Hypersexualisation

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Hypersexualisation
Hypersexualisation
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Un guide sur l’hypersexualisation
offert au grand public
Vingt mille copies de Hypersexualisation? Guide pratique d’information et d’action sont offertes gratuitement à la population baslaurentienne dans tous les hôtels de ville, bibliothèques municipales,
caisses populaires et CALACS de la région. Les organismes impliqués dans la diffusion massive de ce guide, soit les Centres d’aide et
de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) de Rimouski et du KRTB, la Conférence régionale des élu(e)s du BasSaint-Laurent ainsi que l’Agence de la santé et des services sociaux.
Ils invitent la population à se le procurer dès maintenant. Le guide a
pour but de sensibiliser la population à ce phénomène tout en proposant des actions concrètes.
L’hypersexualisation, c’est quoi?
On parle d’hypersexualisation lorsqu’il y a surenchère à la sexualité dans
l’espace public. Cette surexposition des références à la sexualité envahit
tous les aspects de notre quotidien et devient omniprésente. Au point même où on en vient à ne plus avoir conscience de la présence de la sexualité dans notre environnement. Ce phénomène est malheureusement largement inspiré par le monde de la pornographie qui est fondamentalement
sexiste; il utilise habituellement le corps des femmes et des filles, quelques fois celui des hommes et des jeunes garçons.
Des articles comme : « L’ABC du sexe au téléphone / Épilation génitale, une obligation? / Baisez-vous assez
souvent? »[1] ou des paroles de chansons comme : « God bless the topless, si t’es une bonne chienne, m’a slacker ta laisse »[2] sont des symptômes évidents de cette hypersexualisation de la société.
Pour les CALACS, les enjeux touchant l’hypersexualisation peuvent avoir des conséquences importantes, notamment sur
nos manières de penser et d’agir, sur notre sexualité et sur les relations entre les hommes et les femmes.
Ces conséquences sont souvent plus marquées chez les jeunes, malheureusement très sensibles aux images véhiculées
dans les divers médias par les chanteuses et chanteurs, les personnalités du monde de la mode, les publicitaires, etc.
Parmi les conséquences notées chez les jeunes filles, on parle, entre autres, de précocité sexuelle, d’insatisfaction face à
leur apparence physique et de pratiques sexuelles non-désirées. En effet, on remarque que les jeunes filles ont des relations et des pratiques sexuelles beaucoup plus tôt que les générations précédentes. Cette précocité sexuelle entraîne un
autre phénomène : 67 % des filles qui ont eu leur première relation sexuelle à 13 ans ou moins ont connu un épisode de
violence dans le cadre de leur relation amoureuse[3]. Dans la même optique, 48 % des jeunes filles de 3e secondaire sont
insatisfaites de leur image corporelle et affirment vouloir modifier leur apparence[4]. Finalement, parmi les filles de 3e et
5e secondaire dont le copain décide habituellement de quelle façon se passera le temps ensemble, le tiers disent avoir été
incitées à avoir des relations sexuelles alors qu’elles ne le voulaient pas[5].
À l’inverse de ce qu’on pourrait croire, l’hypersexualisation a aussi des conséquences sur les garçons. La quantité de
contenu sexuel observée dans les médias influence la précocité sexuelle[6]. La précocité sexuelle entraîne une augmentation du nombre de partenaires sexuels[7]. Quant à la promotion d’une sexualité « sans risque », elle pourrait expliquer
l’augmentation des infections transmissibles sexuellement chez les jeunes[8].
Un phénomène qui ne touche pas seulement les jeunes!
L’hypersexualisation est un phénomène grandissant dans notre société. Bien que cette problématique ait de grandes
conséquences sur les jeunes, elle touche aussi les adultes.
Alors que l’hypersexualisation de la société incite les filles à devenir de petites femmes sexys, les femmes adultes sont
invitées à demeurer éternellement jeunes et sexys. Le prix à payer peut être lourd : sentiment de ne pas être belle physi©CALACS du KRTB
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quement, faible estime de soi, possibles relations de dépendance envers l’autre, chirurgies esthétiques ou injections à
répétition avec effets secondaires importants, grande consommation de régimes amaigrissants, problèmes de santé, surconsommation de produits de beauté. Aux États-Unis entre 1997 et 2005, on a constaté une augmentation du nombre
d’interventions esthétiques de 440 %[9].
Chez les hommes, les conséquences sont d’un autre ordre, mais tout aussi importantes. L’hypersexualisation de la société exerce de la pression sur les hommes et peut en influencer plusieurs. Ceux-ci reçoivent quotidiennement le message
que les femmes leur appartiennent, qu’elles sont là pour satisfaire leurs pulsions sexuelles ou qu’elles ont toujours envie
d’une relation sexuelle. Alors que certains sentiront de la pression à performer sexuellement et auront peur de ne pas être
à la hauteur, d’autres pourraient développer des complexes face au modèle d’homme macho et sexy que la société leur
demande d’atteindre. Enfin, certains hommes ayant déjà développé des relations basées sur la violence et la domination
pourront se sentir validés dans ce rôle. De plus, la consommation de pornographie faussera non seulement leur conception de la sexualité, mais aussi l’image qu’ils se font de celle des femmes.
Les CALACS du Bas-Saint-Laurent pensent que chaque individu peut faire sa part dans la lutte contre l’hypersexualisation, une action à la fois. Comment? En prenant le temps de s’informer, en changeant son propre comportement (en refusant d’encourager une compagnie qui produit des publicités sexistes, par exemple), en sensibilisant son entourage aux
impacts de l’hypersexualisation et en agissant concrètement (en faisant connaître son désaccord au sujet de comportements, de commentaires, de publicités, de chansons, de produits en vente lorsque ceux-ci sont sexistes ou font la promotion de la violence envers les femmes, par exemple).
Des ateliers d’information offerts à la population
Dans le but d’offrir de l’information additionnelle à la population bas-laurentienne, des ateliers d’information sous le
thème « Hypersexualisation? Mieux comprendre pour mieux intervenir » seront offerts à la population des huit MRC de
la région. Les organismes intéressés à recevoir cet atelier d’information dans leur MRC sont invités à contacter le CALACS de Rimouski au (418) 725-4220 ou le CALACS du KRTB au (418) 867-5885, poste 161.
Le fruit d’un large partenariat
Ce guide a été réalisé en collaboration avec le CALACS du KRTB et grâce au soutien financier de l’Entente spécifique
sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans la région du Bas-Saint-Laurent 2008-2010 dont les partenaires sont :
l’Agence de la santé et des services sociaux du Bas-Saint-Laurent, la Conférence régionale des élu(e)s du Bas-SaintLaurent, le Conseil du statut de la femme, Emploi-Québec, le ministère des Affaires municipales, des Régions et de
l’Occupation du territoire, le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine et la Table de
concertation des groupes de femmes du Bas-Saint-Laurent.
Audrey Plouffe, en collaboration avec Lucie Poirier. Largement inspiré du Guide pratique d’action et d’information sur l’hypersexualisation. CALACS de Rimouski, en collaboration avec le CALACS du KRTB, 2009.
[1] Titres du magazine Summum girl, février 2009.
[2] Chanson du groupe de hip hop québécois Black Taboo, 2006.
[3] Institut de la statistique du Québec, 1999, dans Conseil du statut de la femme, Avis : Le sexe
dans les médias : obstacles aux rapports égalitaires, Québec, CSF, 2008.
[4] Conseil des ministres de l’Éducation, 2003, dans Conseil du statut de la femme, ibid.
[5] Idem
[6] Rebecca L. Collins et al., 2004, dans Conseil du statut de la femme, ibid.
[7] Michelle Rotermann, 2005, dans Conseil du statut de la femme, ibid.
[8] Ministère de la Sécurité publique, Statistiques 2006 sur la criminalité commise dans un
contexte conjugal au Québec, Québec, le Ministère, 2007, et Statistiques 2007 sur la criminalité
commise dans un contexte conjugal au Québec, Québec, le Ministère, 2008. Consultées sur Internet en janvier 2009, http://www.msp.gouv.qc.ca/.
[9] Réseau québécois d’action pour la santé des femmes, Fiches sur les interventions esthétiques, consulté en janvier 2009.
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©CALACS du KRTB
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De l’hypersexualisation... aux terrains de jeux
Dans la foulée de ses interventions de sensibilisation auprès du public, le CALACS du KRTB a rencontré en mai
2009 une quarantaine de monitrices et moniteurs de terrains de jeux. Les quatre municipalités du territoire
(Kamouraska, Rivière-du-Loup, Témiscouata et Les Basques) embauchent chaque année des centaines de jeunes
pour s’occuper des enfants d’âge scolaire pendant la saison estivale. Ces jeunes travailleuses et travailleurs sont
plus que des amuseurs, ils ont une tâche d’éducateur et sont aussi des modèles pour les jeunes. Ainsi, le CALACS
a présenté un atelier s’intitulant : L’hypersexualisation et le dépistage des agressions à caractère sexuel : des outils pour mieux intervenir.
Sur le terrain, ça s’passe comment? Les ateliers vécus par une intervenante
Avant de rencontrer un groupe, je me demande souvent quelles sont leurs connaissances par rapport aux sujets traités.
Mon objectif étant non seulement de leur apporter de l’information, mais surtout de susciter le questionnement, d’enrichir leur vision et de pouvoir partager nos perceptions. Les sujets tels que l’hypersexualisation et les agressions à caractère sexuel sont des sujets délicats à aborder en groupe.
Dès le début d’un atelier, je mets à jour, avec leur collaboration, les impacts directs de l’hypersexualisation sur le langage et sur la sexualité qui les envahissent dans toutes les facettes du quotidien, alimentant les stéréotypes dans les rôles
entre filles et garçons. Ils ont entre 17 et 25 ans. « Vous sentez-vous concerné? », leur demandais-je. Les réponses n’ont
pas tardé à venir. Comme animatrice, mon rôle est de les accompagner dans cette réflexion. C’est une expérience qui est
précieuse et enrichissante. Il ne faut pas avoir peur de se mouiller, de parler de soi et de ce que l’on voit. Lorsque je rencontre des jeunes, il se crée un espace de parole égalitaire, il n’y a pas d’hiérarchie. J’aime mettre en valeur leur expérience plus ou moins consciente de la vie.
Ils sont directs et n’hésitent pas à poser de vraies questions : « Est-ce que l’hypersexualisation a anéanti les victoires du
féminisme pour la liberté des femmes? ». Est-ce que ces luttes ont été vaines? Quelle belle occasion de passer le flambeau aux jeunes. Non, le féminisme n’est pas perdu. L’idée ce n’est pas de perdre ou de gagner, c’est de protéger l’inté©CALACS du KRTB
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grité individuelle, d’être à l’affût de tout ce qui nourrit les relations de forces et de pouvoir.
Doucement, la magie s’installe, la différence entre les générations s’atténue par le partage de confidences et d’exemples
qui transcendent le temps. En présentant le volet « agressions sexuelles », j’ai toujours en tête les statistiques du nombre
effarant d’agressions. Lorsque je m’adresse à ces jeunes, je suis consciente qu’il y a des drames qui se cachent dans quelques-unes de ces vies-là. Combien? Ces drames sont-ils encore d’actualité dans leur vie? Tout en leur transmettant des
connaissances, j’essaie aussi de prendre soin des signes qui émergent. Respecter le rythme de chacun, même dans le nonverbal. Au fond, l’intervenante en moi est toujours prête à accompagner. Ceux qui n’en sont pas à leur première expérience comme moniteurs et monitrices dans les terrains de jeux ont beaucoup d’exemples à partager sur des situations
auxquelles ils ont eu à faire face : confidences d’abus, comportements inhabituels chez les jeunes, des signes qui parlent
à partir desquels nous avons recadré leurs rôles et les ressources disponibles. Je leur avoue mon étonnement « Comment
se fait-il que nous ayons l’impression que vous savez tout sur la sexualité, mais si peu sur les gestes qui sont à caractère
d’agression sexuelle? ». Voilà ce qu’ils me répondent : « On en parle pas. On se le dit pas. On est mal à l’aise. On pense
que c’est pas si grave. »
La similitude avec la population en général est frappante. Les tabous agissent encore et de façon pernicieuse. En voulant
les outiller davantage afin qu’ils sachent comment se comporter dans ces situations, j’ai découvert des jeunes engagés,
capables de discuter et de remettre en question les idées toutes faites. Ces jeunes travailleurs ont reconnu avoir intégré
certains messages négatifs proposés par la société actuelle. « Précieux, cet atelier!» de dire plusieurs d’entres-eux. « On
ne savait pas tout ça. J’ai appris un tas de chose sur les agressions qui vont m’être utile.» Je les regarde et je leur dis à
mon tour : « Précieux, également le temps de cet échange, car nous aussi, les intervenant(e)s et moi, comme adulte, j’ai
intégré certains messages et ensemble, on peut les dévoiler, les mettre à jour. »
Le CALACS continuera d’offrir ces ateliers auprès des moniteurs et monitrices des MRC, car ils donnent l’occasion de « parler vrai » et de les épauler dans leur si précieux travail. Merci à vous.
Linda Béland,
intervenante, CALACS du KRTB