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FACE À L’ALTERNATIVE «RÉTROACTIVITÉ OU IMMÉDIATETÉ», LA COUR EUROPÉENNE NE RÉCIDIVE PAS Note sous l’arrêt de Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme Achour c. France du 29 mars 2006 par Olivier BACHELET Doctorant à l’Université de Paris-I (Panthéon-Sorbonne), Membre du CREDHO Paris-Sud Selon l’article 7, §1er de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, «Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise». De la sorte, se trouve consacré et garanti le principe de nonrétroactivité de la loi pénale de fond plus sévère, duquel la Cour européenne a déduit le droit de ne pas faire l’objet de poursuites, de condamnations et de sanctions arbitraires (1). L’arrêt Achour c. France, rendu par la Grande chambre de la Cour de Strasbourg le 29 mars 2006, permet de clarifier la portée de ce principe fondamental quant à la détermination du champ d’application dans le temps des lois pénales relatives à la récidive. Dans cette affaire, alors qu’il avait achevé d’exécuter – le 12 juillet 1986 – une peine d’emprisonnement prononcée à la suite d’une première condamnation pour trafic de stupéfiants, le requérant fut poursuivi sur le fondement de faits semblables commis en 1995. Le tribunal correctionnel le condamna notamment à huit années d’emprisonnement, peine portée à douze années par la Cour (1) Voy., notamment, Cour eur. dr. h., arrêt du 25 mai 1993, Kokkinakis c. Grèce, §§52 et s. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 234 Rev. trim. dr. h. (69/2007) d’appel. Celle-ci considéra, en effet, que l’intéressé avait agi en état de récidive légale, par application de l’article 132-9 du nouveau Code pénal – entré en vigueur le 1er mars 1994 – ayant allongé le délai de récidive de cinq à dix années. Le requérant se pourvut alors en cassation, soulignant que le constat de récidive légale était contraire au principe de nonrétroactivité des lois pénales plus sévères, l’article 58 de l’ancien Code pénal – en vigueur au moment de la condamnation relative à la première infraction – ne prévoyant qu’un délai de récidive de cinq années à compter de l’expiration ou de la prescription de la peine, délai qui semblait donc avoir expiré en 1991. Néanmoins, appliquant sa jurisprudence constante, la Chambre criminelle de la Cour de cassation écarta l’argumentation aux motifs que «lorsqu’une loi institue un nouveau régime de la récidive, il suffit, pour entraîner son application immédiate, que l’infraction constitutive du second terme, qu’il dépend de l’agent de ne pas commettre, soit postérieure à son entrée en vigueur» (2). Le requérant saisit alors la Cour européenne en soutenant notamment que sa condamnation pour récidive se fondait sur une application rétroactive de la loi pénale, contraire à l’article 7 de la Convention. Attribuée à la première section de la Cour européenne, l’affaire Achour c. France fut déclarée recevable le 11 mars 2004. Elle donna lieu à un arrêt de Chambre, en date du 10 novembre 2004, dans lequel était souligné que «la récidive s’inscrit dans le cadre de la question plus générale de la détermination de la peine» et que «comme corollaire du principe de la légalité des délits et des peines, les dispositions de droit pénal sont soumises [...] au principe de non application d’une loi nouvelle plus sévère à une situation née avant sa mise en vigueur et en cours de développements» (3). Or, en l’espèce, il est apparu aux yeux de la Chambre que «l’application de la loi nouvelle [avait] nécessairement fait revivre une situation juridique éteinte depuis 1991» (4). En effet, la première infraction avait été commise alors que la loi prévoyait une période de récidive de cinq années. Cette période s’était donc achevée le 12 juillet 1991, soit cinq ans après que le requérant ait purgé sa peine. La nouvelle période de récidive de dix ans, quant à elle, (2) Cass. crim., 29 février 2000, Bull. crim., n° 95. (3) Cour. eur. dr. h., arrêt du 10 novembre 2004, Achour c. France, §§13 et 37. (4) §41 de l’arrêt. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Olivier Bachelet 235 était apparue en droit français près de trois ans après cette date, avec l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal, le 1er mars 1994. Dès lors, en appliquant cette nouvelle période à l’infraction pour laquelle le requérant avait été condamné en 1984, les juridictions françaises ont nécessairement, selon la Chambre, fait «une application ‘rétroactive’ de la loi pénale» (5) et violé l’article 7, §1er de la Convention. Ce constat de violation, adopté à une courte majorité de quatre voix contre trois, fit l’objet de nombreuses critiques doctrinales (6) qui alimentèrent les espoirs du gouvernement français dans sa demande de renvoi de l’affaire, conformément à l’article 43 de la Convention. Le 30 mars 2005, le collège de cinq juges accueillit cette demande et la Grande Chambre se prononce finalement le 29 mars 2006. A titre liminaire, la Grande Chambre souligne que les Etats sont libres de définir leur politique criminelle et de la modifier, le cas échéant, par le renforcement de la répression des crimes et délits, y compris dans le cadre de la récidive. Néanmoins, au regard de l’article 7, §1er de la Convention, il appartient à la Cour de vérifier si, en l’espèce, le droit français était à l’époque des faits accessible et prévisible. Sur ce point, la Cour constate que l’article 132-9 de l’actuel Code pénal français prévoit que le maximum des peines d’emprisonnement et d’amende encourues est doublé en cas de récidive et ce, non plus dans un délai de cinq ans comme le prescrivait l’ancienne loi, mais dans les dix ans à compter de l’expiration ou de la prescription de la peine antérieure. Ce nouveau régime légal étant entré en vigueur le 1er mars 1994, il était donc applicable lorsque le requérant a commis de nouvelles infractions au cours de l’année 1995. Par conséquent, la Grande Chambre conclut, par seize voix contre une, à la non violation de l’article 7, §1er de la Convention. De la sorte, considérant que les faits de l’espèce ne soulèvent «aucun problème de rétroactivité s’agissant d’une simple succession de lois qui n’ont vocation à s’appliquer qu’à compter de leur entrée (5) §42 de l’arrêt. (6) Voy., notamment, F. Sudre, J.C.P. G. 2005, I, 103, n° 9; D. Roets, Dall. 2005, jur., pp. 1203-1206; O. Bachelet, «L’interprétation extensive de la loi pénale et la récidive au regard de l’article 7», in La France et la Cour européenne des droits de l’homme. La jurisprudence en 2004, collection du CREDHO, Bruylant, 2005, pp. 152-154. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 236 Rev. trim. dr. h. (69/2007) en vigueur» (7), la Cour européenne substitue au constat d’une rétroactivité apparente (I.) celui de l’application immédiate de la loi nouvelle (II.), conforme aux exigences conventionnelles. I. – De l’apparence de rétroactivité ... Séduite par l’argumentation du requérant – fondée sur l’évidence : un délai expiré ne saurait être rouvert par l’intervention d’une loi nouvelle – , la Cour européenne, dans son arrêt de Chambre, a constaté une violation du principe de non-rétroactivité en assimilant, de manière plus ou moins implicite, la récidive à une mesure de probation (A.) et le délai de récidive à un délai de mise à l’épreuve (B.). A. – La récidive, une mesure de probation Soucieux de détourner l’attention de la Cour de l’analyse du seul second terme de la récidive, le requérant présentait sa situation comme celle d’un condamné soumis à une mesure de probation. Le requérant affirmait, en effet, que «la récidive est une manière d’imposer une conduite irréprochable à ceux qui ont commis une infraction d’une certaine gravité, par le biais d’une sorte de mise à l’épreuve que constitue le risque de voir la peine encourue aggravée en cas de réitération». Dès lors, selon lui, «cette finalité, qui constitue une des orientations des politiques criminelles modernes, n’est donc pas sans conséquences sur le règlement des questions d’application de la loi dans le temps» (8). Cette approche de la récidive a été contestée avec force par le juge Costa dans son opinion dissidente jointe à l’arrêt de Chambre du 10 novembre 2004. Celui-ci rappelait d’abord que «le sursis est [...] une dispense de l’exécution de la peine; cette dispense est conditionnelle : elle est subordonnée à la condition que dans un délai fixé par la loi la personne condamnée ne commette pas une nouvelle infraction entraînant une seconde condamnation. [...] Le sursis revêt ainsi un caractère probatoire que n’a pas une condamnation constitutive du premier terme d’une récidive [...]» (9). Ensuite, le juge français soulignait que les effets du sursis diffèrent (7) Cour. eur. dr. h., arrêt du 29 mars 2006, Achour c. France, §58. (8) §37 de l’arrêt. (9) Cour. eur. dr. h., arrêt du 10 novembre 2004, Achour c. France, §17 de l’opinion dissidente. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Olivier Bachelet 237 également de ceux de la récidive. En effet, pour ce qui concerne le sursis, «si aucune condamnation nouvelle n’intervient dans le délai légal, la condamnation est de plein droit réputée non avenue; la dispense d’exécution de la peine devient définitive; la condamnation ne peut plus constituer le premier terme d’une éventuelle récidive [...]». «Il n’est donc pas étonnant qu’une loi qui allongerait le délai pendant lequel le bénéficiaire du sursis ne doit pas être à nouveau condamné ne puisse lui être appliquée, puisqu’elle serait postérieure au jugement prononçant le sursis et qu’elle interférerait avec la chose jugée [...]». En revanche, «rien de tel n’existe dans le cas de la première condamnation du récidiviste [...]. Pour lui, l’expiration du délai légal n’efface sa condamnation ni rétroactivement ni pour l’avenir [...]» (10). A vrai dire, l’argumentation développée par le requérant en la matière était susceptible de mener sa requête à l’échec. En effet, selon la jurisprudence européenne, au même titre que les lois pénales de forme (11), les textes relatifs à l’exécution des peines – qui ne définissent donc pas la peine elle-même – n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 7, §1er de la Convention. Ainsi, la Commission européenne a-t-elle estimé que cette stipulation «ne saurait être interprété[e] comme interdisant toute législation ayant pour effet de modifier l’exécution d’une peine prononcée antérieurement» (12). Or, le sursis constitue bien une mesure d’exécution de la peine et le principe de non rétroactivité des lois nouvelles plus sévères ne devrait donc pas pouvoir lui être appliqué (13). Pour autant, la Cour européenne dans sa décision de Chambre n’est pas apparue insensible à l’argumentation du requérant puisqu’elle semble avoir effectivement assimilé le délai de récidive à un délai de mise à l’épreuve. (10) §§18 et 19 de l’opinion dissidente. (11) Cour eur. dr. h., arrêt du 19 décembre 1997, Brualla Gomez de la Torre c. Espagne, §35. (12) Comm. eur. dr. h., décision du 9 mars 1990, Guizani c. France. Il est à noter, en la matière, que le Code pénal français apparaît plus protecteur puisque son article 112-2, 3° prévoit que les lois relatives au régime d’exécution et d’application des peines sont d’application immédiate, sauf lorsqu’elles ont «pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation». (13) Voy., sur ce point, D. Zerouki-Cottin, Dall. 2006, jur., p. 55. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 238 Rev. trim. dr. h. (69/2007) B. – Le délai de récidive, un délai de mise à l’épreuve Selon l’arrêt de Chambre, «il serait vain d’opposer les deux termes de la récidive, notamment dans le cadre d’un débat sur les finalités du système de la récidive, en vue de n’en retenir qu’un ou de minimiser la portée de l’un au profit de l’autre. Les dispositions pénales pertinentes du droit français sont exemptes d’ambiguïté : la récidive est constituée de deux termes indissociables, qui doivent être examinés cumulativement (14)». Dès lors, l’application de deux lois distinctes à chacun des termes de la récidive reviendrait à une interprétation large contraire au principe de légalité. Pour appuyer son raisonnement, la Chambre soulignait que l’application de la loi nouvelle en l’espèce menait à «un constat pour le moins déconcertant : si le requérant avait commis la seconde infraction le lendemain du 12 juillet 1991 (terme du délai légal de récidive) ou à n’importe quelle date entre le 13 juillet 1991 et le 28 février 1994 (veille de l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal), soit pendant une période de presque trois ans, le droit français aurait interdit tout constat de récidive à son encontre» (15). Par voie de conséquence, elle concluait que «le principe de sécurité juridique commande que le délai de récidive légal, apprécié conformément aux principes du droit, notamment d’interprétation stricte du droit pénal, ne soit pas déjà échu en vertu de la précédente loi» (16). Dans cette perspective, le délai de récidive devenait un élément fondamental dans une situation qui n’était plus uniquement envisagée du seul point de vue de la seconde infraction, mais dans sa globalité. L’expiration du délai de récidive signifiait alors un certain amendement du délinquant qui bénéficiait ainsi d’un véritable «droit à l’oubli». Ce faisant, la Chambre assimilait de manière implicite le délai de récidive à un délai de mise à l’épreuve ou de prescription dans la mesure où les lois nouvelles allongeant ces délais n’ont pas d’effet sur les délais déjà achevés (17). En d’autres termes, selon un auteur, (14) §36 de l’arrêt. (15) §43 de l’arrêt. (16) §50 de l’arrêt. (17) Voy., pour la mise à l’épreuve, Cass. crim., 20 novembre 1996, Bull. crim., n° 418; pour la prescription : article 112-2, 4° du Code pénal. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Olivier Bachelet 239 «la ‘non-récidive’ pourrait être acquise une fois expiré le délai de récidive initialement prévu» (18). Pourtant, en matière de récidive, l’écoulement du temps ne fait naître, ni n’éteint aucun droit. Il permet seulement au juge pénal, en cas de récidive temporaire, de déterminer si la commission d’une nouvelle infraction doit mener à l’application de la qualité de récidiviste. Or, en la matière, selon la circulaire d’application du Code pénal actuel, il est établi qu’ «une personne condamnée ne dispose évidemment pas, si elle commet une nouvelle infraction, d’un droit acquis à bénéficier des règles relatives à la récidive en vigueur au moment de la commission de la première infraction» (19). En effet, il n’y a là aucune atteinte au principe de non rétroactivité puisque l’acte qui consomme la récidive a été commis, par définition, postérieurement à la loi nouvelle et que son auteur était ainsi à même d’en mesurer les conséquences. Dès lors, ainsi que le soutenait le gouvernement français, il aurait mieux valu admettre que la première condamnation du requérant avait continué à produire des effets en raison du maintien de son inscription au casier judiciaire. En effet, il importe peu que le délai de récidive temporaire soit expiré : si une loi nouvelle vient à allonger ce délai – et ce, même après l’expiration du premier délai –, le maintien de la première condamnation au casier judiciaire permettra de constater la situation de récidive, dont le nouveau régime est présumé être connu du délinquant. Ce ne serait que dans l’hypothèse d’une amnistie (20) ou d’une réhabilitation (21), menant à l’effacement de la condamnation du casier judiciaire, que la récidive ne pourrait être établie et que le condamné bénéficierait d’un «droit à l’oubli». C’est cette argumentation, plus respectueuse de la notion de récidive et du régime de l’application de loi pénale dans le temps, qui a finalement prévalu devant la Grande Chambre de la Cour européenne. (18) D. Roets, op. cit. (19) Circulaire du 14 mai 1993, commentaire des dispositions de la partie législative du nouveau Code pénal (livres I à IV) et des dispositions de la loi du 16 décembre 1992 relative à son entrée en vigueur, annexe n° 2, n° 11. (20) Art. 133-9 et s. du Code pénal. (21) Art. 133-12 et s. du Code pénal. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 240 Rev. trim. dr. h. (69/2007) II. – ... au constat de l’immédiateté Sans la moindre ambiguïté, la Grande Chambre exclut tout constat de violation de l’article 7, §1er de la Convention : elle rappelle que la récidive constitue une circonstance aggravante de la seconde infraction (A.) et souligne la prévisibilité de la solution dégagée par les juges français (B.). A. – La récidive, une circonstance aggravante Selon la Cour européenne, dans son arrêt de Chambre, la récidive légale est constituée de «deux éléments qui forment un ensemble indivisible» (22) : le premier terme de la récidive – une condamnation pénale définitive – et le second terme, constitué par une nouvelle infraction. Mais, il convient surtout de souligner – comme le fait le juge Costa dans son opinion dissidente jointe à l’arrêt – que la récidive légale constitue, dans la grande majorité des systèmes juridiques, une circonstance aggravante personnelle de la seconde infraction. Dans ce cadre, c’est bien la seconde infraction qui est constitutive de la récidive. Or, par hypothèse cette seconde infraction a été commise alors que la loi nouvelle allongeant le délai de récidive était déjà entrée en vigueur. Dès lors, l’application de cette loi nouvelle n’apparaît pas rétroactive. Bien au contraire, il faut admettre son application immédiate aux faits de l’espèce, conformément à la théorie développée par le doyen Roubier (23). En effet, selon lui, «pour les situations juridiques qui font problème, c’est-à-dire celles qui se sont constituées avant le changement de législation mais qui prolongent leurs effets au-delà de celui-ci (situation en cours), il convient de procéder à la distinction suivante : la loi nouvelle ne peut pas revenir sur les conditions dans lesquelles ces situations se sont constituées ni modifier les effets qu’elles ont déjà sortis (principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle). En revanche, elle s’empare de ces mêmes situations pour leur faire produire, à compter de son entrée en vigueur, des conséquences éventuellement différentes (principe de l’effet immédiat de la loi nouvelle)» (24). Par conséquent, sachant que l’écoulement du temps en matière de récidive ne fait naître, ni n’éteint aucun droit, (22) §36 de l’arrêt. (23) P. ROUBIER, Les conflits de lois dans le temps, Sirey, Paris, 1929, réédité sous le titre Le droit transitoire, Dalloz, Paris, 1960. (24) F. Terré, Introduction générale au droit, Dalloz, collection Précis, 3e éd., 1996, n° 446, p. 394. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Olivier Bachelet 241 il convient d’admettre que la loi nouvelle, même plus sévère, va pouvoir s’appliquer dans l’hypothèse où seule la seconde infraction est commise après son entrée en vigueur. Certes, il est possible de répliquer que l’application immédiate n’est prévue que pour certaines lois nouvelles limitativement énumérées par le Code pénal français, les textes en matière de récidive n’y figurant pas (25). Mais, cette énumération limitative – et donc l’exclusion de la récidive – n’a vocation à s’appliquer que dans l’hypothèse d’un réel conflit de lois dans le temps, ce qui n’est pas le cas en l’espèce quoi qu’en dise le juge Popovic dans son opinion dissidente (26). En effet, pour qu’existe un tel conflit de lois, il est nécessaire que le comportement adopté par la personne mise en cause soit intervenu sous l’empire d’une loi ancienne et qu’une loi nouvelle soit promulguée avant son jugement définitif. La matérialité de l’infraction doit donc être caractérisée au moment où la loi ancienne était encore en vigueur. Dans la mesure où la récidive s’analyse comme une circonstance aggravante de la seconde infraction, la première infraction n’en constitue qu’une condition préalable. Or, «les conditions préalables d’une infraction renvoient à tout ce qui contribue à la définition de cette infraction, mais sans se confondre avec sa matérialité. [...] Les conditions préalables délimitent ‘le domaine dans lequel l’infraction se peut commettre’ (27), alors que les éléments constitutifs sont relatifs à la conduite réprouvée elle-même. Cette différence de nature a des conséquences non négligeables sur la structure de l’infraction, s’imposant comme le critère de séparation de deux types de données : d’une part, celles qui ne peuvent être retenues dans la matérialité des comportements érigés en infractions, d’autre part, celles qui rejoignent au contraire ces com(25) Sur ce point, voy. J.-P. Delmas Saint-Hilaire, R.S.C. 2001, p. 170. Selon l’article 112-2 du Code pénal, l’application immédiate de la loi nouvelle n’est admise que pour : 1º Les lois de compétence et d’organisation judiciaire, tant qu’un jugement au fond n’a pas été rendu en première instance; 2º Les lois fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure; 3º Les lois relatives au régime d’exécution et d’application des peines; toutefois, ces lois, lorsqu’elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation, ne sont applicables qu’aux condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur; 4º Lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l’action publique et à la prescription des peines. (26) §§1 et 2 de l’opinion dissidente. (27) R. Vouin, Droit pénal spécial, tome 1, Dalloz, 2è éd., n° 2, p. 2. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 242 Rev. trim. dr. h. (69/2007) portements, pour en caractériser les composantes et contribuer à leur illicéité. Alors, le montage matériel de l’infraction ne peut que se ressentir de cette distinction, en excluant tout ce qui ne relève pas des éléments correspondant à la seconde série. C’est le cas des conditions préalables, par hypothèse indifférentes à la matérialité, et qui ne sont qu’un cadre permettant à celle-ci de se manifester» (28). Dès lors, en l’espèce, il importe peu que la première infraction ait été commise sous l’empire d’une loi ancienne plus douce puisqu’en tant que condition préalable elle ne constitue pas la récidive. Seule la seconde infraction doit être considérée comme déterminante et cette seconde infraction a bien été commise alors que la loi nouvelle plus sévère était en vigueur. En d’autres termes, il n’y aurait eu véritable application rétroactive des dispositions nouvelles que dans l’hypothèse où la seconde infraction aurait été constituée antérieurement à l’entrée en vigueur du Code pénal actuel ... En l’absence de tout conflit de lois, il convient donc de faire une application immédiate des dispositions nouvelles issues de l’article 132-9 du Code pénal, y compris dans l’hypothèse où le premier terme de récidive est intervenu antérieurement à l’entrée en vigueur de ce texte. La Grande Chambre de la Cour européenne ne s’y trompe d’ailleurs pas puisqu’elle souligne, contrairement à ce que soutient le requérant, que l’expiration du délai de récidive tel que prévu lors de la commission de la première infraction ne lui conférait aucun «droit à l’oubli» et qu’il n’y a en l’espèce «aucun problème de rétroactivité, s’agissant d’une simple succession de lois qui n’ont vocation à s’appliquer qu’à compter de leur entrée en vigueur. Certes, les juges internes ont tenu compte de la condamnation prononcée en 1984, constitutive du premier terme, pour retenir la récidive. Néanmoins, la prise en compte rétrospective de la situation pénale antérieure du requérant par les juges du fond, rendue possible par l’inscription au casier judiciaire de la condamnation de 1984, n’est pas contraire aux dispositions de l’article 7, les faits poursuivis et sanctionnés étant quant à eux effectivement apparus après l’entrée en vigueur de l’article 132-9 du nouveau code pénal. En tout état de cause, une telle démarche rétrospective se distingue de la notion de rétroactivité stricto sensu» (29). (28) Y. Mayaud, Droit pénal général, PUF, collection droit fondamental, 1re éd., 2004, pp. 138-139. (29) §§58 et 59 de l’arrêt. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Olivier Bachelet 243 Au regard de l’article 7, §1er de la Convention, toute la difficulté réside alors dans le caractère prévisible, ou non, de cette démarche. B. – La survivance du délai de récidive, une solution prévisible L’article 7, §1er de la Convention occupe, selon la Cour européenne, une place primordiale dans le système de protection de la Convention. Elément essentiel de la prééminence du droit, cette stipulation doit être interprétée et appliquée de manière à assurer une protection effective contre l’arbitraire. Elle ne saurait donc se borner à prohiber – ainsi que son libellé le laisse entendre – l’application rétroactive de la loi pénale plus sévère, mais consacre également – de manière plus large – le principe de légalité des délits et des peines et celui qui commande de ne pas appliquer la loi pénale de manière extensive au désavantage de la personne mise en cause (30). Dans sa démarche «amplificatrice» des droits et libertés protégés par la Convention (31), la Cour européenne a déduit du principe de légalité les trois «qualités» attendues de la loi pénale : précision, accessibilité et prévisibilité. L’exigence de précision suppose que la norme soit énoncée dans des termes suffisamment clairs et précis, afin de prévenir l’arbitraire du juge. Néanmoins, le législateur n’incrimine pas toujours d’une façon aussi précise; il se borne parfois à déclarer tel acte punissable, sans en expliquer les éléments constitutifs. C’est le cas, par exemple, d’une loi française du 2 juillet 1931 dont l’article 38, alinéa 3, interdit de publier «des photographies, gravures ou portraits ayant pour objet la reproduction de tout ou partie des circonstances de certains crimes ou délits». Selon la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui statue au visa de l’article 7 de la Convention, l’expression «circonstances» est trop générale et imprécise et rend aléatoire l’interprétation du texte par le juge, ce qui justifie d’en écarter l’application (32). La condition d’accessibilité oblige à ce que des renseignements suffisants soient disponibles sur les normes juridiques applicables à un cas donné. Enfin, le critère de prévisibilité (30) Voy., notamment Cour eur. dr. h., 25 mai 1993, Kokkinakis c. Grèce, op. cit. (31) Expression empruntée à J.-P. Marguénaud, La Cour européenne des droits de l’homme, Dalloz, collection Connaissance du droit, 2è éd., 2002, p. 32. (32) Cass. crim., 20 février 2001, Dall. 2001, jur., pp. 3001 et s., note P. Wachsmann. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 244 Rev. trim. dr. h. (69/2007) signifie que chaque citoyen doit pouvoir prévoir la conséquence de ses actes de manière raisonnable, ce qui pose notamment difficulté en cas de revirement de jurisprudence (33). Sur ce dernier point, dans notre arrêt, la Grande Chambre note que depuis la fin du XIXè siècle, la Cour de cassation adopte une jurisprudence claire et constante selon laquelle lorsqu’une loi institue un nouveau régime de la récidive, il suffit, pour entraîner son application immédiate, que la seconde infraction soit postérieure à l’entrée en vigueur de cette loi (34). Dès lors, selon la Cour, il ne fait aucun doute que le requérant pouvait prévoir qu’en commettant une nouvelle infraction avant l’échéance du délai légal de dix ans, à savoir le 13 juillet 1996, il courait le risque de se faire condamner en état de récidive. Dans cette mesure, il convient de considérer que, conformément aux exigences européennes, l’interprétation dégagée par les juridictions françaises dans notre affaire apparaissait raisonnablement prévisible. En dégageant une telle solution, la Grande Chambre tend à apaiser nos craintes quant à l’éventualité d’une remise en cause des «accommodements» séculaires et légitimes portés au principe de légalité en droit interne français (35). En particulier, la jurisprudence relative aux «infractions d’habitude» et au concours d’infractions semble désormais pouvoir être maintenue. En effet, dans ces domaines très proches de la récidive, la Cour de cassation considère que la commission d’un acte d’habitude (36) ou d’une infraction en concours (37), postérieurement à l’entrée en vigueur d’une loi nouvelle plus sévère, permet l’application de cette loi à l’ensemble du comportement infractionnel, donc y compris aux actes d’habitude et aux infractions en concours commis antérieurement à l’entrée en vigueur de cette même loi. Il n’y a là aucune atteinte au principe de légalité dans la mesure où le dernier acte d’habitude ou la dernière infraction en concours (33) Voy., en particulier Cour eur. dr. h., arrêts du 22 novembre 1995, S.W. c. Royaume-Uni et C.R. c. Royaume-Uni; arrêts du 22 mars 2001, Streletz, Kessler et Krenz c. Allemagne et K.-H. W. c. Allemagne, Rev. trim. dr. h., 2001, pp. 1109-1181, obs. P. Tavernier. Ces arrêts admettent notamment qu’aussi clair que le libellé d’une disposition légale puisse être, il existe immanquablement un élément d’interprétation judiciaire. (34) Cass. crim., 31 août 1893, Dall. 1896, I, p. 1327. (35) O. Bachelet, op. cit., p. 154. (36) Cass. crim., 23 décembre 1853, S. 1859, 1, 405. (37) Cass. crim., 16 novembre 1994, Bull. crim., n° 367. this jurisquare copy is licenced to RTDH [[email protected]] d0c101a524dc96800124df0039772291 Olivier Bachelet 245 a été commis postérieurement à la loi nouvelle et que son auteur était ainsi à même d’en anticiper les conséquences ... Qu’en est-il alors de la théorie jurisprudentielle des infractions «continuées»? Selon cette théorie, une pluralité d’infractions formant un tout indivisible doit être traitée comme une seule et même infraction. Ainsi, est constitutive d’une escroquerie unique, et non de plusieurs escroqueries, les remises successives déterminées par un même acte de tromperie. De la sorte, l’ensemble de ces infractions ne commence à se prescrire qu’au jour du dernier acte et se voit appliqué la loi pénale en vigueur au moment de ce dernier acte, même si elle est plus sévère (38). La théorie des infractions «continuées» permet donc de contourner commodément les exigences issues du principe de légalité et mène à faire une application rétroactive de la loi pénale nouvelle – même plus sévère – à des faits pourtant commis avant son entrée en vigueur. C’est la raison pour laquelle, par des arrêts de Chambre concernant l’Estonie, la quatrième section de la Cour européenne a constaté là une violation de l’article 7, §1er de la Convention (39). Cette position ne semble pas pouvoir être remise en cause par notre arrêt dans la mesure où la solution qui y est dégagée se fonde notamment sur le fait que le premier terme ne constitue qu’une condition préalable de la récidive, alors que dans le cadre des infractions «continuées» le premier terme est déjà constitutif d’une infraction. Dès lors, dans cette dernière hypothèse, sauf à renoncer à la légalité pénale, il convient de n’appliquer à la première infraction que les textes plus doux en vigueur au moment de sa réalisation. L’arrêt Achour, s’il permet de réhabiliter la jurisprudence séculaire de la Cour de cassation française quant à l’application dans le temps des lois relatives à la récidive, ne doit pas pour autant faire l’objet d’une interprétation excessive, préjudiciable à la lutte contre l’arbitraire. ✩ (38) Voy., notamment, Cass. crim., 29 juin 2005, Bull. crim., n° 198. (39) Cour. eur. dr. h., arrêt du 21 janvier 2003, Veeber c. Estonie, J.D.I., 2004, pp. 682-683, obs. O. Bachelet; arrêt du 10 février 2004, Puhk c. Estonie, J.D.I., 2005, pp. 492-496, obs. O. Bachelet.