Fièvre méditerranéenne familiale « Maladie périodique »
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Fièvre méditerranéenne familiale « Maladie périodique »
Dossier Fièvre méditerranéenne familiale « Maladie périodique » Isabelle Koné-Paut Service de pédiatrie générale, Centre de référence des maladies auto-inflammatoires, rhumatologie pédiatrique, Hôpital de Bicêtre, 78 rue du Général Leclerc, 94270, le KremlinBicêtre <[email protected]> La fièvre méditerranéenne familiale (FMF) ou « maladie périodique » est la cause la plus fréquente et la plus anciennement reconnue des fièvres récurrentes héréditaires. Le diagnostic est facilement évoqué chez un enfant issu d’une population à risque qui présente des crises typiques : accès fébriles durant 48-72 heures, douleurs abdominales, douleurs thoraciques, myalgies et plaque érysipélatoïde. Il est parfois plus difficile quand le tableau clinique est incomplet et quand l’histoire familiale n’est pas contributive. La FMF est une maladie génétique autosomique récessive. Le gène (MEFV) et la protéine correspondante (pyrine) ont été identifiés en 1997, ce qui rend actuellement possible une confirmation génétique dans la majorité des cas. La pyrine est exprimée dans les leucocytes et les monocytes. Elle intervient dans ces cellules sur trois voies physiologiques assez reliées que sont l’apoptose, la sécrétion de cytokines et la régulation du cytosquelette, et joue donc un rôle important dans l’inflammation. Son traitement repose sur l’administration quotidienne de colchicine qui est efficace sur les crises dans plus de 90 % des cas et permet de prévenir une amylose secondaire. Du fait de l’ancienneté de sa description et de la communauté du domaine pyrine à d’autres protéines médiatrices de l’inflammation comme la cryopyrine impliquée dans les syndromes liés au déficit en CIAS1, la FMF peut être considérée aujourd’hui comme le prototype des maladies autoinflammatoires. Mots clés : fièvre méditerranéenne familiale, maladie périodique, fièvre récurrente héréditaire L Tirés à part : I. Koné-Paut 146 mt pédiatrie, vol. 11, n° 3, mai-juin 2008 Siegal [2] sous le nom de péritonite paroxystique bénigne. Les descriptions détaillées ont débuté en 1956 en Israël et en France, sous le nom actuel de fièvre méditerranéenne familiale [3]. D’autres termes synonymes sont encore parfois trouvés dans la littérature, comme épanalepsie, polysérite récurrente héréditaire. Les manifestations cliniques particulières car paroxystiques lui ont aussi valu le nom de maladie périodique. Elles débutent doi: 10.1684/mtp.2008.0168 mtp a fièvre méditerranéenne familiale (FMF) est une maladie génétique autosomique récessive répandue dans certaines populations, particulièrement chez les Arméniens et les Juifs d’Afrique du Nord, les Turcs et les Arabes en dehors de la péninsule arabique. La première description de la FMF est apparue dans la littérature médicale en 1908 par Janeway et Mosenthal [1]. La première série de cas n’a été rapportée qu’en 1945 par en général dans l’enfance, en moyenne autour de l’âge de 4 ans. Elles sont dominées par la fièvre, durant quelques heures à 3 jours, accompagnée de douleurs abdominales et thoraciques traduisant l’inflammation des séreuses. Entre les crises le patient reste le plus souvent asymptomatique. L’amylose secondaire est la complication la plus grave du fait de son évolution vers l’insuffisance rénale terminale. Sa survenue plus fréquente dans certaines ethnies pourrait être sous l’influence conjointe de facteurs d’environnements et de facteurs génétiques en recherche d’identification. Introduite en 1972, la colchicine est toujours en 2007 le traitement de référence de la FMF [4]. Sa prise orale continue prévient la survenue des crises chez la majorité des patients ainsi que le développement de l’amylose secondaire. La FMF n’était autrefois évoquée que par élimination sur la base d’arguments cliniques rétrospectifs et/ou de tests thérapeutiques. L’identification du gène MEFV (pour Mediterranean FeVer) en 1997, par un consortium français et un consortium international, a permis la mise au point du premier diagnostic de certitude en révélant des mutations chez 70 % des patients présentant une FMF typique [5, 6]. De plus, les études fonctionnelles de la protéine correspondante (pyrine pour fièvre, dénommée aussi marenostrine pour mare nostrum) ont été le point de départ de découvertes successives sur le déclenchement de l’inflammation et de l’apoptose. En effet, une partie de cette protéine, le domaine pyrine (PYD), peut par le biais d’interactions homotypiques (PYD avec PYD) activer la voie des caspases aboutissant entre autres phénomènes à l’activation du facteur de transcription pléiotropique NF-kB et à la synthèse d’interleukine 1. Du fait de l’ancienneté de sa description et de la communauté du domaine pyrine à d’autres protéines médiatrices de l’inflammation comme la cryopyrine impliquée dans les syndromes liés au déficit en CIAS1, la FMF peut être considérée aujourd’hui comme le prototype des maladies auto-inflammatoires. Le nom « autoinflammatoire » a été créé pour caractériser un groupe de pathologies liées à une anomalie de l’immunité innée par analogie aux maladies auto-immunes liées à une anomalie de l’immunité acquise. Manifestations cliniques Les manifestations cliniques de la FMF sont intermittentes, de déclenchement apparemment inopiné, et sont entrecoupées de phases de latence de durée variable. L’âge de début est en moyenne de 4 ans, 10 % des enfants présentant leurs premières crises dans la première année de vie [7, 8]. La maladie peut dans 20 % des cas, débuter après l’âge de 20 ans, mais le tableau clinique ici très atténué rend le diagnostic particulièrement difficile. Chez le nourrisson et le très jeune enfant, la FMF commence par des crises fébriles apparemment isolées, mimant à cet âge des infections bactériennes, en particulier urinaires. Hors de ces tranches d’âge, le tableau abdominal est au premier plan. Lorsqu’il est inaugural, il pose le problème d’une urgence chirurgicale. La FMF peut aussi débuter sur un mode atypique, en particulier articulaire pur ou essentiellement musculaire faisant discuter en fonction du contexte une arthrite juvénile idiopathique ou une vascularite systémique. Dans ces circonstances, la FMF est rarement reconnue d’emblée et c’est uniquement sur les antécédents familiaux ou sur l’appartenance à une ethnie à risque qu’il est possible d’y penser. Déroulement de la crise La crise survient brusquement et atteint rapidement son acmé. Elle est souvent précédée de prodromes : irritabilité, fatigue, vertiges, sensation de malaise, frissons, odynophagie, myalgies d’effort, endolorissement abdominal vague avec attitude voûtée caractéristique chez le jeune enfant, et parfois constipation. Des facteurs déclenchants sont parfois retrouvés : émotion, stress (peur d’un examen par exemple), activité physique inhabituelle, voyage transatlantique, examen paraclinique invasif, menstruations chez 17 % des patientes. Selon la fréquence des accès, on distingue des formes sévères, celles comportant 2 ou 3 crises par semaine, des formes moyennes avec 2 ou 3 crises par mois et des formes plus légères avec moins d’une crise par mois. Fréquence – Périodicité La FMF n’a rien de « périodique » car en réalité les crises sont variables en fréquence et en durée d’un patient à un autre et chez un même patient. Les signes d’accompagnement sont également variables mais la fièvre et les douleurs abdominales sont les signes les plus régulièrement présents. Entre les crises, l’état général est conservé mais chez certains enfants leur répétition est responsable d’un retard staturo-pondéral et de troubles psychologiques avec anxiété et irritabilité. Une fréquence élevée des crises ainsi que la présence de signes cutanés et articulaires est significativement associée à la présence d’une homozygotie M694V dans le gène MEFV [8-10]. La fièvre La fièvre typique s’élève brutalement à 39-40 °C et s’accompagne de frissons lui ayant valu le qualificatif de « pseudo-palustre ». Elle dure en moyenne de 48 à 72 heures suivant en général le début des signes abdominaux et régresse avant eux. Son caractère apparemment isolé n’est cependant pas exceptionnel surtout dans les cas où la FMF débute dans la première année de vie. C’est principalement son caractère répétitif sans argument clinique et/ou paraclinique pour une cause infectieuse qui va orienter le diagnostic. Des poussées fébriles de bas grade, passant inaperçues ou durant seulement quelques mt pédiatrie, vol. 11, n° 3, mai-juin 2008 147 Fièvre méditerranéenne familiale heures sont aussi possibles. Au cours de la FMF, la fièvre peut exceptionnellement durer au-delà de 4 jours mais il s’agit de circonstances particulières : attaque articulaire concomitante ou tableau de myalgies fébriles prolongées [11, 12]. En dehors de ces situations il faut discuter une autre maladie auto-inflammatoire (voir les autres articles du présent numéro) ou suspecter l’existence d’une vascularite qui peut être parfois associée, en particulier le purpura rhumatoïde, la periartérite noueuse ou la maladie de Behçet. Les crises abdominales Premiers symptômes de la FMF dans 67 % des cas, elles sont présentes chez 85 à 90 % des malades. L’accès abdominal réalise le tableau de péritonite aiguë de Siegal [13]. La douleur est brusque, localisée à l’épigastre et diffuse secondairement à l’hypochondre droit, la fosse iliaque droite puis à l’ensemble de l’abdomen. Le patient a une attitude prostrée évitant le moindre changement de position. Des signes digestifs à type d’anorexie, de constipation, de nausées et plus exceptionnellement de vomissements sont associés. À ce stade, l’examen abdominal montre une distension diffuse avec une sensibilité à la palpation qui révèle une défense ou parfois une contracture, localisée ou généralisée. Si une radiographie d’abdomen sans préparation est pratiquée, elle montre une distension digestive avec parfois des niveaux hydro-aériques faisant redouter une occlusion intestinale. Ce tableau très impressionnant, surtout lorsqu’il est inaugural, peut appeler des interventions chirurgicales inutiles (en particulier des appendicectomies). Le taux d’appendicectomies est élevé chez les patients périodiques : 50 % dans des séries historiques de Siegal en 1964 [13] et de Schwabe en 1974 [14], mais semble diminuer de pair avec une meilleure reconnaissance de la maladie : 19 % dans la série de Majeed en 1999 [15], 15 % dans une série marseillaise de l’année 2000 [8]. Quand une laparotomie est pratiquée en crise, elle montre une congestion péritonéale avec épanchement de liquide trouble stérile contenant de la fibrine et des leucocytes. L’appendice et le reste des organes sont en règle normaux. Des brides et des adhérences péritonéales peuvent résulter de l’organisation de l’exsudat produit lors de la crise inflammatoire et être dans de rares cas à l’origine d’occlusions intestinales. L’examen histologique du péritoine en crise montre une inflammation associant congestion vasculaire, œdème et infiltrat de cellules mononucléées et des polynucléaires. En l’absence d’intervention, la douleur cède en six à douze heures. Sa disparition est complète en 24 à 48 heures, accompagnée souvent d’une diarrhée transitoire. Des occlusions intestinales spontanées ou post-opératoires sur brides inflammatoires ont été rapportées. Les crises abdominales peuvent être atypiques par leur intensité réduite à type de gène abdominale plutôt que de franche douleur ou par leur 148 localisation avec possibilité de crises pelviennes évoquant une urgence urinaire ou gynécologique. Lorsque la FMF est connue et que la crise abdominale est typique, le patient peut reconnaître ses symptômes, ce qui permet d’attendre les quelques heures critiques avant de prendre une décision d’intervention chirurgicale. L’état général conservé et la présence d’un signe d’accompagnement extra-abdominal comme une douleur thoracique ou une arthrite peuvent permettre de reconnaître plus aisément la FMF. Dans les autres situations où une urgence chirurgicale ne peut être éliminée, se discute l’utilité d’une imagerie complémentaire. L’échographie abdominale, examen simple et non irradiant, manque malheureusement de spécificité dans ce contexte. Pour certains, le scanner abdominal peut être utile car il permet de vérifier la normalité de l’appendice et l’absence d’occlusion intestinale. Il peut montrer d’autres signes évocateurs d’une crise de FMF plutôt que d’une urgence chirurgicale chez un sujet sain comme un épanchement péritonéal de faible abondance (70 %), des adénopathies mésentériques (45 %) et une splénomégalie (20 %) [16]. Crises pleurales Elles sont signalées chez 50 % des patients souffrant de FMF, se traduisant par une douleur basithoracique unilatérale (gauche le plus souvent) associée une polypnée superficielle. Les signes respiratoires prédominent chez le très jeune enfant qui n’exprime qu’exceptionnellement une douleur thoracique. L’irradiation des douleurs à l’épaule ou à la base thoracique controlatérale est possible. L’auscultation en crise peut retrouver une diminution du murmure vésiculaire. La radiographie du thorax montre rarement une lame d’épanchement pleural et/ou une bande d’atélectasie persistant entre deux et dix jours. Les crises pleurales accompagnent les crises abdominales qui peuvent les masquer, et suivent leur évolution en 24 à 48 heures. Les signes articulaires Les signes articulaires de la FMF incluent des arthralgies et des arthrites. Ils inaugurent la maladie une fois sur quatre, posant alors chez un enfant le problème du diagnostic différentiel avec une arthrite septique, une arthrite juvénile idiopathique ou en fonction du contexte, avec un rhumatisme articulaire aigu [17, 18]. Les formes récurrentes monoarticulaires et celles avec atteinte simultanée de deux articulations sont de loin les plus fréquentes (80 % des cas), les articulations les plus touchées étant les genoux et les chevilles. Ces arthrites sont significativement plus fréquentes chez les patients d’origine juive séfarade et associées au plan génétique à l’homozygotie M694V [8, 10]. Les attaques articulaires débutent brutalement avec une douleur atteignant son paroxysme en moins de 12 heures et régressant en moins de 24 heures. Elles s’accompagnent de fièvre modérée ou élevée dont la régres- mt pédiatrie, vol. 11, n° 3, mai-juin 2008 sion précède celle des signes articulaires. L’impotence fonctionnelle et les signes inflammatoires locaux persistent pendant environ deux semaines. Ces crises aiguës concernent surtout les grosses articulations des membres inférieurs dont parfois les articulations sacro-iliaques et les métatarsophalangiennes. Elles n’entraînent en général pas d’érosions osseuses et/ou de destruction articulaire. Les atteintes polyarticulaires peuvent intéresser des articulations plus serrées comme les doigts, les poignets et les temporomandibulaires ; leur évolution est plus prolongée durant 6 à 12 semaines. Les radiographies pratiquées montrent essentiellement un œdème des parties molles et une discrète déminéralisation osseuse qui n’est que transitoire. Des arthropathies prolongées sont rapportées mais elles ne dépassent pas 5 % de l’ensemble des atteintes articulaires liées à la FMF. Elles siègent surtout aux hanches et aux genoux (75 % des cas), pouvant durer pendant des semaines ou des mois, responsables d’amyotrophie et d’érosions sous-chondrales. Elles régressent en général sans laisser de séquelles articulaires. Toutefois des arthropathies chroniques ayant une évolution très rapide vers la destruction articulaire ont été rapportées, en particulier au niveau des hanches avec coxite radiologique : pincement de l’interligne, déminéralisation de voisinage pouvant évoluer vers une condensation secondaire et un remaniement arthrosique des berges. Une nécrose aseptique ischémique de la tête fémorale est aussi possible. Ces manifestations peu communes doivent faire rechercher une maladie associée, en particulier une spondyloarthropathie généralement HLA B27 négative ou une colopathie inflammatoire. Le traitement des arthropathies prolongées est difficile car les AINS et les corticoïdes ne sont pas efficaces. Le traitement chirurgical, synovectomie ou une mise en place de prothèse, peut être le seul recours devant une destruction articulaire accélérée et/ou une impotence fonctionnelle absolue. Les signes musculaires Les myalgies ainsi que des douleurs des plantes et des talons sont présentes chez environ 20 % des malades. Elles sont de différents types : spontanées (8 %), induites par l’effort (81 %), fébriles et prolongées (11 %) [18, 19]. Les myalgies spontanées atteignent surtout les mollets qui sont douloureux à la pression et peuvent être augmentés de volume, tendus et chauds. Au cours de ces accès, une fièvre modérée est présente durant 24 à 48 heures et les douleurs abdominales peuvent passer au second plan ou faire totalement défaut. Ces myalgies régressent spontanément en quelques heures ou jours sans qu’aucun traitement ne soit réellement efficace. Les enzymes musculaires sont normales ou très peu modifiées avec élévation parfois discrète de la lacticodéshydrogénase (LDH). L’imagerie et la biopsie musculaire sont normales. Les myalgies induites par l’effort et surtout par l’endurance sont les plus fréquentes. Elles surviennent en général le soir, sont d’intensité modérée et disparaissent spontanément en quelques heures. Le syndrome des myalgies fébriles prolongées a été bien décrit par Langevitz et al. dans une série de 14 patients [11]. Il survient presque toujours chez des patients dont la FMF est connue et traitée par la colchicine. Les douleurs musculaires sont intenses et diffuses confinant le patient au lit et s’accompagnent d’une fièvre élevée qui persiste jusqu’à six semaines en dehors de tout traitement. Les signes d’accompagnement incluent généralement des douleurs abdominales, des arthralgies et des œdèmes. Une éruption purpurique vasculaire contenant un dépôt d’IgA, est présente une fois sur quatre. Le syndrome inflammatoire biologique est intense avec vitesse de sédimentation élevée et hyperglobulinémie témoignant d’une réaction hyperimmune qui s’apparente au purpura rhumatoïde et à la périartérite noueuse. Bien qu’exceptionnelles, les myalgies fébriles prolongées doivent être reconnues pour éviter au patient des explorations inutiles et instaurer rapidement une courte corticothérapie qui est un traitement rapidement efficace. Dans certains cas l’utilisation des AINS peut être suffisante. Les signes cutanés Les signes cutanés de la FMF sont rarement au premier plan ce qui explique que leur fréquence a régulièrement été sous-estimée. Quand ils sont soigneusement recherchés, ils sont présents chez un patient sur deux [20]. Leur reconnaissance est donc un outil précieux du diagnostic pour un praticien averti. Parmi ceux-ci, la plaque érysipélatoïde est la plus caractéristique parce qu’elle n’est observée dans aucune autre maladie auto-inflammatoire. Souvent déclenchée par la marche ou la station debout prolongée, elle siège au-dessous du genou : région prétibiale, dorsale du pied et périmalléolaire (figure 1). Son aspect est érythémateux, induré, chaud et douloureux. De grande taille (15 à 50 cm2), elle ne peut passer inaperçue Figure 1. Plaques érysipélatoides de la FMF. mt pédiatrie, vol. 11, n° 3, mai-juin 2008 149 Fièvre méditerranéenne familiale du malade et constitue un élément anamnestique majeur pour le diagnostic de FMF. Sa durée rarement précisée est d’environ 3 à 4 jours. D’autres types d’érythèmes uniques ou multiples correspondant à des placards cellulodermiques sont décrits au niveau du tronc, des quatre membres, du visage et du cou. Des poussées d’œdèmes indolores « non inflammatoires », du visage, du dos des mains, des mollets, n’évoluant pas en association avec un œdème angioneurotique héréditaire ou avec une poussée de vascularite, font partie intégrante des signes cutanés de la FMF. Des accès urticariens accompagnant les crises sont parfois rapportés. La survenue de lésions muqueuses (aphtose buccale, ou bucco-génitale), de nodules sous-cutanés (ou d’érythème noueux) et de purpura vasculaire infiltré et déclive relie cliniquement la FMF aux vascularites systémiques : purpura rhumatoïde, PAN, maladie de Behçet et colites inflammatoires. De plus, d’authentiques associations cliniques et génétiques sont décrites et discutées plus loin dans cet article. Manifestations paroxystiques diverses La péricardite est une complication bien connue de la FMF mais elle est relativement rare avec une prévalence estimée à 0,7 % chez 3 976 patients ayant présenté des crises thoraciques de FMF dans l’étude de Kees et al. [21]. Des attaques isolées de péricardites comme seules manifestations de FMF ont aussi été exceptionnellement signalées. Le risque global de péricardite est multiplié par onze au cours de la FMF. Ce sont les patients dont la maladie évolue depuis le plus longtemps (plus de 20 ans) qui sont les plus exposés. Ces patients sont souvent peu répondeurs au traitement par la colchicine et ont un risque élevé d’amylose secondaire. L’atteinte inflammatoire du péricarde paraît logique dans le contexte de la FMF, cependant il est difficile de comprendre pourquoi elle est moins fréquente que celle des autres séreuses. Une sousestimation est possible car la précordialgie, point d’appel clinique d’une péricardite, peut être au cours de la FMF difficile à distinguer d’une douleur pleurale. Les anomalies de l’ECG sont rarement retrouvées et la radiographie du thorax est le plus souvent normale. De plus, la sensibilité de l’échographie cardiaque est insuffisante pour détecter un infiltrat inflammatoire minime du péricarde. Si le contexte clinique de FMF n’est pas typique, et si la symptomatologie est bruyante et récidivante, il faut penser à rechercher un pourvoyeur plus fréquent de péricardites : les anomalies du TNFR (syndrome TRAPS). L’existence de signes neurologiques spécifiques à la FMF est discutée. Il existe des observations historiques et peu nombreuses de méningites aseptiques récurrentes chez des malades céphalalgiques ou non, ayant été prévenues efficacement par la colchicine. L’analyse du liquide céphalorachidien en crise montrait une hyperprotéinorachie modérée, une hypercellularité à majorité de polynucléaires neutrophiles ou de lymphocytes. Quel- 150 ques rares patients ont présenté des crises comitiales avec anomalies électriques lors d’accès aigus de la maladie mais comme dans le cas précédent il est possible qu’il s’agisse d’une association morbide fortuite. Une orchite peut survenir lors d’un accès aigu, en particulier lors d’une crise péritonéale, d’une myalgie fébrile prolongée ou d’un purpura rhumatoïde. Elle peut aussi évoluer de manière isolée et révéler la maladie de par son caractère récidivant. Sa fréquence est diversement rapportée (5-20 % des patients masculins) selon les auteurs. Son évolution est spontanément régressive en 48-72 heures ; les complications ischémiques sont exceptionnelles. Chez l’enfant surtout, une splénomégalie modérée peut être retrouvée au moment d’un accès fébrile ou d’une crise péritonéale. Des épisodes de protéinurie et d’hématurie paroxystiques (respectivement 42 % et 13 % des patients étudiés par Korkmaz et al.) [22] peuvent être mis en évidence lors des crises quand ils sont systématiquement recherchés, en dehors de toute amylose ou de vascularite concomitante. Des manifestations oculaires à type d’épisclérites et d’uvéites antérieures ou totales ont été rapportées. Leur évolution a été régressive sous traitement par colchicine et corticoïdes. Des anomalies rétiniennes n’occasionnant aucun trouble de la vision sont parfois découvertes lors d’un examen systématique. Elles se situent au niveau du pôle postérieur à type de « capillarose » blanchâtre. Manifestations persistantes Une splénomégalie est constatée chez 25 % des malades entre les crises et indépendamment d’une amylose. Elle est beaucoup plus fréquente chez l’enfant (14-53 %). Elle est pratiquement constante en cas d’amylose (77 % selon Ludomirsky et al.) [46]. S’agissant de patients méditerranéens, elle peut aussi être le témoin d’une maladie associée, en particulier une hémoglobinopathie. Une hépatomégalie est détectée chez 15 à 55 % des patients, le plus souvent en rapport avec une stéatose hépatique, quand il n’y a pas d’amylose. Diverses néphropathies non amyloïdes ont été décrites au cours de la FMF ; elles restent cependant exceptionnelles. Ce sont des glomérulonéphrites aiguës avec dépôts mésangiaux d’IgA ou d’IgM, et des glomérulonéphrites rapidement progressives avec croissants épithéliaux. L’importance du retentissement général de la FMF est hautement dépendante de la fréquence et de l’intensité des crises. Chez le jeune enfant, la répétition des crises peut être à l’origine d’un état asthénique chronique, d’un retard staturo-pondéral et d’un retard d’apparition des caractères sexuels secondaires. Un bon contrôle de la maladie par la colchicine peut normaliser la situation. L’impact psychologique et social de la FMF est malheureusement insuffisamment évalué. Pourtant bon nombre de patients souffrent d’irritabilité, d’anxiété et de dépression avec difficultés d’intégration professionnelle. Chez les parents, malades ou non, la FMF mt pédiatrie, vol. 11, n° 3, mai-juin 2008 peut être vécue avec culpabilité du fait de son caractère héréditaire. Les signes biologiques La FMF se caractérise par un syndrome inflammatoire biologique non spécifique au moment des poussées. Les anomalies les plus constantes touchent certaines protéines de phase aiguë : protéine C-réactive, fibrinogène, protéine SAA et vitesse de sédimentation qui est supérieure à 20 mm/h, alors que les taux de cglobulines, d’albumine et de ferritine ne sont pas modifiés. Sur le plan hématologique, la leucocytose peut atteindre 20 000/mm3 mais elle est inconstante et de durée brève (< 24 h). Les taux de plaquettes et d’hémoglobine restent normaux. Comme pour la clinique, les modifications biologiques sont paroxystiques, cependant leur normalisation complète entre les poussées n’est pas la règle. En effet, 25 % des patients gardent une protéine C-réactive, un fibrinogène, une VS et une protéine SAA élevée en phase intercritique [22]. Une inflammation subaiguë persistante peut aussi être observée chez des collatéraux du premier degré des patients, cliniquement asymptomatiques. L’effet de la colchicine, très partiel sur les anomalies biologiques, n’affecterait que les taux de protéine C-réactive lors des poussées. Traitement Il n’y a à ce jour aucun traitement curatif de la FMF. Le traitement préventif des crises et de l’amylose secondaire repose sur la prise orale de colchicine au long cours. La colchicine a été introduite en 1972 [4] comme traitement préventif de la FMF. Quand elle est donnée quotidiennement à des doses comprises entre 0,5 et 2 mg/jour, indépendamment du poids et de l’âge du patient, elle permet de faire disparaître complètement les crises dans la moitié des cas et de réduire leur fréquence et/ou leur intensité dans 40 % des cas. Quand des symptômes persistent, il est habituel d’augmenter graduellement la dose jusqu’à obtention d’une réponse clinique. En cas de nonréponse à la colchicine, il est impératif de s’assurer que le patient l’a prise régulièrement et que la dose prescrite a été suffisante car les authentiques résistances sont rares (< 10 %). La tolérance du traitement par colchicine est généralement bonne. Les éventuels troubles digestifs avec des selles fréquentes ou diarrhéiques sont facilement maîtrisés par l’administration concomitante d’un médicament freinateur du transit ou en suspendant temporairement le traitement pour le réintroduire ensuite à des doses plus progressives. Des cytopénies touchant les leucocytes et surtout les plaquettes sont possibles, généralement régressives à l’arrêt du traitement. Le traitement continu par la colchicine doit être surveillé en cas d’insuffisance rénale car celle-ci augmente le risque de neuromyopathies induites. Ces neuromyopathies se manifestent par une faiblesse musculaire débutant à la racine des membres, s’accompagnant de douleurs et d’une élévation des enzymes CPK, généralement réversibles à l’arrêt du traitement. L’intoxication aiguë par la colchicine, rapportée sous forme de cas d’absorption massive intentionnelle (suicide), s’accompagne d’une défaillance hépatique, rénale et d’une insuffisance médullaire rapidement mortelles. Chez l’enfant, l’impact du traitement continu sur la croissance staturo-pondérale est plutôt favorable dans la mesure où il permet de limiter le nombre de crises. La toxicité potentielle de la colchicine sur la fonction gonadique a suscité de nombreuses craintes, justifiées par son mécanisme d’action sur le système microtubulaire pouvant entraîner une non-dysjonction cellulaire lors de la mitose par blocage de la formation du fuseau. En réalité, son effet tératogène n’a été montré qu’à hautes doses chez l’animal (polyploïdies) car les analyses cytogénétiques pratiquées chez les patients traités ont toujours été normales. La plupart des femmes périodiques mettent au monde des enfants normaux et le nombre d’aberrations chromosomiques constatées chez leurs enfants n’est pas différent de celui de la population générale. Une azoospermie est constatée chez environ 20 % des hommes atteints de FMF [23]. Pour certains seulement, elle est réversible à l’arrêt de la colchicine. Les rôles respectifs joués par la maladie et le traitement ne sont donc pas clairement définis. La fertilité des femmes périodiques serait améliorée par la colchicine par diminution du nombre des cycles anovulatoires, restauration de la mobilité tubaire, diminution des adhérences péritonéales et en conséquence diminution du nombre de fausses couches. La colchicine passe dans le lait maternel, cependant sa concentration y est faible (un tiers du taux sanguin), ce qui fait que l’allaitement est sans risque pour le bébé. Compte tenu de son excellent rapport bénéfice-risque, la prise quotidienne de colchicine est vivement recommandée pour le traitement préventif des crises de FMF, et ce d’autant plus qu’elle est également efficace pour prévenir l’amylose secondaire (cf. infra). Mode d’action de la colchicine À ce jour, le mécanisme exact qui explique l’action préventive de la colchicine sur les crises de FMF est encore inconnu. L’effet de la colchicine dans la prévention des crises de FMF est très spécifique car elle est inefficace dans le traitement des autres maladies autoinflammatoires. Cette hypothèse semble confirmée par les travaux de Mansfield et al. [24], qui ont démontré que la pyrine est associée dans la cellule au système microtubulaire et aux filaments d’actine. Or, la colchicine empêche l’activation des neutrophiles en formant des complexes avec la bêtatubuline, ce qui a pour effet de diminuer leur chimiotactisme, leur capacité de phagocytose, et de blo- mt pédiatrie, vol. 11, n° 3, mai-juin 2008 151 Fièvre méditerranéenne familiale quer la division cellulaire au stade de métaphase par inhibition de la formation du fuseau. Les doses de colchicine utilisées en thérapeutique correspondent à des doses faibles qui in vitro entraînent plutôt des altérations de la dynamique des microtubules que des modifications structurelles. Ces faibles doses de colchicine modifient également le nombre et la répartition des molécules d’adhésion sur les leucocytes et les cellules endothéliales. La colchicine n’est pas le standard du traitement des crises de FMF installées car son efficacité, alors inconstante, est conditionnée par l’emploi de doses plus importantes qui augmentent le risque de toxicité aiguë. Un traitement symptomatique par anti-inflammatoires non stéroïdiens et antalgiques à débuter dès les premiers symptômes de la crise est généralement prescrit mais il ne permet en général qu’un contrôle partiel des symptômes. Un patient ayant une FMF et traité par colchicine doit être vu régulièrement, au moins une fois par an, avec un examen clinique, une NFS, une VS, un dosage de la CRP et une protéinurie des 24 heures. Traitements alternatifs à la colchicine L’interféron a pourrait apporter un bénéfice aux patients résistants à la colchicine lorsqu’il est administré au long cours de façon préventive, alors qu’il semble inefficace pour traiter les crises installées [25, 26]. Sa tolérance est cependant limitée car il induit une fatigue et un syndrome fébrile avec myalgies. Les années à venir devraient voir le développement de nouvelles thérapeutiques visant à bloquer l’IL-1, cytokine produite en excès au cours de la FMF. Le diagnostic clinique de la FMF Les meilleurs éléments anamnestiques sont le caractère répétitif des crises, les antécédents familiaux, l’appartenance à une ethnie à risque et l’absence d’autre cause évidente à l’origine des symptômes. Un certain nombre de critères cliniques ont été proposés dont ceux de Livneh et al. [27] sont les plus récents (tableau 1). Dans les formes typiques de la maladie, qui posent peu de problèmes au clinicien, la génétique (recherche de mutations dans le gène MEFV) permet à l’heure actuelle de confirmer le diagnostic dans près de 70 % des cas. Les formes frustes ou atypiques de la FMF restent difficiles à confirmer. Dans ces cas difficiles et après avoir vérifié qu’un syndrome inflammatoire biologique est concomitant des symptômes, il est logique de débuter un traitement d’épreuve par la colchicine. Évolution L’évolution de la FMF est imprévisible et différente selon les patients. Après une phase de latence de 3 à 4 ans 152 Tableau 1. Critères de Livneh pour le diagnostic de la maladie périodique Critères majeurs Péritonite (généralisée) Pleurite (unilatérale) ou péricardite Monoarthrite (hanche, genou, cheville) Fièvre isolée Critères mineurs Attaques incomplètes sur un ou plusieurs sites Abdomen Poumon Articulation Douleur des jambes induite par effort Réponse à la colchicine Diagnostic Au moins 1 critère majeur, ou au moins 2 critères mineurs en moyenne, les crises s’installent pendant toute la vie avec une tendance vers l’extinction définitive avec l’âge. Le profil des crises peut varier dans le temps chez un même patient ce qui rend difficile la description d’un profil-type. Dans tous les cas de figure, de longues rémissions sont possibles dont la plus longue publiée a été de 32 ans [28]. Le pronostic dépend essentiellement de la survenue d’une amylose qui semble liée à la sévérité de la maladie : âge de début, intensité et fréquence des crises, et à l’ethnie d’origine du patient. Il semblerait que la mutation M694V associée à des manifestations cliniques sévères, soit aussi associée à l’amylose dans certaines ethnies [29, 30]. De plus, les patients homozygotes pour l’allèle alpha du gène SAA ont un risque élevé d’amylose rénale, indépendamment de leur génotype MEFV. Le traitement par colchicine au long cours a largement modifié le pronostic de la FMF en améliorant la qualité de vie des patients, en prévenant efficacement l’amylose et en la faisant parfois régresser alors qu’elle débute au stade de protéinurie isolée voire de syndrome néphrotique. FMF – Amylose L’amylose est la complication évolutive la plus grave de la FMF car elle conduit rapidement à l’insuffisance rénale terminale et au décès du patient. Sa survenue serait favorisée par l’homozygotie M694V dans le gène MEFV [29-31] et par des mutations homozygotes d’un autre gène, le gène SAA [32]. En principe elle survient après plusieurs années d’évolution (10 à 15 ans en moyenne) et son incidence est largement en corrélation avec l’âge des patients puisque 75 % des cas sont diagnostiqués après 43 ans. Elle peut exceptionnellement apparaître très tôt dans l’enfance, avant les manifestations cliniques de la mt pédiatrie, vol. 11, n° 3, mai-juin 2008 FMF (amylose de type II), mais la réalité de cette situation est aujourd’hui discutée car pour la plupart ces sujets ont des taux sériques élevés de protéines inflammatoires et en particulier de protéine SAA. Sa fréquence est variable en fonction des ethnies et en fonction du lieu de vie des patients. Ainsi, elle apparaît plus fréquente chez les Turcs (60 %) et les Juifs séfarades (27 %) que chez les Arméniens et les Ashkénazes. Elle est rare chez les enfants : 2,2 % selon Majeed et al. [9], 2,9 % selon Gedalia et al. [7] et 7 % selon Arisoy et al. [18]. L’amylose est favorisée par l’inflammation chronique au cours de laquelle il existe une synthèse accrue de protéine SAA par le foie. Sous l’effet de facteurs génétiques (et peut-être aussi d’environnement), la protéine SAA peut être transformée en protéine AA pathogène qui infiltre les artérioles de nombreux tissus, en particulier les reins. C’est pourquoi le mode de révélation habituel de l’amylose est une protéinurie non sélective s’aggravant progressivement vers un syndrome néphrotique et une insuffisance rénale sur une période de 2 à 17 ans. À la phase d’état, une hépatomégalie et une splénomégalie sont présentes dans plus de 70 % des cas. L’infiltration intestinale est très fréquente, rarement manifestée par un syndrome de malabsorption. Le diagnostic de l’amylose est confirmé dans 80 % des cas par la biopsie rénale et/ou rectale (moins nécessairement médullaire) après coloration par le rouge Congo qui met en évidence des dépôts biréfringents. La colchicine administrée quotidiennement est le seul traitement préventif efficace de l’amylose [33]. Génétique La FMF est considérée comme une maladie de transmission récessive autosomique [34] mais il n’est pas rare cependant de constater un aspect de pseudo-dominance, c’est-à-dire une transmission verticale du fait d’une union consanguine ou d’une forte endogamie, union préférentielle au sein d’une même population à risque ; ces deux causes augmentant considérablement la probabilité de coexistence de deux allèles mutés chez les individus issus de telles familles. Le gène MEFV est localisé sur le bras court du chromosome 16, en 16p13.3 [35]. Une centaine de variants de séquences a été répertoriée dans le registre Internet des mutations auto-inflammatoires (Infevers) : http://fmf.igh.cnrs.fr/infevers/ [36]. Il convient de noter que tous les variants du gène n’ont pas le même effet sur le tableau clinique des patients. Pour une bonne interprétation du test génétique, il faut différencier : les mutations pathogènes : l’exemple type est M694V dans l’exon 10, transformant la méthionine en position 694 en valine des mutations à faible pénétrance ou polymorphismes fonctionnels ayant une prévalence élevée dans la population générale. E148Q dans l’exon 2 du gène MEFV fait couler beaucoup d’encre. Des mutations responsables de la ma- ladie périodique ont été découvertes tout le long du gène, sauf dans les exons 4, 6 et 8 qui sont très courts. De façon remarquable, certains codons sont hautement mutables. Quatre mutations différentes ont été décrites par exemple au niveau du codon 694 (M694V, M694I, M694L, M694del). L’analyse des haplotypes a montré que plusieurs chromosomes FMF actuels proviennent d’un ancêtre commun ayant probablement vécu dans des temps prébibliques. Cet effet fondateur explique la fréquence particulièrement élevée de 5 mutations, E148Q, M680I, M694V, M694I, V726A. Trois ou quatre mutations représentent 1 à 5 % des anomalies génétiques à l’origine de la FMF, les autres ne sont retrouvées que dans moins de 1 % des cas, voire n’ont été décrites qu’une seule fois (mutation privée). Certaines mutations sont quasi pathognomoniques de certaines populations comme les mutations M694V, chez les Séfarades, M694I et A744S chez les Maghrébins et la mutation F479L chez les Arméniens et les Grecs [37]. Une prévalence de mutations MEFV plus élevée que ne le voudrait le hasard a été mise en évidence dans un certain nombre d’autres pathologies autoinflammatoires (Crohn, Behçet) ou auto-immunes (polyarthrite rhumatoïde, sclérose en plaques) [38]. Le diagnostic moléculaire Le test génétique de maladie périodique pourrait se faire de plus en plus tôt dans l’évolution de la maladie. Il faut cependant souligner que l’outil moléculaire n’a pas révolutionné le diagnostic de la FMF autant qu’on l’attendait car actuellement aucun laboratoire n’analyse le gène MEFV dans sa globalité. Les cinq mutations les plus fréquentes sont systématiquement explorées dans presque tous les laboratoires car elles rendent compte à elles seules de plus de 80 % des cas de FMF dans les populations à risque. La découverte de deux mutations signe un diagnostic « positif » sous réserve de confirmation que ces deux mutations ne sont pas portées par le même chromosome (cas des allèles complexes). Ce phasage peut se faire aisément par l’analyse de l’ADN parental. La nondétection de deux mutations par l’utilisation d’un test génétique limité à un criblage partiel du gène MEFV ne doit pas être considérée comme un test « négatif ». Dans ce cas, le test doit être interprété comme « non contributif », et le diagnostic de FMF ne peut être formellement exclu. L’analyse du gène est précieuse principalement dans les formes paucisymptomatiques. Beaucoup discutent l’intérêt du test génétique dans les populations non méditerranéennes en raison du faible taux de découverte de mutations chez ces patients. Les diagnostics prénatal et préimplantatoire ne sont naturellement pas indiqués dans cette pathologie qui bien que très invalidante n’obère pas de façon majeure le pronostic fonctionnel du patient et qui bénéficie d’un traitement très efficace. mt pédiatrie, vol. 11, n° 3, mai-juin 2008 153 Fièvre méditerranéenne familiale Physiopathologie PAMPS MEFV est exprimé principalement dans les cellules sanguines inflammatoires, polymorphonucléaires et monocytes activés. Au moment de la découverte du gène, des études d’alignement de séquences ont montré que la protéine prédite contenait un domaine B30.2 à l’extrémité carboxy terminale, un motif en doigt de zinc, et deux signaux de localisation nucléaire. Ces observations ont initialement permis de supposer que la protéine codée par MEFV, marenostrine/pyrine, était un facteur de transcription [5, 6]. Plus récemment, l’élucidation de la structure secondaire de marenostrine/pyrine a révélé que son extrémité amino terminale contenait un domaine à 6 hélices alpha, maintenant appelé PYrin-Domain (PYD) [39]. PYD représente le 4e membre de la superfamille des DDF (death domain fold), qui comprend un ensemble de protéines impliquées dans la régulation de l’apoptose, de NFKB et de certaines cytokines. Le domaine PYD est aussi contenu dans la cryopyrine responsable de CAPS [40]. Un autre exemple de DDF est le domaine de recrutement des caspases (CARD). La configuration particulière des DDF leur confère la propriété de ne pouvoir interférer qu’avec des domaines homologues (PYD avec PYD, CARD avec CARD...). L’identification du domaine PYD a été à la base de la découverte que marenostrine/pyrine se lie à une protéine adaptatrice bidirectionnelle appelée ASC (Apoptosis associated Speck like protein with a Caspase recruitment domain). ASC consiste en un domaine N terminal PYD et un domaine C terminal CARD, ce pourquoi ASC est aussi connue sous le nom de PYCARD. Le domaine PYD de marenostrine/pyrine lie le domaine PYD de ASC, et le domaine CARD de ASC est alors libre pour lier d’autres protéines à CARD comme la caspase 1, qui activée, induit la production et sécrétion de l’interleukine 1, un puissant pyrogène (figure 2). Il n’est pas exclu que le domaine PYD de notre protéine d’intérêt interagisse directement aussi avec d’autres protéines à PYD. Le rôle de la protéine sauvage serait de promouvoir l’apoptose des cellules, ou de moduler la synthèse de cytokines après un stimulus inflammatoire. Marenostrine/pyrine a d’abord été suggérée comme étant une protéine antiinflammatoire, avec le postulat que des mutations de type perte de fonction dans MEFV pourraient conduire à une persistance et à l’amplification anormales d’un phénomène inflammatoire déclenché par un événement normalement inoffensif. En effet, une étude dans des conditions de surexpression (transfections transitoires) avait montré que la protéine de la FMF était capable d’inhiber les voies de signalisation pro-inflammatoires (activation de NFKB et médiation de l’apoptose) induites par la cryopyrine par séquestration (compétition) de ASC [41]. Une autre étude chez des rats « knock out », exprimant une version tronquée à l’extrémité carboxy terminale de la protéine marenostrine/pyrine avait montré une augmentation de la 154 PYD CARD Localisation des mutations Marenostrin/Pyrin M Réaction inflammatoire et Fièvre ASC (PYCARD) Procaspase1 Inflammasome IL1β Caspase1 Membrane cytoplasmique ProIL1β IL1 β Cytosol Figure 2. Théorie pro-inflammatoire de la protéine responsable de la FMF. Suite à un signal de danger, la détection de PAMPs (Pathogen Associated Molecular Patterns) par exemple, la protéine marenostrine/ pyrine serait capable de lier ASC via son domaine pyrine, lequel à son tour pourrait lier le domaine CARD de la procaspase 1. Ce complexe oligomérique tripartite forme l’inflammasome, capable de médier l’autocatalysation de la procaspase 1 en caspase 1, laquelle à son tour induit la maturation de l’interleukine 1, une cytokine proinflammatoire à action pyrogénique puissante. sensibilité au choc endotoxinique, ainsi qu’une augmentation de l’activation de la caspase 1 et de la sécrétion d’IL1 dans les macrophages de ces animaux après stimulation [42]. Cependant, une étude récente [43] dans des conditions plus proches de la physiologie (études dans des lignées transfectées de façon stable) vient de bousculer cette hypothèse en montrant que marenostrine/pyrine pourrait finalement avoir un rôle pro-inflammatoire, par l’intermédiaire de la formation d’un inflammasome, comme cryopyrine. L’inflammasome est un complexe ternaire comprenant une protéine à domaine PYD, ASC et la procaspase 1 [44]. Cette oligomérisaton est médiée par un événement déclencheur qui est probablement la détection de constituants de la paroi des bactéries, les PAMPs (Pathogen Associated Molecular Patterns). Le résultat de cette interaction moléculaire est l’activation de la procaspase 1 par un mécanisme d’induction de proximité. La procaspase 1 active est alors capable d’induire la maturation de la pro-IL1b en IL1b qui déclenche la réaction inflammatoire. Le domaine B30.2 dans lequel est localisée la majorité des mutations associées à la FMF pourrait avoir cette fonction de détection des PAMPs. Les mutations dans MEFV auraient un effet gain de fonction acquis durant l’évolution pour détecter un spectre plus large de PAMPs que la protéine sauvage. Une meilleure réponse immunologique aux pathogènes pourrait conférer un avantage sélectif aux porteurs de mutation, hypothèse étayée par l’observation d’une prévalence particulièrement élevée des hétérozygotes dans les populations méditerranéennes [45]. mt pédiatrie, vol. 11, n° 3, mai-juin 2008 Références 1. Janeway T, Mosenthal H. An unusual paroxysmal syndrome, probably allied with recurrent vomiting, with a study of the nitrogen metabolism. Trans Assoc Am Physicians 1908 ; 23 : 504-18. 2. Siegal S. Benign paroxysmal peritonitis. Ann Intern Med 1945 ; 23 : 1-21. 3. Heller HSE, Sherf L. Familial Mediterranean Fever (FMF). Arch Intern Med 1958 ; 102 : 50-71. 4. Goldfinger SE. Colchicine for familial Mediterranean fever. N Engl J Med 1972 ; 287 : 1302. 5. The French FMF Consortium. A candidate gene for familial Mediterranean fever. Nat Genet 1997 ; 17 : 25-31. 6. The International FMF Consortium. 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