Guerre mondiale, Deuxième

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Guerre mondiale, Deuxième
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06/05/2015 |
Guerre mondiale, Deuxième
La Deuxième Guerre mondiale, le conflit le plus sanglant de l'histoire (plus de 50 millions de morts, dont la
moitié de civils), trouve son origine dans les traités de paix de 1919 (traité de Versailles), dans l'impérialisme
mussolinien lié à la frustration de l'Italie et dans la situation économique et sociale due à la crise économique
mondiale. Dès l'arrivée d'Hitler à la chancellerie en 1933, l'Allemagne se prépara à la guerre, qui devait lui
assurer la domination sur l'Europe, lui fournir un espace vital à l'est et imposer la supériorité de la race
aryenne. La Société des Nations et les démocraties, faibles devant les Etats totalitaires (Fascisme, Nationalsocialisme), ne purent empêcher ni le rattachement de l'Autriche à l'Allemagne (Anschluss), ni la crise
tchèque (conférence de Munich) en 1938, ni l'invasion de la Tchécoslovaquie en mars 1939, ni celle de la
Pologne le 1er septembre 1939, qui marque le début du conflit.
L'entrée en guerre de l'Italie le 10 juin 1940, la défaite de la France en juin et l'occupation de la zone Nord par
l'Allemagne amenèrent l'encerclement quasi total de la Suisse par les puissances de l'Axe, complet en
automne 1942 après l'invasion de la zone Sud. Epargnée militairement, la Suisse, l'un des rares Etats de droit
démocratiques fonctionnant encore sur le continent, vécut toutefois ces années sous le régime des pleins
pouvoirs. L'armée fut mobilisée, ce qui marqua durablement les esprits, la génération concernée se désignant
elle-même par "génération de la mob" (Mobilisation). La neutralité, solennellement réaffirmée, dut souffrir des
accommodements dans le domaine économique.
De mai 1940 au printemps 1942, les puissances totalitaires (Axe Rome-Berlin et Japon) menèrent le jeu, sans
totalement le gagner, puisque la bataille d'Angleterre (été 1940) et la campagne de Russie, lancée en juin
1941, ne donnèrent pas la rapide victoire allemande escomptée et que les Etats-Unis, jusque là neutres,
entrèrent en guerre en décembre 1941 après l'attaque japonaise sur Pearl Harbor. Dès l'été 1942, les Alliés
(Angleterre et Commonwealth, URSS, Etats-Unis, France libre et Chine) reprirent l'avantage sur tous les fronts
(Russie, Pacifique, Afrique du Nord). Après le débarquement en Normandie (6 juin 1944), la guerre se
rapprocha à nouveau de la Suisse, l'encerclement étant brisé en août 1944 avec l'arrivée des troupes
américaines à la frontière ouest. La capitulation allemande (8 mai 1945, communément mais faussement
appelée armistice) marqua la fin de la guerre en Europe. La Suisse ne retrouva une situation normale qu'avec
la fin totale du rationnement (1948) et le retour complet à la démocratie directe en 1949.
Auteur(e): La rédaction
1 - Aspects militaires
1.1 - La première mobilisation générale
En août 1939, la guerre paraissait inévitable, surtout après la signature le 23 août du pacte de non-agression
germano-soviétique. Avant même le 1er septembre (début de l'invasion allemande en Pologne), la Suisse
mobilisa ses brigades frontières ainsi qu'une partie de ses forces aériennes et de ses troupes de défense
contre avions. Le 30 août, l'Assemblée fédérale élut Henri Guisan général et Jakob Labhart chef de l'étatmajor général (Haut commandement). Le Conseil fédéral décréta la mobilisation générale (Service actif).
La Grande-Bretagne et la France déclarèrent la guerre à l'Allemagne le 3 septembre. Six ou sept divisions
françaises étaient stationnées à la frontière suisse et l'état-major ne pouvait pas exclure que les Alliés ne les
lancent à travers la Suisse dans une attaque de diversion contre le sud de l'Allemagne presque vide de
troupes. L'armée suisse déploya donc dès le soir du 4 septembre des divisions pour couvrir les régions
frontalières. Après la défaite de la Pologne (début octobre), la Wehrmacht amena ses effectifs sur le front
ouest; on attendait une offensive contre la France à la fin d'octobre. Mais l'hiver 1939-1940 se passa sans
action d'envergure (période dite de la "drôle de guerre").
Le général Guisan fit aménager et renforcer une ligne de défense contre l'Allemagne sur la Limmat. A la fin de
novembre 1939 seulement, on commença à réduire les effectifs mobilisés. A la suite d'un conflit avec Jakob
Labhart sur les positions de l'armée, Guisan confia le poste de chef d'état-major, le 26 mars 1940, à Jakob
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Huber. Avec l'aval du conseiller fédéral Rudolf Minger, chef du Département militaire, il prépara une
éventuelle collaboration avec l'armée française en cas d'invasion allemande. Les discussions furent menées
secrètement par des officiers de liaison. Après la débâcle française, les Allemands découvriront à Dijon (et
non à La Charité-sur-Loire comme affirmé communément) les documents relatifs à ces tractations, peu
compatibles avec la neutralité.
Auteur(e): Hans Senn / PM
1.2 - La deuxième mobilisation générale
Le 10 mai 1940, Hitler lança l'offensive contre la France, la Belgique, la Hollande et le Luxembourg. Le
lendemain, tous les hommes démobilisés se trouvèrent à nouveau sous les drapeaux. Le commandement
suisse craignait que la Wehrmacht ne contourne la ligne Maginot par le sud, par la Suisse. Après la guerre, il
s'avéra que le service de renseignement avait été trompé sur ce point par une manœuvre allemande de
diversion.
En juin, le théâtre des combats se rapprocha de la frontière ouest; Guisan transféra des troupes de la Limmat
vers le Jura, entre Genève et Bâle. L'armée protégeait le territoire national de tous côtés, mais dans ce
dispositif étiré, elle n'aurait pas pu offrir une longue résistance contre une attaque massive. Au milieu de juin,
la place de Belfort fut attaquée par la 7e armée allemande qui avait franchi le Rhin et par les chars de Heinz
Guderian débouchant du plateau de Langres. Le 45e corps français, qui la défendait, fut débordé et acculé à la
frontière suisse; 43 000 hommes furent internés.
A l'entrée en vigueur de l'armistice franco-allemand (22 juin 1940), la Suisse était entièrement encerclée par
les puissances de l'Axe, à l'exception d'une petite partie de la rive du Léman. Irrité par la perte de onze
avions allemands, abattus par l'armée suisse sur territoire suisse, Hitler avait mis à l'étude le 23 juin un plan
d'attaque (baptisé en octobre 1940 opération Tannenbaum) et ordonné à la 12e armée du général-feldmaréchal Wilhelm List de marcher vers la frontière du Jura. Ce plan prévoyait que le gros de l'armée suisse
serait défait sur le Plateau, pendant que des forces italiennes s'empareraient des régions alpines. Sa
réalisation fut retardée d'abord par des divergences entre Hitler et Mussolini sur le partage de la proie, puis
parce que le Führer eut d'autres préoccupations (bataille d'Angleterre, projets de conquête d'"espace vital" à
l'est).
Le Conseil fédéral et le général étaient d'avis que Hitler n'avait plus besoin, après la défaite de la France,
d'attaquer la Suisse encerclée, puisqu'il lui suffisait d'exercer des pressions politiques et économiques. On
démobilisa donc les soldats les plus âgés le 6 juillet. Au milieu de juillet, Guisan adopta un nouveau dispositif
stratégique, fondé sur trois éléments: la couverture des frontières, la résistance dans le Jura et sur le Plateau,
destinée à gagner du temps, et la défense de l'espace central, liée à la menace de détruire les passages
alpins en cas d'agression. Il présenta ses décisions aux officiers réunis le 25 juillet 1940 pour le rapport du
Grütli. Au commencement d'août, il mit en place un tournus qui maintenait en permanence environ 120 000
hommes sous les drapeaux.
Auteur(e): Hans Senn / PM
1.3 - Tenir bon
En mai 1941, le réduit national ayant été suffisamment garni de provisions pour les troupes et la population,
Guisan y concentra le gros de l'armée (une moitié s'y trouvait déjà). Le commandement considérait les
passages alpins comme son principal atout dans sa stratégie de dissuasion envers les puissances de l'Axe; il
prépara donc avec un soin particulier leur éventuelle destruction (minage des tunnels ferroviaires: 2043
charges explosives étaient en place à la fin de 1941).
L'intervention allemande en Afrique du Nord et le début de la campagne contre la Russie en juin 1941
rendirent la situation de la Suisse moins critique, car la Wehrmacht aurait eu de la peine à rassembler les
troupes nécessaires à une invasion. Après les défaites allemandes en Afrique (novembre 1942) et à Stalingrad
(février 1943), suivies du débarquement allié en Italie, les SS conçurent un plan de défense de la "forteresse
Europe" dans lequel la Suisse était censée jouer un rôle important. Cela aboutit à l'"alarme de mars" 1943 et
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à la fausse annonce par le service de renseignement d'une attaque imminente contre la Suisse.
En 1944, les Alliés débarquèrent en Normandie et en Provence; le théâtre des opérations se rapprocha de
nouveau de la Suisse. Il y eut des violations de la frontière occidentale en automne 1944, quand la 7e armée
américaine s'approcha de Belfort où les Allemands s'étaient retranchés. Au printemps 1945, il fallut défendre
la frontière nord, lorsque de Lattre de Tassigny passa le Rhin près de Bâle avec son armée et pénétra en
Allemagne du Sud.
Du côté de l'Italie aussi, les combats (qui avaient commencé en Sicile en été 1943) atteignaient les régions
proches de la Suisse. La chute de Mussolini, l'arrivée de milliers de réfugiés italiens, les actions des partisans,
qui proclamèrent notamment en septembre 1944 une République de l'Ossola (jusqu'en octobre 1944)
exigeaient une forte présence militaire. La capitulation des troupes allemandes stationnées en Italie (2 mai
1945) fut l'aboutissement de négociations menées en Suisse sous la médiation du major Max Waibel
(opération Sunrise, mars-avril 1945). La guerre se termina en Europe par la capitulation de l'Allemagne le 8
mai 1945. Le service actif se prolongea jusqu'au 20 août 1945, pour des travaux de déblaiement.
Auteur(e): Hans Senn / PM
1.4 - L'armement et les troupes
Au début de la guerre, l'armement suisse était déficient. L'artillerie manquait d'armes lourdes. L'armée
comptait seulement vingt-quatre blindés légers en 1939, les forces aériennes ne disposaient que d'appareils
vieillis, mis à part trente-huit Messerschmitt et deux Morane. L'aménagement de tranchées était censé
compenser les lacunes de l'armement (Fortifications). L'armée n'avait guère de réserves de matières
premières et autres matériaux; il fallut les constituer pendant le conflit, au prix fort. Jusqu'à l'entrée en guerre
de l'Italie (juin 1940), on put importer par les ports de ce pays des matières premières nécessaires à la
fabrication en Suisse de matériel militaire. Entre 1939 et 1945, l'équipement de l'armée suisse passa de 898
pièces antichars à 5974, de 36 canons antiaériens légers à 3365, de 8 canons antiaériens lourds à 274, de
216 avions à 530. Mais, en dépit de ces améliorations, des lacunes subsistèrent jusqu'à la fin de la guerre,
faute d'usines et de métal.
Le nombre des hommes mobilisés était de 430 000 en août 1939, de 450 000 en mai 1940. Il fut réduit dans
l'intervalle (220 000 en avril 1940) et se maintint ensuite à une moyenne de 120 000 hommes. On créa en
avril 1940 le service complémentaire féminin (Service féminin de l'armée (SFA)), dont les membres
volontaires (15 000 à la fin de 1940) assumaient des tâches à l'arrière. En outre, 127 000 hommes âgés et
très jeunes gens faisaient partie des gardes locales en janvier 1941.
Si la troupe garda bon moral pendant les premiers mois, on put ensuite constater des signes de fatigue, bien
que le service ne fût plus fondé comme pendant la Première Guerre sur le seul drill. La volonté de défense
diminua, dans la mesure où une attaque contre la Suisse devenait moins vraisemblable. Le retrait dans le
réduit, dès l'été 1940, présenté à l'opinion suisse et étrangère comme un acte de résistance, fut un
soulagement pour l'armée, car la défense de la forteresse alpine demandait moins de troupes que la
couverture des frontières. On introduisit alors un système de permissions qui, sans démobiliser les unités,
libérait un certain pourcentage des effectifs, afin de rendre à l'agriculture et à l'industrie la main-d'œuvre qui
leur manquait.
Auteur(e): Hans Senn / PM
1.5 - La Suisse touchée par des actes de guerre
Après la défaite française de juin 1940, la Suisse se trouva durant plus de quatre ans éloignée des opérations
militaires. Mais elle ne fut pas totalement épargnée. La guerre aérienne à outrance que les Anglais et les
Américains menèrent contre l'Allemagne et l'Italie dès août 1940 se traduisit par de fréquentes violations de
l'espace aérien suisse (6501 cas). Seize appareils furent abattus par les forces aériennes suisses et neuf par
la défense contre avions, 191 durent atterrir d'urgence et 56 s'écrasèrent. La Suisse introduisit
l'obscurcissement en novembre 1940. Elle subit septante-sept bombardements, qui firent au total quatrevingt-quatre morts; le cas le plus grave se produisit à Schaffhouse le 1er avril 1944 (quarante morts, plus de
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cent blessés, destruction de biens culturels). Les Alliés versèrent des dédommagements pour les dégâts
causés par leurs bombes.
La Suisse neutre fut aussi une plaque tournante idéale pour les espions de tous les pays belligérants. A Berne,
Allan W. Dulles dirigeait le centre collecteur d'informations du service secret des Etats-Unis pour l'Allemagne,
la France et l'Italie. La Suisse abritait en outre des services de renseignement anglais, français, italiens et
même chinois et japonais.
Auteur(e): Hans Senn / PM
2 - Politique étrangère
Le secteur économique, zone grise mal délimitée par les obligations de la politique de neutralité réaffirmée
par le Conseil fédéral le 31 août 1939, joua un rôle central dans les relations extérieures de la Suisse pendant
la guerre. Le successeur de Giuseppe Motta à la tête du Département politique (DPF, auj. Affaires étrangères)
dès mars 1940, le radical Marcel Pilet-Golaz, n'exerça qu'un rôle marginal en la matière, si l'on excepte
quelques interventions à des moments importants, comme en juin 1940, pour recommander, au nom du
réalisme, des concessions financières en faveur du Reich. Le premier rôle revint à la délégation permanente
pour les négociations économiques avec l'étranger, composée de Heinrich Homberger du Vorort et de Jean
Hotz de la Division du commerce, mais où l'on trouvait aussi le spécialiste financier du DPF, Robert Kohli. Ce
dernier prit en outre dès novembre 1941 la direction d'une importante section du DPF chargée de protéger les
intérêts suisses à l'étranger, qui développa avec le temps une véritable diplomatie financière.
Lors de la grave crise de l'été 1940, Pilet-Golaz adopta une tactique de "profil bas" au nom de la Realpolitik,
mais le discours radiodiffusé du 25 juin, qu'il prononça en tant que président de la Confédération, sema le
trouble dans l'opinion à cause de ses passages ambigus, impression accentuée dans la version allemande du
texte. Pilet-Golaz n'alla toutefois pas aussi loin que l'aurait souhaité le ministre de Suisse à Berlin, Hans
Frölicher. Le 10 juin, celui-ci écrivait à Pilet-Golaz que la politique de neutralité de la Suisse devait désormais
s'appuyer sur l'amitié de l'Allemagne et de l'Italie et proposait comme premier pas la rupture rapide de tout
lien avec la SdN, proposition relayée à l'automne dans la célèbre Pétition des 200. Tout en se refusant à une
décision aussi radicale, le Conseil fédéral n'en décida pas moins de cesser dès 1941 le versement de la
contribution annuelle à la SdN et de limiter au strict minimum les relations avec son secrétariat à Genève.
Quant à Frölicher, il proposa après le début de l'opération Barbarossa (juin 1941) l'envoi de missions
sanitaires suisses sur le front allemand de l'Est. En août 1940, estimant que l'action de Frölicher n'était pas
assez efficace, le général Guisan prit l'initiative de proposer au Conseil fédéral l'envoi à Berlin en mission
extraordinaire d'un «homme nouveau» en la personne de Carl Jakob Burckhardt, ce qui outrepassait ses
compétences. Le chef de l'armée renouvela en vain sa proposition en novembre 1940.
Une des règles suivies dès septembre 1939 par la Suisse au nom de la neutralité consista à ne pas
reconnaître les Etats et les régimes nouveaux nés de la guerre, mais à conserver les relations établies avec
les Etats existant à la veille du conflit. Ainsi, malgré la disparition de l'Etat polonais en septembre 1939, le
DPF poursuivit ses relations avec la légation de Pologne à Berne, ce que Berlin considéra comme un acte
inamical. Il en alla de même avec la Belgique et la Yougoslavie.
Du côté de l'Axe, les relations avec l'Italie connurent une crise assez sérieuse en janvier 1942, lorsque Rome
demanda et obtint de Pilet-Golaz le rappel du ministre Paul Ruegger, qui s'était vivement opposé à l'octroi
d'un nouveau crédit à l'Italie. Ce n'est qu'en novembre 1942 qu'un nouveau ministre fut nommé à Rome en la
personne du banquier Peter Vieli, signataire de la Pétition des 200 et fortement recommandé par les milieux
économiques. Vieli fut rappelé en Suisse après l'armistice du 8 septembre 1943. Le gouvernement de la
Repubblica sociale italiana, dite République de Salò, fondée au nord par Mussolini sous la protection
allemande, ne fut pas reconnu de jure par Berne, suivant la règle mentionnée plus haut, mais des relations de
facto furent nouées avec un délégué commercial admis en Suisse.
En France, le ministre Walter Stucki, nommé à Paris en 1938, continua de représenter la Suisse à Vichy
jusqu'à la fin du régime de Pétain en août 1944. Depuis l'été 1943, le DPF avait noué des contacts discrets
avec les représentants de la France libre à Alger, mais ce ne fut que le 31 octobre 1944, immédiatement
après la décision analogue des Alliés, que Berne reconnut le gouvernement provisoire formé par le général de
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Gaulle. Les nouvelles autorités françaises opposant leur veto au retour de Stucki à Paris (il fallait marquer une
coupure avec Vichy), le poste fut finalement occupé dès mai 1945 par Carl Jakob Burckhardt.
Avec les Alliés, les relations entre la Suisse et Londres souffrirent notamment de l'incompréhension du monde
anglo-saxon qu'on constate chez Pilet-Golaz, qui se piquait pourtant de rapports cordiaux avec les
représentants anglais à Berne, en particulier David Kelly. En décembre 1943, après le retour en Suisse du
ministre à Londres, Walter Thurnheer, Pilet-Golaz attendra plusieurs mois avant de désigner un nouveau
titulaire, Paul Ruegger, pour un poste stratégiquement aussi important que celui de la capitale britannique.
Face à la méfiance croissante de l'administration Roosevelt à l'égard de la neutralité de la Suisse et au rôle de
ses banques, Pilet-Golaz proposa en juin 1941 l'envoi d'une mission extraordinaire confiée à l'industriel Hans
Sulzer (déjà envoyé en 1917 auprès de Wilson), mais le projet fut abandonné après la décision de Washington
de "geler" les capitaux suisses. Après l'entrée en guerre des Etats-Unis, les relations se détériorèrent pour
devenir tendues en 1944-1945.
Dans le domaine des bons offices ou de la neutralité active, la Suisse joua un rôle important comme
puissance protectrice: dès le début de la guerre, le DPF se chargea de la protection des intérêts allemands
dans l'empire britannique et, après l'entrée en guerre des Etats-Unis en décembre 1941, il reprit tous les
mandats de protection dont s'étaient chargés jusque là les diplomates américains. Les intérêts de plus de
trente-cinq pays furent défendus par la Suisse, dont ceux de toutes les grandes puissances, à l'exception de
l'Union soviétique. C'est là un aspect souvent sous-estimé de la politique étrangère helvétique, qui a dû jouer
un rôle positif dans la phase finale de la guerre, notamment dans les relations avec Londres et Washington.
En 1944, Pilet-Golaz essuya un grave échec dans sa tentative de nouer des relations avec l'Union soviétique.
Un premier pas en direction de Moscou avait été fait en février 1941, lorsque Berne avait signé un accord
commercial avec les Soviétiques, mais les relations avaient été interrompues unilatéralement par les Suisses
après juin 1941. A l'été 1944, c'est Paul Ruegger, ministre à Londres, qui fut chargé par Pilet-Golaz de prendre
contact avec l'ambassade soviétique en Grande-Bretagne. La demande officielle formulée le 13 octobre
s'attira le 1er novembre un sec refus de Staline, qui accusa le gouvernement suisse d'avoir suivi pendant de
longues années une politique profasciste à l'égard de l'URSS. Ce refus entraîna la démission presque
immédiate de Pilet-Golaz, le 7 novembre. Le radical Max Petitpierre, élu au Conseil fédéral en décembre,
assuma donc la responsabilité de la diplomatie suisse pendant les derniers mois de la guerre et l'aprèsguerre, périodes marquées par des négociations difficiles avec les Alliés (accord de Washington).
Auteur(e): Mauro Cerutti
3 - Politique intérieure
Dans un contexte caractérisé par le primat de la politique étrangère et de la défense militaire, les principales
préoccupations sur le plan intérieur étaient liées à la politique sociale, à l'emploi et périodiquement à des
questions économiques, telle celle de l'approvisionnement alimentaire.
Le 30 août 1939, le Conseil fédéral se fit attribuer les pleins pouvoirs, ce qui lui permettait de prendre des
décisions sans base constitutionnelle. Il promulguera au cours de la guerre plus de 500 arrêtés, la plupart sur
des objets de politique économique, en vertu de ce droit d'urgence dont l'instauration s'inscrivait dans une
tendance générale à revaloriser l'autorité du gouvernement et à minimiser celle du Parlement.
Paradoxalement, loin de renforcer l'exécutif, les pleins pouvoirs eurent plutôt pour effet de l'affaiblir, en le
plaçant sous la pression directe, hors relais législatif, des groupes d'intérêt. En revanche, ils consolidèrent la
position de la Confédération, aux dépens des cantons.
L'antiparlementarisme, typique de l'époque, faisait que les partis n'étaient guère respectés. On tenta de
limiter les compétences du Parlement à travers différents projets de réforme. La Ligue du Gothard, fondée en
juin 1940, prônait une démocratie autoritaire pour une Suisse unitaire (Frontisme). Une initiative populaire
déposée en mars 1941 proposa de réduire quasiment de moitié le nombre des conseillers nationaux; elle fut
clairement rejetée en mai 1942. Les rapports de force entre les partis restèrent assez stables. Les formations
extrémistes, tant à gauche (Parti communiste (PC)) qu'à droite (Mouvement national suisse), furent interdites
en novembre 1940.
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Les élections fédérales de l'automne 1939 se tinrent sous le signe de la ferveur nationale. Dans huit cantons
et demi, elles se déroulèrent tacitement. Un cinquième seulement des élus étaient de nouveaux venus. Le
Conseil fédéral se composa jusqu'en 1943 de quatre radicaux, deux conservateurs et un PAB. Une initiative
populaire proposant l'élection du Conseil fédéral par le peuple, lancée par le PS qui pensait par ce moyen y
conquérir sa place, fut refusée à deux contre un en janvier 1942. En automne 1943, la proportion des
nouveaux parlementaires (37%) s'avéra conforme aux valeurs moyennes; les socialistes progressèrent, car ils
bénéficiaient du mécontentement croissant contre la politique du gouvernement, dont ils ne faisaient pas
encore partie. En décembre 1943, la majorité bourgeoise de l'Assemblée fédérale élargit le système de
concordance à la gauche en élisant pour la première fois un socialiste au Conseil fédéral, en la personne
d'Ernst Nobs.
Le gouvernement ne parvint pas à faire accepter le seul texte qu'il dut soumettre au peuple (à la suite d'un
référendum, décembre 1940), prévoyant une instruction militaire préparatoire obligatoire pour les jeunes
gens de 16 à 19 ans. Un réflexe anticentraliste eut raison de ce projet, malgré la gravité de la situation. On
n'osa pas faire voter les citoyens au sujet de l'impôt sur le revenu (introduit ensuite en vertu des pleins
pouvoirs), le Conseil fédéral et le Parlement jugeant peu opportun d'organiser en ces temps difficiles un tel
scrutin, pourtant annoncé pour le 2 juin 1940.
La presse était soumise à la censure répressive (après publication), visant davantage à ménager les
susceptibilités étrangères qu'à mener une répression intérieure. Officiellement, l'Etat n'exigeait pas la
neutralité morale; pratiquement, il demandait une certaine retenue dans les prises de position face aux
événements internationaux. Il ne fallait ni critiquer l'armée, ni discuter la neutralité, ni porter atteinte à
l'honneur du gouvernement. Les journaux contrevenant aux directives générales et recommandations
particulières étaient sanctionnés, mais les mesures légères avaient peu d'effet et les sanctions graves étaient
rarement appliquées, par scrupule démocratique. Tout compte fait, on sut généralement garder la mesure, de
part et d'autre. La presse avait le soutien de la population, dans sa grande majorité hostile aux puissances de
l'Axe.
La démocratie survécut, même si ce fut avec des limitations, au milieu d'une Europe en proie à la guerre et
au totalitarisme. Deux initiatives furent déposées en 1941, deux en 1942 (protection de la famille et
assurance vieillesse), trois en 1943 (droit au travail, droits du travail, mesures contre la spéculation): le
tournant de la guerre ravivait l'intérêt pour la politique intérieure et sociale.
En imposant le rationnement des denrées alimentaires, le Conseil fédéral garantit un approvisionnement
minimal indépendant du pouvoir d'achat. En janvier 1940, il introduisit pour les hommes mobilisés les
allocations pour perte de gain, financées par un système mixte: employés et employeurs payaient chacun
une cotisation de 2% du salaire, les pouvoirs publics mettaient à disposition un montant équivalent (la
Confédération pour deux tiers, les cantons pour un tiers).
Le régime de l'économie de guerre, entré en vigueur en septembre 1939, se traduisit par un contrôle des prix
dans le commerce de gros et de détail, dans le domaine des loyers et fermages, ainsi que pour le gaz et
l'électricité. Les prix devaient être affichés, sous peine de fermeture forcée. Malgré cela, on ne put empêcher
les hausses: l'indice des prix à la consommation passa de 100 en 1938 à 146 en 1942 et à 152 en 1945.
L'adaptation des salaires ne suivit pas le même rythme, il y eut donc baisse de leur niveau réel (Politique des
prix et des salaires). Le gouvernement ne voulait pas d'une compensation complète du renchérissement, car
une hausse des salaires dans un contexte d'offre constante (et limitée) aurait alimenté l'inflation qui rognait
le pouvoir d'achat des couches économiquement faibles.
Sur le plan fiscal, la Confédération suivit une politique de redistribution: elle perçut un impôt sur les bénéfices
de guerre ponctionnant jusqu'à 70% de ce type de gains, un impôt sur la fortune "au titre de sacrifice pour la
défense nationale" qui, en deux fois, rapporta plus de 600 millions de francs, enfin un impôt sur le luxe. Elle
introduisit en 1941 l'impôt de défense nationale (sur le revenu), au taux fortement progressif (Impôt fédéral
direct).
Le chômage, dont le taux avait culminé en 1936 à 5% de la population active (93 000 personnes), était en
régression quand la guerre éclata (28 000 chômeurs en été 1939), puis continua de diminuer durant le conflit,
même si l'on craignait encore en été 1940 qu'il ne resurgisse rapidement. On en arriva même à une pénurie
de main-d'œuvre, ce qui amena l'armée, l'industrie d'exportation et l'agriculture à se disputer les forces
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disponibles.
Auteur(e): Georg Kreis / PM
4 - Economie
Les belligérants des deux camps essayaient d'utiliser à leur profit les capacités économiques des pays
neutres. Quant à la Suisse, son économie ouverte sur le monde dépendait des importations (matières
premières et denrées alimentaires) et des exportations (biens de consommation et d'équipement). Mais le
double blocus imposé par les Alliés et par l'Axe handicapait fortement le commerce extérieur; jamais la Suisse
ne fut moins intégrée à l'économie mondiale qu'à l'époque de l'économie de guerre. La part des importations
et celle des exportations au produit national net atteignirent leur plus bas niveau historique en 1945 (à peine
10%). Cette chute fut compensée par le marché intérieur. Les capacités étaient pleinement utilisées, à cause
des commandes militaires et des efforts d'autarcie. Les conditions cadres avaient déjà été définies au cours
des années 1930. Pour la plus grande partie du commerce extérieur, les paiements se faisaient par
compensation bancaire (Clearing); le régime des pleins pouvoirs continuait la politique des arrêtés fédéraux
urgents. Au bilatéralisme dans les échanges de marchandises correspondait sur le plan intérieur l'influence
accrue des grandes fédérations comme le Vorort ( Union suisse du commerce et de l'industrie (USCI)), qui
n'avaient admis l'interventionnisme de l'Etat en matière de politique économique extérieure qu'à condition de
participer directement à l'élaboration des lois d'exécution. L'organe central de ce système était la délégation
permanente à l'économie.
Au point de vue économique, la Suisse était mieux préparée à la guerre qu'en 1914; des mesures préparées
de longue date purent entrer en vigueur le 4 septembre 1939. Le plan Wahlen d'augmentation des surfaces
cultivées, même s'il fut loin d'assurer l'autonomie du pays (Approvisionnement économique du pays),
symbolisa pour la population les efforts visant à la plus grande autarcie possible. Le rationnement garantissait
une répartition relativement correcte des denrées disponibles. Dans un contexte de restrictions
(approvisionnement total réduit de 28% entre 1934 et 1944, production de viande et de lait en baisse de 40
et 21% pendant la guerre), il imposa certes des privations, mais la situation alimentaire en Suisse resta
meilleure que dans les pays occupés.
La croissance qui avait débuté avant 1939 tourna en une sorte de conjoncture de guerre dans laquelle la
production était limitée par le manque de matières premières. En termes réels, le produit national net baissa
de 8,3 milliards de francs en 1938 à 7,2 milliards en 1942; il ne retrouva son niveau d'avant-guerre qu'en
1946. L'indice de la production industrielle tomba de 124 (moyenne des années 1937-1940) à 94 (années
1941-1944). Le recul toucha toutes les branches de l'économie, tant à l'exportation que sur le marché
intérieur. En revanche, le nombre des établissements industriels augmenta fortement (+23,8%) entre 1937 et
1946, comme celui des ouvriers de fabrique (+32,7%).
Les bénéfices des entreprises diminuèrent pendant la guerre. Mais en 1945, les usines intactes, souvent
modernisées et appuyées par une place financière renforcée étaient prêtes à livrer leurs produits à l'Europe
mutilée. Si le revenu agricole augmenta de 40% durant le conflit, en raison de la pénurie de denrées
alimentaires, les salaires réels des ouvriers et employés restèrent quant à eux inférieurs à ceux d'avantguerre (avant de progresser fortement en 1946-1947).
Un changement de paradigme intervint dès le début de la guerre dans le domaine du commerce extérieur: les
exportations furent mises au service des importations. On choisit de livrer aux pays qui étaient en mesure de
fournir à la Suisse les matières premières et les marchandises dont elle avait besoin. On développa une
diplomatie qui négociait parallèlement avec les deux camps: tout accord conclu avec l'un devait être accepté
par l'autre, sauf à courir le risque de voir celui qui se sentait lésé réduire ou suspendre le trafic vers la Suisse.
Le Conseil fédéral conclut deux accords avec l'Allemagne (9 août 1940 et 18 juillet 1941), qui accordaient
notamment au Reich un crédit de clearing de 850 millions de francs, trois avec l'Italie entre 1940 et 1942
(crédit de 215 millions au total) et avec les Alliés le War Trade Agreement du 25 avril 1940, dont les termes
étaient déjà dépassés au moment de son entrée en vigueur. Jusqu'au tournant de l'hiver 1942-1943, les Alliés
montrèrent de la compréhension pour la situation de la Suisse. Puis ils se firent plus pressants: en janvier
1943, ils mirent en garde contre les achats de biens volés; du printemps à l'automne 1943, ils empêchèrent
les livraisons de denrées alimentaires à la Suisse; dès août 1943, ils dressèrent des listes noires de firmes qui
entretenaient des relations d'affaires avec les puissances de l'Axe.
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L'accord avec l'Allemagne échu à la fin de 1942 ne fut remplacé que le 1er octobre 1943; pour la première
fois, la délégation allemande ne put imposer toutes ses exigences et dut accepter une réduction des
livraisons suisses. Les arrangements suivants, conclus pour des durées de plus en plus brèves, furent de
moins en moins favorables à l'Allemagne, mais le Conseil fédéral tint à maintenir des relations formelles avec
le régime nazi jusqu'à sa chute, pour respecter le principe de neutralité. On ne voulait pas non plus se
brouiller avec l'Allemagne d'après-guerre. Le 1er octobre 1944, la Suisse interdit toutes les exportations de
matériel de guerre. Elle fit d'autres concessions aux Alliés dans les accords du 19 décembre 1944 et du 16
février 1945 (mission Currie-Foot), mais elle continua de subir des pressions jusqu'à la signature de l'accord
de Washington en 1946.
Vers la fin du conflit, l'économie de guerre fit place à une nouvelle organisation, accompagnée de mesures
préparant la reconstruction de l'Europe. Le 22 mars 1945 déjà, la Suisse signa un accord financier avec la
France; en offrant ainsi son aide à la reconstruction, le Conseil fédéral souhaitait à la fois améliorer l'image de
la Suisse auprès des Alliés, éviter, grâce à une politique de crédit en faveur de l'industrie d'exportation, la
dépression qui menaçait et s'assurer par un moyen éprouvé de futurs marchés. Des accords du même type,
portant au total sur 650 millions de francs, furent conclus avant le milieu de 1946 avec la Belgique, le
Luxembourg, les Pays-Bas, la Norvège, la Grande-Bretagne et la Tchécoslovaquie.
Les exportations suisses de marchandises (armes, machines, outils, montres) et de courant électrique étaient
importantes pour l'économie allemande, mais le sort de la guerre n'en dépendait pas. Certes, 84% des
exportations suisses d'armes et de munitions allèrent aux pays de l'Axe entre 1940 et 1944, mais ces
livraisons ne représentent qu'environ 1% de la production allemande. Des proportions analogues se
retrouvent dans le domaine de l'industrie des machines. On ne peut parler d'une dépendance presque
complète de l'Allemagne envers la Suisse que pour quelques produits de la branche horlogère, en particulier
pour les constituants de détonateurs ("fusées").
Plus qu'à la production industrielle de la Suisse, l'Allemagne s'intéressait à sa place financière. Après l'entrée
en guerre des Etats-Unis en décembre 1941, le franc suisse restait l'une des seules devises librement
convertibles. Pour se procurer des devises en Suisse, la Reichsbank vendit de l'or confisqué dans les pays
occupés ("or volé"), en s'adressant soit à la Banque nationale suisse (pour 1,212 milliard de francs au total),
soit aux grandes banques (pour 267 millions). A cela s'ajoutèrent la quote-part en devises librement
convertibles prévue dans l'accord de compensation germano-suisse (pour 183 millions) et la vente de valeurs
volées (pour au moins 11 millions). L'Allemagne avait besoin de devises pour acquérir dans d'autres pays
neutres (Suède, Espagne, Portugal, Turquie) des matières d'importance stratégique (pétrole, wolfram, étain,
caoutchouc, par exemple), des produits finis et des services. En janvier 1944, le ministère allemand de
l'Armement renonça à lancer contre la Suisse une guerre économique qui aurait compromis non seulement
les prestations financières, mais aussi le trafic de transit entre l'Allemagne et l'Italie par le Gothard et le
Lötschberg-Simplon.
Le retrait dans le réduit s'accompagna d'une diminution des effectifs mobilisés; les soldats libérés purent
reprendre leurs activités dans des entreprises civiles dont certaines travaillaient pour l'économie de guerre
allemande et italienne. La stratégie adoptée envers l'Allemagne, c'est-à-dire la collaboration économique pour
éviter une mise au pas politique, bénéficiait d'un large consensus. Les syndicats et le PS, entré au
gouvernement en 1943, soutenaient eux aussi une politique économique extérieure qui remplissait une triple
fonction: il s'agissait d'assurer premièrement les importations nécessaires à l'approvisionnement de la
population et de l'industrie, deuxièmement le plein emploi et la prospérité, donc le maintien de la paix
sociale, et troisièmement la sécurité, car l'on espérait que l'Allemagne respecterait, par intérêt économique,
l'intégrité territoriale et l'indépendance politique de la Suisse.
Auteur(e): Martin Meier / PM
5 - Aspects sociaux
Tant le gouvernement que le haut commandement de l'armée, se souvenant des tensions sociales de la
Première Guerre mondiale et de la grève générale de 1918, prirent des mesures pour éviter une crise:
allocations pour pertes de gain, rationnement (parfois neutralisé par le marché noir), contrôle partiel des prix,
démobilisation des hommes lorsque le danger diminuait. Toutefois, une animosité certaine entre
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consommateurs modestes et paysannerie régna pendant toute la guerre, amplifiée par leur presse et leurs
syndicats respectifs. Les années 1941 et 1942 connurent quelques épisodes de grogne antiprofiteurs et
antiriches. Le chômage, déjà fortement diminué en 1939, fit peu à peu place à une pénurie de main-d'œuvre,
mais population et autorités partageaient la crainte que le plein emploi ne soit pas garanti. Les femmes furent
spécialement mises à contribution dans l'agriculture. Leur place dans les autres secteurs ne fut guère
modifiée par la guerre et le nombre d'entre celles exerçant une activité lucrative était en 1941 le plus bas
jamais enregistré; plus de deux femmes sur trois étaient célibataires et moins d'une femme mariée sur dix
était active (Travail féminin). L'autre grand sujet de politique sociale fut l'assurance vieillesse et survivants
(AVS) qui dut incontestablement à la guerre son acceptation par le gouvernement (mai 1944), puis par le
peuple (juillet 1947).
Les autorités eurent aussi le souci du moral des troupes et de la population, celui des civils n'étant pas le plus
facile à maintenir élevé. La défaite française, l'incertitude de la politique à suivre (alignement ou résistance),
le mutisme du gouvernement pendant plusieurs jours en juin 1940, la menace d'une cinquième colonne,
l'ambiguïté de la tactique du réduit, le sentiment d'être enfermé à l'intérieur des frontières, la propagande
étrangère, surtout allemande (via les actualités par exemple), la longueur du conflit, les difficultés de la vie
quotidienne furent autant de facteurs démoralisants qu'il fallut contrer. Armée et Foyer fut chargé de cette
tâche, à laquelle la presse fut souvent associée.
Malgré les restrictions, la Suisse fut privilégiée par rapport aux belligérants. L'état de santé des Suisses fut
relativement bon, l'alimentation étant pauvre en sucre et en graisses: le taux de mortalité varia entre
10,9o/oo (1942) et 12o/oo (1940 et 1944). La population s'accrut entre 1939 (population moyenne estimée
4 205 600) et 1945 (4 412 000) de plus de 200 000 personnes. Retardé d'une année vu les événements, le
recensement eut lieu en 1941; la Suisse comptait alors 4 265 703 habitants, la proportion des étrangers étant
de 5,2%, soit la plus faible enregistrée depuis 1850. Le taux de nuptialité passa de 7,5o/oo en 1939 à plus de
8o/oo dès 1941 et celui de natalité, à 14,9o/oo en 1937, dépassa 18o/oo en 1942 et culmina à 20,1o/oo en
1945: les cohortes du baby boom étaient nées. Le nombre des Suisses de l'étranger chuta, passant d'environ
290 000 en 1939 à environ 248 000 en 1945, les retours étant nombreux en 1939, 1940 et 1945 (la colonie
suisse en Allemagne diminua de moitié); les Suissesses, qui perdaient alors automatiquement leur
citoyenneté en épousant un étranger, eurent plus de peine à être rapatriées. L'émigration marqua aussi le
pas.
Auteur(e): Lucienne Hubler
6 - Réfugiés
A la veille de la guerre, les réfugiés civils étaient bien moins protégés par le droit international que les
militaires, couverts par les conventions de La Haye. Au total, la Confédération interna quelque 103 000
soldats et officiers, dont environ 29 000 Français et 12 000 Polonais en juin 1940 et plus de 20 000 Italiens en
automne 1943.
Le refuge des civils se heurta à une législation qui s'était nettement durcie depuis la Grande Guerre
(Etrangers). Lors de la conférence d' Evian, organisée en juillet 1938, la Suisse se déclara "pays de transit",
les "émigrants" étant provisoirement tolérés dans l'attente d'un départ rapide. Dès le début de la guerre, le
visa fut obligatoire pour tous les étrangers, excepté les réfugiés politiques, catégorie dont étaient exclus les
juifs. Des négociations entre la Suisse et l'Allemagne aboutirent en octobre 1938 à l'apposition du tampon "J"
sur les passeports des juifs allemands (Asile).
En été 1942, alors que les rafles en France poussaient un nombre croissant de juifs à tenter l'entrée en
Suisse, et malgré les informations dont Berne disposait sur les persécutions antijuives dans l'Est européen, la
Confédération ferma ses frontières, mesure justifiée par le conseiller fédéral Eduard von Steiger, qui compara
la Suisse à une embarcation de sauvetage déjà lourdement chargée. La circulaire du 13 août du chef de la
Division de police, Heinrich Rothmund, exigeant le refoulement des juifs entrés illégalement suscita de
nombreuses protestations. Le 31 août déjà, Rothmund demanda confidentiellement au responsable de la
police genevoise de "temporiser et refouler le moins possible". C'est pourquoi, malgré des directives
officielles restrictives, les mois de septembre et octobre 1942 enregistrèrent le plus d'entrées de réfugiés
juifs, principalement par Genève. L'occupation de la zone libre en novembre, puis l'adoption le 29 décembre
de nouvelles directives de police encore plus draconiennes entraînèrent une diminution drastique des
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admissions. Ce n'est qu'en juillet 1944, après le débarquement et les nouvelles sur les massacres des juifs
hongrois, que la division de police révoqua ses directives de décembre 1942 et reconnut aux juifs le statut de
réfugiés politiques. Un peu plus de 21 000 d'entre eux trouvèrent refuge en Suisse pendant la guerre (28 000
environ si l 'on ajoute ceux présents avant 1939 avec le statut d'"émigrants"), sur un total de 51 000 civils
admis depuis septembre 1939. Le nombre de civils refoulés est discuté; Carl Ludwig avançait en 1957 celui
de 10 000, nombre plus que doublé en 1996 par Guido Koller. Les recherches en cours sur la frontière avec la
France et avec l'Italie permettront probablement d'affiner les estimations. Le nombre de civils dissuadés de
tenter le passage restera inconnu.
Rothmund ne fut pas l'unique responsable de la politique suisse en matière d'asile, qui avait reçu l'aval du
Conseil fédéral et du Parlement, alors même que les autorités allemandes n'avaient exercé aucune pression
pour que la Suisse ferme ses frontières. L'armée et son commandant en chef contribuèrent au durcissement
des mesures restrictives, tout comme les autorités cantonales qui sollicitèrent parfois plus de rigueur de
Berne. Cette politique fut contrebalancée par des initiatives privées (celles de Paul Grüninger notamment) et
critiquée par les Eglises et les milieux humanitaires. Il ne faut pas non plus oublier le rôle du CICR (CroixRouge) qui, outre son activité à l'étranger (visite des prisonniers, expédition de leur courrier), géra l'accueil
temporaire d'enfants français et belges en Suisse.
Auteur(e): Mauro Cerutti
7 - Culture
A l'époque de la mobilisation, on parlait moins de culture que de défense spirituelle. L'idée que l'"esprit" ou la
culture jouait un rôle important pour l'existence de la nation se renforça et s'étoffa au cours des années 1930;
pendant la guerre, elle se concrétisa dans des activités souvent menées avec grand enthousiasme. L'identité
nationale s'incarnait dans des prestations individuelles ou de groupes aptes à s'imposer sur la scène
internationale. La culture suisse, telle que la définissait en 1938 un message du conseiller fédéral Philipp
Etter, était une forme de résistance active contre la menace que représentait, en particulier, la propagande
étrangère.
La plupart des artistes et écrivains, y compris le jeune Max Frisch, pensaient qu'il fallait soutenir la création
suisse, définie comme telle non seulement par l'origine de ses auteurs, mais encore et surtout par son
contenu, qui devait refléter une attitude libérale et démocratique, opposée au fascisme et au nazisme, mais
aussi au communisme. Pour les conservateurs, la culture patriotique devait former un bastion contre les
dommages spirituels dus aux intellectuels critiques, aux artistes immoraux, aux matérialistes sans religion, en
un mot contre la modernité qu'ils qualifiaient de "nihilisme" et de "bolchevisme culturel". Les liens avec la
culture allemande, française ou italienne ne furent jamais niés. Le Tessinois Francesco Chiesa, par exemple,
les souligna en 1941 en parlant de l'Italie comme mère nourricière (perpetua nutrice) et des Italiens comme
frères de sang (sono il nostro sangue).
En partie sous la contrainte des circonstances, en partie volontairement, la vie culturelle se concentra sur
l'espace et les thèmes suisses. L'histoire (surtout celle des débuts de la Confédération) et la géographie (les
Alpes en particulier) donnaient un sens au destin national. L'archéologie fut sérieusement encouragée.
Ressentant un besoin de remonter dans le passé au-delà des sources écrites, on s'intéressait vivement à la
préhistoire. L'archéologue Rudolf Laur déclara en 1937 qu'il y avait, antérieure à 1291, une Suisse
préhistorique dans laquelle plongeaient les racines de la culture helvétique.
La guerre ne rendit pas muets les courants créateurs modernes, dont l'un des canaux était la revue Du,
fondée en 1941, rédigée par Arnold Kübler et mise en page par Emil Schulthess. Les photographes Hans
Staub, Paul Senn, Jakob Tuggener et Werner Bischof y publièrent des reportages très remarqués. Le côté
moderne trouvait aussi son expression dans le jazz; l'opinion conservatrice rejetait cette "musique de nègres"
décadente, mais ceux qui l'appréciaient se justifiaient en relevant que soutenir un genre interdit par les nazis
était aussi une contribution à la défense spirituelle. Le jazz était particulièrement goûté en Suisse romande,
parce qu'il faisait souffler un peu le vent du large dans la Suisse encerclée et offrait un contrepoids à la
musique populaire alémanique.
La radio joua un grand rôle dans le renforcement de la conscience nationale. La Société suisse de
radiodiffusion regroupa en 1931 les société régionales. Les trois grands émetteurs, un pour chaque langue
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(Sottens, Beromünster et Monte Ceneri), mis au service de la défense nationale, devinrent des symboles de
l'identité suisse et les garants de la qualité helvétique. Les programmes comprenaient des émissions
destinées aux soldats et d'autres consacrées aux grands moments de l'histoire suisse ou aux fêtes du 650e
anniversaire de la Confédération en 1941. Les chroniques hebdomadaires de Jean Rodolphe de Salis en
allemand (dès 1940) et de son émule René Payot en français (dès 1941) étaient attentivement suivies à
l'étranger.
Les années de guerre furent une période faste pour le cinéma suisse, qui bénéficia des mesures étatiques
visant à limiter l'importation de films en provenance des pays de l'Axe; il était cependant soumis à la censure.
Des films comme Le fusilier Wipf de Leopold Lindtberg (1938) ou Gilberte de Courgenay de Franz Schnyder
(1941) eurent pour effet de renforcer la volonté de défense. Les sujets étaient volontiers empruntés à
l'histoire suisse (Lettres d'amour, d'après Gottfried Keller, 1940; Le landamman Stauffacher, 1941, tous deux
de Leopold Lindtberg), mais la société Praesens Film de Lazar Wechsler produisit aussi des films sur des
thèmes contemporains: le drame des réfugiés est évoqué dans Marie-Louise (1943) à travers l'histoire d'une
fillette française et surtout dans La dernière chance (1944). Le Ciné-Journal suisse, fondé en 1939, était au
service de la défense spirituelle, tout en donnant des informations sur le déroulement de la guerre dans le
monde.
La présence de nombreux exilés et Suisses de l'étranger rapatriés donna de l'animation à la vie culturelle.
Des éditeurs suisses comme Emil Oprecht publièrent des livres qui en temps de paix auraient paru à
l'étranger. Le IIIe Reich refusant d'allouer du papier pour les œuvres de Hermann Hesse, celles-ci furent
imprimées à Zurich dès 1942. La revue Traits, fondée en Suisse après la défaite de la France, accueillit des
textes d'écrivains français, comme le firent aussi les Cahiers du Rhône.
L'essor du cabaret et du théâtre pendant la guerre se fit aussi sous le signe de la défense spirituelle. A
Lausanne, Gilles animait le Coup de Soleil dans un esprit antinazi; à Zurich, le cabaret Cornichon offrait des
spectacles divertissants où dominaient les thèmes suisses. Pendant plusieurs années, les théâtres suisses
furent les seules scènes germanophones échappant à la répression nazie. Ils créèrent ou maintinrent à
l'affiche des œuvres théâtrales et musicales d'auteurs interdits en Allemagne, comme Bertolt Brecht, Paul
Hindemith, Béla Bartók, Arnold Schönberg, Alban Berg ou Felix Mendelssohn-Bartholdy. En Suisse, artistes
persécutés et penseurs proscrits pouvaient vivre et s'exprimer, à voix haute ou basse, avec ardeur ou
discrètement. Cependant, les relations entre créateurs indigènes et étrangers exilés étaient souvent tendues.
La Société suisse des écrivains réclama ainsi des pièces d'auteurs suisses et un théâtre spécifiquement
suisse. Le Schauspielhaus de Zurich vécut sans doute, sous la direction d'Oskar Wälterlin, les plus belles
années de son histoire, grâce à des acteurs exceptionnels (comme Therese Giehse ou Wolfgang Langhoff),
pour la plupart exilés. La version allemande de La lune se couche de John Steinbeck, pièce qui évoque la
résistance norvégienne contre l'occupation allemande, fut créée en 1943 à Bâle et connut ensuite de
multiples reprises sur les scènes suisses.
Auteur(e): Georg Kreis / PM
8 - Historiographie et débat
L'histoire de la Suisse pendant les périodes, étroitement liées, de la guerre (1939-1945) et de l'avant-guerre
(dès 1933) a fait l'objet de nombreuses études; cette époque exceptionnelle est en effet de celles qui
suscitent un intérêt particulier. On peut distinguer plusieurs phases dans la chronologie des travaux
spécialisés, la révélation à l'étranger de documents historiques relatifs à la Suisse ayant à chaque fois exercé
une grande influence sur l'orientation des recherches et des débats qui les ont accompagnées. De telles
impulsions sont à l'origine des rapports Ludwig (sur les réfugiés, 1957), Bonjour (sur la neutralité, 1970) et
Bergier (2001).
Les interrogations dérangeantes ne vinrent pas du milieu universitaire, mais plutôt d'écrivains et de
journalistes comme Alfred A. Häsler (La Suisse, terre d'asile?, 1971, rééd. sous le titre La barque est pleine,
1992, all. 1967), Max Frisch (Livret de service, 1977, all. 1974; Suisse sans armée?, 1989, all. 1989), Niklaus
Meienberg (L'exécution du traître à la patrie Ernst S., 1992, all. 1974 et rééd. augmentée 1977), Stefan Keller
(Délit d'humanité: l'affaire Grüninger, 1994, all. 1993) ou Gian Trepp (Bankgeschäfte mit dem Feind, 1993). Il
fallut ces publications pour que les historiens de métier se penchent sur les thèmes qu'elles abordaient; ils
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intervinrent en replaçant les faits dans leur contexte, ce qui aida à relativiser les controverses.
Auteur(e): Georg Kreis/PM
8.1 - Les premiers travaux (1945-1975)
Une première vague historiographique déferla immédiatement après la fin du conflit. Il s'agissait de rapports,
officiels pour la plupart, sur les mesures prises pendant la guerre dans divers domaines: défense militaire,
politique de la presse, répression des forces antidémocratiques, économie de guerre. En 1951 encore, les
autorités refusèrent de rendre public le rapport interne sur la politique des réfugiés; mais après la parution en
1954 de documents tirés des archives allemandes, on chargea Carl Ludwig de rédiger un nouveau rapport sur
ce sujet, qui sera publié en 1957. Tous les rapports de la première phase étaient destinés en premier lieu au
Parlement, aux partis ou aux citoyens suisses. Comme les vainqueurs de 1945 jugeaient négativement
l'attitude suisse envers les puissances de l'Axe, il aurait été utile à ce moment d'expliquer la politique de la
Confédération en s'adressant davantage au monde extérieur; mais rien ne fut réalisé en ce sens.
La seconde vague, vers 1960, fut déclenchée par le projet d'édition des documents saisis par les Allemands.
On crut qu'une divulgation des conversations militaires de 1940 avec la France (documents dits de La Charitésur-Loire) compromettrait la neutralité suisse. Le Conseil fédéral ne parvint pas à empêcher la publication; il
put seulement la retarder jusqu'en 1961. Il donna mandat à l'historien Edgar Bonjour d'élaborer un rapport
sur la politique suisse de neutralité. Cette affaire provoqua un débat public avant même la parution du
rapport en 1970.
L'attention s'était toujours focalisée sur l'attitude du gouvernement pendant la guerre; le comportement des
particuliers et de l'économie privée n'avait guère soulevé d'intérêt. Néanmoins, les Chambres décidèrent en
1962, après des années de vaines démarches, d'obliger les banques à résoudre la question des comptes en
déshérence.
Auteur(e): Georg Kreis / PM
8.2 - Accents critiques (1975-1995)
La troisième vague est plus difficile à caractériser. La diffusion dans les pays germanophones de la série
télévisée américaine Holocaust (dès 1979) servit de catalyseur. Tandis que des représentants de la
"génération de la mob" et des historiens comme Peter Dürrenmatt (Schweizer Geschichte, 1976) soulignaient
le rôle de l'armée dans le maintien de l'indépendance de la Suisse, des esprits tournés vers la critique sociale,
comme Werner Rings (L'or des nazis, 1985, all. 1985) et Markus Heiniger (Dreizehn Gründe, warum die
Schweiz im Zweiten Weltkrieg nicht erobert wurde, 1989), montraient les liens économiques et financiers de
la Suisse avec les puissances de l'Axe et relativisaient l'importance des forces militaires. La discussion
s'enflamma en 1989, année où eurent lieu à la fois la votation sur l'initiative "pour une Suisse sans armée" et
les commémorations du cinquantième anniversaire de la mobilisation (opération Diamant).
Le thème des liens entre entreprises suisses et économie allemande à l'époque du nazisme devint très
présent, par exemple à travers le cas de la reprise en 1935, par la maison Villiger, de la fabrique de cigares
Geska à Cannstadt et Schönaich (Bade du Sud), qui appartenait à des juifs, les frères Strauss. On se mit aussi
à entendre les revendications individuelles des victimes de spoliations (immeubles et valeurs de toutes
sortes, des collections de timbres aux polices d'assurance). Dans ce contexte, le comportement de l'Etat
suisse apparut sous un jour nouveau: avait-il rempli son devoir de surveillance et les tribunaux avaient-ils
protégé les victimes? On se posa en outre la question de savoir dans quelle mesure l'antisémitisme s'était
renforcé dans la société suisse avant et pendant la guerre, avant de se demander, au cours des années 1990,
si la politique d'accueil restrictive des autorités était dirigée spécialement contre les juifs.
Auteur(e): Georg Kreis / PM
8.3 - La Suisse sur le banc des accusés: les débats depuis 1995
Le débat sur la Suisse pendant la guerre entra vers 1995 dans une quatrième phase, focalisée sur le
comportement des banques et entreprises suisses. A la suite de fortes pressions exercées par des
organisations juives ayant généralement leur siège aux Etats-Unis, sous la conduite du sénateur Alfonse
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D'Amato et d'Edgar Bronfman (représentant de la World Jewish Restitution Organization), les trois grandes
banques, la Banque nationale suisse et d'autres firmes constituèrent en février 1997 un fonds spécial pour les
victimes de l'holocauste, qui fut doté finalement de 300 millions de francs et qui, jusqu'à sa dissolution à la fin
de 2002, put verser des secours à 300 000 personnes dans soixante pays. En 1996, les organisations juives
internationales et l'Association suisse des banquiers décidèrent ensemble de créer un comité indépendant
(Independent Committee of Eminent Persons, dit commission Volcker), chargé de vérifier les avoirs de
victimes du nazisme déposés dans des banques suisses. Dans son rapport final, publié en 1999, il est dit que
les banques suisses n'ont pas systématiquement négligé leurs devoirs dans la gestion des comptes ouverts
par des victimes juives du nazisme; qu'en revanche, après la guerre, elles ont souvent mal reçu les
descendants des victimes et refusé de les aider à retrouver les sommes en déshérence.
L'UBS et le Credit Suisse conclurent en 1998 un accord avec les avocats des plaignants (signataires d'une
class action, soit plainte collective) et les organisations juives. Les deux banques s'engageaient à payer 1,8
milliard de francs, répartis à raison de 150 millions pour l'aide humanitaire, 500 millions en faveur de
personnes qui avaient été refoulées à la frontière suisse et 1,15 milliard pour répondre aux prétentions sur les
comptes en déshérence. Mais la distribution de l'argent souleva des difficultés, car après tant d'années
l'identification des titulaires s'avéra souvent difficile.
En décembre 1996, le Parlement approuva la création de la Commission indépendante d'experts Suisse Deuxième Guerre mondiale (CIE). Dirigée par Jean-François Bergier, elle devait enquêter sur les relations
économiques et financières entre la Suisse et l'étranger, sur le problème des fonds en déshérence et sur la
politique des réfugiés. Ses travaux ont abouti à la publication de diverses monographies (25 volumes,
2001-2002) et d'un rapport final (2002).
Les publications de la CIE se heurtèrent aux critiques, voire à la hargne, de certains milieux et de politiciens
bourgeois. Le "Groupe de travail histoire vécue", constitué en 1997, s'efforça de relativiser les résultats de la
commission d'experts en leur opposant les aspects positifs du rôle de la Suisse pendant la guerre. Cependant,
la majorité des historiens et une bonne partie du public ont accueilli favorablement le point de vue adopté
dans le rapport Bergier, en admettant qu'il y avait des points problématiques dans le comportement de la
Suisse pendant la guerre (politique des réfugiés, liens économiques avec les puissances de l'Axe). A la
question de savoir si les circonstances laissaient aux acteurs (autorités, chefs d'entreprise) le moindre choix,
on a donné une réponse nuancée: dans l'ensemble, la politique suivie était sans doute la seule possible, mais
on aurait pu prendre plus de distance dans certaines situations concrètes.
Auteur(e): Andreas Schwab / PM
Références bibliographiques
Sources imprimées
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