L`influence contemporaine du confucianisme dans la politique
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L`influence contemporaine du confucianisme dans la politique
OBSERVATOIRE CHINE 2011/2012 note L’influence contemporaine du confucianisme dans la politique chinoise Emmanuel Puig, Chercheur, Asia Centre. Juillet 2012 71 boulevard Raspail 75006 Paris - France Tel : +33 1 75 43 63 20 Fax : +33 1 75 43 63 23 w w. c e n t r e a s i a . e u [email protected] siret 484236641.00029 Depuis plusieurs années, certains signes démontrent un retour en grâce de la pensée confucéenne au sein de la vie politique et publique chinoise. Alors que l’établissement du régime communiste s’était accompagné d’une proscription totale des croyances et idéologies non-maoïstes, la figure tutélaire de Confucius (Kongzi, 孔子, 551-479 AD) – et les grands principes de sa pensée – semblent ré émerger sous les auspices bienveillants du Parti communiste chinois (PCC). Quel sens peut-on donner à ce renouveau ? S’agit-il de la résurgence d’un mouvement culturel et politique séculaire, ou plutôt d’une utilisation symbolique opportuniste et contextuelle consentie (et partiellement organisée) par le pouvoir chinois ? les strates culturelles en Chine2. Il n’est donc pas étonnant a fortiori de retrouver aujourd’hui des survivances et des influences de cette pensée au sein même du régime chinois, en dépit de tous les efforts idéologiques déployés pour instaurer et perpétuer la primauté du marxismemaoïste comme idéologie référence. Ce qui est plus étonnant en revanche, c’est de voir que la figure du Maître est désormais largement utilisée par le pouvoir chinois. Sans avoir opéré une quelconque conversion idéologique, le PCC a graduellement inséré certains des éléments les plus communs et rassembleurs du confucianisme dans sa rhétorique politique (à défaut de les avoir appliqués dans ses programmes). En dépit d’une dépréciation organisée de la pensée confucéenne sous un régime communiste (qui ne fit que participer à une dénonciation cyclique du confucianisme dans l’histoire chinoise)1, certains des grands principes du Maître se retrouvent encore aujourd’hui au fondement des habitudes sociales les plus courantes et de nombreuses croyances politiques en Chine. Ceci s’explique sans grande difficulté par l’antécédence historique du confucianisme et de l’influence profonde qu’il exerce sur la culture chinoise depuis plus de deux milles ans. D’ailleurs, il existe différentes traditions confucéennes et l’héritage intellectuel de cette pensée est disséminé à travers un nombre incalculable d’habitudes, de croyances, de traditions et de pratiques syncrétiques (mêlées au Bouddhisme et au Taoïsme notamment) qui innerve toutes L’instigateur officiel de cette redécouverte des vertus du confucianisme fut le Président Hu Jintao qui, dans son discours du 19 février 2005 devant les membres de l’Ecole centrale du Parti, évoqua la nécessité politique de bâtir La campagne d’éradication la plus retentissante fut la « Critique de Lin Biao et Confucius », (pi Lin pi Kong yudong, 批林批孔运 动) entre 1973 et 1974. 1 En dépit de la richesse de la pensée confucéenne et de la complexité d’identification – arbitraire – de ses mouvances, il est possible de distinguer trois grands ensembles doctrinaux : le confucianisme « originel » datant de la dynastie des Han ; les approches « néo-confucéennes » (SongMing lixue, 宋明理学) datant de la dynastie des Song ; et le « nouveau confucianisme » ou « confucianisme contemporain » (Dangdai xinrujia, 当代新儒 家) datant de la première moitié du 20ème siècle. Il est difficile de rattacher strictement les évocations contemporaines de Confucius que nous allons analyser à l’une ou l’autre de ces Ecoles, tant cellesci semblent souvent faire fi des contradictions et complexités de la pensée confucéennes pour ne retenir – et n’utiliser – qu’un condensé symbolique politiquement plus fédérateur. Nous utiliserons donc le terme de « confucianisme » de manière indiscriminé en soulignant, lorsque ce sera possible, l’identification des filiations. 2 une « société (socialiste) harmonieuse » (hexie shehui和 谐社会)3. Cette volonté politique fut intégrée aux objectifs du 11ème Plan quinquennal pour le développement économique et social définis en octobre 2005. Puis en mars 2006, lors d’une conférence devant les membres de la Conférence consultative politique du peuple chinois, Hu développa l’idée des huit standards « d’honneur et de disgrâce » (bage weirong bage weichi, 八个为荣、八个为 耻) comme devant constituer l’ambition politique du Parti afin de garantir l’existence d’une société harmonieuse. En développant de tels standards de probité, Hu ciblait à la fois les dérives anomiques de la société chinoise, mais aussi et surtout la corruption endémique des cadres du PCC et la défiance populaire qui en résultait. De plus, en interne, ce positionnement lui permettait de s’adosser à l’appareil de propagande du Parti et ses dirigeants : Li Changchun (李長春) et Liu Yunshan (刘云山) qui ont sans doute, du moins pour le premier, contribué à définir cette ligne. A un niveau plus symbolique, la Chine a créé en 2004 les Instituts Confucius (Kongzi xueyuan, 孔子学院), des établissements d’enseignement de la langue et de la culture chinoises implantés dans des villes étrangères. Destinés à être des outils de promotion culturelle, ces Centres constituent de véritables vitrines intellectuelles vers la Chine et, là encore, le choix de Confucius comme emblème de ce rayonnement n’est pas fortuit. Dans la même veine, l’utilisation du symbole confucéen a connu une apogée internationale lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques de Pékin en 2008 : durant celle-ci, des danseurs habillés en confucianistes effectuèrent des chorégraphies sur un chant reprenant des extraits des Analectes avant qu’une mise en scène finale ne vienne souligner le caractère « Harmonie » (he, 和), vertu centrale du confucianisme, ou du moins, vertu centrale que le pouvoir chinois attribue à celui-ci4. De l’utilisation politique d’un marqueur symbolique Du fait de l’affichage répété du symbole, doit-on considérer qu’il s’agit là des signes visibles d’un changement fondamental ou au contraire d’une utilisation superficielle destinée à renouveler de vieilles ambitions ? L’analyse sémiologique des huit standards par Alice Miller (Hoover Institution, Stanford) démontre que la filiation affichée entre ces principes et le confucianisme est loin d’être avérée. Les concepts centraux du Confucianisme sont expurgés de ce programme qui ne ressemble en rien aux récitations traditionnelles, mais se rapproche étonnamment des douze principes de comportements moraux édictés par le Parti communiste d’Union soviétique lors de son 22ème Congrès en 19615. De fait, si ce n’est pas chez Confucius que les dirigeants chinois sont allés puiser des concepts politiques valorisant la stabilité, le conservatisme politique et certaines vertus sociales (piété filiale, honnêteté, rigorisme qui ne sont d’ailleurs pas à proprement parler l’apanage du confucianisme), c’est dans l’utilisation symbolique du confucianisme comme Alice Miller, « Hu Jintao and the Sixth Plenum », China Leadership Monitor, n°20, hiver 2007, p. 5. 4 Le condensé symbolique de ces vertus génériques (mais propres à la Chine) se retrouve dans le choix de l’appellation de « Prix de la paix Confucius » que le régime chinois a façonné hâtivement en réaction à l’attribution du Prix Nobel de la Paix 2010 à Liu Xiaobo (刘晓波), dissident chinois emprisonné. 5 Alice Miller, op. cit., p. 8. 3 vecteur du message que réside l’innovation politique. Néanmoins, cette utilisation des symboles extérieurs au marxisme constitue un exercice à double tranchant pour un régime autoritaire qui entend contrôler la dispersion idéologique de son peuple. Le destin de l’éphémère statue de Confucius érigée en janvier 2011 à l’est de la place Tiananmen, en face de la tombe de Ma Zedong, est ainsi révélatrice du degré de tolérance du régime envers les symboles externes (ou incomplètement maîtrisés et intégrés). L’érection de la statue en place publique a suscité de nombreux débats au sein du Parti dont la presse chinoise, et les organes de chaque tendance, ont largement fait écho. Le positionnement de la statue de Confucius face au mausolée de Mao a stimulé les visions d’opposition, de concurrence et de défiance dans une surenchère d’interprétations symboliques qui ont conduit les autorités à déplacer (en avril et de nuit) la statue jusqu’au Musée national de Chine, qui devait être – officiellement – sa destination première. L’utilisation de la référence n’est donc pas aussi aisée et opportune que le souhaiteraient sans doute les instigateurs de ce tournant confucéen au sein de la propagande du régime. La richesse de l’héritage confucéen complique l’édification de la vision utilitariste et légitimiste que veulent promouvoir les acteurs de la propagande officielle. Vers l’étranger, brandir la figure de Confucius comme l’emblème international de la culture chinoise contribue au développement d’une image d’une Chine millénaire, forte de ses traditions de pensées et de son héritage culturel. C’est exactement le type de représentations qui sont véhiculées à travers les Instituts Confucius et qui participent du halo symbolique qui entoure la Chine sur la scène internationale. Au niveau intérieur en revanche, brandir la figure de Confucius ne peut pas constituer un processus aussi linéaire. L’importance historique du confucianisme va au delà du symbole, et cette dispersion des interprétations nourrit les contradictions et les paradoxes du système politique au lieu de les niveler ou de les masquer. Aussi, le recours au confucianisme pour redonner du sens au discours politique (ou masquer ses limites) n’est pas uniquement déclaratif ; depuis une dizaine d’années maintenant, le pouvoir chinois a autorisé la création de chaires et de centres d’études du confucianisme qui participent d’un mouvement social de fond et contribuent, en interne, à stimuler certains débats philosophiques et politiques. Le renouveau confucéen dans la sphère sociale Bien au delà de l’utilisation de la symbolique confucéenne à des fins de propagande, il existe une véritable volonté politique et intellectuelle de trouver dans la tradition chinoise des outils et des idées pour penser le monde contemporain et ses problèmes sociaux. Cette dynamique date du renouveau des études de la pensée confucéenne dans le monde académique chinois au début des années 1980. Tout au long de cette décennie, quelques-uns des plus importants spécialistes du confucianisme comme Feng Youlan (冯友兰, 1895-1990), Zhu Bokun (朱伯昆, 1923-2007) et Tang Yijie (汤一介, 1927-) reprirent leurs fonctions au sein de l’université chinoise et développèrent des échanges universitaires prolifiques avec leurs collègues taiwanais, japonais, américains et coréens notamment. En novembre 1986, un projet de recherche sur le « nouveau confucianisme » fut approuvé par la fondation nationale pour les sciences et fut sélectionné comme un projet de recherche-clé au cours des 7ème et 8ème plans quinquennaux 2 (1986-1990 et 1991-1995). Aujourd’hui, certains de leurs étudiants, comme Guo Qiyong (郭齐勇), professeur à l’université de Wuhan, dominent le champ des études confucéennes en Chine et sont considérés comme des spécialistes de niveau international. Il existe un véritable engouement intellectuel autour de ces professeurs qui jouissent d’une excellente réputation, à défaut d’exercer une véritable influence politique. Le professeur Du Weiming (aussi orthographié Tu Weiming, 杜維明) constitue sans doute un des meilleurs exemples de cette génération contemporaine de philosophes influents. Directeur du Harvard-Yenching Institute, Du est né à Kunming mais il a été naturalisé américain en 1976. Considéré comme un des plus éminents spécialistes du nouveau confucianisme, son œuvre a exercé une influence profonde sur les dernières générations de professeurs chinois. Mais les travaux universitaires n’imprègnent pas la sphère publique sans quelques travaux de vulgarisation, souvent décriés, mais très largement lus. Au cours de ces dernières années, des ouvrages comme ceux de Yu Dan (于丹, professeure à la Beijing Normal University) ont connu un très large succès. Cette dernière est devenue une véritable célébrité médiatique en 2006 après avoir donné une série de conférence télévisées (CCTV) sur les préceptes de Confucius et leurs applications quotidiennes. Au delà même, de véritables débats philosophiques se sont engagé autour des travaux de Gan Yang (甘阳) qui milite pour une « République socialiste confucéenne », ou de Kang Xiaoguang (康晓光), professeur à l’Université du peuple, qui livre dans ses ouvrages une interprétation très nationaliste des canons confucéens qu’il souhaiterait voir enseignés comme une religion d’Etat6. Aussi, il existe en Chine un espace publique pour les débats d’idées politiques autour de la tradition confucéenne et ses exégèses. Pourtant, malgré une certaine forme d’engouement populaire, le pouvoir chinois n’utilise le confucianisme qu’à des fins d’affichage et ne laisse les promoteurs de cette mouvance s’immiscer qu’à la marge du jeu politique. Tradition et la vertu. Le marxisme-maoïste n’a plus la valeur dogmatique d’antan et, plus encore, il n’aide pas à comprendre et à appréhender la modernité globalisée de la société chinoise. Face aux profonds changements sociopolitiques en Chine, le confucianisme offre un corpus riche et élaboré de fondements et de repères sociaux. L’héritage du confucianisme est réévalué à l’aune des succès (principalement économiques) chinois qu’il inscrit dans une longue tradition historique. Au niveau des valeurs, l’impact anomique de la libéralisation économique, de l’urbanisation, de l’éclatement des cellules familiales et de la recomposition des hiérarchies sociales favorise un retour vers ce corpus traditionnel et rigoriste. Bien au delà de la piété filiale que le pouvoir chinois tend à utiliser comme métaphore du rapport « naturel » à son autorité politique, le confucianisme offre une variété d’interprétations et de recours qui ne sont pas fondamentalement dépendants d’un seul type de régime politique. Le développement contemporain des interprétations de la pensée confucéenne dans la sphère publique semble répondre à un mouvement de fond et à une quête de sens socioculturelle. Face à cette évolution, le pouvoir chinois tend à reprendre à son compte les grandes lignes de cette pensée afin d’asseoir son autorité symbolique. Toute la gageure des propagandistes du régime consiste à assurer la coexistence idéologique de confucianisme avec la ligne politique du moment. Mais le risque est grand de voir des interprétations concurrentes émerger et souligner, non sans acuité, les contradictions idéologiques du pouvoir. L’utilisation légitime de l’héritage confucéen constitue aujourd’hui un enjeu politique de premier ordre entre les acteurs civils et les gouvernants chinois. En autorisant la résurgence du confucianisme le régime chinois fait de nouveau un pari risqué : soit il assimile (à nouveau) des éléments exogènes à sa matrice idéologique (pour créer une sorte de « confucianisme d’Etat ») ; soit il échoue et nourrit en son sein les éléments d’une vision politique alternative. Le retour de Confucius: mouvement de fond ou cosmétique politique ? Pour dresser un constat actuel du développement de la pensée confucéenne au sein de la société chinoise, il faut distinguer la sphère sociale et culturelle du champ politique de l’exercice du pouvoir. Au sein de la première, le renouveau des idées confucéenne fleurit sur le terreau des illusions perdues du maoïsme. Au sein du deuxième, l’orthodoxie politique se livre à toutes les hybridations possibles pour survivre et renouveler les attributs symboliques de sa légitimité. Au cours des trois dernières décennies, l’idéologie officielle promue par le PCC a profondément évolué afin d’ajuster les objectifs politiques aux impératifs économiques. L’intégration d’un modèle économique libéral par le régime communiste ne s’est pas faite sans contorsions symboliques et autres paradoxes idéologiques. Face à cette flexibilité politique (qui constitue à la fois une des grandes forces, mais aussi une importante faiblesse, du régime chinois aujourd’hui), le confucianisme apparaît comme porteur de deux éléments primordiaux : la Sébastien Billioud et Joël Thoraval, « La Chine des années 2000 : regards nouveaux sur le politique », Extrême-Orient ExtrêmeOccident, n°31, 2009, p. 21-22. 6 3