Les abus sexuels comi durant le conflit armé interne du Guatemala

Transcription

Les abus sexuels comi durant le conflit armé interne du Guatemala
Premier cas de dénonciation de viol et d'exploitation sexuelle
commis durant le conflit armé interne au Guatemala.
Création du Tribunal de Conscience contre la Violence Sexuelle à l’encontre des
Femmes durant le Conflit Interne
Durant le conflit armé guatémaltèque qui s'est déroulé entre 1960 et 1996, les actes de
violations sexuelles ont fait partie d’une pratique généralisée, massive et systématique,
réalisée par les agents de l’État dans le cadre de la politique contre-insurrectionnelle. Les
actes de violations sexuelles ont été largement utilisés comme un instrument de guerre et un
outil permettant de faire régner la terreur. Ceux-ci étaient dirigés dans leur très grande
majorité contres des femmes indigènes vues comme appartenant à l’ennemi intérieur qui
devait être anéanti.
La Commission pour la Clarification Historique (CEH) dans son rapport, « Guatemala :
Memoria del Silencio » de 1999, a recensé un total de 42'275 cas de violations des droits de
l’homme. Parmi ceux-ci, 1'465 actes de violations sexuelles ont été enregistrés (3.4%) dont
seulement 285 cas ont été clarifiés (0.6%). 1
Il est important de rappeler qu’au-delà de la brutalité de l’acte en lui-même, le viol a un
pouvoir de destruction non seulement des personnes au niveau physique et psychologique
mais également du tissu social (famille, communauté). C'est une atteinte fondamentale à la
dignité de la victime à un niveau culturel, social, familial et individuel.
L’histoire nous rappelle tristement que l’agression sexuelle a été et reste une pratique courante
lors des guerres et des génocides. L’abus sexuel est d'abord interprété comme une
conséquence directe et/ou indirecte de la guerre, ou plus précisément comme un « dommage
collatéral ». En 1998, le Tribunal Pénal International pour le Rwanda a jugé et déclaré
coupable pour la première fois un accusé d’agression sexuelle, qualifiée alors de crime de
lèse-humanité et crime de génocide. Quelques années plus tard, c’est en tant que délit de
torture que la violence sexuelle a été condamnée par le Tribunal Pénal International pour
l’Ex-Yougoslavie. 2
Au Guatemala, pas un seul des responsables des actes de violence sexuelle subis par les
femmes durant les 36 ans de conflit interne n’a été jugé ou condamné. Ce silence
judiciaire a instauré un climat d’impunité qui a contribué à perpétuer des actes de violence
envers les femmes. Cela est d’autant plus choquant qu'il existe deux rapports établissant la
vérité. Plusieurs plaintes ont également été déposées devant le Tribunal de Justice par des
personnes mais également par des organisations sociales en plus du Programme National de
Compensation (Programa Nacional de Resarcimiento). Toutefois, le Guatemala n’a pas pris
de mesures adéquates et efficaces pour rendre justice aux victimes.3
Face à une telle impunité, plusieurs organisations et groupes de femmes guatémaltèques se
sont organisés pour exiger la reconnaissance de ces actes et une justice pour les victimes. Des
1
« Ni olvido, ni silencio: Tribunal de Conciencia contra la violencia sexual hacia las mujeres durante el conflicto
armado en Guatemala », UPV/EHU, 2012.
2
Ibid.,
3
Ibid.,
organisations féminines avec une proposition féministe telle que « Unión Nacional de
Mujeres Guatemaltecas » (UNMAG), « Equipo de Estudios Comunitarios y Acción
Psicosocial Comunitaria » (ECAP) et « Mujeres Transformando el Mundo » (MTM) ont initié
la création d’un « Tribunal de Conscience contre la Violence Sexuelle à l’encontre des
Femmes durant le Conflit Interne ». Bien que ce dernier ne soit pas un organe judiciaire, il
jouit d’une forte reconnaissance au niveau politique. Il vise à établir la vérité des faits et à
créer un débat publique.4
Outre le témoignage des victimes, le tribunal a bénéficié des rapports d’expert-es et de
professionnel-les. Le jury était composé de:
 Juana Méndez : Maya guatémaltèque, survivante de violations sexuelles commises
par un membre de la Police National Civil (PNC)
 Gladys Canales : Péruvienne incarcérée à tort sous le gouvernement d’Alberto
Fujimori. Présidente de la Coordination Nationale de Femmes Affectées par le Conflit
Armé Interne (CONAMUACAI) du Pérou.
 Teddy Atim : Ougandaise travaillant pour la justice et la réparation des femmes
affectées par les nombreuses violations sexuelles qui se sont produites durant le
conflit armé interne.
 Shihoko Niikawa : Participante du Premier Tribunal de Conscience contre les
violations sexuelles à l’encontre des femmes qui s’est tenu à Tokyo en 2000.5
María Eugenia Solís, avocate guatémaltèque et Juana Balmaseda, avocate basque ont été
nommées procureures du tribunal6 et Lucía Morán, avocate guatémaltèque, secrétaire du
tribunal.7
Le 4 et 5 mars 2010, la première session du tribunal s'est ouverte à Guatemala City. C'est
l'aboutissement d'un travail long et intensif de plusieurs organisations qui a permis de marquer
ces deux journées d’une croix rouge dans la lutte contre l’impunité au Guatemala. Le Tribunal
de Conscience est également à considérer comme un acte politique très important, un pas en
avant dans la lutte des femmes guatémaltèques pour la reconnaissance des femmes victimes
de violence sexuelle durant le conflit armé.
Du Tribunal de Conscience à la justice guatémaltèque
Le 24 septembre 2012 s’est ouverte la phase préliminaire du procès contre les actes de
violence et esclavagisme à l’encontre des femmes commis pour la plupart par des soldats de
l’armée guatémaltèque durant le conflit interne. Du 24 au 28 septembre, quinze femmes et
quatre hommes sont venus témoigner des horreurs subies durant leur captivité dans le
détachement militaire de Sepur Zarco, El Estor, Izabal.
Ces témoignages bouleversants ont fait remonter à la surface de douloureux souvenirs. Un des
points commun des témoignages des victimes était le témoignage du travail forcé au sein du
détachement militaire se traduisant par diverses tâches, telles que cuisiner pour les officiers et
les soldats ou encore laver leurs vêtements. L’organisation des tâches se faisait par tournus de
3 jours de travail à l’intérieur du détachement militaire et 3 jours de « repos ». Ceci démontre
4
« Ni olvido, ni silencio: Tribunal de Conciencia contra la violencia sexual hacia las mujeres durante el conflicto
armado en Guatemala », UPV/EHU, 2012.
5
Ibid.,
6
Ibid.,
7
Ibid.,
très clairement le caractère organisationnel et défini de ces pratiques de la part du
gouvernement guatémaltèque. La plupart des femmes ont raconté qu’elles avaient été forcées
à travailler gratuitement à ce rythme durant près de 6 mois, puis avaient encore dû livrer de la
nourriture au détachement militaire pendant encore 6 ans.
Outre le fait que la majorité des femmes étaient d'origine maya, elles partageaient également
le fait que leurs époux avaient été arrêtés ou enlevés par les forces militaires. Ceux-ci étaient
pour la plupart des leaders paysans et/ou travaillaient pour le « Comité de Terres » dont
l'objectif était d’obtenir la propriété de la terre.
La stratégie militaire reposait sur la collaboration volontaire ou forcée des comisionados, des
hommes mayas issus des communautés qui ne faisaient pas partie de l’armée mais étaient des
personnes de confiance de l’armée et des informateurs. Parmi les quatre hommes venus
témoigner, Augustín Chen, ex-comisionado de la finca Chailán (grande propriété terrienne),
El Estor, a expliqué au juge comment les militaires sont arrivés en 1982 et « qu’en apparence,
ils cherchaient des guérilleros qui se cachaient dans la zone, mais qu’ils ont capturé des
paysans qui cherchaient à obtenir la propriété des terres »8
Une des victimes a raconté comment les
soldats sont arrivés chez elle à la recherche
de son mari et comment ils ont abusé d’elle
lorsque celle-ci a répondu qu’elle ne savait
pas où il se trouvait. Après avoir réussi à
fuir dans la montagne, elle s’est retrouvée
sans nourriture et sans abri. Elle a mené une
lutte acharnée pour survivre mais a perdu 3
de ses enfants dont une fille enceinte
sauvagement tuée à coups de machette.
Première audience du tribunal, source:
« Prensa Libre »
« Je ne pouvais pas leur répondre alors ils
m’ont mis une arme sur la poitrine et une
autre dans la bouche et ils ont abusé de
moi »9
Lucía Morán, directrice de “Mujeres Transformando el Mundo”, affirme qu’à Sepur Zarco
chacun des six détachements militaires avait un objectif et des tâches spécifiques telles que la
torture, la capture des prisonniers politiques ou encore la gestion de prisons de concentration
et de récréation.10
Les 5 jours d’audience ont été largement médiatisés. Plusieurs tentatives d’intimidation ont eu
lieu envers les témoins qui se sont vus obligées de venir témoigner le visage couvert.
8
De ma propre traduction: “en apariencia buscaban a guerrilleros que se escondían por la zona, pero capturaron
a campesinos que pretendían conseguir la propiedad de tierras”, « MP buscsa vincular a alto mando militar en
vilaciones de mujeres en Sepur Zarco», El Periodico, consulté le 17 octobre sur le site:
http://www.elperiodico.com.gt/es/20120929/pais/218561/
9
« Yo no les podía responder, entonces elles me pusieron un arme en el pecho y otra en la boca, y abusaron de
mí”, “Víctimas recuerdan ultrajes de soldados”, Prensa Libre, consulté le 17 octobre sur le site:
http://www.prensalibre.com/noticias/justicia/Victimas-recuerdan-ultrajes-soldados_0_780521970.html
10
« Victimas recuerdan ultrajes de soldados », Prensa Libre, consulté le 17 octobre sur le site:
www.prensalibre.com/noticias/justicia/Victimas-recuerdan-ultrajes-soldados_0_780521970.html
Toutefois, malgré la peur et l’angoisse d’un retour du bâton, les victimes ont enfin pu, après
30 ans de silence, faire le jour sur une face encore largement occultée du conflit armé
guatémaltèque. Après cette semaine émotionnellement très intense, les témoins sont retournées dans leurs communautés respectives et attendent les résultats de l’investigation du
Ministère Public afin de savoir si le procès va pouvoir s’ouvrir.
Ces 19 témoins, qui ne représentent qu’une infime partie des victimes de violations sexuelles,
ont fait preuve d'un mérite et d'un courage immense. En plus de devoir vivre avec ces
souvenirs traumatisants et d'avoir perdu des membres de leur famille, beaucoup de ces
femmes côtoient au quotidien les familles de leurs agresseurs et, dans certains cas, leurs
agresseurs eux-mêmes. Une fois les Accords de Paix signés, en 1996, ces femmes sont
rentrées vivre au sein de leurs communautés. Beaucoup ont souffert et souffrent d'une forte
marginalisation de la part de leur communauté. Venir témoigner auprès de ce tribunal les
expose de surcroît à des pressions et menaces.
Nous espérons que ce procès permettra de donner une voix aux nombreuses victimes qui
vivent encore sous la terreur du silence.
Par Yasna Mimbela, observatrice ACOGUATE – PWS,
Guatemala-City, octobre 2012