le leadership éducatif : autonomie, identités et nouvelle

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le leadership éducatif : autonomie, identités et nouvelle
LE LEADERSHIP ÉDUCATIF : AUTONOMIE, IDENTITÉS ET
NOUVELLE RÉPARTITION DES RESPONSABILITÉS
Dina SIDANI – Maître de conférences à la FGM
RÉSUMÉ
Selon Mintzberg (1982, 2003), l’établissement scolaire se rattache à une
configuration structurelle de type bureaucratie professionnelle, où le pouvoir,
décentralisé au niveau du centre opérationnel, repose en grande partie sur les
compétences spécialisées de ses acteurs professionnels, les enseignants. De par le
pouvoir détenu par ces professionnels au sein de la coalition interne, leur fidélité
constitue un enjeu crucial et se situe au centre de la polémique ayant trait au concept
de leadership éducatif. À ce titre, le cadre de la ligne hiérarchique, ou superviseur,
représente la personne clé en termes de pratiques visant à promouvoir et développer la
fidélité des enseignants au sein des établissements scolaires.
MOTS-CLÉS
Configuration Structurelle – Bureaucratie Professionnelle – Acteurs – Enseignants –
Échange Leader-Membre – Cadres Superviseurs – Relation d’Emploi – Leadership
Éducatif – Contrat Psychologique – Échange Social – Management des Établissements
Scolaires.
INTRODUCTION
Aujourd’hui, les compétences des employés représentent sans aucun doute
l’avantage concurrentiel durable de notre époque. Chercheurs, académiciens et
praticiens gestionnaires, tous s’accordent aujourd’hui à considérer le capital humain
comme l’enjeu compétitif majeur du vingt-et-unième siècle. Pour cette raison, les
organisations ont de plus en plus tendance à investir dans le développement des
compétences de leurs salariés, à travers diverses pratiques de gestion des ressources
humaines comme la formation continue, le coaching, le leadership participatif… Pour
comprendre le fonctionnement des organisations et le cadre général de la relation
d’emploi qui s’établit entre les acteurs au sein des établissements scolaires, nous
aborderons dans une première partie la notion de configuration structurelle à travers les
cinq composantes organisationnelles fondamentales de Mintzberg (1982). Puis nous
définirons en quoi les Échanges Leader-Membre constituent un outil de gestion
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favorisant la fidélité des professionnels du centre opérationnel. À ce stade, la notion de
leadership éducatif nous est d’un précieux apport pour appréhender et comprendre les
caractéristiques de la relation d’emploi qui se tisse entre les différentes catégories
d’acteurs dans les établissements scolaires. Il en découle une nouvelle répartition des
responsabilités au sein de cette structure organisationnelle particulière de type
bureaucratie professionnelle. La bureaucratie centrale scolaire laisse la place à un
management des établissements scolaires qui inclut un mode de gestion spécifique de
ces professionnels, de qui dépend la performance organisationnelle. Dans ce type de
configuration structurelle, l’implication organisationnelle est fortement dépendante de la
qualité des échanges qui s’établissent entre ces professionnels, acteurs du centre
opérationnel (les enseignants), avec les représentants de l’organisation ou cadres de la
ligne hiérarchique (superviseurs, leaders), appelés à exercer, selon Bouvier (1994), un
rôle de leadership professionnel plus qu’un contrôle bureaucratique.
1. LA SPÉCIFICITÉ DE LA CONFIGURATION STRUCTURELLE DES
ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES EN TERMES DE POUVOIRS ET DE
RESPONSABILITÉS DES DIFFÉRENTES CATÉGORIES D’ACTEURS AU SEIN
DE LA STRUCTURE
L’idéal type de Weber (Trad. de Kalinowsky, 2000) constitue un outil de
recherche pour déterminer les logiques de fonctionnement des organisations. Weber
distingue trois grands types d’organisation : l’organisation traditionnelle, l’organisation
charismatique et l’organisation rationnelle. Cette dernière, l’organisation moderne,
rationnelle ou bureaucratique, induite par l’essor du capitalisme, est, selon Weber, la
forme la plus efficace pour la direction des grandes organisations.
Henry Mintzberg part de l’approche sociologique de Weber et de l’idéal type
bureaucratique pour décrire l’organisation en termes de distribution de pouvoir, et ce
selon le poids de chacune des cinq composantes fondamentales de l’organisation.
L’analyse de Mintzberg va nous permettre de comprendre le fonctionnement des
organisations à travers la classification établie en fonction de la répartition du pouvoir
entre les acteurs du système. À chaque type de configuration structurelle correspond un
mécanisme de coordination spécifique, conditionné par la localisation du pouvoir dans
la structure. Le fait d’analyser une organisation selon cette classification, basée sur la
répartition du pouvoir au sein de la structure, permet d’identifier et de savoir à quel
niveau agir pour influencer le fonctionnement de cette organisation en termes de
logique professionnelle (Mintzberg, 1982, 2003), ainsi que la façon d’orienter les
attitudes et les comportements de ses acteurs dans un sens favorable à l’organisation.
Dans sa dimension sociologique, une organisation est en fait un construit social qui
existe et se transforme seulement si, d’une part, elle peut s’appuyer sur des jeux
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permettant d’intégrer les intérêts de ses participants et si, d’autre part, elle assure à
ceux-ci leur autonomie d’agents responsables, indépendants et impliqués.
Selon Crozier (Crozier et Friedberg, 1981), la notion d’organisation se définit dans le
sens de la structuration des rapports humains dans l’action. Elle se superpose à celle
de systèmes d’actions individuels et surtout collectifs, permettant d’étudier les relations
d’interdépendances dans les logiques professionnelles et les mécanismes
institutionnels. Ainsi, si l’on envisage l’organisation comme un ensemble caractérisé par
une action organisée ou collective, nécessitant une coopération entre plusieurs
personnes qui cherchent à atteindre, ensemble, un objectif, alors on peut considérer
l’établissement scolaire comme une organisation. L’approche de Mintzberg nous permet
de définir le rôle de chaque catégorie d’acteurs selon leur localisation, en termes de
coalition interne et de pouvoir, dans cette structure organisationnelle particulière
constituée par les établissements scolaires. Nous allons définir le rôle de chacune des
composantes organisationnelles au sein de ces établissements scolaires.
1.1. Les rôles et pouvoirs de chaque catégorie d’acteurs au sein des
établissements scolaires
Le noyau opérationnel
Le noyau opérationnel mène les actions qui produisent les résultats essentiels de
l’organisation, c’est-à-dire le service d’enseignement aux élèves dans les
établissements scolaires. Les opérateurs, appelés professionnels, doivent jouir dans
leur travail d’une liberté d’action considérable et elles accumulent ainsi beaucoup de
pouvoir. Ainsi, ce professionnel s’appuie sur un système des compétences spécialisées
comme premier moyen d’influence. Les normes professionnelles de conduite, d’éthique,
de savoir-faire et de comportements font que les administrateurs n’imposent pas leurs
propres normes bureaucratiques à ces experts qui recherchent la perfection
professionnelle ainsi que l’amélioration du prestige et des ressources inhérents à leur
spécialité.
Le sommet stratégique
Au sommet stratégique, le chef d’établissement est inévitablement l’individu le plus
puissant du système en termes de pouvoir à l’intérieur et à l’entour de l’organisation car
il peut décider de la ligne de conduite générale. Idéologiquement, selon Selznick
(1957), le Directeur « mène » son établissement scolaire dans le sens où il est le
constructeur de la finalité et le transformateur d’un ensemble d’hommes neutres en un
ensemble politique engagé, tout en étant officiellement responsable des actions des
membres de son organisation.
Les cadres intermédiaires de la ligne hiérarchique
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La ligne hiérarchique est constituée des cadres supérieurs à qui le chef d’établissement
délègue la responsabilité formelle des décisions influençant le fonctionnement du noyau
opérationnel. En effet, le cadre intermédiaire possède une autorité légitime sur son
unité, déléguée par son Directeur sous forme de pouvoirs formels. Il appartient à ces
cadres supérieurs, de par leur position hiérarchique, de prodiguer à leurs subordonnés
les moyens matériels (primes, formations…) et immatériels (support, signes de
reconnaissance…) nécessaires à l’atteinte de leurs objectifs et au perfectionnement de
leur pratique professionnelle. Ainsi, ces cadres superviseurs peuvent avoir une
influence sans précédent sur les enseignants de par leur pouvoir officieux.
La nature des interactions entre ces cadres, représentant et personnifiant l’organisation
et les professionnels du centre opérationnel, va jouer un rôle primordial dans la
perception qu’ont ces experts de leur environnement de travail, perception qui dépendra
en grande partie de la qualité des relations et des échanges qui vont s’instaurer entre le
supérieur hiérarchique direct et ses enseignants, acteurs du centre opérationnel.
Les analystes de la technostructure
Dans les établissements scolaires, la technostructure regroupe les personnes qui
travaillent à la conception et la gestion des systèmes formels de contrôle comme la
planification, la comptabilité, l’analyse des budgets… Les analystes interviennent à des
postes administratifs ou en externe et leur rôle est de conseiller.
Les fonctions de support logistique
Cette composante regroupe les personnes ayant la tâche d’assurer la bonne marche
des différentes fonctions de support logistique, celles-ci comprenant une gamme de
services étendus tels la paie, le conseil juridique, le nettoyage, la sécurité, la
restauration, … Dans le cas des établissements scolaires, ce personnel de soutien
logistique est souvent non qualifié. Il apparaît plutôt comme sans pouvoir et est le plus
faible en termes d’influence dans la coalition interne.
Il apparaît clairement que l’élément clé de la bureaucratie professionnelle est le centre
opérationnel. Les professionnels y sont maîtres de leur propre travail, relativement
indépendants de leur ligne hiérarchique, de leurs collègues, en ne restant proches que
de leurs élèves. Cette relative indépendance est possible car, pour coordonner ses
activités, la bureaucratie professionnelle s’appuie sur la standardisation des
qualifications et sur le paramètre de conception qui y correspond : la formation et la
socialisation. On retrouve généralement la bureaucratie professionnelle dans les
systèmes scolaires, la police et le milieu médical (Mintzberg, 1982). La bureaucratie
professionnelle apparaît la plupart du temps dans un environnement à la fois complexe
et stable. En effet, si la complexité nécessite l’utilisation de compétences et de
connaissances que l’on peut seulement apprendre au cours d’un long programme de
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formation, la stabilité permet à ces qualifications de devenir des procédures
standardisées de l’organisation. Ainsi, dans ce type d’organisation, les objectifs
stratégiques apparaissent flous et peu opérationnels. Chaque professionnel poursuit un
but spécifique et est mu par des préoccupations d’avantages professionnels que par les
missions propres à l’organisation. La bureaucratie professionnelle confie l’autorité à ses
experts dont les capacités complexes nécessitent un jugement important. Ainsi,
décentralisé au niveau du centre opérationnel, le pouvoir repose en grande partie sur
les compétences spécialisées de ses acteurs professionnels. Selon Mintzberg (1982),
la performance de la bureaucratie professionnelle va dépendre essentiellement du
changement dans les pratiques de socialisation, d’implication et de motivation au
perfectionnement professionnel et à ce titre, le cadre de la ligne hiérarchique ou
supérieur direct représente la personne clé en termes de leviers de fidélisation des
enseignants dans les établissements scolaires. Les interactions qui s’établissent entre
les acteurs dans la coalition interne au sein des établissements scolaires constituent
donc un levier crucial dans la performance et la fidélité organisationnelles.
1.2. Les mécanismes de coordinations et d’interactions liés à un système de
compétences spécialisées au sein des établissements scolaires
La politique au sein d’une organisation vise à mettre en évidence, au-dessus de
toute préoccupation individuelle, des intérêts communs et rationnels. L’idée est de
comprendre comment les systèmes influencent et structurent les comportements de
leurs acteurs, puis de réfléchir, de façon simultanée, à la meilleure façon de mettre en
place les ajustements éventuels pour orienter les attitudes et comportements de ces
acteurs dans un sens favorable à l’organisation. Pour améliorer le fonctionnement des
organisations en agissant de l’intérieur, afin de s’assurer qu’elles agissent au mieux de
nos intérêts, il est important de comprendre les interactions qui s’établissent entre ses
différentes composantes en termes de mécanismes de coordinations et entre leurs
acteurs en termes de relation d’emploi. En fait, parmi les cinq configurations
structurelles de la typologie de Mintzberg (1982), la bureaucratie professionnelle répond
de façon unique aux besoins essentiels des hommes et des femmes de notre époque.
Elle est démocratique, disséminant directement le pouvoir aux opérateurs à qui elle
donne une autonomie considérable, les libérant même du besoin de coordonner
étroitement leur activité à celle de leurs collègues. Aujourd’hui, très à la mode chez
toutes sortes de spécialistes, le terme de professionnalisme rend la bureaucratie
professionnelle très populaire et en large essor depuis des décennies, et ce pour de
bonnes raisons puisqu’elle est démocratique et en majeure partie basée sur l’expertise
de ses acteurs.
De par le pouvoir détenu par les experts ou professionnels du centre
opérationnel, pouvoir lié à un système de compétences spécialisées, les systèmes
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d’éducation en général, et les écoles en particulier, se rattachent à un type de
configuration structurelle connue sous le nom de bureaucratie professionnelle
(Mintzberg, 1982, 2003). La coordination s’opère en fonction de la reconnaissance des
compétences de chacun. Ainsi, chacun de ces opérateurs professionnels travaille de
façon autonome, en étant relativement libre de toute influence directe de ses collègues.
Les établissements scolaires doivent engager du personnel hautement qualifié pour
exécuter le travail. Pour cela, ce type de configuration structurelle a recours à des
experts. Les activités particulières qu’exerce ce professionnel ne sont ni définies ni
réglementées par les agents de la technostructure. Son travail fait appel à des
connaissances spécialisées acquises. Le travail, de par sa complexité, ne peut être
contrôlé personnellement par des cadres administratifs ou par voie bureaucratique
selon les normes instituées par l’organisation.
L’implication organisationnelle, basée essentiellement sur l’implication et
l’empowerment de ces acteurs du centre opérationnel, va reposer en grande partie sur
la capacité des superviseurs directs ou cadres de la ligne hiérarchique à mobiliser les
forces vives de leurs enseignants en termes de logique de fonctionnement. En effet, de
par leur expertise professionnelle qui domine en termes de pouvoir dans les
établissements scolaires, les enseignants constituent l’avantage compétitif de ce type
de structure organisationnelle, d’où l’enjeu d’impliquer ces professionnels dans un
objectif de fidélisation et de rétention.
Ainsi, l’acteur, engagé dans un système d’action concret, doit découvrir, selon Crozier
(1981), avec la marge de liberté dont il dispose, sa véritable responsabilité. Des
relations qui s’établissent entre les différents membres de l’organisation, dépend la
liberté des acteurs d’agir sur la structure collective. Pour garantir donc la responsabilité
collective, il faut que les finalités soient vécues à la base de l’organisation.
Les cadres de la ligne hiérarchique, grâce aux liens qu’ils entretiennent avec de très
nombreux agents internes, en viennent à être des centres nerveux entre le sommet
stratégique et le centre opérationnel, non seulement en ce qui concerne les flux
d’informations, mais également en termes de ressources prodiguées à leurs
subordonnés dans le cadre de leur travail. De par la position centrale que ces
personnes occupent au sein des flux de travail, un pouvoir informel considérable leur
est conféré, voire un pouvoir politique, spécialement en termes de ressources et
d’influence.
Le pouvoir, détenu par les experts du centre opérationnel, assigne aux cadres et
à la direction la tâche de motiver et d’impliquer leurs professionnels. Ces cadres de la
ligne hiérarchique, représentant et personnifiant la Direction aux yeux des
professionnels du centre opérationnel, vont donc jouer un rôle central dans l’implication
organisationnelle des enseignants, et ce à travers une variable clé du climat
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organisationnel qui sera véhiculée par ces cadres superviseurs : les Échanges LeaderMembre (Leadership éducatif) qui s’instaurent entre ces cadres superviseurs de la ligne
hiérarchique et les acteurs du centre opérationnel.
2. L’ÉCHANGE LEADER-MEMBRE (ELM) AU SEIN DE LA RELATION D’EMPLOI
DANS LES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES
L’Échange Leader-Membre étudie la qualité des relations à travers la nature et
les caractéristiques des interactions qui s’établissent entre les subordonnés et leur
supérieur hiérarchique. Pour Barnard (1938), le management doit consister à obtenir la
participation volontaire des individus à la réalisation d’objectifs communs autrement que
par l’exercice d’un pouvoir autoritaire. Il met en avant le développement d’un leadership
au détriment des lourdes procédures établies d’administration et de communication
entre les cadres supérieurs et leurs subordonnés. Les incitations tangibles, reposant sur
des récompenses matérielles comme l’argent, ne suffisent pas à assurer de façon
complète la motivation et l’implication des salariés. Il existe non seulement d’autres
incitations moins tangibles, comme la distinction, le prestige, le pouvoir personnel, mais
également et surtout des incitations subjectives, mobilisables par l’exercice du
leadership. En agissant sur les perceptions, sur les attitudes personnelles ou sur les
motivations des individus, le leader, de par la nature et la qualité des échanges et
interactions qu’il entretient avec ses subordonnés, joue un rôle primordial dans la
motivation au travail et la fidélité organisationnelle de ses subordonnés.
La relation entre l’employé et son manager ou leader est définie par les chercheurs
d’Échange Leader-Membre (ELM). Selon Wayne et al., (2000), la nature des
ressources échangées entre le représentant clé de l’organisation et les salariés
détermine le niveau de réciprocité que ces derniers sont prêts à consentir envers
l’organisation. L’ELM se distingue des autres théories sur le leadership par le fait qu’il
se focalise essentiellement sur une relation dyadique et personnalisée entre le leader et
chacun de ses subordonnés (Gerstner et Day, 1997), cette relation étant caractérisée
par un échange d’effort mental ou physique, des ressources matérielles, des
informations partagées et/ou un soutien émotionnel entre ces deux parties.
À sa plus simple expression, l’ELM serait donc une relation ou un lien d’échange
ressource (accordée par le leader) / performance (délivrée par le subordonné), unissant
un employé à son supérieur hiérarchique direct ou leader et essentiel au
développement de la fidélité des experts du centre opérationnel. L’un des intérêts
majeurs de la théorie de l’ELM, souligné par les recherches, réside dans ses
conséquences positives au sein des organisations, comme l’amélioration du niveau de
performance, du climat de travail et des attitudes et des comportements des employés
(Graen et Uhl-Bien, 1995).
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2.1. Définition du concept d’Échange Leader-Membre (ELM)
L’ELM est basé sur un échange social (Blau, 1964) dans lequel chaque partie
doit offrir quelque chose que l’autre partie considère comme étant de valeur, et chaque
partie doit considérer l’échange comme équitable ou juste. Selon cette théorie, dès qu’il
y a attribution de ressources, il se développe un sentiment d’obligation vis-à-vis de la
personne qui a attribué ces ressources. Ainsi la relation d’échange est fondée sur des
attentes implicites réciproques entre les deux parties. Alors que dans certains cas
l’échange est affecté uniquement par des clauses contractuelles, dans d’autres
situations cet échange entre les deux parties est de nature intangible, caractérisé par la
confiance, le respect, l’appréciation et l’influence mutuels (Liden et Maslyn, 1998).
L’objectif de l’ELM est de faire en sorte que le supérieur direct soit en mesure de
mettre les ressources dont il dispose à la disposition de son subordonné, de façon à ce
que ce dernier fournisse, en contrepartie, une performance qui dépasse le simple
contrat formel de travail. En échange de la performance de l’employé, les ressources
fournies par le superviseur peuvent être de plusieurs ordres. Il peut s’agir du temps
personnel du leader, des informations stratégiques sur les plans organisationnels futurs
(Graen et Uhl Bien, 1995), d’une autonomie plus grande, du soutien au niveau du
développement professionnel de l’employé, d’un élargissement des tâches,…
Le caractère unique de chaque dyade Leader-Membre
La théorie de l’ELM se base sur le double postulat selon lequel la relation qui
s’établit entre un subordonné et son superviseur serait à la fois constante et homogène.
Cette relation dyadique et personnalisée constitue notre niveau d’analyse et fait
référence, en particulier, à la qualité de la relation qui s’instaure et se développe entre
le leader (ou superviseur, ou supérieur hiérarchique direct) et son subordonné. Cette
relation, parce qu’individualisée, serait donc hétérogène avec l’ensemble des membres
de l’organisation. En fait, la théorie de l’ELM suggère que le supérieur hiérarchique ou
leader n’adopte pas le même style dans ses interactions avec les différents membres
de l’organisation, mais développe au contraire une relation différente et personnalisée
avec chacun de ses subordonnés. Dans ce sens, chaque dyade est unique puisque
chacun de ses membres a des ressources limitées propres, ces ressources échangées
variant selon les besoins du leader et les attentes de son subordonné.
De la même façon et simultanément, la qualité de cette relation, proprement
interindividuelle, va façonner et même modifier la perception par le salarié de ce qui se
trame « en haut », au niveau de l’organisation en général et de son supérieur
hiérarchique direct en particulier. La perception de ce qui se passe au niveau collectif
influence l’interindividuel en termes de relation dyadique entre le collaborateur et son
responsable. L’inter-individuel et l’intra-organisationnel sont en interaction !
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Selon Maslyn et Uhl-Bien (2001), la consolidation des échanges entre le
superviseur et son subordonné est une relation qui se construit en fonction des efforts
et des perceptions des deux membres de la dyade. En effet, le leader va ajuster son
comportement envers l’employé suite à ses perceptions et jugements. Ultimement c’est
le leader qui décide à quel employé et dans quelle proportion il attribuera les ressources
dont il dispose. Pour cette raison, la relation d’échange dans la dyade peut être de
bonne qualité - ELM élevé caractérisé par une influence réciproque (Graen et
Wakabayashi, 1994) - ou de mauvaise qualité - ELM faible caractérisé par une
influence beaucoup plus unidirectionnelle provenant du leader. Dans ce cas, l’échange
des ressources se limite davantage au rôle théorique tel qu’attendu dans le contrat
formel de travail (Dansereau, Graen et Haga, 1975). Selon Dansereau et al. (1975), les
employés développant une relation d’échanges positifs avec leur supérieur reçoivent
plus d’informations, d’échanges personnels et d’attention positive de la part de ce
dernier. Ils seront perçus par leur supérieur comme étant des membres plus fiables et
plus impliqués. Ils sont donc considérés ou se considérant comme faisant partie, de
façon implicite, d’un groupe privilégié. Par contre, les employés qui ne font pas partie de
ce groupe ont moins d’affinité avec leur supérieur et seront considérés comme moins
fiables et moins impliqués dans leur emploi.
Selon Graen et Uhl-Bien (1995), une relation entre un supérieur et son subordonné est
de nature tant transactionnelle que transformationnelle.
Les caractéristiques des leaders transformationnels et transactionnels
(Traduction libre de Bass, 1990).
Leader transactionnel
Récompense : Contrats d’échanges de récompenses/efforts.
Promet des récompenses pour une meilleure performance et reconnaît les réussites.
Gestion-par-exception (active) : Observe et tient compte des écarts par rapport aux
normes de l’organisation et corrige au besoin.
Gestion-par-exception (passive) : Intervient seulement lorsque les normes ne sont pas
respectées.
Laissez-faire : Renie toute responsabilité et évite de prendre des décisions.
Leader transformationnel
Charisme : Transmet une vision et un sens de la mission, inspire de la fierté, obtient le
respect et la confiance de ses employés.
Inspiration : Communique des attentes élevées (high expectations), utilise des
symboles pour concentrer l’effort et exprime les points importants de façon claire et
simple.
Stimulation intellectuelle : Encourage l’intelligence, la rationalité et la bonne résolution
de problèmes.
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Considération individuelle : Donne des conseils personnalisés, traite chaque employé
de façon individuelle et fait du coaching.
À ce titre, Hersey et Blanchard (1985), en établissant un modèle original de
leadership situationnel, font valoir que le style de leadership adopté par les cadres ou
supérieurs hiérarchiques est largement tributaire du degré de maturité du subordonné
ou du groupe dont ils sont le leader. Cette maturité est évaluée à partir des critères
suivants :
-Le besoin d’accomplissement et d’autoréalisation du subordonné (niveaux 4 et 5
de la pyramide de Maslow) ;
-Sa volonté à contribuer à l’atteinte des objectifs de l’organisation ;
-Sa compétence.
En utilisant cette théorie, les dirigeants devraient être en mesure de mettre l’accent non
seulement sur la nature de la tâche, mais également sur la qualité des relations avec
leurs subordonnés selon ce qui est nécessaire pour obtenir le travail désiré. En croisant
les deux variables comportement instrumental et comportement relationnel, Hersey et
Blanchard (1985) ont ainsi obtenu quatre styles majeurs de leadership.
Les quatre styles majeurs de leadership selon le modèle de Leadership
Situationnel de Hersey et Blanchard
(1985).
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Style de leadership 1 S1. Diriger. Les leaders dictent à leurs subordonnés exactement
ce qu’il faut faire et comment le faire.
Style de leadership 2 S2. Persuader. Les dirigeants fournissent (vendent) de
l’information et orientent leurs subordonnés. La communication est meilleure que dans
le cas S1.
Style de leadership 3 S3. Participer. Les leaders se concentrent davantage sur la
qualité de la relation et moins sur la direction. Le leader travaille avec l’équipe et il
partage ses responsabilités décisionnelles.
Style de leadership 4. S4. Déléguer. Les leaders transfèrent la plupart des
responsabilités à un groupe de subordonnés. Ils gardent toujours un œil sur les
progrès, mais ils sont moins impliqués dans les décisions.
Blanchard (1985) prévient qu’il faut réfléchir sur la maturité des individus au sein de
l’équipe avant que le leader n’adopte un style particulier. Il établit ainsi une classification
en quatre niveaux différents, faisant correspondre à chaque niveau de maturité un style
de leadership approprié.
Le style de leadership adopté selon le degré de maturité des subalternes (Hersey
et Blanchard, 1985).
À faible maturité, correspond le style directif S1 (Dicter et Diriger). À maturité moyenne
et compétences limitées, est associé le style persuasif S2 (Persuader, Coacher ou
Entraîner). À maturité moyenne et compétences plus élevés, est apparié un style de
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leadership participatif S3 (Participer et Soutenir), et enfin à haute maturité, il convient
d’adopter le style délégatif S4 (Déléguer).
2.2. L’ELM, un concept multidimensionnel
Le modèle à quatre dimensions de Liden et Maslyn (1998)
Selon les auteurs, l’ELM peut être opérationnalisé selon un modèle
unidimensionnel ou multidimensionnel. Cependant, une approche unidimensionnelle ne
permet pas de saisir la multiplicité des rôles du supérieur-leader et de son subordonné,
ainsi que la nature de leurs échanges au sein de l’organisation. Pour cette raison,
d’autres auteurs lui préfèrent une approche multidimensionnelle, permettant de
discriminer avec plus de précision la complexité des interactions entre le supérieur et
ses subordonnés. Dienesch et Liden (1986) ont été parmi les premiers auteurs à
développer une échelle de mesure multidimensionnelle afin d’apporter une clarté au
niveau théorique ainsi qu’une plus grande précision au niveau de la recherche
empirique. Ils ont catégorisé la théorie de l’ELM en trois dimensions, la dimension
affection, la dimension loyauté et la dimension contribution.
Plus tard et dans la même ligne de pensée, Liden et Maslyn (1998) ont proposé une
quatrième dimension, venue enrichir l’échelle de mesure développée par Dienesch et
Liden. Il s’agit de la dimension respect professionnel. Liden et Maslyn (1998) ont mis en
place une échelle à douze items pour mesurer la qualité des Échanges Leader-Membre
sur la base des quatre composantes de ce concept : l’affection (affect), la loyauté
(loyalty), la contribution (contribution) et le respect professionnel (professional respect).
L’affection
L’affection correspond aux interactions qui se mettent en place entre les
individus au travail et par lesquelles ils vont développer des liens d’amitié. En fait, cette
composante fait référence à l’affection mutuelle que ressentent les membres de la
dyade l’un envers l’autre et elle est principalement basée sur une compatibilité
interpersonnelle plutôt que sur le travail ou des valeurs professionnelles communes
(Liden et Maslyn, 1998).
La loyauté
La loyauté correspond au niveau jusqu’auquel les membres de la dyade sont
loyaux l’un envers l’autre et se matérialise concrètement par le témoignage de soutien
et de support (affectifs et/ou matériels) que chacun offre en public pour les actions et
les buts de l’autre membre de la dyade (Liden et Maslyn, 1998).
Il s’agira par exemple pour le leader de défendre le travail de son subordonné auprès
d’une autre personne en général ou d’un autre membre de l’organisation en particulier,
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sans obligatoirement connaître tous les détails du comment et du pourquoi du travail de
son employé. La loyauté va jouer un rôle déterminant dans le type de tâches et la
nature des fonctions que le leader va déléguer à son employé.
La contribution
Selon Graen et Scandura (1987), la notion de contribution met l’accent sur le rôle
de l’employé. Elle est relative au fait qu’un employé ait envie de fournir des efforts
supplémentaires, au delà de ce que stipule son contrat de travail formel, en réponse à
la qualité de sa relation avec son supérieur et dans le but de satisfaire ses collègues et
supérieurs hiérarchiques.
Le respect professionnel
Finalement, le respect professionnel est la perception du niveau auquel chaque
membre de la dyade a établi sa réputation, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’organisation,
comme expert dans son domaine (Liden, Sparrowe et Wayne, 1997), et ce en grande
partie à travers la qualité de sa relation et de son expérience personnelle avec l’autre
membre de la dyade.
3. LE LEADERSHIP ÉDUCATIF ET L’IMPLICATION DES PROFESSIONNELS AU
CŒUR DE LA POLÉMIQUE AU SEIN DES ÉTABLISSEMENTS SCOLAIRES
Aujourd’hui, l’entreprise moderne oppose hiérarchie et management. Une
hiérarchie est mandatée. De ce fait, elle a le devoir et le droit de commander (comandare: faire partager son mandat). Le manager, lui, ne fonde pas son activité sur un
droit, mais sur un savoir, sur une aptitude ou des qualités personnelles qui lui
permettent de diriger des équipes. Selon Rosabeth Moos Kanter, Professeur à Harvard,
ancienne directrice de la Harvard Business Review et comptant parmi les théoriciens du
management les plus connus, les bons managers doivent apprendre à agir sans
prendre appui sur la puissance de la hiérarchie. Rejetant le secours de l’autorité
formelle, ils puisent dans leurs fonds propres l’art de créer un réseau de relations,
d’exercer une influence et de travailler avec les autres pour parvenir à un résultat (Moos
Kanter, 1997). Dans son ouvrage The fonctions of the Executive, Chester Barnard
(1938) énonce le devoir incombant à la direction. Il revient à la direction de susciter et
de diffuser l’adhésion et la conformité à un code moral dans le cadre du travail en
entreprise. En fait, l’aspect le plus universellement reconnu de cette fonction consiste à
susciter et à maintenir le moral des troupes.
Le courant humaniste assigne aux cadres et à la direction la tâche de motiver le
personnel. L’enjeu consiste donc à faire coïncider les intérêts privés des acteurs du
système avec ceux de l’entreprise, dans l’objectif d’amener les employés à subordonner
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leurs intérêts personnels au bien de la collectivité, et ce, à travers les attitudes
fondamentales des dirigeants, qui ainsi sont appelés à exercer une influence
incontestable sur les attitudes et comportements de leurs employés.
La classification de Blanchard (Hersey et Blanchard, 1985) nous fournit les
éléments pertinents qui vont nous permettre d’appréhender et d’analyser les leviers de
la fidélité des enseignants au sein des établissements scolaires à travers la
compréhension de la construction des interactions et processus humains au sein cette
structure organisationnelle particulière. De par la nature de leur travail faisant appel à
des compétences spécialisées et au vu de la relation d’emploi qui s’établit entre le
superviseur leader et ses acteurs professionnels, gérer les enseignants implique
d’accorder le pouvoir d’action et le choix des méthodes à ces experts du centre
opérationnel. La bureaucratie scolaire doit aujourd’hui laisser la place à un
management de style participatif, faisant appel, selon Blanchard (1985), à la
participation active de chacune de ces personnes expérimentées et compétentes à
travers une ambiance de partage et de collaboration où la responsabilité est partagée. Il
s’agit, à travers un leadership exercé en communauté, de rompre les liens de
subordination en élaborant les plans en commun et en impliquant ces acteurs
professionnels dans les processus décisionnels.
3.1. Les établissements scolaires : Autonomie, identités et responsabilités
À ce stade, il s’agit de souligner que les établissements scolaires n’échappent
pas à la théorie de l’autonomie des institutions, de décentralisation des pouvoirs et des
décisions, pour atteindre des objectifs de qualité. Selon Scheerens et Maslowski (2008),
ces dix dernières années ont été marquées par la mise en œuvre de politiques de
décentralisation et de dérégulation à travers le monde entier, qui ont également touché
le domaine éducatif. L’école ne serait-elle envisagée que comme une organisation,
certes sociale, qui vise l’amélioration de sa performance globale en se basant, comme
les autres institutions, sur le développement et la valorisation de ses ressources
humaines ?
Depuis les années quatre-vingts, nous assistons à une vague de décentralisation qui
n’épargne pas les établissements scolaires. Les besoins de modernisation du système
administratif du secteur de l’éducation permettent d’étudier les établissements scolaires
en tant qu’organisations dotées d’une certaine autonomie. L’un des aspects de la
décentralisation du système éducatif implique la reconnaissance d’une certaine
autonomie, chez le chef d’établissement, pour atteindre des objectifs de qualité dans
une perspective d’évolution professionnelle du corps enseignant. La décentralisation du
système éducatif implique donc la reconnaissance, par la bureaucratie scolaire
centrale, d’une certaine autonomie non seulement dans l’organisation du travail et la
détermination du curriculum, mais également et surtout dans la Gestion de ses
14
Ressources Humaines. Il apparaît donc que le contexte de travail en général et le climat
organisationnel en particulier constituent des variables essentielles pouvant agir sur les
attitudes et comportements des enseignants, à travers les perceptions que se font ces
acteurs sur la façon dont ils sont traités par leur organisation.
Les établissements scolaires, de par leur configuration structurelle et la
localisation du pouvoir au sein du centre opérationnel, accordent une importance
capitale à la fidélité de leurs professionnels. Aujourd’hui, dans un objectif d’efficience, le
système bureaucratique scolaire cède la place à un management des établissements
scolaires, impliquant, selon une approche humaniste, l’application des relations
humaines au sein de l’organisation. De plus en plus, nous parlons de management des
établissements scolaires dans une perspective de gestion du capital humain.
Développées dans un environnement académique, ces structures professionnelles se
caractérisent par un management de style délégatif et parfois même participatif, qui
s’accompagne d’une décentralisation des pouvoirs au profit des professionnels du
centre opérationnel.
3.2. Les responsabilités des cadres superviseurs de la ligne hiérarchique
Le climat organisationnel serait ainsi essentiellement phénomène de perception,
basé sur l’agrégation des perceptions individuelles des membres de l’organisation. La
mise en commun de ces perceptions permettrait de mesurer le climat global de
l’organisation (Hoy et al., 1998 ; Brunet et Savoie, 1999 ; Brunet, 2001 ; Sweetland et
Hoy, 2000). Dans un établissement scolaire, le climat pourrait donc se définir comme la
perception entretenue par le personnel en général, et par les enseignants en particulier
sur la façon dont ils sont traités. Pour Brunet et Savoie (1999), ce sont les acteurs à
l’intérieur d’un système qui font de l’organisation ce qu’elle est. Il devient alors important
de comprendre comment ceux-ci perçoivent leur environnement de travail, perception
qui sera en majeure partie conditionnée par les qualités de leadership du cadre
superviseur.
Des cadres exerçant un leadership professionnel plus qu’un contrôle
bureaucratique
La professionnalisation du métier d’enseignant ne fait pas disparaître les
fonctions d’encadrement, en particulier celles du chef d’établissement et des cadres de
la ligne hiérarchique. La qualité du système éducatif passe par la qualité de
l’encadrement. Il serait désastreux que cet encadrement soit le maillon faible de la
chaîne. Ainsi, la qualité des interactions va dépendre de la qualité de l’encadrement,
qui se matérialise par le leadership exercé par les cadres de la ligne hiérarchique.
Le leadership du cadre superviseur de la ligne hiérarchique
15
Avec les nombreuses politiques de décentralisation qui n’ont pas épargné le
secteur de l’éducation, il apparaît, au sein des établissements scolaires, la création de
nouvelles fonctions intermédiaires entre l’équipe de direction et les enseignants. Ces
cadres de la ligne hiérarchique, ou superviseurs, sont appelés à jouer un rôle
prépondérant dans la perception qu’ont les enseignants de leur environnement de
travail et, par conséquent, sur leur volonté de rester fidèle à l’organisation.
Vu la configuration structurelle particulière des établissements scolaires et au regard de
la relation d’emploi particulière qui se tisse entre les différents acteurs, jouer le rôle d’un
chef devrait consister à exercer un leadership professionnel plutôt qu’une autorité
bureaucratique (Bouvier, 1994). Pour Alain Bouvier (2001), l’une des exigences de
qualité dans le système éducatif serait basée sur le développement du leadership. À ce
titre, l’analyse de Mintzberg (2003) met en exergue le rôle du leader qui exerce son
leadership de façon non à forcer l’obéissance, mais à inspirer la performance chez
l’enseignant ; ainsi le cadre superviseur s’acquitte de son leadership à la fois par des
tâches relationnelles (qualité des échanges avec les acteurs professionnels) et par des
tâches orientées vers le travail.
Le leadership éducatif suppose une supervision pédagogique fondée sur
l’animation et la motivation, qui vont reposer en grande partie sur les moyens d’impliquer
et de retenir les acteurs du centre opérationnel. Nous avons davantage besoin de maîtres
à penser, ou de gens qui inspirent, que de maîtres à diriger ou de personnes qui
surveillent. Comme d’autres professionnels, les enseignants n’ont pas besoin de plus
d’autonomie ou de compétences. Ils sont déjà en confiance sur ce qu’ils savent et
peuvent faire. La conception bureaucratique scolaire traditionnelle s’efface au profit d’un
leadership qui consiste à motiver et animer les acteurs du système, de qui dépendent
l’évolution et le perfectionnement professionnels. À ce stade, il appartient aux membres
de la Direction ou de la ligne hiérarchique (cadres ou supérieurs hiérarchiques) de
motiver et d’animer leur équipe dans le sens d’un leadership pouvant aboutir à une
meilleure contribution, une plus grande implication des acteurs à la performance
organisationnelle et à l’innovation permanente des savoirs.
Le management de ces experts recouvre donc une double approche: d’abord par
les structures, puis par les attitudes. L’approche par les structures implique une
décentralisation des pouvoirs et des processus décisionnels, visant une amélioration
continue du perfectionnement professionnel et personnel. À partir du moment où
l’établissement scolaire est considéré comme le cadre privilégié de la transformation
des pratiques (Perrenoud, 1996), il appartient aux enseignants, experts dans leur
domaine, de donner l’impulsion aux transformations, améliorations et
perfectionnements des processus d’enseignements-apprentissages, à travers la
reconnaissance et la valorisation de leurs compétences et expertises professionnelles.
16
Concernant l’approche par les attitudes, il s’agit d’instituer une véritable formation à
l’implication et à la motivation à travers la responsabilisation, la délégation de pouvoir,
le degré d’autonomie, la mise à disposition de ressources matérielles (rémunération,
formation,…) et immatérielles (support psychologique, avantages sociaux,…). L’objectif
serait de mobiliser les acteurs de l’organisation en les impliquant dans l’atteinte des
buts que l’entreprise s’est fixée, tout en développant le sentiment d’appartenance et
d’accomplissement de l’individu. En fait, il ne s’agit pas seulement d’une réalisation
personnelle, mais bien d’une réalisation personnelle dans le cadre d’un projet commun.
Cette approche permet, tout en tenant compte de l’individuel, de passer au collectif. Ce
mode d’animation et de conduite des acteurs va susciter leur engagement et leur
contribution à l’innovation permanente et au progrès des performances personnelles et
organisationnelles. Il s’agit en fait de donner un sens au travail et à l’engagement de
chacun.
La conduite et la gestion des professionnels du système éducatif réclament donc pour
leur mise en œuvre une formation aux modèles et techniques de management adaptés
à la structure organisationnelle spécifique à laquelle se rattache l’établissement
scolaire, et dont le chef d’établissement en général et le supérieur hiérarchique en
particulier ont la charge. Cette formation inclut la compréhension du fonctionnement du
sujet au travail et de la dynamique du ou des groupes dont il fait partie. Le manageréducateur ou leader devrait avoir pour objectif de créer les conditions pour que son
équipe soit impliquée et à cette fin. Il lui faut passer d’une logique d’autorité et
d’obéissance à une logique d’interactivités et d’échanges avec les membres du centre
opérationnel. La bureaucratie centrale scolaire a compris que l’efficacité du système ne
dépend pas seulement des qualités intrinsèques des objectifs, programmes, procédures
et moyens, mais de la faculté des acteurs du terrain à leur donner du sens, à y adhérer
et surtout à s’y impliquer.
CONCLUSION
Dans les établissements scolaires, l’implication organisationnelle est en grande
partie dépendante de la qualité des relations qui s’établissent entre les experts, acteurs
du centre opérationnel, avec les cadres de la ligne hiérarchique, appelés à exercer,
selon Bouvier (1994), un rôle de leadership professionnel plus qu’un contrôle
bureaucratique. Il appartient à ces cadres de la ligne hiérarchique de jouer ce rôle de
leadership dans le but d’impulser, de motiver et d’impliquer ces acteurs professionnels,
de qui dépend la qualité de ce service énorme que représente l’enseignement.
Cette opposition entre la caractéristique bureaucratique et la caractéristique
professionnelle aboutit à l’affaiblissement de la fonction direction au profit d’un
leadership exercé en communauté. En fait, la notion de leadership éducatif s’est peu à
17
peu imposée pour caractériser la création de nouvelles fonctions intermédiaires
entre l’équipe de direction et les enseignants dans le domaine éducatif en général et
dans les établissements scolaires en particulier. Cette orientation a été mise en œuvre
dans les pays anglo-saxons depuis plus d’une dizaine d’années et a généré une masse
critique de travaux analysant les effets de ce nouveau management.
À ce jour, les données de la littérature suggèrent que les mécanismes
bureaucratiques sont totalement inadaptés pour réguler les attitudes et comportements
des enseignants. Le leadership éducatif donc nécessite la mise en place d’outils
ou leviers spécifiques, adaptés à la configuration structurelle particulière qui
caractérise les établissements scolaires. Notre recherche met en exergue une
nouvelle répartition du pouvoir et des responsabilités, répartition qui valorise le rôle
des cadres superviseurs au sein des établissements scolaires. Dans la même veine des
travaux de Drucker (1999), nous remettons ainsi en cause le postulat traditionnel selon
lequel les employés sont des subordonnés pour les considérer comme des associés et
des collaborateurs qu’il faut gérer comme s’ils étaient volontaires.
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