La critique int?grale en pdf
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La critique int?grale en pdf
Mange tes morts de Jean-‐François Hué (France, 1h38mn) par Oscar Temkine Mange tes morts, savoure la vie Jean-François Hué signe avec Mange tes morts une œuvre coup de poing qui se détache de la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs par son réalisme intime et sa violence. Présenté au festival de Cannes lors de la séance au Studio 13, l’équipe du film prend la parole juste avant le début de la projection. Leur expression, maladroite mais pleine d’honnêteté, nous avertit du risque de ne pas bien comprendre les dialogues du film. Leurs visages chaleureux ne cachent pas une certaine gêne. On comprend des les premiers instants que ce film a été fait avec le cœur et dévoile une grande part de l’intimité des acteurs. Chaque acteur joue « son propre rôle » et la communication entre eux et la caméra est si directe que l’on a l’impression immédiate de la forte teneur documentaire du film. L’argot gitan utilisé dans le film n’empêche pas de comprendre l’intrigue relativement simple et permet de découvrir une autre utilisation d’un français déformé, mais exprimé avec authenticité et dignité. Le personnage de Jason semble s’adresser directement au spectateur. Hué qui s’est incrusté dans ce groupe de gitan avec qui il avait déjà tourné un volet précédant (La BM du Seigneur), est le digne successeur d’une méthode proche de celle de Larry Clark, qui veut attaquer le vif du sujet par une approche directe et violente de l’intimité des personnages. La scène d’échange entre Jason et sa mère est criante de vérité lorsque celle-ci démunie face à l’indifférence de son fils, continue de parler seule les larmes aux yeux, racontant le courage qu’elle a eu pour élever ses enfants. Le film commence véritablement avec l’arrivée de Fred, l’aîné de la fratrie qui sort tout juste de 15 ans de prison. Il risque fortement d’étendre une influence néfaste sur ses frères, qui comme leur camps, se sont adoucis avec l’arrivée de nouveaux membres chrétiens. Ce nouveau personnage plane comme une menace sur les autres, et ne tarde pas à se faire rejeter par son attitude hostile envers les nouveaux arrivants : « C’est des crétins ces chrétiens ! ». Il entraîne avec lui ses deux frères et son cousin dans une virée en voiture de nuit, qui fait basculer le film vers un road-movie. Une fois embarqué avec eux dans le bolide que conduit Fred, on est littéralement scotché à notre siège comme un 5ème passager de l’équipée. Le récit fait alors office d’initiation pour Jason, inspiré par la volonté et la force de caractère de Fred. Après son premier contact avec une fille, il fait preuve de plus de courage et d’astuce que son grand frère (le cadet) qui le méprise. Les rapports entre les personnages s’équilibrent et l’amour qu’ils portent les uns envers les autres transpire de l’écran. A travers les péripéties sombres et crapuleuses filmés par une caméra souvent à l’épaule, qui donne une impression d’immersion, les personnages frôlent la mort plus d’une fois mais y échappent par leur solidarité et leurs actes qui les transfigurent en caractères héroïques. Le personnages de Fred est le plus fort dans ces « moments gangster » et son attitude initiale de bourrin borné laisse place à un personnage aussi complexe qu’admirable. Il est protecteur invincible pour ses frères, et porteur d’un message à résonance humaniste lors de cette tirade où, exposé aux feux de la police, visage à nu, il porte avec courage et fierté une revendication universelle de la justice : Ni meurtrier ni homme mauvais, il est un « chourraveur » (voleur) qui tente de donner à sa famille les moyens de survivre quel qu’en soit le prix, et quelque soit la loi. Le film est aussi l’histoire de cet homme que le temps a dépassé lors de son incarcération, et qui se bannit lui-même du camp gitan, préservant ses frères de la spirale de l’illicite de laquelle il ne peut sortir. La dernière scène, celle du baptême de Jason, provoque une émotion extrêmement vive et vient conclure le récit de manière magnifique. L’espoir que les personnages vont trouver une voie paisible nous saisi avec une violence qui se fait ressentir de manière toute personnelle, quand Jason, tout de blanc vêtu, est plongé par le prêtre dans la piscine gonflable remplie d’eau bénite.