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Fiche pédagogique :
Choderlos de LACLOS,
Les Liaisons dangereuses
Choderlos
de LACLOS
Les Liaisons
dangereuses
Le Livre de Poche
« Classiques » no 354
576 pages.
Préface, notes et dossier
de Michel Delon.
Cette fiche pédagogique n’a pas vocation universitaire ; elle s’adresse en premier lieu aux professeurs de Terminale L : Les Liaisons dangereuses sont au programme, avec le film de Stephen
Frears, dans le cadre de l’objet d’étude : « Langage verbal et image, littérature et cinéma ».
Notre objectif est pratique :
– proposer des sujets sur le roman comme sur le film (aussi bien pour la question à huit points
que pour la question à douze points du baccalauréat) ;
– proposer des corrigés accessibles aux élèves de Terminale. Ces corrigés peuvent également
faire office de cours.
Une Bibliographie (p. 555-560) indique les ouvrages de critique littéraire essentiels sur l’œuvre
de Laclos.
Propositions de sujets sur
Les Liaisons Dangereuses
En règle générale, il semble que la question à huit points porte sur un aspect de l’œuvre, un personnage secondaire par exemple (le chien Bendicó dans Le Guépard, sujet 2008), tandis que la question à douze points s’intéresse davantage au sens de
l’œuvre, à sa portée critique, à son organisation, etc. (« Pourquoi Lampedusa a-t-il fait du prince Salina un astronome ? »,
sujet 2008).
En ce qui concerne Les Liaisons, la difficulté consiste à trouver des questions transversales portant aussi bien sur le roman
que sur le film.
Il est évident que nous ne nous voulons pas exhaustif, et que nous ne cherchons pas à « prévoir » ce qui pourrait être proposé
le jour de l’examen.
Propositions
pour une
question
à huit points
• Le rôle des clés dans Les Liaisons de Laclos et l’adaptation de Frears.
• L’image du corps dans Les Liaisons de Laclos et l’adaptation de Frears.
• Le personnage de Danceny/ Cécile/ Mme de Rosemonde/Mme de Volanges dans Les Liaisons
de Laclos et l’adaptation de Frears.
• Les valets dans Les Liaisons de Laclos et l’adaptation de Frears.
• Les confidents dans Les Liaisons de Laclos et l’adaptation de Frears.
• L’épisode de Prévan est-il une annexe dans Les Liaisons ? (Cette question ne s’adapte pas au
film.)
• Les rapports Merteuil/Valmont dans Les Liaisons de Laclos et l’adaptation de Frears*.
• Les mères (Mme de Volanges, Mme de Rosemonde) dans Les Liaisons de Laclos et l’adaptation de Frears.
• Les lettres dictées dans Les Liaisons de Laclos et l’adaptation de Frears.
Propositions
de sujets pour
une question
à douze points
• Le libertinage mondain dans Les Liaisons de Laclos et l’adaptation de Frears.
• Faut-il voir dans Les Liaisons un roman sur l’éducation des filles ? (Cette question ne s’adapte
•
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pas au film.)
Comédie, comédiens et théâtre dans Les Liaisons de Laclos et l’adaptation de Frears.
Images de la société dans Les Liaisons de Laclos et l’adaptation de Frears*.
Rôles et fonctions de la citation (intratextuelle et intertextuelle) dans Les Liaisons.
Les différents destinataires des lettres dans Les Liaisons de Laclos*.
La lettre et la vraisemblance dans Les Liaisons.
Peut-on parler, à propos des Liaisons de Laclos (et de l’adaptation de Frears), d’œuvre morale* ?
Les images de la séduction dans Les Liaisons de Laclos et l’adaptation de Frears.
La maîtrise de soi et la maîtrise de l’autre dans Les Liaisons de Laclos et l’adaptation de Frears.
Le désir dans Les Liaisons de Laclos et l’adaptation de Frears*.
Le clandestin, le secret et l’aveu dans Les Liaisons de Laclos et l’adaptation de Frears.
On peut également envisager de poser des questions plus spécifiques sur le rapport entre l’œuvre
originale et son adaptation cinématographique :
• Dans quelle mesure Stephen Frears s’est-il montré fidèle à l’œuvre de Laclos ?
• Tourvel et Valmont dans Les Liaisons de Laclos et l’adaptation de Frears.
• Personnages jeunes et vieux dans Les Liaisons de Laclos et l’adaptation de Frears.
• Les décors dans l’adaptation de Frears : dans quelle mesure vous semblent-ils renvoyer au
roman ?
• Comment Stephen Frears met-il en scène les lettres dans son adaptation des Liaisons ?
* Les sujets signalés par un astérisque font l’objet d’une étude détaillée plus loin.
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Propositions de corrigés
Nous proposons quelques corrigés ; certains sont développés, d’autres indiquent seulement un plan qu’on pourra détailler
avec les élèves.
Les rapports
Merteuil/Valmont
dans Les Liaisons
de Laclos et
l’adaptation
de Frears.
Deux libertins, côte à côte ou plutôt face à face. Merteuil et Valmont ont la même philosophie,
s’exprimant par des paroles ou des actes très semblables. Mais ils sont moins complices que
rivaux : le désir de posséder et de détruire, malgré tous les dangers, est le plus fort.
Deux formes du libertinage
· Des aventures en miroir
Les libertins se ressemblent d’abord dans leurs actes. C’est l’aventure de Prévan, qui s’achève au
bénéfice de Merteuil. C’est l’aventure de la vicomtesse, qui s’achève au bénéfice de Valmont.
On pourra noter que cet épisode, raconté dans la lettre LXXI, est transposé dans le film avec
Mme de Volanges dans le rôle de la vicomtesse : Valmont a couché avec la mère, avant la fille,
mais Frears ne va pas jusqu’au bout de son propos ; il ne fait pas de Valmont le père possible de
Cécile. Casanova ne s’est pas, quant à lui, privé de ce genre de jeux.
Les lettres qui racontent les exploits sont les plus longues du recueil ; il faut leur ajouter la
lettre où Valmont évoque la résistance enfin vaincue de Tourvel (lettre CXXV). Car en ces affaires, comme le dira Merteuil, la fin se ressemble jusqu’à l’ennui ; les détails seuls comptent, qui
indiquent la variation du scénario. Valmont, dans la lettre CXXV, décrit sa victoire minutieusement : « J’étudiais si attentivement mes discours et les réponses que j’obtenais, que j’espère vous
rendre les uns et les autres avec une exactitude dont vous serez contente » (p. 393).
La symétrie dans les aventures se retrouve encore dans la séduction de Cécile et celle de Danceny. Cécile dans le lit de Valmont, Danceny dans celui de Merteuil, deux être jeunes et pas
encore « usagés », des machines à plaisir.
· Les préceptes du libertinage
Il s’agit d’une « mythologie de l’intelligence » qui a fait dire qu’on avait affaire, de façon détournée,
à la philosophie du mérite chère au XVIIIe siècle. On a ainsi pu lire la lettre LXXXI de Merteuil.
Il existe des ressemblances profondes entre les deux libertins. Même insouciance à l’égard des
victimes, même méchanceté à froid, efficace et allègre, même cruauté en somme. Même soin
dans les stratégies de la séduction, même souci du langage et de la lettre qui peut convaincre
ou persuader, même persiflage. Admiration réciproque enfin, de deux joueurs d’égale valeur, et
d’identique absence de scrupules. Merteuil, dès la lettre II, écrit de façon prémonitoire : « Ce
sera enfin une rouerie de plus à mettre dans vos Mémoires : oui dans vos Mémoires, car je veux
qu’ils soient imprimés un jour, et je me charge de les écrire » (p. 48). En somme, ces deux-là sont
d’intelligence, et d’une intelligence mariée au mal.
La seule occupation du libertin, permise par sa haute naissance, est de réduire les hommes et
les femmes à merci, puis rompre, et prendre à témoin la société de la qualité et de l’étendue du
triomphe. Vocabulaire du défi héroïque, de la prouesse et de la victoire.
Le libertinage des Liaisons associe la liberté à la maîtrise : il faut pour être libre dominer les
événements, ne pas se laisser porter par eux, dominer ses émotions et ses expressions, dominer
les autres, surtout s’ils peuvent avoir une influence. En ce sens, le film est infidèle au roman,
puisque Merteuil avoue avoir été vaincue, encore qu’une seule fois, et par Valmont. On ne
peut s’empêcher toutefois de constater que ces préceptes, si vaniteusement énoncés (voir lettres
XXXIII, LI, p. 166 : « Il serait honteux que nous ne fissions pas ce que nous voulons de deux
enfants », LXVI, CXXV, etc.) sont contredits par le drame fondateur du roman : Gercourt a
trompé Merteuil et Valmont.
Atteint d’une sorte de démesure, d’hubris, la vanité du libertin le mène à l’orgueil absolu, à
l’affirmation tragique de sa supériorité. C’est la réponse calculée mot à mot de Merteuil aux
inquiétudes de Valmont lorsqu’il apprend que Prévan a jeté son dévolu sur elle (lettre LXXXI).
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· L’exhibition des libertins
Le libertin est un comédien, un metteur en scène, exploitant le vocabulaire du théâtre, ce que
le film met en décor. Il joue, mais sans l’enthousiasme de Casanova ; il se contemple jouer, froidement, minutieusement : « C’est ainsi que j’ai su prendre sur ma physionomie cette puissance
dont je vous ai vu quelquefois si étonné » écrit Merteuil (lettre LXXXI, p. 247). Dans la lettre
CXXV, Valmont constate : « J’avoue qu’en me livrant à ce point, j’avais beaucoup compté sur le
secours des larmes : mais soit mauvaise disposition, soit peut-être seulement effet de l’attention
pénible et continuelle que je mettais à tout, il me fut impossible de pleurer » (p. 395).
Il a besoin d’un public, et il le trouve. Mais en ce domaine, Merteuil et Valmont diffèrent.
L’homme peut étaler complaisamment ses conquêtes, la femme ne peut se permettre de faire
circuler le moindre bruit sur son compte. Valmont peut satisfaire sa vanité en paradant sur le
« grand théâtre », Merteuil est condamnée à l’ombre. D’où les confidences à Valmont, spectateur en mesure de juger, en connaisseur, des mesures et des exploits de la Marquise. Les Liaisons
n’existent que par cette invraisemblance ou imprudence fondatrice : la correspondance entre
Merteuil et Valmont. Quoi de plus maladroit, pour la Marquise, que la lettre où elle raconte
longuement son éducation ? C’est bien cette lettre LXXXI qu’exploitera à la fin Danceny, avec la
lettre LXXXV qui justifie Prévan. Merteuil se croit à l’abri parce qu’elle détient un secret (probablement politique) sur Valmont, parce qu’elle a proposé un pacte d’intérêt qui le lie à elle. Mais
ce pacte est l’indice même de leur conflit.
Un pacte chancelant
· La vengeance de Gercourt
Dès l’ouverture du recueil, Merteuil présente à Valmont son projet (lettre II) : une double vengeance contre Gercourt. Elle insiste sur le parallélisme : Gercourt a abandonné la Marquise pour
l’Intendante qui a abandonné Valmont. Une note indique qu’en somme le recueil est incomplet
et que la correspondance est antérieure à la première lettre, celle de Cécile.
Le point de départ des Liaisons est aussi médiocre que cela : refuser d’être quittée, tout mettre en œuvre pour ridiculiser le volage. C’est dire que le pacte proposé par Merteuil consiste
à se laver d’une faiblesse, à retourner un échec. Valmont acceptera le projet de déflorer Cécile
Volanges, mais avec beaucoup de paresse : projet trop facile, pour une vengeance qui le motive médiocrement (lettre IV). Surtout, la Marquise aura présenté cette vengeance avec maladresse : « Vos ordres sont charmants ; votre façon de les donner est plus aimable encore ; vous
feriez chérir le despotisme. Ce n’est pas la première fois comme vous savez que je regrette de ne
plus être votre esclave » (p. 52). Valmont inverse alors la proposition, acceptant de se moquer
de Gercourt si cela le rapproche de Merteuil. Dès la deuxième lettre, l’enjeu dramatique est
mis en place.
· Les soutiens réciproques
Par exemple, Valmont propose à Merteuil une solution pour faire avancer l’intrigue Danceny/
Cécile : mettre des obstacles à leur liaison. « En rentrant chez moi avant-hier matin, je lus votre
Lettre ; je la trouvai lumineuse. Persuadée que vous aviez très bien indiqué la cause du mal, je
ne m’occupai plus qu’à trouver le moyen de le guérir […] » (lettre LXIII, p. 185). De la même
façon, Merteuil donne des conseils à Valmont sur les moyens pour séduire Tourvel ; elle lui suggère ainsi de réécrire ses lettres : « De plus une remarque que je m’étonne que vous n’ayez pas
faite, c’est qu’il n’y a rien de si difficile en amour que d’écrire ce qu’on ne sent pas. […] Relisez
votre Lettre, il y règne un ordre qui vous décèle à chaque phrase » (Lettre XXXIII, p. 117-118).
Mais les deux libertins ne s’apportent pas une entraide gratuite, encore moins innocente ;
ainsi, Merteuil évoquant l’obstacle qu’elle a créé entre Danceny et Cécile parle-t-elle de « [son]
ouvrage, [son] chef-d’œuvre » (lettre LXIII, p. 185) ; et Valmont réplique aux conseils de rédaction : « Vous parlez à merveille, ma belle amie : mais pourquoi tant vous fatiguer à prouver ce
que personne n’ignore ? Pour aller vite en amour, il vaut mieux parler qu’écrire ; voilà, je crois,
toute votre Lettre » (lettre XXXIV, p. 119). Les solutions ne sont données que pour indiquer à
l’autre ses sottises, ses faiblesses. Merteuil et Valmont sont concurrents, et rivaux.
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· Le rôle des comparses
Trois comparses jouent un rôle décisif dans le pacte.
– Cécile constitue un premier enjeu : par elle passe la vengeance contre Gercourt. Si cette oie
blanche séduit médiocrement Valmont, elle semble plaire davantage à Merteuil. Certaines allusions laissent entendre que Merteuil et Cécile connaissent quelques pratiques sexuelles (voir
lettres XX, XXXVIII, LIV, LV, LXIII, etc.). Valmont réussit ce que Merteuil ne peut faire :
Cécile tombe enceinte, et l’aîné de la famille Gercourt sera un cadet de celle des Valmont, projet
qui échoue à la fausse couche.
– Danceny est un deuxième enjeu. Suivant les ordres de Merteuil, Valmont cultive son amitié,
puis séduit Cécile, écrit les lettres à sa place (la scène du film inverse la position Valmont/Émilie). Lorsque Valmont découvre qu’il fréquente la petite maison de Merteuil, c’est la crise. Pourtant, Merteuil n’a fait que reproduire le scénario entre Valmont et Cécile.
– Tourvel est le dernier enjeu. Sa conquête mobilise Valmont et fait qu’il décline la proposition de Merteuil. Puis cette conquête est l’objet du pacte entre Valmont et Merteuil. Enfin, la
rupture sera l’ultime rançon exigée par Merteuil. Mais ni la conquête ni la rupture ne la feront
changer d’avis : elle se refuse à Valmont qui veut la posséder (voir lettre CXXVII). Toutes les
tractations mènent à l’affrontement, ou plutôt en sont déjà les étapes.
L’affrontement des vanités
· Progression du conflit
Ce conflit ne débute pas vers la fin du roman, par le cri célèbre « Hé bien ! la guerre ! » (lettre
CLIII, p. 469), mais dès la première lettre de Merteuil à Valmont, soit la deuxième du recueil. « Trop honoré de mon choix, vous devriez venir avec empressement prendre mes ordres à
genoux ; mais vous abusez de mes bontés, même depuis que vous n’en usez plus » (p. 48). Comment ce ton pourrait-il une seconde convaincre Valmont, ce vaniteux qui prétend en premier
lieu à sa liberté et à son bon plaisir ? Les prétentions de Merteuil à la stratégie et à la psychologie
sont ici mises en défaut. Le roman débute ainsi par une double défaite : Gercourt a trompé
Valmont et Merteuil ; celle-ci, de rage et de dépit, agit au rebours de ses préceptes.
Le roman est ainsi une suite de combats à distance, par comparses interposés, par projets proposés puis déclinés. On ne notera ici qu’une parmi les mille formules cinglantes par lesquelles
Merteuil tente de marquer son pouvoir malgré tout sur Valmont : en vous lisant, dit-elle, « en
voyant votre retenue, digne des plus beaux temps de notre Chevalerie, j’ai dit vingt fois : Voilà
une affaire manquée ! ! » (lettre CVI, p. 337). Dans cette même lettre, Merteuil traite Valmont
d’écolier sans imagination et sans génie. Un peu plus tard, Valmont se justifie, avec la même
vanité à vif : « Parce que, depuis près de trois mois, je ne vous vois plus, nous ne sommes plus
de même avis sur rien » (lettre CXV, p. 366).
Le film propose une évolution intéressante du conflit ; plusieurs face-à-face jalonnent la liaison entre Merteuil et Valmont : premier échange sur leurs projets, ponctué d’un baiser audacieux sur la poitrine ; nouveau rendez-vous avant le départ de Valmont à la campagne où il
retrouvera les Volanges et Tourvel ; affrontement déclaré après la rupture avec Tourvel, et la
jalousie explicite de Merteuil (séquence longue, dans l’obscurité, Valmont se déshabillant et
jetant son pourpoint).
· Guerre ouverte
Merteuil souligne qu’elle détient un secret d’importance sur Valmont : « Au fait, qu’auriez-vous
à redouter ? D’être obligé de partir, si on vous en laissait le temps » (lettre CLII, p. 465). Selon
Michel Delon, il s’agit probablement d’un secret politique qui mènerait Valmont à l’exil… si on
lui laisse le temps de fuir. Après quoi l’heure de la franchise est arrivée. Et celle des règlements de
compte. Bassesse de Valmont qui interrompt l’élan lyrique de Danceny en lui expliquant qu’il
est « un peu scélérat » (lettre CLV, p. 472). Il écrit ainsi à Merteuil : « un seul mot de l’objet aimé
suffit, comme vous le voyez, pour dissiper cette illusion. Ainsi, il ne vous manque plus que d’être
cet objet-là pour être parfaitement heureuse » (lettre CLVIII, p. 478). Bassesse de Merteuil qui
écrit d’abord : « Quand j’ai à me plaindre de quelqu’un, je ne le persifle pas, je fais mieux, je
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me venge » (lettre CLIX, p. 479) puis qui provoque le duel entre Danceny et Valmont. Il est
important de noter que ce conflit est encore une fois biaisé, indirect, n’opposant pas Valmont et
Merteuil face à face. Tourvel fera les frais de ce combat sans armes mais non sans cruauté.
· Victimes des « circonstances »
Le bilan du roman est sans ambiguïté : les deux libertins souhaitaient dominer les êtres et les
événements ; ils n’auront pas réussi. Merteuil domine Valmont, Valmont domine Merteuil dans
une symétrie finale qui est peut-être le vrai châtiment des libertins. Par vanité, ils ont cru chacun
être le plus fort, ils le paient de leur vie, réellement, ou symboliquement. Tout leur échappe.
Tourvel est perdue pour toujours par Valmont qui perd la vie (le film est clair : superposant des
images du duel et des scènes voluptueuses avec Tourvel, il indique le suicide de Valmont qui se
jette sur l’épée de Danceny) ; Danceny est perdu par Merteuil, comme sa fortune, son rang, la
considération dont elle jouit dans le public. Ceux qui se croyaient les maîtres ont succombé à
la démesure tragique de leur orgueil. Refusant l’égalité, préférant toujours l’illusion de la supériorité, les nobles libertins courent à leur perte et à celle de leur classe. En ce sens, on pourrait
parler d’œuvre morale.
Ainsi, ces deux êtres qui se désiraient avant de se connaître ont péri dans la rencontre. Ils ne
se sont pas aimés, mais affrontés : ils cherchaient moins un complice qu’un adversaire qui fût à
leur hauteur. Ils s’adressent des lettres, ils se révèlent les lettres des autres, ils font du secret et du
dévoilement leur champ de bataille. On peut réellement dire qu’ici, dans ce roman, la lettre tue.
Images de la
société dans
Les Liaisons
La société brillante de l’Ancien Régime fascine. Une mythologie s’est emparée de Watteau, de
Boucher et de Fragonard, de Crébillon, de Casanova, a mêlé l’élégance et le dialogue, l’esprit de
salon et le libertinage mondain. Pour vraie qu’elle soit, en grande partie, cette image idéalise un
monde cruel, comme l’attestent les Liaisons. Ce roman épistolaire, offrant la parole à chacun,
révèle d’abord une société profondément morcelée, et qui ne tient que par l’apparence. Car il
s’agit ici, pour Laclos le militaire, de présenter une société en guerre.
Une société morcelée
· Ville et campagne
Le film met en valeur et en décor l’opposition des lieux. À la campagne, dans des jardins, des
roseraies, ou des salons ouverts, c’est le domaine de Rosemonde et de Tourvel. En ville, dans
des cours d’hôtels particuliers, dans des salons clos où la lumière se fait rare, c’est le domaine de
Merteuil, ou le lieu de la défaite de Tourvel, avec par ailleurs un contraste entre le lieu privé du
boudoir et le lieu public de la comédie, fortement éclairé.
Cette partition a pour origine, dans le roman, des considérations sociales. La campagne correspond à la morte-saison d’été, durant laquelle Paris est déserté. La campagne est également
refuge pour Merteuil, qui tâche d’y avancer l’affaire de son procès. La ville est par contraste le
lieu babylonien des rencontres en voiture, des réputations, des « petites maisons », du plaisir des
courtisanes.
· Maîtres et valets
On peut relever, pour les domestiques, les noms de Bernard, Azolan, Julie, Adélaïde.
Dans le film, Julie se soumet très vite lors de la visite nocturne de Valmont dans la chambre
de son valet. Le décor et la pose renvoient assez habilement aux dessins licencieux de Fragonard.
Azolan est plus présent, discutant avec son maître, recevant ordres et argent.
Merteuil avoue détenir un secret d’importance (probablement le secret d’un avortement)
pour sa femme de chambre. C’est une relation de force et de domination, comme elle les aime
(lettre LXXXI).
Valmont exige d’Azolan des services qui dépassent de loin le service ordinaire ; Azolan,
d’ailleurs, ne manque pas d’esprit ni de finesse (lettre XLIV). Mais, signe d’une société où le
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mépris est généralisé, où la distinction des hiérarchies est omniprésente, Azolan se refuse à être
embauché chez la Présidente de Tourvel, représentante de la noblesse de robe (lettre CVII,
p. 342) : « Les Maîtres sont les maîtres », mais leur situation sociale n’est pas identique.
· Hommes et femmes
L’opposition est très nette dans le film : un homme, plusieurs femmes, et le statut ambigu par
sa jeunesse de Danceny. Valmont est le pivot d’une société où les hommes manquent, où le
mariage, par conséquent, semble un impératif. Il est d’ailleurs intéressant de constater que le
Président de Tourvel existe, qu’il plaide un procès à Dijon, mais que sa femme à aucun moment n’envisage de le rejoindre, de trouver du réconfort auprès de lui. Pourtant, ce qui séduit
Valmont, c’est bien que la « céleste prude » donne l’image de l’harmonie conjugale. Lorsque
Valmont évoque son projet, au commencement du film, Merteuil lui rétorque, dans la grande
tradition aristocratique, qu’être le rival d’un mari est d’une médiocrité sans éclat.
Le roman révèle une certaine solidarité féminine : Mme de Volanges tente de protéger Tourvel, Rosemonde devient ensuite sa confidente, Cécile s’adresse à sa bonne amie du couvent, etc.
Merteuil, au contraire, trahit tout le monde avec délice. On connaît sa formule : « N’avez-vous
pas dû en conclure que, née pour venger mon sexe et maîtriser le vôtre, j’avais su me créer des
moyens inconnus jusqu’à moi ? » (lettre LXXXI, p. 245). Mais de quelle vengeance exactement
s’agit-il ?
Le danger est, pour les femmes, un danger masculin : l’homme a le pouvoir, l’amant peut
dévoiler le secret et les perdre de réputation. Car l’essentiel de cette société est l’apparence.
Une société hypocrite
· La métaphore du théâtre
L’image est récurrente dans le roman : petit théâtre, grand théâtre, les libertins se cherchent un
spectacle et des spectateurs. Il ne s’agit pas seulement de triompher, mais que cela se sache. La
vanité est certainement le ressort essentiel du libertin. L’exemple de la défaite de Tourvel (lettre
CXXV) atteste du pouvoir du comédien qui se maîtrise pour maîtriser l’autre. Dans ce contexte
du théâtre, la relation épistolaire est importante : lue par son destinataire direct, puis par un tiers
(Merteuil, Valmont, ou nous, lecteurs), elle mime ce qui se déroule sur le théâtre, dans une double énonciation. (Notons que le roman abonde en métaphores ; la chasse, la guerre ont la même
valeur structurante que le théâtre pour qualifier le monde, et les entreprises de séduction.)
Le film exploite la théâtralité du roman. Au commencement, Merteuil joue aux cartes avec
Mme de Volanges tandis que Cécile erre dans un décor en construction : on allume les bougies,
on va monter les lustres qui éclaireront la scène. Par ailleurs, la double séquence d’habillage de
Valmont et de Merteuil exhibe l’artificialité de leur tenue. À la fin, en écho visuel, Merteuil
contemple les spectateurs de la comédie : ils se tournent vers elle, l’actrice qui a dévoilé son jeu,
la sifflent, entérinant sa chute. Dernière image : Merteuil seule, en gros plan, ôte le fard blanc
qui la protégeait, révélant son visage rougi.
· La réputation
Tourvel tient à sa réputation, et Mme de Volanges lui rappelle ce devoir : à trop fréquenter
Valmont, elle risque de perdre moins sa vertu que la réputation de sa vertu, plus essentielle dans
une société où le mérite est subordonné à l’opinion. Autre moment : dans une de ses dernières
lettres, Mme de Volanges écrit : « Tant de vertus, de qualités louables et d’agréments ; un caractère si doux et si facile ; un mari qu’elle aimait et dont elle était adorée ; une société où elle se
plaisait et dont elle faisait les délices ; de la jeunesse, de la fortune ; tant d’avantages réunis ont
donc été perdus par une seule imprudence » (lettre CLXV, p. 491). N’y a-t-il pas ambiguïté à
considérer qu’une seule faute, sous le prétexte qu’elle est publique, détruise « tant d’avantages
réunis » ? Indice, assurément, d’une crise sociale, dans un monde que ne fondent plus les valeurs
religieuses de l’indulgence et de la rédemption.
Merteuil souligne la fragilité de la réputation, qui seule sert de repère dans une société du
paraître. Après avoir berné Prévan, elle écrit à Madame de Volanges sa cousine un sommet d’hy-
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pocrisie : « Qu’une jeune femme est malheureuse ! elle n’a rien fait encore quand elle s’est mise à
l’abri de la médisance ; il faut qu’elle en impose même à la calomnie » (lettre LXXXVII, p. 279)
· L’ostentation du libertin
Le libertin doit vivre dans une situation intermédiaire : sa réputation le précède et présente un
danger ; il doit agir dans l’ombre et désire ensuite que tout soit révélé…. Une seule tache suffit pour condamner Tourvel, l’honneur de Valmont est sali sans retour, mais un homme peut
s’en accommoder. Il doit ainsi lutter, au commencement, contre les préventions de Tourvel
qui reçoit des avertissements de Mme de Volanges : « Encore plus faux et dangereux qu’il n’est
aimable et séduisant, jamais, depuis sa plus grande jeunesse il n’a fait un pas ou dit une parole
sans avoir un projet, et jamais il n’eut un projet qui ne fût malhonnête ou criminel » (lettre IX,
p. 65). Puis son ambition se révèle : faire part au grand théâtre du succès de son aventure avec
Tourvel : « N’y ai-je pas [au château de Rosemonde] jouissances, privations, espoir, incertitude ?
Qu’a-t-on de plus sur un plus grand théâtre ? des spectateurs ? Hé ! laissez faire, ils ne manqueront pas » (lettre XCIX, p. 308). Faire croire à sa sincérité est la stratégie de Valmont : cela se
nomme l’hypocrisie.
Merteuil ne peut agir de même. Si Valmont peut aisément satisfaire sa vanité par ses récits,
elle doit se contraindre au silence. Sauf qu’elle avoue tout ou presque à Valmont (elle omet son
aventure avec Danceny). Les lettres de Merteuil ont valeur d’exhibition. Elle trouve en son destinataire un lecteur complaisant qui peut juger de ses tours en connaisseur. Lorsque l’admiration
de Valmont vient à manquer, c’est la rage. L’épisode de Prévan est à cet égard significatif : avertissements de Valmont devant cette foucade (lettre LXXVI), colère de Merteuil qui réplique par
sa lettre célèbre, nouvelle lettre de Merteuil annonçant la défaite de Prévan (lettre LXXXV), et
aucune félicitation de Valmont, aucun mot ensuite. Seule solution pour Merteuil : s’applaudir
elle-même. Le conflit des libertins s’envenime.
Une société en guerre
· La fantaisie contre la vertu
Le morcellement de la société, le rôle décisif de l’apparence s’expliquent par une société en
guerre. Les libertins décalent le vocabulaire guerrier vers le champ de la séduction amoureuse.
Merteuil qui écrit : « Il faut vaincre ou périr » ; Valmont qui écrit « conquérir est notre destin » renvoient à Dom Juan se comparant à Alexandre dans la pièce de Molière (I, 2). Mais les
mobiles ont changé, ainsi que la nature de la victoire. Merteuil évoque une pure gratuité : elle
« s’ennuie à périr » (lettre CXIII, p. 361). Même les histoires de séduction et de destruction se
répètent. Valmont, à ses yeux, n’est qu’un piètre écolier : « En vérité, Vicomte, vous n’êtes pas
inventif ! » (ibid.). Seuls les détails, qui peuvent varier, apportent un peu de piquant aux récits
fades d’une vertu toujours vaincue. La réussite offre une satisfaction de vanité qui dure un peu.
« Les sots sont ici-bas pour nos menus plaisirs » (lettre LXIII, p. 187).
Le cas de Valmont est différent. « J’aurai cette femme » (lettre VII, p. 60) explique-t-il en
préambule. « Ah ! qu’elle se rende, mais qu’elle combatte ; que, sans avoir la force de vaincre,
elle ait celle de résister ; qu’elle savoure à loisir le sentiment de sa faiblesse et soit contrainte
d’avouer sa défaite ! » (lettre XXIII, p. 99). Plus tard : « Assurément je n’aurai pas pris tant de
peine auprès d’elle pour terminer par une séduction ordinaire » (lettre LXX, p. 207). Mais, s’il
ajoute « Devais-je, comme le commun des hommes, me laisser maîtriser par les circonstances ? »
(lettre LXXI, p. 211), il finit par succomber à l’amour pour Tourvel, et Merteuil lui assènera
quelques franches vérités.
· La guerre des sexes
Le conflit est d’abord entre sexes. Il serait faux de croire que les libertins sont unis dans leur
combat contre la vertu. Plus fort est l’antagonisme entre sexes, qui s’incarne dans la lutte entre
Valmont et Merteuil et le mot fameux : « Hé bien ! la guerre ! » (lettre CLIII, p. 469). On a déjà
révélé la formule de Merteuil (lettre LXXXI), mais il en est d’autres qui courent tout le roman.
On se reportera à la correction proposée ici sur le sujet des « rapports Merteuil/Valmont ».
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Dans le film, deux éléments mettent en scène la guerre des sexes. Au cours d’une séquence,
Valmont demande à Merteuil qui elle est ; l’aveu est précédé de cette réplique : « Cruauté est
mon mot préféré. » Plus tard, lorsque Merteuil somme Valmont de rompre avec Tourvel s’il veut
renouer avec elle, la formule du roman « Ce n’est pas ma faute » est changée en : « C’est plus
fort que moi. » La modification est astucieuse en ce sens qu’elle révèle le rapport de force dans
le conflit, et la supériorité de Merteuil, plus « forte » que Valmont, qu’elle dirige alors même
qu’il se croit libre.
On touche ici au cœur du roman : la liberté conquise, idéal philosophique, suppose la pleine
maîtrise de soi et des événements ; elle implique aussi la maîtrise de l’autre. Or l’homme pour la
femme, la femme pour l’homme peuvent dominer l’autre : par l’amour ou la médisance, par la
vanité aussi, ou le sens du ridicule, la liberté se trouve en danger.
· Prémisses d’une destruction
Le film propose une longue séquence de duel. Si l’on peut trouver, en termes d’escrime, à redire
à la parade de Valmont et de Danceny, celle-ci ne manque pas de sens. Aux assauts maladroits
de Danceny répond la charge torse en avant de Valmont. Danceny recule moins devant la
lame que devant la présence masculine, presque taurine de son adversaire. Alors qu’au XVIIIe
un duel s’arrête au moindre sang versé, Valmont et Danceny poursuivent le combat, chemises
trempées de sang et de sueur : on est loin de l’apprêt méticuleux des séquences d’ouverture. Le
combat a lieu sous la neige qui est abondamment tombée : les jardins, les roses, les promenades
sous la futaie qui colorent le film ont disparu sous la froideur nue de l’hiver. Une très belle
image filmée en plongée achève ce duel avec la mort de Valmont : Azolan, Danceny à genoux
sont deux taches noires ; Valmont étendu sur la neige est « plus grand couché que debout »
(son combat a eu la noblesse du désespoir) ; et un long paraphe de sang a giclé sur le sol blanc
comme une toile.
La destruction achève également le roman. Cécile, folle de chagrin, se jette dans un couvent.
Tourvel meurt dans des convulsions. Défigurée par la petite vérole, Merteuil s’enfuit, ruinée, en
exil. Danceny rejoindra l’ordre des chevaliers à Malte. Le roman ne répugne pas aux excès du
pathétique (qu’on songe, dans un roman du début du siècle, à la mort de Manon). Restent deux
femmes âgées, désabusées, et un Prévan qui peut désormais occuper la place demeurée libre de
Valmont.
Ainsi, la société d’Ancien Régime porte-t-elle, avec les Liaisons, sa part d’ombre. Loin d’un
Casanova pour qui le plaisir est d’improvisation et mène toujours ou presque à la jouissance physique, Valmont et Merteuil, dans leur séduction intellectuelle, froide et calculée, révèlent une
société hétéroclite, qui ne tient plus que par le paraître, rongée de forces destructrices.
Les différents
destinataires
des lettres dans
Les Liaisons
de Laclos
Le roman par lettres est au XVIIIe siècle un genre privilégié ; consacré par Montesquieu avec
les Lettres persanes, il est repris par Goethe dans Les Souffrances du jeune Werther, et par Rousseau dans La Nouvelle Héloïse, à laquelle Laclos emprunte l’épigraphe des Liaisons : « J’ai vu les
mœurs de mon temps, et j’ai publié ces lettres. » Cette épigraphe, comme l’Avertissement et la
Préface, met au cœur de l’enjeu romanesque la publication et donc la divulgation à des tiers de
lettres privées. Laclos est intéressé par la problématique traditionnelle de la vraisemblance, mais
surtout par la circulation et la diffusion des lettres. Le destinataire nommé est doublé d’un destinataire caché, lui-même triplé par le lecteur du recueil.
Les destinataires directs
· Différentes sortes de destinataires
On peut faire remarquer aux élèves qu’il y a des parents, des amis, des confidents, des valets ou
des domestiques : le ton, le registre, les intentions varient en fonction du type de destinataire.
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· Le rôle des citations intratextuelles
Valmont, Merteuil, mais encore Tourvel ou les Volanges mère et fille reprennent des phrases des
lettres qui leur ont été adressées. La lettre directe devient dialogue, échange de complicité, liaison plus ou moins fidèle des mots.
· Les intentions de la lettre
Rarement les lettres directes sont gratuites. L’information nue est même, par des notes de l’éditeur en bas de page, évacuée. Convaincre, persuader plutôt qu’informer. Toujours une intention
se cache dans la relation épistolaire, à l’inverse, par exemple, de ce qui se passe dans La Nouvelle
Héloïse.
Le courrier parasité ou piraté
· Les différents viols du courrier
Souvent, un deuxième destinataire indiscret « écoute » une relation épistolaire. Les Liaisons sont
aussi l’histoire d’une intrusion presque systématique dans l’espace privé.
· Des lettres données à lire
Valmont ne se prive pas de faire lire les lettres de Tourvel ou de Cécile à Merteuil. Exhibition
victorieuse ou pitoyable tentative de persuasion.
· Le double destinataire
Valmont et Merteuil sont passés maîtres dans l’art du persiflage : les lettres ont deux sens, c’est le
cas par exemple de la lettre fameuse écrite par Valmont sur les fesses d’Émilie, destinée à Tourvel,
et envoyée à Merteuil qui seule peut en apprécier les sous-entendus.
L’intrusion du public
· Un public intratextuel
Rosemonde et Danceny découvrent la totalité du recueil, le commentant dans le texte même.
Ils projettent le point de vue du lecteur lambda sur le dénouement et en assurent la portée
morale.
· Le lecteur public
Ce que les libertins désiraient sans le vouloir a lieu : tout se découvre, on pourra juger de leur
habileté. Phrase prémonitoire de Merteuil dans la lettre II : « Ce sera enfin une rouerie de plus à
mettre dans vos Mémoires : oui dans vos Mémoires, car je veux qu’ils soient imprimés un jour,
et je me charge de les écrire » (p. 48).
· Le secret et la révélation
Thème et structure essentiels du roman. Ou comment faire d’un procédé théâtral un enjeu à la
fois moral et romanesque.
Peut-on parler,
à propos des
Liaisons de
Laclos (et de
l’adaptation
de Frears),
d’œuvre morale ?
(Ce sujet n’exige certes pas une réponse définitive de la part d’élèves de Terminale, d’autant qu’il
demande à s’interroger sur la nature de la morale, et sur la fonction éventuellement morale de la
littérature. D’une façon générale, d’ailleurs, on n’attend pas qu’une dissertation d’élève apporte
une réponse, mais qu’elle révèle que le problème a été compris.)
Les Liaisons sont-elles une œuvre morale ? Voilà une question qui se pose dès la publication du
roman, jugé scandaleux par ses premiers lecteurs (voir la Préface de Michel Delon). Comme il
s’agit d’un roman unique dans la carrière de Laclos, on a cherché des éléments dans la biographie même de l’auteur. « Pour le bourgeois Laclos qui rêvait de noblesse, n’ayant pu se faire un
nom par les armes, exaspéré d’être cloué à l’île de Ré alors qu’il était volontaire pour aller libérer
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l’Amérique, la solution alors est d’écrire un roman, d’exposer la totalité de cette aristocratie parisienne par des lettres qu’on pourra attribuer à n’importe lequel de ces arrivistes, de ces fausses
prudes (mais du fait même que lui les aura publiées, il apparaîtra clairement que lui n’agit pas
de cette façon ; c’est ce qu’on pourrait appeler un roman contre-autobiographique) ce qui le fera
apparaître alors comme le seul vrai noble au milieu de cette parodie démasquée, seul héritier des
guerres et des amoureux d’autrefois » (Michel Butor, Répertoire II, éd. de Minuit, 1964). Il n’en
demeure pas moins que la question de la morale de et de la morale dans Les Liaisons est fondamentalement ambiguë : si la fin est le châtiment des méchants, elle ne suffit pas pour que tout
revienne dans l’ordre et que la morale soit sauve.
La problématique répar tition des personnages
· Les « bons »
Il faut qualifier de « bons » des femmes : Tourvel, Volanges mère et fille, Rosemonde. Personnages sincères et naïfs : ils ne savent pas, et ne découvrent qu’à la fin les agissements des « méchants ». Personnages faibles, qui subissent les assauts des « méchants », personnages objets et
victimes de machinations sans scrupules. Et la vertu finit par manquer à Tourvel ; en somme, la
morale n’est pas une force, elle ne protège pas et ne semble guère efficace.
La naïveté de Cécile est remarquée d’emblée par Merteuil ; elle pose le problème de l’éducation des filles, et la sottise pédagogique des couvents. Elle écrit si « naïvement » que Merteuil
finit par lui en faire reproche, et Cécile ne comprend pas la critique : « Je n’ai pas trop entendu
ce que vous me marquez au sujet de ma façon d’écrire » (lettre CX, p. 349). Mais cette naïveté
qui pourrait la mener vers le bien est la forme naturelle de sa perversité ; le fond de son caractère
est faible et pusillanime, ce que révèle l’adaptation de Frears, où Uma Thurman n’a aucune initiative et joue les grandes gourdes de service. On peut donc remarquer soit que Laclos est sans
illusion sur la nature humaine, soit qu’il reprend à son compte l’idée rousseauiste que l’éducation et la société corrompent la nature humaine.
La vertu de Tourvel n’est pas sans artifice : elle fait suivre Valmont par son valet, et ne laisse
pas de temps à autre d’argumenter avec une certaine audace (voir le début de la lettre LVI).
Reste le cas de Danceny, qui appartient au camp des « bons » tant qu’il aime Cécile, mais qui
se laisse manipuler, comme les autres, et avec la même facilité, par Merteuil. Ses motivations au
moment du dénouement ne sont pas non plus sans équivoque (voir plus haut).
· Les « méchants »
Ils sont ceux qui savent, et ne sont que deux en apparence : Merteuil et Valmont, un homme
et une femme. Mais il convient d’ajouter à ce duo Gercourt, qui n’est pas un saint, et dont le
mariage arrangé ne dénote pas une confiance excessive dans les femmes ; Prévan, qui parie sur
Merteuil, et qui suscite par ses exploits la jalousie de Valmont (voir lettre LXX) ; Danceny, enfin,
qui se laisse aisément entraîner dans la petite maison de Merteuil, et que Valmont qualifie, non
sans argument, « d’un peu scélérat » (lettre CLV, p. 472). En somme, il s’agit d’hommes sans
scrupules, sans respect de la femme, menés par la vanité et le mépris.
Le cas de Merteuil est singulier : il ne faudrait pas voir dans la lettre LXXXI un manifeste
féministe : aucune solidarité dans les propos ; seul s’exprime le désir de la maîtrise de soi et de la
maîtrise de l’autre, de la liberté et de la fantaisie personnelle. Elle classe d’ailleurs, dans la lettre
CXIII, les femmes en deux catégories, et se situe bien évidemment à part.
Les « méchants » sont les libertins que le péché capital de l’orgueil définit d’un bout à l’autre
du roman. C’est Merteuil qui écrit : « Il faut vaincre ou périr » ; c’est Valmont qui écrit « conquérir est notre destin » ; formules en écho qui évoquent aussi les conquêtes d’Alexandre dont se
vante Dom Juan dans la pièce de Molière (I,2).
· Le lecteur-spectateur
La structure spécifique des Liaisons fait du lecteur un personnage, et il convient de le situer dans
le schéma actanciel. Le lecteur est celui qui sait, comme les « méchants », comme Valmont ou
Merteuil, puisqu’il a accès à toutes les lettres. Il peut, comme le libertin, saisir les doubles sens,
ce que Laclos nomme le « persiflage ». C’est ainsi que la lettre XLVIII écrite par Valmont sur
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les fesses d’une courtisane prend sa dimension dans la complicité du lecteur-voyeur. Le film de
Frears reprend d’ailleurs la scène, suivant la tradition des gravures licencieuses, et y ajoute, en
symétrie, une scène ou Cécile écrit une lettre à Danceny sur le dos nu de Valmont.
Témoin, complice, le lecteur est également essentiel à un autre phénomène d’intertextualité.
L’horizon des Liaisons, c’est La Nouvelle Héloïse. Laclos choisit en épigraphe une formule de
Rousseau. « Il faut, écrit Jean Rousset, tenir compte, pour interpréter correctement les Liaisons, de leur lien de filiation avec l’œuvre de Rousseau […]. Les Liaisons apparaissent alors
comme une Héloïse inversée : le mouvement ascendant vers l’ordre et l’harmonie autour de
Julie s’inverse en un mouvement descendant vers le désordre et la discordance autour d’une
figure féminine, également dominante, la marquise de Merteuil, image négative et de Julie et
de Mme de Tourvel, cette victime de l’homme qui est l’exact contre-pied de Saint-Preux : Valmont ». (Forme et signification, Corti, 1963). S’il en est bien ainsi, le lecteur est alors convoqué
comme témoin capital et horrifié de mondains pervertis dont le désœuvrement ne produit que
le mal, dans l’oubli des valeurs naturelles. Les Liaisons auraient, dans ce contexte rousseauiste,
valeur politique autant que morale.
La problématique valeur morale du récit
· Les libertins mènent l’action
La plus grande partie des lettres raconte un double projet de séduction : celui de Cécile, celui de
Tourvel. Cent cinquante-trois lettres sur ce projet et sa réalisation, avant que n’éclate la guerre
entre Merteuil et Valmont et que la fin se précipite. Le châtiment proprement dit ne prend
« que » vingt-deux lettres. Les libertins commandent la correspondance, et on ne « voit » pratiquement qu’eux.
Cécile, Tourvel : deux victimes, quoique opposées dans leur naïveté et leur vertu. Les libertins quêtent le mal pur et nu : les conquérir et les détruire, par gratuité, parce que le mérite en
sera grand ou la vengeance éclatante. C’est l’inversion des valeurs héroïques qu’évoque Denis de
Rougemont dans L’Amour et l’Occident : « De la Régence à Louis XVI, Dom Juan a régné sur le
rêve d’une aristocratie déchue de l’héroïsme féodal. »
On pourra remarquer que ce mal nu se dédouble à l’infini dans des récits enchâssés : celui
de Prévan avec les trois prudes, celui de Merteuil avec Prévan, celui de Valmont avec la vicomtesse. Ce sont des mystifications qui ont quelque chose de théâtral, ou de très romanesque
(dans le genre de l’époque, avec trios, stratagèmes, portes fermées, faux esclandres, etc.) et qui
surtout doivent trouver des spectateurs : « Si vous trouvez cette histoire plaisante, je ne vous en
demande pas le secret, écrit Valmont à Merteuil. A présent que je m’en suis amusé, il est juste
que le Public ait son tour » (lettre LXXI, p. 213). Perdre de réputation quelqu’un semble la plus
délicieuse des infamies pour ces mondains sans vertu qui s’applaudissent de leur habileté.
· Le renversement final
Le roman et le film exploitent différemment la fin des deux libertins.
• Dans le roman, la « guerre » est déclarée à la suite de l’exaspération réciproque de Valmont et
Merteuil. Danceny évoque la « trahison » de Valmont (lettre CLXII), sans qu’on puisse indiquer
formellement s’il parle de Merteuil ou de Cécile. La lettre suivante est celle de Bertrand à Rosemonde, qui annonce le décès de Valmont après le duel. À son agonie, Valmont confie les lettres
de la marquise à Danceny, qui en publie deux. La lettre CLXIII annonce la chute de Merteuil ;
deux lettres plus loin, elle est en fuite, procès perdu. L’accélération est évidente. Les deux complices se nuisent avec une redoutable efficacité. Ils ont perdu, l’un la vie, l’autre la santé, la fortune et la réputation. Mais une telle soudaineté est le résultat du lent pourrissement de la liaison
de Valmont et Merteuil, la conséquence d’un affrontement de vanité et de persiflage qui débute
dès la lettre II. Les « méchants » ne sont pas punis, ils se détruisent mutuellement.
• Dans le film, la dimension morale et le châtiment sont pratiquement évacués. Certes, dans
une métaphore théâtrale, Merteuil est sifflée à la comédie puis se démaquille longuement en
pleurant. Mais plus rien sur son procès ; plus rien sur la petite vérole qui la défigure ; plus rien
sur sa fuite en Hollande. Gercourt (Bastide dans le film) est absent. Danceny demeure à Paris,
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sans rejoindre les chevaliers de Malte. Cécile n’entre plus au couvent : victime manipulée, elle
demeure dans l’ignorance. Stephen Frears a privilégié la dimension romantique du revirement
de Valmont qui se suicide sur l’épée de Danceny tandis que des images brutales et voluptueuses
de Tourvel l’assaillent.
· La parole reste aux « bons »
Pour contrebalancer le récit d’une double immoralité, la morale finale du roman est explicite.
Rosemonde, Mme de Volanges, Danceny. À eux la parole, maintenant qu’à leur tour ils savent. C’est Rosemonde qui écrit : « On regrette de vivre encore quand on apprend de pareilles
horreurs ; on rougit d’être femme quand on en voit une capable de semblables excès » (lettre
CLXXI, p. 503). C’est Volanges qui écrit : « Je vois bien dans tout cela les méchants punis, mais
je n’y trouve nulle consolation pour leurs malheureuses victimes » (lettre CLXXIII, p. 509).
C’est Danceny qui écrit : « J’irai enfin chercher à perdre, sous un Ciel étranger, l’idée de tant
d’horreurs accumulées et dont le souvenir ne pourrait qu’attrister et flétrir mon âme » (lettre
CLXXIV, p. 511).
Les méchants punis, de façon discrète ou éclatante, la morale est donnée sans détour. Une
seule « liaison dangereuse » peut détruire une vie. Laclos vise la pédagogie des filles : les lectrices
doivent savoir ce qui les menace : les détours, les stratagèmes, la volonté sans scrupules des hypocrites. Mais cette morale explicite glace le cœur : elle est donnée sur des ruines.
La seule indication morale du film, si l’on veut se donner l’effort d’interpréter une scène,
consiste en une Merteuil hurlant, poussant les portes, titubant, renversant fards et poudres.
Mais c’est bien mince…
La question de la morale
· Quel châtiment, et pour qui ?
Reprenons encore la fin du roman. La parole ne reste pas à la vertu, ni aux victimes, mais aux
comparses. La morale est tirée moins par les bons que par les faibles ; et Volanges est peut-être
de tous les personnages le plus sot. Le film de Frears détruit complètement l’image de Mme de
Volanges, puisque avant la naissance de Cécile, elle fut la maîtresse de Valmont.
Qui plus est, aucune force extérieure n’est à l’origine de la punition de Valmont et de Merteuil. À proprement parler, il ne s’agit pas de châtiment, de justice, mais des conséquences d’une
nuisance réciproque. Valmont mort dans un duel d’honneur n’a fait que sacrifier aux conventions de sa caste. Quant à Merteuil, elle est perdue de réputation ; sa condamnation vient d’un
public qui la hue après l’avoir admirée, d’une médisance générale comme elle en a tant lancé,
et qui n’a pas de valeur morale en soi. Le film suggère même, dans son décor de théâtre, qu’on
siffle une mauvaise actrice plutôt qu’une méchante femme.
Que penser par ailleurs d’une fin qui réhabilite Prévan ? Danceny fait circuler la lettre dans
laquelle Merteuil expliquait son aimable guet-apens. Prévan apparaît alors innocent aux yeux
du public, qui jugera Merteuil, alors même que le lecteur le sait aussi ignoble que Merteuil ou
Valmont.
Enfin, les dégâts sont irréparables. Tourvel est morte, Cécile a décidé de finir ses jours au
couvent ; morte au monde, elle s’autopunit. Comme le rappelle Volanges, les consolations manquent. Le mal a été profond, absolument gratuit. La morale est sans secours.
· La morale en question
Le roman a été plus largement l’occasion d’une réflexion sur la morale. Les « méchants », plus
spécialement Valmont et Merteuil, ont exposé une autre définition, et l’ont mise en acte. De
façon éparse chez Valmont, de façon concentrée chez Merteuil (lettre LXXXI), on peut lire un
désir de liberté, de maîtrise de soi qui mène à la maîtrise de l’autre, le précepte absolu du « bon
plaisir ». On n’est pas très loin de la morale sadienne et les contemporains ont pu attribuer certains textes de Sade, parus anonymement, à Laclos (voir la Préface de Michel Delon). « Je suis
mon ouvrage », écrit Merteuil (lettre LXXXI, p. 246). Ailleurs, elle reprend un vers de Gresset :
« Les sots sont ici-bas pour nos menus plaisirs » (lettre LXIII, p. 187). Cécile est une « machine
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à plaisir », comme Prévan n’est qu’un automate d’amour. La force et la ruse sont des valeurs
d’usage, et il faut s’applaudir de chaque victoire si elle est due non au hasard mais au calcul.
Merteuil d’ailleurs se fait une plus haute idée de son « libertinage » et ne manque pas de
reprocher à Valmont ses facilités, ou les satisfactions qu’il éprouve dans une situation qu’il a
trouvée, non fabriquée (voir lettre CVI). Cette maîtrise orgueilleuse ne durera pas éternellement
et Merteuil perdra la dernière manche, déconfite devant le public parisien, et perdant son procès ; mais quelque chose de neuf aura été dit au cours du roman, à une époque où se cherchent
les fondements d’une morale naturelle.
· Le dérèglement social
Peut-être convient-il de voir dans le portrait d’une société en dilution l’engagement de Laclos et
la portée critique de son œuvre. Dans la société des Liaisons, celle de l’Ancien Régime, aucune
instance ne vient rétablir la justice. La religion, en la personne du père Anselme, n’a été d’aucune
utilité à Tourvel ; au contraire, l’intervention du père Anselme a hâté la chute de la vertueuse.
Suivant en cela la plupart des romanciers des Lumières, Laclos réduit le clergé au rôle peu recommandable d’entremetteur. La loi elle-même est impuissante. Merteuil aurait probablement gagné son procès en d’autres circonstances.
Surtout, il convient de ne pas négliger, d’un point de vue légal, les tractations entre Danceny
et Rosemonde. Danceny n’est certainement pas le héros naïf qui rétablit la justice et se comporte
en homme d’honneur. Il décide, sous couvert d’une lettre anonyme, de se mettre en sûreté. Il
réhabilite Prévan, révélant par là qu’il n’a pas lu le recueil dans son intégralité, et qu’il ne sait
pas tout. Il fait comprendre à Rosemonde la nécessaire discrétion autour du duel : ils auraient
tout à perdre tous les deux. Il remet entre les mains de Rosemonde l’ensemble des lettres dans
un geste calculé : il n’a pas joué un rôle très brillant dans l’histoire, mieux vaut qu’on l’ignore.
Enfin, on a vu des romans du XVIIIè où le héros abusé pardonnait et épousait (que l’on songe
à l’épisode de Mme de La Pommeraye dans Jacques le Fataliste). Qu’attendre d’une noblesse qui
ne se soucie que de sa réputation ?
Le désir dans
Les Liaisons
de Laclos et
l’adaptation
de Frears
Le film, tout en décors somptueux, en robes et costumes brillants, met en scène le contraste
entre l’élégance apprêtée et des passions déclarées. Sous la poudre et le fard, la violence, mise à
nue dans la dernière scène, tandis que Merteuil se défait de son maquillage. Le roman n’est pas
en reste. La lettre dit le besoin, le désir, l’ennui aussi ; la lettre révèle l’urgence des sentiments.
Quoi de plus significatif à cet égard que Valmont ? Il opère nettement la distinction entre le mot
et le désir, jusqu’à ce que le mot crée le désir.
Un monde où l’on s’ennuie
· La morte-saison
Ennui de la campagne, Paris désert.
· L’ennui mondain
Formules nombreuses de Merteuil (« Je m’ennuie à périr », lettre CXIII, p. 361) et de Valmont
(« Instruisez-moi donc de ce qui est et de ce que je dois faire, ou bien je déserte pour éviter
l’ennui que je prévois », lettre LIX, p. 181). Condamnation morale implicite, chère aux philosophes, d’une mondanité creuse (mais la critique existe dès le siècle précédent sous des plumes
religieuses ; l’ennui est le pire péché, sorte d’antichambre de la mélancolie)
· Se distraire : la fantaisie
Certaines histoires ne sont que des bagatelles, des plaisirs de circonstances. Rôle du détail qui
vient amuser un instant.
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Le désir et la passion
· Une passion innocente : Cécile et Danceny
Nombreuses comparaisons ironiques avec des héros de roman ou de pastorale. Corrompus tous
deux par des liaisons dangereuses, ils incarnent l’innocence perdue
· Une passion déclarée : Tourvel
Puissance des transports et intensité physique de la Présidente qui va de pâmoison en tremblement. Elle périt d’un corps superlativement expressif.
· La passion rattrapée (par la queue ?) : Valmont
Il couche avec Cécile qu’il ne désire pas. Il veut Merteuil qui se refuse à lui ; il veut Tourvel qui
se refuse à lui. Occasionnellement il trouve du plaisir avec la vicomtesse ou avec Émilie. Mais
c’est un frustré. Il découvre avec Tourvel la qualité de la passion. Merteuil lui énoncera quelques
vérités bien senties à ce propos.
Le désir et le pouvoir
· Le libertinage comme philosophie du pouvoir
Voir bien sûr la lettre de Merteuil souvent citée (lettre LXXXI), et de nombreux arguments présentés dans cette fiche pédagogique.
· Le pouvoir de détruire
Cruauté gratuite chez Valmont et Merteuil, ou plutôt cruauté exigée par la vanité. Voir ce que
Merteuil écrit à Valmont : « Une femme n’en vaut-elle pas une autre ? ce sont vos principes. Celle
même qui serait tendre et sensible, qui n’existerait que pour vous et qui mourrait enfin d’amour et
de regret n’en serait pas moins sacrifiée à la première fantaisie, à la crainte d’être plaisanté un
moment ; et vous voulez qu’on se gêne ? Ah ! cela n’est pas juste ! » (lettre CLII, p. 467).
Le rôle décisif des contretemps ou des obstacles.
Le désir fou de pouvoir est sans cesse combattu par des contretemps (Gercourt retarde son
arrivée, Tourvel s’enfuit, etc.) ou la lutte mortelle entre Valmont et Merteuil : le pouvoir n’est
jamais possible.
Jacques BARDIN

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