Synthèse Les Justes - Le blog de Jocelyne Vilmin
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Synthèse Les Justes - Le blog de Jocelyne Vilmin
Synthèse Les sources : L’attentat contre le grand-duc est réel, il a eu lieu en février 1905. C’est alors, en Russie, le règne de Nicolas II et une époque de troubles révolutionnaires. Certains, comme Lénine, souhaitent la formation d’un parti révolutionnaire centralisé et discipliné ; d’autres se tournent plutôt vers l’anarchisme et le terrorisme. L’année 1905 est marquée par des attentats, des émeutes, la création des premiers soviets ouvriers. Camus a lu les Mémoires d’un terroriste de Boris Savinkov (modèle d’Annenkov) et s’est intéressé au personnage de Kaliayev qui a lancé la bombe sur le grand-duc. Il a écrit un article sur ce groupe de terroristes Les Meurtriers délicats (voir p. 191). Ce qui intéresse Camus, c’est que ces terroristes sont partagés entre la nécessité de tuer et le caractère inexcusable du meurtre. Dans le prière d'insérer, qu'il a tenu à signer, Albert Camus indique clairement ses sources et expose ses intentions : « En février 1905, à Moscou, un groupe de terroristes, appartenant au Parti socialiste-révolutionnaire, organisait un attentat à la bombe contre le grand-duc Serge, oncle du tsar. Cet attentat et les circonstances singulières qui l'ont précédé et suivi font le sujet des Justes. Si extraordinaires que puissent paraître, en effet, certaines des situations de cette pièce, elles sont pourtant historiques. Ceci ne veut pas dire, on le verra d'ailleurs, que Les Justes soient une pièce historique. Mais tous les personnages ont réellement existé et se sont conduits comme je le dis. J'ai seulement tâché de rendre vraisemblable ce qui était déjà vrai. » Les personnages Kaliayev : ce personnage porte le nom d’un de ceux qui ont réellement commis l’attentat contre le grand-duc. Il incarne le conflit entre pensée et action. C’est un jeune homme, amoureux de la vie (« J’aime la vie. Je ne m’ennuie pas. Je suis entré dans la révolution parce que j’aime la vie » p. 68 ; « j’aime la beauté, le bonheur ! p. 71), fantaisiste (il change le signal pour s’amuser, p. 61 ), rieur (voir les didascalies p. 62-63). C’est aussi un poète pour lequel « ma poésie est révolutionnaire ». Personnage entier, il affirme « c’est cela l’amour, tout donner, tout sacrifier ».Il sacrifie même son amour pour Dora « C’est là notre part, l’amour est impossible » p. 119 La cause politique qu’il défend l’amène au terrorisme et à l’assassinat. Mais il se considère comme un justicier-assassin : son meurtre, il l’expie par le sacrifice de sa vie ( Nous acceptons d’être criminels pour que la terre se couvre enfin d’innocents » p. 71 ; « Une pensée me tourmente : ils ont fait de nous des assassins. Mais je pense en même temps que je vais mourir, et alors mon cœur s’apaise »p. 73). C’est un homme qui pense que l’idéal révolutionnaire ne peut amener à des actes déshonorants « si un jour, moi vivant, la révolution devait se séparer de l’honneur, je m’en détournerais »p. 98) : ainsi il ne peut jeter la première bombe parce qu’il tuerait des enfants, symboles de l’innocence. De même, s’il tue ensuite le grand-duc, ce n’est pas sans éprouver de l’effroi et du tourment (voir le dialogue avec Dora avant l’attentat, acte III, p. 114 « Aujourd’hui…. ») Mais il reste ferme dans sa volonté de mourir pour expier son crime : dans l’acte IV, il refuse toutes les tentations ( acte IV : 1- pourquoi mourir pour défendre un peuple qui agit sans scrupule, comme Fokia qui gagne un an de prison à chaque fois qu’il pend un condamné et le fait sans remords ; 2- la tentation de la grâce que lui offre Skouratov en échange de la dénonciation de ses camarades ; 3 - tentation de la religion : vivre pour continuer à expier Au moment de sa mort, il se montre résolu et courageux et on peut penser, comme Dora, qu’il est heureux de mourir (voir lecture analytique du dénouement). C’est le véritable héros de la pièce qui connaît, comme les héros de Corneille, les tourments d’un dilemme. Stepan : Il se caractérise, à l’opposé de Kaliayev, comme un homme dénué de sentiments (« Mais moi, je n’aime rien et je hais, oui, je hais mes semblables. » p. 122), extrêmement intransigeant pour lequel ne compte que l’efficacité. C’est ainsi qu’il traite les scrupules de ses camarades à propos des meurtres d’enfants de « niaiseries ». Pour lui, seul compte l’avènement de la révolution, dût-elle être amenée par la mort d’innocents. Il porte en lui les germes de la dictature : voir l’échange entre Dora et Stepan p. 92-93… Cependant, sa dureté s’atténue à la fin de la pièce. La dernière scène le montre touché par la mort de Kaliayev, il avoue même envier celui qui lui est si opposé par sa sensibilité. Stepan est un homme que les sévices connus au bagne ont brisé et qui refuse tout sentiment pour être capable de vivre. Boris Annenkov : Camus s’est inspiré de Boris Savinkov pour construire son personnage. C’est le chef du groupe comme on l’apprend dès la première scène. Il agit pour que la cohésion du groupe l’emporte sus ses divisions : voir p.90 à 99. Il sait comprendre la fragilité des siens : voir dialogue avec Voinov p.106 à 111. Comme les autres, il semble sacrifier les bonheurs de la vie pour sa cause : « J’ai aimé, mais il y a si longtemps que je ne m’en souviens plus » p. 166. Pourtant, il a connu une vie plus douce : « Sais-tu que je regrette les jours d’autrefois, la vie brillante, les femmes… Oui, j’aimais les femmes, le vin, ces nuits qui n’en finissaient pas » p. 83 Alexis Voinov : son rôle est moins important. Il s’est engagé avec ferveur dans la révolution « J’ai compris qu’il ne suffisait pas de dénoncer l’injustice. Il fallait donner sa vie pour la combattre » p. 60. Mais il ne sent incapable de jeter la bombe : « Je ne suis pas fait pour la terreur. » p. 108. Pourtant, à la fin de la pièce, il rejoint ses camarades car Yanek lui sert désormais de modèle : « Quand j’ai appris sa condamnation, je n’ai eu qu’une idée : prendre sa place puisque je n’avais pu être à ses côtés » Dora : Camus s’est inspiré de Dora Douledov dont Savinkov parle dans ses Mémoires. C’est une femme dont on peut admirer l’humanité, la détermination et le courage. Dès les premières scènes, on comprend qu’elle est attentive aux autres : elle va vers eux, s’inquiète de leur état (voir p. 54). Elle comprend bien ses camarades. De Stepan, elle dit : « Je crois qu’il n’aime personne. Quand tout sera fini, il sera plus heureux ». Elle sait que tuer n’est pas si facile que Kaliayev se l’imagine ; elle essaie de le mettre en garde : « il faut que tu sois prévenu ! Un homme est un homme. » Femme déterminée, elle défend ses convictions avec force : à l’acte II, elle s’oppose violemment à Stepan (p. 91 à 93) : elle ne partage pas ses idées extrémistes. Pour elle, l’assassinat d’enfants, d’innocents ne peut se concevoir. La révolution ne peut se souiller par des attentats inhumains, elle affirme « Même dans la destruction, il y a un ordre, il y a des limites » p. 95. D’ailleurs, le meurtre lui fait horreur, bien que ce soit elle qui fabrique les bombes. La mort du grand-duc provoque en elle le désespoir : p. 124 « Dora, S’abattant en larmes sur lui : C’est nous qui l’avons tué ! C’est nous qui l’avons tué ! C’est moi ! » Son désarroi est d’autant plus marquant qu’au même moment, Stepan manifeste sa joie. Comme ses camarades, elle fait le sacrifice du bonheur pour la cause qu’ils défendent. « Ceux qui aiment la justice n’ont pas droit à l’amour. » dit-elle p. 115 ou encore « Nous ne sommes pas de ce monde, nous sommes des justes. Il y a une chaleur qui n’est pas pour nous », p. 119. Elle se souvient avec une certaine nostalgie du temps où elle n’avait pas encore le rôle qu’elle doit désormais jouer au sein de l’Organisation : « Je me souviens du temps où j’étudiais. Je riais. J’étais belle alors. Je passais des heures à me promener et à rêver. ». Ce n’est pas sans douleur qu’elle écarte ses sentiments amoureux : « Ah ! Yanek, si on pouvait oublier, ne fût-ce qu’une heure, l’atroce misère de ce monde et se laisser aller enfin. ». Sans doute, éprouve-t-elle quelques doutes sur l’action et ses enjeux, elle dit du peuple pour lequel, pourtant, elle se bat : « Nous vivons loin de lui, enfermés dans nos chambres, perdus dans nos pensées. Et le peuple, lui, nous aimet-il ? sait-il que nous l’aimons ? Le peuple se tait. Quel silence, quel silence… » p. 116. Elle exprime le même doute p. 71 quand à ces paroles de Kaliayev « Nous acceptons d’être criminels pour que la terre se couvre enfin d’innocents », elle répond « Et si cela n’était pas ? » Toutefois, elle prendra la suite de Kaliayev et c’est avec la même détermination qu’elle impose sa décision à ses camarades. Elle lancera la bombe et elle mourra. Mais on peut se demander ce qui l’emporte : la défense de la cause révolutionnaire ou l’amour pour Kaliayev. On comprend qu’elle ne peut vivre sans lui, qu’elle désire le rejoindre dans la mort tout comme elle a exigé le récit détaillé de ses derniers instants afin de les partager. La citation de Roméo et Juliette de Shakespeare, en exergue, incite à comprendre sa volonté de mourir comme un geste d’amour tragique : « O love ! O life ! Not life but love in death » (Ô amour ! Ô vie ! Non pas la vie, mais l’amour dans la mort ! ) Les personnages (suite) Personnalité KALIAYEV Modéré, tourmenté, idéaliste et humain. Epargner les innocents, s’attaquer au symbole de l’oppression des peuples Trouve Stepan trop excessif STEPAN Orgueilleux, dur, sans concession, inhumain. Tout sacrifier, sans état d’âme au nom de la Cause. Trouve Kaliayev trop fantaisiste Conception de l’action révolutionnaire Ce que chacun pense de l’autre S’ils poursuivent le même combat, les personnages se différencient par leur attitude face à l’action. Stepan est pur et dur, pour lui la fin justifie les moyens alors que Kaliayev est tout aussi convaincu mais reste humain. Dora Elle est convaincue de son action révolutionnaire. Elle est conciliante. Ce qu’ils partagent Une même conviction idéologique, un même amour et le consentement au sacrifice pour une cause Ce qui les différencie Son engagement révolutionnaire Dora est plus nuancée, plus sensible au passe avant son amour pour Dora sentiment amoureux Personnages tragiques ? Ils éprouvent un amour réciproque mais qu’ils doivent sacrifier au bénéfice de leur cause commune. Bien que partageant la même cause, ils restent humains au travers de la tendresse et de l’amour qu’ils se déclarent et transcendent dans leur combat. Personnalité Kaliayev Modéré, tourmenté, idéaliste et humain. Personnalité Ce qu’ils partagent Ce qui les différencie Sont-ils des personnages tragiques ? Annenkov Voinov Humain, chef responsable, bon Il est volontaire, fougueux, vivant, il a l’esprit de conciliation. impressionnable, humble, intègre, Homme de cœur vulnérable, fragile. Ils sont unis par une certaine complicité, animés d’un respect et d’une estime réciproques. Il voudrait lancer la bombe mais se doit Il a été désigné pour lancer la bombe de rester en retrait en raison de sa mais y a en fait renoncé par peur. responsabilité de chef Il est tiraillé entre ses obligations de chef Il est tiraillé entre son sens du devoir et son désir de participer à une action et d’engagement et la découverte de directe au milieu des " camarades ". ses limites. Camarades de combat, ils restent profondément humains dans leur désir, leurs limites et les aveux qu’ils échangent. Personnalité Ce qu’ils partagent Ce qui les différencie Skouratov Foka Il est froid, cynique, calculateur, Il est inculte, alcoolique, égoïste, habile, dominant. opportuniste et vil. Ils agissent par intérêt personnel, ne sont pas engagés dans une cause. Ils ne comprennent pas l’autre, restent hermétiques à toute autre logique que la leur. Il incarne le système judiciaire au Il représente le bas peuple. service du pouvoir. Son but : démanteler le réseau par la Son but : réduire sa peine manipulation d’un Foka consentant. d’emprisonnement. Sont-ils des personnages Non, car ils ne sont pas tiraillés par des valeurs morales antagonistes. tragiques ? En quoi ces deux personnages diffèrent-ils de ceux vus précédemment ? Ils ne combattent pas pour le bonheur du peuple mais défendent un intérêt purement personnel au travers de personnalités très différentes, voire opposées. Ce qui les unit Ce qui les sépare Dora la Grande-Duchesse Chacune est amoureuse, chacune souffre par la perte de l’être aimé. Statut de révolutionnaire. Idéologie politique d’opposition Statut d’épouse d’homme de pouvoir. Idéologie religieuse. Sont-ils des personnages tragiques ? Pourquoi ? Oui car elle fait passer son amour, Oui car elle est victime de l’action son avenir de femme. Au second révolutionnaire. Elle n’a plus d’avenir de plan. Elle sacrifie sa personne au femme. service de la Cause. Politiquement et socialement divisées, elles sont toutes les deux femmes et souffrent par et dans leur amour. Ce qui les unit Ce qui les sépare Kaliayev La Grande-Duchesse La mort du Grand Duc Serge qui va leur permettre en plus de dialoguer. Pour lui, le Grand Duc incarne le symbole à abattre de leur lutte révolutionnaire. Les enfants sont l’innocence et à ce titre doivent être épargnés. Pour elle, il est l’époux chéri, l’homme bon. Pour elle, les enfants sont méchants et les neveux n’auraient pas dû être épargnés. Les Justes, une tragédie Quelques pistes de réflexion : - comme dans une tragédie classique, même si la règle de l’unité de temps (24h) n’est pas respectée, le temps est concentré : un peu plus d’une semaine. L’action s’articule sur une action : l’assassinat du grandduc et ses conséquences. De même, la pièce est composée de cinq actes. - comme dans une tragédie classique encore, le niveau de langue est soutenu, comme il convient à des personnages hors du commun. - le thème du destin, d’une certaine fatalité apparaît : les personnages sont enfermés par la cause qu’ils défendent, ils ne peuvent lui échapper et pour elle, ils sacrifient toute idée de bonheur personnel. - les personnages vont vers la mort inéluctablement et dépassent leur conflit intérieur, comme des héros cornéliens : Kaliayev et Dora, malgré l’amour qu’ils se portent, refusent tout bonheur individuel et sacrifient leur vie. Musset, Lorenzaccio Peut-on comparer Kaliayev à Lorenzo ? les points communs L’acte : abattre un tyran La détermination La jeunesse Le danger encouru et accepté les différences Lorenzo pour lui-même, Kaliayev pour le bien de l’humanité Lorenzo : un acte dont il n’est pas sûr de l’utilité ; Kamiayev : foi en un avenir meilleur pour les autres et donc le bien fondé de ses idées Jean-Paul Sartre, Les Mains sales Peut-on comparer Kaliayev à Hugo ? Les points communs L’acte : abattre un traître L’importance de l’affectif La jeunesse Le danger encouru et accepté Les différences Le manque de détermination Hugo pour être reconnu par les autres, Kamiayev pour le bien de l’humanité Hugo : un acte pour lequel il ne s’interroge pas; Kaliayev : foi en un avenir meilleur pour les autres et donc le bien fondé de ses idées