Voir le dossier de presse - Festival en Normandie des Arts Vivants

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C’est qui,
cette Lilith ?
la femme
du diable
vraiment ?
Elle aurait été la première
femme d’Adam. Aujourd’hui,
les activistes féministes
s’emparent du personnage.
Belga, presse
Fin 2014, Charles Michel se fait « enfriter » par une
poignée de LilithS.
En décembre dernier, elles attaquaient Charles Michel à coups de
frites-mayo, en hurlant : « Michel,
dégage, austérité dégage ! » Un an
plus tôt, elles cajolaient de force
– et seins nus – la très catho-réac
Christine Boutin, au son de « Vive les
pédés » ou « God Save the Queer ».
Elles, ce sont les LilithS, groupe
d’activistes féministes belges qui
tirent leur nom de Lilith, première
épouse d’Adam selon la tradition
juive, qu’elles voient comme « la première féministe, celle qui dit non » !
Au même moment, bien loin des happenings à la frite, d’autres femmes
parlent de Lilith. Dans le monde
merveilleux des forums internet
pour pré-mamans, ça cogite sec sur
le choix du prénom de « futur bébé ».
Et parfois, Lilith surgit, au détour de
dialogues enflammés, qu’on pourrait résumer comme ça : « Dites,
j’ai découvert le prénom Lilith, je
trouve ça très mignon, qu’en pensez-
vous ? », « J’adoooore, en plus, c’est la
première féministe ! », « Ah non, par
pitié, ne fais pas çaaaaaaaaa ! Lilith
est une démone, qui tue les hommes
ou leur suce le sang. », « Bon bah, je
vais peut-être laisser tomber. »
À ce stade, vous vous dites : où est
le rapport ? Il y en a pourtant un,
et pas des moindres... Car ces deux
exemples résument à la perfection
la puissance toujours actuelle de
la sulfureuse Lilith. Aucun autre
personnage légendaire ne compile
autant de symboles ambivalents, de
fantasmes et espoirs contradictoires,
qui reflètent encore aujourd’hui
l’étau dans lequel sont enserrées les
femmes dans notre société. Tour à
tour première femme de l’humanité,
égale de l’homme, démone tueuse,
pécheresse à la sexualité débridée et
malsaine, femme libérée et sensuelle,
Lilith concentre tout ce que nos sociétés ont projeté sur les femmes à travers l’Histoire. Littérature, peinture,
politique, musique et même pornographie : aujourd’hui encore, Lilith
s’étale sur les pochettes de disques et
autres couvertures de livres, pour le
pire et pour le meilleur. Le film porno
« Lilith », réalisé en 2001 par l’inénarrable Ovidie, ancienne actrice porno
et écrivaine féministe, en est un des
exemples les plus croustillants.
Mais au fait, qui est-elle, cette
Lilith ?
Retour cinq mille ans en arrière. C’est
vers 3000 avant JC, dans la culture
suméro-babylonienne, que cette figure
juin.15 elle.be 85
86 elle.be juin.15
se soumettre et revendique sa liberté.
En proposant une nouvelle lecture de la
tradition, ces intellectuelles mènent un
combat pour redonner une place aux
femmes dans leur religion.
Pour le rabbin Pauline Bebe, « Lilith est
un personnage qui nous éclaire sur la
façon dont un système patriarcal s’est
établi, mais qui nous renvoie aussi à la
société d’aujourd’hui. Lilith, c’est une
Ève inversée, qui met au jour une dualité constante : soit la femme est égale à
l’homme, et devient un démon ; soit elle
accepte la domination et une sexualité
normée, elle est alors mère et épouse et
devient, comme Ève, la “mère de tous
les vivants”. Nous ne sommes toujours
pas sortis de cette dualité, qui n’existe
pas pour les hommes. »
Aujourd’hui, de nombreux collectifs féministes, hors de toute religion – laquelle n’a pas l’apanage du
machisme –, se revendiquent de Lilith,
qu’elles choisissent bien souvent pour
son côté ambivalent, mêlant la figure
de la femme libre à celle de la femme
diabolisée par les hommes. Des poètes
féminines la réinventent, lui donnant
une nouvelle densité, et chacun la fait
vivre selon ses propres fantasmes.
Mais cette légende peut-elle encore
avoir un sens pour nos esprits cartésiens ? « Les mythes ne sont pas que des
fables pour enfants, lance Alexandra
Destais. Ils sont un vecteur de
signification assez plastique
pour que l’on puisse y projeter
nos peurs, fantasmes, espoirs
et combats sans être limités
par l’existence d’une personne
réelle. »
Valérie Trierweiler,
Pourrait-on alors imaginer
une projection de Lilith aujourd’hui ?
Alexandra Destais répond sur le ton de
la blague : « Valérie Trierweiler, pourquoi pas ! L’ex de François Hollande,
c’est l’amoureuse répudiée, celle qui
reprend et revendique sa liberté de
femme tout en étant rejetée et diabolisée, pour avoir eu accès au pouvoir...
Un pouvoir pourtant relatif, puisque
c’est uniquement dans l’ombre de
son conjoint qu’elle y a accédé. »
Chloé Andries
Getty, presse
elle magazine
légendaire commence sa carrière. À ce stade, plusieurs
formes archaïques de la future Lilith cohabitent. Celles
qui ne se nomment pas encore Lilith font notamment
partie d’une nuée de démons, mâles et femelles, qui
attaquent les femmes enceintes ou les hommes fiancés. L’Ardat Lilith, pour citer un seul exemple, est une
vierge frustrée qui visite les hommes la nuit, les rend
impuissants et empêche les noces des jeunes filles.
D’ailleurs, les ancêtres de Lilith n’ont pas l’apanage
du vice. Leurs collègues masculins vont aussi titiller
les femmes tard le soir...
Mais au Moyen Âge, coup de théâtre : la tradition
juive fait monter notre Lilith en grade, lui offrant
alors une place de choix, celle de première femme
d’Adam. La voilà propulsée à l’origine de l’humanité... mais dans un rôle qui va rapidement virer à
celui de démone.
Pour comprendre ce qui se joue alors, il faut revenir à la Genèse, récit biblique de la Création. Dans
cet ensemble de textes, deux versions des « faits »
cohabitent. La plus connue est celle où Dieu crée
Ève à partir de la côte d’Adam. La femme est donc
d’emblée mise en position de subalterne. La suite est
simple : Ève sera à l’origine du péché, qui condamnera l’homme à travailler à la sueur de son front et la
femme à enfanter dans la douleur.
Mais dans la même Genèse, un autre passage raconte
une tout autre histoire... L’homme et la femme y sont
créés à l’image de Dieu, dans un rapport égalitaire !
On peut y lire : « À l’image de Dieu il le créa ; mâle et
femelle il les créa. »
Et c’est dans ce paradoxe que le personnage prend
son envol. Pauline Bebe, femme rabbin, explique à
propos des récits de la Genèse : « Pour les rabbins du
Talmud et du Midrash, il s’agit d’un seul et même
texte, dont il faut résoudre les contradictions, car la
Parole divine ne peut se contredire. C’est comme cela
que naît la légende de Lilith. »
Au Moyen âge, l’« Alphabet de Ben Sira » (écrit daté
du Ve siècle), raconte cette histoire : dans le jardin
d’Éden, Adam et Lilith se disputent. Cette dernière
refuse de se mettre sous Adam pendant leurs rapports sexuels. Dépité, l’homme demande à Dieu
d’intervenir pour que sa femme se soumette. Mais
Lilith refuse encore et toujours, se voit pousser des
ailes et s’envole. Des anges sont ensuite envoyés pour
la convaincre. En vain...
À partir de là, la légende démoniaque de Lilith peut
se développer. Lilith est chassée du jardin d’Éden,
condamnée à la solitude. Certaines versions de la
légende la font même épouser le diable, Samaël.
Peu à peu, la première Ève devient l’archétype de
la femme séductrice, à la sexualité débridée, qui a
le pouvoir de tuer les nouveaux-nés. La voilà aussi
responsable des « pollutions nocturnes » des hommes. Malheur à ceux
qui dorment seuls, Lilith peut s’immiscer dans leur lit et boire leur sperme
(rompant ainsi le lien entre sexualité
et procréation, la vilaine !) pour créer
des nuées de démons. Bébés mortsnés, fausses couches : toutes ces tragédies ont une responsable toute trouvée,
dont on se prémunit à grands renforts
d’amulettes et rituels magico-religieux.
Cette Lilith dangereuse montre peutêtre aussi à quel point la sexualité de la
femme est vue comme toute-puissante
par l’homme, lequel a longtemps veillé
à ce que le « sexe faible » ne dispose que
de peu de pouvoir réel dans la société...
Le mythe déploie au fil du temps ses
multiples facettes, que résume parfaitement Alexandra Destais, docteure en
lettres et auteur d’« Éros au féminin »
(Klincksieck), essai sur la littérature et
l’érotisme, où elle aborde notamment
le cas de Lilith : « Lilith mêle en un
seul nom diverses figures de la transgression : la mauvaise mère, la femme
insoumise à son mari, la séductrice,
celle qui enfreint la loi de Dieu... et
déroge à ce qu’une femme parfaite
devrait être : obéissante, pieuse, chaste,
mère avant tout. »
Miroir de la vision des rapports
hommes-femmes, Lilith ne cessera
d’évoluer, épousant les fantasmes
de ceux qui la feront vivre sous leur
plume. Victor Hugo en fait la fille aînée
de Satan. Nabokov, quant à lui, ôte
toute référence religieuse pour en faire
la figure érotique de l’ado provocante
qui rend dingue de désir un homme
d’âge mûr... Pour Alexandra Destais :
« Lilith est une figure privilégiée que
l’on recherche et que l’on fuit tout à la
fois, dans laquelle l’homme projette ses
peurs et ses désirs, révélant l’ambivalence du rapport à l’autre sexe. Il est
donc logique que les féministes s’en
soient ensuite emparées, opérant un
renversement symbolique. »
Dans les années 1970 en effet, des
féministes juives nord-américaines
proposent de lire cette figure comme
celle de la première femme, l’égale
d’Adam, qui nomme Dieu, refuse de

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