Les Fleurs du Mal
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Les Fleurs du Mal
Les Fleurs du Mal CorrigéS de Charles Baudelaire Séquence – classes de seconde et première SÉANCE 1 Correspondances, un poème « symbolique » Poème étudié : Correspondances, p. 40. I. Pour guider votre analyse 1. L’accroche du poème a) v. 1 : « La Nature [comparé] est un temple [comparant]. » Dès l’entame du sonnet, le poète espère transporter le lecteur dans un palais antique comme le suggère la personnification « vivants piliers ». b) Le mot symbole invite à réfléchir sous l’angle de la brisure et de la reconstitution. Or l’homme apparaît entouré par des symboles qui lui rappellent sans doute des éléments de sa vie fracturée et/ou éparpillée. Sans doute n’est-il pas apte à comprendre les « confuses paroles » qui sortent de ce lieu, voire même, à la différence notable du poète, d’avoir la curiosité de s’en saisir. c) La fonction de la poésie selon Baudelaire pourrait consister justement à la fois à rassembler tous les éléments épars de la vie humaine et à leur donner sens. 2. Les correspondances horizontales a) La phrase qui constitue le deuxième quatrain commence par introduire le comparant à l’aide de l’outil de comparaison comme. Le sujet du verbe de la phrase est reporté au quatrième vers du quatrain. Il intervient d’ailleurs sous la forme d’une énumération : « Les parfums, les couleurs et les sons. » Le verbe principal de la phrase est rejeté à la fin du quatrième vers en tant que mot à la rime, ce qui augmente son importance sémantique. b) Dans ce même quatrain, les sens convoqués par le poète sont l’odorat, la vue et l’ouïe. c) Le lecteur a ici une impression d’harmonie. Les verbes à la rime (embrassée, v. 5 et v. 8) insistent sur la mise en lien d’éléments disparates. d) Le terme synesthésie (harmonie cachée des choses) convient bien aux v. 8 à 10. En effet, le parfum « réel » est suggestif. Il n’est pas uniquement considéré en tant que tel. L’essentiel est ailleurs : ce à quoi il fait penser (ici, par exemple, à des « chairs d’enfants »). 3. Les correspondances verticales a) Comme souvent dans la poésie baudelairienne, le tiret à l’entame du v. 1 crée un élément de rupture dans l’énonciation. On observe bien le contraste entre les deux types de parfums. Exemples dans De Profundis Clamavi (p. 65), Semper aedem (p. 75) ou Causerie (p. 92). b) À partir du v. 11, la géométrie des correspondances est quelque peu bouleversée. En effet, les nouveaux parfums entraînent l’esprit du poète vers le haut : l’adjectif infinies est à ce titre important. On n’est plus ici dans l’expansion horizontale, comme dans le deuxième quatrain, mais dans une forme d’élévation (verticale) par rapport à laquelle les effluves des parfums cités (à l’antépénultième vers) sont propices. c) À partir du v. 11, ces nouveaux parfums ont quelque chose de plus troublant, voire de plus ambigu. Ils n’ont plus la douceur initiale des premiers et, en ce sens, parviennent en quelque sorte à enivrer le poète qui est alors littéralement « transporté » vers le haut. III. S’entraîner à l’entretien oral 1) Baudelaire est convaincu de la toute-puissance de l’imagination. La vertu de cette dernière serait pour le poète d’associer des réalités éparpillées ou dispersées. Or c’est le sens étymologique même du verbe « sym-boliser ». Dans les années 1870, des poètes comme Verlaine ou Rimbaud amplifieront la quête symboliste. 2) Baudelaire est en quête du Beau, comme les poètes romantiques avant lui. Néanmoins, son inspiration se tourne vers une beauté non évidente a priori. D’où les mots qui composent le titre même de son recueil : les « fleurs » du « Mal ». Dans Correspondances, on observe l’étrangeté des évocations avec des analogies inattendues. Ce qui peut être considéré comme « bizarre », c’est le rapprochement entre des éléments a priori sans lien. La formule du poète, « le Beau est toujours bizarre », apparaît ainsi confirmée dès le début du recueil. 3) La nostalgie est un sentiment important exprimé dans Les Fleurs du Mal, mais il est loin d’être le seul. Le poète, en effet, est tantôt désespéré, tantôt révolté, tantôt emporté par son enthousiasme. 4) La poésie est pour Baudelaire un moyen d’évasion, un moyen d’atteindre le beau. Dans le recueil, il est souvent question de voyage, au moins spirituel, vers l’ailleurs. Son évocation amène le poète, notamment dans Correspondances et La Vie antérieure, à suggérer un autre monde. n1 Les Fleurs du Mal CorrigéS de Charles Baudelaire Séquence – classes de seconde et première SÉANCE 2 Spleen (lxxvIII), le poème des illusions perdues Poème étudié : Spleen, p. 113. I. Pour guider votre analyse 1. L’espace clos du poème a) Idée de couvercle et d’atmosphère resserrée ne laissant plus respirer le poète. b) Le mètre retenu dans ce poème est l’alexandrin. Son usage contribue à solenniser l’expression poétique. On a ici presque l’impression d’entendre un chant funèbre. c) Les trois premiers quatrains commencent par « Quand », ce qui constitue une reprise anaphorique en début de vers. Cette anaphore renforce le côté lancinant du poème. La tonalité du poème apparaît beaucoup plus grave que celle de Correspondances. Il s’agit ici, entre autres, de s’appuyer sur le lexique mis en jeu dans le poème. 2. Du silence au cri de déchirement a) Le premier son, celui des « cloches », se manifeste au v. 13. On peut d’abord être tenté d’hésiter entre pathétique et tragique. Néanmoins, le contexte proche du vers, et notamment le vers suivant avec le groupe nominal « un affreux déchirement », tend à faire répondre : tragique. b) L’outil de comparaison utilisé, moins commun que comme, est ainsi que. Il s’agit ici de réactiver les Correspondances en ce sens que le son des cloches (concret) est associé à une abstraction, « esprits errants ». Le poète n’a donc pas seulement un œil réaliste, mais il procède à la transfiguration des choses réelles en travaillant sur les connotations que les mots suscitent en lui. c) Des cloches tout à coup sautent / Et lancent vers le ciel un hurlement, / Ainsi que les esprits / Qui se mettent à geindre. – Et des corbillards / Défilent dans mon âme ; l’Espoir / Pleure et l’Angoisse / Sur mon crâne plante son drapeau. On s’aperçoit alors que le résultat de la réécriture neutralise quelque peu son expressivité négative. La force des connotations est moins exploitée que dans le texte initial. III. À vous d’écrire : le commentaire Dans sa globalité, le commentaire pourrait s’articuler schématiquement autour d’un plan en trois parties : – tout d’abord en détaillant les éléments de la réalité qui servent de point d’ancrage à une évocation désespérée : le ciel, la pluie, les cloches etc. ; – ensuite, en mettant en avant le renforcement négatif de l’évocation : choix d’un lexique extrêmement péjoratif qui ne laisse entrevoir aucune illusion, aucun espoir ; – enfin, en montrant que le recours à la symbolisation transforme le paysage réel en paysage infernal. La question posée pouvait donc orienter la deuxième partie. Le poème étudié fait partie de la série des « Spleen ». Le mot-titre est à lui seul, non une « invitation au voyage », mais bien un triste programme qui trouve son origine dans le désespoir de vivre. On sera sensible à la comparaison initiale, « comme un couvercle », qui donne la tonalité du poème. Celui-ci semble d’emblée comme refermé sur lui-même. Par ailleurs, on devra prendre en compte l’expressivité négative des évocations : choix de mots renvoyant au champ lexical de la laideur, choix de sonorités (allitérations en [|R]) donnant une impression de chant funèbre, d’adjectifs à valeur dépréciative pour qualifier les noms communs : exemple, « l’Angoisse atroce » à l’avant-dernier vers. Rien en somme ne semble devoir échapper au désespoir du poète qui clôt le dernier quatrain sur la couleur « noire ». n2 Les Fleurs du Mal CorrigéS de Charles Baudelaire Séquence – classes de seconde et première SÉANCE 3 L’Albatros, le double du poète Poème étudié : L’Albatros, p. 38. I. Pour guider votre analyse 1. Un scène d’exposition a) La scène se situe sur le pont d’un bateau. Les personnages en présence sont des hommes d’équipage. Aux deux premiers quatrains, on voit l’oiseau dans deux situations distinctes : d’abord en vol, où il est admirable ; ensuite sur le pont, où il devient ridicule. b) Le temps dominant du récit est le présent de narration. Ce choix du poète permet d’actualiser l’action et de faire en somme « participer » le lecteur (pris alors comme témoin). Le passage à l’imparfait de l’indicatif des verbes employés est très éloquent par comparaison, impliquant une forme de mise à distance de l’action. c) L’albatros dans le poème est désigné par les expressions : vastes oiseaux des mers, compagnons de voyage, rois de l’azur, ce voyageur ailé, l’infirme qui volait, prince des nuées, géant. Ces expressions permettent de caractériser cet oiseau singulier. En effet, quand on les recense en les extrayant du poème, on remarque qu’elles sont globalement laudatives. En contexte, comme le souligne l’expression oxymorique l’infirme qui volait, elles suggèrent que la grandeur s’estompe dès que l’oiseau touche terre. On peut légitimement penser ici à un conte de transformation (Prince transformé en grenouille, par exemple). 2. Le lexique de la dépréciation a) et b) indolents = lymphatiques ≠ actifs, alertes. maladroits = empotés ≠ adroits, habiles. honteux = confus, consterné ≠ noble. piteusement = lamentablement ≠ triomphalement. gauche = pataud, maladroit ≠ adroit, habile. veule = lâche ≠ ferme. comique = drôle ≠ grave, imposant. laid = répugnant ≠ beau. En relisant le texte à haute voix une fois le remplacement effectué par des antonymes, l’oiseau semble redorer son blason et retrouver son allure en vol. 3. L’analogie entre l’albatros et le poète a) Les hommes d’équipage n’ont plus de respect vis-à-vis de l’albatros une fois au sol. b) La figure du poète apparaît au v. 13. Le poète est souvent considéré comme un marginal, celui dont on se moque parce qu’il n’est pas productif et qu’il mène une vie de bohème avec ses poches trouées et ses quatre sous pour vivre. Il y a par conséquent un décalage entre les élans qu’il exprime dans ses vers et la réalité parfois sordide de sa vie. c) La figure de style employée au dernier vers est une antithèse. Elle résume à elle seule la contraction intrinsèque du personnage évoqué. III. De l’écrit à l’oral 1) Baudelaire utilise « classiquement » l’alexandrin, notamment dans les deux premières strophes, avec des rimes croisées sur les trois premières. La césure à l’hémistiche de l’alexandrin qui assure l’équilibre rythmique du vers est notable particulièrement, par exemple aux v. 1 et 4. 2) Le changement de ponctuation de la strophe 2 à la strophe 3 consiste en une utilisation soudaine de phrases exclamatives. L’équilibre des deux premières strophes semble rompu. Alors que les première et deuxième strophes étaient construites sur une seule phrase déclarative, la troisième est construite sur trois phrases exclamatives. Ce changement de ponctuation renforce le sens du poème dans la mesure où le bel équilibre de l’oiseau en vol est rompu dès qu’il touche terre. 3) Ce poème trouve parfaitement sa place dans la section « Spleen et Idéal » dans la mesure où l’albatros symbolise les contradictions du poète, à la fois porté par son inspiration et désespéré par sa réalité. Le Spleen renvoie à la situation de l’oiseau au sol, tandis que l’Idéal, lui, renvoie à sa situation en vol. 4) La lecture du poème renforce l’idée que Baudelaire, à l’instar de Rimbaud ou de Verlaine, fait partie des « poètes maudits ». En effet, le poète, comme l’albatros, apparaît en souffrance dès qu’il revient dans le quotidien et la réalité. Une part de lui-même lui semble ainsi « maudite » (un peu comme dans un conte de fées où se jouent des métamorphoses). Cette fatalité de son être inadapté à la réalité le conduit à des excès renforçant « fatalement » sa marginalité. n3 Les Fleurs du Mal CorrigéS de Charles Baudelaire Séquence – classes de seconde et première SÉANCE 4 L’Invitation au voyage, le rôle de la muse Poème étudié : L’Invitation au voyage, p. 88-89. I. Pour guider votre analyse 1. Une forme atypique a) On observe trois strophes de douze vers, chacune suivie d’un distique (refrain). On observe par ailleurs une alternance des rimes plates et embrassées dans ce poème. b) Les mètres utilisés sont des vers de cinq pieds et des vers de sept pieds. En cela, Baudelaire précède le fameux précepte de Verlaine : « Et pour cela préfère l’Impair. » c) Cette « mesure », inhabituelle en poésie (car impaire), souligne l’instabilité du poème qui fait alterner l’enthousiasme et le calme. 2. L’écho des sonorités a) Nombre de sonorités se recoupent à l’intérieur du poème, ce qui lui donne une dimension très musicale. b) Le jeu des assonances et des allitérations permet d’apporter un côté lyrique au poème, qui possède une remarquable fluidité. Le lecteur est transporté dans un autre univers que la musique des mots contribue à rendre plus évocateur encore. 3. De nouvelles correspondances a) Les yeux de la maîtresse sont comparés à des « soleils mouillés ». b) La maîtresse a « la vertu » de transporter le poète vers l’ailleurs. Le poème en détaille les éléments les plus évocateurs. Il est intéressant de remarquer que ce que décrit le poète – « riches plafonds », par exemple, ou encore, dans un tout autre registre, « dormir ces vaisseaux / dont l’humeur est vagabonde » – renvoie à la conclusion réitérée sous la forme d’un refrain : « Là, tout n’est qu’ordre et beauté / Luxe, calme et volupté. » c) Les propriétés du « pays qui te ressemble » : – une chambre avec des meubles qui ont un vécu ; – des fleurs « rares » ; – des parfums agréables ; – des attributs du luxe (« riches plafonds ») ; – l’orientalité ; – des paysages langoureux et lumineux. III. À vous d’inventer « le pays qui te ressemble » En premier lieu, dans cet exercice d’écriture, il s’agit de faire preuve d’imagination. Néanmoins, il est tout aussi important, comme dans tout écrit dit d’« invention », de réutiliser des formes que l’œuvre étudiée a pu faire apparaître. On attendra par exemple de l’élève qu’il sache recourir aux images (comparaisons, métaphores), qu’il utilise des termes à valeur méliorative. L’évaluation de la production tiendra aussi compte de la musicalité du texte et de l’effort fait pour faire jouer les sonorités et établir des systèmes d’échos. n4 Les Fleurs du Mal CorrigéS de Charles Baudelaire Séquence – classes de seconde et première SÉANCE 5 Les Chats, animaux mythologiques de compagnie Poème étudié : Les Chats, p. 104. I. Pour guider votre lecture 1. Le chat, compagnon du poète a) Le sujet du poème est nommé au v. 3. Ce retardement suscite un effet d’attente et/ou une mise en majesté du sujet. b) Les adjectifs qui servent à le qualifier sont : puissants et doux, frileux, sédentaires. Dès le premier quatrain, ils donnent de l’animal, une vision mystérieuse, parce qu’ils ne tendent pas à uniformiser le personnage. Ainsi les termes « puissants » et « doux » sont ici associés, alors que sémantiquement ils s’opposent. Quant à « frileux » et « sédentaires », ils ne sont pas a priori mélioratifs. Nous nous trouvons devant un être à deux faces, profondément mystérieux, voire insondable. c) Les chats sont prioritairement les compagnons des « amoureux », des « savants » (premier quatrain) , personnages dont la désignation est modifiée à l’entame du second quatrain : « Amis de la science et de la volupté ». On remarquera que les v. 1 et 5 sont construits en chiasme, ce qui laisse à penser que le poète est à la fois savant et amoureux. Ces amoureux des chats trouvent à cet animal les qualités suivantes : le chat est « sédentaire », donc il rassure par sa présence, mais c’est aussi un animal qui aime la nuit (contrairement à l’homme, il a même la capacité à se repérer dans le noir). En ce sens, il semble, pour reprendre le mot de Rimbaud, tel un « voyant ». Cette double posture, dormeur le jour, guetteur la nuit, invite naturellement le poète à s’interroger sur cet être animalier qui, « paradoxalement », lui ressemble. 2. Le sphinx, figure mythologique positive a) L’usage d’une encyclopédie est ici nécessaire. L’idée est de montrer que le sphinx n’a pas forcément bonne réputation. Cela dit, l’auteur joue sans doute sur l’interaction du mot entre sens propre (à connotation négative) et sens figuré (idée de calme absolu, d’indifférence au fracas alentour). b) L’animal réel apparaît transfiguré dès le deuxième quatrain, justement par la référence à la mythologie. L’Érèbe est en effet la partie ténébreuse des enfers. Quant aux « coursiers funèbres », il s’agit des chevaux mythologiques du char de la Nuit. c) Non. Toutefois, cette impossibilité l’inspire, parce qu’elle lui suggère qu’il a face à lui un être quasi mystique, en somme intercesseur entre l’au-delà et la réalité. 3. Les animaux dans Les Fleurs du Mal a) Outre les poèmes qui se réfèrent au(x) chat(s), on remarque la présence d’un sonnet consacré à l’albatros (voir séance 3) ainsi que le poème Un serpent qui danse, où le corps langoureux de la femme est comparé au mouvement lancinant du reptile. Enfin, le sonnet Les Hiboux, qui suit d’ailleurs dans l’ordre du recueil le sonnet Les Chats, met en perspective l’immobilité légendaire et quasiment marmoréenne de ces animaux. Comme on le voit, les animaux ne sont pas tous logés à la même enseigne. Néanmoins, qu’il s’agisse des chats, des hiboux ou même de l’albatros (sorte d’ange déchu), on sera à même de remarquer que l’animal possède toujours un côté divin et/ou mythologique : « Les hiboux se tiennent rangés, / Ainsi que des dieux étrangers. » II. Effectuer une recherche documentaire Les recherches sur le chat dans l’histoire des arts impliquent une certaine liberté. Le plan offre une garantie de traitement ordonné de la question. L’idée est, en conclusion de la recherche, de mettre en perspective les différents visages du chat, tout en remarquant qu’il a souvent été vénéré dans les civilisations anciennes. n5 Les Fleurs du Mal CorrigéS de Charles Baudelaire Séquence – classes de seconde et première SÉANCE 6 L’Ennemi, la tyrannie du temps qui passe Poème étudié : L’Ennemi, p. 46 et lectures complémentaires. I. Situer chaque extrait 1) La métaphore filée qui lie les deux quatrains est celle de l’orage. L’idée est ici que le poète a été tourmenté durant sa « jeunesse » et que, sans être encore « si » vieux, il a déjà beaucoup vécu et beaucoup souffert. Il n’a donc plus, alors qu’il a atteint l’âge mûr (« l’automne des idées »), qu’à sauver ce qui peut encore l’être en essayant de rassembler son être éparpillé. Dans un premier temps (premier quatrain), le poète évoque les ravages qu’il a subis durant sa jeunesse. Dans un second temps (deuxième quatrain), qui le ramène au présent (usage du passé composé au v. 5, et non plus du passé simple comme au v. 1), il explicite son « programme » actuel. Enfin, dans les deux derniers tercets, il se projette avec angoisse dans l’avenir, en concevant qu’il ne lui reste plus autant de temps que cela, comme le souligne dramatiquement l’aphorisme « le Temps mange la vie ». 2) La thématique de l’avant-dernier quatrain s’oppose presque terme à terme à celle du fameux Lac de Lamartine. Hugo s’adresse d’une façon tout autre au temps qui passe, (« rapides années ») qu’il interpelle, fermement convaincu qu’il est qu’il n’aura plus de prise sur lui. En effet, le poète amoureux d’une nouvelle muse, Juliette Drouet, se sent redoubler d’énergie. Son influence est telle qu’il ne craint plus l’effet du temps : « Mon âme a plus de feu. » 3) C’est du présent que part l’évocation du passé. Il suffit d’une « douce pluie » pour que le « rêve » se développe et ramène le poète vers une autre rive, en l’occurrence celle de sa jeunesse. L’idée de mélange est importante (« Je mêle au passé le présent »). En effet, dans le poème, il n’y a pas, jusqu’au troisième tercet inclus, de totale scission entre passé et présent. C’est même comme si le présent se nourrissait du passé. II. Mettre les textes en relation 1) Le titre du poème de Baudelaire est clair, d’autant plus même que le mot « Ennemi » doit ici s’écrire avec une majuscule. Le temps est ainsi perçu comme inexorable et dévastateur. C’est donc lui qui a les pleins pouvoirs et qui désespère le présent du poète. À l’inverse, chez Hugo, ce temps qui passe n’est plus mis en majesté. Le poète a en effet trouvé un moyen de lui résister. Alors que Baudelaire fait état d’un bilan, Hugo trace des perspectives d’avenir. Aragon, lui, se situe, si l’on peut dire, entre les deux, ressentant l’appel du passé comme une nécessité qui bouleverse son présent sans pour autant le désespérer. 2) L’Ennemi développe la métaphore filée de « l’orage » qui suggère la dimension ravageuse du temps perdu. Le poème de Hugo reprend à son compte des images poétiques classiques évoquant « Votre aile » (sous-entendu du Temps) ou encore les « fleurs toutes fanées ». Aragon emploie les mots « passé » et « mémoire ». La fuite du temps n’est pas chez lui exprimée de façon abstraite, elle s’inscrit dans les souvenirs évoqués et leur forte teneur nostalgique : « Ô l’auberge de farine… » 3) Nous nous trouvons ici en face de trois poèmes qui offrent trois rapports distincts au temps. Tandis que le temps baudelairien implique des sentiments désespérés (« Le Temps mange la vie »), l’effet de « l’horloge » semble considéré par Hugo comme moins inexorable du fait de la présence de la muse qui régénère le poète. On peut ainsi opposer nettement le dernier tercet de L’Ennemi avec le dernier quatrain de Hugo. Chez Aragon, le rapport au temps est encore différent, comme si la fuite du temps était pour le poète un mal nécessaire pour nourrir l’inspiration et retrouver la fraîcheur nostalgique des images de l’enfance. III. Entraînement à la dissertation Depuis l’Antiquité, la question du temps a toujours été fondamentale chez les poètes. Un leitmotiv repris par Ronsard au xVIe siècle : « Cueille dès aujourd’hui les roses de la vie… » Néanmoins, ce sont les romantiques, Lamartine en particulier, qui ont remis la question de la fuite du temps au goût du jour. Avec Baudelaire, le temps problématisé devient symbole d’une dégradation, autrement dit de la progression de l’être humain vers le moment de sa chute. Face à ce désespoir affiché, Victor Hugo, amoureux, se montre moins fataliste. Poète du xxe siècle, Aragon se fait quant à lui moins exalté que Hugo, évoquant plutôt la fuite du temps sur un mode lyrique. Ainsi, de Hugo à Aragon en passant par Baudelaire, la tonalité de l’évocation de la condition de l’homme à partir de thèmes inspirateurs comme le temps connaît des variations. On pourra dès lors se demander dans quelle mesure la tendance profonde de la poésie est de noircir la condition des hommes. n6 Les Fleurs du Mal CorrigéS de Charles Baudelaire Séquence – classes de seconde et première SÉANCE 6 Suite Première partie : On ne fait pas de la bonne poésie avec de bons sentiments. – Image de la poésie renforcée par les romantiques. Le poète est celui qui souffre. Exemple avec le sonnet de Baudelaire. – Avec Hugo, idée d’un poète visionnaire qui sent et qui voit ce que les autres (le commun des mortels) ne voient pas. Donc qui considère « en face » les misères de l’Homme : vieillesse, rupture amoureuse, etc. – Avec Aragon, difficulté d’en rester au quotidien, au présent, appel du passé, de la nostalgie. Donc impossibilité d’être totalement, « béatement » heureux. Deuxième partie : Variations poétiques sur le même thème. – Un poème ne rend pas compte de toute une œuvre. Certes, la poésie de Baudelaire a souvent des accents désespérés, mais elle sait entretenir « l’illusion », notamment quand elle évoque les voyages. – La poésie joue sur des images. Elle sait tirer une certaine beauté de sentiments a priori douloureux comme le sentiment du vieillissement. Le poème de Hugo, qui joue sur des images pleines de douceur (« une feuille de rose »), exprime même une certaine confiance dans le renouveau de la vie. L’évocation de sa jeunesse par Aragon, elle, reste bien moins désespérante que celle de Baudelaire, car elle renvoie à des moments heureux. Troisième partie : Un art qui questionne plus qu’il ne désespère le lecteur. – Des thèmes variés souvent liés à des blessures de la vie, mais pas seulement. On pense à Prévert, par exemple, ou à Francis Ponge. – Une image du poète (« maudit », par exemple) qui n’est pas exactement celle à laquelle renvoie sa poésie (que l’on pense aux « fêtes galantes » de Verlaine, par exemple). – Par rapport à la communication courante, la communication poétique correspond à une autre façon de s’exprimer, moins banale, moins commune, qui n’entend pas laisser indifférent le lecteur, voire le déroute ou le déstabilise. S’apparentant à une vision singulière, elle est susceptible de traduire des émotions du lecteur sans pour autant être exactement les siennes. Aussi peut-on paradoxalement éprouver un certain plaisir à être ému par un poème et même pleurer à la suite de sa lecture sans pour autant qu’il nous désespère complètement. Conclusion Une affirmation trop radicale qui mérite d’être nuancée même dans le cas de Baudelaire. Les expériences poétiques sont très diverses et n’ont comme ressemblance que de chercher à exprimer les choses dans un langage autre que le langage commun. La poésie, comme tout art qui se respecte, sait jouer avec l’émotion en lui accordant divers degrés. Le lecteur de poèmes et/ou de chansons poétiques est touché par la capacité de l’artiste à exprimer des sentiments qu’il conserve le plus souvent au fond de lui. La poésie permet ainsi d’entretenir une approche plus sensible de la vie sans pour autant la rendre insupportable. n7 Les Fleurs du Mal CorrigéS de Charles Baudelaire Séquence – classes de seconde et première SÉANCE 7 Du texte à l’image Poème étudié : Le Voyage, vII-vIII, p. 181-182. Support visuel : Le Poète voyageur, de Gustave Moreau. I. Comprendre l’image 1) Sens dénoté : ce que l’on observe en utilisant les termes premier plan, arrière-plan ou lignes de fuite. Sens connoté : la façon dont on peut interpréter le tableau à partir des impressions qu’il suggère. 2) Ce tableau peut figurer le voyage baudelairien dans la mesure où il s’agit d’un « voyage » spirituel. Le cheval ailé, Pégase, attend d’emporter son cavalier, mais celui-ci semble transporté ailleurs alors qu’il est immobile tout en gardant les yeux ouverts. 3) Les Phares (pages 42-43). Gustave Moreau n’y est pas mentionné. En 1844, la famille du poète, indignée par sa vie dissolue, lui impose une tutelle financière. Désormais, il ne pourra plus « gaspiller » l’héritage paternel. Pour gagner sa vie, Baudelaire se fait journaliste et, surtout, critique d’art, domaine dans lequel il excellera. II. Confronter des impressions par rapport au texte et au tableau 1) L’impression qui se dégage de l’observation du tableau correspond à une forme de langoureuse mélancolie. La lecture à haute voix du texte dégage une tout autre impression : on y repère plus d’empressement, plus de tourments, en somme comme s’il s’agissait d’un monologue théâtral à vocation délibérative. 2) Le poète fait le choix d’une ponctuation très expressive (multiples phrases exclamatives et interrogatives) qui concourt à l’« instabilité » énonciative du poème, moins discrète que dans de nombreux autres sonnets. 3) Le voyage mène au seuil de la vie. Le mot « Mort » précédé du vocatif « Ô » à l’entame de l’avant-dernière strophe (assimilable à la chute du poème et du recueil) permet d’envisager cette situation inexorable. III. B2i Il s’agit de conclure la séquence de lecture en insistant, d’une part, sur l’importance de l’art dans l’inspiration du poète et, d’autre part, sur la pluralité des interprétations du mot « voyage » qui constitue un des « thèmes » majeurs des Fleurs du Mal. Par le biais de la recherche de tableaux, on pourra procéder à un retour sur l’œuvre en montrant que le voyage baudelairien va dans plusieurs directions, qu’il est souvent rêvé et/ou contrarié. Ce travail peut permettre d’ouvrir sur une possible question d’ensemble. Il peut permettre de surcroît de faire le lien avec la séance 8, où les élèves devaient extraire une citation de Claude Pichois pouvant servir de sujet de dissertation. n8 Les Fleurs du Mal CorrigéS de Charles Baudelaire Séquence – classes de seconde et première SÉANCE 8 Questions d’ensemble sur le recueil Support de travail : Les Fleurs du Mal, Gallimard, coll. Poésie/Gallimard. I. l’introduction de Claude Pichois (p. 9-28) 1) « Des poëtes illustres s’étaient partagé depuis longtemps les provinces les plus fleuries du domaine poëtique. Il m’a paru plaisant, et d’autant plus agréable que la tâche était plus difficile, d’extraire la beauté du Mal ». 2) « Le beau est toujours bizarre. » 3) Dans son roman Béatrix, il fait dire à son personnage, Sabine : « Car il y a les fleurs du diable et les fleurs de Dieu. » L’expression du romancier, « les fleurs du diable », se rapproche singulièrement du titre du recueil de Baudelaire. 4) « Les Fleurs du Mal ne sont pas à la suite les unes des autres comme tant de morceaux lyriques, dispersés par l’inspiration, et ramassés dans un recueil sans d’autre raison que de les réunir ». La table indique que les poèmes sont regroupés dans des sections : « Spleen et Idéal », « Tableaux parisiens »… Par ailleurs, elle met en perspective des « séries » de poèmes regroupés selon un même axe thématique : Spleen… 5) Gustave Flaubert. II. De la table (p. 347-353) à l’œuvre 1) « Spleen et Idéal », « Tableaux parisiens », « Le Vin », « Fleurs du Mal », « Révolte » et « La Mort ». 2) L’animal préféré du poète semble le chat, si l’on se réfère par exemple aux titres des poèmes suivants : xxxIV. Le Chat, LI. Le Chat, et LxVI. Les Chats. 3) et 4) Réponses très subjectives. 5) Le vin, si l’on se réfère au titre d’une section tout entière, « Le Vin », mot d’ailleurs contenu dans tous les titres de poèmes de cette section. 6) Les poèmes xxII, xxxVIII (II) et xLVIII soulignent l’intérêt du poète pour tout ce qui touche au parfum. III. les apports d’une édition critique 1) Aux pages 256-257, nous apprenons que Baudelaire a été condamné à 300 francs d’amende pour la publication des Fleurs du Mal. Nous apprenons par ailleurs que ses éditeurs Poulet-Malassis et Debroise ont eux aussi été condamnés à une forte amende. Le grief retenu contre Baudelaire était le suivant : « délit d’offense à la morale religieuse ». 2) Le recueil Les Épaves contient les six pièces condamnées par la justice en 1857. 3) La note xCI (p. 310) porte sur le poème Les Petites Vieilles. Nous apprenons ici que Baudelaire avait envoyé ce poème à Victor Hugo, son aîné, qu’il admirait. 4) Nous avons ici une information sur le v. 17 qui a connu une première version. 5) On voit bien ici que, contrairement à certaines idées reçues, le poète n’est pas simplement un pur génie. La poésie nécessite un travail de reprise, de correction, et donc de relecture incessante. 6) On relève déjà le thème du voyage et celui de la muse, à la fois inspiratrice et initiatrice. 7) L’édition de référence est celle qui est le plus proche de l’originale. Une édition critique, comme celle utilisée ici, a pour fonction d’éclairer le texte par des informations complémentaires. Une édition scolaire donne elle aussi des informations sur l’œuvre, mais offre aussi des questions qui doivent aider à la compréhension de l’œuvre. 8) Le travail de l’édition critique est important. Il est le résultat des travaux de chercheurs en littérature. Il permet de mieux appréhender l’œuvre à partir de documents que l’on a pu retrouver. Il permet donc de ne pas en rester éternellement à la même lecture. Il s’agit ainsi d’une édition censée aider un lecteur pas forcément spécialiste de l’œuvre d’un auteur. n9 Les Fleurs du Mal CorrigéS de Charles Baudelaire Séquence – classes de seconde et première SÉANCE 9 Évaluation – S’entraîner à l’épreuve écrite du bac II. Questions sur le corpus 1) Les trois poèmes du corpus constituent une forme de transport poétique, au sens étymologique du terme « transport ». L’âme du poète est prise d’un élan d’inspiration qui lui fait rêver d’un ailleurs où les paysages qu’il entrevoit retrouvent quelque chose d’un « sublime » que la réalité a complètement occulté. Il est important de rappeler combien la dynamique du voyage intérieur est essentielle dans l’imaginaire du poète. On pourra conclure à une dimension salvatrice du voyage intérieur vers un ailleurs improbable quoique consubstantiellement lié à la Beauté. 2) Baudelaire a souvent utilisé le sonnet dont il a d’ailleurs fait l’éloge dans une lettre. C’est encore cette forme fixe courte (deux quatrains/deux tercets) qu’il privilégie dans La Vie antérieure. En revanche, le poème d’Yves Bonnefoy se développe en six strophes réparties en deux sections. On remarquera en outre la taille des vers : six pieds, soit exactement la moitié du traditionnel alexandrin. Le poème de Paul Valéry, qui du point de vue de sa datation se situe entre les deux autres, se développe selon un ample mouvement que rehausse le choix du décasyllabe. Dans ce dernier poème, on sera sensible aussi à la structure des rimes mise en place dans chaque strophe : deux vers en rimes plates + quatre vers en rimes embrassées. III. l’épreuve écrite Commentaire Ce sonnet appartient à la section « Spleen et Idéal » des Fleurs du Mal. Dans son titre comme dans son propos, La Vie antérieure suggère que cette évocation tend vers l’Idéal. Le poète maudit, las des « miasmes morbides » comme il l’exprime dans Élévation, reste donc encore habité par des images sublimes incarnant pour lui l’idée même de la beauté. Ce sonnet, par le biais de la régularité de l’alexandrin, souligne combien la poésie est susceptible de renouer avec le sublime enfoui. Les caractéristiques du paysage évoqué : – évocation d’un lieu rêvé ; – une association harmonieuse d’éléments naturels ; – l’absence de tension. Un paysage rêvé porté par une douce musicalité : – le choix de sonorités non agressives (« Les houles, en roulant ») ; – le remarquable équilibre rythmique des vers (premier tercet : alternance binaire/ternaire) ; – analogie entre musique des mots et une musique de la mer. Une relative plénitude : – évocation d’un passé (« J’ai longtemps vécu… ») ; – lyrisme qui n’est pas précisément celui de la joie : idée de nostalgie ; – révélation à la chute d’un « secret douloureux ». Dissertation Plan d’après la problématique : – la poésie est source d’évasion (par le choix de ses sources d’inspiration et des images, notamment de l’ailleurs, qu’elle convoque) ; – la poésie invente un autre langage (qui participe à l’abstraction de la réalité) ; – la poésie n’éloigne pas forcément de la réalité, mais elle offre plutôt un nouveau regard sur elle. écriture d’invention L’idée est d’abord ici de respecter la forme épistolaire, ce qui implique d’effectivement s’adresser à un destinataire et, naturellement, d’employer le « je ». Cette lettre doit avoir pour but la persuasion du destinataire. Il s’agit par conséquent de jouer sur l’art de persuader. On réfléchira aux moyens linguistiques et stylistiques que l'on doit utiliser pour rallier quelqu'un à sa cause. Sur le fond du propos, il sera important de mettre en perspective tous les apports de la poésie (faire rêver, faire s’interroger, émouvoir) pour la jeunesse d’aujourd’hui, que la société confronte à de tout autres réalités largement plus prosaïques. Il faudra s’appuyer sur des textes poétiques étudiés en classe et même recommandé de citer quelques vers et de nommer des poètes. On pourrait enfin impliquer les possibles écritures poétiques actuelles comme le slam, démontrant que l’expression poétique est loin d’avoir disparu aujourd’hui. n 10