Les enfants peuvent apprendre beaucoup en pratiquant un sport

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Les enfants peuvent apprendre beaucoup en pratiquant un sport
Article publié par le Middle East Institute – Eté 2010
Ayub 1
EVOLUTION DU SPORT FEMININ EN AFGHANISTAN
AWISTA AYUB
Les enfants peuvent apprendre beaucoup en pratiquant un sport : responsabilité,
confiance en soi, poursuite d’un objectif commun. Ces compétences sont également
précieuses en dehors du terrain ; là aussi, elles les aideront à réussir.
Dans des pays en voie de développement sortant d’un conflit, comme
l’Afghanistan, le sport est un outil avec lequel on peut aborder les problèmes sociaux de
façon constructive. Il est à noter également que les organisations de développement
international montrent un intérêt croissant envers le rôle du sport dans l’autonomisation
des femmes et des filles de ces pays. Le domaine du sport et du développement est
relativement récent, mais de plus en plus de témoignages montrent que grâce au sport, les
femmes créent un espace qui leur est propre en dehors du foyer ; à long terme, la place
des femmes dans la société en est même modifiée.
L’objectif de cet article est de présenter au lecteur le rôle de la femme dans la
société afghane d’aujourd’hui, et de montrer comment ce rôle évolue pour celles qui
pratiquent une activité sportive.
HISTOIRE DU SPORT FEMININ EN AFGHANISTAN
Traditionnellement, la femme afghane évolue dans deux espaces bien distincts : le
monde extérieur, hors du foyer, et le monde intérieur, la maison. A l’extérieur, les
hommes dominent et les femmes ne sont tolérées que si elles se font très discrètes. Et
même au sein du foyer, elles devront souvent faire des concessions.
Avant l’invasion soviétique de 1978, les grandes villes d’Afghanistan, et
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particulièrement Kaboul, étaient progressistes et défiaient cette tradition d’environnement
dichotomique : hommes et femmes jouissaient pratiquement des mêmes avantages et du
même accès à l’éducation et au sport. Pendant les années 1970, l’Université de Kaboul
avait des classes mixtes. La ville comptait de nombreuses équipes féminines
universitaires de basket-ball et de volley-ball (sports les plus pratiqués par les femmes).
Les hommes dominaient la scène sportive, mais la participation féminine était
relativement importante, et même comparable à la situation aux Etats-Unis, à une époque
où la loi Title IX n'avait pas encore été promulguée.
Pendant la vingtaine d'années qui ont suivi, l'accès au sport a été restreint pour
tous. L’état de guerre soudain a complètement altéré le paysage culturel de ce pays qui,
de la libération des années 1970, a régressé vers l’âge de la répression sociale, d’abord
pendant la guerre civile du début des années 1990, puis sous le règne des Talibans au
milieu des années 1990. La plupart des enfants afghans n’avaient plus la possibilité de
faire du sport, et encore moins d'être entraînés à la compétition.
Mais cela appartient au passé.
Aujourd’hui, le sport est de retour aussi bien dans les écoles qu’au plus haut
niveau olympique, tant pour les hommes que pour les femmes. Dans les grandes villes
comme Kaboul et Herat, la pratique du sport redevient même populaire.
UN NOUVEL ESPACE POUR LES FEMMES
Même si le sport est encore majoritairement pratiqué par les hommes, il est
devenu un espace public que les Afghanes peuvent s’approprier et dans lequel elles
peuvent s'épanouir. Ceci n’est pas propre à l’Afghanistan. Selon Martha Brady, membre
du Population Council, le sport dans les pays en voie de développement est un lieu sûr où
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les femmes peuvent se retrouver et où les athlètes féminines ont l’opportunité de
pratiquer une activité stimulante dans un environnement compétitif.1
La participation des femmes est désormais mieux tolérée, mais on ne peut
négliger hélas le revers de la médaille. En effet, afin d’assurer la sécurité des jeunes
athlètes féminines, les autorités sportives afghanes veillent à ce qu’elles évoluent dans un
environnement exclusivement féminin, comme cela se pratique en Iran.
En effet, l’Iran a mis au point un modèle de participation sportive féminine dans
un pays islamique. Leur infrastructure sportive, où travaillent entraîneurs et arbitres
femmes, est dotée de gymnases spécifiques où seule la gent féminine est autorisée à
s’entraîner. Ces zones de ségrégation des genres ont permis aux femmes de pratiquer un
sport dans le respect de leur culture.
Lors de mon voyage à Kaboul en 2007, j’ai interviewé un certain nombre de
personnes qui travaillaient pour les autorités sportives et qui luttaient pour le droit des
femmes à pratiquer un sport en Afghanistan aujourd'hui. Safiuallah Subat, ancien joueur
de football devenu Responsable de l’éducation physique et sportive au Ministère de
l’éducation afghan, m’a fait part de ses interrogations concernant la vitesse à laquelle le
changement s’opérait dans un pays tout juste sorti d’une période de conflit.
Après ce que nous venons de subir, comment les femmes pourraient-elles
déjà se retrouver dans les stades, en short, en pleine compétition, et les
hommes à les regarder sur le banc de touche ? Si je brusque les choses, il y
aura des réactions et [le sport féminin] risque de disparaître. La
communauté s’y opposera et alors ils y mettront réellement fin.2
1
Martha Brady, “Creating Safe Spaces and Building Social Assets for Young
Women in the Developing World: A New Role for Sports,” Women's Studies Quarterly,
33, n° 1/2, (Printemps - Eté 2005), 35-49.
2
Safiullah Subat, interviewé par l’auteur, juillet 2007, Kaboul, Afghanistan,
enregistrement sur cassette.
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Même s’il comprenait et respectait le droit des femmes à pratiquer un sport
traditionnellement masculin, il remettait en cause la vitesse du changement, et posait la
question fondamentale à laquelle le pays est actuellement confronté dans de nombreux
domaines : Sommes-nous prêts pour un tel bouleversement ?
UN CLUB A ELLES
Dans mon livre Kabul Girls Soccer Club, récemment publié, je décris les
événements qui ont marqué la vie de certaines de ces athlètes pleines d’ambition. A
travers le football, ces huit filles incroyables ont participé activement aux progrès dont
bénéficient les femmes ; et elles se sont aussi trouvées. Voici un extrait du livre, qui
raconte comment Robina, en jouant au football, va apprendre à mieux se connaître.
A présent, après avoir joué intensément au foot pendant plusieurs mois,
Robina perçoit son corps différemment. Auparavant, c’étaient ses mains
qui lui étaient indispensables : pour ramener de l’eau à la maison, nettoyer
le sol ou faire ses devoirs. Mais au foot, elles ne lui servent à rien. Elle a
maintenant appris à mieux connaître ses jambes, son équilibre, la vitesse à
laquelle elle peut courir. Et son front, qui lui permet de faire des têtes.
Avant le foot, ses jambes et ses pieds avaient pour seule fonction de
l’amener là où elle le souhaitait, ou d’envoyer voler des détritus ou des
pierres sur son chemin. A présent, elle connaît avec précision chaque
partie de son pied, la cambrure qu'il forme d'un côté, là où le ballon vient
se nicher. Elle connaît la force de cette large et douce courbe qui monte
jusqu’à sa cheville, et le cercle solide et compact formé par son talon,
parfait pour pivoter.
Au-delà de ces considérations personnelles, le sport féminin a contribué à
modifier l’attitude des hommes et des garçons, et pas seulement celle des femmes. Selon
Brady, « en voyant les filles endosser ce nouveau rôle où l’action est le maître mot, les
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garçons découvrent la force, les capacités et l'apport des filles et des femmes ; leur vision
des rôles féminins peut en être modifiée. »3
Depuis 2004, j’ai eu la chance d’assister au développement du sport en
Afghanistan, en particulier du football féminin. J’ai vu combien le sport peut être
bénéfique dans la vie des filles. Il devient légitime qu’elles jouent sur les terrains
anciennement réservés aux hommes, et ce nouvel acquis redistribue les rôles masculin et
féminin. Ces changements ne se font toutefois pas sans controverse : familles et autorités
s’interrogent sur l’évolution du rôle de la femme dans la société actuelle, ainsi que sur
l’importance que l’on peut donner au sport dans cette transformation.
D’importantes négociations sont encore en cours entre les filles, leurs parents et
les autorités sportives au sujet du rôle du sport dans la vie de ces jeunes filles. Ces
échanges auront un impact sur l’évolution du rôle des femmes dans la culture afghane. La
détermination de la société à surmonter ces différends aura un effet positif à long terme.
L’espoir ainsi que la sensation que cela est possible, feront du sport un domaine où la
femme aura toujours sa place. Ces filles ne jouent pas seulement pour elles-mêmes, mais
pour des générations de femmes à venir.
Biographie succincte :
Awista Ayub est l’auteur du livre Kabul Girls Soccer Club (Hyperion). Pour plus
d’informations, visitez le site www.awistaayub.com.
3
Martha Brady, “Creating Safe Spaces and Building Social Assets for Young
Women in the Developing World: A New Role for Sports,” Women's Studies Quarterly,
33, n° 1/2, (Printemps - Eté 2005), 47.