acteur étatique investit avec les mêmes exigences de rendement et la même prise de risque que les opérateurs issus de la sphère privée, sa prise de participation ne sera pas considérée comme constitutive d’une aide publique dont il s’agirait de s’assurer préalablement – par voie de notification à la commission européenne – la compatibilité avec le Traité. L’intérêt de cette modalité d’intervention est double. cela réduit, d’une part, les besoins de la société projet en fonds propres (onéreux) et en dette senior. cela permet, d’autre part, de réduire l’asymétrie informationnelle, entre le contractant public et les sponsors21. 5. Une pérennisation au détriment de la qualité de la structure incitative du contrat ? Tant les gouvernements britanniques que français ont adopté, en 2011 et 2012, des positions très critiques vis-àvis de l’efficacité économique des contrats de partenariats public-privé. La désaffection ne fut guère suivie d’effets très nets en 2012 (EPEc, 2012). Dans un marché européen dont le niveau 2012 s’établit en-deçà des valeurs atteintes en 2003 (chute de 21% du nombre de contrats et de 35% des investissements privés réalisés entre 2011 et 2012), les britanniques et les français sont les plus grands utilisateurs de PPP. Le Royaume-Uni représente à lui seul 48% des investissements (près de six milliards d’euros) et 26 contrats sur 66 répertoriés sur l’ensemble du continent par le BEI. La France – qui la dépassa sur un semestre - suit de près avec 22 contrats et près de quatre milliards d’euros. ces évolutions marquent une rupture avec la tendance amorcée au Royaume-Uni depuis 2010, laquelle semblait aller dans le sens d’un moindre recours à ces contrats Encore plus significatif encore, aux critiques du chancelier de l’Echiquier formulées le 15 novembre 2011, considérant que les contrats de PFI étaient trop opaques, trop coûteux et trop peu flexibles (Marty et Spindler, 2013) répondait la décision du gouvernement écossais de ne plus utiliser les PPP comme vecteurs de la commande publique. ce faisant, le retour des PPP – sous la forme des PF2 – marque un revirement par rapport aux tendances esquissées ces deux dernières années. La tendance est encore plus remarquable en France. Le démarrage des partenariats public- privé est beaucoup plus tardif et n’a pas été contrarié par la crise. Au contraire, la relance par les investissements de février 2009 (Dupas et al., 2012) et les difficultés d’accès au marché du crédit des collectivités locales furent à l’origine d’une très forte croissance du nombre de contrats signés, au moment même où les conditions financières étaient les moins favorables (cf. figure 21 établie à partir des données MAPPP). (21) Il convient cependant de relever que ce modèle n’est pas exempt de tout défaut. D’abord, les logiques des différents investisseurs publics et privés peuvent parfois s’avérer difficilement conciliables. Ensuite, un conflit d’intérêts peut se manifester si la personne publique est à la fois contractante et actionnaire (d’où les propositions du Trésor britannique de confier la première mission à une entité publique ad hoc). Enfin, la logique même de la présence de la personne publique au capital induit la prise en charge partielle des risques liés à la société projet. Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 29 utilisatrices de ces contrats (contrastant avec la relative prudence de l’Etat depuis l’alternance) sont particulièrement susceptibles d’opter également pour ces contrats. La position de pointe des collectivités territoriales en matière d’utilisation des contrats peut tenir des limites des compétences détenues en internes en matière de maîtrise d’ouvrage publique ou encore d’une plus forte aversion au risque dans la gestion des projets du fait d’une faible autonomie fiscale. Elle peut surtout tenir d’un accès particulièrement contraint au marché des fonds prêtables suite au retrait du marché d’un opérateur crucial, en l’occurrence Dexia. ce démarrage des PPP malgré la crise financière et la crise de la dette souveraine (ou peut- être du fait de ces deux crises) comme le montre les données de la MAPPP de mars 2013 relatives aux projets entrés en phase de concurrence (cf. figure 22). Les données françaises sont à interpréter en détail dans la mesure où elles ne portent que sur les contrats de partenariats au sens de l’ordonnance de 2004 stricto sensu, elles n’englobent pas – à l’inverse des britanniques – des montages concessifs telles des délégations de services publics ou certains contrats assimilés aux contrats de partenariats utilisables notamment pour des projets à forte composante immobilière tels les baux emphytéotiques administratifs ou hospitaliers, des contrats d’AOT-LOA (autorisation d’occupation temporaire du domaine public couplé avec une location avec option d’achat) ou encore des montages de crédit-bail. Ainsi, les statistiques relatives aux contrats de partenariat ne révèlent qu’une partie de la diffusion des PPP en France (Marty et voisin, 2006 ; Saussier, 2012). Les collectivités territoriales qui sont de loin les premières Ainsi, le développement du recours aux PPP pourrait-il être interprété, non seulement comme un outil de gestion optimale des projets publics (Buso et al., 2013) mais aussi comme un levier de soutien de l’investissement public dans une situation budgétaire contrainte. Pour les collectivités locales en particulier, les difficultés d’accès aux financements bancaires liés au très net renchérissement des ressources bancaires et la faiblesse relative des capacités de levée de dette sur les marchés obligataires pourraient conduire à envisager les PPP non pas seulement comme des outils de gestion optimale des risques liés aux projets publics mais également comme des vecteurs de financement. Il ne s’agit dès lors de s’assurer en premier lieu de la satisfaction du critère de la value for money que de s’assurer de la soutenabilité budgétaire des engagements dont la charge est d’autant plus élevée que le surcoût du financement privé est significatif. cependant, si le PPP est effectivement la seule solution pour financer des investissements publics, la personne publique sera d’autant plus encline à ré-internaliser des risques. cependant, tant les mécanismes mis en œuvre en France et au Royaume-Uni que les perspectives tracées par le Trésor dans ce dernier cas vont dans le sens d’une conciliation entre maintien (souhaité) d’une certaine qualité incitative et minimisation (obligatoire) du coût du financement privé. Les solutions allant dans le sens d’un cofinancement public-privé ou de la recherche de nouvelles sources de dette à plus long terme pour se substituer à la dette projet apportée par les banques vont dans ce sens. cependant, des questions demeurent quant à l’impact sur l’équilibre économique et sur la performance des PPP dès lors que les apporteurs de ressources externes seront moins incités (notamment du fait de la concomitance des investissements publics) à réaliser les investissements nécessaires aux processus de due dilligence puis de monitoring (Marty et voisin, 2008). A ce titre, la difficulté d’accéder à la dette bancaire peut également s’avérer préjudiciable du fait de l’effacement d’un tiers dont les intérêts étaient alignés avec ceux de la personne publique contractante et qui disposait des capacités Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 30 Les contrats de partenariats public-privé : la soutenabilité budgétaire au détriment du partage optimal des risques ? tant humaines que techniques ou financières pour s’assurer de l’équilibre économique du contrat et réaliser tout le long de son exécution les tâches de supervision indispensables à sa bonne réalisation. cependant, les pistes esquissées en décembre 2012 par le Trésor britannique permettent d’identifier deux types d’investisseurs de long terme susceptibles de disposer à la fois des ressources financières idoines pour limiter la part de la dette bancaire et des capacités techniques adéquates pour limiter – au profit également de la personne publique contractante – les risques liés aux phénomènes d’anti-sélection et d’aléamoral. Il s’agit de fonds d’investissements publics – tels des fonds souverains – et des fonds de pension. Les uns et les autres peuvent être intéressés par les couples risques / rendements attractifs proposés par les projets de PPP et pourraient être en mesure de consentir aux investissements nécessaires pour accomplir ces missions de due dilligence et de monitoring. BIBLIOGRAPHIE Blanc-Brude, F. Goldsmith, H. and Välilä, T. (2009). A comparison of construction contract prices for traditionally procured roads and PPPs. Review of Industrial Organisation, Vol. 35, 1 & 2, pp.19-40. Buso M., Marty F. et Tran P.T., (2013), “Government’s Use of Public-Private Partnerships: Looking for debt Hiding or Efficiency?”, Séminaire Economie Publique, Institutions et Organisations, Centre d’Economie de la Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne (Ecole d’Economie de Paris), avril. 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Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 32 Le Partenariat Public Privé : Regard sur l’expérience de l’Arabie Saoudite RésUMé ABstRAct Grand pays exportateur de pétrole, l’Arabie Saoudite a conscience que cette ressource n’est pas renouvelable. Aussi cherche-t-elle dès à présent à s’atteler à réduire la dépendance de son économie par rapport à cette ressource non durable. En décidant de se pencher sérieusement sur l’avenir du pays, le gouvernement Saoudien a pris l’option de diversifier son économie. De grands projets sont ainsi lancés : construction de quatre villes économiques, extension du réseau ferroviaire, construction de plusieurs usines de dessalement d’eau, construction de plusieurs centrales électriques, amélioration des capacités d’accueil,…Toutefois, l’ambitieux programme étalé sur 40 ans ne vise pas seulement à faire faire au pays un bond quantitatif, il insiste surtout sur le qualitatif. Le développement de l’économie saoudienne est voulu aux plus hautes normes internationales de qualité pour une économie des plus compétitives au plan mondial. Ainsi, pour aider au financement de ces projets et assurer leur réalisation selon les critères de qualité et de temps retenus, le gouvernement saoudien a décidé de recourir au Partenariat Public Privé. Le présent papier vise à jeter un regard sur cette expérience saoudienne dans les PPP. Il présente quelques exemples des projets les plus importants dans des secteurs des plus vitaux pour l’économie comme l’eau, les chemins de fer et les aéroports. Major exporter of oil, Saudi Arabia is aware that this resource is not renewable. As she now seeks to tackle to reduce dependence of its economy on this unsustainable resource. In deciding to seriously consider the future of the country, the Saudi government has opted to diversify its economy. Major projects are thus launched: construction of four economic cities, extension of the railway network, construction of several water desalination plants, construction of several power plants, improving reception capacity... However, the ambitious program spread over 40 years is not only to make a quantum leap in the country, he especially emphasizes the qualitative. The development of the Saudi economy is wanted to the highest international quality standards for a more globally competitive economy. Thus, to help fund these projects and ensure their implementation in accordance with the criteria of quality and time selected, the Saudi Arabian Government decided to use the Public Private Partnership. The present paper aims to take a look at the Saudi experience in PPPs. It shows some examples of the most important projects in vital sectors to the economy like water, railways and airports. Keywords: Public-Private Partnership, Economic Diversification, Qualitative Development Mots clefs : Partenariat Publics-Privés, Diversification de l’économie, Développement qualitatif Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 33 Aissa Hireche King Faysal University INTRODUCTION 1.2.1 Le contrat de gestion Le Royaume d’Arabie Saoudite a tôt pris conscience de l’importance du rôle que peut jouer le capital privé dans le développement du pays. Le fort souci de diversifier l’économie et d’en réduire la dépendance par rapport au secteur pétrolier, a poussé le gouvernement saoudien à opter pour un développement fortement ambitieux. Toutefois, et pour assurer une meilleure réalisation de ce programme, le gouvernement a décidé de faire appel au capital privé national et étranger et, surtout, à un partenariat public privé auquel il est demandé, non seulement d’assurer une meilleure performance, mais aussi de faire profiter le secteur public et le privé national du transfert d’un savoir-faire qui leur manque. Le contrat de gestion est un procédé par lequel on opère le transfert de la gestion d’une entreprise publique au profit d’un opérateur privé. ce transfert peut être partiel ou total et s’étale sur le court terme (ne dépassant généralement pas cinq ans). On fait souvent appel au contrat de gestion pour améliorer un mode de gestion défaillant. ce qui caractérise le contrat de gestion c’est que sa rémunération est fonction de la performance. Le contrat de gestion est aussi appelé contrat de management, contrat de performance ou délégation de gestion. 1.1- Définition En général, on donne la même définition à tous ces types de contrats. « contrats de performance, contrats de services, contrats de gestion et con¬trats d’exploitation et de maintenance (E&M) : ensemble de structures selon lesquelles la société privée fournit des services à une société de service public /concédant (par exemple des services de gestion, des services d’amélioration des activités de facturation et de recouvrement, des services de réduction de pertes ou de marketing), les paiements étant généralement liés aux résultats. » (Delmon, 2010, p.10) comme définition globale des PPP on peut retenir celle qui considère que « les partenariats public-privé (PPP) sont des contrats entre des partenaires du secteur public et du secteur privé ayant pour objet la mise en place ou la gestion d’un projet visant à assurer un service public et pour lequel une part importante de l’investissement initial, du financement et des risques est partagée entre les partenaires du secteur public et privé » (Alvarez Robles et autres, 2009, p.7) Toutefois, et parmi les problèmes particuliers aux contrats de gestion c’est qu’ils ne favorisent pas réellement les transformations en profondeur et limitent l’action de l’opérateur car ils « ne permettent pas d’embaucher ou de licencier du personnel, et privent [la société de gestion] du pouvoir de décision sur la gestion opérationnelle de l’entreprise, ce qui fait qu’il est très difficile d’améliorer les performances. » (Anderson et Janssens, 2011) Le PPP, par la diversité des d’options qu’il propose, offre un éventail de solutions car « il n’existe pas d’approche parfaite en la matière » (Delmon, 2010). - L’efficience Devant une telle situation, un nouveau type de contrat de gestion a vu le jour. Il met plus l’accent sur les critères de performance et incite à leur réalisation. « Les indicateurs basés sur les performances sont un moyen important de garantir le respect des obligations contractuelles » (Anderson et Janssens, 2011). c’est alors qu’on parle de contrat de performance - Une solution sur la durée de vie des actifs 1.2.2 Le contrat de concession - La transparence et lutte contre la corruption Parmi les contrats de long terme, figure « la concession » (qui peut varier entre 25 et 50 ans) et qui permet à l’Etat de confier à un opérateur privé la construction et l’exploitation d’un ouvrage public ou la gestion d’un service public. En contrepartie de quoi l’autorité qui a concédé la concession perçoit une redevance annuelle. Dans ce type de contrat, il appartient à l’opérateur privé de mobiliser les financements nécessaires. 1- Les PPP définition et quelques rappels Avant de traiter de l’expérience proprement dite de l’Arabie Saoudite, il est nécessaire de donner d’abord une définition des PPP et d’en rappeler certains avantages ainsi que les principaux types de contrats dans ce domaine. Parmi les avantages que procure généralement le PPP, on retient surtout : (Delmon, 2010, Alvarez Robles, 2009) - La technologie, l’innovation et le savoir-faire - Des sources de financement 1.2- Les types de contrats PPP Il existe de nombreux types de contrat dans le domaine du Partenariat Public Privé. Les plus importants sont les suivants : 1.2.3 Le contrat d’affermage Dans le contrat d’affermage, la propriété des équipe- Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 34 Le Partenariat Public Privé : Regard sur l’expérience de l’Arabie Saoudite ments et installations est publique mais leur exploitation, leur rénovation et leur entretien relèvent d’un opérateur privée qui en tire un profit. En général, le contrat d’affermage porte sur une période qui varie entre 10 et 15 ans. 1.2.4 Le contrat BOT (Build-Own-Operate–Transfer) Le BOT (en Français cET pour construire-ExploiterTransférer) est l’exemple type de projet PPP (Alvarez Robles et autres, 2009). Le contrat BOT engage l’investisseur « par la construction et l’exploitation d’un projet d’infrastructure dans un délai au terme duquel l’ouvrage sera totalement restitué à l’administration sans remboursement » (EL-Béherry, 2004) Le BOT peut apparaitre sous d’autres formes qui en sont des variétés. Il s’agit du BT (Build-Transfer) et du BTO (Build-Transfer-Operate) 1.2.5 Le contrat BOO (Build-Own-Operate) Dans le contrat du type BOO (construction-PossessionExploitation) l’opérateur privé est chargé de construire, de gérer et de maintenir les équipements et installations qu’il sera chargé d’exploiter, pour une durée variant entre 10 et 15 ans et d’en tirer profit. En contrepartie, il paie une rente à l’autorité concédante. 1.2.6 Le contrat BOOT (Build-Own-Operate-Transfer) Le BOOT (construction-Possession-Exploitation-Transfert) est en tout point identique au BOO. Deux différences cependant sont à noter entre les deux types de contrats. La première est que, en fin de période, aussi bien les équipements, les installations que l’organisme d’exploitation deviennent propriété de l’autorité concédante. En conséquence, et c’est là la deuxième différence, la durée d’un contrat BOOT peut être nettement plus longue que celle rencontrée dans le cas du BOO. 1.2.7 Le contrat DBFO (Design-Build-Finance-Operate) Dans le cas du contrat DBFO (conception-constructionFinancement-Exploitation), l’opérateur privé se voit chargé par l’Etat de la conception, la construction, le financement, l’exploitation et l’entretien des infrastructures et équipements. c’est l’Etat qui rémunère dans ce cas l’opérateur par un loyer. A la différence de la concession, l’opérateur privé n’exploite pas un service public. A la fin du terme du contrat, le tout (infrastructure et équipements) est transféré à l’état. 2- L’expérience Saoudienne 2.1- Le cadre réglementaire et le financement « Toute tentative de mise en œuvre de projets de PPP reposant sur des mécanismes institutionnels, juridiques et financiers traditionnels en matière de marchés publics (sans que l’on modifie ces mécanismes pour les adapter aux exigences particulières des PPP) est généralement vouée à l’échec » (Delmon, 2010, p.17) Afin d’accompagner cette expérience du PPP et afin de permettre une certaine ouverture au capital étranger, à partir de l’année 2000, le gouvernement saoudien a commencé à revoir le cadre règlementaire et législatif concernant l’investissement. c’est en cette année qu’est créée la SAGIA (Saudi Arabian General Investment Authority) avec, pour mission, d’attirer les investisseurs (étrangers et nationaux), de leur fournir les services nécessaires et de faciliter l’échange des meilleures pratiques entre les secteurs public et privé afin de promouvoir l’investissement en Arabie Saoudite . La SAGIA a eu un grand mérite dans la propulsion de l’investissement au royaume et ce, notamment, par l’élaboration du fameux programme « 10/10 » qui visait à arriver en 2010 à hisser l’Arabie saoudite parmi les 10 pays au monde les plus attractifs pour l’investissement. Toutefois, c’est la décision n° 219 du conseil des Ministres, datée de 2002 qui doit être considérée comme étant un véritable point de départ dans la promotion du PPP. cette décision a délimité, d’un côté, les domaines que le gouvernement comptait ouvrir au capital privé et, d’un autre côté, les services et les entreprises qui devaient faire l’objet de restructuration, d’assainissement et/ou de mise à niveau pour les préparer à accueillir et à accompagner le PPP. Par ailleurs, cette décision a aussi clairement défini les objectifs assignés au Partenariat public privé. Selon cette décision, les attentes du gouvernement par rapport au PPP sont, en gros : - contribuer à l’amélioration de la compétitivité de l’économie nationale - Attirer le secteur privé pour une participation efficace au développement du pays - Encourager le capital privé national et étranger à investir dans le pays - Participer à élever l’offre d’emploi - Garantir les services - Rationaliser les dépenses publiques par le finance- (1) C’est au milieu des années 90 que les contrats de performance ont été introduits pour la première fois. Ce fut dans le secteur énergétique Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 35 ment, l’exploitation et l’entretien, par le secteur privé, des services publics - Améliorer les recettes de l’Etat. Quant aux domaines concernés par l’ouverture au PPP, la décision liste entre autres : - Eaux une troisième fois, pour le financement du projet de chemin de fer reliant l’Est et l’Ouest du pays et appelé « pont terrestre ». Il s’agit d’un financement sans intérêts. ceci confirme le fait que le « PPP est un concept souple dont les seules limites sont la créativité des par¬ticipants et leur accès aux sources de financement.» (Delmon, 2010, p.8) - Services communaux En parallèle, et toujours dans le cadre de l’amélioration du « climat » pour attirer l’investissement privé, le gouvernement a aussi mené des opérations importantes de création et de restructuration au niveau de certaines entreprises. c’est ainsi que plusieurs administrations publiques se sont vu changer de statut pour devenir des entreprises publiques (comme, par exemple, la NWc, la compagnie national des eaux), que de nouvelles entreprises publiques ont été créées (la Saudi Arabian Railway, en 2008) et que des autorités et commissions de régulations sont mises en place comme, par exemple, en mai 2003, dans le domaine des technologies de l’information, la commission indépendante des TIc (cITc) et, dans le domaine de l’électricité, l’autorité de régulation d’électricité et de cogénération (EcRA). ces organismes ont, entre autres missions, l’organisation du partenariat et la préservation des droits des investisseurs et des utilisateurs des services qui relèveront du PPP . - Services de l’agriculture 2.2- Quelques illustrations sectorielles -… En ce qui suit, nous allons donner quelques illustrations dans différents secteurs important. Nous verrons successivement (2.2.1) quelques exemples de PPP dans le secteur de l’eau, ensuite (2.2.2.2) dans le domaine des aéroports, puis (2.2.3) dans le secteur des chemins de fer avant de passer (2.2.4) aux cités économiques. - communications - Transport aérien - chemins de fer - Routes - Services de l’enseignement - Services de santé - Les services aéroportuaires - Services postaux - Silos et semouleries - Service portuaires - Services des villes industrielles - club sportifs En 2004, la décision 110 du conseil des Ministres a défini les bases qui régissent le PPP dans le secteur du e-government (gouvernement électronique). En 2006 est créé le Forum International de la compétitivité chargé de promouvoir l’amélioration de la compétitivité nationale et dont le siège est à Riyad. 2.2.1- Dans le secteur de l’eau En 2008, la décision 210 du cM est venue préciser les règles et modalités relatives au statut du personnel saoudien lors de la privatisation ou du passage des entreprises publiques au statu d’entreprises mixtes ou privées. En Arabie Saoudite où, par endroits, le thermomètre dépasse facilement les 50 degrés en été, l’eau manque terriblement, ce qui constitue un véritable problème. La solution retenue au Royaume pour résoudre ce problème est la désalinisation de l’eau de mer. Par ailleurs, en plus des modes traditionnels connus de financement, et suite à une décision du Haut conseil Economique, l’Arabie Saoudite a introduit un nouveau mode de financement, celui du prêt islamique. ce mode a servi d’abord à financer, à travers le Fonds d’Investissement Publics , le projet d’extension de l’aéroport King Abdelaziz de Djeddah pour, ensuite, être utiliser une seconde fois pour le financement du rail Nord-Sud et, Depuis les années 2000 déjà, l’Arabie Saoudite est le plus grand producteur d’eau par dessalement au monde « avec ses 30 usines de dessalement d’eau de mer, produisant 45 % de son eau à usage domestique et urbain. Sa part dans la production mondiale d’eau dessalée se situait à 17,4 %, plaçant le Royaume devant les ÉtatsUnis (16,2 %) et devant un autre acteur majeur du Golfe que sont les Émirats Arabes Unis (14,66 %). Dans un (2) http://www.sagia.gov.sa/ (3) http://www.mof.gov.sa/Arabic/Pages/investment.aspx (4) Intervention du ministre saoudien du travail « le PPP et l’expérience de la négociation social », au congrès régional sur la négociation sociale, 15/12/2010, Riyad Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 36 Le Partenariat Public Privé : Regard sur l’expérience de l’Arabie Saoudite cercle plus restreint, celui du conseil de coopération du Golfe (ccG), la part de l’Arabie Saoudite atteignait 45,5 % de la production régionale d’eau dessalée, plaçant également le pays devant les Émirats Arabes Unis (38,15 %).» (Galland, 2010, p.2) Les usines de dessalement sont souvent combinées à des centrales électriques donnant ce qu’on appelle des IWPP (Independent Water and Power Producer) c’est-à-dire des projets intégrés de production d’eau et d’électricité, un type bien connu au Moyen Orient. Du PPP il est attendu, à cet effet, notamment l’introduction des meilleures pratiques mondiales pour une meilleure efficacité dans la gestion, une meilleure exploitation des actifs et des ressources ainsi que pour une meilleure qualité du service aux clients, ce qui constitue un objectif majeur. Par ailleurs, dans le secteur des eaux, l’Etat saoudien, entend tirer du PPP le plus d’avantages possibles. A cet effet, les objectifs arrêtés aux PPP sont essentiellement les suivants : Prévoyant le recours à ce type d’usines, et afin de faciliter les démarches des partenaires privés qui auraient à intervenir dans le secteur, le gouvernement saoudien a pris la précaution de regrouper les ministères de l’eau et de l’électricité en un seul : le ministère de l’eau et de l’électricité. - Le secteur devra bénéficier des services des experts consultants dans différents domaines tels l’exploitation, l’entretien, la réduction des fuites d’eau, l’élimination des NRW (non-revenue water ou eaux non comptabilisées) et l’amélioration du recouvrement des recettes. Par cette réorganisation, le gouvernement visait à « introduire un nouveau cadre contractuel permettant notamment aux groupes privés internationaux d’apporter à l’Arabie leur efficacité opérationnelle et leur expertise technique. cela devait permettre aussi de réviser les tarifs de l’eau, d’introduire d’urgence des initiatives collectives destinées à diminuer la consommation nationale d’eau, de réduire les Non Revenue Water (NRW), qui caractérisent les pertes anormales d’eau dans le réseau et, enfin, de mettre en place un programme à grande échelle de pose de compteurs.» (Galland, 2010, p.3). - Une responsabilité totale quant à l’exploitation et l’entretien des actifs existants et les services des eaux La sensibilité du secteur des eaux impose une gestion des plus rigoureuses, aussi bien pour assurer une bonne qualité du service public que pour assurer une production suffisante de l’eau potable. Sans grande expérience dans le domaine et devant l’ampleur des objectifs, l’Etat Saoudien a opté pour le PPP. Au début, en regard du cadre réglementaire existant, la participation du secteur privé se résumait à son intervention dans la construction des infrastructures. Mais le gouvernement a pris conscience de la nécessité de réformer la législation pour permettre un véritable partenariat du secteur public. ceci a permis à ce que le PPP prenne rapidement de l’importance. Dans le secteur des eaux, en Arabie Saoudite, le PPP est défini comme étant « une organisation qui consiste en la gestion des structures publiques que les institutions gouvernementales concèdent aux opérateurs du secteur privé à travers des contrats à court, moyen et long terme. Selon ces contrats, les montants payés pour l’obtention des services, sont fonction de la réalisation d’objectifs de performance avec obligation de résultats pour les partenaires privés » - L’attrait des investissements pour la réhabilitation et l'amélioration des actifs existants - L’accroissement des actifs par de nouveaux investissements Pour répondre au mieux à la diversité des situations, et pour obtenir une meilleure réalisation des objectifs ci-dessus, les responsables saoudiens du secteur des eaux ont retenu cinq types de contrats dans le cadre du PPP. - Le contrat de gestion et d’exploitation - Le contrat d’entretien dont la durée varie de 3 à 5 ans - Le contrat du type construction, exploitation et transfert (cET en français ou BOT en anglais) - Le contrat de construction, de propriété et d’exploitation (BOO) - La concession dont la durée peut aller jusqu’à 25-30 ans Dans le secteur des eaux, la partie saoudienne définit le contrat de gestion et d’exploitation comme étant « un accord basé sur la performance et dont le montant, les incitations et les compensations sont liées au degré de réalisation des critères clés de performance » aussi, le contrat est-il structuré de manière à permettre à la compagnie nationale des eaux (NcW) d’obtenir « des performances et d’assurer le transfert des connaissances et le renforcement des capacités à créer une plate-forme pour les unités commerciales durables afin d’atteindre les objectifs stratégiques » . (5) Source : le site de la compagnie nationale saoudienne des eaux http://www.nwc.com.sa/arabic/Business/Privatization/Pages/makkahandtaifppp.aspx (6 - 7 - 8 - 9) Même source Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 37 2.2.1.1- Contrat de Gestion et d’exploitation des services d’eau et d’assainissement de la ville de Djeddah Le 20 mai 2008, le groupement franco-saoudien « Suez Environnement – AcWAPower développement » a signé, pour un montant de 61 millions de dollars US, le contrat de management qui s’étale sur une période de 7 ans à partir du 1er septembre 2008. ce contrat porte sur la gestion déléguée des services d’eau et d’assainissement de la ville de Djeddah, une ville dont la population avoisine les 5 millions d’habitants et qui ne dispose pratiquement pas de ressources en eau, ce qui fait que 98% de son eau potable provient d’usines de dessalement de l’eau de mer. Par ce contrat, les responsables saoudiens cherchent à atteindre plusieurs objectifs. Parmi lesquels, notamment : - la remise à niveau et la modernisation fiable et pérenne des services d’eau et d’assainissement de la ville - l’amélioration de la qualité du service - l’assurance d’un accès permanent et ininterrompu à l’eau potable prises privées saoudiennes et étrangères. Les critères techniques et financiers d’évaluation des offres n’ont permis de pré-qualifier, en une première phase, que 11 de ces entreprises. Dans une seconde phase, et suite aux offres de prix, seules deux entreprises ont été qualifiées. Il s’agit du consortium franco-saoudien SAUR-ZAMIL et de celui qui regroupe une entreprise Malaysienne (RANHAL), une entreprise Indienne (JAScO) et une entreprise saoudienne (El A’MAL). Lors de la dernière phase, c’est la proposition franco-saoudienne qui a été retenue et, en août 2010, a été signé le contrat par lequel le management et l’exploitation d’eau et d’assainissement des villes de La Mecque et de Taïf ont été confiés par la National Water company (NWc) au groupement franco-saoudien SAUR-ZAMIL. ce contrat a prévu une période transitoire de quatre mois, allant jusqu’à la fin 2010, pour permettre au partenaire de préparer la prise en main du projet, ce qui donne un début effectif de l’exécution du contrat à partir du 1er janvier 2011 pour couvrir la période allant jusqu’à fin 2015. - la réduction des délais d’intervention d’urgence sur les 5 300 km de réseaux d’eau potable (ces délais doivent être ramenés au tiers de ce qu’ils étaient au moment du contrat) - la réparation des fuites - l’élimination des débordements (sur les 1 000 km existants de réseaux de collecte des eaux usées) - la formation et le transfert du savoir-faire de partenaire français au partenaire public local. 2.2.1.2- Contrat de Gestion et d’exploitation pour les villes de la Mecque et de Taif : Le recours au partenariat public privé dans la gestion et l’exploitation des eaux et de l’assainissement des villes de la Mecque et de Taïf est une expérience qui est venue s’ajouter à celles de Djeddah (projet attribué à Suez-Acwa Power) et Riyad (projet attribué veolia Water Saudi) et constitue ainsi une expérience qui sera prise en considération pour le projet à venir de même nature concernant les villes de Médine et de Dammam. Le projet de gestion des eaux et de l’assainissement des villes de la Mecque et de Taïf, qui porte sur la gestion et l’exploitation de 4 200 km de réseaux d’eau potable et de 2 500 km de réseaux d’assainissement, avait attiré 23 entre- (10) (11) (12) (13) (14) (15) www.suez.fr/fr/presse/communiques/2008/2008) Idem www.suez.fr/fr/presse/communiques/2008/2008 Site de Veolia (http://www.veoliaeau.com/profil/implantations/arabie-saoudite.htm) Gulf Construction, vol 7, n°3 (http://gcarabic.com/node/104) http://www.jed-airport.com/about_new.php Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 38 Le Partenariat Public Privé : Regard sur l’expérience de l’Arabie Saoudite 2.2.2- Dans les aéroports montant de 8,5 milliards de SAR17. Les visites religieuses (Hadj et Omra) drainent un nombre très important de voyageurs au pays de la Mecque. ce nombre est en augmentation et, de 30 millions de passagers en 2012, l’Arabie Saoudite s’attend à en accueillir plus de 60 millions en 202014. Pour faire face à ce nombre, l’Arabie Saoudite, qui compte en tout une trentaine d’aéroports, ne dispose en réalité que de 4 aéroports internationaux seulement (Djeddah, Riyadh, Médine et Dammam). Mais les aéroports directement impliqués dans les visites religieuses sont uniquement ceux de Djeddah et de Médine. Le plus important demeurant cependant l’aéroport de Djeddah (le King Abdulaziz aéroport) qui accueille 17 millions de passagers par an. Un projet d’extension doit porter, en 2014, cette capacité à 30 millions, avant de la porter en 203515 à 80 millions de passagers par an. De son côté, l’aéroport de Médine qui accueille actuellement moins de 4 millions de passager doit voir cette capacité portée à 12 millions en 2020. 2.2.2.1- Agrandissement de l’aéroport international King Abdulaziz (Djeddah) L’aéroport international King Abdelaziz de Djeddah a une certaine expérience dans le domaine du PPP. Déjà en 2009, le projet d’agrandissement et d’aménagement de la salle des pèlerins été exécuté en BTO alors que celui de la station de dessalement d’eau de l’aéroport d’une capacité de 30 000 m3 l’a été en BOT. Le coût estimé de l’extension de l’aéroport de King Abdelaziz de Djedda est d’environ 2,4 milliards de dollars. Il porte sur plusieurs types de travaux et en deux tranches. Le type de contrat retenu pour ce projet en PPP est le BTO pour toutes les parties du projet. Les partenaires privés s’occupent de la construction et de l’aménagement suite à quoi le projet est récupéré par l’Etat qui le redonne à l’Autorité Générale de l’Aviation civile (GAcA) pour sa gestion sur une période de 20 ans selon une formule d’agrément de concession qui voit, en cette occasion, le Fonds d’Investissement Public saoudien innover en introduisant un financement islamique par l’émission des islamic sukuks. De leur côté, les partenaires privés procèdent, chacun en ce qui le concerne à la mobilisation des fonds nécessaires. c’est ainsi que le groupe Ben Laden a bénéficié en cofinancement d’un (16) (17) (18) 2.2.2.2. Agrandissement de l’aéroport international de Médine L’autre projet important dans ce secteur est l’agrandissement de l’aéroport de Médine dont le coût s’élève à près de 1,6 milliards de dollars. Pour ce projet, le contrat est de type le BOT. Avec un trafic annuel de 3.9 millions de passagers en 2012, l’aéroport de Médine occupe le 4ème rang national. Le projet consiste en une extension qui en portera en une première étape la capacité à 8 millions de passagers avant de passer, en une deuxième étape, à 12 millions en juin 2020 et en une troisième étape à 21 millions de passagers en 203718 . Jusqu’en 2011, la gestion de l’aéroport relevait exclusivement de l’organisme public (GAcA). En juin 2011, elle fit l’objet de gestion mixte en partenariat avec le partenaire privé « Taiba aéroport » durant la période de préparation qui dura une année. En juin 2012, l’organisme public se retira laissant l’opérateur privé seul. ce dernier devant s’occuper de la construction, la gestion et l’exploitation de l’aéroport pour une durée de 25 années, il s’agit donc d’un contrat de type concession. Lors de la présélection, 8 entreprises ont pu être retenues sur un ensemble de 10 entreprises. Il s’agit Participants : Gulf Bank (Bahrein), Banque Commerciale d’Abu Dhabi, May Bank (Malaisie), Groupe Samba, el Ittihad bank, El Ahly Bank, Emirati Bank, BNP Paribas, Kuwait Bank etc... http://www.alriyadh.com/net/article/685186 http://www.aawsat.com/details.asp?section=6&article=685560&issueno=12277 Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 39 d’entreprises saoudiennes, américaines, canadiennes, françaises, espagnoles, malaysiennes, indiennes, coréennes et turques. Le type de contrats retenu dans ce projet est le BOT pour certaines entreprises comme Taiba Aéroports (pour le management et l’exploitation), Aéroports de Paris (pour le Duty Free) etc. et le BTO pour d’autres. ce projet bénéficie aussi d’un cofinancement de 1,1 milliard USD auquel ont pris part la banque nationale commerciale (Elahli national commercial bank), la banque nationale arabe (Arab National Bank) et la SABB (Saudi British Bank). 2.2.3- dans les chemins de fer De tout le royaume, seul le tronçon Riyad-Houfouf-Dammam, soit près de 570 kms, est relié par une ligne de chemin de fer. Une stratégie de développement et d’extension du réseau ferroviaire a été mise en place. Selon cette stratégie qui s’étale jusqu’en 2040, pour un coût global avoisinant les 365 milliards SAR (soit 100 milliards USD) le réseau connaitra 19 nouvelles lignes d’une longueur totale de près de 9900 kms. Trois des projets retenus dans cette stratégie pour le développement du secteur du transport ferroviaire devront être réalisés en priorité et coûteront aux environs de 63 milliards USD (ce coût doit être sensiblement revu à la hausse d’après les déclarations datée du 01/01/2013 du directeur de la Saudi Railways à une revue électronique El Amalah). Il s’agit des projets suivants : - La voie reliant la Mecque à Médine via Djeddah à (444 kms) - La voie reliant Djeddah à Dammam via Riyad (1000 kms) - La voie reliant le Nord du pays au Sud (2400 kms) En ce qui suit, nous nous concentrons sur les deux premiers projets seulement, comme exemple du PPP dans le domaine des chemins de fer. 2.2.3.1- Le projet reliant la Mecque à Médine via Djeddah (voie électrifiée) ce projet est connu aussi sous le nom « train des pèlerins » ou LGv El Haramaine (Ligne grande vitesse El Haramine) ou HHSR (El Haramaine High Speed Rail) ou MMRL (Mekkah Madinah Rail Link), et il a été initié par décision du Haut conseil Economique et sera réalisé selon un contrat de type BOT. Source : http://www.saudirailways.org/portal/page/portal/PRTS/root/HHSR_ProjectBrief c’est un projet dont la réalisation a lieu dans le cadre du PPP et où « le concessionnaire est chargé de concevoir, financer, construire, exploiter, maintenir et transférer l'infrastructure après une période donnée. Les terrains sont fournis au concessionnaire par le Royaume. » La réalisation du projet est divisée en deux phases. La première est elle-même divisée en deux lots. Le premier porte sur les travaux de génie civil des voies et, le second lot, sur la réalisation de 5 gares. La deuxième phase porte sur la pose des voies et la fourniture des équipements techniques et des trains avec l’assurance de la maintenance des installations sur une période de 12 ans. Quatre consortiums (Al Radjehi, Saudi Group Ben Laden, Saudi Oger ltd et El Mabani) ont été présélectionnés pour le premier lot de la première phase avant que le Groupe Al Radjehi ne soit finalement qualifié pour l’exécution des travaux de génie civil. Le second lot a été attribué aux Saudi group Ben Laden et Saudi-Oger. La deuxième phase a été attribuée au consortium saudiespagnol Echou’la. (19) Idem (20) Site des chemins de fer saoudiens http://www.saudirailways.org/portal/page/portal/PRTSAR/root_ar/HomeAR/04_ExpansionProjects/02MasterPlanProject (21) Idem (22) http://www.alamalhnews.net/news.php?action=show&id=1232 (23) http://lexpansion.lexpress.fr/entreprise/alstom-et-la-sncf-pourraient-rater-le-tgv-saoudien_247000.html Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 40 Le Partenariat Public Privé : Regard sur l’expérience de l’Arabie Saoudite Il s’agit pour le consortium Echou’la de procéder à la pose de 450 kms de voie, de fournir les locomotives et les wagons, d’exploiter et d’assurer l’entretien sur douze années de la voie. Il s’agit donc d’un contrat de type BOO. grâce à un Partenariat Public Privé à travers lequel le partenaire privé aura la charge de construire, poser la voie et gérer la ligne pour une durée de 50 ans avant de la remettre à l’Etat25. Il s’agit donc d’une concession. Tout comme les projets du « train des pèlerins » et celui reliant le Nord du pays à son Sud, le projet du « pont terrestre » sera financé en partie par le Fond d’Investissement Public saoudien26. Le 1er janvier 2013, et pour une valeur de 270 millions de SAR (soit 72 millions de dollars), la compagnie Flor s’est vu attribuer le contrat de gestion du projet pour une durée de 84 mois alors que le consortium TARABOT a été qualifié pour la réalisation du projet dans un délai n’excédant pas la fin 2019. La deuxième phase du projet du « train des pèlerins » porte, à elle seule, sur un contrat d'environ 10 milliards d'euros (ramené à 7 milliards après soumission) et le Fonds d'Investissement Public saoudien aide à son financement. 2.2.3.2 - Le projet reliant Djeddah-Riyad-Dammam Source : http://www.saudirailways.org/portal/page/portal/PRTS/r oot/Home/04_Expansion_Specification/04Expansion Décidé en 2005, ce projet a été gelé jusqu’en 2008 pour être définitivement relancé avec la création de SAR (Saudi Railways), la société qui aura la charge de tout le rail du royaume. ce projet est divisé en deux parties. Du côté Ouest de Riyad, un tronçon porte sur la création d’une voie ferrée reliant Djeddah à la capitale. Il entre dans le cadre du « pont terrestre», porte sur une double voie de 950 kms environ et constitue l’un des deux tronçons à ajouter à la ligne existante (Riyad – Dammam). L’autre tronçon devra relier la ville industrielle de Jubail au reste du réseau et porte sur une longueur de 115 kms24. Le projet Djeddah-Riyad-Dammam devait être réalisé 2.2.4 - Les cités économiques En optant pour la construction de 4 villes économiques, l’Arabie Saoudite manifeste la volonté de sérieusement « se pencher sur l’avenir et considérer de nouvelles (24) Voir le site des Chemins de fer saoudiens http://www.saudirailways.org/portal/page/portal/PRTS/root/Home/04_Expansion_Specification/04Expansion (25) Habib Allah Mohamed Turkistani, partenariat stratégique entre le secteur public et le secteur privé, étude empirique sur les villes économiques, 2009, congrès international sur le développement de l’administration, Institut de l’administration publique, Riyad, 1-4/11/2009 (document en arabe). (26) http://www.alwatan.com.sa/Economy/News_Detail.aspx?ArticleID=91359&CategoryID=2 Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 41 options non-pétrolières, plus fiables et à long terme » ces quatre villes économiques (« economic cities ») devront contribuer à hauteur de 150 milliards de dollars au PIB de l’Arabie à horizon 2020 (Galland, 2010, p.2). Elles représentent un haut lieu de l’expérience du PPP en Arabie saoudite et leur mise en place répond à 4 objectifs essentiels a - Développement régional équilibré Le premier objectif des cités économiques étant de réduire l’exode de la population vers les grandes villes qui, à cause du surpeuplement, connaissent beaucoup de problèmes comme les problèmes d’aménagement de territoire, le logement, le transport, l’emploi. cet exode est expliqué entre autres par le fait que le développement économique du pays soit concentré uniquement dans l’axe est-ouest du royaume. Les régions qui se situent sur cet axe accueillent le 1/3 de la population alors que, à elles seules, les quatre villes de Dammam, Riyadh, Djedda et la Mecque rassemblent la moitié de la population connaissances de ces entreprises vers le secteur privé et public saoudien. D’un autre côté, et comme ces villes viendront renforcer l’infrastructure nationale avec leurs aéroports, leurs ports, leurs autoroutes, les télécoms etc., ceci contribueront indiscutablement à améliorer la compétitivité et l’attractivité du pays sur le plan régional et mondial. ces villes connaissent jusqu’à présent un certain retard par rapport aux délais initiaux. Or, comme elles devaient accueillir de nombreuses entreprises nationales et étrangères, elles n’ont pas pu le faire à cause de ce retard qui a donc retardé les délocalisations, ce qui, à son tour, a affecté la création d’emplois tant attendue. Par ailleurs, la réglementation de 2008 qui vise à imposer aux entreprises le recrutement d’un partie de leur personnel parmi les saoudiens, a poussé ces entreprises à transférer leur siège dans d’autres pays de la région. Selon une étude McKinsey (citée par Turkistani, 2009) Il est prévu que les cités économiques avec l’importance de leur activité économique pourront assurer d’ici 2020 une augmentation du revenu allant jusqu’à 300%. b- second objectif : La diversification économique. L’autre préoccupation de l’Arabie Saoudite est de réduire sa dépendance par rapport aux exportations de pétrole. En ce sens, il est attendu des villes économiques d’arriver à assurer le développement d’industries et de services à haut niveau de compétitivité au plan mondial. A cet effet, dix industries ont été choisies et pour lesquelles KSA poursuit un leadership mondial. c- L’emploi L’emploi constitue le troisième objectif des villes économiques qui doivent assurer une certaine intégration du personnel saoudien. Une stratégie de développement des ressources humaines en Arabie saoudite a été mise en place à cet effet. d- Modernisation de l’infrastructure et le transfert de connaissance Les villes économiques et parce qu’elles attireront les grandes entreprises mondiales dans différents secteurs constitueront le vecteur par lequel les saoudiens comptent bénéficier du transfert de technologie et des 3- Evaluation du PPP en Arabie Saoudite 3.1- le PPP dans les pays du Golf Dans un rapport daté de août 2008 et qui portait, entre autres, sur une évaluation du développement dans les pays membres du conseil de coopération du Golf (ccG), la société de conseil en management « Booz and company », a évalué l’expérience du PPP dans les pays du Golf et a rapporté, à cette occasion, que ces Pays s’apprêtaient investir 500 milliards de USD et que le partenariat public privé s’imposait comme le moyen efficace pour la réalisation des objectifs de développement de ces pays. Tout en mentionnant le succès enregistré jusque-là, dans les pays du Golf, par le partenariat entre le secteur public et le secteur privé, et tout en insistant sur le fait que le (27) Coût estimé entre 50 et 60 Milliards USD par le directeur de Saudi Railways lors de la signature du contrat avec l’entreprise FLOR (01/01/2013). Ce coût estimé une première fois en 2003 était de 7 Milliards de USD, ce qui porterait le coût total des projets de 25 à 75 milliards USD. (28) http://www.medea.be/2010/10/villes-economiques-en-arabie-saoudite-des-ilots-de-changement-au-pays-de-lor-noir/ (29) Voir Habib Allah Mohamed Turkistani, op.cit Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 42 Le Partenariat Public Privé : Regard sur l’expérience de l’Arabie Saoudite succès du PPP n’est pas directement corrélé avec l’existence d’un cadre juridique adéquat, le rapport en question insiste sur la nécessité pour les pays du Golf de mettre en place une règlementation qui leur permette de tirer le maximum de bénéfice d’avantages du PPP. A cet égard, il a été souligné dans ce rapport que de ces pays, seul le Koweït disposait réellement à l’époque (2008) du cadre réglementaire et législatif adéquat au PPP, que Qatar et Abu Dhabi s’attelaient à mettre en place une telle réglementation alors que les émirats et l’Arabie Saoudite avaient pu faire jouer le PPP sans avoir réellement le cadre réglementaire qui lui sied. Beaucoup d’expériences, à travers le monde ont montré cependant que l’existence d’un cadre juridique spécifique au PPP n’est pas nécessaire à sa réussite. c’est ainsi que, par exemple dans le domaine des routes, en Finlande, aux Pays Bas, en Norvège, pour ne citer que ces exemples, il n'existe aucune législation spécifique aux PPP.( Alvarez Robles, 2009) 3.2- l’expérience du PPP en Arabie Saoudite En ce qui concerne l’Arabie Saoudite, le Partenariat Public Privé a enregistré une grande avancée. Les réformes menées depuis le début des années 2000 ont fini par faciliter le recours au PPP et par l’encourager. Aujourd’hui, le PPP intervient dans la majorité des secteurs de l’activité économique. Toutefois, il est quelques problèmes rapportés à propos de cette expérience. ces problèmes ressemblent, pour une part, à ceux rencontrés dans d’autres pays alors que d’autres sont plutôt spécifiques aux conditions particulières, notamment culturelles, du pays. En ce qui suit, nous essayons de donner les points forts de l’expérience saoudienne du PPP ainsi que ses points faibles les plus importants. 3.3.1- les points forts du PPP en Arabie Saoudite De l’expérience saoudienne du PPP, il ressort quelques points forts qui constituent des avantages certains pour l’économie du royaume. Et parmi lesquels nous retiendrons surtout : 3.3.1.1- La mobilisation réussie du capital privé Un simple regard suffit à voir à quel point le capital privé national est impliqué dans le processus de développement du pays et, notamment, dans le cadre du PPP. Que ce soit, en effet, dans les chemins de fer, dans le secteur de l’eau, de l’électricité, des transports, de l’aéroportuaire, ou tout autre secteur, on rencontre toujours un ou des opérateurs privés nationaux. cette forte mobilisation du capital privé national dans le cadre de l’investissement constitue un point important car cela représente un atout non négligeable pour la réussite des projet PPP en plus du fait que cela témoigne de la grande confiance ressentie par ce capital à l’égard du climat d’investissement au royaume ceci, à son tour, est une condition de réussite du PPP car la réussite d’un PPP exige, entre autre, « la mise en place d’un climat de l’investissement robuste » (Delmon, 2010). 3.3.1.2- La diversification des entreprises étrangères Il est clair aussi, au vu des différents contrats, que le gouvernement saoudien a tenu à diversifier les partenaires étrangers. On rencontre dans les consortiums engagés dans cette expérience des entreprises Françaises, Américaines, Malaysiennes, Turques, Britanniques, coréennes, chinoises…etc. Il va sans dire que cette diversification est intéressante à plus d’un égard et que son apport est considérable pour les opérateurs privés nationaux car, en plus des différents savoirs et des différentes technologies développées çà et là dans les pays des entreprises concernés, ces dernières leur apporteront aussi des pratiques différentes et des cultures multiples qui enrichiront l’expérience de l’opérateur privé national. 3.3.1.3- La diversification des types de contrats PPP Parallèlement à la diversification des entreprises et des cultures, le gouvernement saoudien a aussi procédé à une diversification des types de contrat PPP. On rencontre en effet, le contrat de gestion, le contrat de performance, le contrat d’assistance, la concession, le BOO, le BOT, le BTO etc… l’intervention dans le cadre de ces différents types de contrats étant différente, il va de soi que l’intervention des opérateurs privés nationaux dans le cadre de différents contrat PPP enrichit leur expérience, ce qui constitue un autre apport considérable pour l’opérateur privé national. 3.3.1.4- Le choix des plus grandes entreprises au niveau mondial Dans le cadre du PPP, il est remarquable que le gouvernement saoudien ait choisi pour la réalisation des différents projets certaines parmi les plus grandes et les plus importantes entreprises mondiales dans leurs domaines respectifs (Saur, EDF-Suez, Suez Environnement, Oger, veolia…). ceci est bénéfique à l’économie nationale qui bénéficie ainsi des plus hautes normes internationales et voit indiscutablement sa compétitivité (2) Le principe du prepack est d’apporter, dès l’ouverture de la procédure, un plan pré-négocié avec les créanciers, que celui-ci ait déjà fait l’objet d’un vote (pre-voted prepack) ou soit en passe de l’être (post-voted prepack). (3) En France, pour les liquidateurs, le taux de dossiers impécunieux est particulièrement important. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 43 améliorée, tout comme cela profite aux opérateurs privés nationaux qui profiteront, entre autres, des meilleurs transferts de savoirs et de pratiques. 3.3.2- Problèmes du PPP en KSA En dépit de tous ces points positifs, le PPP en Arabie Saoudite a connu aussi quelques insuffisances et rencontré quelques problèmes. Une étude, réalisée en 2007 à Riyad auprès des opérateurs privés, a montré certaines insuffisances qui continuent à peser sur le bon fonctionnement du PPP en Arabie saoudite. Parmi ces problèmes, on retient surtout 3.3.2.1- Les problèmes d’ordre administratif Les problèmes d’ordre administratif sont nombreux et constituent un véritable problème pour les opérateurs privés qui s’en plaignent fréquemment. Dans ce registre, on note surtout : a- La prédominance de l’appareil administratif b- La lourdeur de l’administration publique c- L’absence ou l’insuffisance des textes et règlements Selon cette étude (citée par Azmi, 2009), il ressort que la majorité des hommes d’affaires interrogés trouvent la législation en place (surtout dans le domaine du travail, la décision de 2008 qui oblige le secteur privé à avoir un pourcentage des travailleurs de nationalité saoudienne) décourageante pour le secteur privé puisqu’elle ne tient pas compte de la rentabilité. d- Une concentration prononcée de la décision (les structures régionales et locales de l’administration n’ont pas le pouvoir de décision par maque de délégation) . e- Le déficit a communication et les relations avec les représentants du secteur public (fonctionnaires). A cet effet, 80% des hommes d’affaires interrogés déclarent qu’il existe un grand déficit de communication chez les représentants du secteur public. En effet, 55% des responsables de l’administration publique ne saisissent pas exactement l’importance du secteur privé dans l’activité économique en Arabie Saoudite et, de ce fait, ne sont pas portés à communiquer avec les représentants de ce secteur. f- Il ressort de la même étude que les opérateurs privés se plaignent d’une absence ou d’une insuffisance de représentativité du secteur privé dans les instances de décisions économiques. g- Parmi les problèmes rencontrés par le partenariat public privé en Arabie Saoudite, il y a aussi lieu de noter celui relatif à la ségrégation à l’égard des femmes. En effet, les femmes étant séparées des hommes, elles doivent s’adresser à des services spécialement conçus pour femmes. Malheureusement, ces services n’existent pas en quantité suffisante et ceux qui existent ne couvrent pas tous les domaines. Il y a un manque de services administratifs réservés aux femmes entrepreneurs ce qui constitue un empêchement sérieux à leur participation dans le cadre du PPP. 3.3.2.2- La difficile capitalisation du savoir En plus des problèmes d’ordre administratif ci-dessus mentionnés, il est nécessaire de souligner certains problèmes d’ordre législatif qui font que toute l’expérience ainsi acquise par l’opérateur privé national saoudien dans le cadre du PPP ne sera malheureusement pas capitalisée convenablement. En effet, si la gestion des entreprises privées saoudiennes est généralement assurée par des cadres saoudiens, leur personnel d’exécution est cependant constitué uniquement de main d’œuvre étrangère. Or, la législation en place réglemente le séjour de cette main d’œuvre d’une manière qui oblige les entreprises à changer cette main d’œuvre après une certaine période (5 ou 6 ans). De cette manière, se pose un véritable problème de socialisation du savoir qui empêche ces entreprises de capitaliser sérieusement leurs connaissances. 3.3.2.3- La performance insuffisante du secteur privé Le PPP en Arabie Saoudite rencontre aussi quelques problèmes d’ordre socio-culturel qui en ont empêché une plus grande contribution et une meilleure participation au processus de développement voulu par l’Etat. Généralement, dans le secteur privé en Arabie Saoudite, le management est assuré par le propriétaire et non par des managers professionnels. Les propriétaires résistent encore à la séparation entre la propriété et le management et, selon certains chercheurs saoudiens (Azmi, 2009), ceci est dû à l’individualisme prononcé qui marque l’homme d’affaires Saoudien et qui donne lieu à un refus de la croissance externe, celle qui recourt aux opérations d’alliance et autres intégrations ou fusions (Azmi, 2009). Il va sans dire que ce comportement des entrepreneurs saoudiens empêche le secteur privé de bénéficier des avantages que procurent cette forme de croissance tels que la réduction des coûts, les économies d’échelle, le transfert de savoir, la compétitivité, la complémentarité, l’additivité…etc. Si cette tendance prononcée chez l’entrepreneur saoudien pour le contrôle individuel empêche le secteur privé de dépasser un certain seuil sur le plan de la gestion et des performances, elle empêche aussi, d’un autre côté, le développement du PPP qui est basé, pour sa part, sur ces opérations d’alliances et de regroupements car ce Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 44 Le Partenariat Public Privé : Regard sur l’expérience de l’Arabie Saoudite sont justement ces opérations qui lui procurent des avantages compétitifs supplémentaires à même de lui permettre d’ambitionner de faire face aux grandes entreprises mondiales et lui assurent en même temps un transfert de savoir-faire. Par ailleurs, il est à noter que dans le cadre du PPP, certains projets enregistrent beaucoup de retard dans leur réalisation, à l’image du HHR dont le délai de mise en service était 2014 est qui, à présent est repoussé à fin 2016 . Conclusion Dans ce papier, nous avons jeté un regard sur l’expérience saoudienne en matière de PPP. ce qu’il y a lieu de retenir de cette expérience c’est que, d’abord, il existe une forte volonté du gouvernement et des plus hautes autorités du royaume à réussir cette expérience, d’autant plus que cette dernière est inscrite dans le cadre d’une stratégie très ambitieuse de développement du pays. cette volonté affichée constitue un sérieux avantage pour la réussite de l’expérience et du PPP de manière générale car, parmi les facteurs de réussite du PPP, il y a lieu de retenir « la volonté politique de créer un PPP, ainsi que le régime juridique et régle¬mentaire apte à promouvoir le PPP. » (Delmon, 2010, p.18) Les chances de cette réussite sont renforcées aussi par un engagement remarquable du capital privé dans le processus de développement et qui s’observe, notam- ment, à travers sa forte présence dans l’expérience du PPP qui continue d’être menée. Par ailleurs, en procédant à des réformes qui ont permis d’améliorer le climat d’investissements, le gouvernement saoudien a réussi à attirer les grandes entreprises étrangères dont il est attendu qu’elles participent sérieusement à hisser le niveau de la compétitivité de l’économie nationale pour le ramener à un niveau mondial. Toutefois, certains problèmes d’ordres différents, sont venus atténuer quelque peu des résultats de cette expérience. Sur le plan économique, il s’agit notamment du retard enregistré dans la réalisation de certains projets comme l’extension de l’aéroport de Djeddah ou la réalisation des villes économiques, ce qui a eu pour conséquence de repousser des échéances importantes comme celle de la délocalisation et celle du recrutement tant attendues. cependant, à notre avis, les problèmes les plus importants demeurent d’ordre culturel, comme le problème de type managérial résultant de la résistance à la séparation entre la propriété et le management, le problème de la difficile capitalisation du savoir à cause de la législation relative à la main d’œuvre étrangère etc… cette expérience du PPP est certes très intéressante mais il est encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur cette expérience qui n’est toujours en cours et qui s’étendra, pour certains cas, jusqu’en 2040. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 45 BIBLIOGRAPHIE Webographie http://www.alamalhnews.net/news.php?action=show&id=1232 Anderson, Aileen et Janssens, Jan G., Tendances émergentes dans les PPP du secteur de l’eau et de l’assainissement, BPD eau et assainissement, avril 2011 http://www.aleqt.com/2012/12/22/article_718940.html Azmi, Imane Ahmed « le partenariat public privé en Arabie Saoudite : blocages et attentes », congrès international sur le développement de l’administration, Riyad, 2009 http://www.alwatan.com.sa/Economy/News_Detail.aspx?Artic leID=91359&CategoryID=2 http://www.aawsat.com/details.asp?section=6&article=695496 &issueno=12346 Delmon, Jeffrey, Partenariats public-privé dans le secteur des infrastructures, The Word Bank, PPIAF, 2010 http://www.booz.com/ http://www.flyingway.com/vb/showthread.php?t=93638 EL-Béherry, Ibrahim Refaat Mohamed, Théorie des contrats administratifs et marches publics internationaux, Thèse de doctorat, Université Nice Sofia Antipolis, Nice, 2004 http://gcarabic.com/node/104 http://www.ipemed.coop/fr/nos-projets-r16/espace-financierc87/chantier-2-ef-sc85/partenariats-public-prive-en-mediterra nee-le-recours-ne-se-fait-pas-sans-obstacles-a1276.html http://www.lefigaro.fr/international/2012/10/24/0100320121024ARTFIG00672-record-de-pelerins-attendus-a-lamecq ue.php http://lexpansion.lexpress.fr/entreprise/alstom-et-la-sncfpourraient-rater-le-tgv-saoudien_247000.html Fakih Adel Ben Mohamed (Ministre saoudien du travail), le PPP et l’expérience du dialogue social en Arabie saoudite, rencontre régionale sur la négociation sociale, Rabat, 2010 Habib Allah Mohamed Turkistani, partenariat stratégique entre le secteur public et le secteur privé, étude empirique sur les villes économiques, 2009, congrès international sur le développement de l’administration, Institut de l’administration publique, Riyad, 1-4/11/2009 (document en arabe). 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Mais, au-delà de ces éléments, l’article montre que ce contrat de partenariat reste un outil juridique qu’il convient de savoir manier, d’autant plus que sa conception française s’avère l’objet de certains paradoxes dans une nouvelle logique de gestion publique visant à accroître l’efficience et à maitriser le montant des dépenses publiques par une approche en coût global. This article discusses the public-private partnerships in the legal angle of global contracts whose overriding interest is to allow a private pre-financing of public facilities for nearly a decade, while still a subject of controversy. But beyond these, the paper shows that this partnership agreement remains a legal tool that should know how to handle, especially as its French design turns the object of some paradoxes in a new logic of public management to increase efficiency and to master the amount of public expenditure by a total cost approach. Keywords : Public-Private Partnerships, Efficiency, Global Contract, French Law Mots clefs : Partenariats Publics-Privés, Efficience, Contrat Global, Droit Français Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 47 Hubert DELZANGLES Sciences Po Bordeaux Gaële cHAMMING’S Avocat au Barreau de Bordeaux Introduction Les contrats de partenariat, créés en France par l’ordonnance n°2004-559 du 17 juin 2004, voient souvent leur nom oublié pour être seulement qualifiés par une dénomination générique dans laquelle ils s’inscrivent : les Partenariats Public - Privé (PPP). ces derniers, au sens large, n’ont pas de réelle définition juridique précise. Selon le rapport de l’OcDE de 2008 il s’agit d’un « Accord entre l’Etat et un ou plusieurs partenaires privés (parmi lesquels figurent éventuellement les opérateurs et les financiers) en vertu duquel les partenaires privés fournissent un service selon des modalités qui permettent de concilier les buts de prestation poursuivis par l’Etat et les objectifs de bénéfice des partenaires privés, l’efficacité de la conciliation dépendant d’un transfert suffisant du risque aux partenaires privés ». Dès lors, les contrats de partenariat s’inscrivent dans la famille des modèles contractuels connus en France associant le secteur public et le secteur privé comme les modèles concessifs (concession et affermage par exemple), les baux emphytéotiques administratifs de droit commun et sectoriels et les autorisations d’occupation temporaire. ces contrats de partenariat s’inscrivent dans une nouvelle logique de gestion publique visant à en accroître l’efficience et à maitriser le montant des dépenses publiques par une approche en coût global1. Elle redéfinit donc les frontières entre secteur public et secteur privé en introduisant dans la sphère administrative des méthodes issues de la sphère privée. Par conséquent, avec ces contrats, la place de l'Etat dans le secteur économique évolue, passant d'un rôle d'opérateur direct à un rôle d'organisateur, de régulateur et de contrôleur. Les contrats de partenariat forment aussi une réponse à la pauvreté et l’inadaptation des formules de la commande publique en France reposant sur le système binaire constitué des délégations de service public et des marchés publics. Dans le cadre des réformes de l’achat public, l’opportunité d’adapter le système des Private Finance Initiative (PFI) britanniques est donc envisagée avec intérêt. La Grande-Bretagne a, en effet, lancé cette politique dans la mouvance du New Public Management au début des années 90 sous le gouvernement de John Major. Le Private Finance Initiative vise à favoriser la participation du secteur privé à la réalisation d’infrastructures et de services publics2. Le PFI est devenu alors le principal instrument du Gouvernement britannique pour redynamiser le service public. Il a même été relancé par le New Labour et Tony Blair en 1997 pour financer le programme de constructions scolaires et hospitalières. cette politique est censée permettre d’assurer une valeur effective en contrepartie d’un coût : « value for money » et d’en définir les éléments de performance : « Best value for money ». Dans ce cadre, les entreprises privées deviennent des fournisseurs à long terme et non plus des constructeurs d’équipements. Elles combinent la conception (Designing), la construction (Building), le financement (Financing) et l’exploitation (Operating) des ouvrages dans le cadre des relations qui les unissent à la puissance publique. Il s’agit de contrats DBFO, qui correspondent aux contrats de partenariat lorsque le service est vendu au secteur public et non rentabilisé par des péages à l’instar d’une logique concessive. L’idée des contrats de partenariat, même si elle n’a pas toujours été promue, a été relayée par les instances internationales et plus spécifiquement européennes. La Banque mondiale a mis en avant l’opportunité du modèle partenarial pour les pays en voie de développement3, comme ils sont utilisés dans les pays européens, les Etats-Unis et le canada par exemple4. La commission des Nations Unies pour le droit commercial international (cNUDcI) a aussi relayé les bienfaits de ce type de montages afin de moderniser la législation des Etats relative aux projets d’infrastructures à financement privé. En revanche, si les contrats de partenariat ont été pris en compte par les institutions de l’UE, il n’est pas possible de dire que ces dernières en ont fait une réelle promotion. Dans le livre vert sur les partenariats public-privé et le droit communautaire des marchés publics et des concessions du 30 avril 20045, la commission évoque « le phénomène PPP » et explique le recours accru aux opérations de PPP par différents facteurs. Il s’agit d’abord des contraintes budgétaires auxquelles doivent faire face les Etats membres, ensuite de la capacité de ce contrat à répondre à un besoin d'apport de financement privé pour le secteur public, et enfin de l’intérêt des contrats de partenariat pour bénéficier davantage du savoir-faire et des méthodes de fonctionnement du secteur privé dans le cadre de la vie publique. (1) Sur ce point, CHAMMING’S G. (2011), Le droit français de la commande publique à l’épreuve du contrat de partenariat. Du partage des risques à la réforme de l’Etat, Thèse, Bordeaux IV. (2) Sur ce point voir Maret J. Les contrats de partenariat public – privé, action publique et performance, thèse soutenue le 8 janvier 2013, Limoges, dactyl., p. 50 et s. (3) « Autoroute de l’avenir : Dakar s’offre le 2ème PPP routier subsaharien ». Revue les Afriques. N°114, avril 2010 (4) Voir pour une étude canadienne : L. PREFONTAINE et al.(2009). La capacité partenariale, pilier de la réussite d’un partenariat public-privé. RFPA, n°130, p. 323 (5) Livre vert de la Commission [COM (2004) 327 final] Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 48 Le Contrat de Partenariat en France : Sujet de Controverses et Objet De Paradoxes L’intérêt pour ce type de contrats s’est répandu en Europe, particulièrement chez nos proches voisins. En témoigne l’exemple italien6 ou même espagnol puisque ces derniers ont créé, avec la loi régissant les contrats du Secteur Public (LcSP), du 30 octobre 2007 des contrats de collaboration entre le secteur public et le secteur privé7. En France, à la fin des années 1990, le marché d’entreprise de travaux publics (METP), fruit de la seule ingénierie juridique consacrée par la jurisprudence8, a été expérimenté par les personnes publiques en vue de constituer un contrat d’un troisième type à côté du marché public et de la délégation de service public. ce marché d'entreprise de travaux publics, couramment défini comme « un contrat de longue durée, qui confie la construction et l'exploitation - ou seulement l'exploitation - d'un ouvrage public à une entreprise, moyennant une rémunération par la collectivité publique »9 représentait bien une nouvelle formule contractuelle présentant certains avantages en termes de financements10. Un régime juridique non défini et certains abus ont fait que ces contrats ont été requalifiés de « marchés publics » par le conseil d’Etat dans un arrêt de 199911 et donc prohibés. Pour autant, comme le souligne justement Fabrice Melleray12, ce que l'action conjuguée du juge administratif et du pouvoir réglementaire avait apparemment anéanti a pourtant commencé à renaître partiellement de ses cendres grâce au législateur par l’intermédiaire des contrats de partenariat13. Le conseil constitutionnel ne s’y est pas trompé et a entouré ces contrats des précautions de rigueur, comme en témoigne la réserve d’interprétation de la décision du 26 juin 2003 relative à la loi habilitant le gouvernement à simplifier le droit. Il estime à ce propos : « qu'aucune règle ni aucun principe de valeur constitutionnelle n'impose de confier à des personnes distinctes la conception, la réalisation, la transformation, l'exploitation et le financement d'équipements publics, ou la gestion et le financement de services » et « qu'aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle n'interdit non plus qu'en cas d'allotissement, les offres portant simultanément sur plusieurs lots fassent l'objet d'un jugement commun en vue de déterminer l'offre la plus satisfaisante du point de vue de son équilibre global ». Mais il précise toutefois que : « la généralisation de telles dérogations au droit commun de la commande publique ou de la domanialité publique serait susceptible de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics ; que, dans ces conditions, les ordonnances prises sur le fondement de l'article 6 de la loi déférée devront réserver de semblables dérogations à des situations répondant à des motifs d'intérêt général tels que l'urgence qui s'attache, en raison de circonstances particulières ou locales, à rattraper un retard préjudiciable, ou bien la nécessité de tenir compte des caractéristiques techniques, fonctionnelles ou économiques d'un équipement ou d'un service déterminé »14. Dans le prolongement de la décision constitutionnelle validant le principe des contrats globaux bien qu’encadrés dans un régime dérogatoire, les prémisses de la philosophie contractuelle des contrats de partenariat avaient déjà été posées avec l’ordonnance du 4 septembre 2003 créant les baux emphytéotiques hospitaliers en faisant émerger la notion de « répartition des risques » entre les deux partenaires. Par la suite l’ordonnance du 17 juin 2004 va créer les contrats partenariat dans une forme dont le régime juridique sera profondément modifié par la loi de réforme n° 2008- 735 du 28 juillet 2008 s’agissant des modalités de financements mais dont la notion de partage des risques deviendra le pilier. ces contrats globaux, dont l’intérêt prépondérant est de permettre un préfinancement privé des équipements publiques est depuis bientôt une dizaine d’années un sujet de controverses (I). Mais, au-delà de ces éléments, (6) Voir aussi l’Italie, F. BOUGRAIN, J. CARASSUS et M. COLOMBARD-PROUT, Partenariat Public Privé et bâtiment en Europe : Quels enseignements pour la France ? Retour d’expériences du Royaume-Uni, d’Italie, du Danemark et de France, Presses de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, 2005, p.13. (7) Loi n°30/2007, 30 octobre 2007, relative aux Contrats du Secteur Public (de Contratos del Sector Público), BOE du 31 octobre 2007. (8) CE, 11 décembre 1963, Ville de Colombes, req. n°55972, Rec. p. 612 (9) C. Bergeal, concl. sur CE 8 février 1999, Préfet des Bouches-du-Rhône c/ Commune de La Ciotat AJDA 1999, p. 365; RFDA 1999, p. 1172, chron. S. Braconnier. (10) Notamment « la réalisation immédiate d'un ouvrage sans avoir recours à l'emprunt ni à l'impôt », voir Yann Aguila, Notion et régime du METP, in Guide juridique et pratique du METP, EFE, 1995, p. 54-55 (11) CE, 8 fév. 1999, Préfet des Bouches-du-Rhône contre Commune de la Ciotat, Req. n°150931,Rec., p. 19 (12) Melleray F. (2003), Le marché d’entreprise de travaux publics, un nouveau lazare juridique ?, AJDA, p. 1260. Voir aussi, Rapp L. (2005), Aux origines du contrat de partenariat, Droit et ville, n°60, p. 29. (13) Ord. n° 2004-559, sur les contrats de partenariat : Journal Officiel 19 Juin 2004 ; JCP G 2004, act. 329, en bref S. Braconnier ; JCP E 2004, act. 146; JCP A 2003, 1890) (14) Linditch F. (2003), Les partenariats public-privé devant le conseil constitutionnel, note sous Cons. Const., 26 juin 2003, DC n°2003-473, JCP A, p. 1293. Voir aussi, Terneyre P. (2003), Les nouveaux contrats de partenariat et la typologie des partenariats public-privé, RDI, p. 520 Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 49 le contrat de partenariat reste un outil juridique qu’il convient de savoir manier, d’autant plus que sa conception française s’avère l’objet de certains paradoxes (II). I – Le contrat de partenariat français : sujet de controverses Le contrat de partenariat fait l’objet de débats passionnés mais aussi d’une critique récurrente dans les médias spécialisés ou les revues juridiques. Son parcours a été semé d’embûches dès sa consécration puis tout au long de son évolution. A – Un avènement discuté Si les dérives des marchés d’entreprise de travaux publics et les évolutions du droit de la commande publique ont fait émerger la nécessité de concevoir un nouveau contrat global, ce dernier a fait l’objet de nombreuses critiques dès sa création. 1 – Les partisans du contrat global Selon Alain Ménéménis il s’agit bien d’une « nouvelle forme » de contrats publics15. Le paysage français de la commande publique était auparavant binaire. Tout ce qui n'était pas qualifié de marché public relevait de la délégation de service public et réciproquement. Le contrat de partenariat est, depuis 2004, reconnu comme un troisième type de contrats empruntant, d’une part, au marché public, le système du paiement public (et non le paiement par l’usager) et d’autre part, à la délégation de service public, et notamment à la concession, l'étalement de la charge financière et le transfert ou le partage des risques avec l'opérateur privé. Finalement, il réhabilite la concession à péage à paiement public16. Les partisans du contrat de partenariat, et parmi eux le gouvernement de l’époque, pensaient que de tels contrats globaux de longue durée, par lesquels des personnes publiques confieraient à des opérateurs économiques aussi bien le financement d'ouvrages ou d'équipements que leur conception, leur construction, leur entretien et leur exploitation, en transférant la maitrise d'ouvrage et en rémunérant leurs cocontractants en tout ou partie par des paiements échelonnés tout au long de la durée des contrats, présenteraient des avantages décisifs. ces formules contractuelles faciliteraient la réalisation des projets que l'état des finances publiques ne permettait et ne permet toujours pas d'envisager sans étalement du coût sur de nombreuses années emportant un préfinancement privé. Elles pouvaient procurer, sur le long terme, une plus grande efficacité économique et des gains financiers. En effet, « alors même qu'un financement privé est, a priori, plus coûteux qu'un financement public, des économies substantielles résulteraient notamment de la réduction des coûts de transaction liée à l'intégration des tâches de réalisation et d'exploitation et de la capacité des opérateurs privés à utiliser les équipements publics de façon optimale, par exemple en ne négligeant pas de les entretenir régulièrement ou en ne les laissant pas sans emploi quand ils ne sont pas nécessaires au service public »17. Plus généralement, on postulait les bienfaits du passage « d'une logique de moyens à une logique de résultats, dans laquelle le partenaire de l'administration se voyait assigner des objectifs de performance et était incité à les atteindre voire à les dépasser par des mécanismes financiers adéquats »18. Au-delà de cette vision idéaliste des choses, des critiques ont émergé dans la pratique. 2 – Les pourfendeurs en action Trois types de critiques ont émergé tenant à des considérations politiques, opérationnelles et institutionnelles. En premier lieu, la critique politique s’est centrée sur l’argument d’une dérive de l’usage des deniers publics par le paiement différé. ce dernier est interdit par le code des marchés publics et son article 9619. Or, l’avantage du paiement différé est bien de déconsolider la dette des collectivités et de l’Etat. A ce titre, l’agence européenne Eurostat a précisé, dans une décision du 11 février 2004 relative au traitement des partenariats public-privé, les critères de la déconsolidation. Elle recommande que les actifs liés à un partenariat public-privé soient classés comme actifs non publics et ne soient donc pas enregistrés dans le bilan des administrations publiques si les deux conditions suivantes sont réunies. D’une part, le partenaire privé doit supporter le risque de construction et, d’autre part, le partenaire privé doit supporter au (15) Menemenis A. (2004), L’ordonnance sur les contrats de partenariat : heureuse innovation ou occasion manquée ?, AJDA, p. 1737. (16) Linotte D., (2005), Un cadre juridique désormais sécurisé pour les contrats de partenariat, AJDA, p. 16. (17) Menemenis A. (2004), L’ordonnance sur les contrats de partenariat : heureuse innovation ou occasion manquée ?, AJDA, p. 1737. (18) Menemenis A. (2004), L’ordonnance sur les contrats de partenariat : heureuse innovation ou occasion manquée ?, AJDA, p. 1737. (19) Article 96 Code des marchés publics : « Est interdite l'insertion dans un marché de toute clause de paiement différé ». Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 50 Le Contrat de Partenariat en France : Sujet de Controverses et Objet De Paradoxes moins l'un des deux risques suivants : celui de disponibilité ou celui lié à la demande20. Il semble qu’Eurostat ait voulu prendre en compte les efforts menés pour accroître l'efficacité des dépenses publiques et pour améliorer la qualité des services publics dans le cadre des contrats de partenariat. De surcroît, l’initiative de croissance européenne, approuvée par le conseil Européen en décembre 2003, fixe comme un des objectifs de promouvoir l'usage de ces partenariats, notamment afin de développer des infrastructures relatives à la croissance. La question sera évoquée plus en avant mais cette situation a perduré en France jusqu’à la réforme engagée par l’arrêté du 16 décembre 2010 pour la partie relative à la dette d’investissement. En deuxième lieu, une critique opérationnelle, émanant des maîtres d’œuvre (les architectes) a aussi fait grand bruit. En effet, le régime juridique des contrats de partenariat permet de déroger à la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée aux relations dite loi MOP. L’article 12 de l’ordonnance (pour l’Etat) et L 1414-13 du cGcT (pour les collectivités territoriales) disposent que : « Lorsque la personne publique ne confie au cocontractant qu'une partie de la conception des ouvrages, équipements ou biens immatériels, elle peut elle-même, par dérogation aux dispositions du quatrième alinéa de l'article 7 de la loi n° 85-704 du 12 juillet 1985 relative à la maîtrise d'ouvrage publique et à ses rapports avec la maîtrise d'œuvre privée, faire appel à une équipe de maîtrise d'œuvre pour la partie de la conception qu'elle assume ». cette disposition dérogatoire précise très clairement que pour les contrats de partenariat, et dès lors que la personne publique souhaite confier à un architecte en amont la conception architecturale de son projet, ce dernier verrait le principe du contrat unique de sa mission complète prévue par la loi MOP amputé de toutes les phases postérieures aux « avant-projet »21. cette amputation constitue pour les maîtres d’œuvre –les architectes- un manque à gagner sur une mission de base de type MOP et explique les contestations. En troisième lieu, le juge a servi d’intermédiaire pour faire face à la critique institutionnelle. Le gouvernement a créé, avec le décret n° 2004-1119 du 19 octobre 2004 la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat ayant un rôle consultatif incontournable pour les projets de l’Etat et facultatif pour les collectivités territoriales. Le décret n° 2011-709 du 21 juin 2011 est venu modifier celui du 19 octobre 2004 en étendant le champ de compétence de la mission rebaptisée « mission d’appui aux partenariats public-privé » (MAPPP), permettant ainsi de procéder aux analyses et avis des autres modèles contractuels22. Pour les contrats de partenariat, l’organisme d’expertise est chargé d’apporter un appui aux collectivités publiques mais aussi aux acteurs professionnels lors de la préparation des contrats de partenariat. Elle peut rendre une expertise sur l’économie générale de l’opération et aider la personne publique porteuse du projet à procéder à l’étude d’évaluation requise. La mission apporte également un concours pendant la phase d’attribution et de négociation des contrats. Elle est obligatoirement saisie pour avis sur tout projet de contrat de partenariat lancé au niveau de l’Etat ou d’un de ses établissements publics, et doit valider le principe du recours au contrat au regard de l’évaluation préalable qui lui est soumise par le pouvoir adjudicateur. Elle est de nouveau saisie en fin d’attribution afin d’apprécier l’impact sur les finances publiques et la soutenabilité budgétaire du contrat avant sa signature. Les collectivités territoriales, quant à elles, peuvent saisir la MAPPP si elles le souhaitent pour bénéficier d’un avis motivé. cependant, à sa création la MAPPP a été remise en cause par un contentieux initié par le Barreau de Paris. ce dernier se fondait sur une potentielle atteinte à la libre concurrence par le rôle « d’expert » confié à la MAPPP. Les requérants n’ont pas eu gain de cause. Le conseil d’Etat a, en effet, estimé qu’« en chargeant la mission d'appui à la réalisation des contrats de partenariat d'apporter aux personnes publiques qui le lui demandent un appui dans la préparation, la négociation et le suivi des contrats de partenariat, l'article 2 du décret attaqué s'est (20) Le risque de construction couvre notamment la date de mise à disposition du bien, son coût final et sa qualité technique ; ce risque est affecté au secteur public si, par exemple, des loyers sont versés au partenaire privé sans qu’il soit tenu compte de l’état de l’actif au moment de sa mise à disposition ; ainsi pour la MAPPP, « l’obligation de l’Etat de commencer à effectuer des paiements réguliers à un partenaire sans tenir compte de l’état effectif des actifs est la preuve que l’Etat supporte la majorité des risques de construction » ; le risque de disponibilité couvre la mise à disposition de l’actif selon les stipulations contractuelles mais également le maintien de cette disponibilité pendant toute l’exécution du contrat ; il peut être mesuré en fonction du niveau de pénalité appliqué à la personne privée en cas d’indisponibilité ; le risque de demande correspond à la variation de l’utilisation du bien par les usagers. (21) A l’appréciation du comité scientifique pour développement. (22) Il s’agit en particulier des baux emphytéotiques administratifs (BEA) et des autorisations d’occupation temporaire du domaine public (AOT) pour qui l’évaluation préalable au sens de l’ordonnance devient un prérequis pour tous les contrats supérieurs à un million d’euros HT de redevance par an. Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 51 borné à mettre en œuvre la mission d'intérêt général, qui relève de l'Etat, de veiller au respect, par les personnes publiques et les personnes privées chargées d'une mission de service public, du principe de légalité ; (...) que par suite, les dispositions (...) n'ont eu ni pour objet, ni pour effet de méconnaître le principe de la liberté du commerce et de l'industrie et le droit de la concurrence »23. En quatrième et dernier lieu, si la critique n’a pas débordé du cercle des spécialistes, il convient quand même de relever que la définition du contrat de partenariat révèle un périmètre assez discutable et problématique. En effet, pour ne pas chevaucher le champ des délégations de service public, le contrat de partenariat est le support de l’exercice du service public (ouvrages ou équipements nécessaires au service public et autres prestations de services concourant à l'exercice, par la personne publique, de la mission de service public dont elle est chargée). La délimitation entre ce qui relève du service public et ce qui relève du support ou de prestations annexes est évidemment très délicate24. certaines de ces critiques ont trouvé écho dans les positions du législateur venu réformer à plusieurs reprises cette formule contractuelle, pour faciliter son utilisation mais aussi parfois pour l’encadrer. B – Une mise en œuvre réajustée Face à ce flot de critiques et au manque d’engouement des organismes publics pour ce type de contrats25, le législateur et le pouvoir réglementaire se sont emparés de la question. Une succession de réformes est venue consolider, peut-être pas toujours à bon escient, le régime juridique des contrats de partenariats. 1 – La réforme législative du 28 juillet 2008 : loi 2008-735 Le nouveau texte de 2008 devait permettre de remettre la notion de résultats au centre de la démarche contrac- tuelle et de rendre attractive cette formule de coopération entre le secteur public et le secteur privé. Néanmoins, il convient de rappeler que le conseil constitutionnel avait déjà largement encadré le recours à ce type de contrats en précisant son caractère occasionnel26. Dès lors, la loi du 28 juillet 2008 apporte une série d’ajouts au texte de 200427. Au-delà de la possibilité, de céder les créances sous conditions28, de l’opportunité de confier une régie des recettes au partenaire privé ou de certains allégements procéduraux et fiscaux29, le législateur a saisi l’occasion d’introduire dans le régime juridique des contrats de partenariat trois nouveautés essentielles. En premier lieu, le champ d’application a été revu. Dans la version initiale, d’une part, le texte soumis au conseil constitutionnel élargissait les conditions de recours dans certains secteurs souffrant d'un important retard d'investissement : il s’agissait par exemple des universités, des hôpitaux, des commissariats, des prisons, des infrastructures de transport etc... Dans ces domaines, le texte prévoyait que la condition d'urgence serait toujours satisfaite sous la seule réserve que l'évaluation ne soit pas défavorable. ce volet a fait l’objet d’une censure de la part du conseil qui a considéré qu’il avait pour effet de limiter la portée de l'évaluation préalable et d'empêcher le juge d'exercer son contrôle sur le caractère d'urgence30. ce faisant, le conseil a confirmé ses jurisprudences du 26 juin 200331 et du 2 décembre 200432 dans lesquelles il estimait qu'une telle généralisation des contrats de partenariat privait de garanties légales les exigences constitutionnelles inhérentes à l'égalité devant la commande publique, à la protection des propriétés publiques et au bon usage des deniers publics. Néanmoins, le législateur a quand même introduit un nouveau cas d’utilisation de la formule du partenariat, il s’agit du bilan économique favorable prenant place à (23) CE, 31 mai 2006, Avocats du Barreau de Paris, req. n°275987, Rec. p. 272. (24) Sur ce point voir infra. (25) Etat des lieux : à peine 30 contrats signés à la veille de la réforme législative d’où une nécessité de relancer l’outil (172 au 30 avril 2013 – source MAPPP- dont 133 par les collectivités territoriales et 39 par l’Etat). (26) Cons. const., déc., 26 juin 2003, n° 2003-473 DC, loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit : Rec. Cons. const. 2003, p. 382 ; Journal Officiel 3 Juillet 2003 ; JCP A 2003, act. 348. (27) Pour une étude détaillée de ces ajouts, LINDITCH F. (2008), Premier regard sur la loi n°2008-735 du 28 juillet 2008 relative aux contrats de partenariat. JCP A, n°37, p. 17. (28) Pour faciliter le refinancement du titulaire du contrat, le législateur a banalisé le recours à la cession de créance. Le contrat peut donc prévoir qu'une fraction n'excédant pas 80 % de la rémunération due par la personne publique au titre des coûts d'investissement peut être cédée. (29) S’agissant des allègements fiscaux, pour que les contrats de partenariat puissent être comparés et mis en concurrence avec les autres types de commande publique, le législateur leur a accordé une série d'avantages financiers et fiscaux comparables à ceux des marchés publics et destinés à assurer la neutralité de la formule. (30) Cons. const., déc., 24 juill. 2008, n° 2008-567 DC (31) Cons. const., déc., n° 2003-473 DC, préc. (32) Cons. const., déc., n° 2004-506 DC : Rec. Cons. const. 2004, p. 211 ; Journal Officiel 10 Décembre 2004 Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 52 Le Contrat de Partenariat en France : Sujet de Controverses et Objet De Paradoxes côté de la complexité et de l’urgence. L’article 2 de l’ordonnance et L 1414-2 du cGcT prévoient en effet désormais la possibilité de recourir à la formule si « compte tenu soit des caractéristiques du projet, soit des exigences du service public dont la personne publique est chargée, soit des insuffisances et difficultés observées dans la réalisation de projets comparables, le recours à un tel contrat présente un bilan entre les avantages et les inconvénients plus favorable que ceux d'autres contrats de la commande publique. Le critère du paiement différé ne saurait à lui seul constituer un avantage ». Quelques remarques peuvent être avancées sur ce nouveau cas d’utilisation du contrat de partenariat. Il convient de noter tout d’abord que si le critère du paiement différé n'est pas exclu des avantages à prendre en compte, à lui seul, en revanche, il ne peut constituer un avantage. Ensuite, le texte encadre les éléments d’appréciation du bilan par trois critères. Mais la question peut être posée de savoir, au regard de l’amplitude de ces critères permettant une ouverture plus large de l’accès à ces contrats, quelle sera la position du juge administratif. Il est d’ailleurs possible de considérer que ce critère n’a, a priori, rien de juridique car il est superposé à la démonstration de l’analyse comparative avec un schéma de référence dans l’évaluation préalable et il est subordonné à la démonstration de la complexité pour avoir recours au dialogue compétitif dans le cadre de l’application de la directive 2004/18/cE. Faire la seule démonstration d’un bilan économique favorable ouvre droit à une procédure de passation en la forme d’un appel d’offres, excluant dès lors toute négociation ou dialogue avec les opérateurs privés candidats, modèle de passation par excellence du cP33. En deuxième lieu, le législateur a supprimé l’assurance dommage ouvrage obligatoire pour les contrats passés par l’Etat et ses établissements publics. L'objectif recherché était certainement de parvenir à une diminution du coût global des contrats en retirant les frais relativement élevés résultant de l'assurance dommage ouvrage obligatoire. L'article initialement prévu dans le projet englobait tous les contrats quel qu’en soit le partenaire public. Il a été supprimé par le Sénat puis partiellement rétabli par l'Assemblée nationale qui a quand même limité la dispense d'assurance aux seuls contrats de partenariat passés par l'État et ses établissements publics. Sans y voir indubitablement un avantage concédé aux très gros entrepreneurs, il convient tout de même de souligner que l’argument du conseil constitutionnel pour justifier ce traitement différent est très critiquable. En effet, ce dernier a considéré qu'au regard de « la capacité de faire face au risque financier résultant de la défaillance du cocontractant, l'État et ses établissements publics ne se trouvent pas dans une situation identique à celle des collectivités territoriales et de leurs établissements publics ». Si l’Etat est effectivement son propre assureur, le coût en sera quand même supporté par l’ensemble de la collectivité. En troisième lieu, le législateur a autorisé la valorisation patrimoniale des biens du domaine privé des collectivités publiques (les biens du domaine public en sont exclus)34. ce faisant il permet donc aux personnes publiques de diminuer la charge des redevances par « compensation ». Il convient de souligner à ce titre que le texte précise bien qu’il s’agit de valoriser la dépendance domaniale. cela montre théoriquement qu’il ne s’agit pas d’une simple source de revenus. Mais, là encore, la limite entre valorisation et simple profit est difficile à tracer. En outre, les baux ou les droits réels constitués par le titulaire « peuvent être consentis pour une durée excédant celle du contrat de partenariat »35. cette dissociation des durées démontre que l’objectif n’est pas uniquement de valoriser le bien mais aussi de trouver un mode de financement supplémentaire permettant de réduire en conséquence les sommes dues par le partenaire public. Si le législateur a quand même encadré le processus en précisant, d’une part, que la personne publique devra expressément formuler son accord pour chacun des baux consentis au titulaire du contrat de partenariat et, d’autre part, que le contrat déterminera dans quelles conditions les revenus issus de la valorisation du domaine privé par le titulaire viendront diminuer le montant de la rémunération versée par la personne publique, il n’en demeure pas moins qu’il revient au conseil constitutionnel d’avoir recadré le principe en précisant qu’au terme du contrat de partenariat, les baux ainsi consentis seraient transférés à la personne publique36. Mais le (33) CHAMMING’S G. (2011), Le droit français de la commande publique à l’épreuve du contrat de partenariat. Du partage des risques à la réforme de l’Etat, Thèse, Bordeaux IV, p. 354-363 (34) « [...] si le titulaire du contrat est autorisé à valoriser une partie du domaine de la personne publique dans le cadre du contrat de partenariat, cette dernière procède, s'il y a lieu, à une délimitation des biens appartenant au domaine public. La personne publique peut autoriser le titulaire à consentir des baux dans les conditions du droit privé, en particulier des baux à construction ou des baux emphytéotiques, pour les biens qui appartiennent au domaine privé, et à y constituer tous types de droits réels à durée limitée. L'accord de la personne publique doit être expressément formulé pour chacun des baux consentis au titulaire du contrat de partenariat » (CGCT, art. L. 1414-16). (35) CGCT, art. L. 1414-16. (36) Cons. const., déc., 24 juill. 2008, n° 2008-567 DC Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 53 montant des recettes ne sera logiquement pas connu au moment de la conclusion du contrat et son estimation, délicate à envisager, est d’une grande importance à l’heure de valoriser l’hypothèse d’un recours à ce type de financement. Si l’ensemble de ces éléments a permis de relancer la confiance et l’engouement des collectivités publiques pour un tel contrat, la crise en cours a redonné aussi une certaine impulsion au développement des partenariats comme en témoigne la loi pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement dans le cadre du Plan de relance pour l’économie (ci-dessous LAPcIPP)37. 2 – La loi du plan de relance : LAPCIPP 2009-179 du 17 février 2009 La loi pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement dans le cadre du Plan de relance pour l’économie vient répondre à l’annonce faite par le Président de la République de l’époque de la mise en place d’un plan de relance visant à faire face à la crise financière. Elle ajoute notamment certains éléments permettant aux contrats de partenariat, instruments susceptibles de relancer l’investissement public, de faire face aux difficultés d’accès au financement. Au-delà d’éléments comme la possibilité d’obtenir une garantie rémunérée sous conditions de la part de l’Etat pendant deux ans, afin de faciliter le financement de projets dont la réalisation est jugée prioritaire comme les grands équipements, la loi modifie une fois de plus la définition du contrat et permet le caractère ajustable des modalités de financement. D’une part, l'article 14 du texte modifie la définition même du contrat de partenariat, dans sa composante relative au financement. Le texte initial ne mentionnait pas spécifiquement si le financement assuré par le partenaire était total ou s'il pouvait être partiel. Désormais le titulaire du contrat de partenariat peut assurer tout ou partie du financement. Par conséquent, dans ce contexte de crise, les possibilités de cofinancement sont désormais explicitement admises entre le partenaire privé et la puissance publique. Une collectivité publique peut donc bénéficier des avantages du partenariat public-privé, tout en en assurant une partie du financement. Si l’idée d’une dénaturation a pu être avancée par certains, critiquée par d’autres38, il convient de relever que le texte limite la portée de la disposition en interdisant, sauf pour certains contrats39, à la personne publique de participer au capital de la société de projet éventuellement créée pour être titulaire du contrat. La mise en place de partenariats public-privé institutionnalisés n’a donc pas été consacrée par le texte40. D’autre part, l’article 13 de la LAPcIPP41 autorise une personne publique à prévoir, dans le cadre de la procédure de passation, que les modalités de financement indiquées dans l'offre finale aient un caractère ajustable. Il s'agit de pallier la réduction de l'offre de financement bancaire pour les grands projets qui ne permettent pas aux candidats de remettre une offre finale avec un financement complet. cette possibilité est introduite pour les années 2009 et 2010 et doit être annoncée dans l'avis d'appel public à la concurrence. Le conseil constitutionnel a validé cette disposition mais sous une réserve d'interprétation. Selon sa décision42 « ces dispositions ne sauraient avoir pour effet de remettre en cause les conditions de mise en concurrence en exonérant la collectivité de l'obligation de respecter le principe du choix de l'offre économiquement la plus avantageuse » et « ne sauraient davantage avoir pour effet de permettre au candidat pressenti de bouleverser l'économie de l'offre de partenariat ». Si l’initiative pouvait être opportune pour des projets à gros investissements, la pratique a su utiliser le texte à la lettre pour en éviter l’application dans le cadre des projets modestes. Il s’est agi, tout simplement, de ne pas relever la possibilité dans l’avis d’appel public à concurrence. (37) Loi n°2009-179 du 17 février 2009 dite LAPCIPP – loi pour l’accélération des programmes de construction et d’investissement dans le cadre du Plan de relance pour l’économie. (38) François Tenailleau, « Les contrats de partenariat, la crise financière et la loi », JCP A, n° 14, 30 Mars 2009, 2078. (39) Il s'agit des contrats de partenariat conclus par les collectivités territoriales et leurs établissements publics. Le financement définitif doit être majoritairement assuré par le prestataire privé, sauf pour les contrats dont le montant est supérieur à un seuil, qui doit être déterminé par décret. Lors des débats parlementaires il a été précisé que ce seuil serait conçu pour ne concerner que les projets pour lesquels les financements publics et parapublics sont structurellement majoritaires, en particulier le projet de canal Seine-Nord Europe, mais aussi des lignes à grande vitesse ou des grands stades. (40) PPPI droit de l’UE. Com (2007) 6661 du 5 février 2008 concernant l'application du droit communautaire des marchés publics et des concessions aux partenariats public-privé institutionnalisés. (41) Article 13 « En 2009 et 2010, par dérogation aux articles 7 et 8 de l'ordonnance n° 2004-559 du 17 juin 2004 sur les contrats de partenariat et aux articles L. 1414-7, L. 1414-8, L. 1414-8-1 et L. 1414-9 du code général des collectivités territoriales, la personne publique peut prévoir que les modalités de financement indiquées dans l'offre finale présentent un caractère ajustable. Mention en est portée dans l'avis d'appel public à la concurrence. Le candidat auquel il est envisagé d'attribuer le contrat présente le financement définitif dans un délai fixé par le pouvoir adjudicateur ou entité adjudicatrice. A défaut, le contrat ne peut lui être attribué et le candidat dont l'offre a été classée immédiatement après la sienne peut être sollicité pour présenter le financement définitif de son offre dans le même délai ». ‘42) Cons. const., déc., 12 février 2009, n° 2009-575 DC Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 54 Le Contrat de Partenariat en France : Sujet de Controverses et Objet De Paradoxes 3 – Des dispositions réglementaires isolées Deux autres dispositions réglementaires viennent compléter le dispositif général allant cette fois dans le sens d’un encadrement plus strict du recours à de tels contrats. La première répond à la critique relative au problème de la déconsolidation de la dette. L’arrêté du 16 décembre 201043 réforme les instructions budgétaires et intègre dans la comptabilité publique la part investissement des contrats de partenariat. Il ne sera donc plus possible de déconsolider la dette d’investissement. La deuxième durcit les dispositions relatives aux modalités de passation44. Désormais, « tout contrat de partenariat dont la conclusion est envisagée par l'Etat ou par un établissement public de l'Etat doté d'un comptable public donne lieu à une étude réalisée par le pouvoir adjudicateur visant à évaluer l'ensemble des conséquences de l'opération sur les finances publiques et la disponibilité des crédits et, lorsqu'il emporte occupation du domaine public ou privé de l'Etat, sa compatibilité avec les orientations de la politique immobilière de celui-ci ». Pour les établissements publics de santé, les conditions du recours au contrat de partenariat ont aussi été renforcées en révisant les articles R 6148-1 et suivants du code de la santé publique. Pour terminer, il convient de noter que ces deux décrets, pourtant d’importance, sont passés sans grand bruit. Or, le premier est particulièrement intéressant dans la mesure où s’il empêche de déconsolider la part relative à l’investissement du contrat, il laisse intacte la part consacrée aux dépenses de fonctionnement. ces éléments amènent tout naturellement à aborder le contrat de partenariat en tant qu’objet de paradoxes. II – Le contrat de partenariat en France : objet de paradoxes S’il devait être identifié un seul paradoxe à mettre en exergue, nous le trouverions dans le sous-titre même de ce symposium « entre nécessité publique et expertise privée »45. Peut-être parce qu’il n’existe aucune définition juridique des partenariats public-privé, le curseur de l’effectivité du « partenariat » proprement dit ne dispose pas de cadre normatif. Et c’est sans doute de ces imprécisions, à défaut de vide, que nous pouvons observer tous ces paradoxes d’une nécessité publique souvent mal définie et d’une expertise privée qui peine parfois à s’inscrire dans un mode de contractualisation où ledit objectif d’effectivité performantielle ne rime pas toujours avec l’efficacité recherchée. A cet égard, il ne faudrait pas perdre de vue que la destination in fine de ce partenariat n’est autre que la satisfaction d’un service public auprès des usagers. Dès lors, si nous devions être aujourd’hui des spécialistes de la photographie monochrome, nous pourrions faire un arrêt sur image et voir des paradoxes tant en négatif qu’en positif. A – Les paradoxes en négatif : objectif de nécessité publique oubliée Parce qu’il semblait incontournable de donner un cadre sécurisé aux montages partenariaux dont l’ingénierie juridique s’était jusque-là emparée, il pouvait être légitimement attendu des résultats d’efficience alors même que le conseil constitutionnel avait imposé un statut dérogatoire aux contrats de partenariat des mécanismes de « droit commun » de la commande publique. En effet, il est bien difficile dans la pratique de remettre en cause les vertus d’un modèle contractuel où l’expertise privée s’affiche comme un symbole d’efficacité, fusse au nom de la contractualisation globale, là où les personnes publiques, promptes à user de la maîtrise d’ouvrage publique traditionnelle, se heurtent à la langueur d’un système favorisant le dépassement des délais et des budgets. Outre les controverses à la naissance de l’outil en droit français qui fêtera bientôt son dixième anniversaire, il est loisible de relever des paradoxes emportant des effets contraires aux vertus louées tenant d’une part, aux principes même de la constitution française et d’autre part, à l’office du juge administratif. 1 – les incohérences de traitement entre les personnes publiques et leurs effets préjudiciables à la nécessité publique c’est à l’article 34 de la constitution française de 1958 que l’on trouve la source de tous les paradoxes engageant un traitement différencié dans la passation des contrats de partenariat entre l’Etat et les collectivités territoriales. Au nom du principe de la libre administration de ces dernières, l’Etat n’a aucun droit de regard a priori sur une décision (43) Arrêté du 16 décembre 2010 relatif à l'instruction budgétaire et comptable M. 14 applicable aux communes et aux établissements publics communaux et intercommunaux à caractère administratif (JORF n°0297 du 23 décembre 2010 page 22566). (44) Décret n° 2012-1093 du 27 septembre 2012 complétant les dispositions relatives à la passation de certains contrats publics (JORF n°0227 du 29 septembre 2012 page 15356). (45) XIIème symposium international, MDI Business Scholl, Partenariat public-privé : bilan et perspectives. Entre nécessité publique et expertise privée. Alger, 26 et 27 mai 2013 Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 55 d’engager une procédure puis de signer un contrat de partenariat, sans préjudice du contrôle du magistrat financier a posteriori. c’est pourquoi, le texte de l’ordonnance dispose de deux grands titres, l’un relatif aux contrats de partenariat de l’Etat et l’autre à ceux des collectivités, codifié dans le code général des collectivités territoriales aux articles L 1414-1 et suivants. cette distinction n’est pas sans conséquence en divers détails dont celui, très en amont, de l’avis de l’organisme expert en la matière, la MAPPP. Si aucune personne publique, quelle que soit sa qualité, n’est épargnée de la nécessité de parfaire à la rédaction d’une évaluation préalable permettant de mettre en exergue un critère d’éligibilité dérogatoire permettant d’engager une procédure de contrat de partenariat, les collectivités territoriales ont un accès facultatif pour avis à la mission alors même que 75% des contrats signés émanent des territoires locaux. projets en bail emphytéotique hospitalier46. Tout projet en contrat de partenariat d’un établissement public de santé relève à présent de la MAPPP. Au surplus, l’avis, émanant de l’ANAP ou de la MAPPP, sera émis sur la base de l’évaluation préalable assortie d’une étude de soutenabilité budgétaire du projet dans les comptes de l’établissement et dans le temps. c’est alors que le décret impose que l’avis soit transmis à l’Agence Régionale de la Santé (ARS) qui a un mois pour l’adresser à des instances ministérielles désignées, qui ont elles-mêmes un mois pour formuler une autorisation d’engager la procédure. A l’issue de la procédure, alors qu’un attributaire est désigné, le contrat (ou le bail emphytéotique) mis au point, l’établissement de santé doit transmettre le projet finalisé à l’ARS qui dispose d’un mois pour le transmettre aux ministères sus désignés, qui ont encore un mois pour donner leur autorisation de signer à l’établissement public de santé. Si certaines collectivités sont diligentes à consulter la mission dans un objectif, pas toujours avoué, de légitimer le projet devant une assemblée délibérante pouvant être opposante, grand nombre d’entre elles ne font pas la démarche par manque de temps dans le calendrier de l’opération ou simplement pour ne pas à avoir à ressentir un pouvoir d’ingérence. Alors même que l’avis donné est consultatif, et donc qu’il ne lie pas l’exécutif, il est aisé d’affirmer que la situation, en cas d’avis négatif, peut paraitre bien incommodante. Bien que l’on relève que le silence des ministères vaut acceptation, on ne peut que constater dans la pratique une dérive flagrante quant à l’allongement de la procédure soit environ de 6 à 8 mois pour les deux temps de validation imposés par le décret et dans le meilleur des cas. Dans le même esprit et sauf à faire mention de la proportionnalité de l’opération en charges annuelles au moment où il convient de solliciter l’accord de l’assemblée délibérante (conseil municipal par exemple), les collectivités territoriales n’ont donc pas à satisfaire à la démonstration de leurs capacités financières avant la mise en œuvre d’un projet dans sa procédure de passation comme dans son exécution. Si l’on peut s’offusquer d’un tel libéralisme local quant à la gestion des deniers publics, il n’en va pas de même pour les projets portés par l’Etat et particulièrement par ceux engagés par les établissements publics de santé relevant du titre I de l’ordonnance consolidée, comme les autres services de l’Etat. En effet, le récent décret susmentionné n°2012-1093 du 27 septembre 2012 complétant les dispositions relatives à la passation de certains contrats publics dit de soutenabilité budgétaire a instauré de nouvelles étapes de validation dans le processus de contractualisation en partenariat public-privé venant animer de lourdes contraintes promptes à détruire purement et simplement l’outil. Ainsi, l’avis consultatif de l’ANAP pour les opérations hospitalières d’une façon générale a été réduit aux seuls Et là réside tous les paradoxes dès lors qu’un avis négatif ou qu’un défaut d’autorisation survient à l’une de ses étapes. Dès lors, et dans le meilleur des cas, l’avis négatif émane de l’un des organismes experts – ce dernier orientant alors généralement l’établissement sur une faisabilité dans un modèle relevant de la maîtrise d’ouvrage publique ne nécessitant lui aucune autorisation – et l’établissement aura perdu tous les temps de préparation du rapport d’évaluation préalable, de soumission, d’attente de réponse et de frais de conseils. Sans préjudice de la possibilité juridique de consulter pour avis l’autre organisme, non engagée dans les usages, les nouvelles obligations réglementaires génèrent par ricochet des déficiences non négligeables en termes de gestion des deniers publics. En effet, outre le temps perdu, l’établissement engagera son projet au moyen d’un outil où il conserve la maitrise d’ouvrage en se privant de façon combinatoire tant de la réalisation de ses objectifs initiaux que de l’expertise du privé au regard des engagements de performances et du partage des risques qu’il aurait pu espérer avec un PPP de type contrat de partenariat ou un bail emphytéotique hospitalier. Plus paradoxal encore, l’usage met en exergue qu’alors même qu’un contrat de partenariat pourrait être parfaitement éligible sur un projet, le refus de l’ANAP à la contractualisation d’un BEH, dont la saisine est « naturelle », obère toute possibilité pour l’établissement de (46) Les BEH sont le fruit de l’ordonnance Santé en 2003 (précitée) codifiée à l’article L 6148-2 du code de la santé publique. Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 56 Le Contrat de Partenariat en France : Sujet de Controverses et Objet De Paradoxes recourir à un PPP. Ainsi, et dans le cas d’un établissement de santé aux souplesses budgétaires très fragiles, il lui reste la seule possibilité de s’endetter directement en ayant recours à l’emprunt sans pouvoir bénéficier d’une maitrise d’ouvrage privée et sans être exempt des dérives budgétaires et temporelles de la maitrise d’ouvrage publique. 2 – les ricochets contrariants de l’office du juge administratif Alors que dans le cadre du critère de l’urgence, il est entendu par le texte47 pour l’Etat et par la jurisprudence pour les collectivités territoriales48 que les personnes publiques n’ont pas à justifier les causes du retard induisant l’urgence alors même que ce critère n’est quasiment jamais utilisé tant l’appréciation juridique ne tient pas compte dans la pratique de la perception purement fonctionnelle de la nécessité d’agir « vite », le critère de la complexité a récemment subi un néfaste revers par le juge administratif bordelais49. En effet, et alors que la doctrine pouvait déplorer la rareté de la jurisprudence en la matière des contrats de partenariat, elle intervient là où elle n’est pas attendue avec pour conséquence de remettre en cause la notion de complexité telle qu’utilisée depuis 2004 conformément à la directive européenne 2004/18/cE. En l’espèce, pour la rénovation de son musée de la mer et la construction simultanée d’une cité du surf en un site distinct, la ville de Biarritz a engagé en amont un concours de maitrise d’œuvre pour définir le parti architectural du projet et ainsi son programme fonctionnel. Le juge administratif de la cour administrative de Bordeaux revient sévèrement sur le caractère complexe du projet, justifiant le contrat de partenariat comme modèle contractuel dérogatoire, et dans un considérant lapidaire parait remettre en cause, bien au-delà de l’espèce, tant le rapport d’évaluation préalable que l’avis de la MAPPP, alors consultée dans le cadre de la faculté offerte à la ville : « considérant que le contrat de partenariat constitue une dérogation au droit commun de la commande publique, réservée aux seules situations répondant aux motifs d'intérêt général les justifiant ; que répondent à un tel motif, outre l'urgence qui s'attache à la réalisation du projet, sa complexité, entendue comme mettant objectivement la personne publique dans l'impossibilité de définir, seule et à l'avance, les moyens techniques répondant à ses besoins ou d'établir le montage financier ou juridique du projet ; que l'incapacité objective de la personne publique à définir seule ces moyens doit résulter de l'inadaptation des formules contractuelles classiques à apporter la réponse recherchée ; que la démonstration de cette impossibilité incombe à la personne publique, et ne saurait se limiter à l'invocation des difficultés inhérentes à tout projet ; qu'à cet égard, ni le rapport final d'évaluation préalable, ni l'avis de la mission d'appui au partenariat public privé ne sauraient constituer, devant le juge, la preuve de la complexité invoquée ; que la possibilité ouverte à la collectivité publique par l'article L. 1414-13 de ne confier à son cocontractant qu'une partie de la conception de l'ouvrage ne saurait la dispenser de justifier de son incapacité à mener à son terme la part de l'ouvrage réalisée en partenariat, du fait de sa complexité ». L’enseignement qui peut être tiré de cet arrêt ne tend pas à favoriser le recours à des études de conception en amont d’une procédure en contrat de partenariat et bien que très peu utilisé dans la pratique, les personnes publiques préférant engager des consultations « parfaitement » globales emportant la conception, la construction, l’entretien et la maintenance des ouvrages, cette position n’est pas encline à taire toutes les controverses avec les maitres d’œuvre. Tout aussi paradoxalement, il peut être aisé de s’interroger sur la légitimité, pourtant recherchée, d’un avis de la mission d’appui alors même que celui-ci est facultatif. Si l’on peut ainsi constater tous ces effets négatifs qui ont perdu de vue depuis longtemps cette nécessité publique qui nous préoccupe, il peut être observé par l’usage, bien au-delà des textes et des polémiques conjoncturelles, des éléments positifs et prometteurs. B – Les paradoxes en positif : une réponse aux controverses Si les controverses ont alimenté les débats depuis dix ans et si certaines n’ont plus lieu d’être tel le maquillage de l’endettement public depuis la réforme des instructions budgétaires et comptables pour les collectivités territoriales du 16 décembre 2010, il serait arbitraire et subjectif de ne pas mettre en exergue les retours de la pratique et l’observation des usages permettant de mener une réflexion prospective sur ce que pourrait être le contrat de partenariat de demain. 1 – l’existence de mécanismes contractuels bienfaiteurs De formulation discrète dans la définition du contrat de partenariat, son régime juridique autorise l’intégration dans le périmètre du contrat de « prestations concourant à l’exercice des missions de services publics ». L’approche est (47) Article 2 de l’ordonnance consolidée 2004-559 du 17 juin 2004 (48) CE, 23 juillet 2010, Sieur A et SNESO, req. 326544, publié au Recueil (49) CAA Bordeaux, 26 juillet 2012, Ville de Biarritz, req. 10BX02109 Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 57 sensible pour toucher de près la philosophie même du contrat de partenariat en ce qu’il n’est pas un outil de gestion du service public mais seulement son support. A l’égard de cette notion à prendre dans sa globalité, on relèvera rapidement que la doctrine est divisée. certains réfutent toute intégration du service public dans la sphère du contrat de partenariat50, d’autres affirment que la chose est d’ores et déjà possible51 ou encore proposent une approche moins manichéenne, intermédiaire en tentant de tracer une ligne, à défaut de frontière, entre ce qui relève du service public et ce qui seulement y concoure52. Ainsi et de ce postulat, le contrat de partenariat peut intégrer en son sein des prestations, ne relevant pas d’une mission de souveraineté dans le respect de la réserve constitutionnelle53, qui ont pour objectif de lier le titulaire privé avec les performances sur l’ouvrage auxquelles il est contractuellement engagé et donc soumis à un mécanisme de pénalités pour non réalisation. Traditionnellement dévolues de façon accessoire dans le cadre d’une délégation de service public ou confiées aux agents publics dans le cadre d’une exploitation en régie, ces prestations ont l’ambition d’enrayer la gestion des interfaces de superposition des modèles contractuels dont un a pour objet le seul ouvrage et l’autre la gestion proprement dite du service. D’une façon tout aussi cartésienne, on peut aussi relever que le contrat de partenariat, sans préjudice des clausierstypes de la MAPPP qui ont pu venir sécuriser les utilisateurs publics, est un contrat qui n’a rien de standardisé. Ainsi, chaque contrat a sa propre singularité en raison de son objet mais aussi en raison des parties en présence, de leur aversion aux risques, de leur degré d’appropriation de l’outil permettant un ajustement des clauses pour la prise en considération d’éléments pouvant toucher aux aspects techniques, aux engagements de responsabilité ou aux paramètres financiers. Ainsi, le contrat de partenariat dispose d’une souplesse paramétrable. Les mécanismes financiers de préfinancement et de cristallisation anticipée des taux avant la mise à disposition en sont un exemple intéressant à observer qui, en ces périodes de crise économique, sont favorables aux personnes publiques par la baisse substantielle des taux d’intérêt. Dès lors, la vigilance et la mise en place d’un observatoire des taux avec les prêteurs sur un projet donné peuvent emporter, sur la dette d’investissement, un gain non négligeable sur toute la durée du contrat. Un paradoxe singulier s’il en est, là où certains clament les coûts exorbitants de préfinancement privé. Enfin, on peut également relever les bénéfices d’externalités dites « positives » ou identifiés par la MAPPP comme des « avantages sociaux économiques », qui induisent des conséquences positives par ricochet de la mise en œuvre d’un contrat de partenariat. Ainsi, respectueux des délais par application contractuelle, les contrats de partenariat vont permettre d’exploiter un service public plus tôt, plus vite qu’une maitrise d’ouvrage publique classique et ainsi générer des gains ou créer des emplois avant cette dernière. 2 – les effets salvateurs de la globalité contractuelle Bien que dérogatoire aux outils dits de droit commun de la commande publique – c'est-à-dire dérogatoire à la maitrise d’ouvrage publique soumise au code des marchés publics prohibant le paiement différé (article 96) et faisant de l’allotissement son principe directeur (article 10)-, le contrat de partenariat initie le concept de globalité ayant pour objet de confier à un partenaire privé tant la construction voire la conception que l’entretien et la maintenance d’un ouvrage. Il pourrait être opposé que le titulaire dudit contrat regroupe plusieurs entreprises qui se lient contractuellement pour porter une opération dans son ensemble souvent en la forme d’une société ad hoc. cependant, la personne publique est liée contractuellement avec une seule entité juridique et les défaillances de l’un emportent la responsabilité du seul titulaire sans qu’il puisse se soustraire à ses obligations. On retrouve également ces mécanismes, en des régimes juridiques cependant différents, dans les baux emphytéotiques associés à une convention non détachable. Le Décret n° 2011-2065 du 30 décembre 2011 relatif aux règles de passation des baux emphytéotiques administratifs illustre parfaitement cette gémellité. La performance ne commence-t-elle pas là ? Elle est l’atout majeur du modèle partenarial. Associée aux partages des risques, la notion de performance constitue le cœur de l’objectif fondamental des contrats globaux, gage de la pérennité d’un ouvrage et surtout de la disparition du syndrome de la détérioration et de l’obsolescence des équipements publics. Faut-t-il seulement que les personnes publiques soient en mesure de définir leur véritable besoin et, dès lors, d’identifier les bons indicateurs qui permettront de mesurer la performance et d’en pénaliser le défaut de réalisation. Une récente étude menée par la chaire PPP de l’Université Panthéon Sorbonne54 a mis en évidence des résultats (50) DELELIS P., (2010), Contrat de partenariat et exploitation du service public. AJDA, p. 2244 (51) RAYNAUD T. (2010), Les amours contrariées du contrat de partenariat et du service public. BJCP, n° 70, p. 166 52 CHAMMING’S G. (2011), Le droit français de la commande publique à l’épreuve du contrat de partenariat. Du partage des risques à la réforme de l’Etat, Thèse, Bordeaux IV, p. 449-455 (53) Cons. Const., 26 juin 2003, DC n°2003-473, considérant 19 (54) http://chaire-eppp.org/performance-contrats-de-partenariat Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 58 Le Contrat de Partenariat en France : Sujet de Controverses et Objet De Paradoxes positifs à l’association de la construction et de la maintenance et donc à la globalité contractuelle. Le paradoxe se voit donc confirmé par ces évidences. Conclusion Que manque-t-il à la culture contractuelle publique française pour que les controverses et le bon sens s’harmonisent ? Que manque-t-il au droit de la commande publique en France pour que ces paradoxes d’aujourd’hui soient le droit commun de demain ? S’il est entendu de façon unanime que toute forme de PPP n’a pas nécessairement de bien fondé pour tous les usages, il demeure que dans une logique d’effectivité et d’efficience pour des opérations lourdes et complexes, tant pour les collectivités territoriales que pour l’Etat et ses établissements, le montage partenarial de type contrat de partenariat de l’ordonnance de 2004 sait tirer son épingle du jeu et démontrer ses atouts loin de scandales médiatisés isolés. comme élément probant, on relèvera que les autres modèles de type bail emphytéotique administratif ou autorisation d’occupation temporaire n’ont de cesse que d’épouser des éléments du régime juridique des contrats de partenariat par mimétisme. Néanmoins, il reste deux grands verrous à ouvrir, certes en douceur, d’une part, sur l’approche dérogatoire des PPP qui pourrait se voir de droit commun quand la nécessité publique l’impose et d’autre part, sur le périmètre même du contrat dit global qui le serait totalement s’il prenait la mesure de sa mission sans interface et sans préjudice du caractère souverain ou régalien de certaines d’entre elles. De la recherche de ces performances et il y a plus de trente ans, le Professeur H.G Hubrecht avait décrit cette forme de modèle en les désignant comme des « contrats de service public à dévolution innomée »55. Enfin, la pratique du contrat de partenariat permet d’observer et de confirmer des positions affirmées de la doctrine56 relatives à la nécessaire création d’un véritable code de la commande publique pour remettre de l’ordre dans la boite à outil. Entre controverses et paradoxes, la réforme en cours des directives marchés sera peut-être la clé... ? Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 59 Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 60 Vers une renaissance du Secteur-Public en Allemagne : Le Méga-Trend de la re-communalisation des concessions municipales ResUMe ABstRAct Alors que les Partenariats Public-Privé (PPP) sont souvent présentés comme une panacée, après deux vagues de développement des PPP qui se sont déroulées en Allemagne au début des années 1980 et des années 1990, ces accords de « privatisation partielles » sont maintenant de plus en plus contestés Outre-Rhin. La cause en est que sur le long terme, les PPP répondent de moins en moins à leurs deux principaux objectifs de baisse des prix et d’amélioration de la qualité des prestations. cela explique que lorsque l’opportunité se présente, notamment à l’expiration des concessions, les municipalités allemandes ont maintenant tendance à recommunaliser les services- publics qui avaient historiquement été concédés à des partenaires privés. Après avoir exposé dans une première partie l’histoire des PPP en Allemagne, cet article analyse au début de la seconde partie les déterminants généraux de l’évolution actuelle des flux de PPP dans ce pays. La seconde partie se termine par l’examen détaillé de deux cas exemplaires de re-communalisation. A partir des arguments développés dans ces deux parties, la conclusion fournit des recommandations pour le management des missions de service-public, sans oublier par ailleurs de proposer également des prolongements à l’attention des chercheurs. While Public-Private Partnerships (PPPs) are often presented as a panacea, after two waves of PPP development which took place in Germany in the early 1980s and 1990s, these "partial privatization” agreements are now more increasingly challenged in Germany. The reason is that in the long term, PPP respond less to their two main goals of lower prices and improved service quality. This explains why when the opportunity presents itself, including the expiration of concessions, German municipalities now tend to re-communalize public services that had historically been granted to private partners. After exhibiting in a first part the history of PPP in Germany, this paper analyzes the beginning of the second part of the broader determinants of current developments flows PPP in the country. The second part ends with a detailed two exemplary cases of re- municipalization review. From the arguments in these two parts, the conclusion provides recommendations for the management of public service missions , not forgetting also propose extensions to the attention of researchers. Keywords: Public-Private Partnerships, Public-Sector, Service-Public, Privatization, Outsourcing, Insourcing, Re-Outsourcing, Re-Municipalization, Concession, Board, Monopoly, Corruption. Mots-clés: Partenariat Public-Privé, Secteur-Public, Service-Public, privatisation, impartition, internalisation, re-impartition, re-communalisation, concession, régie, monopole, corruption. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 61 Jacques LIOUvILLE Université de Strasbourg INTRODUCTION Les Partenariats Public-Privé (PPP) sont perçus dans de nombreux pays comme un instrument permettant d’augmenter l’efficacité du Secteur-Public, ce qui justifie la multiplication de ce type de structure. L’Allemagne n’a pas échappé à cette tendance, le développement des PPP, ou de l’externalisation pure et simple, ayant eu lieu principalement en deux vagues. La première vague a émergé dans un environnement idéologique, où il était jugé que le Secteur- Public était moins efficace que le Secteur-Privé, sans que cette différence ait par ailleurs toujours été évaluée dans le cadre de travaux scientifiques rigoureux. En Allemagne, la perception du « Privat is beautifull» a commencé à se diffuser au début des années 1980, lorsque la Droite allemande (cDU & cSU) a remporté les élections au détriment du parti social- démocrate, le SPD. Le gouvernement du chancelier Helmut Kohl, qui a succédé au chancelier Helmut Schmidt, s’est inspiré du trend initié par Ronald Reagan aux USA et Margareth Thatcher en Grande- Bretagne et a favorisé la libéralisation et la privatisation du Secteur-Public en Allemagne de l’Ouest. En fait, ce changement de cap ne reposait pas que sur des fondements idéologiques. En effet, il est utile de rappeler qu’à l’époque la crise économique sévissait dans les secteurs de la seconde révolution industrielle. Par conséquent, la participation beaucoup plus large des entreprises privées à la réalisation des missions de service-public arrivait à point pour dynamiser leur portefeuille d’activités et ainsi compenser le recul de leur chiffre d’affaires dans les industries en déclin. La seconde vague de croissance des PPP (ou ÖPP en allemand, pour Öffentlich Private Partnerschaften) en Allemagne date du début des années 1990, juste après la chute du Mur de Berlin et la réunification allemande. En effet, à cette occasion, la suprématie du système économique capitaliste par rapport au système communiste a été établie de manière flagrante et indiscutable. cette vision s’est imposée d’autant plus aisément en Allemagne que le pays était directement touché par le manque de compétitivité des entreprises de l’ex-Allemagne de l’Est. En effet, dans le cadre du système d’économie planifiée des pays intégrés dans l’espace du cOMEcON, les entreprises de l’ex- RDA avaient des débouchés garantis dans cet espace économique socialiste. La sortie du Pacte de varsovie de l’ex-RDA à l’heure de la réunification allemande a entraîné en parallèle pour ses entreprises la perte en Europe de l’Est de marchés captifs et ayant une structure monopolistique. Par ailleurs, quasiment 90% des entreprises socialistes de l’ex-RDA ont disparu en l’espace de quelques mois, lorsque le Deutsche-Mark est devenu la monnaie officielle, en remplacement de l’Ost-Mark. Alors qu’avant l’unification de la monnaie le taux de change était de l’ordre de 5 à 7 Ost-Mark pour 1 Deutsche-Mark (DM), la fixation de la parité à 1 contre 1 a fait perdre en une nuit leur compétitivité par les prix aux entreprises de l’ex-RDA. Par conséquent, la faillite soudaine du système économique de l’ex-RDA a renforcé l’idée de la supériorité des entreprises privées. En outre, la réunification allemande a entraîné des transferts financiers gigantesques de l’Allemagne de l’Ouest vers l’ex-RDA. Ainsi, selon Oskar Lafontaine, ancien Ministre des Finances du premier gouvernement Schröder, le montant total de ces transferts aurait déjà excédé 1000 milliards de DM au cours des 5 premières années d’existence de l’Allemagne réunifiée. Pour financer ces transferts, tous les acteurs économiques ont été mis à contribution, y compris les collectivités locales, dont les budgets ont été revus à la baisse. Par conséquent, les collectivités locales qui étaient florissantes avant la réunification ont été contraintes de privatiser des éléments de leur patrimoine pour équilibrer leur budget. ces événements ont eu pour conséquence que selon une enquête menée en 2007 par la société de consulting Ernst & Young, au moins un tiers de l’ensemble des communes allemandes et plus de 70% des grandes villes (population > 200 000 habitants) avaient à cette date privatisé partiellement ou complètement des activités relevant des missions du secteur-public. Dans les communes et villes concernées, les activités privatisées représentent en moyenne 40% de l’enveloppe budgétaire des missions de service-public et 75% de ces activités ont été externalisées sous la forme de PPP. ces données confirment que les PPP ont constitué jusqu’à un passé très récent un instrument important des politiques publiques en Allemagne. cette tendance demeure vigoureuse, sachant que dans le cadre de 2 enquêtes effectuées en 2010 et 2011 par Ernst & Young auprès d’un échantillon de 300 communes allemandes, il a été établi que respectivement 37% des communes interrogées en 2010 et 43% de celles questionnées en 2011 envisageaient de poursuivre les privatisations d’activités étant mises normalement à leur charge. cependant, a-contrario, les données présentées ci-devant conduisent à conclure que la majorité des communes n’envisage pas de mettre en œuvre des PPP et préfère conserver en interne la maîtrise de toutes les activités relevant de l’exercice des missions de service-public. ce constat d’une préférence de la majorité des communes pour la stratégie d’internalisation est renforcé par les résultats d’une enquête récente relativement à la reconduite de concessions devant parvenir prochainement à échéance. En effet, seulement en ce qui concerne l’électricité et le gaz, plusieurs milliers de concessions communales doivent arriver à échéance avant 2016. Or, la majorité des communes concernées déclarent étudier la possibilité de recommunaliser les activités correspondantes. cette volonté est notamment renforcée par le fait qu’à la suite de litiges Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 62 Vers une renaissance du Secteur-Public en Allemagne : Le Méga-Trend de la re-communalisation des concessions municipales avec les opérateurs privés, 170 concessions ont déjà été re-communalisées depuis 2007 et les effets de cette reprise en main se sont généralement révélés positifs, tant pour les communes que pour les usagers. ces résultats expliquent que dans le seul secteur de la distribution d’électricité, 60 communes allemandes de petite et moyenne taille ont pris la décision entre 2007 et 2011 de créer leur propre régie. L’objectif principal de cette contribution est d’aider à comprendre pourquoi en Allemagne un double mouvement s’observe actuellement en matière de PPP : D’une part, une tendance de certaines communes à renforcer les privatisations est perceptible, alors que d’autre part, des communes adoptent une stratégie inverse et décident de ne pas renouveler des concessions parvenues à expiration. Pour atteindre cet objectif, une première partie va présenter l’histoire ancienne et récente des PPP en Allemagne, avant de présenter en deuxième partie des cas de re- communalisation réussis. Quant à la conclusion, elle présentera les enseignements tirés des analyses menées dans les deux premières parties. 1 – Histoire des PPP en Allemagne 1 . 1 – Des origines des PPP à la politique keynésienne de 1933 Selon Ambrosius (2012), qui consacre une partie de son ouvrage au dénombrement historique des PPP en Allemagne, des cas de partenariat-public-privé ont déjà existé dans le pays dès le 17ème siècle, par exemple pour battre-monnaie, ou pour la collecte des impôts. cependant, le véritable essor des PPP en Allemagne a commencé il y a environ 150 ans (Ambrosius, 2012), lorsque le progrès technique a favorisé l’émergence des industries de réseaux (gaz, eau, puis électricité), ou encore des transports collectifs, comme les transports par voie ferrée ou le tramway. cependant, dans une économie de type capitaliste, les acteurs privés ont restreint leurs investissements aux marchés les plus rentables, c’est-à-dire les zones d’habitation à forte densité de population. Il est aisé de comprendre que cette stratégie sélective a généré une forte insatisfaction dans le public. Les candidats aux élections ont donc fait de l’élargissement des réseaux leur cheval de bataille, puisque cela était un argument électoral percutant. Par conséquent, dès avant la fin du XIXème siècle, la majorité des communes allemandes a soustrait aux mécanismes de l’économie de marché les services considérés comme indispensables pour garantir une vie décente à la communauté des citoyens et ces communes ont investi afin de rendre ces services accessibles au plus grand nombre, y compris dans les campagnes. Le droit à intervention des communes pour favoriser l’accessibilité aux services destinés à la collectivité a été confirmé par l’Assemblée des villes allemandes en 1926. A cette occasion, il a été établi que les activités économiques des communes doivent se limiter à des missions relevant du service-public et que, par conséquent, les communes n’ont pas vocation à venir concurrencer les activités exercées par des personnes privées. A un niveau administratif supérieur, l’Etat a également démontré à la fin du XIXème siècle son intérêt pour certaines nouvelles activités économiques dérivées du progrès technologique. En effet, pour un Etat, la maîtrise d’activités comme le télégraphe, puis le téléphone qui lui a succédé, ou le contrôle du réseau ferroviaire, relève d’un intérêt stratégique, tant sur le plan militaire que politique. Par exemple, le monopole des télécommunications facilite la mise en application des «écoutes téléphoniques », qui se révèlent notamment utiles en matière de prévention du terrorisme. c’est pourquoi, dès l’origine, l’Etat s’est accordé le monopole d’exercice de ces activités et qu’il a maintenu son monopole jusqu’à la dérégulation impulsée à la fin du XXème siècle par l’Union Européenne. cependant, dès le départ, l’Etat a jugé qu’il serait plus avantageux pour lui de confier le développement des technologies sous-jacentes au secteur privé. c’est dans ce cadre que des partenariats ont été noués avec des entreprises privées. Le besoin de standardiser les technologies des activités de réseaux et de maintenir leur compatibilité en cas de progrès technologique (comme le problème se posait par exemple en matière de télécommunications, cf. Liouville, 1991) a induit que les « partenaires » privés ont bénéficié de marchés quasiment « captifs », y compris sur la durée. Il en est résulté que dans les activités concernées, les « partenaires » privés sont eux-mêmes devenus des « quasi-monopoles ». Historiquement, ces quasi-monopoles n’ont pas joué nécessairement un rôle négatif sur l’économie allemande. Au contraire, ils ont par exemple été des parties prenantes de la vaste politique keynésienne mise en œuvre en Allemagne à partir de 1933, dans le but de lutter contre le chômage massif généré par la grande dépression économique que connaissait alors le pays. comme aux USA, celle-ci avait été engendrée par le marasme économique ambiant, mais ses effets étaient également accentués par les sanctions massives imposées à l’Allemagne par les vainqueurs de la 1ère Guerre Mondiale dans le cadre du Traité de versailles. Il résultait de cette double influence que début 1933 l’Allemagne comptait 6 millions de chômeurs. Le secteur-public allemand a alors été mobilisé pour résorber le chômage. Trois ans plus tard, le chômage était éra- Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 63 diqué, notamment du fait d’une politique de grands-travaux, dont l’efficacité a même été reconnue par le chancelier socialiste Helmut Schmidt (H. Schmidt, F. Stern, 2012, pp. 53- 55). Pour mémoire, à cette occasion l’Allemagne s’est notamment dotée d’un réseau d’autoroutes d’une longueur initiale de 7000 Km, longueur portée ensuite à 10 000 km et même à 11000 Km après l’Anschluss de l’Autriche et 1,5 million de maisons et logements dotés des standards de confort moderne ont été construits. Les communes ont quant à elles été mises à contribution dans le cadre de la modernisation des voies secondaires et des infrastructures communales et les villes ont également été incitées à moderniser les vieux quartiers, ce qui a souvent signifié démolition et reconstruction. Quant aux partenaires privés, ils ont reçu des subventions pour embaucher du personnel destiné à produire des biens susceptibles de dynamiser la croissance. c’est ainsi qu’est née par exemple l’entreprise volkswagen, dont le nom indique littéralement que sa mission était de produire la « voiture du peuple », c’est-à- dire une voiture dont son prix soit en rapport avec le pouvoir d’achat des ménages « moyens ». ces éléments permettent de conclure que les entreprises privées « partenaires » ont joué un rôle significatif dans la résorption du chômage et de la reprise économique dans l’Allemagne du milieu de la décennie 1930. Pour demeurer objectif, il faut cependant reconnaître que c’est également dans le cadre de cette politique keynésienne que 400 000 postes supplémentaires ont été créés dans l’armée, alors que le Traité de versailles avait contingenté l’armée allemande à 100 000 hommes. En ajoutant à ces postes de militaires les emplois créés dans la filière de l’armement, il est permis d’estimer que l’éradication du chômage en Allemagne entre 1933 et 1936 s’explique pour environ 1/3 par le réarmement « illégal » du pays, qui a débouché sur les conséquences tragiques bien connues pour l’humanité.1 1 . 2 – L’après Seconde Guerre Mondiale : Les PPP en contexte d’économie sociale de marché Après la Seconde Guerre Mondiale, les alliés ont démantelé les quasi-monopoles historiques, essentiellement à cause du rôle qu’ils ont joué durant la période du IIIème Reich (Allemagne nazie). cependant, le problème de standardisation et de compatibilité des nouvelles technologies dans les activités de réseaux n’était pas éliminé pour autant. c’est ce qui explique que dans ces secteurs d’anciens quasi-monopoles s’étaient reconstitués dès les années 1960. Tel est par exemple encore le cas aujourd’hui de l’entreprise Siemens dans la branche de la construction de matériel de transport ferroviaire, ou celle des équipe- ments pour le secteur de l’énergie atomique. A ce propos, il est permis de remarquer que, dans les industries de réseaux, la situation de l’Allemagne ne se différencie pas de celle des autres principaux pays développés. En effet, ces derniers sont également confrontés au même problème de standardisation et de compatibilité des technologies. La France notamment constitue un excellent exemple de cette situation, avec le quasi-monopole de l’entreprise Alstom dans la construction de matériels pour le transport ferroviaire (en particulier en ce qui concerne la fabrication des motrices de TGv) et celui de l’entreprise Areva dans la filière de l’énergie atomique. A l’issue de la 2ème Guerre Mondiale, les alliés et en particulier les américains dans le cadre du Plan Marshall, ont encouragé l’orientation de l’Allemagne vers un système économique « libéral ». cependant, le nouveau chancelier Ludwig Erhard a été séduit par les idées de l’économiste Alfred Müller-Armack, professeur à l’université de Münster. Dans ses recherches, dès 1946 ce dernier promouvait l’idée qu’il était possible de créer une troisième voie entre le libéralisme et le socialisme, mieux connue sous l’expression d’ « économie sociale de marché ». c’est dans la perspective de développer ce système d’ « économie mixte » que le chancelier Ludwig Erhard a confié au professeur Müller-Armack un poste de secrétaire d’Etat au Ministère de l’Economie (Liouville, 2010). Dans ce contexte et face à l’effort important à entreprendre pour redresser l’Allemagne en ruine, l’ancienne ligne de démarcation claire entre les missions de service-public devant être rendues par l’Administration et les activités relevant du secteur privé a été reprise dans la (nouvelle) constitution allemande, ainsi que dans le Droit administratif et le Droit communal prescrit par les Länder. Par conséquent, le principe en vigueur depuis cette période est que les communes allemandes ne peuvent exercer des activités économiques que si ces activités répondent à un objectif de mission de service-public, c’est-à-dire à la fourniture de prestations d’intérêt général, sans viser à dégager du profit. (1) Il appartient aux historiens d’expliquer pourquoi les vainqueurs du 1er conflit mondial n’ont pas réagi à cette provocation, même s’il est possible de mettre à leur décharge le fait que le réarmement a largement eu lieu dans des usines sous-terraines. Cependant, compte tenu de leur nombre, estimé à environ 300, il est permis de se demander comment les alliés ont pu en ignorer l’existence ? Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 64 Vers une renaissance du Secteur-Public en Allemagne : Le Méga-Trend de la re-communalisation des concessions municipales 2 - Les déterminants de la tendance à externaliser (impartition) et à ré-internaliser (ré-impartition) les missions de service-public en Allemagne 2 . 1 – Les fondements majeurs des décisions d’impartition et de ré-impartition dans le Service-Public allemand 2 . 1 . 1 – Des scandales en chaîne engendrant la perte de confiance envers les opérateurs privés Il a été précisé en introduction que jusqu’au début des années 1980, la tendance dominante en Allemagne au regard des missions de service-public a été leur délivrance en régie propre par les collectivités, tant au niveau des communes que des Länder. Ultérieurement, la tendance s’est inversée, en particulier sous l’influence de la pensée favorable au libéralisme économique, défendant l’idée d’une supériorité de la gestion privée par rapport à celle publique. Dans ce contexte, il a notamment été admis que les usagers des servicespublics avaient un droit à être considérés comme des «clients» et que, par principe, une gestion de nature « administrative » ne pouvait pas répondre à ce droit, ce qui a ouvert la porte à la « privatisation » du Secteur-Public. cependant, le « passage par le marché », c’est-à-dire la décision de « faire-faire », ou « d’impartir », selon la conceptualisation du professeur Pierre-Yves Barreyre (1968), plutôt que le choix de « faire » (exercice de l’activité par soi-même, ce qui correspond à la stratégie d’internalisation), n’a pas toujours répondu aux attentes. Les exemples d’expériences négatives ont commencé à se multiplier à partir du début de la décennie 2000. D’une part, alors que l’externalisation (impartition) a souvent été justifiée par la volonté de faire baisser les prix des prestations délivrées aux usagers, les résultats ont souvent été inverses et les tarifs ont finalement augmenté. D’autre part, alors que la « privatisation » des missions de service-public était supposée améliorer le rapport « qualité/prix », la qualité des prestations s’est souvent dégradée, alors que les prix augmentaient en parallèle. En dehors des exemples de « privatisation » infructueuse, de nombreux cas d’inefficience et de corruption lors de l’attribution de marchés publics ont été mis à jour lors des dernières années, ce qui a déclenché un mouvement de contestation envers la « privatisation » du Secteur-Public. Parmi les cas d’inefficience des acteurs privés, il est possible d’évoquer trois exemples très représentatifs. Le premier cas désastreux est celui de la construction du nouvel aéroport Berlin-Brandenbourg- International, baptisé officiellement du nom de l’ancien chancelier allemand WillyBrandt. Planifié en 2004, son coût a alors été évalué à 1,7 milliards d’€ et son inauguration prévue pour 2010. Le maître d’œuvre qui a été choisi au départ pour gérer le chantier a été la société Hochtief, dont le siège est localisé à Essen, dans la Ruhr. Avec vinci et Bouygues, Hochtief est une des plus importantes entreprises mondiales du BTP, ce qui explique que les attributaires du marché comptaient sur ses compétences pour respecter les délais et les coûts prévisionnels. Face à des dérives apparues rapidement, la responsabilité du chantier a été retirée à Hochtief et a été confiée à un consortium d’entreprises de taille plus modeste et n’ayant aucune expérience dans la construction d’infrastructures aéroportuaires. comme cela pouvait alors être prévisible, les défaillances se sont accumulées, avec pour effet que début 2013, l’ouverture de l’aéroport a été reportée pour la 4ème fois. La date d’inauguration a actuellement été reportée à 2015. Par ailleurs, le coût prévisionnel du chantier a explosé, en étant multiplié par trois, sans que l’exactitude finale de cette estimation puisse être garantie. Le projet de la nouvelle gare de Stuttgart (Stuttgart 21) constitue le deuxième exemple de dérive démesurée, dont l’ampleur exaspère la population allemande. ce projet doit répondre à deux objectifs principaux: Transformer la gare «terminus» actuelle en une gare de «passage» et augmenter de 30 % la capacité d’accueil des passagers aux heures de pointe. La réalisation du projet a été confiée à un consortium comprenant outre le groupe autrichien Porr, les principales entreprises allemandes du secteur du BTP (par exemple Züblin/Strabag, Bilfinger-Berger, mais aussi à nouveau le groupe Hochtief, etc.). Le projet a été mis en chantier début 2010. A cette date, l’inauguration de la nouvelle gare a été planifiée pour 2020 et le coût des travaux a été estimé à moins de 3 milliards d’€. Actuellement, la mise en exploitation de la nouvelle gare a déjà été reportée à 2025 et les nouvelles prévisions du coût final varient maintenant entre 7 et 9 milliards d’€. Par ailleurs, les financements n’étant pas assurés, personne ne sait actuellement si le chantier sera mené à son terme, alors que plus d’un milliard d’€ a déjà été englouti dans le projet. Le troisième exemple d’évolution ruineuse d’un projet public dont la réalisation a été confiée à un consortium privé est celui de la construction à Hambourg du nouveau Palais dédié aux représentations d’orchestres symphoniques (Elbphilarmonie, cf Wikipedia). Lors de la pause de la premièrepierre en 2007, l’inauguration du bâtiment a été prévue pour 2010. Fin 2012, l’inauguration a été repoussée à 2017. Par ailleurs, le coût initial du projet a en l’état actuel déjà été multiplié par un facteur de plus de dix. En effet, les premières estimations du coût du projet se montaient à seulement 77 millions d’€. Lors du début du chantier en 2007, cette première estimation avait déjà doublé. Fin décembre 2012, la ville d’Hambourg a signé un contrat « définitif » avec la société Hochtief, le maître d’œuvre du projet. Le montant du contrat s’établissait alors à 575 millions d’€. Moins de 4 mois plus tard, le 23 avril 2013, le maire d’Hambourg a dévoilé une nouvelle estimation, qui se monte à près de 800 millions d’€, soit une hausse d’environ 40%, ou encore une augmentation du coût du chantier Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 65 de plus d’1,8 million d’€ par jour. Face à ces dérives exponentielles la ville d’Hambourg étudie la perspective de mener une action en justice contre Hochtief, mais en attendant, c’est Hochtief qui détient des créances sur la ville. En outre, ce retard induit que la ville d’Hambourg doit supporter des charges additionnelles, sans véritable fondement. Par exemple, christoph Lieben-Seutter, l’intendant-général du nouveau Palais philarmonique (cf. Wikipedia) qui a été démarché « à prix d’or » en 2007 du Palais des concerts de la capitale autrichienne (Wiener Konzerthaus) perçoit normalement son salaire depuis cette date, alors que sa principale activité est actuellement de faire visiter le chantier aux personnalités intéressées par l’état d’avancement des travaux. Si l’inauguration du nouveau bâtiment a effectivement lieu en 2017, l’intendant-général aura donc été rémunéré durant 10 ans, sans avoir quasiment généré une valeur ajoutée significative pour la ville d’Hambourg. En matière de corruption, un seul scandale récent suffit pour donner une image du climat délétère qui règne actuellement en Allemagne2. Il s’agit de la mise en examen pour corruption de l’avant-dernier Président de l’Etat fédéral allemand, christian Wulff. Il a en effet été convaincu de pratiques relevant du « favoritisme » dans le cadre de ses fonctions antérieures de Ministre-Président du land de Basse-Saxe. Par conséquent, après avoir représenté pendant seulement 18 mois la plus haute autorité morale du pays, il a été contraint sous la pression médiatique de démissionner de ses fonctions présidentielles. En effet, plus de 75% des allemands ont considéré que la prise d’intérêts personnelle est incompatible avec l’exercice d’une fonction devant en principe défendre les valeurs morales du pays, puisque telle est la principale mission confiée au Président de l’Allemagne depuis la fin de la seconde Guerre Mondiale. Par conséquent, ces deux facteurs conjoints ont contribué à ruiner le potentiel de confiance envers les opérateurs privés. cette perte de confiance justifie que la majorité des élus souhaitent actuellement reprendre en régie propre les services-publics dont les concessions parviennent à expiration. En outre, il est attendu de l’internalisation qu’elle permette d’allouer les résultats des activités profitables à des objectifs sociaux. cette perspective n’est pas négligeable, surtout pour les grandes villes. Par exemple, en 2011, les activités exercées en régie propre ont rapporté à la ville de Munich environ 250 millions d’€. Une autre caractéristique qui renforce l’attractivité des régies est qu’elles offrent généralement à leur personnel des conditions de travail meilleures que dans le secteur privé, en particulier en ce qui concerne la stabilité de l’emploi. ces différents éléments permettent de comprendre pour- quoi à l’heure actuelle 80% des allemands accordent leur préférence à l’exécution des services-publics par des acteurs du secteur-public et que 70% sont opposés à la privatisation des missions de service-public. 2 . 1 . 2 – Les PPP vus comme un instrument pour résoudre un « étranglement » financier Au-delà du trend du retour à l’internalisation, il a été noté en introduction que des communes continuent à externaliser, ou à impartir dans le cadre de PPP. Le déterminant majeur de cette orientation est très simple. En fait, les communes optant pour cette stratégie sont en général confrontées à de graves difficultés financières. celles-ci ont principalement deux origines. D’une part, les difficultés peuvent résulter d’erreurs de gestion, par exemple sous-évaluation importante du coût d’un « grand-projet », ce qui en Allemagne se confirme dans au moins 80% des cas. Le financement de ces dépassements importants par rapport aux prévisions peut conduire à un surendettement et ainsi supprimer toute marge de manœuvre financière en matière d’investissement. L’engagement au cours des années 2000 dans des activités spéculatives, ce qui a notamment été le cas de nombreuses grandes-villes, est d’autre part à l’origine de problèmes financiers, sachant que ces engagements ont généralement été effectués sans en maîtriser les risques. Les conséquences dramatiques de ces engagements « aventureux » se sont révélées lors de crise financière de 2008. En effet, dans la grande majorité des cas, cette crise a détruit la valeur des investissements financiers, ce qui a conduit les collectivités engagées dans de telles opérations au bord de la cessation de paiement. Par conséquent, pour redresser leur situation financière, les collectivités concernées ne peuvent jouer que sur deux leviers. D’une part, elles mettent fin à de nombreuses activités : Par exemple, fermeture de piscines, de théâtres, de bibliothèques, d’orchestres philarmoniques, d’écoles, d’hôpitaux, etc.). A ce niveau, le moindre-mal peut être le regroupement d’activités communes, par exemple fusion des orchestres philarmoniques de deux villes, partage d’activités entre deux hôpitaux, etc. D’autre part, le fait d’être proche de la cessation de paiement implique que les collectivités concernées n’ont plus de marges d’endettement. Par conséquent, pour délivrer les missions de service-public indispensables, ces collectivités n’ont pas d’autre choix que de faire appel à des prestataires privés. ces constats conduisent à conclure qu’à l’heure actuelle, en Allemagne, les décisions de s’engager dans des PPP sont le plus souvent des choix contraints et non pas le résultat d’un processus rationnel de sélection entre plusieurs alternatives. (2) En dehors de nouveaux cas de corruption qui sont révélés quasiment chaque semaine et dont le recensement dépasse le cadre de cette contribution, des dizaines de cas de corruption sont référencés par exemple dans Seifert & Voth (2007), Wieczorek (2012), ou encore dans un dossier spécial de l’hebdomadaire Die Zeit du 25/04/2013, pp. 13-15. Business Management Review Review | Vol. 4 |n°1 Business Management Vol.| Janvier-Fevrier-Mars 3 n°1 | Janvier-Mars 2015 2013 66 Vers une renaissance du Secteur-Public en Allemagne : Le Méga-Trend de la re-communalisation des concessions municipales 2 . 2 – Deux cas exemplaires de renoncement aux concessions Dans cette partie de l’article, le choix a été fait de porter l’attention sur deux cas « exemplaires » de partenariats conclus entre des villes et des opérateurs privés, qui ont finalement débouché sur une re-communalisation, du fait de « promesses » non-tenues. Pour respecter la variété de ce type de situation, les exemples sélectionnés traitent d’une part du cas d’une grande ville (Berlin) et d’autre part de celui d’une ville moyenne (Bergkamen), située à proximité de Dortmund. 2 . 2 . 1 - La distribution de l’eau à Berlin : Un « modèle » de violation des engagements La concession de la distribution de l’eau à Berlin constitue un cas exemplaire de dérive excessive d’un PPP. La concession a été accordée en 1999, dans un contexte de déficit structurel que la ville de Berlin connaît depuis la réunification allemande. Avant la chute du Mur de Berlin, la partie « Ouest » de la ville qui était enclavée au centre de l’Allemagne de l’Est était considérée comme la « vitrine de l’Ouest ». De ce fait, Berlin-Ouest recevait de fortes subventions. Ainsi, dans le dernier budget de Berlin-Ouest, les subventions représentaient environ 50% des recettes. Après la réunification allemande, la « raison d’être » de ces subventions n’existait plus, ce qui a conduit rapidement à leur réduction massive. Par ailleurs, il s’est révélé nécessaire de moderniser la partie « Est » de la ville, dont beaucoup d’infrastructures n’avaient quasiment pas évolué depuis la fin du deuxième conflit mondial. En outre, comme cela a déjà été expliqué ci-devant, l’Union monétaire a anéanti les capacités économiques de la zone « Est » de la ville. La baisse dramatique des recettes face à des besoins en investissement colossaux explique donc que jusqu’à présent les finances de la ville sont toujours déséquilibrées. Pour se forger une image de ce déséquilibre, il faut savoir que Berlin a en fait le statut de ville-Etat. Dans ce cadre, Berlin peut bénéficier du système de péréquation qui existe en Allemagne entre les Etats (Länder) excédentaires en matière budgétaire (la Bavière, le Bade-Württemberg et la Hesse) et les Etats déficitaires. A ce titre, Berlin est destinataire de 90% des transferts, tous les autres Etats se partageant seulement 10% de cette manne. En 1999, le budget prévisionnel de la ville de Berlin faisait état d’un déficit à hauteur de 4,1 milliards de DM (2,05 milliards d’€). Face à cette situation financière catastrophique, la coalition cDU/SPD qui était alors au pouvoir a entrepris une vaste offensive « d’activation du patrimoine », qui était un euphémisme pour caractériser la « privatisation » des services-publics. Après avoir d’abord privatisé le secteur de l’énergie, puis celui des logements sociaux, les responsables des finances ont pris en ligne de mire la distribution de l’eau. Après la réunification allemande, la gestion de cette activité a été confiée à une Agence (Régie) de Droit public, cette forme juridique ne permettant pas une prise de participation par des investisseurs privés, notamment du fait que comparativement aux sociétés de Droit privé, cette structure offre des avantages en matière de financement et de fiscalité. Pour contourner ce problème, la coalition au pouvoir a pris la décision de placer la Régie de l’eau (Berliner Wasserbetrieben – BWB) sous le contrôle d’une Holding de Droit privé. Dans ce montage juridique, 50,1% des parts de la Holding étaient détenus par la ville de Berlin et 49,9% par deux investisseurs privés. Bien que l’opposition ait déposé un recours, le conseil constitutionnel a validé cette structure. Enfin, pour éviter une contestation des syndicats du personnel, une clause a été introduite pour interdire tout licenciement jusqu’en 2014. Sur cette base, une concession partielle d’une durée de 28 ans a été accordée au groupe RWE (second électricien allemand, qui se diversifie dans l’environnement) et à veolia (vivendi à l’origine). chaque partenaire détenait une participation de 24,95%, chiffre qui est juste inférieur au seuil de 25% nécessaire pour disposer d’une minorité de blocage. La concession a été acquise par les 2 partenaires pour un montant net de 1,55 milliard d’€, l’opération étant notamment financée par l’assureur Allianz. En contrepartie, les deux investisseurs ont obtenu que leurs apports soient rémunérés au taux fixe de 9%. ce chiffre est à rapprocher de celui dont bénéficiait antérieurement la Régie de l’eau, qui s’établissait à 5,2%, ce taux étant calculé à partir de la rémunération moyenne des Bons du Trésor à 10 ans + 2%. Il est à noter qu’à l’origine la clause de rémunération des apports à 9% a été gardée secrète par la ville. Malgré la hausse de la rémunération des apports, une baisse des tarifs de l’eau était prévue à moyen terme, du fait de l’hypothèse (théorique) de la réalisation de gains de productivité. Dans un premier temps, en attendant que les gains de productivité se concrétisent, les partenaires se sont accordés sur une stabilité des tarifs de l’eau jusque fin 2003. compte tenu de l’objectif de baisse des prix souhaité par la ville, une clause supplémentaire également conservée secrète a été ajoutée au contrat. celle-ci prévoit que si la baisse des prix de l’eau ne peut être obtenue qu’en réduisant le taux de rémunération des apports, qu’il appartiendra alors à la ville d’assurer aux deux investisseurs une compensation du manque à gagner. Finalement, pour respecter la clause de rémunération des apports à 9% sans avoir à la financer par déficit, dès le terme de la clause de stabilité des tarifs de l’eau et contrairement aux promesses, les prix ont augmenté de 15,3% la première année (2004) et de 5,4% l’année suivante (2005). En prenant en considération les 10 premières années de la concession (1999-2008), la clause de rémunération des apports à 9% a impliqué que RWE et veolia se sont partagés un gain net après imposition de 1,05 milliard d’€. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 67 Durant la même période, le remboursement des emprunts financé par le prix de cession de la concession a permis à la ville de Berlin d’économiser une charge annuelle d’intérêt de 62 millions d’€, compte tenu du taux d’intérêt moyen de 4% applicable sur les crédits accordés aux communes. En 10 ans, l’économie totale s’élève donc à 620 millions d’€. En rapprochant les deux sommes (gain des investisseurs et économie en intérêts de la ville), il apparaît que si la ville avait conservé les 100% de la Régie de l’eau, qu’elle aurait (toutes choses égales par ailleurs) dégagé au cours de cette même période un surplus de 430 millions d’€, qui aurait pu être affecté à la baisse du prix de l’eau. La conclusion qui ressort de cette analyse est que dans le cas de la distribution de l’eau à Berlin, le renoncement à des recettes à long terme au profit d’une réduction immédiate des emprunts du fait des recettes issues de la « privatisation » ne s’est pas révélé avantageux pour les usagers. Dans un environnement d’exaspération générale liée à la hausse des tarifs des services-publics et des impôts, en particulier pour « éponger » la faillite de la Banque municipale de Berlin à la suite de spéculations hasardeuses, une nouvelle coalition est parvenue au pouvoir lors des élections municipales de 2006. Dans cette mouvance, une initiative populaire a exigé le dévoilement des accords secrets de 1999. Une première pétition lancée dans ce but en 2008 a recueilli seulement 36000 signatures. Une seconde pétition lancée en novembre 2010 s’est révélée plus fructueuse, puisqu’elle a permis de collecter 280 000 signatures. En réaction, les élus ont adopté un texte établissant que les conditions d’attribution des concessions doivent être rendues publiques. c’est ainsi que le contrat de distribution de l’eau datant de 1999 a été porté à la connaissance du public le 10 novembre 2010. c’est dans ce contexte que les résultats de la pétition de novembre 2010 ont rendu obligatoire l’organisation d’un référendum populaire qui s’est déroulé en février 2011. A cette occasion, près de 700 000 votes se sont portés sur la proposition de re-communalisation de la distribution de l’eau. compte tenu de cette insatisfaction notoire, la cour des comptes s’est saisi du dossier et a calculé que la marge sur chiffre d’affaires de la distribution de l’eau à Berlin est de l’ordre de 23 à 25%. Estimant qu’une telle marge constitue un indicateur d’un abus de position monopolistique, la cour des comptes a transmis le dossier à la commission fédérale de contrôle des cartels (Bundeskartellamt). cette commission (équivalent de l’Autorité de la concurrence en France) a rendu son rapport en février 2011, en parallèle au référendum populaire. Le rapport conclut que le prix du mètre-cube d’eau à Berlin est supérieur de 50 cent par rapport au prix pratiqué par des villes de taille comparable, comme cologne, Hambourg et Munich. A la suite de deux recommandations qui n’ont pas été sui- vies d’effet, la commission fédérale de contrôle des cartels a imposé en juin 2012 une baisse du prix de l’eau potable à Berlin de 18,2%. Face à cette situation, le groupe RWE qui a besoin d’investir dans les énergies renouvelables pour un montant estimé à 7 milliards d’€, du fait du renoncement du gouvernement allemand à produire de l’énergie nucléaire, s’est déclaré favorable à la cession de ses parts. Après de longues négociations, la ville a accepté de débourser 618 millions d’€ pour acquérir la participation de RWE. Dans un premier temps, veolia a contesté le droit de RWE de céder sa participation en l’absence de son consentement pour la réalisation de cette transaction, en estimant que la cession de ses parts par RWE porte atteinte à ses propres droits. cependant, le Tribunal de Grande Instance de Berlin qui a été saisi en référé pour traiter ce différent a débouté veolia, en estimant que l’accord passé entre RWE et la ville de Berlin ne viole aucun droit de veolia et que veolia ne peut pas se prévaloir d’un droit de regard sur la transaction entre RWE et la Régie de l’eau de Berlin. L’exposé de ce cas approche maintenant de son épilogue. Après la validation en première instance du retrait de RWE de la Régie BWB, veolia a annoncé vouloir faire appel de cette décision, mais a finalement renoncé à entreprendre cette démarche. En revanche, veolia a fait appel de la décision de la commission fédérale des cartels. Les résultats de cet appel devraient en principe être connus au cours des prochaines semaines. Il en résulte que la baisse des prix en question n’est pour l’instant pas applicable. cependant, la Régie BWB et le Bundeskartellamt se sont déjà entendus sur le fait qu’en 2013 les usagers vont bénéficier d’un avoir de 15%, qui est calculé sur les facturations de 2012. cela représente en moyenne une réduction annuelle des dépenses d’eau de 15 € par personne. Selon l’accord extra-judiciaire passé entre la Régie BWB et le Bundeskartellamt, cette réduction de 15% devrait être également maintenue en 2014 et 2015. Avec sa participation de 24,95 % qui est inférieure au seuil de la minorité de blocage (25%), veolia ne peut pas s’opposer à la mise en application de cet accord. En revanche, veolia peut exiger l’application de la clause de 1999, qui lui garantit une rémunération de 9% de ses apports. cependant, face au mécontentement général que provoquerait cette exigence, veolia a décidé d’adopter une autre stratégie. c’est ainsi que selon le quotidien Berliner-Morgenpost daté du 22 février 2013, veolia a proposé à la Régie BWB de ne conserver qu’une participation de 10% et de céder le reste de ses parts à la Régie. Toujours selon le même journal, cette offre ne vaut que si la ville de Berlin propose en parallèle à veolia un partenariat pour participer à la gestion d’autres services-publics. Si tel n’est pas le cas, veolia envisagerait se retirer complètement de la distribution de l’eau à Berlin. cependant, dans le domaine de l’eau, le partenariat avec Berlin est le plus important de Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 68 Vers une renaissance du Secteur-Public en Allemagne : Le Méga-Trend de la re-communalisation des concessions municipales veolia en Allemagne et il constitue le fer-de-lance des 300 concessions de distribution d’eau que la société gère Outre-Rhin. Par conséquent, il est clair que la maison-mère se donnera un large temps de réflexion avant de mettre ses menaces de retrait à exécution, car cela pourrait engendrer la perte de contrôle de nombreuses autres concessions d’eau en Allemagne. Pour conclure, ce cas exemplaire démontre que l’hypothèse néo-libérale de l’efficience supérieure des opérateurs privés pour délivrer des missions de servicepublic relève plus du mythe que de la réalité. prise de l’activité en interne, le fournisseur historique (RWE) a pris l’initiative de faire une offre garantissant à la ville des revenus annuels supplémentaires d’un million de DM (500 000 €) par rapport à la situation préexistante. cependant, dans un premier temps, la ville a préféré confier à une société de conseil une étude de faisabilité et de rentabilité de l’activité exercée en régie propre. Les résultats de l’étude ont démontré que la ré-impartition pouvait se révéler rentable. Par conséquent, la ville a entrepris des négociations avec RWE et à mis en concurrence trois alternatives : 2 . 2 . 2 – Comment les villes moyennes peuvent gagner des millions ? Le cas de la ré-impartition des services-publics par la ville de Bergkamen Parmi les cas de reprise en main de concessions par une ville moyenne, l’exemple de la ville de Bergkamen constitue un modèle du genre. cette ville du Land de Rhénanie du Nord-Westphalie (Nordrhein-Westfalen) qui compte 52 000 habitants se situe à une quinzaine de kilomètre au nord de Dortmund et au plan administratif elle est attachée à l’arrondissement de la ville d’Unna. La ville de Bergkamen est née de la fusion en 1965 de 6 communes. cette ville étant relativement jeune, elle n’a pas été confrontée au dilemme de la fermeture de régies propres lorsqu’elle a étendu ses missions de service-public. Par conséquent, elle a pu aisément succomber à l’origine aux charmes de la « privatisation ». c’est ainsi que jusqu’en 1994, la quasi-totalité des missions de service-public avait été confiée à des opérateurs privés. A cette date, la principale activité exercée sous un statut de Droit public était l’épuration des eaux usées. En outre, la ville détenait une participation minoritaire dans 3 sociétés intercommunales de son arrondissement : 9 % des parts d’une société de transport public, 14 % des parts d’une société de construction de logements sociaux et 10% d’une société de promotion du développement économique. En revanche, la gestion d’activités importantes comme l’approvisionnement en électricité et en gaz, la fourniture de l’énergie de chauffage et la distribution de l’eau potable, ainsi que le ramassage des ordures ménagères et le nettoyage urbain avait été confiée à des entreprises privées de moyenne et grande taille : Par exemple, pour l’électricité, RWE, qui pour rappel est le second groupe du secteur en Allemagne et pour l’eau Gelsenwasser, qui est un des principaux distributeurs d’eau en Allemagne et qui est même aujourd’hui un acteur présent à l’international. Il résultait de cette stratégie basée principalement sur l’externalisation (impartition) qu’en 1994 la ville de Bergkamen n’avait que de très faibles compétences dans la création et le management d’entreprises municipales. Un événement important pour la ville a été l’arrivée à expiration au 31/12/1994 de la concession d’électricité. La presse s’étant fait l’écho que la ville envisageait comme alternative la re- a) Une coopération sous la forme d’un PPP avec le fournisseur historique, en prévoyant d’étendre à terme le partenariat à d’autres activités, lorsque les concessions correspondantes parviendraient à terme ; b) la ré-impartition en régie propre, en s’appuyant au départ sur les compétences technico- économiques de la régie d’une ville voisine ; c) une coopération intercommunale avec deux autres villes voisines. Le fournisseur historique a spéculé sur le fait que la ville ne serait pas en mesure de gérer sous régie propre l’activité et a donc décliné l’offre de PPP, en escomptant qu’en dernier ressort la ville renouvellerait la concession d’électricité. Parmi les deux alternatives restantes, la solution de la régie propre risquait de ne parvenir au seuil de rentabilité qu’après 8 années. L’idée de faire supporter par la collectivité des pertes durant une période aussi longue étant peu défendable dans un environnement politisé, c’est finalement la troisième solution qui a été retenue. c’est ainsi qu’a été fondée en décembre 1994 une SARL (GmbH) intercommunale. Les participations dans cette société ont été définies en fonction de la taille respective des communes partenaires. Pour Bergkamen, la participation s’est élevée à 42%, ce qui a représenté un investissement de 15 millions de DM (7,5 millions d’€). La ville de Bergkamen a financé sa participation principalement par un recours à l’emprunt. cependant, Bergkamen a pris la précaution de faire valider au préalable sa structure d’endettement par les institutions de contrôle. Leur aval a signifié que l’investissement était considéré comme rentable, ce qui a incité Bergkamen à concrétiser ses intentions. Faisant suite au non renouvellement de la concession, le fournisseur historique a fixé un prix qui paraissait exorbitant pour la reprise du réseau par les communes partenaires. Le désaccord sur le prix a conduit le fournisseur historique à introduire une action en justice. cependant, face à la lenteur de la justice, le plaignant a retiré sa plainte en 1996 et les parties sont parvenues à un accord extra-judiciaire. Les résultats des premiers exercices de la nouvelle SARL étant en conformes aux prévisions, les activités dont les concessions parvenaient à expiration ont également donné Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 69 lieu à ré-impartition par l’intermédiaire de cette même société. cette solution permet notamment de dégager des synergies, puisque pour les prestations de type «B to c», destinées à l’usager final, les clients sont généralement identiques. c’est ainsi qu’en 1999, la distribution du gaz a été ré-internalisée. En 2002, c’est le nettoyage des rues qui a été ré-internalisé et l’année suivante la distribution de l’énergie de chauffage. En 2006, le ramassage des ordures ménagères a également été réintégré dans le périmètre des services gérés en régie propre. En 2008, la distribution de l’eau a donné lieu à une re- communalisation partielle. Le partenaire historique, Gelsenwasser, continue à assurer la maintenance du réseau de canalisation qui est supérieur à 200 Km et fournit l’eau, mais uniquement en situation de « back office ». En revanche, le management de l’alimentation des 11 300 points d’eau de la ville et de la facturation des 3,6 millions de mètrescube d’eau consommés annuellement est du ressort de la municipalité. En outre, pour tenir compte des possibilités de développement offertes par le progrès technologique, la SARL a fondé dès 1999 sa propre filiale dans le cadre de l’offre de prestations Internet, la société HeLiNET. En 2011, cette société a réalisé un chiffre d’affaires de 19 millions d’€ et a dégagé un bénéfice net de 185 000 €. Pour Bergkamen et ses habitants, les résultats des opérations de ré-internalisation sont les suivants. La nouvelle SARL avait en 2012 un effectif de 186 salariés, auxquels s’ajoutaient 16 apprentis. La masse salariale est d’environ 5,2 millions d’ €. Environ 10 millions d’ € sont investis annuellement et les bénéficiaires des commandes sont généralement des entreprises locales. En 2011, le montant du bénéfice annuel net retiré de cette société par la ville de Bergkamen s’est élevé à environ 2,6 millions d’€. Une somme équivalente a été également collectée au titre de la taxe professionnelle et des autres taxes dont la SARL est redevable. compte tenu de l’effet du multiplicateur keynésien, la politique de ré-impartition constitue indiscutablement un facteur de développement de l’économie locale. En outre, dans ses investissements, la ville peut défendre ses propres valeurs éthiques et sociétales. c’est ainsi par exemple que la ville soutien la production d’énergie renouvelable et subventionne les habitants qui installent des équipements de production d’énergie solaire. Le recours à cette même énergie solaire pour le chauffage des bâtiments publics permet à la ville de réaliser des économies, cellesci étant affectées à subventionner les tarifs des établissements de loisirs (piscines, etc.), ou pour sponsoriser des activités culturelles, sportives et sociales. Tous les autres services ayant fait l’objet d’une ré-impartition permettent également de réaliser des économies par rapport à la situation antérieure. Par exemple, le coût du nettoyage des rues a été réduit de 25%. Enfin, les prestations se sont améliorées dans de nombreux domaines. Par exemple, en ce qui concerne le ramassage des ordures ménagères, le tri est maintenant plus sélectif, ce qui contribue à la protection de l’environnement. En ce qui concerne les objets encombrants, alors que le système antérieur était celui d’une collecte organisée seulement deux fois par an, pour les usagers qui en font la demande, l’enlèvement est maintenant garanti sous 48 heures. Enfin, un service de vidage des caves et greniers et autres (garages, etc.) est maintenant offert aux habitants de la commune. En conclusion, le cas de Bergkamen prouve que même pour les villes moyennes, qui sont par nature limitées en ce qui concerne la possibilité de bénéficier d’économies d’échelle, le postulat de la supériorité des acteurs privés par rapport à ceux du secteur public est contestable. Si elles se donnent les moyens de formuler et de mettre en œuvre une stratégie rigoureuse, les villes moyennes peuvent faire mentir le cliché humiliant qui prétend qu’elles ne sont pas capables d’atteindre le niveau de performances du secteur privé. Au contraire, l’exemple de la ville de Bergkamen prouve que les défaillances, les lenteurs et le dépassement des budgets sont souvent causés par des acteurs privés, alors que des villes de taille moyenne peuvent faire preuve d’une meilleure discipline en la matière. CONCLUSION Les faits exposés dans cet article permettent d’argumenter que dans le débat relatif aux avantages des PPP, ceux-ci sont souvent « virtuels » au début d’un projet. En effet, à ce stade, les coûts de transaction réels sont en général difficiles à apprécier. Mais, au fur et à mesure que le projet progresse, il est très fréquent que des « coûts cachés » soient détectés en parallèle, ce qui met en cause la supériorité des PPP. cependant, parvenu à cette étape, ne voulant pas perdre la face, les initiateurs du projet défendent généralement l’hypothèse qu’un « point de non-retour » a été atteint et que, par conséquent, il n’est plus envisageable de disqualifier le partenaire privé. compte tenu de ce comportement qui est fréquemment observé, il est permis de s’interroger, afin de savoir si la sous-évaluation des coûts lors du lancement d’un PPP ne relève pas d’une stratégie délibérée des acteurs privés, qui savent qu’ils bénéficient généralement d’une quasi-garantie de mise en application de la clause « implicite » du « point de non-retour ». Dans le cas contraire, c’est-à-dire si les acteurs privés sont mis face à leurs responsabilités et sont soumis à des pénalités, il n’est pas rare que les entreprises concernées décident de se mettre en faillite. ce constat doit inciter à faire preuve d’une grande vigilance lors du calcul des coûts prévisionnels. En effet, compte tenu de la durée habituellement longue des PPP, il est fondamental que les estimations initiales soient les plus « transparentes » possibles, sous peine de prendre le Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 70 Vers une renaissance du Secteur-Public en Allemagne : Le Méga-Trend de la re-communalisation des concessions municipales risque d’être confronté à terme à des dérives insupportables. Faire appel à la prudence est une chose. cependant, la multiplication des scandales en Allemagne (environ 80% des grands projets sont livrés avec retard et dans 70% des cas les coûts prévisionnels sont dépassés d’au moins 50%), permet de penser que les outils traditionnels de prévision ne sont pas adaptés et que des efforts sont à réaliser pour améliorer la fiabilité des estimations. Il est clair que les chercheurs sont appelés à se mobiliser afin d’apporter leur contribution en vue d’atteindre cet objectif. Si même les grandes villes se font régulièrement piégées lorsqu’elles s’engagent dans des PPP, il est évident que les villes de petite et moyenne tailles, qui manquent en général de ressources humaines spécialisées, ont intérêt à nouer des coopérations pour disposer d’un pôle de compétences en matière d’évaluation des apports des PPP. A ce niveau, des partenariats avec les universités devraient permettre de compenser au moins partiellement ce manque de capacités d’expertise. En ciblant toujours le cas de l’Allemagne, la multiplication actuelle des conflits dans des cas de PPP conduit à se poser la question de savoir si la supériorité de ce montage juridique par rapport aux solutions offertes par le SecteurPublic n’est pas un mythe, reposant uniquement sur des considérations politiques. En effet, même en l’absence de dérives aussi importantes que celles prises en exemple dans cet article, les rapports des cours des comptes allemandes sont alarmants en la matière (Bundes-und Landesrechnungshöfe, 2011). ces rapports établissent très régulièrement que face à différentes alternatives, les bénéficiaires des PPP tendent quasi- systématiquement à choisir la solution la plus onéreuse et donc permettant de dégager les marges les plus élevées. En résumé, l’expérience allemande récente en matière de PPP tend à prouver que la supériorité apparente des PPP n’est souvent qu’un « feu de paille » et que, sur le long terme, les engagements ne sont plus respectés. En fait, contrairement à ce qui peut ressortir du libellé PPP, dans la pratique, il est rare que sur le long terme un équilibre demeure entre les intérêts du partenaire public et de celui privé. Au contraire, il se produit souvent une dérive à terme, au détriment du partenaire public, qui se trouve pris au piège. Pour lutter contre ces dérives nuisibles, une solution peut consister à introduire dans les contrats de concession une clause de révision des termes du contrat à intervalles réguliers, par exemple tous les 4/5 ans. Il est évident que, le cas échéant, il faut éviter des dérives en sens inverse. Par conséquent, la mise en application de la clause de révision des contrats à échéances régulières ne peut être envisageable que si en parallèle un système est instauré afin que les adaptations souhaitables respectent le principe « gagnant / gagnant ». Les chercheurs doivent également se mobiliser à ce niveau, afin de parvenir à concevoir des solutions équitables, qui respectent les intérêts de toutes les parties prenantes. Une telle clause de révision des concessions durant leur cycle de vie contribuerait à ce qu’au-delà de la sémantique, un PPP ne s’apparente plus sur le long terme à une simple « privatisation », mais prenne les caractéristiques d’une véritable « alliance stratégique ». Une autre solution permettant d’échapper au risque de se trouver piégé par un «pseudo- partenaire » consiste à donner la préférence à la réorganisation interne des processus. En effet, la réorganisation des processus offre souvent des avantages plus attractifs que ceux d’un PPP aux perspectives à long terme relativement floues. En outre, la solution de la réorganisation interne des processus apporte une protection envers le risque de corruption, sachant qu’il n’est pas rare que la corruption constitue le déterminant principal de la mise en œuvre d’un PPP. Par conséquent, compte tenu de ce risque, tout projet de PPP devrait systématiquement être soumis au filtre de la question de savoir « à qui profite le crime ? ». En effet, face à la délinquance croissante des élites3, il est permis de postuler que c’est uniquement du fait que les organes de contrôle sont en sous-effectif, que les cas de corruption mis à jour ne constituent que la partie émergée de l’iceberg. BIBLIOGRAPHIE Aden H. (2010). So eine chance hat man nur alle zwanzig jahre: vom auslaufenden Konzessionsvertrag zum Relaunch der Stadtwerke, Alternative Kommunalpolitik (AKP), n° 4, pp. 46- 48. Ambrosius G. (2012). 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Les chiffres définitifs de 2012 ne sont pas encore connus, mais selon l’Office fédéral de lutte contre la criminalité, la tendance est à la hausse (cf. Die Zeit, Dossier). Un exemple très récent est la mise en examen pour fraude fiscale de Uli Hoeness, le Président du FC Bayern de Munich, alors que lui-même s’est toujours présenté comme étant un modèle de moralité. Business Management Review | Vol. 4 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars 2015 71 schneller Klärung der Zuständigkeit, Press Release from 05/06/2012. www.berlinwasser.de Bräunig D., Gottschalk W. (2012). Stadtwerke – Grundlagen, Rahmenbedingungen, Führung und Betrieb, Nomos verlag, Schriftenreihe öffentliche Dienstleistungen, n° 56, Baden-Baden Bund K., Kotynek M., Lebert S. (2013). Dossier : Reichtum und Anstand – Macht Geld Unmoralisch? Die Zeit, n° 18/2013, 25/04/2013, pp. 13-15. Bundes- und Landesrechnungshöfe (2011). Gemeinsamer Erfahrungsbericht zur wirtschaftlichkeit von ÖPP-Projekten. 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Pourtant, si les réseaux d’innovation ont été largement étudiés par des outils de pilotage, de gouvernance et de coordination, par la finance, la propriété intellectuelle ou les pratiques RH, par la formation, par la confiance entre les partenaires, par les externalités, ou encore par la dynamique des PME, une carence persiste dans les recherches actuelles à propos de l’orientation stratégique composite des réseaux d’innovation, en particulier l’orientation marché ou client dans la dynamique des projets/acteurs. Tout en nous inscrivant dans le courant des travaux de recherche qui mettent en exergue les spécificités du dispositif français des pôles de compétitivité composé d’acteurs complémentaires (Recherche, Formation et Entreprises), notre travail met l’accent sur le fait que l’innovation collaborative est mise en tension par des intentions stratégiques différenciées, liées précisément aux profils hétérogènes, et parfois divergents, des partenaires animés par un projet commun. Par une analyse empirique portant sur le pôle ScS, nous tentons de comprendre la façon dont s’intègre la l’orientation « marché » dans les pôles de compétitivité, et le rôle que la dimension marketing joue dans la dynamique d’innovation collaborative au sein des pôles de compétitivité. collaborative innovation within clusters is first to create new opportunities and generate innovations ready to be released on the market. However, if innovation networks have been widely studied by monitoring tools, governance and coordination, with finance, intellectual property or HR practices, staff training, trust between partners, externalities or by dynamism of SMEs, a deficiency persists in current research about the strategic orientation of the composite innovation networks, in particular customer or market orientation in the dynamics of projects / actors. While we are in the current research that highlight the specificities of the French competitiveness clusters composed of complementary players (Research, Academic and Enterprise), we intend to focus on the fact that collaborative innovation is tensioned by differentiated strategic intentions and profiles specifically related to heterogeneous, and sometimes conflicting, partners driven by a common project. By an empirical analysis on the ScS French cluster, we try to understand how the customer orientation fits in the clusters, and the role that marketing plays in dynamic collaborative innovation within competitiveness clusters. Keywords: Clusters, networked innovation, customer orientation Mots-clés: Pôles de compétitivité, innovation en réseau, orientation client Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 73 Boualem ALIOUAT Université de Nice Sophia Antipolis GREDEG – CNRS UMR 7321 cheikh THIAW Université de Nice Sophia Antipolis GREDEG – CNRS UMR 7321 INTRODUCTION Le partenariat public-privé se construit parfois sous la forme de réseaux d’innovation, notamment dans le cas des pôles de compétitivité. Des acteurs publics (formation et recherche) associent leurs efforts d’innovation à celui des entreprises qui cherchent à se redéployer sur des marchés nouveaux et porteurs. Mais ont-ils toujours le même objectif ? Un contrat de performance peut-il se construire de manière verticale et par décret (top down) quand les partenaires potentiels sont animés par des intentions divergentes. cet article tente de montrer les limites de certains PPP en tant que concept générique de groupement public-privé lorsque les intentions stratégiques des uns sont plutôt orientées marché alors que les autres sont exclusivement orientés innovation. L’objet de cette recherche est aussi de mieux comprendre le rôle de l’orientation marché au sein des réseaux d’innovation, la place que lui réservent les partenaires au sein des pôles de compétitivité, et l’influence que peuvent avoir les enjeux divergents et les visions différenciées de ces parties prenantes au regard de la dimension marketing dans l’innovation collaborative. conscient de l’intérêt historique, économique et social de la dynamique territoriale pour l’irruption ou le développement d’entreprises compétitives, nous assistons, depuis plusieurs années et partout à travers le monde, à l’instauration de politiques convergentes favorables à l’émergence de milieux innovants et durables. ces politiques ont visé à construire des districts, des clusters, des parcs d’activités, des parcs technologiques ou plus récemment en France, des pôles de compétitivité. L’objectif de ces politiques, à vocation internationale ou mondiale, est d’accroître la compétitivité des économies nationales ou régionales en enchâssant sur une base territoriale spécifiée différents acteurs-ressources et parties prenantes pour des innovations collaboratives. La proximité géographique, institutionnelle et organisationnelle de ces réseaux a d’abord été étudiée en économie spatiale dont les travaux abordent les milieux innovateurs à travers leurs relations localisées et coordonnées comme fondement principal de la compétitivité territoriale (Becattini et Rullani, 1995). L’économie géographique s’est emparée également du sujet pour mettre davantage en exergue la dynamique de proximité en opposant forces d’agglomération et effets de dispersion (Gilly et Torre, 2000). Les ancrages territoriaux, les trajectoires d’évolution, la path dependency, ou encore les investissements de proximité et la fidélisation à un territoire par les coûts de sortie prohibitifs s’inscrivent dans ces courants théoriques (colletis et al., 1997). La sociologie ou les sciences de gestion ont cherché ensuite à enrichir l’analyse des formes de coordination au sein de ces relations localisées, en ne se limitant plus aux aspects matériels de la proximité spatiale, afin de mieux comprendre la structure des interactions entre individus encastrés (Granovetter, 1985) ou l’intensité stratégique de tels réseaux pour la compétitivité des entreprises (Porter, 1998). ces travaux permettent in fine soit d’orienter la gestion et la gouvernance ou les choix stratégiques des réseaux d’innovation, soit d’orienter les choix de financement des collectivités territoriales. Notre travail, focalisé à la fois sur l’orientation marché des partenaires et les dynamiques d’acteurs/projets, s’inscrit dans le prolongement de ces approches (cooke et Piccaluga, 2005). Nous abordons dans une première partie la question des réseaux d'innovation confrontée à l'orientation marché des acteurs et des projets, avant de présenter notre appareil méthodologique dans un deuxième temps, pour exposer dans un troisième temps nos résultats et leur discussion. Réseaux d’innovation et orientation marché Les clusters sont des pôles de compétence régionaux qui intègrent toutes les phases de la chaine de valeur économique (conception, production, distribution) spécialisés dans un domaine technique et susceptible de procurer à leurs membres un avantage compétitif mondial. Les pôles de compétitivité (spécifiques à la France) constituent quant à eux simplement des réseaux de connaissances. ces derniers sont assimilables à des « Knowledge clusters » dont le périmètre se limite à trois ensembles d'acteurs: des entreprises, des acteurs de la recherche et des pôles de formation. Ils constituent un terrain favorable à l'innovation, notamment parce qu’ils offrent une opportunité réelle de développer en leur sein des processus d'innovation ouverts multipliant les liens entre acteurs (essaimages, octroi de licences, partenariats en R&D,...). A ce titre, ils contribuent à accroître l'efficience et l'efficacité de la R&D et de l'innovation (chesbrough, 2003, 2006). On observe généralement que ces réseaux développent des formes de croissance nouvelles qui se propagent aux autres activités locales, notamment de service et de sous-traitance (Aliouat, 2010). Toutefois, cette capacité à innover en mode collaboratif peut varier selon les caractéristiques structurelles des clusters et les comportements adoptés par les acteurs, individuellement ou collectivement. c’est notamment le cas des intentions stratégiques et des profils de partenaires qui peuvent générer des antagonismes ou des dissonances dans l’œuvre collective. Ainsi, peut-on observer des implications marketing plus ou moins engagées selon les partenaires au sein d'un cluster, et a fortiori d'un pôle de compétitivité. Même si Marshall (1910) pensait qu'on ne pouvait dissocier la logique des grappes industrielles de leur orientation marketing, la très grande majorité des recherches s'est essentiellement focalisée depuis sur les externalités en termes de production et beaucoup moins sur les implications en termes d'activités marketing pour chacune des firmes partenaires (Brown, 1999). L’objectif de notre travail est précisément d’en investiguer l’étendue dans le cas d’un pôle de compétitivité mondial : le pôle « Solutions communicantes Sécurisées » (ScS) en région Provence-Alpes-côte-d’Azur1. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 74 Les différentiels d’intentions stratégiques au sein des réseaux d’innovation : une limite au partenariat public-privé – cas du pôle mondial SCS Rappelons que les pôles de compétitivité ont été inspirés par des exemples réussis de territoires et de projets innovants au plan international et européen, notamment à l’image des clusters (Porter, 1998) et des districts industriels (Marshall, 1910 ; Becattini, 1990). Les expériences réussies à l’international démontrent d’ailleurs qu’il est essentiel de développer des modes de coopération inter-organisationnelles au sein des régions afin d’augmenter les externalités positives et favoriser l’innovation pour relever des défis technologiques à fort potentiel de compétitivité future et d’enracinement économique et social sur une territoire donné. Les entreprises se livrent une concurrence grandissante à l’échelle européenne et internationale en raison même de la forte convergence technologique qui caractérise la globalisation des marchés, au même titre qu’un isomorphisme néo-institutionnel s’accroît au détriment des opportunités de différenciation sur des niches spécifiques (DiMaggio et Powell, 1983). Dès lors, les entreprises prennent de plus en plus conscience qu’elles sont contraintes désormais d’intégrer en réseau leurs méthodes de travail de conception, de développement et de production, de même que les pouvoirs publics sont convaincus de l’impératif de valoriser la compétitivité des territoires dans une économie mondialisée, en les dotant d’importants moyens de promotion des innovations collaboratives. En France, cette forme de promotion s’oriente essentiellement vers les réseaux de connaissances à travers le dispositif des pôles de compétitivité. Dès 2004, une impulsion en faveur d’une politique de clusters à la française amorce un dispositif qui deviendra effectif en juillet 2005 avec la labellisation de 67 pôles par le comité interministériel d’aménagement et de compétitivité des territoires, et en juillet 2007, par celle de cinq nouveaux pôles. Ainsi, fin 2008, 71 pôles de compétitivité, dont 7 pôles «mondiaux» et 10 à «vocation mondiale» officiaient en France. Le leadership des pays qui ont fait le choix de favoriser l’émergence de milieux innovants et durables depuis plusieurs décennies à travers leurs districts, clusters, parcs d’activités, ou parcs technologiques, justifie cette initiative inédite en France. L’objectif de cette initiative est d’accroître la compétitivité de l’économie française en enchâssant sur une base territoriale spécifiée trois acteurs ressources de l’innovation collaborative : des entreprises, des centres de recherche publics et privés, et des organismes de formation. ces pôles, forme hybride de cluster et de simple réseau de connaissances, concernent surtout les secteurs industriels à forte intensité technologique et les services à forte intensité immatérielle qui constituent également des bassins d’emplois non négligeables et durables. Les pôles français privilégient la collaboration sous forme de réseaux de connaissances contrairement aux autres formes de clusters à l’international qui incluent des processus de production/distribution. ce centre d'intérêt se justifie par une volonté de se focaliser sur un élément clé de la chaîne de valeur des compétences stratégiques d’acteurs différenciés sur un territoire donné. On considère que l’enjeu majeur est lié à l’amplification de la complexité des processus de connaissance à la base de toute innovation. cette complexité croissante contraint désormais les entreprises à aller au-delà de leurs frontières pour acquérir de précieuses connaissances et compétences, afin de compléter et parfaire leurs propres capacités innovatrices (Becker et Dietz, 2004). De même, la compression des cycles de vie des technologies oblige les entreprises à revoir leurs investissements d’innovation et à élargir leurs assises technologiques sur des bases collaboratives (Nijssen et al., 2001). En ce sens, la fertilisation des processus d’innovation nécessite inévitablement une coopération avec d’autres entreprises ou institutions qui offrent des opportunités d’accès à des ressources technologiques complémentaires (notamment par le « skill sharing »). La coopération peut ici à la fois contribuer à un développement plus rapide des innovations, améliorer l’accès aux marchés à l’échelle mondiale, permettre de bénéficier d’économies d’échelles, et rendre possible un partage des coûts et une répartition des risques (Hagedoorn, 2002 ; López, 2008 ; De Faria et al., 2010). La coopération permet aussi d’établir des combinaisons complémentaires et des synergies susceptibles de réduire les contraintes et d’optimiser la vélocité d’intégration des capacités dynamiques (Becker et Dietz, 2004 ; Dachs et al., 2008). La décision de coopérer signifie le plus souvent que les entreprises associées mettent à disposition des unes et des autres leurs options et gammes technologiques (Mowery et al., 1998 ; caloghirou et al., 2003). Dès lors, les entreprises impliquées ont plus de connaissances à leur disposition que celles qui agissent isolément, car elles sont parties prenantes aux réseaux où se trouve de meilleurs flux d’informations et de connaissances à exploiter (Gomes- casseres et al., 2006 ; Rodrigues Bandeira et al., 2012). Au demeurant, ce travail est le résultat d’une recherche empirique qui repose sur deux intentions qui traitent à la fois de l’importance des réseaux d’innovation dans la dynamique des territoires et de la négligence généralement portée à l’une des variables déterminantes de cette dynamique : l’orientation « marché » (ou « client ») des innovations en réseau. Premièrement, nous observons que la compétitivité à l’échelle internationale repose à la fois sur le partage des connaissances en réseau et les incitations (1) Ce pôle couvre la chaîne de valeur des TIC (des semi-conducteurs aux usages) et comprend 30 Grands groupes industriels, près de 200 PME innovantes, 18 établissements et organismes de recherche et de formation de renommé mondiale, des plateformes de mutualisation de moyens, des centres nationaux fédérant un réseau d’experts, plus de 380 projets labellisés depuis juillet 2005, pour plus de 1.1 Milliards € de dépenses engagées et un réseau d’associations professionnelles rassemblées au sein du PRIDES SCS : Arcsis, MobiSmart, Medinsoft, SAME, Telecom Valley. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 75 à l’innovation collaborative. Deuxièmement, nous observons que si les réseaux d’innovation ont été largement étudiés et conduits par des outils de pilotage, de gouvernance et de coordination (Aliouat, 2010 ; Ehlinger et al., 2007 ; Fen chong, 2009 ; Bocquet et Mothe, 2009), par la finance, la propriété intellectuelle ou les pratiques RH (colle R. et al., 2008 ; Defélix et al., 2008), par la formation (Maury, 2008), par la confiance entre les partenaires (Bouchet et al., 2008), par les externalités (Bouabdallah et Tholoniat , 2006), par la dynamique des PME (Mendel A. et Bardet M., 2008 ; Dang, 2011), une carence persiste dans les recherches actuelles à propos de l’orientation stratégique composite des réseaux d’innovation, en particulier l’orientation « marché ou client » dans la dynamique des projets/acteurs évoluant dans le « monde » de l’innovation collaborative (au sens de la socio-économie pragmatique de Boltanski et Thévenot, 1991). Nous avons précisément mené une analyse empirique cherchant à modéliser le rôle de cette dimension dans la performance des réseaux d’innovation, en nous basant sur l’expérience des pôles de compétitivité français, avec une investigation focalisée sur le pôle ScS en région PAcA. Le pôle ScS a été retenu en raison de son profil, de la nature de ses projets et de son historique collaboratif avec notre laboratoire de recherche (abondance de données préexistantes au sein du cNRS - UMR7321), mais aussi du fait de la grande variété de ses domaines d’activités, le profil spécifique de ses membres et ses facteurs d'émergence historiques (Technopole de Sophia-Antipolis, Plans portés par des « champions nationaux » [Longhi (2008)]. Les facteurs d’incitation à la coopération peuvent en effet être en conflit avec des intentions et des profils d’acteurs différenciés et difficiles à mettre en consonance ou en cohérence. L’orientation client, comme nous le verrons, apparaît le plus souvent comme le nœud gordien des difficultés que rencontrent les pôles de compétitivité dans l’atteinte de leurs objectifs assignés. Notre objectif consiste à contribuer à une meilleure compréhension de la façon dont s’intègre la dimension marketing dans les clusters, et le rôle qu’elle joue dans la dynamique d’innovation collaborative au sein des pôles de compétitivité. La particularité des pôles de compétitivité, forme hybride de cluster, est que cette forme d’innovation collaborative implique désormais la participation d’acteurs autres que ceux issus du monde économique, à savoir les acteurs de la recherche et ceux de la formation. cette particularité nécessite de poser clairement la question des intentions stratégiques du réseau d’innovation composite, notamment quant à l’orientation marché des parties prenantes et son impact sur la performance de ces clusters hybrides. Des obstacles à l’innovation collaborative avaient déjà été observés par les rapports d’audit du BcG - cM International, de la DGcIS, ou de KPMG en 2008 et 2009, laissant apparaître des problèmes de fonctionnement, de gouver- nance et de performance des pôles, malgré plusieurs retombés positives : la phase I.0 (2005-2008) a permis de renforcer les liens entre les acteurs autour de projets de R&D collaboratifs ; la phase 2.0 (2009-2012) a permis d’aboutir à un meilleur renforcement de l’écosystème d’innovation et de croissance des pôles de compétitivité, avec la mise en place de contrats de performance entre l’État, les collectivités territoriales et les pôles de compétitivité . En 2012, une nouvelle évaluation de la politique des pôles de compétitivité vient d’être achevée par Bearing Point – Erdyn - Technopolis ITD (BP-ET-ITD, un consortium mandaté par l’Etat français). D’une manière générale, si leur rapport relate «une dynamique collaborative désormais mature et attractive pour les entreprises » et « des effets importants en matière de soutien aux innovations » (BPET-ITD, 2012, p.148), il pointe du doigt quelques écueils à l’innovation collaborative notamment dans ses objectifs de générer des innovations prêtes pour l’accès aux marchés. Le rapport note une plus forte concentration des actions des pôles en faveur du soutien aux projets de R&D collaboratifs au « détriment » d’actions ayant trait à « la mise sur le marché des innovations » ; ce qui relèguerait les pôles de compétitivité à un simple statut d’« usines à projets » (BP-ET-ITD, 2012, p.149). Alors que l’innovation collaborative au niveau des pôles de compétitivité est d’abord une question de gestion de projets qui, en plus de son caractère inter-organisationnel, fait intervenir des partenaires non industriels (recherche et formation), les questions relatives à la dimension marketing des stratégies employées dans les projets d’innovation collaboratifs ont été peu étudiées. Le projet collaboratif est pourtant « la matrice de fonctionnement des pôles » (Fen chong, 2009), et ne justifie pas que les premiers travaux sur les pôles de compétitivité aient négligé la gestion du projet collaboratif lui même (Defélix et al., 2008). L’approche marketing à travers l’orientation client des projets est cependant trop souvent délaissée voire totalement ignorée. Paradoxalement, l’innovation collaborative à l’échelle des pôles de compétitivité vise en premier lieu à créer des débouchés nouveaux, c’est-à-dire à générer des innovations prêtes à être diffusées sur les marchés. Ainsi, d’après Mendez et al. (2008) « la stratégie française de financement de l’innovation, hormis les aides individuelles, reste polarisée sur des modes de financement qui continuent à légitimer essentiellement l’organisation et les spécificités de deux types d’acteurs, les grandes entreprises et les organismes de recherche fondamentale dans une politique de projets de R&D » (Mendez et al., 2008, p.51). ce travail vise d’abord à expliquer les mécanismes d’intégration de la dimension Marketing dans la dynamique d’innovation collaborative et plus particulièrement, à travers l’orientation client/marché des projets d’innovation collaboratifs, en sachant que cet aspect client ne s’imprègne pas de la même manière auprès de l’ensemble des acteurs. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 76 Les différentiels d’intentions stratégiques au sein des réseaux d’innovation : une limite au partenariat public-privé – cas du pôle mondial SCS En effet, le contexte inter-organisationnel marqué par une hétérogénéité des parties-prenantes (entreprises, laboratoires de recherche et organismes de formation) conduit nécessairement à une différence d’approches marketing et de stratégies d’innovation. Outre le fait que les acteurs n’ont pas les mêmes sensibilités vis-à-vis des questions « client » et « marché », retenons que chez certains acteurs impliqués dans le projet d’innovation collaboratif, il y a même absence d’objectifs de création de valeur orientée vers le marché. c’est le cas, toute chose égale par ailleurs, des laboratoires de recherche ou des institutions de formation. De même, au sein des acteurs entrepreneuriaux (grands groupes et PME), l’aspect orientation client et l’approche marketing ne sont pas intégrés de la même manière, du fait notamment de la différence des types de projets ou des périmètres d’intervention sur ces projets. Dans cette perspective, notre problématique se décline en trois questions principales : (1) comment l’objectif de l’orientation client s’intègre à la dynamique d’innovation collaborative des projets d’innovation technologique conduits au sein des pôles de compétitivité ? (2) L’orientation client est-elle spécifique à certains profils d’acteurs au sein des Projets d’Innovation collaboratifs ? (3) L’orientation client a-t-elle une influence spécifique sur l’architecture des projets d’innovation collaboratifs ? cette intention de recherche vise à identifier les déterminants de la dynamique de l’innovation collaborative au sein des pôles de compétitivité, à décrire les combinaisons d’acteurs, d’intentions stratégiques, de ressources, de compétences et de capacités des projets d’innovation collaboratifs ainsi que les obstacles à cette forme d’innovation, et enfin à modéliser l’articulation de l’intégration de la dimension marketing dans l’innovation collaborative à travers la place de l’orientation client/marché à la fois dans la genèse et le choix d’orientation d’un projet d’innovation collaboratif. Revenons cependant sur les fondements de l’innovation collaborative relevant du cas spécifique des pôles de compétitivité. Si on positionne les appels à projet de R&D des pôles dans la nomenclature TRL (Technology Readiness Level) (Mankins, 1995) adapté au processus de développement de technologies, on remarque qu’en fonction des tailles de projets, il y a des zones non ou moins couvertes par les dispositifs de soutien de l’innovation collaborative dans le cadre des pôles de compétitivité. Le TRL est un cadre d’analyse à 9 niveaux, initialement exploité sur les systèmes militaires, notamment par la NASA. Il offre un cadre d’analyse de la capacité de déploiement d’un système. En général, le TRL (« Niveau de Maturité Technologique ») permet de mettre en place un cadre d’analyse efficace sur la capacité de déploiement de nouvelles technologies au sein des organisations parfois diverses (Mankins, 2009). L’échelle TRL est composée de 9 niveaux de mesure permettant d’évaluer le degré de maturité d’une technologie avant de l’intégrer dans un système (voir dans le schéma 1 la liaison entre les différentes étapes de développement et de maturation des technologies, et leurs formes de soutien financier dédiées). La position des appels à projet de R&D sur le cycle de Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 77 développement technologique (TRL) laisse apparaître que les étapes proches du marché ne bénéficient pas de soutien, et les actions des pôles de compétitivité sont uniquement concentrées dans le montage et le financement des projets d’innovation collaboratifs, sans suivi permanent des phases successives de développement vers des marchés spécifiques. En d’autres termes, les projets sont financés jusqu’au développement d’un prototype (β Product), sans aucune implication structurelle dans les phases TRL 7, 8 et 9 sus-évoquées dans le schéma 1, notamment par le Fonds Unique Interministériel français. Sur la base de ces limites intrinsèques, nous exposons à présent, dans notre partie consacrée à la méthodologie, les spécificités de notre terrain d’étude et la justification de nos propositions de recherche. Méthodologie : Mesure de l’influence des intentions stratégiques différenciées Notre projet de connaissances s’inscrit dans le courant des travaux de recherche qui mettent en exergue les spécificités du dispositif français des pôles de compétitivité composés d’acteurs complémentaires (Recherche, Formation et Entreprises), en mettant notamment l’accent sur le fait que l’innovation collaborative est mise en tension par des intentions stratégiques différenciées, liées précisément aux profils hétérogènes, et parfois divergents, des acteurs animés par un projet commun. Nous nous sommes focalisés sur trois points favorisant l’innovation au sein d’un réseau d’innovation collaboratif. Il s’agit dans un premier temps d’analyser comment les acteurs au sein du réseau coopèrent afin d’assurer un partage de leurs ressources et connaissances (Sakakibara, 1997 ; Doz, Olk et Ring, 2000). Le deuxième niveau d’analyse s’intéresse aux manières de collaborer afin de développer des procédés technologiques (Hagedoorn, Link et vonortas, 2000) ; Arranz et de Arroyabe, 2006). Le troisième niveau d’analyse concerne les modes de gouvernance des réseaux, pour mettre en exergue les méthodes mobilisées pour développer des projets de R&D collaboratifs dans un environnement marqué par la présence de différentes parties-prenantes (Dyer et Singh, 1998 ; Kulmann et Edler, 2003). Sur cette base, nous formulons trois propositionsde recherche complémentaires et progressives conformément au caractère abductif de la recherche: Proposition 1 : L’hétérogénéité des acteurs mobilisés par des projets communs au sein des pôles de compétitivité structure des architectures d’innovation collaborative ellesmêmes hétérogènes car ces parties prenantes actionnent des rationalités différentes. Proposition 2 : Les modalités et les contours des projets d’innovation collaboratifs conduits au sein des pôles de compétitivité se caractérisent par des spécificités en lien avec les intentions stratégiques des acteurs. Proposition 3 : L’intégration de la dimension marketing dans les projets d’innovation collaboratifs répond à des attracteurs de sens qui sont en corrélation avec la nature des acteurs et les finalités poursuivies ; cette intégration de la dimension marketing subit l’influence négative de l’hétérogénéité des acteurs des pôles de compétitivité. Notre recherche est de type « qualimétrique » (Savall et Zardet, 2004), c’est-à-dire que dans ses deux phases principales elle est basée sur une approche qualitative descriptive (méthode de cas à propos d’un système intégré et en fonctionnement au sens de Yin, 1984) couplée à une démarche quantitative de mesure et de traitement mathématique des données. Ainsi, le protocole de collecte de données, majoritairement primaires, a permis de mobiliser différentes techniques et méthodes. Nous avons utilisé un guide d’entretien afin d’analyser les acteurs du champ à partir de leur discours, puis un questionnaire quantitatif qui nous a servi de moyens de récolte d’informations complémentaires et confirmatoires. Les données issues de quarante entretiens semi-directifs auprès de 40 acteurs différents ont été croisées avec d’autres données (secondaires publiques et privées, et données d’observation passive). Nous avons mené nos entretiens entre novembre 2011 et avril 2012. chaque entretien a duré 2h en moyenne, et avons retranscrit 1063 pages analysées ensuite par Nvivo. Un questionnaire a été établi en complément pour consolider certaines informations factuelles et donner sens aux tendances apparues à l'issue des entretiens. Les données majoritairement discursives ont fait l’objet d’un codage préalable à une analyse de contenu que nous avons réalisé à l’aide du logiciel Nvivo 9, puis à une quantification en vue d’un traitement multivarié réalisé avec deux logiciels d’analyse et de traitement de données quantitatives (STATISTIcA et XLSTAT). ce sont des données sous formes de variables binaires (échelles dichotomiques). cette recherche de conceptualisations nouvelles, et néanmoins valides, se réfère à l’étude d’un cas singulier : une recherche idiographique sur le pôle de compétitivité ScS (Solutions communicantes Sécurisés) au sens de Tsoukas (1989), que nous avons menée selon une démarche « abductive » (Thiétart, 2007) et dans un cadre « interprétativiste » cherchant à comprendre comment nos acteurs construisent le sens qu’ils donnent à leur réalité sociale vécue au sein des pôles de compétitivité (Girod-Séville et Perret, 1999). La compréhension et l’explication des mécanismes d’intégration de l’orientation client/marché dans la dynamique d’innovation collaborative au sein des pôles de compétitivité nous conduit à fonder notre analyse d’émergence sur des données qualitatives et à privilégier l’alternance de collecte et d’analyse propre à la « Grounded Theory » (Glaser et Strauss, 1967 ; Glaser, 2004). cette méthodologie permet d’éclaircir « les mécanismes sousjacents d’un phénomène dans une démarche explicative Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 78 Les différentiels d’intentions stratégiques au sein des réseaux d’innovation : une limite au partenariat public-privé – cas du pôle mondial SCS (...) à travers une réitération constante entre les matériaux empiriques et la théorie afin d’émettre des conjectures qui permettent d’expliquer le phénomène» (Dang, 2011, P.10). Si l’étude exploratoire porte principalement sur le pôle ScS qui couvre la chaîne de valeur complète des métiers des TIc2 par opportunités de terrain et réflexion conceptuelle (Miles et Huberman, 2003), nous avons aussi analysé et interviewé des acteurs d’autres pôles de la région en tant que panel de contrôle et par souci d’analyse comparative permettant d’améliorer et la validité interne de notre étude et son caractère généralisable (Yin, 1984). Notre recherche est donc largement appliquée aux réseaux d’innovation de la région Provence-Alpes-côte-d’Azur (PAcA). Nous avons ainsi investigué les pôles Pégase, Mer PAcA, PASS (Parfums, Arômes, Senteurs, Saveurs) et capénergies, sachant que parmi les acteurs du pôle ScS, certains font également partie d’autres pôles de compétitivité précités. Le choix de ces Pdc comme panel de contrôle s’explique par l’importance qu’ils jouent dans la région, la convergence de leurs activités avec celles du pôle ScS, ou encore le poids important de leurs membres. ce pôle ScS labellisé « pôle mondial » et fédérant fin 2012 plus de 280 adhérents, se caractérise par des points d’ancrage conceptuels intéressants pour notre projet : une empreinte historique3, une variété de ses membres, une forte étendue de son territoire et un poids économique, qui en font un terrain d’étude fertile offrant un potentiel réel en termes de découvertes et de perspectives quant aux conditions de réussite ou d’échec de l’intégration de la dimension Marketing par l’orientation client/marché des projets. L’orientation stratégique du pôle ScS convenait à notre projet de recherche car la stratégie du réseau se déploie à travers sept axes de l'écosystème ScS (cf. schéma 2) parmi lesquels, un pivot relatif aux projets de R&D collaboratifs nous intéresse particulièrement dans le cadre de notre projet de recherche, et dans une moindre mesure celui des centres d’expertise et des plateformes R&D. Nous avons mené nos entretiens entre les années 2011 et début 2012 en nous focalisant sur des acteurs dédiés à l’animation de l’écosystème, au recensement des formations disponibles dans les métiers des TIc, à l’accompagnement des TPE/PME, à la promotion du développement international par le renforcement des relations inter-clusters et l’accompagnement des TPE/PME, et enfin et surtout aux acteurs dédiés à la mise en « Relation Business » à travers le développement de synergies (commerciales, techniques,...) entre les membres du pôle. Notre investigation porte sur différents types d’acteurs (re- (2) Le pôle SCS comprend les métiers de la Microélectronique, du Logiciel, des Télécommunication, du Multimédia. Ses applications concernent la Traçabilité, la Connectivité, l’Identité, la Mobilité et de façon transversale la Sécurité. Ses marchés dédiés sont l’Industrie, la Santé, le Transport / Logistique, l’Agroalimentaire, ou le Développement Durable. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 79 présentants de laboratoires de recherches et des centres de recherche publics et privés comme INRIA et l’institut EUREcOM ; des membres des structures de pilotage des pôles eux-mêmes et des dirigeants et cadres d’entreprises dédiés à la coordination des actions de partenariat auprès des pôles, qu’il s’agisse de grands groupes industriels (GGI), ou d’ETI, PME, et TPE (regroupées en PME)4 ; des délégués d’institutions publiques (chambres de commerces et de l’industrie, des personnes issues d’organismes de formation publics et privés et enfin des représentants d’associations comme Télécom valley, de la Fondation Sophia Antipolis, du cOSMED) (cf. Schéma 3). Tseng et Lee, 2009). Toutes les modalités ont des α proches de 0,9. Dans un second temps, nous avons utilisé les logiciels de statistique STATISTIcA puis XLSTAT (pour pallier les limites de STATISTIcA à 7 variables et modalités intégrables à l'outil) et pour procéder cette fois aux analyses des correspondances multiples. A partir de nos données secondaires issues essentiellement de documentations électroniques internes et externes, nous avons aussi réalisé des observations directes passives à travers notre participation à des réunions (notamment du pôle Pégase dans les locaux de notre laboratoire de recherche), dans le cadre de petits-déjeuners réguliers organisés par les pôles (no- Outre nos recueils de données primaires conventionnelles analysées via Nvivo 9 et mesurées par STATA (calcul d’alpha de cronbach) pour transformer nos tableaux disjonctifs complets en tableaux de Burt, et tester la fiabilité des données et la validité des échelles de mesure. Les résultats procurés par le logiciel STATA montrent clairement que tous les facteurs analysés ont atteint un alpha de cronbach supérieur au niveau requis, à savoir 0,7 (cuieford, 1965 ; tamment par le pôle « Eau »), ou encore au travers de conférences sur le thème des pôles de compétitivité (notamment, lors du 4ème Forum des Pôles de compétitivité qui s’est tenue à Sophia Antipolis les 13 et 14 Novembre 2008)5. Nos résultats mettent en exergue des dissonances innovation/orientation client qui corroborent nos propositions de recherche. (3) Nous percevons encore aujourd’hui les traces originelles de leur développement qui influencent le fonctionnement actuel du pôle de manière significative. C’est le cas dans une certaine mesure du rôle primordial des réseaux d’innovations traditionnels encrés sur ces territoires, mais aussi particulièrement en ce qui concerne «la spécialisation des connaissances, la structure des réseaux prédominants et les configurations de partenariats» [Dang (2011)]. (4) Recommandation 2003/361/CE de la Commission européenne, du 6 mai 2003, concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 80 Les différentiels d’intentions stratégiques au sein des réseaux d’innovation : une limite au partenariat public-privé – cas du pôle mondial SCS Résultats et discussion Dans ce contexte hétérogène, l’analyse des principaux résultats de la recherche nous incite à orienter notre réflexion vers les trois éléments suivants : les déterminants de la dynamique des projets d’innovation collaboratifs (1), les contours et leurs modalités (2) et les axes d'intégration de leur dimension marketing à travers l’orientation client/marché (3) : • Les déterminants des projets/acteurs suggèrent que la dynamique d’innovation collaborative est influencée par la nature des parties prenantes, le profil et la légitimité des acteurs individuels, l’action des pouvoirs publics et l’existence de solides liens de réseaux. Les déterminants structuro-fonctionnels et économiques confirment l’hétérogénéité de la composition des acteurs. c’est-àdire, d'une part, que les acteurs des projets d’innovation collaboratifs sont sensiblement différents entre eux sur plusieurs variables discriminantes, et d’autre part, que des différences particulières apparaissent même au sein des groupes homogènes d’acteurs. Enfin ces acteurs, comme dans tout écosystème, se caractérisent aussi par un déséquilibre de poids économique et financier. Les déterminants psychosociaux (Statut, Formation et Background) concernent les profils de la ou des personnes physiques qui représentent les organismes dans les pôles de compétitivité à travers la gouvernance et/ou à travers leurs participations aux projets d’innovation collaboratifs. Au final, ces caractéristiques forment le profil synthétique de ces individus autour de trois catégories de profils (annexe 1): « Technocrate », « Managérial » et « Techno- managérial» que nous décrivons supra. Enfin, les différentes caractéristiques confèrent aux individus plus ou moins de légitimité dans les activités autour du pilotage de l’innovation collaborative de leur écosystème : légitimité du profil, historique, internationale et institutionnelle. Les déterminants institutionnels suggèrent que la dynamique d’innovation collaborative subie l’influence de l’action des pouvoirs publics, et que l’existence de solides liens de réseaux autour du pôle représente un facteur de renforcement de cette dynamique. • Les modalités et les contours de l’innovation collaborative dans le contexte inter- organisationnel des pôles de compétitivité obéissent, quant à eux, à l’hétérogénéité des parties prenantes, à des intentions stratégiques et des objectifs de valorisation différenciés. Les principales intentions stratégiques révélées ont trait à la recherche de complémentarité (1), de financement (2), de compétitivité (3), d’accès à des marchés (4), de valorisation d’image (5), d’avancée technologique (6), de valorisation de la recherche (7), d’apprentissage (8) et de partage de risques (9). Les objectifs de valorisation identifiés par notre recherche sont associés à des éléments de mesure des effets bénéfiques d’une détention de connaissances. Les objectifs de valorisation qui découlent de ces éléments positifs sont: la codification par la propriété intellectuelle (PI), la publication, l’Open Source et le développement de savoir-faire. • Les axes d’intégration de la dimension marketing à travers l’Orientation client/Marché des projets d’innovation collaboratifs sont en revanche d’origine tripartite : Etat, Pôles de compétitivité et Entreprises (Grands groupes Industriels et PME). Après avoir étudié le profil des acteurs, nous nous sommes intéressés à l’analyse de l’impact des profils sur leurs objectifs tactiques et stratégiques qui expliquent leur adhésion aux pôles de compétitivité et leur participation aux projets d’innovation collaboratifs. La différence d’objectifs en fonction des profils d’acteur est une première résultante de notre analyse Nvivo des contenus discursifs des acteurs interrogés. Le logiciel Nvivo 9 nous offre en effet une carte de connexions qui permet de relier, à partir des nœuds de codage préétablis, pour chaque type de personnalité des répondants à des éléments qui sont ici les objectifs de mise en commun des acteurs. confirmés par des seuils de signification fiables, ces éléments correspondent aux objectifs tactiques et stratégiques liés à la décision des parties prenantes d’intégrer le pôle et de prendre part à la mise en commun de ressources et compétences pour générer des innovations communes qui seront bénéfiques à l’ensemble regroupé à travers un PIc. A cet effet, le schéma 4 généré par le logiciel Nvivo 9 permet de mettre en exergue un trio d’objectifs : • la recherche de complémentarité, avec 23 acteurs sur 40, soit 14 des 19 PME, 5 GGI sur 8, 1 laboratoire de recherche (LR) sur les 5 de notre panel et 2 des 3 représentants du pôle ScS dans notre échantillon ; (5) Le thème de cette conférence abordait la question des réseaux d'innovation au sein l’Europe, compte tenu de la publication mi-octobre par la Commission européenne d'un rapport sur la politique européenne des clusters. Les thèmes développés ont été orientés notamment sur les clusters d’excellence et sur l’innovation, la coopération inter-clusters, la professionnalisation des structures de gouvernance, le financement, et la gestion du capital humain. Elle s’est tenue en même temps qu’une conférence interministérielle consacrée à la stratégie européenne en matière de pôles de compétitivité. Elle s'est prononcée sur les opportunités d'instauration de pôles de compétitivité européens de renommée mondiale (La conférence ministérielle sur les pôles de compétitivité du 14 novembre 2008 : WWW.competitivite.gouv.fr) Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 81 • la recherche de financement, avec 21 répondants, soit 7 PME et une ETI, 4 GGI, les 5 LR de notre panel et 2 répondants du pôle ScS ; • la recherche de compétitivité, avec 12 répondants qui correspondent à 5 PME, 4 GGI, 1 représentant du pôle ScS et un représentant de la ccI de Nice. • Dissonances par catégories d’acteurs : o Les entreprises (GGI et PME) qui ont un niveau d’orientation « client » fort voire très fort et des orientations « innovation » moins importantes, voire faibles pour les PME (quasi exclusivement orientées « client »). o Les acteurs du pilotage des pôles de compétitivité à la Les résultats issus de nos analyses des correspondances multiples à un seuil de significativité fiable (annexes 1, 2 et 3) mettent également en avant trois catégories et trois profils d’acteurs différenciés pour lesquels l’orientation client et l’orientation innovation sont plus ou moins fortes, et plus ou moins en dissonance (cf. schéma 5). ces catégories et profils discriminants mis en tension au sein des pôles de compétitivité investigués donnent une représentation intéressante des conflits de perception et de périmètre de projets des parties prenantes, même si certains dénominateurs communs animent les partenaires aux projets d’innovation collaboratifs, à savoir, pour l’essentiel, les financements et la complémentarité des ressources et des compétences mobilisées. Ainsi, nos profils et catégories répertoriés laissent percevoir les dissonances suivantes : fois orientés « innovation » et dans une moindre mesure orientés « client ». o Les acteurs de la recherche (Laboratoires et centres de recherche) ont un niveau d’orientation « client » moyen, voire faible pour les organismes de formation, mais un niveau d’orientation « innovation » fort voire très fort. • Dissonances par profils d’acteurs : o Profils « managériaux » (qui sont pour une mise en avant des attentes des clients dans leurs stratégies et considèrent l’innovation comme une réponse aux seules attentes du marché et qui sont essentiellement constitués d’acteurs « entreprises », surtout de PME) : Niveau d’orientation « client » très fort, avec un niveau d’orientation « innovation » moyen ; o Profils « Techno-managériaux » (proches du profil managérial, mais qui n’excluent aucune intention effective Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 82 Les différentiels d’intentions stratégiques au sein des réseaux d’innovation : une limite au partenariat public-privé – cas du pôle mondial SCS de relever des défis de R&D. ce sont des acteurs de pilotage de pôles ou des acteurs de GGI: Niveau d’orientation « client » fort, avec un niveau d’orientation « innovation » faible ; o Profils « technocrates » (misant essentiellement sur leurs compétences de R&D et principalement constitués des organismes de recherche, même si certains acteurs de GGI se retrouvent parfois dans ce profil): Niveau d’orientation « client moyen », voire faible, avec un niveau d’orientation « innovation » fort ou très fort. novation collaboratifs, mais manifestent toujours un grand intérêt pour la dynamique de l’écosystème régional. En dehors de la recherche de financement qui est un objectif commun à l’ensemble des acteurs, nous observons des intentions stratégiques différenciées assez nettes à l’issue de nos analyses de correspondances multiples : • les « technocrates » poursuivent prioritairement des objectifs stratégiques ayant trait à la valorisation de la recherche et à la recherche de l’avancée des technologies ; La différence de nature des acteurs qui décident de rejoindre les pôles de compétitivité investigués s’accompagne d’une différence d’objectifs et de finalités. Les raisons d’adhésion des acteurs dans les pôles ne sont pas identiques même si tous semblent admettre que la recherche de financement est la motivation première de l’accès à l’innovation collaborative. viennent ensuite : (1) la recherche d’une meilleure connaissance de l'écosystème régional, (2) la soumission à des contraintes réglementaires liées aux conditions de financement et de labellisation des projets d’innovation collaboratifs, (3) la valorisation de l’entreprise, (4) Et enfin, la contribution au dynamisme de la région. Ainsi, sur ce dernier point qui n’est pas négligeable, certains dirigeants, comme le DG de Texas Instrument à l’origine du pôle ScS, ou les dirigeants de la multinationale Amadeus, ne sont plus très impliqués dans les projets d’in- • les profils « managériaux » privilégient davantage la complémentarité et la « compétitivité de marché » ; • enfin pour les « technico-managériaux », la complémentarité et la compétitivité sont les deux objectifs stratégiques qui viennent après la recherche de financement. Globalement, nos analyses des correspondances multiples indiquent que la recherche de complémentarité va de pair avec l’objectif d’apprentissage, que la recherche de financement est liée au partage du risque, et que la valorisation de l’image ainsi que la recherche de réponses à un marché peuvent être conglomérées avec le besoin de compétitivité. De même, la recherche de financement est associée à l’intention d’acquisition de ressources mais aussi à la création de valeur financière. Nos résultats synthétiques expriment également trois en- Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 83 seignements majeurs qui sont relatifs à un écart manifeste entre les connaissances des industriels (GGI et PME) et celles des chercheurs (laboratoires et centres de recherche), notamment quant à la catégorisation des connaissances en fonction des profils et des intentions des acteurs au sein des pôles de compétitivité : • Les GGI se distinguent par la quasi-complétude de leurs bases de connaissances puisqu’ils disposent de l’ensemble des connaissances disponibles dans l’écosystème. Leurs bases de connaissances se rapprochent davantage de celles des chercheurs. cependant, pour certaines catégories de connaissances comme les connaissances scientifiques et celles relatives aux aspects hautement technologiques et techniques, les organismes de recherche ont une longueur d’avance. c’est la raison pour laquelle les acteurs GGI expriment le besoin d’un recours à ces partenaires au sein des pôles pour lever les verrous technologiques qui les empêchent d’avancer vers les innovations qu’ils souhaitent mettre en place. • Les PME disposent de moins de marge de manœuvre en termes de connaissances disponibles comparées aux autres acteurs. c’est sans doute ce qui explique leur objectif stratégique premier qui consiste à rechercher des complémentarités. • Les Organismes de recherche quant à eux dépendent des autres acteurs dans l’optique d’une innovation collaborative qui permet la génération d’innovations créatrices de marchés nouveaux. Leur base de connaissances est limitée en termes de perspectives « client / marché » et de connaissances métiers, alors que ce sont eux qui détiennent les connaissances qui permettent de lever les verrous technologiques. Ils ont donc besoin des acteurs industriels qui leur apportent des connaissances ayant trait au marché. Ainsi comme l’indique, dans son verbatim, christian Bonnet, Institut EUREcOM, «en tant que laboratoire de recherche, notamment dans le domaine des mobiles, si nous pouvions avoir directement accès aux informations liées aux orientations client, nous saurions quel type d’application et quel type de services développer à coup sûr. Nous, à notre niveau, ce sont des informations stratégiques que nous ne pouvons pas voir, parce que nous ne sommes pas directement confrontés au marché. En revanche, nous saurions dire quels sont les moyens techniques, quels sont les limitations des réseaux et des tuyaux, des supports techniques qui empêchent d’aller plus loin. Nous connaissons les verrous technologiques que ce soit dans le réseau, dans l’accès radio, etc. Et donc là nous avons une vraie valeur ajoutée. cependant, la question de savoir quel service ou quelle application développer restera toujours une interrogation pour laquelle nous aurons constamment besoin des opérateurs qui valorisent les produits». Pour qu’un projet d’innovation de produit et/ou de service intra-organisationnel se déroule convenablement, des compétences fonctionnelles et d’intégration sont requises (Loufrani- Fedida, 2006). Il en est de même pour les projets d’innovation collaboratifs menés au sein des pôles de compétitivité, mais le caractère inter-organisationnel de ces derniers les rend plus complexes à manager. En effet, comme nous l’observons, les acteurs réunis autour d’un projet d’innovation collaboratif ne disposent pas des mêmes marges de manœuvres et ne réalisent pas des pratiques similaires, notamment en ce qui concerne la valorisation de leurs connaissances et compétences clés. A titre d’exemple, si pour protéger leurs connaissances certains acteurs optent pour la propriété intellectuelle (PI), d’autres privilégient le partage ou des méthodes de protection fondées sur le secret de fabrique. Ainsi, s’il y a une convergence des considérations des acteurs concernant les caractéristiques propres aux connaissances, celles relatives au caractère contrôlable des connaissances font apparaître quelques divergences d’opinions qui se révèlent ensuite avec force dans l’étude de la question relative aux objectifs de valorisation. L’objectif de valorisation est en corrélation directe avec ce que les acteurs considèrent comme des éléments positifs d’octroie de connaissances clés. Parmi ces éléments positifs de la détention de connaissances clés que nous listons dans le tableau 1, la détention d’une propriété intellectuelle, son exploitation commerciale et la compétitivité qu’elle permet motivent essentiellement les GGI et les PME, tandis que les questions relatives à la valorisation sont associées exclusivement à la publication pour les laboratoires de recherche. Les centres de recherche ne présentent pas de convergence forte avec les laboratoires de recherche en ce sens que les questions de propriété intellectuelle, de marché et de compétitivité sont prises en compte de manière plus prégnante. La question des réseaux à constituer est plus importante pour les PME en revanche. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 84 Les différentiels d’intentions stratégiques au sein des réseaux d’innovation : une limite au partenariat public-privé – cas du pôle mondial SCS De ces éléments d’identification des facteurs positifs de la détention de connaissances découlent des objectifs de valorisation qui présentent certes une forme de cohérence globale pour le pôle de compétitivité ScS, mais dont la cohésion interne est mise à mal par des perceptions dissonantes d’acteurs (les parties prenantes des pôles) sur les quatre objectifs suivants : • La codification en propriété intellectuelle ! Le développement de savoir-faire • La publication • L’open source ce chevauchement des intentions stratégiques peut être illustré concrètement à travers les objectifs de valorisation des connaissances clés. En effet, la plupart du temps, les industriels souhaitent protéger les connaissances issues des collaborations et les développer en termes de savoirfaire, alors que pour les chercheurs la valorisation passe d’abord par la publication, même si de plus en plus d’organismes de recherches optent pour la propriété intellectuelle. c’est pourquoi, les études qui ont été réalisées sur ce sujet6 montrent que la valorisation des résultats issus de la recherche collaborative publique-privée passe très souvent par des canaux de nature informelle, débordant largement le canal des dépôts de brevets et autres accords de licence : articles de recherche, rapports techniques, relations de conseil, réunions, séminaires, groupes de travail avec le personnel des entreprises (cohen et al., 1998 ; MeyerKrahmer et Schmoch, 1998). De même, pour la majorité des laboratoires et centres de recherche, il est établi que les accords de propriété intellectuelle ne représentent qu’une infime source de revenus. Ainsi, d’après Swamidass et vulasa (2008), même pour les Etats-Unis, qui sont réputées en avance sur la France dans ce domaine, l’enquête annuelle de l’AUTM7 révèle que les revenus d’accords de licence, quoique en augmentation, ne contribuent qu’à environ 3 % du budget de recherche des universités. CONCLUSION Notre travail repose spécifiquement sur la compréhension de la façon dont s’intègre la dimension marketing (dans le sens de l’orientation marché ou client), et du rôle que celleci joue dans la dynamique d’innovation collaborative au sein des pôles de compétitivité. Notre recherche tente de formaliser des connaissances situées dans la pratique des acteurs par l'identification des conditions de réussite ou d’échec de l’intégration de la dimension marketing dans les projets d’innovation collaboratifs, à l'intention des animateurs de pôles de compétitivité. De manière générale, cette différenciation au niveau des objectifs de valorisation peut avoir des répercussions sur l’orientation des projets d’innovation collaboratifs, même si cet impact ne concerne pas, dans notre étude, les phases de déploiement des projets dont il serait utile d’approfondir les voies de recherche en termes d’impact par contrecoup différé dans le temps lorsque en dehors du pôle les partenaires développent leurs propres produits ou services innovants. En effet, les déterminants de l’innovation collaborative dans les pôles de compétitivité influencent l’intégration de l’orientation clients/marché dans les projets d’innovation collaboratifs, ce qui suscite une disparité de comportements vis-à-vis du management de l’innovation et, in fine, une absence de visions partagées autour d’objectifs communs de création de marchés nouveau ceci nous amène à corroborer nos propositions de recherche selon lesquelles l’hétérogénéité des acteurs au sein des pôles de compétitivité structure des architectures d’innovation collaborative elles-mêmes hétérogènes en raison d’intentions stratégiques dissonantes pouvant avoir une influence négative sur les projets d’innovation collaboratifs. cette observation empirique mérite d’être poursuivie par des analyses comparatives au plan international (USA, Asie, Europe, France) pour les clusters/districts/pôles de compétitivité qui mettraient en relation les formes de valorisation recherchée par les parties prenantes et les niveaux de performance des réseaux soit à dominante « orientation client », soit à dominante « orientation innovation» notamment à propos de l’innovation diffusée par des canaux de nature informelle. 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Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 87 Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 88 Regard croisé Défense et partenariats public privé : la grande désillusion Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 89 Didier DANET Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr Pole Action globale et forces terrestres INTRODUCTION Depuis une vingtaine d’années, sous l’influence des thèses du Nouveau management public1, les organisations publiques sont soumises à une série de réformes qui relèvent d’une logique globale dite de «performance» et qui touchent aussi bien aux frontières et aux structures de ces organisations aussi bien qu’à leurs techniques de gestion et à leurs pratiques managériales2. En France, cette adhésion aux thèses du Nouveau management public trouve sa consécration dans la Révision générale des politiques publiques. Parmi toutes les réformes entreprises dans ce contexte de remise en cause du management public traditionnel, la redéfinition des frontières des organisations publiques occupe une place centrale.3 Pour les forces armées en particulier, cette redéfinition se traduit par la sous-traitance de certaines fonctions jusque là produites au sein de l’institution et par l’instauration de partenariats entre acteurs publics et acteurs privés. cette évolution est portée par un discours standardisé qui en fait une «fatalité heureuse». Fatalité car le recours à des partenaires privés serait une donnée incontournable des opérations militaires contemporaines.4 Les opérations extérieures (Balkans, Irak, Afghanistan) impliquent de mobiliser des ressources humaines nombreuses sur des périodes étendues et dans un contexte de guérilla où, après une phase courte d’intervention militaire proprement dite, les forces armées doivent assumer des missions de stabilisation et de reconstruction. Au regard de la nature des missions, civiles par nature mais militaires par défaut, aussi bien que de la rareté des ressources humaines dans les armées professionnelles, celles-ci sont invitées à se concentrer sur leur «cœur de métier» et à s’appuyer sur des partenaires extérieurs pour ce qui est des «fonctions périphériques».5 Fatalité donc, mais fatalité heureuse car l’externalisation et la mise en place de partenariats public privé sont porteuses de multiples avantages : économies budgétaires permettant d’absorber sans dommage la réduction des crédits alloués à la Défense, flexibilité des dépenses et variabilisation des charges en fonction de l’activité des forces, accès au meilleur des compétences et des technologies détenues par les entreprises privées, opportunités offertes aux personnels ayant la chance d’être transférés vers les partenaires privés, maîtrise absolue du partenariat grâce au cadre contractuel offert par les marchés publics...6 L’impérieuse nécessité des partenariats public privé et le caractère nécessairement avantageux de l’externalisation ont ainsi fondé la légitimité de la réforme et constitué une sorte de pacte implicite en faveur les partenariats public privé, pacte dont il convient aujourd’hui de vérifier s’il a bien été respecté et si les transformations opérées par les armées qui y ont souscrit leur ont permis d’en tirer les bénéfices attendus. cette vérification est la plus facile à opérer dans un pays comme les Etats-Unis qui présentent le double avantage d’avoir introduit très tôt, dès l’intervention de l’armée américaine dans les Balkans, des partenariats public privé de grande ampleur et d’en avoir analysé la mise en œuvre à travers de nombreux documents officiels. Le Royaume-Uni n’est pas en reste en matière de participation des entreprises privées aux activités des forces armées mais la masse des retours d’expérience disponibles est moins fournie. Par rapport à ces deux grands alliés, la France se situe assez sensiblement en retrait7. En volume de crédits, les forces armées françaises sont moins concernées que leurs homologues britanniques mais elles le sont nettement plus que le reste des forces européennes (Allemagne, Italie, Espagne..., pour ne citer que celles qui disposent des budgets les plus conséquents). Les rapports disponibles y sont également (1) Polity, C., and Bouckaert, G. (2011). Public Management Reform: A Comparative Analysis - New Public Management, Governance, and the Neo-Weberian State (OUP Oxford). (2) Voir par exemple la synthèse des thématiques du NPM dans : Amar, A., and Berthier, L. (2007). Le Nouveau Management Public: Avantages et Limites. Gestion et Management Publics. Revue du RECEMAP, Décembre. (3) Jensen, P.H. (2007). Public Sector Outsourcing Contracts: The Impact of Uncertainty, Incentives and Transaction Costs on Contractual Relationships (VDM Verlag Dr. Mueller e.K.). (4) Parmi l’abondante littérature qui s’inscrit dans la rhétorique de la fatalité, voir notamment le point de vue des entreprises concernées : Brooks, D. (2008). Stability Operations for Dummies: the Rôle of Private Sector in Iraq. (Woodrow Wilson School of Public and International Affairs, Princeton University), celui d’experts comme Singer, P.W. (2007). Corporate Warriors: The Rise of the Privatized Military Industry (Cornell University Press) ou Shearer, D. (1998). Private Armies and Military Intervention (London: Oxford University Press), Haeuptle, A.S., and Miles, R. (2012). Effects Through Acquisition. Defense AT&L 41, 1, janvier/ février, 2–6., Hubac, O., and Viellard, J.-L. (2009). Politique d’externalisation : l’enjeu des sociétés d’appui stratégique. Sécurité Globale 08, 17–35, Rosi, J.-D. (2007). Sociétés militaires et de sécurité privée: les mercenaires des temps modernes. Les Cahiers du RMES 4, n°2, 109 – 126, Spearin, C. (2011). Les sociétés militaires et de sécurité privée, un acteur incontournable autant qu’utile. In Frères d’armes ? Soldats d’Etat et Soldats Privés., (C Malis et D Danet), pp. 18–33, ou d’officiers français : Hogard, J.-F., Ray, B.L., Pacorel, P., and Rousseau, T. (2008). Les nouveaux mercenaires : la fin des tabous (Es Stratégies Éditions). (5) Schofield, S. (2008). Why the Deparment of Defense is so Focused on Outsourcing. Contract Management 48, 30–33. (6) Sur les avantages présumés de l’externalisation en général, voir l’excellente présentation de : Barthélemy, J. (2006). Stratégies d’externalisation : Préparer, décider et mettre en œuvre l’externalisation d’activités stratégiques (Dunod). Pour ce qui est de présentations insistant sur les avantages pour le ministère de la Défense, voir notamment : Palmby, C.W.G. (2012). Outsourcing the Air Force Mission A Strategy for Success (CreateSpace Independent Publishing Platform), Jorgensen, B.M. (2005). Outsourcing Small Wars: Expanding the Role of Private Military Companies in US Military Operations, Masters thesis. Naval Postgraduate School. (7) Pires, M.L. (2012). Europe and United Defence Expenditure in 2010 (Bruxelles: 12 janvier). Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 90 Regard croisé Défense et partenariats public privé : la grande désillusion moins nombreux même si certains sont d’une richesse certaine. Le but de cet article est donc de chercher à savoir si le «pacte pour les partenariats public privé» a bien tenu ses promesses et si, le cas échéant, les difficultés rencontrées peuvent s’analyser à travers les outils d’analyse disponibles en sciences de gestion ou en économie politique. Dans cette dernière hypothèse, en s’appuyant sur les résultats obtenus, il sera alors possible d’en tirer les leçons tout à la fois sur le plan opérationnel (quelles préconisations pour améliorer les pratiques en vigueur ?) et sur le plan des politiques publiques (quel jugement porter sur la réforme entreprise ?) Pour ce faire, dans une première partie, nous décrirons plus précisément la nature du pacte pour les partenariats public privé et nous montrerons qu’il tient pour l’essentiel à deux principes fondamentaux : la promesse d’avantages susceptibles de renforcer l’efficacité des organisations publiques sans leur faire perdre la maîtrise de leurs opérations et le cantonnement de l’externalisation au domaine des fonctions non stratégiques des forces armées. La deuxième partie permettra de confronter le pacte ainsi défini à la pratique telle qu’elle est retranscrite dans les très nombreux rapports ou études produits à titre principal aux Etats-Unis et, le cas échéant, en France. Sans grande surprise, on constatera que le pacte n’a pas tenu toutes ses promesses et que les difficultés rencontrées étaient assez largement prévisibles si la mise en place des partenariats public privé avait été analysée sous l’angle des modèles théoriques disponibles tant en matière d’économie de la concurrence que d’économie institutionnelle. A l’issue de cette troisième partie, il sera possible de suggérer quelques pistes de réflexion en vue de surmonter les difficultés rencontrées et d’améliorer la pertinence des choix opérés en matière d’externalisation des activités des forces armées. 1. Un pacte ambitieux, difficile à tenir Le succès rencontré par les promoteurs du Nouveau management public a conduit en ce qui concerne le domaine de la Défense à la généralisation d’un discours standardisé, bâti sur un ensemble d’arguments élaborés par les experts et les praticiens anglo-américains et repris parfois sans nuances dans la plupart des pays à économie de marché. En France, ce discours se retrouve dans nombre de documents dont certains émanent de représentants de l’institution militaire8. Pour les forces armées françaises en particulier, les promesses contenues dans ce discours sont d’autant plus déterminantes que faire appel à des partenaires privés pour soutenir les opérations militaires, loin d’être une formule inédite, renvoie à une histoire ancienne dont les enseignements n’ont rien pour susciter d’emblée l’enthousiasme. Au contraire, depuis l’emportement de Napoléon contre les fournisseurs aux armées, la tendance permanente de ces dernières est de renforcer leur autonomie d’action en assurant par elles-mêmes l’ensemble des fonctions opérationnelles et de celles qui les supportent. Le retour des partenariats public privé renverse donc une tendance séculaire et suppose de surmonter les réactions de prévention qu’il suscite eu égard à cette expérience historique. Tel est l’objet du pacte implicite qui se dessine à travers la littérature académique et professionnelle favorable à une large politique d’externalisation des fonctions non stratégiques de la Défense. La teneur de ce pacte nous semble se structurer autour de deux engagements majeurs. Le premier concerne les résultats favorables que l’externalisation est susceptible d’engendrer : le recours à des partenaires privés doit améliorer les conditions d’intervention des forces armées tant sur le plan des coûts que sur celui des performances des prestataires. Le second porte sur la limitation du champ des fonctions externalisables et assure aux forces armées que l’externalisation ne concernera que les fonctions périphériques et ne touchera pas au «cœur du métier militaire». 1.1. Le PPPP : pacte pour les partenariats public privé Dans les entreprises privées, le large processus d’externalisation qui s’est déroulé dans les vingt dernières années s’explique, au regard des approches dominantes de l’entreprise (économie de marchés financiers, maximisation de la valeur pour l’actionnaire, «corporate governance»), par la volonté d’accroître la rémunération de l’actionnaire au travers de la redéfinition du périmètre des activités et des frontières de l’organisation9. L’élagage des activités qui ne maximisent pas le retour sur les capitaux mobilisés pour les mettre en œuvre produit mécaniquement une amélioration de la rentabilité répondant aux attentes du marché des capitaux et rend l’entreprise plus attractive pour l’épargne qui cherche des opportunités d’investissement. Dans les organisations publiques, cette considération relative à la rentabilité des capitaux investis n’intervient pas de la même manière et elle n’occupe pas une place aussi éminente dans l’argumentation en faveur des (8) Voir par exemples les contributions de : Devaux, O., Mille, S., Darricau, G., Gaulin, E., Liot de Norbécourt, P., John Maas, and Michel Pidoux (2010). Nouveaux engagements et privatisation : jusqu’où aller ? Cahiers De l’EMS Avril, 19–88, Hogard, J.F., Ray, B.L., Pacorel, P., and Rousseau, T. (2008). Les nouveaux mercenaires : la fin des tabous (Es Stratégies Éditions), Jacquin, H. (2010). L’emploi des sociétés militaires privées en Iran et en Irak (Paris Ecole militaire). (9) Morin, F. (1998). La rupture du modèle français de détention et de gestion des capitaux. Revue d’Economie Financière 50, 111–132., Bancel, F. (2004). Les dirigeants et l’internationalisation de l’actionnariat des grandes entreprises. Revue française de gestion no 151, 51–68. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 91 partenariats publics privés. certes, les partenariats publics privés sont présentés par leurs thuriféraires comme un moyen de réduire le poids des capitaux immobilisés dans les organisations publiques et de remplacer des charges fixes de structure par des coûts variables d’activité. Mais, aucune notion d’amélioration du rendement des capitaux investis ne se dégage de cette substitution et si les partisans des partenariats publics privés y voient un moyen de rééquilibrer les comptes publics par le recul du besoin d’emprunt de l’administration, d’autres considèrent qu’il y a là une forme de dissimulation de la dette publique.10 A défaut de l’argument définitif que constitue dans l’entreprise privée la hausse du rendement financier pour l’actionnaire, la formule des Partenariats Public Privé a été promue au sein du monde de la Défense à travers une double promesse valant en quelque sorte «pacte» pour les partenariats public privé. 1.2. Une promesse d’efficacité La première promesse concerne les effets positifs de l’externalisation sur l’efficacité et l’efficience des opérations menées par les forces armées. A la lecture des nombreux documents produits par le ministère de la Défense cinq avantages se dégagent en faveur de l’externalisation des fonctions dites «non stratégiques». Cœur de métier L’argument du «recentrage sur le cœur de métier» est doublement important pour le monde de la Défense en général et de l’armée de Terre en particulier. cette dernière a connu en vingt ans une très forte réduction de ses effectifs du fait de la diminution tendancielle de l’effort de défense d’une part et de la professionnalisation d’autre part11. Au total, les forces terrestres sont passées d’une situation d’abondance de la main d’œuvre appelée à une situation de pénurie relative des en- gagés. Du point de vue de l’institution appelée à gérer une ressource humaine raréfiée au moment même où se multipliaient les opérations extérieures aussi bien que du point de vue des personnels engagés12, le fait de libérer les personnels des tâches «ancillaires» pour leur permettre de se consacrer à leur métier de «guerrier» présente à bien des égards (fonctionnel, professionnel, psychologique...) des avantages évidents. Simultanément, la distinction entre fonctions périphériques et «cœur de métier» vaut engagement de limiter l’externalisation aux premières et de préserver le caractère régalien des secondes de sorte que l’Etat conserve in fine la maîtrise de la force, autrement dit, le monopole de la violence légitime13. Compétence L’accès aux meilleures compétences disponibles dans les domaines les plus avancés de la technologie et des services est le deuxième argument omniprésent dans le discours en faveur de l’externalisation. Sans que l’on puisse précisément discerner le moment précis où le renversement s’est opéré, le monde militaire qui était traditionnellement considéré comme une référence en termes d’efficacité organisationnelle a été soudainement frappé de tous les stigmates des organisations publiques. Il a laissé se dégrader, souvent par un processus d’autodépréciation tout à fait singulier, la réputation de compétence qui était la sienne. En matière de recherche et développement, le secteur militaire a longtemps été présenté commela source de (presque) toutes les grandes avancées technologiques, ce qui était sans doute excessif même si l’importance des crédits publics affectés à la recherche militaire pouvait expliquer un certain nombre de découvertes et de retombées vers le secteur civil14. Mais, cette thèse s’est largement inversée, le secteur civil étant désormais considéré comme plus avancé dans des domaines (10) Voir l’étude très complte de : Marty, F. (2007). Partenariats public-privé, règles de discipline budgétaire, comptabilité patrimoniale et stratégies de hors bilan (OFCE), n°2007-29, 12 septembre (11) Joana, J. (2004). Les politiques de la ressource humaine des armées en France et en Grande-Bretagne: le sens des reformes. Revue Française De Science Politique 54, 811–827, Vennesson, P. (2000). La nouvelle armée : la société militaire en tendances, 1962-2000 (Centre d’études en sciences sociales de la Défense, rapport n°00-03). (12) On conçoit facilement les effets défavorables que peut entraîner sur l’exercice du métier militaire et la fidélisation des engagés l’écart de perception entre le métier promis («En plus d’apprendre un métier vous apprendrez beaucoup sur vousmême», «Rares sont les entreprises où vos collègues ne perdent jamais une occasion de vous soutenir» pour reprendre deux slogans des campagnes de communication du ministère de la Défense) et les fonctions parfois éloignées du terrain qu’implique une structure tournée vers l’autonomie et qui assume elle-même l’ensemble de ses fonctions de soutien. Voir sur cette question de la communication en vue du recrutement : Weber, C. (2001). L’armée de Terre « en campagnes » : ses stratégies audiovisuelles de recrutement. Les Champs de Mars n°9, 49–72. (13) Cette garantie est d’ailleurs illusoire si l’on considère avec Christian Olsson et Bastien Hirondelle que dans le contexte américain, le caractère régalien de la mission et la compétence des personnels de l’administration ne sont pas nécessairement liés. Olsson, C. (2003). Vrai procès et faux débats: perspectives critiques sur les argumentaires de légitimation des entreprises de coercition para-privées. Cultures & Conflits 52, 11–48. (14) Voir notamment le travail de synthèse effectué par : Guichard, R. (2002). Une analyse de la coordination entre recherche militaire et recherche civile : éléments pour un repositionnement de l’innovation de défense au sein du système d’innovation français (Université de Paris Dauphine, Thèse sous la direction de Dominique Foray). Dans le même esprit, Truel, J.-L. (1983). « Structuration en filière et politique industrielle dans l’électronique : une comparaison internationale ». Revue d’économie industrielle 23, 293–304. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 92 Regard croisé Défense et partenariats public privé : la grande désillusion comme les télécommunications ou l’électronique par exemple15. S’agissant du fonctionnement au quotidien de l’institution militaire, une semblable inversion se constate, le secteur privé étant désormais considéré comme le domaine privilégié de la compétence technique, de l’innovation managériale, de l’efficacité économique.16 Le fait que beaucoup des techniques de gestion utilisées par les entreprises (notamment les plus grandes d’entre elles) aient été puisées dans la boîte à outil des organisations militaires cède le pas à l’idée que et ce sont désormais les forces armées qui doivent adopter des pratiques des entreprises privées17. En ce qui concerne les frontières de l’institution militaire, l’externalisation a donc été présentée comme un moyen pour des forces armées dépassées dans un certain nombre de domaines cruciaux pour leur efficacité et leur efficience d’accéder aux compétences les plus avancées détenues par le secteur privé. Confort L’externalisation fait passer l’organisation concernée d’une logique d’autoproduction à une logique d’usage de services. L’institution militaire se décharge sur un partenaire des risques et des vicissitudes de la production d’un bien ou d’un service pour se concentrer sur l’intégration de ce bien ou de ce service dans sa propre fonction de production. Il lui revient de définir son besoin et de choisir le partenaire capable d’y répondre tout en laissant à ce dernier la maîtrise et la responsabilité des questions liées au «comment» : comment faire en sorte que le service soit disponible dans les conditions fixées par le contrat ? c’est exactement dans cet esprit que le ministère de la Défense britannique a confié depuis une vingtaine d’années à British Telecom la responsabilité de ses télécommunications fixes, l’armée anglaise se comportant en «abonnée» de l’entreprise, abonnée particulière certes du fait des caractéristiques de ses besoins, mais abonnée au sens où elle ne se préoccupe pas (théoriquement) des conditions industrielles, commerciales ou financières dans lesquelles l’opérateur va assurer le service promis18. Coût L’argument de la baisse des coûts est omniprésent dans le discours sur l’externalisation. cette baisse est d’abord le résultat «naturel» du recours à des opérateurs privés efficaces, capables de mettre au service de l’institution militaire des moyens techniques performants, des équipes compétentes, une agilité organisationnelle..., toutes caractéristiques qui sont déniées aux forces armées nationales ou, pire encore, aux coalitions engagées dans les opérations de maintien de la paix19. Il est ensuite le fruit de transfert de charges de structure vers les partenaires privés (investissement, charges fixes salariales...) et de la variabilisation des coûts pour l’institution, c’est à dire de l’adaptation de la demande aux besoins réels de l’institution. Le thème est trop connu pour qu’il soit besoin d’y insister longuement. Contrôle Face à l’inquiétude suscitée par le fait de devoir faire reposer la bonne conduite de l’action militaire sur l’intervention de partenaires extérieurs à la chaîne hiérarchique, le discours en faveur de l’externalisation a mis en avant une double notion de contrôle. La première est fondée sur l’autocontrôle des sociétés contractantes. celles-ci sont peuplées d’anciens militaires choisis parmi les mieux aguerris. Leurs compétences professionnelles sont avérées et leur capacité à s’articuler avec les forces armées, y compris dans des situations de combat, est garantie. Leur éthique personnelle, formée dans les armées régulières, se trouve renforcée par les bonnes pratiques des firmes et de l’industrie qui se sont dotées d’un code d’éthique et de déontologie issu du document de Montreux. En complément de cette forme d’autocontrôle, l’administration dispose d’un levier qui lui permet de garder la maîtrise de la situation : les mécanismes de négociation et de contractualisation que lui fournit le Droit public. 1.3. Une promesse de sélectivité La seconde promesse faite au monde de la Défense concerne le cantonnement du périmètre de l’externalisation aux fonctions non stratégiques des forces armées. Une distinction très nette est établie dans le discours en faveur de l’externalisation entre le «cœur du métier militaire», qui regroupe les fonctions stratégiques du ministère de la Défense, et la périphérie de ce métier, qui est composée des fonctions non stratégiques.20 Afin de préserver la spécificité du monde militaire, seules les secondes fonctions sont englobées dans le champ des externalisations envisageables. ‘(15) Voir les travaux de Renaud Bellais sur la question : Bellais, R. (1998). Les enjeux de la maîtrise de l’information dans la défense. Reseaux, vol. 16, n°91, 121–133. (16) C’est ainsi que l’un des arguments ayant justifié la fermeture des ateliers de mécanique automobile chargés de l’entretien des véhicules de la gamme commerciale était le manque de compétence des personnels en matière de nouvelles technologies automobiles : électronique, climatisation... (17) Voir par exemple le succès du Balanced Scorecard dans un certain nombre de ministères de la Défense de l’OTAN. (18) National Audit Office (2008). Allocation and Management of Risk in Ministry of Defence PFI Projects (The Stationery Office, 28 octobre)., National Audit Office (2000). The Private Finance Initiative. The Contract for the Defence Fixed Telecomications System. (The Stationery Office), n°1999 00 328). Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 93 La distinction entre cœur de métier et périphérie, fonctions stratégiques et fonctions non stratégiques, n’est pas propre aux processus d’externalisation dans le monde de la Défense. Elle renvoie à l’un des fondements théoriques possibles de la redéfinition des frontières des organisations qui est l’approche de la question par la théorie des compétences issue des travaux de Prahalad et Hamel21. Dans cette perspective, le partage entre les activités intégrées au sein de l’organisation et celles qui peuvent être confiées à des prestataires extérieurs repose sur l’idée que l’organisation doit conserver pour elle les activités impliquant des «compétences fondamentales»22 et qu’elle peut se délester de celles qui ne les impliquent pas. De la sorte, en choisissant le partenaire dont le cœur de métier est constitué par les activités périphériques de l’organisation qui externalise et pour lesquelles il dispose des compétences fondamentales appropriées, l’organisation militaire gagne en efficacité et en efficience. La théorie des compétences rejoint ici la théorie de la firme réseau, laquelle légitime les processus d’externalisation en soutenant qu’une organisation qui externalise ses activités périphériques s’intègre dans un réseau de partenaires qui, par la mise en relation de leurs compétences fondamentales au service d’une même activité, génère des gains substantiels en termes d’efficacité et d’efficience23. 2. Le retour à la réalité des affaires La double promesse relative aux avantages à attendre de l’externalisation et au cantonnement de son champ d’intervention a-t-elle été tenue ? vingt ans après les premières grandes opérations menées par le Royaume-Uni ou les Etats-Unis, le bilan est pour le moins mitigé. Les désillusions sont à la hauteur des ambitions affichées : de nombreuses études et retours d’expérience montrent que la baisse significative des coûts ne s’est pas produite ou que les mécanismes de la contractualisation publique n’ont pas empêché des pertes de contrôle parfois lourdes de conséquences pour l’action des forces sur le terrain. De même le principe du cantonnement du processus d’externalisation aux fonctions non stratégiques n’a pas survécu à vingt années de mise en œuvre. 2.1. L’efficacité De la lecture non seulement des ouvrages critiques24 mais également des nombreux rapports officiels consacrés à la question des partenariats public privé conclus dans le cadre des différentes interventions extérieures des Etats-Unis (Balkans, Irak et Afghanistan) se dégage le sentiment de difficultés récurrentes que les mesures correctrices mises en œuvre ne parviennent pas à résorber effectivement.25 S’agissant tout d’abord des économies de coût promises par les promoteurs de l’externalisation, les résultats obtenus ne semblent pas particulièrement spectaculaires. (19) Lawyer, J.F. (2005). Military Effectiveness and Economic Efficiency in Peacekeeping: Public Versus Private. Oxford Development Studies 33, 1, mars, 99–106. (20) Voir par exemple la présentation en cercles concentriques de Hubac, O., and Viellard, J.-L. (2009). Politique d’externalisation : l’enjeu des sociétés d’appui stratégique. Sécurité Globale 08, 17–35. Spécialement la figure page 25. (21) Hamel, G., and Prahalad, C.K. (1990). The core competencies of the corporation. Harvard Business Review 68, Mai Juin, 79–91, Wernerfelt, B. (1995). The resource-based view of the firm: Ten years after. Strategic Management Journal 16, 171–174, Prahalad, C.K. (2005). The Art of outsourcing. Wall Street Journal 8 juin A14. (22) On rappellera pour mémoire que les «compétences fondamentales» (core competencies) sont définies par Hamel et Prahalad comme celles qui, dans un domaine d’activité donné, sont considérées par les acteurs comme centrales pour la mise en oeuvre de l’activité. Une compétence fondamentale se caractérise par trois traits : elle est inimitable ou difficilement imitable par les compétiteurs ; elle peut s’appliquer à de nombreux produits ou marché ; elle est valorisée par le client de l’entreprise. L’ensemble des compétences fondamentales définit ainsi un cœur de métier que l’organisation ne saurait externaliser sans perdre son avantage concurrentiel, voire sa raison d’être. (23) Voir notamment : Doz, Y., and Hamel, G. (1998). Alliance Advantage: The Art of Creating Value Through Partnering (Harvard Business Press), Gadde, L.-E., and Håkansson, H. (2010). Supply Network Strategies (John Wiley & Sons). (24) Voir par exemple : Stanger, A. (2011). One Nation Under Contract: The Outsourcing of American Power and the Future of Foreign Policy (Yale University Press), Armstrong, S. (2009). War Plc: The Rise of the New Corporate Mercenary (Faber and Faber), Ashcroft, J. (2007). Making a Killing: The Explosive Story of a Hired Gun in Iraq (Virgin Books), Avant, D.D. (2005). The Market for Force: The Consequences of Privatizing Security (Cambridge, UK: Cambridge University Press), Caparini, M., Alexandra, A., and Baker, D.-P. (2007). Private Military Companies: Ethics, Policies and Civil-military Relations (Routledge), Chatterjee, P. (2009). Halliburton’s Army: How a Well- Connected Texas Oil Company Revolutionized the Way America Makes War (New York: Nation Books), Chesterman, S., and Lehnardt, C. (2009). From Mercenaries to Market: The Rise and Regulation of Private Military Companies (OUP Oxford),Geraghty, T. (2009). Soldiers of Fortune: A History of the Mercenary in Modern Warfare (New York: Pegasus Books), Goya, M. (2009). Irak : Les armées du chaos (Economica), Isenberg, D. (2009). Shadow Force: Private Security Contractors in Iraq (Westport, Conn: Praeger Security International), Lanning, M.L. (2005). Mercenaries: Soldiers of Fortune, from Ancient Greece to Today’s Private Military Companies (New York: Ballantine Books), Leander, A., and Centro, militare di studi strategici (Italy) (2006). Eroding State Authority?: Private Military Companies and the Legitimate Use of Force (Soveria Mannelli [Catanzaro]: Rubbettino), Pelton, R.Y. (2007). Licensed to Kill: Hired Guns in the War on Terror (Three Rivers Press (CA), Schumacher, G. (2006). A bloody business: America’s war zone contractors and the occupation of Iraq (Zenith Pr), Singer, P.W., and Institution, B. (2007). Can’t Win with’em, Can’t Go to War Without’em: Private Military Contractors and Counterinsurgency (Brookings Institution), Thomson, J.E. (1996). Mercenaries, pirates, and sovereigns: state-building and extraterritorial violence in early modern Europe (Princeton Univ Pr), Uesseler, R. (2008). Servants of War: Private Military Corporations and the Profit of Conflict (Brooklyn: Soft Skull Press), Venter, A.J. (2008). War Dog: Fighting Other People’s Wars: The Modern Mercenary in Combat (Philadelphia, Pa: Casemate). Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 94 Regard croisé Défense et partenariats public privé : la grande désillusion comme le souligne la cour des comptes dans un récent rapport,26 le principe même de l’évaluation des bénéfices résultant des opérations d’externalisation soulève des questions méthodologiques difficilement surmontables. Le coût du service en régie est parfois connu mais il est considéré comme dépourvu de signification si les fonctions étaient assurées par des appelés.27 En l’absence de comptabilité analytique suffisamment développée pour permettre une bonne connaissance des coûts (en régie aussi bien qu’externalisés), la situation n’est guère meilleure dans l’hypothèse de fonctions mises en œuvre par des professionnels. Enfin, la cour souligne de manière fort pertinente que l’exercice ne serait vé r itablement convaincant que s’il était possible d’isoler les effets purs de l’externalisation (c’est à dire la substitution d’un opérateur à un autre) des conséquences d’une réorganisation qui aurait pu être conduite dans le cadre de la régie. Or, dans les dossiers étudiés par la cour, des gains substantiels ont été enregistrés dans deux hypothèses où une réorganisation profonde des conditions de l’activité a été mise en œuvre. Attribuer ces gains au seul changement d’opérateur sans tenir compte des effets de la réorganisation reviendrait à biaiser le résultat. Il faut donc admettre que les enseignements retirés du cas français s’avèrent décevants à cet égard. Les retours d’expérience sont à la fois plus nombreux et plus significatifs de l’autre côté de l’Atlantique. La montée en puissance des entreprises privées sur les théâtres d’opé r ations des Balkans, d’Irak ou d’Afghanistan a donné lieu à un flot ininterrompu de publications officielles émanant de structures de contrôle permanentes (Government Accountability Office ou congressional Budget Office par exemple) ou constituées ad hoc (commission on Wartime contracting). La tonalité générale de ces rapports est sensiblement la même tout au long de la période qui va de l’intervention dans les Balkans (1992) à aujourd’hui. Sans la reprendre dans son entier, deux exemples illustrent les désillusions des rapporteurs quant au coût et à la qualité des services rendus par les cocontractants du ministère de la Défense. Un rapport détaillé du congressional Budget Office établit ainsi qu’à structure égale, les prestations de la société Blackwater ne consomment pas moins de crédits publics que celles de l’armée américaine. Selon les calculs présentés dans le rapport, l’externalisation engendrerait même un surcoût de 12% dans les conditions réelles de rotation des forces américaines.28 ce n’est que dans l’hypothèse d’un taux de rotation idéal (mais non réalisé en pratique) que le recours au partenaire privé deviendrait avantageux. De manière encore plus spectaculaire, un rapport du Subcomittee on National Security and Foreign Affairs de la chambre des Représentants, significativement intitulé «Warlord Inc.», établit un certain nombre de constats dont les représentants estiment qu’ils posent question voire qu’ils sont scandaleux.29 Résumés par l’auteur du rapport, les conclusions sont sans appel : l’externalisation du ravitaillement des bases américaines implantées sur le sol afghan a transféré une fonction vitale pour les troupes américaines à des partenaires dont certains sont manifestement des chefs de guerre locaux, ennemis du pouvoir central mis en place par les Etats-Unis. Mais, de plus, les fonds versés par l’administration américaine alimentent un vaste réseau de racket qui profite à des mouvements que les américains combattent militairement ou qui sapent par la violence l’autorité du gouvernement en place. Non seulement le comportement des entreprises privées échappe au contrôle de l’administration mais il a même un effet délétère sur les chances de réussite de la stratégie des Etats-Unis en Afghanistan. Une bonne partie des fonds alloués à ce contrat (plus de deux milliards de dollars) est donc non seulement gaspillé mais il sert directement la cause de ceux qui combattent les forces armées américaines et la politique des Etats-Unis dans la région. c’est ainsi la question du contrôle des opérateurs privés sur les théat̂ res d’opérations extérieurs, soulevée de longue date30, (25) Voir notamment la synthèse dressée en 2011 par Paul L Francis devant la Commission oc Watime Contracting : Francis, P.L. (2011). Contingency Contracting: Observations on Actions Needed to Address Systemic Challenges; GAO n°11-580, 25 avril. (26) Cour des Comptes (2011). Le coût et les bénéfices attendus de l’externalisation au sein du ministère de la Défense (Paris, 21 mars). (27) On comprend, en effet, que même en pratiquant une politique salariale particulièrement agressive, les entreprises privées prenant la suite d’une unité d’appelés auraient eu quelque peine à rivaliser avec elle en termes de coût. (28) Congressional Budget Office (2008). Contractors Support of US Operations in Iraq (The Congress of the United States)., L’étude de cas figure p.17 du rapport. (29) «The findings of this report range from sobering to shocking», Tierney, J.F. (2010). Warlord, Inc. Extortion and Corruption Along the US Supply Chain in Afghanistan (US House of Represenatives), Lettre aux membres du Sous-comité. Cette question avait fait l’objet d’un long reportage de : Page, J. (2008). Taleban Extract Heavy Tribute to Let Vital Nato Supplies Pass. The Times, 12 décembre. (30) Par des auteurs comme Chesterman, S., and Lehnardt, C. (2009). From Mercenaries to Market: The Rise and Regulation of Private Military Companies (OUP Oxford), Tonkin, H. (2011). State Control over Private Military and Security Companies in Armed Conflict (Cambridge University Press), Scahill, J. (2008). Blackwater: The Rise of the World’s Most Powerful Mercenary Army (New York: Nation Books). Mais aussi par une longue série de rapports dont les constats persistent tout au long de la période. Voir récemment : Solis, W.M. (2012). DOD has Made Progress, but Supply and Distribution Challenges Remains in Afghanistan (Government Accountability Office, n_GAO-12-138), Hutton, J.P. (2012). Competition for Services and Recent Initiatives to Increase Competitive Procurements (Government Accountability Office). Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 95 qui se trouve illustrée de manière spectaculaire. Les solutions préconisées par certains experts semblent avoir fait long feu31. 2.2. La sélectivité abandonnée Le principe de distinction entre les fonctions stratégiques et les fonctions non stratégiques, entre le cœur de métier et sa périphérie, est présenté dans tout discours en faveur de l’externalisation comme le critère permettant de définir les limites du champ des activités externalisables, en conformité avec la théorie des ressources. Bien qu’elle soit quasiment systématique, la mise en avant de ce critère ne lui confère pas pour autant la solidité que l’on serait en droit d’attendre d’une pierre d’angle de la construction. Sa faiblesse demeure évidente sous l’angle à la fois du concept et de la pratique. S’agissant du concept de «fonction stratégique», c’est à dire d’une essence supposée stratégique (ou non stratégique) des différentes activités militaires, celui-ci est un non sens à l’heure du «caporal stratégique»32. Dans toutes les armées occidentales et sous des formes diverses mais qui se rejoignent sur l’essentiel, l’action des forces armées est conçue dans une perspective où leur intervention tend, au-delà de la victoire sur le champ de bataille, à créer les conditions du succès politique (rétablissement de la paix civile, de la démocratie politique, du développement économique et social...) Du fait de l’omniprésence des outils de communication (presse, réseaux sociaux...), la mise en œuvre d’une mission quelconque est susceptible de prendre une importance stratégique, voire politique. La garde des prisonniers ennemis n’aurait certainement pas été considérée par la majorité des spécialistes comme une fonction stratégique si une enquête avait été menée avant que les maltraitances subies par les prisonniers irakiens de la prison d’Abu Ghrib ne soient portées à la connaissance du monde entier, faisant du comportement des personnels militaires et des employés des sociétés privées impliquées (cAcI et Enfilait), un déterminant stratégique et politique de la conduite des opérations civilo-militaires des EtatsUnis en Irak. comme le souligne Marjorie censer dans un article du Washington Post, ce scandale a encore aujourd’hui des répercussions sur la politique de contractualisation du ministère de la Défense aussi bien que sur les entreprises considérées, lesquelles doivent faire face à des difficultés substantielles : recours juridiques devant les juridictions américaines, réparations financières, image à restaurer... A l’heure de l’action globale des forces armées, il est impossible d’isoler dans l’ensemble des fonctions assurées par ces dernières un sous-ensemble de fonctions ontologiquement stratégiques lequel serait disjoint du sousensemble des fonctions non stratégiques.33 Au regard de la pratique des politiques d’externalisation les plus dynamiques (Etats-Unis, Royaume-Uni), l’expérience des partenariats public privé conclus pour les besoins des opérations sur les théat̂ res irakiens ou afghans, le critère du caractère stratégique ou non des fonctions dont l’externalisation est envisagée ne résiste pas à l’examen. En premier lieu, on ne sera pas surpris de constater qu’aucun des critères énoncés par Hamel et Prahalad pour qualifier une compétence de fondamentale ne trouve à s’appliquer au domaine militaire.34 La délimitation du champ des activités externalisables s’affranchit donc très largement des cadres théoriques et laisse place à une assez large subjectivité. (30) Par des auteurs comme Chesterman, S., and Lehnardt, C. (2009). From Mercenaries to Market: The Rise and Regulation of Private Military Companies (OUP Oxford), Tonkin, H. (2011). State Control over Private Military and Security Companies in Armed Conflict (Cambridge University Press), Scahill, J. (2008). Blackwater: The Rise of the World’s Most Powerful Mercenary Army (New York: Nation Books). Mais aussi par une longue série de rapports dont les constats persistent tout au long de la période. Voir récemment : Solis, W.M. (2012). DOD has Made Progress, but Supply and Distribution Challenges Remains in Afghanistan (Government Accountability Office, n_GAO-12-138), Hutton, J.P. (2012). Competition for Services and Recent Initiatives to Increase Competitive Procurements (Government Accountability Office). (31) Voir par exemple les recommandations de : Glenn, R. (2011). Des partenaires qui ne jouent pas le jeu ? Les sociétés militaires privées au service des opératiions de contre-insurrection. In Frères d’armes ? Soldats d’Etat Et Soldats Privés., (C Malis et D Danet), pp. 57–65. Voir en contrepoint les 300 recommandations adressées au SIGAR pour améliorer le contrôle des partenaires privés : Richardson, H. (2011). Analysis of Recommendations Concerning Contracting in Afghanistan (Special Inspector General for Afghanistan Reconstruction, 22 juin, n°SIGAR Audit 11- 1SP). (32) Krulak, C.C. (1999). The Strategic Corporal: Leadership in the 3-Block War. Marine Corps Gazette 83, 18–22. (33) En simplifiant, les fonctions stratégiques correspondraient aux armes combattantes tandis que les fonctions non stratégiques assureraient le soutien. (34) Dans un conflit asymétrique (norme des opérations menées dans les vingt dernières années), l’ennemi se caractérise précisément par le fait qu’il ne cherche nullement à rivaliser avec les forces armées sur le même terrain qu’elles. Ce faisant, la critère du caractère imitable de la compétence fondamentale perd une bonne partie de sa pertinence. Le deuxième critère (universalité plus ou moins marquée des applications possibles de la compétence fondamentale) se heurte à la forte spécificité des compétences militaires, spécificité d’autant plus forte que ces compétences sont plus proches de la mise en oeuvre directe de la force et sont productrices d’effets cinétiques sur l’adversaire. Paradoxalement, ce sont les fonctions de soutien qui présenteraient un plus large éventail d’application de leurs compétences et qui seraient dès lors d’autant plus fondamentales. Enfin, la valorisation de la compétence par le client pose problème au regard de la difficulté d’identifier un «client», c’est à dire un acteur faisant entrer le service produit par les forces armées dans sa propre fonction de production ou de satisfaction. En considérant, extensivement, que le «client» des forces armées est le pouvoir politique en ce qu’il intègre le produit de l’emploi de la force (victoire sur le champ de bataille) dans son projet politique (reconstruction de l’Etat vaincu), il lui serait sans doute difficile d’individualiser les compétences fondamentales de l’institution militaire et de leur assigner un degré de valorisation plus ou moins élevé. Pour le «client», la compétence fondamentale des forces armées (la mise en oeuvre maîtrisée de la force sur un théâtre donné) est une compétence qui ne se divise pas. Business Business Management Management Review Review | Vol.| Vol. 4 n°1 3 n°1 | Janvier-Fevrier-Mars | Janvier-Mars 2013 2015 96 Regard croisé Défense et partenariats public privé : la grande désillusion c’est ce que montre la liste des fonctions externalisées par le gouvernement américain. Trevor Taylor en donne le schéma synthétique suivant35 : Figure 1 - Domaines d’intervention des acteurs privés selon Trevor Taylor En rapprochant ce schéma du processus d’intervention des forces armées décrit par le document de doctrine du cDEF36, on constate que les fonctions externalisées couvrent l’ensemble du spectre des phases et des missions des forces armées. Figure 2 - Les phases successives de l’action globale des forces armées Les partenariats public privé ont investi l’ensemble des fonctions mises en œuvre sur le champ de bataille, qu’il s’agisse de la préparation et du soutien des forces, de leurs équipements et de leurs infrastructures ou des orga- nisations elles-mêmes. Des fonctions impliquant l’usage réel ou éventuel de la force, de manière autonome ou en symbiose avec les forces armées régulières, sont confiées à des sociétés militaires privées et interviennent contre un ennemi régulier ou irrégulier. Les plus sensibles de ces fonctions externalisées sont celles qui concourent directement à la mise en œuvre de la force durant la phase d’intervention militaire. On ne saurait nier que sont en cause des missions impliquant les compétences et les fonctions relevant du cœur même du «métier militaire» et qui ne devraient en aucun cas être externalisées si la ligne de partage reposait effectivement sur le caractère stratégique de l’activité. Deux exemples illustrent la pénétration des entreprises privées au cœur des fonctions stratégiques du ministère de la Défense.37 Le premier est celui de la production du renseignement sur lequel se fondent les opérations militaires. Les documents officiels, ceux du Government Accountability Office en particulier, font état des partenariats (manifestement perfectibles) conclus par le ministère de la Défense pour la fourniture et la mise en œuvre de systèmes de traitement de données, d’analystes spécialisés ou d’interprètes œuvrant au service de l’armée de Terre notamment.38 Les chiffres avancés par diverses sources confirment la présence massive des employés d’entreprises privées, parfois très largement majoritaire, dans des services spécialisés du renseignement civil ou militaire.39 Dans certains cas, ces partenaires se voient déléguer la responsabilité d’évaluer et de choisir, pour le compte du ministère de la Défense, les entreprises qui seront retenues afin d’intervenir au profit des armées.40 Le fait qu’un employé civil du Joint Information Operations Warfare center ait pu détourner vingt-cinq millions de dollars pour créer un réseau de renseignement destiné à identifier et assassiner certains rebelles en Irak ou en Afghanistan illustre les difficultés que semble éprouver l’administration dans le pilotage du processus d’externalisation.41 35 Taylor, T. (2011). Private Security Companies in Ira and Beyond. International Affairs 87, 445–456. Esp. P.447 (36) Centre de Doctrine et d’Emploi des Forces (2007). Gagner la bataille. Conduire à la paix., FT-01, p.13 Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 97 Le second exemple de porosité de la frontière entre domaine stratégique et non stratégique est, de manière encore plus profonde, la délégation à des entreprises partenaires de la définition des politiques et des doctrines de sécurité et de défense ainsi que du pilotage de leur mise en œuvre. Janine R Wedel fait état de la participation d’entreprises privées à la préparation du budget de la Défense aussi bien qu’à la rédaction de documents de doctrine, par exemple, celui relatif à la gestion des partenaires privés sur le champ de bataille. On ne saurait mieux dire que le processus d’externalisation s’est désormais largement étendu aux missions régaliennes et aux fonctions stratégiques du ministère de la Défense des Etats-Unis. Le rapport final de la commission on Wartime contracting42 permet de tirer un trait définitif sur l’approche par la nature des fonctions susceptibles d’être externalisées. Le constat sur lequel s’ouvre le rapport tient précisément à ce que l’approche consistant à distinguer entre les fonctions stratégique qui ne peuvent relever que des acteurs régaliens («inherently governmental») et les fonctions non stratégiques, toutes susceptibles d’être déléguées à des prestataires extérieurs, ne permet pas de prendre des décisions opportunes et avisées43 en ce qui concerne les opérations extérieures. L’externalisation de tâches contribuant à la reconstruction de l’Afghanistan dans des zones non pacifiées44 a conduit à des pertes humaines, des retards et des gaspillages. La commission préconise en conséquence une approche fondée sur la notion de risque (opérationnel, politique, financier) qui devrait conduire à exclure du champ de l’externalisation un certain nombre de tâches quel que soit leur caractère «stratégique» ou «non stratégique», «central» ou «périphérique». La préconisation vaut de manière générale pour toutes les missions susceptibles d’être confiées à des entreprises partenaires ; elle vaut de manière plus marquée encore pour les contrats susceptibles d’être confiés à des sociétés militaires privées. Les difficultés stratégiques engendrées par un usage intempestif des armes dont les salariés de ces sociétés sont dotés créent des difficultés dans la conduite de l’action globale et justifient que les partenariats publics privés soient abandonnés dans un certain nombre de cas45. 3. Des désillusions prévisibles au regard des grilles de lecture théoriques Faut-il véritablement s’étonner du fait que le pacte pour les partenariats Public Privé n’ait pas été respecté ? Les échecs enregistrés n’étaient-ils pas assez largement prévisibles, tant au regard des fondements théoriques du choix d’une structure de gouvernance que de l’analyse de la structure des marchés concernés ? 3.1. La méconnaissance des principes de choix d’une structure de gouvernance Dans le cadre théorique qui est le sien, l’économie des coûts de transactions, la mise en œuvre d’un processus d’externalisation s’analyse comme la redéfinition des frontières d’une organisation et la mise en place d’un nouveau système de gouvernance des activités de l’organisation. Il procède de la volonté de rechercher un supplément d’efficacité par l’établissement d’un nouvel équilibre entre le marché et la hiérarchie comme mode de régulation de ces activités. Dans cette perspective communément admise, le choix de l’externalisation ne saurait être un pur marqueur idéologique46 ou le fruit d’une mode managériale et il ne laisse pas espérer d’avantages sans contreparties. Si l’on donne une place plus grande à la régulation par le marché (externalisation), les gains résultant de la mise en place des incitations liées à la pression concurrentielle se paient d’une diminution des possibilités de supervision directe par l’encadrement de l’organisation et les ajustements nécessaires ex post contractu se font à partir des réactions indépendantes des parties concernées (Adaptation de type (37) Wedel, J.R. (2011). Federalist No. 70: Where Does the Public Service Begin and End? Public Administration Review 71, s118–s127. (38) Schinasi, K.V. (2007). Defense Acquisitions. DOD Needs to Exert Management and Oversight to Better Control Acquisition of Services, n°07-359T, 17 janvier, Shorrock, T. (2009). Spies for Hire: The Secret World of Intelligence Outsourcing (Simon & Schuster). (39) Hillhouse, R.J. (2007). Who Runs the CIA? Outsiders for Hire. The Washington Post. 8 juillet (40) Jones, A.R., and Fay, G.R. (2004). Investigation of Intelligence Activities at Abu Ghraib, http://www.c- span.org/pdf/armyabughraib.pdf (41) Filkins, D., and Mazzetti, M. (2010). Contractors Tied to Effort to Track and Kill Militants. The New York Times, 14 mars; Pincus, W. (2010). Defense investigates information-operations contractors. The Washington Post, 29 mars. (42) Commission on Wartime Contracting in Iraq and Afghanistan (2011). Transforming Wartime Contracting. Controlling Costs, Reducing Risks, http://cybercemetery.unt.edu/archive/cwc/20110929213815/http://www.wartimecontracting.gov/docs/CWC_FinalRepor t-lowres.pdf (43) «appropriate or prudent», ibidem p.3 (44) Ce type de missions est précisément considéré par les forces armées comme des «missions militaires par défaut», ce qui renvoie à l’idée que les organisations civiles (entreprises, ONG, organisations gouvernementales) à qui elles devraient échoir à raison de leur nature ne peuvent être accomplies que par des militaires capables de passer rapidement d’une mission de reconstruction à une action de combat. L’expérience de l’armée américaine confirme que ce type de mission requiert des compétences spécifiques pour lesquelles la gouvernance par le marché n’est pas particulièrement adaptée. (45) Ce que résume la formule célèbre de Peter Singer : Singer, P.W., and Institution, B. (2007). Can’t Win with’em, Can’t Go to War Without’em: Private Military Contractors and Counterinsurgency (Brookings Institution). Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 98 Regard croisé Défense et partenariats public privé : la grande désillusion A) et non pas d’une concertation des acteurs touchés par le changement (Adaptation de type c).47 comme le résume Williamson dans le tableau reproduit ci-dessous48, les caractères constitutifs des différentes modes de régulation interdisent de penser que l’un quelconque d’entre eux pourrait être intrinsèquement supérieur à tous les autres. Figure 3 -Typologie des caractéristiques des différents modes de gouvernance Le choix d’un mode de gouvernance des activités militaires n’est donc pas frappé du syndrome TINA.49 L’externalisation ne se justifie que si certaines conditions sont réunies qui tiennent en particulier à la nature des actifs mis en œuvre. ces principes élémentaires sont malheureusement fort peu présents dans la littérature relative à l’externalisation des «fonctions non stratégiques du ministère de la Défense». Une lecture minimale des travaux de Williamson aurait dû inciter les promoteurs de l’externalisation dans le domaine de la Défense à faire preuve de la plus extrême prudence tant les traits particuliers de l’action des forces armées semblent peu propices, par nature, à l’adoption d’une structure de gouvernance faisant une large place aux mécanismes du marché même si, comme dans l’hypothèse des partenariats public privé, que l’on analysera comme une structure hybride de gouvernance, ces mécanismes du marché sont tempérés par ceux de la hiérarchie. On n’insistera guère ici, tant l’évidence s’impose, sur le fait que l’action des forces armées repose pour l’essentiel sur des actifs hautement spécifiques et que ce degré élevé de spécificité des actifs militaires est la principale contreindication au choix du marché comme mode préférentiel de gouvernance50. S’agissant du capital humain, cette spécificité n’est pas seulement liée aux compétences techniques détenues par les personnels militaires, ce qui permettrait de sauver sur le fil la distinction stratégique / non stratégique, mais elle réside aussi dans le caractère symbiotique des forces armées, lesquelles sont formées et entraînées de sorte que leur articulation perdure sur le champ de bataille malgré les conditions extrêmes de tensions induites par les combats. ce caractère symbiotique s’est encore renforcé sous l’effet des progrès enregistrés dans les systèmes de commandement, la numérisation du champ de bataille ayant dans l’armée de Terre, par exemple, vocation à déboucher sur une gestion simultanée de l’ensemble des moyens matériels et humains d’un Groupement Tactique InterArmes à partir de la vision globale conférée par le programme Scorpion.51 En ce qui concerne les équipements, ceux-ci présentent soit par nature, soit du fait des spécifications techniques particulières aux forces armées des caractéristiques qui ne sont pas celles des équipements civils. Ils présentent dès lors un degré élevé de spécificité. Par application des enseignements de la théorie des coûts de transaction, externaliser des fonctions militaires impliquant un degré élevé de spécificité des actifs humains et matériels ne peut se faire qu’en acceptant de supporter des coûts élevés de transaction ex ante et ex post. Malgré le formalisme pointilleux inhérent aux procédures de passation des marchés publics, il en résulte une contractuali- (46) Elinder, M., and Jordahl, H. (2012). Political Preferences and Public Sector Outsourcing (Rochester, NY: Social Science Research Network) ; Toynbee, P. (2012). After G4S, who still thinks that outsourcing works? The Guardian, 16 juillet (47) Jolink, A., and Niesten, E. (2008). Governance Transformations Through Regulations in the Electricity Sector : the Dutch Case. International Review of Applied Economics 22, 499–508. (48) Williamson, O. (1999). Public and private bureaucracies: a transaction cost economics perspectives. Journal of Law, Economics & Organization 15. (49) «There Is No Alternative» (50) Danet, D. (2009). Guerre d’Irak et partenariats public-privé. Rev.Fr.Adm.publique 249 – 262, Danet, D. (2010). Les sociétés militaires privées sur le clavier des crises contemporaines., Rapport Délégation aux Affaires Stratégiques, Danet, D. (2011). La privatisation des combattants : une approche économique. In C Malis, H Strachan et D Danet, La Guerre Irrégulière, (Economica), pp. 145–164, Fredland, J.E. (2004). Outsourcing Military Force: A Transactions Cost Perspective on the Role of Military Companies. Defence & Peace Economics 15, 205–219.. (51) Sur la numérisation de l’espace de bataille : Dorange, C., Panel, J., and Piaton, S. (2002). Les NTIC et les transformations du champ de bataille. Les Cahiers du numérique Vol. 3, 77–106, Arquilla, J., and Ronfeldt, D.F. (1997). In Athena’s camp: preparing for conflict in the information age (Rand corporation), Halpin, E.F. (2006). Cyberwar, netwar and the revolution in military affairs (Basingstoke [England]; New York: Palgrave Macmillan). 52 Voir le précité rapport p.22 Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 99 sation imparfaite qui laisse un espace de jeu assez largement ouvert à l’opportunisme des parties contractantes, notamment du contractant privé. Il n’est donc pas surprenant que les retours d’expérience s’accumulent sur les difficultés rencontrées dans la gestion des partenariats publics privés sur les théâtres irakiens ou afghans où ils ont fait l’objet de nombreuses observations. La «commission on Wartime contracting» souligne dans son rapport final que les lacunes des dispositions contractuelles associées à la médiocrité du pilotage de ces contrats par l’administration ont conduit à des gaspillages, des fraudes et des abus massifs. Selon la fourchette retenue par les auteurs du rapport, pour la période qui s’étend de 2002 à 2011, le montant de ces fraudes et gaspillages serait compris entre 31 et 60 milliards de dollars, soit de 15 à 30% du montant des contrats alloués au secteur privé par les différents acteurs publics concernés : ministère de la Défense, ministère des Affaires étrangères, USAID.52 On pourrait objecter que les circonstances particulièrement difficiles des théâtres d’opérations extérieures, celles qui prévalent en Irak ou en Afghanistan en particulier, expliquent les échecs relevées par les différentes commissions chargées d’évaluer l’efficacité des partenariats publics privés. L’échec spectaculaire du partenariat conclu entre le gouvernement britannique et la société G4S pour assurer la sécurité des Jeux Olympiques de Londres 2012 met en évidence les limites et la fragilité de ce type de contrat. La société retenue, pourtant présentée comme l’une des plus importantes et des plus expérimentées du genre, s’est montrée incapable de remplir ses obligations à tous égards. D’une part, elle n’a pas pu rassembler les effectifs qu’elle s’était engagée à recruter pour l’occasion. D’autre part et sur la foi des informations publiées dans la presse anglaise, il semble qu’une large part de ceux qui avaient été recrutés n’avaient qu’une expérience très limitée de la sécurisation des événements sportifs, de la gestion des foules... Le cas G4S illustre dans le domaine de la sécurité tous les défauts rencontrés par ailleurs en Irak ou en Afghanistan : «business model» du prestataire privé fondé sur le recru- tement systématique de personnels sans qualification53, incapacité du prestataire et de l’administration à assurer un véritable pilotage et à détecter les signaux précoces d’une difficulté imminente54, absence de sanction véritable du contractant défaillant55, obligation pour les services publics de pallier dans l’urgence la faillite du prestataire privé56... Sans attendre des promoteurs de «l’externalisation des fonctions non stratégiques de la Défense» qu’ils s’astreignent à étudier toute l’œuvre de Williamson, ils seraient bien inspirés de lire attentivement la conclusion de l’article que celui-ci consacrait aux «transactions souveraines»57 et qui explique les constats dressés en Irak ou en Afghanistan: «What is novel about this article is not that foreign affairs is organized by a public agency. That is what we observe everywhere and what our intuitions support. What is novel are that (1) this result is reached by the application of transaction cost reasoning, (2) the hitherto unremarked hazard of probity is posed, in relation to which the public administration of foreign affairs enjoys a comparative advantage,(3) practices that are widely condemned (low-powered incentives; convoluted bureaucratic procedures; excesses of employment security) actually serve legitimate economizing purposes in this context, and (4) management considerations (both the leadership of the agency and the career staff) take on greater importance than has been ascribed to them in earlier transaction cost assessments of comparative economic organization. Also, as with transaction cost economics more generally, (5) the action resides in the microanalytics and (6) inefficiency is judged not in absolute but in remediableness terms.»58 3.2. L’ignorance des conditions réelles du marché A supposer même que le rééquilibrage du mode de gouvernance des «transactions souveraines» (représentées ici par l’activité des forces armées) dans le sens d’une plus grande place donnée aux mécanismes du marché ait été compatible avec le degré de spécificité des actifs mili- (53) Booth, R., and Hopkins, N. (2012). No Training, No Timetables and No Uniforms. The Guardian, 13 juillet. (54) Ruddick, G. (2012). G4S Chief Reveals Olympic Disaster. The Sunday Telegraph. 15 juillet, (55) Au-delà d’une pénalité immédiate de 50 millions de livres sur un total de près de 300 millions, l’entreprise réclame le paiement des «management fees» prévus au contrat, expliquant qu’elle a fait passer des tests à près de 100.000 personnes pour finalement ne pas réussir à en recruter 10.000. Les autres sanctions ne semblent pas avoir profondément atteint l’entreprise : la perte d’un contrat avec le ministère de la Justice et le départ de deux directeurs généraux n’a semble-t-il pas affecté la confiance des marchés. Un gestionnaire de fonds, cité par le Washington Post, explique : They’ve clearly learnt from the Olympics debacle, so they can judge better than others what is needed for such big events,” said Volker Schmidt, a Luxembourgbased portfolio manager at YCAP Asset Management.», Clark, A., and Ford, R. (2013). G4S Loses Prison Privileges After Olympic Stagg Debacle. Thetimes.co.uk, 15 mars, Vitorovich, L. (2012). G4S Chief Survives Olympic Failures. The Wall Street Journal Online, 28 septembre, Zekaria, S. (2012). UK Panel Slams G4S on Olympic Security. The Wall Street Journal Europe, 21 septembre.Webb, A. (2013). G4S Debt Investors See Beyond 2012 Olympics Fiasco. The Washington Post, 25 mars. (56) Watson, R., Haynes, D., and O’Connor, A. Police Collad Up to Fill in For G4S Phantom Guards. The Times, 17 juillet. (57) Dans cet article, Williamson illustre la notion de «transaction souveraine» en privilégiant l’action du ministère des affaires étrangères. Il évoque également le ministère de la Défense et le raisonnement s’applique a fortiori. (58) Williamson, O. (1999). Public and Private Bureaucracies: a Transaction Cost Economics Perspective. Journal of Law, Economics & Organization 15. p.340. Business Management Review Review | Vol. 4 |n°1 Business Management Vol.| Janvier-Fevrier-Mars 3 n°1 | Janvier-Mars 2015 2013 100 Regard croisé Défense et partenariats public privé : la grande désillusion taires, encore aurait-il fallu, pour que le pacte des partenariats public privé soit respecté, que la structure des marchés considérés ne soit pas à l’origine d’entraves au libre jeu de la concurrence telles que la monopolisation de l’offre ou le faible pouvoir de négociation de la partie publique59. Or, de nombreuses raisons permettent de penser que le marché sur lequel se rencontrent l’offre et la demande des prestations concourant à l’action des forces armées n’a que très peu à voir avec un marché disputé où la pression concurrentielle oblige l’offreur à être toujours en recherche d’efficacité et de compétitivité et à partager les gains en résultant avec la partie cocontractante. Une intensité concurrentielle limitée du côté de l’offre Du côté de l’offre, de nombreuses raisons incitent à penser que de degré de rivalité réelle des marchés de sous-traitance du ministère de la Défense est pour le moins limité. Même si l’on considère le cas des marchés où la compétition peut sembler la plus ouverte (par exemple la mise à disposition de main d’œuvre peu qualifiée sur des théâtres d’opérations extérieurs), le foisonnement de sociétés militaires privées ne doit pas masque que seul un petit nombre de prestataires disposent de la taille critique pour répondre de manière crédible à la demande de l’administration. Le marché est y est nettement oligopolistique. En ce qui concerne les contrats complexes, ceux par exemple qui portent sur la maintenance ou la mise en œuvre de systèmes d’armes sophistiqués, les marchés correspondants sont presque automatiquement de nature monopolistique. La conception et la production de tels systèmes ou des services qui en sont indissociables (formation, mise en œuvre, maintenance...) ne peuvent être le fait de petites entreprises interchangeables sur qui pèserait la fatalité de la course à la baisse des coûts. L’offre est concentrée sur un petit nombre de groupes industriels à vocation mondiale, insérés dans une dynamique de coopétition ancienne et quasi-obligée, maître d’œuvre de réseaux complexes de sous- traitants et, dès lors, régulateurs majeurs du domaine. A ces raisons structurelles s’ajoutent des raisons institutionnelles tout aussi multiples. La gestion des programmes d’armement, par leur durée, leurs exigences techniques, leur volume financier..., suppose de travailler avec des partenaires peu nombreux, difficilement interchangeables pour lesquels les considérations de fiabilité techno-économique l’emportent sur la capacité à proposer des prix attractifs. De même, la protection du capital intellectuel développé par ces entreprises pousse à interdire toute dissociation de l’acquisition des équipements et de leur maintenance, ce qui réduit d’autant la possibilité de faire jouer la pression concurrentielle, par exemple, en menaçant le producteur de ne pas lui attribuer le contrat de maintenance ou de changer de prestataire si le service rendu n’est pas satisfaisant ou ne remplit pas les termes du contrat. Dernière illustration de ces considérations institutionnelles qui limitent le jeu des incitations concurrentielles, le fait bien connu du cloisonnement des marchés nationaux. chaque Etat considère, à juste titre, que l’industrie d’armement présente un caractère stratégique suffisamment marqué pour que les choix d’investissement aillent très prioritairement vers les «champions nationaux» plutôt que vers des entreprises étrangères. certes, des exceptions peuvent se rencontrer, notamment dans la période récente. Mais, d’une part, ces exceptions s’expliquent souvent par l’urgence d’un besoin opérationnel et l’absence d’offre nationale (cas des drones pour l’armée française). D’autre part, lorsqu’elles correspondent véritablement à une mise en concurrence de l’industrie nationale, les réactions qu’elles soulèvent montrent que la priorité à l’industrie nationale est un principe solidement ancré dans les mentalités collectives et institutionnelles (cas de l’avion ravitailleur aux Etats-Unis) Faut-il faire grief aux entreprises de ce caractère intrinsèquement oligopolistique, voire monopolistique, du marché ? Les firmes concernées ne sont sans doute pas fâchées de la relative faiblesse de l’aiguillon concurrentiel sur leur marché domestique. De même ne sont-elles pas hostiles à la relative stabilité que confère une offre quasiment cartellisée. On peut donc supposer qu’elles n’ont pas pour priorité première d’y mettre fin et de se soumettre spontanément à une discipline concurrentielle renforcée. Pour autant, cette situation résulte de facteurs structurels qui se retrouvent dans l’ensemble des pays producteurs et leur prégnance témoigne du fait que même les Etats les plus attachés au libre jeu de l’offre et de la demande ne sont pas en mesure de modifier sensiblement cet état de fait. L’offre de produits et de services directement liés à l’action des forces armées est peu concurrentielle par nature ; il ne faut donc pas espérer beaucoup des incitations que l’on attend habituellement de la substitution d’un acteur privé à un fonctionnement en régie.60 Faut-il espérer davantage s’agissant de l’externalisation des fonctions «non stratégiques» qui seraient moins directement liées à des actifs aussi spécifiques que les équipements militaires ? Les choses pourraient-elles être radicalement différentes sur des marchés que le ministère de la Défense pourrait passer dans des domaines comme la restauration, la gestion du parc automobile, la construction d’infrastructures... En première analyse, l’offre existant sur ces marchés semble moins concentrée et les considérations institution- (59) Danet, D. (2002). Réussir l’externalisation des fonctions stratégiques de la Défense. Les Champs de mars, n°11, 259 – 273. (60) David Isenberg écrit plaisamment sur le blog d’un organe peu suspect de détestation de l’économie de marché, le Cato Institute, : «The champions of the virtues of privatization and outsourcing with respect to the military generally forget one thing: the Pentagon is as far away from a free market as one can possibly get...While the free market is undoubtedly a good thing it is no insult to Adam Smith’s invisible hand to note that the market for military services is the closest thing to collectivism since the demise of the Soviet Union.», Isenberg, D. (2012). Contractors and Cost Effectiveness, http://www.cato.org/publications/commentary/contractors-cost-effectiveness?print Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 101 nelles n’y biaisent pas le jeu de la compétition de manière aussi sensible. ce n’est pas pour autant que le ministère de la Défense sera en position très favorable dans la négociation. La nature banalisée de certaines des prestations susceptibles d’être confiées à des prestataires privées n’est pas exemple de toute forme de spécificité. Par exemple, si la restauration collective d’une unité militaire ne se distingue pas par nature de celle d’une collectivité civile (entreprise, cantine scolaire...), les spécificités de site seront sans doute plus importantes : unités régimentaires implantées en dehors des grandes villes, mobilité des unités sur le terrain, absence d’horaires fixes, intervention sur des théat̂ res extérieurs... ces conditions particulières de mise en œuvre de la mission supposeront une augmentation sensible des coûts de transaction qui pèseront sur les prix dont pourra bénéficier l’administration. Au total, la structure de l’offre s’avère, pour des raisons structurelles et institutionnelles, peu favorable au jeu de la pression concurrentielle de sorte que l’externalisation ne peut produire que des effets limités, sans commune mesure avec la pléthore d’avantages supposés découler de tout «recentrage sur le cœur de métier» et de toute «réticularisation» des acteurs civils et militaires concourant à l’action globale des forces armées. Le faible pouvoir de négociation de l’administration Ici encore, les retours d’expérience américains sur les théat̂ res où ils interviennent depuis plus de vingt ans mérite de retenir l’attention. Par leur franchise et la sévérité des conclusions auxquelles ils parviennent, ils mettent en évidence des insuffisantes criantes au sein de l’administration ministérielle en ce qui concerne la conception, la mise en place et le pilotage des partenariats public privé. Sauf à supposer que l’administration française a une maîtrise incomparablement supérieure des mécanismes du marché, de la négociation commerciale, de l’architecture des systèmes hybrides de gouvernance et du pilotage des projets complexes... (entre autres données de base de la négociation contractuelle), ces mêmes difficultés ont vocation à se reproduire de manière assez générale. Quelles sont donc les faiblesses identifiées ? Ici encore, le rapport de la commission on Wartime contracting est un point de départ extrêmement précieux. En synthétisant les enseignements qui s’en dégagent, il est possible de discerner trois strates de difficultés : • Les pratiques managériales de l’administration sont largement perfectibles : grille de décision reposant sur des critères inadéquats (par exemple la distinction fallacieuse entre stratégique et non stratégique), manque de connaissance du terrain (qui amène à contracter avec des organisations hostiles)... • Les structures administratives ne sont pas favorables à une vision d’ensemble des partenariats public privé et à une coordination effective des programmes. Le cloisonnement des services et le manque de communication conduit à des redondances, des lacunes, des gaspillages..., bref de l’inefficacité. • L’évolution du mode de gouvernance par le recours massif à la contractualisation complexe n’est pas accompagnée du nécessaire changement de culture organisationnelle. ce point est sans doute le plus important. Les auteurs du rapport le déclinent en deux dimensions complémentaires. D’une part, les services chargés de contracter avec les entreprises partenaires du ministère de la Défense auraient purement et simplement transposé aux transactions portant sur des services (qui représentent en volumes de crédits les deux tiers des partenariats conclus pour les besoins des opérations en Irak et en Afghanistan) la culture et les pratiques des grands programmes d’armement. Il en est résulté, par exemple, une propension à souscrire des engagements pour des durées trop longues qui privent le ministère de la renégociation en cas d’évolution du contexte concurrentiel ou un recours privilégié aux contrats de type «cost plus» plutôt que des contrats forfaitaires... D’autre part, la mutation du mode de gouvernance s’est produite sans que le ministère ne dispose de compétences particulières en matière de la culture d’affaires qui lui aurait permis de détenir un avantage concurrentiel significatif dans la négociation avec les grands prestataires de service qui, eux, possèdent cette capacité de négociation au mieux de leurs intérêts61. Plus grave, le ministère ne semble pas avoir pris conscience du fait que la maîtrise des processus de sous-traitance des services concourant à l’action des forces armées est une «compétence fondamentale» dont dépend le bon emploi des deniers publics, la sécurité des unités déployées sur le terrain et le succès politique des interventions militaires. Au-delà des recommandations techniques visant à accroître les effectifs des services de contractualisation, renforcer les outils de négociation et de pilotage des partenariats, c’est à un changement de culture organisationnelle qu’invitent les auteurs du rapport. Leur opinion n’est pas isolée. Elle rejoint très largement celle du Government Accounting Office qui, dans son rapport de synthèse, relève les mêmes insuffisances et préconise le même type de remèdes62. Le caractère faiblement concurrentiel de l’offre n’est donc que l’une des deux facettes du problème lié au manque de performance des partenariats public privé. La faiblesse structurelle du pouvoir de négociation de l’administration, (61) Voir en dernier lieu : Pickup, S. (2013). Defense Business Transformation: Improvements Made but Additional Steps Needed to Strengthen Strategic Planning and Assess Progress (Government Accountability Office, n°GAO-AE-267). Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 102 Regard croisé Défense et partenariats public privé : la grande désillusion sa fragilité en matière de conception et de pilotage de la relation contractuelle constituent la seconde, tout aussi déterminante de la faiblesse des résultats obtenus et à attendre. 4. Des solutions à explorer Si l’on formule l’hypothèse qu’un recours croissant aux mécanismes du marché pour la gouvernance des «transactions souveraines» se traduirait dans notre pays par des difficultés comparables à celles rencontrées par les EtatsUnis, quelles solutions conviendrait-il d’imaginer pour en limiter les effets négatifs ? Trois pistes semblent s’offrir qui peuvent être explorées alternativement ou simultanément. 4.1. Le renforcement de la pression concurrentielle Une première voie d’amélioration des résultats à attendre des Partenariats Public Privé consisterait dans le renforcement du caractère compétitif des marchés de sorte à rendre plus sensibles les partenaires potentiels à la stimulation de l’aiguillon concurrentiel. Seul le jeu plus soutenu de la loi de l’offre et de la demande est de nature à obliger les entreprises à se porter constamment à la recherche des gains de productivité et à accepter de partager les économies de coûts qui en résultent avec l’administration. certes, l’administration n’est pas en mesure de façonner les marchés à sa guise et les contraintes structurelles qui poussent à la concentration des firmes et à l’oligopolisation de l’offre demeureront. Mais, les pouvoirs publics ne sont pas totalement dénués de leviers d’action. Au plan politique, les pouvoirs publics qui prônent une plus grande coopération européenne en matière de Défense sans que les progrès enregistrés depuis vingt ans ne soient véritablement à la hauteur du discours, pourraient ouvrir plus franchement certains marchés de service à la compétition internationale sans que, nécessairement, la sécurité de la Nation ne s’en trouve irrémédiablement compromise. Au plan technique, certaines formules de contractualisation complexe permettent de soumettre le prestataire privé à une pression plus soutenue que d’autres. On pense en particulier au mode de rémunération (systématisation des contrats forfaitaires), à la durée (renouvellement plus fréquent), à des mécanismes de pénalisation véritablement dissuasifs et/ou réparateurs, à des mécanismes de coordination hiérarchique garantissant la bonne intégration du service fourni par les prestataires privés dans l’action globale des forces armées, à des dispositifs de pilotage permettant un véritable contrôle de la qualité des services rendus... L’espace de progression peut paraître tout à la fois large et profond mais il convient d’en mesurer les limites : persistance durable d’un faible degré d’intégration européenne en ce qui concerne les questions de défense, forte concentration inhérente aux marchés concernés, importance de la stabilité contractuelle, spécificité élevée des actifs mis en œuvre... Il peut paraître douteux d’espérer un renforcement substantiel du caractère compétitif des marchés appelés à se substituer à la hiérarchie dans la gouvernance des transactions souveraines. 4.2. Le changement de culture de l’administration Surtout, le renforcement du caractère concurrentiel des marchés ne serviraient à rien s’il ne s’accompagnait pas d’une véritable «révolution culturelle» au sein de l’administration. En effet, des entreprises aiguillonnées par une mécanique marchande plus contraignante et qui réalisent des gains de productivité ne sont pas spontanément portées à en faire bénéficier leurs clients sous la forme d’une baisse des prix de leurs prestations. Elles peuvent tout aussi bien (voire plus volontiers) envisager une augmentation de la rémunération des parties prenantes, en premier lieu des actionnaires ou la constitution de réserves d’autofinancement. Il faut donc que l’administration soit en mesure de tirer parti du surcroît de compétition ce qui suppose qu’elle puisse identifier les gains de productivité et s’en approprier tout ou partie à travers une négociation bien conduite. Il convient à ce propos de dissiper l’illusion consistant à penser que la question ne se pose pas en France où les procédures de passation des marchés publics offriraient le cadre nécessaire et suffisant à l’appropriation des gains de productivité par l’administration. L’efficacité des partenariats public privé relève moins d’un ensemble de procédures administratives que d’une véritable culture d’affaires traditionnellement éloignée de l’esprit de service public et à laquelle les fonctionnaires sont individuellement et collectivement assez mal préparés. Le risque est grand de voir l’administration se lancer dans des opérations d’externalisation en situation de faiblesse par manque de capacités véritables en matière de négociation commerciale, de systèmes d’information comptable et financière, de capacités d’audit et d’évaluation des coûts et de la qualité, de pilotage des structures hybrides de gouvernance... Les limites de cette deuxième solution apparaissent tout aussi grandes, sinon plus grandes encore, que celles qui touchaient au caractère concurrentiel des marchés. 4.3. Le maintien de la gouvernance hiérarchique et la préparation de la réinternalisation des fonctions externalisées A défaut de pouvoir surmonter les entraves à l’efficacité du processus d’externalisation, tant du côté de l’offre que (62) Hutton, J.P. (2011). Defense Contract Management Agency amid ongoing efforts to rebuild capacity, several factors present challenges in meeting its missions: report to congressional Committees. (Government Accountability Office, n°12-83) Les rapports se succèdent dans ce sens. Voir par exemple : Walker, D.M. (2012). Dod’s Increase Reliance on Service Contractors Exacerbates Long Standing Challenges (Government Accountability Office, GAO-08-621T). Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 103 du côté de la demande, il convient donc d’envisager la redéfinition des frontières des forces armées avec la plus grande prudence. cette prudence pourrait se concevoir de deux façons. La première est de considérer, comme le recommande Williamson, que les transactions souveraines, la Défense en étant le paradigme le plus évident, n’ont pas vocation à être soumises à un mode de gouvernance qui donne une place centrale ou simplement substantielle à la coordination par le marché. Il conviendrait dès lors d’en finir avec l’approche idéologique consistant à se fonder sur le caractère prétendument stratégique de certaines fonctions, très minoritaires, pour considérer ipso facto que toutes les autres entrent dans le champ possible de l’externalisation et des partenariats public privé. Les leçons de l’expérience confirment sur ce point la validité des prédictions théoriques : les processus d’externalisation menés sans une grille de lecture fondée sur la spécificité des actifs et les risques induits tant au niveau opérationnel qu’au niveau politique ne peuvent produire que des résultats décevants, d’autant plus décevants que le caractère concurrentiel des marchés ne frappe pas par son intensité et que l’administration n’est guère en capacité de tirer le meilleur parti des gains éventuellement réalisés par leurs partenaires. La seconde mesure de prudence qu’il conviendrait de prendre est d’anticiper l’échec possible d’opérations d’externalisation qui auraient été conduites dans les conditions les plus défavorables (actifs spécifiques, marchés peu concurrentiels, contractualisation complexe mal maîtrisée). Que l’administration souhaite ou non poursuivre l’expérience63, elle aurait avantage à se mettre en situation de réinternaliser l’activité. En cas d’échec patent et s’il est irréaliste d’espérer une modification substantielle du contexte ayant abouti aux difficultés rencontrées, l’administration pourrait effectivement reprendre la main en réinstaurant une gouvernance hiérarchique au sein des forces armées. A l’inverse, si une amélioration du contexte défavorable peut être envisagée (par exemple une ouverture de la compétition incitant le partenaire actuel ou potentiel à améliorer son offre), le fait d’avoir mis en place les conditions d’une réinternalisation de l’activité constitue une menace crédible sans laquelle la position de l’administration sera toujours aussi faible. Une réflexion systématique sur les conditions d’une réinternalisation effective des activités actuellement gérées dans le cadre de partenariats public privé est donc indispensable et urgente. Elle ne signifie pas que le ministère de la Défense renonce définitivement à faire évo- luer les modes de gouvernance des activités nécessaires à l’action des forces armées. Mais, elle la condition préalable sans laquelle l’administration ne peut négocier d’égal à égal avec les prestataires pressentis ou, a fortiori, avec ceux qui sont déjà en place. CONCLUSION Le recul de plus de vingt ans dont nous disposons en matière d’externalisation de fonctions traditionnellement produites en régie par les forces armées montre non pas un échec complet et définitif de ce mode de gouvernance faisant appel aux mécanismes du marché mais plutôt une vaste désillusion vis à vis des promesses mirifiques avancées par les promoteurs des partenariats public privé et qui n’engageaient que ceux qui y ont cru. Le réveil est douloureux pour les Etats Unis qui, réagissant comme toujours de manière pragmatique, mesurent pleinement les limites du processus et prennent les mesures visant à renforcer le pilotage des opérations en cours et à réétudier l’opportunité et la mise en œuvre des opérations envisagées. Il ne l’est pas moins pour les britanniques mais, l’idéologie reagano- thatchérienne y ayant produit une véritable détestation des services publics, la faillite spectaculaire du partenariat public privé conclu avec G4S pour la sécurité des Jeux Olympiques ne produit pas d’effets significatifs sur la volonté politique de poursuivre la substitution d’entreprises privées aux forces armées et de sécurité publiques.64 Pour ce qui est de la France, moins engagée dans la transformation des modes de gouvernance des «transactions régaliennes» que ses deux grands alliés, la révision n’est pas aussi déchirante. Il s’agit plus de mettre un frein à l’extension d’un mode de gouvernance qui s’avère inadapté que de sortir dans la douleur de partenariats de grande ampleur dans lesquels l’administration se serait enfermée pour des durées importantes. Le cas peut certes se présenter. c’est ainsi qu’a été récemment évoquée l’hypothèse d’un renoncement au partenariat public privé conclu pour la construction du «Pentagone à la française», renoncement qui aurait sans doute abouti à une opération coûteuse pour les finances publiques. Mais, dans l’ensemble il s’agit plus de ne pas s’éloigner davantage des modèles de gouvernance qui sont ceux de l’Allemagne, de l’Italie, de l’Espagne et de bien d’autres alliés dont, après tout, les forces armées s’avèrent capables de fonctionner dans des conditions qui ne sont pas forcément désastreuses y compris sur les théâtres extérieurs. (63) Dans cette hypothèse, voir les solutions préconisées par : Freytag, P.V., Clarke, A.H., and Evald, M.R. (2012). Reconsidering outsourcing solutions. European Management Journal 30, 99–110. (64) Peu rancunière, la police britannique annonce le 28 juin qu’elle envisage de traiter avec G4S pour l’externalisation de services dans trois régjons. L’opération sera finalement interrompue mais G4S continue néanmoins d’obtenir des contrats publics (accueil des sans papiers) ou privés (protection des agences bancaires anglaises à Chypre). Maidment, N. (2012). UK Police Forces Consider G4S Outsourcing Deal. Reuters News, 28 juin, Plimmer, G. (2012). Police Agree to Return to G4S Option. Financial Times, 23 août. Warell, H. (2013). Police Forces Veto G4S Outsourcing Deal. Financial Times, 30 janvier. Business Management Review | Vol. 3 n°1 | Janvier-Mars 2013 VOL.3 N° 1 Janvier-Mars 2013