Multimédia et médiation culturelle : récréation, re-création de(s
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Multimédia et médiation culturelle : récréation, re-création de(s
Multimédia et médiation culturelle Récréation, re-création de(s) sens ? Emmanuelle Lambert * Université de Toulouse III (« Paul-Sabatier ») & Laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales (LÉRASS), équipe « Médiapolis » L’analyse des dispositifs de médiation sur supports multimédias (cédérom, site Web), en écho à ceux de l’espace muséal (atelier créatif, exposition interactive), révèle la portée de l’interactivité ainsi que la dimension contributive et créative de l’usager dans l’évolution des modalités de médiation culturelle. Par l’interactivité et la mise à disposition d’images d’objets, la communication muséale semble revaloriser la relation, le plaisir de faire, l’expérimentation ludique et sensible comme modalités supplémentaires pour l’accession aux contenus et leur appropriation. Sollicitation des sens et construction du sens entrent en corrélation, contribuant par là aux processus d’apprentissage. Depuis l’exposition des objets du musée in præsentia jusqu’aux techniques de reproductions des œuvres d’art sur différents supports (carte postale, affiche, livre, cassette vidéo, etc.), l’évolution des dispositifs de médiation a suivi celle du passage de l’enceinte du musée aux supports médiatiques. Avec l’avènement des technologies interactives, la médiation culturelle s’enrichit de nouveaux dispositifs qui accompagnent les modalités de médiation et modifient, voire renforcent, la relation du spectateur aux œuvres. Dans une perspective communicationnelle, cette réflexion porte un double regard sur le musée : essentiellement en tant que réalité virtuelle, mais aussi en écho à une réalité in situ, pour s’attacher à mettre en lumière une interactivité “créatrice”. Grâce aux correspondances observées entre multimédias interactifs et espace du musée, notre dessein serait également de mettre en perspective la sollicitation des sens et la construction du sens, et discerner comment l’enrichissement des dispositifs de médiation peut contribuer au processus d’appropriation, voire de compréhension. Primat de la médiation, primauté de l’interactivité, qu’en est-il de l’évolution de la médiation culturelle en regard de cette spécificité des TIC ? * [email protected] MEI « Médiation et information », nº 18, 2003 Le multimédia pour quelle médiation ? Montrer, donner à voir les œuvres d’art qu’il conserve – notamment en les exposant –, telle est l’une des missions du musée 1. La monstration est ainsi l’un des dispositifs essentiels sur lequel s’appuie la médiation des collections. Mais si le musée montre, il tente surtout in fine de créer les conditions d’une rencontre, tout d’abord physique puis symbolique, du public avec l’œuvre. Autour de cette rencontre, il incombe notamment au musée un rôle d’éducation du public aux œuvres, dont la visée didactique, cristallisant la relation du savoir au voir, viendra favoriser mais aussi prolonger la monstration première : donner à voir les œuvres du patrimoine, mais aussi en éclairer le sens. Il s’agira, par le biais de discours complémentaires, de susciter et d’étayer la contemplation, et par là même de contribuer au processus de compréhension. Concernant les cédéroms ou sites Web, les choix de monstration ne s’attachent pas tant au fait de montrer, qu’à la façon de montrer, c’est-àdire aux diverses modalités de médiation autour de la monstration, quand ces supports de reproduction perdent les qualités d’une relation directe à l’œuvre d’art. En prolongement des dispositifs classiques de monstration, les médias interactifs reprennent les possibilités d’autres médias pour ce qui est de regarder à nouveau ou de s’arrêter sur un élément. Ces modalités de consultation sont néanmoins inédites lorsqu’il s’agit d’examiner en détail l’élément en question : délimitation de la zone choisie, recadrage, vision d’un détail, grossissement ou agrandissement (fonctions de type “loupe” ou “zoom”, etc.). L’interactivité au sein d’un dispositif multimédia peut encore permettre à l’utilisateur, selon le désir du moment, de porter un regard attentif ou furtif, lent ou rapide sur les objets. Face à un document audiovisuel, l’utilisateur n’a d’autre possibilité que de suivre le déroulement imposé. Dans d’autres médias, tels le multimédia ou bien même le livre, qui ne font que proposer cette lecture mais ne l’imposent pas, l’utilisateur peut décider du moment pour y effectuer chacune des transitions vers le prochain élément à consulter. Ainsi, le multimédia pourrait s’inscrire sur le mode de la découverte ou du rythme choisi par le spectateur-utilisateur. La place et l’investissement de l’utilisateur dans les produits interactifs se manifestent aussi par l’introduction d’une nouvelle modalité discursive. Outre le rythme de consultation, cette dernière s’affirme dans la possibilité inédite de parcours multiples et le choix quant aux chemi1 Les missions principales des musées, énoncées dans leur chronologie (acquisition, conservation, recherche et communication) font référence à la définition proposée par le Conseil international des musées (ICOM) : « Le musée est une institution permanente au service de la société et de son développement, ouverte au public et qui fait des recherches concernant les témoins matériels de l’homme et de son environnement, acquiert ceux-là, les conserve, les communique, et notamment les expose à des fins d’études, d’éducation et de délectation ». 182 Multimédia et médiation culturelle E. Lambert nements dans la consultation : parcours personnalisé, thématique, aléatoire, visite guidée, ou même encore multiples fenêtres pour présenter simultanément plusieurs tableaux choisis comme dans le cédérom Le mystère Magritte. Dans ce sens, la rapidité des déplacements, la diversité des choix et la perception engendrées par cette “interactivité” pourraient être rapprochées de la superficialité du zapping (Michaud, 1997), ou à l’inverse être considérées comme une possible appropriation des contenus par l’utilisateur, quand cette “navigation” relèverait néanmoins de sa propre décision (Bourriaud, 1998). Pour ce qui est des discours accompagnant l’œuvre sur support numérique, ils prennent généralement la forme concrète de textes, ou autres éléments méta-iconiques (“co-textes” ou “paratexte”) sonores ou scénographiques, qui répondent notamment aux cartels et fiches disponibles dans les salles de musée. Comme pour la vidéo (la célèbre série Palettes), un objet peut par exemple être proposé à la visualisation selon une approche analytique de sa genèse. Les options successives de l’utilisateur quant à ces révélations progressives de ce qui compose l’œuvre lui offrent in fine une sorte de palimpseste électronique à exploiter. Cette décomposition de l’œuvre pourra contribuer à de plus amples sensibilisation et compréhension, dans la mesure où elle « favorise l’appropriation intellectuelle et visuelle de l’œuvre et conduit, si ce n’est à l’émergence du sens, au moins à la construction de significations » (Bréaud, Casanova, 1999). Entre perception et compréhension, l’activité de l’utilisateur consiste souvent, face à la “surcharge cognitive” soulignée par de nombreux auteurs, à « construire dynamiquement un montage, un assemblage de données » (Massou, 2001). Les modalités de médiation des multimédias requièrent en effet la participation et l’action de l’utilisateur. L’information et le sens ne sont pas donnés d’emblée, mais à découvrir, à construire par l’utilisateur : « dans les produits multimédias, l’image est vue comme une expression du savoir et comme modalité d’accès à ce savoir ; c’est en agissant sur des formes imagées que le sujet accède à l’information, et parfois la transforme » (Paquelin, 1999). Les dispositifs traditionnels fondés sur la transmission d’informations ou de savoirs seraient donc relayés dans les dispositifs interactifs par des choix de consultation, des actes d’appropriation. Et les discours didactiques relatifs aux œuvres ne faciliteraient-ils pas d’autant mieux l’assimilation de leurs contenus qu’ils tenteraient cette implication, cette participation de l’utilisateur ? De l’interactivité à la mise à disposition Si dans les autres médias, la médiation se fondait sur le discours de l’institution muséale, les médias interactifs marquent quant à eux la réinscription du sujet et d’une part de subjectivité, celle-là même du spectateur. La spécificité discursive de ces derniers découle en effet de la possibilité laissée à l’utilisateur d’élaborer son propre discours sur la base d’éléments proposés. Le récit – et par-là même une partie du 183 MEI « Médiation et information », nº 18, 2003 sens ? – est essentiellement construit par les choix de l’utilisateur qui se raconte une ou son histoire. Si aucun discours privilégié n’est convoqué ou imposé, de tels médias font toutefois participer le public, interactivité aidant, en donnant la main à ce “spect-acteur”. Cette place accordée et la relation à l’objet qu’elle induit seraient même, comme le suggère une étude sur la consultation de cédéroms culturels, une réponse positive à un désir latent du public d’être réellement actif : « cette nécessité de faire quelque chose quand on regarde devient extrêmement rassurante et gratifiante : elle garantit l’exercice d’une activité face à l’œuvre » (Davallon, Gottesdiener, Le Marec, 1999). L’interactivité permet certes à l’utilisateur l’élaboration de parcours et discours choisis parmi des possibles, mais elle s’achemine aussi vers l’intégration de certaines contributions, par lesquelles l’utilisateur pourra devenir co-créateur – ou tout du moins re-créateur – et « intervenir réellement sur le contenu du cédérom, et non pas dans les seules limites autorisées par le scénario ou pour le temps éphémère de la consultation » (Davallon et al., 1999). Cette interactivité dans laquelle l’utilisateur « peut apporter des modifications qui s’intègrent à l’œuvre » (Michaud, 1997), voire la possibilité de faire une « analyse active par manipulation ou trituration des œuvres » (Stiegler, 1997), ne serait pas tant le fait de l’œuvre elle-même que des spécificités du média. Une telle interactivité s’affirme depuis l’intégration d’opérations élémentaires (imprimer, récupérer des images, faire des classements personnels), comme on l’observe par exemple sur le cédérom Le centre Georges-Pompidou, la collection ou le site Web du Metropolitan Museum qui permettent de constituer des dossiers ou albums pour l’un, et de composer puis sauvegarder sa galerie personnelle pour l’autre (sélection et enregistrement d’objets, images ou textes) ; elle pourra aller jusqu’à des manipulations effectives du contenu (annotations, retouches d’image, etc.). Ces actions ne sont plus seulement des contributions en réponse à des propositions, mais se révèlent des actions délibérées et pour partie des actes “créateurs”. Certains sites de musées proposent aux internautes de telles participations : le site du Palais de la découverte invite à des expérimentations et fabrications par des « ateliers pour tous, à faire chez soi » ; celui du MOMA (Museum of Modern Art, New York) propose un espace de libre expression plastique avec la rubrique « Make your own art ». Cette dernière invite l’internaute à créer ses propres œuvres (par agencement de formes ou d’objets, par choix d’actions, de couleurs et textures, etc.), à les accompagner ensuite d’un commentaire écrit, et enfin à les enregistrer pour les exposer dans une galerie collective. L’interactivité que nous venons d’évoquer, attestée dans différents produits multimédias, est selon nous révélatrice d’une nouvelle modalité de médiation, dont l’une des finalités serait de mettre à disposition des objets – ou plus exactement l’image des objets (Lambert, 2000). Cette notion de mise à disposition serait ainsi caractéristique de la médiation électronique, dès lors que l’utilisateur est autorisé autour des objets “consultés”, à des actions contributives, créatives ou re-créatives, et bien souvent récréatives. 184 Multimédia et médiation culturelle E. Lambert Du ludique vers l’éducatif… Par cette nouvelle approche interactive d’un document, se dessine en effet une relation privilégiée aux objets : une relation dans laquelle la vision et le geste sont sollicités de concert, le regard et la manipulation (qui pourrait aller jusqu’au toucher), autrement dit l’optique et l’haptique, s’unissent dans une expérience synesthésique. L’appréhension – et la préhension – d’une œuvre se ferait sur un mode « haptique, tactile, manipulatoire de l’opérativité » (Renaud, 1999). À la mise à distance par l’optique succéderait la mise en relation par l’haptique ; le geste, l’action, étant évidemment à considérer dans une intime connexion avec l’œil, la vision : voir et faire. La construction de la compréhension pourrait notamment se jouer, si ce n’est dans le registre de l’acte, tout du moins dans celui du geste, c’est-à-dire du faire. Un tel dispositif fondé sur la manipulation pourra alors s’attacher à tout objet “consulté” : faire tourner l’image et ainsi observer la sculpture, s’essayer au dessin sur la toile d’un maître, etc. La notion d’interactivité pourra alors être définie comme une « interprétation actualisée dans un geste » (Jeanneret, 2000) ou une « agrégation entre le geste et le regard (…) dans une nouvelle perceptionaction… », pour reprendre les termes de Weissberg (2001). Dans ce prolongement, une typologie des opérations et interactions possibles sur une image source, propose l’émergence d’un « univers des images “interagies” (…) au point de rencontre des logiques de fabrication-production et des logiques de réception-consommation » (Darras, 2000). De tels dispositifs interactifs recouvriraient encore la notion d’image actée définie par Weissberg (1999), et exprimeraient pour paraphraser Boissier (2001), un mouvement allant depuis la visibilité et la lisibilité, jusqu’à la jouabilité. Comme le note Douplitzky (1996), l’interactivité marquerait d’une certaine façon, le passage d’une relation de l’ordre du pathétique à une interaction plus ludique avec les objets. C’est par exemple le cas sur le site de la Cité des sciences où des jeux et quiz permettent, tout en s’amusant, d’apprendre par manipulations, ou encore celui de la National Gallery of Art (Washington) avec une rubrique spécifique pour enfants et un apprentissage par l’observation des œuvres sous forme de jeu. Que le faire, sous couvert de manipulations et de contributions, puisse aboutir à la notion de jeu, semble en effet inscrit au fondement du multimédia interactif (Julia, 2002). Quand ce dernier renvoie déjà au registre du comme si, inhérent à tout média, le faire se voit ici prolongé dans le faire comme si, qui viendra notamment caractériser le jeu dans la pensée de Caillois (1967). Weissberg, s’appuyant sur des réflexions de Balpe autour des jeux vidéos, parlerait encore d’« une analogie – très – simplifiée de la “vraie vie”, où il n’y a pas de différence entre agir, percevoir, comprendre les effets de nos actions et s’approprier le sens des environnements qu’on modèle et qui nous modèlent » (1999). L’activité ludique qui s’exprime dans la consultation ou même la création sur multimédias renvoie assurément à la notion du jeu développée par Caillois, quand il considère celui-ci comme une action libre et vo185 MEI « Médiation et information », nº 18, 2003 lontaire, source de joie et d’amusement, perçue comme fictive. C’est en effet sur le divertissement, la fiction, et la conscience, l’acceptation par l’utilisateur-joueur (l’homo-ludens) d’une situation de simulacre, d’irréalité, que se fonde l’expérience ludique dans la consultation de cédérom : dans un musée virtuel, l’utilisateur se prend au jeu de l’immersion et fait semblant de circuler, il joue “pour de vrai” à visiter “pour de faux”, il joue à être autre, peut se prendre pour un peintre en s’essayant à la création, etc. Nous pourrions encore nous référer aux catégories de jeux pensées par cet auteur 1 pour avancer – ce qui resterait à approfondir – que cédéroms et sites culturels puissent s’inscrire à la fois dans les rubriques relatives à la réflexion ou la combinaison, et à l’illusion ou la simulation, autrement dit à l’agôn et à la mimicry. D’autre part, le jeu consiste aussi « dans la nécessité de trouver, d’inventer immédiatement une réponse qui est libre dans les limites des règles » (Caillois, 1967). Cette acception du jeu, associant des facultés d’invention et le respect des règles, s’exprime dans le multimédia à travers la mobilité, la liberté de circulation ou d’intervention, selon certaines limites posées par le concepteur. Les dispositifs pour une “mise à disposition” proposeraient ainsi une transposition de la réalité, où un jeu est instauré pour l’utilisateur dans la possibilité de détourner ou transgresser les règles d’interdit – d’intervention, de manipulation, etc. – en vigueur dans cette réalité. Au-delà de cette première approche, Weissberg parle encore d’« induire [des] règles implicites pour sémantiser l’univers, faire des hypothèses et vérifier leur consistance. (…) L’excitation de la découverte et la jubilation liées à l’accroissement progressif des espaces de libertés, sont de puissants moteurs cognitifs ». Renvoyant tour à tour à la spontanéité récréative, la création, la composition, ou bien alors à la réflexion et la compréhension, les contributions interactives sur multimédias pourraient ainsi correspondre, pour reprendre les termes de Caillois, à une manière de jouer allant du registre de la paidia (improvisation, imagination) à celui du ludus (calcul, interprétation), son versant complémentaire et “disciplinant”. Le jeu trouverait ainsi argument supplémentaire à figurer dans le multimédia lorsque audelà de l’amusement, l’intention est de mener à une dimension réflexive ou d’amorcer un apprentissage, lorsqu’il peut contribuer à construire un processus allant du ludique vers l’éducatif. Dans le cadre de la médiation culturelle, le rapport à l’œuvre d’art suivrait non seulement les voies balisées du regard ou du savoir, mais pourrait alors emprunter encore les chemins du détournement et du jeu, c’est-à-dire d’un rapport praxique aux images. Le musée, jusque-là monstrateur et dispensateur de savoirs, proposerait désormais au spectateur de combler, d’assouvir un désir de manipulation, voire de possession, ne serait-ce que par substitution. Ce type d’interactivité, défini 1 Rubriques déterminées selon que prédomine le rôle de la compétition (agôn), du hasard (alea), du simulacre (mimicry) ou du vertige (ilinx). 186 Multimédia et médiation culturelle E. Lambert comme « la possibilité de réellement privatiser l’objet, ce qui implique une élaboration personnelle de l’usager et des transformations physiques du support… » (Le Marec, 1998), répondrait peut-être alors au désir du public d’être actif ou, toujours selon cet auteur, à une logique d’autonomisation attendue par les usagers. Une étude sur les premiers usages des cédéroms de musées montre par ailleurs que l’interactivité est associée par les usagers à la possibilité d’agir effectivement sur le contenu, quand déjà le caractère convivial et ludique, les fonctions documentaires et pédagogiques font de ces outils d’éveil des supports adaptés à « la vulgarisation et tout particulièrement à la stratégie d’autodidaxie » (Davallon et al., 2000). Dans un même registre éducatif, Jacquinot (1997) précise que « l’hypertexte, par sa nature de système interactif ouvert et réticulaire semble offrir la possibilité de dépasser les modèles d’apprentissages classiques transmissifs (…) : l’interactivité favorise la personnalisation de l’apprentissage, voire l’autoformation ». Mais sur ce point, de nombreux auteurs conviennent aussi qu’une telle modalité interactive ne sera garante d’apprentissage que dans la mesure où l’utilisateur possède un certain nombre de pré-requis et surtout une motivation, un « projet d’usage » investi et structuré (Davallon et al., 2000). … pour une autre relation De retour dans l’enceinte du musée, nous pouvons observer que la “mise à disposition”, précédemment identifiée sur supports numériques, n’en est pas moins présente dans d’autres versants de la communication muséale : ateliers créatifs, expositions-ateliers, ou encore installations interactives. Les ateliers de découverte et de créativité des musées sont des lieux d’éveil, des espaces d’expression développant tout à la fois la curiosité, la créativité, le plaisir et le sens critique du public. Ils donnent l’occasion de comprendre l’art, en le décomposant, en le détournant, en se l’appropriant et en créant soi-même par une pratique des arts plastiques. Nous pourrions alors évoquer les analogies entre les activités pédagogiques et créatives des musées (dont l’emblématique Centre G.-Pompidou avec l’Atelier des enfants) et certaines activités scolaires qui inscrivent la manipulation, l’expérimentation, ou encore le jeu, dans le processus d’appropriation et de compréhension. La tradition de l’apprentissage par l’action remonte en effet à Aristote dans son Éthique de Nicomaque (« les choses qu’il faut apprendre pour les faire, c’est en les faisant que nous les apprenons »), et sera encore reprise par Rousseau, Dewey (avec sa doctrine du learning by doing) ou bien encore par la pédagogie Freinet (Rézeau, 2001). Par ailleurs, l’interactivité est manifeste depuis longtemps déjà dans les expositions, et s’exprime notamment dans les créations contemporaines des arts électroniques et autres Web-art. La participation du public est encore suscitée par certains conservateurs novateurs, tel celui du musée Bonnat à Bayonne, où sont proposés à la consultation des classeurs documentaires qui deviennent aussi supports de libre expression : ils 187 MEI « Médiation et information », nº 18, 2003 présentent les œuvres exposées et proposent conjointement les commentaires ou dessins de visiteurs. Autre exemple de dispositif muséal qui s’inscrit dans une logique de la sensation avec le défouloir (La piscine, musée des arts et traditions à Roubaix), un meuble à tiroirs où plonger la main : le visiteur est invité à une découverte tactile de matières et d’objets. La principale analogie entre les ateliers de musée et leur transposition “virtuelle” tient au fait que l’interaction et la création se font par manipulations de reproductions, sur des images d’œuvres. Là où le musée – dans l’espace circonscrit de l’atelier muséal – crée des conditions de création par le contact et la manipulation de matériaux, le musée virtuel tente d’en établir la transposition sur des artefacts, avec des outils informatiques. Les interactivités des multimédias ne seraient-elles pas ainsi la trace, dans sa version médiatisée, de toute une dimension relationnelle jusqu’ici spécifique de l’enceinte muséale et notamment exacerbée dans les ateliers ? Par ces activités didactiques, ludiques, exploratoires et manipulatoires, que ce soit dans les ateliers ou sur supports multimédias, le musée proposerait ainsi au public une expérience sensible dans laquelle celui-ci ne serait plus seulement assigné à une position de contemplation ou d’interprétation, mais serait invité à entrer dans une relation supplémentaire avec l’objet. Cette sollicitation des sens, et en particulier du geste, marquerait en quelque sorte une revalorisation du sensible par rapport à l’intelligible dans l’appréhension des objets. Les différentes modalités de perception permettraient ainsi de retrouver des “synesthésies sensorielles” et modifieraient l’activité de lecture, qui dès lors ne consisterait plus à « construire du sens à partir de signes abstraits mais avec des artefacts (…) perceptibles par les sens autant que par l’intelligence » (Petit, 1998). Au fil de cette analyse des dispositifs de médiation culturelle liés aux multimédias, nous avons tenté de porter un éclairage sur l’évolution des modalités de médiation à travers une approche de l’interactivité révélant notamment la dimension participative et créative de l’usager. Au regard d’une telle spécificité technologique, la communication muséale semble revaloriser la relation sensible et l’expérimentation ludique comme modalités supplémentaires pour l’accession aux contenus et leur appropriation. Si nous pouvons envisager, avec certains auteurs, le risque d’une instrumentalisation ou normalisation de la relation du public aux objets, l’enjeu culturel des dispositifs interactifs n’est cependant pas uniquement celui de la distraction. Nous pourrions en effet considérer qu’avec cette forme d’interactivité qui fonde la mise à disposition, il s’agit « d’une autre façon de penser et d’agir la pensée par expérimentation et manipulation, d’une nouvelle scription… » (Casanova, Darras, 2000). Et c’est sans doute aussi dans le passage de l’interaction à la fabrication, dans cette activité de transformation ou de re-création que Jacquinot (1998) désigne par les termes d’apprentissage “par le faire” ou bien encore d’“expérimenter par”, que se manifeste, dans le multimédia, la compréhension ou l’appropriation de savoirs par l’usager. D’aucuns 188 Multimédia et médiation culturelle E. Lambert notent encore que l’utilisation d’un multimédia puisse s’appuyer sur une capacité métacognitive, « capacité de comprendre comment on apprend, d’exercer un contrôle sur son propre apprentissage » (Jacquinot, 1997). Si la métacognition peut se traduire par le fait de “comprendre ce que je fais quand j’apprends”, l’interactivité que nous évoquions ne pourrait-elle pas renvoyer à la mise en œuvre sur multimédia d’un nouvel objet où exercer de telles compétences métacognitives et postures réflexives, quand il s’agirait de “comprendre ce que je fais en faisant” ? L’intérêt du multimédia ne serait-il pas ainsi de réunir et de mettre en synergie différents processus cognitifs dans la situation d’apprentissage, renvoyant aussi bien aux registres de l’implication par le “faire” que de la distanciation par métacognition ? Dans ce sens, l’évolution de la médiation culturelle participerait à dessiner un prolongement à la muséologie contemporaine ; d’une muséologie désignée par les termes d’objets, d’idées puis de point de vue (Davallon, 1999), elle pourrait alors être envisagée sous la forme d’une muséologie de l’acte, fondée sur l’action ou l’interactivité, et sur une relation revalorisée. Bibliographie Boissier, J.-L., 2001 : 41-48. « La perspective interactive : visibilité, lisibilité, jouabilité ». Revue d’esthétique. Nº 39. Bourriaud, N., 1998. Esthétique relationnelle. Paris : Les Presses du réel. Bréaud, O. & Casanova, F., 1999 : 81-99. « Utilisation de l’œuvre d’art dans le multimédia : modalités et finalités ». In Chateau D. & Darras B. 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